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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 17 mai 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 18 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges, et la teneur des éléments des sections 30, 31, 34 et 39 de la partie 4, et de la sous-section B de la section 3 de la partie 4 du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je demande aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma droite.

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec (La Salle).

[Traduction]

La sénatrice Batters : Denise Batters, sénatrice de la Saskatchewan.

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique. Bienvenue.

La sénatrice Pate : Kim Pate, et je vis ici sur le territoire non cédé et non abandonné du peuple algonquin anishinabe.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Bon après-midi. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire visé par le Traité no 4.

Le sénateur Quinn : Bon après-midi. Jim Quinn, Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Simons : Paula Simons, Alberta, territoire visé par le Traité no 6.

Le président : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.

Sénateurs et sénatrices, nous allons reprendre l’étude article par article du projet de loi C-9. Mais avant de le faire, puisqu’il pourrait y avoir un public nouveau et important qui assiste à nos délibérations d’aujourd’hui, permettez-moi de présenter à nouveau les témoins qui se sont joints à nous pour nous aider dans nos délibérations. Nous avons Me Toby Hoffmann, directeur et avocat général, Section des affaires judiciaires; Me Patrick Xavier, avocat principal, Section des affaires judiciaires; et Me Shakiba Azimi, avocate, Section des affaires judiciaires, du ministère de la Justice Canada. Bienvenue et merci à nouveau de vous joindre à nous.

Pour être plus précis, nous poursuivons l’étude article par article du projet de loi C-9, et nous passons maintenant à l’article 12. Il y a des amendements combinés à ce sujet. Nous allons traiter le premier, mais je vais vous permettre de parler des deux, car ils sont inextricablement liés l’un à l’autre.

L’amendement particulier que nous allons aborder est le DB-C9-12-14-5-Federal Court 1.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup.

En ce qui concerne cet amendement particulier, la partie formelle, je propose :

Que le projet de loi C-9 soit modifié à l’article 12 :

a) à la page 14, par substitution, à la ligne 4, de ce qui suit :

« suprême du Canada, par une décision de la Cour d’appel fédérale, en cas de décision définitive de celle-ci, ou par une décision d’un comité »;

b) à la page 16 :

(i) par substitution, à la ligne 19, de ce qui suit :

« Appels ultérieurs »,

(ii) par substitution, aux lignes 23 à 25, de ce qui suit :

« été notifiée, interjeter appel de la décision auprès de la Cour d’appel fédérale.

138 Si la Cour suprême du Canada accorde l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel fédérale relative à un appel au titre de l’article 137, le procureur »;

c) à la page 17 :

(i) par adjonction, après la ligne 4, de ce qui suit :

« b.1) la Cour d’appel fédérale a rendu une décision relativement à la décision du comité d’appel et :

(i) soit le juge et l’avocat chargé de présenter l’affaire ont renoncé à leur droit de demander l’autorisation d’interjeter appel de la décision auprès de la Cour suprême du Canada,

(ii) soit le délai imparti pour le dépôt d’une demande d’autorisation d’appel auprès de la Cour suprême du Canada est expiré; »,

(ii) par substitution, aux lignes 6 à 8, de ce qui suit :

« d’autorisation d’appel de la décision de la Cour d’appel fédérale ou, dans le cas contraire, a rendu une décision relativement à la décision de la Cour d’appel fédérale. »,

(iii) par substitution, à la ligne 11, de ce qui suit :

« pel, de la Cour d’appel fédérale et de la Cour suprême du Canada, ainsi que, le cas »;

d) à la page 20, par substitution, à la ligne 14, de ce qui suit :

« ou dans le cadre d’un appel auprès de la Cour d’appel fédérale ou de la Cour suprême ».

Le deuxième amendement que je pourrais devoir proposer porte sur la même chose, la Cour d’appel fédérale, mais puisqu’il s’agit d’un article différent, lors de l’étude article par article du comité, il ne serait présenté que plus tard.

En ce qui concerne celui-ci, dans la forme actuelle du projet de loi C-9, le seul tribunal véritable qui traiterait d’une question disciplinaire judiciaire serait la Cour suprême du Canada, et cela si — et seulement si — la Cour suprême du Canada accorde une autorisation, ce qui signifie qu’elle donne la permission d’instruire cette affaire. Comme je l’indiquerai dans mes commentaires, la Cour suprême du Canada n’accorde cette autorisation que dans un très petit nombre de cas. Par conséquent, mon amendement insérerait la Cour d’appel fédérale dans la dernière étape de ce processus disciplinaire judiciaire. De cette façon, un seul tribunal serait disponible pour un juge faisant face à cette procédure.

Je note que, même avec cet ajout, il s’agirait tout de même à coup sûr d’une rationalisation du processus existant, qui prévoit un contrôle judiciaire de la décision du tribunal devant la Cour fédérale, puis la Cour d’appel fédérale, puis la Cour suprême du Canada, avec l’autorisation voulue.

Pour ce qui semble être la première fois depuis 10 ans que je siège au comité, le président de l’Association du Barreau canadien a témoigné devant le Comité sénatorial des affaires juridiques. Au nom de la très grande association des avocats, l’Association du Barreau canadien, qui compte 37 000 membres, il nous a recommandé cet amendement. J’aimerais également souligner que, d’après mon expérience au comité, il est rarissime que l’ABC recommande un amendement aussi important d’un projet de loi gouvernemental comme celui-ci.

Steeves Bujold, président de l’ABC, a dit ceci au sujet de cette question particulière :

Nous proposons un amendement qui instituerait une étape intermédiaire d’appel d’une décision définitive du Conseil canadien de la magistrature devant la Cour d’appel fédérale. Même si cela semble à première vue ajouter des délais, le processus resterait dans l’ensemble beaucoup plus efficace.

Deux raisons importantes justifient selon nous un appel de plein droit devant un tribunal inférieur à la Cour suprême du Canada. Premièrement, eu égard à la justice naturelle, il garantirait une surveillance externe du processus. Deuxièmement, la magistrature est tellement importante pour la démocratie canadienne que la population doit pouvoir voir que la discipline judiciaire est exercée de façon ouverte et responsable et qu’elle comporte des voies d’appel et de recours claires. Un autre avantage du droit d’appel est que la Cour d’appel fédérale fournira probablement des motifs détaillés qui permettront au juge accusé d’inconduite et à la population de savoir pourquoi un tribunal indépendant a conclu comme il l’a fait. Cela rehausse la crédibilité du Conseil canadien de la magistrature grâce à l’examen transparent de ses procédures et de son processus décisionnel.

En conclusion, la magistrature est un pilier de notre démocratie et elle doit rendre des comptes à la population et être acceptée par elle. Grâce à un processus de discipline judiciaire clair et ouvert, où les mesures prises par le Conseil canadien de la magistrature peuvent être contestées devant une cour d’appel, et grâce au déroulement des procédures d’examen en audience publique, la population continuera d’avoir confiance dans l’intégrité du système disciplinaire judiciaire. On aura le sentiment que justice aura été rendue.

Nous vous invitons à adopter le projet de loi C-9, en recommandant un amendement au processus d’appel.

En réponse à la question que je lui ai posée ce jour-là, lui demandant d’expliquer la nécessité de cet amendement, M. Bujold a répondu ceci :

Pour nous, il y a un amendement nécessaire, soit l’autorisation d’interjeter appel à une cour de justice, la Cour d’appel fédérale, pour corriger toute erreur qui pourrait survenir dans le processus. Aucun système n’est parfait et tout système dans lequel des pairs portent un jugement sur un collègue peut entraîner des erreurs judiciaires.

Malheureusement, le pourvoi à la Cour suprême du Canada est un recours extrêmement limité en raison des critères qui existent — à juste titre — dans la Loi sur la Cour suprême pour saisir la cour d’un différend. Par ailleurs, la cour a dit à de multiples reprises que son rôle n’est pas de corriger les erreurs des tribunaux inférieurs. Donc, même pour un dossier sur lequel il peut y avoir un consensus selon lequel une erreur est survenue ou même si plusieurs observateurs indépendants partagent cette idée, la Cour suprême pourrait ne pas être en mesure de se saisir du dossier puisqu’il ne satisferait pas, par exemple, au critère d’intérêt national qu’il est absolument nécessaire d’établir pour saisir la cour.

C’est pour cette raison que nous appuyons cet amendement, comme d’autres organisations de juristes, pour autoriser cet appel à la Cour d’appel fédérale, qui ne se fera pas uniquement au bénéfice du juge visé par les allégations, mais pourra également bénéficier à l’avocat responsable de présenter le dossier devant le comité d’examen et le comité d’appel.

Il a également déclaré ceci :

Pour nous, l’existence d’un système de contrôle à la Cour d’appel fédérale est une sauvegarde pour renforcer la confiance du public [...]

En réponse à la question du sénateur Cotter au sujet des appels à la Cour suprême du Canada, M. Bujold a dit ceci :

[...] un droit d’appel de plein droit à la Cour suprême du Canada pourrait être un recours utile. Par contre, c’est très rare que cela se produise devant la cour. À ma connaissance, il n’y a que les décisions où il y a une dissidence au sein d’une cour d’appel qui peuvent aller de plein droit devant la Cour suprême. Il reste que si la plainte, si le juge visé par l’enquête est un juge de la Cour suprême, il s’agit d’une question de droit complexe. Est-ce que le reste de la cour peut siéger pour juger un appel d’un collègue, et est-ce que l’on peut rassembler un nombre suffisant de juges pour avoir un quorum qui n’ont pas déjà une connaissance des faits? C’est une question assez complexe, qui se poserait peut-être moins à la Cour d’appel fédérale, puisque le nombre de juges est suffisamment important pour que l’on puisse constituer un banc de trois juges.

La Société des plaideurs, qui a également recommandé l’amendement que je propose aujourd’hui, nous a dit ceci le 30 mars 2023 :

La Société des plaideurs convient également que l’une des principales sources de retards et de coûts dans le processus actuel est le fait que les parties peuvent s’adresser aux tribunaux fédéraux pour un contrôle judiciaire à plusieurs étapes du processus. Les parties peuvent alors se prévaloir de plusieurs niveaux d’appel. Nous affirmons toutefois que le projet de loi C-9 corrige de façon excessive ce problème en remplaçant le processus de contrôle judiciaire du tribunal par des mécanismes d’examen qui sont presque entièrement internes au Conseil canadien de la magistrature. Ainsi, en vertu du projet de loi C-9, les parties ne peuvent demander l’autorisation d’interjeter appel des décisions du comité d’appel que devant la Cour suprême du Canada.

Cette situation est préoccupante, car il n’y a pas de droit d’appel. En effet, un appel n’est possible que si la Cour suprême donne son autorisation. Puisque la Cour suprême n’est pas un tribunal de correction d’erreurs, une autorisation n’est accordée que dans les cas d’importance publique. Historiquement, la Cour suprême n’a donné son autorisation que dans environ 7 ou 8 % des cas chaque année. Cela signifie qu’il n’y a aucune garantie que la Cour suprême donnera son autorisation, même dans un cas où la décision du CCM est erronée. Nous pensons respectueusement que tous les décideurs peuvent parfois se tromper. C’est la raison d’être des cours d’appel.

La Société des plaideurs craint que le projet de loi C-9 ne crée un régime législatif dans lequel le Conseil canadien de la magistrature serait l’enquêteur, le décideur et la compétence ultime en matière d’appels dans les affaires d’allégations d’inconduite de la magistrature. La surveillance judiciaire externe des mesures et des décisions prises par le CCM serait ainsi pratiquement être éliminée.

Le processus proposé est inquiétant, car la surveillance judiciaire des mesures administratives est fondamentale pour garantir leur légalité et leur équité. Cela porte donc atteinte à l’inamovibilité, qui est une composante essentielle de l’indépendance judiciaire.

La Société des plaideurs propose une solution simple à ses préoccupations. Nous proposons que les parties aient le droit de faire appel de la décision du comité d’appel du CCM devant la Cour d’appel fédérale plutôt que devant la Cour suprême du Canada.

Nous devons insister sur le fait que nous croyons que la modification que nous proposons ne reproduira pas les retards et les coûts que nous observons dans le processus actuel et que le gouvernement tente à juste titre de corriger. La proposition de la Société des plaideurs garantit que la décision finale du CCM ne serait susceptible d’appel que directement devant la Cour d’appel fédérale. Cela éliminerait un niveau de contrôle judiciaire, à savoir la Cour fédérale [...]

Elle a ajouté ceci :

La Société des plaideurs croit que la légère modification qu’elle propose d’apporter au projet de loi C-9 permet d’établir un équilibre entre l’efficacité, la confiance du public envers la responsabilité de la magistrature et l’équité entre les parties, tout en maintenant l’indépendance judiciaire.

De plus, Mme Conlon de la Société des plaideurs a ajouté ceci :

La Cour suprême du Canada s’est également prononcée de manière générale en disant que l’examen des organes administratifs était un droit protégé par la Constitution.

Cette loi permet un certain degré d’examen, mais la préoccupation de la Société des plaideurs émane du fait que ce contrôle est inadéquat en raison du critère d’autorisation de la Cour suprême du Canada. Si l’on examine les statistiques relatives au nombre de cas dans lesquels une autorisation a été accordée au cours de la dernière décennie, on constate que le pourcentage est de l’ordre de 8 %, ce qui signifie que 92 % des cas ont été rejetés. La plupart des cas admis relèvent en fait du droit pénal. Si l’on se limite au droit administratif, ce qui est le cas ici, le nombre de cas admis est encore plus faible.

Le problème est que le processus est entièrement interne et qu’il élimine, dans la pratique, un niveau adéquat d’examen judiciaire externe. Nous avons vu un certain nombre de cas dans lesquels les décisions du Conseil canadien de la magistrature ont été annulées au sein du système judiciaire fédéral. C’est possible sans atteindre les critères de l’autorisation de la Cour suprême du Canada.

Donc, dans le cadre du nouveau système, qui n’offre pas la possibilité d’un appel devant la Cour d’appel fédérale, il est possible que des décisions soient erronées et ne répondent pas aux critères, et qu’elles ne puissent pas faire l’objet d’un examen externe. Ceci nous renvoie aux préoccupations relatives au mandat des juges, qui concernent l’indépendance judiciaire, mais aussi la confiance du public dans le système. Si l’examen est effectué à l’interne et qu’il n’y a pas d’examen externe sur la base de cette mesure objective, nous nous interrogeons sur les questions soulevées relativement à la responsabilité et à la confiance du public dans le système.

Je l’ai ensuite questionnée au sujet de son mémoire intitulé « Le projet de loi C-9 ferait du Conseil canadien de la magistrature un cas isolé parmi les autres organes administratifs ». Mme Conlon a répondu ceci :

Nous avons trouvé un certain nombre d’exemples dans lesquels le droit d’appel s’exerce devant la Cour d’appel fédérale. Par exemple, de nombreux ordres professionnels de juristes ont cette possibilité, mais nous n’avons pu trouver aucun exemple où le seul droit d’appel était celui de la Cour suprême du Canada, c’est donc de là que c’est venu. Nous n’avons pas pu trouver d’autre organe administratif pour lequel le droit d’appel ne s’exerce qu’auprès de la Cour suprême du Canada.

J’aimerais terminer avec la partie au sujet de l’Association du Barreau canadien. Dans le mémoire que l’ABC nous a fourni en date du 21 mars 2023, elle a déclaré ceci :

[...] la magistrature est un élément essentiel de l’appareil de gouvernance du Canada, à tel point que le public doit être assuré que la discipline judiciaire est appliquée de façon transparente et responsable, avec des avenues d’appel et des recours clairs. Le processus du CCM n’adhérant pas au principe d’audience publique, l’appel d’intérêt public n’est vraiment pas toujours envisageable, ce que la population peut percevoir comme un manque de transparence. L’appel de plein droit d’une décision du CCM offre la possibilité de faire la lumière sur le processus interne du CCM.

Mesdames et messieurs, je sais que la marraine du projet de loi a mis certains d’entre vous en garde ces derniers jours contre des amendements du projet de loi C-9 en raison d’une éventuelle prorogation du Parlement. Cependant, il n’est plus nécessaire que vous teniez compte de cet élément, car le projet de loi C-9 a déjà été modifié au sein du comité. De plus, la prorogation du Parlement est, bien sûr, la seule décision du gouvernement, et ce n’est actuellement pas un élément nécessaire du processus. Ce serait sa décision. Par conséquent, j’estime que vous êtes libres de juger du bien-fondé de cet amendement sans tenir compte de ce facteur.

Je vous demande d’appuyer l’amendement, qui, à mon avis, a été appuyé par un grand nombre de témoins et de témoignages entendus par le comité, afin de renforcer le projet de loi C-9. Je vous remercie.

Le sénateur Dalphond : Ai-je le temps de poser une question?

Le président : Nous avons une liste d’intervenants. La plupart du temps, nous vous aurions fourni une quantité égale de temps pour prendre la parole à l’appui de...

Le sénateur Dalphond : Je vais commencer par poser deux questions à la sénatrice Batters concernant son amendement proposé.

Sénatrice Batters, combien de temps ce processus d’appel supplémentaire ajoutera-t-il à l’ensemble du processus? Avez-vous une idée des coûts qu’il ajoutera à l’ensemble du processus?

La sénatrice Batters : Lorsque le président de l’ABC s’est fait demander si cela ajouterait des coûts potentiels ou constituerait peut-être une partie moins efficiente du processus, il a répondu — si je me souviens bien — que cela ajouterait peut-être certains coûts et délais supplémentaires. Cependant, il a décidé — et je crois avoir cité cette partie — qu’il s’agissait tout de même d’un processus efficient et nécessaire pour l’autre principe de transparence publique, et pour que l’on sache qu’il y avait une voie d’appel et qu’il n’était pas vrai que le seul tribunal disponible pour qu’un juge puisse interjeter appel et bénéficier de l’inamovibilité — qui est très importante dans l’ensemble du processus — serait la Cour suprême du Canada, et même cela ne serait possible que si l’autorisation était accordée. Bien sûr, il faudrait également que l’intérêt national soit pris en considération, ce qui pourrait ne pas être le cas, même s’il y a eu erreur de fait ou de droit assez évidente.

Le sénateur Dalphond : J’ai peut-être d’autres questions, mais je devrais peut-être faire un commentaire ou aller plus vers les commentaires que vers les questions, je suppose. Je n’ai pas l’intention de prendre autant de temps que la marraine du projet de loi. Ce type d’amendement est intéressant, en particulier parce que je pense qu’il ne correspond pas à l’intention du projet de loi.

Il a d’ailleurs été jugé irrecevable par le président du comité de la Chambre des communes, qui a déclaré ceci :

[...] l’inclusion de la Cour d’appel fédérale dans le processus d’appel constitue un concept nouveau qui dépasse la portée du projet de loi, et je déclare donc l’amendement irrecevable.

Certains membres du groupe auquel la sénatrice Batters est associée ont porté la décision en appel, et la décision du président a été maintenue par un vote à main levée. C’est le premier point.

Le deuxième point, c’est que j’ai remarqué que la sénatrice Batters semble ne pas savoir ce que son amendement entraînera du point de vue des coûts et des retards. J’ai donc pensé que je devrais peut-être fournir quelques renseignements à ce sujet au comité.

Comme vous le savez, ce processus est conçu pour s’appliquer d’abord aux juges, mais aussi aux personnes nommées par décret et révoquées, car ce sont des personnes qui exercent leurs fonctions à titre amovible et peuvent être révoquées. L’un de ces cas, par exemple, est celui de Jean Pelletier, qui a été congédié à la suite d’un changement de gouvernement. Il s’est adressé à la Cour d’appel fédérale après le jugement de la Cour fédérale. Cela a pris 10 et 14 mois. C’est de notoriété publique. Vous n’avez qu’à consulter le greffe de la Cour d’appel fédérale pour trouver l’information. C’est une information publique.

Pour donner un exemple de juge dans une instance en cours, le juge Dugré a interjeté appel d’un jugement de la Cour fédérale rendu en décembre 2019, et il a obtenu un jugement de la Cour d’appel fédérale en janvier 2021, soit plus de 12 mois plus tard. Il y a ensuite le juge Girouard, qui s’est adressé à la Cour d’appel fédérale à plus d’une reprise. En moyenne, il a fallu 9 à 11 mois pour traiter chacun de ces appels.

Donc la réponse à ma première question est qu’il ajoutera, par définition, environ un an de retard.

La deuxième question concernait les coûts associés à cette mesure. Encore une fois, je peux me reporter à la législation ici et à l’expérience. Comme on l’a mentionné plus tôt, le juge continuera d’être rémunéré jusqu’à ce qu’il soit révoqué par une motion des deux Chambres acceptée par le gouverneur général, ou s’il démissionne. Le juge recevra au moins un an de salaire. En plus de cela, la loi prévoit que ses avocats doivent être rémunérés par le public.

Nous proposons ici un an de retard de plus et des frais juridiques coûteux pour le processus, parce que nous partons du principe, je suppose, que le processus interne sera si injuste pour le juge qu’il mérite d’être payé un an de plus et que ses avocats soient payés un an de plus et qu’il mérite que son cas fasse l’objet d’un contrôle par d’autres juges de la Cour fédérale, en plus de ceux qui ont déjà contrôlé son cas dans le cadre du processus d’appel interne. C’est le point de vue de la marraine du projet de loi. Je le respecte, mais je ne le partage pas, manifestement.

Le prochain élément que je devrais mentionner, c’est que le processus ajoute non seulement des délais et des coûts, mais il s’appuie sur la supposition que le juge ne sera pas traité équitablement dans le cadre du processus proposé. Je n’ai entendu aucun témoin le dire. L’un des arguments qui ont été avancés il y a quelques minutes concernait la transparence. On a dit que c’était nécessaire pour assurer plus de transparence dans le système. Je suis tout à fait favorable à la transparence. C’est pourquoi l’audience visant à destituer le juge doit être publique. C’est ce que prévoit la loi. C’est un processus public complexe, et il doit être rendu public chaque fois qu’on propose de révoquer un juge. De plus, le juge ou l’avocat qui traite la plainte pour inconduite ont tous deux le droit d’interjeter appel devant le comité d’appel. Le comité d’appel doit siéger en public. Nous avons donc deux niveaux qui assurent, je pense, un niveau élevé de transparence.

Il y a d’autres raisons, mais je vais m’arrêter ici et dire que cet amendement dépasse non seulement la portée du projet de loi, mais qu’il ne permet pas de réduire les coûts ou les retards et il n’accomplit rien qui soit nécessaire. Je vous remercie.

Sur ce, si le comité veut...

Le président : Merci, sénateur Dalphond.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais poser une question pour que les gens qui nous suivent comprennent bien ce débat, qui est très juridique.

Sénatrice Batters, j’essaie de bien comprendre votre amendement. Dans le système actuel, s’ils veulent interjeter appel, les juges qui sont jugés et reconnus coupables d’avoir eu un comportement inapproprié doivent le faire devant la Cour suprême. Est-ce bien le cas actuellement?

[Traduction]

La sénatrice Batters : Oui, c’est le cas. Dans la version actuelle du projet de loi C-9, selon le seul processus existant, le juge demande l’autorisation à la Cour suprême du Canada — la permission — d’interjeter appel à la Cour suprême. En ce moment, la tendance historique est que la Cour suprême du Canada n’accorde cette autorisation que dans 8 % des cas. Elle n’instruit pas 92 % des cas. Cela doit également répondre au critère d’intérêt national, ce qui serait un seuil difficile à respecter. S’ils n’obtiennent pas cette autorisation, ils ne pourront faire appel devant aucun tribunal, mais devront seulement s’adresser à ces comités, qui ne sont pas des tribunaux à proprement parler.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Si je comprends bien, un cas sur cinq serait admissible et pourrait interjeter appel à la Cour suprême. C’est le pourcentage que vous donnez.

Si l’on attribue un rôle à la Cour d’appel fédérale pour ce qui est d’entendre des causes en appel, le pourcentage de causes reçues sera-t-il plus élevé que les 82 % de causes qui sont refusées à la Cour suprême? Cela permettrait-il à plus de juges de profiter de ce droit d’appel?

[Traduction]

La sénatrice Batters : Les juges auraient le droit d’interjeter appel à la Cour d’appel fédérale. Ils seraient en mesure de choisir d’en appeler à la Cour d’appel fédérale, puis s’ils n’obtenaient pas gain de cause, ils pourraient potentiellement demander l’autorisation à la Cour suprême du Canada, mais encore une fois, un très faible pourcentage des causes se voient en fait accorder cette permission d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada. Donc c’est possible, oui, que plus de juges essaient de prendre cette mesure supplémentaire, mais ces mêmes organisations importantes — l’Association du Barreau canadien et la Société des plaideurs — disent que, surtout pour des choses comme l’indépendance judiciaire, il est important que ces juges puissent réellement en appeler de ces décisions. Après tout, nous parlons de la possibilité de révoquer un juge, qui est une mesure très grave, et nous voulons nous assurer que c’est le type de processus qui protège adéquatement leurs droits et que le public voit également que justice est rendue, et ils disent qu’il est nécessaire de faire intervenir un tribunal.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : D’après ce que je comprends, les critères de la Cour d’appel fédérale pour recevoir un dossier ne sont pas les mêmes que les critères utilisés par la Cour suprême pour rendre le même dossier admissible au droit d’appel. Est‑ce exact?

[Traduction]

La sénatrice Batters : Non. Sans devoir obtenir l’autorisation de la Cour d’appel fédérale, les juges sont en mesure de recevoir ce type d’appel à l’échelon de la Cour d’appel fédérale. Le niveau d’autorisation concerne la Cour suprême du Canada s’ils n’obtiennent pas gain de cause à la Cour d’appel fédérale. Mon amendement permettrait à un juge, s’il choisit de le faire — il n’a pas besoin de le faire — d’interjeter appel, en tant que droit, à la Cour d’appel fédérale, comme l’a suggéré...

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais reprendre ma question, si vous me le permettez.

Vous dites que la Cour suprême du Canada rejette 82 % des dossiers en appel. C’est bien cela?

[Traduction]

La sénatrice Batters : Quatre-vingt-douze pour cent.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Quatre-vingt-douze pour cent. C’est encore pire que je pensais.

La Cour d’appel fédérale va-t-elle étudier la recevabilité de ces dossiers conformément aux mêmes critères que la Cour suprême? Ces critères, s’ils sont différents, permettront-ils à un plus grand nombre de juges d’être admissibles à un droit d’appel?

[Traduction]

La sénatrice Batters : Un plus grand nombre de juges pourraient en bénéficier, oui. Chaque juge actuellement, dans le cadre de ce système, sera en mesure d’essayer de l’obtenir auprès de la Cour suprême du Canada. Cependant, comme je l’ai dit, la Cour suprême du Canada n’autorise pas 92 % des dossiers. L’amendement lié à la Cour d’appel fédérale que j’essaie de proposer ne nécessiterait pas la même autorisation. Le juge aurait la capacité d’interjeter appel à la Cour d’appel fédérale en tant que droit — il aurait la capacité de le faire — pour s’assurer que l’indépendance judiciaire et le niveau de transparence publique sont préservés. Cela garantit qu’un tribunal instruit ces types d’affaires très graves.

La sénatrice Simons : J’ai une question pour nos experts. J’ai du mal à comprendre pourquoi cet amendement aurait été jugé irrecevable à l’autre endroit. Cela ne signifie pas que je pense nécessairement que c’est un bon amendement, mais je ne comprends pas l’argument selon lequel il serait irrecevable. Il me semble pertinent pour ce qui est de la question à l’étude. Pourriez-vous me l’expliquer sur le plan juridique? Il y a peut‑être une réponse politique à cette question, mais s’il y a une réponse juridique, j’aimerais l’entendre. Ensuite, j’aimerais comprendre de la part des experts s’il y a quoi que ce soit qui pose problème sur le plan juridique à ce propos, plutôt qu’une simple question d’efficience.

Me Toby Hoffmann, directeur et avocat général, Section des affaires juridiques, ministère de la Justice Canada : Je vous remercie pour la question, mais malheureusement, nous ne pouvons pas expliquer pourquoi il a été jugé irrecevable.

Sur le plan juridique, et de façon très objective, parce que nous avons étudié attentivement ce que la sénatrice Batters a proposé... Le sénateur Dalphond a fait référence à certains cas de jurisprudence qui ont entraîné des retards. En tant qu’avocats, nous avons examiné les règles de procédure applicables dans ces affaires afin d’avoir une idée de ce que pourrait être le retard supplémentaire dans le meilleur des cas. Notre estimation, en tenant compte de la période de 30 jours pour décider si un appel ira de l’avant, qui figure déjà dans le projet de loi... lorsque cette période est incluse dans les règles de procédure qui seraient applicables à la Cour d’appel fédérale, nous sommes arrivés, dans le meilleur des cas, à environ 200 jours supplémentaires. Encore une fois, nous le disons objectivement. Ce chiffre ne tient pas compte de la possibilité de requêtes interlocutoires qui pourraient être déposées dans le cadre de cette procédure ni de la possibilité qu’un juge responsable de la gestion de l’instance soit désigné pour instruire des affaires supplémentaires. C’est ce que nous vous proposons d’examiner, du point de vue juridique.

La sénatrice Simons : Combien de types de personnes différentes qui ne sont pas des juges sont visées par cette mesure? Je ne pense pas avoir compris qu’il y a d’autres catégories de gens qui seraient également visés par cette même mesure.

Me Patrick Xavier, avocat principal, Section des affaires judiciaires, ministère de la Justice Canada : Sénatrice Simons, à l’instar du régime actuel, la procédure judiciaire peut être utilisée par le ministre de la Justice pour déterminer si une personne nommée par le gouverneur en conseil, mis à part un juge, qui exerce ses fonctions à titre inamovible, doit être démise de ses fonctions. C’est à la discrétion du ministre de la Justice.

La sénatrice Simons : Quelqu’un comme le président du CRTC ou le commissaire à la protection de la vie privée?

Me Xavier : Oui. Cela comprend la plupart des personnes nommées par le gouverneur en conseil. Si une personne nommée par le gouverneur en conseil a une procédure de révocation dans sa loi habilitante, par exemple, si elle dit qu’elle ne peut être révoquée que par les deux Chambres du Parlement ou quelque chose du genre, cela n’a pas préséance. C’est une solution de rechange au cas où il n’y aurait pas de procédure de révocation prévue dans la loi habilitante.

La sénatrice Simons : Il me semble que nous avons des arriérés judiciaires à tous les échelons au pays, de la cour provinciale à la Cour d’appel, à tous les échelons. Nous acceptons cette inefficacité, apparemment, sans prendre les mesures très énergiques qui devraient être prises pour que nous puissions nous assurer que les gens passent plus rapidement par notre processus. Cela semble être une drôle de bataille à choisir étant donné les retards endémiques dans l’ensemble du système de justice pénale sont, et, en fait, encore pires dans le système civil. Désolée, ce n’est pas vraiment une question.

Le président : Il n’est pas nécessaire que c’en soit une. Merci.

Le sénateur Quinn : C’est ma première fois au comité. J’écoute la discussion et sa logique. Je suis reconnaissant des commentaires formulés par les témoins.

Pour un juge qui a été convoqué à une audience disciplinaire, qui peut être congédié, si le recours est la Cour suprême et que la Cour suprême n’instruira que 8 % des causes, il y a un fort risque ou une forte probabilité qu’un juge puisse ne pas être entendu. Ce juge n’a-t-il pas les mêmes droits que les autres? Ce que j’entends, c’est que nous parlons de délais et de coûts. Les droits l’emportent sur les délais et les coûts lorsque l’on parle d’une personne. Je crois savoir qu’il est possible que d’autres nominations faites par le gouverneur en conseil puissent être visées par cette mesure qui, à mon avis, met en évidence pourquoi les droits doivent l’emporter sur les coûts et les délais. Je fais ce commentaire. Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris. J’aimerais avoir un avis. Est-ce que je comprends bien la situation?

La sénatrice Batters : Vous avez raison.

Le président : Sénatrice Batters, vous aurez un autre tour. Vous n’êtes pas obligée d’encourager le sénateur Quinn.

Puis-je poser une question à ce sujet? J’admets l’argument et les preuves formulées par la sénatrice Batters. Bien sûr, tout dépend des catégories de cas. Elle a évoqué le droit administratif. J’aimerais que les sénateurs Dalphond et Batters, ou nos fonctionnaires, me disent ce qui s’est passé dans les cas où les juges ont cherché à s’adresser à la Cour suprême du Canada — qui sont, je pense qu’il est juste de le dire, très peu nombreux — et ce qui s’est passé dans ces cas-là. L’autorisation a-t-elle été accordée pour que ces affaires soient instruites?

Me Xavier : Il n’y a eu qu’un seul cas, celui de l’ancien juge Girouard, où l’allégation était qu’il essayait de faire traîner les choses et que le temps était compté. Dans son cas, l’autorisation n’a pas été accordée.

Il importe de souligner que ce projet de loi propose d’accorder à la Cour suprême du Canada un nouveau domaine de compétences ou de responsabilité qu’elle n’exerce pas actuellement. La Cour suprême sera invitée pour la première fois à être le seul tribunal prévoyant une surveillance d’un processus administratif. Les statistiques que la sénatrice Batters, la Société des plaideurs et l’ABC ont citées concernant les autorisations accordées par la Cour suprême ne s’appliquent pas vraiment ici. Il s’agit d’un nouveau domaine de compétence. Nous ne savons pas exactement ce que la Cour suprême fera.

La Cour suprême n’est absolument pas tenue de n’accorder l’autorisation que dans des cas d’intérêt national. La disposition habilitant habituellement les demandes d’autorisation à se rendre à la Cour suprême est le paragraphe 40(1), qui traite des demandes d’autorisation d’en appeler des décisions des tribunaux. Cette disposition mentionne l’importance du public comme un critère possible. Les demandes d’autorisation d’interjeter appel découlant de ce processus aboutiront à la Cour suprême par l’entremise du paragraphe 40(1) de sa loi, ce qui signifie que, nonobstant tout ce qui est inclus dans cette loi, la Cour suprême a la compétence conférée par toute autre loi lui conférant cette compétence. Il n’y a pas d’orientation pour la Cour suprême quant à la façon dont elle décidera d’accorder une autorisation.

Elle adoptera peut-être l’approche utilisée par les tribunaux fédéraux. Il existe dans la loi fédérale un certain nombre de dispositions obligeant un demandeur à demander l’autorisation à la Cour fédérale ou à la Cour d’appel fédérale pour obtenir un contrôle judiciaire d’une décision particulière. Dans ces cas, les tribunaux fédéraux appliquent le critère de la preuve défendable. Ils se contentent de demander si, à première vue, le demandeur a un dossier défendable. C’est un critère très simple et très peu exigeant. La Cour suprême pourrait faire la même chose ici. Nous ne le savons pas encore. La Cour suprême devra se pencher sur la meilleure façon de s’acquitter de ces nouvelles responsabilités.

Je peux ajouter pour les membres du comité que, lorsqu’un nouveau domaine de responsabilité comme celui-ci est conféré à un tribunal, il est approprié de consulter le juge en chef de la cour et de demander si le tribunal a des préoccupations pratiques au sujet de sa capacité de s’acquitter de ce nouveau domaine de responsabilité. Lorsque nous avons consulté le juge en chef Wagner à ce sujet, sa réponse était succincte et tout à fait sans équivoque. Il a dit : « Non, la cour n’a pas de préoccupations ».

Nous ne savons pas encore ce que le tribunal fera. C’est une question ouverte. Il n’y a aucune raison de présumer qu’il traitera ces demandes d’autorisation d’appel exactement de la même manière qu’il l’a fait dans le passé.

Le président : Merci, maître Xavier. C’était utile. Je pense que nous avons compris ce point.

Le sénateur Tannas : J’ai une question pour la sénatrice Batters. Comme vous le savez, je suis en retard. En insérant cet amendement, ne revenons-nous pas à la situation où des juges siègent pour juger d’autres juges?

La sénatrice Batters : Non, je ne le pense pas. Le processus tel qu’il existe, comme je l’ai mentionné plus tôt, les comités disciplinaires sont des types de processus moins transparents, surtout au début. Il s’agit en fait d’un tribunal où le processus est beaucoup plus réglementé et ce genre de choses, un processus beaucoup plus ouvert, transparent et familier pour le public plutôt qu’un processus disciplinaire, qui, je pense, comme je l’ai déjà dit, est constitué de juges qui jugent des juges de manière plus fermée que ce ne serait le cas ici, certainement à certains niveaux, oui.

Le sénateur Tannas : Merci.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais y aller rapidement. Ma question s’adresse à Me Xavier.

Si j’ai bien compris, dans l’élaboration du projet de loi C-9, vous avez envisagé de considérer l’objet de l’amendement de la sénatrice Batters. Ai-je bien compris?

Me Xavier : S’il était nécessaire d’introduire une étape d’appel intermédiaire à la Cour d’appel fédérale —

Le sénateur Boisvenu : Cela veut dire que son amendement est recevable.

Si nous ne modifions pas le projet de loi avec l’amendement de la sénatrice Batters, sommes-nous certains que la Cour suprême recevra non pas 8 % des cas, mais au moins 40 % ou 50 % des cas?

Me Xavier : Comme je viens de le dire pour répondre à la question du sénateur Cotter, on ne sait pas exactement comment la Cour suprême va réagir.

Le sénateur Boisvenu : La Cour suprême pourrait donc être aussi restrictive qu’elle l’est aujourd’hui? C’est une possibilité?

Me Xavier : En théorie, elle devra se demander comment exercer cette nouvelle responsabilité de façon équitable. On ne sait pas exactement ce qu’elle va faire.

Le sénateur Boisvenu : On ne connaît pas la conclusion de sa réflexion.

Me Xavier : C’est exact.

Le sénateur Boisvenu : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Clement : Merci d’être ici. Ma question s’adresse aux représentants. J’ai entendu votre réponse au sénateur Boisvenu. Il n’y a aucun moyen de prédire officiellement comment la Cour suprême va réagir. Je pense que c’est juste.

Ma question porte sur les motifs écrits que la Cour fédérale va probablement nous fournir. La Cour d’appel fédérale justifie davantage ses décisions. Les motifs équivalent à plus de transparence. La sénatrice Batters a lu certains de ces témoignages de l’Association du Barreau canadien. J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. Encore une fois, dans le cas de la Cour suprême, il y a un certain taux de rejets, mais il y a aussi le fait qu’il n’y a pas autant de transparence pour ce qui est du temps nécessaire pour rédiger les motifs. Il y a moins de temps. La Cour fédérale est-elle plus susceptible de fournir une transparence au public canadien?

Me Xavier : À notre avis, non, sénatrice Clement. Le comité d’audience et le comité d’appel sont conçus pour faire leur travail exactement de la même manière que les tribunaux. Je pense qu’il convient de souligner que le principe de la transparence des tribunaux, qui est protégé par la liberté d’expression garantie par la Charte, s’applique avec toute la force voulue aux tribunaux décisionnels. Ils ne peuvent se réunir à huis clos et émettre des interdictions de publication que pour les mêmes raisons que les tribunaux, si c’est dans l’intérêt public de le faire, et il y a énormément de jurisprudence qui réglemente ce que cela signifie. Ils devront justifier tout ce qu’ils font. Il n’y a absolument aucune raison de supposer que la Cour d’appel fédérale peut faire quoi que ce soit qui sera plus transparent, plus public ou plus ouvert que ces comités. Ils sont essentiellement conçus pour être des décideurs indépendants du CCM qui prennent des décisions en fonction des observations qu’ils reçoivent, qui justifient ces décisions et qui se comportent de la même manière que les tribunaux à cet égard.

La sénatrice Clement : Pas de la transparence, mais plus de ressources et plus de temps pour publier des motifs plus détaillés. Je ne dis pas que la Cour d’appel fédérale est plus transparente que la Cour suprême. Je dis simplement, en ce qui concerne les ressources, qu’il serait peut-être plus probable que la Cour d’appel fédérale dispose de plus de ressources pour fournir des motifs détaillés?

Me Xavier : Il n’y a simplement aucune raison de le supposer, sénatrice Clement. Comme je l’ai dit, ces comités ont été conçus pour fonctionner essentiellement comme les tribunaux à cet égard. Il n’y a aucune raison de supposer que les juges, qui sont des juges en exercice... Les juges au comité d’appel sont des juges en exercice, et les autres membres du comité d’appel seront bien formés pour s’acquitter des fonctions du comité d’appel. Il n’y a aucune raison de supposer que les motifs de la Cour d’appel fédérale seront plus volumineux ou plus détaillés que les motifs fournis par le comité d’appel.

Me Hoffmann : Si je peux me permettre, sénatrice Clement, l’une des choses à prendre en considération — bien que le quantum ne soit pas nécessairement déterminant — c’est que vous passez d’un comité d’appel composé de cinq juges à un tribunal d’appel qui en compte trois. J’espère que je ne mets pas fin à ma carrière en disant que le quantum compte, mais vous avez cinq juges qui se penchent sur une question au comité d’appel. Ce serait une autre particularité de cet amendement proposé, le passage de cinq à trois, puis si le juge, comme la sénatrice Batters l’a dit, décide de demander l’autorisation à la Cour suprême du Canada.

Le président : Sénateur Dalphond, voulez-vous faire d’autres interventions pour conclure?

Le sénateur Dalphond : Je peux attendre, puis je vais conclure.

Le président : Voulez-vous prendre la parole en dernier?

Le sénateur Dalphond : Oui.

La sénatrice Batters : Habituellement, la marraine du projet de loi prendrait la parole en dernier.

Le président : Si nous procédons en fonction de la quantité, il n’a pas utilisé une très grande quantité de temps.

Le sénateur Dalphond : Je ne sais pas combien de temps nous devons consacrer à bon nombre de ces questions. Elles sont très intéressantes, manifestement.

La Cour suprême s’est prononcée de temps à autre sur la révocation, la discipline et l’inconduite des juges. Je pense à deux cas, celui de la juge Ruffo de la Cour du Québec et celui de la juge Moreau-Bérubé, de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick. La Cour suprême a déjà accordé l’autorisation d’agir dans des affaires concernant des juges.

Elle a refusé l’autorisation d’appel au juge Girouard, dont la Cour d’appel fédérale a rejeté le dernier appel disant qu’il s’agissait d’un abus de procédure. Il serait surprenant que la Cour suprême accorde l’autorisation concernant une telle décision, compte tenu du fait que le juge Girouard a été payé pendant sept ans sans siéger un seul jour, ce qui a supposé 5,5 millions de dollars en frais juridiques, et a bénéficié d’une pension pour le reste de sa vie en se contentant de faire tourner le chronomètre.

C’est ce qui a incité le juge en chef du Canada, le très honorable juge Wagner, à s’adresser au public et à demander au Parlement et au ministre de la Justice d’intervenir et de dire que nous devons changer ce processus; ce processus entraîne des abus. Nous devons rationaliser le processus et prévoir quelques mécanismes internes pour garantir la transparence, l’équité pour le juge, la participation publique au comité d’examen et au comité d’audience publique, et nous assurer que la chose est juste, adéquate et transparente. C’est ce qui nous est présenté. La portée du projet de loi est vraiment non seulement de rationaliser le processus, mais vraiment de prévenir les abus.

Je n’ai pas entendu de témoins dire que le système proposé sera injuste pour le juge. Il serait surprenant que le juge ne fasse pas confiance aux collègues qui participent à une audience publique puis siègent en appel des audiences publiques. Vous avez deux niveaux où les juges examineront ce qui se passe avec ce juge.

Le sénateur Quinn n’était pas ici, mais il a posé de très bonnes questions. Le projet de loi a pour but d’établir un processus selon lequel une accusation d’inconduite concernant un juge sera examinée par le Conseil canadien de la magistrature. D’abord, un agent de contrôle examine la plainte. Ensuite, la plainte est envoyée à un comité d’examen, composé d’un non-juriste et de juges, qui va l’examiner puis décider si l’inconduite est si grave qu’elle pourrait justifier la révocation de ce juge. Si le comité tire cette conclusion, c’est fini. Il envoie une copie du rapport à la partie plaignante et au juge, et ce rapport sera aussi accessible au public. Ensuite, il y aura une audience publique devant un comité composé de juges — une majorité de juges, conformément à l’amendement que la sénatrice Batters a proposé la semaine dernière — et d’un non-juriste. Le comité, composé de cinq personnes, tiendra une audience publique et recevra des témoins. Le juge concerné pourra présenter ses arguments, et son avocat sera payé par le gouvernement. Une décision devra être prise et rendue publique; et la loi dit que les motifs doivent être fournis.

Si le juge n’est pas satisfait de la décision rendue par la majorité des juges, il peut interjeter appel au palier d’appel. C’est l’étape suivante. Ce comité était censé être composé de cinq juges, mais ce sera maintenant trois juges, un avocat et un non-juriste. Encore une fois, une majorité de juges va siéger, pour appel interjeté par cette autre majorité de juges, pour décider si le juge concerné a été correctement traité, si ses droits ont été respectés et si tout a été fait dans les règles. Ensuite, la décision doit être rendue publique, ainsi que les motifs. Durant tout ce processus, un avocat payé par le gouvernement sera là pour aider le juge.

Ensuite, si le juge n’est toujours pas satisfait, il pourrait demander l’autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême. Combien de ces demandes seront accueillies? Personne ici n’a de boule de cristal, mais nous savons que la Cour suprême s’intéresse toujours aux questions qui soulèvent des enjeux constitutionnels intéressants. La révocation d’un juge fait intervenir les articles 95, 96 et 99 de la Constitution. Ce sont des cas exceptionnels de consensus.

Comme je l’ai dit, dans l’affaire du juge Girouard, la Cour suprême a refusé d’interjeter appel parce que la Cour fédérale avait dit : « Cela fait trois fois que vous comparaissez; c’est assez. Cela fait sept ans que ça dure, vous abusez de la procédure. » La Cour suprême a dit : « C’est assez. » Le jour où sa demande d’autorisation d’interjeter appel a été rejetée, il a démissionné, parce que l’étape suivante était de demander aux ministres de déposer une motion devant le Sénat et la Chambre des communes pour qu’il soit révoqué. Il s’est dit que c’était assez. Rendu là, il avait tous ses droits relativement aux prestations de retraite, ce qui n’était pas le cas l’année d’avant. En plus, ses avocats, comme je l’ai dit, ont touché des honoraires de 5,5 millions de dollars. Tout le processus a été gratuit pour lui, jusqu’à un certain point.

Le nouveau système va empêcher cela, mais il va aussi s’assurer que le juge passe par un processus où il y a une majorité de juges à chacune des trois étapes : le comité d’examen, le comité d’audience publique et le comité d’appel. Si vous me le permettez, je dirai sérieusement quelque chose que tout le monde comprendra : personne d’autre au Canada n’a droit à de telles protections. Personne, ni les ministres, ni les sous‑ministres, ni les personnes nommées par le gouverneur en conseil. Le processus est conçu pour protéger l’indépendance judiciaire et pour s’assurer que seules les situations les plus inhabituelles peuvent mener à une révocation.

Voilà ce qui a été proposé. C’est ce que les juges ont accepté, y compris les associations de juges, qui l’ont confirmé devant la Chambre des communes, dans leur lettre. Leur opinion avait changé, dans leur dernière lettre, mais jusqu’ici, c’était l’opinion du conseil et des juges, exprimée par l’intermédiaire de leurs associations.

Je crois toujours que ce processus est très équitable envers les juges. Ajouter un autre palier serait montrer de la méfiance envers les autres juges; ce serait leur dire qu’un juge ne peut pas faire confiance à ses collègues qui l’ont déjà jugé trois fois. Donc, je dis : « Tant pis. Si vous avez perdu trois fois, c’est probablement parce qu’ils ont raison. »

Portez l’affaire devant la Cour suprême, et si c’est une nouvelle affaire, la demande d’autorisation d’interjeter appel sera très probablement accueillie parce que c’est un nouveau processus. Comme Me Xavier et les représentants du ministère l’ont souligné, il s’agit d’un nouveau processus où le contrôle judiciaire est confié exceptionnellement à la Cour suprême. Pour cette affaire, ce sera plus facile d’obtenir une réponse favorable à la demande d’autorisation, parce que ce n’est pas pratique courante. Pour une demande d’autorisation habituelle, vous avez deux essais. Maintenant, c’est « Tant pis ». Pour être parfaitement honnête, je pense que cela est conçu pour protéger le juge autant que possible.

De plus, même si la Cour suprême rejette la demande d’autorisation d’interjeter appel, le juge n’a toujours pas perdu la partie. Le ministre doit prendre en considération la décision du comité d’appel, la recommandation de révoquer le juge, puis décider s’il le révoque ou non. Le ministre pourrait bien dire : « Non, je pense que toute cette affaire n’a pas été assez juste. Je ne vais pas le faire. » Si le ministre accepte, alors le Parlement, les deux Chambres, peuvent dire non. La Chambre des communes pourrait dire non, ou alors le Sénat pourrait dire non.

Très franchement, je ne sais pas quelle mesure de protection vous pouvez donner à une personne, mais je dirais que ce système donne au juge la meilleure protection qui soit au Canada.

Le président : Sénatrice Batters, voulez-vous répondre rapidement, pour conclure? Je me demandais si vous pouviez, en même temps, répondre à une question que le sénateur Dalphond a effleurée, si l’on peut dire. Lors de la discussion sur les amendements, vous avez adhéré — avec enthousiasme, je crois — à certaines des propositions de M. Devlin, sur le processus. M. Delvin a expliqué entre autres que le niveau de protection offert aux juges par ce processus est considérable, comme vient de le souligner le sénateur Dalphond, par comparaison avec d’autres, et je dirais qu’il a d’une certaine façon critiqué l’ampleur de cette protection. Vous semblez avoir souscrit dans une certaine mesure aux opinions de M. Devlin, mais vous semblez pourtant ici aller dans le sens opposé. Pouvez-vous nous expliquer cela dans votre résumé, pour m’aider à comprendre?

La sénatrice Batters : Tout d’abord, je vais commencer par dire, à cet égard en particulier — j’ai l’impression que c’est en partie dû à l’amendement concernant les non-juristes que j’ai proposé la semaine dernière et qui a été accepté —, que nous avons maintenant des non-juristes dans tous ces comités. Certains se sont dits préoccupés à l’idée que cela pourrait nuire, s’il y avait des questions de droit ou d’autres choses du genre. Donc, le fait d’avoir la Cour d’appel fédérale, une véritable cour, si un juge décide d’instruire l’affaire, cela permet à cette cour de cerner ces questions de droit.

Je reconnais effectivement qu’un juge bénéficie d’importantes protections. C’est probablement pour cette raison qu’il n’y a jamais eu de cas où un juge de nomination fédérale a véritablement été révoqué au Canada. Cela a failli arriver, mais le juge a démissionné avant.

Le plus important, et ce sur quoi j’ai insisté dans mes commentaires touchant le témoignage très important que nous avons reçu du président de l’Association du Barreau canadien — encore une fois, il représente une organisation très importante, et je ne me rappelle pas que le président soit venu ici pour se prononcer en faveur d’un amendement si important — et le témoignage de la Société des plaideurs, c’est qu’il est nécessaire que le public ait confiance dans l’intégrité du processus disciplinaire de la magistrature. C’est probablement l’une des choses les plus importantes : que le public, qui est jugé par les juges, constate que la justice dans ce cas-ci est rendue dans le cadre d’un processus qui ne se résume pas uniquement à un comité, mais passe par une véritable cour. Voilà ce que je répondrais par rapport à cela.

J’ai quelques autres commentaires en réponse aux interventions d’autres sénateurs.

Tout d’abord, au sujet du commentaire selon lequel le président du comité de la Chambre des communes — je ne sais même pas si l’amendement en question était nécessairement le même que le mien, parce que j’ai certainement...

Le président : Pourrais-je vous interrompre? Je ne pense pas que le sénateur Dalphond soit allé jusqu’à faire un rappel au Règlement, alors vous n’avez pas à parler de cela.

La sénatrice Batters : Non, mais je voulais le faire, au cas où quelqu’un aurait des questions à ce sujet.

Rapidement, je voulais dire que, lorsqu’ils ont été questionnés à ce sujet, les représentants du ministère de la Justice n’ont pas pu donner une exigence juridique ou un quelconque fondement par rapport à cette étape permettant de déclarer que cela dépassait la portée du projet de loi. À mon avis, cela donne à penser qu’il n’y a aucun motif juridique, et que le motif est plutôt politique, peut-être, je ne sais pas. Je ne sais pas si c’était exactement le même amendement que celui que j’ai proposé.

J’aimerais souligner deux ou trois autres choses. Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, pour ce qui est de protéger l’efficience, je pense qu’il y a de très bonnes choses dans ce projet de loi. Le besoin d’accroître l’efficience du processus est une bonne chose. Toutefois, ce que le projet de loi C-9 a fait, et ce que mon amendement conserve, c’est que l’étape judiciaire importante, celle de la Cour fédérale, serait tout de même retirée du processus qui existe actuellement. Il n’y a aura plus cette possibilité des trois paliers judiciaires. La Cour fédérale serait supprimée, et il resterait seulement la Cour d’appel fédérale.

La sénatrice Simons a fait un commentaire sur les retards judiciaires. Je veux que ce soit clair : cette étape du processus disciplinaire de la magistrature serait la Cour d’appel fédérale, et non pas la Cour du Banc du Roi ou l’une ou l’autre des cours provinciales. Le plus grand nombre de retards dans les cours criminelles, dans le système actuel — c’est un très grave problème —, et de loin, c’est là qu’ils se produisent. Je voulais m’assurer, et je pense que vous l’avez probablement compris — je le dis au cas où les gens qui nous regardent ou quiconque d’autre à la table n’en soient pas certains —, que cela n’alourdisse aucunement les retards judiciaires.

Au sujet des représentants du ministère, Me Xavier, du fait de sa grande compétence, a témoigné à propos de la Cour suprême du Canada et de la possibilité que la Cour suprême du Canada puisse entendre certains de ces appels. C’est un homme très précis. Il a souligné trois fois dans sa réponse que nous ne savons pas ce que la Cour suprême du Canada fera dans une telle situation. Quand le sénateur Boisvenu l’a questionné, c’est ce qu’il a répété.

Le gouvernement du Canada a décidé, à dessein, de ne pas donner un droit d’appel devant la Cour suprême du Canada dans ce projet de loi. La sénatrice Clement a demandé si cette cour pouvait rendre une décision. Selon moi, ce serait établir un important précédent — ce n’est pas seulement un comité ni même un comité suffisamment officiel, mais bien une véritable cour —, pour ce qui est de trancher les questions de droit qui pourraient découler de ce genre de choses.

Au bout du compte, je pense que le plus important, par rapport à ce type d’amendement, c’est la confiance du public envers le processus disciplinaire de la magistrature, et c’est pour cette raison que je vous demande votre appui.

Le président : Merci.

Il est proposé par la sénatrice Batters que le projet de loi C-9 soit modifié à l’article 12, à la page 14, par substitution, à la ligne 4... Puis-je me dispenser de lire la motion? Personne ne s’objecte à ce que je ne relise pas la motion? Vous plaît-il, honorables sénateurs et sénatrices, d’adopter la motion d’amendement?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Le président : Nous allons procéder à un vote par appel nominal.

Mark Palmer, greffier du comité : L’honorable sénateur Cotter?

Le sénateur Cotter : Non.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Batters?

La sénatrice Batters : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénateur Boisvenu?

Le sénateur Boisvenu : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Clement?

La sénatrice Clement : Non.

M. Palmer : L’honorable sénateur Dalphond?

Le sénateur Dalphond : Non.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Jaffer?

La sénatrice Jaffer : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénateur Klyne?

Le sénateur Klyne : Non.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Pate?

La sénatrice Pate : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénateur Quinn?

Le sénateur Quinn : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénateur Tannas?

Le sénateur Tannas : Oui.

M. Palmer : L’honorable sénatrice Simons?

La sénatrice Simons : Non.

M. Palmer : Adoptée par 6 voix contre 5.

Le président : La motion d’amendement est adoptée. L’amendement est adopté. L’article 12 modifié est-il adopté?

Des voix : D’accord.

Le président : L’article 13 est-il adopté?

La sénatrice Batters : Avec dissidence.

Le président : L’article 14 est-il adopté?

La sénatrice Batters : Avec dissidence.

Le président : L’article 15 est-il adopté?

La sénatrice Batters : Avec dissidence.

Le président : L’article 16 est-il adopté?

La sénatrice Batters : J’ai un deuxième amendement.

Le président : Il s’agit de l’amendement C9-16-25-28, proposé par la sénatrice Batters. Je vous invite à proposer l’amendement, sénatrice Batters, puis nous pourrons en discuter rapidement, au besoin.

La sénatrice Batters : Je propose :

Que le projet de loi C-9 soit modifié à l’article 16, à la page 25 :

a) par substitution, à la ligne 23, de ce qui suit :

« 16 (1)Si un rapport présenté en vertu de l’article 65 »;

b) par substitution, aux lignes 28 à 31, de ce qui suit :

« vant cette date, interjeter appel du rapport auprès de la Cour d’appel fédérale.

(2) Si la Cour suprême du Canada accorde l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Cour d’appel fédérale relative à l’appel au titre du paragraphe (1), l’article 138 de cette loi, édicté par l’ar- ».

Il s’agit d’un amendement complémentaire. Les deux amendements sont séparés, parce que, pendant l’étude article par article du comité, l’amendement précédent visait l’article 12, et nous avons besoin d’un autre amendement visant l’article 16; les deux vont en fait ensemble. À l’autre Chambre, je pourrais tout proposer dans un seul amendement. Mais lors d’une étude article par article, il faut en avoir deux séparés.

Toutes les raisons que j’ai données plus tôt, et toute la discussion que nous avons eue s’appliquent à cet amendement-ci aussi. Je vous demande votre appui, parce que ce serait étrange que le premier soit adopté, mais que ce petit amendement restant à la fin du projet de loi ne le soit pas.

Le sénateur Dalphond : L’amendement doit être adopté avec dissidence. Je m’oppose, mais je pense que le résultat du vote sera le même, alors nous pouvons gagner du temps.

Le président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement, avec dissidence? L’article 16 modifié est-il adopté?

Des voix : D’accord.

Le président : L’article 16 modifié est-il adopté?

Des voix : D’accord.

Le président : Le titre est-il adopté?

Des voix : D’accord.

Le président : Le projet de loi modifié est-il adopté?

Des voix : D’accord.

Le président : Le légiste et conseiller parlementaire est-il autorisé à apporter, lorsque nécessaire, des modifications techniques ou grammaticales ou d’autres changements mineurs à la suite des amendements adoptés par le comité, par exemple en mettant à jour les renvois et en renumérotant les dispositions?

Des voix : D’accord.

Le président : Le comité souhaite-t-il annexer des observations au rapport?

Puis-je faire rapport du projet de loi modifié, sans observations, au Sénat?

Des voix : D’accord.

Le président : Chers collègues, nous pouvons maintenant conclure notre étude du projet de loi C-9 et poursuivre la réunion avec nos témoins. Je tiens à remercier Me Xavier, Me Hoffmann et Me Azimi d’avoir été des nôtres et de nous avoir aidés dans nos travaux, aujourd’hui.

Nous commençons maintenant notre étude de la teneur des éléments des sections 30, 31, 34 et 39 de la partie 4... je vais seulement dire « et cetera »... du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023. Plus précisément, nous allons poursuivre aujourd’hui notre étude des éléments de la partie 4, section 30.

Nous accueillons aujourd’hui, tous par vidéoconférence, quatre témoins. Deux d’entre eux représentent l’Association canadienne des chefs de police : il s’agit de Mme Rachel Huggins, coprésidente du Comité consultatif sur les drogues de l’ACCP; et de M. Michael Rowe, membre du Comité sur les amendements législatifs de l’ACCP. Nous accueillons aussi Me Jonathan Noonan, avocat, Noonan Piercey; et M. Jean-Pierre Larose, chef, Nunavik Police Service. Merci à vous tous d’être des nôtres aujourd’hui, et toutes nos excuses pour ce léger retard.

J’invite les représentants à présenter leur déclaration, en cinq minutes, puis nous passerons aux questions et à la discussion avec mes collègues sénateurs du comité. Madame Huggins, allez-y, s’il vous plaît.

Rachel Huggins, coprésidente du Comité consultatif sur les drogues de l’ACCP, Association canadienne des chefs de police : Bonjour et merci de cette occasion de témoigner devant votre comité au nom de l’Association canadienne des chefs de police.

Notre association appuie l’initiative du gouvernement visant à modifier la Loi sur la Société canadienne des postes afin d’empêcher les drogues dangereuses, en particulier le fentanyl et d’autres opioïdes, les armes, les produits de contrefaçon comme les faux médicaments et de nombreux autres types de produits de contrebande de circuler dans le système postal sous forme d’envois de lettres et de colis.

Cette problématique existe depuis longtemps pour la police. À la suite de recherches et de consultations, en 2015, la résolution numéro 8 de l’ACCP réclamait que le gouvernement accorde à la police la possibilité d’obtenir une autorisation judiciaire pour saisir les drogues illicites, les armes et les articles de contrefaçon contenus dans le courrier. Trop de criminels exploitent la lacune actuelle dans le cadre législatif; ils réalisent d’importants profits en utilisant Postes Canada pour commettre des actes criminels et mettent en danger la vie des Canadiens.

À l’heure actuelle, la police n’est pas en mesure d’obtenir légalement une autorisation judiciaire pour fouiller et saisir des articles en cours d’acheminement par la poste. Par exemple, si la police a des motifs raisonnables de croire qu’un colis contenant du fentanyl ou une arme prohibée est envoyé par la poste, elle ne peut légalement détenir ou fouiller la lettre ou le colis tant qu’il n’a pas été livré au destinataire. Seul un inspecteur des postes, travaillant indépendamment de l’enquête policière, peut intercepter l’envoi. L’Association canadienne des chefs de police croit que les lois canadiennes doivent être modernisées pour comprendre des mesures de contrôle judiciaire nécessaires à la protection de la vie privée et à la protection des citoyens contre le trafic de matériel dangereux par le biais du système postal.

Bien que l’ACCP soutienne les modifications apportées à la Loi sur la Société canadienne des postes par le biais du projet de loi C-47, les amendements proposés ne vont pas assez loin. Le projet de loi actuel S-256, Loi sur la sécurité à Postes Canada, propose de modifier le paragraphe 40(3) et le paragraphe 41(1) de la Loi sur la Société canadienne des postes en lien avec les conséquences sur la santé et la sécurité publiques des marchandises dangereuses dans la poste.

Pour élaborer davantage sur certains éléments du projet de loi S-256, j’invite maintenant mon collègue, l’inspecteur Michael Rowe, à s’adresser au comité.

Michael Rowe, membre du Comité sur les amendements législatifs de l’ACCP, Association canadienne des chefs de police : Merci.

Le projet de loi S-256 porte sur les restrictions qui empêchent les inspecteurs postaux d’ouvrir les lettres pesant 500 grammes ou moins. Il est important de noter que 30 grammes de fentanyl, qui peuvent être contenus dans une enveloppe de la taille d’une lettre, peuvent provoquer 15 000 surdoses potentiellement mortelles. Le gouvernement a abordé la problématique des petits colis contenant des substances dangereuses dans le cadre du projet de loi C-37 en conférant aux agents des douanes le pouvoir d’inspecter le courrier pesant 30 grammes ou moins.

Le projet de loi S-256 propose également de confier à la police le pouvoir d’effectuer des perquisitions et des saisies, autorisées par les autorités judiciaires, de colis ou d’envois postaux de la taille d’une lettre soupçonnés de contenir des substances dangereuses telles que le fentanyl ou des armes à feu illégales. Toute détention ou perquisition serait soumise au même contrôle judiciaire que celui déjà exigé par la loi dans les situations ne relevant pas de l’exercice des fonctions postales, en utilisant des mandats de perquisition existants. De plus, il s’agit d’une autorité dont les services de police disposent déjà dans les cas des colis envoyés par des services de messagerie privés tels que FedEx, DHL et même Purolator, qui appartient à Postes Canada.

Le projet de loi S-256 propose aussi de modifier la section « Interprétation » de la Loi sur la Société canadienne des postes pour y inclure une définition de la « loi d’exécution » qui comprendrait trois volets : A) une loi fédérale, B) une loi provinciale, ou C) une loi ou un règlement administratif d’un conseil, d’un gouvernement ou d’une autre entité autorisés à agir pour le compte d’un groupe, d’une communauté ou d’un peuple autochtone qui détient des droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette définition est importante, car elle habilite toutes les communautés qui dépendent de Postes Canada à agir.

L’objectif des amendements proposés est de permettre à la police de procéder à des perquisitions et à des saisies autorisées par les autorités judiciaires. Les attentes des Canadiens en matière de protection de la vie privée dans le domaine du courrier seront renforcées et non réduites par les amendements proposés, et une lacune statutaire qui empêche de manière injustifiée la police d’aider pleinement les inspecteurs de Postes Canada et les agents des douanes à faire respecter la loi sera comblée.

Les amendements proposés dans le projet de loi S-256, ainsi que le fait de confier aux inspecteurs de Postes Canada le pouvoir d’ouvrir tout courrier, s’ils ont des motifs raisonnables de le soupçonner, comme le propose l’article 509 du projet de loi C-47, fournissent ensemble des outils aux forces de l’ordre et aux inspecteurs postaux afin d’assurer la sécurité des collectivités.

Je vous remercie de votre temps et de nous avoir invités à témoigner dans le cadre de ce dossier important.

Le président : Merci à vous deux. J’invite maintenant Me Noonan à prendre la parole.

Me Jonathan Noonan, avocat, Noonan Piercey : J’ai été l’avocat de M. Christopher Gorman, de St. John’s, Terre-Neuve, dont le colis avait été fouillé par un inspecteur de Postes Canada, qui a trouvé deux kilogrammes de cocaïne à l’intérieur. Nous avons contesté la constitutionnalité de l’article 41 de la Loi sur la Société canadienne des postes, et le juge a convenu qu’il dérogeait à l’article 8 de la Charte, parce qu’il n’était pas assorti d’un seuil objectif. Il permettrait à un inspecteur postal de fouiller un colis sans motif ni soupçon raisonnables.

Dans notre système de justice pénale, il doit toujours y avoir un seuil objectif pour empêcher que la police puisse procéder à des fouilles arbitraires pour des motifs qui ne sont pas objectivement vérifiables. Il s’agit de la norme utilisée dans toute la jurisprudence et dans tout le Code criminel. Il faut soit des soupçons raisonnables, soit des motifs raisonnables. Essentiellement, plus les pouvoirs de perquisition sont intrusifs, plus la police doit satisfaire à un seuil élevé, c’est-à-dire celui des motifs raisonnables plutôt que celui des soupçons raisonnables.

L’alcootest serait un bon exemple. Lors d’une enquête pour conduite avec facultés affaiblies, la police a seulement besoin de soupçons raisonnables pour demander un test par analyseur d’haleine approuvé, pendant un contrôle routier, parce qu’il ne s’agit que d’une atteinte minime à la liberté. Toutefois, la police a besoin de motifs raisonnables pour demander à une personne de l’accompagner au poste de police et de fournir un échantillon d’haleine pour l’alcootest. De même, à l’aéroport, un chien détecteur peut s’approcher d’un bagage, mais il faut des motifs raisonnables pour le fouiller.

Il doit toujours y avoir un seuil objectif ou un autre, pour trois raisons : cela empêche que la police ou les autorités prennent des décisions arbitraires; cela les empêche de choisir arbitrairement des colis et de les ouvrir sans justification, ce qui ouvrirait la voie à la partialité, à la discrimination et à d’autres formes d’abus de pouvoir; et cela établit une norme uniforme selon laquelle le public peut raisonnablement s’attendre à ce que sa vie privée soit protégée. Troisièmement, cela donne aux tribunaux un seuil selon lequel ils peuvent évaluer s’il y a ou non un fondement objectif raisonnable pour autoriser une fouille.

Dans ce projet de loi, on propose la norme des soupçons raisonnables. Dans l’ancienne loi, il n’y avait aucune exigence, aucun seuil. En tant qu’avocat criminaliste, je peux dire que notre travail consiste à garder l’État aussi loin que possible de nos clients, et c’est pour cette raison que nous préférerions toujours la norme des motifs raisonnables, qui est plus élevée. Cependant, ce n’est pas nous qui prenons ces décisions, alors la norme du soupçon raisonnable est certainement une option que le Parlement peut choisir pour régler ce problème.

Merci.

Le président : Merci, maître Noonan. Je veux maintenant inviter le chef Larose à prendre la parole.

Jean-Pierre Larose, chef, Nunavik Police Service : Bonjour. Merci de l’invitation.

Je suis le chef du Service de police du Nunavik. La région du Nunavik est composée de 14 collectivités inuites, situées au nord du 55e parallèle, dans la province du Québec. En tout, un tout petit peu moins de 14 000 Inuits y vivent. Le territoire du Nunavik est immense, couvrant plus de 500 000 kilomètres carrés, et on y trouve surtout de la toundra arctique. Notre service a des postes de police dans les 14 collectivités, qui sont toutes isolées les unes des autres, sauf par voie maritime ou aérienne. Le quartier général du NPS se trouve à Kuujjuaq. Au total, le NPS compte environ 80 policiers et 8 membres civils.

Les policiers du Nunavik doivent travailler dans un contexte particulier et complexe, vu les problèmes sociaux, la langue et la culture différentes, l’omniprésence des armes à feu, l’isolement, et cetera. De plus, dans la majorité des interventions policières, les citoyens impliqués sont sous l’influence de l’alcool et de la drogue. En 2022, la consommation d’alcool et de drogues était un facteur dans plus de 90 % des crimes commis au Nunavik.

Il s’agit d’un véritable problème au Nunavik, et certaines collectivités inuites ont donc adopté des règlements municipaux pour gérer l’alcool dans leur collectivité. Au total, 13 collectivités ont adopté des règlements municipaux visant à réduire au minimum les conséquences et les effets nuisibles de l’alcool sur leur population. Toute commande d’alcool doit être autorisée par un policier ou par un agent chargé de faire appliquer le règlement de la collectivité.

Pour déjouer la police et avoir un accès illimité à l’alcool, chaque collectivité a ses contrebandiers. Ces contrebandiers ont des contacts et des liens avec des criminels organisés de la région de Montréal, qui leur envoient de l’alcool légalement, et peuvent ensuite le revendre illégalement à fort prix au Nunavik.

Il y a quatre façons de faire entrer des produits de contrebande au Nunavik. La première est par la mer, durant l’été. Cependant, les trafiquants utilisent peu cette méthode, parce qu’elle est possible seulement pendant quatre mois. Elle exige énormément de temps, et les coûts sont exorbitants.

La deuxième méthode est par les airs, au moyen de passeurs. Souvent, les Inuits du Nunavik se rendent à Montréal pour raisons médicales. Le fournisseur va donc rencontrer la personne à Montréal, pour lui donner des drogues et de l’alcool qu’elle pourra rapporter dans sa valise. Comme c’est le centre de santé qui paie les billets d’avion, le coût pour le trafiquant est minime; c’est l’Inuit qui assume tout le risque et s’y expose lui-même, surtout compte tenu des contrôles de sécurité et des points de fouille à l’aéroport Montréal-Trudeau.

La troisième façon est l’expédition de fret par les compagnies aériennes. Les colis de contrebande sont souvent envoyés au Nunavik par fret aérien. Toutefois, les coûts d’expédition sont très élevés, et le fournisseur doit se rendre lui-même à l’aéroport pour expédier les colis. De plus, la compagnie aérienne demande une pièce d’identité pour confirmer l’expédition, ce qui suppose un risque élevé pour le fournisseur.

La dernière façon d’expédier des colis de contrebande au Nunavik, et la méthode la plus courante, est évidemment par courrier. La grande majorité des trafiquants utilisent les services postaux pour expédier des colis de contrebande sur le territoire du Nunavik : les coûts d’expédition sont les plus bas, le risque est faible, il n’est pas nécessaire de présenter une pièce d’identité, et l’adresse d’expédition n’est pas validée. L’expéditeur prend très peu de risque. Il y a plusieurs points de livraison où expédier un colis. C’est la méthode la plus simple et la plus sécuritaire pour les trafiquants, et la police ne peut pas perquisitionner un colis expédié par Postes Canada, et ce, même si nous recueillons suffisamment d’informations pour obtenir un mandat.

Chaque jour, dans les 14 collectivités du Nunavik, plusieurs colis d’alcool et de drogues sont envoyés aux fins de la revente. La majorité des colis d’alcool expédiés au Nunavik comprennent des bouteilles de vodka Smirnoff de différentes grosseurs. Parfois, d’autres types de boissons fortement alcoolisées sont aussi expédiées, mais plus de 95 % des colis sont remplis de bouteilles de vodka Smirnoff, qui seront revendues au Nunavik illégalement en quelques minutes. Un colis illégal de 24 bouteilles de 374 millilitres ou une flasque de 10 onces de Smirnoff peuvent facilement être revendus le soir même, même si le prix est très élevé. Le prix d’une bouteille illégale d’alcool sur le marché noir au Nunavik est de 100 $ pour une flasque, 250 $ pour une bouteille de 750 millilitres, 400 $ pour une bouteille de 1,14 litre et 600 $ pour une bouteille de 1,75 litre, toutes de vodka Smirnoff.

Les prix peuvent varier selon plusieurs facteurs. Par exemple, durant le temps des Fêtes, quand la demande est plus forte, les revendeurs du Nunavik vont monter leurs prix pour hausser leurs profits et ceux de leurs fournisseurs du Sud. Nous constatons aussi que les prix varient selon la collectivité. Un trafiquant d’alcool de Salluit, la collectivité la plus au nord du Nunavik, peut revendre une flasque, une bouteille de 375 millilitres de vodka Smirnoff, entre 120 et 180 $. Cette inflation s’explique surtout du fait que les coûts d’expédition par la poste sont plus élevés, pour les fournisseurs du Sud, tout comme le prix des billets d’avion, pour les passeurs. Par contre, à Kuujjuaq, la même bouteille se vend 100 $ sur le marché noir. La raison est que, là-bas, il y a des bars, et aussi qu’il n’y a pas de règlements municipaux sur l’achat d’alcool à Kuujjuaq, ce qui fait considérablement baisser la demande. Durant la pandémie, les prix ont aussi explosé. Les couvre-feux, les restrictions sur les commandes d’alcool et la rareté des vols commerciaux ont tous été des facteurs entraînant la hausse du prix demandé par les trafiquants pour leurs bouteilles d’alcool. Même si le prix des bouteilles de contrebande est généralement stable, tout dépend quand même de la loi de l’offre et de la demande.

Aussi, depuis cinq ans, nous avons constaté qu’il y a de plus en plus de drogues dures sur notre territoire. La cocaïne et les pilules de méthamphétamine sont maintenant des drogues courantes au Nunavik. Comme l’alcool, le prix de ces drogues dures est énorme. Un gramme de cocaïne, au Nunavik, se vend entre 300 à 350 $. Une pilule de méthamphétamine se vend 40 $. La marge de profit est excellente pour les criminels organisés qui expédient ce genre de drogues. Comme c’est le cas pour l’alcool, la majorité des drogues qui entrent au Nunavik sont expédiées par colis postaux, cachées dans des jouets, de la nourriture ou n’importe quel autre objet qui pourrait tromper la police.

En juin 2022, dans la collectivité de Puvirnituq, une jeune femme de 35 ans est décédée d’une surdose d’alcool et de drogues, de la cocaïne et du fentanyl. La présence de ces drogues sur notre territoire est très préoccupante pour tous les Nunavummiut. Les Inuits sont vulnérables aux dépendances, et la dépendance aux drogues n’y fait pas exception. L’alcool était notre plus grave problème, mais maintenant, nous devons aussi lutter contre les autres problèmes que sont les drogues. Malheureusement, de très jeunes adolescents et même des enfants consomment de la drogue, surtout de la méthamphétamine, ce qui accroît leur risque de dépendance.

Récemment, des fouilles et le renseignement policiers ont permis de confirmer la présence de crack au Nunavik. Cette drogue est plus puissante que la cocaïne, et cause une plus forte dépendance. Elle est expédiée depuis la région de Montréal, et parfois, le crack arrive déjà préparé, dans des colis. La plupart du temps, l’expéditeur envoie seulement la cocaïne et demande à ses revendeurs au Nunavik de la préparer.

Le président : Chef Larose, je vous invite à conclure. Je sais que certains sénateurs auront des questions à vous poser quand nous poursuivrons notre discussion.

M. Larose : Pardon.

En conclusion, dans un esprit de soutien et de collaboration avec notre force policière, Postes Canada et son équipe d’enquête ont mené un projet pilote du 15 novembre au 20 janvier 2023. L’équipe a intercepté tous les colis contenant de l’alcool entrant au Nunavik. Durant ces deux mois, les enquêteurs de Postes Canada ont saisi plus de 677 flasques et bouteilles d’alcool fort, ainsi qu’un total de 6 500 grammes de cannabis et de haschich, des drogues illégales. Au total, on a saisi pour 350 000 $ de produits de contrebande.

L’opération a permis de réduire la criminalité au Nunavik de 80 % : il y a eu 30 % moins de suicides, aucun meurtre ni aucune tentative de meurtre. Nous avons reçu moins d’appels, et les Nunavummiut étaient de plus en plus heureux. Les trafiquants d’alcool ont un effet nuisible dans nos 14 collectivités, et les conséquences sont considérables : la violence familiale et conjugale, le suicide, la négligence, le viol, le meurtre. Malheureusement, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Il y a plus d’interventions policières au Nunavik chaque année qu’il n’y a de citoyens. Plus de 70 % de ces interventions ont un lien direct avec la consommation d’alcool. Pour les fournisseurs du Sud, la marge de profit est considérable, pour le trafic de drogues et d’alcool.

Si la Loi sur la Société canadienne des postes pouvait être modifiée de façon à permettre aux policiers de saisir des colis qui entrent sur le territoire, nous pourrions mieux servir nos collectivités. Si nos agents de police pouvaient saisir des colis illégaux, nous pourrions prévenir les viols, la négligence parentale, la violence conjugale, les suicides et les meurtres. Notre criminalité est liée au nombre de colis de contrebande que reçoivent nos collectivités.

Nous appuyons le projet de loi S-256 du sénateur Dalphond et croyons que cet amendement est bénéfique non seulement pour nos agents de police, mais, par-dessus tout, pour le bien-être de tous les Nunavummiut. Les Inuits sont fatigués et attristés de voir leurs collectivités ravagées par les drogues et l’alcool.

Merci.

Le président : Merci beaucoup, chef.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je vais essayer d’y aller rapidement pour permettre à mes collègues de poser des questions.

Ma question s’adresse à M. Larose.

Sur votre territoire, avez-vous déjà saisi du fentanyl qui aurait été introduit par Postes Canada?

M. Larose : Nous n’en avons pas saisi jusqu’à maintenant. Comme je l’ai mentionné dans mon témoignage, il y a eu un décès. Nous avons constaté la présence de fentanyl, mêlé à de la cocaïne. Malheureusement, la personne est décédée. C’est à ce moment-là que nous avons découvert qu’il y avait vraisemblablement du fentanyl sur le territoire. Jusqu’à maintenant, nous n’avons pas fait de saisie de fentanyl pur, mais nous avons saisi récemment beaucoup de haschich, de cocaïne et de pilules.

Le sénateur Boisvenu : La modification à la Loi sur la Société canadienne des postes ne permettra plus de saisir des enveloppes de moins de 500 grammes, entre autres. Est-ce que cela vous préoccupe beaucoup?

M. Larose : Absolument. On voit de plus en plus de drogue arriver dans des colis dissimulés dans d’autres paquets. C’est un autre subterfuge du crime organisé pour faciliter le transport des drogues.

Le sénateur Boisvenu : Comme ceux qui ont comparu avant vous, vous appuyez le projet de loi du sénateur Dalphond, qui viendrait modifier la Loi sur la Société canadienne des postes et qui offrirait la possibilité de saisir des enveloppes de moins de 500 grammes. C’est bien cela?

M. Larose : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Merci, monsieur Larose.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Je ne prendrai pas mes quelques minutes pour poser des questions aux deux policiers. Merci d’appuyer mon projet de loi; je ne vous en demanderai pas plus.

Ma question s’adresse plutôt à Me Noonan. Comme vous l’avez vu, selon l’amendement proposé au projet de loi C-47, le paragraphe 41(1) de la Loi sur la Société canadienne des postes sera : « La Société peut ouvrir les envois, à l’exclusion des lettres, si elle a des motifs raisonnables de soupçonner, selon le cas... » Vous dites, par rapport à l’ajout de l’expression « motifs raisonnables de soupçonner », que cela pourra satisfaire au critère constitutionnel applicable. Je suis d’accord avec vous, et j’ai proposé des amendements similaires à la Loi sur l’Agence des services frontaliers du Canada. Diriez-vous que cela serait aussi le cas si on supprimait « à l’exclusion des lettres », afin que la société puisse ouvrir tout courrier, y compris une lettre, si elle a « des motifs raisonnables de soupçonner... »?

Me Noonan : Pardon, selon ce que je comprends, il s’agit de motifs raisonnables de soupçonner que le contenu ne peut pas être expédié par la poste. Dans la mesure où on a des motifs raisonnables de soupçonner, cela peut s’appliquer à n’importe quel colis, essentiellement, qu’on ouvrirait. Je pense que cela serait conforme à l’article 8, et que ce serait constitutionnellement viable. Excusez-moi, si je n’ai pas répondu à votre question.

Le sénateur Dalphond : Eh bien, vous y avez pratiquement répondu. Vous dites que le libellé, actuellement, est constitutionnel, mais que la formulation, pour l’instant, exclut les lettres. Ce qui est visé est ce qu’on peut qualifier de « colis ». Cependant, si on supprime le mot « lettre », croyez-vous que l’exigence constitutionnelle sera toujours satisfaite? La même exigence constitutionnelle s’applique à la fois aux colis et aux lettres, je crois.

Me Noonan : Pardon. Je n’ai pas vu cela dans ce que j’ai reçu. Je n’ai pas non plus vu que ça devait être moins de 40 grammes, ce que j’ai entendu dire plus tôt. Je tiens pour acquis qu’il faut des motifs moins stricts pour ouvrir une lettre.

Franchement, j’aurais des préoccupations quant à la viabilité constitutionnelle, parce que cela revient à autoriser l’ouverture arbitraire des lettres. Ce pourrait être des documents bancaires ou un testament. Une petite lettre peut contenir d’innombrables choses qui seraient des renseignements personnels très importants pour une personne.

Je m’excuse si je n’ai pas répondu à votre question, je ne crois pas avoir vu cela dans les documents que j’ai reçus.

Le sénateur Dalphond : Je suis désolé que vous n’ayez pas une copie du projet de loi.

Ma prochaine question s’adresse aux autres témoins. Si le mot « lettre » était retiré, cela habiliterait l’inspecteur de Postes Canada à ouvrir les colis et les lettres — une lettre étant un colis de moins de 500 grammes — utilisés pour expédier du fentanyl. Est-ce que cela vous aiderait, ou est-ce insuffisant? Mon projet de loi concerne la possibilité pour la police d’obtenir une autorisation judiciaire pour intercepter le courrier. Si on accordait, pour l’instant, aux inspecteurs le pouvoir d’inspecter les lettres s’ils ont des motifs raisonnables de soupçonner qu’elles contiennent du fentanyl, par exemple, et qu’ils utilisaient des lecteurs optiques sophistiqués pour voir à l’intérieur, est-ce que cela vous serait utile?

M. Rowe : Si je peux répondre, présentement, pour être clair, les inspecteurs des postes et la police ne sont pas habilités à fouiller les lettres. Les lettres et les colis sont deux choses distinctes. Cela dépend de leur poids en grammes, conformément à la description donnée dans le Règlement sur la Société canadienne des postes. Présentement, il n’y a aucun pouvoir permettant de fouiller une lettre, en raison d’une jurisprudence désuète, datant de l’époque où l’utilisation d’enveloppes ou de lettres pour la contrebande n’était pas une très grande préoccupation. Cependant, comme nous l’avons établi ici, une très petite quantité de fentanyl, vu sa structure chimique, peut avoir de graves conséquences pour les collectivités. Je serais tout à fait d’accord avec vous, monsieur, pour dire, qu’en ajoutant ce pouvoir dans tous les amendements, à partir de maintenant, pour permettre aux policiers et aux inspecteurs des postes de fouiller les colis et les lettres, on pourrait accroître grandement la sécurité des collectivités de tout le Canada ainsi que la capacité des organismes d’application de la loi — à la fois les inspecteurs des postes et la police — d’enquêter sur des crimes où Postes Canada est utilisée à des fins de contrebande.

Le président : Pourrais-je demander soit au chef Larose, soit à Mme Huggins de formuler rapidement un commentaire supplémentaire?

M. Larose : Je suis tout à fait d’accord avec M. Rowe. Vu la forme sous laquelle le fentanyl est expédié, présentement, c’est très facile d’en mettre dans une enveloppe, comme des pilules. Il y a aussi l’ambre de cannabis, un nouveau type de drogue. C’est très facile d’insérer ce genre de drogue dans une petite lettre, alors il faut que cela soit inclus.

Le président : Merci, chef Larose. Madame Huggins, avez‑vous un commentaire?

Mme Huggins : Je dirais simplement que c’est déjà fait, dans le projet de loi C-37, comme l’a dit mon collègue, M. Rowe. La proposition de retirer l’exclusion des lettres serait cohérente, de fait, avec les dispositions qui sont déjà en place dans le projet de loi C-37, qui permet aux agents des services frontaliers d’ouvrir les petits colis de moins de 30 grammes.

Le président : Merci.

La sénatrice Batters : Mes questions s’adressent à l’Association canadienne des chefs de police. Vous pouvez répondre comme vous voulez.

Premièrement, je voudrais vous remercier de votre exposé. Vous avez attiré notre attention sur le fait que 30 grammes de fentanyl — ce qui peut entrer dans une enveloppe de la taille d’une lettre — peut causer jusqu’à 15 000 surdoses potentiellement mortelles. C’est alarmant. C’est important d’avoir cette information.

Il est vrai que cela est rapporté dans les nouvelles depuis un bon moment. Je me demandais si on avait consulté votre organisation lorsque le gouvernement élaborait la disposition du projet de loi C-47.

Mme Huggins : Merci de la question.

Nous n’avons pas été consultés sur les dispositions du projet de loi C-47, mais nous avons travaillé avec le sénateur Dalphond sur le projet de loi S-256.

La sénatrice Batters : Oui, son projet de loi d’intérêt public sénatorial. Je me demandais selon quelle logique ou quel raisonnement le gouvernement a exclu les lettres, à cet article.

M. Rowe : Je peux répondre. L’exclusion des lettres, comme je l’ai dit plus tôt, semble être fondée sur une très vieille jurisprudence sur la protection des renseignements personnels dans les lettres par rapport aux colis. On estimait que les lettres méritaient un degré de protection des renseignements personnels supérieur. Cependant, comme ma collègue, Mme Huggins, l’a mentionné, l’enjeu a déjà été abordé en lien avec le courrier international à la frontière, et des amendements ont déjà été apportés pour que l’Agence des services frontaliers du Canada puisse intercepter à la fois les colis et les lettres. Je pense que, dans le cadre de l’étude d’aujourd’hui, nous pourrions moderniser les pouvoirs des inspecteurs des postes et de la police afin qu’ils puissent inspecter les lettres d’origine canadienne également.

La sénatrice Batters : Merci. Étant donné que la résolution de l’Association canadienne des chefs de police a été publiée en 2015 et que la loi a été jugée, comme vous l’avez dit, désuète en 2019, il est regrettable que le gouvernement ait mis autant de temps à réagir, et aujourd’hui, il n’est toujours pas question des lettres distribuées au Canada.

Comme vous l’avez remarqué, le projet de loi S-256 fournit aux inspecteurs des postes davantage d’outils nécessaires, mais comme vous le savez peut-être, les projets de loi d’intérêt public du Sénat ne sont pas traités aussi rapidement que les projets de loi émanant du gouvernement, et c’est en fait pire ici parce que le projet de loi que nous étudions aujourd’hui est une loi d’exécution du budget que le gouvernement s’efforcera sans aucun doute de faire adopter par les deux Chambres du Parlement — le Sénat et la Chambre des communes — au cours des prochaines semaines. Le projet de loi d’intérêt public du Sénat, le projet de loi S-256, suit une démarche beaucoup plus longue. Bien sûr, cela a commencé au Sénat. S’il est adopté au Sénat, il devra ensuite passer à la Chambre des communes et y être adopté également. Il y a toujours un risque qu’avant que ce projet de loi n’entre en vigueur, il y ait des élections ou une prorogation ou quelque chose de ce genre, et le projet de loi pourrait alors mourir au Feuilleton.

Je me disais que l’on pourrait essayer d’accélérer le processus et d’intégrer les bonnes parties de ce projet de loi dans celui-ci afin que l’amendement soit plus efficace. Voudriez-vous un amendement selon lequel les dispositions proposées dans le projet de loi S-256 seraient intégrées dans ce projet de loi-ci? Du point de vue de la sécurité publique, dans quelle mesure pensez‑vous qu’il est important que la police soit dotée de ces pouvoirs le plus rapidement possible?

M. Rowe : Oui, je serais tout à fait d’accord avec vous pour dire que le règlement rapide de cette question serait très bénéfique pour toutes les polices du Canada.

Je tiens à préciser que, actuellement, les agents de police au Canada ne peuvent pas fouiller ou saisir les colis en cours d’envoi postal. Les inspecteurs des postes sont les seuls à pouvoir les intercepter. J’ai été agent de police et j’ai participé à des enquêtes sur le crime organisé et le trafic de drogues pendant une grande partie de ma carrière, et je peux confirmer que Postes Canada est souvent utilisée pour le trafic de la drogue et même de pièces d’armes à feu utilisées pour fabriquer des armes à feu privées.

Il est très difficile pour la police d’enquêter sur les colis en cours d’envoi postal, parce que nous n’avons aucun recours juridique pour pouvoir les fouiller et les saisir et confirmer que les articles dont nous avons des raisons de croire qu’ils sont des substances contrôlées ou de contrebande de marchandises dangereuses le sont effectivement. Nous ne sommes même pas en mesure d’obtenir un mandat pour pouvoir fouiller ces colis et intégrer une certaine mesure de surveillance judiciaire dans ce processus. L’importance du projet de loi S-256 est primordiale car il permettrait de mettre en place cette surveillance judiciaire. Il nous permettrait de demander des mandats pour pouvoir fouiller les colis en cours d’envoi postal. Il permettrait aux inspecteurs des postes de continuer d’effectuer leur travail important après avoir formulé des motifs raisonnables de soupçonner la présence d’objets qu’il est interdit d’envoyer dans les colis et les enveloppes.

Du point de vue de la police de tout le Canada, ces deux amendements sont très importants. Ces deux propositions sont très importantes. Notre capacité à enquêter sur les colis et les lettres en cours d’envoi postal est actuellement paralysée, faute d’un meilleur terme.

La sénatrice Batters : Merci.

La sénatrice Simons : J’aimerais poursuivre avec M. Rowe. Dans quelle mesure les services de police et les inspecteurs des postes se coordonnent-ils? Je suis simplement curieuse. Pensez‑vous qu’il y a suffisamment d’inspecteurs des postes? Ont-ils besoin de plus de ressources? Doit-on améliorer la façon dont la police et les inspecteurs des postes peuvent coordonner leurs enquêtes?

M. Rowe : Merci de la question.

Comme je l’ai dit, j’ai beaucoup d’expérience dans ce domaine. Je peux honnêtement dire, en ce qui concerne tous les inspecteurs des postes avec qui j’ai travaillé, que j’ai toujours été impressionné par leur professionnalisme et leurs compétences en matière d’enquête. Ils ont toujours été d’excellents interlocuteurs.

Cependant, il est très difficile d’intégrer un autre organisme d’enquête dans une enquête. Par exemple, si la police de Vancouver et moi-même enquêtons sur un dossier impliquant Postes Canada, je devrai y faire participer un inspecteur des postes, qui n’est peut-être pas affecté dans notre ville et qui pourrait ne pas être présent. Ils devraient alors mener chacun leur propre enquête parallèle distincte, ce qui créera un certain nombre de difficultés, pour les poursuites à venir, notamment au chapitre de la divulgation ou du potentiel de contestation, lorsqu’il s’agira de fusionner les deux enquêtes.

Pour nous, dans la police, Postes Canada a également un certain nombre de responsabilités en matière de réglementation qui, je le sais, l’occupent aussi beaucoup. En ce qui concerne la police, ce nous serait très utile de pouvoir demander des autorisations judiciaires et des mandats de perquisition et de pouvoir les exécuter pour des articles en cours d’envoi postal. Naturellement, si nous devions exécuter des mandats de perquisition pour des articles en cours d’envoi postal, nous continuerions de travailler en étroite collaboration avec nos partenaires de Postes Canada pendant ces enquêtes.

La sénatrice Simons : Le critère pour obtenir un mandat de perquisition est beaucoup plus élevé que les soupçons raisonnables, n’est-ce pas? N’est-ce pas les motifs raisonnables?

M. Rowe : Oui, ce serait les motifs raisonnables, mais il est souvent utile pour la police d’établir les motifs supplémentaires nécessaires pour obtenir une autorisation judiciaire, car cela permet de protéger nos enquêtes contre les contestations fondées sur la Charte, ultérieurement, et d’améliorer la viabilité des poursuites.

La sénatrice Simons : Maître Noonan, quand nous étudiions le projet de loi S-7, il y a quelques mois, le gouvernement a tenté d’établir un nouveau critère, celui des « préoccupations générales raisonnables ». Le Sénat s’est fermement opposé à l’idée d’établir un critère des « préoccupations générales raisonnables ». Pour vous, si cela devait englober l’ouverture du courrier ordinaire qui, comme vous l’avez dit traditionnellement, est beaucoup mieux protégé au regard des renseignements personnels, quels critères seraient selon vous appropriés?

Me Noonan : Je dirais que le critère des soupçons raisonnables serait assurément le critère le moins élevé possible.

Pour répondre à la question — sans vouloir parler au nom de M. Rowe —, je pense que, si la police avait des mandats, elle aurait une norme plus élevée, mais elle aurait plus d’informations à l’appui du mandat, fondées sur la surveillance, des informateurs confidentiels et des choses de ce genre, qu’un inspecteur de Postes Canada. Ce projet de loi autorise un inspecteur qui a des soupçons raisonnables à ouvrir un colis. S’il le fait et qu’il trouve un objet interdit, cela aidera les agents de police à formuler leurs motifs raisonnables pour obtenir le mandat. Je ne pense pas donc que ce soit un obstacle.

Je ne connais pas les préoccupations générales raisonnables, mais selon moi, ce serait très vague. J’aurais de grandes préoccupations quant à l’intégrité constitutionnelle de ce type d’expression. Traditionnellement, dans la jurisprudence des années 1980 et par la suite, on a les « soupçons raisonnables » et les « motifs raisonnables ». Les « préoccupations générales raisonnables » porteraient à croire qu’il y a moins d’objectivité. Ce serait ma préoccupation, du point de vue de la défense.

Le sénateur Klyne : J’ai quelques questions, et la première est pour M. Larose. Si j’ai bien compris, vous n’avez saisi aucun objet interdit, en particulier en ce qui concerne le service postal. Je suppose que c’est en raison de vos « contraintes juridiques », si l’on veut. Je suppose que vous avez constaté un changement important en matière de santé et de sécurité dans votre collectivité en ce qui concerne la liste des objets interdits que vous avez cités. Cela semble être une préoccupation majeure que vous voudriez probablement régler. Puis-je tenir pour acquis que Postes Canada n’a pas d’inspecteurs dans votre région? S’il y en a, est-ce qu’ils recueillent ou saisissent des objets interdits?

[Français]

M. Larose : Dans notre région, il n’y a pas d’inspecteur. On doit travailler avec les inspecteurs de Montréal. On les aide à l’occasion pour mener des opérations. Cependant, sur le territoire du Nunavik, il n’y a aucun inspecteur.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Ce projet de loi vous aiderait à contrôler une partie des objets interdits qui entrent dans votre collectivité. Peut-il le faire à lui seul — le projet de loi d’exécution du budget, le projet de loi C-47 — ou pensez-vous que le projet du sénateur Dalphond est nécessaire pour en faire un tout?

[Français]

M. Larose : Absolument, il est nécessaire. En ce qui concerne les inspecteurs, il est clair pour nous qu’il n’y en a pas assez, surtout à Montréal.

Comme vous le savez, tous les produits de contrebande que l’on inspecte sont examinés à partir de Montréal, et on est en mesure d’identifier les colis qui vont au Nunavik et au Nunavut également. Actuellement, il n’y a que deux inspecteurs à Montréal pour effectuer le travail.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Madame Huggins, en 2019, le Maclean’s a publié un article intitulé « Postes Canada est la méthode d’expédition de choix pour les importateurs de fentanyl ». Cet article citait un homme de l’Ontario qui avait commandé du fentanyl sur le Web invisible et avait dit que Postes Canada est un moyen presque absolument sûr pour déjouer les agents de police. Un commentaire comme celui-là ne renforce-t-il pas l’urgence d’adopter les deux projets de loi, le projet de loi C-47 et celui du sénateur Dalphond, le projet de loi S-256?

Mme Huggins : Je vous remercie de la question.

Oui, absolument. Je pense que l’article de Maclean’s et un certain nombre d’autres types d’annonces et de choses que nous entendons dans les médias au sujet des conséquences des drogues qui passent par Postes Canada, par le courrier, signifient qu’il faut prendre des mesures maintenant. Le projet de loi brosse un tableau complet pour l’application de la loi. Il protège le public et ses renseignements personnels et, en même temps, il fournit à tous les organismes d’application de la loi les outils dont ils ont besoin. Et, bien sûr, le projet de loi C-47 permet aux inspecteurs d’effectuer ce travail de première ligne. Nous savons que leur nombre est limité, mais du côté de l’inspection, puisqu’ils cherchent des objets qu’il est interdit d’envoyer par courrier et que la police reçoit de nouveaux outils, nous commencerons à régler le problème des drogues envoyées par courrier. Cela concerne également d’autres produits de contrebande. Nous avons des problèmes avec les armes et avec la drogue. Rappelez-vous, à Postes Canada, on parle d’une lettre de 500 grammes, et les pièces d’armes à feu peuvent être expédiées dans une lettre. Combiner ces deux projets de loi serait la façon la plus efficiente et efficace de régler les problèmes dont nous parlons aujourd’hui.

Le sénateur Klyne : Merci.

La sénatrice Pate : Je remercie les témoins.

J’ai deux questions, dont une pour Me Noonan. Je me demandais si vous aviez une opinion particulière sur le fait que ce projet de loi est intégré dans la loi d’exécution du budget, ce qui le rend, dès le départ, plus difficile à modifier potentiellement de certaines des manières qui ont été proposées.

Ma deuxième question est pour M. Larose. Je crois que c’est vous qui avez dit que d’autres formes de messageries et ce genre de choses peuvent être assujetties à la fouille. La dernière fois que je suis allée dans le Nord, il a été beaucoup question du fait que de nombreuses personnes utilisent Amazon Prime pour se faire expédier toutes sortes de choses dans le Nord, à la fois de manière légitime et peut-être illégitime. Quelle est la situation? Ce service est-il traité de la même manière qu’une compagnie de messagerie?

Me Noonan : Cela me convient si Mme Huggins veut répondre. Malheureusement, je ne connais pas les contraintes qui peuvent entrer en jeu avec la loi d’exécution du budget. Peut-être que Mme Huggins peut répondre à la question.

Mme Huggins : Je dois dire que, compte tenu du temps que j’ai passé au gouvernement fédéral, vous avez raison, il est parfois difficile de combiner un projet de loi du Sénat et un projet de loi comme celui-ci, un projet de loi d’exécution du budget. Compte tenu de l’importance de cet enjeu et du fait que le projet de loi du Sénat a progressé et qu’il y a eu d’assez nombreuses consultations, je pense qu’il serait efficace de les combiner et de l’adopter.

M. Rowe : J’ai parlé plus tôt des services de messagerie privés. Grâce aux services de messagerie privés, nous pouvons exécuter des mandats de perquisition émis par un juge pour des colis qui font partie de ces services. La possibilité d’intercepter un colis entre son point de départ et son point de livraison présente un certain nombre d’avantages en matière d’enquête, et nous pouvons utiliser ces avantages avec les services de messagerie.

En ce qui concerne Amazon Prime, selon ce que j’en sais, si Amazon n’a pas de services de livraison dans une région spécifique, il demandera souvent à Postes Canada de livrer ses colis. Dans de nombreuses régions éloignées de la Colombie-Britannique — je ne peux pas parler pour le Nord —, les colis d’Amazon Prime, passé un certain stade, passent dans le système de Postes Canada et deviennent par conséquent inaccessibles aux forces de l’ordre une fois entrés dans ce cours de transmission postale.

Le président : Monsieur Larose, pouvez-vous répondre à la question sur Amazon Prime au Nunavik?

[Français]

M. Larose : En effet, comme l’a mentionné M. Rowe, il est très coûteux de faire livrer des colis au Nunavik par des services de courrier privé. Comme je le disais, il y a le transport par cargo. Ce service est aussi très coûteux. La majorité se rabat donc sur Postes Canada, parce que c’est plus facile.

Il est illégal de faire livrer de l’alcool au Nunavik uniquement par l’intermédiaire de la Société des alcools du Québec. Encore une fois, les frais d’expédition sont très élevés. La seule façon de faire livrer légalement de l’alcool au Nunavik, c’est par Postes Canada. L’alcool est acheté à la Société des alcools du Québec.

Il y a également un permis spécial d’alcool qui est offert au Marché Turenne, ce qui permet aux Nunavimmiut de faire des commandes d’alcool à un prix un peu plus abordable. Toutefois, cela prend du temps. Les gens veulent avoir l’alcool instantanément. Ils font toujours affaire avec des trafiquants d’alcool, qui se procurent l’alcool et la drogue par Postes Canada par l’intermédiaire du crime organisé issu de Montréal.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Pour revenir à l’article de Maclean’s, il dit à peu près ce qui suit :

L’envoi par Postes Canada ne sera jamais une méthode complètement infaillible pour déjouer la police, mais cela fonctionne 99,9999999 % du temps.

L’article parlait de quelqu’un qui avait tiré parti de cette faille et l’avait signalée aux trafiquants de drogue.

Ma question pour les représentants de l’Association canadienne des chefs de police est la suivante : cette même limite existe-t-elle pour les services de messagerie privés comme FedEx et UPS?

M. Rowe : Non. FedEx et UPS, et les entreprises de messagerie privées comme celles-là, et même Purolator, qui ironiquement appartient à Postes Canada, sont des entreprises de messagerie privées et nous pouvons exécuter des mandats de perquisition et effectuer des fouilles, des saisies et examiner les articles qui font partie de ces systèmes de messagerie, à la fois les enveloppes et les colis.

La sénatrice Batters : Cela s’appliquerait-il toujours aux lettres?

M. Rowe : Non. Les enveloppes de format commercial traitées par les systèmes de messagerie peuvent également faire l’objet d’une fouille.

La sénatrice Batters : Merci. J’apprécie votre réponse.

Le président : Cela met fin à la discussion que nous avons pu avoir avec vous. Je tiens à vous remercier tous, d’abord d’être restés un peu plus longtemps que ce que nous avions initialement demandé — c’est très apprécié — et également pour les informations que vous nous avez données. Je parle au nom de tous mes collègues en disant que cela a été très enrichissant et utile pour ceux d’entre nous qui ne connaissent pas très bien les domaines dans lesquels vous travaillez et les défis que vous relevez.

Chers collègues, merci, et je remercie le personnel de sa patience et d’avoir accepté de rester un peu plus longtemps pendant que nous explorions le sujet.

(La séance est levée.)

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