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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 11 mai 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles reprend l’étude article par article du projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges.

Pour notre vaste auditoire, nous pourrions nous présenter de nouveau.

La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.

La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, sénatrice indépendante de la division des Laurentides, au Québec.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Bonjour. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire du Traité no 4.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, sénateur de la division sénatoriale De Lorimier, au Québec.

La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, territoire du Traité no 6.

Le président : Je m’appelle Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du comité.

J’aimerais également souhaiter de nouveau la bienvenue à nos témoins d’hier, Me Toby Hoffmann, directeur et avocat général, Section des affaires judiciaires; Me Patrick Xavier, avocat principal, Section des affaires judiciaires; et Me Shakiba Azimi, avocate, Section des affaires judiciaires. Bon retour et merci de vous joindre à nous encore une fois.

Chers collègues, vous vous rappellerez peut-être que, hier, la sénatrice Simons envisageait de reconfigurer son amendement. On travaille maintenant à le reformuler sous une forme acceptable pour notre examen. L’amendement de la sénatrice Clement, le prochain que nous étudierions, a un lien avec le premier. Avec votre indulgence, j’ai pensé que nous pourrions suspendre l’étude de ces deux amendements et y revenir lorsque nous serons en mesure de réfléchir à ce que la sénatrice Simons pourrait nous dire.

Si cela vous convient — je n’entends pas d’objection —, cela nous amène à l’amendement suivant sur notre liste. Encore une fois, il concerne l’article 12, l’amendement DB-C9-12-8-22 proposé par la sénatrice Batters, qui porte sur la possibilité de suspension en guise de sanction.

La sénatrice Batters : Excusez-moi, avez-vous dit que nous aurons aussi l’amendement de la sénatrice Clement plus tard?

Le président : Oui. J’ai demandé votre accord. Il y a un lien entre les deux, et nous pourrions essayer de poursuivre conjointement la conversation que nous avions déjà commencée.

Nous avons encore deux heures aujourd’hui pour étudier les amendements. J’aimerais que nous essayions d’intervenir sur de nouveaux points et aussi succinctement que possible, ce qui nous donnerait la chance de conclure l’étude article par article aujourd’hui, si possible.

La sénatrice Batters : J’ai quand même une question à ce sujet. J’avais une question hier au sujet de l’amendement de la sénatrice Pate. Est-ce que j’aurai une réponse à ma question plus tard, lorsque nous y reviendrons?

Le président : Nous ferons de notre mieux. Nous ne l’oublierons pas.

La sénatrice Batters : Merci.

Le prochain amendement que j’ai est le DB-C9-12-8-22. Je propose :

Que le projet de loi C-9 soit modifié à l’article 12, à la page 8 :

a) par adjonction, après la ligne 25, de ce qui suit :

« e.1) suspendre le juge avec traitement pour la période qu’il estime indiquée dans les circonstances;

e.2) suspendre le juge sans traitement pour une période maximale de trente jours; »;

b) par substitution, à la ligne 28, de ce qui suit :

« e.2); ».

Un certain nombre d’options qui n’existent pas déjà ont été ajoutées au projet de loi C-9. C’est un pas dans la bonne direction. À l’heure actuelle, la seule option possible est de révoquer un juge, ce qui est évidemment très grave. Le projet de loi C-9 prévoit de nombreuses conséquences beaucoup moins graves à appliquer dans le cadre du processus disciplinaire à l’encontre d’un juge, comme la réprimande, l’obligation de s’excuser et des choses du genre, puis après un bon écart dans la gradation des sanctions, la révocation.

Depuis le début, je pose des questions sur la possibilité d’une suspension avec ou sans traitement. Cela a commencé avec le ministre Lametti, qui a témoigné dès le départ. On peut très bien résumer la situation par le commentaire que j’ai fait à Mme Warner, du Conseil de la magistrature de l’Ontario, lorsqu’elle a comparu devant nous. J’ai dit :

Depuis que le ministre de la Justice, M. Lametti, a témoigné, je lui ai posé des questions à ce sujet […]

Je parle ici de la possibilité d’une suspension avec ou sans rémunération.

[…] et il a laissé son fonctionnaire parler de la possibilité d’une suspension avec ou sans rémunération, en guise de sanction disciplinaire.

Le ministre Lametti n’a pas commenté la question, mais l’a transmise à son fonctionnaire qui est ici aujourd’hui.

Le fonctionnaire du ministre Lametti, Me Xavier, avocat principal au ministère de la Justice, a répondu ceci :

La barre est très haute pour la conduite des juges. La Cour suprême l’a dit très clairement : on s’attend vraiment à ce que les juges aient une conduite exemplaire à l’intérieur comme à l’extérieur de la salle d’audience. Si vous parlez d’un cas assez grave pour justifier une réduction de rémunération, vous êtes probablement proche de la révocation.

Et j’ai ajouté :

C’est la raison pour laquelle ils n’ont pas mis cela dans le projet de loi C-9. Mais je n’en étais pas certaine. Alors quand j’ai demandé des recherches sur ce que font les provinces avec les juges de nomination provinciale — et, bien sûr, lorsque nous considérons les juges de nomination fédérale, nous nous souvenons que cela comprend aussi, bien sûr, le niveau de la Cour du Banc du Roi, le niveau inférieur des nominations à la Cour fédérale.

En Ontario, cela s’appelle la Cour supérieure de l’Ontario.

J’ai dit :

En Ontario, j’ai remarqué que votre liste de sanctions comprend des suspensions avec ou sans rémunération, et vous en avez dit un mot dans votre déclaration préliminaire. Je pense que cela existe depuis un certain temps, peut-être depuis 1994 ou même avant. Êtes-vous au courant des considérations qui ont mené à l’inclusion de ces sanctions particulières et, le cas échéant, pourquoi la suspension sans traitement est-elle finalement devenue une possibilité?

Je me demande également, en ce qui concerne la justification du ministère fédéral de la Justice pour ne pas inclure la réduction de rémunération dans ce projet de loi, qui n’a pourtant pas été modifié depuis 50 ans... Que répondriez-vous à cela? Et je me demande aussi... évidemment, vous avez vu des cas où la réduction de rémunération serait une sanction appropriée. Vous le permettez pour jusqu’à 30 jours, et 2 de vos 11 comités d’examen l’ont fait.

Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet, avec vos commentaires.

Mme Warner a répondu que cela remonte à bien des années, probablement à 1994 environ, et qu’elle n’était pas au courant des considérations qui ont motivé la décision initiale d’inclure cela, mais elle a dit :

[…] ce que je peux vous dire, c’est que j’ai examiné les deux décisions des comités d’audience qui ont décidé d’imposer une suspension de 30 jours.

C’était en 2017, et donc c’est assez récent. Elle a dit :

Dans les deux affaires, les comités d’audience avaient à juger d’un cas d’inconduite grave, mais les juges, dans chaque cas, avaient fait preuve de remords et d’introspection et reconnu leur tort. Ils avaient produit de nombreuses lettres d’appui, non seulement de juges, mais aussi d’avocats et de membres du public. Ils avaient suivi une formation de rattrapage et une formation en éthique.

À la lumière de ces facteurs atténuants, le tribunal évaluait s’il s’agissait d’une recommandation de révocation ou d’une suspension sans rémunération de 30 jours. Ils estimaient qu’à la lumière de ces facteurs atténuants, une recommandation de révocation ne serait pas justifiée, et ils ont combiné la suspension sans rémunération à certaines des sanctions moins sévères, par exemple, une réprimande et la présentation d’excuses dans un cas. Ils estimaient que cela servirait de sévère réprimande, mais, comme je l’ai dit, cela tiendrait compte de ces circonstances atténuantes.

Je ne sais pas pourquoi 30 jours est le chiffre magique, et je ne dis pas que c’est nécessairement la limite, mais je peux comprendre que vous ne vouliez pas vous approcher trop de la révocation. Mais en même temps, il y a un gouffre entre les excuses, la réprimande et la révocation. Cela aide à combler ce gouffre, et les comités d’audience l’ont constaté dans ces deux situations.

J’ai dit :

Excellent. Je suis d’accord avec vous. C’est un gouffre énorme, comme vous l’avez dit.

Je lui ai ensuite posé une question sur la chronologie des années, et elle m’a répondu :

La loi est entrée en vigueur en février 1995, et aucune modification importante n’y a été apportée.

Par conséquent, une suspension avec ou sans rémunération a été autorisée pour les juges de l’Ontario nommés par la province depuis 1995.

Elle a dit :

Quelques dispositions ont été ajoutées, mais la loi est demeurée relativement inchangée au cours de ses 28 ans d’histoire.

Mon amendement propose donc, oui, de suspendre un juge sans traitement pour un maximum de 30 jours — et c’est la limite pour cela — ou de suspendre le juge avec traitement pour une période que le comité juge indiquée.

Ensuite, pendant notre étude, nous avons reçu une note de service très utile préparée par les analystes de la Bibliothèque du Parlement parce que je voulais savoir ce que faisaient les autres provinces pour leurs juges de nomination provinciale. N’oublions pas que la Loi sur les juges que nous étudions vise les juges de nomination fédérale, mais pas seulement ceux de la Cour suprême du Canada, de la Cour d’appel fédérale et de la Cour fédérale. Il y a aussi un tribunal relativement inférieur, c’est-à-dire la Cour du Banc du Roi dans certaines provinces et la Cour supérieure de l’Ontario. Ce niveau de tribunaux de première instance serait inclus également.

Selon la note des analystes de la Bibliothèque du Parlement, presque toutes les provinces autorisent cela :

La Colombie-Britannique autorise la suspension du juge avec ou sans rémunération pour une autre période d’au plus six mois.

L’Alberta permet de suspendre l’intimé avec rémunération pour n’importe quelle période ou sans rémunération pour une période d’au plus 90 jours.

La Saskatchewan permet de suspendre le juge avec ou sans rémunération pour une période déterminée ou jusqu’à ce qu’il soit satisfait à certaines exigences, comme l’obligation d’obtenir des soins médicaux ou du counseling.

Le Manitoba autorise la suspension avec ou sans rémunération pour une période d’au plus 30 jours.

L’Ontario permet la suspension avec ou sans rémunération, mais avec des avantages sociaux pour une période d’au plus 30 jours.

Le Québec permet une condition s’il y a une recommandation...

[Français]

 — le conseil suspend le juge pour une période de 30 jours au Québec.

[Traduction]

Le Nouveau-Brunswick autorise la suspension sans rémunération du juge dont la conduite est en cause pour une période d’au plus 90 jours ou la suspension avec rémunération, et avec ou sans condition, du juge dont la conduite est en cause pour la période jugée indiquée.

La Nouvelle-Écosse autorise le juge à prendre un congé payé.

L’Île-du-Prince-Édouard autorise un décret recommandant au lieutenant-gouverneur en conseil de suspendre la nomination de l’intimé pour une période déterminée ou jusqu’à la survenance d’un événement futur déterminé.

Terre-Neuve permet la suspension du juge pour une période jugée indiquée jusqu’à ce qu’il soit satisfait aux conditions qu’elle peut imposer ou jusqu’à ce que le tribunal d’arbitrage rende une autre ordonnance.

C’est très complet. J’ai décidé de me limiter à 30 jours dans mon amendement pour ne pas risquer que la révocation soit peut‑être envisagée. Trente jours, c’est moins long.

Une autre chose importante dans toute cette affaire est ce que nous essayons de faire avec la refonte de cette loi qui n’a pas été révisée depuis fort longtemps pour ce qui est du processus disciplinaire. Nous voulons éviter les situations où les juges visés par le processus disciplinaire le prolongent pendant des années en multipliant les appels, et arrivent ainsi à conserver leur poste et leur rémunération aux frais des contribuables, si bien que leur situation n’est pas réglée avant de nombreuses années.

La formule actuelle — la révocation comme unique possibilité — n’est manifestement pas adaptée au besoin. L’écart entre une réprimande et les excuses est très large, les sanctions de sévérité progressive pouvant aller jusqu’à la révocation. Confronté à ce genre de situation, le juge pourrait être enclin à prolonger les processus pendant encore des années. Mais s’il peut espérer une courte suspension sans rémunération ou peut‑être une longue suspension avec rémunération, cela devient transparent et permet une sanction peut-être mieux adaptée aux circonstances qui la justifient. Je pense que c’est très important pour l’analyse.

Lorsque j’en ai parlé au Conseil canadien de la magistrature, j’ai tenu le même langage. En effet, plus tôt, dans ce groupe — je suppose que c’était le commissaire à la magistrature fédérale — j’avais rappelé que le sénateur Patterson avait demandé si la suspension avec rémunération était une possibilité. M. Giroux a répondu que c’est déjà possible. Un juge en chef peut effectivement suspendre un juge avec rémunération en ne lui confiant aucune affaire à juger. J’ai fait valoir que ce n’est pas du tout transparent. Le public ne le saurait jamais. Il pourrait penser que le juge est en vacances, en congé de maladie ou autre chose. Le public ne saurait jamais que le juge fait l’objet d’une procédure disciplinaire ou d’une allégation d’inconduite qui aurait amené le juge en chef à prendre ce genre de mesures à l’encontre de son subalterne.

Le président : Sénatrice Batters, je vous invite à conclure. Ce que vous dites est important, mais je veux donner une chance aux autres.

La sénatrice Batters : Oui, absolument. Je voulais simplement rappeler cela.

Voici ce que j’ai dit à M. Giroux :

… en ce qui concerne les commentaires que vous avez faits au sénateur Patterson au sujet de l’option de suspension avec rémunération pour dire que le juge en chef de différentes juridictions le fait déjà régulièrement… Je pense que vous pourriez en parler au ministre de la Justice… car lorsque nous avons reçu les fonctionnaires du ministère de la Justice, je leur ai posé des questions sur cette possibilité; pourquoi n’a-t-on pas retenu l’option d’une suspension ou d’une réduction de traitement? Le fonctionnaire a expliqué que si l’inconduite était assez grave pour qu’on envisage la suspension ou la réduction de la rémunération, alors l’affaire pourrait justifier la révocation, si bien qu’elle n’a pas été incluse.

J’ai insisté pour dire que le processus est loin d’être transparent. Le public ne saurait jamais rien de l’affectation ou de l’absence d’affectation d’un juge à une cause.

J’ai ensuite ajouté :

… nous avons également eu l’occasion de demander au Conseil de la magistrature de l’Ontario pourquoi l’Ontario a inclus cela dans une de ses listes d’options. De fait, Mme Warner, du Conseil de la magistrature de l’Ontario, a donné des exemples de cas où une inconduite grave justifiait le niveau de suspension sans traitement, mais pas la révocation.

M. Giroux s’est ensuite dit d’avis qu’il pourrait y avoir une raison jurisprudentielle quant à l’indépendance judiciaire des juges qui pourrait avoir une incidence sur cela, mais je lui ai alors dit que ni les fonctionnaires de la Justice ni le Conseil de la magistrature de l’Ontario ne nous avaient dit que c’était un problème dans l’un ou l’autre cas. Je ne m’attendais donc pas à ce que ce le soit.

Je vous demande d’étudier cet amendement, et je me ferai un plaisir de répondre à toutes vos questions. Je vous invite à envisager de l’appuyer. Merci.

Le président : Merci.

Le sénateur Dalphond : En tant que parrain du projet de loi, j’espère que j’aurai le plaisir de prendre 10 minutes, comme la sénatrice Batters, pour expliquer pourquoi l’amendement n’a pas de place dans le projet de loi.

Le président : C’est une considération importante, sénateur Dalphond, et c’est vous le parrain.

Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup. Je l’apprécie.

Je vais d’abord adresser mes questions aux fonctionnaires. Je les renvoie au paragraphe 126 proposé, (3) Rajustement annuel, à la page 14 du projet de loi. Je lis :

Il est entendu que le paragraphe (1) n’a pas pour effet de priver le juge du rajustement annuel de son traitement qui prend effet à compter de la date à laquelle la décision du comité d’audience plénier lui est notifiée.

Donc, le juge continue d’être payé jusqu’à ce qu’il soit congédié par le Parlement ou qu’il démissionne. Si, entretemps, il y a une augmentation de traitement, cette augmentation doit lui être payée. Est-ce bien le sens de cet article?

Me Patrick Xavier, avocat principal, Section des affaires judiciaires, ministère de la Justice Canada : Je crois que oui, sénateur, mais cet article fait spécifiquement partie d’un article plus général, qui porte sur le blocage du droit à pension du juge, un article très important qui soulève un point important au sujet de cet amendement.

Les exigences en matière de sécurité financière liées à l’indépendance judiciaire n’ont rien à voir avec la question de savoir si la suspension sans rémunération pourrait être promulguée dans le cadre d’une politique, mais elles imposent la procédure à suivre avant l’adoption de toute modification touchant la rémunération et les avantages sociaux des juges. Cette procédure est le processus de rémunération des juges.

L’article 126 du projet de loi remplacera l’article 65.1 de la loi créé il y a quelques années, qui bloque le droit à pension du juge dont le CCM recommande la révocation. Cette modification a franchi toutes les étapes du processus de rémunération avant d’être adoptée. Il fallait s’assurer qu’elle était constitutionnelle. Le processus de rémunération des juges prend environ un an.

Le sénateur Dalphond : Diriez-vous, maître Xavier, que les juges fédéraux doivent être traités sur le même pied que les juges provinciaux et que la partie VII de la Constitution, qui traite spécifiquement de la magistrature fédérale, ne confère pas un statut différent de celui des juges provinciaux?

Me Xavier : Vous parlez de l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867?

Le sénateur Dalphond : Les articles 95 à 100, partie VII, traitent spécifiquement des exigences de la Constitution concernant la magistrature.

Me Xavier : Selon l’article 99, les juges restent en fonction durant bonne conduite. Il n’est pas clair que l’on puisse suspendre un juge sans qu’il y ait eu manquement à la bonne conduite. Quant à savoir si vous pourriez les suspendre pour cause d’inconduite, la question se pose, et c’est une possibilité. C’est un peu flou.

Il n’y a aucune raison d’obliger à traiter sur un pied d’égalité les juges de nomination provinciale et les juges de nomination fédérale. Ce qu’on nous a dit au sujet de la suspension avec rémunération lors de nos consultations, c’est que cela fait plus mal au tribunal qu’au juge, parce que le juge est en congé non payé, mais que le tribunal, entretemps, doit faire des pieds et des mains pour pallier l’absence du juge.

Le sénateur Dalphond : La Cour suprême a dit que les juges provinciaux ont droit à des protections semblables, mais non identiques, à celles des juges de la Cour supérieure.

Me Xavier : La Cour suprême a dit cela, oui.

Le sénateur Dalphond : Ce que vous avez dit est peut-être trompeur. Je pense que la Cour suprême a clairement dit qu’ils avaient droit à la protection en vertu de la Constitution.

Me Xavier : Oui, en effet.

Le sénateur Dalphond : Le projet de loi, tel qu’il est rédigé, prévoit que le traitement continue d’être versé même si le juge est suspendu. Il y a deux types de suspension que confondent certaines personnes ici. La première est une suspension administrative, c’est-à-dire une décision administrative du juge en chef de la cour qui dit : « En attendant l’examen de votre conduite, vous ne siégerez pas, ou vous ne siégerez que pour tel ou tel type de cause », par exemple. Il ne s’agit pas d’une sanction, car les sanctions seraient imposées par le comité d’examen et non par le juge en chef.

En Ontario, lorsque le comité décide, avant la tenue de l’examen, qu’une suspension pourrait se justifier, la loi permet de recommander au juge régional de l’imposer. Le comité de l’Ontario n’a pas le pouvoir de suspendre un juge pour la durée de l’examen. Il a le pouvoir de recommander au juge régional de suspendre le juge. Nous n’avons rien de semblable ici, évidemment.

Par exemple, le juge Dugré, qui est toujours juge, et son ancien collègue, le juge Girouard, ont-ils été payés jusqu’au jour de leur démission?

Me Xavier : Oui. Ils sont payés jusqu’au jour de leur démission.

Le sénateur Dalphond : Ont-ils le droit d’être payés jusqu’à leur démission?

Me Xavier : Oui.

Le sénateur Dalphond : C’est ce que prévoit la Constitution. L’indépendance suppose trois choses : la sécurité financière, l’inamovibilité et l’indépendance administrative.

Ce que nous voulons faire ici, c’est dire à un juge : « Vous ne serez pas payé pendant 30 jours. » Pourquoi pas 90 jours? Pourquoi pas un an? Comment le juge arrive-t-il à vivre? Le juge n’est pas payé. N’est-ce pas là une attaque contre la sécurité financière, qui est protégée par la Constitution et qui, selon la Cour suprême, est l’une des trois caractéristiques des nominations à la magistrature pour garantir l’indépendance?

Me Toby Hoffmann, directeur et avocat général, Section des affaires judiciaires, ministère de la Justice Canada : Je pense que vous avez tout à fait raison, sénateur Dalphond; c’est une question d’indépendance financière. C’est pourquoi Me Xavier a témoigné que ce n’est pas simple. Il faut un processus constitutionnel. La Cour suprême du Canada en a parlé dans sa jurisprudence.

Si vous me le permettez, j’aimerais ajouter quelque chose au sujet de ce qu’a dit la sénatrice Batters, c’est-à-dire que lorsque les fonctionnaires ont comparu... et je vous présente nos excuses, sénatrice Batters. On ne nous avait pas dit que les questions posées concernaient justement les pouvoirs des juges en chef. Vous avez parlé du témoignage du commissaire Giroux. Oui, c’est un aspect normal des responsabilités et obligations d’un juge en chef de la Cour fédérale. Ils sont tout aussi préoccupés par les questions disciplinaires que par la façon dont leurs tribunaux sont perçus par le public pour assurer la bonne administration de la justice.

Le sénateur Dalphond : Je reprends mon temps de parole; dites-moi quand j’en serai à 10 minutes. Je ne veux pas être injuste envers la sénatrice Batters.

Lorsque la représentante du conseil a comparu devant nous, l’avocate générale du conseil... je n’ai pas la transcription sous les yeux, mais on lui a demandé pourquoi il n’y avait pas de suspension sans rémunération. Elle a répondu que c’était en raison de l’article 99 de la Constitution et du droit à la protection financière des juges. Je peux citer abondamment ce que le registraire du conseil de l’Ontario a pu nous dire, mais je pense que nous devrions nous reporter à ce qui a été dit par l’avocat général du conseil, en ce qui concerne les articles qui s’appliquent spécifiquement aux juges de la Cour supérieure, et que nous devrions éviter de confondre des choses qui sont différentes.

Je conclus que nous ne pouvons pas appuyer cet amendement. Je ne comprends pas comment la suspension avec rémunération constitue une sanction, à moins qu’elle ne soit rendue publique. Si elle n’est pas rendue publique, c’est un cadeau. « Vous êtes coupable d’inconduite et nous allons vous suspendre avec rémunération pendant trois mois. » Je peux comprendre que le juge en chef pense que ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder.

Si la suspension doit être rendue publique, il ne faut pas oublier que la Cour d’appel fédérale a statué clairement dans l’arrêt Slansky de 2013 que le processus, et surtout le processus relatif à la conduite — nous pouvons penser ici aux sanctions intermédiaires, et il s’agit donc du processus relatif à la conduite — doit donner au conseil le pouvoir discrétionnaire de rendre publique ou non la suspension à la lumière des intérêts supérieurs de la justice. Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci aux témoins d’être ici encore aujourd’hui.

J’aurais deux questions pour les témoins.

Je vous renvoie à l’alinéa 102 g), à la page 8 du projet de loi C-9. C’est le paragraphe qui porte le titre « Rejet de la plainte ou mesures ». Aux alinéas a) à g), on énonce un certain nombre de mesures qui peuvent être prises par le comité d’examen.

Ma question est la suivante : le comité d’examen peut-il, en vertu de l’alinéa 102 g) prendre la mesure suivante : « avec le consentement du juge en cause, prendre toute autre mesure qu’il estime indiquée dans les circonstances. »? Est-ce que l’alinéa 102 g) permet la suspension d’un juge avec ou sans salaire? On s’entend que c’est avec son consentement.

Me Xavier : Ce serait probablement la suspension du juge avec salaire. La suspension sans salaire, c’est un peu difficile à dire, et comme le disait le sénateur Dalphond, c’est une mesure qui devrait vraiment être revue par la Commission d’examen de la rémunération des juges avant de pouvoir faire partie du processus. Je ne sais pas si le juge pourrait consentir à ça; peut‑être. Il pourrait certainement consentir à être suspendu avec salaire.

La sénatrice Dupuis : Merci.

Ma deuxième question porte sur les éléments d’information que Me Giroux, le commissaire au Commissariat à la magistrature fédérale. Il nous a dit qu’à l’heure actuelle, le pouvoir de suspendre, c’est-à-dire de ne pas assigner de causes à un juge, relève de la prérogative et de la discrétion d’un juge en chef. Si j’ai bien compris, c’est la situation actuelle.

On vient créer une autre structure qui a un autre pouvoir de suspendre — dans le cas de la discrétion du juge en chef, on parle de « ne pas assigner », ce qui revient à suspendre, on s’entend.

De votre point de vue, quel est l’impact de cet amendement sur l’autorité actuelle du juge en chef de ne pas assigner une cause, c’est-à-dire de suspendre, dans les faits, un juge?

Me Xavier : Je pense qu’il est important d’établir une distinction entre ce dont parlait le commissaire et les sanctions dont on parle, ici.

Quand un juge en chef décide de ne pas assigner un juge à certaines causes, il use de son pouvoir d’assignation afin de protéger la confiance du public envers la cour. C’est une mesure grave qui est prise parce qu’il est allégué que le juge en question aurait fait quelque chose de vraiment grave. Le juge n’est pas nécessairement suspendu; en général, le juge n’entend pas de causes, mais il peut accomplir toutes sortes de tâches administratives en attendant que le processus soit terminé.

Par exemple, cela a été le cas pour l’ancien juge en chef associé Douglas; même l’ancien juge Girouard continuait de faire certaines tâches administratives pour la cour, simplement, il ne siégeait pas. Donc, il ne s’agit pas vraiment d’une suspension; le juge ne siège pas, mais cela ne veut pas dire que le juge est complètement inactif.

La suspension, à titre de sanction, est quelque chose de complètement différent; il s’agit d’une sanction, mais cela n’a pas vraiment d’impact sur les pouvoirs du juge en chef. Bien sûr, cela affecte la capacité de la cour de fonctionner.

Vous m’avez demandé si le juge peut être suspendu avec son consentement. Oui, probablement, mais le juge en chef serait lui aussi probablement consulté, et je ne sais pas ce que ce dernier en dirait, car l’absence d’un juge pour quelque temps, ce n’est pas la situation idéale pour un juge en chef.

La sénatrice Dupuis : Merci. Je voudrais vous demander une précision.

Je vois la distinction que vous faites entre la sanction qu’est la suspension et la discrétion laissée au juge en chef de ne pas assigner de causes.

Ce que j’essaie de comprendre, c’est l’impact à savoir si, au moyen de cet amendement, on donne l’autorité au comité d’examen de suspendre un juge, par rapport à la discrétion qui est laissée actuellement au juge en chef de ne pas assigner de causes à un juge. Il me semble qu’il y a un impact.

Me Xavier : C’est possible qu’il y ait un impact, mais je ne pense pas que ce serait problématique. Si un juge doit suivre une formation particulière, cela pourrait aussi faire en sorte que le juge ne serait pas disponible pour entendre certaines causes pour un certain de temps, et cela peut aussi avoir un impact sur le pouvoir d’assignation. Ce n’est pas vraiment problématique.

La sénatrice Dupuis : Très brièvement, je vous soumets l’exemple précis suivant : une suspension est décrétée par un comité d’examen — en vertu de l’amendement, s’il est adopté — pour une période d’un an. Il est suspendu avec salaire de toute façon; il ne peut pas se plaindre que son salaire est affecté. Est‑ce que je ne viens pas ainsi limiter la possibilité d’un juge en chef d’assigner des causes à ce juge?

Me Xavier : Absolument, oui.

La sénatrice Dupuis : Merci; c’était ma question.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Je dois dire qu’à première vue, l’amendement de la sénatrice Batters semble pragmatique, surtout si on songe à un cas où l’inconduite est liée à un problème de toxicomanie ou de santé mentale et que ce dont le juriste en cause pourrait avoir besoin, c’est de réadaptation ou de counselling, après quoi il pourrait reprendre du service. L’amendement me semble adapté à ce genre de situation où quelqu’un a commis un acte grave, mais où la gravité de l’infraction est liée à quelque chose comme la consommation de drogues ou d’alcool.

J’ai du mal à comprendre. À l’heure actuelle, une affaire est en instance au Canada, et nous n’allons évidemment pas en parler, où un juge de très haut rang semble être suspendu — je ne sais pas si c’est avec ou sans traitement —, mais c’est pendant que la plainte fait l’objet d’une enquête. Si vous pouvez le faire, pourquoi n’est-ce pas possible après coup?

Me Hoffman : Je vous remercie de la question, sénatrice.

C’est une possibilité, mais, encore une fois, comme M. Xavier l’a dit plus tôt et comme je l’ai dit tout à l’heure, il faut faire confiance aux juges en chef de chaque cour pour faire ce qu’ils estiment être le mieux. À mesure que le processus se déroule, le juge en chef peut décider que d’autres mesures s’imposent, en plus du processus disciplinaire en cours. La considération ultime, la préoccupation ultime, c’est la préservation de la confiance du public envers l’institution. On peut donc soutenir — et je dis cela de façon très objective — que si des pouvoirs ou des sanctions doivent relever de certains juges en chef partout au Canada, cela pourrait être perçu, bien que je ne puisse pas parler en leur nom, comme une atteinte à l’indépendance judiciaire et à leur possibilité de faire les meilleurs choix pour la cour.

La sénatrice Simons : Mais si j’ai bien compris, cela ne concerne pas le pouvoir des juges en chef d’appliquer des mesures disciplinaires internes pour leur cour. À mon sens, il s’agit d’un cas particulier pour le Conseil de la magistrature qui, dans le cas dont personne ne parle ouvertement, enquête sur une conduite non judiciaire, mais personnelle.

Me Hoffman : Je vais être franc. Nous sommes ici pour vous aider, mais je ne suis pas certain que nous puissions en dire beaucoup plus, en ce sens que, sénatrice, il peut arriver que les limites soient floues. Comme je l’ai dit, il y a peut-être des membres de la magistrature qui estiment que cela empiète sur leur capacité d’avoir l’intendance et le contrôle de leurs tribunaux. Je vais m’en tenir à cela, sénatrice.

La sénatrice Simons : Merci. Je comprends.

Le président : Puis-je me permettre une brève observation? Nous pourrions employer des termes différents, mais dans le cas que vous avez évoqué, le juge en chef de la Cour suprême a dit que le juge en cause était en congé, et nous pourrions interpréter cela comme une suspension, mais il a été déclaré publiquement qu’il s’agissait d’un congé.

Le sénateur D. Patterson : En principe, je suis convaincu par l’argument de la sénatrice Batters : il y a un avantage à avoir plus de souplesse par rapport aux sanctions relativement mineures prévues à l’article 102 — elles se rapprochent davantage d’une tape sur les doigts, d’une réprimande. Je ne veux pas les minimiser, mais il s’agit certainement de peines peu sévères. Il y a ensuite la révocation pure et simple. En principe, c’est tout à fait logique. Nous le constatons dans de nombreuses autres situations disciplinaires, et l’exemple des forces policières vient à l’esprit.

Le sénateur Dalphond et les fonctionnaires me disent cependant : « Un instant. L’élément de sécurité financière nécessaire à l’indépendance de la magistrature est menacé par une suspension sans traitement. » Le sénateur Dalphond et les fonctionnaires ont également souligné qu’il devrait y avoir parité... Selon la Cour suprême, il devrait y avoir une certaine égalité entre les juges des cours provinciales et les juges fédéraux, si j’ai bien compris.

Plusieurs provinces ont établi, dans le cadre de leurs procédures disciplinaires pour les juges, la possibilité d’une suspension sans traitement, et il y a aussi des provinces qui semblent mettre à risque l’indépendance de la magistrature en menaçant la sécurité financière. Si cela se produit si largement à l’échelle du Canada, au niveau provincial, pourquoi ces deux préoccupations sont-elles pertinentes ici? Si ces dispositions existent depuis quelques années dans les provinces, qui ne préconisent certainement pas l’égalité avec le régime fédéral, dispositions qui semblent certainement avoir une incidence sur la sécurité financière des juges, comment cela peut-il être permis, étant donné que la pratique est largement répandue dans les provinces?

Me Xavier : À ma connaissance, la question n’a jamais fait l’objet d’un litige. Pour être parfaitement clair, l’élément de sécurité financière nécessaire à l’indépendance judiciaire n’interdit pas nécessairement la suspension sans traitement. Ce qu’il interdit, c’est la promulgation de tout changement à la rémunération et aux avantages des juges qui n’a pas d’abord fait l’objet d’un processus relatif à la rémunération des juges. Le fait qu’un avantage existe dans une autre administration ne permet pas au gouvernement fédéral de l’appliquer sans passer par ce processus. La Cour suprême vient d’être très claire au sujet du rôle de gardien de la Commission d’examen de la rémunération des juges lorsqu’il s’agit de tout ce qui touche la rémunération. C’est pourquoi l’article 65.1 de la Loi sur les juges, qui gèle les droits à pension lorsque le CCM recommande la révocation, a suivi le processus avant de devenir loi. La même exigence s’appliquerait ici. Il faudrait que, pour que la Constitution soit respectée, la commission fédérale se prononce avant toute promulgation. C’est ainsi que joue l’élément de la sécurité financière, dans le respect d’une certaine procédure.

Le sénateur D. Patterson : Pour respecter cette condition, il faudrait modifier l’amendement pour respecter le processus de rémunération des juges. Est-ce bien ce que vous dites? Ce serait ensuite acceptable?

Me Xavier : Une suspension avec traitement pourrait être imposée si le comité d’examen décide que c’est une bonne chose, mais une suspension sans traitement ne pourrait tout simplement pas être imposée tant que le processus relatif à la rémunération n’a pas été appliqué.

Le sénateur D. Patterson : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’ai une question pour la sénatrice Batters.

Vous proposez deux possibilités dans votre amendement : la suspension avec salaire et la suspension sans salaire. Pouvez-vous m’expliquer, ainsi qu’à ceux qui nous écoutent, dans quelles circonstances il y aurait un maintien du salaire et dans quelles circonstances il y aurait une impossibilité de maintenir le salaire?

[Traduction]

La sénatrice Batters : C’est exact, nous aurions cette possibilité, comme c’est le cas dans nombre de provinces. Presque toutes peuvent imposer une suspension avec traitement. C’est le terme que j’utilise, et non rémunération, à cause de sa connotation particulière. Le traitement désigne le montant reçu, et pas forcément les avantages sociaux, que je ne voulais pas englober. Il y aurait donc une suspension avec possibilité de traitement, comme nous l’avons entendu de toute façon, mais sans transparence, puis une suspension sans traitement d’un maximum de 30 jours, ce qui se situe dans la partie inférieure de la fourchette de ce que de nombreuses provinces prévoient, afin d’éviter qu’on ne s’approche des cas radicalement différents où la révocation est la peine qui convient.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Qui déciderait du maintien ou non du salaire du juge suspendu? Est-ce que ce sont les circonstances de la délinquance ou est-ce le comité qui déciderait de maintenir ou pas le salaire?

[Traduction]

La sénatrice Batters : Ce serait l’une des options qui s’offrent au comité de discipline lorsque le cas d’un juge lui est soumis. À l’heure actuelle, dans le système tel qu’il est, la seule option est la révocation du juge, ce qui est évidemment très grave. Le projet de loi C-9 a permis d’ajouter des sanctions moins sévères pour les avertissements, les réprimandes, les excuses et d’autres types de mesures précises, mais rien n’est prévu pour l’instant, au-delà de ces peines moins sévères. La révocation est l’étape suivante.

Le président : Qui prendrait cette décision?

La sénatrice Batters : Comme je l’ai dit, le comité d’examen.

Le sénateur Boisvenu : Ce n’est pas automatique?

La sénatrice Batters : Non, ce n’est pas automatique.

Le sénateur Tannas : Si la suspension sans traitement était retirée et si nous disions simplement que le comité d’examen peut imposer pour récupérer les coûts du processus une amende ne dépassant pas un mois de traitement, serait-ce un moyen simple de donner suite à ce que nous croyons être une bonne idée? Ce serait un moyen d’imposer une sanction monétaire à un juge pour l’inconduite dont il s’est rendu coupable, sans pour autant suspendre son traitement.

Me Xavier : Cela ne changerait rien, sénateur, je le crains. Dès qu’il est question de priver un juge d’un certain montant, on va à l’encontre des exigences relatives à la sécurité financière, à moins que la Commission d’examen de la rémunération des juges n’ait examiné la proposition et publié un rapport contenant une recommandation, et que le gouvernement n’y ait répondu. C’est ainsi que le processus fonctionne. La commission est le gardien de tout ce qui a trait à la rémunération et aux avantages sociaux.

Me Hoffman : Je tiens à préciser que chacune des provinces évoquées par la sénatrice Batters a ses propres commissions qui se saisissent de ces questions. Je suis désolé, mais nous ne pouvons pas dire aujourd’hui si ces commissions ont étudié la question. Peut-être l’ont-elles fait, mais nous ne pouvons pas le dire avec certitude.

Me Xavier : L’exigence de la commission remonte à 1997. Il est également possible que certaines des dispositions relatives à la suspension sans traitement remontent avant 1997. C’est difficile à dire.

Le président : Nous allons terminer avec la sénatrice Batters, à moins qu’une autre intervention ne soit nécessaire. Si vous le voulez bien, je voudrais que vous n’abordiez que des points nouveaux.

La sénatrice Batters : Oui, je voulais aborder certains des points soulevés par d’autres et sur lesquels j’avais fait des observations précises.

À cet égard, aujourd’hui, pour la première fois, nous entendons des préoccupations portant expressément sur ces différentes questions, alors que j’ai soulevé la possibilité d’une suspension avec ou sans traitement dans cette loi au cours de mon intervention à l’étape de la deuxième lecture. Je voulais savoir pourquoi ces considérations ne figuraient pas dans le projet de loi, et c’était bien sûr avant que le ministre ne comparaisse devant le comité. J’ai posé une question précise au ministre à ce sujet. Il n’a soulevé aucune de ces préoccupations. Il a renvoyé la question à ses fonctionnaires, et il n’a pas été question de leurs préoccupations à ce moment-là. Nous avons demandé au ministre Lametti de revenir. Il a décliné notre invitation. Aujourd’hui, nous entendons des préoccupations différentes qui n’avaient pas encore été soulevées.

De plus, lorsque M. Giroux a comparu, il nous a parlé précisément de la possibilité de suspendre un juge avec traitement. Cela se fait effectivement, a-t-il dit, parce que les juges en chef n’attribuent pas de causes. Pas de problème. Pourtant, les fonctionnaires du ministère de la Justice disent aujourd’hui qu’il n’est pas clair qu’on peut suspendre un juge sans qu’il soit conclu qu’il s’est rendu coupable d’inconduite. Il semble, d’après ce que disait M. Giroux, que c’est très bien tant qu’il n’y a pas transparence. Mais si nous inscrivons cela dans la loi de façon transparente pour que le public soit au courant de la situation, cela pourrait poser un problème. Ni le Conseil canadien de la magistrature, qui est actuellement responsable de ce genre de processus, ni M. Giroux n’ont soulevé cette préoccupation. Encore une fois, pour ces raisons, il aurait peut‑être été utile que le ministre de la Justice revienne pour répondre à ces questions précises, que j’ai constamment soulevées au cours des dernières semaines.

De plus, rien dans l’amendement à l’étude n’enlève aux juges en chef le pouvoir de s’occuper de leur cour et de la diriger. Qualifier une mesure de congé et non de suspension avec salaire me paraît une nuance plutôt subtile.

Je souligne également que ces systèmes provinciaux... Par exemple, celui de l’Ontario, que je connais, est en place depuis 30 ans. Alors que les fonctionnaires disent aujourd’hui que, à leur connaissance, cette question n’a pas été l’enjeu de litiges, je souligne que, pendant des décennies, aucun juge au Canada n’a porté cette question devant les tribunaux. Nous pouvons raisonnablement nous attendre à ce que les juges qui risquent d’être révoqués contestent un tel point s’ils estiment avoir une bonne chance de l’emporter.

À mon avis, mon amendement, qui vise à assurer la confiance du public, contribue grandement à instaurer cette confiance et à faire en sorte que nous puissions avoir un processus disciplinaire efficace qui permettrait d’imposer des sanctions réelles sans qu’il faille se lancer dans des litiges qui dureraient des années et coûteraient aux contribuables des centaines de milliers de dollars avant qu’on n’en arrive à la procédure de révocation.

Le président : Merci. Le sénateur Dalphond est le parrain du projet de loi. Il a le dernier mot.

Le sénateur Dalphond : Je répète ce que j’ai dit parce qu’il y a peut-être eu malentendu. Il y a deux scénarios différents. Lorsque le juge en chef ou le juge régional suspend temporairement un juge parce qu’il est soumis à un examen, il s’agit d’une décision administrative qui n’est pas une sanction. Il s’agit simplement de se concentrer sur l’examen de la conduite. Il peut s’agir aussi de protéger l’intégrité de la cour. Vous savez, le juge Brown n’est pas sanctionné. Il est en congé. Il est payé et il se concentre sur les allégations qui ont été faites au sujet de certains comportements. C’est un point important.

La sénatrice Batters a dit qu’il s’agissait d’une sanction possible en Ontario. Le dispositif est en place depuis de nombreuses années, mais elle a omis de rappeler, ou peut-être l’a-t-elle oublié, ce que le témoin a dit. Il a été utilisé trois fois pendant toute cette période. La loi prévoit 30 jours. C’est la limite prévue dans le projet de loi. Il n’y a eu aucune contestation en Ontario. Les trois juges visés ne l’ont pas contestée. Cela ne veut pas dire que c’est constitutionnel.

Le président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Batters : Un vote par appel nominal, s’il vous plaît.

Mark Palmer, greffier du comité : L’honorable sénateur Cotter.

Le sénateur Cotter : Non.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Batters.

La sénatrice Batters : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénateur Boisvenu.

Le sénateur Boisvenu : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Clement.

La sénatrice Clement : Non.

M. Palmer : L’honorable sénateur Dalphond.

Le sénateur Dalphond : Non.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Dupuis.

La sénatrice Dupuis : Non.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Gagné.

La sénatrice Gagné : Non.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Jaffer.

La sénatrice Jaffer : Non.

M. Palmer : L’honorable sénateur Klyne.

Le sénateur Klyne : Non.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Martin.

La sénatrice Martin : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénateur Patterson.

Le sénateur D. Patterson : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Simons.

La sénatrice Simons : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénateur Tannas.

Le sénateur Tannas : Oui.

M. Palmer : Oui, 6; non, 7.

Le président : La motion d’amendement est rejetée.

Passons au prochain amendement. Il s’agit de l’amendement C9-12-6 proposé par la sénatrice Clement.

La sénatrice Clement : Je voudrais ajouter l’inconduite sexuelle et ne plus supprimer le harcèlement sexuel. C’est la procédure qui m’intéresse.

Le président : Nous allons suspendre l’étude de cet amendement si vous le voulez bien.

La sénatrice Simons : Nous attendions que le greffier nous donne le libellé.

Le président : Plaît-il au comité de revenir à la motion de la sénatrice Simons et de reprendre ensuite l’étude de l’amendement de la sénatrice Clement?

La sénatrice Simons : À moins que nous n’ayons d’abord à traiter de la question du harcèlement.

Le président : C’est mon avis, et la séquence semble acceptable pour le comité.

La sénatrice Simons : Pour rattraper le retard d’hier, je vais proposer un amendement favorable à mon propre amendement. Vu les sages observations de la présidence, l’amendement serait réservé, mais à l’article 12, à la page 23, au lieu de la liste des catégories où il est dit, (i) inconduite sexuelle... Excusez-moi. Je n’avais pas la bonne page. Je vais relire depuis le début. Toutes mes excuses.

Le président : Lisez-vous votre amendement au complet?

La sénatrice Simons : Je propose cette partie :

Que le projet de loi C-9 soit modifié à l’article 12 :

a) à la page 5, par adjonction, après la ligne 23, de ce qui suit :

« 86.1 Lorsqu’il reçoit une plainte, le Conseil recueille ceux des renseignements ci-après au sujet du plaignant que ce dernier consent à lui fournir :

a) sa race, son identité autochtone, son origine nationale ou ethnique et sa religion;

b) son sexe et son identité de genre;

c) tout handicap qu’il pourrait avoir. »;

b) à la page 23 :

(i) par substitution, aux lignes 17 à 24, de ce qui suit :

« sant état, pour l’année :

a) du nombre de plaintes :

(i) reçues,

(ii) retirées ou abandonnées,

(iii) rejetées par un agent de contrôle pour une raison prévue à l’un ou l’autre des alinéas suivants :

(A) 90(1)a),

(B) 90(1)b),

(C) 90(1)c),

(iii) rejetées par un examinateur pour une raison prévue à l’un ou l’autre des alinéas suivants :

(A) 90(1)a),

(B) 90(1)b),

(C) 90(1)c),

(v) rejetées par un examinateur parce qu’elles sont dénuées de tout fondement,

(vi) instruites par les comités d’examen, d’audience et d’appel,

(vii) ayant mené à la prise de l’une ou l’autre des mesures prévues aux alinéas 102a) à g);

b) pour chacune des catégories énumérées à l’alinéa a), du nombre de plaintes :

(i) pour inconduite sexuelle,

(ii) pour discrimination fondée sur un motif de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

c) pour chacune des catégories énumérées à l’alinéa a), d’un résumé des renseignements recueillis au titre de l’article 86.1, présenté d’une manière qui ne permette pas d’identifier les plaignants;

d) dans le cas des plaintes retirées ou abandonnées, des motifs mentionnés, le cas échéant. »,

(ii) par adjonction, après la ligne 28, de ce qui suit :

« (3) À la lumière des renseignements contenus dans le rapport annuel, le ministre peut recommander que le Conseil organise des colloques au titre de l’alinéa 60(2)b). ».

[Français]

En français, on dit : « a) sa race, son identité autochtone, son origine nationale ou ethnique et sa religion; »

[Traduction]

In consultation with Senator Pate, and because there were concerns raised about the final clause of the amendment, which reads if the minister makes a recommendation under subsection 3, they shall make it public, Senator Pate has agreed that we could excise that clause since that seemed to be causing some concern around the table.

Le président : Sous-alinéa 4 précisément...

La sénatrice Simons : Le sous-alinéa 4 précisément.

Le président : Avons-nous tous bien compris?

[Français]

La sénatrice Simons : Il s’agit du dernier paragraphe, le paragraphe 3 : « Le ministre rend publique toute recommandation faite au titre du paragraphe 3. »

C’est à la page 3, le dernier paragraphe.

[Traduction]

Le président : Avons-nous tous bien compris la forme de l’amendement de la sénatrice Pate et de la sénatrice Simons?

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je veux comprendre le dernier paragraphe de la page 3. C’est un amendement retiré, n’est-ce pas? Merci.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Pour ce qui est de la distinction entre l’inconduite sexuelle et le harcèlement sexuel, je voudrais lire le libellé de la sénatrice Pate, et je crois que la sénatrice Clement sera d’accord avec moi. C’est ce que m’a dit la sénatrice Pate.

Le président : Pour que ce soit bien clair, parlons-nous maintenant de l’amendement de la sénatrice Clement?

La sénatrice Simons : Non, des préoccupations ont été exprimées parce que ce libellé utilise les mots « inconduite sexuelle ».

Le président : Il s’agit du renvoi à la deuxième page de votre amendement? D’accord. Allez-y.

La sénatrice Simons : La justification suivra naturellement.

La principale raison de ce choix de mots est en grande partie liée au témoignage de la Canadian Muslim Lawyers Association, selon lequel le libellé relatif au harcèlement sexuel n’englobe peut-être pas toute la gamme des cas d’inconduite sexuelle signalés au CCM. À bien des égards, ce choix de libellé est un compromis en raison de notre manque de données sur la question. À l’alinéa 80b), la justification requise pour la révocation d’un membre de la magistrature est l’inconduite et non pas simplement le harcèlement. Il y a beaucoup de comportements qui, franchement, ne seraient pas considérés comme du harcèlement sexuel, mais qui sont tout aussi odieux et méritent une enquête approfondie. Malheureusement, nous n’avons pas pu entendre suffisamment de témoignages sur ce point pour amender le projet de loi à ce moment-ci, mais nous devons savoir combien de cas sont classés comme du harcèlement sexuel et non rejetés par l’agent de contrôle et combien de cas sont classés comme inconduite sexuelle et sont rejetés par les agents de contrôle. Pour amener le Conseil canadien de la magistrature à répondre de ce domaine crucial des plaintes, nous devons obtenir les données afin de pouvoir mieux réexaminer cette question à l’avenir et nous attaquer à la misogynie et au sexisme systémiques qui existent dans le système juridique, y compris au Conseil canadien de la magistrature.

Ce sont les mots de la sénatrice Pate.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Juste pour m’assurer de comprendre, est-ce qu’on propose quoi que ce soit au sous-alinéa (b)(i), à la page 2 de l’amendement? Est-ce qu’on maintient le texte tel qu’il a été présenté dans l’amendement hier?

[Traduction]

La sénatrice Simons : Oui. J’expliquais, comme je ne l’ai pas fait hier, la justification personnelle de la sénatrice Pate. J’ai fourni la mienne, mais pas la sienne.

[Français]

La sénatrice Dupuis : D’accord, merci.

Le sénateur Dalphond : J’aimerais comprendre le suivi de la réponse à la sénatrice Dupuis. À la page 1, est-ce qu’il y a des modifications, oui ou non?

[Traduction]

Le président : Avez-vous vu le libellé du nouveau sous-alinéa a) dans le premier des articles? Il y a un nouveau libellé.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Oui, j’ai vu cela. Est-ce qu’il y a autre chose?

[Traduction]

Le président : Le libellé actuel de cette disposition est le suivant : « sa race, son identité autochtone, son origine nationale ou ethnique et sa religion ». Cela s’applique donc à un certain nombre d’autres catégories. C’est l’amendement modifié que nous examinons.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Ma question était au sujet de la page suivante, sur l’inconduite sexuelle.

[Traduction]

Le président : Le libellé n’est pas modifié dans cet amendement. Cela reste inchangé. Le troisième point est le retrait du paragraphe (4) de la page 3.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’essaie juste de comprendre. À quel endroit va-t-on inclure l’alinéa a) du document qu’on vient de nous donner?

[Traduction]

Le président : La sénatrice Clement nous le dira peut-être. Peut-être.

La sénatrice Simons : Excusez-moi, monsieur le président, mais je crois que le sénateur Boisvenu veut dire le passage suivant :

[Français]

« a) sa race, son identité autochtone, son origine nationale ou ethnique et sa religion; ». Ce sera inclus à la première page, après le paragraphe 86.1.

Le sénateur Boisvenu : Mon intervention est une intervention de principe. Est-ce que, quelque part ailleurs, dans notre système de justice, lorsqu’une plainte est déposée à un policier, on identifiera le plaignant en fonction de sa race, son identité, son origine, son ethnie et sa religion? Est-ce qu’il existe un endroit, dans le système de justice, où on agit ainsi, ou est-ce que ce sera unique?

Lorsqu’une plainte sera déposée contre un juge, est-ce qu’on va déterminer toutes les caractéristiques du plaignant, alors que dans le cas d’une femme qui porte plainte pour intimidation ou agression sexuelle à un policier, on va déterminer les mêmes caractéristiques de la victime?

Il s’agit pour moi d’une question de principe.

Sénateur Dalphond, peut-être avez-vous la réponse à ma question?

Le sénateur Dalphond : Il ne s’agit pas de mon amendement. Que ceux qui l’ont préparé répondent à vos questions. Je suis contre l’amendement. Donc, ne me demandez pas de vous l’expliquer.

[Traduction]

Le président : Je crois comprendre, sénateur Dalphond, que vous êtes d’accord avec le sénateur Boisvenu sur ce point.

Je vais inviter la sénatrice Simons à répondre, mais nous ne sommes pas tous censés être des experts dans tous les aspects du système judiciaire. Dans certains cas, en ce qui concerne les plaintes contre la police, les organismes de traitement des plaintes catégorisent souvent la nature des plaintes — peut-être pas de façon aussi exhaustive. Cela se passe parfois.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends, mais lorsqu’on consulte Juristat, le grand système canadien dans lequel on peut avoir des données de nature parcellaire, on ne retrouvera jamais autant de décortication des plaignants que dans le cas d’une plainte contre un juge. Ça, c’est mon premier point.

Deuxièmement, lorsqu’un juge aura devant lui toutes ces informations, est-ce que cela aura un effet positif ou négatif? Parce qu’on vient raciser — excusez le terme — la portée d’une plainte, et je trouve cela dangereux.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Il est vraiment important de préciser qu’il ne s’agit pas de renseignements qui sont transmis à un juge. Ces renseignements seront rendus anonymes et publiés dans un rapport annuel. Cela ne concerne pas l’audience tenue au sujet du juge. À la fin de l’année, dans un rapport annuel, un tableau fournira cette information anonymisée.

Vous avez raison, sénateur Boisvenu. Je ne sais pas si tous les services de police du pays recueillent des données de cette façon, bien que, comme le sénateur Cotter l’a dit, un bon nombre d’entre eux fournissent des données de ce genre. Mais si d’autres ne le font pas, je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit de terriblement honteux à établir une nouvelle norme, parce que, franchement, c’est le genre d’information que nous pourrions... Si l’Association médicale canadienne recueille des renseignements sur les plaintes formulées contre des médecins et si les barreaux recueillent des renseignements sur les plaintes qui visent des avocats, ce serait une mesure utile qui pourrait être adoptée par bien d’autres dans le système.

Je tiens à dire très clairement que ce ne sont pas des renseignements qui entrent en ligne de compte dans la discussion sur la façon dont un juge donné fait l’objet de mesures disciplinaires ou d’une enquête. Il s’agit de données anonymisées qui seraient publiées dans un rapport annuel à la fin de l’année.

Le président : Nous avons eu pas mal de discussions à ce sujet plus tôt, et il y a quelques autres intervenants. À moins d’une intervention exceptionnelle, le sénateur Dalphond aura le dernier mot.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je vais demander à nos témoins de me dire si j’ai bien lu le projet de loi C-40.

Vous n’avez pas tous les projets de loi en tête ni devant vous, mais cela me rassurerait si vous pouviez nous répondre « non ». Au cas où vous les auriez, l’article proposé à 696.87(1)b) traite de la nouvelle Commission d’examen des erreurs du système judiciaire, soit le projet de loi qui vise à établir une Commission d’examen des erreurs du système judiciaire.

Cet article prévoit que

des statistiques au sujet des demandeurs soient ventilées, dans la mesure du possible, selon l’identité de genre, l’âge, la race, l’origine ethnique, la langue, les handicaps, le revenu et tout autre facteur identitaire considéré dans le cadre d’une analyse comparative entre les sexes.

Je pense que le ministère de la Justice a trouvé une façon de formuler les préoccupations qui ont été exprimées de très nombreuses fois, pendant des années, sur la nécessité d’avoir des données désagrégées.

Il y a ici une formulation qui serait intéressante et pour laquelle j’ai sollicité l’intervention du parrain du projet de loi, en l’invitant à communiquer avec le ministre afin de savoir s’il pourrait considérer d’amender le projet de loi C-9, de telle sorte que, puisque l’on entre dans ce genre de nouvelles formulations, on soit cohérent.

La proposition d’amendement qu’on nous a déposée hier et qu’on amende aujourd’hui n’en tient pas compte et je trouve cela très problématique.

Ma question pour vous est la suivante : ai-je raison de croire que je n’ai pas rêvé lorsque j’ai lu l’article 696.87 du projet de loi C-40?

Me Xavier : Malheureusement, sénatrice Dupuis, je l’ignore. Je ne suis pas familier avec ce projet de loi.

La sénatrice Dupuis : D’accord. Non, je pense que j’ai bien lu. Merci.

[Traduction]

La sénatrice Clement : Je voudrais demander aux fonctionnaires si cet amendement pose un problème technique. Nous avons discuté du dernier amendement et des problèmes qu’il poserait. Je comprends l’argument de la sénatrice Dupuis au sujet de la cohérence, mais c’est quelque chose qui forcera la collecte de données désagrégées, données qui ne sont pas recueillies actuellement. Nous ne revoyons pas cette loi très souvent. Les données sont de la plus haute importance. C’est ainsi que nous élaborons les politiques appropriées dans notre pays et dans tous les autres. Y a-t-il un problème technique dans cette disposition au sujet de votre capacité de recueillir des données?

Me Xavier : À ma connaissance, il n’y a pas de problème technique lié à la collecte de données à proprement parler. Lorsque j’ai vu l’amendement pour la première fois, j’ai aussi réagi au fait que le paragraphe 86(1) semblait ne pas être très inclusif à certains égards. Il serait peut-être important de s’assurer qu’il couvre tous les motifs que vous souhaitez. Mais pour ce qui est de la collecte de données en tant que telle, il n’y a pas de problème technique pourvu que le conseil puisse présenter des données complètement anonymisées, comme l’a précisé la sénatrice Simons, pour éviter qu’on ne puisse, par inadvertance, permettre d’identifier un plaignant en particulier, par exemple. Je ne crois pas que la collecte de données soulève de préoccupations techniques.

La sénatrice Clement : Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’aimerais poser une brève question aux représentants du ministère de la Justice. Le terme « inconduite sexuelle », qui remplacerait le terme « harcèlement sexuel » figurant dans le projet de loi C-9, est-il un terme équivalent?

Me Xavier : Les deux termes ne sont pas équivalents. Le terme « harcèlement sexuel » est très bien défini dans la jurisprudence, mais le terme « inconduite sexuelle » n’est pas défini nulle part; il n’est pas défini dans les lois fédérales ni dans la jurisprudence.

La jurisprudence, au contraire, suggère que c’est un terme très large qui comprend le harcèlement sexuel, mais qui comprend aussi toutes sortes d’infractions criminelles. C’est un terme assez large qui n’a aucune définition très précise.

La sénatrice Dupuis : Merci. Cela confirme ce que je voulais savoir.

[Traduction]

La sénatrice Clement : Je vais proposer un amendement favorable à mon propre amendement, qui consiste à maintenir l’utilisation de l’expression « harcèlement sexuel » et à ajouter « inconduite sexuelle ». Cela a une incidence sur cet article en particulier.

Le président : Essayez de garder cela en réserve jusqu’à ce que nous y arrivions.

Le sénateur Dalphond : Je vais vous expliquer pourquoi je ne peux pas accepter cet amendement, malgré le changement.

L’intention de celle qui a conçu l’amendement et qui, malheureusement, n’est pas là aujourd’hui, est vraiment de trouver des façons de déceler certains motifs de discrimination — l’origine ethnique, l’identité autochtone, la race et ainsi de suite. Ensuite, à partir de ces données, le ministre pourrait, selon l’alinéa (3), faire des recommandations fondées sur l’information contenue dans le rapport annuel pour préparer et offrir des séminaires sur la discrimination parce que c’est la seule information qui doit être recueillie. Voilà ma première réflexion.

Je trouve cela plutôt restreint. Je n’aime pas l’idée de préciser les détails de ce qui devrait être recueilli ou non. J’ai préparé des ébauches d’observations qui présentent une perspective beaucoup plus large. Par exemple, je comprends qu’il est important d’essayer de déterminer si les plaintes dégagent une certaine tendance. Si les membres d’un groupe racisé se plaignent plus souvent que les autres groupes, c’est peut-être un signe que quelque chose ne va pas dans le système. Mais il n’y a rien au sujet de la langue du plaignant et de la façon dont il a été traité en cour. Il n’y a rien au sujet de l’âge. Il n’y a rien au sujet du niveau d’études. Il n’y a rien au sujet de l’autoreprésentation, qui génère bien des plaintes parce que les gens ne comprennent pas le système et qu’ils n’ont pas l’aide d’un avocat. Il n’y a rien sur la nature de la cause dont le tribunal était saisi. S’agit-il d’une cause de droit familial ou d’une conférence en vue d’un règlement amiable? Nous avons vu dans des rapports précédents que ces conférences deviennent des sources de plaintes.

Nous essayons ici d’établir une image partielle sans tenir compte de la situation globale. Dans mes observations, je propose un libellé beaucoup plus étendu. Je n’aime pas ce libellé, parce qu’il limite. Il exige que le rapport porte sur ces caractéristiques et rien d’autre. Je pense que ce n’est pas la bonne façon de procéder. Le représentant du Conseil qui a comparu devant nous s’est engagé à fournir de l’information sur de nombreux autres points qui ne sont pas mentionnés ici, mais ce projet de loi lui intime de fournir seulement ces renseignements. Très franchement, je préférerais que nous ne nous engagions pas dans une sorte de camisole de force qui sera trop étroite pour accomplir quoi que ce soit, sauf la discrimination potentielle fondée sur le racisme et sur d’autres caractéristiques tout en omettant beaucoup d’autres critères.

Deuxièmement, même si l’on supprime le paragraphe (4), le ministre rend la recommandation publique afin d’éviter une sorte de processus d’humiliation, on revient au paragraphe (3). Le ministre peut alors recommander, sur la base des renseignements contenus dans le rapport annuel, que le conseil organise des colloques conformément à l’alinéa 62b). Jusqu’à maintenant, le projet de loi Ambrose a modifié la Loi sur les juges, et le Parlement a demandé au Conseil d’organiser des colloques sur certains sujets. Maintenant, nous reconnaissons qu’un ministre peut consulter un rapport annuel et, selon ce qu’il y trouve, il peut suggérer que le Conseil organise d’autres types de colloques. J’y vois là une ingérence de l’exécutif dans le judiciaire. J’accepte que le Parlement donne des instructions, comme nous l’avons fait dans le cas de la Loi sur les juges. Nous fournissons également le financement. D’autres ministres suivront le ministre actuel. Certains d’entre eux afficheront une attitude cordiale envers les tribunaux, alors que d’autres leur seront hostiles. Je pense que nous devrions maintenir la séparation entre l’exécutif et le judiciaire.

Le président : J’aimerais faire une brève observation. J’appuie l’intention de cet amendement, mais je conviens qu’il est prescriptif à certains égards, ce qui n’est pas particulièrement utile.

J’aimerais faire une autre observation. Cet amendement définit les caractéristiques des plaignants, mais dans ce processus, il n’est pas nécessaire d’être une « victime » pour porter plainte. Par exemple, la plainte de partialité sexuelle déposée contre le juge de l’Alberta, qui a fini par démissionner de la Cour supérieure, a été déposée par des professeurs de droit de l’Alberta et non par la personne qui avait subi cette discrimination. Il y a beaucoup de plaintes de ce genre. Par conséquent, cette ordonnance risque souvent de rater la cible. Je suis enclin à appuyer l’observation du sénateur Dalphond.

La sénatrice Simons : Je reconnais que cet amendement énumère une série de caractéristiques particulières. À mon avis, il correspond à l’intention du gouvernement d’effectuer une analyse comparative entre les sexes plus. Le gouvernement a décidé à un moment donné de suivre ces caractéristiques particulières.

Je comprends votre point de vue, et j’espère que le sénateur Dalphond maintiendra son observation, quel que soit le sort de cet amendement, mais en droit, une observation n’a pas le poids qu’aurait cet amendement.

La sénatrice Batters : Compte tenu de ce que la sénatrice Simons vient de dire, je me demande si l’analyse comparative entre les sexes plus pour ce projet de loi a abordé cette question. Les fonctionnaires pourraient-ils nous le dire?

Me Hoffman : Si vous nous donnez une minute, nous allons examiner cela. Je vous remercie pour votre question, sénatrice Batters.

Le président : Puis-je préciser sur quoi nous allons voter? Êtes-vous d’accord pour que nous votions sur l’amendement modifié par le libellé présenté tout à l’heure par la sénatrice Simons? Merci.

Me Hoffman : Sénatrice Batters, par souci de clarté, votre question est la suivante : l’analyse comparative entre les sexes plus a-t-elle tenu compte des facteurs soulevés dans l’amendement proposé ici aujourd’hui?

La sénatrice Batters : De toute évidence, personne ne savait à l’époque que cette analyse Plus figurerait dans une proposition d’amendement. On se concentrait seulement sur la question générale des données désagrégées et de la nécessité d’analyser ces enjeux. Bien que certaines personnes trouvent cela prescriptif, je ne suis pas certaine que les membres des minorités visibles qui se trouvent dans ces situations le considéreraient comme prescriptif.

Me Hoffman : Merci, sénatrice Batters.

Pour ce qui est de savoir si l’analyse comparative entre les sexes plus porte spécifiquement sur la question des données désagrégées, je pense que nous répondrions par la négative. A‑t‑on examiné certains des facteurs pour lesquels on propose de recueillir des données? Oui.

La sénatrice Batters : Qu’est-ce qu’il en ressort?

Me Hoffman : Je pense que nous nous étions engagés à le faire.

La sénatrice Batters : Je comprends, mais je vous demande de nous en donner un bref résumé.

Me Hoffman : Je le répète, je vous réponds de mémoire. Donnez-moi une minute pour le lire. Merci.

Le sénateur Klyne : Vous avez fait remarquer que le plaignant n’est pas toujours nécessairement la victime. Ne serait‑il pas plus avantageux de désagréger les renseignements sur les victimes?

Le président : Pendant que l’on réfléchit à cette question, sénateur Klyne, c’est en fait ce que je disais. Cet amendement exige des renseignements sur les plaignants. Aussi bien intentionné soit-il, il rate la cible. Une plainte au sujet du juge en chef adjoint de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a fait l’objet d’un débat long et controversé et de plaintes qui provenaient d’autres sources. Il était difficile d’identifier qui aurait pu être, si vous excusez le terme, la « victime » du comportement du juge. Sauf votre respect, il faudrait poser un ensemble de questions bien plus complexes. Il me semble aussi qu’un rapport soigneusement rédigé en tiendrait compte.

La sénatrice Batters : À ce sujet, bien sûr, les cas disciplinaires des juges ne constituent pas toujours des affaires criminelles mettant en cause de véritables victimes. Il peut s’agir de préjudices très divers. Il peut être difficile de caractériser les gens qui les ont subis.

La sénatrice Simons : Certains plaignants sont des plaideurs quérulents. Nous ne les considérerions pas du tout comme des victimes. Ils causent plus de problèmes qu’autre chose. Ce ne sont pas des victimes. Quant à l’information à recueillir, disons que si cinq professeures de droit déposent une plainte, il me semble bien que leur sexe est pertinent.

Le président : Maître Hoffman, si vous ne pouvez pas répondre brièvement, nous passerons au vote.

Me Hoffman : Je ne veux pas gaspiller le temps des honorables sénateurs. Je vais lire textuellement. Ces renseignements doivent avoir une incidence positive sur les personnes qui déposent des plaintes liées à la discrimination, notamment en raison de la race et du sexe.

La sénatrice Batters : Ce n’est pas très complet.

Le président : Nous en sommes maintenant à l’étape du vote. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter cette motion d’amendement?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Le président : Pouvons-nous faire un autre appel nominal?

M. Palmer : L’honorable sénateur Cotter?

Le sénateur Cotter : Non.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Batters?

La sénatrice Batters : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénateur Boisvenu?

Le sénateur Boisvenu : Non.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Clement?

La sénatrice Clement : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénateur Dalphond?

Le sénateur Dalphond : Non.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Dupuis?

La sénatrice Dupuis : Non.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Gagné?

La sénatrice Gagné : Non.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Jaffer?

La sénatrice Jaffer : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénateur Klyne?

Le sénateur Klyne : Non.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Martin?

La sénatrice Martin : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénateur Patterson?

Le sénateur Patterson : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Simons?

La sénatrice Simons : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénateur Tannas?

Le sénateur Tannas : Oui.

M. Palmer : Oui, 7; non, 6.

Le président : La motion d’amendement est adoptée.

Nous passons maintenant à l’amendement proposé par la sénatrice Clement. Nous en avons déjà un peu discuté, alors essayons d’avancer aussi efficacement que possible.

La sénatrice Clement : Essayons.

Bonjour, chers collègues. Je vous présente l’amendement BC‑C9-12-6-13. Cependant, j’en ai modifié le libellé. On est en train de distribuer ma nouvelle version.

Je propose que :

Que le projet de loi C-9 soit modifié à l’article 12, à la page 6, par substitution, à la ligne 12, de ce qui suit :

« inconduite sexuelle, harcèlement sexuel ou pour discrimination fondée sur un ».

Le président : Les copies de ce libellé ont été distribuées. Je voudrais confirmer que vous en avez tous reçu une.

La sénatrice Clement : Cet amendement vise à ajouter les mots « inconduite sexuelle » au projet de loi C-9.

Pour révéler les torts qu’elles ont subis, il faut que les femmes victimes et survivantes sachent que ces expériences sont visées par le libellé de la loi. Le « harcèlement sexuel » a une définition juridique, surtout dans les lois sur les droits de la personne. Les femmes, les féministes et les survivantes se sont battues pour faire définir ces termes et pour les faire inclure dans la loi. Nous devons honorer cette lutte et ces précédents juridiques.

Toutefois, le mouvement #MoiAussi a sensibilisé beaucoup plus de gens. Il a suscité des conversations, et les gens commencent à comprendre que ce qui est arrivé aux victimes, aux femmes et aux survivantes est inacceptable, qu’il est possible de prendre des mesures et qu’il faut le faire ouvertement. Le terme « inconduite sexuelle », qui est utilisé dans divers milieux depuis un certain temps, répond bien à cette sensibilisation parce qu’il peut englober un éventail plus vaste de comportements. Il vise notamment, ce qui est très important, les concepts d’abus de pouvoir et d’abus d’autorité.

J’aimerais citer un ouvrage intitulé Defining Sexual Misconduct, rédigé par Stacey Hannem et Christopher J. Schneider. Mme Hannem est professeure de criminologie à l’Université Wilfrid Laurier, et M. Schneider est professeur à l’Arizona State University. En passant, le Hill Times a ajouté cet ouvrage à sa liste des meilleurs livres de 2022. Dans un article publié par le Globe and Mail, les auteurs résument très bien leur analyse de l’inconduite sexuelle. Je vais citer quelques paragraphes de cet article du Globe and Mail publié en mai 2022 :

En 1982, dans le cadre des débats parlementaires sur les modifications à apporter aux lois canadiennes sur le viol, un journaliste du Globe and Mail a écrit que personne ne semble savoir en quoi consiste l’inconduite sexuelle.

Les modifications subséquentes au Code criminel, qui ont remplacé le terme « agression sexuelle » par « inconduite sexuelle », n’ont pas aidé à en préciser la définition. Pourtant, même 40 ans plus tard, le terme d’inconduite sexuelle, qui n’a aucune définition juridique, se retrouve partout.

Ce terme s’est développé principalement dans les médias et non dans des lois. Nous sommes convaincus que l’absence d’une définition juridique est précisément ce qui donne au langage et au discours de l’inconduite sexuelle et des mouvements sociaux comme #MoiAussi le pouvoir d’exiger du changement.

De nombreuses femmes, par exemple, ne savent pas ce qui est légalement considéré comme du harcèlement sexuel et, par conséquent, sont moins susceptibles de définir leurs propres expériences et d’étiqueter le comportement des hommes. Tout comportement qui n’atteint pas les normes juridiques du harcèlement peut être interprété comme devant simplement être toléré par les femmes, même s’il leur cause des torts.

L’utilisation élargie du terme « inconduite sexuelle » signale la reconnaissance sociale et culturelle croissante de ces comportements comme étant problématiques même s’ils ne correspondent pas à la norme juridique de harcèlement et d’agression sexuelle.

La professeure Sheehy, de l’Université d’Ottawa, est citée dans un article du Ottawa Citizen de janvier 2018, dans lequel elle discute de trois facteurs clés de la définition de l’inconduite sexuelle, soit le déséquilibre du pouvoir, la coercition, qu’elle soit implicite ou explicite, et le comportement prédateur.

Dans le cadre de l’examen du projet de loi C-9, nous avons reçu un excellent mémoire de l’Association Canadienne des Avocats Musulmans. Ce mémoire précise également que l’inconduite sexuelle est une expression plus vaste pouvant inclure tout acte ou comportement sexuel auquel une personne ne consent pas, ce qui comprend le harcèlement sexuel, mais aussi l’agression sexuelle ou les relations sexuelles inappropriées fondées sur l’abus de pouvoir ou d’autorité.

J’ai dit plus tôt que c’est utilisé depuis de nombreuses années. La directive d’orientation du ministère de la Défense nationale de mars 2000, mise à jour en 2017, définit l’inconduite sexuelle comme une infraction qui :

[...] est réputée se référer à des actes qui sont soit de nature sexuelle ou commis avec l’intention de commettre un acte qui est de nature sexuelle [...] Cela inclut des infractions telles que les agressions sexuelles, le voyeurisme et le harcèlement sexuel.

C’est à la suite de cette politique qu’a été créée l’équipe d’intervention en matière d’inconduites sexuelles.

Je veux aussi parler de la Loi sur les tribunaux judiciaires de l’Ontario, qui emploie à la fois « inconduite sexuelle » et « harcèlement sexuel ». J’ai posé la question à Mme Warner, registraire du Conseil de la magistrature de l’Ontario et je vais vous lire sa réponse. Je lui ai posé une question sur l’utilisation des deux termes dans ce projet de loi. Voici ce qu’elle dit :

Je suppose qu’il vaut mieux être trop inclusif que pas assez. Si l’on soutient qu’il ne s’agit pas de harcèlement, on peut employer le terme « inconduite ». Je pense que les deux termes englobent des comportements qui se chevauchent [...]

L’argument ici est d’inclure l’inconduite sexuelle, et non d’exclure le harcèlement sexuel puisqu’il y a eu une abondance de définitions juridiques et de précédents juridiques entourant ces termes. Il faut être en mesure d’envoyer un message clair aux victimes, aux femmes, aux survivantes, pour leur dire que ce qui leur est arrivé peut être pris en compte par cette législation. Quarante ans après son entrée en vigueur, elle est toujours omniprésente et comprise par un grand nombre de personnes.

Le sénateur Dalphond : Je comprends votre préoccupation. Je pense que l’expression « inconduite sexuelle », aussi vague soit-elle, est peut-être un nouveau concept. Espérons qu’elle sera définie à l’avenir de façon plus précise de manière à savoir exactement ce qu’elle englobe. Je crois avoir lu le même article que vous dans l’Ottawa Citizen, où Elaine Craig, professeure agrégée à l’Université Dalhousie, a écrit :

L’inconduite sexuelle est un terme de béotiens, parfois utilisé dans les politiques institutionnelles ou par les ordres professionnels. Il couvre un éventail de comportements sexuels problématiques dont le harcèlement sexuel, l’agression sexuelle et la violence sexuelle.

J’ai aussi remarqué que la sénatrice Clement a fait allusion aux commentaires d’Elizabeth Sheehy selon qui :

L’inconduite sexuelle est un problème social, et non une ligne de démarcation fixe. Elle évolue à mesure que les femmes accèdent à l’égalité économique et politique. On ne la retrouve pas dans le droit criminel, dans les codes des droits de la personne ni dans les conventions collectives. En revanche, on peut la retrouver dans les codes de discipline professionnelle.

Il est clair que nous n’avons pas de consensus à son sujet non plus.

Nous proposons d’introduire un concept vague, heureusement pas en remplacement d’un concept défini, mais en complément d’un concept défini. Je ne suis pas d’accord pour dire que nous ne devrions pas parler davantage d’inconduite sexuelle, mais nous traitons des dispositions de l’article 90 proposé, que vous trouverez à la page 6 du projet de loi. Il s’agit de l’alinéa 3 et de l’agent de contrôle, une personne qui s’acquitte d’une tâche purement administrative. Cette personne, l’agent de contrôle, « ne peut rejeter de plainte pour harcèlement sexuel ou pour discrimination fondée sur un motif de distinction illicite, au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne ».

On nous a dit, hier et lorsque nous avons entendu des témoins du Conseil, que de nouveaux employés ont été embauchés et qu’il sera possible d’engager des avocats, qui seront donc les agents de contrôle. Si nous incluons un concept qui n’est pas défini comme étant ce que ces agents peuvent ou ne peuvent pas faire, que décideront-ils? Il faut qu’il soit très clair que si l’un des énoncés s’applique à la plainte, celle-ci ne peut être rejetée :

a) elle est frivole, vexatoire ou faite dans un but inapproprié [...];

b) aucun des motifs prévus aux alinéas 80a) à d) n’y est invoqué;

c) elle ne remplit pas l’un ou l’autre des critères de sélection précisés par le Conseil.

C’est une liste de vérification. Comme elle concerne le juge provincial et le contenu du jugement, il devrait donc s’agir d’un appel. C’est censé être facile. Elle s’applique à plus de la moitié des plaintes que le Conseil reçoit chaque année, et c’est la même chose en Ontario. Plus de la moitié des plaintes sont simplement réglées par le processus de filtrage.

Il doit s’agir d’un processus très facile à appliquer. Si nous y introduisons un concept vague et indéfini, nous risquons d’aboutir à des résultats incongrus. S’il s’agit d’une question d’inconduite sexuelle, tout le monde semble convenir que le harcèlement sexuel se situe du côté moins grave du spectre en termes d’inconduite sexuelle. À l’autre bout du spectre, il y a les agressions sexuelles, les abus sexuels, etc. S’il s’agit d’une allégation de harcèlement sexuel ou d’autres choses, celle-ci sera renversée et ne sera pas rejetée. Je n’aime pas introduire un concept vague dans quelque chose qui ne doit pas être discrétionnaire, quelque chose qui est censé être une tâche administrative. Je ne dis pas que si un juge commet une faute sexuelle, il ne devrait pas faire l’objet d’une plainte et d’un examen de la conduite judiciaire. Je dis simplement que la disposition en question est strictement une mesure administrative, et il faudrait préciser clairement ce que l’agent de contrôle doit faire.

Le président : Merci, sénateur Dalphond.

La sénatrice Simons : Premièrement, il est important de dire que les femmes ne sont pas les seules victimes de harcèlement sexuel ni d’inconduite sexuelle. Les hommes peuvent aussi être des victimes, victimisés par d’autres hommes ou par des femmes juristes, franchement. Je ne veux pas que les gens pensent qu’il s’agit d’un argument du genre « plaignez les pauvres petites filles ».

Il est également très important de se rappeler que l’inconduite sexuelle n’est pas nécessairement pire que le harcèlement sexuel. Supposons qu’un ou une juge couche avec ses greffières ou greffiers. Il pourrait s’agir d’inconduite sexuelle, même si la relation sexuelle est « consensuelle ». Compte tenu du déséquilibre des pouvoirs, ce n’est peut-être pas une relation qui pourrait être consensuelle, d’un point de vue légitime. Cependant, si une greffière de 26 ou 27 ans couche avec un juge, il pourrait s’agir d’une allégation d’inconduite sexuelle qui ne serait pas du harcèlement sexuel, d’autant plus que nous venons d’accepter l’autre amendement qui utilise l’expression d’inconduite sexuelle.

L’imprécision et l’élasticité du terme permettent aux gens de comprendre qu’il existe toutes sortes d’actions qui ne sont pas du harcèlement. Le harcèlement implique toujours pour moi une sorte d’insistance, de harcèlement moral, alors que l’inconduite sexuelle couvre un éventail beaucoup plus large d’échecs de la condition humaine.

La sénatrice Batters : J’appuie cet amendement. Je ne trouve pas du tout que le terme « inconduite sexuelle » est nouveau. Je suis avocate depuis près de 30 ans. Je pense que ce terme existe depuis la grande partie de cette période, surtout depuis quelques années, avec le mouvement #Moiaussi et d’autres choses de ce genre.

Par ailleurs, je veux mentionner que dans la citation de la professeure Sheehy lue par le sénateur Dalphond, j’ai noté qu’il était dit quelque chose comme : nous voyons ce terme d’« inconduite sexuelle » utilisé dans les procédures disciplinaires. Eh bien, c’est de cela qu’il s’agit ici.

Je ne pense pas que ce soit un concept vague, surtout pas pour les femmes qui y sont trop souvent confrontées. Certes, les femmes ne sont pas les seules concernées, mais c’est souvent le cas. Je pense qu’il est important d’utiliser les termes appropriés dans cette loi que nous sommes en train de réviser, après des dizaines d’années où est demeurée intouchée, qui traite des procédures administratives judiciaires. Il est plus approprié d’élargir le libellé que d’en faire un concept plus limité.

Le sénateur Klyne : Je vais appuyer cet amendement. Je pense que l’inconduite sexuelle se situe le long d’un spectre qui peut inclure un large éventail de comportements sexuels considérés comme importuns. C’est le comportement « considéré comme importun » qui doit être pris en compte. Encore une fois, au risque de me répéter, l’inconduite ou l’inconduite sexuelle existe le long d’un spectre qui comprend le harcèlement sexuel. C’est également la question des comportements sexuels considérés comme importuns qui doit être prise en considération. Le problème, c’est que les incidents répétitifs se poursuivent sans qu’on y mette un terme.

Le président : Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Vous comprendrez que je me réjouis que l’époque des années 1990, où un juge sur le banc pouvait dire que les femmes sont comme les lois, elles sont faites pour être violées, est une période révolue. On s’en réjouit, vous me permettrez de le dire.

Je pense que l’amendement, surtout celui qui a été reformulé par la sénatrice Clement ce matin, permet de ne pas faire perdre les acquis, si je peux l’exprimer ainsi, qui représentent les années de jurisprudence qui ont interprété le terme « harcèlement sexuel », est tout à fait bienvenu.

Je pense que les lois étant l’expression des valeurs d’une société, les valeurs ont changé. Une partie de la population s’en réjouit. Je n’apposerai pas d’étiquette de genre sur la partie qui s’en réjouit, mais une partie de la population s’en réjouit et j’en fais partie.

En ce sens, je crois que nous devons indiquer clairement qu’il n’y a pas seulement des problèmes de harcèlement sexuel tels qu’ils ont été définis dans la jurisprudence jusqu’à ce jour, en 2023, mais qu’il y a un ensemble de conduites à connotation sexuelle. Autrement dit, je pense qu’il faut aider les juges à interpréter la loi, et en ce sens, je crois que l’amendement est bienvenu.

[Traduction]

Le président : Merci, sénatrice Dupuis.

Le sénateur Dalphond : Je ne veux pas être mal comprise. Remplacer « harcèlement sexuel » par « inconduite sexuelle » serait une erreur, mais si nous l’ajoutons, je pense que nous nous attendrons à ce que le Conseil, qui a le pouvoir d’établir des critères pour les agents de contrôle, fournisse les critères, une sorte de définition de ce qui constitue une inconduite sexuelle. Je pense que si une plainte ressemble à une inconduite sexuelle, il devrait être facile de décider s’il faut ouvrir un dossier ou non. Et s’il s’agit d’une allégation d’inconduite sexuelle, nous devrions ouvrir un dossier. Je n’ai jamais dit le contraire.

La sénatrice Jaffer : Pouvez-vous expliquer davantage ce que vous dites? Désolée, je m’excuse.

Le président : Vous n’êtes pas contre l’amendement?

La sénatrice Clement : Je n’ai rien à réfuter, monsieur le président.

Le président : La sénatrice Jaffer a une observation à faire.

La sénatrice Jaffer : Par simple curiosité, vous dites que l’agent se penchera sur la question, mais qu’il n’aura pas le droit de simplement dire : « Non, nous n’allons pas nous pencher sur la question » ni « Cette question devrait faire l’objet d’une étude plus approfondie »?

Le sénateur Dalphond : Effectivement, parce que le seul pouvoir dont disposent les agents de contrôle est de rejeter ce qui n’a pas sa place dans le système.

La sénatrice Jaffer : D’accord. Parfait.

Le sénateur Dalphond : Quand les mots « inconduite sexuelle » figurent dans la plainte, les agents doivent la transmettre.

La sénatrice Jaffer : Oui. Je voulais simplement...

Le sénateur Dalphond : Cela va continuer au lieu de se terminer.

La sénatrice Jaffer : Merci. Je voulais simplement m’en assurer. Merci.

Le président : Je pense que cela met fin à la discussion sur cet amendement. Je vais exprimer ce point de vue.

La sénatrice Clement propose que le projet de loi soit modifié à l’article 12, page 6, dans le libellé qu’elle a décrit ce matin, que je peux lire, mais je pense que c’est assez clair, « allègue une inconduite sexuelle ou du harcèlement sexuel ou une allégation de discrimination ».Plaît-t-il aux honorables sénateurs d’adopter la motion d’amendement?

Des voix : D’accord.

Le président : Je déclare la motion d’amendement adoptée.

La prochaine motion nous vient encore une fois de la sénatrice Clement, c’est la C9-12-6.

La sénatrice Clement : Merci, monsieur le président. Je propose :

Que le projet de loi C-9 soit modifié à l’article 12 :

a) à la page 6 :

(i) par adjonction, après la ligne 14, de ce qui suit :

« (4) S’il rejette la plainte :

a) d’une part, il notifie sa décision au Conseil, motifs à l’appui;

b) d’autre part, il informe le plaignant par écrit de sa décision, motifs à l’appui.

(5) Les raisons ne doivent pas inclure d’information confidentielle ou personnelle, ou dont la divulgation n’est pas d’intérêt public.

90.1 Le Conseil rend publics la décision de l’agent de contrôle et les motifs à l’appui de celle-ci dès que possible après en avoir été notifié. »,

(ii) par substitution, aux lignes 31 et 32, de ce qui suit :

« S’il rejette la plainte :

a) d’une part, il notifie sa décision au Conseil, motifs à l’appui;

b) d’autre part, il informe le plaignant par écrit de sa décision, motifs à l’appui. »;

b) à la page 7, par adjonction, après la ligne 3, de ce qui suit :

« 94.1 Le Conseil rend publics la décision de l’examinateur et les motifs à l’appui de celle-ci dès que possible après en avoir été notifié. »;

c) à la page 9, par adjonction, après la ligne 5, de ce qui suit :

« 103.1 Le Conseil rend publics la décision du comité d’examen et les motifs à l’appui de celle-ci dès que possible après en avoir été notifié. ».

Cet amendement porte sur la transparence et sur la confiance envers nos institutions. C’est un sujet qui vient à l’esprit presque tous les jours. Il est présent dans tous les espaces de la Colline. Je suis également confrontée à la question de la confiance envers nos institutions dans ma propre ville, Cornwall. C’était le cas quand j’en étais la mairesse et ce l’est encore aujourd’hui quand je discute avec mes clients à la clinique d’aide juridique. Il faut que les gens soient convaincus que les gouvernements, les personnes en position d’autorité, celles qui sont au pouvoir, qu’elles aient été élues, nommées ou embauchées, font de la transparence une valeur et un principe fondamentaux, qu’elles y réfléchissent et qu’elles établissent un équilibre entre la transparence et la protection de la vie privée.

Je vais encore une fois me reporter à l’excellent mémoire de l’Association Canadienne des Avocats Musulmans, que nous avons reçu dans le cadre de notre examen du projet de loi C-9. On y cite à juste titre la cause CBC c. Nouveau-Brunswick entendue par la Cour suprême du Canada en 1996.

La nécessité de veiller à ce que la justice soit rendue ouvertement a non seulement gardé toute son importance, mais elle est maintenant devenue « l’une des caractéristiques d’une société démocratique » [...] Le principe de la publicité de la justice, considéré comme « l’âme même de la justice » et la « sécurité la plus sécuritaire », garantit que la justice est administrée de manière non arbitraire [...]

Ces amendements portent sur les trois processus d’examen prévus par le projet de loi C-9. Il y a l’agent de contrôle, l’examinateur et le comité d’examen.

Je vais commencer par l’article 103 proposé, qui porte sur le comité d’examen. Le projet de loi C-9 contient déjà des dispositions sur la communication du rejet.

La version actuelle de l’article 103 dit ceci :

(2) S’il rejette la plainte, le comité d’examen informe le plaignant par écrit de sa décision, motifs à l’appui.

(3) Les raisons ne doivent pas inclure d’information confidentielle ou personnelle, ou dont la divulgation n’est pas d’intérêt public.

Cette disposition figure déjà à l’article 103. Cet amendement ajoute à l’article en question, qui concerne le comité d’examen, que le conseil doit rendre publiques la décision du comité d’examen et les raisons qui la motivent dès que possible après en avoir été notifié. L’expression « dès que possible » est utilisée parce que cette disposition figure déjà dans plusieurs articles de la loi.

Pour l’échelon suivant, celui de l’examinateur, nous avons l’article 94 proposé qui consiste à ajouter ce qui se trouve déjà dans l’article 103, soit que le comité doit donner avis de sa décision et des motifs de sa décision au conseil, informer le plaignant par écrit de sa décision et des motifs de celle-ci, et rendre publics la décision de l’examinateur et les motifs de celle‑ci dès que possible après en avoir été notifié. C’est donc la même chose qu’à l’article 103.

Ensuite, lorsque nous passons au niveau de l’agent de contrôle, et cela se trouve à l’article 90 proposé, où nous répétons la même chose en ce qui concerne la communication de la décision et les motifs du rejet au conseil, en informant le plaignant par écrit de sa décision, motifs à l’appui. Les motifs ne doivent pas inclure d’information confidentielle ou personnelle, ou dont la divulgation n’est pas d’intérêt public. Encore une fois, on retrouve cet ajout selon lequel le conseil doit rendre publics la décision de l’agent de contrôle et ses motifs dès que possible après en avoir été notifié.

Il s’agit d’un processus semblable aux trois niveaux d’examen consistant à communiquer le rejet, à communiquer avec le plaignant et à rendre la décision publique dès que possible après réception de la notification. C’est la même chose au niveau du comité d’examen, de l’examinateur et de l’agent de contrôle. En procédant de la sorte, de manière identique dans chaque article, vous n’aurez pas l’effet de… si vous ne le faites qu’au dernier niveau, vous pourriez être tenté de rejeter la plainte, parce que si vous savez que la décision sera rendue publique à ce dernier niveau, vous voudrez peut-être vous en débarrasser aux premiers niveaux. L’idée est d’avoir le même libellé, le même processus, aux trois niveaux d’examen.

Le fait de rendre la décision publique n’est pas une approbation du contenu de la plainte par le CCM; c’est pour que les plaignants sachent que leur dossier a fait l’objet d’un examen approfondi. Il s’agit également du travail du CCM. Cela montre que le CCM fait son travail en examinant sérieusement les plaintes.

J’aimerais terminer en citant M. Panju, car son témoignage et son mémoire m’ont particulièrement convaincu :

En ce qui concerne le rejet des plaintes, comme vous le savez, celles-ci peuvent passer par un certain nombre d’étapes, peut-être trop. L’une des préoccupations est que le CCM peut déjà rejeter une plainte à n’importe quelle étape, mais que l’exigence relative aux motifs ne s’applique que plus tard dans le processus. En conséquence, si la plainte est rejetée tôt dans le processus — elle peut être fondée, mais rejetée tout de même — le public n’est pas informé et il y a un manque de transparence. L’une de nos principales recommandations est de veiller à ce que les motifs de toutes sortes de rejets soient rendus publics afin qu’il y ait une certaine forme de reddition de comptes, tant pour les juges que pour le CCM. 

Le sénateur Dalphond : Je comprends ce que la sénatrice Clement essaie de faire. Je ne sais pas si elle a tenu compte de l’article 87 proposé du projet de loi, qui se trouve à la page 5. On peut y lire : « Le Conseil établit des politiques concernant la notification aux plaignants des décisions rendues en vertu de la présente section. » Il est déjà prescrit au Conseil d’informer le plaignant. Cela comprend également l’examinateur et l’agent de contrôle. C’est mon premier point. C’est le principe général. Les témoins du Conseil qui ont comparu devant nous ont dit que la pratique actuelle veut que l’agent de contrôle envoie une lettre d’explication.

Je remarque que vous voulez que l’amendement soit très prescriptif. Je comprends l’idée. Le temps file, et je pourrais expliquer pourquoi tout cela n’est pas nécessairement acceptable. Par exemple :

(4) S’il rejette la plainte :

a) […] il notifie sa décision au Conseil, motifs à l’appui;

C’est un employé. Ce n’est pas un conseil indépendant. Le comité d’examen et le comité d’audience publique sont deux comités distincts du Conseil. Ils sont indépendants. Ils doivent faire rapport de leurs conclusions au conseil parce qu’ils ne sont pas des fonctionnaires qui travaillent pour le Conseil. Je trouve que c’est de la microgestion de la relation entre l’employé et le conseil, en supposant que cet employé est tellement indépendant qu’il doit rendre des comptes.

Mon deuxième point concerne le fait d’informer « le plaignant par écrit de sa décision… » C’est ce que l’article 87 exige, et c’est la pratique. Si vous pensez qu’il est absolument nécessaire de l’ajouter maintenant pour que le projet de loi soit adopté, voici ce que dit le paragraphe 90(1) :

Le Conseil rend publics la décision de l’agent de contrôle et les motifs à l’appui de celle-ci dès que possible…

Il rejette environ 400 plaintes par année. S’il rejette une plainte, le Conseil doit immédiatement publier que la plainte numéro 256, par exemple, a été rejetée aujourd’hui parce qu’elle concernait un juge de la cour provinciale. Je ne sais pas pourquoi on ne peut pas attendre la fin de l’année et le rapport annuel. Si l’agent de contrôle considère que ce n’est pas l’une des trois raisons pour lesquelles il devrait la rejeter, alors il doit s’adresser à l’examinateur parce qu’il est question de harcèlement sexuel ou de quelque chose du genre, tandis que le Conseil devra rendre publique la décision de l’agent de contrôle d’avoir transféré la plainte à l’examinateur parce qu’il pensait qu’il était peut-être question d’un cas de harcèlement sexuel.

D’accord. Si c’est ce que vous voulez, je ne vais pas m’y opposer, parce que le temps file. Adoptons-le, si vous voulez, et laissons le gouvernement y répondre et régler le problème. Très franchement, avec 20 personnes autour de la table qui essaient de corriger quelque chose qui est si détaillé et qui a tellement besoin d’être corrigé, j’abandonne.

La sénatrice Batters : C’est précisément la raison pour laquelle certains d’entre nous ont suggéré que le ministre examine ce genre d’amendements avant que nous passions à l’étude article par article.

Je crois que le professeur Devlin nous a fourni des informations substantielles à ce sujet. Selon lui, cette solution s’impose également. Dans le mémoire qu’il a déposé, il est dit à propos des réformes nécessaires que les agents de contrôle devraient aussi être tenus de produire leurs motifs en cas de rejet d’une plainte, que les plaignants devraient avoir le droit de demander un réexamen de la décision de rejeter une plainte, et qu’ils devraient avoir le droit d’être raisonnablement informés de la progression de leurs plaintes. C’est le genre de choses que le professeur Devlin a jugé nécessaire d’aborder dans le projet de loi pour qu’il soit le meilleur possible.

Je ne sais pas pourquoi nous disons que nous allons manquer de temps. Ce n’est pas le cas. La séance d’aujourd’hui est presque terminée, mais nous pourrons revenir. Ce projet de loi n’a pas été modifié depuis très longtemps, et je pense qu’il est important que nous fassions les choses correctement.

Je vais appuyer cette motion, pour certaines des raisons que je viens d’énumérer, monsieur Devlin.

La sénatrice Jaffer : Pour revenir à ce que disait la sénatrice Batters, j’aimerais aller plus loin. Je ne veux pas que l’on pense que nous avons abandonné parce que nous avons manqué de temps. Or, nous avons du temps. Nous pouvons revenir. Je crois en ce qu’a dit la sénatrice Clement, et c’est pourquoi je la soutiens, pas parce que nous avons manqué de temps.

Le sénateur Dalphond : Je ne commenterai pas les autres dispositions parce que je pense que ce serait inutile à ce stade-ci. Mais songez au passage qui dit : « Le Conseil rend publics la décision de l’agent de contrôle et les motifs à l’appui de celle-ci dès que possible après en avoir été notifié. » Le juge qui fait l’objet de sanctions par le comité d’examen a le droit de demander une audience réduite en guise d’appel. Mais la décision doit être rendue publique, même si elle n’est pas définitive. Elle peut être renversée. Je suis désolé de le dire, mais je ne pense pas que le rédacteur maîtrise parfaitement les mécanismes.

Ces choses doivent être bien sûr corrigées, et je comprends l’objectif, mais en plus de cela, il y a la décision de la Cour d’appel fédérale dans la cause Slansky portant sur le principe de l’indépendance judiciaire et sur le fait que l’on ne peut pas tout divulguer et que la décision de divulguer ou pas devrait être laissée à la discrétion du Conseil. Cela va à l’encontre de la décision de la Cour d’appel fédérale.

À ce stade-ci, je laisse au ministère de la Justice le soin de l’examiner attentivement lorsque nous le renverrons.

Le président : Je vais donner la parole brièvement à la sénatrice Dupuis, puis à la sénatrice Clement, après quoi nous devrons mettre fin à la réunion d’aujourd’hui et idéalement voter sur cette motion, mais nous devrons revenir pour le reste des amendements.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je vais être très brève. Je considère que notre travail est de notre responsabilité et que nous avons la responsabilité d’examiner aussi profondément que nous le souhaitons les projets de loi qui sont déposés devant nous. C’est ce que nous faisons, et je pense que nous sommes d’accord pour continuer de le faire.

[Traduction]

Le président : Sénatrice Clement, allez-y sur le fond de l’amendement.

La sénatrice Clement : Oui. Je remercie la sénatrice Batters d’avoir parlé du professeur Devlin. Son témoignage était également convaincant sur la question de la transparence.

Pour répondre au sénateur Dalphond, l’idée de codifier les pratiques est une bonne chose. Cela signifie que nous envoyons un message fort, à savoir que c’est ce que nous voulons dans la législation.

J’ajouterai que vous vous souviendrez que, d’après les témoignages que nous avons entendus, les rapports généraux annuels étaient exhaustifs au départ, puis, au fil des ans, ils fournissaient de moins en moins d’information. Je ne crois donc pas qu’il soit satisfaisant de se fier aux rapports généraux annuels pour assurer la transparence.

Le président : Si nous sommes d’accord pour prendre une minute ou deux de plus, je n’ai plus d’intervenants et j’aimerais mettre l’amendement aux voix, si vous le voulez bien.

Je peux vous en lire le numéro encore une fois. La sénatrice Clement propose que le projet de loi C-9, à l’article 12, soit modifié aux pages 6, 7 et 9. Plaît-il aux sénateurs d’adopter la motion d’amendement? Ceux en…

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

Le président : Avec dissidence.

Je dirais que cela nous amène aux deux derniers amendements connexes. Nous ne pourrons pas les examiner aujourd’hui. Je propose que nous fixions un moment au tout début de la prochaine réunion pour examiner ces amendements et ces observations. Je vais vous inviter à essayer de faire ce travail en moins d’une heure afin que nous puissions garder du temps pour poursuivre les travaux du comité. Il s’agit d’amendements connexes que la sénatrice Batters proposera concernant un niveau intermédiaire d’appel devant la Cour d’appel fédérale prévu dans le projet de loi. Une description juste, je pense.

Cela nous obligera également à tenir une réunion du comité de direction dans les prochains jours, mais pas aujourd’hui, pour décider de la conduite à tenir, car nous avons le projet de loi d’exécution du budget à examiner, du moins les éléments qui concernent notre comité.

J’espère que cela vous convient et je tiens à vous remercier toutes et tous de vos contributions. Encore une fois, je remercie les témoins qui se sont joints à nous et qui nous ont aidés dans nos délibérations. La séance est levée.

(La séance est levée.)

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