LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 8 juin 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 32 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-12, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants.
Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bonjour à tous.
Avant de commencer la réunion, j’aimerais demander aux sénateurs de se présenter.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.
La sénatrice Dupuis : Sénatrice Renée Dupuis, sénatrice indépendante, division sénatoriale des Laurentides, au Québec.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
La sénatrice Greenwood : Margo Greenwood, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Busson : Bev Busson, de la Colombie-Britannique.
Le président : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du comité.
Honorables sénateurs et sénatrices, nous poursuivons aujourd’hui l’étude du projet de loi S-12, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants. Nos premiers témoins d’aujourd’hui, que nous accueillons par vidéoconférence, sont Me Pam Hrick, directrice exécutive et conseillère générale du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, et Me Samantha Craig‑Curnow, secrétaire du conseil d’administration de l’Association du Barreau autochtone.
Nous avions prévu et espéré que Me Annamaria Enenajor, de la Criminal Lawyers Association, pourrait se joindre à nous, mais des difficultés techniques l’en ont empêchée. Nous la réinviterons à une autre occasion au cours de nos délibérations la semaine prochaine.
Comme d’habitude, nous allons commencer par entendre l’exposé de nos deux témoins, qui auront cinq minutes chacun. Ensuite, nous leur poserons des questions et nous en discuterons. Maître Hrick, je vous prie de commencer votre exposé.
Me Pam Hrick, directrice exécutive et conseillère générale, Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes : Bonjour et merci de m’avoir invitée aujourd’hui, honorables sénateurs et sénatrices.
Le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, le FAEJ, est un organisme caritatif national qui milite pour l’égalité des femmes, des filles et des personnes transgenres et non binaires. Nous le faisons devant les tribunaux, par une campagne pour la réforme du droit et par l’éducation juridique publique. J’articulerai mes observations d’ouverture sur deux aspects du projet de loi S-12 : les modifications concernant les interdictions de publication et les modifications proposées à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels.
Dans le premier cas, nous sommes encouragées de voir que le gouvernement et le Parlement sont disposés à améliorer la façon dont les interdictions de publication sont imposées, modifiées et révoquées. Ce travail a été porté à l’avant-plan de l’attention du public par les survivantes d’agressions sexuelles elles-mêmes, avec l’appui d’avocats, de défenseurs et d’organisations féministes, comme la nôtre, qui font écho aux appels au changement pour le choix des survivantes.
Certaines victimes survivantes nous ont réclamé haut et fort le droit de parler de leur expérience. Les interdictions de publication imposées à leur insu ou sans leur consentement représentent pour elles un nouveau trauma infligé par le système de justice pénale. Nous savons par ailleurs que certaines veulent se prévaloir des protections de la vie privée qu’assure l’interdiction de publication. Comme un expert l’a dit cette semaine dans le Globe and Mail, les interdictions de publication peuvent assurer :
[...] un niveau de soutien et de protection pour les femmes appartenant à une minorité visible dans un système qui ne fait rien pour les aider ou les protéger — et qui, en fait, ne se gêne pas pour les blâmer [...]
Les deux choix sont valides : imposer ou non une interdiction de publication. Il est important que le comité ne perde pas de vue que les modifications relatives aux interdictions de publication doivent viser à donner effet aux choix des survivantes et à faciliter le plus possible l’exercice de l’agentivité dans ces choix.
C’est pourquoi nous vous avons remis un mémoire conjoint avec de nombreuses autres organisations féministes et avocats spécialisés dans ce domaine. Nous avons présenté une série de propositions d’amendement pour renforcer cette partie du projet de loi S-12. Nous avons aussi collaboré activement pour faire connaître nos vues au cabinet du ministre de la Justice. Nous écouterons les témoignages que le comité entendra au cours des prochaines semaines. La perspective du FAEJ est que les modifications proposées ne doivent pas être considérées comme coulées dans le béton.
Nous avons cinq recommandations générales d’amendements pour renforcer le projet de loi. Premièrement, veiller à ce que les victimes ne soient pas criminalisées parce qu’elles ne se conforment pas à une interdiction de publication de leur identité; deuxièmement, veiller à ce que les personnes dont l’identité est protégée par une interdiction de publication puissent quand même dévoiler leur identité dans des contextes comme une thérapie ou un groupe de soutien; troisièmement, supprimer l’expression « rendre autrement accessible » dans le contexte de l’élargissement de la portée de l’interdiction de publication; quatrièmement, clarifier et simplifier le processus de révocation ou de modification d’une interdiction de publication; et cinquièmement, veiller à ce que les victimes soient informées lorsqu’une interdiction a été imposée à la seule demande du poursuivant et éclairées sur la façon de faire retirer ou modifier l’interdiction.
En plus de ces recommandations d’amendements au projet de loi S-12, nous devons également investir dans des conseils juridiques indépendants et dans l’éducation afin de nous assurer que les survivantes comprennent bien la portée de l’interdiction de publication et la façon dont elle peut être imposée et supprimée. Nous avons besoin de ces investissements pour donner aux survivantes des choix éclairés sur ce qui est le mieux pour elles dans leur situation.
Je vais maintenant parler brièvement des modifications proposées à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. Nous sommes en faveur d’un accroissement du pouvoir discrétionnaire dans le cas du régime national d’enregistrement des délinquants sexuels. Le pouvoir discrétionnaire permet aux juges de rendre des décisions éclairées au sujet des risques présentés par l’accusé et de soupeser les inconvénients de l’enregistrement au regard des avantages éventuels. Les décisions relatives au risque doivent être fondées sur des données probantes et plutôt que de reposer sur des stéréotypes nuisibles ou sur la discrimination fondée sur la race, l’identité autochtone, la classe sociale, la transphobie ou l’état de santé mentale.
Bien que favorables à un plus grand pouvoir discrétionnaire, nous craignons que le registre crée un faux sentiment de sécurité. Il n’y a pas de preuves que le registre est un moyen efficace de prévenir les agressions sexuelles. Il peut même nuire aux membres des communautés marginalisées. Si ces modifications sont adoptées, nous vous exhorterons à exiger une collecte de données systémiques au sujet du registre, y compris de son efficacité et des préjudices qu’il peut causer. De plus, étant donné que seulement 6 % des agressions sexuelles sont signalées à la police, nous devons investir dans des mécanismes de prévention et de justice alternative en dehors du système de justice pénale.
Merci. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Le président : Merci, maître Hrick. Vous pourriez recevoir quelques questions au sujet de votre mémoire. Nous ne l’avons qu’en anglais, et nous ne pourrons pas le distribuer avant qu’il ne soit traduit. Les membres du comité ne l’ont pas encore vu, mais j’aimerais que vous nous en disiez un peu plus. Désolé de vous avoir interrompue.
Me Samantha Craig-Curnow, secrétaire, conseil d’administration, Association du Barreau autochtone : [Mots prononcés en langue autochtone]. Bonjour. Je m’appelle Samantha Craig-Curnow, [mots prononcés en langue autochtone].
Je vous remercie de m’avoir invitée, en ma qualité de membre de l’Association du Barreau autochtone, l’ABA, au Canada, à vous parler ce matin. Je suis honorée de pouvoir faire des commentaires au nom de l’ABA sur le projet de loi S-12.
Comme vous le savez peut-être, l’ABA est une organisation professionnelle sans but lucratif pour les avocats, les juges, les universitaires et les chercheurs spécialisés en droit autochtones, les stagiaires en droit, les auxiliaires juridiques, les parajuristes et les étudiants en droit. À l’heure actuelle, l’ABA compte plus de 330 membres de communautés autochtones de tout le Canada. Nos objectifs comprennent la promotion de l’avancement de la justice juridique et sociale, la promotion de la réforme des politiques et de la législation applicables aux peuples autochtones et la sensibilisation du public au sein de la communauté juridique, des communautés autochtones et du grand public en ce qui concerne les questions juridiques et sociales qui préoccupent les peuples autochtones du Canada.
L’ABA aimerait commenter les trois considérations suivantes concernant le projet de loi S-12. Premièrement, il faut prioriser les approches visant à favoriser plutôt qu’à bloquer l’accès à la justice pour les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones. Les dispositions du projet de loi sur l’enregistrement doivent tenir compte du racisme, des préjugés et de la discrimination systémiques, ainsi que de la surreprésentation des Autochtones dans le registre. Enfin, il faut soutenir les femmes dans leur cheminement de guérison en tant que victimes de ces crimes traumatisants.
Je vais parler un peu plus en détail de chacune de ces considérations au cours de mes cinq minutes.
Premièrement, le Sénat doit prioriser les approches visant à favoriser plutôt qu’à bloquer l’accès à la justice pour les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones. On s’attend à ce que les modifications proposées au Code criminel du Canada et les modifications corrélatives à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels corrigent les préjudices importants causés par les crimes à caractère sexuel au Canada.
De plus, elles visent à resserrer la surveillance des personnes ayant des antécédents de récidive pour ce genre de crimes. Bien que les changements proposés fournissent des mécanismes juridiques pour une surveillance accrue, la réalité pour les peuples autochtones, et en particulier les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones, demeure qu’il y a un manque de services de police capables de faire respecter les exigences actuelles de la loi, pour ne rien dire des responsabilités supplémentaires des forces de l’ordre.
Le projet de loi vise à protéger le public contre la récidive en présumant qu’un délinquant sera tenu de s’enregistrer et en inversant le fardeau de la preuve. Comme nous l’ont appris des rapports comme ceux de la Commission royale sur les peuples autochtones, de la Commission de vérité et réconciliation et de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, l’accès à la justice représente un grand défi pour les peuples autochtones et les autres personnes appartenant à une minorité visible. Cela vient s’ajouter aux défis associés à l’élimination de ce fardeau accru. Le Sénat doit envisager des solutions de rechange à l’inversion du fardeau de la preuve qu’imposeraient les modifications proposées au paragraphe 490.012(3) du Code criminel.
Deuxièmement, en plus des difficultés d’accès aux ressources, les peuples autochtones risquent également davantage d’être victimes de racisme, de préjugés et de discrimination systémiques, ainsi que de surreprésentation en raison des dispositions relatives à l’enregistrement. Contrairement à la détermination de la peine, les facteurs à prendre en considération pour établir si un délinquant devrait être tenu de s’enregistrer ne comprennent ni les considérations propres à l’identité autochtone, l’histoire du colonialisme au Canada ni les conséquences permanentes du racisme sur les peuples autochtones au Canada.
Comme on l’a constaté tout au long du processus d’intégration dans le droit canadien des considérations déjà mentionnées, la détermination de la peine, le racisme systémique et les préjugés étaient des obstacles importants à la réussite. Avant les arrêts Gladue et Ipeelee de la Cour suprême du Canada, qui obligent les tribunaux à tenir compte des facteurs Gladue dans toutes les décisions de détermination de la peine, les juges avaient besoin de directives claires pour établir que les facteurs devaient être pris en compte dans chaque situation de détermination de la peine. À titre de référence, ces facteurs comprennent :
[...] les facteurs systémiques ou historiques uniques qui peuvent avoir joué un rôle dans la décision de traduire le délinquant autochtone devant le tribunal [...]
Cela se trouve dans l’arrêt R. c. Gladue, au paragraphe 93.
Ipeelee a spécifiquement indiqué que les ordonnances de surveillance de longue durée doivent être assujetties à l’alinéa 718.2e) du Code criminel. Tout comme pour les ordonnances de surveillance de longue durée, il faut assujettir aux facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue les dispositions relatives proposées à l’enregistrement dans le projet de loi S-12 afin de déterminer s’il convient d’exiger qu’une personne s’inscrive au registre des délinquants sexuels.
Compte tenu du racisme systémique, du racisme direct, des préjugés et d’autres considérations persistantes, le Sénat doit songer à obliger explicitement les tribunaux à tenir compte des facteurs Gladue ou de type Gladue, au paragraphe 490.012(4), comme moyen de limiter les enregistrements aux seules circonstances où cela est nécessaire pour la protection du public. Cela se traduira idéalement par une réduction des préjudices causés aux peuples autochtones par le système de justice canadien.
Troisièmement, comme Me Hrick l’a déjà mentionné, le Sénat doit se demander comment il est possible d’aider les victimes de crimes sexuels dans leur cheminement vers la guérison. L’Association du Barreau autochtone du Canada aimerait applaudir les mesures que le Sénat a prises pour répondre à l’Appel à la justice 5.3 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, dont les commissaires ont invité le gouvernement fédéral à examiner et à réformer la loi sur la violence sexuelle et la violence de la part d’un partenaire intime. Cependant, l’Appel à la justice 5.3 va plus loin en demandant que cet examen et cette réforme tiennent compte des perspectives des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA féministes et autochtones.
L’Association du Barreau autochtone du Canada reconnaît que le Sénat dispose de peu de temps pour donner suite à l’arrêt R. c. Ndhlovu. Nous vous exhortons à profiter de l’occasion pour donner la parole aux femmes et aux filles autochtones, ainsi qu’aux personnes 2ELGBTQQIA, afin de laisser s’exprimer ce groupe de la société — qui est 13 % plus à risque d’être victime de violence sexuelle que les femmes non autochtones et 17 % plus à risque d’être victime de violence de la part d’un partenaire intime que les femmes non autochtones. Étant donné la prévalence de la violence sexuelle à leur endroit, il est normal que les femmes autochtones forment une proportion importante des victimes touchées par les modifications proposées relatives à l’interdiction de publication. Par conséquent, les besoins des femmes autochtones dans ce processus devraient être la principale préoccupation.
Les commentaires du sénateur Pierre-Hugues Boisvenu concernant l’absence de contrôle des interdictions de publication ou leur révocation sont des facteurs importants qui auront une incidence sur les femmes autochtones victimes de ces crimes. Les victimes doivent être habilitées à gérer leur propre guérison à leur propre rythme, sans obstacle, et sans interférence. Par conséquent, bien que la présomption selon laquelle la vie privée des victimes doit être protégée semble inspirée d’une noble intention, cette approche paternaliste ne tient pas compte des besoins et des souhaits de chaque victime.
De plus, l’obligation pour la victime d’intenter une action en justice pour changer d’avis ou atteindre un nouveau niveau de guérison qui l’amène ou l’oblige à reconnaître publiquement son préjudice risque de faire dérailler ses efforts pour surmonter son traumatisme. En fin de compte, il faudrait instituer un processus simplifié auquel la victime aurait facilement accès à coût minime.
Je vous remercie de votre temps.
Le président : Nous allons maintenant passer aux questions et à la discussion avec les sénateurs et les sénatrices.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vais m’assurer que nos deux témoins ont accès à l’interprétation.
Ma première question s’adresse à vous, Me Hrick. Il y a des victimes qui m’ont contacté en me disant que dans certains cas, elles apprenaient très tard, même quelques années plus tard, que le procès dans lequel elles avaient été témoins comme victimes faisait l’objet d’une ordonnance de non-publication.
Selon vous, est-ce que le projet de loi S-12 est suffisamment bien outillé pour assurer aux victimes qu’elles seront informées adéquatement tout au long des procédures judiciaires, à savoir s’il y a une ordonnance ou non?
[Traduction]
Me Craig-Curnow : Merci beaucoup de la question. La réponse courte à cette question est, absolument, non. Malgré les dispositions qui obligent les avocats à consulter les victimes, le libellé du projet de loi n’est pas suffisamment rigoureux pour permettre aux victimes de participer suffisamment au processus. Nous savons que, bien souvent, les victimes sont exclues des procès criminels et qu’on ne leur fait pas souvent part des considérations. Compte tenu du caractère traumatisant de ces crimes, je ne crois pas que le projet de loi renferme toutes les dispositions voulues pour régler ce problème.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Maître Hrick, partagez-vous la même opinion?
[Traduction]
Me Hrick : Moi, oui. Je profite de l’occasion pour souligner que le projet de loi n’impose même pas l’obligation de consulter la personne — la survivante — avant l’imposition d’une interdiction de publication. Le juge n’a qu’à demander au poursuivant s’il a eu l’occasion de consulter la victime ou s’il a pris des mesures raisonnables pour le faire. Je pense qu’il y a là une excellente occasion de renforcer la loi, et que le comité peut adopter et recommander des amendements positifs.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vais vous poser ma prochaine question en m’adressant aux avocates, mais aussi aux femmes que vous êtes. Le projet de loi S-12 prévoit une inscription obligatoire pour les agresseurs d’enfants — les pédophiles, notamment. Cependant, il passe sous silence l’inscription obligatoire pour les femmes qui sont victimes d’agression sexuelle.
Selon vous, n’y a-t-il pas là un déséquilibre entre la protection des femmes et la protection offerte par la Charte canadienne des droits et libertés, pour l’accusé ou pour le délinquant?
[Traduction]
Me Hrick : Dans les circonstances, étant donné le grand nombre de dispositions législatives que les sénateurs sont appelés à débattre, à modifier et à adopter, la question de l’équilibre des droits se pose. À notre avis, le pouvoir discrétionnaire de décider si quelqu’un devrait ou non être ajouté au registre est, très franchement, une bonne chose. Comme je l’ai dit dans ma déclaration, il permet une évaluation individuelle, fondée sur des données probantes, du pour et du contre de l’enregistrement : sera-t-il efficace et pertinent? Et c’est sans compter que cela permet par ailleurs de mesurer les effets pervers de l’enregistrement. Je veux faire écho à la suggestion de ma collègue, Me Craig-Curnow, au sujet du désir et de la nécessité d’intégrer les facteurs Gladue dans l’examen de l’enregistrement discrétionnaire.
Me Craig-Curnow : Meegwetch. Je tiens d’abord à remercier Me Hrick. Je suis tout à fait d’accord pour dire que l’ABA proposerait les mêmes idées et les mêmes considérations. Si les considérations et les facteurs appropriés étaient inscrits dans la loi, tous ceux qui devraient être enregistrés le seraient, que le crime ait été commis contre une femme ou contre un enfant, et il serait dûment tenu compte des vulnérabilités de la situation, si l’on suppose que les facteurs sont aussi robustes qu’ils le doivent. Je pense que la prochaine étape qui s’impose est d’en tenir compte.
Le président : J’informe les témoins que la sénatrice Busson parraine le projet de loi au Sénat.
La sénatrice Busson : Merci à vous deux d’avoir pris le temps de venir ici par vidéoconférence pour nous faire part de vos vues sur la question. Vous avez toutes deux exprimé des points de vue très intéressants et poignants au sujet des victimes et des survivantes, et j’aimerais approfondir un peu cette question.
Comme nous le savons tous, l’article 12, qui apporte des améliorations importantes au régime de publication pour les survivantes et les victimes, vise à codifier et à clarifier le processus de révocation et de modification de ces interdictions. Cependant, le projet de loi S-12 modifie également le Code criminel afin de renforcer le régime en y ajoutant un libellé plus ferme qui interdit clairement toute publication ou diffusion.
D’après votre expérience, croyez-vous que l’évolution des défis que posent les médias sociaux à cet égard soulève des problèmes et des difficultés pour ce qui est de la définition et du respect des interdictions de publication?
Me Hrick : Oui, l’évolution des médias sociaux fait naître de nouvelles circonstances à prendre en compte. D’un autre côté, nous voulons aussi faire en sorte que les modifications qui seront adoptées n’aient pas de conséquences imprévues, par exemple qu’elles ne réduisent pas au silence les personnes visées par une interdiction de publication. C’est la raison pour laquelle les mots « rendre autrement accessible » qui élargissent la portée des interdictions de publication, nous amènent à faire une pause et à recommander de les supprimer pour éviter la conséquence imprévue où une personne assujettie à une interdiction de publication parlerait et dévoilerait des renseignements sur son identité en dehors du cadre d’une infraction criminelle. C’est seulement qu’il faut penser aux conséquences éventuelles.
La sénatrice Busson : Merci beaucoup. Maître Craig-Curnow?
Me Craig-Curnow : Merci, sénatrice. Je dirais que les médias sociaux ont chamboulé notre façon de voir les déclarations publiques et les diverses approches de tout ce qui nous touche. Mais je dois dire qu’à mon avis, la loi s’est relativement bien adaptée à l’utilisation des médias sociaux en droit pénal et à la capacité de distinguer les cas où des déclarations et différents aspects de la liberté d’expression ont été entravés. Le libellé proposé est suffisant pour élargir la portée.
Bien que je reconnaisse les préoccupations de ma collègue au sujet des conséquences imprévues, l’autre camp déplorerait certainement que, sans les modifications, il subsisterait des lacunes importantes, sans que ces aspects des médias sociaux soient couverts. Le libellé proposé dans cet article est approprié, et la jurisprudence relative aux médias sociaux suffira à combler les lacunes et à prévenir certains de ces problèmes. Je précise quand même que je ne suis pas criminaliste. Donc, c’est ce que j’en pense, dans ma perspective.
La sénatrice Busson : Merci beaucoup.
La sénatrice Batters : Je vous remercie toutes les deux d’avoir participé à notre réunion d’aujourd’hui et de nous avoir fait part de ces observations importantes.
Maître Hrick, puisque vous avez déposé un mémoire, mais que nous ne l’avons pas encore, j’aimerais vous donner l’occasion d’expliquer certaines des modifications qui, selon vous, amélioreraient le projet de loi, particulièrement en ce qui concerne les questions d’interdiction de publication.
Me Hrick : Merci beaucoup, sénatrice Batters. Je vous prie de m’excuser. Je n’avais pas compris, en envoyant ce document, qu’il ne vous parviendrait pas immédiatement. C’est ma faute. Je me ferai un plaisir de le faire distribuer aux sénateurs tout de suite après la réunion — sauf qu’il est encore en anglais seulement pour le moment.
La sénatrice Batters : Je pense qu’ils l’ont, mais je crois comprendre qu’ils ne peuvent pas nous le remettre au comité avant de l’avoir fait traduire; donc c’est pour cela. Je voulais vous donner plus de temps sur le temps dont je dispose aujourd’hui pour nous expliquer un peu plus en détail ces modifications.
Me Hrick : Je l’apprécie beaucoup. Je vais commencer par deux des plus importantes. La première consiste à renforcer dès le départ la façon dont nous envisageons d’émettre les interdictions de publication, de manière qu’il ne suffise plus de demander au poursuivant « Avez-vous pris des mesures raisonnables pour communiquer avec le plaignant ou le témoin dans cette affaire », avant l’interdiction de publication. Il faudrait un langage plus direct pour demander à la victime si elle est au courant, si elle sait que c’est bien la bonne chose à faire. Il est important de poser ces questions.
Si le poursuivant a demandé une interdiction de publication de l’identité du plaignant sans avoir consulté le plaignant au préalable, il faut un mécanisme qui oblige le système judiciaire à informer le plaignant. Pour revenir à la question de tantôt, il n’est pas acceptable que quelqu’un apprenne des années plus tard l’existence d’une interdiction de publication; c’est un échec du système de justice pénale. Le projet de loi S-12 nous donne l’occasion d’adopter des modifications pour mieux nous assurer que cela ne se produira pas, soit parce que le juge a ordonné de signifier un avis au plaignant ou encore — comme nous l’avons proposé — parce qu’il est obligatoire, lorsque le plaignant ou le témoin est présent à l’instance, de l’informer que cette interdiction de publication de son identité est en vigueur et qu’il peut prendre des mesures pour la faire retirer. Le plaignant ou le témoin doit recevoir cette information.
Une autre modification importante que nous proposerions, et qui va également dans le sens de la suggestion que ma collègue a faite dans sa déclaration préliminaire, consiste à simplifier le processus de révocation ou de modification de l’interdiction de publication. Les médias nous ont parlé de victimes qui ont dû engager des avocats, passer par des processus compliqués, parfois composer avec une audience au cours de laquelle un avis est signifié à l’accusé ou à l’ancien accusé, qui a alors la possibilité de s’opposer à la levée de l’interdiction de publication. Ce n’est pas correct. Cela ne devrait pas être le cas. Le Sénat a l’occasion d’adopter des modifications visant à simplifier un processus pour qu’il soit clair que, lorsqu’une victime ou une personne dont l’identité est visée par l’interdiction de publication a demandé sa levée et que seule son identité est visée par l’interdiction de publication, il ne devrait pas y avoir de pouvoir discrétionnaire. Le tribunal devrait tout simplement la retirer selon un processus simplifié.
L’autre chose que je veux dire, c’est que les victimes ne devraient pas être criminalisées pour ne pas s’être conformées à une interdiction de publication de leur propre identité lorsqu’elles ne violent pas l’ordonnance sciemment ou sans se soucier des conséquences. Ce n’est pas prévu dans le projet de loi. Mais c’est très important, surtout lorsqu’on pense aux lacunes qui pourraient faire en sorte qu’une personne parle innocemment de son expérience ou de son identité sans connaître l’existence de l’interdiction de publication. Personne ne devrait être criminalisé pour cela.
Nous devons également restreindre la portée du droit pénal lorsqu’il s’agit de l’appliquer aux personnes assujetties à une interdiction de publication.
La sénatrice Batters : Permettez que je vous interrompe pour demander une précision. Est-ce que votre préoccupation à ce sujet est probablement amplifiée, comme la mienne, par la possibilité que les publications dans les médias sociaux puissent même être considérées comme des publications dans ce genre de situation?
Me Hrick : Oui. L’interdiction est en place uniquement pour ceux qu’elle protège. Nous ne voulons pas les criminaliser parce qu’ils parlent de leur expérience personnelle. Nous vous avons préparé une série d’amendements à cette fin.
La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Je comprends.
Le sénateur D. Patterson : Je poursuis dans la même ligne que la sénatrice Batters au sujet de ce que vous avez dit, maître Hrick, vous avez formulé cinq recommandations d’amendements. Dois-je comprendre que vous avez des amendements que vous pourriez transmettre au comité par l’entremise du greffier?
Me Hrick : Oui. Ils figurent dans le mémoire qui n’est pas encore traduit, ce qui est tout à fait raisonnable, vu que nous l’avons déposé il y a seulement quelques jours.
Le président : Nous prévoyons que le mémoire sera disponible dans les deux langues officielles demain ou lundi.
Le sénateur D. Patterson : Merci beaucoup. Ce sera utile. Je pense que le ministre s’est montré disposé à envisager des amendements. Vous comprenez que nous avons des contraintes de temps, si bien que ce serait très utile.
J’aimerais poser la même question à Me Craig-Curnow. Je vous remercie de vos recommandations visant à améliorer le projet de loi. Votre organisation a-t-elle pu aller jusqu’à rédiger des amendements possibles?
Me Craig-Curnow : Malheureusement, non. Le préavis était relativement court et, comme notre conseil d’administration est bénévole, nous n’étions pas en mesure de le faire.
Le sénateur D. Patterson : Je comprends que c’était peut-être beaucoup demander. Merci beaucoup à vous deux.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse à Me Hrick. Est-ce que je comprends bien votre position au sujet de la diffusion à propos de l’ordonnance? Dans le projet de loi, on dit qu’on « peut rendre une ordonnance interdisant de publier, de diffuser de quelque façon que ce soit ou de rendre autrement accessible », donc c’est sur la dernière partie de ces trois possibilités que j’aimerais connaître votre position.
Autrement dit, est-ce que pour vous, le problème dans la formulation est l’interdiction « de diffuser de quelque façon que ce soit » et l’interdiction de « rendre autrement accessible »? S’agit-il plutôt la dernière partie, donc le troisième élément, « de rendre autrement accessible »?
[Traduction]
Me Hrick : Merci. Il est juste de dire que le souci de tout le monde est d’éviter toute formulation interdisant l’échange d’information qui couvrirait le cas où une survivante partagerait son expérience et se ferait connaître dans un cadre thérapeutique ou dans un groupe de soutien, par exemple. Ce qui est préoccupant, c’est que l’expression « rendre autrement accessible » pourrait être trop large et, très franchement, pourrait aussi faire l’objet d’un examen constitutionnel en raison de son caractère vague. C’est ce qui nous préoccupe dans cette formulation. La clarté des modifications apportées au Code criminel dans ce cas-ci, comme partout ailleurs, est très importante. C’est ce qui nous inquiète.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci de cette réponse. Si j’ai bien compris, il y a une différence entre diffuser une ordonnance et la rendre autrement accessible. Si j’ai bien compris, si on parlait de rendre autrement accessible publiquement, on préciserait déjà mieux que ce qui est écrit actuellement. Parce qu’actuellement, « rendre autrement accessible », si j’ai bien compris ce que vous avez dit dans votre présentation, cela peut vouloir dire que si je vais voir mon thérapeute et que je lui communique un certain nombre d’informations, je rends cette information accessible.
Est-ce qu’on pourrait restreindre la portée, pour répondre à cette préoccupation, en disant qu’on parle de rendre autrement accessible publiquement? Je ne dis pas que c’est ce qu’il faut faire, mais je me pose la question. Quelle est votre opinion? Cernerait-on mieux votre préoccupation?
[Traduction]
Me Hrick : Notre mémoire renferme une autre recommandation sur laquelle le Sénat pourrait aussi se pencher. Ce serait de ne pas criminaliser l’échange d’information lorsqu’il n’y a pas d’intention ni de possibilité réelle qu’elle circule dans la collectivité. Sans entrer dans les détails du libellé législatif et de la très grande expertise que les rédacteurs législatifs doivent posséder pour être en mesure d’affiner le libellé en veillant à bien saisir toute cette intention, je pense que certains des amendements que nous proposons et avec lesquels nous pourrions travailler permettraient — d’une certaine façon — de nous assurer que nous ne créons pas une situation où les victimes sont criminalisées par inadvertance et de clarifier ce qui est permis et ce qui ne l’est pas dans la portée de l’interdiction de publication.
La sénatrice Clement : Je remercie les deux témoins et la sénatrice Batters d’avoir permis à Me Hrick de nous fournir plus d’information. J’ai hâte de voir le mémoire. Je commence par Me Hrick.
Tout d’abord, félicitations pour votre élection à titre de conseillère du Barreau. C’est vraiment génial de voir des femmes se porter candidates et être élues. J’en suis heureuse.
J’aimerais vous ramener à une chose que vous avez dite dans votre déclaration préliminaire au sujet des conseils juridiques indépendants et de la façon dont cela pourrait fonctionner dans le système actuel. Dans quelle mesure est-ce accessible? Comment cela fonctionnerait-il pour les victimes dans ce processus?
Ensuite, j’aurai une question sur la collecte de données. Je suis tout à fait en faveur de l’accroissement du pouvoir discrétionnaire du tribunal. Vous vous êtes dite d’accord pourvu que ce soit fondé sur des données probantes. Comment voyez‑vous la collecte de données? Selon vous, que devrions‑nous faire dans ce projet de loi en fait de collecte de données?
J’aurai ensuite une question pour Me Craig-Curnow.
Me Hrick : Je vais essayer de répondre en respectant l’ordre de vos questions. Tout d’abord, je vous remercie de vos bons mots. Deuxièmement, je profiterai de l’occasion pour saluer, pour la gouverne de la sénatrice, les organismes et les particuliers qui ont présenté le mémoire conjoint, notamment l’Association nationale Femmes et Droit, le FAEJ, l’Association canadienne pour mettre fin à la violence au Canada, l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, Legal Advocates Against Sexual Violence, Possibility Seeds, Robin Parker, Pamela Cross et Megan Stephens, afin de reconnaître le mérite de toutes les personnes qui ont participé à cet effort de collaboration.
Excusez-moi. J’ai perdu votre première question.
La sénatrice Clement : Les avis juridiques indépendants et la collecte de données.
Me Hrick : Je vais commencer par la collecte de données. Il serait utile que le Sénat exige ou demande de l’information — je crois savoir qu’il en existe et qu’elle a été communiquée au comité hier soir — sur les personnes figurant au registre des délinquants sexuels en ce moment. Les délinquants autochtones semblent y être représentés en nombre plutôt disproportionné. Cela m’inquiète beaucoup dans mon rôle.
Je pense que l’un des commentaires que vous avez peut-être vus dans l’arrêt de la Cour suprême qui a invalidé l’ancien régime, c’est que l’un des témoins avait dit qu’il ne pouvait pas citer d’exemple où le registre des délinquants sexuels avait été utile ou avait aidé à prévenir une agression sexuelle ou un autre crime ou à y réagir. Je pense que cette information — par exemple, si la Gendarmerie royale du Canada pouvait recueillir ce genre d’information sur l’utilisation du registre des délinquants sexuels, lorsqu’il a servi à prévenir une infraction ou à y réagir — serait le genre de preuve qui aiderait les législateurs à comprendre l’utilité de ce régime.
Comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, je pense que cela crée un faux sentiment de sécurité. J’ai l’impression que nous faisons quelque chose pour prévenir la violence sexuelle, mais rien ne le prouve. C’est le genre de statistiques qui, à mon avis, seraient utiles.
La sénatrice Clement : Qu’entendez-vous par conseils juridiques indépendants?
Me Hrick : Merci beaucoup, sénatrice, des conseils juridiques indépendants pour les survivantes d’agressions sexuelles. L’Ontario a un programme qui m’apparaît assez intéressant : la personne qui a été victime d’une agression sexuelle reçoit jusqu’à quatre heures de conseils juridiques indépendants. Elle peut recevoir les conseils d’un avocat inscrit sur une liste, et non pas être représentée par lui.
Il nous faut investir davantage dans ce genre de modèles de conseils. Dans ce contexte particulier, en ce qui concerne les interdictions de publication, il peut y avoir quelqu’un qu’une personne, peu importe ses moyens, peut aller consulter en disant : « Je ne comprends pas ce que c’est, dites-moi ce qu’est l’interdiction de publication, ce qu’elle signifie et quelles en sont les tenants et aboutissants. Si je n’en veux pas, comment puis-je la faire retirer? » Voilà le genre de choses pour lesquelles les conseils juridiques indépendants sont vraiment importants, car nous devons fournir aux victimes l’information dont elles ont besoin pour comprendre clairement ce qui est le mieux pour elles.
La sénatrice Clement : Merci.
Maître Craig-Curnow, je crois comprendre que l’Association du Barreau autochtone compte 330 membres inscrits. C’est bien; j’aime bien entendre cela. Je crois savoir qu’elle est bénévole et que vous n’avez pas rédigé d’amendements. Dans vos commentaires, vous avez parlé d’inclure explicitement les facteurs Gladue dans la loi. Pouvez-vous nous dire exactement où? Je pense que vous avez précisé un article, mais je vous serais reconnaissante de nous donner plus de détails à ce sujet.
Me Craig-Curnow : Absolument. J’apprécie la reconnaissance de l’Association du Barreau autochtone. Nous nous efforçons vraiment d’élargir notre rôle et d’accueillir tous les magnifiques nouveaux membres, surtout les participants à des programmes uniques comme le grade conjoint ou le grade autochtone conjoint de l’Université de Victoria.
Le paragraphe 490.012(4) comprend un certain nombre de facteurs à prendre en compte pour déterminer si une personne s’est acquittée du fardeau inversé de la preuve pour ne pas figurer au registre. Ces facteurs comprennent la gravité de l’infraction, l’âge de la victime et ses caractéristiques personnelles, la nature et les circonstances de la relation entre la personne et la victime, et ainsi de suite. Il y a un certain nombre d’autres facteurs, que vous pourrez sans doute examiner vous-mêmes, afin que je ne prenne pas trop de votre temps.
Je pense qu’il conviendrait de présenter des dispositions semblables à celles que l’on trouve à l’alinéa 718.2e) du Code criminel, soit par renvoi, soit explicitement dans l’article, pour veiller à ce que les interprétations appliquées dans des affaires comme Gladue et Ipeelee puissent aider à décider si une personne devrait être inscrite au registre, dans ces circonstances.
La sénatrice Clement : Merci.
Le président : J’ai une question complémentaire, maître Craig-Curnow, sur ce point, puis une question un peu plus vaste et différente pour Me Hrick.
En ce qui concerne les facteurs Gladue, j’avoue que j’ai été surpris de ne pas les voir dans la liste des facteurs que vous avez mentionnés. C’est un point sur lequel je suis d’accord. Hier, la sénatrice Simons a posé des questions au sujet de l’inversion du fardeau de la preuve lorsque vient le temps de décider de l’inscription au registre. Il y a eu un dialogue embarrassant avec le ministre et un de ses fonctionnaires qui m’a fait penser qu’ils ne voulaient pas y voir une dimension de la détermination de la peine. Je pense, avec le plus grand respect que je dois au ministre, qu’un de ses fonctionnaires l’a un peu corrigé sur ce point.
Je me demande si la raison pour laquelle — puisque les critères de l’arrêt Gladue ont tendance à s’appliquer dans le contexte de la détermination de la peine — il y a eu une sorte de réticence. Je ne sais pas si vous avez un point de vue sur cette réticence à inclure les facteurs Gladue, parce qu’il semblait alors s’agir d’une disposition relative à la détermination de la peine. Avez-vous réfléchi à la question ou avez-vous une opinion à ce sujet?
Me Craig-Curnow : Je vous remercie de cette question. Je dirais que c’est probablement une certaine mesure de la motivation. Comme nous l’avons vu dans Ipeelee, même si les ordonnances de surveillance de longue durée sont liées à la détermination de la peine, sans pour autant en être des facteurs, je dirais qu’il conviendrait également d’étendre cela à l’enregistrement, qui est une considération postérieure à la détermination de la peine.
Le président : Moi aussi; le fond de l’idée est le même.
Maître Hrick, je pense que vous avez très bien fait valoir ce point dans la conversation sur l’engagement des victimes. Je pense que nous avons généralement compris que ces ordonnances visent à protéger les victimes et leur vie privée. Vous avez soulevé un point au sujet de l’agentivité, et j’ai trouvé cela convaincant. Le ministre a fait la même chose hier dans son témoignage.
L’un des éléments de la disposition, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de la question de la voix de la victime passant par le poursuivant, qui fait des efforts raisonnables pour se renseigner. Il s’agit aussi de la structure qui consiste à consulter la victime par opposition à quelque chose de potentiellement plus riche que cela. Lorsque nous pensons à l’agentivité, nous ne pensons pas seulement à la consultation; nous pensons à avoir une voix plus puissante. Maître Hrick, puisque vous avez soulevé cette question, comment pouvez-vous savoir si ce n’est pas seulement une plus grande attente que la victime ait été consultée et qu’elle ait voix au chapitre, mais si la consultation est en fait un terme assez vaste pour désigner l’agentivité ici?
Me Hrick : Je vais vous parler de mon expérience pratique sur le terrain. J’espère que vous entendrez d’autres gens qui ont travaillé sur le terrain, en tant que procureurs de la Couronne ou dans les salles d’audience, pour comprendre comment les choses se passent.
Il arrive parfois, très tôt dans le processus, que la première comparution ait lieu peu de temps après une arrestation et qu’un procureur de la Couronne ait un dossier qui est accablant, ce qui fait qu’il n’est tout simplement pas possible pour ce procureur de communiquer avec la personne qui est la plaignante pour lui demander si elle veut que cette interdiction soit mise en place. Cette personne n’a pas le temps de réfléchir à ce que cela signifie, et le procureur de la Couronne ne peut pas vraiment lui expliquer la situation et lui donner des conseils, parce qu’il ne la représente pas. En réalité, dès le départ, je pense qu’en pratique, il serait très hâtif de demander à cette personne si elle veut ou non une interdiction. Si elle dit qu’elle ne pense pas que c’est le cas, s’il s’agit de la limite pour aller de l’avant ou non, le mal est déjà fait, pour ainsi dire, s’il y a une première comparution, et peut-être une deuxième et une troisième, sans qu’une interdiction de publication soit en place. Les médias pourraient être présents à la première comparution et constater qu’il n’y a pas d’interdiction de publication et qu’ils sont autorisés à écrire à ce sujet. Cela fait en sorte que la personne qui est la plaignante ou la survivante dans cette affaire n’a pas eu l’occasion d’obtenir des conseils éclairés et de comprendre les répercussions de la décision prise dans un sens ou dans l’autre.
Dans un monde idéal, l’idée serait de ne pas imposer d’interdiction de publication, quelles que soient les circonstances, à moins que la personne survivante n’y consente dès le départ, mais dans la réalité, il n’est pas aussi propice de permettre cela, tout en préservant vraiment la capacité de la personne survivante de choisir si elle veut que cette interdiction soit en place et d’avoir l’information nécessaire pour faire un tel choix.
Le président : Merci. Je vais poser une dernière question qui se rapporte à la discussion que vous et la sénatrice Batters avez eue au sujet du libellé concernant la publication et votre préoccupation au sujet de l’expression « rendre autrement accessible ». Il me semble qu’il y a peut-être des protections au sujet de la confidentialité professionnelle, dans le cas des gens qui rencontrent des thérapeutes, des médecins et ainsi de suite. Mais on peut aussi imaginer des situations où, dans des séances de groupe destinées à la guérison, une personne partage le traumatisme qu’elle a vécu. Il y a donc certainement des aspects de vulnérabilité.
Je me demande si le principe directeur en ce qui concerne l’exclusion est de ne pas nuire à une personne qui est sur son propre chemin de guérison et qui a besoin de parler à des gens. Est-ce la solution pour ce qui est d’accorder une certaine immunité à ce dialogue, tout en protégeant la publication de renseignements qui pourraient nuire aux victimes ou à d’autres? Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?
Me Hrick : C’est une façon juste de voir les choses. Dans notre mémoire, vous remarquerez que nous avons fait référence à un projet de loi adopté récemment, qui porte sur la façon dont les jurés peuvent s’exprimer à la suite de leur service. Il y a une référence spécifique au contexte thérapeutique, je crois. C’est le même genre de principe que nous visons ici, c’est-à-dire faire en sorte que les personnes survivantes puissent faire ce parcours et partager cette information dans ce genre de contexte, même si elles sont assujetties à une interdiction de publication.
Le sénateur Klyne : Je suis désolé d’être arrivé en retard et d’avoir manqué les déclarations préliminaires. Ma question s’adresse à l’Association du Barreau autochtone.
Comme nous le savons tous, les communautés autochtones sont souvent confrontées à des défis systémiques, comme la surreprésentation dans le système de justice pénale et l’accès limité à la justice. Compte tenu de ces défis, le cadre proposé dans le projet de loi S-12 répond-il efficacement aux besoins et aux droits particuliers des personnes survivantes autochtones, tout en tenant compte des enjeux et des défis plus vastes auxquels les communautés autochtones sont confrontées dans le système de justice pénale?
Me Craig-Curnow : Je vous remercie de cette question. Je vous répondrais simplement que non. La réalité des femmes autochtones, surtout celles qui font face à des défis intersectionnels, est qu’elles n’ont pas accès à des choses comme des conseils juridiques indépendants, de même qu’à bon nombre des éléments dont ma collègue a parlé en répondant aux dernières questions, ces aspects n’étant pas non plus abordés dans le projet de loi. Peu de choses sont prévues pour régler les problèmes de procédure qui se poseront sur le terrain lorsqu’un Autochtone — qu’il s’agisse de la victime ou de l’accusé — tentera de composer avec les fardeaux accrus que ce projet de loi impose.
Bien que je comprenne que, dans certaines circonstances, cela est absolument nécessaire et se prête bien à la mise en place de mesures préventives pour les futures victimes potentielles, des choses comme fournir des ressources supplémentaires par l’entremise de l’aide juridique — ou d’autres organisations; un mécanisme quelconque permettant aux victimes de consulter —, afin que ces personnes disposent de l’information nécessaire pour pouvoir prendre des décisions éclairées en ce qui a trait à la publication. Il s’agit de quelque chose d’absolument nécessaire, qu’on ne retrouve pas dans le projet de loi.
Du côté de l’accusé, il y a ce fardeau supplémentaire. Il est connu que l’aide juridique est peu disponible pour le public en général. Nous savons également que les Autochtones interagissent avec le système de justice pénale à un taux disproportionné. La réalité, c’est que compte tenu des fardeaux actuels, il y a peu de soutien — encore une fois, comme vous l’avez tous dit. Je ne sais pas si le projet de loi peut régler ce problème en soi, sans un règlement supplémentaire ou un autre soutien pour pouvoir aller de l’avant avec ces questions et offrir ces mesures de soutien.
Le sénateur Klyne : Ma question s’adresse à la représentante du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes. Si j’ai bien compris, votre mémoire contient beaucoup de commentaires de la part d’un vaste groupe d’intervenants, et les réponses à cette question pourraient très bien s’y trouver. Cependant, quelles recommandations votre organisation aimerait-elle voir mises en œuvre dans le projet de loi S-12? Les modifications proposées dans le projet de loi reflètent-elles adéquatement les souhaits de votre organisation? Y a-t-il d’autres mesures qui, selon vous, devraient être incluses pour améliorer davantage la protection et les droits des citoyens canadiens?
Me Hrick : Oui, je pense qu’il y a un certain nombre de choses qui pourraient être faites pour améliorer le projet de loi, en particulier pour faciliter l’habilitation et les choix éclairés des personnes survivantes de violence sexuelle, ce qui est l’un des éléments fondamentaux du mandat de notre organisation qui défend leurs droits et leur égalité.
Pour revenir à mon échange précédent avec le président du comité, il est très important que le comité profite de l’occasion pour proposer des amendements au projet de loi S-12, afin que les personnes survivantes soient informées de l’existence de toute interdiction de publication, ainsi que du processus de retrait, de modification ou de révocation d’une interdiction de publication, et que ce processus soit aussi simple et accessible que possible. Dans le cadre de ce processus, je continue de vous exhorter à mettre l’accent sur le fait de faciliter le choix des personnes survivantes, de leur offrir un choix véritable et de les habiliter, dans le cadre de votre examen des amendements possibles au projet de loi S-12. J’espère que c’est ce que vous ferez.
Le sénateur Klyne : Le message est clair.
Le président : Le temps est presque écoulé, mais il y a quelques sénateurs qui aimeraient poser une autre série de questions.
La sénatrice Busson : Maître Hrick, vos commentaires au sujet de la criminalisation des victimes qui, d’une façon ou d’une autre, contreviennent à une interdiction de publication ont été très touchants. De nombreuses victimes commettent l’erreur de supposer que les procureurs sont leurs avocats. Ce n’est certainement pas le cas. Le système rend les choses difficiles pour les victimes dans ces circonstances.
La criminalisation de l’interdiction de publication nous préoccupe tous, car des victimes se retrouvent en situation de contravention. Pourtant, selon le Code criminel, il faut éviter qu’une personne viole intentionnellement et directement une interdiction. Pourriez-vous suggérer un libellé qu’il serait possible d’étudier pour faire cette distinction subtile? Avez-vous réfléchi à cela?
Me Hrick : Oui, les personnes qui ont participé à la rédaction de ce mémoire y ont réfléchi. Nous pensons qu’il pourrait être utile de dire que l’infraction consistant à contrevenir à une interdiction de publication ne s’applique pas à l’égard du défaut de se conformer à une interdiction lorsque l’identité de la personne est protégée par l’ordonnance en cause et que cette personne n’a pas sciemment ou sans se soucier des conséquences révélé l’identité d’une personne ou des renseignements susceptibles d’identifier toute autre personne dont l’identité est protégée par l’interdiction. Le fait d’inclure les notions de connaissance et d’insouciance dans les normes pourrait contribuer à améliorer cela.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse à Me Hrick.
Ici, au Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, on examine plusieurs projets de loi qui viennent modifier, à la pièce, le Code criminel. Il n’y a pas eu de révision fondamentale des principes qui sont à la base du droit criminel dans l’ensemble du Code criminel. On l’a demandé, on a fait des recommandations à plusieurs reprises à ce sujet.
Ma question pour vous est la suivante : je comprends très bien la nécessité d’obtenir le consentement de la victime avant de procéder à une ordonnance de publication. J’ai beaucoup de doutes quant au projet de loi, tel qu’il est rédigé, lorsqu’on parle de l’obligation de s’enquérir, à savoir que le procureur de la Couronne, si comme vous l’avez bien dit, n’a pas eu le temps ou qu’il y a autre chose, qu’il a trop de dossiers ou qu’il n’a pas essayé de la joindre. Cela ne correspond pas à cela. J’essaie de le mettre en parallèle à la Charte canadienne des droits des victimes où, en principe, on a, à côté du Code criminel, une loi, il y a la Charte canadienne des droits des victimes, qui prévoit un droit de participation.
Je vous renvoie à l’article 14 de la Charte canadienne des droits des victimes. On dit ce qui suit :
Toute victime a le droit de donner son point de vue en ce qui concerne les décisions des autorités compétentes du système de justice pénale [...]
Cela dit, avez-vous réfléchi ou pouvez-vous nous dire ce que vous voyez comme lien entre ce que l’on considère comme des droits qu’on a accordés à des victimes dans le cadre du processus de justice pénale par rapport à ce que l’on dit ici, à savoir : « Assurez-vous d’avoir téléphoné et c’est correct, vous aurez respecté la loi. »
[Traduction]
Me Hrick : Je pense que le projet de loi doit aller plus loin, bien que je dirais que nous ne préconisons pas une exigence de consentement strict dans toutes les circonstances, avant qu’une interdiction de publication soit mise en place, précisément en raison des réalités que vous venez de mentionner. Toutefois, nous avons besoin d’un processus très solide et très clair pour veiller à ce que les personnes survivantes sachent quand il y a une ordonnance en place et comment la faire retirer, et qu’elles puissent dire « Je ne veux pas cela », ou « C’est ce que je veux, et on m’a donné les ressources nécessaires pour prendre une décision éclairée pour moi-même. »
C’est à ce moment-là que les conseils juridiques indépendants, l’éducation et l’accès à l’information entrent en ligne de compte pour que les personnes survivantes puissent se faire entendre et dire ce qu’elles estiment être juste pour elles dans les circonstances où elles se trouvent.
La sénatrice Dupuis : Merci.
Le président : Merci, maître Hrick. Je vois que Me Craig-Curnow hoche la tête en signe d’approbation.
Cela nous amène à la fin de ce groupe de témoins. Au nom de tous les sénateurs et sénatrices, je vous remercie d’avoir été parmi nous aujourd’hui et de continuer à enrichir nos connaissances et notre compréhension concernant cet important projet de loi. Nous vous sommes reconnaissants du temps que vous nous avez consacré, sachant que cela va au-delà de vos attributions habituelles.
Si vous me permettez d’ajouter quelque chose à l’observation de la sénatrice Clement, maître Hrick, je tiens non seulement à vous féliciter d’avoir été élue conseillère au Barreau de l’Ontario, mais aussi de contribuer à rétablir la bonne gouvernance au sein de cet organisme. Je tenais particulièrement à vous remercier. Cela ne s’applique pas à tous les sénateurs, comme je l’ai moi-même observé.
Chers collègues, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-12. Nous avons le plaisir d’accueillir Aline Vlasceanu, du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, qui se joint à nous par vidéoconférence. Soyez la bienvenue. Nous accueillons également Morrell Andrews, de My Voice, My Choice, qui se joint à nous en personne. Nous vous invitons à nous présenter chacune un exposé de cinq minutes, après quoi nous passerons aux questions et à la discussion.
Aline Vlasceanu, directrice générale, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes : Merci beaucoup.
Le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, ou CCRVC, est heureux d’avoir l’occasion de présenter aujourd’hui ses observations aux membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles au sujet du projet de loi S-12, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants. Aujourd’hui, je me joins à vous depuis le territoire traditionnel non cédé des peuples algonquins.
Depuis 1993, le CCRVC travaille à faire connaître les besoins et les préoccupations des personnes lésées par des crimes graves au Canada. Nous offrons aux victimes, aux personnes survivantes et aux intervenants des services de soutien, de recherche et d’éducation, et nous travaillons à faire en sorte que les droits des victimes soient reconnus et respectés dans le système de justice pénale. Nous défendons sans relâche les droits des victimes et nous croyons fermement que les victimes d’actes criminels doivent être soutenues et habilitées tout au long du processus de justice pénale, afin de reprendre le contrôle de leur vie.
Nous sommes d’avis que nous pouvons offrir notre expertise dans ce domaine et nous espérons que le gouvernement prendra nos recommandations au sérieux, car elles découlent directement des besoins exprimés par les victimes d’actes criminels avec lesquelles nous travaillons quotidiennement.
À première vue, le fait de donner des droits constitutionnels aux contrevenants est une forme d’inégalité pour les victimes dont les droits actuels ont souvent tendance à être vagues, inapplicables et, au mieux, définis par la loi, et sont construits autour de la structure de pouvoir du système de justice pénale, plutôt que de modifier substantiellement cette structure. Il s’agit en grande partie d’une forme de politique symbolique, qui donne l’impression que quelque chose est fait, alors que très peu de résultats sont obtenus.
Les modifications au Code criminel proposées dans le projet de loi S-12 ont la possibilité d’habiliter les victimes et d’améliorer les dispositions relatives à l’interdiction de publication, en obligeant les juges à demander aux procureurs s’ils ont sollicité l’avis de la victime sur la question de l’imposition d’une interdiction de publication — nous avons vu que le fait de ne pas permettre aux victimes de choisir augmente le traumatisme —, en vue de clarifier le processus de modification ou de révocation d’une interdiction et d’obliger les juges à demander aux victimes si elles veulent continuer de recevoir des renseignements sur leur cas après la détermination de la peine et, si c’est ce qu’elles souhaitent, de veiller à ce que cela soit consigné au dossier de la procédure.
En tant qu’organisme axé sur les victimes, le CCRVC travaille avec toutes les victimes et les personnes survivantes d’infractions sexuelles. Aujourd’hui, je tiens à souligner plus particulièrement les modifications au Code criminel qui traitent de la nécessité d’élargir les droits et la protection des victimes. Le renforcement des peines pour les infractions sexuelles fait en sorte que les peines imposées aux auteurs de ces infractions correspondent à la gravité de leurs crimes. Cet aspect est crucial pour donner un sentiment de justice aux victimes, reconnaître les torts qu’elles ont subis et valider leurs expériences. Lorsque les peines sont proportionnelles au préjudice causé, cela envoie le message que la société prend ces infractions au sérieux et défend les personnes survivantes. Cela dit, il ne faut pas oublier que seulement 6 % des victimes d’agression sexuelle se rapportent à la police, ce qui signifie que cela pourrait créer un faux sentiment de sécurité pour les victimes d’actes criminels. Nous croyons fermement qu’il faut faire davantage en matière de prévention.
Les dispositions du projet de loi visant à accroître la protection et le soutien des victimes sont essentielles pour reconnaître leurs besoins et leur donner les moyens d’agir tout au long du processus. L’amélioration de l’accès aux services destinés aux victimes fait en sorte que les personnes survivantes reçoivent le soutien nécessaire pour guérir et se remettre de leur traumatisme. Cela dit, nous voulons nous assurer que les victimes sont bien informées et que le processus leur est expliqué, qu’elles ont droit à leur propre avocat, qui est facilement accessible, et qu’elles ne seront jamais criminalisées s’il arrivait que des personnes survivantes ne respectent pas l’interdiction de publication les concernant. Bien que ce projet de loi soit un début, nous croyons qu’il n’est pas assez complet pour garantir cela.
Le projet de loi exige des juges qu’ils s’informent si des mesures raisonnables ont été prises pour savoir si les victimes veulent recevoir des renseignements après la détermination de la peine. La réponse est ensuite documentée. Cela peut servir de mécanisme clair pour vérifier si les victimes au Canada sont respectées ou non. Le défi consistera, bien sûr, à déterminer comment cela sera mis en œuvre et appliqué tout au long du processus de justice pénale par les divers intervenants concernés. Qu’entend-on par mesures raisonnables et quelle sera l’influence des diverses définitions?
De plus, j’aimerais attirer l’attention sur le projet de loi S-265, Loi édictant la Loi sur l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, modifiant la Charte canadienne des droits des victimes et établissant un cadre de mise en œuvre des droits des victimes d’actes criminels, qui a été déposé récemment. Ce projet de loi est un rappel très important des lacunes qui existent encore dans le système et des modifications qui doivent être apportées à la Charte canadienne des droits des victimes. Le projet de loi S-265 traite de choses comme la nécessité de renforcer le droit à la réparation, en prévoyant des mécanismes de plainte appropriés tout au long du processus, en particulier en ce qui concerne les ordonnances de dédommagement, d’élaborer une formation à l’intention des intervenants du système de justice pénale qui, espérons-le, sera axée sur les traumatismes et les victimes, d’élaborer un cadre de mise en œuvre des droits des victimes au Canada, afin, espérons-le, qu’il y ait des normes minimales à respecter dans l’ensemble, que la mise en œuvre et les progrès soient surveillés, mesurés et, au besoin, que des mécanismes soient prévus à cette fin.
Un projet de loi comme le projet de loi S-12, bien qu’il a beaucoup d’impact, ne répond toujours pas à tous les besoins des victimes d’actes criminels au Canada, et d’autres projets de loi, comme le projet de loi S-265, pourraient offrir un système de soutien plus complet pour les droits des victimes au Canada. Je vous remercie de votre attention, et j’espère que vous tiendrez compte des victimes d’actes criminels lorsque vous formulerez des recommandations pour faire respecter leurs droits.
Le président : Merci, madame Vlasceanu.
Je m’excuse, madame Andrews, je n’ai pas reconnu votre participation à My Voice, My Choice, et je voulais le faire maintenant et vous céder la parole.
Morrell Andrews, membre, My Voice, My Choice : Je tiens à remercier le peuple algonquin Anishinabe. Nous nous réunissons aujourd’hui sur leurs terres traditionnelles, ancestrales et non cédées.
Je ne suis pas avocate et je ne peux pas représenter les opinions de toutes les victimes d’infractions sexuelles ou de toutes les personnes plaignantes, ni de celles qui font face à des fardeaux systémiques en raison de leur sexualité, de leur identité de genre, de leur race, de leur classe ou de leur handicap, mais je ferai de mon mieux pour honorer leur expérience également. Les nombreuses personnes derrière My Voice, My Choice ont défendu sans relâche une meilleure version du Code criminel tenant compte du fait que ce ne sont pas toutes les victimes qui considèrent l’anonymat comme une protection.
Nous avons établi des liens avec un trop grand nombre de victimes d’un bout à l’autre du pays, à qui on a imposé une interdiction de publication sur leur identité et qui ont dû lutter énormément pour faire annuler cela. Ces personnes sont toutes différentes. Certaines ont des verdicts de culpabilité, alors que d’autres n’ont jamais eu de procès. Certaines d’entre nous ont été prises au dépourvu par des interdictions qui ont mis fin à nos activités de défense de longue date ou qui ont limité notre capacité de nous exprimer. Les juges ont rejeté nos demandes à maintes reprises, et les ordonnances sont si mal consignées qu’il peut nous falloir des mois pour savoir si une interdiction est en place et qui est visé par celle-ci. Certaines d’entre nous se représentent elles-mêmes, engagent des avocats ou demandent l’aide de la Couronne. Au moins l’une d’entre nous a été poursuivie pour avoir enfreint sans le savoir une interdiction de publication la concernant, et certaines d’entre nous ont encore de la difficulté aujourd’hui à obtenir des directives précises et claires pour lever des ordonnances dont elles ne veulent pas et qui leur causent véritablement du tort.
Dans les récits de luttes, il est clair que les victimes, les juges et les avocats ne comprennent pas de façon uniforme comment cette loi fonctionne et ce qu’elle couvre exactement. Pas plus tard qu’hier, au comité, il a été dit que les autorités ne peuvent pas déterminer si le fait d’envoyer un courriel à un thérapeute constitue une violation d’une interdiction de publication. L’hypothèse est que les juges accorderont toujours à la victime le droit de parole si une demande de révocation d’une interdiction de publication est présentée, et que selon la jurisprudence de l’Ontario, un délinquant ou un accusé n’a pas qualité pour agir.
Dans les faits, en tant que plaignantes, je peux vous dire que les juges refusent nos demandes. Ils permettent aux délinquants de contester nos demandes de retrait de l’interdiction de publication, et personne ne peut nous expliquer la façon de communiquer lorsque nous essayons désespérément d’obtenir de l’aide et d’unir nos forces. L’état actuel du droit fait en sorte que nous sommes à la recherche de clarté, et nous nous sentons très seules dans notre cheminement lorsque le système nous menace de sanctions pénales pour avoir dit la mauvaise chose.
L’étude du projet de loi S-12 vous donne la possibilité de corriger cet état de fait. Nous sommes venues avec des principes pour vous guider dans votre étude des amendements au projet de loi S-12. Ne nous criminalisez pas pour avoir partagé notre expérience. Dans l’affaire R. c. Adams, la Cour suprême écrit que le paragraphe 486(4) vise à encourager les victimes à signaler les infractions sexuelles. Pourquoi une personne ferait‑elle cela en sachant que la loi pourrait être invoquée contre elle?
Cela n’a jamais été l’intention du Parlement, et pour un grand nombre de victimes marginalisées, l’identité est intrinsèquement liée à la communauté. Si vous limitez par une menace de criminalisation notre capacité à établir des liens avec des personnes qui partagent notre identité, vous aurez créé une nouvelle forme unique de victimisation. Le projet de loi S-12 doit préciser clairement qu’une interdiction de publication ne peut être utilisée contre une victime.
Il faut exiger que les procureurs demandent notre consentement avant de demander une interdiction. Le projet de loi S-12 parle de consultation, mais la consultation n’équivaut pas au consentement. Les plaignantes victimes devraient être en mesure de décider si une interdiction de publication est avantageuse pour elles, et le système judiciaire doit leur fournir un soutien, afin qu’elles puissent faire un choix éclairé bien avant qu’une interdiction de publication puisse être imposée concernant leur nom ou leur identité.
Comme la sénatrice Dupuis l’a mentionné, la Charte canadienne des droits des victimes consacre le droit à l’information et à la participation, et il nous semble que le fait d’être informé et de se faire demander si nous voulons restreindre notre droit de parole est un élément fondamental de ce droit.
Il faut empêcher le délinquant ou l’accusé de présenter des observations et d’obtenir la qualité pour agir. Dans l’arrêt R c. Vigon-Campuzano, le juge écrit qu’une interdiction en vertu du paragraphe 486(4) est exclusivement dans l’intérêt du plaignant et non de l’accusé. Le projet de loi S-12 ne fait pas cette distinction, et cette question ne devrait plus être sujette à interprétation. Bien franchement, l’accusé ou le délinquant n’a aucunement le droit de participer à l’un ou l’autre des aspects de la révocation des interdictions de publication nous concernant, et lorsqu’un juge le permet, cela nous expose à des menaces et à de l’intimidation très réelles. Il est humiliant de s’asseoir dans une salle d’audience et d’entendre un juge demander à votre agresseur s’il consent ou non à ce que vous puissiez parler.
Enfin, il faut simplifier le processus de retrait des interdictions en tout temps. De la Colombie-Britannique à la Nouvelle-Écosse, chaque administration a une façon différente de traiter le retrait de l’interdiction de publication. La loi actuelle est tellement vaste que personne n’est en mesure de dire comment il faut procéder. Dans l’affaire R. c. Ibbitson, le juge a conclu qu’il n’est pas loisible au tribunal de rejeter une demande présentée par la personne qui est censée bénéficier de l’ordonnance. Si la victime veut retirer son interdiction, il faut qu’elle puisse le faire.
Le processus de modification ou de révocation d’une interdiction doit être rationalisé et simplifié, au-delà de ce qui est proposé dans le projet de loi S-12, afin que nous puissions nous exprimer sans être submergées par la procédure judiciaire et les audiences officielles. Idéalement, il devrait s’agir simplement d’une option de retrait, comme ce qui est prévu dans la loi australienne ou ce qui est offert aux jeunes contrevenants en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Si vous appliquez ces principes, qui tiennent compte de nos traumatismes, mais aussi de notre persévérance, nous croyons que vous allez créer un meilleur projet de loi et que vous allez trouver des appuis.
Je vous garantis que personne ne souhaite cela davantage que les plaignantes victimes qui ont été lésées par cet article du Code. Je vous demande donc d’être audacieux et d’utiliser nos expériences pour que les autres n’aient pas à faire face aux mêmes défis que nous. Il s’agit de notre voix, et la décision de la faire entendre devrait nous revenir ultimement. Merci.
Le président : Je vais maintenant inviter les sénateurs à poser des questions et à discuter avec vous, en commençant par le sénateur Boisvenu, qui sera suivi de la sénatrice Busson. La sénatrice Busson est la marraine de ce projet de loi au Sénat.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Je vais m’assurer que nos deux témoins ont l’interprétation.
Je veux les remercier toutes les deux de leur présence ce matin, particulièrement Mme Andrews. Je sais que vous avez été victime d’agression sexuelle, cela prend beaucoup de courage pour témoigner dans un pareil cas. Je tiens à vous remercier et à vous féliciter.
Vous parlez beaucoup de la place de la victime dans tout le processus, surtout de la révocation d’une ordonnance. On a vu que dans certains cas, même le délinquant s’opposait à ce qu’une ordonnance soit levée. Souvent, c’était beaucoup plus pour protéger sa réputation, surtout dans les cas d’agressions contre des enfants ou d’agressions sexuelles, que pour protéger l’identité de la victime.
Selon vous, le projet de loi S-12 accorde-t-il toute l’importance aux droits des victimes? Laisse-t-on encore beaucoup de place au délinquant et peu de place aux victimes?
[Traduction]
Mme Andrews : Du point de vue d’une victime, lorsque vous naviguez dans le système judiciaire, il y a peu d’occasions où vous estimez que le tribunal, la Couronne ou les autres intervenants du système répondent réellement à vos besoins et à vos droits. Il est prévu que les interdictions de publication offrent une protection aux gens, mais à l’heure actuelle, dans la loi et dans le projet de loi S-12, on ne reconnaît pas suffisamment le fait que certaines personnes estiment que ces interdictions ne sont pas dans leur intérêt. De notre point de vue, ce que nous espérons voir, ce sont les principes que j’ai décrits et qui sont fondés sur la Charte des droits des victimes. Nous n’avons pas souvent l’impression que nos droits sont respectés ou entendus, et les interdictions de publication sont un mécanisme très important à ce chapitre.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Vous avez été, je crois, consultée par le ministre de la Justice au sujet de ce projet de loi, vous avez présenté ce que vous nous avez présenté ce matin, je crois. Le ministre s’est-il montré ouvert à modifier son projet de loi à la suite du témoignage que vous lui avez donné?
[Traduction]
Mme Andrews : Il est réconfortant de constater que ce n’est pas une question partisane. Le Comité de la justice devant lequel j’ai comparu en avait entendu parler et a publié, en décembre, un rapport dans lequel il était convenu que les victimes devraient avoir le droit de décider de bénéficier ou non d’une ordonnance de non-publication et que celle-ci devrait être accordée à n’importe quel moment de la procédure.
Cette motion a été adoptée à l’unanimité par tous les partis représentés au comité, et tous les partis ont déclaré que c’était judicieux et de l’ordre du bon sens. Le ministre s’est dit déterminé à régler le problème et il appuie le point de vue des victimes. C’est la raison pour laquelle nous sommes heureuses d’être ici aujourd’hui pour vous présenter les principes qui, à notre avis, sont des fondations importantes dans le cadre de votre étude des amendements, parce qu’ils obtiennent l’agrément de tous. Prenons les mesures nécessaires. L’article du code a été modifié à quelques reprises, mais j’espère que nous pourrons faire en sorte, cette fois-ci, qu’il réponde vraiment aux besoins des victimes.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse à la représentante du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, Mme Vlasceanu. Vous avez évoqué le projet de loi S-265, que j’ai déposé au Sénat pour renforcer la Charte canadienne des droits des victimes. Croyez-vous que le ministre aurait pu aller plus loin dans le cadre du projet de loi S-12 pour renforcer les droits des victimes? Quelle est votre opinion au sujet de mon affirmation?
[Traduction]
Mme Vlasceanu : Je suppose que la réponse courte serait oui. Ce projet de loi me semble aborder un élément très précis du processus de justice pénale. Comme je l’ai dit dans mon témoignage, et comme la témoin précédente l’a dit également, environ 6 % seulement des victimes signalent effectivement le crime à la police et en arrivent à cette étape du processus judiciaire.
Le registre des délinquants sexuels crée un faux sentiment de sécurité, et on pourrait donc certainement amender ce projet de loi de différentes façons pour le consolider, compte tenu notamment de la Charte canadienne des droits des victimes et du projet de loi S-265. Ce serait un bon point de départ que d’y veiller en les rassemblant et en les rendant plus solides.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.
[Traduction]
La sénatrice Busson : Merci à vous deux de votre présence ici. Le soutien aux victimes d’actes criminels est un élément extrêmement important du système de justice et vise à combler une lacune. Comme Mme Andrews l’a expliqué avec justesse et passion, les procureurs ne sont pas les avocats des victimes, et la lacune que cela crée dans le système laisse les victimes à elles‑mêmes.
Je tiens à vous remercier toutes les deux, et plus particulièrement Mme Andrews, de vos exposés passionnés sur ce que vivent les victimes, notamment dans les cas d’agression sexuelle, mais on peut l’appliquer à toutes les victimes. Je suis très sensible aux enjeux dont vous parlez.
Vous avez dit que le projet de loi S-12 était un pas dans la bonne direction. Que devrait-on modifier dans le libellé pour répondre à votre souci de donner voix au chapitre et le choix aux victimes? La loi utilise le mot « consulter ». Comment, d’après vous, pourrait-on améliorer le texte pour faire advenir ce que nous espérons?
Mme Andrews : La consultation peut couvrir un certain nombre de choses. Si vous interrogez des membres de My Voice, My Choice qui ont obtenu des ordonnances de non-publication, certaines vous diront peut-être qu’elles ont atteint le seuil de consultation. Si la Couronne vous appelle et vous dit : « Dites, vous pouvez avoir une interdiction de publication. Les médias n’en parleront pas. Vous la voulez sûrement », et que vous, la victime, répondez :« D’accord, il semble que ce soit dans mon intérêt, et ce ne sont que les médias qui sont couverts », cela compte comme une consultation. Est-ce vraiment une décision éclairée si personne ne vous remet l’ordonnance du tribunal ni ne vous explique que ce ne sont pas seulement les médias qui sont couverts? Cela peut aussi être n’importe laquelle de vos communications. Mais, même dans ce cas, les gens ne peuvent pas préciser ce qui est visé par l’interdiction de publication.
Donc, la consultation pourrait être incluse, mais est-ce vraiment donner aux victimes la possibilité de faire un choix éclairé? À notre avis, le consentement est important. La nature d’une infraction sexuelle est que le consentement de la victime a souvent été volé de façon violente, et, quand le système judiciaire crée cette nouvelle victimisation en vous privant du consentement à l’interdiction de publication de votre nom, c’est très douloureux.
Je comprends que le système impose des technicalités et présente des difficultés, mais nous sommes fermement convaincues que le consentement des victimes est important, qu’il devrait l’être et que le système peut trouver une solution. Beaucoup de choses sont prévues pour les délinquants et pour les accusés dans le système, et il est raisonnable de tenir compte du consentement des victimes. Les professionnels du système peuvent trouver le moyen de le rendre possible.
La sénatrice Busson : Merci beaucoup.
Le sénateur Dalphond : Merci aux témoins. Leur contribution est très précieuse, et j’aurais d’ailleurs dû le dire au précédent groupe de témoins également.
J’ai eu l’occasion de vous rencontrer, vous et les autres membres de votre groupe, et j’ai été choqué d’apprendre l’histoire de la victime de Kitchener, qui a non seulement été accusée, mais déclarée coupable — non, en fait, elle a plaidé coupable —, et à qui le juge a imposé une amende. Il y a eu ensuite appel devant la Cour supérieure, qui a cassé la décision. Je pense que cela va à l’encontre de l’idée même de ne pas faire des victimes des coupables, puisqu’il s’agit de les protéger. J’ai été stupéfait d’entendre cette histoire. Merci d’en avoir parlé.
Vous avez parlé de l’Australie. Pourriez-vous, pour la gouverne du comité, nous expliquer plus en détail comment les choses fonctionnent là-bas?
Mme Andrews : En 2021, l’Australie a modifié sa Judicial Proceeding Reports Act. Avant cela, il y avait eu une campagne organisée par les victimes et les plaignantes sous le nom de #LetUsSpeak. Celles-ci se heurtaient à des restrictions semblables quant à la possibilité de faire valoir leurs propres expériences et elles estimaient que c’en était assez, qu’il fallait modifier la loi et que, très franchement, la loi était paternaliste et embarrassante.
L’Australie a donc modifié sa Judicial Proceeding Reports Act et a fait valoir trois éléments de réflexion importants susceptibles d’intéresser le comité. On a estimé tout d’abord qu’une ordonnance de non-publication complète ou partielle ne s’appliquait pas à la victime d’une infraction présumée qui publie quoi que ce soit qui contienne des renseignements susceptibles de l’identifier. Les mesures adoptées donnent également à la victime la possibilité de donner son consentement permettant à une autre personne, que ce soit un représentant des médias ou un membre de la famille, de publier ou de communiquer des renseignements qui pourraient l’identifier.
C’est vraiment important parce que certaines personnes pourraient considérer qu’il n’y a que deux solutions : soit il y a interdiction de publication, et ni vous ni personne ne dit rien; soit il n’y a pas d’interdiction de publication, et c’est n’importe quoi. En réalité, les victimes ne veulent peut-être pas d’un choix noir ou blanc. Il y a des nuances entre les deux.
Ce qui est vraiment bien en Australie, c’est qu’on y permet de garder l’interdiction de publication à titre général, à moins que la victime ne donne son consentement à une autre personne et déclare par exemple : « CBC News, vous pouvez publier mon histoire, vous pouvez publier ma photo et vous pouvez citer mon nom de famille, mais pas mon prénom. » C’est vraiment à la victime de décider ce qu’elle veut rendre public. Mais, comme tout le monde ne veut pas nécessairement publier son histoire, il est vraiment important de garantir la protection. En théorie, une victime pourrait également consentir à ce que le délinquant ou l’accusé publie également son histoire. La loi le prévoit.
Autre chose vraiment importante, l’Australie permet que l’entourage d’une victime décédée parle de son expérience. Il est arrivé, devant des tribunaux du Canada, qu’une victime d’infraction sexuelle ne soit plus de ce monde et qu’un membre de sa famille veuille la défendre, mais que celui-ci se heurte à une ordonnance de non-publication en vertu de l’article 486.4 et ne puisse pas la supprimer, faisant ainsi face à d’énormes difficultés. Dans le cas de Rehtaeh Parsons ou celui d’Amanda Todd, les familles voulaient défendre leurs filles et expliquer ce qui leur était arrivé. L’Australie permet aux membres vivants de la famille de publier ces renseignements même lorsque la victime est décédée. Il ne faut pas oublier que nous ne parlons pas seulement de survivants. Certaines victimes n’ont pas survécu.
Le sénateur Dalphond : Devrait-on aussi recommander la création de plus en plus de tribunaux spécialisés, comme au Québec, qui traitent des infractions sexuelles et où les victimes peuvent trouver de l’aide durant leurs démarches?
Mme Andrews : Je ne suis pas une professionnelle du droit et je ne connais pas très bien la situation au Québec, mais je crois que les victimes font face à beaucoup de difficultés quand les délais sont longs. J’ai dit que certaines d’entre nous n’ont pas encore comparu devant un tribunal et attendent toujours leur procès. C’est très pénible à vivre si on est coincée dans le processus. Donc, des tribunaux spécialisés pourraient être effectivement utiles pour atténuer certains de ces problèmes, mais il est important de reconnaître que, si on ne fait que reproduire un système toujours hostile aux besoins des victimes et qui les victimise de nouveau, ce n’est pas une solution complète. Les délais sont une chose, mais il faudrait examiner le système dans son ensemble et ses interactions avec la victime, l’améliorer et régler les nombreux problèmes auxquels les gens sont confrontés.
Le sénateur Dalphond : Merci.
La sénatrice Batters : Merci à vous deux de votre présence ici. Madame Andrews, j’aimerais commencer par vous poser la question suivante. Merci beaucoup de votre témoignage passionné. Vous nous faites vraiment ressentir à quel point cette question est importante et pourquoi des changements importants doivent être apportés.
Vous avez témoigné devant le Comité de la justice de la Chambre des communes en décembre, mais nous sommes maintenant en juin, et le ministre de la Justice a présenté ce projet de loi tel quel au Sénat depuis peu. En principe, un projet de loi commence à la Chambre des communes, puis est renvoyé au Sénat, mais le ministre a préféré le présenter ici, au Sénat. C’est donc le projet de loi du gouvernement tel qu’il l’a rédigé. Il ne semble pas avoir tenu compte de certaines de vos principales préoccupations, et ce projet de loi est maintenant assorti d’un délai assez serré si on veut respecter l’échéance imposée par le tribunal.
De toutes les choses qui vous importent — et je sais qu’il y en a beaucoup —, si on ne vous accordait qu’un seul amendement, mais avec la garantie que le gouvernement l’accepterait, quel serait-il?
Mme Andrews : C’est une bonne question. Il serait difficile de choisir, mais, si je devais me prononcer, ce serait de supprimer la criminalisation des victimes qui enfreignent leur ordonnance de non-publication. C’est pourquoi nous sommes là aujourd’hui. L’histoire de C.L., la victime de Kitchener-Waterloo, a choqué beaucoup de gens, et la simple possibilité de criminaliser la victime a galvanisé une grande partie du soutien et de la défense dont nous avons été témoins, notamment depuis quelques années. Si je devais choisir, je crois que je ferais supprimer la criminalisation de la victime.
La sénatrice Batters : Merci. Je vous adresse la même question, madame Vlasceanu.
Mme Vlasceanu : Je vais faire écho à ce qu’a dit ma collègue, Mme Andrews. C’est probablement la partie la plus importante pour nous, parce que c’est censé aider et soutenir les victimes, alors que, en fait, cela leur fait beaucoup plus de tort que de bien. Nous sommes témoins tous les jours de nombreuses victimes à qui cela arrive, mais les médias n’en sont même pas informés. Ces victimes doivent ensuite se débrouiller toutes seules. Elles doivent engager leurs propres avocats, se faire expliquer le processus, etc. Il faudrait peut-être aussi s’assurer qu’elles ont l’information juridique dont elles ont besoin tout au long du processus.
On a parlé tout à l’heure du programme pilote de l’Ontario. Il ne s’agit plus d’un programme pilote, mais de quelque chose du même genre, qui permet de s’assurer que tout le monde a accès à cette information, parce que c’est vraiment important et que c’est la raison pour laquelle la plupart des victimes ne se rendent pas compte qu’elles enfreignent leur ordonnance.
La sénatrice Batters : Merci. Cette fois encore, je vous adresse la même question, madame Vlasceanu. Vous avez dit une chose très importante dans votre exposé préliminaire. Je crois que vous avez dit que seulement 6 % des victimes signalent ce genre de crimes à la police. C’est épouvantable.
Vous avez également témoigné devant le Comité de la justice de la Chambre l’an dernier. Vous y avez déploré le fait que, même si la Charte canadienne des droits des victimes a cinq ans, les victimes d’actes criminels, selon l’examen du ministère de la Justice du Canada lui-même, se sentent encore souvent victimisées dans le système actuel. Est-ce que quelque chose, dans le projet de loi S-12, vous inquiète au point que vous pensiez que nous en dirons la même chose dans cinq ans?
Mme Vlasceanu : Effectivement. Je me pose toujours la question suivante : nous avons peut-être une bonne loi, mais comment est-elle mise en œuvre sur le terrain? Comment les intervenants veillent-ils à ce que les victimes soient informées? A-t-on fait de son mieux pour savoir si, par exemple, les victimes veulent obtenir de l’information? Une fois la loi mise en œuvre, quelles seront les meilleures mesures à prendre et quelles seront les répercussions des diverses définitions sur les victimes? Je pense que les amendements pourraient favoriser une solide collaboration entre divers organismes, par exemple les organismes d’application de la loi, les organismes de services aux victimes, etc., mais ils ne comblent pas les lacunes dans la prestation des services quand il s’agit de financer des organismes comme le mien. Beaucoup de choses ne sont pas encore abordées dans le projet de loi lui-même, et c’est le principal problème que j’y vois.
La sénatrice Batters : Merci.
Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue à nos invitées. Ma première question s’adresse à Mme Vlasceanu. En vertu du projet de loi S-12, un tribunal doit tenir compte de divers facteurs pour déterminer si une personne devrait être inscrite au registre en vertu de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels ou LERDS et, notamment, s’il y a un lien entre l’inscription d’un délinquant au registre et l’objet de la LERDS, si l’ordonnance a un effet disproportionné sur l’intéressé et si certains autres facteurs sont liés à l’infraction et à la personne qui l’a commise.
Ma question est donc la suivante : selon votre expérience et compte tenu de votre engagement auprès des survivantes, auriez‑vous des mesures précises à recommander pour faciliter l’accès aux services et aux ressources nécessaires et pour mieux tenir compte des droits et des difficultés des victimes d’infractions sexuelles?
Mme Vlasceanu : Absolument. Je pense à l’élaboration d’une sorte de cadre de mise en œuvre des droits des victimes au Canada en vertu de la Charte canadienne des droits des victimes. J’ai dit tout à l’heure que nous avions franchi le seuil de l’examen quinquennal et je sais qu’un rapport de la Chambre des communes a été présenté en décembre. Mais nous venons de formuler des recommandations, et il n’y a pas de mise en œuvre réelle.
Nous avons donc besoin de ce cadre et de veiller à ce que les organismes d’aide aux victimes et d’autres organisations soient suffisamment financés pour pouvoir proposer ces recommandations et les mettre en œuvre. Il y a souvent un roulement important et un manque de personnel.
Je sais qu’une des témoins précédentes était une simple bénévole de son organisation. Cela nous arrive souvent aussi. Nous n’avons pas pu fournir de mémoire écrit en raison du peu de temps dont nous disposions et du peu de personnel que nous avions. Quant au financement, c’est probablement ma principale préoccupation.
Le sénateur Klyne : Merci. L’une ou l’autre d’entre vous peut répondre à cette question ou les deux.
Dans le même ordre d’idées et en lien étroit avec le projet de loi S-12 et les amendements qui y sont proposés, est-ce qu’il ne vaudrait pas la peine de sensibiliser davantage la population pour clarifier et préciser les répercussions des amendements et leur impact sur les victimes, pour favoriser le dialogue entre les professionnels qui fournissent des ressources et pour essayer de multiplier les ressources et les mesures de soutien dont les victimes ont besoin?
Mme Andrews : C’est vraiment important. Concernant l’interdiction de publication, on a effectivement accès à des conseils gratuits dans certaines provinces. Je l’ignorais complètement quand je me suis retrouvée en situation de victime. Personne ne m’en a rien dit. On est vraiment à la merci de l’agent chargé des services aux victimes et de l’information et on dépend de l’information qu’il fournit. Je ne suis pas sûre qu’il s’agisse simplement d’inviter le ministère de la Justice à améliorer son site Web et sa fiche d’information sur les ordonnances de non-publication. On ne trouve nulle part en ligne quoi que ce soit qui explique le processus de retrait de l’interdiction de publication parce qu’on n’a pas besoin d’un avocat pour le faire. On peut en faire la demande directement comme victime. Mais cette information ne se trouve nulle part.
Des investissements supplémentaires dans ces domaines, comme vient de le dire Me Hrick, du FAEJ, sont absolument essentiels, parce que, quand on est une victime et qu’il y a une interdiction de publication, le seul fait d’envoyer un courriel à quelqu’un pourrait être risqué, et on est vraiment laissée à soi‑même.
Le sénateur Klyne : Merci.
Mme Vlasceanu : La formation des intervenants du système de justice pénale est probablement l’un des aspects les plus importants pour nous. Les gens qui sont en contact avec les victimes tout au long du processus — je rappelle que nous ne le sommes pas nécessairement — et qui savent si les victimes parlent de leur expérience, avec qui elles sont en contact, etc. devraient être au courant, et surtout de ce genre de chose. Quant au site Web du gouvernement, l’information qui s’y trouve est bien souvent très difficile à comprendre. Quand on vit un traumatisme comme celui-là, on a besoin d’un langage simple et clair. Il faudrait que ce langage soit du niveau de la 6e année pour être compris. On n’a pas besoin d’un avocat pour supprimer une interdiction de publication, mais l’information est-elle à la fois facilement accessible et compréhensible?
[Français]
La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse aux deux témoins; merci d’être ici. Vous parlez du site Web de Justice Canada. Je m’intéresse toujours à ce que Justice Canada préconise ou donne comme information. On y écrit la phrase suivante :
Le droit criminel a pour objet de contribuer au maintien de la sécurité publique, de la paix et du bon fonctionnement de la société.
Voici ma question pour vous : est-ce que le système de justice criminel devrait considérer que les victimes sont une catégorie particulière de témoins dans le sens où c’est le témoignage de la victime qui, dans la majorité des cas, fait en sorte qu’il y aura une condamnation ou pas? Autrement dit, le témoignage de la victime est comme la colonne vertébrale d’un procès au criminel. Donc, la Couronne et l’État, ultimement, ont besoin du témoignage de la victime.
En ce sens, le système de justice criminel ne devrait-il pas prévoir un système d’assistance, d’accompagnement, de conseil juridique du début jusqu’à la fin? Parce qu’il repose de toute façon en grande partie sur le témoignage des victimes.
[Traduction]
Mme Andrews : Ce que vous dites est très important. Parmi les gens qui travaillent avec My Voice, My Choice, beaucoup vous diront que le système est clairement indifférent ou hostile aux victimes. Des procureurs de la Couronne nous ont souvent dit que nous ne formons pas une équipe, que le procureur de la Couronne n’est pas l’avocat de la victime et que celle-ci n’est qu’un témoin du crime. On nous dit que le système est là pour nous aider, mais quand on pose des questions et qu’on demande de l’aide, il n’y a plus personne.
Si on cartographiait l’expérience des victimes de différents types de crimes, on s’apercevrait qu’il faudrait probablement reconnaître que les victimes ne sont pas seulement des témoins et qu’elles vivent un stress considérable et des difficultés financières, psychologiques et personnelles dans le cadre de leur participation à un processus qui prend parfois des années.
Être victime d’un crime, c’est se sentir seule et être isolée. Ajoutez à cela une interdiction de publication qui limite vos communications avec votre communauté et avec les gens qui peuvent vous aider, et la situation est dix fois pire. C’est une question qu’il faudrait peut-être poser aux experts de l’ensemble du système de justice pénale, mais d’après mon expérience, ce serait très utile.
Mme Vlasceanu : Oui. Comme l’a expliqué Mme Andrews, quand on est reléguée au rang de simple témoin du crime dont vous avez été victime, cela déclenche un traumatisme supplémentaire. Comme vous l’avez dit, les victimes sont au cœur du processus puisque leur témoignage peut permettre de poursuivre un délinquant et de le mettre derrière les barreaux. Mais il faut bien souvent des semaines ou des années de procès, et la victime n’a pas de ressources financières à sa disposition. Elle doit mettre sa vie en suspens, et pourtant aucune aide ne lui est proposée, surtout dans certains endroits du pays.
On dit souvent que le système est détraqué, mais je dirais qu’il fait exactement ce qu’il est censé faire. Il n’est pas détraqué. Et nous devons régler le problème immédiatement. Nous voyons bien que les victimes sont traumatisées une deuxième fois.
Par ailleurs, quand il est question d’organismes gouvernementaux, je pense aux Autochtones et aux autres minorités. Il s’agit de savoir s’ils se sentent à l’aise de s’adresser à des organismes gouvernementaux, ce qui m’amène à parler des organismes communautaires et de leur importance dans tout ce processus.
La sénatrice Pate : Je remercie nos témoins de leur travail et de leur présence aujourd’hui. Merci également, madame Andrews, de votre visite à notre bureau le mois dernier. Cela nous a été très utile.
Vous nous avez parlé de la loi dans l’État de Victoria — parce que le droit pénal en Australie relève de chaque État — et du fait qu’elle permet aux victimes de faire lever leurs ordonnances de non-publication, mais pas nécessairement d’autres s’il y a des groupes de victimes, et je comprends votre appui à cette formule.
Comme l’ont dit certaines de mes collègues, bien des gens ne savent pas combien de femmes sont criminalisées dans ce contexte. Vous avez parlé d’un cas très médiatisé. Je pense à certaines femmes de ma connaissance qui refusent de témoigner parce qu’elles sont menacées et risquent d’être criminalisées. Cela n’a pas de lien direct avec l’interdiction de publication, mais que pensez-vous de la criminalisation des personnes lorsque, comme vous l’avez déjà dit — et cela découle de la conversation que vous avez eue avec la sénatrice Dupuis —, on exige que la victime soit témoin pour que l’actus reus soit déterminé, et c’est le seul domaine du droit pénal où cela se fait. Ce n’est le cas d’aucun autre domaine, sauf dans les cas de violence misogyne.
Que pensez-vous de l’idée d’élargir cette protection pour que la victime ne soit pas criminalisée dans les cas où des femmes — particulièrement les femmes racialisées, les femmes noires et les femmes autochtones — sont appelées à témoigner pour prouver une infraction, alors que c’est le travail du procureur de la Couronne?
Mme Andrews : Le système demande beaucoup aux victimes. Selon nous, les victimes ne devraient jamais être criminalisées parce qu’elles prennent la parole ou qu’elles entreprennent des démarches judiciaires. Tout comme une interdiction de publication est censée les aider et les protéger comme la loi actuelle le prévoit, nous devrions accorder la priorité à la protection des victimes et ne pas les criminaliser.
J’aimerais clarifier une chose. En Australie, s’il y a des groupes de victimes, les différentes victimes ne doivent pas identifier d’autres personnes. Ce qu’il faut surtout comprendre à mon avis — et c’est un équilibre à trouver —, c’est que, même s’il y a des groupes de victimes, ce n’est pas parce qu’une victime veut retirer son interdiction de publication qu’elle va nécessairement identifier une autre victime. On ne devrait pas empêcher la levée de l’interdiction en raison de la présomption qu’une autre victime pourrait être identifiée.
Une personne de notre groupe a été victime d’un jeune contrevenant et elle est assujettie à une interdiction de publication en vertu de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Elle a été en mesure de lever son interdiction de publication, mais elle n’a pas identifié pour autant le délinquant, parce qu’elle n’y est pas autorisée.
Les victimes devraient être en mesure de prendre la parole même lorsqu’il y a plusieurs personnes en cause et elles devraient avoir la possibilité de s’exprimer sans être criminalisées. Il faut s’assurer, dans ce cas, de laisser aux victimes le maximum de pouvoir et de capacité pour qu’elles parlent de leur expérience si elles en ressentent le besoin. Il n’est jamais approprié de criminaliser les victimes.
La sénatrice Clement : Je tiens à vous remercier toutes les deux. Vous êtes très éloquentes.
Madame Andrews, vous disiez que vous n’êtes pas avocate, mais vous auriez fort bien pu l’être. Je vous enjoins à vous inscrire immédiatement à la faculté de droit. Je tiens à vous remercier de nous avoir fait part de votre expérience.
Vous avez répondu à beaucoup de mes questions par l’entremise de la sénatrice Pate, de la sénatrice Dupuis et du sénateur Klyne. En tant qu’avocate de l’aide juridique, j’ai déjà représenté des victimes d’actes criminels, et je n’avais pas toutes les ressources ni tous les fonds nécessaires pour représenter les victimes. Les gens disent souvent : « Nous allons faire les choses simplement et vous n’aurez pas besoin d’un avocat. » Je dirais que cela ne correspond pas à la réalité.
Bon nombre de mes clients ont été éprouvés au fil des ans. Il n’est pas toujours aisé pour eux de lire ou d’accéder au contenu de sites Web spécialisés.
Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure le processus pourrait être simplifié? Est-ce illusoire de penser que c’est possible de le faire? Les victimes ont-elles vraiment besoin de s’en remettre à des avocats pour les accompagner tout au long du processus?
Mme Andrews : Chaque personne est différente, et l’approche qu’elle adopte pour naviguer dans le système juridique est différente, elle s’appuie sur son vécu et son identité. Comme je l’ai dit, pour certaines personnes, une interdiction de publication est vraiment importante et cela leur offre une protection. Cette protection devrait toujours leur être accordée. Mais pour ceux qui disent : « À la fin de mon procès, je veux lever mon interdiction de publication », il suffirait de modifier le formulaire de déclaration de la victime en y ajoutant une case à cocher. Il contient déjà une case à cocher qui dit : « Oui, je veux présenter cela au tribunal. » On pourrait ajouter une autre case à cocher qui dirait : « Si, en tant que victime, je suis assujettie à une interdiction en vertu de l’article 486.4, oui, je consens à ce qu’elle soit levée. »
La sénatrice Clement : Ce serait automatique.
Mme Andrews : Pourquoi pas? La Couronne a déjà proposé un tel mécanisme.
Un procureur de la Couronne s’adresse au tribunal pour dire : « Oui, nous voulons toujours une ordonnance de non-publication dans cette affaire », après quoi tout le monde poursuit son travail. Pourquoi ne pas faire en sorte qu’il soit aussi simple pour la Couronne de demander à la victime : « Voulez-vous qu’une ordonnance de non-publication soit émise? Si vous n’en voulez pas, je peux me présenter devant le tribunal et dire que nous sommes à mi-chemin d’un procès ou à telle autre étape du procès et que la victime ne veut pas de l’ordonnance de non‑publication. »
Il faut surtout retenir que tout le monde ne peut pas avoir accès à l’information. L’une des choses sur lesquelles j’ai insisté, c’est que mon signalement a été fait en Ontario et que l’anglais est ma langue maternelle. Par contre, si j’avais été francophone ou immigrante et que l’anglais ait été ma deuxième ou troisième langue, je ne suis pas certaine que j’aurais obtenu du soutien. Quand on consulte CanLII et qu’on essaie de lire le Code criminel du Canada... je trouve cela difficile, je n’ai pas de formation juridique. Je suis fonctionnaire fédéral, j’ai l’anglais comme première langue, je suis allée à l’université et il m’était impossible de naviguer seule. La seule raison pour laquelle j’ai pu lever mon interdiction de publication, c’est que je suis allée au Toronto Star. Ils ont publié mon histoire dans le journal, la Couronne a communiqué avec moi et m’a dit : « Nous avons été très occupés, mais maintenant, voici quelqu’un qui va vous aider. »
Pour ceux et celles qui n’ont pas un tel accès, je me demande comment c’est possible. Encore une fois, si la personne a un emploi précaire, s’il s’agit d’une personne sans papiers, ou d’un travailleur étranger saisonnier ou si la personne fait face à une multitude d’obstacles dans le système, comment pouvons-nous nous attendre à ce que ces gens aient le temps ou l’espace mental nécessaire pour s’asseoir et dire : « Je vais consulter le Code criminel et le site Web du ministère de la Justice, je comprends en quoi l’administration de la justice est différente entre les paliers fédéral et provincial. » Vous n’aurez tout simplement pas accès à cette information.
Je veux bien m’asseoir ici en tant que femme blanche privilégiée qui est fonctionnaire fédérale et vous parler de mon expérience. Comme je l’ai déjà mentionné, je ne suis pas en mesure de partager l’expérience de toutes les autres personnes qui se heurtent à beaucoup plus d’obstacles que moi. Et si moi‑même je me heurte à des obstacles, j’en viens à douter que nous soyons allés assez loin ou que nous ayons déployé tous les moyens à notre portée pour que ces autres personnes se sentent suffisamment outillées pour naviguer au travers des amendements juridiques et suivre les méandres des procédures parlementaires.
La sénatrice Clement : Merci.
Le président : J’aimerais entendre vos commentaires sur quelques observations. Si vous le permettez, nous pourrions accorder quelques minutes de plus pour un deuxième tour.
C’est une question ou un commentaire pour vous, madame Vlasceanu. Avec les témoins précédents, je me suis demandé où les gens pouvaient obtenir l’information pour s’y retrouver dans le processus qui consiste à faire entendre leur voix en tout début de parcours, ou en cours de procès, ou à les retirer.
Vos deux témoignages renforcent non seulement la nécessité d’une telle procédure, mais permet de voir la complexité de la situation, c’est-à-dire que le délinquant peut avoir été un jeune contrevenant ou qu’il peut y avoir plusieurs victimes. Le processus est plus complexe qu’on aurait pu le croire.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus, madame Vlasceanu, et nous expliquer ce que nous devons prendre en compte pour que cela soit mis en place? Il ne s’agit pas nécessairement d’amender la loi, mais quelle est l’état des lieux?
J’aurai ensuite un commentaire ou une question pour Mme Andrews.
Mme Vlasceanu : Pour ce qui est de rendre l’information facilement accessible aux victimes, comme nous venons de le dire, je pense que les victimes ont des niveaux de compréhension différents. L’anglais ou le français ne sont pas nécessairement leur première ou leur deuxième langue. Je pense qu’il s’agit d’abord de rendre les ressources disponibles pour tous, de s’assurer de les rendre accessibles. Il ne faut pas oublier les résidants de collectivités rurales ou éloignées, qui n’ont peut-être pas aussi facilement accès aux ressources qu’une personne qui vit au centre-ville de Toronto.
Il faut s’assurer de disposer d’une sorte de cadre pour que tout le monde ait un accès égal, peu importe où les gens se trouvent, peu importe leur statut au Canada et peu importe la langue dans laquelle ils devront accéder à l’information. Je pense que c’est ici que beaucoup d’organismes communautaires interviennent.
Bien sûr, cela dépend des situations, mais je pense entre autres aux organisations religieuses ou à ce type d’endroits où des gens vont chercher de l’aide. Il est important de construire ces réseaux et de nous assurer que nous nous engageons avec toutes les parties prenantes impliquées dans le processus. La sensibilisation et l’éducation du public pourraient même être envisagées. Il ne s’agit pas de voir de la victimisation partout, mais cela peut se produire. Il est très important de disposer d’une base de connaissances.
Le président : Madame Andrews, encore une fois, c’est vraiment un commentaire au sujet de la capacité d’action. Ce qui me frappe, c’est que ce que nous avons ici, soit un modèle qui offrirait une protection aux victimes afin qu’elles ne soient pas revictimisées à cause de la publication de leurs récits. Toutefois, le contrôle, la capacité d’action et tout le reste doivent passer par les procureurs et, à terme, par les juges. Je n’aime pas beaucoup employer ce mot, mais cela me semble incroyablement paternaliste et il s’agit en fait d’un déni de l’autonomie qu’une victime pourrait vouloir exercer dans de telles circonstances.
Nous avons entendu des témoins qui ne nous exhortaient pas à envisager d’aller jusqu’à demander le consentement de la victime, mais j’en conclus que c’est un point assez important de votre point de vue en ce qui a trait à la capacité d’agir. Ai-je bien compris?
Mme Andrews : Le consentement est vraiment important, mais il peut être demandé à différents moments. Je pense que la loi peut être modifiée de façon à tenir compte de l’importance du consentement.
Si le juge demande à un procureur si toutes les mesures ont été prises pour consulter la victime, pourquoi ne dirions-nous pas : « A-t-on pris toutes les mesures raisonnables pour obtenir le consentement de la victime? »
Si, pour une raison ou pour une autre, il n’est pas possible d’obtenir le consentement parce qu’une personne est inconsciente à l’hôpital ou qu’elle ne peut pas donner son consentement à tel ou tel moment, ce mécanisme est prévu pour informer la victime, pour lui expliquer ce que signifie l’interdiction de publication et pour que la Couronne la retire si c’est dans l’intérêt de la victime.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Encore une fois, merci beaucoup à nos deux témoins.
Madame Andrews, je vais vous poser une question et je m’adresse à la victime.
Le ministre a fait un choix relativement aux inscriptions obligatoires, afin de ne viser que les agresseurs d’enfants. Pour les femmes qui sont victimes d’agression sexuelle, l’inscription ne sera pas obligatoire. Croyez-vous que cela entraîne un déséquilibre? Devrait-on traiter les femmes comme on traite les enfants, c’est-à-dire que lorsqu’il y a une agression, que ce soit contre un enfant ou une femme, l’inscription est obligatoire?
[Traduction]
Mme Andrews : Pour ce qui est du registre, je m’en remets aux experts juridiques. Je n’en connais pas assez sur le sujet. Toutefois, dans mon cas, le contrevenant a été accusé d’agression sexuelle, mais il a plaidé pour l’infraction moins grave de voies de fait. Mon agresseur aurait pu ne jamais être enregistré comme délinquant sexuel. C’est le cas de nombreuses personnes avec lesquelles je travaille dans le cadre de My Voice, My Choice. En ce qui me concerne, le registre des délinquants sexuels n’a jamais été envisagé parce que sa probation est déjà terminée et qu’il lui reste moins d’un an d’ordonnances et de conditions à respecter, étant donné qu’il a bénéficié d’une libération conditionnelle. Pour beaucoup d’entre nous, le registre n’est même pas envisageable, même lorsqu’il s’agit d’un agresseur ayant plaidé coupable deux fois pour la même chose et qu’il s’agit d’un enseignant d’auto-école qui travaille avec des enfants.
La sénatrice Busson : J’essaierai aussi de faire vite. Je tiens à remercier les deux témoins pour leur point de vue sur ce sujet extrêmement sensible et chargé en émotions. La sénatrice Batters vous a posé la question d’un choix, plus ou moins un choix de Sophie. On vous a demandé de choisir un des amendements, et votre choix s’est arrêté sur un amendement très important.
Pour récapituler, hier soir, lorsque le ministre était parmi nous, je lui ai demandé s’il avait réfléchi à la définition du verbe « consulter ». Je pense que vous avez écouté ce témoignage. Il a employé l’expression « consultation plus », qui renvoie à la question du consentement. Cela vous rassure-t-il quant à l’évolution de ce projet de loi et, sachant que nous allons de l’avant, quant au fait que les législateurs cherchent à s’emparer du langage que l’on emploie quand vient le temps d’interpréter ces sujets?
Mme Andrews : Je pense que l’intention est une chose, mais ce qui compte vraiment, c’est la façon dont les procureurs de la Couronne et les juges l’interprètent. Du point de vue d’une victime, ce qui compte, c’est d’être le plus explicite possible — pas trop prescriptif, mais clair. Je ne suis pas certain de la définition juridique de « consultation plus ». Je pense que d’autres experts ont peut-être une meilleure idée que moi de ce que cela pourrait signifier. Cependant, de mon point de vue, si nous avons la loi aujourd’hui, qui est interprétée de sept façons différentes dans chaque province et territoire, ce qui doit être mis à la disposition des victimes — et ce qui nous aidera — ce sont des instructions claires et explicites. Il ne faut pas laisser de place à l’interprétation parce que chaque juge aura une interprétation différente.
Certains procureurs de la Couronne n’ont aucune idée de ce que signifie cet article du Code. Si vous leur posez la question, ils vous répondront que cela se fait de manière automatique, et ils vous demanderont si la jurisprudence justifie le retrait. Ils vont dire : « Nous allons le retarder éventuellement, mais je ne peux pas le faire maintenant. » Pour éviter ces situations où les victimes sont face à un éventuel préjudice, nous devrions simplement être explicites. Si nous souhaitons dire plus que « consultation », il serait bien de le préciser dans la loi, car cela aiderait tous les intervenants du système.
La sénatrice Busson : Merci beaucoup.
Le président : Voici une réponse importante, particulièrement en ce qui concerne le demandeur.
Cela met fin à la présente séance de notre comité sur le projet de loi. Je tiens à remercier Mme Vlasceanu pour ses interventions fort utiles, claires voire inspirantes, ainsi que Mme Andrews qui a apporté une dimension humaine à nos délibérations et qui a eu le courage de partager son expérience et celle de ses collègues.
Je vais évoquer la sénatrice Clement. J’ai déjà été président du comité d’admission de la faculté de droit de l’Université Dalhousie. En fait, c’est probablement dans ce contexte que la sénatrice Pate et moi avons fait connaissance. Si je le pouvais et si j’avais le pouvoir de vous convaincre de changer de carrière, je vous offrirais une place à la faculté de droit de l’Université Dalhousie. Merci beaucoup de votre précieuse contribution aujourd’hui, et merci de vous joindre à nous.
Honorables sénateurs, je pense que ce point de vue est partagé par tous. Cette session s’achève, mais j’invite les membres du comité directeur à rester quelques minutes pour un examen plus approfondi. Si vous rédigez des amendements à ce projet de loi, je vous demande de les communiquer au greffier afin que tout soit parfaitement en ordre lorsque nous passerons à l’examen article par article. Je vous remercie toutes et tous.
(La séance est levée.)