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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 19 avril 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 22 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges, et pour examiner, afin d’en faire rapport, la question de l’intoxication volontaire, y compris l’intoxication extrême volontaire, dans le contexte du droit pénal, notamment en ce qui concerne l’article 33.1 du Code criminel.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

J’aimerais demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma gauche.

Le sénateur Boisvenu : Le sénateur Boisvenu, du Québec.

Le sénateur Dalphond : Le sénateur Dalphond, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire visé par le Traité no 4.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, sénatrice indépendante, division des Laurentides, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique. Soyez les bienvenus.

La sénatrice Pate : Kim Pate, de l’Ontario. Je vis sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes.

Le sénateur Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

La sénatrice Batters : Denise Batters, de la Saskatchewan.

Le président : Je m’appelle Brent Cotter et je suis le président du comité. Je viens du territoire des Métis visé par le Traité no 6.

Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges.

Nous accueillons aujourd’hui le professeur Richard Devlin, professeur à l’École de droit Schulich et représentant de l’Association canadienne pour l’éthique juridique, ainsi que maître Raphael Tachie, et maître Rosemarie Davis, respectivement président et vice-présidente de l’Association des avocats noirs du Canada.

Nous allons commencer par inviter le professeur Devlin et Me Tachie à faire des exposés de cinq minutes, qui seront suivis des questions et des interventions des sénateurs. Monsieur Devlin, vous avez la parole.

Richard Devlin, professeur, École de droit Schulich, Association canadienne pour l’éthique juridique : Bonjour, monsieur le président, et merci de m’avoir invité à témoigner au sujet du projet de loi C-9.

Je suis professeur à l’Université Dalhousie, à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Je suis ici en tant que membre du conseil d’administration de l’Association canadienne pour l’éthique juridique, et plus précisément parce que, au cours des dernières années, j’ai publié deux livres sur la question de la discipline dans le domaine judiciaire, soit Regulating Judges et Disciplining Judges. Ces ouvrages font état du point de vue d’universitaires de partout dans le monde sur cette question difficile.

Les recherches découlant de ces livres font ressortir deux points clés. Premièrement, la conception d’un processus de plaintes et de mesures disciplinaires ne se résume pas à des aspects purement techniques. Il s’agit d’une démarche importante au chapitre de la gouvernance, qui consiste à affecter et à répartir les pouvoirs au sein du régime politique. En deuxième lieu, et de ce fait même, il est essentiel de déterminer les principes ou les valeurs qui devraient guider la conception et la mise en œuvre d’un tel régime. Historiquement, deux principes ont été identifiés, soit principalement l’indépendance et la reddition de comptes, mais les recherches démontrent qu’il existe en fait un certain nombre d’autres valeurs clés qu’il faut garder à l’esprit, à savoir les principes d’impartialité, d’équité, de transparence, de représentativité, de proportionnalité, de justification raisonnée et d’efficacité.

J’ai examiné les transcriptions des réunions précédentes du comité, et il en ressort très clairement que vous comprenez de toute évidence l’importance de ce projet de loi et la nécessité de calibrer ces diverses valeurs.

C’est ce que vise aussi le projet de loi C-9, mais il le fait d’une façon qui met trop l’accent sur deux valeurs, soit l’indépendance et l’efficacité, et n’accorde pas suffisamment d’attention aux valeurs d’impartialité, d’équité et de transparence, de représentativité et de justification raisonnée.

L’Association canadienne pour l’éthique juridique propose au moins cinq types de réformes à ce projet de loi.

Tout d’abord, les droits des plaignants ne sont pas suffisamment pris en compte, ce qui compromet les principes d’équité, de transparence et de justification raisonnée. Dans le projet de loi initial, il n’y avait qu’une mention des droits des plaignants. L’article 87 stipule que le Conseil canadien de la magistrature « établit des politiques concernant la notification aux plaignants des décisions rendues […] ». Au comité de la Chambre des communes, il y a eu un ajout, à savoir que l’examinateur « informe le plaignant par écrit de sa décision, motifs à l’appui ». Il en va de même pour le comité d’examen. Ces deux amendements ne vont pas assez loin. Il y a quatre autres modifications qui s’imposent. Premièrement, les agents de contrôle devraient également avoir le devoir de motiver le rejet d’une plainte. Deuxièmement, les plaignants devraient avoir le droit de demander un réexamen de la décision de rejeter une plainte. Troisièmement, les plaignants devraient avoir le droit d’être tenus raisonnablement informés de l’évolution de leur plainte. Quatrièmement, les plaignants devraient avoir le droit de demander à participer au processus d’audience parce qu’il est dans l’intérêt public qu’ils le fassent.

Notre deuxième grande préoccupation est qu’il n’y a pas suffisamment de non-juristes dans le processus, ce qui compromet les principes d’impartialité, d’indépendance et de représentation. Les non-juristes ne sont représentés qu’à deux étapes du processus. Un non-juriste fait partie des trois membres du comité d’examen et un, des cinq membres du comité d’audience. Autrement dit, la participation des non-juristes est ponctuelle et occasionnelle plutôt que généralisée et structurelle. Encore une fois, quatre modifications sont nécessaires : tout d’abord, il devrait y avoir une représentation de non-juristes au sein du comité d’audience restreint. Deuxièmement, les non‑juristes devraient être représentés au sein du comité d’appel. Troisièmement, si un plaignant demande un réexamen de la décision de rejeter sa plainte, il devrait y avoir une représentation de non-juristes dans ce processus de réexamen. Quatrièmement, les non-juristes devraient avoir leur mot à dire dans la décision de donner suite ou non à une plainte anonyme.

Notre troisième grande préoccupation concerne la composition du comité d’audience restreint et le fait que les processus qu’il utilise pourraient favoriser le juge contesté, compromettant ainsi les principes d’impartialité, d’indépendance et de représentativité. Il y a trois problèmes. Tout d’abord, comme je l’ai déjà dit, il n’y a pas de représentation de non-juristes au sein du comité d’audience restreint. Deuxièmement, les articles 104 et 110 du projet de loi semblent donner au juge un droit automatique de choisir un comité d’audience restreint plutôt qu’un comité d’audience complet si le comité d’examen propose une mesure moins sévère qu’une révocation. Troisièmement, l’article 15 laisse entendre que les audiences du comité restreint pourraient ne pas être publiques. Autrement dit, un juge pourrait choisir d’éviter toute participation de non-juristes à cette étape du processus et profiter peut-être d’une audience privée, ce qui pose un problème. La solution comporte trois volets. Premièrement, je le répète, les non-juristes devraient être représentés au sein du comité d’audience restreint. Deuxièmement, le recours à un comité restreint devrait être discrétionnaire, sans intervention du juge, et se faire seulement si c’est dans l’intérêt public. Troisièmement, des critères explicites devraient être établis quant au moment où le comité d’audience restreint pourrait se réunir en privé.

Quatrièmement, les recours en cas d’inconduite ne sont pas suffisamment complets. Ils n’incluent pas le pouvoir de suspendre, ce qui compromet les principes de transparence et de proportionnalité.

Notre cinquième et dernier point est que les éléments stipulés dans les rapports annuels du Conseil canadien de la magistrature ne sont pas bien adaptés, ce qui compromet les principes de reddition de comptes et de transparence. Autrement dit, le rapport annuel devrait, par exemple, inclure des statistiques sur les caractéristiques démographiques des plaignants, en fonction de la race, du sexe, de l’identité sexuelle ou du handicap, notamment. Il faudrait aussi préciser les types de plaintes qui sont présentées au conseil. L’inconduite alléguée s’est-elle produite à l’intérieur ou à l’extérieur du tribunal? La plainte est‑elle fondée sur l’incompétence? Est-elle fondée sur la discrimination?

Ce sont les cinq préoccupations que nous avons. Je me ferai un plaisir de vous en parler davantage pendant la période des questions.

Je voudrais conclure en disant que cela fait plus de cinq décennies que cette loi n’a pas fait l’objet d’un examen législatif. Le rôle des juges canadiens a profondément changé au cours de cette période, tout comme la démocratie canadienne et les attentes du public. Il faudra peut-être attendre encore 50 ans avant qu’il y ait un autre examen législatif de cette loi. Le projet de loi C-9 représente une occasion unique à ce chapitre. L’Association canadienne pour l’éthique juridique est heureuse d’aider le Sénat à améliorer cette mesure législative. Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur Devlin. Je suis certain que nous ferons un suivi des points que vous avez soulevés, et peut‑être d’autres, au cours de la discussion.

Me Raphael Tachie, président, Association des avocats noirs du Canada : Je vous remercie encore une fois d’avoir invité l’Association des avocats noirs du Canada à vous parler des questions importantes liées à la réforme de la justice pénale.

Avant de commencer, j’aimerais souligner que je crois comprendre que la Table ronde des associations pour la diversité juridique de l’Ontario a comparu devant le comité le mois dernier. L’association que je représente est un membre actif de cette table ronde. Nous sommes au courant du contenu de sa présentation et nous l’appuyons sans réserve. Nous avons participé à la rédaction de son mémoire.

Aux fins de mon exposé, j’aimerais souligner un thème qui a orienté notre analyse des modifications proposées. Nous représentons une communauté dont les membres n’ont pas toujours accès à la justice, ce qui fait que les réformes que nous proposons au projet de loi C-9 mettent l’accent sur la transparence et l’accès à des associations comme la nôtre, ainsi que sur la sensibilisation aux processus de traitement des plaintes disponibles et au fondement des plaintes, de même qu’aux politiques sous-jacentes à certaines résolutions, afin que nous puissions, si l’occasion se présente, intervenir au nom des membres de notre communauté.

Vous remarquerez que le mémoire de la table ronde faisait référence à une affaire devant une cour de l’impôt mettant en cause des parties de foi musulmane. En tant qu’association, nous avons collaboré pour essayer d’obtenir des renseignements sur la politique qui sous-tendait certaines des décisions de la cour de l’impôt, l’instance fédérale concernée. Nous avons constaté qu’il était très difficile d’avoir accès à la politique pertinente et aux motifs de certaines décisions. Les associations que je représente, les groupes d’équité et les communautés d’immigrants n’ont pas toujours accès à une représentation juridique appropriée. Les modifications qui fournissent et rendent transparentes au public le fondement des plaintes, ainsi que le fondement de certaines décisions stratégiques, afin que nous puissions y avoir accès, nous permettent de représenter les intérêts de nos communautés.

En particulier, l’un des principaux mandats de notre association au cours des dernières années a été les interventions, ainsi que l’énoncé devant les tribunaux et les organismes décisionnels des répercussions communautaires d’incidences particulières — même individualisées — sur les Canadiens noirs dans leur ensemble. Par conséquent, la possibilité de comprendre et de voir l’effet d’une plainte ou d’une décision stratégique sur le traitement de certaines plaintes nous aide à représenter les intérêts des communautés que nous représentons.

Enfin, je veux terminer ma présentation sur les exigences en matière de formation des juges et mettre l’accent sur les séminaires de formation des juges, y compris les séminaires sur les questions touchant le droit relatif aux agressions sexuelles et sur le contexte social. J’ai eu l’occasion de m’adresser au comité de la Chambre il y a quelques années au sujet d’un libellé semblable, et ce que nous avions proposé à l’époque, c’était qu’il incombe au comité d’établir un équilibre entre le pouvoir discrétionnaire des juges et les exigences en matière de formation. L’une des choses qui devraient venir à l’avant-plan, c’est d’avoir une magistrature qui reflète la diversité des expériences au Canada. Nous n’en sommes pas encore là, mais si nous concentrons nos énergies là-dessus, cela diminuera la nécessité de séminaires de formation. L’accent devrait être mis sur la collaboration avec la magistrature — je pense que le projet de loi adopte la bonne approche à cet égard, mais qu’il ne va pas assez loin —, afin de l’aider dans l’élaboration de recherches communautaires et dans l’accès à de l’information sur les différentes expériences des divers Canadiens qui comparaissent devant ces tribunaux.

L’autre élément du projet de loi que nous voulons mieux comprendre, c’est la fréquence des séminaires et de la formation que les juges doivent suivre. Bien que nous soyons favorables à une exigence non prescriptive en matière de formation, nous aimerions beaucoup que soient prescrits la fréquence de la formation et l’accès aux ressources communautaires pouvant éclairer les juges sur la diversité des expériences de ceux qui se présentent devant les tribunaux canadiens. Il serait utile de voir cela dans le projet de loi.

Merci beaucoup de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à nouveau à vous. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, maître Tachie.

Nous allons maintenant passer aux questions et aux discussions avec les sénateurs, en commençant par le sénateur Dalphond, le parrain du projet de loi.

Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup aux témoins qui comparaissent en personne et à distance. Je pense qu’il est toujours bon d’entendre des gens qui ont des commentaires et des points de vue intéressants à offrir.

Mes questions s’adressent à M. Devlin, parce que je pense qu’il avait davantage à dire que ce qu’il a pu dans les cinq minutes dont il disposait. J’ai noté beaucoup de points, et je ne pourrai pas les aborder tous. Je vais commencer par un, et je suppose que mes collègues se chargeront des autres.

En ce qui concerne le dernier point que vous avez soulevé au sujet des données, des plaignants, du traitement des plaintes et de la nature des plaintes, je suppose que vous faites allusion au fait que le rapport annuel, que j’ai en main, comporte certains chiffres, mais qu’il s’agit uniquement d’une entrée en matière en ce qui concerne le processus de plainte. Vous souhaiteriez donc obtenir plus d’information. Peut-être pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet.

L’un des autres enjeux que vous avez mentionnés concernait les données sur les plaignants, qui seront, je suppose, invités à remplir une sorte de formulaire — sans que ce soit obligatoire, j’imagine — pour déclarer leur sexe, leur appartenance ou leur identification à un groupe racisé ou à la communauté LGBTQ, comme c’est le cas, par exemple, lorsqu’ils sont jugés ou pour d’autres raisons. Pouvez-vous nous dire ce que vous souhaitez exactement et ce que nous pourrions inviter le conseil à faire, afin que nous puissions formuler des observations à inclure dans les prochains rapports?

M. Devlin : Merci, sénateur Dalphond.

Je suis probablement l’une des rares personnes au Canada à avoir lu tous les rapports annuels publiés par le Conseil canadien de la magistrature depuis les années 1980. Ces rapports ont évolué au fil des ans. Dans les années 1980, ils étaient assez minces, avec peut-être une dizaine de pages, mais ils ont fini par atteindre 60 ou 70 pages au fil des ans. Dans les années 1970, 1980 et 1990, ils étaient assez étoffés. Ils abordaient les difficultés qui se posaient et les plaintes qui étaient reçues. Ils portaient sur le droit de la famille et sur les plaideurs non représentés. Ces rapports étaient très complets. Depuis 2016 environ — je vois que vous en avez un devant vous —, ils sont devenus très minces. Ils comportent essentiellement des diagrammes circulaires et des graphiques qui ne donnent aucune idée des problèmes qui se posent.

L’idée ici n’est pas nécessairement de revenir à quelque chose d’aussi descriptif que par le passé, mais plutôt de déterminer s’il y a des tendances dans les processus de traitement des plaintes. Sont-elles liées à la race? Sont-elles liées au sexe? Concernent‑elles des événements qui se sont produits devant les tribunaux ou d’agissements de juges à l’extérieur des tribunaux? Les critères que j’ai déterminés — et il y en a peut-être beaucoup d’autres — comprendraient, encore une fois, la distinction entre l’inconduite potentielle à l’intérieur du tribunal ou à l’extérieur du tribunal. Ils pourraient inclure aussi la compétence en ce qui concerne, soit la connaissance du droit ou la capacité de traiter les gens avec la dignité et le respect appropriés dans la salle d’audience, soit des éléments de discrimination. Il s’agit là d’au moins trois critères qui, à mon avis, seraient utiles.

Pour ce qui est de l’aspect démographique, au sujet duquel d’autres personnes ont peut-être des opinions plus élaborées, je crois certainement que les variables liées au sexe seraient importantes ici, tout comme celles liées à la race, à l’identité sexuelle et à l’incapacité. Pour répondre à votre question, tout cela serait évidemment assujetti à la divulgation volontaire. On ne peut pas obliger les gens à s’auto-identifier. Il pourrait y avoir d’autres éléments dans la plainte proprement dite. Il pourrait s’agir d’une autre case permettant de les identifier ou d’autres options ou variables qui pourraient être incluses.

Je pense que l’un des témoins précédents de la table ronde a mentionné que ce qui est mesuré est comptabilisé. Il s’agit d’une affirmation très efficace pour montrer que nous avons besoin de données pour vraiment comprendre ce qui se passe dans le processus. Il y a beaucoup d’allégations et de préoccupations dans la collectivité en général au sujet de l’inconduite judiciaire, et si nous avions des données concrètes, nous saurions si ces préoccupations sont fondées et, le cas échéant, nous pourrions prévoir d’autres réformes pour tenter d’y donner suite. Il s’agit en fait de connaissances destinées à nous aider à concevoir de meilleurs systèmes.

J’espère que cela répond à votre question.

Le sénateur Dalphond : Vous ne demandez pas des données qui identifient les juges comme tels, mais plutôt des données agrégées. Il y a de nombreuses plaintes au sujet, par exemple, de commentaires inappropriés. La situation est différente s’il y en a une ou s’il y en a 300 par année. Il faudrait peut-être plus de formation sur cette question, par exemple.

M. Devlin : C’est exact. Par exemple, il peut y avoir un enjeu particulier concernant une décision d’un juge, du sujet duquel de nombreuses personnes sont mécontentes. Il se peut que cela ne concerne qu’un juge, mais qu’il y ait 300 plaintes. Il ne s’agit toutefois que d’un enjeu du point de vue de l’intérêt public. Il pourrait aussi y avoir le cas où il n’y a qu’une seule plainte, mais une plainte très importante, même si elle ne touche qu’une seule personne. Encore une fois, c’est le genre d’information qu’il faut recueillir, plutôt que de se contenter de chiffres bruts qui ne nous donnent pas une idée réelle des problèmes.

Le sénateur Dalphond : Me reste-t-il du temps?

Le président : Pas vraiment. Je pense que nous aurons peut‑être du temps pour un deuxième tour, selon le nombre de questions.

La sénatrice Batters : Mes questions s’adressent à M. Devlin. Merci d’être parmi nous. J’apprécie tout le travail que vous faites dans ce dossier important.

Tout d’abord, je veux commencer par ce que vous avez brièvement eu l’occasion d’aborder aujourd’hui et ce que vous avez dit dans votre témoignage devant le Comité de la justice de la Chambre des communes. Pour commencer, j’aimerais me concentrer sur la quatrième préoccupation que vous avez énoncée en ces termes :

Quatrièmement, les recours en cas d’inconduite ne sont pas suffisamment complets. Ils n’incluent pas le pouvoir de suspendre, ce qui compromet les principes de transparence et de proportionnalité.

Cet aspect particulier me préoccupe également, professeur Devlin. Pourriez-vous nous en dire davantage au sujet de vos préoccupations concernant les recours en cas d’inconduite et nous indiquer pourquoi, à votre avis, il est important que ces recours comprennent le pouvoir de suspendre un juge?

M. Devlin : Merci beaucoup.

Tout d’abord, il est très important que le projet de loi contienne les sept recours possibles, qui n’existaient pas auparavant, les recours se limitant à une simple recommandation de révocation. Le Conseil canadien de la magistrature a utilisé bon nombre de ces recours sans pouvoirs législatifs au fil des ans, alors tout ce que cela ferait, c’est codifier la pratique dans les faits.

Le seul recours qui manque est la suspension, parce que les sept sanctions mentionnées aux articles 102, 113 et 120 sont en fait relativement légères. On passe soudainement de cela à une recommandation de révocation, ce qui n’a rien d’un processus graduel. La suspension comblerait le vide entre les deux. De plus, bon nombre de ces recours peuvent être privés. Ils ne sont pas nécessairement publics. La préoccupation est double : il y a un écart considérable, et les recours peuvent demeurer privés.

Je ne sais pas s’il est approprié d’identifier ici un certain nombre de cas où des juges auraient pu être suspendus pour inconduite, mais où ils ne l’ont pas été et où on n’est pas allé aussi loin que la révocation, mais je peux mentionner certains cas qui, à mon avis, auraient justifié, sinon une révocation, à tout le moins une suspension. Je pense notamment aux juges de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans l’affaire Marshall, qui ont dit que Donald Marshall fils était en quelque sorte responsable de son destin. On peut penser au cas du juge Boilard, au Québec, qui, fâché de certaines critiques à son endroit, s’est retiré d’une affaire importante de motards. Sauf erreur, il en a coûté des millions de dollars pour relancer le procès. Certains diront que le cas récent du juge Spiro concernant un processus d’embauche universitaire pourrait mériter une suspension. Puis, récemment aussi, des préoccupations ont été exprimées au sujet du juge Clackson, en Alberta, qui a fait des commentaires discriminatoires au sujet d’un témoin expert nigérian.

Il y a un certain nombre de cas où les recours qui existent actuellement ne sont peut-être pas suffisants, et je pense que le pouvoir de suspendre un juge pourrait s’appliquer à deux étapes. La première pourrait être pendant que l’enquête est en cours, afin de protéger le public contre un juge au sujet duquel il existe des préoccupations liées à la discrimination, par exemple. L’autre étape pourrait être une fois le processus terminé, une suspension pouvant être appropriée pour signifier des préoccupations au sujet d’une inconduite, cette dernière n’était pas assez grave pour justifier la révocation, mais l’était suffisamment pour imposer une sanction sévère au juge pour cette inconduite. On pourrait donc ainsi remplir deux fonctions.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup.

Lorsque j’ai interrogé le ministre Lametti à ce sujet, il a renvoyé la question à un des fonctionnaires présents ce jour-là, qui a répondu que, selon lui, si la situation était suffisamment grave pour envisager une suspension ou une réduction de salaire, elle l’était peut-être assez pour envisager la révocation. J’ai été surpris par ce raisonnement, surtout parce qu’un certain nombre de provinces, comme je l’ai appris récemment, ont le pouvoir de suspendre un juge avec ou sans salaire. Il s’agit, bien sûr, de juges nommés par les provinces. Je ne vois pas vraiment quelle serait la différence dans ce cas particulier. Qu’avez-vous à dire au sujet de la capacité des provinces?

M. Devlin : Je conviens que ce raisonnement ne m’a pas persuadé. J’ai lu la transcription. Je tiens cependant à préciser que, dans certaines provinces, les juges des cours provinciales peuvent être suspendus, tout comme les juges de l’Australie, de l’Angleterre, du pays de Galles, des Pays-Bas et des États-Unis. Ce sont des démocraties semblables à la nôtre, alors je ne crois pas que cela ne présente une menace particulière à l’indépendance judiciaire. Beaucoup d’autres démocraties avancées le font. Il existe de solides précédents à cet égard.

J’aimerais aussi souligner que les juges en chef peuvent aussi suspendre temporairement des membres. Le problème, c’est qu’on se retrouve avec un système qui manque de cohérence. Un juge en chef pourrait penser qu’une action mérite une suspension, mais un autre pourrait être d’avis contraire, alors qu’il existerait une certaine uniformité par l’entremise du Conseil canadien de la magistrature. De cette façon, il y aurait au moins une approche cohérente en matière de suspension.

Je ne pense pas que ce soit une suggestion radicale. Je pense que c’est logique si nous voulons un continuum de sanctions possibles. Cela s’intègre très bien et évite un écart important.

La sénatrice Batters : Exactement. Et voudriez-vous...

Le président : Puis-je vous inviter à poser votre question au deuxième tour?

La sénatrice Batters : Certainement.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse à M. Devlin.

J’ai suivi attentivement votre témoignage et ma première question est la suivante : si aucun amendement n’est apporté au projet de loi actuel — et c’est ce que vous suggérez —, croyez‑vous que la confiance du public peut être altérée ou que la confiance envers les juges, qui seraient amenés à être évalués, pourrait être altérée? La confiance du public pourrait-elle être altérée si le projet de loi est adopté tel quel?

[Traduction]

M. Devlin : Merci, sénateur Boisvenu.

J’ai l’impression que, tout d’abord, jusqu’à tout récemment, ce projet de loi n’était pas dans la ligne de mire de nombreux Canadiens. Cela dit, je pense qu’il y a suffisamment de cas au Canada pour que les gens se demandent de plus en plus s’il existe un régime approprié pour assurer la reddition de comptes des juges canadiens.

Si ces modifications ne sont pas apportées, il y aura des préoccupations quant au sérieux des plaintes et des plaignants dans le processus. Par exemple, dans la loi, il y a 15 références aux droits procéduraux des juges, mais une seule aux droits des plaignants. Il y a manifestement un déséquilibre entre les droits et les intérêts légitimes des juges et ceux des plaignants. Je pense que de nombreux plaignants diront que rien n’a vraiment changé de façon significative avec ce nouveau régime.

Il en va de même pour la représentation des non-juristes. Les défenseurs du projet de loi ont souligné l’importance de la représentation des non-juristes. Comme je l’ai mentionné, celle‑là n’a lieu qu’à deux étapes d’un processus en cinq étapes. Encore une fois, la représentation des non-juristes semble être ponctuelle et sporadique au lieu d’être intégrée à l’ADN de la loi.

Donc, les gens pourraient examiner la loi et penser qu’il y a eu des améliorations, et oui, cette loi comporte certainement des avantages, mais on manque une occasion de l’adapter vraiment aux besoins des Canadiens en 2023 et à l’avenir.

En 2018, le juge en chef affirmait que nous avions un régime des années 1970 s’appliquant au milieu des années 2010. Je pense que si ce projet de loi est adopté tel quel, sans modifications, cela signifiera que nous aurons un régime du début des années 2000 qui s’appliquera aux années 2020 et 2030. Je pense que nous avons peut-être une dizaine d’années de retard par rapport aux attentes du public en matière de reddition de comptes.

Le président : Monsieur Devlin, pourriez-vous faire attention de ne pas approcher l’oreillette du microphone? Cela produit un retour sonore pour ceux qui écoutent. Vous en aurez peut-être besoin pour la prochaine question, mais si vous la déposez, ce sera plus sécuritaire pour notre...

M. Devlin : Désolé. La technologie n’est pas mon point fort. Toutes mes excuses.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma deuxième question, monsieur Devlin, porte sur le rapport du CCM. Vous avez fait référence au Conseil canadien de la magistrature, pour les gens qui nous écoutent. Croyez-vous que les rapports actuels manquaient de transparence, et croyez-vous que les contenus de ces rapports devraient être revus pour être encore plus explicites quant au type d’infractions ou de comportements qui sont jugés?

[Traduction]

M. Devlin : Merci beaucoup.

Comme je l’ai mentionné en réponse à l’une des questions précédentes, les rapports sont utiles. Ils fournissent des données, mais celles-ci sont, en un sens, très éparpillées. Elles sont quantitatives plutôt que qualitatives. Je pense que les gens veulent comprendre comment le système fonctionne vraiment. Nous avons des chiffres ici, mais quels sont les vrais problèmes auxquels les gens sont confrontés avec les juges au Canada? Comment la magistrature réagit-elle à ces problèmes? Comme je l’ai déjà dit, les rapports doivent être plus complets. Il n’est pas nécessaire qu’ils comprennent à nouveau de 80 à 90 pages, mais il faut simplement qu’ils soient plus précis quant aux types de préoccupations. Par exemple, les plaintes sont-elles formulées dans le contexte du droit de la famille, du droit pénal ou du droit fiscal? Quel est le contexte? Les rapports doivent être plus contextuels, avec beaucoup de données, mais aussi un peu plus qualitatifs, et ils doivent comporter des évaluations.

Dans certains des rapports antérieurs, le juge en chef, en les rédigeant, s’est penché sur l’état actuel de la magistrature. Il s’agissait presque de discours sur l’état de la nation, mais concernant la magistrature. Ces rapports portaient l’empreinte de la personnalité du juge en chef. Les rapports plus récents semblent essentiellement être rédigés par un administrateur qui fournit des données, mais ils ne donnent aucune idée du rendement de la magistrature. Des rapports un peu plus réfléchis et contextuels informeraient le public de la position de la magistrature et des efforts qu’elle déploie pour s’assurer que nous avons la meilleure magistrature au monde.

La sénatrice Jaffer : Ma question s’adresse à vous, maître Tachie. J’imagine qu’avec ce projet de loi, le gouvernement veut que les gens aient confiance dans les juges et dans le processus de traitement des plaintes. Qu’avez-vous entendu de la part des membres de votre association au sujet du processus de traitement des plaintes, et quelles sont les lacunes?

Me Tachie : Merci, sénatrice Jaffer.

Premièrement, notre association suit de très près certaines plaintes judiciaires parce qu’elles ont eu des répercussions directes sur nos collectivités. J’ai écouté avec intérêt les commentaires de M. Devlin au sujet de la suspension comme moyen de recours. L’une des choses dont nous devons tenir compte, c’est que la suspension, selon la façon dont on l’applique, peut favoriser les préjugés, en particulier à l’égard de certaines catégories de juges. Nous savons, par exemple, que certains juges noirs, lorsqu’ils fournissent des analyses et qu’ils tiennent compte de la race, suscitent une réaction négative de la part de la collectivité, que ce soit dans les journaux ou suivant divers commentaires. Ce que nous voulons souligner, c’est que le processus de traitement des plaintes est efficace s’il est transparent, comme nous pouvons tous le constater — et ma collègue Me Davis en parlera un peu, si l’occasion se présente —, mais surtout, le processus d’application des recours est également important parce qu’il peut favoriser les préjugés à l’égard de certaines catégories de juges qui sont parfois mieux mis en lumière et qui ont une plus grande portée en la matière. Bien que le projet de loi constitue un grand pas en avant, nous devons réfléchir de façon délibérée à l’efficacité du processus ainsi qu’aux types de recours disponibles et à la façon dont ils sont appliqués.

Le président : Aimeriez-vous faire d’autres observations?

Me Tachie : Cette question s’adressait-elle à nous?

Le président : Maître Tachie, vous avez dit que Me Davis voudrait peut-être parler des enjeux et des attentes en matière de transparence.

Me Rosemarie Davis, vice-présidente, Association des avocats noirs du Canada : Merci beaucoup de cette question.

Pour revenir à ce que mon collègue a dit, le manque de transparence engendre de la méfiance, évidemment, dans la communauté, et nous l’observons à l’heure actuelle. Vous avez peut-être entendu mon collègue parler de l’incident qui s’est produit à la Cour canadienne de l’impôt et les plaideurs de la foi musulmane, au sujet d’une politique qui avait été mise en œuvre par la Cour canadienne de l’impôt vers 2020. Lorsqu’une communauté n’est pas mise au courant et ne connaît pas la raison d’être d’une politique, son objet et la façon dont elle touche un groupe particulier et, dans ce cas-ci, des communautés marginalisées, tout cela alimente la méfiance déjà présente à l’égard du système. Le projet de loi nous donne certes l’occasion de réfléchir à la meilleure façon de rendre le processus décisionnel du comité d’examen plus visible et plus transparent. C’est extrêmement important. Quand on sait à quoi on a affaire, quand on sait comment on est touché par une politique ou un processus décisionnel, on peut mieux s’y préparer.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Jaffer : Maître Davis, je tiens à vous exprimer ma frustration à la lecture de ce projet de loi, qui renferme des termes très neutres comme « discrimination » et des notions qui n’ont plus cours dans la société. C’est un problème systémique, et non une simple question de discrimination. J’ai l’impression que le système judiciaire ou le gouvernement est en retard. Ils ne nomment pas le problème. Je sais que vous avez travaillé fort pour nommer le problème. Comment voyez-vous, après avoir lu ce projet de loi, l’importance de nommer le problème?

Me Davis : Je conviens qu’il ne faut pas jouer à l’autruche. Nous vivons à une époque où il y a de la discrimination systémique. Nous le sentons. Je peux parler de ma propre expérience. Il est important d’appeler un chat un chat. Ces projets de loi, tels qu’ils sont rédigés, doivent être clairs. Peut‑être qu’une façon de réaliser cet objectif consisterait à nous parler — comme le Sénat le fait maintenant — et de consulter les personnes qui vivent ces expériences. Nous ne devons pas avoir peur de parler de discrimination raciale, de discrimination systémique. Vous avez raison de dire que le libellé est vague. Je n’ai peut-être pas le bon libellé, mais l’occasion est belle de déterminer ce que devrait être ce libellé.

La sénatrice Jaffer : La discrimination pourrait viser n’importe quel groupe, et je trouve frustrant que ce projet de loi ne mentionne pas les différentes formes de discrimination systémique, parce que le mot « discrimination » est devenu — peut-être à la différence d’autrefois — très neutre.

Me Davis : Vous avez raison. Je suis d’accord avec vous, sénatrice. En fait, la discrimination pourrait être fondée sur l’orientation sexuelle. Elle pourrait viser les personnes handicapées ou être fondée sur l’identité de genre. Nous avons ici l’occasion d’être plus clairs et de donner plus de détails sur les formes de discrimination qui existent et que les gens subissent au niveau communautaire.

Le président : Merci, maître Davis.

Le sénateur Klyne : Bienvenue à notre groupe de témoins.

Ma première question s’adresse à M. Devlin. Vous avez laissé entendre dans votre témoignage devant la Chambre des communes que l’article 87 est insatisfaisant parce que le plaignant est exclu du processus une fois la plainte déposée. Vous avez aussi laissé entendre que le plaignant devrait avoir le droit d’être informé de l’évolution de la plainte et qu’il devrait être informé des motifs de son rejet, le cas échéant. S’il y a des audiences ou un appel, il devrait également avoir le droit d’y participer, et il devrait avoir le droit de demander le réexamen d’une décision à n’importe quelle étape du processus. Cela est particulièrement important si l’agent de contrôle, l’examinateur du Conseil canadien de la magistrature, le CCM, ou le comité d’audience restreint rejette la demande.

En ce qui concerne la demande de réexamen, l’équité procédurale serait-elle servie ou satisfaite si certains motifs de réexamen étaient donnés, comme l’autorisation d’une demande de réexamen en raison d’un comité d’audience restreint?

M. Devlin : Je n’ai pas compris la dernière partie de votre question. Pourriez-vous la répéter? Je l’ai manquée. Je suis désolé.

Le sénateur Klyne : Oui. Je me demande simplement si l’équité procédurale pourrait être satisfaite si certains motifs de réexamen étaient donnés, comme l’autorisation d’une demande de réexamen en raison d’un comité d’audience restreint.

M. Devlin : La discussion concernant le réexamen découle d’un cas particulier en Ontario. Le réexamen n’est prévu nulle part dans les politiques ou les règlements du CCM. Une plainte a été déposée contre un juge en Ontario par des membres d’une communauté autochtone. La plainte a été rejetée. L’Association du Barreau autochtone a demandé un réexamen de cette décision. Cette demande a été d’abord rejetée par un membre du comité judiciaire à l’étape de l’examen initial. Elle a ensuite été réexaminée, puis elle a été soumise à un processus d’examen, un processus d’enquête. Cela a pris environ deux ou trois ans, et le juge avait alors atteint l’âge de la retraite et le processus a pris fin. Le problème, c’est qu’il n’y a rien dans les règlements administratifs ni nulle part ailleurs qui prévoit un droit de réexamen. Ce processus semble être entièrement ponctuel.

Ensuite, le droit de demander un réexamen doit être prévu à différentes étapes du processus, surtout à celles où il n’y a pas de représentation par des non-juristes. Dans ces derniers cas, par exemple, au comité d’audience restreint, il devrait y avoir réexamen. J’essaie de concilier l’idée de réexamen et la représentation par des non-juristes. C’est pourquoi il est particulièrement important de revenir à l’étape de l’examen initial, parce que la grande majorité des plaintes sont rejetées très tôt. Seulement 10 % ou moins des demandes aboutissent aux dernières étapes du processus.

Lorsque vous en arrivez à la question de... de quelle étape parliez-vous déjà?

Le sénateur Klyne : Ma question portait sur les motifs de réexamen, probablement à la fin.

M. Devlin : Dans l’actuel...

Le sénateur Klyne : Parce qu’ils ne peuvent pas participer.

M. Devlin : La dernière étape du processus est la suivante : une fois que le comité d’audience a rendu sa décision, il est possible d’interjeter appel auprès du comité d’appel. Je ne dirais pas qu’il est nécessaire de prévoir un réexamen parce qu’il y a un mécanisme d’appel. Les demandes de réexamen sont, à mon avis, plus importantes aux premières étapes du processus qu’aux étapes ultérieures, car le régime proposé prévoit des mécanismes d’appel, qui sont différents du réexamen. C’est une occasion d’examiner davantage le processus, mais pas nécessairement aux étapes ultérieures. Il est plus important de se concentrer sur les premières étapes.

Le sénateur Klyne : Vous pouvez donc probablement dire à n’importe quelle étape du processus?

M. Devlin : Oui, il faut une deuxième occasion de repenser le processus. Le régime proposé le permet parfois, mais pas toujours. La Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale ont déclaré que le CCM n’est pas une institution infaillible. Parfois, les gens font des erreurs. Il devrait toujours être possible de réfléchir à l’amélioration. Je ne sais pas si cela vous aide.

Le sénateur Klyne : J’aimerais poser une question connexe à Me Tachie ou à Me Davis. Êtes-vous d’accord avec M. Devlin pour dire que les plaignants devraient avoir le droit de participer? Dans l’affirmative, comment et dans quelle mesure devraient-ils pouvoir le faire?

Me Tachie : Je suis d’accord avec M. Devlin pour dire qu’un plaignant devrait avoir le droit de participer, sous réserves de quelques mises en garde qui faisaient partie de mes observations initiales. Dans certains cas, le plaignant n’a pas la capacité de participer pleinement. L’accès et le recours à des associations, à des groupes et à des organisations qui travaillent avec des communautés particulières, lorsque le plaignant provient de cette communauté, pourraient être des moyens utiles de tenir compte de l’opinion d’une collectivité lorsque la plainte, par exemple, touche une communauté autochtone, une communauté noire ou une communauté immigrante en particulier. C’est une façon utile de mettre en contexte toute l’expérience qu’une personne peut vivre devant un tribunal ou devant un juge.

Le président : Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci aux témoins d’être des nôtres aujourd’hui.

J’aurais une question pour le professeur Devlin et pour Me Tachie.

Dans votre présentation, il me semble que vous avez fait ressortir le fait que les attentes vis-à-vis de tout ce qui tourne autour du monde de la justice sont beaucoup plus élevées par rapport à certaines exigences. Vous avez énoncé un certain nombre de principes. Je suis d’accord sur cela.

Le projet de loi C-9 semble-t-il répondre à une volonté du gouvernement de réduire les coûts? Un juge, à l’heure actuelle, peut contester une décision à plusieurs étapes. Cela peut prendre des années et cela coûte très cher. On peut présumer que le projet de loi C-9 répond à cette question. Est-ce que le projet de loi C-9 répond à autre chose que cela? J’ai de la difficulté à le voir.

[Traduction]

M. Devlin : Merci beaucoup de la question.

Vous avez parfaitement raison de dire que les préoccupations relatives à l’efficacité et aux coûts sont en grande partie à l’origine de ce projet de loi. Il y a eu quelques cas au cours des dernières années qui ont duré six ou sept ans. L’un d’eux a duré près de 10 ans. Il y a eu des problèmes concernant les coûts, les frais juridiques et le calendrier du CCM. Il y a eu des problèmes concernant les prestations de retraite et les pensions des juges. Ces gains d’efficacité et ces coûts ont pris une place démesurée dans ce projet de loi.

Si nous voulons obtenir la confiance du public, l’efficacité est une préoccupation. Les gens s’inquiètent certainement de la possibilité que des juges étirent le processus pendant trop longtemps, comme le gouvernement l’a indiqué. Mais le public s’inquiète aussi de la reddition de comptes, de la transparence et de la participation représentative dont j’ai parlé. Si vous voulez aspirer à cette notion abstraite de la confiance du public, vous devez essayer de toucher à plusieurs points clés.

Essentiellement, ce projet de loi tente de mettre l’accent sur l’importance des droits procéduraux des juges — ce qui est tout à fait approprié — et de l’efficacité, mais il n’en fait pas assez pour appuyer les plaignants, pour inclure la représentation par des non-juristes ou pour assurer une transparence suffisante. Le projet de loi constitue certes une amélioration par rapport au régime actuel, mais il n’est pas suffisamment bien calibré pour ce qui est d’essayer de faire entrer ces autres formes de biens publics importants.

Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question.

[Français]

La sénatrice Dupuis : En ce qui concerne la question de l’efficacité du régime pour les femmes, qui sont souvent victimes de discrimination dans le processus judiciaire, la réponse du projet de loi C-9 n’est pas du tout satisfaisante. Cela leur coûtera moins cher en impôt, mais elles n’ont aucune assurance sur le plan de la transparence ou de la justice. Si elles veulent déposer une plainte, elles seront mieux reçues qu’elles ne l’étaient jusqu’ici, n’est-ce pas?

[Traduction]

M. Devlin : Selon l’analyse que je vous présente aujourd’hui, si vous étiez un plaignant et si vous aviez une préoccupation particulière concernant, par exemple, la discrimination fondée sur le sexe, je ne pense pas que les plaignants profitent de droits suffisants dans le processus à l’heure actuelle. Par conséquent, l’Association canadienne pour l’éthique juridique dit que nous devons en faire davantage pour défendre les droits des plaignants. Les plaintes sont diversifiées, comme Me Tachie et Me Davis l’ont indiqué, en fonction de la race, du sexe, de l’identité de genre ou du handicap. Encore une fois, le projet de loi accorde la priorité à une certaine forme de bien public, ce qui est un pas dans la bonne direction, mais il pourrait en faire un peu plus.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Maître Tachie, pourriez-vous me dire si j’ai bien compris vos propos?

Je ne sais pas si votre organisation a été consultée par le ministère de la Justice. Vous avez parlé de la formation sur le contexte social. J’ai cru comprendre que vous suggéreriez que des organisations comme la vôtre, qui peuvent être décrites comme des ressources communautaires, devraient être des interlocuteurs auprès du Conseil canadien de la magistrature pour donner de la formation et déterminer son contenu.

[Traduction]

Me Tachie : Non, ce n’est pas exactement ce que j’ai dit. L’Association des avocats noirs du Canada, l’AANC, représente certes un type d’expérience des Canadiens de race noire. Par exemple, nous sommes tous avocats. Nous ne sommes pas représentatifs de toute l’ampleur et de la mosaïque de l’expérience des Noirs au Canada, par exemple. Je ne suggère pas que nous soyons au centre de la formation, mais puisque nous plaidons et représentons des clients devant des juges, nous vivons certaines expériences que nous pouvons faire connaître. Ce que je suggérais, c’est que l’élaboration de la formation tienne compte des points de vue et des expériences de diverses ressources communautaires, mais pas spécialement de l’AANC. En fait, nous n’offrons pas de formation en ce sens. C’est ce que je voulais dire. J’espère que cela vous éclaire.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci, cela répond à ma question.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Merci aux témoins.

Ma première question est très simple. Ce que le ministre Lametti a dit, entre autres choses, en présentant ce projet de loi, c’est que les Canadiens doivent savoir que le système judiciaire est équitable pour tous, puis il a vanté ce projet de loi comme un moyen d’accroître la confiance du public dans notre système judiciaire. Je pense que vous avez exprimé très clairement, monsieur Devlin, votre opinion à ce sujet, tout comme l’AANC. J’aimerais savoir si vous avez été consultés. Vous êtes un expert en la matière, puisque vous avez écrit deux livres et que vous enseignez dans ce domaine. Vous avez participé à la formation des juges. Avez-vous été consultés au sujet de ce projet de loi?

M. Devlin : L’Association canadienne pour l’éthique juridique a répondu au premier document de travail publié en 2016. J’avoue que j’avais oublié que nous avions répondu à cette question parce que c’était en 2016, et simplement parce que notre présidente, Amy Salyzyn, a réussi à trouver dans nos propres archives un document montrant que nous avions répondu, mais ce document date de sept ou huit ans maintenant. C’était en grande partie une réponse au ministère de la Justice, qui tirait des plans sur la comète selon moi à ce moment-là. Nous n’avons certes pas été consultés de quelque façon que ce soit lorsque ce projet de loi était en cours d’élaboration. Je comparerais cela au processus entourant la création des principes de déontologie révisés pour les juges, qui ont été publiés il y a de cela quelques années. Dans le cadre de ce processus, non seulement y avait-il une sorte de projet farfelu initial, mais une fois que les principes ont commencé à être formulés, les gens ont été invités à donner leur avis. Les gens savaient précisément à quoi ils répondaient. Nous n’avons pas été consultés officiellement. Nous surveillions l’évolution de la situation. Comme cela s’est également produit au début de la pandémie, personne n’était particulièrement intéressé par ce parcours au début des années 2020. Ce n’est qu’au cours des six derniers mois, je dirais, que les gens ont commencé à prêter attention à ce projet de loi. Nous n’avons donc pas été consultés officiellement.

La sénatrice Pate : Je vous remercie.

Vous avez formulé un certain nombre de recommandations. Je sais qu’il est tard dans le processus et que, malheureusement, nous allons passer rapidement à l’étude article par article. Avez‑vous des propositions d’amendements que vous pourriez communiquer au comité?

M. Devlin : Je pourrai essayer d’y travailler, c’est le mieux que je puisse dire.

La sénatrice Pate : Si vous le pouviez, ce serait extrêmement utile. Merci beaucoup. En fait, nous en aurions besoin ce soir.

Ma prochaine question s’adresse à vous et à l’AANC. Il me semble que votre expertise et vos connaissances dans ce domaine sont d’une importance vitale. Comme vous nous avez déjà fait part de votre position sur les données désagrégées, je ne vais pas vous poser de questions à ce sujet, mais il y a eu tellement de cas, comme l’ont mentionné certains de mes collègues, qui ne se rendent jamais à l’étape de la plainte parce que les gens ne font pas confiance au processus ou au système. Comment recommanderiez-vous que nous surveillions les cas qui vont dans ce sens?

Je pense notamment à un certain nombre de cas d’agression sexuelle ou de violence faite aux femmes où il est très clair qu’il y a des attitudes sexistes et racistes, des attitudes fondées sur la classe, l’identité de genre, les questions de genre en général et les questions de handicap que vous avez cernées et qui ne sont jamais catégorisées. Y a-t-il un moyen, selon vous, de comparer les cas et les résultats pour voir où les juges agissent de certaines façons afin de nous pencher sur les problèmes systémiques?

M. Devlin : Est-ce que Me Tachie devrait commencer? Comme je suis présent dans la salle, je fais peut-être l’objet d’une plus grande attention. Il devrait peut-être commencer, puis je pourrai poursuivre.

La sénatrice Pate : C’est une excellente idée. Merci.

Me Tachie : Dans la même veine, je vais demander à ma collègue, Me Davis, si elle a d’autres idées.

Sénatrice Pate, j’aimerais soulever un point très intéressant, à savoir que du point de vue de l’AANC, nous sommes d’accord, mais nous nous méfions aussi des abus possibles. M. Devlin a parlé des mesures et des rapports, ainsi que de la nature des rapports. Il s’agit d’une ressource utile à diffuser pour que des organisations comme l’AANC et l’Association du Barreau autochtone, qui participent à la vie communautaire et qui observent des problèmes systémiques, puissent les cerner. La deuxième chose, et la réponse directe à votre question, c’est que c’est une occasion pour ces organisations de soulever parfois ces questions si le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, le FAEJ, ou l’AANC, par exemple, constatent différents points de vue et différentes plaintes qui pourraient ne pas se manifester sur une base individuelle, mais qui peuvent être soulevés et qui peuvent avoir une base systémique. J’y vois donc une belle occasion, mais je crains aussi les abus. Comme je n’ai pas approfondi ma réflexion à ce sujet, je serais prudent à savoir jusqu’où cela devrait aller. Je crois qu’il s’agit d’examiner la capacité des collectivités de déposer des plaintes.

Je vais m’arrêter ici, et s’il y a autre chose, je serai heureux d’y répondre plus tard.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Dalphond : Pour faire suite à nos discussions au sujet du niveau de participation des plaignants, si nous examinons le rapport — qui n’est pas très détaillé —, nous savons que 336 plaintes ont été déposées, selon le rapport de l’an dernier, et que 303 d’entre elles ont été closes, ce qui, je suppose, signifie que certaines étaient liées à des juges de la cour provinciale et que d’autres provenaient de gens qui abusent du processus, de gens qui ne comprennent pas la différence entre une plainte et un appel concernant le fond d’un jugement, par opposition au comportement du juge. N’est-il pas dangereux d’établir un trop grand nombre de processus d’examen? La plainte est rejetée, de sorte que le plaignant peut passer à un autre palier pour que soit examiné le rejet de sa plainte?

M. Devlin : Bien sûr. C’est vraiment une explication de la préoccupation relative à l’efficacité. S’il y a eu 300 plaintes, et en fait, il y en a eu 600 au cours des dernières années, c’est préoccupant.

Il me semble qu’il y a, de façon générale, trois raisons pour lesquelles les plaintes peuvent être rejetées, et vous en avez parlé. L’une des raisons est peut-être que la plainte vise en fait un juge de la cour provinciale. Ce n’est pas difficile à expliquer. Si quelqu’un veut un réexamen dans un tel cas, la réponse est très simple. Cela ne demande pas beaucoup de ressources. Deuxièmement, si la plainte porte sur une distinction entre un appel et une allégation d’inconduite, encore une fois, ce n’est pas difficile à expliquer. Les gens ne l’entendront peut-être pas, mais au moins vous vous êtes assuré, en tant qu’administrateur du processus, que vous n’avez rien oublié. Troisièmement, comme Me Tachie et d’autres l’ont laissé entendre lors de réunions précédentes, il semble y avoir des tendances ici en ce qui concerne le sexe, la race ou d’autres catégories pour lesquelles il faut donner des raisons complètes pour justifier le rejet. Le simple fait qu’une plainte soit rejetée par un agent de contrôle sans donner de véritables motifs ne peut qu’engendrer des soupçons dans la collectivité en général.

Les gens disent parfois qu’il s’agit simplement d’une fonction administrative et qu’ils éliminent les plaintes inappropriées. Les gens qui déposent des plaintes ne voient pas cela comme une relation entre un processus décisionnel et un processus administratif. Pour eux, c’est déterminant. C’est la fin du chemin. Si les gens ont une plainte à formuler, on devrait au moins leur donner une raison de la rejeter. Il n’est pas nécessaire que les raisons soient nombreuses. Si vous lisez une affaire intitulée Best...

Le sénateur Dalphond : Excusez-moi de vous interrompre, mais n’est-ce pas là l’objet des deux amendements à la Chambre des communes, les motifs à fournir...

M. Devlin : Mais ils concernent le comité d’examen. Ils ne concernent pas l’étape de l’examen initial. Cela viendra plus tard. Si votre plainte a été rejetée à l’étape de l’examen initial, vous n’arrivez jamais aux étapes visées par les amendements de la Chambre des communes.

Le président : Monsieur Devlin, je vous remercie de votre réponse et sénateur Dalphond de votre question.

La sénatrice Batters : Merci. Cela me semble être un bon amendement.

Monsieur Devlin, en ce qui concerne la représentation tardive dans ce processus, le ministre Lametti a admis que les commentaires recueillis lors des consultations publiques ont révélé un fort appui à une plus grande participation du public par l’entremise de non-juristes. À cette fin, il a fait remarquer que :

Premièrement, ils pourraient faire partie d’un comité d’examen dont le mandat serait de déterminer si une inconduite qui n’est pas suffisamment grave pour justifier la révocation d’un juge a eu lieu, puis de choisir la sanction appropriée dans les circonstances. Deuxièmement, un non‑juriste pourrait faire partie d’un comité d’audience plénier dont le mandat serait de déterminer si une inconduite grave justifie la recommandation de révocation des fonctions de juge.

Selon vous, pourquoi est-ce insuffisant? Comment pouvons-nous accroître la représentation par des non-juristes et à quoi cela servirait-il?

M. Devlin : Le ministre a raison. La participation des non‑juristes se fait à deux étapes. C’est un processus en cinq étapes. Pourquoi cela concerne-t-il deux étapes du processus et pas les autres?

Chose certaine, l’une des choses qui nous préoccupent le plus, c’est le comité d’audience restreint. C’est un groupe de trois personnes, soit un membre du CCM, un juge et un avocat. La question est donc la suivante : pourquoi y a-t-il un avocat et pas un non-juriste? Personne n’a parlé de l’importance d’avoir des avocats dans ce processus, mais soudainement, on fait intervenir un avocat à la place d’un non-juriste. Au minimum, l’avocat devrait être remplacé par un non-juriste.

Je pense également que les non-juristes devraient être représentés au sein du comité d’appel. Il est composé exclusivement de cinq juges, dont trois du CCM et deux de la Cour supérieure. Certains pourraient dire qu’au niveau de l’appel, on ne traite que de questions de droit et que, par conséquent, c’est l’endroit tout indiqué pour des juges. Mais en fait, lorsqu’on examine les dispositions pertinentes qui décrivent les pouvoirs du comité d’appel aux articles 134 et 131, leurs pouvoirs ne se limitent pas aux questions de droit. Ils ont en fait le pouvoir de reprendre la décision. Essentiellement, encore une fois, la représentation des non-juristes est exclue. Ce n’est pas comme une cour d’appel ordinaire. Le comité a en fait tout le pouvoir et l’autorité nécessaires pour prendre toutes les décisions qu’il veut, et il n’y a pas de participation de non-juristes.

À ce niveau, il y a au moins deux autres étapes où les non‑juristes pourraient être représentés au sein de ces organismes. Troisièmement, en ce qui concerne nos commentaires sur le réexamen, il n’est pas nécessaire que des non-juristes participent au processus d’examen initial en soi, mais s’il y a une demande de réexamen, nous proposons que les non-juristes soient représentés pour traiter ces demandes.

La sénatrice Jaffer : Je vais céder mon temps de parole à la sénatrice Pate. Êtes-vous d’accord, monsieur le président?

Le président : Tout à fait.

La sénatrice Pate : En fait, j’aimerais entendre la réponse que vous n’avez pas pu donner à ma dernière question.

M. Devlin : D’accord. Pour faire suite au commentaire de Me Tachie.

J’ai l’impression que c’est aussi une question d’information et d’éducation. Je pense que la façon d’y arriver, c’est d’avoir, comme nous l’avons proposé, des rapports annuels plus exhaustifs. Mais nous avons également besoin de chefs de file au sein de la magistrature pour... je pense que cela s’est produit dans des rapports antérieurs, dans lesquels le juge en chef a réfléchi aux défis à relever. Par exemple, il a été question des défis engendrés par le nombre croissant de parties non représentées. Cette situation a donné lieu à un processus et à un protocole pour les juges dans leurs rapports avec les parties non représentées.

Je pense qu’il existe des précédents selon lesquels, si on a l’information et les données, le juge en chef et les chefs de file de la magistrature peuvent dire qu’ils sont conscients de la situation, et qu’il y a effectivement une perte de confiance du public, qu’il s’agisse d’une communauté ou d’une autre, ils doivent dire qu’ils sont en train d’identifier des tendances, et qu’ils vont prendre des mesures proactives en tant que juges pour continuer d’avancer et essayer de donner suite aux préoccupations des communautés.

La façon de procéder, c’est qu’on ne peut pas modifier la loi en tant que telle, ou du moins je ne peux voir aucune façon de le faire, mais si on a les données, il est possible de compter sur le leadership de la magistrature pour faire avancer les choses.

La sénatrice Pate : Merci.

Le président : Je pense que cela met fin à la deuxième série de questions, ce qui signifie que la présente séance de délibérations du comité tire à sa fin. Je tiens à remercier Me Tachie et Me Davis de leur présence, encore une fois par vidéoconférence, ainsi que M. Devlin pour le travail que vous et l’Association canadienne pour l’éthique juridique avez fait pour nous et pour les renseignements que vous nous avez fournis. J’aimerais également prendre un moment pour saluer une professeure, Mme Amy Salyzyn, présidente de l’Association canadienne pour l’éthique juridique, qui a assisté à la réunion et qui a surveillé M. Devlin pour s’assurer qu’il ne s’égarait pas. Je tiens également à remercier les membres du Conseil canadien de la magistrature, qui ont dirigé les travaux sur les principes de déontologie judiciaire pour les juges. Ce sont eux qui ont mené, comme l’a dit M. Devlin, un processus de consultation plus poussé. Nous les remercions de leur travail.

Voilà qui met fin à notre discussion.

La sénatrice Batters : J’aimerais proposer quelque chose avant de terminer l’étude du projet de loi C-9 aujourd’hui. Ce témoin nous a fourni des éléments très utiles au sujet d’amendements éventuels. Il nous a dit qu’il pourrait essayer d’y travailler, et nous l’avons invité à le faire dès ce soir. Par ailleurs, j’ai demandé à la Bibliothèque du Parlement de faire peu de recherche sur ce que font les provinces concernant les sanctions, notamment en matière de suspension et de retenue de salaire des juges provinciaux. Il existe des données intéressantes à ce sujet, mais même cette note de service ne sera pas traduite avant demain. Cela dit, j’aimerais entendre des représentants du Conseil de la magistrature de l’Ontario, peut-être aussi d’une province plus petite, probablement une province qui a peut-être mis à jour son système au cours des 50 dernières années, contrairement au système fédéral, parce que cela fait partie des données probantes que j’aimerais obtenir avant de proposer des amendements. J’aimerais donc proposer que, au lieu de procéder à l’étude article par article du projet de loi demain, nous entendions des témoignages à ce sujet, pour, peut-être, reporter l’étude article par article à la semaine prochaine.

Le président : Le sénateur Patterson a proposé de discuter précisément du projet de loi C-9. Je suis d’accord, mais sous réserve de votre opinion, parce que c’est votre comité; je suggère de terminer notre travail sur le projet de loi C-28, puis de rependre l’étude du projet de loi C-9. Compte tenu du nombre de modifications qui seraient apportées à l’ébauche de rapport, je suppose que nous aurions suffisamment de temps pour cette discussion avant de conclure aujourd’hui. Est-ce que cela vous paraît acceptable? Sénateur Patterson, vous vouliez aussi entamer une discussion. Sommes-nous d’accord pour procéder ainsi? Cela donnera à M. Devlin une heure de plus pour préparer ces modifications.

Sur ce, nous devrions suspendre la séance quelques instants pour laisser partir nos témoins. Merci encore à vous tous de vos exposés et de ce très riche dialogue. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Le prochain point à l’ordre du jour aujourd’hui, chers collègues, est l’ébauche de rapport sur le projet de loi C-28, un travail inhabituel dans le cadre duquel nous produisons un rapport sur un projet de loi qui, rappelez-vous, a déjà été adopté et est en vigueur.

Vous devez avoir reçu une nouvelle ébauche au début de la semaine. À notre dernière réunion, rappelez-vous, nous avons examiné le rapport paragraphe par paragraphe, et je crois pouvoir dire que les analystes ont répondu à nos demandes et que nous pourrions aujourd’hui sauf avis contraire de votre part, discuter des recommandations que nous pourrions joindre à la fin du rapport. Permettez-moi de commencer par vous demander si vous êtes d’accord pour dire que le texte principal du rapport est satisfaisant dans sa forme actuelle, avec, peut-être, des changements mineurs ici ou là que vous pourriez transmettre par courriel. J’ai vu qu’il manquait une virgule quelque part et je transmettrai cette correction. Vous en avez peut-être d’autres, mais, sinon, nous pourrions peut-être passer aux recommandations, si cela vous convient.

Je vous invite à faire des suggestions à ce sujet. N’importe lequel d’entre vous peut commencer, et je ne sais pas s’il faut nécessairement suivre l’ordre des recommandations, mais je suis ouvert à vos commentaires. J’ai appris que la sénatrice Dupuis avait quelques observations à faire, et sous réserve que d’autres veuillent intervenir, puis-je vous inviter à prendre la parole, sénatrice Dupuis? Je pense d’abord à la recommandation éventuelle concernant une référence constitutionnelle, mais aussi à certaines des premières recommandations de l’ébauche.

[Français]

La sénatrice Dupuis : En fait, j’avais un commentaire au sujet de la version française, dans les observations et recommandations qui se trouvent au paragraphe 91. On peut aussi commencer au paragraphe 84; je pourrai faire mon commentaire lorsque nous en serons au paragraphe 91, ou je peux le faire maintenant.

Il y a aussi un commentaire que j’ai accepté de déposer : il vient du sénateur Arnot, qui a accepté de me remplacer à l’occasion lors de cette étude. Il voulait faire déplacer une recommandation qui est actuellement inscrite sous la rubrique « révision parlementaire ». Il veut la ramener beaucoup plus haut, pour en faire une instruction visant à inciter le ministre de la Justice à considérer la possibilité — je vais vous dire exactement où cela se trouve dans le texte, qui a d’ailleurs été distribué par notre greffier ou qui le sera incessamment — de ramener ce qui figure actuellement au paragraphe 104, où le comité recommande que la revue parlementaire fasse une étude sérieuse de la possibilité de créer des infractions d’intoxication volontaire. Il voudrait donc déplacer le paragraphe 104 pour le ramener juste avant le paragraphe 92 dans le rapport. Je ne sais pas si d’autres collègues veulent se prononcer à ce sujet.

[Traduction]

Le président : Ce serait, du moins dans l’état actuel des choses, la recommandation numéro deux, après la référence constitutionnelle.

Mark Palmer, greffier du comité : Je crois qu’il était question d’en faire la deuxième.

[Français]

La sénatrice Dupuis : La façon dont la proposition m’a été présentée est celle-là; c’est ce qui est prévu comme un « examen parlementaire » au paragraphe 104 actuel, qui se lit comme suit :

[Le comité] recommande également, dans le cadre de l’examen parlementaire, de prendre dûment en compte le bien-fondé éventuel de la création d’infractions liées à l’affaiblissement volontaire de ses facultés, définies dans la proposition du professeur Coughlan.

Ce que je comprends de la proposition du sénateur Arnot, c’est qu’il souhaite l’enlever du contexte de l’examen parlementaire au paragraphe 104, pour le remonter comme deuxième recommandation du comité et le traduire en des termes suggérant que ce soit le ministre qui examine sérieusement la possibilité de créer cette infraction.

[Traduction]

Le président : C’est ce que l’on est en train de distribuer, je crois; il s’agit d’un léger changement dans le libellé et du déplacement de ce passage dans le rapport.

La sénatrice Dupuis : Oui.

Le président : Êtes-vous d’accord avec cet ajustement et avec le déplacement de la recommandation du sénateur Arnot par l’entremise de la sénatrice Dupuis?

La sénatrice Pate : Je suis tout à fait d’accord avec la volonté du comité, parce que c’est déjà là, mais, pour que tout soit versé au compte rendu, j’ajoute que, quand cette proposition a été faite, nous avons demandé conseil à M. Froc et à M. Sheehy. Leur réponse a été la suivante :

Il s’agit, en fait, du « tarif réduit pour ivresse » dont il est question dans l’arrêt Brown :

La démonstration peut-être la plus claire que l’objectif du Parlement ne peut être limité à l’objet de protection réside dans l’explication qu’a donnée le ministre au sujet de la raison pour laquelle la création d’une infraction autonome a été rejetée au motif qu’elle ne permettait pas la réalisation des objectifs qu’il visait. Il a accepté l’avis qu’une nouvelle infraction autonome d’intoxication criminelle aurait représenté une solution inadéquate. Bien qu’elle eût offert une protection contre la violence perpétrée en état d’intoxication extrême, elle ne permettrait pas de réaliser l’objectif de responsabilisation visé par le Parlement en ce que le contrevenant n’aurait pas à répondre du fait d’avoir créé le risque de commettre un crime violent visé plus grave, susceptible d’entraîner une peine et un opprobre plus significatifs. Même s’il était reconnu coupable de la nouvelle infraction, en raison de son intoxication extrême volontaire, le contrevenant ne répondrait pas de toute l’étendue du préjudice en droit, et il bénéficierait de ce que le ministre a appelé un « tarif réduit pour ivresse » (« drunkenness discount » en anglais) (Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, 6 avril 1995, p. 6). Le ministre a affirmé en Chambre que « [l]e gouvernement croit que l’individu qui devient volontairement intoxiqué au point de perdre le contrôle ou la conscience de ses actes [...] doit [...] être tenu criminellement responsable [c.-à-d. des voies de fait reprochées], et de rien de moins » (Hansard, 27 mars 1995, p. 11037).

On nous a donc suggéré de ne pas nous engager dans cette voie.

La sénatrice Batters : Les commentaires de la sénatrice Pate à ce sujet sont intéressants; je n’étais pas au courant.

Au départ, j’aurais été encline à appuyer cette recommandation et son déplacement. On s’entend qu’il s’agit simplement de recommander que le ministre de la Justice tienne compte du bien-fondé éventuel dans les plus brefs délais. C’est peut-être le meilleur moyen d’avoir une discussion très complète sur ce document, sur cette possibilité, et sur la question de savoir si c’est justifié ou si, pour ces raisons, il faudrait en rendre compte de façon plus complète. C’est peut-être bien la meilleure façon de procéder.

Le sénateur Dalphond : Je suis d’accord avec les deux derniers commentaires, parce que c’est une solution qui a été envisagée, mais pas en détail, à un moment où les délais étaient très courts et où l’on craignait les effets du vide juridique créé à la suite du jugement de la Cour suprême. Il s’agissait de colmater une fuite. Cette solution a été rejetée parce qu’on a estimé qu’elle n’était pas possible. Si l’on tient compte du mens rea, c’est 15 ans, mais, si le sujet est en état d’ivresse et commet le crime sans l’avoir voulu, il écope de 15 ans. Il n’y a pas de mens rea en l’occurrence. Ce sera donc une peine de sept ans, cinq ans ou trois ans. Cela revient à un tarif réduit, et les avocats préfèrent négocier la peine par ce moyen plutôt que de prendre des risques. Ils estiment qu’il vaut mieux s’en contenter. Et c’est plus facile pour la Couronne. Il y a négociation de plaidoyer. Je crois que c’est la préoccupation exprimée par le ministre, et c’est également celle du professeur Kent Roach, de l’Université de Toronto. C’est ce qu’il a expliqué. C’est la raison pour laquelle j’hésitais un peu à aller aussi loin que le sénateur Arnot et à dire que c’est la solution. À mon avis, c’est une solution qu’il faut envisager, mais qui n’a pas été analysée en détail à l’époque.

Je suis d’accord avec les derniers commentaires de la sénatrice Batters. Il faudrait inviter le gouvernement à examiner la question. Il y a peut-être de bonnes raisons de ne pas donner suite — la sénatrice Pate a parlé de deux professeurs qui avaient de sérieuses préoccupations au sujet de cette solution —, mais je crois qu’il vaut la peine d’en discuter.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je crois que l’intérêt de la proposition déposée par le sénateur Arnot est que cela puisse se faire maintenant, pendant que l’on travaille sur cette question, plutôt que d’attendre l’examen parlementaire qui se fera dans un certain nombre d’années. Il est préférable que la question soit considérée à ce moment-ci, puisqu’il y a du travail à faire de toute façon. C’est aussi bien que le travail se fasse à ce moment-ci, plutôt que d’attendre une éventuelle révision parlementaire.

[Traduction]

Le président : Je suis d’accord pour que nous fassions ce travail. Avant l’adoption du projet de loi C-28, des causes étaient rejetées. Plusieurs d’entre vous ont porté cela à notre attention. Ce n’est pas surprenant, étant donné que la loi s’appliquant à ces accusés a été jugée inconstitutionnelle. C’est un problème en soi.

La loi actuelle est inefficace — je ne parle pas ici de constitutionnalité, mais d’inefficacité — parce qu’elle ne permet pas d’obtenir des condamnations — et ce sont des témoins très respectés dans le domaine du droit criminel, par exemple le professeur Grant, qui nous l’ont dit. L’avocat de la défense de l’affaire Brown lui-même estime que la nouvelle loi ne permet pas d’obtenir de condamnation. Ce n’est pas le genre de discours que tiennent habituellement les avocats de la défense, qui sont toujours d’avis de rédiger de meilleures lois. Nous constaterons, au cours d’un procès qui aura lieu en octobre prochain, que nous avons une loi qui ne fonctionne pas. Il serait utile d’avoir un plan ou que le gouvernement du Canada en ait un pour faire face à cette éventualité.

Personnellement, d’après ma lecture du projet de loi, je crains vraiment que les procureurs aient beaucoup de mal à faire valoir la portée du préjudice. L’intérêt de l’amendement Coughlan est qu’il reconnaît le tarif réduit pour ivresse, mais qu’il établit des degrés de gravité en fonction du type de préjudice causé, un peu comme dans le cas de la négligence criminelle causant la mort ou de la conduite dangereuse causant la mort. Les différentes catégories de conséquences entraînent des peines différentes. Les désignations peuvent être différentes, mais nous aurons quelque chose à proposer si la loi actuelle est inefficace. Ce n’est pas nous qui en déciderons, mais le ministère de la Justice. Il faudrait lui demander de s’en occuper au cas où cela se révélerait une meilleure solution ou la seule option, si ce que nous avons envisagé et approuvé en juin dernier ne fonctionne pas.

Compte tenu de cet argument et de l’appui nuancé de la sénatrice Pate, si je peux m’exprimer ainsi, sommes-nous d’accord pour ajouter ce libellé comme recommandation dans le rapport?

Je ne sais pas si vous avez levé la main pour dire que vous êtes d’accord ou si vous vouliez prendre la parole.

La sénatrice Pate : Comme c’est seulement M. Coughlan — je parlerais d’une infraction d’intoxication volontaire ou autre. Cela laisse le champ plus large.

Le président : Oui.

La sénatrice Jaffer : Simple question de style : nous ne citerons pas le nom du professeur, n’est-ce pas? Ce sera indiqué à l’arrière du document. Nous ne l’avons jamais fait.

Le président : Il figurera en annexe, mais nous pourrions dire « tel que proposé à l’annexe D ».

M. Palmer : Ou laisser tel quel et ajouter une note en bas de page.

La sénatrice Jaffer : Mais nous n’avons pas non plus cité d’autres noms.

Le président : Seriez-vous d’accord pour dire « tel que proposé à l’annexe D »? Nous ne citerons pas le nom de M. Coughlan, mais si quelqu’un veut connaître la source, il pourra la trouver. D’accord?

La sénatrice Batters : Au paragraphe 100, il est question de collecte de données désagrégées. Le premier point du paragraphe 100 parle aussi de « proposition formulée par le professeur Coughlan ».

Le président : Quel paragraphe?

La sénatrice Batters : Le paragraphe 100.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Puis-je vous demander de répéter la formulation que nous avons acceptée pour le texte du sénateur Arnot? A-t-on modifié son texte ou non?

[Traduction]

Le président : La version distribuée comporte des changements mineurs, je crois, mais, surtout, nous avons anonymisé le professeur Coughlan et élargi la portée de sa proposition, comme l’a suggéré la sénatrice Pate.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Pourrait-on répéter la formulation, s’il vous plaît?

[Traduction]

Le président : Le comité recommande donc que le ministre de la Justice tienne compte sans plus tarder du bien-fondé éventuel de la création d’infractions d’intoxication volontaires ou autres, tel que proposé à l’annexe D.

Satisfaisant?

La sénatrice Pate : Je craignais davantage qu’ils n’acceptent que sa recommandation. C’est un nouvel ajout.

Le sénateur Dalphond : C’est un changement.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Oui, c’est un nouveau changement. C’est l’ancien paragraphe 104, sénateur Boisvenu. À l’ancien paragraphe 104, le sénateur Arnot proposait d’en faire une nouvelle recommandation qui donnait le mandat au ministre. Donc, il en faisait la recommandation no 2 — ou, si vous voulez, une nouvelle recommandation no 2.

[Traduction]

Le président : Sénatrice Pate, vous vous opposiez à ce libellé?

[Français]

La sénatrice Dupuis : Il faisait cette recommandation pour le sortir de la section. La recommandation no 6 porte sur l’examen parlementaire, à la page 24 du projet de loi. C’est le paragraphe 104. Il l’amenait dans une recommandation no 2, après la recommandation no 1, intitulée Renvoi à la Cour suprême du Canada. Il en faisait une recommandation qui se tenait toute seule, où l’on mandate cette fois le ministre plutôt que de traiter de cette question au moment d’une révision parlementaire.

[Traduction]

Le président : Si je comprends bien, le libellé légèrement modifié du paragraphe 104 deviendrait la deuxième recommandation du rapport.

Pour plus de clarté, sénatrice Pate, aviez-vous des réserves au sujet de cette formulation?

La sénatrice Pate : Je proposais « ou autres » parce que le nom du professeur Coughlan y figurait, mais avec la suggestion d’en faire une note de bas de page. Vous voyez ce que je veux dire? J’essaie de l’élargir pour qu’il ne s’agisse pas seulement d’une référence à ce qu’il a recommandé, mais aussi à d’autres préoccupations soulevées par M. Grant, M. Sheehy et M. Froc au sujet des inconvénients que cela pourrait entraîner.

[Français]

La sénatrice Dupuis : À ce moment-là, est-ce qu’on peut laisser le texte tel quel, mais on enlève... Donc, cela se lirait comme suit en anglais :

[Traduction]

« […] le bien-fondé éventuel de la création d’infractions liées à l’affaiblissement volontaire de ses facultés », point avec une note de bas de page renvoyant à tous les témoins qui ont discuté du bien-fondé, des avantages et des inconvénients de ce type d’infraction...

Le président : Et vous êtes d’accord pour que les rédacteurs préparent les notes de bas de page et pour les approuver?

La sénatrice Dupuis : Oui.

Le sénateur Dalphond : Je voudrais simplement comprendre. Est-ce que nous conservons les mots « autres infractions liées à l’intoxication » — non, nous n’en avons pas besoin? D’accord.

[Français]

La sénatrice Dupuis : On mentionnerait l’« intoxication volontaire », puis on inclurait une note en bas de page avec les noms des témoins qui ont discuté de cette question.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Je suis d’accord. Je suis d’accord, sauf que je ne veux pas que cela soit la deuxième recommandation, d’autant que j’ai un exposé à faire au sujet de la première recommandation. Cela pourrait donc devenir la première recommandation. C’est peut-être trop restreint. Cela devrait se faire plus tard dans le processus...

Le président : Pouvons-nous conserver cela comme deuxième recommandation jusqu’à ce que nous revenions à la première? Je ne veux pas exclure la sénatrice Batters.

Le sénateur Dalphond : Je pense que cela vient trop tôt dans le processus. C’est comme si nous voulions mettre cela en avant. Cela devrait être plus bas dans les recommandations.

La sénatrice Batters : Après avoir écouté une deuxième fois, je comprends un peu mieux l’idée de la note de bas de page. Je pense que c’est très bien. Ce que vous venez de décrire me semble plus logique, sénatrice Dupuis. C’est bien.

À mon avis, comme nous demandons au ministre de la Justice de le faire immédiatement, cela devrait figurer au début. Je ne pense pas qu’il soit mal avisé de placer cela au début des recommandations parce que le ministre devra l’examiner très rapidement.

Le président : Nous pourrions régler la question de l’ordre, mais nous avons maintenant une recommandation qui vient en deuxième position, avec l’appui de la sénatrice Batters et une certaine réticence de la part des autres. Gardons cela en suspens, en reconnaissant que nous voulons un enchaînement logique des recommandations.

La sénatrice Jaffer : Je propose également de déplacer la recommandation numéro cinq. C’est au comité directeur d’y réfléchir. Je pense qu’elle devrait être en première position, suivie de la consultation par le gouvernement. Ainsi la consultation vient après.

Le président : Placeriez-vous dans ce cas la recommandation dont nous venons de discuter en deuxième position?

La sénatrice Jaffer : En troisième position. Ce sera la troisième, parce que celle-ci sera la première, puis la deuxième et ensuite la troisième.

Le président : Sous réserves de l’intervention du sénateur Dalphond au sujet de la première recommandation?

La sénatrice Jaffer : Oui.

Le président : Cet enchaînement vous convient-il? Merci, sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Puis-je également dire que — pardonnez-moi, je suis peut-être arrogante. Mais sommes-nous à huis clos?

Le président : La réunion est publique. Jusqu’à présent, rien de ce que vous dites ne semble jamais arrogant, alors n’hésitez pas.

La sénatrice Jaffer : Je propose que nous présentions nos recommandations d’abord et que nous disions ensuite que nous sommes d’accord, d’accord et d’accord. Je dis cela parce que la nature humaine est telle que l’on ne lit que le début. Plutôt que de les mettre en plein milieu du rapport, je propose donc que nous mettions nos recommandations au début et que nous laissions le ministre, ou quiconque les lira, dire qu’il est également d’accord avec elles.

Le président : En accord avec les recommandations de la Chambre...

La sénatrice Jaffer : Oui. Je propose que nous mettions cela à la fin et que nous placions nos recommandations au début.

Le président : C’est très utile. Merci. Si cette idée est trop audacieuse et trop forte, au moins, nous l’appuyons tous, alors nous sommes collectivement responsables.

La sénatrice Batters : Un second examen objectif.

Le président : Pourrions-nous passer à la première recommandation? J’invite le sénateur Dalphond à lancer la conversation.

Le sénateur Dalphond : [Difficultés techniques] avec le comité directeur la semaine dernière lorsque nous avons reçu l’ébauche. La première recommandation se lit comme suit :

Le comité recommande que le gouvernement renvoie sans tarder à la Cour suprême du Canada la question de la constitutionnalité de l’article 33.1…

Ce qui m’a frappé, c’est qu’au paragraphe 8 du même rapport — et je vous invite à vous reporter au paragraphe 8 de la page 3 du rapport —, nous avons écrit, en résumant les témoignages :

De façon générale, les principales préoccupations des témoins ne portent pas sur la constitutionnalité de l’article 33.1 ou sur la question de savoir si le projet de loi C-28 est conforme au raisonnement de la Cour suprême et aux solutions législatives proposées […]

Nous disons donc que ce n’est pas une question constitutionnelle et que cela est conforme aux enseignements de la Cour suprême, puis nous disons qu’il faut renvoyer la question à la Cour suprême pour vérifier sa constitutionnalité. Je pense que c’est contradictoire.

Mais le deuxième point que je veux faire valoir, c’est que cela va également à l’encontre de l’essentiel de notre rapport. Notre rapport explique que de nombreux témoins ont dit que les gens ne comprennent pas les dispositions et ne comprennent pas l’état actuel du droit, et que nous devons faire de l’éducation. Le sénateur Arnot a même proposé que nous ayons des sous‑groupes particuliers qui ciblent les jeunes, les jeunes adultes, les adultes plus âgés et tout le reste. Je pense que la clé, c’est l’éducation, la recherche, la collecte de données et aussi l’étude d’autres possibilités par le ministère.

Nous arrivons donc avec ceci en disant : « Allons à la Cour suprême. » En même temps, nous disons : « Essayons d’expliquer à la population ce que signifie la disposition et à quel point elle est claire », tout en disant que nous nous adressons à la Cour suprême parce que la mesure n’est pas claire ou qu’elle est inconstitutionnelle. Je pense que ce sera difficile à expliquer aux gens. « Voici l’état du droit, mais nous le contestons. »

Je pense que notre rapport insiste sur le fait que nous allons nous concentrer sur l’éducation et essayer de communiquer parce que c’est ce qui manque et que nous sommes tous dans le noir. Nous essayons de régler les problèmes sans avoir suffisamment de données probantes. Nous allons régler le problème. Cela prendra un certain temps, mais j’espère que nous finirons par régler le problème.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Quand vous m’avez proposé de faire part de mes commentaires au début de cette partie de notre rencontre, c’est exactement le point que je voulais soulever. Je pense que c’est tout à fait inapproprié et non pertinent à ce moment-ci de renvoyer la question à la Cour suprême du Canada, sans compter que, comme vous l’avez fort bien soulevé, sénateur Dalphond, on semble ne pas être certain de ce que l’on avance quand on en discute dans le reste du rapport. Un travail doit être fait par le ministre et des consultations doivent être faites. Il y a beaucoup de travail à faire et on ne veut surtout pas retourner devant la Cour suprême du Canada si on n’a pas besoin d’y retourner.

Je dirais même, si on veut être conséquent avec ce que l’on dit et qu’on veut une consultation approfondie... Si l’on commence à dire qu’il faut aller devant la Cour suprême du Canada, le ministre pourrait dire : « Bravo, on va devant la Cour suprême; on en a pour quelques années, donc on n’a pas besoin de faire autre chose en attendant. »

[Traduction]

La sénatrice Pate : Je ne suis pas en désaccord avec ce que je viens d’entendre. Je ne propose aucun changement au rapport, j’en suis satisfaite. Le problème, c’est que nous n’avons pas vraiment examiné en détail la manière dont nous en sommes arrivés là. C’est parce que ce sont seulement les personnes les plus privilégiées qui peuvent présenter cette défense. Nous avons entendu des témoignages à ce sujet, et cela concerne surtout les cas d’agression sexuelle.

Nous venons de parler des raisons pour lesquelles nous devons sensibiliser les juges à ces affaires et du fait que, dans la plupart des cas, il s’agissait de moyens de défense conçus pour aider les hommes à échapper à la responsabilité de la violence sexuelle et de la violence par un partenaire intime. Je ne suis pas certaine qu’un renvoi à la Cour suprême du Canada permettrait d’atteindre cet objectif, mais si nous voulons mettre l’accent sur l’éducation, il serait bon de renforcer cela chaque fois que nous le pouvons, peut-être en inscrivant ces références dans les notes de bas de page des recommandations. C’est ma seule hésitation. À l’heure actuelle, la Cour suprême est un peu plus au courant de cette question qu’elle ne l’a été à d’autres moments. Elle a fait pression sur le Parlement pour qu’il règle le problème.

Le président : Si je peux me permettre, il serait un peu ironique de s’attendre à une réponse radicalement différente alors que c’est l’un des modèles qu’elle a recommandé d’élaborer. Il est difficile d’imaginer une décision de la Cour suprême du Canada qui dirait : « Nous avons recommandé X; ils ont fait X; nous jugeons maintenant que c’est inconstitutionnel? » Je ne crois pas que cela donnerait grand‑chose.

Pour ma part, je m’inquiète surtout de l’incapacité de la police et des procureurs de prononcer des condamnations. C’est selon moi la principale fragilité. La Cour suprême ne réglera pas cette question dans un renvoi parce qu’elle ne s’attaquera qu’à la constitutionnalité. Les juges de la Cour suprême ne sont pas les procureurs. Ce n’est pas vraiment leur travail.

L’idée des notes de bas de page est bonne, et nous pouvons essayer. Si je comprends bien, le sénateur Dalphond propose de supprimer cette recommandation, et je crois que la sénatrice Dupuis dit la même chose.

Y a-t-il d’autres réflexions sur la recommandation?

Le sénateur D. Patterson : J’entends dire qu’il y a de vrais doutes au sujet du renvoi à la Cour suprême du Canada. Sénateur Dalphond, M. Roach fait valoir que même dans notre rapport, on laisse entendre que cela n’a pas beaucoup été soulevé par les témoins, si j’ai bien compris le paragraphe que vous avez cité.

Le président : Si je me souviens bien — et le sénateur Dalphond est plus près de cette position — M. Roach a recommandé cela, mais pratiquement personne d’autre ne l’a fait.

Le sénateur D. Patterson : Par ailleurs, nous avons six recommandations, et il y a des puces dans certaines d’entre elles. J’aime l’idée de la concision lorsqu’il s’agit de recommandations en général. Si nous pouvions faire passer le nombre de six à cinq, nous serions d’accord. Je pense que cela rendrait notre rapport plus efficace. D’après ce que j’ai entendu, je pense qu’il faudrait accepter de retirer cette recommandation du renvoi à la Cour suprême.

Le président : Puis-je vous demander s’il y a consensus pour supprimer le paragraphe 91 de la version actuelle, ainsi que la description qui demande un renvoi à la Cour suprême du Canada?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Pate : Je suis prête à l’accepter. Je pense que parfois les gens ne le mentionnent pas parce qu’ils ne pensent même pas à la possibilité de le faire. Le fait que M. Roach l’ait recommandé, mais que nous ne l’ayons pas nécessairement examiné avec d’autres est un problème.

L’envers de la médaille, c’est que même si la Cour suprême nous a renvoyé la question, un renvoi permet aux intervenants de présenter certains des arguments que nous avons entendus au sujet de l’inefficacité de la mesure en ce qui concerne l’incapacité de la Couronne et de la police de fournir la preuve. Mais je suis prête à l’accepter.

Le sénateur D. Patterson : Nous avons une autre recommandation concernant un renvoi à la Commission du droit, qui pourrait solliciter ces points de vue, ce qui est peut-être un peu rassurant. On dirait presque que nous recommandons deux renvois. Il serait peut-être plus fort d’en faire un à la Commission du droit.

Le président : Je crois que l’on peut dire qu’il y a consensus pour supprimer cette recommandation?

Des voix : D’accord.

Le président : Y a-t-il d’autres changements aux recommandations? Nous avons reçu de sages conseils de la sénatrice Jaffer sur la façon de les réorganiser, et nous allons nous en occuper. Nous pourrions peut-être enrichir un peu les notes en bas de page des recommandations, comme l’a suggéré la sénatrice Pate. Nous allons supprimer la recommandation no 1. M. Palmer me conseille sur un autre point. Avez-vous d’autres commentaires ou suggestions?

La sénatrice Jaffer : Je m’attache à des considérations très pratiques, pardonnez-moi, mais vous mettez les recommandations au début, n’est-ce pas?

Julian Walker, analyste, Bibliothèque du parlement : C’est une possibilité. De la façon dont le rapport est rédigé, nous avons le contexte et les témoignages, suivis des recommandations. Nous pourrions les placer au début. Pour l’instant, vous verrez que nous avons ajouté une introduction parce que certains des points ont fait consensus à la dernière réunion. Il y a une petite introduction aux recommandations. Il faudrait peut-être réécrire cela si nous devions l’inclure plus tôt dans le rapport, mais c’est clairement une possibilité.

La sénatrice Jaffer : Je ne sais pas ce qu’il en est pour tous les autres. Je suis peut-être paresseuse. Je commence toujours par examiner les recommandations avant de dire : « Mon Dieu, qu’est-ce que c’est que ce rapport? Voyons ce qu’ils proposent. » Je dis simplement que la plupart des gens que je connais le font. Si c’est dans le corps du texte, nous disons : « Un jour, je lirai cela », et nous passons à côté des recommandations.

Le président : Il est possible de rédiger un paragraphe ou deux sur ce que nous avons fait et d’appeler cela un résumé, puis de formuler les recommandations et passer au rapport. Ainsi les gens qui ne sont pas prêts à lire un certain nombre de pages les voient tout de suite. Est-ce que ce serait une approche appropriée? Cela vous convient-il?

Le sénateur D. Patterson : Vous pourriez également les remettre à la fin.

La sénatrice Jaffer : Oui, les deux.

Le sénateur D. Patterson : Je crois que la sénatrice Jaffer a raison, et c’est ce que les gens recherchent en premier. De nombreux rapports de comités procèdent ainsi et placent les recommandations de façon à ce que les gens, s’ils ne font que parcourir le rapport, ne manquent pas l’essentiel.

Le président : Nous n’en écrirons pas beaucoup plus si une introduction très générale à ce sommaire vous convient, afin que nous puissions y inclure les recommandations. Nous travaillons avec les contraintes de calendrier que le Sénat nous a imposées. Je pense qu’il y a un consensus autour de cette approche. Merci, sénatrice Jaffer.

Je n’entends pas d’autres commentaires sur d’autres recommandations. Je présume donc que nous sommes d’accord, sous réserve seulement de la réorganisation, comme l’a suggéré la sénatrice Jaffer.

Le sénateur Dalphond : Ce serait semblable à notre rapport sur l’aide médicale à mourir, une brève introduction, les recommandations, puis le rapport complet et la reprise des recommandations à la fin.

Le président : Il faut que le comité prenne une décision plus officielle à ce sujet. Il est proposé que le rapport modifié soit adopté et que le Sous-comité du programme et de la procédure soit habilité à approuver la version finale du rapport, en tenant compte des discussions de la présente réunion et de tout changement nécessaire à la rédaction, à la grammaire et à la traduction. Si vous avez des suggestions mineures à ce sujet, veuillez les communiquer au cours des prochains jours. Cela nous permettra de respecter le délai qui nous a été demandé. De plus, que le président soit autorisé à déposer le rapport au Sénat à la première occasion une fois qu’il sera terminé. Est-ce d’accord?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Jaffer : Nous avez-vous donné une date limite pour vous faire part de nos suggestions?

Le président : Disons qu’il nous faudrait les avoir cette semaine, au plus tard vendredi midi, si vous avez d’autres suggestions. Si vous voulez réécrire le rapport, ce sera difficile, mais s’il s’agit de modifications mineures, ce sera utile.

Je veux simplement dire que j’ai lu le rapport avec attention. J’ai trouvé qu’il présentait très bien le point de vue des témoins sur un sujet juridique difficile. L’équipe qui a fait ce travail mérite des félicitations. Je tenais à les remercier.

La sénatrice Jaffer : Dans votre résumé, vous parlez de ce qui constitue une intoxication extrême, de sorte que...

Le président : Peut-être pourrions-nous modifier un peu l’introduction pour organiser cela.

Pourrions-nous, si vous le permettez, passer à l’étude du projet de loi C-9? La première question est de savoir si vous voulez la faire en public ou à huis clos. En ce qui concerne les prochaines étapes du projet de loi C-9, la sénatrice Batters a laissé entendre que nous avons besoin de témoins supplémentaires pour discuter du fonctionnement des processus provinciaux, entre autres. Je sais qu’on s’attend à ce que les choses avancent rapidement, et nous avons beaucoup de pain sur la planche. Je tiens donc à ce que nous examinions attentivement cet important projet de loi du gouvernement, mais en même temps, nous ne devons pas perdre de temps, car il viendrait à manquer pour examiner d’autres projets de loi.

Le sénateur Boisvenu : Vous venez de le dire en public.

Le président : Vraiment? Devrions-nous rester en séance publique ou voulez-vous poursuivre à huis clos?

Le sénateur Boisvenu : Nous devrions rester en public.

Le président : Je pense que c’est notre habitude, alors continuons. Je vais maintenant répéter en public ce que je viens de dire.

Y a-t-il d’autres commentaires sur la façon de procéder vis‑à‑vis du projet de loi C-9? Voulez-vous ajouter quelque chose, sénatrice Batters? Vous avez ouvert la discussion et je vous ai coupé la parole.

La sénatrice Batters : Non, vous ne m’avez pas vraiment interrompue. Je pense avoir dit l’essentiel de ce que j’avais à dire, surtout lorsque nous avons entendu le précieux témoignage de M. Devlin aujourd’hui au sujet de certains aspects possibles d’un amendement très productif qui renforcerait ce projet de loi. C’est un projet de loi qui n’a pas été modifié depuis 50 ans, alors je pense que nous faisons un excellent travail pour nous assurer qu’il puisse constituer un régime disciplinaire aussi solide que possible pour les juges. M. Devlin a fait d’excellentes recommandations aujourd’hui, y compris vers la fin de la période des questions, lorsqu’il a proposé d’autres domaines qui pourraient faire l’objet d’amendements importants.

Je disais tout à l’heure que j’aimerais entendre au moins deux témoins, je crois, sur les régimes provinciaux, parce que les provinces ont, je suppose, modifié leurs lois ces 50 dernières années. Comme M. Devlin l’a dit, un certain nombre d’entre elles ont le pouvoir de suspendre des juges avec ou sans salaire. J’ai également reçu une note de service très utile des analystes de la Bibliothèque du Parlement qui ont préparé ce document, mais elle n’est pas disponible en version traduite, ce qui, bien sûr, est nécessaire pour la remettre à tous les membres du comité. Ce sera probablement fait d’ici demain.

Nous avons entendu M. Devlin parler de propositions d’amendements, et il a dit qu’il essaierait de travailler là-dessus, et nous avons dû lui demander de le faire dès ce soir. C’est beaucoup demander à un témoin bénévole.

Nous voulons procéder rapidement c’est certain, mais j’ai été un peu surprise lorsque j’ai reçu l’avis, pendant la pause, tandis que nous étions de retour dans nos provinces, indiquant que nous allions procéder à l’étude article par article. Cela semblait assez rapide. J’ai pensé qu’il serait utile que nous ayons un peu plus de temps, non seulement pour digérer les témoignages que nous avons entendus aujourd’hui, mais aussi pour recueillir d’autres renseignements sur les régimes provinciaux, afin d’avoir les meilleurs amendements et les meilleures preuves pour les amendements dont nous sommes saisis. Je propose que nous reportions l’étude article par article du projet de loi C-9 d’une semaine, peut-être à jeudi prochain.

Le président : J’invite le sénateur Dalphond, le parrain du projet de loi, et peut-être d’autres, à nous dire comment cela devrait se dérouler.

Le sénateur Dalphond : Je pense que nous avons eu des échanges, peut-être seulement entre les membres du comité directeur. Était-ce tous les membres du comité?

Une voix : Seulement au comité directeur.

Le sénateur Dalphond : Seulement au comité directeur — sur l’invitation du Conseil de la magistrature de l’Ontario ou du — je ne me souviens pas exactement du titre. J’ai dit oui à cela dans ma réponse, mais en supposant qu’ils seraient disponibles et que nous ne reporterions pas notre comparution.

Si le comité souhaite entendre des témoins pour essayer de comparer avec les provinces — je pense que l’Ontario et le Québec sont les plus importantes, la Colombie-Britannique également peut-être. Le conseil fédéral traite avec 1 200 juges, et il n’y a pas d’équivalent au Canada. La plus grande province en ce qui concerne les juges provinciaux est l’Ontario, et peut-être le Québec, qui est près de l’Ontario, mais c’est tout. Les autres provinces ont deux ou trois juges et certaines en ont vingt. Nous n’avons pas affaire au même genre de structures que nous avons ici.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’ai la même préoccupation que mes collègues, car le témoignage du témoin, M. Devlin, m’a vraiment marqué. Je ne suis pas un spécialiste du droit criminel ou de la magistrature; loin de là. Je suis surtout un spécialiste des droits des victimes. Ce qu’il nous a dit à propos d’un déséquilibre entre les plaignants et les juges qui sont visés, sur le manque de transparence ou sur le manque de qualité dans les rapports...

Cela me préoccupe beaucoup. On lui a demandé si la crédibilité du processus allait s’améliorer avec le projet de loi C-9, et il a répondu que non ou à peu près. Je rapporte ses propos de façon quelque peu imagée; cela m’inquiète beaucoup, car il y a de grands risques de se retrouver, dans quelques années, dans une situation où les plaignants n’auront pas plus de crédibilité dans les études qui sont menées sur les comportements des juges.

J’aimerais qu’on explore l’idée d’inviter certains témoins qui pourraient nous proposer des pistes de solutions, parce que si on ne fait qu’approuver ce projet de loi sans discussion et sans que le processus soit amélioré en ce qui a trait à la crédibilité, au fond, on aura perdu notre temps. Ce sont mes propos.

La sénatrice Dupuis : Je dois dire que, depuis le début de l’étude du projet de loi C-9, une chose m’a frappée; c’est le fait que, d’une part, on a fait valoir la question de la réduction des coûts. Je pense que c’est un thème très porteur ces années-ci, mais c’est loin d’être la seule considération. On a essayé de le formuler non pas indirectement, mais de façon parcellaire jusqu’ici par nos questions aux témoins.

Ce qui m’a frappée de la part du témoin que nous avons entendu aujourd’hui, M. Devlin, et de l’association qui s’occupe des questions d’éthique dont il fait partie, c’est qu’il a bien fait ressortir le fait que c’est très bien, l’efficience et l’efficacité, et que c’est intéressant de faire baisser les coûts économiques d’un système ou d’un régime. Mais ce n’est pas seulement un régime qui coûte cher; il est aussi profondément injuste et, dans certains cas, discriminatoire à l’endroit de plusieurs groupes dans la société.

En ce sens, je pense que mon message s’adresse au parrain du projet de loi, qui voudra certainement avoir une conversation avec le ministre de la Justice pour l’amener à réfléchir à la possibilité que lui-même apporte des amendements à son projet de loi, pour assurer une véritable transparence et une vraie impartialité et pour donner les raisons pour lesquelles il a été présenté.

Aujourd’hui, on n’accepte plus nulle part que quelqu’un ait une autorité — administrative ou autre — ou ait la possibilité de décider des droits de quelqu’un sans donner des raisons. On pensait que c’était un principe de droit administratif bien établi; de toute évidence, non.

Je suis profondément convaincue que l’indépendance judiciaire, qui est un principe fondamental, ne doit pas être étirée au point de justifier des impunités ou des comportements discriminatoires. On parle souvent du fait que les plaignants ne sont pas informés du processus ou qu’ils ne participent pas au processus; c’est bien de parler d’augmenter la confiance des gens à l’égard du système de justice, mais je pense qu’on nous a dit très clairement que le système est en retard par rapport aux attentes des avocats, des groupes communautaires, des groupes marginalisés, des groupes de femmes qui ne sont pas marginalisées et des groupes de femmes qui appartiennent à des groupes marginalisés.

On ne sait plus comment le dire, en fait. Je pense qu’il est temps d’agir. Ces témoignages doivent faire réfléchir le gouvernement. Ils n’ont pas besoin d’attendre qu’on propose des amendements pour les proposer eux-mêmes. Je les inviterais à considérer cela. Je vous souhaite bon courage, sénateur Dalphond, et je vous invite à le faire.

[Traduction]

Le président : Nous pourrions peut-être demander à M. Devlin et au sénateur Dalphond de proposer des amendements ce soir.

Le sénateur Dalphond : Pour faire suite à l’une des observations, et je crois que la sénatrice Dupuis y fait allusion, cette série d’amendements n’est pas conçue pour accroître l’efficacité ou simplement pour réduire les coûts. Elle vise à prévenir les abus du système, y compris de la part de ceux qui y sont assujettis. Un ancien juge de l’Abitibi a siégé pendant environ un an et demi. Il a été payé comme juge pendant plus de 10 ans et a eu droit à une pension parce qu’il a siégé pendant 10 ans, mais il n’a pas entendu de causes car il a été suspendu par le juge en chef de la Cour suprême. J’aimerais que nous ayons le temps d’entendre M. Devlin. Il a parlé de suspensions, et la sénatrice Batters y a fait référence. Il y a deux types de suspension. D’une part, vous n’entendez pas les causes et vous êtes quand même payé, et d’autre part, vous n’entendez pas les causes et vous n’êtes pas payé. C’est pourquoi j’aimerais entendre le point de vue de l’Ontario, par exemple, et du Québec à ce sujet.

L’autre question concerne la transparence. Je pense que l’un des principaux objectifs de ce projet de loi est d’accroître la transparence, parce que nous ne nous adressons plus au conseil qui décidera s’il doit confirmer ou non. Il entendra tous les arguments par écrit. Tout cela a disparu, et cela prenait beaucoup de temps, mais c’était un processus transparent et ouvert. Lorsqu’il y a une audience publique, c’est toujours un processus ouvert.

M. Devlin a dit qu’il n’aimait pas le fait qu’au début du processus d’examen, la plainte risquait d’être rejetée sans qu’aucune raison ne soit fournie. Il a parlé précisément du juge qui siège en révision. J’ai dit que je croyais que cela avait été modifié par le Parlement. Je sais que ce n’est pas le point principal de son exposé, mais nous nous sommes réunis dans le couloir et nous avons trouvé la disposition, qui a été modifiée. Premièrement, il y a un examen initial de la plainte non pas par un juge, mais par un fonctionnaire public. Dès lors que le plaignant allègue du harcèlement sexuel, une violation d’un droit fondamental ou le racisme, la plainte ne peut pas être rejetée. Elle doit être soumise à un juge qui siège en révision. En cas de rejet, le juge de révision doit envoyer une explication au plaignant. C’est ce qui a été ajouté à la Chambre des communes. Il est certain que le juge de révision, lors de la première étape, peut rejeter la plainte. Il peut la transmettre au comité d’examen, qui peut la rejeter. Les deux doivent répondre au plaignant et lui donner les raisons, mais ils ne peuvent pas fournir de renseignements personnels. C’est l’exception et c’est à peu près la seule. Je pense que s’il était encore avec nous, il serait d’accord pour dire qu’après un examen plus approfondi des amendements, voilà ce qu’il en est.

Le plaignant n’a pas nécessairement le droit de demander un réexamen. Il y a aussi des dispositions selon lesquelles le conseil complète la réglementation du processus, et le processus pourrait permettre un examen interne du processus. Si le plaignant n’est pas content, il peut demander un examen par le comité d’examen ou le juge, donc pas nécessairement pour amender le projet de loi, mais pour ajouter des observations qui ordonnent au conseil de le faire. Il y aurait peut-être moyen de composer avec ces préoccupations sans nécessairement rouvrir le dossier et revenir en arrière.

Je ne suis certainement pas contre l’idée d’entendre d’autres témoins s’ils sont disponibles, mais s’ils ne le sont pas, c’est...

Le président : Si je peux me permettre une suggestion, je sais qu’il y a d’autres intervenants, mais l’équipe qui appuie la réunion ne sera plus disponible très longtemps. Accepterions-nous de donner suite à la suggestion de la sénatrice Batters, en mettant l’accent au moins sur le processus de traitement des plaintes dans les provinces, en vue d’essayer de trouver des témoins pour mercredi prochain? Nous pourrions discuter mercredi pour déterminer si nous sommes prêts à passer à l’étude article par article ou si nous tenons à explorer d’autres dimensions de ce projet de loi et au moins d’envisager d’entendre d’autres témoins. En sachant que l’objectif serait l’étude article par article d’ici jeudi prochain. Est-ce que cela vous conviendrait? Cela donnerait au sénateur Dalphond le temps de préparer des arguments supplémentaires à l’appui du projet de loi.

La sénatrice Batters : Je pense que c’est une bonne idée. Je voulais simplement vous remercier, sénatrice Dupuis, de vos observations. Je pense que c’est très utile et que le ministre Lametti devrait se pencher là-dessus. Il y a même des choses fondamentales comme le paragraphe sur la diversité, qui commence par « Dans la mesure du possible ». Il y a des sénateurs qui essaient de trouver la meilleure façon de modifier cela. Nous ne devrions pas avoir à nous pencher là-dessus. C’est au ministre et aux fonctionnaires qui sont payés pour faire ce travail de rédaction de procéder à ces vérifications.

Je voulais simplement souligner cela en plus — pardon? C’est bien. Je voulais simplement souligner très rapidement qu’à titre de porte-parole du projet de loi, j’ai reçu une séance d’information très utile de la part des fonctionnaires du ministère de la Justice. En plus de la question de la prévention des abus, comme le sénateur Dalphond l’a mentionné, lorsque les principes directeurs de la réforme de ce projet de loi sont énoncés, ils énumèrent un certain nombre de principes, notamment l’indépendance judiciaire, la reddition de comptes, l’équité, le coût, la rapidité et la transparence. Donc, en plus d’essayer de prévenir les abus, ils essaient aussi de régler les problèmes d’efficience. Merci.

Le président : Pourrais-je ajouter quelques suggestions concernant le processus? Si vous envisagez des amendements, vous devriez vous y pencher sans attendre mercredi prochain. En supposant que nous puissions passer à l’étude article par article le jeudi, nous devrions essayer de nous préparer et de les distribuer. Deuxièmement, cela voudrait dire qu’on annulerait la réunion du comité de demain matin. Nous avions prévu l’étude article par article demain, et nous ne serons pas en mesure de le faire. Je pense qu’il est trop tôt pour s’attendre à recevoir des témoins d’ici 11 h 30 demain. Cela vous convient-il?

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’ai une question pour le sénateur Dalphond.

Ai-je bien compris lorsque le témoin a dit un peu plus tôt que le juge dont le comportement est évalué avait un droit d’appel, mais pas le plaignant?

Le sénateur Dalphond : Il y a deux droits d’appel : il y a le poursuivant et le juge. Le poursuivant est l’avocat indépendant qui est chargé de la poursuite, un peu comme dans un procès criminel. La victime n’a pas un droit d’appel du jugement. C’est la Couronne ou l’accusé qui a un droit d’appel. C’est la même chose ici. C’est le juge ou le poursuivant.

Le sénateur Boisvenu : Comme dans notre système de justice, l’accusé est représenté par un avocat, mais pas le plaignant. Cela relève de l’intérêt public.

Le sénateur Dalphond : Comme la dénonciation au criminel, le plaignant suit le processus. Ensuite, un avocat est nommé pour prendre en charge le dossier.

Le sénateur Boisvenu : Toutefois, si le plaignant n’est pas satisfait de la décision, mais qu’il y a une entente entre les deux avocats, la victime n’a aucun droit de participation. Elle ne pourrait pas dire qu’elle n’est pas d’accord. La victime est traitée comme dans un procès criminel, elle...

La sénatrice Dupuis : La victime est le témoin de la Couronne.

Le sénateur Boisvenu : C’est exact. On parlait plus tôt d’un déséquilibre.

Le sénateur Dalphond : Ce n’est pas nécessairement un déséquilibre. Dans notre système d’arbitrage, ou même notre système de griefs, c’est le syndicat de l’employé qui poursuit l’employeur pour le grief, mais l’employé n’est pas autorisé à faire appel de la décision de l’arbitre. C’est seulement le syndicat ou l’employeur qui peut le faire.

Le sénateur Boisvenu : Le projet de loi que nous étudions pourrait être amendé afin de donner un plus grand droit de parole à la victime lors d’un procès. Il y a une Charte canadienne des droits des victimes qui traite du droit à la participation, mais tout peut se passer au-dessus de la tête des victimes. On aurait une belle occasion de donner plus pouvoir aux victimes ou aux poursuivants.

Le sénateur Dalphond : Je comprends très bien votre préoccupation. La Chambre des communes y a-t-elle répondu?

[Traduction]

Le président : Nous devons conclure en une minute.

La sénatrice Pate : Bien sûr. Je crois comprendre ce que vous dites, sénateur Boisvenu, mais je pense que la différence, et M. Devlin y a fait allusion, est que certaines des plaintes qui sont actuellement rejetées sont souvent le fait de personnes qui se représentent elles-mêmes et qui ne comprennent pas qu’elles ne peuvent pas faire appel d’une décision du juge parce qu’elle ne leur plaît pas. C’est le genre de cas qui sont rejetés. Il serait utile de connaître ces raisons d’emblée et de savoir pourquoi la plainte a été rejetée plutôt que de simplement interjeter appel.

Le président : Si vous prenez les diverses organisations professionnelles où quelqu’un dépose une plainte contre un avocat, et il y en a beaucoup, malheureusement, un représentant du Barreau porte la plainte et la personne devient un témoin. La diversité des points de vue est matière à débat, mais le modèle n’est pas différent des autres modèles de ce genre.

À ce sujet, nous avions envisagé une réunion du comité directeur, mais je pense que c’est inutile. Nous devrions voir ce que nous ferons pour trouver des témoins pour le projet de loi C-9 la semaine prochaine. Si nous avons besoin d’un autre engagement, nous le ferons à ce moment-là si cela vous convient.

Sur ce, je tiens à vous remercier tous et, une fois de plus, nous avons eu l’exemple d’un témoin vraiment formidable qui a eu la générosité de venir nous aider à faire ce que nous estimons être un travail important, et je pense que c’est le cas. Pour ceux qui nous écoutent, je tiens à remercier encore une fois ceux qui, non seulement aujourd’hui, mais tout au long de ce processus, ont présenté des exposés et répondu à nos questions. Merci à tous.

La séance est levée.

(La séance est levée.)

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