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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 14 juin 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 17 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-12, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

Le président : Honorables sénateurs, nous allons commencer notre réunion. Je demanderais aux sénateurs de se présenter, en commençant par ma gauche.

[Traduction]

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

La sénatrice Busson : Sénatrice Bev Busson, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, division sénatoriale de La Salle, au Québec.

Le sénateur Dalphond : Pierre J. Dalphond, division sénatoriale De Lorimier, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, du territoire de l’Alberta visé par le Traité no 6.

[Français]

Le sénateur Forest : Éric Forest, de la région du Golfe, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan.

Le sénateur D. Patterson : Dennis Patterson, du Nunavut.

Le président : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du comité. J’aimerais souhaiter la bienvenue à tout le monde.

Honorables sénateurs, nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-12, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants. Nous avons avec nous aujourd’hui la marraine du projet de loi, la sénatrice Busson.

Dans notre premier groupe de témoins aujourd’hui, nous accueillons M. Mark Penney, directeur exécutif intérimaire des Opérations techniques à la Gendarmerie royale du Canada, et M. Alain Gagnon, sous-officier responsable du Registre national des délinquants sexuels et du Programme des délinquants sexuels à risque élevé, également de la GRC. Ils se joignent à nous en personne. Merci, messieurs.

Nous accueillons aussi M. Francis Lanouette, directeur de l’Association canadienne des chefs de police, qui se joint à nous par vidéoconférence. Merci de vous joindre à nous, chef.

Comme d’habitude, nous invitons chaque organisme représenté à faire un exposé d’environ cinq minutes, après quoi nous passons aux questions et aux discussions avec les sénateurs. Messieurs de la GRC, la parole est à vous.

[Français]

Mark Penney, directeur exécutif intérimaire, Opérations techniques, Gendarmerie royale du Canada : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je suis accompagné aujourd’hui du sergent d’état-major Alain Gagnon, sous-officier responsable du Registre national des délinquants sexuels de la GRC. Nous sommes heureux d’être avec vous aujourd’hui pour vous aider dans votre étude du projet de loi S-12.

[Traduction]

Depuis 2004, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, que j’abrégerai en LERDS, et le Registre national des délinquants sexuels, ou RNDS, sont des éléments complémentaires essentiels de la réponse du Canada aux crimes de nature sexuelle, de la protection des enfants et des adultes et de la sauvegarde de nos collectivités.

Dans le cadre de ces efforts, la GRC est responsable de la gestion du registre, le système national d’enregistrement des délinquants qui ont été reconnus coupables d’infractions sexuelles désignées et à qui les tribunaux ont ordonné de se présenter annuellement à la police, entre autres obligations. Le registre aide la police à prévenir les crimes de nature sexuelle et à enquêter sur ces crimes en fournissant des renseignements à jour sur les délinquants sexuels reconnus coupables et en fournissant une liste instantanée des délinquants sexuels qui sont inscrits et qui vivent dans une région géographique donnée.

L’accès à l’information contenue dans le registre est très restreint. Seuls les services de police peuvent y accéder en s’adressant au Centre d’enregistrement des délinquants sexuels de leur province ou territoire. Les centres veillent à ce que les délinquants se conforment à leurs obligations et ils s’occupent de l’aspect administratif de la base de données. Le public n’a pas accès à l’information contenue dans le registre.

Les services de police utilisent les renseignements du registre aux fins policières autorisées par la loi. Les services de police internationaux peuvent aussi recevoir des renseignements de la base de données, mais seulement si l’échange de renseignements obéit aux critères précis énoncés dans la LERDS. En vertu de la loi, la GRC ne peut communiquer des renseignements du registre que lorsque c’est nécessaire pour prévenir un crime de nature sexuelle ou faire enquête sur un tel crime. Tout écart de cette règle présente un risque important de manquement à la loi, et entraîne d’éventuelles conséquences juridiques pour des employés de la GRC, puisqu’une divulgation non autorisée constitue une infraction punissable par procédure sommaire en vertu de la loi.

La GRC appuie les modifications proposées dans le projet de loi S-12, dont celles qui concernent la LERDS. En particulier, la proposition d’exiger qu’un délinquant sexuel donne un préavis de 14 jours avant un voyage donnerait à la GRC le temps nécessaire pour procéder à une évaluation approfondie des risques avant que le délinquant ne se déplace ailleurs au Canada ou à l’étranger. De plus, le délinquant serait tenu de déclarer toutes les adresses où il séjournerait pendant ses déplacements, ce qui permettrait de le localiser aisément en cas de besoin.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de cette invitation à comparaître devant vous aujourd’hui. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Penney. Chef Lanouette?

[Français]

Francis Lanouette, directeur, Association canadienne des chefs de police : Bonjour et merci de cette occasion de m’adresser au comité au sujet du projet de loi S-12.

L’Association canadienne des chefs de police (ACCP) est généralement en faveur de ce projet de loi, qui s’attarde principalement aux notions d’enregistrement automatique et en perpétuité au Registre national des délinquants sexuels. Nous reconnaissons que l’atteinte d’un équilibre entre les droits individuels et le bien collectif représente un défi.

L’ACCP est rassurée de constater que le projet de loi S-12 maintient la présomption d’enregistrement automatique à ce registre. Ceci est, pour nous, un élément essentiel. À notre avis, les modifications législatives proposées reconnaissent les droits des victimes et favorisent la sécurité publique, tout en respectant les droits des accusés.

Nous appuyons la proposition visant à inverser le fardeau de la preuve en accordant aux personnes reconnues coupables la possibilité de convaincre, au moment de la sentence, le ou la juge de la non-nécessité d’être inscrite au registre.

Nous favorisons le maintien de l’enregistrement au registre après que la personne a purgé sa peine, à moins qu’elle puisse prouver au juge que ses effets sur elle seraient totalement disproportionnés.

Le projet de loi S-12 implique aussi une reconnaissance du potentiel de réhabilitation pour certains délinquants, car il met fin à l’inscription à perpétuité si la personne est en mesure de convaincre les autorités qu’elle ne présente aucun risque de récidive.

Toutefois, pour la sécurité publique, il est essentiel d’imposer l’inscription automatique au registre pour des infractions de nature sexuelle commises sur des personnes d’âge mineur et d’imposer l’inscription à vie au registre dans les cas où une personne est reconnue coupable d’avoir commis plus d’une infraction de nature sexuelle.

Nous sommes heureux de l’ajout des facteurs à considérer par les juges pour exercer leur pouvoir discrétionnaire, comme la notion de l’âge et des caractéristiques personnelles de la victime. Nous croyons que cet élément répond à un besoin, soit celui de protéger les plus vulnérables de notre société, notamment les personnes d’âge mineur, les victimes de violence entre partenaires intimes, les personnes souffrant de déficiences, les personnes âgées en perte d’autonomie et ainsi de suite.

À ce sujet, nous avons noté et nous appuyons l’augmentation de la peine maximale pour l’infraction d’exploitation sexuelle d’une personne ayant une déficience. De plus, nous saluons l’ajout de certaines infractions désignées, notamment l’infraction de diffusion non consensuelle d’images intimes.

Nous tenons à souligner que le Registre national des délinquants sexuels est un outil et une source d’information inestimables pour appuyer les enquêtes policières. Sur le plan opérationnel, nous invitons le comité à considérer trois modifications législatives à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels qui pourraient avoir une incidence importante sur les enquêtes policières : premièrement, modifier le paragraphe 4.1(1) pour y inclure l’obligation de signaler tout changement dans les véhicules utilisés par le délinquant dans les sept jours suivant le changement, et ce, dès son inscription au registre et à tout moment entre les rapports annuels qui sont actuellement obligatoires.

Deuxièmement, modifier le paragraphe 5(3) afin d’éliminer toute imprécision pour ce qui est de l’autorisation à la police de prendre toutes les photographies nécessaires du délinquant et de toutes les caractéristiques physiques, observables ou non, comme les tatouages, les cicatrices, les marques ou les difformités, afin de faciliter l’identification du délinquant.

Troisièmement, modifier le paragraphe 16(4) afin d’ajouter le pouvoir de divulguer à un témoin ou à une victime participant à l’enquête sur un crime de nature sexuelle des photographies obtenues dans la base de données du registre dans le but d’identifier un suspect.

En conclusion, l’ACCP est d’avis que le projet de loi S-12 propose un processus décisionnel et de révision qui aligne l’inscription et la durée de l’inscription au registre sur la sévérité des infractions.

Les services de police ont pour mission de prévenir le crime et d’en rechercher les auteurs. Nous croyons que ce projet de loi contribue à l’atteinte de cette mission. Ainsi, nous sommes en mesure d’utiliser adéquatement nos ressources afin d’offrir à nos populations des milieux de vie sécuritaires tout en protégeant les plus vulnérables de notre société. Merci.

[Traduction]

Le président : Merci, messieurs.

Nous ne sommes pas habitués à ce que les témoins n’épuisent pas entièrement leur temps de parole. Vos exposés étaient précis, directs et clairs, et je vous en remercie. Nous passons maintenant à une liste de sénateurs qui ont des questions à vous poser, en commençant par le vice-président du comité, le sénateur Boisvenu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. Ma première question s’adressera aux gens de la GRC. Le premier Registre national des délinquants sexuels a été adopté en 2004. La loi a été révisée en 2009-2019; j’y étais.

Le constat troublant qu’on a fait à l’époque, c’est que le pourcentage d’inscriptions laissé à la discrétion des juges variait d’une province à l’autre. Dans les Maritimes, il était autour de 30 %, au Québec, 50 % environ et dans l’Ouest canadien, de tout près de 70 %. C’est pour cela que le gouvernement de l’époque a décidé de modifier le registre pour que plus de délinquants y soient inscrits, parce qu’on en échappait environ 50 % au Canada.

Est-ce que ce projet de loi, qui est à peu près conforme à la loi de 2004, nous mènera dans une situation semblable, où le pourcentage risque de varier d’une province à l’autre?

M. Penney : Merci pour la question.

[Traduction]

Nous ne pouvons certainement pas prédire quelles seront les ramifications du projet de loi S-12, s’il est adopté, s’il entre en vigueur. Cependant, la position de la GRC est d’appuyer entièrement ce projet de loi, parce qu’il va certainement aider à corriger certains des problèmes que nous avons aujourd’hui avec le Registre national des délinquants sexuels.

Pour ce qui est de l’efficacité éventuelle des changements survenus entre la loi de 2004 et le projet de loi actuel ou des solutions de rechange à appliquer, nous nous en remettons à nos collègues de Sécurité publique Canada et de Justice Canada.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : La question que je vous pose est la suivante : le projet de loi que nous étudions est à peu près de la même eau que la loi de 2004. Le pourcentage d’inscriptions variait d’une province à l’autre, ce qui rendait le registre presque inutilisable en pratique dans certaines régions lorsqu’on inscrivait un prédateur sur trois au registre, alors que pour d’autres provinces, on en inscrivait un sur deux ou deux sur trois.

Est-ce qu’on risque de se retrouver dans la même situation dans cinq ans, avec un pourcentage d’inscriptions qui variera d’une province à l’autre, selon la sévérité des juges? Au Québec, les juges sont moins sévères; ils sont plus sévères dans l’Ouest. Va-t-on vivre la même situation?

[Traduction]

M. Penney : Je vous remercie de préciser la question. Je ne crois pas que nous puissions prédire ce que les juges vont décider ou ce que les services des poursuites pénales vont faire. Comme l’ont dit nos collègues de Justice Canada, on vise à apporter des éclaircissements et à fournir de la formation sur les dispositions proposées dans le projet de loi S-12, au sujet de la présomption d’enregistrement. Il reste à voir comment les choses vont se dérouler. Malheureusement, je ne peux pas prédire quels seront les changements.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse à M. Lanouette. L’inscription obligatoire lorsque le crime est commis contre un enfant s’appliquera strictement dans les cas où une personne reçoit une sentence de plus de deux ans. Au Québec, il y a quatre fois plus de prédateurs sexuels dans les prisons provinciales que dans les pénitenciers fédéraux.

Est-ce que le fait qu’on inscrive les prédateurs sexuels qui ont agressé un enfant et qui ont une sentence de plus de deux ans... Est-ce qu’on risque d’en échapper beaucoup?

M. Lanouette : Ma compréhension du projet de loi est qu’il y a deux éléments. D’abord, la présomption, le fait que c’est à la personne reconnue coupable de prouver au juge qu’elle n’a pas besoin d’être inscrite au registre; cela éclaircit la question précédente. Avant, il n’y avait pas cette présomption d’inscription. Donc, c’était souvent le procureur de la Couronne qui devait réclamer l’inscription au juge, alors que là, on présume que le délinquant y est inscrit, et ce sera à la personne de prouver qu’elle n’a pas à y être inscrite. Dans ce contexte, on est un petit peu plus fort qu’à l’époque du premier projet de loi sur le registre.

Pour ce qui est de votre question plus précise sur les personnes reconnues coupables d’un crime et qui écopent d’une peine de plus de deux ans, encore une fois, si on part de la prémisse que ceux qui ne satisfont pas aux conditions qu’on retrouve à l’article, mais qui sont quand même présumément inscrits au départ... Je pense qu’on peut arriver à un résultat satisfaisant sur le plan de l’inscription au registre.

[Traduction]

La sénatrice Busson : Merci à tous de vous être rendus disponibles pour nous aujourd’hui, et merci de servir le pays.

À la suite de l’affaire Ndhlovu, la Cour suprême du Canada a donné au Parlement un an pour réagir à la décision selon laquelle l’inscription automatique au Registre national des délinquants sexuels était inconstitutionnelle, à défaut de quoi le registre deviendra caduc à compter du 28 octobre de cette année, et il n’y aura plus moyen d’ordonner aux délinquants de se conformer.

Pourriez-vous nous expliquer de façon générale comment le Registre national des délinquants sexuels aide à faire appliquer la loi? De plus, pourriez-vous expliquer de façon générale ce qui se passerait si l’échéance du 28 octobre était dépassée et que le projet de loi n’était pas adopté?

M. Penney : Je vous remercie de la question.

Je vais m’en remettre à mon collègue le sergent d’état-major Gagnon, qui a travaillé de près avec le système au cours des cinq dernières années et qui peut certainement parler de son utilité dans le travail quotidien d’application de la loi. Merci.

Alain Gagnon, sous-officier responsable, Registre national des délinquants sexuels et Programme des délinquants sexuels à risque élevé, Gendarmerie royale du Canada : Je vous remercie de votre question.

La première partie porte sur le projet de loi lui-même. Le 28 octobre, il faudrait que Justice Canada ait réagi à la décision de la cour. Nous n’avons aucune influence sur les tribunaux.

Ce dont je peux vous parler, c’est de ce qu’il advient de l’information que nous recueillons auprès des délinquants sexuels dans la base de données et de son efficacité.

Lorsqu’une personne est condamnée par un tribunal pour une infraction sexuelle désignée, les tribunaux délivrent une formule 52, ainsi qu’on l’appelle au Canada, qu’ils doivent transmettre au centre provincial ou territorial responsable du Registre national des délinquants sexuels. À partir de là, les renseignements sont versés dans la base de données jusqu’à ce que le délinquant s’enregistre, soit sept jours après sa sortie de prison ou après l’audience du tribunal. C’est là que nous recueillons nos renseignements sur les obligations qui sont imposées aux délinquants en vertu de la loi. Ces renseignements se trouvent dans une base de données et sont à la disposition de la police pour l’aider à prévenir les crimes de nature sexuelle ou à enquêter sur ces crimes.

Nous effectuons environ 1 500 à 2 000 recherches par année dans la base de données, ce qui aide la police dans ses enquêtes sur les crimes de nature sexuelle partout au pays.

Nous obtenons de nombreux résultats positifs dont nous pouvons faire part au comité, qui prouvent que le registre aide la police canadienne à résoudre des crimes sexuels.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup.

Sergent d’état-major Gagnon, vous avez parlé de l’évaluation des risques. M. Penney en a parlé au sujet des gens qui voyagent à l’étranger.

À quoi ressemble une évaluation des risques?

M. Gagnon : Je vous remercie de votre question. Chaque fois qu’un délinquant sexuel inscrit se rend à l’étranger, nous examinons son avis de sortie et nous vérifions où il va et quand il part. Si la loi nous le permet, nous en informons le service de police de l’autre pays.

Nous utilisons un outil d’évaluation des risques appelé Statique-99R. C’est un outil largement utilisé pour déterminer le taux de récidive chez les délinquants sexuels et les agresseurs sexuels d’enfants. Nous examinons l’avis de voyage, et si la personne présente un risque élevé au terme de l’évaluation, alors nous avons le pouvoir d’en informer la police d’un autre pays.

Nous évaluons quotidiennement les risques que peuvent présenter les agresseurs sexuels d’enfants inscrits au registre, à raison de 3 000 à 3 500 évaluations par année. Nous en avons le pouvoir en vertu de l’alinéa 16(4)j.3), qui dit essentiellement que si nous déterminons qu’une personne est un délinquant sexuel à risque élevé pour les enfants, nous pouvons en aviser l’Agence des services frontaliers du Canada, l’ASFC.

Nous faisons des évaluations de risques et nous les communiquons à l’ASFC aux fins d’application de la loi. Si un délinquant ne nous a rien dit et qu’il présente un risque élevé, à son retour au pays, nous le saurons et nous l’accuserons de ne pas nous avoir avisés.

Nous allons plus loin. À des fins de prévention ou d’enquête, le sous-alinéa 16(4)c)(ii) nous autorise à afficher les agresseurs sexuels d’enfants à risque élevé dans le système du Centre d’information de la police canadienne, le CIPC, et à faire suivre à la police du territoire où vit le délinquant.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Mes questions font suite aux réponses que vous avez données au sujet de l’utilisation du système et de son efficacité.

Vous avez parlé de faire 3 500 évaluations de risques par année. Comment cela fonctionne-t-il en réalité? Combien de fois par semaine ou par année les services de police canadiens consultent-ils votre banque de données pour fins de vérification? Ce serait ma première question.

M. Gagnon : Je vous remercie de la question. Il y a plusieurs étapes. En fait, lorsque des services de police consultent notre base de données, nous appelons cela des recherches tactiques. Chaque année, il se fait environ 2 000 recherches tactiques dans notre base de données pour appuyer les enquêtes effectuées par les services de police canadiens, uniquement pour des crimes de nature sexuelle.

Par ailleurs, les évaluations de risques sont faites chaque jour sur des délinquants sexuels contre les enfants dans le but de répondre aux critères de l’alinéa 16(4)j.3) relatifs à la divulgation aux services frontaliers.

Le sénateur Dalphond : Vous dites que dans certains cas vous fournissez de l’information à la police du pays où la personne se dirige. On sait que dans certains pays, comme la Thaïlande, par exemple, il y a un certain commerce. Est-ce que vous avez la collaboration des Thaïlandais, ou on vous fournit l’information et ensuite, eux ferment les yeux?

M. Gagnon : C’est une excellente question. Si vous me le permettez, je vais répondre en anglais.

[Traduction]

M. Gagnon : L’alinéa 16(4)j.1) nous autorise à communiquer des renseignements à des services de police étrangers lorsque c’est nécessaire pour prévenir un crime de nature sexuelle ou faire enquête sur un tel crime.

Nous ne divulguons des renseignements que dans certaines circonstances : lorsqu’il s’agit d’un délinquant sexuel à risque élevé qui voyage ou d’un délinquant sexuel transnational. Nous devons être prudents lorsque nous le faisons. Nous ne pouvons pas divulguer à n’importe quel pays. Nous devons passer par une commission pour nous assurer que cela ne causera pas de tort au délinquant. Il y a des pays, bien sûr, auxquels nous ne pouvons pas divulguer de renseignements, mais nous le pouvons dans la plupart des cas.

Pour ce qui est de la collaboration, nous communiquons l’information par l’entremise de l’agent de liaison de la GRC responsable du pays où se rend le délinquant. En Thaïlande, nous la communiquons directement à notre agent sur le terrain, qui sait à qui la relayer. Il revient alors à la police thaïlandaise d’agir selon les lois et les politiques du pays.

Parfois, la police locale nous fait savoir par l’agent de liaison que le délinquant a été renvoyé au Canada, ce qui arrive souvent. Parfois, le délinquant a été admis dans le pays, ce qui arrive aussi. Mais, là encore, le délinquant a peut-être la citoyenneté du pays. Nous ne savons pas la raison, mais nous voyons les deux cas.

Le sénateur Dalphond : Est-ce que la police thaïlandaise vous fournit des renseignements? Par exemple, si quelqu’un a des relations sexuelles avec des enfants en Thaïlande et qu’il paie pour cela, est-ce qu’on vous signale ce genre de choses? Est-ce que la police thaïlandaise en informe l’agent de liaison, qui vous informe à son tour?

M. Gagnon : On parle maintenant d’une condamnation à l’étranger.

Le sénateur Dalphond : Pas une condamnation. Prenons l’exemple d’un voyageur qui fait des choses que la police peut observer, mais qui ne se fait pas arrêter.

M. Gagnon : Cela dépend du pays. Cela ne relève pas de nous au Registre national des délinquants sexuels. Par exemple, les États-Unis signalent les délinquants sexuels qui se rendent au Canada, mais ils le font à l’ASFC ou à la police locale, et non à notre service. Cela ne fait pas partie de notre mandat.

Le sénateur Dalphond : Merci.

Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos invités.

Ma première question s’adresse au sergent d’état-major Gagnon. En tant que principal organisme chargé de tenir le Registre national des délinquants sexuels, comment évaluez-vous l’efficacité de la LERDS dans sa forme actuelle et celle du cadre proposé dans le projet de loi S-12 en ce qui concerne la prévention des crimes de nature sexuelle et les enquêtes à leur sujet? Y a-t-il des aspects particuliers qui, selon vous, ont besoin d’être améliorés ou renforcés?

M. Gagnon : Je vous remercie de la question. Nous travaillons avec Justice Canada et Sécurité publique Canada depuis de nombreuses années et nous avons recommandé des améliorations, dont beaucoup se trouvent dans le projet de loi. La GRC appuie sans réserve la mise en œuvre de ce projet de loi.

Nous voyons de nombreux aspects positifs. Par exemple, le préavis de 14 jours pour les délinquants qui voyagent fait une grande différence pour nous, parce que nous aurons le temps de faire une évaluation des risques et déterminer s’il y a lieu d’avertir un autre pays. C’était frustrant de voir des délinquants appeler de l’aéroport pour nous dire : « Je prends l’avion dans une heure. Bonne chance. » Cela ne nous laisse pas beaucoup de temps pour lancer cet avertissement.

Le sénateur Klyne : Ma question s’adresse à l’un ou l’autre des témoins de la GRC.

La LERDS fonctionne de concert avec les dispositions du Code criminel — notamment les articles 490.011 à 490.032 — qui permettent aux tribunaux d’ordonner aux délinquants reconnus coupables d’infractions désignées de fournir des renseignements pour le registre.

Comment la GRC collabore-t-elle avec l’appareil judiciaire pour assurer l’application efficace de ces ordonnances? Est-ce qu’il y a des problèmes ou des possibilités d’amélioration dans ce domaine?

M. Gagnon : À l’heure actuelle, lorsqu’un délinquant reçoit l’ordre de se présenter à l’inscription au Registre national des délinquants sexuels, les tribunaux ont l’obligation de nous le faire savoir. Nous n’avons aucune influence sur le moment où ces ordonnances sont émises. Nous ne faisons que réagir, c’est-à-dire que nous recevons les ordonnances, par la suite nous gérons la base de données avec les renseignements que nous avons. Lorsqu’une personne omet de se conformer, ce n’est pas nous qui nous en occupons; c’est le bureau territorial ou provincial.

Chaque jour, nous consultons la base de données pour voir qui a omis de se présenter, par exemple. Nous recueillons des preuves et nous les communiquons à la police compétente pour qu’elle porte une accusation en vertu du Code criminel pour manquement à une obligation imposée par la LERDS.

La sénatrice Simons : Dans l’arrêt de la Cour suprême qui a mené à ce changement, la cour écrivait :

[...] malgré sa longue existence, il y a peu de preuves concrètes, voire aucune, de la mesure dans laquelle [le Registre national des délinquants sexuels] aide la police à prévenir les infractions sexuelles et à enquêter sur celles-ci.

La cour avait ses doutes et y voyait un peu de la poudre aux yeux qu’on jetait au nom de la sécurité.

Monsieur Gagnon, vous avez dit que vous aviez des exemples à donner. Je suis curieuse de savoir exactement comment cela aide concrètement les policiers et les agents de libération conditionnelle à gérer les gens qui ont été libérés.

M. Penney : Je vous remercie de la question. Je vais donner un exemple et laisser la parole à M. Gagnon, qui en a beaucoup d’autres.

Pour revenir à la Thaïlande, nous avons récemment eu un cas en janvier 2023. On nous a signalé qu’un agresseur d’enfants à risque élevé allait se rendre en Thaïlande. La personne nous en avait avisés comme il se devait. L’équipe a pu effectuer une évaluation des risques et établir qu’il y avait lieu de communiquer avec les autorités thaïlandaises, qui ont refusé l’entrée à cette personne. À son retour au Canada — parce que nous avons aussi divulgué cette information à l’Agence des services frontaliers du Canada —, l’ASFC a fait passer l’individu à la fouille secondaire et a inspecté certains des effets qu’il avait avec lui, son téléphone et tout le reste. Il est apparu que cette personne, même si le tribunal lui avait interdit d’interagir avec des enfants, avait des messages qui permettaient de croire qu’elle gardait des enfants. L’information a été transmise de l’ASFC à la GRC, à notre unité, et nous nous sommes mis à enquêter. Grâce aux nombreux outils et bases de données dont nous disposons, comme celles du CIPC et d’autres, nous avons pu identifier la mère de ces enfants et communiquer avec eux. Après une enquête plus poussée, nous avons déterminé que cet individu était présent dans la vie de nombreux enfants. Son cas est toujours actuel, mais c’est un excellent exemple de la raison d’être de la LERDS et du registre. Nous avons de nombreux autres exemples que nous serions heureux de fournir au comité par écrit.

La sénatrice Simons : Nous ne demandons pas mieux. S’il y a un autre exemple que vous pourriez nous donner maintenant, ce serait formidable.

M. Gagnon : Oui. Nous n’étions pas engagés dans cette affaire, alors nous ne pouvions pas fournir l’information que nous avons.

Lorsque j’ai commencé à travailler dans le service il y a cinq ans, je voulais réunir toute cette information. Nous avons une liste d’affaires qui ont bien fini et qui ne sont pas classifiées. Nous les avons versées dans la base de données. Chaque fois qu’un procureur de la Couronne fait face à une contestation d’ordre constitutionnel, il n’a qu’à communiquer avec notre bureau et nous lui communiquons cette information, comme nous pouvons vous la communiquer.

Un bon exemple qui s’est produit à Montréal il y a quelques années est une enquête sur une agression sexuelle où le délinquant était monté dans un autobus public et s’était adressé à une femme. Ils sont descendus de l’autobus. Il lui a offert de la drogue et il a fini par l’agresser et quitter les lieux. Elle a appelé la police. Une recherche tactique a été faite dans notre base de données. Nous avons pu l’identifier parce qu’il a utilisé un surnom avec elle et qu’il avait divulgué ce surnom dans notre base de données. La correspondance était complète et il a été arrêté.

Nous avons de nombreux exemples d’utilisation de la base de données dans le cadre d’enquêtes sur des crimes de nature sexuelle.

La sénatrice Simons : Jusqu’à cette dernière décision, les gens étaient automatiquement inscrits dans la base de données. Maintenant, les juges auront plus de latitude pour dire que si la personne plaide pour faire atténuer la gravité de son crime, elle ne devrait pas automatiquement figurer dans la base de données.

Est-ce que ce ne serait pas un outil plus efficace s’il n’était pas encombré de gens dont les crimes sont mineurs par rapport aux plus graves? Je me demande si on en arrive à un point où il y a tellement de noms que le système devient dysfonctionnel et s’il ne serait pas préférable de s’en tenir aux cas les plus graves et non au cas, par exemple, d’un jeune de 19 ans avec sa petite amie de 16 ans.

M. Gagnon : Je comprends la question, mais il est difficile de répondre à une question hypothétique comme celle-là. Le système n’est jamais encombré. Nous avons 63 000 délinquants. Nous avons les caractéristiques propres à chacun d’eux, la région géographique où il vit, le véhicule qu’il conduit et le téléphone qu’il utilise. Tous ces renseignements sont à la disposition des enquêteurs pour les aider à résoudre ces crimes.

Nous faisons aussi des recherches sur des délinquants connus. Parfois, la police arrête un délinquant et nous demande tous les renseignements qui le concernent. Cela aussi, c’est utile. Nous avons eu récemment un cas au Nouveau-Brunswick où quelqu’un était recherché. Nous avons pu fournir son adresse et le faire arrêter parce que nous avions cette information dans notre base de données.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous tous d’être ici. Ma question s’adresse aux témoins de la police. Lorsque le ministre a comparu devant nous la semaine dernière, j’ai demandé aux fonctionnaires de son ministère à propos du mandat d’arrestation pour défaut de se conformer, qui est prévu dans le projet de loi. Ce mandat permet à la police d’arrêter les délinquants sexuels qui sont tenus de s’inscrire, mais qui ne le font pas. Je leur ai demandé à quoi cela nous avançait. Le mandat permet à la police d’escorter le délinquant pris en défaut jusqu’au bureau d’inscription, mais, au bout du compte, la sanction ultime demeure l’inculpation du délinquant. C’est la même chose qu’à l’heure actuelle. C’est quelque chose dont, apparemment, 20 % des délinquants ne se soucient pas vraiment.

La réponse que j’ai reçue de l’avocate du ministère lorsque j’ai posé cette question le 7 juin est la suivante :

On espère que cela facilitera les choses. Si les gens ne viennent pas s’inscrire, il y a peut-être une raison. Je suppose que la meilleure option, c’est de les amener au bureau d’inscription et de leur donner l’occasion de le faire.

Essentiellement, la police devient un service Uber gratuit pour les délinquants sexuels. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez et comment ce mandat nous fait avancer le moindrement par rapport aux dispositions en vigueur actuellement?

M. Gagnon : Je vous remercie de la question. Oui, le projet de loi S-12 propose un article sur le mandat, qui sert actuellement dans une loi de l’Ontario qu’on appelle la Loi Christopher. Ils ont cela en Ontario.

Notre priorité au registre des délinquants sexuels n’est pas d’arrêter les gens ni de porter des accusations. C’est d’avoir l’information la plus exacte possible dans notre base de données pour faciliter les enquêtes.

Si quelqu’un ne se conforme pas à la loi, je pense que deux voies s’offrent à nous. Premièrement, obtenir un mandat d’arrestation et porter une accusation pour le crime de ne pas s’être présenté, comme nous faisons actuellement. Le problème, cependant, c’est que nous passons notre temps à les arrêter et qu’ils ne s’inscrivent jamais. Au moins, nous aurons maintenant un outil pour que l’inscription se fasse et que notre base de données soit exacte et à jour. Nous aurons la possibilité de forcer l’inscription. Au lieu de les accuser tout le temps et qu’ils ne s’inscrivent jamais, nous aurons un outil qui nous permettra d’exiger l’inscription et de saisir leurs renseignements.

La sénatrice Batters : Je vous le souhaite.

M. Gagnon : Nous le faisons tous.

Le sénateur Arnot : Merci aux témoins. J’ai deux brèves questions à poser aux deux témoins.

Premièrement, pouvez-vous décrire en quoi le Registre national des délinquants sexuels est semblable aux autres bases de données que vous avez, comme celle du Centre d’information de la police canadienne, ou en quoi il est différent?

Deuxièmement, nous avons entendu le chef Lanouette nous parler de certaines modifications législatives qu’il aimerait voir. Y a-t-il des lacunes ou des failles qui vous apparaissent dans l’immédiat et qu’il faudrait corriger avant l’adoption de ce projet de loi?

M. Penney : Merci beaucoup de la question. Pour répondre à la première question, qui concernait...

Le sénateur Arnot : Les différences entre le Registre national des délinquants sexuels et le Centre d’information de la police canadienne.

M. Penney : En ce qui concerne la différence entre le registre et le CIPC, le registre exige une mise à jour annuelle ou une mise à jour chaque fois qu’un délinquant change d’adresse et d’emploi. Par rapport à la base de données du CIPC, l’inscription au registre permet d’avoir des renseignements plus actuels sur le délinquant, notamment des photos de tatouages, des marques, des choses de ce genre qui peuvent changer avec le temps. Au CIPC, la photo originale de face et de profil d’un condamné peut avoir été prise il y a 15 ou 20 ans, mais dans le registre, nous avons la photo la plus récente et la meilleure, qui n’a pas plus de 12 mois.

Pour ce qui est de votre deuxième question au sujet des suggestions de notre collègue de l’Association canadienne des chefs de police, la GRC est ouverte à toute suggestion ou à toute modification législative qui sert l’objectif ultime, qui est d’avoir une information est à jour, comme disait mon collègue. Toute modification ou mesure d’application plus stricte concernant l’obligation de se présenter pour mettre à jour les renseignements serait très utile au Registre national des délinquants sexuels.

Le sénateur D. Patterson : J’ai une brève question pour le chef Lanouette. Tout d’abord, je remercie les témoins de leur présence.

Vous avez fait trois recommandations précises d’amendements pour améliorer le projet de loi, je crois. Les avez-vous fait mettre par écrit et pourriez-vous les transmettre au comité, s’il vous plaît?

[Français]

M. Lanouette : Effectivement, les trois recommandations ont été mises par écrit. Je crois que le comité les a déjà en main. Si vous avez besoin de précisions additionnelles, on pourra produire un document supplémentaire. C’est au sein même de la déclaration.

[Traduction]

Le président : Chef Lanouette, le sénateur Patterson vous demandait si vous les aviez sous forme de texte législatif?

[Français]

M. Lanouette : Non, cela n’a pas été fait. Cependant, on pourrait regarder avec le comité les amendements de l’ACCP.

[Traduction]

Le président : Il n’est pas juste de vous déléguer notre travail, mais s’il y a quelque chose que vous pourriez nous soumettre sous forme législative... est-ce bien ce que vous voulez, sénateur Patterson?

Le sénateur D. Patterson : Oui, monsieur le président. J’ai pris des notes sur les amendements tels que je les ai compris, mais je me demandais si nous pouvions avoir un peu plus de détails, ou si vous avez la capacité de les formuler en langage législatif, ce qui serait formidable. Sinon, si vous pouviez les énoncer de façon un peu plus détaillée que ce que j’ai pu retenir de votre exposé. Vos recommandations semblaient très précises et renvoyaient à certains articles du projet de loi. J’ai donc pensé qu’il serait utile d’obtenir plus de détails.

Le président : Pour ne pas trop vous imposer de travail, chef Lanouette, nous avons justement un libellé plus détaillé que nous avons reçu aujourd’hui même. Dès qu’il sera en bonne et due forme dans les deux langues officielles, nous veillerons à le distribuer à tous les sénateurs.

Le sénateur D. Patterson : D’accord.

Le président : Nos recherchistes font de l’excellent travail.

Le sénateur D. Patterson : Très bien. Cela répond à ma question. Merci beaucoup.

Le président : J’ai quelques questions pour faire suite à ce que vous disiez, je crois, monsieur Gagnon, à propos des renseignements versés dans la base de données. J’aimerais savoir dans quelle mesure vous pouvez nous parler, en termes quantitatifs, de l’efficacité de la base de données pour ce qui est de fournir des renseignements importants permettant d’identifier des personnes qui ont commis des infractions sexuelles ou de prévenir des situations problématiques. Je sais qu’un examen est prévu — le ministre nous l’a dit —, mais l’efficacité de la base de données nous intéresserait.

Ma deuxième question est la suivante : vous recevez une demande de renseignements de la part d’un service de police ou d’un enquêteur. Comment pouvez-vous savoir si l’enquête se rapporte à quelque chose de nature sexuelle? Est-ce qu’il y a un mécanisme ou une norme à respecter pour donner accès à l’information contenue dans la base de données?

M. Gagnon : Je vais répondre à la deuxième question. En ce qui me concerne, il y a un seuil qui découle du paragraphe 16-4c)(2) selon lequel nous pouvons communiquer les renseignements nécessaires à la tenue d’une enquête de prévention d’un crime de nature sexuelle. C’est cela le seuil. Nous examinons toute requête reçue dans la base de données et nous nous assurons que le seuil est atteint. Cela comprend les détails du crime sur lequel porte l’enquête et un numéro de dossier.

S’il s’agit, par exemple, d’une demande de vérification de l’immatriculation d’un véhicule volé, celle-ci sera rejetée. Il faut qu’elle soit conforme à la loi.

Le président : En refusez-vous beaucoup?

M. Gagnon : Pas que je sache. Notre bureau à Ottawa ne s’occupe pas de ces requêtes tactiques. Ce sont les centres provinciaux et territoriaux qui s’en chargent, mais nous faisons des vérifications. Lors d’un audit, nous vérifions le seuil des requêtes tactiques.

Le président : Merci. C’est utile. Comme c’est la première fois que le sénateur Forest se trouve parmi nous, je lui cède la parole.

[Français]

Le sénateur Forest : Je remplace la sénatrice Dupuis.

Pour m’informer, les trois recommandations qui sont intéressantes et que M. Lanouette faisait, cela veut-il dire qu’actuellement, la première était de demander à ce que tout changement de véhicule dans une période soit inclus? Actuellement, dans le Registre national des délinquants sexuels, s’il y a un changement de véhicule par voie normale, on n’est pas tenu de vous en informer? Une autre question me semblait d’office : l’autorisation d’avoir des photos des signes distinctifs et des tatouages n’est pas actuellement dans le Registre national des délinquants sexuels?

M. Gagnon : Merci pour la question. Pour la première question sur les véhicules, l’obligation d’un délinquant sexuel est de s’enregistrer une fois par année. Lors de cette inscription, il doit fournir beaucoup d’informations, y compris sur les véhicules qu’il utilise. Ils n’ont aucune obligation de faire une mise à jour sur les autres véhicules qu’il aurait eus durant l’année. Les véhicules, ce n’est qu’une fois par année. C’est une bonne suggestion de modifier la loi pour imposer une obligation pour les délinquants de rapporter les véhicules qu’ils conduisent.

Pour votre deuxième question concernant les photos, voulez-vous dire de prendre les photos ou de montrer les photos à des victimes et des témoins?

Le sénateur Forest : Cela me semble être la troisième recommandation de M. Lanouette, qui était de montrer les photos. Ce que je comprends, c’est qu’on peut être autorisé à prendre des photos de tatouages et de signes distinctifs pour avoir un portrait physique complet de l’individu.

M. Gagnon : Je vous remercie. Je crois que la demande est de préciser le langage dans la loi. En ce moment, la loi dit qu’on peut prendre des photos de caractéristiques observables. Un délinquant qui arrive avec un gilet à manches longues pourrait dire que son tatouage n’est pas observable. Il est évident qu’on prend les photos. On voudrait un langage plus précis et plus clair pour nous donner l’autorisation de faire cela.

Quand on en vient à divulguer des photos d’un délinquant ou des photos de tatouages à une victime ou à un témoin, ce n’est pas dans la loi. Cela contrevient à la loi et au paragraphe 16(4), qui dit qu’on ne peut faire aucune divulgation à des membres du public. Les victimes et les témoins sont des membres du public. La recommandation serait d’obtenir l’autorisation de divulguer les photos que nous avons dans notre base de données dans le but d’identifier les délinquants sexuels.

Le sénateur Forest : Si je comprends bien, le Registre national des délinquants sexuels existe, mais vous n’avez pas le droit de l’utiliser dans le cadre d’une enquête, pour faire progresser l’enquête et vérifier les suspects?

M. Gagnon : Non, c’est qu’on divulgue toute l’information aux enquêteurs, mais les enquêteurs n’ont pas l’autorisation de divulguer l’information à une victime ou à un témoin.

Le sénateur Boisvenu : Ma question s’adresse aux représentants de la GRC. Je veux parler avec vous du côté préventif du Registre national des délinquants sexuels. On sait qu’actuellement, le Registre national des délinquants sexuels ne peut pas être vérifié par tous les policiers, comme le Centre d’information de la police canadienne (CIPC); ce sont les enquêteurs qui peuvent vérifier ou consulter la base de données si un crime est commis. Ce n’est pas un registre ouvert à tous les policiers, comme ceux du CIPC; l’accès est limité.

J’ai rencontré en Alberta les membres d’une famille dont la mère ainsi que son enfant ont été assassinés par un prédateur sexuel qui avait fait face à huit à dix accusations et qui était inscrit au Registre national des délinquants sexuels. Cela faisait quatre ans et demi qu’il habitait à côté d’une école où il y avait des enfants et qu’il était visé par une interdiction d’entrer en contact avec eux. Y a-t-il des outils dans ce projet de loi qui feront en sorte que les policiers pourront travailler à cet aspect préventif, ou utiliserez-vous le Registre national des délinquants sexuels seulement lorsqu’un crime aura été commis?

M. Gagnon : Je vous remercie de la question. En ce qui concerne la prévention, dans le domaine de la divulgation des pays étrangers, ce serait une cause de prévention.

Le sénateur Boisvenu : Je parle du Canada. Cette dame qui a été assassinée, cela faisait quatre ans et demi que cet homme habitait près de chez elle, d’une école et d’aires de jeux. Comment se fait-il qu’il n’ait pas été surveillé pendant ces années? Il était pourtant inscrit au Registre national des délinquants sexuels.

M. Gagnon : Ce serait une question pour la police de la juridiction. Mon mandat, c’est le Registre national des délinquants sexuels.

Le sénateur Boisvenu : La GRC fait le travail de policiers municipaux et provinciaux dans les provinces.

M. Gagnon : Ce serait une question pour eux. En fait, pour ce qui est de l’enquête comme telle, ce serait une question pour eux.

Le sénateur Boisvenu : Ce projet de loi améliorera-t-il la prévention des crimes?

Actuellement, le registre n’est utilisé que si un crime a été commis. Il ne sert pas vraiment à prévenir des crimes.

M. Gagnon : Je ne suis pas certain de comprendre la question, sénateur.

Le sénateur Boisvenu : Je veux dire que le Registre national des délinquants sexuels est un outil pour mener des enquêtes lorsqu’un crime est commis, mais il ne sert pas à prévenir des crimes. Il n’a pas d’effet préventif.

M. Gagnon : L’effet préventif est que l’information peut être divulguée aux policiers. Par exemple, si quelqu’un se trouve dans un territoire ou près d’une école et qu’une personne appelle les policiers pour les aviser qu’il y a un suspect aux alentours, les policiers arrivent et ils ont une description. Ils peuvent certainement faire une requête tactique pour ce crime dans la base de données pour être en mesure d’identifier la personne.

Le sénateur Boisvenu : Vous comprendrez que lorsqu’on voit des cas comme celui d’une femme qui s’est fait assassiner avec son enfant, alors que son agresseur habitait à côté de chez elle depuis quatre ans et demi et qu’il n’avait pas été importuné par les policiers, on peut se poser des questions.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Merci. J’aimerais entendre le point de vue de la GRC, puis celui du chef Lanouette, au nom de l’Association canadienne des chefs de police.

La Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, la LERDS, souligne l’importance de protéger le public tout en respectant le droit à la vie privée des délinquants sexuels et leur potentiel de réadaptation et de réinsertion sociale. Le projet de loi S-12 atteint-il l’équilibre souhaité entre la sécurité publique et les droits des délinquants garantis par la Charte? Comment pouvons-nous être certains que les bonnes décisions sont prises au sujet des délinquants qui présentent un risque de récidive et qui devraient être inscrits dans le Registre national des délinquants sexuels, et quels délinquants devraient être exemptés?

M. Penney : Merci beaucoup de la question, monsieur le président.

Quant à savoir s’il s’agit de trouver un juste équilibre, cela ne relève certainement pas du mandat de la GRC qui est de gérer et d’administrer le système, et de s’assurer qu’elle dispose de renseignements à jour sur les délinquants. Il appartient au système judiciaire et aux tribunaux de déterminer si l’équilibre est juste. Il faudrait s’en remettre à nos collègues fédéraux.

Le sénateur Klyne : Je vais peut-être simplement dire ceci au chef Lanouette. À cet égard, avez-vous le même point de vue ou un point de vue semblable? Voyez-vous quelque chose qui pourrait améliorer la situation des récidivistes, comme je l’ai demandé? Et quels délinquants devraient être exemptés?

[Français]

M. Lanouette : Dans le fond, si j’ai bien compris bien la question, vous parliez de l’équilibre entre le droit individuel et le bien collectif. C’est un exercice très délicat. Vous comprendrez qu’on marche souvent sur la ligne.

Naturellement, les policiers ont deux devoirs : d’abord, ils doivent faire respecter la Charte canadienne des droits et libertés. Dans ce contexte, ils doivent veiller à ce que les droits individuels soient bien protégés; en même temps, ils ont aussi la responsabilité d’assurer la sécurité du public, donc le bien collectif, qui entre en ligne de compte.

Dans un projet de loi comme celui-ci, l’Association canadienne des chefs de police — et nous l’avons mentionné dans notre déclaration — prend position également pour les personnes vulnérables, les victimes vulnérables. On veut s’assurer que ces personnes sont protégées dans le cadre de la loi.

Quand on parle de personnes vulnérables, naturellement, les jeunes de moins de 18 ans en font partie, mais il y a d’autres types de victimes. Pensons, par exemple, aux personnes victimes de violence entre partenaires intimes, aux personnes âgées qui sont en perte d’autonomie et qui pourraient, elles aussi, être des victimes de ce genre de délit.

Ce qu’on apprécie dans le projet de loi, c’est le volet où le juge, avant de décider d’utiliser son pouvoir discrétionnaire, analyse les caractéristiques de la victime. On pense ici que le juge est en mesure d’évaluer les caractéristiques qui pourraient rendre la victime plus vulnérable. Par le fait même, il pourrait exiger l’inscription au Registre national des délinquants sexuels.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Si je comprends bien, le registre est un peu comme la banque de données génétiques. Il peut être utilisé pour une recherche après la commission d’un crime, mais pas en aval, à titre préventif.

[Français]

M. Gagnon : Pas nécessairement.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Disons, si vous allez en Thaïlande et que vous faites obstruction au travail de la police.

[Français]

M. Gagnon : Exactement. Il y a aussi le cas que j’ai mentionné plus tôt où quelqu’un se promène et il y a une description de l’individu. Il peut y avoir une recherche tactique dans la base de données pour prévenir un crime.

Le sénateur Dalphond : Vous avez signalé un deuxième problème. Vous pouvez exiger de quelqu’un qui se présente, à la suite d’une ordonnance 52, qu’il aille s’inscrire dans un bureau situé dans sa province. Est-ce qu’on peut lui demander de relever ses manches pour voir s’il a des tatouages, par exemple?

M. Gagnon : Absolument. C’est une pratique courante dans les bureaux d’inscription de prendre des photos des caractéristiques physiques de l’individu.

Le sénateur Dalphond : On peut demander à l’individu de se déshabiller pour voir tous les signes distinctifs, par exemple, un tatouage au bas du dos. Toutefois, on ne peut pas montrer la photo du tatouage à une victime qui porte plainte et qui dit que l’agresseur porte un certain signe. Si la victime ne le mentionne pas, vous ne pouvez pas le lui montrer?

M. Gagnon : Exactement. Il n’y a aucune divulgation d’information issue de la base de données à des membres du public. Les victimes et les témoins sont des membres du public.

Le sénateur Dalphond : Le policier qui mène l’enquête ne pourrait donc pas, en toute discrétion, parler d’un tatouage dans le bas du dos et montrer une photo pour demander à la victime si cela ressemble à ce qu’elle a vu? On pourrait montrer à la victime un défilé de gens ou une série de photos pour identifier le délinquant. Toutefois, si la victime décrit un tatouage, on ne peut pas montrer une série de photos de tatouages?

[Traduction]

M. Gagnon : Ce type de divulgation serait illégal en vertu de la loi, et le policier pourrait être accusé aux termes de l’article 17.

Le sénateur Dalphond : Il y a là un problème.

M. Gagnon : Il n’y a actuellement aucune divulgation aux témoins ou aux victimes.

Le président : Le sénateur Boisvenu a demandé à poser une petite question au troisième tour, mais avant cela, j’aimerais en poser une. Vous n’êtes pas responsable des demandes que vous recevez. Ce sont des enquêteurs de la police sur le terrain, mais pour ce qui est de la prévention, tenez-vous un registre du nombre d’enquêtes ayant été menées à cette fin, par opposition à une enquête sur un crime commis? Dans la base de données, peut-on savoir si la police pense que c’est un outil précieux à des fins de prévention dans ce que vous appelez une situation tactique?

M. Gagnon : Non. Quand nous recevons des requêtes tactiques, nous nous assurons qu’elles respectent un seuil avant de divulguer quelque renseignement que ce soit, mais elles ne sont pas ventilées entre la catégorie prévention et la catégorie enquête. L’information est fournie à la police. Pour réagir à la suite de certains commentaires que j’ai entendus, je dois dire que l’organisme enquêteur ne consulte pas notre système. Il demande à nos employés d’y faire des recherches et nous lui communiquons des renseignements provenant de la base de données.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Monsieur Gagnon, vous avez fait une déclaration qui m’a surpris. Vous avez dit que c’est de l’information du Registre national des délinquants sexuels qu’on ne peut pas rendre publique.

Pourtant, en 2015, on a adopté une loi qui permet maintenant aux provinces de rendre cette information publique. L’Alberta a son propre registre national de délinquants sexuels ou registre public de délinquants sexuels. L’Ontario rend cette information publique. Le Code criminel a été modifié pour permettre aux provinces de rendre cette information publique.

Pourquoi affirmez-vous que cette information ne peut pas être rendue publique, alors que la loi le permet?

M. Gagnon : L’information dans la base de données ne peut pas être publique. Toutefois, si une personne est reconnue coupable d’une infraction, cette information se trouve dans une autre base de données. Les informations contenues dans la base de données du Registre national des délinquants sexuels ne peuvent pas être rendues publiques.

Le sénateur Boisvenu : Cela revient à ce que je disais plus tôt : cette information peut être consultée seulement par un policier, normalement un policier par station de police. Ce n’est pas tout le monde qui peut y avoir accès.

M. Gagnon : N’importe quel enquêteur au Canada qui mène une enquête sur un crime de nature sexuelle peut faire une demande.

Le sénateur Boisvenu : Il peut donc faire une demande.

Le sénateur Forest : Je vais continuer dans la même veine que le sénateur Dalphond.

Est-ce que cela veut dire que si, par exemple, dans votre base de données, vous preniez une photo... Si vous montiez un catalogue de tatouages qui ne sont pas associés au délinquant, pourriez-vous montrer l’illustration sans que l’individu y soit associé et ensuite, cela peut renvoyer à votre base de données, un peu comme des empreintes digitales?

M. Gagnon : Légalement, non.

Le sénateur Forest : Légalement, non?

M. Gagnon : Légalement, non.

Le sénateur Forest : Avez-vous une explication pour cela? Parce que cela limite énormément la portée du registre.

M. Gagnon : L’article 16 de la loi est très clair. Aucune information contenue dans la base de données ne peut être divulguée au public. Une victime et un témoin sont des membres du public. Ils ne sont pas des policiers.

Le sénateur Forest : De votre point de vue, si la troisième recommandation de M. Lanouette était acceptée, est-ce que cela augmenterait l’efficacité du registre par rapport à l’identification dans le cadre d’une enquête?

M. Gagnon : Nous pensons que c’est une excellente recommandation, oui.

Le sénateur Forest : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Busson : À titre de précision, revenons sur cette partie de la loi qui porte sur la prévention. Évidemment, dans notre régime — et c’est heureux —, on ne peut pas simplement arrêter qui que ce soit dans la rue pour lui demander qui il est. Cependant, dans les circonstances décrites par le sénateur Boisvenu, si une personne devait être signalée par une autre, on la trouverait dans la base de données dès la publication de son nom, et ainsi de suite. Ne serait-ce pas là un élément préventif du projet de loi?

M. Gagnon : Je peux confirmer que nous recevons des demandes de renseignements sur des délinquants enregistrés dans notre base de données, de sorte que, si un délinquant est arrêté, il est possible de consulter notre base de données, et les renseignements peuvent être communiqués à n’importe quel enquêteur à cette fin.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup.

Le président : Cela nous amène à la fin d’une excellente série d’échanges et de questions avec chacun d’entre vous.

Je tiens à vous remercier, ainsi que les membres du comité, de vous être joints à nous et d’avoir pris tout ce temps. La prochaine fois, vous ferez peut-être de plus longs discours pour réduire le nombre de questions qui vous seront posées, mais permettez-moi de dire que cela nous a été extrêmement utile et que le comité vous en est très reconnaissant.

Chers collègues, nous allons passer au deuxième groupe d’aujourd’hui. Nous accueillons en personne Benjamin Roebuck, ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, du Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels. Soyez le bienvenu, monsieur Roebuck. Je dois préciser à mes collègues que j’ai indiqué à M. Roebuck qu’il pourrait prendre jusqu’à 10 minutes pour sa déclaration liminaire, puisqu’il est notre seul témoin. Il nous a dit qu’il ne parlerait que pendant sept minutes et demie. Nous aurons donc accueilli un nombre incroyable de témoins qui n’auront pas utilisé tout leur temps de parole. De toute façon, monsieur Roebuck, nous allons déclencher le chronomètre.

Vous avez la parole.

Benjamin Roebuck, ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels : Merci. Oui, j’ai entendu dire que le secret pour réussir aujourd’hui consiste à commencer par parler longtemps. Cela étant, si je dépasse les 10 minutes, vous pourrez bien sûr m’arrêter.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je suis heureux de vous revoir. J’ai hâte de discuter du projet de loi S-12.

Nous sommes présents aujourd’hui sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. Voilà un point de départ important. En tant que colonisateur blanc, je sais qu’il ne m’appartient pas de définir ce que veut dire la réconciliation ni d’établir ce qu’elle nécessite, car ce n’est pas moi qui ai subi un préjudice. Je respecte le leadership, la force et la sagesse des collectivités autochtones et j’offre humblement toute ma gratitude à ceux qui me jugent digne de la réconciliation.

Le mois dernier, j’ai réfléchi à l’absurdité que serait l’idée d’essayer de parvenir à une réconciliation sans les peuples autochtones. Sans écoute, il n’y a pas de justice. Et pourtant, le système de justice continue de faire cette erreur. Il tente encore de faire en sorte que justice soit faite, mais sans réellement écouter les peuples qui ont subi des préjudices. Il prend des décisions en leur nom sans les consulter, présume de ce qui serait le mieux pour eux et leur rappelle constamment que ce n’est pas leur procès, que le procureur de la Couronne n’est pas leur avocat et que les droits qu’ils pensaient avoir ne sont pas contraignants.

Pour les survivants autochtones qui communiquent avec notre bureau, c’est ce à quoi ressemble le colonialisme. Le système de justice pénale s’approprie la souffrance des victimes et des survivants.

Depuis que le projet de loi S-12 a été déposé, notre équipe entend les témoignages des survivants de violence sexuelle de partout au Canada à propos de leurs interactions avec le système juridique — un terme que j’entends à répétition depuis des années parce que bon nombre de survivants refusent d’appeler cela un système de justice. En tant qu’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels et en tant qu’être humain, je fais de mon mieux pour être optimiste et essayer d’inspirer les gens, car je crois réellement que nous pouvons choisir de changer notre approche et faire mieux.

Mais pour l’instant, le poids de ces conversations avec les survivants me pèse. Nous devons faire mieux. S’il vous plaît.

[Français]

Je suis satisfait du projet de loi S-12. S’il est adopté, deux mesures permettront de renforcer la mise en œuvre de la Déclaration canadienne des droits des victimes. Je me concentrerai aujourd’hui sur les interdictions de publication et sur la prestation de renseignements après la détermination de la peine.

Bien qu’elles visent à protéger les victimes d’actes criminels, les interdictions de publication ont eu des conséquences inattendues.

De nombreuses victimes souhaitent que leur identité soit protégée. Par contre, d’autres subissent un préjudice lorsque des interdictions sont imposées sans leur consentement ou sans qu’elles le sachent.

[Traduction]

Vous avez entendu les témoignages de survivants et de défenseurs des droits des victimes, et nous appuyons les propositions qui ont été présentées dans le cadre de l’initiative « Ma voix, mon choix ». Les survivants subissent un préjudice quand le système de justice pénale porte atteinte à leur identité. En outre, il existe des obstacles complexes pour faire lever une interdiction de publication. Nous avons entendu des victimes qui ont été humiliées ou qui se sont senties trahies lorsqu’elles ont appris que la volonté du délinquant l’emportait sur leur demande visant à faire lever une interdiction. Cela veut dire que le délinquant et son avocat peuvent s’opposer à ce que le survivant demande à utiliser son propre nom.

Le projet de loi S-12 permettrait de veiller à ce que les victimes soient consultées avant qu’une interdiction de publication soit ordonnée. Il s’agit d’une grande étape. Parallèlement, d’après les préoccupations que nous avons entendues de la part des survivants, nous croyons que ce processus devrait reposer sur le principe du consentement éclairé. Les avantages et inconvénients des interdictions de publication doivent être expliqués aux victimes avant que l’interdiction soit ordonnée, et on devrait leur fournir des ressources qui expliquent leurs options et leurs droits. Comme les victimes n’ont pas toutes le même droit à des conseils juridiques indépendants dans toutes les administrations, la moindre chose que nous pouvons faire est de leur donner des ressources.

Notre bureau a déjà recommandé qu’une procédure claire sur la levée des interdictions de publication soit ajoutée au Code criminel. Nous sommes donc heureux de voir cette mesure dans le projet de loi S-12. Celle-ci exigerait toujours que la victime assiste à l’audience devant un juge. Je tiens à souligner que le pouvoir judiciaire est extrêmement pénible et stressant pour un grand nombre de victimes appelées à fréquenter les prétoires. Nous recommandons qu’un processus administratif ex parte simplifié soit élaboré pour les cas où il n’y a qu’une seule victime ou d’autoriser l’instruction d’une demande par un juge de paix.

S’il est adopté, le projet de loi S-12 exigera que le juge chargé de déterminer la peine demande au procureur si des mesures raisonnables ont été prises pour vérifier si la victime souhaite recevoir des renseignements sur la peine et son exécution. Le projet de loi prévoit aussi l’ajout d’une case dans le formulaire de déclaration de la victime utilisé lors de la détermination de la peine. Cela peut sembler insignifiant, mais il s’agit d’une avancée majeure dans le cadre de l’accès aux droits des victimes, que j’ai cerné comme étant l’une des principales priorités de mon mandat de trois ans.

À l’échelon fédéral, le Service correctionnel du Canada et la Commission des libérations conditionnelles du Canada permettent déjà aux victimes de s’inscrire pour obtenir de l’information, et au cours des dernières années, ils ont créé un portail sécurisé en ligne pour diffuser de l’information aux victimes. Ce système peut fournir des notifications automatiques, des renseignements sur les droits des victimes, sur les transfèrements des détenus, sur la justice réparatrice, sur les audiences de libération conditionnelle et sur les dates de libération. Les victimes ont de nombreuses occasions de soumettre des déclarations dans lesquelles elles peuvent faire part de leurs préoccupations en matière de sécurité ou d’autres points de vue qu’elles voudraient voir pris en compte. Des instructions claires sont aussi publiées sur la façon de participer aux audiences de libération conditionnelle. Toutefois, si les victimes ne s’inscrivent pas, elles n’auront jamais de nouvelle du système et personne ne les informera des transfèrements, des audiences de libération conditionnelle ou de la libération de leur agresseur.

Il s’agit d’une source de plainte importante à notre bureau. À l’heure actuelle, seulement 27 % des délinquants purgeant une peine de ressort fédéral ont des victimes inscrites. Avant le projet de loi S-12, personne n’était tenu par la loi de parler d’inscription aux victimes. Les mécanismes prévus par le projet de loi comblent donc une grande lacune.

Je recommande l’adoption du projet de loi avec quelques modifications.

D’abord, fournir des ressources pour favoriser un consentement éclairé. Les décisions relatives aux interdictions de publication ou à la prestation de renseignements après la détermination de la peine ont des conséquences sur les survivants. Les avantages et les inconvénients devraient être présentés clairement et être accompagnés de ressources imprimées ou numériques qui contiennent de l’information supplémentaire. Le traumatisme peut entraîner une difficulté à assimiler l’information; le fait d’avoir des ressources à étudier peut améliorer la prise de décisions. Nous aimerions que des dispositions sur ce type de ressources soient ajoutées au projet de loi.

Ensuite, il faut simplifier le processus de levée des interdictions de publication. Élaborer un processus administratif pour lever les interdictions de publication sans avoir à tenir une audience devant la cour. Dans les cas simples, une demande pourrait être présentée à la Couronne afin d’obtenir la signature d’un juge ou de convoquer une réunion avec un juge de paix. Le délinquant n’aurait pas son mot à dire concernant la publication de l’identité de la victime.

Merci pour votre acquiescement de la tête. C’est important.

Enfin, il faut préciser ce qu’on entend par les mots « peine » et « exécution de la peine ». Le libellé actuel est trop vague et trop axé sur le délinquant. Les victimes ont besoin d’un langage clair pour comprendre ce qui se rapporte à elles. J’aimerais que des exemples soient ajoutés à la formule 34.2, la déclaration de la victime, afin de veiller à ce que les victimes comprennent que ce libellé inclut de l’information sur les services qui leur sont offerts, la façon de participer aux audiences de libération conditionnelle, les dates de libération et la façon de communiquer leurs préoccupations en matière de sécurité. Ces exemples devraient aussi être expliqués par le procureur dans le cadre de l’obligation d’informer le juge que le choix a été offert aux victimes.

Merci.

Le président : Merci, monsieur Roebuck. Vous avez pris un peu moins de 10 minutes, je vous en remercie.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bonjour et bienvenue. Vous avez fait une déclaration qui m’a surpris en disant que vous invitiez les victimes à s’inscrire au registre des victimes. Quels seraient les avantages de s’inscrire pour les victimes si Service correctionnel Canada ne les informe pas lors qu’ils transfèrent des criminels d’une prison à l’autre?

[Traduction]

M. Roebuck : À l’heure actuelle, la politique est mixte, de sorte que, pour les transfèrements à sécurité minimale, les victimes sont avisées à l’avance. Dans le cas des transfèrements à sécurité moyenne ou maximale, les victimes sont avisées après. Nous aimerions qu’il y ait un préavis pour tous les transfèrements afin que les gens puissent faire part de leurs préoccupations en matière de sécurité ou une mise à jour de la déclaration de la victime qui devrait être prise en considération.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Dans les cas du meurtrier de la petite Tori Stafford et du meurtrier Paul Bernardo, normalement, les familles auraient dû être informées au préalable des transferts d’un établissement à sécurité maximale à un établissement à sécurité moyenne. Elles n’ont pas été informées. C’est la même chose pour la Commission des libérations conditionnelles.

Les familles apprennent qu’il y a une audience, mais elles n’en sont pas informées auparavant. Les victimes sont laissées pour compte dans le système actuel. Vous avez un gros travail à faire. Votre prédécesseur a fait des propositions très importantes pour améliorer les droits des victimes, notamment le droit à la protection. À quel endroit protège-t-on les victimes dans ce projet de loi? Ici, on va limiter à environ 50 % le nombre d’inscriptions au registre, parce qu’on revient à ce qu’on avait en 2004. En quoi ce projet de loi est-il une avancée pour les victimes?

[Traduction]

M. Roebuck : Merci. Si les gens ne comprennent pas comment s’inscrire, ils n’entendront jamais parler d’une audience de libération conditionnelle ou de la libération de leur agresseur. C’est important.

Le projet de loi offre un mécanisme qui permet aux familles de se renseigner sur la libération conditionnelle et la mise en liberté du délinquant. On explique comment recevoir les avis. Il y a évidemment des limites, mais des progrès ont été réalisés. Toute victime d’un délinquant purgeant une peine de ressort fédéral a le droit de savoir.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Après le témoignage de M. Gagnon, on constate que c’est un registre qui est très fermé. On ne peut pas divulguer de l’information aux victimes ni au public. Alors, ma question est la même : en quoi ce registre va-t-il prévenir les crimes si l’information qui y figure ne peut pas être divulguée?

[Traduction]

M. Roebuck : Merci. Je m’excuse d’avoir mal compris tout à l’heure.

Pour ce qui est du registre des délinquants sexuels, toute loi adoptée par le Parlement à l’heure actuelle confère un statut quasi constitutionnel à la Charte canadienne des droits des victimes, et ses dispositions doivent être prises en compte dans toutes les lois. Cela soulève des questions.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Ne croyez-vous pas que ce registre devrait être ouvert aux policiers dans les régions? Ils ne peuvent pas avoir accès à ces fichiers; ils doivent faire une demande à la GRC qui va elle-même poser des questions avant de renvoyer l’information... Ce n’est pas un registre proactif et bidirectionnel. J’essaie de comprendre pourquoi le gouvernement n’ouvre pas le registre aux corps policiers dans les régions pour qu’ils puissent examiner directement l’information, comme ils le font pour le service de renseignements policier du Canada et du Québec.

Ils obtiennent tout le dossier sur le passé des criminels, alors que dans ce cas, nous sommes face à des criminels dangereux et les policiers ne peuvent même pas les interroger.

[Traduction]

M. Roebuck : Oui. Je pense qu’il est possible d’explorer ce à quoi ressemblent les droits des victimes à la protection par rapport au registre. Je pense aussi au droit à l’information sur l’état d’une enquête. Je suis désolé; je me suis concentré davantage sur les autres éléments.

Le sénateur Boisvenu : Merci.

Le président : Monsieur Roebuck, la sénatrice Busson est la marraine du projet de loi au Sénat.

La sénatrice Busson : Merci, monsieur Roebuck, d’être ici. Merci, monsieur le président.

Il est intéressant de constater que dans votre exposé — et je vous en remercie — vous avez défendu avec vigueur les victimes. Je vous en suis très reconnaissante. Vous avez mentionné que bon nombre des personnes que vous rencontrez appellent le système « système juridique » plutôt que « système de justice ». Je pense que cela en dit long sur les tensions avec lesquelles nous devons tous composer.

J’aimerais vous poser une question au sujet de la Charte canadienne des droits des victimes. Vous avez parlé de son statut dans le cadre juridique avec lequel nous composons tous. À votre avis, la tension entre les droits des victimes et les droits des délinquants semble être au cœur de la question dont nous sommes saisis aujourd’hui.

Pensez-vous que le projet de loi S-12 établit un meilleur équilibre en ce qui concerne cette tension entre les deux entités et leurs droits en vertu du système que nous appelons le « système de justice »?

M. Roebuck : Merci. Quelle excellente question. Je pense parfois qu’il y a de la tension et que parfois il n’y en a pas. Souvent, un meilleur accès aux droits des victimes n’entre pas en conflit ou n’interfère pas avec les droits des délinquants. Je pense parfois que l’hypothèse est que c’est toujours le cas.

À mon avis, l’une des choses que j’aime dans le projet de loi, c’est l’ajout d’un élément concernant l’inscription des victimes pour recevoir de l’information. À l’heure actuelle, le registre des délinquants sexuels n’est pas un outil que les victimes peuvent utiliser. En réintroduisant cet outil ou en répondant aux commentaires de la Cour suprême à ce sujet, je suis heureux qu’une mesure que les victimes peuvent utiliser ait été incluse dans le même projet de loi. Cela peut sembler étrange, mais en fait, pour les victimes de violence sexuelle grave relativement à un délinquant purgeant une peine de ressort fédéral, elles peuvent participer de façon significative à un système et obtenir du soutien, de l’information, faire part de leurs points de vue et toutes ces choses, ce qui améliore le statut des victimes d’actes criminels.

La sénatrice Busson : Merci.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Bonjour. C’est votre troisième comparution devant nous depuis le mois de janvier, c’est-à-dire depuis que vous êtes en poste.

Vous voulez proposer un processus beaucoup plus simple afin d’éliminer l’interdiction de publication. L’organisme My Voice, My Choice a aussi suggéré d’inclure dans le Code criminel un article qui dirait que le fait pour une victime de rendre ces informations publiques ne constitue pas une violation de l’interdiction de publication. Que pensez-vous de cette suggestion qui vient de ces groupes qui représentent les victimes?

[Traduction]

M. Roebuck : Je suis d’accord pour dire qu’il est absurde qu’une victime soit accusée de raconter sa propre histoire, de raconter sa propre expérience et de révéler son identité. C’est une forme continue de violence qui permet à l’agresseur de continuer à réduire la victime au silence et à la marginaliser. Je pense que cela explique en partie pourquoi les taux de signalement sont si bas au Canada.

Les survivants à qui nous avons parlé ont déployé beaucoup d’efforts pour s’y retrouver dans le système juridique. Nous avons entendu à maintes reprises des gens dire que si elles avaient le choix, elles ne recommenceraient pas. Si j’étais agressé de nouveau, je ne le signalerais pas. C’est un problème.

Cet élément des ordonnances de non-publication fait partie du casse-tête selon lequel l’identité des gens est la chose la plus sacrée. Il faut la protéger.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Suivez-vous l’expérience québécoise actuelle, comme les projets pilotes de tribunaux spécialisés en matière de violence familiale et de violence entre partenaires intimes, où l’on promet de créer un service d’accompagnement des victimes, d’avoir toujours le même procureur au dossier, d’offrir un service de suivi de l’information? Vous avez affirmé qu’il fallait plus de ressources pour informer les victimes et comprendre ce qui se passe. Qu’est-ce que c’est une interdiction de publication? Est-ce que votre bureau suit l’expérience québécoise — qui me semble intéressante — sur ces questions?

[Traduction]

M. Roebuck : Il y a une innovation incroyable au Québec en ce qui concerne les droits des victimes. La plus récente version révisée de la déclaration provinciale des droits des victimes d’actes criminels a donné un meilleur accès aux services aux victimes et permis une offre proactive d’aide.

Nous nous sommes entretenus avec des représentants du CAVAC, de l’Association québécoise Plaidoyer-Victimes, ou AQPV, et de l’Université de Montréal pour en apprendre davantage. Je pense qu’il y a beaucoup à apprendre au niveau fédéral de la façon dont certains de ces éléments ont été interprétés, ce qui ouvre de nouvelles possibilités.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Vous avez aussi parlé d’un processus plus simple pour mettre fin à l’obligation... D’abord, vous recommandez que l’on précise dans le Code criminel que l’agresseur ou la personne condamnée, une fois le jugement rendu, n’est plus du tout dans la position d’empêcher une procédure pour supprimer l’ordonnance de publication.

Deuxièmement, vous parlez de procédures plus simples pour enlever l’ordonnance; pourriez-vous en dire un peu plus sur ce que vous proposez comme procédures qui seraient très simples pour les victimes?

[Traduction]

M. Roebuck : Je pense que c’est un aspect qui peut être exploré. À l’heure actuelle, un juge de paix peut prononcer une ordonnance de non-publication lors d’une enquête sur le cautionnement. Il est donc logique qu’il y ait une continuité. Il est vraiment facile de rencontrer un juge de paix au palais de justice; c’est beaucoup plus facile que d’assister à une audience. Vous pouvez contester vos contraventions et avoir une conversation privée. Je pense que nous pourrions faire un lien avec cela. Je comprends que c’est du ressort des provinces, mais je crois qu’il est important d’établir un partenariat pour trouver une solution à ce problème parce que, dans l’ensemble des provinces et des territoires, les survivants sont insatisfaits.

Je pense que si nous n’offrons pas de représentation par un avocat aux victimes d’actes criminels, elles ne devraient pas avoir besoin de représentation par un avocat pour naviguer dans le système dans lequel nous leur demandons de naviguer. Ce n’est pas juste.

La sénatrice Simons : Je veux dire à M. Roebuck pourquoi j’ai fait cette grimace. J’étais journaliste avant de devenir sénatrice, mon journal et moi avons déjà contesté une ordonnance de non-publication contre un homme accusé d’agression sexuelle contre la fille de sa petite amie. Son nom avait été interdit de publication par crainte que ce faisant son nom puisse servir à identifier la victime. Nous sommes allés plaider qu’il n’était pas une figure paternelle, mais simplement un type avec lequel sa mère couchait parfois. Lorsque nous avons contesté l’ordonnance de non-publication, son avocat s’est levé et a dit non, que nous ne pouvions pas le nommer parce qu’il serait alors en danger de renvoi sous garde. J’ai soutenu que ce n’était pas mon problème. Je pense donc que cela se produit bel et bien.

Étant donné que je suis très sensible aux questions entourant les ordonnances de non-publication, je me concentre sur le libellé du projet de loi qui ajoute la diffusion, la transmission et la publication — l’expression « rendre autrement accessible tout renseignement ». Même lorsque le ministre Lametti était ici la semaine dernière, il a signalé qu’en ajoutant ce libellé, il avait peut-être élargi plus qu’il l’aurait voulu l’éventail des personnes qui pourraient être tenues responsables. Je me demande si vous craignez que, même si le projet de loi vise à aider les victimes à se faire entendre, en élargissant la définition de diffusion et de publication pour y inclure « rendre autrement accessible », il puisse criminaliser accidentellement les victimes d’agression sexuelle, des hommes et des femmes, qui veulent parler de ce qui leur est arrivé sur Facebook, dans un contexte de conversation privée ou dans une tribune quelconque? Craignez-vous que cela puisse mener à des accusations contre les victimes qui tentent de raconter leur propre histoire?

M. Roebuck : J’aimerais beaucoup répondre à ce que vous avez dit. Des survivants m’ont dit que, souvent, l’ordonnance de non-publication — l’expérience vécue — ne fait que protéger l’identité du délinquant et ne sert pas les intérêts de la victime. Je pense que la Charte canadienne des droits des victimes parle de tenir compte de la vie privée des victimes, et je pense que nous avons fait fausse route.

Il y a des gens qui veulent une ordonnance et qui devraient avoir cette possibilité. Pour les enfants et les personnes vulnérables qui ont besoin de cette protection, elle devrait certainement être disponible. Pour les gens qui ne veulent pas en parler, qui ne veulent pas qu’on en parle, ce devrait être disponible.

Pour les personnes qui le veulent, nous avons entendu des survivants nous demander en quoi cela diffère de la violence conjugale. Il serait ridicule de dire que je ne peux pas parler de mon partenaire qui m’a maltraité, et pourtant, lorsqu’il y a violence sexuelle, c’est le silence et nous ne pouvons pas en discuter. Je pense que cet élément est important.

Pour ce qui est de l’expression « rendre autrement accessible », je pense que c’est très préoccupant, parce que c’est très large. Il est certain que les juges utiliseraient leur pouvoir discrétionnaire et qu’il y aurait toute une jurisprudence qui comprendrait une meilleure définition, mais ce que nous avons entendu de la part des survivants, c’est qu’ils ne veulent pas que l’on fasse intervenir la jurisprudence et des audiences, et que ce pourrait être plus simple.

En ce qui concerne le consentement éclairé, pendant que nous y sommes, nous avons entendu des survivants qui sont très préoccupés par le fait que des gens retireraient ou refuseraient une ordonnance de non-publication sans tenir compte des conséquences à long terme de l’accessibilité de cette information en ligne pour le reste de leur vie. C’est là où nous voulons vraiment que les avantages et les inconvénients soient présentés dans la décision.

La sénatrice Simons : Vous donnez un excellent exemple. Si un mari est accusé d’avoir agressé sexuellement sa femme, l’ordonnance de non-publication s’appliquerait à lui aussi. S’il s’agit de votre conjoint, si vous l’identifiez comme conjoint, alors vous identifiez clairement la victime. Il y a souvent des conséquences imprévues lorsque ces ordonnances ont pour effet de protéger le délinquant et non le survivant.

M. Roebuck : Lorsque je réfléchis à la situation des droits des victimes, je constate qu’elle a été très progressive. Nous avons ajouté quelque chose ici et là, un peu à la fois. Si vous prenez un peu de recul et regardez ce que nous avons construit, ce n’est peut-être pas ce que nous avions l’intention de construire si nous adoptions une approche stratégique. Je pense que les ordonnances de non-publication et les répercussions sur les survivants sont l’une des choses que nous en sommes venus à accepter et à normaliser d’une façon ou d’une autre, alors qu’il n’est vraiment pas logique de réduire au silence les survivants qui disent vouloir être entendus. Les survivants à qui nous avons parlé ont souvent dû investir des années de leur vie pour faire lever l’ordonnance de non-publication. C’est très malheureux et triste.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup d’être ici, monsieur Roebuck.

Je vous remercie d’avoir mentionné aujourd’hui que, la semaine dernière, nous avons entendu une litanie de plaintes très légitimes au sujet de la façon dont les victimes sont désavantagées par la manière dont les ordonnances de non-publication sont traitées. Nous avons entendu parler de tout, des processus inadéquats aux victimes informées par la Couronne au sujet des ordonnances de non-publication aux victimes innocentes qui contreviennent à une ordonnance dont elles ne savaient pas qu’elle était en place. De plus, en parlant de l’un des amendements que vous avez mentionnés et que vous aimeriez voir, et nous avons également entendu parler des coûts que les victimes doivent assumer si elles veulent que l’ordonnance soit révoquée ou modifiée. Je me demande si vous avez reçu des plaintes de victimes au sujet du processus actuel d’ordonnance de non-publication, et si vous avez une estimation à nous donner quant au nombre. Si vous ne recevez pas de plaintes au sujet de ce qui semble être un véritable problème pour les victimes, pourquoi pensez-vous qu’il en est ainsi?

M. Roebuck : Je vous remercie de cette question très importante. Nous recevons évidemment de nombreuses plaintes au sujet des ordonnances de non-publication. Nous sommes en train de modifier notre logiciel de gestion des cas afin de pouvoir mieux extraire des données de nos plaintes. À l’heure actuelle, il est difficile de compiler les chiffres sans passer beaucoup de temps à examiner manuellement les cas. Cependant, dans le cadre de la conversation en cours, nous avons enregistré de nombreuses plaintes. Étant donné que le sujet a été abordé, des gens ont communiqué avec notre bureau, nous avons tenu des réunions et, dans la plupart des cas, les gens voulaient que ce soit inscrit comme une plainte. Une partie de notre processus de règlement des plaintes consiste à nous présenter devant le comité et à défendre ce que nous avons entendu et à dire que cela n’a pas de sens, que cela nuit aux gens, aux survivants, et que c’est inacceptable.

Nous voulons élargir la perspective de notre travail pour nous interroger plus généralement sur l’expérience des victimes de violence sexuelle dans le cadre du système judiciaire au Canada, étant donné que l’on s’est plus ou moins fait à l’idée que c’est terrible. Je ne sais pas comment on en est arrivé à leur dire que ce sera difficile et que ce sera contraire à leurs intérêts. On normalise cette idée sans prendre de recul et sans se demander comment fonctionne la justice. Qu’est-ce qu’elle exige au juste? Comment bâtir un système davantage axé sur les victimes? Il est possible de tenir compte des traumatismes, et il est temps de changer. J’ai l’impression que nous commençons à aller dans la bonne direction.

On nous a parlé, dans le cadre du processus en cours, de beaucoup de choses concrètes et tangibles qui seraient faciles à corriger ou à changer et qui amélioreraient la situation, quel que soit le type de victimisation.

La sénatrice Batters : C’est très bien vu. En effet, au lieu de dire aux gens que ce sera terrible, pourquoi ne pas essayer de leur donner le sentiment de reprendre le contrôle de leur vie et d’être vraiment moins victimisées? Elles ont déjà été victimisées, et il faudrait faire le maximum pour qu’elles ne le soient plus. Vous faites effectivement votre travail en essayant de trouver des façons de le faire.

La semaine dernière, il a été question du fait que cela pouvait être considéré comme une publication — on n’est plus à l’époque où cela ne pouvait être que dans un journal, à la télévision ou quelque chose de ce genre —, et on nous a dit que la publication pourrait inclure, par exemple, des courriels et des messages dans les médias sociaux, dans lesquels la victime raconterait sa propre histoire de victimisation et d’agression sexuelle.

Je me demande si cela ne risque pas de traumatiser davantage la victime.

M. Roebuck : Il est parfois utile de faire un exercice d’équivalence. On examine le problème en l’inscrivant dans un autre contexte social. Par exemple — désolé pour les gens des RH du gouvernement —, le système de paye Phénix est problématique. Si, pour une raison ou une autre, il était illégal d’en parler, ce serait totalement absurde. En quoi est-il plus personnel, plus abusif et plus important que les gens aient la possibilité de parler de ce qu’ils ont vécu?

D’après ce qu’on nous a dit, quand les victimes peuvent obtenir la levée de l’interdiction de publication, elles peuvent souvent créer des liens avec d’autres personnes — d’autres victimes — qui deviennent des sources de soutien. Dans certains cas, les victimes se sont rendu compte qu’elles avaient eu le même agresseur quand elles ont commencé à se parler de leur expérience.

Le système actuel des ordonnances de non-publication a des conséquences pour les victimes et pour la sécurité publique.

La sénatrice Batters : Pour revenir à ce dont je parlais, craignez-vous, compte tenu du libellé du projet de loi, que les courriels et les messages sur les médias sociaux puissent être inclus dans la notion de publication?

M. Roebuck : Je pense qu’il faut arrêter de se demander ce qui compte et ce qui ne compte pas et vraiment respecter les victimes.

Le sénateur Klyne : Vous avez énuméré des amendements que j’ai essayé de suivre, mais je me suis un peu perdu en route. Il y a trois éléments que je voudrais vous demander d’examiner concernant les amendements recommandés.

Je vais simplement poser trois questions, et vous pourrez me dire ce que vous en pensez. Les amendements que vous recommandez permettent-ils de donner plus de voix au chapitre aux victimes dans le système de justice pénale? Je suppose que je peux vous demander si c’est votre principale considération. Dans vos recommandations, y a-t-il des considérations ou des mesures de protection qui, selon vous, sont indispensables à la protection des droits des victimes et qui ne compromettraient pas l’efficacité du système de prévention et d’enquête appliqué aux crimes de nature sexuelle?

Enfin, compte tenu de la nécessité de respecter la Charte — et je suis sûr que vos recommandations s’inscrivent dans un cadre respectueux de la Charte —, estimez-vous que vos amendements tiennent compte des principes de la Charte? Y a-t-il des recommandations que vous aimeriez faire valoir ou souligner ou auxquelles vous tenez particulièrement? Y a-t-il des éléments que vous auriez pu omettre ou que vous voudriez vraiment consolider?

M. Roebuck : Je vous remercie de me donner l’occasion de parler de la situation dans son ensemble. Trois choses me viennent à l’esprit.

Il est très clair pour les victimes qui ont communiqué avec nous — je crois que des témoins ont expliqué au comité que 99 % des personnes inscrites au registre des délinquants sexuels sont des hommes et que, dans la majorité des cas, les victimes sont des femmes. Quand on examine la Charte et les droits accordés aux accusés, qui sont principalement des hommes, on constate que des droits équivalents ne sont pas accordés aux victimes de violence sexuelle, qui sont principalement des femmes. À l’heure actuelle, même la Charte des droits des victimes ne fait pas obligation de fournir automatiquement aux victimes des renseignements sur leurs droits. Quand on n’informe pas un accusé — si on ne l’informe pas de ses droits —, il peut y avoir non-lieu. Il n’existe toujours pas de loi exigeant que les victimes soient informées de leurs droits.

À cet égard, nous nuisons aux victimes d’actes criminels. On nous a parlé des conséquences : les victimes consacrent énormément de temps et d’argent à essayer de comprendre le système judiciaire, mais personne ne leur dit qu’elles ont droit à quatre heures de conseils juridiques indépendants dans le cadre d’un programme privé destiné aux victimes d’agressions sexuelles. Elles auraient pu ainsi gagner beaucoup de temps et s’épargner beaucoup de souffrance. Elles estiment que c’est un échec dans l’ensemble — et cela croise la sphère provinciale — en termes d’accès aux ressources thérapeutiques offertes aux victimes, surtout en ce qui concerne les effets de l’interdiction de publication. Cela déclenche le besoin de parler à un thérapeute et cela fait tout remonter à la surface.

Ce projet de loi a un effet très intéressant, qui n’est peut-être pas évident : il introduit et consolide un mécanisme nouveau dans le Code criminel, à savoir l’obligation répétée de demander aux victimes ce qu’elles souhaitent ou du moins d’obtenir leur avis. C’est très facile à intégrer à chaque étape du processus. S’il y a obligation de participation selon la Charte des droits des victimes et que la participation et la consultation sont en fait une obligation de l’État et non des victimes, il faut prévoir des possibilités effectives à toutes les étapes du système de justice pénale pour respecter la Charte.

Le sénateur Klyne : Est-ce une autre recommandation?

M. Roebuck : Absolument, oui.

Le sénateur Klyne : Merci.

La sénatrice Clement : Je ne sais plus trop quoi demander.

Je vous remercie de votre exposé préliminaire et de votre façon de reconnaître le territoire et le travail que nous devons faire. C’était très émouvant.

Je vais revenir à votre exposé. Vous avez formulé trois recommandations. Connaissez-vous le mémoire du FAEJ et le groupe d’organisations? L’avez-vous lu — au sujet de la justice, ainsi que de la sécurité et l’autonomie des groupes de femmes?

M. Roebuck : Je crois que oui.

La sénatrice Clement : Non, je pose simplement la question, parce que certaines de vos suggestions semblent cadrer avec ce que le rapport recommande.

Je vais vous poser une question au sujet de votre troisième recommandation — vous avez parlé de l’article 34.2. Pourriez-vous approfondir? Nous avons des discussions au sujet des ressources, mais je pense que vous parlez de services aux victimes ou d’exemples. Quelle forme cet amendement prendrait-il?

M. Roebuck : Magnifique. Concernant le forum fédéral national sur les déclarations des victimes, le projet de loi S-12 ajoute une petite case à cocher qui se lit comme suit : « J’aimerais recevoir des renseignements relativement à la peine imposée au délinquant et à l’exécution de celle-ci. » Il est étonnant qu’il existe un mécanisme aussi simple pour le demander, mais je ne suis pas sûr que les gens sachent ce que cela signifie. Il n’est certainement pas clair que, si je ne coche pas cette case et si je ne dis pas que je veux le savoir, personne ne m’informera d’une audience de libération conditionnelle.

Des victimes qui ont participé à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées communiquent avec notre bureau. Elles sont actives depuis des années et ne savaient absolument pas qu’elles auraient pu s’inscrire pour obtenir les renseignements disponibles. Elles le découvrent après de multiples audiences et libérations. C’est inadmissible. Mais c’est très facile à régler.

Le projet de loi vise à combler une lacune en permettant explicitement le transfert des coordonnées des victimes entre les tribunaux et le SCC, quand celles-ci y consentent, afin de faciliter le processus d’inscription. Nous transférons des renseignements sur tous les délinquants purgeant une peine de ressort fédéral. Je suis convaincu qu’il y a moyen de transférer les coordonnées des victimes quand elles demandent ce service.

J’aimerais que les victimes sachent clairement ce que signifie cette case à cocher.

La sénatrice Clement : Comment cela pourrait-il être clarifié?

M. Roebuck : Je pense que ce sont des exemples clairs. Les gens ne comprennent pas...

La sénatrice Clement : Prévoir un formulaire?

M. Roebuck : Tout de suite après la peine et son exécution, on pourrait indiquer, entre parenthèses, « par exemple » et en donner quelques-uns qui seraient importants pour les victimes. J’ai dit que le libellé actuel est très axé sur le délinquant. On ne parle que du délinquant, de sa peine et de la façon dont elle sera exécutée, mais il n’est pas question de participation, de sécurité ou de protection des victimes. Je crois que ces préoccupations sont également au cœur de ce que veulent les victimes.

La sénatrice Clement : D’accord, merci.

Le sénateur D. Patterson : Je remercie le témoin. Je m’interrogeais sur le premier amendement que vous avez recommandé et qui, si j’ai bien compris, vise à prévoir des ressources pour appuyer le consentement éclairé. Pourriez-vous me dire quelle forme cela prendrait dans une loi?

M. Roebuck : Je pense que cela pourrait rester ouvert et que les provinces et les territoires pourraient décider ce qu’ils voudraient fournir. Dans le cas d’un délinquant sous responsabilité fédérale, il y a évidemment des ressources fédérales.

Des victimes nous ont dit qu’elles consacrent beaucoup de temps à essayer de trouver de l’information au point que certaines ont pris le temps de créer des guides pour les autres, parce que personne dans le système judiciaire ne leur fournit de documentation ou de renseignements, par exemple, sur ce qui se passe à telle ou telle audience ou sur la possibilité d’être entendue à telle ou telle audience.

Il serait donc important d’avoir quelque chose qui décrit clairement le processus. J’ai parfois l’impression que les ressources fournies aux victimes — et c’est très évident quand on prend connaissance des plaintes déposées à notre bureau — décrivent le scénario le plus optimiste, alors que c’est rarement le cas. Il faut présenter tel document dans un délai de 30 jours, mais vous avez reçu un préavis de 15 jours seulement. Vous supposez donc que vous n’avez pas le temps de le présenter, mais il y a peut-être une certaine latitude, à moins que cela nécessite une exception et, dans ce cas, il faut communiquer avec telle personne. Nous pouvons faire mieux concernant ces exceptions, comme pour les détails fastidieux de la démarche dans la vraie vie. Je pense que des ressources à l’intention des victimes au sujet des ordonnances de non-publication devraient être fournies à toutes celles qui doivent faire ce choix. C’est une mesure simple.

Chaque fois qu’un de mes enfants se cogne contre un mur à l’école, nous recevons une petite trousse d’information sur les traumatismes crâniens. Dans quelle mesure les difficiles décisions concernant votre identité et votre protection sont-elles plus graves? Et nous ne fournissons pas de conseils juridiques ni de services d’avocat. La Couronne affirme souvent : « Je ne suis pas votre avocat. » Cela mérite, cela vaut, de l’information.

Le sénateur D. Patterson : Par « ressources », vous ne voulez pas dire de l’argent. Vous voulez dire, si je comprends bien, des lignes directrices ou des explications du processus qui soient faciles à comprendre, quelque chose comme cela, n’est-ce pas?

M. Roebuck : Des ressources imprimées ou numériques qui fournissent des renseignements plus détaillés. Le simple fait d’entrer dans une salle d’audience ou de parler à un procureur de la Couronne peut être un processus accablant. Il est difficile de comprendre tout ce qui a été expliqué. Il serait donc très utile d’avoir accès à des renseignements précis.

Le sénateur D. Patterson : D’accord, merci.

Le président : Une question de ma part, monsieur Roebuck. Vous avez parlé tout à l’heure de la possibilité de passer d’une simple consultation à un consentement éclairé. Vous y avez fait allusion quand vous avez parlé de la Charte des droits des victimes, mais permettez-moi de revenir à l’idée du consentement éclairé.

Actuellement, il semble que le juge demande au procureur s’il a pris des mesures raisonnables pour consulter la victime au sujet de l’ordonnance de non-publication, etc. Pourriez-vous nous expliquer le processus? L’un des soucis est que le procureur pourrait ne pas trouver la victime, du moins dans le délai dont il dispose pour informer le juge. Je comprends bien ce que vous dites au sujet du consentement, entre autres parce que nous avons beaucoup parlé de donner plus de pouvoir aux victimes à l’égard de quelque chose qui leur tient beaucoup à cœur. La consultation ne ressemble guère à un quelconque « pouvoir », si c’est ainsi qu’il faut l’appeler. Mais ne risque-t-on d’avoir des problèmes si on le fait sans se souvenir des manœuvres qui ont cours dans une salle d’audience et du processus que les différents participants doivent suivre? Qu’en pensez-vous?

M. Roebuck : C’est une excellente question. Il est normal, dans un contexte de traumatisme élevé, de se réfugier dans un endroit sûr ou d’adopter un comportement apathique qui nuit à la capacité de se présenter et de participer. J’appuie donc l’interdiction de publication par défaut quand on ne peut pas communiquer avec la victime. Mais il faut comprendre qu’on doit y investir des efforts.

Il y a eu un cas très intéressant au Nunavut, où un juge a suspendu une audience de détermination de la peine parce que, après enquête judiciaire visant à déterminer si la victime avait eu ou non la possibilité de présenter une déclaration — prévue dans le Code criminel —, il n’était pas convaincu qu’on y avait veillé. Il a demandé qu’on aille voir la victime et qu’on lui rende compte une fois que ce choix aurait été proposé à celle-ci. C’est important et cela crée un précédent. Il ne suffit pas de dire qu’on a fait de son mieux et qu’on n’a pas pu joindre la victime.

C’est aussi la raison pour laquelle il est très important, si la mesure est imposée par défaut, que le processus soit simple et clair lors des comparutions ultérieures. Si une mesure concernant votre identité a été prise, il y a lieu de vous en informer. La plupart des rapports de police contiennent des coordonnées, mais pas toujours très exactes.

Le président : Merci. C’est très instructif. Je comprends. Nous pouvons maintenant faire un bref deuxième tour. M. Roebuck a pris neuf minutes pour son exposé initial.

La sénatrice Simons : Certains parlent de « survivantes ». Mais il y a parfois des cas où la victime est décédée. Quelles sont les mesures de soutien prévues pour les membres de la famille d’une victime décédée des suites de l’attaque ou d’autre chose? Y a-t-il dans la loi une disposition qui permettrait à un membre de la famille de faire lever une interdiction de publication après le décès d’un être cher?

M. Roebuck : Quelle excellente question. Vraiment. Je ne vois pas de disposition dans ce sens dans la loi actuelle. Ce serait une excellente mesure à envisager. Je suis sûr que certaines familles sont aux prises avec ce problème.

La sénatrice Simons : Je veux dire, pas seulement les victimes directes, mais ceux et celles qui survivent à un...

M. Roebuck : Absolument, et les membres de la famille. Pour répondre à votre question, il se trouve que, aujourd’hui même, nous avons rencontré une famille qui a été victime d’un homicide multiple, et l’intervention de la police a entraîné la mort de l’auteur de l’homicide. Lorsque l’agresseur décède, l’aide offerte à plus long terme aux victimes est très lacunaire parce que tout, dans le système, est lié au délinquant. Même notre programme d’aide aux victimes est axé sur le délinquant. En l’occurrence, personne n’avait l’obligation d’informer cette famille de l’existence d’un fonds d’indemnisation pour les familles d’un enfant assassiné. Ce n’est pas un an plus tard qu’il faut offrir cette aide à une famille aux prises avec une perte financière et la nécessité de prendre un congé professionnel pour faire face à la situation. On nous a parlé de frais de thérapie de 600 $ par mois après une expérience absolument horrible. Nous pouvons faire mieux.

La sénatrice Simons : Merci, et merci de ce que vous faites.

La sénatrice Busson : Pendant que vous répondiez à la question de ma collègue, je me suis dit que j’aimerais avoir votre avis sur tous les problèmes que vous avez décrits. Beaucoup de ces problèmes me semblent découler du fait que l’administration de la justice relève des provinces et non du fédéral. Je comprends que vous êtes un ombudsman fédéral, mais serait-il avantageux d’intégrer davantage ce genre de responsabilités? Certaines provinces prennent des mesures remarquables — vous avez parlé du Québec — tandis que d’autres, malheureusement, n’en prennent pas autant. Y a-t-il place à une plus grande intégration? Avez-vous envisagé cette perspective?

M. Roebuck : Oui, et je ne sais pas si ma réponse est conforme à la loi, mais je pense que l’administration de la justice, telle que nous la définissons dans la Constitution, peut bien relever des provinces, mais que les responsabilités sont différentes. Le Code criminel est fédéral. Toutes les dispositions de la Charte canadienne des droits des victimes qui sont intégrées dans le Code criminel relèvent de notre responsabilité, et il incombe au fédéral de veiller à ce que, dans le cadre du processus de justice pénale — et pas seulement dans la façon dont les provinces l’organisent, mais dans les dispositions fondamentales de la Charte — les victimes soient au centre, n’est-ce pas?

C’est injuste. Je crois avoir parlé, à l’occasion d’une autre comparution devant le comité, de parents qui avaient eu l’impression d’être une nuisance dans la salle d’audience pendant un mois après le meurtre de leur fille et qui m’ont dit : « Nous aurions été mieux traités et accueillis chez Walmart que dans cet endroit où on nous a ignorés pendant un mois. »

Nous pouvons faire mieux, en effet.

Le président : Merci. Cela met fin à nos questions et à notre conversation avec vous, monsieur Roebuck.

Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie d’être venu nous voir et d’avoir répondu à nos questions de façon ouverte, franche et instructive. Chacune de vos visites devient plus précieuse pour le comité. Il s’ensuit que, bon gré mal gré, nous allons continuer à vous inviter.

Chers collègues, nous poursuivons avec notre troisième groupe d’aujourd’hui. Nous accueillons deux témoins. La première, présente ici même, est Annamaria Enenajor, avocate de la défense pénale, de la Criminal Lawyers' Association. Merci, maître Enenajor. La deuxième est Nina Funnell, créatrice et directrice de la campagne pour #LetHerSpeak/#LetUsSpeak, une invitée spéciale de l’autre bout du monde, où le décalage horaire est d’environ 12 heures, qui se joint à nous par vidéoconférence. Je vous souhaite la bienvenue, madame Funnell. C’est peut-être la première fois que vous vous joignez au comité dans le cadre de ses délibérations, et nous vous sommes reconnaissants d’avoir pris du temps pour nous malgré les inconvénients.

J’invite chacune d’entre vous à prendre la parole pendant environ cinq minutes, puis, comme nous en avons l’habitude — je crois que Me Enenajor est plus au courant que vous, madame Funnell —, nous passerons aux questions et discussions avec les sénateurs. Ils auront environ cinq minutes chacun pour discuter avec vous, comme d’habitude. Cela durera environ une heure. J’invite Me Enenajor à commencer son exposé. Vous avez environ cinq minutes, madame.

Me Annamaria Enenajor, avocate de la défense pénale, Criminal Lawyers’ Association : Merci, monsieur le président.

Je m’adresse à vous aujourd’hui au nom de la Criminal Lawyers’ Association, la plus importante association d’avocats de la défense au pays.

J’aimerais vous parler aujourd’hui des amendements proposés à certains aspects du Code criminel qui auraient une incidence sur l’inscription des délinquants sexuels dans le Registre national des délinquants sexuels. Dans l’arrêt R. c. Ndhlovu, la Cour suprême du Canada a conclu que deux dispositions du Code criminel prévoyant l’inscription automatique et permanente au Registre national des délinquants sexuels étaient inconstitutionnelles.

La Cour a estimé que la portée des renseignements personnels enregistrés, la fréquence à laquelle les délinquants sont tenus de mettre à jour leurs renseignements, la surveillance continue exercée par l’État et la menace de poursuites et d’emprisonnement nuisaient au principe de liberté au Canada. Elle a conclu que l’inscription automatique et à vie était inconstitutionnelle parce que cela avait de graves répercussions sur la vie de personnes qui n’étaient pas susceptibles de commettre d’autres infractions sexuelles.

Pourquoi commencer par cette affaire? Parce que c’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes ici aujourd’hui. Les dispositions du projet de loi visant à modifier les articles 490.012 et 490.013 du Code criminel ont directement à voir avec la conclusion de la Cour suprême du Canada sur le caractère inconstitutionnel de ces dispositions.

La Cour a conclu que la collecte de renseignements par l’État prévue par la loi sur l’enregistrement ne pouvait être justifiée que quand ces renseignements pouvaient être utilisés par la police pour prévenir les infractions sexuelles et enquêter sur celles-ci et non pour punir davantage les délinquants. Les renseignements recueillis sur des délinquants qui ne sont pas susceptibles de récidiver ne permettent donc pas d’atteindre cet objectif valable de l’application de la loi. Le fait d’assujettir des délinquants sexuels, en plus de leur peine, à l’inscription au Registre alors qu’ils ne présentent pas de risque supplémentaire de récidive ne peut être lié à l’objectif du Parlement d’aider la police à prévenir les infractions sexuelles et à enquêter sur celles-ci.

Comme l’enregistrement obligatoire des délinquants qui ne présentent pas un risque supplémentaire de récidive n’aide pas la police, il va à l’encontre des principes de justice fondamentale au motif de la portée excessive. Étant donné que les dispositions proposées aujourd’hui prévoient l’inscription automatique au Registre national des délinquants sexuels pour ceux qui ne sont pas susceptibles de commettre d’autres infractions sexuelles, elles sont exposées au même vice constitutionnel. À notre avis, le risque de portée excessive persiste dans ce projet de loi.

La loi, dans sa forme actuelle, maintient la présomption d’inscription automatique sans pouvoir discrétionnaire du juge si trois conditions sont remplies, à savoir une infraction désignée donnant lieu à une mise en accusation, une peine de plus de deux ans et le fait que la victime de l’infraction désignée était âgée de moins de 18 ans. Selon le raisonnement de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ndhlovu, pour que ces trois conditions rendent l’inscription automatique constitutionnelle, il faut que ce soit un indicateur suffisant de récidive et de risque. Ce n’est pas nécessairement le cas.

En effet, les taux de récidive chez les personnes reconnues coupables d’infractions sexuelles sont généralement faibles et varient beaucoup d’un délinquant à l’autre — à tel point que le degré de risque associé à tel ou tel délinquant ne peut être examiné qu’individuellement avec la preuve d’un témoin expert, habituellement un psychiatre ou un psychologue légiste invité à comparaître devant le tribunal.

Étant donné que le système ne permet pas ce genre d’évaluation individualisée en raison de l’inscription automatique prévue par la loi, certains délinquants reconnus coupables d’une infraction et répondant à ces trois critères pourraient être jugés à faible risque. Dans ce cas, le juge n’aurait d’autre choix que d’imposer un enregistrement obligatoire, et nous nous retrouverions où nous sommes aujourd’hui avec un arrêt Ndhlovu 2.0 de la Cour suprême du Canada en réponse à une autre contestation de cette loi pour la même raison, et rebelote dans quelques années.

Comment rendre cette nouvelle disposition plus constitutionnelle? C’est simple : y ajouter le pouvoir discrétionnaire du juge. Ce pouvoir discrétionnaire devrait toujours être en jeu dans l’évaluation visant à déterminer si un délinquant représente ou non un risque, car c’est cet élément de risque qui rend l’enregistrement constitutionnel selon la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Ndhlovu.

Je vous remercie de m’avoir permis de témoigner devant vous aujourd’hui. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

Le président : Merci, Me Enenajor. J’invite maintenant Mme Funnell à prendre la parole.

Nina Funnell, créatrice et directrice de la campagne #LetHerSpeak/#LetUsSpeak : Bonjour à tous. Je suis très heureuse d’être ici aujourd’hui. Je vous parle depuis le beau territoire des Cadigals, de la nation des Eoras, autrement dit depuis Sydney, en Australie.

Je salue tous les gardiens traditionnels des terres sur lesquelles nous nous réunissons aujourd’hui. Et je commencerai par rappeler que, en Australie, les femmes aborigènes ou insulaires du détroit de Torres sont quatre fois plus susceptibles d’être victimes de violence sexuelle que les femmes non autochtones.

Je ne suis pas avocate. Ce n’est pas la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui. Je suis ici parce que je suis une victime d’agression sexuelle. En Australie, en 2018, j’ai lancé une campagne visant à réformer des lois bâillons semblables à celle dont vous discutez aujourd’hui.

Je suis également journaliste. Mais mon histoire a commencé en 2007, quand j’ai été agressée sexuellement en rentrant de l’université. J’avais 23 ans. J’ai décidé à ce moment-là que je révélerais publiquement mon identité dans les médias pour défendre ma propre cause, et c’est à la suite de cette divulgation publique qu’on a fait un test d’ADN et qu’on en a retrouvé sur mon corps.

J’ai pu m’identifier dans les médias parce que, en Nouvelle-Galles du Sud, la province d’où je viens, pour qu’une victime puisse parler publiquement, il suffit qu’elle ait plus de 18 ans et qu’elle donne son consentement par écrit aux médias. Plusieurs années plus tard, je suis devenue journaliste de plein droit, spécialisée dans la violence sexuelle. En 2017, j’ai découvert que, en Australie, dans deux des huit administrations qu’elle compte, il n’était pas légal de faire ce que j’avais pu faire. Autrement, pour s’identifier dans les médias, il fallait demander une ordonnance ou une permission au tribunal. J’ai découvert que ce processus était extrêmement onéreux pour les victimes d’agression sexuelle. Cela leur coûtait entre 10 000 et 40 000 $ de leur poche. Cela avait aussi pour effet de les réengager dans un système qui les avait souvent traumatisées et qui exigeait encore une fois qu’elles demandent la permission de révéler publiquement leur identité. S’y ajoutait un supplément de honte, de stigmatisation et de traumatisme.

Nous savons que la violence sexuelle nous prive de pouvoir et de contrôle sur notre propre corps et sur notre propre vie. Parfois, tout ce qu’il nous reste, c’est notre histoire. Le fait d’avoir à demander la permission de s’identifier et de raconter son histoire exacerbe ce sentiment d’impuissance, de détresse et de vulnérabilité — très exactement ce qu’on a vécu pendant l’agression.

À la suite de la campagne que j’ai dirigée, les deux administrations australiennes en question ont réformé leurs lois. Je suis heureuse de dire que, chez nous, les victimes d’agression sexuelle ont toutes le droit de rester anonymes dans les médias, mais que, si elles veulent s’identifier, elles n’ont pas besoin de s’adresser au tribunal pour y être autorisées. Il suffit d’avoir plus de 18 ans et de donner son consentement par écrit aux médias.

Ces réformes ont entraîné toutes sortes d’avantages pour les victimes. On constate que de plus en plus de victimes décident, en temps et lieu, de raconter publiquement leur histoire. Comme journaliste, je leur pose toujours deux questions avant qu’elles racontent leur histoire. Je veux d’abord savoir pourquoi elles veulent s’exprimer. En général, elles me disent des choses comme : « Je veux raconter mon histoire pour sensibiliser les gens à la nécessité de l’éducation au consentement. » Ou encore : « Je veux raconter mon histoire pour sensibiliser les gens à la nécessité d’augmenter le financement pour les services de counselling et d’aide aux victimes d’agression sexuelle ou pour diverses réformes du droit. » Toutes ces réponses ont en commun un désir altruiste de réformer le processus pour que d’autres n’aient pas à vivre ce qu’elles ont vécu.

Je leur demande aussi de quoi elles ont peur en racontant leur histoire. Et j’entends sans cesse les mêmes choses : « Je suis terrifiée à l’idée qu’on ne me croira pas ou qu’on me blâmera ou qu’on me fera honte pour la violence que j’ai subie. »

Pourtant, malgré ces craintes, les victimes s’expriment de plus en plus sous leur vrai nom et, ce faisant, récupèrent une part de pouvoir et de contrôle sur leur propre histoire. Nous constatons une série d’effets et de résultats positifs pour la collectivité.

Nous constatons notamment une augmentation de 13 % du nombre de victimes qui se manifestent et qui signalent l’incident à la police. La raison en est que chaque fois qu’une victime met un nom et un visage sur une histoire, d’autres victimes sont incitées à se manifester.

Nous constatons également que les victimes sont de plus en plus aptes à participer aux initiatives d’éducation et de réforme des politiques. Avec des lois comme les vôtres, au Canada, les victimes n’ont pas le loisir de participer activement à des initiatives stratégiques et éducatives, notamment celles qui touchent directement leur propre collectivité.

Nous constatons également qu’il y a eu beaucoup plus de discussions publiques sur la violence sexuelle en Australie depuis que les victimes sont en mesure de diriger ces discussions. Cela a eu des répercussions sur le sentiment de honte et la stigmatisation dans la collectivité en général.

J’aimerais terminer en disant que je suis très fière de ce qui s’est passé en Australie et que je suis très heureuse d’être avec vous aujourd’hui. J’ai été vraiment surprise d’apprendre que le Canada faisait face à une situation semblable à la nôtre. Je remarque que le Canada est maintenant déphasé par rapport à d’autres pays culturellement semblables.

Je tiens également à prendre acte des recommandations de la campagne Ma voix, mon choix et à les appuyer, notamment celle de ne pas criminaliser les victimes d’agression sexuelle qui souhaitent se nommer ou révéler leur identité.

À mon avis, il faudrait exiger le consentement des victimes avant d’appliquer une interdiction de divulgation de leur identité et empêcher les délinquants de présenter des observations à ce sujet. Je vous recommanderais d’envisager sérieusement de simplifier le processus pour les victimes afin de ne pas exacerber les traumatismes et les préjudices. Merci.

Le président : Merci, madame Funnell. C’était instructif. Je vous remercie de la rigueur avec laquelle vous avez présenté votre exposé dans un laps de temps limité. Nous avons l’habitude d’inviter les sénateurs à poser des questions pendant environ cinq minutes. Nous allons commencer par le vice-président et porte-parole de son parti pour ce projet de loi, puis nous écouterons celle qui parraine le projet de loi. Le vice-président et porte-parole est le sénateur Boisvenu, et ses questions et observations seront suivies de celles de la sénatrice Busson.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous avez dit d’entrée de jeu que vous considérez ce projet de loi comme relativement sévère par rapport aux accusés et aux personnes reconnues coupables, et vous dites que le taux de récidive est relativement bas par rapport à ce qui est là. Savez-vous comment on calcule le taux de récidive au Canada?

[Traduction]

Me Enenajor : Juste une correction. Je ne crois pas que ce projet de loi ait de graves répercussions sur l’accusé, puisque ce n’est pas la question dont la Cour suprême du Canada avait été saisie. C’était la constitutionnalité de l’imposition automatique de l’interdiction. Quand un tribunal accorde un pouvoir discrétionnaire, les répercussions peuvent être jugées et évaluées en fonction de la gravité du crime.

Si j’ai bien compris, les taux de récidive sont calculés en fonction de multiples condamnations et de statistiques tenues par le Service correctionnel du Canada.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Avez-vous pris connaissance du rapport du vérificateur général de 2019 sur le calcul du taux de récidive au Canada?

[Traduction]

Me Enenajor : Non.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : C’est important de corriger les fausses informations lorsque l’on traite avec les données de Statistique Canada et de Juristat sur la récidive. Ce que le vérificateur général a dit, c’est que le Canada calcule très mal la récidive, car il oublie de calculer ceux qui écopent de sentences de moins de deux ans. On ne calcule que les personnes qui reçoivent une peine de plus de deux ans, donc celles qui sont dans les pénitenciers fédéraux. Quand on calcule qu’il y a environ 15 000 personnes par année qui reçoivent une sentence de plus de deux ans, il y en a tout près de 60 000 qui reçoivent des sentences de moins de deux ans. Cela signifie qu’il y aurait donc trois fois plus de pourcentage de récidive à calculer, car on oublie tous ceux qui purgent une peine de prison.

Au fond, ce projet de loi sera beaucoup plus sévère par rapport à ceux qui écopent de sentences de plus de deux ans, parce que cela sera automatiquement sans appel, alors que ceux qui ont une peine de moins de deux ans pourront interjeter appel. Au fond, on fait cette réflexion sur de fausses prémisses; on dit que le taux de récidive est bas, alors que si on calculait l’ensemble des gens qui sont condamnés pour des crimes à caractère sexuel, il faudrait multipler par quatre les taux que l’on nous donne officiellement. Faudrait-il resserrer les conditions d’inscription au registre contenues dans ce projet de loi lorsqu’on regarde la réalité qu’on nous présente, qui n’est pas la réalité de tous les jours ou la réalité en matière de criminalité?

[Traduction]

Me Enenajor : Tout d’abord, les peines imposées pour les infractions sexuelles sont généralement de plus de deux ans, surtout lorsque les conditions dont le juge peut tenir compte sont remplies dans le cas d’une mineure de moins de 18 ans. Quand il y a mise en accusation, la peine ne peut pas être inférieure à deux ans.

Dans notre système, la plupart des délinquants sont condamnés à une peine de deux ans moins un jour dans un établissement provincial, mais pas la plupart des délinquants sexuels. Les délinquants sexuels sont généralement détenus dans des pénitenciers.

Dans la mesure où les données que nous avons ne tiennent pas compte des peines de moins de deux ans, il n’est pas aussi biaisé ou inapproprié de s’y fier dans le cas des infractions sexuelles, parce que, si je comprends bien ce que vous dites, les 60 000 dont vous parlez couvrent toutes les infractions au Canada. Pour ce qui est des infractions sexuelles, on s’en tient généralement aux peines d’emprisonnement dans des pénitenciers, et on a des données à ce sujet.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Au Québec, toutes proportions gardées, si on regarde le nombre de prédateurs sexuels dans les pénitenciers fédéraux en comparaison avec ceux qui sont dans les prisons provinciales, il y en a quatre fois plus dans les prisons provinciales.

Or, votre affirmation selon laquelle la plupart des gens qui commettent des crimes à caractère sexuel écopent de peines très sévères de plus de deux ans est fausse. La majorité des gens écopent de peines de moins de deux ans. On a même vu au Québec récemment des sentences avec sursis; les gens retournent donc chez eux purger leur peine, plutôt que d’aller au pénitencier. C’est très important de faire ces nuances.

[Traduction]

Le président : Je vous remercie de votre témoignage, sénateur Boisvenu.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup. J’ai une question pour les deux témoins.

Premièrement, je pourrais probablement passer toute la journée à discuter avec vous de votre avis juridique sur la question de savoir s’il y a équilibre ou non par rapport aux droits de l’accusé dans le projet de loi S-12. J’aimerais bien le faire à un moment donné.

À mon avis, la constitutionnalité d’un projet de loi tient effectivement à la tension entre les droits du délinquant et le droit de la population d’être en sécurité, et celui des victimes d’être reconnues, mais le pouvoir discrétionnaire des juges prévu dans le projet de loi S-12 peut s’exercer en vertu de la partie du projet de loi qui traite de l’inversion du fardeau de la preuve. Nous appellerons cela l’inversion du fardeau de la preuve à charge pour le délinquant de prouver au tribunal qu’il ne constitue pas un danger pour la population, qu’il ne récidivera pas ou qu’il n’est pas un récidiviste. Le projet de loi vise à établir un certain équilibre entre ces exigences.

Pourriez-vous nous dire si la question des récidivistes et des victimes mineures règle d’une façon ou d’une autre la question de savoir ce qui est en jeu et comment cet équilibre des droits pourrait être obtenu?

Me Enenajor : Excusez-moi, pourriez-vous reformuler votre question?

La sénatrice Busson : En fait, j’aimerais savoir si vous estimez que le pouvoir discrétionnaire du juge entre en ligne de compte dans la disposition relative à la capacité de l’accusé de faire valoir qu’il n’est pas un danger.

Me Enenajor : Le projet de loi prévoit l’enregistrement automatique lorsque ces trois conditions sont remplies. Dans ce cas, l’accusé n’aura pas la possibilité de faire valoir son point de vue ni de convaincre le tribunal qu’il représente un risque ou non. La présomption est alors qu’il représente un risque, et il n’a aucun moyen de réfuter cette présomption. S’il s’agit d’une infraction punissable par mise en accusation, si la victime a moins de 18 ans et si l’accusé est condamné à une peine de plus de deux ans, le juge n’a aucune marge de manœuvre pour exercer son pouvoir discrétionnaire. Ce n’est que dans le cas d’autres infractions que l’accusé a la possibilité de présenter au tribunal des éléments de preuve concernant le risque qu’il représente personnellement.

La sénatrice Busson : Vous ne pensez pas que cette distinction respecte la constitutionnalité des dispositions?

Me Enenajor : Pas nécessairement. Elle ne le permet pas si un délinquant est condamné à la suite d’une mise en accusation, si la victime a moins de 18 ans et si la peine est de plus de deux ans, mais que, pour une raison ou une autre, l’évaluation a conclu qu’il ne représente pas de risque. De nombreux scénarios factuels peuvent donner ce résultat. Il n’y a alors aucun moyen pour le délinquant de le démontrer au tribunal et de demander au juge d’exercer son pouvoir discrétionnaire.

La sénatrice Busson : Je comprends votre point de vue. Comme je l’ai dit, nous pourrions passer beaucoup de temps à en parler.

Une autre partie du projet de loi porte sur le fait que le délinquant pourrait avoir qualité pour comparaître à une audience où il est question d’une ordonnance de non-publication. Qu’en pensez-vous?

Me Enenajor : Cela concerne une demande d’ordonnance de non-publication dont le tribunal est saisi pour déterminer si le nom de la plaignante sera rendu public. De façon générale, je pense que la population et l’accusé bénéficient du principe de l’audience publique selon lequel il faut que justice soit rendue au vu et au su de tous.

À mon avis, compte tenu des mesures prises avant ce projet de loi pour protéger la plaignante qui est censée le réfuter ou de l’impact sur la plaignante quand elle a subi un traumatisme et un préjudice, il semble que ce ne soit pas toujours le cas. En fait, la capacité d’agir des participants au système de justice pénale démontre que l’intégrité du système de justice est mieux servie quand on permet que le principe de l’audience publique fonctionne comme il se doit, et qu’il y a des avantages à cela.

J’ai constaté que l’accusé ne prend pas souvent position. Le principe de l’audience publique est ce à quoi l’accusé a toujours été confronté au sens où son nom n’est pas en cause dans une ordonnance de non-publication. Tout le pays sait ce qui se passe, sauf dans des circonstances exceptionnelles. Je ne crois pas que le fait de placer les plaignantes dans la même position nuirait aux intérêts de l’accusé.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup.

Le sénateur Dalphond : Je remercie les témoins, y compris les personnes pour qui il est tôt le matin.

Ma première question s’adresse à vous, maître Enenajor. Vous avez fait allusion au fait que la Cour suprême a soulevé les problèmes constitutionnels associés à une longue liste d’enregistrements obligatoires. Le projet de loi dont nous sommes saisis rend la plupart des choses non pas automatiques, mais sujettes à une évaluation individuelle. Cela devrait répondre à l’exigence constitutionnelle établie par la cour, n’est-ce pas? Oui, vous êtes d’accord. Vous avez pourtant dit que vous estimiez que la portée était excessive.

Que voulez-vous dire exactement? Je ne vois que deux dispositions, à savoir les paragraphes 490.012(1) et (2), où l’enregistrement est obligatoire et où le juge est tenu de l’ordonner. Dans tous les autres cas, il revient à celui qui est non seulement accusé, mais condamné, de démontrer au tribunal qu’il ne devrait pas être inscrit au registre.

Me Enenajor : C’est pourquoi je me suis limitée à cette disposition. Il n’y a que là que l’inscription est obligatoire et qu’il n’y a pas de pouvoir discrétionnaire. C’est dans la courte liste des infractions qui relèvent de cette disposition que se trouve la plus grande fragilité sur le plan constitutionnel.

Quand le fardeau de la preuve est inversé et que le juge dispose d’un pouvoir discrétionnaire, l’équilibre constitutionnel établi par les tribunaux est mieux garanti.

Le sénateur Dalphond : Selon la définition des tribunaux?

Me Enenajor : Oui.

Le sénateur Dalphond : Revenons au premier cas où l’enregistrement est automatique et où il n’y a aucun moyen pour le délinquant d’y échapper. Il renvoie à une poursuite par mise en accusation. Quand l’accusation a été portée, l’accusé — qui est le plus souvent un homme — a été sanctionné par une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus, et la victime avait moins de 18 ans. C’était donc une mineure. Il s’agit d’une infraction grave contre une mineure.

Me Enenajor : En effet.

Le sénateur Dalphond : Le ministre de la Justice nous a dit qu’à son avis, et de l’avis du ministère, il ne voyait pas vraiment de problème puisque la situation relèverait du critère de l’article premier. En l’occurrence, dans une société libre et démocratique, il pourrait y avoir enregistrement automatique parce que c’est la nécessité de protéger les mineures qui prévaut. Dois-je comprendre que vous n’êtes pas d’accord?

Me Enenajor : Non. Je pense que la justification du ministre de la Justice est valable. Mais, dans tel ou tel cas, dans toutes sortes de circonstances pour le tribunal, une personne pourrait entrer dans cette catégorie. C’est une infraction grave, mais certains faits peuvent indiquer que le délinquant ne récidivera pas. Il n’y a aucun moyen pour lui de fournir cette preuve au tribunal, sauf à contester la constitutionnalité du projet de loi.

Le sénateur Dalphond : Pensez-vous qu’il y a des cas où la société pourrait décider que, passé un certain seuil, il n’y a aucun moyen de s’en sortir? Le critère est vraiment qu’il n’y a pas de lien.

L’autre élément dont vous avez parlé, et le plus important, est l’impact de l’ordonnance. Est-ce que ce sera disproportionné?

Ne croyez-vous pas qu’il faut un équilibre pour la protection des mineures? Les conséquences pourraient être disproportionnées. Non, ce ne sera pas disproportionné, parce que, quand nous équilibrons les intérêts de la victime et ceux du délinquant, comme il s’agit d’une mineure, c’est ce qui l’emporte. De nombreuses infractions prévues par le Code criminel sont liées au fait d’être en position d’autorité. Quand il s’agit d’une mineure, la peine est beaucoup plus sévère.

À votre avis, le critère ne serait pas satisfait parce qu’on risquerait d’englober une situation théoriquement possible dont les effets seraient disproportionnés, c’est bien cela?

Me Enenajor : Cela expose le projet de loi à une contestation constitutionnelle de la part d’un accusé qui pourrait prouver que les répercussions seraient disproportionnées pour lui. Il pourrait contester le projet de loi. Le juge pourrait conclure, dans le cadre d’une contestation constitutionnelle générale de la validité de cette disposition, qu’elle est effectivement constitutionnelle, mais il pourrait être tenu de prévoir un recours en vertu du paragraphe 24(1) de la Constitution.

Si cela devait se produire, si un accusé pouvait réfuter cette présomption, mais n’y était pas autorisé, pourquoi ne pas simplement le prévoir dans la loi? Parce que cela va arriver de toute façon.

La sénatrice Simons : Madame Funnell, j’allais dire que vous avez une longueur d’avance sur nous, mais je pense que vous avez en fait une décennie d’avance sur nous dans ce dossier. Vous avez admirablement expliqué la clarté et la simplicité avec lesquelles l’Australie traite cette question, alors que nous ne faisons que concevoir une façon différente pour les victimes de demander à un juge de les autoriser à s’identifier.

Quand nous avons soulevé la question ici, le gouvernement nous a dit qu’il se préoccupait de la protection de la vie privée d’une autre victime susceptible d’être identifiée si la première l’était. Prenons le cas d’un beau-père qui a agressé ses deux belles-filles, deux sœurs. Comment réglez-vous ce problème en Australie si une victime veut parler, mais que l’autre ne veut pas être identifiée?

Mme Funnell : C’est une excellente question à laquelle nous nous sommes effectivement attelés. En Australie — et les huit administrations sont généralement cohérentes à cet égard —, les journalistes ne sont pas autorisés à révéler le nom d’une victime si cela mène à l’identification d’une autre par déduction.

Il y a toutes sortes de façons de régler ce problème. En fait, il faut examiner ce qui est du domaine public. L’identification de cette personne permettrait-elle d’identifier directement ou indirectement une autre victime? Si c’est le cas, on n’est pas autorisé à publier son nom.

Vous verrez cependant qu’on peut parfois publier certains éléments. Il se peut qu’une victime veuille simplement dire :

Je m’appelle Susie Jones, je suis une victime d’agression et je le dis parce que je veux souligner la nécessité d’une meilleure éducation au consentement.

On ne divulgue pas les détails de l’affaire et, ce faisant, on ne précise pas de quelle affaire il s’agit ni qu’il pourrait y avoir d’autres victimes susceptibles d’être retracées et identifiées. On peut encore trouver des façons de permettre à la victime de s’identifier.

En l’Australie, nous sommes convaincus que... la grande majorité des preuves montrent que la plupart des victimes ne veulent pas être identifiées publiquement, et ce souhait devrait toujours être considéré comme sacré. Si les victimes ne souhaitent pas être identifiées, elles ne devraient absolument pas avoir à le faire contre leur gré. Mais, pour celles qui le souhaitent, le fait de prévoir des dispositions qui le leur permettent leur donne du pouvoir, mais en donne aussi à toutes les victimes en général, parce que l’enjeu prend de la visibilité. Autrement dit, certaines victimes deviennent des exemples à suivre.

Nous avons abordé la question dans la loi, mais aussi dans la déontologie des médias et des journalistes, et nous avons aussi ces débats et ces discussions à l’interne, entre journalistes, pour nous assurer que nous ne causons pas indirectement de tort.

Une question précédente concernait la possibilité de donner le droit aux délinquants de présenter des observations dans ce genre d’affaire au sujet des plaignantes qui demandent le droit de s’identifier. Nous avons eu la même discussion en Australie. Nous avons eu des cas où des délinquants ont tenté d’avoir qualité pour intervenir dans ces procédures, et leurs demandes ont été systématiquement rejetées. Ils n’y ont pas été autorisés. Ils essayaient d’avoir qualité pour intervenir dans ces procédures pour affermir leur sentiment de contrôle sur la victime. Pour une victime, le simple fait d’apprendre que son agresseur va essayer de nuire à sa capacité de s’identifier publiquement cause encore plus de détresse.

Comme mon estimée collègue l’a déjà dit, nous savons que, au bout du compte, la raison pour laquelle ces protections existent pour les plaignantes n’a rien à voir avec les délinquants. Il s’agit du droit de la plaignante à la protection de sa vie privée, au cas où elle souhaiterait garder l’anonymat.

Effectivement, je recommanderais instamment que les délinquants ou les accusés n’aient pas qualité pour présenter des observations.

La sénatrice Simons : Mais vous faites valoir clairement que c’est la misogynie et, dans certains cas, l’homophobie qui nous ont amenés à créer un système dans lequel nous traitons les victimes comme si elles étaient des parias de la société, que nous devons cacher pour protéger leur honte.

Voici ma question. J’ai été journaliste pendant 30 ans avant de siéger ici. Ce que vous décrivez donne l’impression qu’il pourrait y avoir de véritables pièges pour l’éditeur, parce que, s’il peut être tenu criminellement responsable d’avoir identifié quelqu’un et qu’il doit maintenant... eh bien, au moins, avec une interdiction de publication, c’est parfaitement clair. Dans le cas que vous décrivez... je le sais puisque j’ai été journaliste et rédactrice en chef. Il faut travailler à rebours et vérifier s’il y a des informations susceptibles de mener à l’identification d’une autre victime. Il faut se demander si, malgré les renseignements confirmant qu’on a bien un consentement écrit, la victime risque de regretter sa décision le lendemain et de changer d’avis. Y a-t-il eu des cas où des journaux ont été poursuivis parce qu’ils pensaient être dans leur bon droit et qu’il s’est avéré qu’ils ne l’étaient pas?

Mme Funnell : C’est une excellente question. La première raison pour laquelle le consentement doit être écrit est précisément pour éviter toute confusion au cas où la personne aurait des regrets ou changerait d’avis.

Oui, les publications peuvent faire l’objet de poursuites en Australie si une autre victime est identifiée, et c’est pourquoi nous avons des processus internes rigoureux pour empêcher que cela se produise. J’ai effectivement publié des articles sur des cas où il y avait parfois une deuxième ou une troisième victime, voire plus. Dans ce cas, soit on ne raconte pas l’histoire parce que c’est trop risqué, soit on s’adresse à la deuxième ou à la troisième victime pour obtenir un consentement complet ou partiel.

Je ne connais pas de cas où des publications aient fait l’objet de poursuites, parce que nous faisons très attention à la question des victimes secondaires et nous reconnaissons intrinsèquement qu’il est absolument primordial qu’une personne ait droit à sa vie privée et que cela ne devrait jamais être compromis.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le sénateur Klyne : Ma première question s’adresse à Me Enenajor. Du point de vue de la Criminal Lawyers' Association comme porte-parole de la justice pénale et des libertés civiles au Canada, quel serait l’effet du projet de loi S-12 sur les nouveaux enjeux soulevés par la prévalence croissante des infractions sexuelles facilitées par la technologie, comme le cyberharcèlement et le partage non consensuel d’images intimes?

Me Enenajor : Quel effet ce projet de loi aurait-il?

Le sénateur Klyne : Oui.

Me Enenajor : Ce serait le fait que l’infraction serait reconnue et considérée comme infraction désignée et que la distribution d’images intimes sans consentement serait considérée comme une infraction de nature sexuelle ayant trait au pouvoir et non pas comme un simple échange de renseignements, mais que c’est de la violence en ce sens. C’est une solide reconnaissance et un effort pour mettre en lien le fonctionnement de la technologie et le fonctionnement de la violence sexuelle, qui est une question de domination et de pouvoir. C’est l’effet que ce projet de loi aura à cet égard, à mon avis.

Le sénateur Klyne : Merci.

J’ai une question pour Mme Funnell. #LetHerSpeak vise à abolir les lois bâillons contre les victimes d’agression sexuelle en Tasmanie, dans le Territoire du Nord, et à Victoria, en Australie, pour permettre aux victimes de raconter leur histoire comme elles l’entendent dans la mesure où elles veulent la rendre publique sans risquer d’être poursuivies. La campagne est composée d’un volet juridique, d’un volet médiatique et d’un volet systémique pour soutenir les victimes et obtenir des résultats tangibles et une réforme des politiques. Votre campagne a permis d’obtenir des changements législatifs en Tasmanie, dans le Territoire du Nord et à Victoria.

Pourriez-vous nous dire en quoi la question des lois bâillons en Australie est du même ordre ou non que les enjeux auxquels font face les victimes assujetties aux ordonnances de non-publication au Canada? S’il reste du temps, pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la perception populaire des tentatives de réforme et de la réaction des législateurs australiens à la mise en œuvre de la réforme?

Mme Funnell : Certainement. Les similitudes ont à voir avec les répercussions sur les victimes du point de vue de l’exacerbation du traumatisme. Les différences se trouvent dans le mécanisme que vous proposez de mettre en place. Au Canada, si je comprends bien — et je ne suis pas avocate, donc veuillez prendre cet avis avec précaution —, vous envisagez des mesures pour faire en sorte qu’une interdiction de publication ne soit pas automatique et que la victime soit consultée et incluse dans la discussion au départ.

Nous traitons les choses de façon très différente : il y a une présomption automatique que la victime ne sera pas du tout identifiée dans les médias, mais, pour lever cette interdiction, la victime n’a pas besoin de s’adresser au tribunal, parce qu’il lui suffit de donner son consentement écrit à tel ou tel média, ce qui l’exempte du processus judiciaire.

Cela nous semble plus simple, moins traumatisant, moins fastidieux et aussi moins coûteux. Je pense que c’est la principale différence.

En Australie, la réaction de population à la campagne de #LetHerSpeak/#LetUsSpeak a été énorme. Le taux d’approbation du public a été de 96 %. Dans le cadre de cette campagne, j’ai financé des victimes pour qu’elles demandent une ordonnance aux tribunaux de Tasmanie et du Territoire du Nord. Nous faisions le travail juridique pour elles afin de les exempter de la loi bâillon, après quoi je racontais leur histoire en expliquant que telle personne avait dû s’adresser au tribunal pour demander la permission de s’identifier.

La réaction de la population a été énorme. Les gens n’arrivaient pas à croire que les victimes devaient demander à un juge la permission de s’identifier, et cela a mené à la toute première étude de cas de ma campagne, celle de Grace Tame, qui allait être nommée l’Australienne de l’année. Depuis, elle est devenue l’une de nos personnalités publiques les plus populaires, respectées et vénérées. Elle a continué de préconiser de nombreuses autres réformes du droit ayant une incidence sur les victimes d’agression sexuelle. Et elle le peut précisément parce qu’elle a un nom et un visage publics. Il est très difficile de préconiser d’autres réformes quand on est dans l’ombre. Il est très difficile d’intéresser les médias à d’autres enjeux problématiques dans le système de justice pénale si on ne peut pas s’identifier et leur faire face. Cela a eu toutes sortes d’avantages, et la réaction de la population australienne a été extraordinaire.

Je me souviens du moment où nous avons lancé la pétition à Victoria. Victoria a par la suite adopté des lois bâillons. Nous avons reçu très rapidement plus de 200 000 signatures. Surtout dans la foulée du mouvement #MoiAussi, la population est convaincue que les victimes devraient avoir le droit de s’identifier si elles le souhaitent. Il ne s’agit pas seulement de liberté d’expression, mais aussi de reconnaître que nous entrons dans une nouvelle ère où la stigmatisation et la honte liées aux agressions sexuelles devraient disparaître, où les gens qui ont le courage et la volonté de raconter et de partager leurs histoires pour se reconstruire et guérir devraient être soutenus et même encouragés par l’ensemble de la collectivité, au lieu de se heurter à des obstacles.

Le sénateur Klyne : Je suppose que c’est la réaction de la population qui a mené aux modifications législatives?

Mme Funnell : Oui, absolument. C’est ce qui a, en partie, alimenté les modifications législatives.

Quand j’ai organisé la campagne, j’ai eu évidemment l’avantage d’être à la fois victime et journaliste. J’ai mis sur pied un collectif composé d’organismes de presse, de victimes, d’un cabinet d’avocats et deux groupes de défense, et nous avons travaillé ensemble. Il était très clair pour les législateurs que cette pression en faveur d’une réforme ne venait pas seulement de médias soudainement désireux d’identifier tout un tas de victimes d’agression sexuelle pour obtenir des cotes d’écoute. Cela venait des victimes elles-mêmes qui disaient que c’était important pour elles, que leurs noms étaient importants, que leurs histoires étaient importantes. Les victimes veulent pouvoir décider si elles s’identifient ou non.

Il est vraiment intéressant de voir, ici au Canada, que cela vient aussi des survivants et survivantes mêmes et, en particulier, de la campagne Ma voix, mon choix. Là encore, cela ne vient pas des médias ou des journalistes qui voudraient vraiment pouvoir nommer ces victimes parce que c’est bon pour les cotes d’écoute; cela vient des plaignants et plaignantes mêmes, qui disent : nous sommes dans une nouvelle ère où nous devrions avoir notre mot à dire et participer aux décisions au sujet de ce mécanisme. L’objet de ce mécanisme à l’origine était de protéger notre identité du temps où — c’était la même chose en Australie — il y avait une présomption automatique que personne ne voudrait jamais s’auto-identifier publiquement comme plaignant ou plaignante dans une affaire d’infraction de nature sexuelle, qui était perçue comme étant intrinsèquement stigmatisante. Dieu merci, cette époque est révolue.

Le sénateur D. Patterson : Je remercie les deux témoins. Très convaincantes, chacune à sa façon.

Ma question s’adresse à Me Enenajor. L’obligation d’enregistrement pour les catégories graves de délinquants sexuels, selon le projet de loi, traduirait un souci de protection du public, je crois. Vous avez fait valoir qu’il devrait y avoir un élément de discrétion lorsque les délinquants ne présentent pas de risque de récidive.

J’aimerais savoir s’il est facile de déterminer le risque de récidive. N’est-ce pas un critère tout à fait subjectif que le pouvoir judiciaire discrétionnaire aurait du mal à appliquer pour prendre les bonnes décisions? Comment procède-t-on?

Me Enenajor : Le processus est difficile, mais c’est le même processus que suit tout officier de justice pour décréter la mise en liberté sous caution ou décider de la peine à imposer. Cette évaluation fondée sur le risque pour la mise en liberté sous caution, par exemple, est entièrement une évaluation du risque. Il s’agit d’établir si l’accusé présente un risque de récidive pendant qu’il est en liberté sous caution, s’il risque de s’enfuir ou quelque chose du genre. L’évaluation est fondée sur la preuve présentée au tribunal.

Dans les cas d’infractions de nature sexuelle, par exemple, la gravité de l’infraction peut nous inciter à imposer une peine plus sévère, qui n’est pas nécessairement une approximation assez forte ou exacte pour établir le risque de récidive. Certaines personnes pourraient commettre des infractions très graves, mais présenter un risque de récidive moindre. Il y a d’autres délinquants qui peuvent avoir un risque de récidive très élevé, alors que l’infraction commise n’est pas grave.

Les tribunaux évaluent chaque jour le risque dans le cadre de nombreux processus de détermination de la peine et d’audiences. De plus, dans le cas des infractions de nature sexuelle, des processus comme les évaluations psychiatriques et les évaluations des risques jouent un rôle énorme dans le processus décisionnel que les juges doivent déjà appliquer.

Le sénateur D. Patterson : Vous dites qu’il y a toute une jurisprudence qui fait que notre processus est rigoureux et pas entièrement subjectif?

Me Enenajor : Oui, c’est vrai.

Le sénateur D. Patterson : Merci.

Le président : Un deuxième tour rapide. Peut-être trois minutes chacun. Avec votre indulgence et celle des témoins, nous allons poursuivre pour cinq minutes après 20 heures. Je ne sais pas, madame Funnell, quelle heure il est à Sydney, mais chez nous il est 19 h 55. Encore 8 ou 10 minutes.

Le sénateur Dalphond : Madame Funnell, pourriez-vous nous envoyer par courriel certains documents ou études sur les impacts de ces changements, des documents qui font ressortir les problèmes, le cas échéant, malgré les répercussions et qui illustrent la façon dont vous traitez avec les médias sociaux. Je peux comprendre que vous puissiez avoir une entente écrite avec un journal traditionnel, mais je ne sais pas comment vous travaillez avec les médias sociaux. Je vous laisse nous envoyer quelque chose à ce sujet.

Maître Enenajor, j’ai une très courte question. Êtes-vous d’accord pour que nous inscrivions dans la loi que l’accusé, une fois déclaré coupable, n’a pas qualité pour participer à d’autres procédures liées à l’interdiction?

Me Enenajor : À l’interdiction de publication?

Le sénateur Dalphond : Oui.

Me Enenajor : Suis-je d’accord pour dire que l’accusé ne devrait plus avoir qualité pour agir?

Le sénateur Dalphond : Il ne devrait pas avoir de statut juridique une fois déclaré coupable. Je parle du condamné et non de l’accusé, parce que certains diront qu’il est nécessaire de préserver le système de jury et tout le reste. Seriez-vous d’accord pour que l’accusé déclaré coupable n’ait plus qualité pour agir si la victime demande la levée de l’interdiction de publication?

Me Enenajor : Avec les 30 secondes que vous m’avez données pour y réfléchir, je ne peux pas imaginer que les droits à la vie privée de l’accusé puissent être touchés par ce genre de scénario. L’interdiction de publication est destinée à protéger le plaignant. Par défaut, le tribunal travaille en public, et tout le monde sait tout. C’est ainsi que nous avons toujours fonctionné. Cet instrument unique qui vise à protéger les plaignants va à l’encontre de cette présomption. Si cela était supprimé, je ne vois pas quel serait l’impact sur l’accusé. Je suis d’accord.

La sénatrice Simons : J’ai une question pour chacune d’entre vous. Pour Mme Funnell, je vais poser la question du sénateur Dalphond : comment les médias sociaux traitent-ils cette question en Australie?

Pour Me Enenajor, j’ai remarqué avec intérêt que dans l’affaire initiale de la Cour du Banc de la Reine à Edmonton qui portait sur Ndhlovu, la juge a dit que l’une des raisons pour lesquelles elle n’allait pas l’inscrire sur la liste était qu’il était un jeune homme noir, un étudiant du Zimbabwe. Elle a expliqué que chaque fois qu’il y aurait un signalement de Noir, la population noire étant plutôt restreinte, il serait automatiquement ciblé. Craignez-vous que la liste elle-même porte préjudice aux Canadiens racisés?

Mme Funnell : En Australie, si l’identité du plaignant est dévoilée sans son consentement dans les médias sociaux, la personne qui a écrit le message pourrait être poursuivie pour avoir révélé l’identité d’une personne sans son consentement.

Dès lors que le plaignant ou le survivant consent à une publication en particulier, il renonce à ce droit à l’anonymat. Ensuite, il serait relativement normal que cet article soit repris dans les médias sociaux. À ce moment-là, d’autres personnes peuvent discuter de l’identité du plaignant vu qu’il a renoncé à ce droit.

La décision de renoncer à son anonymat est une décision importante pour le survivant. Nous lui expliquons les conséquences et les ramifications de sa décision de renoncer à son droit. Comme je le dis souvent aux survivants, on ne peut pas remettre le génie dans la bouteille. Une fois son identité dévoilée, il faut assumer sa décision.

Mais en Australie, la plupart de nos administrations judiciaires, six sur huit en fait, ont toujours permis aux survivants de renoncer à ce droit. Nous avons des preuves de longue date qui montrent que cela ne pose pas de problèmes importants parce que les survivants comprennent que c’est souvent ce qui se produira une fois le secret dévoilé.

Si des gens font des commentaires malveillants dans les médias sociaux ou harcèlent ou humilient le survivant, la situation serait traitée de la même façon que toute autre forme de commentaires malveillants.

La sénatrice Simons : Pas très bien par les temps qui courent.

Mme Funnell : Oui, c’est vrai. En Australie, nous avons quelques mécanismes supplémentaires que vous n’avez pas au Canada, je crois. Nous avons une commission et divers protocoles en place pour le retrait des publications.

Mais je suppose qu’il y a une distinction à faire entre la façon dont les médias sociaux réagissent et les cadres législatifs qui les régissent, quant à la façon dont ils traitent toutes les formes de discours haineux, et pas seulement les survivants d’agressions sexuelles.

Encore une fois, nous avons constaté à maintes reprises que les survivants ne se pressent pas pour prendre cette décision. La décision de s’auto-identifier est une décision éclairée et rationnelle, et ils reconnaissent les répercussions que peut avoir le fait d’être nommé dans un média grand public particulier.

L’autre chose, bien sûr, que je devrais signaler au passage, c’est que de plus en plus de survivants et survivantes d’agressions sexuelles choisissent de raconter leur mésaventure, dans une autobiographie ou par un autre moyen comme la musique, par exemple. La loi appliquée à ces juridictions qui interdisait l’auto-identification criminalisait également les œuvres qu’ils produisaient eux-mêmes.

Au Canada, c’est très intéressant : la victime qui voudrait écrire son autobiographie et parler d’une agression sexuelle et de son passage devant les tribunaux ne pourrait pas le faire s’il y avait une interdiction automatique. Pour moi, qui suis de l’extérieur, c’est ahurissant.

La sénatrice Simons : Vous ne pouvez donc pas simplement...

Le président : Je vais vous interrompre. Brièvement, maître Enenajor, si vous pouviez répondre à l’autre question, nous passerons à la sénatrice Busson pour la dernière question.

Me Enenajor : La question est très tendancieuse. Il y a des façons dont le racisme systémique a peut-être entraîné une surreprésentation de certains groupes sur la liste. Il y a des façons dont la liste peut être utilisée de façon discriminatoire sur le plan racial, mais la tenue de la liste, en soi, est le résultat d’un processus.

Pour déterminer si cela reflète ou non de façon disproportionnée un certain groupe de la population et l’exercice d’un racisme systémique, il faudrait revenir à la décision de porter des accusations ou d’intenter des poursuites et à la décision d’un juge qui a le pouvoir discrétionnaire d’ajouter un nom sur la liste, et comprendre et mener une étude empirique sur l’incidence de la race sur les noms inscrits sur la liste. Ce n’est pas une évaluation facile à faire. Mais elle peut refléter un racisme systémique et être ensuite utilisée pour dégager un profil racial.

La sénatrice Simons : C’est ce qui inquiétait le juge. Merci.

La sénatrice Busson : Tout d’abord, j’aimerais remercier les deux témoins. Si neuf juges de la Cour suprême ne peuvent s’entendre sur l’équilibre à atteindre entre la victime et le délinquant, je n’oserai pas poursuivre le débat avec vous. Mais je tiens à dire, madame Funnell, que nous sommes fascinés par la solution que vous avez trouvée en Australie. Pourrez-vous nous dire, en 25 mots ou moins, même si vous êtes le défenseur, s’il y a un inconvénient à la solution que vous avez adoptée? Avez-vous des mises en garde à nous faire contre ce régime?

Mme Funnell : Non.

La sénatrice Busson : Merci. C’était très bref.

Le président : Je vous remercie de cette question et de cette très brève réponse. Cela met fin à notre discussion avec vous et à notre séance sur l’étude du projet de loi S-12.

Je dirais, surtout au bénéfice de Mme Funnell, que le Sénat du Canada est habituellement considéré comme bénéficiaire du travail qui est préparé pour nous par la Chambre des communes et que nous nous considérons, à juste titre, avec fierté ou non, comme une Chambre de second examen objectif. Dans ce cas-ci, le projet de loi est une initiative inhabituelle pour nous, du Sénat du Canada, parrainée par la sénatrice Busson. Cette fois-ci, nous procédons vraiment à un premier examen objectif. Votre contribution à nos travaux a été extrêmement utile. Je parle au nom de tous les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Je tiens à remercier Me Enenajor de s’être jointe à nous, et en particulier Mme Funnell de s’être rendue disponible pour nous livrer un témoignage perspicace sur un régime beaucoup plus évolué que celui sur lequel nous travaillons ici. Je tiens également à vous remercier de vous être mise à notre disposition à une heure matinale pour éclairer nos délibérations. Je ne sais pas si nous aurons encore besoin de vous, mais nous vous sommes vraiment reconnaissants d’avoir été des nôtres aujourd’hui.

Si vous me le permettez, honorables sénateurs, je vous signale que demain, nous aurons deux autres groupes de témoins. Cela nous permettra de fonctionner selon notre horaire habituel de deux heures, la première avec des témoins et l’autre avec des fonctionnaires. Vous vous souviendrez que nous avons demandé à des fonctionnaires de revenir nous faire part de leurs commentaires sur des questions techniques que nous pourrions avoir.

De plus, nous avons élaboré un plan pour que nous puissions nous réunir lundi soir afin de procéder à l’étude article par article. J’ai eu des discussions avec le comité directeur. Nous visons maintenant 17 h 30, pour un maximum de trois heures lundi.

En ce qui concerne les amendements, comme d’habitude, veuillez communiquer avec le bureau du légiste, si ce n’est pas déjà fait, si vous en avez. J’encourage les sénateurs de tous les groupes à discuter entre eux et à se livrer à des échanges enrichissants pour déterminer dans quelle mesure il pourrait y avoir un terrain d’entente sur certains amendements.

J’espère que cela se produira, étant donné que nous sommes la Chambre de première réflexion à cet égard, et que nous aurons un effort plus libre, probablement constructif et mieux coordonné lors de l’étude article par article.

Je tiens à vous remercier tous de la patience dont vous avez fait preuve pendant les trois heures que vous avez passées ici, en particulier le personnel qui appuie le travail du comité. Nous lui en avons demandé beaucoup aujourd’hui. Nous continuons de le faire dans notre comité. Nous sommes un comité de travail. Mais cela cache aussi un peu l’excellent travail des membres de l’équipe de travail qui nous permet de faire notre bon travail. Je les remercie.

(La séance est levée.)

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