Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 30 mars 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 33 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : J’aimerais inviter les sénateurs à se présenter.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Sénatrice Jaffer, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.

La sénatrice Pate : Kim Pate, du territoire non cédé des Algonquins anishinabes.

Le sénateur D. Patterson : Dennis Patterson, du territoire cédé du Nunavut. Merci.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Bonjour. Marty Klyne, sénateur du territoire visé par le Traité no 4, en Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, division sénatoriale De Lorimier, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : Bonjour. David Arnot de la Saskatchewan. J’habite à Saskatoon, qui se trouve au cœur du territoire visé par le Traité no 6.

Le président : Je m’appelle Brett Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du comité.

Nous allons poursuivre l’étude du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges. Pour commencer, nous accueillons ce matin Laura Sharp, trésorière de l’Association du Barreau autochtone, qui participe à la réunion par vidéoconférence — bienvenue, maître Sharp —, ainsi que Caroline Dick, professeure agrégée du Département de science politique de l’Université de Western Ontario. Mme Dick vient témoigner à titre personnel et participera également à la réunion par vidéoconférence.

Dans un moment, je vais vous inviter à faire votre déclaration préliminaire d’environ cinq minutes. Ces exposés seront suivis d’une discussion d’environ une heure pendant laquelle les sénateurs vous poseront des questions.

Me Laura Sharp, trésorière, Association du Barreau autochtone : Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner devant le comité au sujet du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges.

Je suis une Mohawk des Six Nations et je représente aujourd’hui l’Association du Barreau autochtone au Canada, l’ABA. Je voudrais d’abord reconnaître que je vous parle depuis le territoire anishinabe de la Première Nation de Rama.

L’ABA est une association nationale sans but lucratif formée de juristes et d’étudiants en droit autochtones. Le mandat de l’association est de promouvoir la justice pour les Autochtones au Canada du point de vue juridique et social, ainsi que la réforme des lois et des politiques qui ont un impact sur les peuples autochtones.

Vous le savez sans doute, les peuples autochtones au Canada subissent de façon disproportionnée les impacts du système juridique canadien. Dans le passé, l’ABA a soumis des plaintes au Conseil canadien de la magistrature. Le projet de loi C-9 modifie le processus d’examen de la conduite des juges de nomination fédérale par le conseil. Dans l’ensemble, l’ABA considère que le projet de loi C-9 représente un pas dans la bonne direction et appuie ce dernier, mais avec certaines réserves.

Notre exposé est axé sur plusieurs éléments du projet de loi qui, à notre avis, pourraient être renforcés ou clarifiés.

Le premier élément concerne l’alinéa 3b) de la Loi sur les juges, qui prévoit que peuvent seules être nommées juges d’une direction supérieure les personnes qui :

se sont engagées à suivre une formation continue portant sur des questions liées au droit relatif aux agressions sexuelles et au contexte social, lequel comprend le racisme et la discrimination systémiques, notamment en participant à des colloques organisés au titre de l’alinéa 60(2)b).

À ce sujet, l’ABA s’en remet à l’exposé que fera cet après-midi la Table ronde des associations pour la diversité juridique. Ce que soutient la table, c’est que les sujets abordés dans le cadre de la formation continue ne sont pas assez inclusifs et que l’alinéa en question devrait être modifié afin de refléter la nécessité de rendre cette formation plus inclusive.

L’ABA souligne que les appels à l’action nos 27 et 28 de la Commission de vérité et réconciliation demandent qu’une formation soit prévue pour les avocats et les étudiants en droit, et que les juges aussi suivent une telle formation.

Ensuite, l’article 160 concerne les rapports annuels du conseil, une proposition qui va dans la bonne direction. Par contre, comme la sénatrice Pate l’a souligné, hier soir, ces rapports ne permettront pas d’obtenir des données sur les types de plaintes. Par conséquent, la population ne pourra pas savoir combien de plaintes relatives au racisme ont été présentées et n’obtiendra pas de données sur le profil démographique des personnes qui ont présenté des plaintes. Les données du Conseil canadien de la magistrature — recueillies et rendues publiques dans le cadre d’autres processus, en particulier au sujet des personnes candidates à un poste de juge de nomination fédérale ou nommées à un tel poste — comprennent des renseignements démographiques comme le sexe et l’identité autochtone et s’avèrent très utiles pour la mesure de la progression du Canada en matière de diversité de la magistrature. Tous les Canadiens profiteraient de l’ajout de nouvelles données au sujet des plaintes à l’endroit des juges.

En outre, dans le passé, une situation est survenue où l’ABA avait porté plainte contre un juge et le conseil avait annoncé qu’une enquête serait menée concernant la conduite du juge. Or, le juge en question avait alors annoncé sa retraite et la plainte à son endroit n’avait donc pas pu être examinée. Le conseil n’a pas la capacité de faire enquête sur un juge à la retraite, ce qui fait qu’il n’avait pas été possible de résoudre l’affaire et d’arriver à des conclusions sur la conduite du juge. Le fait qu’un juge puisse prendre sa retraite afin d’éviter des réprimandes ou la révocation représente une lacune de la Loi sur les juges qui risque d’éroder la confiance de la population envers le système judiciaire.

D’ailleurs, la Première Nation concernée subit toujours les impacts de l’absence de résolution dans l’affaire en question.

Enfin, l’article 102, relatif à l’examen des allégations concernant la conduite d’un juge qui ne justifierait pas la révocation de ce dernier, ainsi qu’à la réponse à ces allégations, est un ajout que nous voyons d’un œil favorable. Cette disposition prévoit des excuses publiques et l’obligation pour le juge de participer à de la formation continue, ce qui est utile. L’alinéa f) précise que le conseil peut prendre toute mesure qu’il estime équivalente à l’une ou l’autre des mesures prévues aux alinéas a) à e). Pour l’ABA, ces mesures doivent comprendre des consultations et de possibles interactions avec les communautés autochtones touchées par les gestes préjudiciables posés par le juge, par exemple au moyen d’un cercle de partage ou d’un autre mécanisme autochtone de règlement des différends. Il existe de nombreux mécanismes autochtones de règlement des différends, qui varient d’une nation ou d’une communauté à l’autre, mais, afin que la réconciliation puisse vraiment avoir lieu, le conseil devrait envisager le recours à divers mécanismes de redressement des torts pour s’assurer de la confiance des communautés autochtones envers le système judiciaire — ou du rétablissement de cette confiance — et du maintien de bonnes relations.

Monsieur le président, nia:wen de m’avoir donné l’occasion de faire cet exposé au nom de l’ABA. Je suis prête à répondre aux questions des membres du comité au sujet des points soulevés dans mon exposé.

Le président : Merci, maître Sharp.

Caroline Dick, professeure agrégée, Département de science politique, Université de Western Ontario, à titre personnel : Merci, monsieur le président, de m’avoir invitée à témoigner au sujet du projet de loi C-9. J’ai une formation en droit et en science politique et mes recherches sont axées sur l’intersectionnalité de ces deux domaines.

Les membres du comité le savent bien, l’équilibre entre l’indépendance des juges et la responsabilité judiciaire est souvent difficile à atteindre. Ces deux objectifs sont pourtant essentiels pour assurer la confiance de la population envers l’administration de la justice. À mon avis, des amendements au projet de loi visant à renforcer la responsabilité sans nuire à l’indépendance permettraient d’atteindre un meilleur équilibre entre ces deux objectifs.

Le projet de loi porte sur deux secteurs relatifs à la responsabilité. Le premier secteur est celui de la reddition de comptes en cas d’inconduite judiciaire. L’inclusion de non-juristes au sein des comités d’examen et des comités d’audience pléniers est très importante pour la transparence et la consolidation de la confiance de la population envers le processus. Cependant, je crois qu’il conviendrait d’amender le projet de loi afin de prévoir la participation d’un non-juriste aux comités d’audience restreints et aux comités d’appel. La principale raison est que la norme quant à la révocation d’un juge repose sur le risque que le maintien en poste du juge concerné mine la confiance de la population envers l’administration de la justice. Compte tenu de l’importance centrale que revêt l’opinion publique en matière de révocation des juges, je crois qu’un non-juriste devrait participer à ces comités.

Ceci m’amène à parler de la façon d’inscrire des personnes sur la liste de non-juristes. Je recommanderais l’amendement de l’article 82. À l’heure actuelle, il est prévu que le conseil nomme des non-juristes et décide des critères de nomination, mais, à l’instar de la liste de juges, qui est formée à partir des recommandations de l’Association canadienne des juges des cours supérieures, la liste des non-juristes devrait, à mon avis, être formée à partir des recommandations du Parlement ou d’un comité de nomination formé par le Parlement. À l’heure actuelle, la participation du Parlement à la formation des comités se limite à ce qui est prévu à l’article 117, qui précise qu’il revient au ministre de nommer un avocat au sein du comité d’audience plénier. Cependant, advenant que le ministre omette de désigner un avocat dans les 30 jours, cette responsabilité revient au Conseil canadien de la magistrature. Je crois que, si l’objectif est d’accroître la confiance de la population envers le processus relatif aux mesures disciplinaires et à la révocation, la responsabilité de la nomination des non-juristes ne devrait pas être attribuée au conseil.

Le deuxième secteur relatif à la responsabilité abordé par le projet de loi est celui de la responsabilité du Conseil canadien de la magistrature en tant qu’organisme administratif de réglementation des inconduites judiciaires. Je ne parlerai pas trop longtemps de cet enjeu, parce que je crois qu’une des personnes qui témoignera au sein du prochain groupe est mieux outillée que moi pour aborder cette question en détail. Du point de vue de la responsabilité, je dirais que retirer l’accès à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale est inquiétant, parce que cela laisse le conseil comme seul responsable de sa propre surveillance. Le projet de loi prévoit bien la possibilité de faire une demande d’autorisation d’appel auprès de la Cour suprême du Canada, mais le taux de réussite des demandes d’autorisation d’appel est faible. Par conséquent, dans sa forme actuelle, le projet de loi fait en sorte que la décision du comité d’appel sera essentiellement finale, puisqu’aucun moyen réel d’obtenir un examen externe n’est prévu.

Je comprends la volonté d’éviter de longues procédures judiciaires et coûteuses qui retarderaient le processus de révocation, mais je pense que le projet de loi va trop loin pour essayer de régler ce problème. Le projet de loi ne compte pratiquement aucune possibilité en matière de surveillance judiciaire externe et isoler le conseil de la Cour fédérale, l’entité de choix pour ce genre d’examen, fait en sorte que le conseil est responsable de se réglementer lui-même, en particulier dans le contexte où le Parlement n’a jamais voté sur la révocation d’un juge. Les rares juges visés par une recommandation de révocation faite par le conseil ont pris leur retraite avant que le processus puisse suivre son cours.

Merci. Je suis prête à répondre à vos questions.

Le président : Merci, madame Dick. Je vous remercie toutes les deux de vos exposés concis. J’invite les sénateurs à vous poser des questions; nous commencerons par le parrain du projet de loi.

Le sénateur Dalphond : Je remercie les témoins. Il est évident que vous vous êtes préparées pour votre témoignage et c’est très apprécié. Nous avons besoin de l’avis de gens qui ne travaillent pas au Parlement.

Ma première question s’adresse à Me Sharp. Vous avez parlé d’un enjeu abordé par d’autres témoins, hier, concernant la cueillette de données et l’accès à plus de données. Je crois que vous soulevez un point intéressant et important.

En ce qui a trait au rapport annuel, pourriez-vous nous en dire plus sur ce qui devrait y figurer à votre avis? Vous connaissez le processus de dépôt des plaintes. Certaines données sont présentées, ainsi qu’un exemple du type de plaintes qu’un comité devrait étudier. Pourriez-vous préciser le type de données que vous voudriez obtenir afin que nous puissions aborder cette question dans nos observations?

Me Sharp : Oui. J’ai parlé des données recueillies et présentées par le Conseil canadien de la magistrature dans d’autres contextes. Par exemple, dans le cadre du rapport final qu’il produit pour la nomination d’un juge à la Cour suprême du Canada, le conseil donne le nombre de personnes qui avaient présenté leur candidature, le nombre d’hommes et le nombre de femmes, le nombre d’Autochtones, etc. Nous voudrions obtenir des données de ce type. Les tableaux contenant ces données nous sont très utiles quand vient le temps de demander des changements et ils nous permettent de constater que les choses ne se passent pas bien, le cas échéant.

Si 600 plaintes sont reçues et que la plupart ne sont pas retenues, il serait utile qu’elles soient réparties en fonction du type de personne qui a déposé la plainte, de l’identité autochtone, etc. Certaines données pourraient être recueilles et conservées à l’interne, ou non, et être rendues publiques par exemple — je crois que la sénatrice Pate en a parlé hier — si un certain juge a été visé par de nombreuses plaintes relatives à des comportements racistes, de façon à ce qu’il soit possible de relever des tendances.

Il n’existe peut-être pas de solution parfaite pour la présentation de toutes ces données dans des tableaux, mais l’important, c’est qu’il soit possible pour les organisations et le gouvernement de voir qu’il y a un problème concernant un juge en particulier ou qu’il y a des problèmes systémiques. Cela pourrait aussi permettre de constater que les membres d’un groupe de population donné déposent des plaintes, mais qu’ils ne comprennent pas en quoi consiste réellement une plainte contre la magistrature, ce qui indiquerait qu’il faut plus d’éducation juridique destinée au public.

Toutes ces situations pourraient être relevées à partir des données auxquelles nous n’avons présentement pas accès.

Le sénateur Dalphond : Merci. Madame Dick, vous suggérez d’inclure des non-juristes dans les comités d’examen et les comités d’appel, mais ne croyez-vous pas que cela pourrait compliquer les choses?

Vous avez également dit souhaiter qu’il soit possible de demander une révision judiciaire, qu’il y ait un droit d’appel, que ce soit à la Cour fédérale ou à la Cour d’appel fédérale. Ajouter un non-juriste à la composition du comité d’appel transformerait la nature de ce comité. Devrait-on alors parler de tribunal administratif plutôt que d’une cour? Il s’agit de questions juridiques. Je parle de la nature du comité et de l’inclusion d’un non-juriste pour les appels. Je crois que l’idée derrière la formule proposée est d’éviter le parcours habituel vers la Cour d’appel fédérale et de le remplacer par le recours à un comité formé de juges dont les échéanciers seraient plus courts.

Mme Dick : Ce qui me dérange, c’est que, en laissant le processus d’appel être mené à l’intérieur du conseil, on écarte la possibilité d’un examen externe. C’est pour cette raison que je pense qu’il serait préférable de laisser la possibilité d’interjeter appel, par exemple devant la Cour d’appel fédérale. Peut-être que cela ferait en sorte d’éliminer en partie le caractère juridique du comité. Cependant, dans ma vision de ce que sont le conseil et le processus — y compris le comité d’appel —, il s’agit d’entités administratives plutôt que de tribunaux. Je crois qu’il s’agira d’un comité d’appel administratif.

Je pense que, au bout du compte, comme le critère employé pour la révocation d’un juge est la confiance du public, il serait curieux de ne pas inclure le public dans toutes les étapes du processus décisionnel.

Le sénateur Dalphond : Merci.

La sénatrice Batters : Je vous remercie toutes les deux d’être venues témoigner aujourd’hui.

D’abord, maître Sharp, à votre connaissance, les consultations menées par le ministre de la Justice auprès des groupes et des associations autochtones étaient-elles adéquates? Quelle a été la participation de votre organisation dans le processus de consultation?

Me Sharp : Malheureusement, je n’ai pas grand-chose à dire à ce sujet. L’Association du Barreau autochtone n’a pas donné son avis au départ et je ne sais pas si on a tenté de communiquer avec nous. C’est possible, mais, comme l’association est un petit organisme formé entièrement de bénévoles, elle n’est pas toujours en mesure de répondre à toutes les demandes. Par contre, lorsqu’on nous a proposé de venir témoigner devant le comité, compte tenu de nos expériences passées, nous étions conscients qu’il était essentiel d’accepter l’invitation.

La sénatrice Batters : Je l’apprécie vraiment, parce que votre organisation est souvent venue témoigner devant notre comité et qu’elle a présenté des informations fort utiles.

Pourriez-vous vérifier si vous avez reçu une demande du cabinet du ministre de la Justice — ou du ministère probablement — au sujet des consultations sur le projet de loi et en informer notre greffier? Il est possible que cette demande ait été envoyée il y a assez longtemps, parce que je crois que les consultations au sujet du projet de loi avaient été lancées en 2016.

Madame Sharp, dans l’ensemble, quel est, à votre avis, le niveau de confiance des Autochtones envers le système judiciaire et en particulier envers les juges? Qu’est-ce qui a ébranlé, le cas échéant, la confiance des Autochtones envers le système? Croyez-vous que la refonte du processus proposée dans le projet de loi C-9 puisse avoir un impact?

Me Sharp : Personne ne sera étonné d’entendre que les Autochtones en général n’ont pas confiance dans le système judiciaire compte tenu du nombre d’Autochtones qui sont emprisonnés et du nombre d’enfants autochtones qui sont pris en charge par les services de protection de l’enfance.

Cela dit, il y a eu des situations dernièrement où on a pu constater un changement important de la façon d’appliquer la loi, en particulier par la reconnaissance du contexte juridique multiple du Canada et des lois autochtones, comme c’est notamment le cas dans l’affaire Restoule en cours.

On constate assurément des avancées, mais il reste beaucoup de travail à accomplir. En ce qui concerne la plus récente plainte déposée par l’Association du Barreau autochtone à l’endroit d’un juge, il s’agissait d’une situation où le juge avait mis en doute la validité des revendications territoriales d’une Première Nation, alors qu’il possédait un chalet très près du territoire en question, ce qui le plaçait en situation de conflit d’intérêts. Une plainte avait été déposée. Elle avait d’abord été rejetée, puis l’association avait demandé qu'on l’étudie de nouveau et la réponse avait été que le Conseil canadien de la magistrature étudierait la question dans le cadre d’un processus formel, mais le juge concerné a pris sa retraite avant que le processus puisse être mené.

Le processus de revendication territoriale de cette Première Nation n’a toujours pas été résolu et les négociations ont été perturbées par les commentaires du juge en question. L’association ne demandait pas la révocation de ce juge. Elle voulait qu’on fasse ce qui s’imposait pour la communauté, soit que des excuses publiques soient présentées, que le juge reconnaisse la validité potentielle des revendications territoriales de la communauté et qu’il affirme ne pas avoir pris connaissance des preuves, que ce n’était pas à lui de déterminer la validité des revendications et qu’il aurait pu arriver que l’affaire soit soumise à son jugement.

Les situations de conflit d’intérêts du genre, évidemment, minent la confiance des individus, mais aussi de toute une nation et de tous ceux qui sont touchés par ce genre de choses, et c’est pour cette raison que nous sommes ici aujourd’hui.

La sénatrice Batters : Maître Sharp, vous en avez parlé brièvement dans votre exposé et je voudrais vous poser une question au sujet des sanctions qui, aux termes du projet de loi C-9, pourraient être imposées dans les cas d’inconduites judiciaires qui ne justifient pas la révocation d’un juge. Le projet de loi C-9 prévoit une refonte du processus et des mesures comme exprimer des préoccupations, donner un avertissement, prononcer une réprimande, ordonner au juge de s’excuser et ordonner au juge de suivre une formation ou une thérapie. Or, le projet de loi C-9 ne propose pas la possibilité de suspendre le juge ou de suspendre son salaire.

Vous avez parlé de certaines sanctions qui, de l’avis de votre organisation, pourraient être imposées. Considérez-vous que la suspension du salaire d’un juge ou d’autres conséquences financières seraient de bonnes mesures disciplinaires dans certaines circonstances?

Me Sharp : Je sais que de nombreuses provinces ont la possibilité de suspendre le salaire d’un juge, et l’Association du Barreau autochtone pense que la suspension peut être une solution appropriée, surtout lorsqu’une affaire est portée devant le Conseil canadien de la magistrature. Nos amis de la Table ronde des associations pour la diversité juridique en parleront plus en détail cet après-midi, mais la suspension devait servir de mesure corrective dans le cas d’un juge qui n’avait pas souvent eu affaire à des personnes musulmanes. Une plainte a été déposée contre ce juge, mais on s’est demandé s’il s’agissait d’une discrimination systémique ou d’une autre situation, et comme ces choses demeurent privées — ce qui se passe dans le processus du Conseil canadien de la magistrature n’est pas rendu public —, on avait l’impression que ce juge aurait dû faire l’objet d’une suspension à ce moment-là. Selon moi, c’est au Conseil canadien de la magistrature de décider si une suspension s’impose dans bien des circonstances. Il peut arriver que des actes soient tellement préjudiciables qu’une suspension s’impose pendant une procédure en cours, mais je dirais qu’il s’agit évidemment d’une situation rare. Quant aux frais monétaires, nous n’avons pas de position.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup aux témoins de leur présence parmi nous aujourd’hui et de tout leur travail soutenu.

Ma première question s’adresse à vous, maître Sharp, et je serai heureuse que Mme Dick intervienne par la suite. Le rapporteur spécial des Nations unies est venu ici au début du mois et a fait un certain nombre de constatations et d’observations très critiques sur l’expérience des peuples autochtones dans de nombreux systèmes, y compris le système de justice pénale. Pour de nombreux Autochtones, en particulier les femmes, leur relation avec le système juridique est qualifiée de complexe, frustrante et dépourvue de confiance.

Beaucoup de personnes se sont exprimées sur leur expérience de la discrimination systémique et du colonialisme. Plus récemment, à la lumière de la décision rendue dans l’affaire Sharma, de nombreuses femmes autochtones se sont dites très préoccupées par le manque de compréhension des juges à l’égard des réalités auxquelles font face les personnes les plus marginalisées.

Je suis curieuse de savoir comment vous envisagez la situation. Vous avez déjà fourni de nombreuses preuves à ce sujet, mais si vous le voulez bien, expliquez-nous comment vous entrevoyez le rôle de vos organisations pour veiller à ce que les juges sachent ce qui constitue un comportement approprié.

En effet, comme vous l’avez dit, et comme je l’ai moi-même fait remarquer dans certaines des questions que j’ai posées aux témoins précédents, l’éventail des comportements est tel que beaucoup de plaintes, nous le savons, n’aboutissent à rien, malgré les allégations de racisme, de misogynie et d’autres formes de discrimination. Souvent, nous avons affaire à des juges qui ne comprennent pas très bien ces questions.

J’aimerais savoir comment, selon vous, nous pourrions faire avancer ce dossier et si vous avez d’autres recommandations que celles que vous avez déjà formulées et qui se sont avérées extrêmement utiles.

Me Sharp : Il y a plusieurs semaines, une conférence a été organisée — je ne me souviens plus de son titre —, mais je pense qu’il y avait environ cinq juges et cinq universitaires qui pratiquent le droit autochtone. Ils étaient là pour donner une formation sur la façon d’appliquer le droit autochtone dans les salles d’audience.

J’ignore s’il s’agissait de juges au civil ou au criminel, mais dans certaines de ces séances de formation, il y avait presque uniquement des universitaires autochtones, et ils expliquaient comment nos propres lois et modes de connaissances peuvent être intégrés dans ces systèmes pour obtenir un meilleur résultat qui ne soit pas punitif, mais aussi pour créer des relations entre les Premières Nations, les juges et les intervenants du système juridique.

L’Association du Barreau autochtone considère que son rôle est de promouvoir cette vision d’un système juridique multiple qui tient davantage compte des modes de connaissances autochtones et, bien entendu, nous plaidons en faveur d’une formation accrue des juges. D’ailleurs, presque toutes les facultés de droit ont mis en œuvre l’appel à l’action no 28 de la Commission de vérité et réconciliation, qui exige que les étudiants suivent un cours sur les peuples autochtones et le droit, y compris le droit autochtone.

J’ai donné ce cours à l’Université métropolitaine de Toronto l’année dernière, et les étudiants qui reçoivent ces renseignements sont tout à fait transformés à la fin de l’année. Par ailleurs, les avocats sont de plus en plus tenus de suivre un programme de perfectionnement professionnel continu sur les peuples autochtones, même si les barreaux ne l’exigent pas toujours, et c’est très important. Nous tenons à ce que les juges suivent ce genre de formation, mais nous voulons que cette formation soit dispensée par des Autochtones. Nous voulons qu’ils travaillent avec l’Association du Barreau autochtone et d’autres organisations chargées de fournir cette formation, et ce, d’une manière qui respecte toutes les parties, qui les rémunère en conséquence et qui favorise de bonnes relations. Je vous remercie.

Le président : Madame Dick, je sais que vous avez perdu la connexion brièvement pendant notre discussion. Si vous avez des observations à ajouter en réponse à la question de la sénatrice Pate, je vous invite à le faire.

Mme Dick : Je vous remercie. N’étant pas une personne autochtone, je me dois de faire attention à mes propos. Dans l’état actuel des choses au Canada, les femmes autochtones représentent plus de 50 % de la population carcérale fédérale, alors qu’elles constituent 5 à 6 % de l’ensemble de la population.

Je donne un cours sur l’injustice raciale à l’Université Western. Je consacre toute une semaine de cours au cas d’Angela Cardinal, une femme autochtone victime d’agression sexuelle. Cette plaignante allait comparaître à titre de témoin volontaire, mais elle a fini par être littéralement menottée et emprisonnée pendant cinq jours en prévision de son témoignage. Ce n’est pas la première fois que cela arrive à des femmes autochtones.

Les problèmes sont énormes. Je pense qu’ils touchent tous les aspects du système juridique. Il est certain que les données ne manquent pas sur la méfiance des Autochtones à l’égard de ce système. Il faudra une approche multidimensionnelle, mais je suis d’accord pour dire que la formation des juges est d’une importance cruciale. J’ai été désolée de voir comment le projet de loi sur la formation des juges a été révisé au fil du temps. Nous avons beaucoup trop de juges qui adoptent des comportements qui ne peuvent être justifiés ou défendus. Une intervention est nécessaire, et je crois fermement que cela doit venir de personnes qui ont de l’expérience en la matière.

Le président : Merci, madame Dick.

Le sénateur Arnot : J’ai une question pour Me Laura Sharp et une autre pour Mme Carolyn Dick.

Maître Sharp, vous voulez élargir la portée de l’alinéa 3b). Vous ne voulez pas que cette disposition se limite aux questions d’agression sexuelle. Pour ma part, je pense que l’appareil judiciaire devrait étudier les questions liées au contexte social de façon beaucoup plus détaillée. Je ne comprends pas pourquoi la magistrature aurait peur d’étudier les questions liées au contexte social — par exemple, la discrimination fondée sur le racisme, le sexe, le handicap, la santé mentale et la toxicomanie, la compréhension des traités numérotés, la mise en œuvre des traités dans un contexte moderne, la compréhension des relations découlant des traités et la compréhension de la responsabilité qu’ont tous les Canadiens, et certainement les juges, en matière de réconciliation. Vous avez mentionné l’appel à l’action no 28 de la Commission de vérité et réconciliation. On réclame certes que le pouvoir judiciaire comprenne la culture et la spiritualité autochtones dans un contexte moderne.

À mon avis, il y a un dénominateur commun qui explique pourquoi les juges se retrouvent parfois dans le pétrin. En gros, c’est parce qu’ils semblent généralement ne pas comprendre le contexte social dans lequel s’inscrit leur prise de décisions. La seule façon de remédier à la situation, c’est de veiller à ce que le corps judiciaire obtienne une formation complète sur les questions liées au contexte social contemporain.

Par exemple, si un juge a de l’expérience en droit des sociétés et en droit bancaire, on ne peut pas nécessairement supposer qu’il comprend le contexte social actuel dans lequel certaines de ses décisions sont prises. Il y a fort à parier que la dernière fois qu’il a mis les pieds à l’université, c’était 30 ans avant sa nomination.

Je fais cette remarque parce que j’entends parfois dire que l’indépendance judiciaire est un obstacle à la collaboration avec la société civile. Selon moi, il incombe à la magistrature de travailler avec la société civile, de collaborer, de coopérer et d’assurer un partenariat. Je peux en parler d’après ma propre expérience. Grâce à une telle collaboration, on se retrouve avec un processus enrichissant et éclairant qui peut aider le corps judiciaire à être plus efficace dans sa prise de décisions. Heureusement, il existe un bon modèle qui a manifestement donné de bons résultats. Deux sénateurs ici présents connaissent très bien ce modèle : la sénatrice Jaffer et le sénateur Cotter. Ce modèle a été créé par Douglas Campbell lorsqu’il était juge à la Cour provinciale de Colombie-Britannique, avant de devenir juge à la Cour fédérale. Il s’agissait de travailler avec la société civile et de faire venir ces experts au sein de l’appareil judiciaire pour offrir cette formation aux juges.

Le président : Sénateur Arnot, nous en sommes à la troisième minute de votre temps de parole et j’aimerais entendre ce que les témoins ont à dire sur vos observations.

Le sénateur Arnot : Je n’ai pas terminé. Je vais leur permettre de me répondre par écrit parce que c’est une excellente question. Je représente ici la sénatrice Dupuis. À mon avis, je suis ici pour ébranler les colonnes du temple, ce que je sais faire.

La sénatrice Jaffer : Puis-je moi aussi donner mon temps de parole au sénateur Arnot?

Le sénateur Arnot : Merci. Puis-je aussi avoir votre temps de parole?

Le président : Nous verrons.

Le sénateur Arnot : Si je donne toutes ces précisions — et je sais que c’est beaucoup —, c’est parce que je pense que cela touche au cœur de ce dont vous parlez et que cela devrait donner aux deux témoins l’occasion de formuler des observations, de vive voix, sinon par écrit, parce que je sais que je n’y vais pas par le chemin le plus court. Selon moi, c’est une question importante.

Le pouvoir judiciaire n’a vraiment rien à craindre de ce type de collaboration. Une chose que j’ai entendue par le passé, c’est que le pouvoir judiciaire pourrait être importuné et influencé. Je suis convaincu que les membres de la magistrature sont assez lucides pour faire la part des choses, comprendre de quoi il retourne et exercer leur sens critique. Ce que je dis, c’est qu’ils doivent être exposés à cela.

Ma deuxième question s’adresse à la professeure Dick. Vous dites que les profanes ne devraient pas être nommés par le Conseil canadien de la magistrature. Je pense que c’est une préoccupation légitime. Quel mécanisme préconiseriez-vous à cet égard? Quel type de critères proposeriez-vous pour encadrer cet exercice?

J’ai remarqué que les profanes commencent à être dépassés en nombre. Au sein de certains comités d’examen, il n’y en a pratiquement plus. Plus cela devient sérieux, moins il y en a. Avez-vous des observations à formuler à ce sujet?

J’invite les deux témoins à s’exprimer sur ces questions fondamentales qui me semblent importantes. J’aimerais que le comité examine tous les documents qu’il a et qui répondent à certaines de ces questions, car cette information pourrait nous être utile pour préparer les recommandations que nous ferons au sujet du projet de loi C-9.

Le président : La bonne nouvelle, maître Sharp et madame Dick, c’est que grâce à la sénatrice Jaffer, vous avez à vous deux cinq minutes pour répondre aux questions du sénateur Arnot.

Me Sharp : Je pense que votre question est de savoir s’il existe un moyen de mieux exposer les juges à toutes ces considérations, et s’ils hésitent à suivre ce type de formation. Ai-je bien compris le sens de la question, sénateur?

Le sénateur Arnot : Je voudrais qu’on en arrive à parler du modèle du Western Judicial Education Centre qui [difficultés techniques] à mon avis. Vous pouvez vous renseigner là-dessus. Prenez votre temps.

Me Sharp : Nous allons commenter le modèle.

Nous sommes d’accord sur le fait qu’une exposition accrue est absolument nécessaire. Toutes sortes de formations sont nécessaires. Cependant, certains cercles hésitent à faire appel à des juges. Nous l’avons constaté lorsque Osgoode a mis en œuvre l’appel à l’action 28. Ils disaient qu’il fallait un cours obligatoire et qu’il devait être voté par le Sénat, etc. Il y a eu une réelle opposition, tant de la part des étudiants que des professeurs, qui ont dit que cela avait une incidence sur l’indépendance académique, etc. Il y a de fervents défenseurs de cette idée et cela revient en grande partie à dire que nous ne savons pas ce que nous ne savons pas et que les juges ne savent pas ce qu’ils ne savent pas, parfois, dans ces circonstances. Lorsqu’ils sont mis au courant et qu’ils apprennent ces choses, les gens sont reconnaissants et voient la dynamique sous un nouvel angle. Je vous remercie.

Le président : Madame Dick, si vous le voulez bien, nous aimerions vous entendre sur les deux points?

Me Sharp : Je crois que le deuxième point concernait les profanes, n’est-ce pas, sénateur?

Le président : Oui, mais je pense que cela s’adressait plus particulièrement à Mme Dick.

Me Sharp : Parfait.

Mme Dick : Je suis d’avis qu’à l’heure actuelle, le Canada est allé trop loin du côté de l’indépendance judiciaire, et il y a cette réplique constante qui nous exhorte à exclure d’autres voix, à isoler les juges d’une manière dont je ne suis pas sûre qu’elle soit toujours appropriée.

En 1993, l’Association du Barreau canadien a créé un groupe de travail. Sous la direction de la juge Bertha Wilson, le groupe s’est penché sur la question de l’indépendance judiciaire et de la résistance à la formation au contexte social. En fin de compte, la question qui a été posée était la suivante : qu’est-ce qui fait que vous avez besoin de l’indépendance pour faire quelque chose qui vous obligerait à ne pas entendre ces différents groupes? Je pense que cette question mérite d’être posée.

En ce qui concerne l’idée des profanes, ce n’est que lundi que j’ai appris que je comparaîtrais ici, alors je n’ai donc pas eu beaucoup de temps pour y réfléchir, mais je pensais créer un comité de nomination. Je ne sais pas exactement comment se dérouleront les nominations. Je sais que les personnes siégeront pendant quatre ans, donc je pense que ce serait une bonne façon de procéder, que ce comité de nomination se réunisse une fois tous les quatre ans ou qu’il se renouvelle.

Je pense que ce comité sera nommé par le Parlement.

Je pense par ailleurs qu’il serait très important que le Conseil canadien de la magistrature participe à l’élaboration des critères, car c’est lui qui sait exactement ce que l’on attend de ces personnes.

Je pense néanmoins que, de la même manière que nous parlons de la formation au contexte social et de l’apport d’autres voix, il est important d’élargir la participation à ce processus. Je pense qu’il s’agirait d’un moyen très simple et peu controversé de donner au Parlement un petit rôle.

Bien entendu, le Conseil continuerait à constituer les comités d’une plainte à l’autre.

Le président : Merci, madame Dick.

Le sénateur Klyne : Ma question s’adresse à Me Sharp, de l’Association du Barreau autochtone. Le projet de loi établit un nouveau processus d’examen des allégations d’inconduite qui ne sont pas suffisamment graves pour justifier le remplacement d’un juge.

En ce qui concerne la surreprésentation des Autochtones dans le système correctionnel, il est intéressant de faire intervenir les appels à l’action 27 et 28. À bien des égards, il devrait s’agir d’une mesure préventive : si nous sommes davantage sensibilisés et si les appels à l’action 27 et 28 sont mis en œuvre, cela pourrait atténuer, voire éliminer, la nécessité de procéder à des examens de ce type, quels qu’ils soient.

Sauf que si cela ne se matérialisait pas, lorsqu’il s’agit d’examiner des allégations de mauvaise conduite qui ne sont pas suffisamment graves, comment pensez-vous que les appels à l’action 27 et 28 s’appliqueraient s’il n’y a pas de renvoi? Vous avez fait référence à certaines choses. Je ne pense pas que vous ayez parlé de cercles de détermination de la peine, mais vous avez parlé de conseils et d’autres possibilités de résolution qui pourraient se concrétiser avec une certaine participation autochtone. Pourriez-vous nous en dire plus?

Me Sharp : Dans l’exemple que j’ai donné plus tôt de la Première Nation qui avait un problème avec un juge, nous avons dit que des excuses seraient vraiment utiles. Pour rétablir de bonnes relations avec les gens, des choses comme des cercles de partage peuvent souvent être nécessaires pour que la Première Nation puisse faire suffisamment confiance au système lorsqu’il dit qu’il va rectifier les choses, qu’il va écouter le récit des torts qui ont été faits et qu’il va s’engager à modifier ses agissements pour l’avenir. En ce qui concerne les différents types de formation supplémentaire sur les compétences culturelles des appels à l’action 27 et 28, même si nous formons les juges à titre préventif, vous ne pouvez pas, en une session de formation d’une heure ou même d’un jour ou d’une semaine, former quelqu’un sur toutes les choses qui peuvent se produire ou être perçues comme racistes, ou être carrément racistes.

Beaucoup de ces choses sont nouvelles pour eux. Il s’agit d’un processus perpétuel et, en cas de problème, nous espérons que le pouvoir judiciaire et le Conseil canadien de la magistrature reconnaîtront que la formation ne doit pas s’arrêter à une ou deux séances et qu’ils continueront à utiliser les mêmes séances de formation professionnelle continue encore et encore. Ces formations peuvent être modifiées et utilisées au cas par cas.

Le sénateur Klyne : Je voudrais poser une question à Mme Dick, mais je voudrais d’abord vous demander si vous avez une idée de la façon dont le projet de loi peut être amélioré pour tenir compte de ce que vous essayez d’accomplir ici.

Me Sharp : Les cercles de partage pourraient éventuellement relever du paragraphe f) si le conseil considère qu’il s’agit d’une action qu’il juge équivalente à toute autre action visée aux paragraphes a) à e). Aucune révision n’est donc nécessaire. Toutefois, si le Sénat veut être explicite au sujet de cette disposition, il pourrait ajouter un paragraphe supplémentaire indiquant que les méthodes autochtones de règlement des différends peuvent également être utilisées.

Le sénateur Klyne : Je vous remercie.

Le président : J’ai trois ou quatre questions. Permettez-moi de commencer par quelques questions à votre intention, maître Sharp. Vous avez mentionné le fait que les juges se retirent pour échapper en quelque sorte à l’examen et peut-être à la guillotine d’un constat d’inconduite. Existe-t-il un mécanisme permettant d’atteindre cet objectif, étant donné que vous avez également souligné que lorsqu’un juge prend sa retraite, il échappe en quelque sorte à la compétence du Conseil canadien de la magistrature? Avez-vous une idée à ce sujet?

Me Sharp : Il faudrait pour cela modifier la loi en ajoutant une disposition qui indiquerait que le Conseil canadien de la magistrature est habilité à poursuivre des procédures de plainte après la retraite d’un juge.

Le président : J’ai fait partie du comité consultatif de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada qui s’est penché sur la façon de mettre en œuvre la recommandation de la Commission de vérité et de réconciliation du Canada qui demandait que les avocats suivent une formation en droit autochtone et autres. J’ai constaté — comme vous, j’en suis sûr — que la Commission de vérité et de réconciliation du Canada, dirigée par un juge, sénateur et très distingué collègue, Murray Sinclair, n’a pas formulé de recommandation concernant les exigences ou les attentes concernant l’éducation des juges.

Cela donne un peu l’impression que le juge Sinclair, en sa qualité de juge, était attentif à cette question de l’indépendance judiciaire. Pour être honnête — et je suis d’accord avec le sénateur Arnot sur ce point — je suis déçu de ce résultat. Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de cela, c’est-à-dire du fait qu’une personne très distinguée ait dit que cela dépassait un peu les bornes que de dicter aux juges ce qu’ils devraient apprendre?

Me Sharp : Je ne veux certainement pas mettre des mots dans la bouche du juge Sinclair. Je le respecte beaucoup et je respecte le travail qu’il a accompli.

Je dirai que nos opinions divergent et que j’aimerais que les juges soient obligés de suivre une formation sur ces questions, mais c’est tout ce que je peux dire. Merci.

Le président : Madame Dick, puis-je vous poser une petite question? Elle recoupe certaines des observations de Me Sharp.

Si nous ne modifions pas la loi, l’un des mécanismes par lesquels toute une série de ces questions pourrait être abordée — une représentation plus riche des profanes dans les comités, ou au moins dans ceux qui sont conçus avec des voix extérieures — est-il la question de savoir quelle forme devraient prendre les obligations redditionnelles du Conseil canadien de la magistrature?

Si j’étais le juge en chef et que j’écoutais ces comptes rendus et ces témoignages, et si le projet de loi n’était pas modifié, je serais fortement tenté de vouloir qu’un organe consultatif me conseille sur toutes ces questions afin que les rapports soient aussi réactifs et responsables que possible et que les personnes qui feraient partie de ces comités soient aussi informées que possible. Y aurait-il là une alternative à la modification de la loi, madame Dick?

Mme Dick : Je suppose que c’est une option, mais je pense que si nous sommes ici pour étudier le projet de loi C-9, ce sont des choses que nous voulons inscrire directement dans ce dernier. Le conseil a déjà essayé, en 2019 par exemple, de faire valoir qu’il ne pouvait pas être considéré comme étant un conseil fédéral, un comité ou un autre tribunal, essayant en cela de résister à l’idée qu’il est un organisme de réglementation. J’estime qu’il s’agit d’un organisme de réglementation et, pour cette raison, je pense qu’il est extrêmement important d’avoir un accès au moins à la Cour d’appel fédérale.

De même, je ne suis pas opposée à la création d’un conseil consultatif — faisons les deux —, mais je voudrais également que ces profanes participent à chacun de ces groupes, à la fois en raison des critères utilisés pour déterminer la mauvaise conduite, de la légitimité qu’ils confèrent et du fait que la profession juridique de juge est insulaire, comme cela a déjà été mentionné aujourd’hui. Il s’agit de personnes ayant un certain niveau de revenu, une certaine formation et une certaine façon de penser. Je suis d’avis que d’autres perspectives seraient les bienvenues.

Le président : Merci beaucoup. J’ai emprunté un peu de votre temps, sénateur Patterson. Je vous en remercie. Nous pouvons passer à un court deuxième tour.

La sénatrice Batters : J’aimerais accorder un peu plus de temps à Mme Dick pour qu’elle commente ce genre de choses. Je suis fortement d’accord avec ce qu’elle vient de dire et avec le fait que le processus, même dans sa nouvelle mouture, demeurerait l’équivalent de voir le conseil se réguler lui-même, sans supervision externe. Je veux vous donner plus de temps pour expliquer votre point de vue important là-dessus.

Mme Dick : Eh bien, comme je l’ai dit, il y a probablement des témoins au sein du prochain groupe qui sauront encore mieux que moi formuler des commentaires là-dessus, mais j’ai déjà étudié le Conseil et rédigé un article sur Lori Douglas. Dans cette plainte, j’ai été frappée par le fait que non seulement le juge, mais l’avocat indépendant dans l’affaire avaient l’impression que les procédures qui sont clairement énoncées par le Conseil canadien de la magistrature n’étaient pas respectées. Il était d’une importance cruciale d’être en mesure de porter l’affaire devant la Cour fédérale et de demander un examen judiciaire.

Je sais très bien que ces procédures peuvent être extrêmement longues et retardées, puis que les gens peuvent les intenter pour des raisons des plus frivoles, mais il y a eu des cas où l’accès à la Cour fédérale était, selon moi, vital puisque le conseil a commis des erreurs. Le conseil n’est pas infaillible — personne ne l’est —, donc éliminer cette option pose un grave problème, selon moi.

Ensuite, eh bien, je me demande quels juges pourraient avoir le plus besoin d’accéder à la Cour fédérale pour des raisons légitimes. Dans ce cas, il s’agissait d’une juge qui faisait l’objet d’une campagne acharnée pour sa révocation parce que d’autres avaient publié des photos osées d’elle en ligne à son insu et sans son consentement. C’est aujourd’hui un crime au Canada. Je m’inquiète du fait que les gens doivent accéder à la Cour fédérale quand des sentiments anti-autochtones ou misogynes, peu importe leur cible, s’insinuent dans ces comités. Rendu là, j’estime que vous devez être en mesure d’accéder à un examen effectué par un autre organe que le conseil.

En outre, nous savons tous que toutes les institutions ont intérêt à protéger leur réputation. Là encore, je crois que c’est la nature humaine, et rien de propre au conseil. Selon moi, le projet de loi tel qu’il est structuré actuellement privilégie beaucoup trop une approche en vase close.

La sénatrice Batters : Si vous pouviez fournir au greffier du comité un exemplaire de cet article auquel vous faites référence à propos du Conseil canadien de la magistrature, s’il vous plaît, ce serait très utile. Merci.

Le sénateur Klyne : Vous avez fait référence à l’inclusion de non-juristes, et vous privilégiez, je dirais, la nomination de gens qui ne font pas partie du conseil. Il y a quelques éléments que j’aimerais comprendre, dont celui qui a trait à votre idée ou votre description de ces non-juristes. De ce que j’en comprends, les alinéas 82(3)a) et b) indiquent ce que la personne ne doit pas être, puis vient l’alinéa c) qui laisse entendre qu’elle doit remplir les critères de sélection établis par le conseil. Pour moi, cela n’est toujours pas clair.

J’ai encore du mal avec l’article 84, qui se lit comme suit :

Dans la mesure du possible, le Conseil inscrit sur la liste de juges et la liste de non-juristes des personnes qui reflètent la diversité de la population canadienne.

J’aimerais que vous me décriviez ces non-juristes, leur but et leur objectif, de même que la façon dont ils devraient être nommés.

Mme Dick : Pour ce qui est des non-juristes, ils seront désignés par le projet de loi C-9. Je laisserais le conseil décider du type de caractéristiques que ces personnes doivent avoir.

Actuellement, ces comités sont très petits, comparativement à ce qui était auparavant un comité complet, donc la diversité d’opinion est fort louable, mais je crois qu’elle est difficile à obtenir. Dans un même temps — l’article ne me vient pas spontanément en tête —, on suggère que l’on devrait tenir compte du bilinguisme fonctionnel pour la liste des juges et celle des non-juristes. Je songe alors au même genre de critiques que nous avons vues quand il s’agit de nommer des juges à la Cour suprême du Canada. Est-ce que cela va nuire aux Canadiens issus de l’immigration? Est-ce que les Autochtones seront désavantagés? Il y a probablement un facteur de classe sociale applicable aux personnes qui ont appris tant l’anglais que le français.

Je ne suis donc pas placée aujourd’hui pour dire ce que devraient être les critères, mais j’estime qu’il sera difficile de gérer à la fois la diversité et cette volonté d’inclure les deux langues officielles dans des comités de trois personnes, par exemple.

Le sénateur Klyne : Avez-vous une opinion sur ce que vous estimez être l’objectif global de cette façon de faire avec les non-juristes?

Mme Dick : L’objectif global de quoi?

Le sénateur Klyne : Nommer des non-juristes et suggérer les caractéristiques à rechercher chez eux.

Mme Dick : Je crois qu’il faut revenir à cette norme pour la révocation d’un juge. Qu’en pense la population? Qu’est-ce qui mine la confiance de la population? Ce n’est guère facile à jauger. Si je devais demander à mes étudiants, qui sont dans la vingtaine et la trentaine, ce qui, selon eux, mine la confiance de la population, leur réponse pourrait être différente de la mienne. Là aussi, il y a une difficulté. À ce point-ci, tout ce que nous pouvons faire est d’utiliser une partie de cette rétroaction plutôt que de nous en remettre aux juges et aux avocats pour décider ce qui est dans l’intérêt de la population et à quoi ressemble la confiance de la population.

Le sénateur Arnot : J’invite tout à fait les témoins à fournir plus de matériel par écrit en réponse aux questions posées. Sachez, chers collègues, que c’est une occasion incroyable de traiter de la question de l’indépendance de la magistrature. Si les juges maîtrisaient bien les questions relatives au contexte social, il ne serait probablement pas nécessaire de les révoquer. Nous avons donc ici une très bonne occasion de prévention, et l’occasion de l’aborder vous est servie sur un plateau d’argent. Je me demande si le comité directeur envisagerait — ce que je recommande — d’inviter le juge à la retraite Douglas Campbell à comparaître devant le comité et à prodiguer ses conseils sur ces mêmes questions, puis à discuter du modèle, qui s’est avéré très efficace. Je crois que c’est très important, car j’aimerais vraiment que ce comité recommande fortement l’inclusion dans le projet de loi C-9 de la formation de la magistrature sur le contexte social. Il y a possibilité de le faire. J’espère que vous serez en mesure de le faire. Je serais en faveur.

Le président : Je ne crois pas que l’on demande de réponse aux témoins là-dessus.

Le sénateur Arnot : Non.

Le président : C’est lié à votre échange antérieur avec eux. Voilà qui conclut le temps consacré à ce groupe de témoins. Je remercie donc Me Sharp, au début, puis Mme Dick, pour leur déclaration et les échanges riches qu’elles ont eus avec nous, de même que pour leurs réponses directes et constructives à nos questions. Nous vous en sommes très reconnaissants. Le comité a une discussion musclée sur le sujet et leur contribution à celle-ci est importante. Je tiens à les remercier toutes les deux.

Sénateurs, nous allons enchaîner avec le deuxième groupe de témoins dans le cadre de l’étude du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges.

Figure au sein du groupe aujourd’hui, Me Sheree Conlon, membre exécutive de La Société des plaideurs, qui se joint à nous par vidéoconférence. Soyez la bienvenue, maître Conlon. Il y a également Juliet Chang Knapton, présidente de la Table ronde des associations pour la diversité juridique. On a déjà fait référence à votre organisation, comme vous avez pu l’entendre dans le cadre du premier groupe de témoins, et nous avons hâte de vous entendre.

Vous êtes priées de faire chacune une déclaration liminaire d’environ cinq minutes. Viendront ensuite les questions des sénateurs et des discussions.

Sheree Conlon, K.C., membre exécutif, La Société des plaideurs : J’aimerais commencer par souligner que je m’adresse à vous depuis le Mi’kma’ki, c’est-à-dire le territoire ancestral et non cédé du peuple mi’kmaq. Ce territoire est visé par les traités de paix et d’amitié signés en 1726.

Monsieur le président, je vous remercie de me donner l’occasion de présenter au comité sénatorial permanent des observations concernant le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges.

Je suis associée au cabinet d’avocats Nijhawan McMillan & Conlon Barristers, et je suis ici pour représenter La Société des plaideurs.

La Société des plaideurs est une association nationale d’avocats plaidants à but non lucratif qui compte environ 5 500 membres établis partout au Canada. Une partie de la mission de La Société des plaideurs consiste à promouvoir un système judiciaire équitable et accessible au Canada.

Les observations que je vous présenterai aujourd’hui porteront sur un fait central, à savoir que La Société des plaideurs craint que le projet de loi C-9 ne permette pas aux tribunaux de surveiller adéquatement les décisions rendues par le Conseil canadien de la magistrature, ou CCM, dans le cadre de son processus déontologique de la magistrature. Je vous présenterai une solution simple à ce problème qui, selon nous, permettra au gouvernement d’atteindre ses objectifs louables en matière de réforme.

Le mémoire daté du 29 mars 2023, que La Société des plaideurs a présenté au comité, développe les arguments que je vais faire valoir au cours de mon exposé d’aujourd’hui.

Dans l’ensemble, La Société des plaideurs soutient la modification de la Loi sur les juges en vue de réformer le processus d’examen et de traitement des plaintes déposées contre les juges nommés par le gouvernement fédéral. Nous avons constaté que le processus actuel est susceptible d’être retardé et d’entraîner des coûts élevés. Ces inefficacités minent la confiance du public à l’égard de la responsabilisation des membres de la magistrature fédérale en ce qui concerne leur conduite, et nous sommes d’accord pour dire que ces inefficacités doivent être corrigées.

La Société des plaideurs convient également que l’une des principales sources de retard et de coûts liées au processus actuel, c’est le fait que les parties peuvent demander que la Cour fédérale procède à une révision judiciaire à plusieurs stades du processus, et qu’elles peuvent par la suite se prévaloir de plusieurs niveaux d’appel. Cependant, nous estimons que le projet de loi C-9 corrige trop ce problème en remplaçant le processus de révision judiciaire par des mécanismes de révision qui sont gérés presque entièrement à l’interne par le Conseil canadien de la magistrature. En vertu du projet de loi C-9, les parties ne peuvent demander l’autorisation d’interjeter appel des décisions du comité d’appel du CCM qu’auprès de la Cour suprême du Canada.

Cela est préoccupant, car le droit d’appel ne sera pas respecté. Un recours ne sera possible que si la Cour suprême accorde l’autorisation d’interjeter appel de la décision. La Cour suprême n’est pas censée être utilisée pour corriger des erreurs, et elle n’accorde cette autorisation que dans des affaires d’importance publique. Dans le passé, elle n’a accordé cette autorisation que dans 7 à 8 % des cas chaque année. Il n’y a donc aucune garantie que la Cour suprême accordera l’autorisation d’interjeter appel, même dans un cas où la décision du CCM est erronée — et, d’après nos respectueuses observations, tous les décideurs peuvent parfois se tromper. C’est la raison d’être des cours d’appel.

La Société des plaideurs est préoccupée par le fait que le projet de loi C-9 crée un régime législatif dans lequel le Conseil canadien de la magistrature est l’enquêteur, le décideur et l’autorité d’appel en ce qui concerne les allégations d’inconduite judiciaire. En fin de compte, le contrôle judiciaire externe des décisions et des actions du CCM est pratiquement éliminé.

Le processus proposé est préoccupant, car il est essentiel que les tribunaux contrôlent les mesures administratives afin de garantir leur légalité et leur équité. L’absence de contrôle du processus du CCM par les tribunaux porte atteinte à l’inamovibilité des magistrats, laquelle est une composante essentielle de l’indépendance judiciaire.

La Société des plaideurs vous fait remarquer qu’il y a un moyen simple d’apaiser nos préoccupations. Nous proposons que les parties aient le droit d’interjeter appel de la décision du comité d’appel du CCM devant la Cour d’appel fédérale plutôt que la Cour suprême du Canada.

Nous devons insister sur le fait que, selon nous, l’amendement que nous proposons ne reproduira pas les retards et les coûts que nous observons dans le processus actuel et que le gouvernement tente à juste titre de corriger. La proposition garantit que seule la décision finale du CCM pourra faire l’objet d’un appel directement auprès de la Cour d’appel fédérale. Cela éliminera un niveau de révision judiciaire — par la Cour fédérale —, et cela éliminera le contrôle judiciaire des décisions interlocutoires, qui a toujours été la cause principale des retards et des coûts, tout en préservant un droit de contrôle judiciaire sur la décision finale que rendra le CCM dans le cadre du processus interne.

Nous pensons que cette petite modification que nous proposons d’apporter au projet de loi C-9 établit un juste équilibre entre l’efficacité, la confiance du public dans la responsabilisation judiciaire et l’équité pour toutes les parties, tout en maintenant l’indépendance judiciaire.

Monsieur le président, je me ferai un plaisir de répondre aux questions que les membres du comité permanent pourraient avoir au sujet de ces observations. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Merci, madame Conlon.

Juliet Chang Knapton, présidente, Table ronde des associations pour la diversité juridique : C’est un honneur pour moi de comparaître devant vous aujourd’hui. Par chance, je réside dans les territoires non cédés et traditionnels des Algonquins Anishinaabeg, ce qui me permet de me joindre à vous en personne aujourd’hui.

La Table ronde des associations pour la diversité juridique, aussi connue sous le nom de RODA qui est un acronyme pour The Roundtable of Legal Diversity Associations, — que probablement personne ne connaît parce qu’elle n’a pas de site Web — est un organisme-cadre qui regroupe une coalition de 22 associations juridiques canadiennes en quête d’équité, même si je vous signale que nous sommes en train d’accueillir trois nouvelles organisations dans notre cercle de membres.

Il a été créé en 2011 dans le but de favoriser le dialogue et de promouvoir des initiatives relatives à l’avancement de l’inclusion, de la diversité, de l’équité et de l’accessibilité au sein de la profession juridique et du système judiciaire, ainsi que dans un contexte juridique plus large.

Dans le cadre de notre mandat, nous surveillons les développements politiques au sein de la profession et des systèmes juridiques, et nous formulons des commentaires à ce sujet. RODA est un organisme entièrement géré par des bénévoles.

Comme vous pouvez le constater dans les mémoires qui, je l’espère, vous ont été remis plus tôt dans la journée, nous comptons parmi nos membres certains des groupes juridiques les plus importants et les mieux établis dans le domaine de la quête d’équité, dont bon nombre de représentants ont déjà comparu devant le Sénat et les comités parlementaires, ainsi que de nombreux groupes plus petits, dont certains sont très bien établis et d’autres viennent tout juste d’être fondés.

Bien que RODA soit très active dans la sphère réglementaire provinciale et juridique de l’Ontario depuis de nombreuses années, c’est la première fois que la RODA comparaît devant un comité parlementaire fédéral, et je vous remercie de nous avoir invités à nous joindre à vous.

Mes commentaires d’aujourd’hui, tant écrits qu’oraux, sont une collection d’opinions diverses. Bien que nous suivions un modèle consensuel, RODA n’est pas la porte-parole d’un seul groupe. Nous cherchons à trouver un terrain d’entente et un consensus, mais nous essayons surtout d’amplifier divers points de vue qui ne sont pas entendus habituellement et qui n’ont pas la chance d’être communiqués dans les sphères traditionnelles.

Les observations que je formulerai aujourd’hui portent sur l’idée de mettre en avant la diversité des expériences, des commentaires, des analyses et des considérations que nous pouvons apporter afin de contribuer à orienter et à enrichir votre dialogue concernant votre analyse de la situation.

En général, RODA appuie le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges, non pas parce qu’il répond à toutes nos préoccupations, ou même à quelques-unes de nos principales préoccupations, mais parce que les choses doivent avancer.

Les principales observations que nous formulons aujourd’hui visent à souligner l’importance de centraliser l’équité, la diversité, l’inclusion et l’accessibilité dans tous les aspects du système judiciaire. En particulier, nos commentaires concernant le projet de loi C-9 mettent, dans une petite mesure, l’accent sur la transparence et la formation des juges.

En ce qui concerne la transparence, RODA souligne tout d’abord l’importance de rendre publique la manière dont les plaintes sont traitées, ce qui signifie que toutes les décisions écrites publiques doivent être publiées à tous les stades, et que des renseignements statistiques utiles et clairs à propos du sujet de la plainte, du stade auquel elle a finalement été traitée et du résultat final doivent être rendus publics, y compris la décision de rejeter une plainte.

En ce qui a trait à la formation des juges, RODA fait ressortir l’importance de mentionner explicitement le type de discrimination visée, de prévoir une formation obligatoire qui tient compte du contexte social — et je me réjouis des observations que le sénateur a formulées à ce sujet avant que je me joigne à vous aujourd’hui —, d’intégrer cette formation dans un cycle de formation régulier et fréquent et de disposer d’un plus grand nombre d’outils pour accroître la probabilité que la remédiation soit efficace.

Nous avons besoin d’un système judiciaire qui est compétent sur le plan culturel, ce qui signifie que nous devons être conscients de nos propres croyances et valeurs culturelles et de celles des autres, ainsi que de la manière dont elles peuvent différer des autres. Cela signifie aussi que nous devons être en mesure de nous familiariser avec les différentes cultures de ces autres personnes et des personnes avec lesquelles nous travaillons, ainsi que d’honorer ces cultures.

RODA souligne encore une fois qu’une sensibilisation d’un point de vue culturel, une attitude constructive à l’égard des différences culturelles, une connaissance des pratiques culturelles et des visions du monde différentes, ainsi que des compétences et des outils interculturels font tous partie de cette combinaison d’exigences.

Si vous et nous, les Canadiens, voulons centraliser l’équité, la diversité, l’inclusion et l’accessibilité dans tous les aspects de notre système judiciaire, ce sera le moyen — comme RODA le constate, en tout cas — de bâtir un Canada plus inclusif, plus équitable et plus juste.

Je me ferai un plaisir de répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir à propos de ce vaste éventail de sujets. J’ai en ma possession des mémoires écrits, et je serais heureuse de répondre à vos questions. Je vous remercie de votre attention. Meegwetch.

Le président : Merci, madame Chang Knapton. Je vais inviter le sénateur Dalphond, qui est le parrain du projet de loi, à amorcer les séries de questions.

Le sénateur Dalphond : Je souhaite à nos témoins la bienvenue à la séance du comité. J’adresserai mes premières questions à La Société des plaideurs.

Madame Conlon, vous proposez que les magistrats aient le droit d’interjeter appel auprès de la Cour d’appel fédérale, et je crois savoir que c’est également ce qu’a suggéré l’Association canadienne des juges des cours supérieures dans la lettre qu’elle nous a adressée le 28 mars 2023. Cette suggestion est donc très récente, et je crois comprendre que vous partagez son avis.

Pourriez-vous formuler des observations concernant cette proposition qui a été faite à l’autre endroit lorsque vous avez comparu devant les députés? Je crois comprendre qu’elle a été rejetée.

Me Conlon : Je peux dire que la proposition que nous avons présentée à votre comité est essentiellement la même que celle qui a été présentée au comité permanent de la Chambre des communes. J’ai en fait comparu devant ce comité également. À la suite de ce qui s’est passé après ma comparution, des motions ont été déposées afin d’ajouter l’amendement au projet de loi, mais elles ont été jugées irrecevables.

D’après ce que j’ai lu, les décisions n’ont pas été rendues en fonction du contenu des motions, mais plutôt en fonction de leur recevablité. Cependant, c’est la position que La Société des plaideurs avait adoptée à l’origine, lorsque la présentation a été faite au comité permanent de la Chambre des communes.

Le sénateur Dalphond : Les motions dépassaient la portée du projet de loi. Je vous remercie de votre réponse.

Madame Chang Knapton, vous avez fait allusion à une histoire étrange liée au juge Spiro de la Cour canadienne de l’impôt, un juge qui est bien connu dans la communauté juive de Toronto, et liée à certains faits qui ont été rendus publics dans le cadre de l’émission The Fifth Estate diffusée sur la chaîne CBC. Il a été mentionné qu’il avait peut-être exercé des pressions pour empêcher l’embauche d’un nouveau professeur, si j’ai bien résumé l’histoire, et en réponse à cela, le juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt lui a, plus ou moins, donné l’ordre de ne pas participer à l’examen d’affaires mettant en cause des personnes de confession musulmane ou des islamistes, ou quelque chose de ce genre. Je ne sais pas comment on peut faire respecter ce genre d’ordre.

Juliet Chang Knapton : Moi non plus.

Le sénateur Dalphond : C’était manifestement d’un ordre bizarre. Vous avez dit qu’il s’agissait d’une sorte de regard jeté au visage ou au nom, et ce comportement est un peu discriminatoire à première vue, si je peux utiliser le mot « première vue », mais il ne s’agissait pas d’un ordre émis par le Conseil canadien de la magistrature. Ce type d’ordre a été donné par une personne qui se trouvait à être un juge en chef et qui exerçait son pouvoir de gestion au sein de la Cour, en supposant que ce pouvoir aille aussi loin.

C’est la principale préoccupation que vous avez évoquée, et vous avez dit craindre que cela ne se reproduise. J’espère que cela ne se reproduira pas, car il s’agit d’un ordre tellement étrange que je n’en ai jamais entendu parler auparavant. Comment pensez-vous que le projet de loi, qui traite du processus disciplinaire et du processus d’examen de la conduite, nous permet de remédier à ce scénario?

Juliet Chang Knapton : Je mentionne encore une fois que je n’ai pas précisément décrit l’événement en ces termes, mais tous les membres de RODA s’inquiètent de l’expérience liée à cette politique particulière qui a été instituée.

Cette politique s’inscrit dans le cadre de l’étude du projet de loi C-9, car elle fait état d’un manque de conscience ou de compréhension de la manière dont les personnes appartenant à des groupes en quête d’équité sont touchées par le processus judiciaire. Bien que ce cas particulier dépasse la portée du projet de loi, il découle d’un contexte dans lequel le CCM jouait un rôle. Le conseil enquêtait sur les plaintes relatives à cette affaire particulière. Le CCM examinait à ce moment-là la plainte déposée contre le juge, et une autre mesure a été prise au niveau de la Cour.

Si j’ai évoqué cet événement holistique — sans entrer dans les détails —, c’est uniquement pour dire qu’il est représentatif ou révélateur d’un manque de conscience du contexte social sur le terrain et de la manière dont ces plaintes sont reçues. Que se passe-t-il en dehors de la sphère publique, qui a des répercussions réelles sur les droits des personnes, et que se passe-t-il en général?

Lorsque nous parlons de questions relatives à la transparence, à la publication de données et à la manière dont les gens obtiennent des informations, c’est dans ce contexte que je voulais placer les commentaires de RODA.

Le sénateur Dalphond : Je conclurai en disant que, si j’ai bien compris, votre message est que nous avons besoin d’offrir un plus grand nombre de cours de formation concernant le contexte social. Cela figure déjà dans la loi, mais il est évident que même certains juges en chef n’ont pas bien compris ce que cela signifie, et vous accueillez favorablement l’idée que le comité formule des observations concernant l’importance de la formation des juges.

Juliet Chang Knapton : Oui, et il y a de nombreux autres aspects du système judiciaire et de la manière dont les groupes en quête d’équité sont touchés par le système judiciaire qui doivent être améliorés. Cet aspect ne représente qu’une petite partie du problème.

Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup.

La sénatrice Batters : Je vous remercie vous deux d’être présentes aujourd’hui. Vous apportez toutes deux des points de vue très précieux sur la question cruciale qu’est le projet de loi C-9. Ma question s’adresse à la Société des plaideurs. Je voudrais en savoir plus sur l’amendement que vous proposez et sur l’exposé que vous avez fait à ce sujet aujourd’hui.

Dans sa déclaration et dans la lettre qu’elle a adressée au ministre Lametti, la Société des plaideurs affirme que, selon elle et comme vous l’avez dit plus tôt, le projet de loi C-9 corrige de manière excessive le système inefficace existant qui permet aux parties de demander plusieurs niveaux de contrôle judiciaire des décisions du Conseil canadien de la magistrature. Vous affirmez que le projet de loi C-9 élimine le contrôle judiciaire externe des mesures et des décisions du Conseil canadien de la magistrature, ce qui risque d’être très injuste pour les parties. Vous avez proposé un petit amendement pour remédier à cette absence de contrôle externe.

Avez-vous communiqué avec le ministre Lametti ou les fonctionnaires du ministère de la Justice au sujet de vos préoccupations et de l’amendement que vous avez proposé? Avez-vous reçu une réponse à ce sujet? Dans l’affirmative, quelle était leur réponse? Ou la communication s’est-elle limitée au processus de ce comité, et au fait que le président du Comité de la justice de la Chambre des communes l’ait jugé irrecevable?

Me Conlon : Notre communication à ce sujet s’est limitée à notre participation au sein du comité, puis au résultat des audiences qui ont eu lieu à l’automne dernier, en novembre. Nous n’avons eu aucune autre communication avec le ministre ou ses collaborateurs au sujet de l’amendement proposé.

La sénatrice Batters : Pouvez-vous nous éclairer davantage sur l’importance d’un contrôle judiciaire efficace des mesures et décisions administratives?

Me Conlon : Oui, merci. La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale se sont prononcées à ce sujet, notamment au sujet du Conseil canadien de la magistrature, et ce, à plusieurs occasions. Elles ont conclu que le Conseil canadien de la magistrature était assujetti au contrôle du système judiciaire fédéral par l’entremise d’un contrôle judiciaire. La Cour suprême du Canada s’est également prononcée de manière générale en disant que l’examen des organes administratifs était un droit protégé par la Constitution.

Cette loi permet un certain degré d’examen, mais la préoccupation de la Société des plaideurs émane du fait que ce contrôle est inadéquat en raison du critère d’autorisation de la Cour suprême du Canada. Si l’on examine les statistiques relatives au nombre de cas dans lesquels une autorisation a été accordée au cours de la dernière décennie, on constate que le pourcentage est de l’ordre de 8 %, ce qui signifie que 92 % des cas ont été rejetés. La plupart des cas admis relèvent en fait du droit pénal. Si l’on se limite au droit administratif, ce qui est le cas ici, le nombre de cas admis est encore plus faible.

Le problème est que le processus est entièrement interne et qu’il élimine, dans la pratique, un niveau adéquat d’examen judiciaire externe. Nous avons vu un certain nombre de cas dans lesquels les décisions du Conseil canadien de la magistrature ont été annulées au sein du système judiciaire fédéral. C’est possible sans atteindre les critères de l’autorisation de la Cour suprême du Canada.

Donc, dans le cadre du nouveau système, qui n’offre pas la possibilité d’un appel devant la Cour d’appel fédérale, il est possible que des décisions soient erronées et ne répondent pas aux critères, et qu’elles ne puissent pas faire l’objet d’un examen externe. Ceci nous renvoie aux préoccupations relatives au mandat des juges, qui concernent l’indépendance judiciaire, mais aussi la confiance du public dans le système. Si l’examen est effectué à l’interne et qu’il n’y a pas d’examen externe sur la base de cette mesure objective, nous nous interrogeons sur les questions soulevées relativement à la responsabilité et à la confiance du public dans le système.

La sénatrice Batters : Je vous remercie. Vous avez également déclaré dans vos observations écrites au ministre Lametti et au Comité de la justice de la Chambre des communes que le projet de loi C-9 ferait du Conseil canadien de la magistrature un cas isolé parmi les autres organes administratifs.

Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Me Conlon : Oui. Lorsque nous préparions ce mémoire, nous avons effectué des recherches approfondies sur d’autres exemples, y compris des ordres professionnels de juristes et d’autres professions réglementées, ainsi que les organes administratifs en général. Nous avons trouvé un certain nombre d’exemples dans lesquels le droit d’appel s’exerce devant la Cour d’appel fédérale. Par exemple, de nombreux ordres professionnels de juristes ont cette possibilité, mais nous n’avons pas pu trouver d’exemple où le seul droit d’appel était celui de la Cour suprême du Canada, c’est donc de là que c’est venu. Nous n’avons pas pu trouver d’autre organe administratif pour lequel le droit d’appel ne s’exerce qu’auprès de la Cour suprême du Canada.

La sénatrice Batters : Merci.

Le sénateur Klyne : J’ai une question pour Me Chang Knapton.

Dans la lettre que nous avons reçue ce matin, vous avez indiqué que le Conseil canadien de la magistrature dispose d’une procédure permettant de déposer une plainte relativement à une expérience vécue avec un juge particulier, mais comment les parties prenantes s’informent-elles des politiques qui les touchent au sein du système judiciaire? Il s’agit en grande partie d’un manque de communication sur les politiques qui touchent les parties prenantes.

Vous continuez ensuite et parlez de la nécessité d’une transparence accrue du processus d’examen du Conseil canadien de la magistrature, afin d’éviter des contenus similaires à ceux que vous décrivez dans votre lettre. Par exemple, lors de la prise d’une mesure corrective, à quel stade le Conseil canadien de la magistrature devrait-il publier cette mesure et ses motifs, en particulier la décision de rejeter une plainte sans raison? Vous donnez d’autres raisons de communiquer ces renseignements à d’autres stades du processus.

Vous estimez qu’il y a un manque de transparence relativement aux plaintes. Il n’est pas nécessaire de catégoriser ou de détailler la plainte, et le public ne pourra pas voir si des plaintes sont déposées et comment elles sont traitées.

Il me semble que votre demande est tout à fait raisonnable. Où devrions-nous inclure un libellé plus clair pour intégrer cela au processus?

Juliet Chang Knapton : Je ne sais à quel endroit ce libellé doit être placé; je ne suis pas rédactrice de lois, mais il faut que ce soit codifié quelque part. Je pense qu’il serait fantastique de l’inclure dans un projet de loi. Il existe une autre méthode pour codifier ce type d’exigence.

L’important est de le faire parce qu’il n’y a pas de culture de la transparence. Cette pratique n’est pas mise en œuvre. Pour qu’elle le soit et pour changer le cours des choses en ce qui concerne l’expérience actuelle des groupes en quête d’équité dans toutes sortes de domaines — généralement en ce qui concerne les suppositions qui sont faites à leur sujet et qui ont une incidence sur eux —, nous devons bien connaître la situation. Cela passe non seulement par l’explication des données, mais aussi par une certaine confiance ou un engagement du pouvoir judiciaire, du système judiciaire, envers les groupes en quête d’équité à un niveau beaucoup plus fondamental.

Je suis d’accord. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une demande très inhabituelle. Je pense que de nombreuses institutions publiques et privées du monde entier évoluent vers des données désagrégées, vers la possibilité pour des intervenants autres que l’institution qui recueille ces données de les analyser, de les examiner de différents points de vue et de réfléchir à leur signification dans un contexte plus large. On ne peut pas le faire sans les renseignements.

Nous le constatons dans de nombreux domaines, qu’il s’agisse de l’appareil judiciaire, de la nomination des juges, des personnes qui postulent ou du moment où elles postulent. Cette question dépasse un peu le cadre de ce projet de loi, mais il n’y a pas de culture de la transparence. Nous devons la codifier pour changer cette situation.

Le sénateur Arnot : Je vais situer le contexte. Ma question s’adresse en fait à Me Chang Knapton.

Convenez-vous que le principe de l’indépendance judiciaire, qui isole en partie le pouvoir judiciaire des pressions abusives, s’accompagne d’une responsabilité élevée correspondante du pouvoir judiciaire envers les citoyens canadiens, qu’il existe une relation de confiance entre le pouvoir judiciaire et les citoyens canadiens? Au cœur des questions sur les plaintes liées à une conduite inappropriée, il y a la réputation de l’appareil judiciaire et peut-être une rupture de cette relation de confiance.

Dans l’affirmative, convenez-vous que l’indépendance judiciaire ne doit pas faire obstacle au développement professionnel et à la formation continus sur le contexte social? Je note que vous avez mentionné que l’équité, l’inclusion et la diversité devraient être présentes dans tous les aspects de la formation judiciaire et dans tous les aspects de ces processus. Je vous pose donc cette question.

Deuxièmement, je vois à l’article 84 un qualificatif, une mise en garde :

Dans la mesure du possible, le Conseil canadien de la magistrature inscrit sur la liste de juges et la liste de non-juristes des personnes qui reflètent la diversité de la population canadienne.

Je le mentionne parce que je me demande pourquoi on a apporté cette précision ici. Elle laisse entendre que la magistrature canadienne ne reflète pas l’équité, l’inclusion et la diversité et que nous devons faire beaucoup plus d’efforts en ce sens, et j’aimerais entendre votre commentaire à ce sujet.

J’aimerais également que vous parliez de la modification de la loi ou de la formulation de commentaires ou d’observations. Je vais être franc : je pense que le fait de formuler un commentaire ou une observation ne constituerait pas un message assez fort de la part de ce comité. Nous devrions plutôt envisager des amendements. Si vous souhaitez proposer des amendements très clairs, veuillez les soumettre par écrit et nous les examinerons en comité. Les amendements sont beaucoup plus parlants quant au correctif à apporter, et j’estime que ce comité a une excellente occasion de formuler des commentaires forts sur certaines faiblesses majeures du système, que vous avez relevées. C’est dans ce contexte que j’aimerais que vous répondiez à ces questions.

Juliet Chang Knapton : Je vais faire de mon mieux. Merci beaucoup pour cette question, sénateur. Je ne pourrais même pas résumer les deux premières questions, mais oui et oui. Merci de les avoir posées.

En ce qui concerne...

Le sénateur Arnot : Vous pourrez étoffer par écrit plus tard, si vous le souhaitez, mais n’hésitez pas à nous donner autant de renseignements que vous le souhaitez.

Juliet Chang Knapton : Merci.

En ce qui concerne l’article 84, l’Association canadienne des avocats musulmans et d’autres organismes ont déjà témoigné au sujet de la composition de notre appareil judiciaire dans l’ensemble du pays. Elle ne reflète pas la diversité actuelle du Canada. Je pense que l’on déploie actuellement des efforts pour changer cette situation et, si mes cours à la faculté de droit témoignent de la direction que nous prenons, j’espère que le barreau sera beaucoup plus diversifié à l’avenir. Cela dit, on pourrait probablement faire beaucoup plus, et vous avez sans doute déjà entendu certains commentaires à ce sujet.

Permettez-moi de répondre directement à ce commentaire sur les amendements plutôt que de parler de la manière dont nous avons rédigé cette proposition. Ma remarque au sujet des amendements est la suivante : pour un organisme comme le nôtre, qui compte entre 22 et 25 groupes de membres et environ 6 000 voix, il est très difficile pour nous, qui ne sommes pas rédacteurs et qui travaillons sur une base volontaire, de trouver un libellé adéquat ou de formuler une recommandation précise sur la rédaction d’un amendement. Nous ne pouvons probablement pas vous éclairer sur ce plan-là, mais nous essayons de souligner les lacunes et les expériences de nos membres. Nous espérons ainsi vous donner un contexte et des conseils que vous pourrez utiliser, parmi tous les autres renseignements utiles que vous recevez, pour proposer un meilleur amendement que celui que nous pourrions rédiger.

Cela dit, je communiquerai à nouveau avec nos membres pour voir si nous pouvons proposer quelque chose de plus précis pour répondre à cette question.

Le sénateur Arnot : Je pense que vous avez la possibilité de formuler des commentaires à titre personnel, même si la Table ronde des associations pour la diversité juridique peut vous restreindre.

Juliet Chang Knapton : D’accord. Je vous remercie.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous deux d’être présentes.

Je vais commencer par vous, maître Chang Knapton. Vous avez évoqué le cas du juge Spiro et vous en avez parlé. Hier, lorsque les avocats musulmans sont venus et que j’ai vu les documents qu’ils avaient déposés, j’ai été choquée. Je leur ai téléphoné et je leur ai dit : « Vous êtes sérieux? Vous allez vraiment déposer ce dossier devant le comité? Vous êtes sûr? » Je n’arrivais pas à y croire. Je ne pouvais pas croire ce qu’il contenait, et je vais vous dire pourquoi. Les musulmans n’ont pas tous la peau foncée. Il y en a de toutes les couleurs, de toutes les formes, dans le monde entier. Même leurs noms; vous ne sauriez pas que je suis musulmane. Comment un juge pourrait-il dire : « C’est un musulman », à moins que cette personne ait la peau foncée ou qu’il s’agisse d’une personne racisée? Quand avez-vous entendu parler de cette situation pour la première fois? Parce que les avocats musulmans ont dit qu’ils en avaient entendu parler par hasard.

Juliet Chang Knapton : Je vous remercie pour cette question. Une fois encore, je tiens à préciser que je ne fais aucun commentaire précis sur l’affaire Spiro. Nos préoccupations concernent la politique qui a été élaborée et le contexte dans lequel elle a été élaborée, le manque d’information et de transparence de l’ensemble du processus. J’aimerais aussi parler des restrictions auxquelles était assujetti le Conseil canadien de la magistrature à l’époque et des mesures qu’il pouvait prendre à l’égard d’une plainte et de la réponse qui a été reçue, qui consistait en gros à rejeter la plainte.

Dans ce contexte, ce que je peux dire, c’est que nous en avons entendu parler par l’entremise de nos membres, et l’Association canadienne des avocats musulmans fait partie de nos membres. Nous n’avions pas de source indépendante. Nous l’avons découvert quand ils l’ont découvert. Je pense que la préoccupation de la Table ronde des associations pour la diversité juridique était que, lorsqu’elle a tenté d’obtenir des éclaircissements et des renseignements supplémentaires sur la question en tant que partie sérieuse et préoccupée, elle n’a pas trouvé de moyen de le faire. Nous n’avons pas trouvé de moyen de préciser les choses, de comprendre tous les éléments. Il est difficile de faire des commentaires ou d’aborder des questions de manière significative lorsqu’on ne dispose que de quelques éléments.

En ce qui concerne les commentaires que nous avons formulés sur l’ensemble de cette situation, sur les restrictions auxquelles le Conseil canadien de la magistrature est assujetti ainsi que sur la manière dont l’Arab Canadian Lawyers Association et l’Association canadienne des avocats musulmans, qui sont d’autres membres de nos groupes, ont vécu l’ensemble de cette plainte, la découverte de cette politique, la procédure, les personnes qui ont essayé d’obtenir des renseignements... l’ensemble de la situation était problématique. Elle souligne des lacunes dans le système. Ce sont des lacunes dans les connaissances. Il y a toute une série de problèmes.

Vous avez raison d’être outrée, sénatrice. Ça a été un moment extrêmement révélateur de la manière dont notre système fonctionne, du fait que certaines personnes en bénéficient et d’autres en sont exclues.

La sénatrice Jaffer : Avez-vous fait le suivi avec, disons, le ministre de la Justice ou le juge en chef?

Juliet Chang Knapton : Nous avons envoyé deux lettres à la Cour canadienne de l’impôt et n’avons pas reçu de réponse. Nous sommes un organisme géré de manière entièrement bénévole et composé de membres qui œuvrent déjà au sein de leurs communautés respectives. Nous n’avons donc, bien franchement, pas la capacité de chercher beaucoup d’information sur ces sujets, alors nous nous fions à nos membres pour renseigner l’ensemble du groupe sur ce qui se passe.

La sénatrice Jaffer : Merci.

J’ai une seconde question pour vous deux. Vos organisations ont-elles été consultées avant la préparation du présent projet de loi? Il s’agit de la question de la sénatrice Batters que je reprends.

Juliet Chang Knapton : Merci. Non, nous ne l’avons pas été et nous aurions aimé être consultés. Toutefois, nous sommes invités à nous prononcer sur une question de compétence fédérale pour la toute première fois. L’organisme n’a que 10 ans et, jusqu’à tout récemment — les choses ont changé dans les trois dernières années —, nous n’étions pas vraiment un organisme national. Nous avons élargi nos activités et connaissons une croissance rapide. En toute franchise, je ne sais même pas comment nous avons été invités aujourd’hui et je remercie la personne qui nous a invités, qui qu’elle soit. Cela dit, je crois que c’est en raison de ce rayonnement national que nos voix ont plus de poids dans les discussions.

Me Conlon : Nous n’avons pas été consultés avant l’étape législative. La Société des plaideurs a déposé un mémoire auprès du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes. Notre participation a commencé de cette façon, mais outre cette intervention, nous n’avons pas été consultés.

La sénatrice Jaffer : Croyez-vous que le projet de loi C-9 augmentera la confiance de la population envers la magistrature?

Me Conlon : De manière générale, oui. Comme nous l’avons indiqué dans nos mémoires, la Société des plaideurs appuie les amendements qui font partie du projet de loi C-9. Il s’agit, comme l’a exprimé Juliet Chang Knapton, d’un progrès dans une importante direction.

En plus de la simplification du processus disciplinaire, la possibilité d’imposer des mesures disciplinaires autres que la révocation est un progrès majeur. Bien des comportements ne justifient pas le retrait, et la seule option était auparavant d’obtenir que le juge accepte de participer à des mesures de réparation. Maintenant, le Conseil canadien de la magistrature a le pouvoir de l’ordonner.

Nous soupçonnons que de nombreux problèmes se trouvent dans ces zones grises. Dans ces situations, la sensibilisation joue un grand rôle.

Les mesures disciplinaires sont, par nature, une réaction; on réagit à une plainte. La capacité d’ordonner des mesures de réparation, y compris des séances de sensibilisation, est un pas important dans la bonne direction.

Le président : Nous vous écoutons brièvement, Juliet Chang Knapton, au sujet de la même question.

Juliet Chang Knapton : Oui, c’est un vrai changement; nous l’avons déjà dit. Pourrait-on en faire davantage? Absolument. Devrait-on en faire davantage? Peut-être.

En réalité, s’il faut y consacrer cinq ans de plus, le préjudice est trop grand. Nos groupes aspirant à l’équité souffrent dans le système actuel. La loi n’a pas changé depuis 1971 et elle a désespérément besoin d’une mise à jour.

Je ne sais pas quel est l’équilibre idéal en ce qui concerne les amendements et le renforcement du projet de loi, mais la loi doit être modifiée et le projet de loi doit être adopté. Je ne sais pas quel est l’équilibre à atteindre.

La sénatrice Clement : Bienvenue, et merci à vous deux d’être parmi nous.

Je comprends ce que vous dites, Juliet Chang Knapton, au sujet des groupes en quête d’équité qui prêtent main-forte à votre organisation bénévolement et par consensus. Ce serait très difficile — voire impossible — de vous demander de rédiger des amendements. Je comprends votre argument.

Je trouve encourageant de vous entendre dire que vos classes sont plus représentatives. Quand je retourne à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, où j’ai étudié, je constate de grands changements par rapport à ce que j’y ai connu il y a une trentaine d’années, ce qui est positif. Cela dit, parce que j’ai un vécu d’avocate marqué par l’intersectionnalité, on me demande souvent d’intervenir à ce sujet, et c’est épuisant.

Dans votre mémoire, vous proposez d’inclure dans le processus des personnes ayant une expérience vécue. J’aimerais que vous en parliez davantage. C’est ma première question. Ensuite, nous parlons beaucoup de consultation, mais je ne crois pas que nous parlions suffisamment de l’établissement de liens. Je me demande si le Conseil canadien de la magistrature travaille à établir des liens avec les groupes aspirant à l’équité. À vos yeux, cette entreprise a-t-elle cours?

La consultation est une chose, mais si nous voulons progresser, il nous faut bâtir des liens de confiance dans nos manières de communiquer entre nous et ne pas nous consulter uniquement dans le cadre de groupes de discussion. Voilà mes deux questions.

Juliet Chang Knapton : Merci infiniment, madame la sénatrice. Je comprends. En effet, c’est épuisant, et je peux vous dire que tous les membres de mon regroupement sont épuisés. Je suis épuisée. Je vous remercie d’occuper l’espace que vous occupez en vous exprimant et de prendre la parole au sujet de ces questions. Je ne crois pas que les personnes qui n’ont pas ce vécu comprennent à quel point c’est lourd à porter au quotidien. Cela dit, l’expérience vécue est un élément primordial de la compréhension.

Toutefois, je suis dans le milieu de l’enseignement et je crois à la sensibilisation, alors je dois y croire, mener ce travail de façon sincère, croire que les gens peuvent apprendre, qu’ils apprendront et que des changements se produiront. Voilà la source d’inspiration, la force motrice et l’énergie qui motivent la plupart de nos membres. Pourquoi prendre la parole si on ne croit pas que, à un certain niveau, à un certain moment, quelqu’un ayant un certain pouvoir écoutera et changera les choses — peut-être même sur le plan personnel — si on lui donne le temps, l’espace, l’information et les outils pour apporter ces changements fondamentaux?

On ne change pas en claquant des doigts. On change parce qu’on apprend, parce qu’on écoute et parce qu’on a l’espace, l’élan et l’attitude pour rassembler tous ces éléments. Beaucoup d’éléments doivent être combinés pour qu’une personne développe sa compétence et sa sensibilité culturelles, et qu’elle fasse du progrès sur certains de ces enjeux.

Je dirais que l’établissement de liens avec le Conseil canadien de la magistrature, ou CCM, est déficient. J’émets une réserve : je n’ai pas demandé à mes membres s’ils ont établi des liens avec le conseil, mais je n’ai entendu aucun d’entre eux dire qu’ils ont eu une expérience positive ou même qu’ils comprennent véritablement les paramètres ou les lignes directrices qui entrent en ligne de compte dans les décisions du CCM. Étant donné le contexte de ce projet de loi, et à la lumière de tous les commentaires que vous avez reçus sur ce processus décisionnel sans demi-mesures, toute organisation, bonne ou mauvaise, voit son efficacité limitée. Le modèle actuel n’est tout simplement pas efficace à de bien nombreux égards.

Le sénateur D. Patterson : Juliet Chang Knapton, d’après ce que j’ai compris, vous dites que toutes les décisions du CCM doivent être publiées, y compris les motifs. Pourriez-vous expliquer pourquoi cela est nécessaire? Qu’est-ce qui manque à l’ébauche actuelle du projet de loi?

Juliet Chang Knapton : Merci beaucoup pour cette question. À mon avis, il existe une perception selon laquelle une plainte rejetée dès l’étape initiale est forcément frivole ou vexatoire. De plus, ce qu’une personne perçoit comme étant frivole ou vexatoire changera selon le contexte dans lequel la plainte en cause a été faite.

Si un système adéquat était en place, on ne devrait pas craindre d’être transparent quant aux décisions qui sont prises. Je comprends les principes de fermeture au monde extérieur et d’immunité, et je les respecte, mais je crois qu’il faut comprendre que les juges ne sont pas parfaits, et je ne crois pas que les Canadiens s’attendent à ce qu’ils le soient. La population veut néanmoins que les juges apprennent, qu’ils soient justes et qu’ils soient compétents. Pour être en mesure de voir l’ensemble du processus se dérouler de manière claire et accessible, il faut avoir ces données. Il faut pouvoir constater que la plainte a été déposée, qu’elle a été dûment prise en considération et qu’elle a été rejetée de manière adéquate.

Ayant déjà été au cœur de la prise de décisions, je peux affirmer que la gestion des renseignements à inclure dans la rédaction de motifs est fortement contrôlée. On peut décider d’y inclure autant ou aussi peu d’information qu’on veut.

La demande des motifs d’un rejet, quel qu’en soit le moment — ou quel que soit le processus d’amélioration décidé à quelque étape que ce soit — ne devrait pas être enveloppée d’une atmosphère de secret. Il nous faudrait en arriver à ce que les juges ne soient pas mis dans l’embarras, mais plutôt encouragés à grandir. Les juges sont en poste pendant très longtemps et auront une incidence sur bien des gens. Ils ont le pouvoir d’accomplir un très bon et très important travail. Le fait de se trouver dans un certain poste à un moment précis de sa vie ne signifie pas que l’on doive cesser de grandir.

Quand on parle d’enjeux de discrimination, on ne peut pas régler le problème une fois pour toutes. Il faut faire avec soi-même un état des lieux quotidien : on doit déterminer où on en est, ce que l’on a appris et ce que l’on sait. Il faut constamment rester à l’affût de tous les éléments en jeu.

On devrait exiger cette sensibilité de la part de notre magistrature. Il est très important que les juges soient capables de se mouvoir avec confiance sur ces questions et d’exercer leurs fonctions avec cette sensibilité et cette confiance.

Le sénateur D. Patterson : Je suis ravi de vous avoir posé cette question. Merci.

Pour La Société des plaideurs : j’ai trouvé importante votre proposition de limiter les appels aux décisions finales. Vous savez que le processus actuel est propice aux sursis; nous en avons des exemples flagrants, que nous cherchons à corriger. Pourriez-vous expliquer dans quelle mesure le fait de limiter les appels à l’étape finale permettra d’éviter le problème des retards qui nous préoccupe tous?

Me Conlon : Oui, merci.

D’abord, cette mesure, telle que rédigée et proposée par La Société des plaideurs, éliminerait la possibilité de s’adresser aux tribunaux — donc de sortir du système administratif par décision provisoire ou interlocutoire — et de demander un contrôle. À l’heure actuelle, la procédure commence à la Cour fédérale, peut faire l’objet d’un appel à la Cour d’appel fédérale, puis il est possible de demander à la Cour suprême du Canada d’interjeter appel. J’ai entendu le ministre parler de ce processus comme d’un processus aujourd’hui vertical, où les mouvements latéraux sont éliminés. Nous appuyons ce changement. Les mouvements latéraux doivent être éliminés sur les décisions provisoires ou interlocutoires. En se penchant sur les cas les plus connus, on constate que c’est là où surgissent les retards.

L’objectif de rendre le système plus efficace et plus rapide est atteint même avec l’amendement que nous proposons, parce que le contrôle judiciaire des décisions interlocutoires demeure éliminé. Il ne fait plus partie du processus. La seule décision pouvant faire l’objet d’un appel est la décision du tribunal d’appel, qui est la décision définitive. Une fois les procédures administratives internes épuisées, un recours de plein droit devant la Cour fédérale serait ouvert à l’un ou l’autre des deux participants. À l’heure actuelle, il n’existe qu’un niveau d’appel externe, celui de la Cour suprême du Canada. Il est donc déjà prévu qu’il y en ait un dans le système. Nous estimons que ce devrait être la Cour d’appel fédérale, car il s’agit d’un droit d’appel réel, et non illusoire.

La sénatrice Pate : Je vous présente mes excuses d’avoir manqué une partie de votre témoignage. Je n’ai pas voulu vous manquer de respect, mais cela ne rend pas mon retard moins irrespectueux.

Juliet Chang Knapton, je vous prie de bien vouloir en dire plus sur ce que vous venez d’aborder. Vous avez une incroyable expérience dans le domaine, que ce soit dans les tribunaux, en enseignement ou grâce à votre vécu. Je ne suis pas une femme racisée, mais j’ai tenté de soulever les questions de sexisme et de racisme auprès de certaines entités et je n’ai pas, contrairement à ma collègue, la sénatrice Clement, à retourner devant ces tribunaux. Ainsi, j’ai pu constater les rebuffades, le déni, le dénigrement, le dédain et le manque de respect avec lesquels est accueillie toute tentative de soulever ces enjeux, y compris de la part de personnes qui se considèrent comme progressistes sur ces questions.

Ce sont particulièrement des hommes très privilégiés et très favorisés qui occupent ces postes. Pourriez-vous parler de certains exemples d’expériences vécues par des personnes qui ont tenté de dénoncer ce racisme, ce sexisme et les attitudes discriminatoires de la magistrature?

Vous y avez fait allusion et donné quelques exemples. Excusez-moi si j’ai manqué les détails, mais j’aimerais vous donner l’occasion d’en dire plus long. Je vous le demande, parce que vous avez affirmé que les gens apprennent quand ils ont les connaissances. Bien des personnes ne connaissent pas le contexte; elles ne se rendent même pas compte de ce qui est en train de se passer. Parfois, elles démontrent ces attitudes envers leurs collègues ou envers des personnes qui comparaissent devant elles sans même le remarquer.

Juliet Chang Knapton : Merci beaucoup, sénatrice Pate, pour cette question.

Il est très difficile pour nous tous, je crois — et je parle pour tout le monde —, de savoir ce qu’on ne sait pas. Nous avons l’habitude de nos propres processus mentaux, de nos propres comportements et de nos façons de faire dans différents systèmes, et nous oublions que tout le monde ne vit pas la même expérience au sein de ces systèmes.

La façon qu’on a de s’adresser à une personne sera pour elle plus ou moins importante, et il en ira de même pour son identité de genre. Je remarque que, sur les cartons qui portent nos noms, par exemple — je n’ai pas été invitée à indiquer le titre honorifique ou le titre de civilité par lequel je souhaite être désignée —, ni vous ni moi n’avons de pronoms. Cela entraîne une attitude qui enlève de l’espace au profit de présomptions. Je remplis l’espace et présume donc, sénatrice Pate, que vous êtes une femme et que vous préférez qu’on vous appelle « madame ».

Comme nous n’explicitons pas ces notions — certains de ces systèmes, de ces jugements automatiques —, nous ne sommes pas conscients que certaines personnes qui interagissent avec ces systèmes connaissent une expérience complètement différente. Pour quelqu’un à qui on attribue le mauvais sexe toute sa vie, ce processus s’avère extrêmement traumatisant. Il est très important que les premiers intervenants avec qui on communique dans le système sachent comment s’adresser à nous, dire notre nom correctement et nous définir avec respect. Or, ce n’est pas ce qui se produit. Ce n’est pas ce qui se produit, parce qu’on présume que je serai en mesure de dire ce que je dois vous dire afin de démontrer du respect, que vous accepterez mes propos parce que j’essaie d’être une personne respectueuse et que, par conséquent, je le suis réellement.

Lorsque je décris les expériences des groupes prônant le respect de la diversité, je souligne qu’il faut reconnaître que nos systèmes s’appuient sur une multitude de présuppositions. Dans ce contexte, lorsqu’on dépose une plainte auprès d’un tribunal qui n’a jamais composé avec ces expériences ou qui n’est pas très sensibilisé aux vécus des plaignants, la plainte peut sembler frivole ou vexatoire. Pourquoi devrait-on être vexé d’avoir été appelé « madame » plutôt que d’une façon plus neutre? Pourquoi en faire tout un plat? Personne ne devrait s’en effaroucher. Il faut s’intéresser au vécu de la personne, et non pas à la reconnaissance que certains ne vivent pas la même expérience.

Nous avons tous nos propres points sensibles. Je n’entends pas par là que nous devrions tous marcher sur des œufs : nous devons tous nous armer d’un certain degré de résilience dans la vie, et je ne suggère pas le contraire. Or, nous avons tous notre propre vécu. Tout ce que nous faisons se situe sur un spectre : notre façon de communiquer, d’accueillir des plaintes, de discuter du processus disciplinaire et d’aborder des sujets de manière très tranchée — ce juge est mauvais, ou ce juge est bon. Tout le monde se situe sur un spectre, et notre capacité à gérer convenablement une situation dépend de notre position sur ce spectre à un moment donné et sur un sujet donné.

Grâce aux suggestions que notre organisation a tenté de promouvoir ici, nous essayons d’augmenter les probabilités que ces commentaires, plaintes, problèmes et conflits soient examinés avec plus de compétence. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.

Le président : J’ai une observation et une question, qui s’adressera à Mme Conlon. Mon observation est destinée à Mme Chang Knapton — j’ignore si je m’adresse correctement à vous. Vous avez créé un problème pour votre organisation puisque la qualité de vos commentaires devant nous garantira presque certainement que nous vous réinviterons, ce qui représentera un fardeau supplémentaire pour les bénévoles de votre organisation et vous. Je vous remercie donc de votre exposé.

Madame Conlon, j’ai une brève question d’ordre juridique. Dans l’ancien régime, aucun examen judiciaire de la loi en vigueur n’était prévu pour les enquêtes sur la conduite des juges. Le Conseil canadien de la magistrature s’y opposait, comme vous vous en souviendrez, mais l’examen a tout de même été conçu. Ce projet de loi ne contient aucune clause privative explicite, bien que les appels soient possibles. Je crains que vos suggestions — je le dis dans le plus grand respect, puisque je voue un énorme respect pour La Société des plaideurs — importeront peu puisque les juges qui opteront pour un examen interlocutoire en exigeront un et insisteront pour obtenir un examen judiciaire.

De même, si, en ce moment, la seule option est le texte de loi dans sa forme actuelle, les juges pourraient encore demander un examen judiciaire et faire valoir qu’ils y ont droit parce qu’il y a eu violation de la justice naturelle. Pourriez-vous répondre à ma question où j’avance que vos suggestions ne changeront rien?

Me Conlon : Nous avons examiné cette question en détail et nous considérons que l’article 158 du projet de loi C-9 est une clause privative. On y mentionne les décisions rendues par le conseil en vertu de l’une des sections 1 à 3, et la section 1 porte sur les processus disciplinaires dont nous discutons aujourd’hui. L’article indique que « [s]ous réserve des autres dispositions de la présente partie, les décisions [...] sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires. » Nous avons conclu que cet article constitue une clause privative qui pourrait — ce n’est pas tout à fait clair — éliminer le droit à un examen judiciaire. Cette possibilité soulève le risque que le projet de loi prévoie trop peu de surveillance judiciaire et que la loi, telle que modifiée, puisse être contestée.

Le président : Merci, la réponse est très utile.

La sénatrice Batters : Puis-je vous appeler « madame »?

Juliet Chang Knapton : À vrai dire, j’emploie « Mx. » en anglais, soit l’équivalent non genré.

La sénatrice Batters : D’accord, aucun problème. Je m’adresse donc à vous, Juliet Chang Knapton. Je comprends tout à fait que votre organisme bénévole n’est pas en mesure de rédiger des propositions ou des amendements détaillés, mais diriez-vous que ce que je m’apprête à relever est une lacune? La sénatrice Clement en a fait mention hier, dans un commentaire fort judicieux. L’article 84, qui s’intitule « Diversité », dit :

Dans la mesure du possible, le Conseil inscrit sur la liste de juges et la liste de non-juristes des personnes qui reflètent la diversité de la population canadienne.

Hier, je faisais remarquer à un témoin que le bassin de juges est peut-être limité en ce moment. Tout d’abord, il est très étrange de préciser « dans la mesure du possible » avant d’ajouter « la liste de non-juristes. » Comme je le disais hier, on parle ici de la quasi-totalité de la population canadienne. Convenez-vous qu’il s’agit d’une lacune que nous pourrions corriger au moyen d’un amendement?

Juliet Chang Knapton : Merci beaucoup de la question, sénatrice. Je suis d’accord avec vous. Le libellé nous rend perplexes. Mes membres essaient aussi de le comprendre. Nous étions tellement ravis de voir une reconnaissance du besoin d’équité, de diversité et d’inclusion dans tous les volets — et donc une reconnaissance qu’il faut agir en ce sens — que nous étions heureux de voir cet article, point à la ligne.

J’imagine que ce « dans la mesure du possible » est le fruit d’une réflexion pour une formulation que les rédacteurs cherchaient à trouver. Or, effectivement, il s’agit d’une lacune, qui dépasse probablement la portée de ce projet de loi. Il ne fait aucun doute que le système est lacunaire puisque certains n’y connaissent pas d’expérience positive, ne peuvent y cheminer, y apporter de changements ou s’y faire entendre.

Je crois que la présence de l’article 84 représente à tout le moins le début de ce processus. Pourrait-on améliorer la formulation? Oui. Elle pourrait être — je ne sais pas quel mot convient — « étoffée », ou renforcée ou clarifiée. Je conviens qu’on pourrait la réviser.

Le président : Je remercie nos deux témoins d’aujourd’hui. Les échanges nous ont éclairés. J’avoue que notre comité est passionné par l’étude de ce projet de loi, et vous nous avez immensément aidés dans cet examen. J’ai déjà mentionné que vos deux organisations pourraient continuer à nous aider, selon votre disponibilité et votre volonté à le faire. La séance d’aujourd’hui témoigne sans l’ombre d’un doute de l’énorme utilité des témoignages. Merci encore à vous deux.

Chers sénateurs, nous allons reprendre l’étude de ce projet de loi lorsque le comité se réunira de nouveau en avril. Je vous remercie tous.

(La séance est levée.)

Haut de page