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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 29 mars 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 17 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je demanderais aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma gauche.

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, du Québec.

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, division sénatoriale des Laurentides, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire du Traité no 4. Bienvenue à tous.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate. Bienvenue à tous. Je suis d’ici, des rives de la rivière Kitchissippi, sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique. Bienvenue à tous.

Le président : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du comité.

Nous serons peut-être interrompus avant la fin de notre conversation avec le premier groupe de témoins. Veuillez nous en excuser par avance. J’espère que nous irons suffisamment loin dans notre dialogue.

Pour commencer l’après-midi, nous accueillons le premier groupe de témoins, à savoir, du Commissariat à la magistrature fédérale, Marc Giroux, commissaire, et, du Conseil canadien de la magistrature, Jacqueline Corado, directrice et avocate générale. Je vous invite tous deux à présenter vos exposés.

[Français]

Me Marc A. Giroux, commissaire, Commissariat à la magistrature fédérale : Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Je suis honoré d’être ici aujourd’hui. J’ai comparu devant ce comité plus d’une fois et je suis heureux de revoir des visages désormais familiers.

Je suis accompagné de Jacqueline Corado, directrice et avocate générale au Secrétariat du Conseil canadien de la magistrature. Comme vous le savez sûrement, Me Corado et moi-même avons comparu devant le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes en novembre dernier au sujet du projet de loi C-9, et nous suivons depuis l’étude de ce projet de loi par le Sénat et par votre comité.

Comme nous l’avions fait savoir alors, le Conseil canadien de la magistrature, le Commissariat à la magistrature fédérale et, si je peux me permettre, l’Association canadienne des juges des cours supérieures se félicitent tous que le projet de loi sur la réforme de l’examen de la conduite des juges soit étudié par le Sénat et par votre comité. Nous avons tous hâte qu’il reçoive la sanction royale.

Comme le ministre de la Justice l’a déclaré lorsqu’il a comparu devant vous récemment, le conseil et l’association ont collaboré avec le ministère pour mener à bien ce projet de loi. Le projet de loi C-9 garantira l’efficacité indispensable du processus d’examen de la conduite des juges et permettra de consolider la confiance de la population dans le système de justice, comme le réclamaient le Conseil canadien de la magistrature et son président, le juge en chef du Canada. Me Corado vous en parlera plus en détail dans un instant.

[Français]

Du côté du commissariat, le projet de loi C-9 confirme notamment ce qui existe maintenant depuis quelques années dans la Loi sur les juges, soit que le calcul de l’ancienneté d’un juge pour les fins de sa pension s’arrêtera lorsqu’un comité d’audience plénier conclura que le juge devrait être révoqué. Par ailleurs, le projet de loi permettra d’épargner des ressources et mettra fin au besoin de demander chaque année le financement souvent imprévisible lié au processus de la conduite judiciaire.

Cela dit, le commissariat établira ou, devrais-je dire, formalisera des lignes directrices au sujet des dépenses liées à ce processus. En outre, il y aura dorénavant un examen indépendant de tout ce qui comprend le financement rattaché au processus de conduite judiciaire, et cet examen sera rendu public. Comme vous le savez, le Commissariat à la magistrature fédérale est indépendant du ministère de la Justice, et sa mission est de sauvegarder l’indépendance de la magistrature. Nous appliquons la Loi sur les juges, offrons une multitude de services à environ 1 200 juges de nomination fédérale, administrons le processus de nomination à la Cour suprême du Canada et aux cours supérieures partout au pays et publions des informations pertinentes à la magistrature, comme les statistiques concernant les dépenses des juges et la diversité sur le banc. La Loi sur les juges prévoit également que le commissariat procure des services corporatifs au Conseil canadien de la magistrature.

[Traduction]

En vertu de la Loi sur les juges, le commissaire fournit au conseil le personnel nécessaire à ses activités et à son secrétariat. Ce secrétariat comprend une petite équipe d’une dizaine d’employés dirigée par un directeur. À l’heure actuelle, faute de directeur en poste, je m’acquitte de ces fonctions. Quant à Me Corado, comme directrice et avocate générale du Secrétariat du Conseil canadien de la magistrature, son rôle est de s’occuper du processus d’examen de la conduite des juges.

Avant de terminer, permettez-moi quelques remarques au sujet du conseil.

[Français]

Le conseil est présidé par le juge en chef du Canada et composé de tous les juges en chef et juges en chef associés et adjoints au pays, c’est-à-dire les juges des cours d’appel et des cours supérieures de première instance. À l’heure actuelle, il y a 44 postes de juges en chef et de juges en chef associés et adjoints.

Bien que le conseil compte plusieurs comités qui travaillent sur divers sujets, ses fonctions principales visent, d’une part, la conduite judiciaire — et je note que le président du conseil n’est pas impliqué dans le processus de conduite judiciaire — et, d’autre part, la formation judiciaire. À cet égard, le conseil impose certaines normes qui devraient être suivies par les juges, approuve des formations pour la magistrature et rédige et publie un index de ces formations.

[Traduction]

Au cours des dernières années, il a été particulièrement actif sur divers fronts, par exemple en assurant les services judiciaires pendant la pandémie de COVID, notamment par l’entremise du Comité d’action sur l’administration des tribunaux en réponse à la COVID-19, coprésidé par le juge en chef et par le ministre de la Justice. Il a produit et publié des guides à l’intention des parties se représentant elles-mêmes et il a adopté et publié des principes de déontologie nouveaux et corrigés pour les juges. Je sais que certains d’entre vous les connaissent. Ces principes portent sur l’indépendance des juges, l’intégrité et le respect, la diligence et la compétence, l’impartialité et l’égalité, et ils invitent les juges à se dissocier de toute discrimination et de tout stéréotype, mythe ou préjugé et à se sensibiliser à ces égards. Ils s’appuient sur l’idée que les considérations éthiques évoluent et doivent suivre le rythme des attentes de la société.

[Français]

Cela conclut mes commentaires pour l’instant, monsieur le président. Je vous remercie.

[Traduction]

Le président : Merci. Maître Corado, vous avez la parole.

Me Jacqueline Corado, directrice et avocate générale, Conseil canadien de la magistrature : Merci, commissaire, et merci à vous, sénateurs, de m’avoir invitée à prendre la parole au sujet du projet de loi C-9.

Le Conseil canadien de la magistrature l’attendait avec impatience. Vous savez sans doute que le juge en chef du Canada, en sa qualité de président du conseil, s’est exprimé publiquement à quelques reprises sur la nécessité de procéder à cette réforme pour améliorer l’efficacité du processus d’examen de la conduite des juges dans l’intérêt de tous les Canadiens. Comme je l’ai déjà dit, le conseil a également collaboré à la réforme proposée avec le ministère de la Justice et avec l’Association canadienne des juges des cours supérieures, et nous avons hâte que ce projet de loi soit adopté.

Comme vous le savez, l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit l’inamovibilité des juges, qui est l’un des fondements de leur indépendance. Un juge d’une cour supérieure ne peut être démis de ses fonctions que par le gouverneur général à la demande du Sénat et de la Chambre des communes.

L’indépendance des juges s’entend du fait que ceux-ci doivent être libres de rendre leurs décisions hors de toute forme de coercition, directe ou indirecte. Mais cela ne signifie pas que leur conduite ne puisse pas faire l’objet d’une enquête. En effet, l’article 99 de la Loi constitutionnelle précise qu’un juge de la Cour supérieure demeure en fonction tant que sa conduite est irréprochable. Il est donc essentiel de pouvoir examiner la conduite des juges pour maintenir la confiance de la population dans la magistrature.

C’est dans cette optique que le Conseil canadien de la magistrature a été créé. C’est le seul organisme habilité à déterminer si l’obligation de bonne conduite prévue à l’article 99 de la Loi constitutionnelle a été violée et à juger si tel ou tel type d’inconduite est suffisamment grave pour justifier la révocation.

[Français]

Ce ne sont certainement pas toutes les plaintes qui justifient une recommandation de révocation. En effet, la grande majorité des plaintes reçues au conseil ne sont pas de la compétence du conseil ou ne sont pas fondées, souvent parce qu’elles ne sont pas liées à la conduite judiciaire, mais plutôt à la décision rendue par le juge. Cela m’amène à vous parler du processus actuel et de ce que le projet de loi C-9 permettra de réformer.

[Traduction]

À l’heure actuelle, un examen de la conduite d’un juge comporte cinq étapes. Les deux premières étapes sont considérées par les tribunaux comme des étapes préalables. À la troisième étape, un comité d’examen décide s’il convient de créer un comité d’enquête qui déterminera si l’enjeu est suffisamment grave pour justifier la révocation. En vertu du projet de loi C-9, ce comité d’examen pourra imposer d’autres types de solutions en cas d’inconduite, par exemple des excuses privées ou publiques, du counselling ou de la formation continue. À la quatrième étape, un comité d’enquête est chargé de tirer des conclusions de fait et de recommander, s’il y a lieu, la révocation. Si le comité d’enquête recommande la révocation, on passe à la dernière étape, où un minimum de 17 membres du conseil doivent examiner le rapport d’enquête et les recommandations.

En vertu du projet de loi C-9, si un comité d’examen renvoie la plainte à un comité d’audience et que ce dernier recommande la révocation, le juge incriminé pourra faire appel de la décision auprès du conseil. Le projet de loi prévoit ce mécanisme d’appel pour que le conseil traite les appels plus rapidement, à titre d’autorité compétente et de gardien de la conduite des juges. Le projet de loi améliore effectivement l’efficacité de tout le processus. Dans les dernières années, on a pu constater à quel point le processus actuel peut permettre de longs délais en raison de multiples contrôles judiciaires.

Dans l’ensemble, nous convenons que le projet de loi C-9 vise à créer un juste équilibre entre l’impartialité à l’égard des juges et l’impartialité à l’égard des plaignants pour maintenir la confiance de la population dans le processus d’examen, et nous convenons également qu’il vise à créer un juste équilibre entre la responsabilisation et l’indépendance des juges.

[Français]

Le conseil espère que le projet de loi C-9 sera adopté sans tarder. Nous sommes persuadés que ces changements auront un impact important et positif sur le processus de conduite judiciaire, et ce, pour le bien de tous les Canadiens et Canadiennes.

[Traduction]

Merci de nous avoir permis d’exprimer le point de vue du conseil et merci de votre excellent travail.

Le président : Merci à vous deux de vos exposés.

Comme vous le savez, nous sommes un peu coincés. Je propose de ne commencer la période de questions qu’après avoir voté. Cela donnera au sénateur Dalphond le temps de réfléchir sérieusement à vos propos et de formuler une question intelligente. Vous êtes toujours intelligent, sénateur Patterson. Le comité est-il d’accord pour suspendre notre étude jusqu’au retour du vote? Le vote a lieu à 17 h 8. Ce serait simplement une petite interruption. Sous réserve que nos témoins puissent rester un peu plus longtemps, il serait un peu plus respectueux d’avoir un dialogue continu.

Nous allons suspendre la séance jusqu’à notre retour. Encore une fois, toutes mes excuses pour cet inconvénient.

(La séance est suspendue.)


(Le comité reprend ses travaux.)

Le président : Chers collègues, nous reprenons nos travaux après une courte pause pour poursuivre notre discussion sur le projet de loi C-9 avec Me Giroux et Me Corado.

Le sénateur Dalphond : Monsieur le président, vous m’avez donné le temps de réfléchir à la question que j’allais poser. J’ai eu tellement de difficulté à décider dans quel sens voter que je propose de céder mon temps de parole à mes collègues. S’il reste du temps à la fin, je reviendrai. J’ai eu le plaisir d’avoir une séance d’information avec ces fonctionnaires.

Le président : Merci, sénateur Dalphond. Je vous invite tous à faire de votre mieux — et je serai peut-être plus ferme s’il y a lieu — pour vous en tenir à cinq minutes et ne pas imposer de fardeau excessif à nos témoins aujourd’hui, si vous voulez bien.

La sénatrice Batters : Je m’adresse à la représentante du Conseil canadien de la magistrature. Je voudrais simplement m’assurer d’avoir les bons chiffres. Est-il exact que le conseil reçoit environ 600 plaintes par an et qu’il n’en résulte en général que quelques cas d’examen et seulement un ou deux cas d’enquête? C’est bien cela?

Me Corado : En effet. Le nombre varie d’une année à l’autre. Il a augmenté, mais je dirais que oui.

La sénatrice Batters : Il a augmenté?

Me Corado : Oui.

La sénatrice Batters : Tous ces chiffres, ou seulement le nombre de plaintes?

Me Corado : Non, le nombre de plaintes, parce qu’il y a plus de juges nommés et que plus de gens sont au courant du processus, mais qu’ils sont également plus nombreux à contester les décisions. Beaucoup des plaintes que nous recevons sont rejetées, parce que les plaignants semblent penser que le Conseil canadien de la magistrature est habilité à modifier une décision, comme si nous étions une cour d’appel, alors que nous sommes un organisme d’examen de la conduite.

La sénatrice Batters : Je comprends. J’ai entendu dire que vous recevez notamment un certain nombre de plaintes au sujet de juges provinciaux. Selon votre estimation, dans quelle proportion recevez-vous des plaintes à leur sujet et devez-vous expliquer, évidemment, que cette procédure d’examen ne concerne que les juges fédéraux?

Me Corado : Je n’ai pas de chiffre, sénatrice, mais nous recevons effectivement un certain nombre de plaintes concernant des juges provinciaux. Cela ne relève pas de notre compétence. Chaque plaignant recevra une réponse expliquant pourquoi nous ne pouvons pas traiter sa plainte.

La sénatrice Batters : D’accord. Auriez-vous une approximation...

Me Corado : À titre indicatif?

La sénatrice Batters : Est-ce assez fréquent, ou est-ce que cela n’arrive vraiment pas très souvent?

Me Corado : Non, il y en a un certain nombre. Je ne voudrais pas vous induire en erreur en vous donnant un chiffre, mais nous recevons effectivement un certain nombre de plaintes de ce genre. Celles que nous rejetons concernent généralement la décision, et ensuite la sphère de compétence.

La sénatrice Batters : Je vois. Et ces plaintes font partie des 600 plaintes par an?

Me Corado : Oui.

La sénatrice Batters : Très bien.

Le nouveau système prévu dans le projet de loi C-9 remplace le conseil plénier par un comité d’appel plus restreint. Je comprends bien que cette étape vise à simplifier le processus et à améliorer son efficacité, et ces objectifs sont louables, mais nous devons procéder avec prudence. La révocation d’un juge est une mesure très grave — j’en ai parlé dans mon discours comme porte-parole à l’étape de la deuxième lecture — et elle doit être envisagée avec beaucoup de précaution. J’aimerais savoir si les témoins estiment que ce changement précis protège suffisamment les droits des juges assujettis à ce processus.

Me Corado : J’en suis persuadée. Le projet de loi C-9 prévoit un mécanisme d’appel au conseil. Ce comité serait composé de cinq juges, dont trois juges principaux et deux simples juges qui seraient choisis à partir de la liste de l’association, alors que, au tribunal, le comité d’appel serait composé de trois juges. Leurs droits seront protégés. L’article 131 du projet de loi prévoit aussi que le comité d’appel suivrait les règles d’appel de la province d’où vient la plainte. À mon avis, cela permettra de protéger les droits du juge en cause.

Il a aussi fallu intégrer la jurisprudence de la Cour suprême selon laquelle le Conseil de la magistrature, qui est l’organisme habilité à faire ce travail et qui en a l’expertise, doit être doté d’une finalité et d’une autorité. Il y a aussi cet avantage.

La sénatrice Batters : Très bien. Ce que vous venez de dire au sujet de l’application des règles de la province d’où vient la plainte est intéressant. S’il s’agissait d’un juge de la Cour fédérale, de la Cour d’appel fédérale ou de la Cour suprême du Canada, est-ce que le principe de la province d’origine serait également applicable?

Me Corado : Oui, pour les plaintes qui proviennent de la province. À cet égard, je vous renvoie à l’article 131 du projet de loi C-9.

La sénatrice Batters : Qu’en serait-il de la situation du juge Russell Brown de la Cour suprême du Canada? C’est une question tout à fait hypothétique, puisque cette affaire ne relève pas du nouveau système, mais du système actuel. Cela s’est probablement produit aux États-Unis. Comment déterminer la sphère de compétence?

Me Corado : Comme il s’agit d’une affaire en cours, je crains de ne pas pouvoir en discuter, même à titre hypothétique. Veuillez m’excuser.

La sénatrice Batters : Je me demande à qui nous pourrions poser la question. C’est une réponse intéressante. Je ne saurais pas à qui poser la question. Je comprends qu’il soit nécessaire de ne pas intervenir dans une affaire en cours, mais il est important que les gens sachent comment la sphère de compétence serait déterminée dans ce cas.

Le président : À titre d’exemple sans rapport avec des affaires en cours, il y a quelques années, une plainte a été déposée au sujet de juges ayant assisté à des conférences internationales. Je ne me souviens pas si c’était parce qu’ils avaient trop bu ou parce qu’ils n’auraient pas dû aller aux réceptions. Mais c’est ce qu’on leur reprochait. Tout s’est déroulé à l’extérieur du Canada. Pourriez-vous nous dire comment l’affaire a été traitée ou comme elle devrait l’être dans le cadre de vos procédures?

Me Corado : Je ne pense pas que cette affaire — si je pense à la même chose que vous — soit allée aussi loin. Je crois que la plainte a été rejetée à la deuxième étape. Le processus actuel ne prévoit pas de mécanisme d’appel. Cela n’existe pas. Cette question ne se poserait pas vraiment, puisque le Conseil de la magistrature n’a pas actuellement de comité d’appel.

Le président : D’accord. Merci.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup de votre travail et de votre présence parmi nous.

Lorsque le ministre Lametti a comparu devant nous, j’ai posé des questions au sujet des plaintes et j’ai demandé des chiffres et des données désagrégées. J’aimerais savoir comment vous recueillez les données tout en comprenant parfaitement que vous ne pouvez pas divulguer de renseignements relevant de la vie privée. Eu égard à la transparence et à la confiance de la population dans le système, il est évident qu’il faut pouvoir connaître le nombre de plaintes. Vous nous avez donné une partie de cette information, à savoir que certaines plaintes portaient sur les décisions plutôt que sur la conduite des juges. Comment rendra-t-on compte de ces plaintes désormais? Comment ferez-vous pour déterminer s’il s’agit d’une plainte pour racisme, pour misogynie ou pour d’autres formes de discrimination ou s’il s’agit d’une plainte non fondée parce qu’elle a trait, si je puis dire, au pouvoir décisionnel légitime du juge?

Me Corado : Notre système actuel nous permet d’enregistrer de l’information sur la plainte, mais aussi, bien sûr, des données chiffrées, qui permettent de savoir combien de plaintes sont rejetées à la première étape, à la deuxième, et ainsi de suite.

Notre reddition des comptes est volontaire. Nous notons avec satisfaction que le projet de loi C-9 la rend obligatoire. Je crois que c’est à l’article 161 du projet de loi que sont énoncées les exigences redditionnelles. À ce stade, le conseil pourrait ajouter ce que je viens de dire, c’est-à-dire indiquer les plaintes rejetées au motif de la sphère de compétence et les plaintes rejetées au motif du jugement rendu. C’est permis par la base de données du conseil et ce ne serait donc pas un gros problème.

La sénatrice Pate : En quoi les types de plaintes que vous recevez orientent-ils vos recommandations en matière de sensibilisation, par exemple? Peut-être estimez-vous que ce serait une question pour quelqu’un d’autre, mais je vous la pose parce que l’une des solutions pourrait être de recommander des mesures correctives, de sensibilisation, etc. Qu’est-ce qui déclencherait une mesure de sensibilisation?

Me Corado : C’est une très bonne question. À mon avis, cela incomberait aux décideurs. C’est le comité d’examen qui aurait le pouvoir d’ordonner du counselling ou toute autre mesure de sensibilisation.

Pour l’instant, le Conseil canadien de la magistrature n’a qu’une seule solution, la révocation, mais il faudrait peut-être, dans certains cas, offrir de l’accompagnement ou de la formation. C’est ce que permettra le projet de loi C-9. Il s’agit simplement de trouver le juste équilibre pour déterminer quand les décideurs — en l’occurrence le comité d’examen — pourront estimer qu’une formation en communication ou d’autres cours offerts par la NGA ou d’autres organismes serait bénéfique.

La sénatrice Pate : Ferez-vous un suivi? Je pense à un certain nombre de situations où il aurait été difficile de déposer une plainte contre un juge dont la décision était manifestement empreinte de racisme ou de sexisme. Allez-vous faire un suivi de ce genre de tendances? C’est en partie pourquoi je m’intéresse aux données désagrégées. Ce n’est peut-être pas une infraction disciplinaire, mais il y a clairement des manifestations d’ignorance ou, pire encore, des attitudes discriminatoires. Quand on voit s’accumuler 5, 10 ou 15 plaintes de ce genre, cela ne va peut-être pas jusqu’à l’inconduite selon vous, mais cela pourrait très bien signaler la nécessité d’autres mesures.

Me Corado : Oui, je suis d’accord. Si une tendance se révèle, il faudrait effectivement envisager de l’accompagnement ou de la sensibilisation.

Grâce au projet de loi C-9, les plaintes pour discrimination passeraient outre la première étape et seraient directement confiées à un examinateur. Nous ferions effectivement le suivi des types de plaintes et nous prendrions les mesures nécessaires.

La sénatrice Pate : Vous pourrez donc faire un suivi. À l’heure actuelle, la population ignore comment vous détermineriez si cela a fait l’objet d’un suivi, parce que nous n’obtenons pas ce genre de données.

Me Giroux : Sénatrice, permettez-moi de préciser que le conseil a adopté des politiques à l’intention des juges au sujet du nombre de jours qu’ils doivent consacrer à de la formation au cours d’une année. Quant aux questions susceptibles d’être soulevées au sujet d’un juge de la cour, les juges en chef y prêtent une attention particulière et ils peuvent formuler des recommandations fermes sur la formation que devrait suivre le juge en cause.

Le président : Merci à vous deux.

Le sénateur Klyne : Bienvenue à vous, encore une fois.

J’aimerais parler de transparence et de reddition de comptes. Maître Corado, pourriez-vous expliquer au comité comment le Conseil canadien de la magistrature tient les plaignants et la population informés des progrès et des résultats des processus d’examen de la conduite des juges? En quoi serait-ce éventuellement différent si le projet de loi C-9 est adopté?

Me Corado : Les procédures d’examen actuelles prévoient, par exemple, que, quand une plainte est réglée, nous en informons le plaignant. Le directeur lui fournit un résumé des motifs de la décision. Le projet de loi C-9 prévoit qu’il obtiendra la décision complète. Si elle contient des renseignements personnels, ceux-ci seront caviardés.

Le sénateur Klyne : Le projet de loi C-9 prévoit un mécanisme d’appel au conseil — je crois qu’on en a parlé tout à l’heure —, avec la possibilité, sur autorisation, de faire appel devant la Cour suprême. Au-delà de l’amélioration de l’efficacité et de l’accélération du processus, effets bienvenus de ce changement, j’aimerais savoir ce que vous pensez des autres avantages de ce mécanisme comparativement aux procédures de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale ou la Cour d’appel fédérale.

Me Corado : Cela permettrait effectivement de traiter les plaintes plus rapidement. Actuellement, les contrôles judiciaires peuvent prolonger considérablement les délais. Au conseil, une fois le comité d’appel constitué et la décision mise à l’examen, ces délais seront réduits. Si je peux m’exprimer ainsi, le processus va remonter au lieu de déraper. Au lieu de passer par un contrôle judiciaire, certaines décisions pourront être contestées devant un comité d’appel. Une fois la décision rendue, d’autres mécanismes seront accessibles au juge en cause.

Me Giroux : Si je peux me permettre, sénateur, j’aimerais ajouter que c’est précisément la raison pour laquelle ce projet de loi est nécessaire — plus d’efficacité, moins de temps pour régler les plaintes et moins d’argent consacré au processus déontologique. Les contrôles judiciaires dont Me Corado a parlé sont tels que, dans certains cas, le délai de règlement de ces affaires est largement dépassé, et cela se compte en années. C’est vraiment ce qui a incité le conseil à réclamer d’autres réformes, pour que le processus soit plus efficace, moins long et moins coûteux.

Le sénateur Klyne : À cet égard, ne craignez-vous pas que le mécanisme d’appel prévu dans le projet de loi C-9 ne compromette l’équité procédurale due au juge assujetti à des mesures disciplinaires?

Me Corado : Pourriez-vous répéter la question, s’il vous plaît?

Le sénateur Klyne : Ne craignez-vous pas que le mécanisme d’appel prévu dans le projet de loi C-9 ne compromette l’équité procédurale due au juge assujetti à des mesures disciplinaires?

Me Corado : Non, je ne le crois pas. Tous les droits des juges seront respectés. À mon avis, le fait d’avoir cinq juges — dont trois juges principaux qui connaissent bien le processus et deux qui figurent dans la liste des membres de l’association — garantit une plus grande expertise. Je ne crois pas que les droits des juges seront compromis. Non seulement ils seront garantis, mais on ajoutera plus d’expertise au processus.

Le sénateur Klyne : Merci.

La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup à vous deux d’être parmi nous.

Mes questions font suite à celles de la sénatrice Pate. Premièrement, en vertu de l’article 9, d’autres mesures que la révocation pourraient être imposées à un juge reconnu coupable d’inconduite, par exemple de la formation continue ou des excuses. Et si un juge ne suit pas la formation prévue? Il semble que les juges ne soient pas tenus à une formation obligatoire. Ils peuvent décider de ne pas la suivre. Comment les y obliger?

Me Giroux : Selon le nouveau projet de loi, si l’on décide qu’un juge doit suivre une formation dans tel ou tel domaine, il serait possible de s’entendre avec lui pour qu’il accepte de la suivre. La réglementation actuelle ne le permet pas. Cela passe par le consentement de l’intéressé.

Nous sommes effectivement informés. Le conseil sait si la formation a eu lieu et si le juge l’a suivie. Si un juge s’y refusait dans le cadre du nouveau système, je dirais que ce serait certainement matière à plainte.

La sénatrice Jaffer : Tout à l’heure, la sénatrice Pate a parlé de discrimination. Quels types de plaintes pour discrimination recevez-vous?

Me Corado : Nous recevons souvent des plaintes dénonçant un préjugé éventuel contre les pères ou contre les mères. C’est fréquent dans le contexte du droit de la famille. Le critère d’évaluation du préjugé est évidemment élevé. Nous recevons souvent de simples allégations sans preuves concrètes. C’est peut-être une impression de ma part, mais je dirais que c’est l’allégation de discrimination la plus courante.

La sénatrice Jaffer : Vous ne recevez donc pas d’allégations de racisme et de sexisme?

Me Corado : Oui, effectivement, mais, si vous me demandiez quel genre de discrimination est dénoncé en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, à laquelle renvoie le projet de loi C-9, je vous dirais que c’est surtout dans le contexte familial, par exemple si un juge se prononce en faveur de la mère ou du père, selon le cas, dans un litige sur la garde des enfants. C’est le cas le plus fréquent.

La sénatrice Jaffer : Qu’en est-il du racisme systémique? Qu’en est-il du sexisme? Si vous receviez ce genre de plaintes, que feriez-vous?

Me Corado : Ces plaintes sont traitées comme toutes les autres allégations de discrimination et de partialité.

La sénatrice Jaffer : Si j’ai bien compris votre exposé, certaines plaintes n’auraient aucune suite. Vous ne donneriez pas suite à certaines allégations parce qu’elles sont sans fondement ou qu’elles ne méritent pas d’examen plus approfondi. Ce n’est pas le cas des plaintes pour racisme ou sexisme?

Me Corado : Non. Toutes les allégations sont prises au sérieux, mais, comme le prévoit la jurisprudence, il faut qu’il y ait un fondement. Nous accueillons les allégations, après quoi le Conseil canadien de la magistrature fait enquête et applique le critère d’évaluation de la partialité. Nous pouvons alors mettre fin à la procédure si l’allégation n’est pas fondée ou donner suite à la plainte si elle est fondée.

La sénatrice Jaffer : Je vais vous poser une question difficile. Disons qu’il s’agit d’une plainte pour racisme. Je ne veux pas manquer de courtoisie, mais ce sont des gens de race différente qui prennent la décision. Comment la population peut‑elle avoir confiance?

Me Corado : Je vais essayer de reformuler pour m’assurer d’avoir bien compris. Si le plaignant dépose une plainte pour racisme et que le juge est d’une race différente...

La sénatrice Jaffer : Le juge qui rend la décision, qu’elle soit teintée de racisme ou non.

Me Corado : Oui, le juge qui rend la décision. Nous avons différents outils à notre disposition. Par exemple, nous examinerons la demande. Nous pouvons lire la transcription, écouter l’enregistrement et voir si la plainte est fondée.

Je dirais que, en principe, si quelqu’un dépose une plainte pour racisme, c’est probablement parce que le juge était d’une race différente. Il faut alors examiner la question de plus près. C’est parfois une impression. Comme je l’ai dit, il sera utile d’examiner la transcription, la décision proprement dite, l’enregistrement, le ton de la voix et le vocabulaire employé dans l’énoncé de la décision.

Me Giroux : J’ajouterais simplement, sénatrice, que l’article 90 du projet de loi prévoit, comme vous le savez, que les plaintes pour discrimination ou harcèlement ne doivent pas être rejetées par l’agent de contrôle, mais être immédiatement confiées à l’examinateur.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Bienvenue à tous les deux. J’essaie de comprendre. Maître Corado, vous avez fait référence à deux éléments importants, soit la responsabilité et l’indépendance judiciaire. J’aimerais que vous nous aidiez à comprendre jusqu’à quel point le projet de loi C-9 permettra de diminuer un sentiment d’impunité de la part de certains juges en exercice. On l’a beaucoup entendu dire par des témoins qui ont comparu devant nous.

À l’article 102, on dit que le comité d’examen peut rejeter la plainte ou prendre une ou plusieurs mesures s’il ne s’agit pas d’un cas qui devrait faire l’objet d’une révocation. On énumère ensuite une série de mesures aux alinéas a) à g). On peut notamment ordonner au juge en cause de suivre une thérapie ou une formation continue. Si la personne refuse de suivre cette thérapie ou une formation continue, ai-je bien compris que tout peut s’arrêter là? Ma préoccupation, c’est que rien ne nous dit que le processus doit aller plus loin.

Monsieur le commissaire, lorsque vous avez dit que cela pourrait être la base d’une autre plainte, c’est ce que j’appelle « ça peut s’arrêter là ». Est-ce que vous pouvez nous rassurer? On parle quand même d’une personne à qui un comité a jugé nécessaire d’imposer des mesures. Dans le cas où la personne ne voudrait pas accepter ces mesures, est-il possible que le processus s’arrête là?

Me Giroux : Si j’ai laissé sous-entendre que tout s’arrêterait là...

La sénatrice Dupuis : Non, vous ne l’avez pas laissé sous‑entendre, c’est moi qui soumets cette hypothèse. Je ne veux surtout pas vous faire affirmer des choses. J’ai bien compris quand vous nous avez dit que cela pourrait faire l’objet d’une nouvelle plainte. Cela m’inquiète beaucoup, d’ailleurs, parce que ma perception est que, dans le fond — et c’est mon interprétation —, ça peut s’arrêter là. Si le processus ne mène pas à une nouvelle plainte, vous seriez d’accord pour dire qu’on ne va pas plus loin. Est-ce que cela rassura les gens qui ont déjà de la difficulté à déposer des plaintes? Prenons l’exemple de femmes qui ont été maltraitées dans un premier temps. La perspective que le processus ne se rende pas plus loin peut-elle les rassurer? J’en doute. Je ne sais pas si vous pouvez répondre à cette question.

Me Giroux : Selon mon expérience, étant donné l’importance que le conseil attache à la conduite judiciaire et au fait de bien mener les processus relatifs à la conduite judiciaire, je peux vous assurer que le processus ne s’arrêterait pas si un juge refusait de suivre une formation, par exemple, dans laquelle il ou elle se serait engagé.

D’abord, on recevrait un compte rendu pour savoir si la formation a été suivie ou non. Ensuite, du côté du personnel du conseil, on en aviserait le ou les juges en chef responsables d’examiner le dossier. Puis, il y aurait un retour. Le dossier ne serait pas fermé tant que la formation n’aurait pas été suivie complètement.

La sénatrice Dupuis : Je ne veux pas vous interrompre, mais j’aimerais poursuivre. Je ne mets nullement en doute la bonne foi de tous les intervenants dans le système. J’essaie de voir ce qu’on met en place dans l’institution pour s’assurer...

Mon autre question porte sur la notification de la décision. L’article 103 dit que le comité d’examen notifie sa décision à toutes sortes de personnes, mais pas à la personne plaignante, sauf s’il rejette la plainte. Ai-je bien compris?

Autrement dit, c’est de transparence dont il est question. On se plaint d’un problème de transparence à l’heure actuelle. On nous dit qu’on va régler la question et que ce sera beaucoup plus efficace. Nous sommes prêts à le croire. Toutefois, je parle de la transparence, pas de la part des individus, mais de la part du système.

Me Giroux : Je vais répondre rapidement, au risque de me répéter, et je laisserai Me Corado ajouter des éléments sur la question relative à la plaignante ou au plaignant.

Le suivi qui se fait à l’heure actuelle fait en sorte que l’on sait si la personne a fait les démarches auxquelles elle avait consenti sous le régime actuel. Sous le nouveau régime, on fera le même suivi. On s’assure également que le dossier n’est pas fermé tant que toutes les étapes liées à la plainte et au processus de traitement de la plainte ne seront pas terminées. Évidemment, cela signifie que la personne doit avoir suivi la formation nécessaire et fait les excuses nécessaires. Le dossier ne sera pas fermé à cet égard.

Pour ce qui est de la manière de transmettre la décision au plaignant ou à la plaignante, si Me Corado m’y autorise, je vais lui céder la parole.

Me Corado : Si je peux vous rassurer, les choses ne s’arrêteraient sûrement pas là. Cela ajouterait à la gravité du dossier. Si quelqu’un refusait une sanction imposée en vertu de l’article 102, le plaignant serait informé du contenu du dossier. Je peux vous assurer que cela ajouterait effectivement à la gravité de l’affaire si quelqu’un refusait de se conformer à une sanction.

[Traduction]

Le sénateur D. Patterson : Merci d’être parmi nous.

Maître Corado, les procédures de traitement actuelles des plaintes pour inconduite contre des juges fédéraux sont énoncées dans les documents administratifs et les règlements du Conseil canadien de la magistrature, mais, si je comprends bien, ces procédures seront désormais codifiées dans la Loi sur les juges en vertu du projet de loi C-9. Est-ce que cela vous satisfait? Avez-vous des commentaires à ce sujet?

Me Corado : Une fois le tout codifié, l’application sera facilitée. Cela n’empêchera pas le Conseil canadien de la magistrature d’adopter d’autres règlements, par exemple, pour clarifier et accélérer le processus. J’estime que cette codification est une excellente chose. Cela laisse toujours au conseil la possibilité d’adapter la procédure. Ce processus est employé depuis 50 ans. Les changements et modifications apportés à une loi peuvent entraîner leur lot de problèmes de croissance. Il est bon d’avoir le loisir d’élargir des règles déjà codifiées.

Le sénateur D. Patterson : J’ai effectivement demandé au ministre de la Justice si le pouvoir conféré par l’actuelle Loi sur les juges actuelle et par le projet de loi C-9 à un ministre de la Justice ou à un procureur général provincial ou territorial de déposer une plainte en vertu de laquelle le Conseil canadien de la magistrature doit prévoir une audience complète risquerait de compromettre la nécessité de protéger la magistrature contre l’influence politique. Le ministre m’a répondu que non, n’importe qui peut déposer une plainte, y compris les ministres du Cabinet. Pourriez-vous nous donner une idée de la fréquence de cette situation? Est-ce rare ou courant?

Me Corado : C’est très rare. Cela s’est probablement produit à quelques reprises au cours des 50 années écoulées depuis la création du Conseil canadien de la magistrature. C’est prévu dans la Loi sur les juges et c’est en quelque sorte transféré.

Le sénateur D. Patterson : J’aurais une très brève question pour Me Giroux. Vous avez hâte que nous passions à la troisième lecture du projet de loi, dites-vous. Considérez-vous que le projet de loi est bon tel quel et qu’il n’est pas nécessaire de l’améliorer ou de le modifier?

Me Giroux : Sénateur, je pense que le consensus entre les diverses organisations est... Je ne sais pas s’il y a consensus sur un projet de loi parfait, mais je crois que tout le monde le considère comme une bonne mesure d’avenir et que, pour l’instant, nous aimerions qu’il soit adopté. À mon avis, personne ne veut rouvrir le débat sur les diverses positions concernant certains points tout à fait négligeables. Sur le fond, le conseil est très désireux d’adopter ce texte le plus rapidement possible.

Le sénateur D. Patterson : Merci.

La sénatrice Clement : Encore une fois, bienvenue et merci de votre patience. J’ai deux questions. Je vais les poser et écouter.

L’article 84 sur la diversité se lit comme suit :

Dans la mesure du possible, le Conseil inscrit sur la liste de juges [...] des personnes qui reflètent la diversité de la population canadienne.

Je ne sais pas ce que signifie « dans la mesure du possible ». Le savez-vous et avez-vous suffisamment d’information sur la façon de l’interpréter? C’est ma première question.

Ma deuxième question fait suite à celle de la sénatrice Pate au sujet de la formation. Dans ce projet de loi, on en parle évidemment en termes de sanction. Vous avez parlé de la formation des juges. De quoi auriez-vous besoin par ailleurs pour vous assurer que les juges reçoivent la formation qui convient? D’après ce que je peux voir, le projet de loi n’en parle pas vraiment, sauf comme sanction. Que faudrait-il de plus?

Me Giroux : Je peux répondre au sujet de l’article 84, après quoi Me Corado pourra compléter ma réponse. Je pourrai ensuite répondre à l’autre question, si cela vous convient.

Je ne suis pas certain de ce que signifie « dans la mesure du possible ». Je peux vous dire que le conseil a évidemment déjà examiné cette disposition. Me Corado travaille à l’établissement de nouvelles procédures et s’assure non seulement que les listes respectent ce qui est déjà prévu dans le projet de loi, mais aussi que nous avons des listes et des réserves de juges susceptibles de participer au processus dans le respect de la diversité du Canada.

Me Corado : J’ajouterais que, dans cette liste, nous tenons compte d’éléments comme la représentation géographique, la race, le sexe et à peu près tout ce qui relève de la diversité, et que ce sera mis en œuvre. Il est vrai que le libellé employé jusqu’ici peut prêter à confusion, mais ces listes englobent tout ce qui relève de la diversité.

Me Giroux : Concernant la formation, vous avez raison de dire que le projet de loi la prévoit en contexte — je crois que vous avez utilisé le mot « sanction », mais le conseil s’est beaucoup consacré à la formation des juges au cours des dernières années. Le Parlement a effectivement apporté des modifications à la Loi sur les juges en matière de formation. C’est l’une des principales fonctions du conseil. Et il les prend très au sérieux. Il a récemment instauré des politiques pour veiller à ce que les nouveaux juges suivent une formation intensive dès qu’ils sont nommés et que les juges plus anciens suivent au moins 10 jours de formation chaque année, notamment, par exemple, sur le droit lié aux agressions sexuelles.

Je dirais que, en général, les juges participent non seulement aux programmes approuvés par le Conseil canadien de la magistrature, mais aussi aux réunions annuelles de leurs tribunaux, qui comportent habituellement un volet éducatif. C’est très important pour le conseil, et je pense qu’il est fier que nous ayons évolué depuis quelques années sur le plan de la formation des juges. Nous jouissons d’une bonne réputation partout dans le monde à cet égard, ainsi que parmi des organismes comme l’Institut national de la magistrature.

La sénatrice Clement : Merci.

Le président : J’ai moi-même une brève question à poser avant de passer à une rapide deuxième série.

Elle fait suite à celle de la sénatrice Dupuis, qui demandait si un juge était tenu de suivre une formation comme forme de sanction. Seuls le Conseil canadien de la magistrature et le juge en chef sauront si la formation a été suivie ou non. Je ne suis pas au courant du nombre de nouvelles plaintes déposées par les juges en chef contre leurs propres juges puînés, et je m’inquiète un peu qu’il faille une deuxième plainte.

La raison de ce dilemme est que, jusqu’ici, le Conseil canadien de la magistrature prenait des décisions du type tout ou rien. C’était ou bien la révocation ou bien des sanctions informelles, sans réel contrôle, mais ce projet de loi prévoit une gradation des sanctions. Cela ne risque-t-il pas de mener à une démarche obligatoire selon laquelle les juges seraient souvent suspendus jusqu’à ce qu’ils remplissent la condition supplémentaire, comme de la formation continue ou une thérapie en cas de dépendance par exemple, le mécanisme étant la suspension en attendant que cette condition soit remplie? À dire franchement, c’est la perspective couramment adoptée par le Sénat. C’est aussi très courant dans les professions juridiques. Pourriez-vous nous en parler brièvement?

Me Giroux : Je commencerai par quelques remarques. Il y a beaucoup d’éléments dans cette question, et je ferai donc de mon mieux pour vous répondre, sénateur.

Je rappelle tout d’abord que, si un juge ne respecte pas une mesure prévue par le conseil à la suite d’une plainte, il n’y aura pas nécessairement de deuxième plainte, mais la première sera maintenue — ou, plutôt, le processus d’examen et de règlement de la plainte se poursuivra et ne sera pas clos tant que la formation ou toute autre mesure requise par le conseil ne sera pas suivie.

Quant aux plaintes des juges en chef à l’égard de leurs propres juges, ils les prennent très au sérieux, et ce sont souvent les plaintes les plus graves que reçoit le conseil.

Sur le plan de la transparence, vous avez raison de dire qu’il n’y a actuellement aucun mécanisme dans le projet de loi qui traite clairement du traitement public d’une plainte. Au conseil, si le processus de règlement de la plainte est public, il s’en occupe et s’occupe des différentes étapes. Mais ce n’est pas toujours le cas, et tous les cas ne sont pas assez graves pour être rendus publics.

Concernant la décision de suspendre un juge, dans l’état actuel des choses, elle sera laissée au juge en chef de la cour, qui attribuera les nouvelles causes à un autre juge en attendant le traitement de la plainte ou qui n’en fera rien, selon la gravité de l’affaire.

Le président : Merci. J’imagine que j’envisage le processus un peu différemment compte tenu de l’arbre décisionnel et de l’échelle des sanctions actuelle. Je ne veux pas prolonger indûment ce dialogue, car je veux donner deux minutes à la sénatrice Batters pour poser des questions et obtenir des réponses.

La sénatrice Batters : Merci.

Demain, le comité entendra des représentants de la Société des plaideurs. Comme vous le savez peut-être, ils sont favorables à ce projet de loi et à ce qu’il cherche à accomplir en matière d’efficacité et de rationalisation des processus, mais ils estiment que ce texte législatif fait de l’hypercorrection et élimine en fait la surveillance judiciaire externe des mesures et des décisions du CCM. Ils s’expliquent ainsi dans leur mémoire :

Le projet de loi C-9 crée un régime où le CCM est l’organe qui instruit, décide et tranche en appel les allégations d’inconduite de la magistrature. Il n’institue pas de droit de contrôle judiciaire ou d’appel devant un organisme ou un tribunal externe à quelque étape que ce soit de son processus, un appel n’étant possible que sur autorisation de la Cour suprême. Ainsi, le processus administratif et les décisions du CCM sont affranchis à toutes fins utiles de tout contrôle extérieur.

Comme la Cour suprême rejette en fait la vaste majorité des demandes d’autorisation d’appel — en 2021, elle a accueilli seulement 8 % des demandes —, est-ce que cela inquiète le Conseil canadien de la magistrature que très peu de décisions du CCM puissent jamais faire l’objet d’un examen?

Me Corado : En fait, cela suit la jurisprudence de la Cour suprême, qui a déclaré ceci dans l’affaire Moreau-Bérubé :

Le Conseil doit atteindre son objectif en rendant des décisions ayant une certaine autorité et un certain caractère définitif, et ses conclusions sur les questions mixtes de droit et de fait exigent un degré élevé de retenue […]

Le fait que le conseil soit chargé de superviser le mécanisme d’appel ne constitue pas vraiment une menace ni ne compromet les droits des juges. Cela est conforme à la jurisprudence de la Cour suprême et des tribunaux inférieurs et a été confirmé, par exemple, dans l’arrêt Moreau-Bérubé, dans l’arrêt Therrien (Re) et dans toutes les autres décisions ayant trait à la conduite des juges et à l’autorité et l’expertise du conseil à cet égard. Je ne crains donc pas que le conseil ait son propre mécanisme d’appel. C’est en fait conforme à la jurisprudence établie au cours des dernières années.

Le président : Merci, chers collègues, et merci à vous, maître Giroux et maître Corado, de vous être joints à nous et de nous avoir renseignés dans le cadre d’un dialogue très intéressant. Veuillez nous excuser de l’interruption de la réunion. Nous vous sommes très reconnaissants d’être venus nous parler du projet de loi.

Je prie notre deuxième groupe de témoins de nous excuser de notre retard. Certaines activités nous ont obligés à nous rendre à la Chambre tout à l’heure, et cela a entraîné des inconvénients pour le premier groupe et pour vous. Merci de votre présence parmi nous.

Nous sommes en lien par vidéoconférence avec Catherine Claveau, bâtonnière du Québec, et avec Nicolas Le Grand Alary, avocat, Secrétariat de l’Ordre et des Affaires juridiques. Bienvenue à vous deux. Nous accueillons également, de l’Association du Barreau canadien, son président Steeves Bujold et Benjamin Piper, membre responsable des Questions judiciaires. Nous avons aussi parmi nous, de l’Association canadienne des avocats musulmans, Husein Panju, président, et, par vidéoconférence, Sania Chaudhry, membre du conseil.

Comme vous le savez pour la plupart, chaque groupe est invité à se limiter à un exposé de cinq minutes, après quoi nous aurons une série de questions et de conversations avec les sénateurs. J’invite Me Claveau à commencer.

[Français]

Me Catherine Claveau, bâtonnière du Québec, Barreau du Québec : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis Me Catherine Claveau, bâtonnière du Québec. Je suis accompagnée de Me Nicolas Le Grand Alary, avocat au Secrétariat de l’ordre et Affaires juridiques.

Le Barreau du Québec vous remercie de l’avoir invité à participer aux consultations entourant le projet de loi C-9, qui constitue une réforme importante des règles entourant la déontologie judiciaire au Canada.

Tout d’abord, le Barreau du Québec accueille favorablement le projet de loi et appuie son objectif de remplacer le processus par lequel la conduite des juges de nomination fédérale est examinée par le Conseil canadien de la magistrature. Forts de notre expérience dans le domaine de la justice disciplinaire, de même que dans l’administration de la justice, nous souhaitons toutefois formuler certains commentaires sur le projet de loi afin de le bonifier.

Premièrement, nous proposons des modifications aux règles entourant la compréhension des langues officielles par les juges et les non-juristes du conseil. En effet, selon nous, le critère utilisé par le projet de loi pour ce qui est de « tenir compte du fait » que les auditions et la preuve documentaire puissent être présentées dans les deux langues officielles n’est pas suffisant pour assurer que les membres des comités puissent réellement comprendre, le cas échéant, l’ensemble des représentations, tant écrites qu’orales, de même que la preuve documentaire.

Par ailleurs, le Barreau du Québec salue les initiatives liées au projet de loi visant à favoriser la diversité dans la composition des listes de juges et des listes de non-juristes du conseil. La diversité dans les instances de la magistrature contribue à accentuer la légitimité du processus judiciaire.

En outre, nous saluons l’ajout du pouvoir au conseil et à ses différents comités de prendre des mesures lorsque la plainte porte sur des faits qui ne respectent pas la gravité objective pour révoquer la charge d’un juge. Nous recommandons toutefois de revoir la structure du projet de loi afin qu’il soit clair que toute plainte concernant un juge peut être reçue, peu importe si elle aboutit à la révocation ou à une simple réprimande.

Nous déplorons cependant les nombreuses étapes menant à la révocation d’un juge. Le nouveau processus d’enquête pouvant mener à la révocation d’un juge est complexe et composé de plusieurs étapes, qui varient suivant la forme initiale de la plainte. Nous vous invitons à revoir le processus proposé en portant une attention particulière aux étapes qui se recoupent ou qui se fondent sur les mêmes critères de rejet.

Par ailleurs, le projet de loi autorise la réception et le traitement de plaintes anonymes, pour autant que celles-ci aient été examinées par deux membres du conseil qui les considèrent comme recevables. Nous croyons que si une plainte anonyme contient tous les renseignements requis, elle devrait suivre le processus normal.

À plusieurs endroits, le projet de loi impose au conseil de rendre certains renseignements publics. Dans un souci de transparence, nous proposons de modifier le projet de loi afin que l’obligation de rendre ces informations publiques soit bonifiée en y indiquant explicitement qu’elles doivent être accessibles sur le site Web du conseil et du ministère de la Justice du Canada.

En terminant, nous avons constaté qu’il existe des différences de fond entre la version française et la version anglaise du projet de loi. Par exemple, la version française renvoie à la notion d’« observateur équitable », alors que la version anglaise fait plutôt appel à la notion de « fair-minded observer ».

Ces deux termes ne sont pas équivalents et le libellé devrait être revu afin d’éviter des différences entre les deux versions linguistiques de la loi. D’autres commentaires se trouvent dans notre mémoire. Nous vous remercions encore une fois de cette invitation et nous sommes disponibles pour répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : Merci, maître Claveau.

Maître Bujold.

[Français]

Me Steeves Bujold, président, Association du Barreau canadien : Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, bonjour. Je vous remercie de l’invitation à comparaître devant vous aujourd’hui.

Je m’appelle Steeves Bujold et je suis président de l’Association du Barreau canadien. Mon collègue Benjamin Piper est membre du Sous-comité des questions judiciaires. Il m’assistera pour répondre à vos questions.

Nous sommes heureux d’être ici pour appuyer le projet de loi C-9.

Avant toute chose, nous rendons hommage à la nation algonquine anishinabe, gardienne traditionnelle de cette terre sur laquelle nous nous réunissons aujourd’hui. L’ABC est une association nationale qui regroupe plus de 37 000 juristes de partout au pays. Elle a pour objectif d’améliorer le droit et l’administration de la justice.

Pour ma part, comme président, j’ai défini deux priorités : l’indépendance judiciaire et la diversité, y compris pour la profession juridique.

Notre association se soucie depuis longtemps de l’indépendance de la magistrature dans le cadre du processus d’examen de la conduite des juges. Déjà en 2014, il y a près de 10 ans, dans nos recommandations au Conseil canadien de la magistrature, nous avions souligné que le processus doit créer un équilibre entre l’indépendance judiciaire, d’une part, et la confiance du public dans l’administration de la justice, d’autre part.

À notre avis, les modifications proposées par le projet de loi C-9 respectent cet équilibre.

Quant à la diversité, l’ABC encourage depuis longtemps le gouvernement fédéral à veiller à ce que notre magistrature reflète la diversité de la population qu’elle sert. C’est un élément qui doit être visible dans le processus d’examen de la conduite des juges.

Il est important pour nous que les juristes issus de la diversité accueillent ce nouveau processus. Selon nous, le fait que le projet de loi favorise la transparence et la participation de non‑juristes est un pas important dans la bonne direction.

L’ABC soutient les modifications proposées dans le projet de loi, car elles renforcent la responsabilisation des juges, favorisent la transparence et créent des économies de ressources judiciaires.

Nous appuyons plus particulièrement trois modifications apportées au moyen du projet de loi. Premièrement, le nouveau processus filtre les allégations qui ne sont pas assez graves pour justifier qu’un juge soit révoqué. Le comité d’audiences publiques remet directement un rapport au ministre de la Justice, ce qui est une amélioration notable et, finalement, les années de service donnant droit à une pension de juge après le début du processus d’enquête ne sont pas prises en compte en cas de révocation.

[Traduction]

Nous proposons un amendement qui instituerait une étape intermédiaire d’appel d’une décision définitive du Conseil canadien de la magistrature devant la Cour d’appel fédérale. Même si cela semble à première vue ajouter des délais, le processus resterait dans l’ensemble beaucoup plus efficace.

Deux raisons importantes justifient selon nous un appel de plein droit devant un tribunal inférieur à la Cour suprême du Canada. Premièrement, eu égard à la justice naturelle, il garantirait une surveillance externe du processus. Deuxièmement, la magistrature est tellement importante pour la démocratie canadienne que la population doit pouvoir voir que la discipline judiciaire est exercée de façon ouverte et responsable et qu’elle comporte des voies d’appel et de recours claires. Un autre avantage du droit d’appel est que la Cour d’appel fédérale fournira probablement des motifs détaillés qui permettront au juge accusé d’inconduite et à la population de savoir pourquoi un tribunal indépendant a conclu comme il l’a fait. Cela rehausse la crédibilité du Conseil canadien de la magistrature grâce à l’examen transparent de ses procédures et de son processus décisionnel.

En conclusion, la magistrature est un pilier de notre démocratie et elle doit rendre des comptes à la population et être acceptée par elle. Grâce à un processus de discipline judiciaire clair et ouvert, où les mesures prises par le Conseil canadien de la magistrature peuvent être contestées devant une cour d’appel, et grâce au déroulement des procédures d’examen en audience publique, la population continuera d’avoir confiance dans l’intégrité du système disciplinaire judiciaire. On aura le sentiment que justice aura été rendue.

Nous vous invitons à adopter le projet de loi C-9, en recommandant un amendement au processus d’appel. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci, maître Bujold.

Nous entendrons maintenant la représentante de l’Association canadienne des avocats musulmans. C’est à vous, maître Chaudhry.

Me Sania Chaudhry, membre du conseil, Association canadienne des avocats musulmans : Honorables sénateurs et membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, je vous remercie de nous avoir invités à prendre la parole aujourd’hui au nom de l’Association canadienne des avocats musulmans. Je m’appelle Sania Chaudhry. Je suis membre du conseil d’administration de l’association et je suis accompagnée de mon collègue Me Husein Panju, notre président national. Je vais vous présenter un exposé préliminaire, après quoi Me Panju répondra à vos questions.

En guise d’introduction, l’Association canadienne des avocats musulmans est une association sans but lucratif qui se consacre à la défense des droits des membres de la profession juridique qui s’identifient comme musulmans. Nous avons comparu régulièrement devant les comités permanents du Sénat pour discuter d’enjeux divers. Notre organisation comprend cinq sections provinciales et compte, dans tout le pays, 200 membres de tous les secteurs de la communauté juridique au Canada, dont plusieurs juges actuellement en fonction. Nous obtenons régulièrement l’autorisation d’intervenir dans des causes portées devant des tribunaux d’appel et de fournir des avis juridiques dans le cadre de consultations gouvernementales. Au cours de la dernière année, nous avons également témoigné devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, le Comité de la défense et des anciens combattants et le Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

Nous félicitons le gouvernement d’avoir pris des mesures pour modifier la Loi sur les juges et nous sommes généralement en faveur de l’adoption du projet de loi C-9. Les recommandations que nous formulons aujourd’hui renvoient aux principes de transparence, d’équité et d’impartialité. Nous respectons le travail difficile entrepris par le gouvernement et le travail difficile du Conseil canadien de la magistrature, et nous sommes très heureux d’avoir l’occasion de vous faire part de nos observations aujourd’hui.

Pour vous donner un peu de contexte, l’Association canadienne des avocats musulmans s’intéresse particulièrement au projet de loi C-9 depuis que nous avons découvert, grâce à la divulgation de documents dans un autre dossier, l’existence d’une politique alors secrète qui était censée être une mesure de redressement, mais qui visait en fait les personnes de confession musulmane. Il s’agissait d’une politique particulièrement aberrante de la Cour canadienne de l’impôt, qui justifie d’autant plus un supplément de transparence dans le processus de traitement des plaintes contre la magistrature. Nous nous ferons un plaisir de vous fournir plus d’information sur cette question précise pendant la période de questions.

En préparant nos mémoires pour l’audience d’aujourd’hui, nous avons consulté activement nos membres de partout au pays et nous avons entrepris des recherches et examiné les amendements. Voici les sujets de réflexion qui en sont ressortis.

Le premier est la transparence. Les modifications apportées à la Loi sur les juges devraient prévoir l’exposé public complet des motifs de toutes les décisions à toutes les étapes du processus, et pas seulement à l’étape du comité d’audience restreint et à l’étape du comité d’audience plénier. C’est essentiel pour inspirer la confiance de la population dans le système judiciaire et c’est conforme au principe de l’audience publique.

Le deuxième est la discrimination. Les dispositions de la loi portant sur les mesures de redressement susceptibles d’être prises doivent inclure un paragraphe explicite indiquant que ces mesures ne peuvent pas être discriminatoires. De plus, l’article concernant les critères de sélection, qui stipule actuellement que les plaintes pour discrimination ne peuvent pas être rejetées, doit être élargi pour préciser qu’une plainte pour conduite discriminatoire ne peut pas non plus être rejetée. Ces mesures sont nécessaires dans l’intérêt de l’impartialité.

Le troisième est la formation continue des juges. Il devrait y avoir une formation continue obligatoire des juges en matière d’impartialité, de diversité et d’inclusion, notamment sous la forme de séminaires sur tout ce qui a trait au droit relatif aux agressions sexuelles, au contexte social, au racisme systémique et à la discrimination. C’est actuellement facultatif dans le projet de loi. Cette mesure profiterait au système judiciaire en raison de sa proactivité. On peut supposer que la formation permettra de réduire le nombre de plaintes pour des motifs liés à l’impartialité, la diversité et l’inclusion et qu’elle donnera aux juges les moyens d’être plus compétents sur le plan culturel pour traiter avec les gens très divers qui comparaissent devant eux.

Le dernier sujet de réflexion est la collecte de statistiques et d’information. Le rapport statistique annuel sur les plaintes devrait préciser leur nature, en indiquant, par exemple, si elles étaient fondées sur des motifs discriminatoires et quels étaient ces motifs. Les données sont essentielles pour mesurer les tendances, déceler les lacunes et prendre des mesures proactives. Par exemple, s’il y a plus de plaintes fondées sur des motifs raciaux, le conseil saura qu’il doit offrir de la formation continue sur ce sujet.

Soit dit en passant, le projet de loi C-9 ne fait pas expressément référence au processus de nomination des juges, mais une approche plus équitable permettra d’accroître la confiance de la population et, de ce fait, rendra la magistrature plus accessible et plus diversifiée.

En conclusion, nous sommes très reconnaissants d’être ici aujourd’hui. Les groupes en quête d’équité comme le nôtre s’intéressent particulièrement à la réglementation de la magistrature et devraient être consultés. Nous attirons votre attention sur le fait que les groupes en quête d’équité devraient être consultés plus tôt dans le processus de rédaction des amendements.

Je vous remercie du temps que vous nous avez accordé. Nous nous ferons un plaisir de vous fournir plus de détails sur les sujets que nous avons énumérés et sur tout autre sujet intéressant le comité pendant la période des questions. Mon collègue Me Husein Panju répondra à vos questions.

Le président : Merci, maître Chaudhry.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Nous vous sommes tous reconnaissants de votre présence et de la perspective importante que vous nous avez présentée, ainsi que du genre de questions que vous nous invitez à examiner dans le cadre de l’étude de ce projet de loi.

Je m’adresse tout d’abord aux représentants de l’Association du Barreau canadien. Nous n’avons pas souvent l’occasion de recevoir son président : merci d’être venu nous voir aujourd’hui. J’aimerais que vous nous expliquiez l’amendement très important que vous proposez. Il renvoie précisément à des enjeux qui me préoccupent et dont je souhaitais discuter avec des gens qui ont votre expertise.

[Français]

Me Bujold : Merci beaucoup pour votre question, madame la sénatrice Batters.

Nous partageons les objectifs poursuivis par ce projet de loi, qui sont d’améliorer l’efficacité, de minimiser les coûts et de réduire les délais. C’est un fragile équilibre qu’on essaie d’atteindre entre ces objectifs : maintenir la confiance du public et conserver un système robuste et équitable.

Pour nous, il y a un amendement nécessaire, soit l’autorisation d’interjeter appel à une cour de justice, la Cour d’appel fédérale, pour corriger toute erreur qui pourrait survenir dans le processus. Aucun système n’est parfait et tout système dans lequel des pairs portent un jugement sur un collègue peut entraîner des erreurs judiciaires.

Malheureusement, le pourvoi à la Cour suprême du Canada est un recours extrêmement limité en raison des critères qui existent — à juste titre — dans la Loi sur la Cour suprême pour saisir la cour d’un différend. Par ailleurs, la cour a dit à de multiples reprises que son rôle n’est pas de corriger les erreurs des tribunaux inférieurs. Donc, même pour un dossier sur lequel il peut y avoir un consensus selon lequel une erreur est survenue ou même si plusieurs observateurs indépendants partagent cette idée, la Cour suprême pourrait ne pas être en mesure de se saisir du dossier puisqu’il ne satisferait pas, par exemple, au critère d’intérêt national qu’il est absolument nécessaire d’établir pour saisir la cour.

C’est pour cette raison que nous appuyons cet amendement, comme d’autres organisations de juristes, pour autoriser cet appel à la Cour d’appel fédérale, qui ne se fera pas uniquement au bénéfice du juge visé par les allégations, mais pourra également bénéficier à l’avocat responsable de présenter le dossier devant le comité d’examen et le comité d’appel.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Merci beaucoup.

Je ne sais pas si vous l’avez entendue tout à l’heure, mais je crois que c’est la sénatrice Clement qui a attiré notre attention sur le libellé de l’article 84 concernant la diversité au conseil. Je vous le lis :

Dans la mesure du possible, le Conseil inscrit sur la liste de juges et la liste de non-juristes des personnes qui reflètent la diversité de la population canadienne.

J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Je ne crois pas avoir jamais vu une formulation comme « dans la mesure du possible » dans une loi. Cela ne semble pas très bien rédigé.

[Français]

Me Bujold : C’est une excellente question, madame la sénatrice Batters.

Il faut se poser la question : si ces mots n’existaient pas, serait‑il possible de refléter complètement la diversité de la population canadienne, surtout si l’on parle d’intersectionnalité? Il y a la question culturelle, linguistique et géographique. Il y a la question des personnes autochtones et des Premières Nations. Dans un groupe défini, qui est la liste des juges, et un groupe potentiellement très vaste, soit celui des non-juristes, il peut arriver que certains éléments de diversité ne puissent pas être respectés dans certains contextes. Le législateur a peut-être voulu prévoir ces situations où l’on fait de grands efforts pour respecter la diversité, mais où il est impossible, par exemple, d’avoir une personne représentant telle communauté dans l’un de ces comités.

À notre avis, les mots « dans la mesure du possible » et « as far as possible » signifient que l’on fait de grands efforts pour que la diversité soit au centre des nominations. C’est un principe cardinal et il est très important. C’est un pas important dans la bonne direction d’avoir inclus un article particulier sur la diversité, ce qui permettra de se questionner et de fournir des réponses si la diversité n’est pas au rendez-vous. Ce n’est peut‑être pas parfait, mais c’est un pas important.

[Traduction]

La sénatrice Batters : C’est loin d’être parfait, à mon avis, surtout que cela s’applique à « la liste de non-juristes », ce qui, bien sûr, renvoie à la vaste majorité de la population canadienne. C’est peut-être valable pour les juges.

J’ai une brève question pour les représentants de l’Association canadienne des avocats musulmans. Le gouvernement a-t-il consulté votre association au sujet de ce projet de loi? Dans l’affirmative, a-t-il répondu à vos préoccupations de façon satisfaisante?

Me Husein Panju, président, Association canadienne des avocats musulmans : Je vous remercie de la question, sénatrice Batters.

À vrai dire, comme ma collègue l’a fait remarquer, non, nous n’avons pas été consultés directement au sujet de ce projet de loi, mais nous avions des commentaires à proposer à la Chambre et ici également.

Comme vous et certains de vos collègues l’avez dit la semaine dernière, je crois, ce projet de loi n’est pas simplement un amendement de forme concernant un processus technique et des questions techniques. Comme groupe en quête d’équité, nous sommes très attentifs à la mesure dans laquelle des groupes comme le nôtre seront consultés sur des questions comme celle‑ci, surtout lorsque le processus ne nous permet d’y participer que sous la forme de plaintes. Il est dans l’intérêt de tous que ces plaintes soient traitées de façon juste et transparente.

En fait, nous avons d’autres amendements à discuter si on me pose d’autres questions. Nous appuyons le projet de loi dans son ensemble, mais le processus est souvent aussi important que le résultat final. La réglementation des juges est un élément essentiel de notre système, et nous pouvons avoir beaucoup de respect pour nos juges fédéraux tout en exigeant qu’ils soient tenus de respecter des normes élevées dans le cadre d’un processus comme celui-ci.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup.

Le sénateur Klyne : Bienvenue à tous les experts ici présents.

J’ai beaucoup de questions en tête, mais je commencerai par m’adresser aux représentants du Barreau du Québec. Dans un mémoire dont je vais parler, il est question des longs délais que les Canadiens ont malheureusement pu constater dans les dernières années en raison de la disposition portant sur les multiples contrôles judiciaires du processus actuel. Le projet de loi C-9 apporte des changements très bienvenus en rendant le processus d’examen de la conduite des juges plus efficace. À cet égard, le mémoire du Barreau du Québec nous rappelle que les justiciables sont les véritables bénéficiaires de la confiance dans l’appareil judiciaire. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

[Français]

Me Nicolas Le Grand Alary, avocat, Secrétariat de l’ordre et Affaires juridiques, Barreau du Québec : Effectivement, la confiance du public dans les institutions passe par un système de justice efficace et efficient. On doit s’assurer d’avoir un processus permettant que les plaintes qui concernent la magistrature soient traitées avec efficience, qu’elles produisent des résultats et qu’il n’y ait pas de complexité inutile dans le processus.

Nous soulignons dans notre mémoire que le nouveau processus, bien qu’il fasse l’objet de beaucoup d’améliorations, comporte plusieurs étapes redondantes à certains égards, et nous recommandons de faire certaines améliorations. Toutefois, effectivement, la qualité du système de justice passe par une confiance envers les différents acteurs, y compris les juges.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Merci.

Justement, je vais peut-être me tourner vers les représentants de l’Association du Barreau canadien au sujet de l’amendement concernant la procédure d’appel intermédiaire. Vous estimez qu’il pourrait y avoir des erreurs en cours de route et que cette procédure offrirait une autre solution en ajoutant une étape. Une autre étape et un autre processus pourraient-ils être ajoutés au cas où des erreurs se produiraient également à ce stade? Si on applique la loi et qu’on tient compte des précédents, combien d’erreurs peut-on commettre?

Me Bujold : À ce stade, il existe un certain nombre de processus internes beaucoup plus simples, qui sont verticaux et à peu près comparables à la plupart des processus de réglementation des professions. Nous proposons un examen externe. Le Conseil canadien de la magistrature, ou CCM, a parlé de la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Moreau‑Bérubé. La Cour suprême et les cours fédérales ont systématiquement confirmé l’existence de l’obligation constitutionnelle d’assujettir tous les organismes administratifs, y compris le CCM, à un contrôle judiciaire. C’est cet examen externe fondamental par un groupe de juges siégeant à titre de cour d’appel à ce titre constitutionnel que nous préconisons.

Le sénateur Klyne : J’aimerais revenir sur ce que je considérerais probablement comme une liste représentative. Le conseil devrait inscrire des personnes représentant la diversité de la population canadienne dans la liste des juges et la liste des non-juristes. D’après ce que je comprends, c’est à la discrétion du conseil, et il n’y a pas de limite ou de chiffre précis. Vous avez parlé, je crois, d’une liste représentative du Canada. Il s’agirait d’une liste de juges et de non-juristes. Et par représentative, elle serait probablement « ethnique » et probablement inclusive à d’autres égards dont vous avez également parlé. Cela devient très compliqué. N’auriez-vous pas de meilleur libellé, comme quelque chose qui soit représentatif des Canadiens?

[Français]

Me Bujold : C’est une question difficile. La diversité peut être conçue de différentes façons; certaines sont connues, d’autres moins, et il y a des groupes qui sont très nombreux, d’autres moins. Il y a des communautés qui comptent très peu de représentants, et il y a aussi la diversité sexuelle.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Je vais vous arrêter parce que je vais manquer de temps. Si vous avez un meilleur libellé au sujet de la diversité, vous pourriez peut-être le communiquer au greffier, et nous en tiendrons compte.

Me Bujold : Nous allons effectivement examiner cette possibilité et vous revenir. La diversité est un sujet vraiment important pour notre association. Merci.

Le sénateur Klyne : Merci.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous trois d’être parmi nous.

Il y a 30 ans, je m’occupais aussi activement des enjeux liés à la diversité au barreau, et nous avions rédigé un rapport intitulé Les Assises de la réforme. C’était en 1992. Il y était question de discrimination à l’égard des femmes et des groupes ethniques. Cette notion avait été définie — ce n’est pas ma définition — comme l’ensemble des personnes ne ressemblant pas au modèle traditionnel de l’homme blanc. Le groupe de travail de l’époque avait circonscrit les obstacles auxquels se heurtaient les femmes et les personnes racisées à tous les niveaux — les difficultés à l’entrée dans les facultés de droit, les climats toxiques, les postes de stagiaires, et j’en passe. D’après vous, le projet de loi C-9 s’attaque-t-il au déficit de diversité de la magistrature décrit dans le rapport?

[Français]

Me Bujold : Merci beaucoup pour la question, sénatrice Jaffer. La réponse est oui, comme je l’ai dit dans mes remarques préliminaires, c’est un grand pas dans la bonne direction. Cette année, nous célébrons effectivement les 30 ans du rapport Touchstone. Ce rapport était commandé par l’Association du Barreau canadien et présidé par la juge Bertha Wilson, qui a été la première femme à siéger à la Cour suprême du Canada. Il visait à faire l’état de la situation de la profession juridique en 1992-1993. Les conclusions étaient assez préoccupantes, alors de nombreuses recommandations ont été faites pour améliorer la diversité au sein du système judiciaire canadien et de la magistrature.

La sénatrice Jaffer : Donnez-moi un exemple.

Me Bujold : La place des femmes dans la profession juridique.

La sénatrice Jaffer : La femme, c’est quelque chose de normal pour moi, mais pour d’autres communautés...

Me Bujold : Les communautés ethniques, les Premières Nations...

La sénatrice Jaffer : Les groupes ethniques et les Autochtones?

Me Bujold : Exactement. Les gens issus de la diversité sexuelle, les nouveaux arrivants, la diversité linguistique... Nous avons vu une grande progression au cours des dernières années, mais il faut constater qu’il y a encore du chemin à faire. Notre magistrature, si l’on s’y attarde, souffre encore d’un déficit de représentativité par rapport à la diversité de la population canadienne.

Ce n’est pas une solution qui peut se régler en un jour, puisqu’il faut avoir des candidats, mais notre association, par exemple, fait énormément d’efforts pour former des candidats et les aider à préparer leur candidature à la magistrature, afin que nos gouvernements, actuels et futurs, aient la possibilité de nommer des candidats de la diversité à des postes de la magistrature fédérale.

La sénatrice Jaffer : C’est une raison que j’ai beaucoup entendue quand j’étais une jeune avocate, et beaucoup de jugements ont été rendus dans ce contexte. Vous avez donné la même raison. Je suis vraiment déçue de cela.

[Traduction]

J’ai une question pour vous, maître Panju. Vous avez dit qu’il y avait eu des consultations indirectes. Cela me préoccupe. Qu’entendez-vous par « consultations indirectes »?

Me Panju : J’ai peut-être utilisé le mot « indirect », mais ce que je voulais dire, c’est que, même si on ne nous a pas précisément demandé notre opinion sur ce projet de loi, nous avons fourni des commentaires non sollicités à la Chambre des communes et ici aujourd’hui.

La sénatrice Jaffer : Avez-vous déjà été consultés au sujet d’un projet de loi?

Me Panju : Oui, à l’occasion. Nous n’ignorons pas que le ministère de la Justice a un portefeuille important et que l’on n’a pas toujours la même perception des questions qui intéresseraient tel ou tel groupe. Nous avons été consultés sur toutes sortes d’enjeux ayant une incidence sur nos membres, qu’il s’agisse de la sécurité nationale, de la diversité en général ou de la meilleure façon d’atteindre les objectifs d’équité, de diversité et d’inclusion. Malheureusement, nous n’avons pas été consultés au sujet de ce projet de loi.

La sénatrice Jaffer : Pourriez-vous également proposer des solutions précises favorisant une plus grande impartialité et une plus grande transparence dans l’examen de la conduite des juges ou dans le processus de nomination des juges?

Me Panju : Absolument.

Quant au processus de nomination, une bonne partie de la discussion des dernières minutes a porté sur la façon d’en arriver à un libellé propre à concrétiser l’équation de la diversité « dans la mesure du possible ». Pour que la liste des juges soit diversifiée, il faut que le bassin global de juges fédéraux le soit également. Nous n’en sommes pas encore là. Il n’y a pas de solution miracle, mais voici quelques éléments utiles selon nous : la collecte de statistiques est un aspect important. Certains, y compris aujourd’hui, rappellent qu’il n’y a pas suffisamment de candidats provenant des minorités. Empiriquement, nous ne pensons pas que ce soit exact, mais la collecte de statistiques serait un bon moyen de déterminer qui sont les candidats et quels sont ceux qui sont éliminés à telle ou telle étape. Pour y arriver, il faut plus de ressources et plus de volonté de transparence dans le système d’évaluation des juges. Voilà quelques idées pour accroître la diversité des nominations à la magistrature.

Au sujet de la transparence dans le projet de loi proprement dit, nous avons un certain nombre de propositions. J’aimerais revenir sur un élément que ma collègue, Me Chaudhry a abordé brièvement. La sélection des plaintes, comme vous le savez, passe par un certain nombre d’étapes — peut-être trop d’ailleurs. L’une de nos préoccupations est que le CCM peut rejeter une plainte à n’importe quelle étape, mais que l’exigence de fournir des motifs ne s’applique que plus tard dans le processus. Il s’ensuit, si des plaintes sont rejetées plus tôt — et ce, bien qu’elles puissent être fondées —, que le processus manque de transparence et que la population n’est pas informée. L’une de nos principales recommandations est de veiller à ce que les motifs de décision soient rendus publics dans tous les cas, pour garantir une certaine reddition de comptes, aussi bien de la part des juges que de la part du CCM.

La sénatrice Pate : Merci à tous nos témoins, à distance et ici présents. Votre participation est importante pour nous.

Maître Bujold, je voudrais reprendre là où la sénatrice Jaffer s’est arrêtée. Vous avez dit qu’il serait bon que les motifs de décision soient fournis à toutes les étapes. Qu’en est-il des données désagrégées sur les types de plaintes? Je crois que vous étiez présent quand j’ai posé la question au groupe de témoins précédent. Il y a bien des situations — je parle de ma propre expérience — où j’ai vu se dessiner systématiquement une tendance qui, tout en n’étant peut-être pas suffisamment problématique sur le plan disciplinaire, révélait clairement des attitudes discriminatoires susceptibles de se répéter. Voyez-vous une façon, dans le libellé actuel du projet de loi, de tenir compte de cet aspect?

Maître Chaudhry, vous nous avez invités à poser des questions sur la politique secrète. Désolée, mais, chaque fois que j’entends parler de secrets, je veux savoir. On parle ici de transparence. J’aimerais que vous nous en parliez également, ainsi que de la collecte de données et des moyens d’instaurer un processus juste, mais transparent — si d’autres parmi vous souhaitent faire des commentaires à ce sujet également.

Me Panju : Est-ce que c’est bien cinq minutes pour les deux questions?

La sénatrice Pate : Oui.

Me Panju : Je veux être sûr de ne pas dépasser les limites. Merci, sénatrice Pate. C’est une excellente question. Je sais que, la semaine dernière, le sénateur Cotter a posé une question semblable au sujet de la collecte de statistiques, qui interpelle vraiment notre organisation.

Ce qui est mesuré peut effectivement être géré, mais, s’il manque de données sur les types de plaintes — et pas seulement sur les motifs de rejet, mais sur les caractéristiques des plaintes —, il nous manque précisément l’information dont on a besoin pour circonscrire largement ces tendances. Nous n’avons pas proposé de libellé comme tel, mais il pourrait être utile de tenir compte des motifs de discrimination prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, ou LCDP, et peut-être de les employer comme références.

Le CCM pourrait estimer qu’il a le pouvoir discrétionnaire d’établir ses propres politiques et procédures. Puisque ce processus d’examen est déjà en cours, il serait beaucoup plus utile que ces procédures soient fixées par la loi. Si le CCM devait changer de composition et modifier sa perspective au sujet des statistiques à recueillir, il y aurait du moins une certaine uniformité dans la façon de circonscrire ces tendances à long terme.

Je tiens à préciser les choses au sujet de la politique secrète. Nous n’avons pas l’intention de nous adresser de nouveau aux tribunaux. Je ne pense pas que ce soit la tribune ou le lieu qui convienne. Il se trouve que notre organisation faisait partie d’une coalition avec quelques autres groupes qui avaient obtenu un contrôle judiciaire au sujet d’une décision du CCM concernant un juge fédéral. Au cours de l’échange de documents, nous avons pris connaissance d’une politique alors secrète de la Cour canadienne de l’impôt qui a suscité notre inquiétude. Le juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt avait découvert qu’un de ses juges faisait l’objet d’une enquête en raison d’un parti pris apparent contre des musulmans. Plutôt que de révoquer ou de suspendre ce juge en attendant l’issue de l’enquête, le juge en chef avait appliqué une politique permettant de l’empêcher de se prononcer sur des dossiers concernant des parties, des représentants ou des avocats musulmans. Le juge en question était également censé se récuser dans toutes les causes où l’avocat ou les parties semblaient être de confession musulmane. Cette politique a été gardée secrète jusqu’à ce que nous la découvrions dans le cadre de ce processus.

Comme vous pouvez l’imaginer, nous estimons que cette politique est très discriminatoire et qu’elle compromet notre confiance dans la transparence du processus judiciaire. Outre qu’il faudrait pouvoir déterminer si telle personne est musulmane ou non, ce qui est rarement facile à voir d’emblée, le caractère discriminatoire de la procédure éclaire et explique pourquoi nous sommes ici, pourquoi nous avons besoin d’un processus plus transparent et pourquoi le processus de traitement des plaintes est si important. Nous avons déposé une plainte au sujet de cette politique. Comme vous le savez, les recours sont limités. Le CCM nous a simplement répondu que le juge en chef avait reconnu qu’il aurait pu y avoir un meilleur moyen de donner suite à ses intentions et qu’il y veillerait désormais. Vous pouvez imaginer que cela ne nous a pas beaucoup réconfortés. Nous n’avons même pas obtenu d’excuses.

Mais, je le répète, nous n’avons pas l’intention de porter la question à nouveau devant les tribunaux, et c’est pourquoi la transparence et la publication des motifs de décisions sont importantes. Nous avons besoin d’un système qui rendra des comptes aux plaignants, pour qu’ils se sentent en confiance lorsqu’ils déposent des plaintes et pour que le système de justice soit imputable en général.

La sénatrice Clement : Bienvenue à tous.

Mes questions s’adressent à Me Panju. Je suis une femme noire avocate depuis 32 ans. Il y a quelques années, le Barreau du Haut-Canada a procédé à des consultations auprès d’avocats noirs. Je suis personnellement très reconnaissante de ma carrière et de ma formation juridique, mais j’ai rencontré des avocats qui se sentaient exclus au sein de la profession. Je ne sais pas s’il y a quoi que ce soit dans le projet de loi C-9 qui aborde cet aspect pour la profession proprement dite. J’ai entendu dire toute ma vie qu’il est difficile de pourvoir des postes parce que les candidats ne sont pas tout à fait prêts à devenir des juges. Le libellé de l’article 84, bien qu’il soit effectivement mal rédigé, m’interpelle comme avocate noire. « Dans la mesure du possible » pourrait signifier « vous n’êtes pas prêt ». Désolée, je suis émotive parce que cela me trouble personnellement. Que diriez-vous de la profession elle-même et estimez-vous que le projet de loi C-9 va assez loin à l’égard de certains de ces enjeux? Est-ce que, d’après vous, je devrais réfléchir à ce sujet? Je pense qu’il y a là un problème systémique plus profond.

Me Panju : Merci de votre question et de partager votre expérience, sénatrice Clement.

Malheureusement, ce n’est pas un point de vue inhabituel parmi les avocats et les juristes racisés d’aujourd’hui. On a fait beaucoup de progrès dans les dernières décennies, mais les chiffres sont éloquents. Nous n’en sommes pas encore arrivés au point où l’équité est chose acquise et où les avocats se sentent à l’aise, surtout ceux qui sont issus de milieux racisés, même à faire des commentaires comme celui de la sénatrice Clement.

Parlons de l’article 84. Franchement, je ne sais pas si l’intention de ce projet de loi était d’instaurer plus d’équité dans le processus de nomination des juges, mais, pour ce qui est de l’expression « dans la mesure du possible », il est évident que la liste ne comprend que les juges fédéraux actuels. On finira bien par en arriver au point où l’établissement d’une liste diversifiée de juges ne sera pas une tâche aussi monumentale et où nous aurons déjà suffisamment de juges de divers horizons, non seulement du point de vue de la race, mais aussi de la religion, de la géographie, du sexe et d’autres critères, de sorte que la diversité sera quasiment un fait acquis. Il faudra évidemment en faire beaucoup plus pour en arriver là. La transparence du processus de nomination des juges est un aspect important, parce que, comme certains d’entre vous le savent, le chemin est long pour devenir juge. On a souvent l’impression d’être devant une tour d’ivoire. On a parfois besoin de mentors ou de modèles qui puissent nous aider en chemin.

Il faut aussi que nos barreaux comprennent mieux que nous sommes une population composée de groupes et de milieux différents. Je n’en nommerai pas en particulier, mais il y a des barreaux où le simple fait d’identifier la race comme facteur important est controversé, ce qui est bien décevant à notre époque.

Je n’ai pas pour l’instant de libellé à proposer pour clarifier l’article 84. Nous consulterons nos membres. Il pourrait être utile de s’appuyer sur les motifs énoncés dans la LCDP, qui énumèrent différents types de groupes et d’identités de groupes. Mais, encore une fois, ce n’est pas un amendement, un projet de loi et une loi qui régleront le problème. Il y faut une perspective pangouvernementale. Peut-être qu’un projet de loi pourrait être présenté par le Sénat ou peut-être faudrait-il adopter une politique plus définitive.

La collecte de statistiques est un aspect important, tout comme la volonté de déterminer le genre de pays que nous voulons. Voulons-nous un pays où les juges viennent du même milieu que les personnes qui comparaissent devant eux? Voulons-nous une société dans laquelle les gens sont convaincus, même s’ils ne sont pas d’accord avec la décision, qu’elle a été prise de façon impartiale? Si c’est le genre de société que nous voulons, il faut s’interroger sérieusement sur la palette que forment les juges fédéraux et provinciaux et tous les arbitres afin de circonscrire les obstacles auxquels les gens sont actuellement confrontés.

Tous ces aspects, bien qu’ils puissent sembler sans rapport entre eux, fonctionnent ensemble pour constituer une société transparente et juste. Ce n’est pas une question facile, et c’est pourquoi nous ne pouvons pas la régler dans un seul projet de loi. Il y faut une vision pangouvernementale afin d’examiner les problèmes à la fois sous l’angle racial et selon une approche intersectionnelle.

La sénatrice Clement : Merci, maître Panju. Effectivement, il faut juger sur pièces.

Le président : Quand la sénatrice Clement aura la possibilité de procéder à des nominations, restez près de votre téléphone.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse à Me Bujold, de l’Association du Barreau canadien. Vous suggérez de remplacer ce qui est prévu dans le projet de loi C-9 par l’ajout d’un niveau d’appel à la Cour d’appel fédérale. Est-ce que ce serait un jugement final?

Me Bujold : Merci beaucoup de votre question, madame la sénatrice Dupuis. Non, parce que le projet de loi n’exclurait pas la possibilité d’un pourvoi à la Cour suprême du Canada. Donc, il resterait cette possibilité.

La sénatrice Dupuis : Pouvez-vous me dire en quoi cela répond à ma préoccupation visant à rendre le processus plus transparent? Je trouve que la portion congrue est négligée pour tout ce qui porte sur la participation d’un plaignant. Je trouve aussi que le projet de loi, dans le cas de l’imposition de sanctions, de recommandations ou de mesures moindres que la révocation, n’offre aucune garantie qu’il se passera quelque chose si la personne refuse de respecter ce qui lui est demandé.

En quoi l’ajout d’un niveau supplémentaire pourrait-il me rassurer?

Me Bujold : Brièvement, si la personne refuse, c’est comme l’exemple que j’ai donné : le dossier n’est pas fermé tant que la sanction n’est pas complétée. Si une amende est imposée et si la personne ne la paie pas, le dossier reste ouvert. Ce que l’on a compris du commissaire, c’est que le dossier reste actif et qu’il y a une possibilité de faire une plainte supplémentaire. On peut poursuivre le processus et revenir sur la sanction.

En ce qui concerne l’appel, le processus actuel est grandement amélioré par le projet de loi, et c’est pourquoi nous l’appuyons. Il reste que nous sommes dans un circuit administratif. Il n’y a rien dans ce processus qui s’appelle « cour » ou « conseil »; ce sont tous des comités. Nous parlons d’un groupe de pairs qui rendent des jugements sur les faits qui leur sont présentés.

Il y a un exemple récent d’un dossier qui a été renversé par la Cour fédérale dans l’affaire Smith. Le juge avait accepté un poste de doyen; une plainte avait été déposée contre lui et la Cour fédérale a critiqué à la fois la façon dont le dossier avait été géré et la conclusion de l’affaire.

Aucun système n’est parfait. Pour nous, l’existence d’un système de contrôle à la Cour d’appel fédérale est une sauvegarde pour renforcer la confiance du public pour qu’on puisse... Ce ne sont pas tous les dossiers qui vont se rendre à cette étape.

Il y a quelque chose dont on n’a pas parlé. Même dans un système très simple, si le décideur n’exerce pas sa gestion d’instance, c’est-à-dire en imposant de courts délais et en exigeant que les parties progressent, n’importe quel dossier peut être prolongé d’une certaine façon. Par ailleurs, une procédure à plusieurs niveaux complexes peut être rapide si le décideur exerce une gestion d’audience rapide. Finalement, on le dit, les révisions judiciaires horizontales semblent bien plus difficiles à faire. On a un système vertical qui va progresser beaucoup plus rapidement jusqu’à la fin.

La sénatrice Dupuis : Merci.

Ma question s’adresse au Barreau du Québec, à Me Claveau ou à Me Le Grand Alary. Dans votre mémoire, vous avez fait référence à l’article 80, où l’on parle de « fair-minded observer » et d’« observateur équitable ».

J’ai posé la question au ministre et aux fonctionnaires du ministère de la Justice. On m’a répondu qu’en fait, on a reformulé un concept qui a déjà été formulé par la Cour suprême dans une décision précise. Est-ce que cela répond à votre préoccupation par rapport à ce commentaire que vous aviez fait?

Me Le Grand Alary : Je vous remercie de la question. Effectivement, on a vu cette décision de la Cour suprême dans le cadre de notre analyse. Néanmoins, il reste que lorsqu’on voit des critères utilisés dans d’autres lois, notamment des lois fédérales, qui renvoient à la notion de « fair-minded observer » ou d’« observateur équitable », normalement, on voit surtout les termes équivalents de « personne raisonnable » ou des termes liés à l’impartialité. Même si c’est le langage qui a été utilisé dans la version française du jugement de la cour, on a noté dans certaines lois et dans d’autres jurisprudences une certaine variabilité. C’est pour cela qu’on a fait ce commentaire.

La sénatrice Dupuis : Merci; cela répond à ma question. C’est la raison pour laquelle j’avais posé la question aux fonctionnaires du ministère de la Justice. Maître Panju, j’ai une question pour vous. On a observé ce que vous avez dit au sujet du bassin de recrutement des juges. Il y a un problème dans le bassin de recrutement des juges à l’heure actuelle, parce qu’il n’est pas représentatif de la population canadienne. On doit se le dire.

Je donne l’exemple du Sénat. Vous pouvez dire qu’être sénateur, c’est plus facile qu’être juge et ça demande moins de compétences. Je vais le dire à votre place. Il n’en demeure pas moins qu’il y a une décision politique qui a été prise à un moment donné d’élargir le bassin de recrutement. En matière de discrimination, si on n’élargit pas ce bassin, on a toujours de la difficulté à trouver la personne qui correspondra à la minorité que l’on veut représenter. Est-ce que vous êtes consulté à l’occasion par Justice Canada sur l’établissement de politiques visant à faire en sorte que l’on pose un regard systémique institutionnel sur la sélection des juges, par exemple, ou d’autres questions comme celle-là?

[Traduction]

Le président : Veuillez être aussi bref que possible, maître Panju.

Me Panju : Merci, sénatrice Dupuis.

Plutôt que de dire que nous avons été consultés, je dirais que nous avons fait connaître nos préoccupations et proposé nos solutions pour que le bassin de juges soit plus équitable. Le processus de nomination des juges manque de transparence puisqu’il n’est pas possible de savoir à quelle étape et pourquoi des candidatures sont rejetées. Cela compromet la confiance des gens et leur volonté de passer par ce processus long et ardu. Je ne crois pas que ce soit un manque de volonté de la part des candidats potentiels. Je pense que cela est dû, d’une part, à un manque de sensibilisation et, d’autre part, à des obstacles systémiques.

Le président : Merci.

Mes questions s’adressent principalement à vous, maître Bujold, et permettez-moi de poser les deux. L’un des moyens de garantir ce dont vous avez parlé au sujet des appels, mais aussi de simplifier le processus — et je m’inspire ici d’une observation de la sénatrice Batters —, serait de prévoir un appel de plein droit devant la Cour suprême. Pourriez-vous commenter brièvement ce point de vue?

Cette conversation est passionnante, et je poserai ma deuxième question dans un instant. Je tiens à vous remercier tous de vos exposés.

Ma question porte sur la diversité et s’adresse à vous, maître Bujold. Vous travaillez dans ce domaine depuis longtemps. L’Association du Barreau canadien est un chef de file progressiste depuis Les Assises de la réforme, le rapport dont vous avez parlé. Vous êtes vous-même une preuve vivante du leadership de l’Association du Barreau canadien en matière de diversité. Selon vous, est-ce que ce nouveau système permettrait de faire avancer les choses ou de placer la barre suffisamment haut du point de vue des enjeux liés à la diversité que soulève le processus décisionnel concernant la conduite des juges?

[Français]

Me Bujold : Merci beaucoup, monsieur le président.

Oui, en effet, on progresse grandement sur cette question en abordant la diversité de front dans un article, afin que des gens puissent s’ajouter à la liste de juges en tant que personnes issues de la diversité.

Ce n’est pas seulement l’idée de faire partie de la diversité; c’est aussi avoir la possibilité d’apporter ses valeurs, son vécu, son message, sa perspective. C’est beaucoup plus que d’avoir... C’est très important d’avoir des personnes issues de la diversité. C’est tout ce qu’on apporte lorsqu’on a un bagage de vie différent. C’est un bon pas dans la bonne direction. Malheureusement, ici, on parle seulement de la discipline des juges, et non de leur nomination au nom des processus, qui est la véritable question que l’on devrait aborder.

Pour ce qui est du deuxième point, en effet, un droit d’appel de plein droit à la Cour suprême du Canada pourrait être un recours utile. Par contre, c’est très rare que cela se produise devant la cour. À ma connaissance, il n’y a que les décisions où il y a une dissidence au sein d’une cour d’appel qui peuvent aller de plein droit devant la Cour suprême. Il reste que si la plainte, si le juge visé par l’enquête est un juge de la Cour suprême, il s’agit d’une question de droit complexe. Est-ce que le reste de la cour peut siéger pour juger un appel d’un collègue, et est-ce qu’on peut rassembler un nombre suffisant de juges pour avoir un quorum qui n’ont pas déjà une connaissance des faits? C’est une question assez complexe, qui se poserait peut-être moins à la Cour d’appel fédérale, puisque le nombre de juges est suffisamment important pour que l’on puisse constituer un banc de trois juges.

[Traduction]

Le président : Merci.

Avant d’inviter le sénateur Dalphond à poser sa question, je fais remarquer que Me Claveau a dû partir. J’espère avoir raison, maître Le Grand Alary, de penser que vous restez disponible pour répondre aux questions au nom du barreau.

[Français]

Me Le Grand Alary : Tout à fait.

Le sénateur Dalphond : J’aimerais remercier les représentants du Barreau du Québec et ceux du Barreau canadien, qui s’avèrent venir du Québec, de même que ceux de l’Association canadienne des avocats musulmans. Votre contribution est importante et très appréciée.

Maître Bujold, j’imagine que, avec les commentaires que vous avez entendus aujourd’hui, vous qui avez été très actif dans la défense des droits des minorités et des groupes différents, comme la communauté LGBTQ, pour laquelle vous avez été président de plusieurs comités et membre du comité consultatif pour les nominations à la magistrature au Québec... Je présume que, fort de tout ce que vous avez entendu aujourd’hui, vous sortirez encore plus ouvert et plus conscient du rôle important que vous jouez au comité consultatif pour l’Ouest du Québec — qui couvre Montréal jusqu’à Gatineau — dans la sélection des candidats et candidates.

Cependant, ma question ne porte pas là-dessus, parce que ce n’est pas vraiment l’objectif du projet de loi, qui traite plutôt de la discipline des juges.

Vous proposez un droit d’appel de plein droit à la Cour d’appel fédérale. Est-ce que dans cette proposition, vous retirez le comité d’appel prévu dans la nouvelle loi? Le comité d’appel est composé de cinq juges; trois juges en chef et deux juges puînés — ces derniers n’étant pas membres du conseil. Les trois juges en chef ne peuvent pas avoir été impliqués dans les étapes précédentes du processus. Donc, vous avez un comité d’appel composé de cinq juges et vous proposez qu’on aille devant la Cour d’appel fédérale, qui est composée de trois juges.

Ne serait-il pas préférable d’avoir un comité d’appel composé de cinq juges, plutôt que d’avoir trois juges à la Cour d’appel fédérale? Proposez-vous que les décisions d’un comité d’appel de cinq juges fassent l’objet d’une révision par trois juges de la Cour d’appel fédérale? Ou bien voulez-vous retirer complètement l’étape du comité d’appel? J’aimerais comprendre. Doit-on ajouter une étape comprenant moins de juges pour réviser les décisions de cinq juges, ou doit-on supprimer l’étape des cinq juges? Je préférerais avoir cinq juges plutôt que trois. La loi du nombre donne parfois de meilleurs résultats.

Me Bujold : C’est une excellente question, sénateur Dalphond. Je ne crois pas que ce soit nécessairement une question de nombre. Je crois que c’est une question de rôle, parce qu’on peut parler ici des mêmes personnes. Ce sont tous des juges, qu’ils siègent comme membres d’un comité ou membres d’une cour, qui exercent des fonctions judiciaires.

Ne nous méprenons pas : le projet de loi C-9 est une amélioration notable. Le fait d’avoir un comité d’appel est une bonne chose, mais cela reste un comité de pairs. C’est un processus de nature administrative, pas une cour de justice.

Il y a des dispositions selon lesquelles les débats devraient être publics par défaut; c’est un critère qui n’est pas tout à fait celui des débats publics de la cour, donc il reste à voir comment cela sera appliqué. Pour nous, ce n’est pas la même chose qu’une révision judiciaire à la Cour d’appel fédérale. Cela peut ressembler au processus de révision dans plusieurs processus disciplinaires et administratifs prévus dans différentes lois fédérales et provinciales. On a une certaine révision, une enquête et une décision, et ensuite, on a un comité de révision. Cela peut ressembler à cela.

Tous ces systèmes sont sujets à un appel devant une cour de justice ou à tout le moins à un processus de révision judiciaire. Cette disposition existe depuis la fondation de notre pays pour des raisons évidentes.

Le sénateur Dalphond : Les comités professionnels ou les comités administratifs ne sont pas composés de juges de cours supérieures. Je n’en connais pas, sauf dans ce système-ci. Vous considérez le comité d’appel comme persona designata plutôt que comme un quasi-tribunal. Je comprends votre position. Je vous remercie.

Ma prochaine question s’adresse au Barreau du Québec. Dans vos commentaires, vous évoquez l’indépendance du processus d’enquête et vous vous inquiétez du fait que la Chambre des communes et le Sénat pourraient participer à la révocation d’un juge. J’aimerais citer un passage de votre mémoire à ce sujet :

Le Barreau du Québec s’interroge sur la portée de cette disposition et considère qu’elle soulève des enjeux potentiels quant à l’indépendance judiciaire et à l’un de ses piliers qu’est l’inamovibilité.

Je suis d’accord avec vous pour dire que le principe de nomination inamovible est un élément important pour garantir l’indépendance judiciaire. C’était le but de l’article 99 et cela remonte même à la Magna Carta. L’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que la révocation d’un juge doit être un processus complexe, puisqu’il faut que cela passe par la Chambre des communes, le Sénat et le gouverneur général. C’est l’ultime protection.

Vous dites que cela soulève des doutes. Est-il possible de faire autrement sans amender la Constitution? Recommandez-vous qu’on modifie la Constitution à l’article 99?

Me Le Grand Alary : Merci pour la question, sénateur. Nous ne sommes pas en train de demander de modifier la Constitution.

En vertu de l’article 99 et des critères que vous avez invoqués, l’indépendance de la magistrature remonte à bien avant les textes constitutionnels canadiens, c’est-à-dire à la Magna Carta. Nous ne voulons pas que cet article ne serve qu’à créer un processus parallèle de destitution d’un juge qui passerait uniquement par un mécanisme parlementaire, sans recommandation et sans avoir suivi les étapes du processus prévu dans la loi. Nous sommes à l’aise avec le processus prévu, outre les commentaires que nous avons formulés sur certaines étapes qui pourraient faire l’objet de certaines simplifications.

[Traduction]

Le président : Merci. Nous repoussons les limites de l’endurance et de la courtoisie de nos témoins, mais le sénateur Patterson s’est joint à la liste pour une question d’une minute.

Le sénateur D. Patterson : Oui. J’aimerais entériner les remarques du sénateur Dalphond sur la valeur et le sérieux des exposés de tous les témoins.

Maître Bujold, le projet de loi vise à rendre le processus transparent et poursuit d’autres objectifs, mais il vise aussi à accélérer le processus et à éviter des délais procéduraux inutiles. Vous avez effleuré la question, mais ne risque-t-on pas de prolonger le processus si on accepte votre recommandation d’un appel devant la Cour fédérale?

[Français]

Me Bujold : Je vous remercie de la question. Il n’y a aucun processus judiciaire qui est sans risque. Malheureusement, il n’existe pas de système parfait. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir des décideurs de bien gérer l’instance et d’imposer des délais courts sous peine de forclusion afin de faire avancer le dossier. Il faut laisser cela entre les mains des décideurs. Notre demande, en ce qui a trait aux amendements, vise à renforcer la confiance du public dans ce processus et à s’assurer que des erreurs comme celles que j’ai citées dans l’affaire Smith peuvent être corrigées. Les erreurs peuvent se faire dans les deux sens. On pourrait recommander de ne pas sanctionner un juge et la Cour d’appel fédérale pourrait infirmer cette décision.

Il y a une proportionnalité qui doit être appliquée par tous les décideurs à tous les niveaux quant aux délais accordés et aux outils utilisés par les gens impliqués. On ne peut pas refaire l’histoire des anciens dossiers qui ont pris beaucoup trop de temps, mais il faut faire confiance aux décideurs de l’avenir et croire qu’ils vont bien gérer ces instances afin que le public puisse poser un regard plus positif.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Ma question s’adresse au Barreau du Québec. Me Claveau nous a quittés, mais vous pourriez peut-être nous donner des explications. J’essayais de comprendre cela dans le contexte d’étapes qui se chevauchent ou d’un manque d’efficacité dans le cas d’une plainte anonyme qui serait traitée par des examinateurs censés fournir des motifs raisonnables comparativement au processus habituel. J’ai l’impression que le processus habituel pourrait être plus efficace, mais je ne comprends pas très bien.

[Français]

Me Le Grand Alary : Je vous remercie pour la question. En ce qui a trait aux plaintes anonymes, c’est quelque chose qu’on appuie parce qu’il y a des motifs sérieux pour lesquels une plainte pourrait être anonyme. Néanmoins, il y a une étape préalable de filtrage qui se retrouve à la page 8 de notre mémoire, qui traite des différents processus. On suggère de simplifier les règles et de s’assurer d’avoir un seul processus comportant les mêmes étapes, dans une perspective de simplification du processus, ce qui est déjà beaucoup plus clair que ce qui se faisait précédemment.

[Traduction]

Le président : Merci, maître Le Grand Alary.

La sénatrice Jaffer : Je tiens également à vous remercier tous de vos exposés instructifs.

Maître Bujold, veuillez excuser ma brusquerie, mais, quand j’étais jeune avocate, Mme Campbell, alors ministre de la Justice, m’avait envoyée avec quelques autres personnes de tout le pays parler aux juges en chef. Les mots que vous avez utilisés aujourd’hui sont ceux qu’ils utilisaient, à savoir qu’il n’y en a pas assez. Ce qui me dérange est que vous avez quelqu’un à côté de vous — je ne dis pas que c’est quelqu’un qui demande à être juge, mais il y a beaucoup de gens très compétents. Je suis aussi membre du barreau. Il est aussi membre du barreau. Puis-je respectueusement suggérer que vous fassiez aussi une étude — le barreau a examiné en profondeur le rapport Les Assises de la réforme — pour en savoir plus? S’il y en a, peut-être pourrez‑vous nous aider. Vous pourriez offrir du soutien et du mentorat. Nous n’avons pas de juges ou de partenaires d’expérience pour nous guider, mais ce devrait peut-être être la fonction du barreau. Je n’ai pas besoin que vous répondiez, mais je tiens à vous remercier tous les trois. C’était très instructif. Merci.

[Français]

Me Bujold : Merci beaucoup, sénatrice Jaffer. Je vous rassure : aucune excuse n’était nécessaire. J’aimerais souligner que notre association rassemble des associations d’avocats qui viennent de groupes minoritaires et que nous travaillons avec le commissaire à la magistrature pour solliciter des candidatures et pour aider à la rédaction des candidatures. Notre association aide aussi à monter des dossiers, parce que développer une candidature forte pour la magistrature ne se fait pas du jour au lendemain. Par contre, si on commence tôt, on augmente de façon notable les chances d’être nommé.

Nous faisons d’importants efforts et nous appuyons les associations de toutes les façons possibles comme première association nationale d’avocats au Canada.

La sénatrice Jaffer : Merci.

[Traduction]

Le président : Merci, maître Bujold.

Permettez-moi de conclure en disant que nous sommes nombreux à apprécier ce type de travail et à apprécier ce comité. Pour ma part, c’est l’une des raisons pour lesquelles je trouve cela si enrichissant — vos échanges avec nous, vos exposés et les points de vue que vous apportez. Je tiens à vous remercier en notre nom à tous, surtout aujourd’hui, où nous vous avons demandé plus de temps que ce qui était probablement raisonnable. Nous vous en sommes reconnaissants.

Merci également à notre personnel professionnel et à l’équipe qui nous appuie. Nous en avons demandé un peu plus aujourd’hui, et nous vous en sommes tous reconnaissants.

Voilà qui met fin à notre réunion.

(La séance est levée.)

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