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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 20 septembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue au comité.

J’aimerais d’abord et avant tout inviter mes collègues à bien vouloir se présenter.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec, division de La Salle.

Le sénateur Dalphond : Sénateur Pierre Dalphond, division de De Lorimier, au Québec.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Paula Simons, Alberta, territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice Pate : Kim Pate. Je vis ici même, sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, division sénatoriale des Laurentides, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer de la Colombie-Britannique. Bienvenue.

Le président : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du comité.

Nous en sommes seulement aux présentations, sénateur Tannas. Vous pouvez joindre le bal.

La sénatrice Batters : Sénatrice Batters de la Saskatchewan.

Le président : Permettez-moi de souhaiter d’abord la bienvenue à tous mes collègues sénateurs après notre longue pause estivale. Nous plongeons directement dans le vif de l’action en reprenant notre étude du projet de loi S-212, Loi modifiant la Loi sur le casier judiciaire et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement.

Le moment est venu de vous présenter nos témoins pour la première heure de notre séance d’aujourd’hui. Nous avons le plaisir d’accueillir M. George Joseph Myette, directeur général national de la 7th Step Society of Canada; Mme Anita Desai, directrice générale de la Société Saint-Léonard du Canada; et, à titre personnel, M. Rick Sauvé, pair mentor, Société Saint-Léonard du Canada.

Nous allons d’abord entendre les observations préliminaires de M. Myette, de Mme Desai et de M. Sauvé, dans cet ordre, si cela vous convient.

Vous avez droit à cinq minutes chacun pour ce faire, après quoi nous passerons aux questions des sénateurs. À vous la parole, monsieur Myette.

George Joseph Myette, directeur exécutif national, 7th Step Society of Canada : Merci, sénateur. Je veux d’abord et avant tout remercier également le comité de nous accueillir ici aujourd’hui.

J’aimerais vous parler de mon expérience personnelle de citoyen ayant bénéficié d’un pardon. J’ai obtenu un pardon en 1980. J’avais été reconnu coupable de trois actes criminels commis lorsque j’étais jeune. J’ai décidé de reprendre ma vie en main en essayant de mettre tout cela derrière moi. Le pardon a été très important pour moi, car il m’a essentiellement permis de reprendre confiance tout en atténuant les préjugés associés à mes démêlés avec la justice.

Il va de soi que notre système judiciaire a été pendant des années principalement axé sur la volonté de punir. On parlait de « service correctionnel » sans trop y porter attention, mais on estimait le plus souvent — et je crois que c’était aussi l’avis du grand public — que ceux qui avaient commis un crime méritaient d’être ostracisés, couverts de honte et punis.

Dans mon cas particulier, l’obtention d’un pardon m’a été d’une aide inestimable dans mes efforts pour repartir sur de nouvelles bases.

J’ai amorcé mon travail au sein du système judiciaire et de l’organisation 7th Step il y a 50 ans, soit à l’automne 1973. À ce moment-là, 7th Step était une toute nouvelle entité qui se consacrait au soutien par les pairs en misant sur l’expérience des uns pour aider les autres. C’est exactement le rôle que j’ai joué.

Au bout d’un certain nombre d’années, j’ai toutefois décidé que le moment était venu pour moi d’orienter ma vie autrement. Je suis alors allé travailler dans le secteur des hydrocarbures. J’y ai passé le reste de ma carrière tout en poursuivant mon engagement bénévole auprès de 7th Step dans différents rôles ainsi qu’au sein du conseil d’administration. J’ai pu ensuite prendre ma retraite à un âge relativement précoce, ce qui m’a permis de m’engager bénévolement à titre de directeur général national. Encore là, c’est grâce à ce pardon qui m’a permis de croire davantage en ma réintégration dans la société, ce qui m’apparaît être l’impact véritable pour les gens qui en bénéficient, en plus du fait qu’ils améliorent leurs perspectives d’emploi et qu’ils ont accès à toutes ces choses dont ils étaient privés. Le pardon permet à l’individu d’accéder à un nouvel état d’esprit du fait qu’il se croit capable de certains accomplissements et qu’il a confiance de pouvoir y arriver, ce qui l’incite à redoubler d’efforts.

Je reviens maintenant aux grands objectifs du projet de loi S-212 qui vise l’instauration d’un régime automatique d’octroi du pardon. Personnellement, je préfère utiliser le terme « pardon », car je n’aime pas l’expression « suspension du casier » qui, à mes yeux, n’indique pas que la peine est chose du passé. C’est comme si on la suspendait simplement. Il s’agirait donc de créer un régime automatique de pardon. Lorsque j’ai moi-même obtenu mon pardon, la période d’attente pouvait aller de deux à cinq ans, ce maximum s’appliquant dans mon cas étant donné que j’avais commis des actes criminels. Cette période d’attente a bien sûr été modifiée, en 2012, si je ne m’abuse. J’ai même dénoncé un tel changement en 2010 devant le sous-comité parlementaire, car je le jugeais extrêmement néfaste pour bien des individus ayant eu des démêlés avec la justice.

L’instauration d’un régime automatique de pardon présenterait quelques avantages. Premièrement, il faciliterait la tâche à certains individus éprouvant des difficultés financières qui n’ont pas nécessairement les ressources nécessaires pour demander un pardon. Je pense également que cela réduirait le fardeau administratif pour le système lui-même, car c’est un processus qui exige une grande quantité de ressources. Notre organisation, la 7th Step Society of Canada, a eu la chance de recevoir des fonds par le truchement de la subvention pour la sécurité publique versée dans le cadre du projet de soutien pour l’octroi du pardon. Comme vous le savez sans doute, le gouvernement a consacré à cette fin 18,5 millions de dollars — si je ne m’abuse —, une somme qui aurait sans doute été plus utile pour la réalisation des programmes de prévention et de réhabilitation, plutôt que de simplement servir à aider les gens à demander un pardon.

Je ne suis ni un universitaire ni un expert de ces questions. Il y a d’autres témoins qui sauront mieux vous éclairer à partir de ces points de vue-là. Je peux toutefois vous dire à la lumière de mon expérience personnelle et de mon travail au sein d’un organisme de soutien par les pairs qu’il peut être très avantageux de permettre aux gens d’avoir accès à un pardon pour pouvoir passer à une autre étape de leur vie.

Je dirais que c’est le message principal que je souhaitais vous transmettre aujourd’hui. Merci.

Le président : Merci beaucoup pour votre exposé ainsi que pour votre concision.

Anita Desai, directrice générale, Société Saint-Léonard du Canada : Merci de me donner l’occasion de vous soumettre le point de vue de la Société Saint-Léonard du Canada dans le cadre de votre étude du projet de loi S-212.

La Société Saint-Léonard du Canada, la SSLC, est un organisme caritatif national regroupant un réseau de particuliers et un ensemble de 10 agences communautaires indépendantes travaillant ensemble à la réalisation de notre mission. Cette mission consiste à favoriser l’adoption de politiques humaines et éclairées et d’un leadership responsable dans l’administration de la justice afin de rendre nos collectivités plus sûres. Nous y travaillons en souscrivant à des approches fondées sur des données probantes en matière de justice criminelle et sociale, en effectuant des recherches et en élaborant des politiques, en appuyant nos agences affiliées, et en favorisant des relations et des communications fondées sur la collaboration entre les intervenants et les organisations se consacrant à la justice criminelle et sociale.

D’abord et avant tout, je tiens à remercier la sénatrice Pate de tout le travail qu’elle a accompli aux fins de la mise en œuvre du projet de loi S-212. Depuis bien des années les efforts liés à la gestion des casiers judiciaires et à leur suspension semblent produire peu de résultats concrets. Nous trouvons vraiment encourageant de voir un projet de loi comme celui-ci chercher à instaurer un changement vraiment créatif dont le système en place ne saurait se passer.

Comme bien d’autres vous l’ont fait valoir avant aujourd’hui — et comme nous l’avons réitéré dans notre mémoire écrit adressé au comité —, les conséquences liées à un casier judiciaire figurent souvent parmi les éléments les plus punitifs résultant d’une condamnation criminelle. Un tel casier peut considérablement entraver l’accès d’un individu à un emploi, à un logement, à des études, au travail bénévole et aux voyages. Ce sont là des besoins fondamentaux pour une intégration communautaire réussie, et tout obstacle à ce chapitre peut mettre en péril une réintégration en toute sécurité.

De telles contraintes vont à l’encontre des grands objectifs de notre système de justice pénale, y compris la volonté de contribuer à la sécurité publique en faisant en sorte que les gens réintègrent la société en tant que citoyens actifs et respectueux des lois. Les individus doivent composer avec des conséquences de leur condamnation criminelle qui vont au-delà de la peine imposée par le tribunal et considérée comme proportionnelle à l’infraction commise. Les conséquences d’un casier judiciaire persistent longtemps après que l’individu ait fini de purger sa peine. Il faut absolument que ceux et celles qui font régulièrement appel à l’aide de notre réseau de membres affiliés ainsi que du secteur correctionnel communautaire dans son ensemble puissent avoir accès à des possibilités équitables de bénéficier de ces éléments fondamentaux et de subvenir à leurs propres besoins.

Ces éléments essentiels ont en outre été reconnus et confirmés par le Parlement du Canada dans son Cadre fédéral visant à réduire la récidive, lequel s’articule autour de cinq piliers : le logement, l’éducation, l’emploi, la santé et les réseaux de soutien positif.

On indique que les cinq aspects prioritaires définis dans ce cadre ont tous un rôle important à jouer dans la réussite de la réintégration, mais peuvent tout de même se heurter à la persistance d’un casier judiciaire. Il faut préciser en outre que l’on n’a jamais énoncé officiellement les motifs pour lesquels il a été convenu au départ d’établir des casiers judiciaires. On peut juste raisonnablement présumer que la création et la tenue à jour de tels casiers résultent sans doute de la nécessité de pouvoir compter sur un outil d’évaluation des risques pour la détermination de la peine à imposer aux récidivistes et les décisions relatives à la libération conditionnelle. Les casiers judiciaires ont toutefois aujourd’hui bien d’autres usages.

Bien qu’il soit d’ores et déjà possible d’obtenir la suspension d’un casier pour contrer les conséquences qui y sont associées, de nombreux obstacles se dressent devant une démarche semblable — et je suis persuadé que les honorables membres du comité en sont maintenant bien au fait —, y compris les frais prohibitifs et la complexité du processus de demande. L’expiration automatique du casier judiciaire après un certain nombre d’années libère l’individu de cet onéreux fardeau tout en abattant les obstacles associés au régime actuel de suspension du casier.

Je ne suis sans doute pas la première à vous faire valoir que ce projet de loi fournit le cadre permettant une réforme vraiment significative de l’administration des casiers judiciaires. Nous considérons en effet nous aussi que le projet de loi S-212 est conforme aux principes de notre système judiciaire aux fins d’une intégration communautaire couronnée de succès. À nos yeux, c’est une excellente occasion pour le Canada de se donner un système judiciaire qui sera plus humain, plus juste et plus efficace.

Comme je crois que c’est la dernière journée que vous consacrez à l’audition publique de témoins, j’aimerais conclure en soulignant le travail de nombreux héros obscurs au sein de notre système de justice pénale. Je pense notamment aux travailleurs de première ligne, aux chefs de clinique et aux gestionnaires de logements, comme ceux faisant partie du réseau de Saint-Léonard, qui travaillent sans relâche au sein de notre secteur correctionnel communautaire pour assurer la réintégration sécuritaire, efficace et humaine des gens auxquels ils viennent en aide. Ce projet de loi appuie en outre leurs efforts pour une meilleure sécurité publique en aidant les individus à reprendre leur vie en main dès leur retour au sein de la collectivité. De tels efforts sont entravés lorsqu’on empêche les individus qui ont été respectueux des lois pendant des années de passer à une autre étape de leur vie.

Merci encore de m’avoir donné l’occasion de prendre la parole devant vous aujourd’hui. Je me réjouis à la perspective de pouvoir répondre à vos questions.

Le président : Merci, madame Desai. Nous vous sommes reconnaissants d’avoir respecté le temps imparti.

Rick Sauvé, pair mentor, Société Saint-Léonard du Canada, à titre personnel : Merci. Je suis heureux d’être ici aujourd’hui. C’est un honneur pour moi de pouvoir être des vôtres.

Voilà maintenant 43 ans que je joue un rôle au sein de notre système de justice pénale. J’ai d’abord été incarcéré pendant 17 années alors que je purgeais une peine d’emprisonnement à perpétuité. Lorsque j’ai été libéré, j’ai trouvé un emploi à Toronto au sein d’une agence pour jeunes contrevenants. Nous avions cinq maisons où nous accueillions principalement des jeunes du centre-ville. La plupart d’entre eux étaient liés à des gangs. Ils étaient tous de jeunes contrevenants. Je me considérais comme un pair offrant un soutien en servant de modèle comportemental pour ces jeunes. Au bout de trois ans, je suis retourné dans les prisons pour travailler auprès d’hommes — et parfois de femmes — purgeant des peines d’emprisonnement à perpétuité et des peines de longue durée.

Je suis heureux de pouvoir vous dire que je n’ai croisé en prison aucun de ces jeunes avec lesquels j’avais travaillé. J’ai plutôt reçu une lettre de l’un d’eux qui m’a dit que j’avais eu un impact dans sa vie en faisant de lui un meilleur père et une meilleure personne.

La majorité des détenus auprès desquels je suis intervenu purgeaient des peines d’emprisonnement à perpétuité. Au fil des ans, j’ai apporté mon aide dans le cadre de plusieurs centaines d’audiences de libération conditionnelle. Étant donné leur peine à perpétuité, ils n’avaient pas accès à un pardon. Certains avaient des peines plus courtes, et je suis resté en contact avec plusieurs d’entre eux.

Pendant toutes ces années où j’ai travaillé dans les prisons, j’ai rencontré des hommes qui m’ont posé des questions au sujet du régime de pardon. À partir de quand pouvaient-ils présenter une demande? Comment devaient-ils procéder? Le processus est très complexe. Au cours des deux ou trois dernières semaines, j’ai reçu deux appels téléphoniques à ce sujet. Le premier venait d’un homme qui profitait d’une libération conditionnelle totale après avoir purgé une peine d’emprisonnement à perpétuité. Il occupait un nouvel emploi. Son agente de libération conditionnelle avait commencé à l’interroger au sujet de ses collègues de travail. Elle avait mal interprété la condition exigeant qu’il n’entretienne aucun lien avec quiconque se livrait à des activités criminelles. Elle avait compris qu’il ne pouvait être lié d’aucune manière avec toute personne ayant un casier judiciaire. Elle voulait donc une liste de ses collègues de travail pour voir si l’un d’entre eux avait un casier. Je lui ai dit que c’était scandaleux et qu’elle ne pouvait pas faire cela, car elle allait ainsi criminaliser de nouveau toutes ces personnes.

L’autre appel venait d’un homme que je ne connaissais pas. Quelqu’un lui avait donné mon nom et mon numéro de téléphone, et il voulait emmener ses enfants à Disneyland. Il n’avait jamais été incarcéré, mais avait un casier judiciaire pour possession de drogue. Il voulait donc savoir s’il devait obtenir un pardon pour pouvoir se rendre aux États-Unis. Je lui ai répondu qu’il devrait demander une dérogation. J’ai commencé à lui expliquer le processus, et j’ai voulu savoir s’il avait déjà demandé un pardon. Il m’a indiqué qu’il ne se rendait pas compte que son casier pouvait avoir des répercussions dans sa vie.

Il y a des millions de Canadiens qui ont un casier judiciaire. J’ai appris récemment que l’Union européenne allait instaurer un régime de dérogation, ce qui va obliger les Canadiens concernés à présenter une demande. J’y vois un autre obstacle à franchir pour tous ces citoyens canadiens qui n’ont pas obtenu un pardon.

Je n’en dirais pas plus pour l’instant, et je serai ravi de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Sauvé, notamment pour votre concision.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. Mes questions s’adresseront à Mme Desai.

Avez-vous des données sur le nombre de personnes qui ont été incarcérées au Canada et sur le pourcentage de gens qui ne trouvent pas d’emploi ou de logement?

[Traduction]

Mme Desai : Je suis désolée, mais je n’ai pas les chiffres pour ce qui est de l’emploi. D’après les recherches que j’ai menées, lesquelles vont dans le sens de celles réalisées par d’autres, je dirais qu’environ 30 % des gens qui sortent de prison éprouvent de la difficulté à trouver un logement adéquat après leur libération.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends que votre argumentaire principal et la raison pour laquelle vous appuyez ce projet de loi, c’est parce que des gens ne trouvent pas d’emploi ou de logement. Donc, c’est une perception que vous avez.

L’autre élément du projet de loi, c’est que l’autre Chambre a adopté hier le projet de loi C-48, qui sera encore plus sévère face aux récidivistes.

Comment peut-on conjuguer tout cela avec votre approche, qui dit qu’il faut être vraiment souple par rapport aux criminels et qu’il faut faire en sorte que le pardon soit maintenant automatique, et ce, même pour les récidivistes et les agresseurs de femmes ou d’enfants? De plus, je vous rappelle que les crimes qui ont le plus augmenté depuis la dernière décennie, ce sont les agressions sexuelles et la violence conjugale. Alors, même si ce sont les crimes qui ont le plus augmenté, vous appuyez quand même ce projet de loi, qui fait que les violeurs ou les agresseurs peuvent obtenir un pardon automatiquement. Est-ce que je comprends bien votre position?

[Traduction]

Mme Desai : Pour ce qui est de la gravité de l’infraction commise, on doit considérer le temps écoulé sans qu’un crime soit perpétré. Je crois qu’il faut s’en remettre à la recherche. Est‑ce que je demande que l’on accorde automatiquement le pardon dès qu’une personne est libérée? Non, et je ne crois pas que ce soit ce que l’on cherche à faire avec ce projet de loi. J’estime cependant qu’au bout d’une certaine période dans la collectivité où il a été respectueux des lois et a bénéficié d’interventions et de programmes de soutien, un individu prêt à passer à une nouvelle étape de sa vie et ayant réalisé des progrès tangibles...

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Cependant, on parle de la période de probation. Dès que la période de probation est terminée, l’individu peut obtenir un pardon.

Le projet de loi prévoit également que quelqu’un qui commet un crime sera traité de la même façon que celui qui en a commis cinq. Donc, on va traiter de la même façon des gens qui sont plus dangereux que d’autres; le projet de loi ne fait pas de distinction sur ce plan. Êtes-vous d’accord avec ce principe?

[Traduction]

Mme Desai : En un mot, non. Je crois que le temps qu’il faut pour que les gens puissent s’extirper du crime peut varier, et il existe de nombreux facteurs qui contribuent à la récidive. Si l’on donne des possibilités aux gens de renoncer au crime à un certain point dans leur vie, il restera de nombreuses personnes qui récidiveront. Si nous imposons des critères d’exclusion, cela aura une incidence sur bon nombre de personnes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Êtes-vous au courant que, dorénavant dans le projet de loi, la Commission des libérations conditionnelles du Canada devra faire la preuve que l’individu n’a pas récidivé pour la période durant laquelle il aura obtenu son pardon? Ce n’est plus au criminel de faire la preuve qu’il a respecté les lois.

Donc, les policiers ou la commission devront contacter tous les corps policiers des villes où l’individu peut avoir résidé — peut-être qu’il aura habité dans 10 villes différentes — pour savoir si l’individu a commis un crime dans telle ville ou telle ville.

Sur le plan strictement pratique, est-ce que vous pensez que c’est quelque chose que la commission peut faire, avec les ressources qu’elle a, soit aller vérifier auprès de tous les corps policiers pour savoir si un individu a commis un crime?

[Traduction]

Mme Desai : Je n’ai aucune expertise technique dans le domaine des ressources policières et de la façon dont l’information est…

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pourtant, vous appuyez le projet de loi.

Si vous appuyez le projet de loi, cela veut dire que vous croyez que la commission aura toutes les ressources requises pour faire ce travail. Cependant, ce que les gens nous ont dit, c’est que la commission n’aura pas toutes les ressources requises pour suivre tous les criminels et s’assurer qu’ils n’ont pas commis de crimes durant la période de référence pour obtenir un pardon automatique.

[Traduction]

Mme Desai : Je suis désolée; c’est davantage une déclaration qu’une question. Je n’ai pas tout à fait compris la question.

Le président : Permettez-moi de revenir à la question précédente, qui portait sur l’absence de coordination des services policiers, ce qui rend plus difficile la tâche de reconnaître le risque. Pouvez-vous nous en dire plus?

Mme Desai : Bien sûr. Personne ne revendique une réduction des ressources policières. Je ne suis pas experte de la communication de l’information. Mon domaine, c’est la façon de soutenir les gens pendant leur réintégration dans la collectivité, avec comme mot d’ordre la sécurité et l’efficacité.

Je ne suis point experte des procédures policières et de la communication des renseignements entre les divers services.

Le président : Merci beaucoup. Sénatrice Simons?

La sénatrice Simons : Merci beaucoup. Je vais poser deux questions diamétralement opposées. Tout d’abord, je vais me faire l’avocat du diable. J’ai été journaliste pendant de nombreuses années et j’ai fait des reportages sur des situations dans lesquelles il aurait été très utile de savoir que certaines personnes avaient un casier judiciaire avant qu’elles ne récidivent. Voici ma question : en tant qu’employeur, n’ai-je pas le droit de savoir si la personne que je pense recruter a déjà détourné des fonds ou encore a été condamnée pour conduite avec facultés affaiblies, si je veux l’embaucher pour conduire un véhicule? Dans quels cas pensez-vous que les employeurs ne devraient pas être en mesure de prendre connaissance de certaines informations qui pourraient être pertinentes en raison du poste pour lequel ils pensent recruter? Monsieur Myette, je vous écoute.

M. Myette : Si la période d’attente en vigueur est appropriée… J’aimerais réagir au commentaire du sénateur sur la probation. Je pense que si la période probatoire fait partie de la peine, on considère que la personne a purgé sa peine. Selon le libellé du projet de loi actuel, si la personne a été déclarée coupable par voie sommaire, elle devra attendre deux années après la fin de sa peine et avoir un casier judiciaire irréprochable pendant toute cette période. Si la personne a été trouvée coupable d’actes criminels, il faudra attendre une période de cinq ans après la fin de la peine et avoir un casier judiciaire irréprochable.

S’il y avait par exemple une enquête policière ou si des chefs d’accusation avaient été déposés, et ainsi de suite, le tout serait consigné dans le système de casier judiciaire géré par le CIPC. Il faudrait que la personne ait un comportement irréprochable pendant toute la période. Reste à déterminer la période qui convient. Combien de temps faut-il attendre pour que nous puissions dire à la personne qu’elle n’a plus de casier?

Si une personne se conduit de façon irréprochable pendant les cinq ans suivant la fin de sa peine, cela devrait constituer la preuve de son désir sincère de changer sa vie. Dans ce cas, la personne devrait peut-être bénéficier d’une certaine protection en vertu de la loi de façon à ne pas être pénalisée pendant le reste de sa vie à cause d’un crime qui aurait été commis en raison de problèmes de santé mentale.

Si nous regardons les gens qui passent par le système carcéral, un pourcentage élevé d’entre eux souffre de toxicomanie et de problèmes de santé mentale. Ces gens ont pris de mauvaises décisions, sans forcément être de mauvaises personnes. Une certaine proportion de détenus cherchent à faire du mal, cependant. Ce sont des gens à qui, bien évidemment, on doit réserver un traitement différent.

La grande majorité des gens qui accaparent nos ressources, telles que l’argent du contribuable, les programmes sociaux, et ainsi de suite, sont des gens qui ont d’autres problèmes et qui pourraient changer leur vie si on leur offrait ce dont ils ont besoin, comme un soutien, des services de réadaptation, etc.

Pour répondre à votre question, je vous dis oui, ces gens méritent que leurs renseignements soient protégés moyennant une période attestée qui n’a pas été entachée de crime.

La sénatrice Simons : En fait, ce serait une période non entachée de condamnation, plutôt que de crime. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

M. Myette : Effectivement.

La sénatrice Simons : Permettez-moi de changer mon fusil d’épaule. Ma fille a obtenu son premier emploi d’été peu de temps après son 18e anniversaire et a dû se soumettre à une vérification de ses antécédents judiciaires. J’ai trouvé cela drôle parce qu’elle avait 18 ans depuis deux mois et je ne pensais pas que la vérification aurait révélé grand-chose. Toutefois, elle devait se soumettre au même exercice chaque été. Elle travaille maintenant comme avocate et n’a jamais eu à faire vérifier ses antécédents judiciaires dans le cadre de ses fonctions.

Ma prochaine question est plutôt destinée à Mme Desai : lorsque nous demandons aux gens de se soumettre à une vérification des antécédents judiciaires pour faire du bénévolat dans une école ou obtenir un emploi d’été dans un musée, comme c’était le cas de ma fille, cela crée-t-il une impression chez le public que la criminalité est plus présente qu’elle ne l’est actuellement? Créons-nous l’impression qu’il y a des criminels partout lorsque nous demandons des vérifications des antécédents judiciaires pour les tâches les plus ordinaires?

Mme Desai : Je crois que M. Myette en a parlé. Les personnes ayant des condamnations antérieures sont stigmatisées lorsqu’elles cherchent un emploi ou souhaitent faire du bénévolat. Une fois que la condamnation devient historique, elle nuit aux efforts de la personne qui cherche à se réadapter ou réintégrer la collectivité.

Il faudrait limiter l’accès à certains renseignements, ce que fait le projet de loi, d’ailleurs. Cela n’exclut pas un régime qui offre à la police un accès aux renseignements dont elle a besoin pour offrir des services de prévention du crime efficaces. Ces services peuvent encore être offerts au moyen du cadre proposé. Il faudrait éviter de divulguer certains renseignements aux sociétés du logement et aux employeurs, qui fort probablement ne tiendront pas compte du contexte du crime commis ni de toutes les nuances.

On peut bien se pencher sur la nature des crimes commis. Cependant, il y a beaucoup de facteurs complexes qu’il faut examiner dans le cas d’une condamnation criminelle. Je ne pense pas que les employeurs prennent le temps de le faire ou y accordent suffisamment d’importance, ce qui crée un préjudice. Nous devons limiter l’accès à ces renseignements après une certaine période.

Le président : Merci.

La sénatrice Jaffer : Je tiens à remercier les trois témoins.

Le projet de loi porte sur la réintégration dans la société et les moyens qui permettent de le faire le plus rapidement. Comme vous l’avez dit, monsieur Myette, la plupart des gens ne récidivent pas. Ils commettent une seule erreur ou quelque chose de la sorte. Selon vous, quel est le plus gros problème en ce qui a trait à la réintégration? Vous êtes tous libres de répondre. Nous voulons tous que les gens libérés puissent réintégrer la société presque immédiatement. Cependant, vos témoignages nous indiquent que ce n’est pas toujours possible. Les entraves sont nombreuses.

Vous avez tous beaucoup d’expérience. Pouvez-vous indiquer à notre comité les autres mesures qui doivent être prises afin d’aider les gens à réintégrer la société, mis à part la question du casier judiciaire?

M. Myette : Si l’on parle de ceux qui sont incarcérés, les appuis les plus importants sont l’offre de programmes efficaces pendant la période d’incarcération ainsi que la participation de la collectivité.

Comme bien d’organismes à but non lucratif dans le secteur de la justice pénale, nous envoyons nos membres ainsi que des bénévoles dans les prisons afin de tisser des liens avec les détenus pour éviter qu’ils ne soient pas complètement isolés. Les gens qui arrivent en prison ont toutes sortes de problèmes. Ils sont enfermés pendant une certaine période. Si vous avez déjà visité certains établissements au Canada, vous savez que ce ne sont pas des endroits sains. La santé mentale des personnes détenues n’y est aucunement améliorée. En fait, elle se dégrade. Plus le processus de réintégration est normal, mieux c’est. Essentiellement, notre organisation, qui cherche à offrir un soutien par les pairs, vise à réintégrer les détenus dans la collectivité en tissant des liens solides et en les accompagnant lors de leur libération.

Souvenons-nous que les gens veulent aider les autres. Nous prévoyons sept étapes, et l’une d’entre elles consiste à aider les autres comme on a soi-même été aidé. C’est précieux. Un soutien de ce genre aidera les détenus à mieux réintégrer la collectivité. Comme vous l’avez dit, il faudra effectivement se pencher sur la question du casier judiciaire qui peut freiner la réintégration.

Je ne suis pas sûr que cela répond adéquatement à votre question. La participation de la collectivité et l’accueil de l’ancien détenu en tant que personne digne de le recevoir sont des facteurs importants. Le pardon est la dernière étape d’un parcours qui consiste à dire à la personne qu’elle est acceptée dans la collectivité.

Il faut également se souvenir que l’État doit faire preuve de leadership au sein de la collectivité et dire qu’il a pris les mesures nécessaires pour réadapter la personne et la réintégrer dans la collectivité. Il faudra prévoir toute une gamme de soutiens, bien évidemment.

La sénatrice Jaffer : Lorsque vous dites que l’État devra assurer la réadaptation, c’est clair que ce n’est pas ce qui se passe. L’État ne participe pas réellement à la réadaptation de la personne lorsqu’elle est libérée. La personne est livrée à elle‑même. Nous savons que la démarche est longue pour obtenir une suspension du casier judiciaire, ce qui fait un souci de plus, et il en existe tant d’autres. Cela veut dire que la personne risque de se retrouver en prison, ce qui n’arrange pas les choses, n’est‑ce pas?

Quelle en est votre expérience? C’est un cercle vicieux. On commet une erreur. On va en prison pour la première fois. À la libération, la vie devient plus difficile que celle en prison à cause de tous les facteurs différents liés au fait de vivre dans une société ouverte. Ensuite s’ajoute le risque de récidive. Sommes‑nous en train de créer un cercle vicieux si l’État ne participe pas aux efforts de réadaptation?

M. Sauvé : Les détenus des établissements fédéraux connaissent d’énormes défis à leur libération conditionnelle. Ils sont libérés sans ressource, sans argent. Bon nombre d’entre eux n’ont même pas de pièces d’identité. De plus, ils doivent trouver un logement. De nombreux détenus vont dans les maisons de transition. Ces gens-là n’ont pas de médecin pour obtenir des soins de santé. Certains d’entre eux ne peuvent pas retourner dans la collectivité dans laquelle le crime a été commis. Ils doivent aller ailleurs. Il y a un grand sentiment d’isolement qui facilite la récidive. J’ai vu de nombreux détenus libérés sans argent, sans ressource et aucune possibilité de réussite.

La sénatrice Clement : Je vous remercie de vos exposés.

Monsieur Sauvé, nous nous sommes rencontrés cet été à l’Établissement pour femmes Grand Valley. Ce fut un honneur pour moi de constater la valeur et l’ampleur du travail que vous faites avec la Société Saint-Léonard du Canada. C’est tout à fait remarquable. Tous les parlementaires devraient visiter les prisons; leur travail en sera amélioré. Merci.

J’aimerais donner suite à quelque chose qu’a dit M. Myette. Vous avez parlé de la façon dont le pardon, mot que vous avez utilisé de façon percutante, vous a donné de la confiance. C’est un état d’esprit.

Dans la clinique juridique où je travaillais, lorsque nous avions les ressources nécessaires, nous avons représenté et aidé des gens à faire la démarche compliquée. Moi-même, j’ai accompagné des clients. Même à cela, certains y renonçaient. Ces personnes venaient souvent de communautés marginalisées, en passant. Elles menaient des vies chaotiques, elles devaient chercher un logement et un emploi et elles abandonnaient leur demande, même avec l’aide de la clinique juridique. Pouvez-vous nous parler des gens qui y renoncent et de la façon dont le projet de loi S-212 les aiderait?

M. Myette : Il faudrait que les gens aient la certitude d’en venir à bout en purgeant leur peine, en suivant les programmes recommandés et en bénéficiant de certains soutiens. Votre collègue a demandé ce que l’on pourrait faire pour aider les gens à mieux se réintégrer. Il faut que les systèmes de soutien soient en place, et non seulement le système gouvernemental, mais également ceux des organisations communautaires qui, elles, ont besoin d’appui.

Chaque fois que nous nous présentons à Sécurité publique Canada à Ottawa, nous devons demander des fonds, car la justice pénale et la réintégration et la réadaptation dans la collectivité ne sont pas une cause populaire. Les gens donnent à d’autres causes et nous dépendons dans une certaine mesure du contribuable qui nous aide et qui soutient les organisations communautaires. Celles-ci aident les anciens détenus afin qu’ils puissent trouver un logement et un emploi et qu’ils sachent qu’il y a quelqu’un qui se soucie d’eux.

De plus, ces personnes croient qu’en purgeant leur peine et en obtenant une suspension de leur casier judiciaire, elles seront pardonnées d’une certaine façon. Il y avait un ancien ministre du cabinet, que je ne nommerai pas, car je ne suis pas sûr de son nom. Je me souviens de ses propos, cependant. Il a dit que ce n’est pas la responsabilité de l’État de pardonner; c’est la société qui doit le faire. Mais la société doit avoir un leadership, il faut que quelqu’un prenne les devants. Dans bien des cas, c’est l’État, car c’est l’État qui inflige des peines aux personnes et c’est l’État qui s’occupe d’elles. À mon avis, il revient à l’État ou au gouvernement d’accorder le pardon.

Je le répète, il faut que les gens sachent qu’il existe des ressources et qu’elles ne sont pas obligées d’abandonner. Je vous le dis, l’incarcération fait beaucoup plus de tort aux gens qu’elle ne les aide.

Certains diront : et alors? Ce sont des gens qui ont violé la loi, elles le méritent bien. Cette attitude rend-elle notre société plus sûre? Si on parle de la sécurité publique, il faut parler de tous les moyens dont nous disposons pour rendre la société plus sûre. Comment faire? On peut commencer en empêchant la récidive. Le Cadre fédéral visant à réduire la récidive est un bon point de départ. Nous y adhérons en tant que membres des Associations nationales intéressées à la justice criminelle. Nous avons conclu un partenariat avec Sécurité publique Canada pour jeter les bases du cadre afin de le rendre plus efficace.

Mme Desai : M. Myette a déjà parlé du problème, mais je sais qu’en vertu du système actuel, le gouvernement accorde des fonds pour aider les gens à faire une demande de suspension du casier judiciaire selon le système en vigueur. Je sais que les personnes qui font ce travail perdent des clients, des clients qui sont passés par les premières étapes de la demande et ont été bloqués par des amendes en souffrance qu’ils n’avaient pas les moyens de payer. Ils ont renoncé.

Pour revenir à ce qu’a dit M. Myette sur la réintégration réussie et l’amélioration de la sécurité des communautés, on voudrait un processus rationalisé qui permettra aux gens d’avoir une vie productive et valorisante pour eux, sans risque d’être incarcéré ou d’avoir des démêlés avec la police.

Pour répondre à la remarque de la sénatrice Jaffer concernant les obstacles à la réintégration, je dirais que le logement est un élément important. Le projet de loi touche une partie importante d’un obstacle majeur. Une personne peut avoir tout le soutien en santé mentale et toutes les autres choses dont elle a besoin, mais si elle n’a pas un endroit sûr où vivre, quelles sont les chances que les choses fonctionnent pour elle? À mon avis, toute mesure qui permet d’éliminer un obstacle à l’accès à un logement sûr devrait constituer une priorité pour le gouvernement. Mes recherches sont largement axées sur le logement et l’itinérance. La justice pénale est évidemment un autre sujet qui m’intéresse vivement, mais je considère que ces questions sont liées. C’est certainement ce qui ressort du projet de loi.

La sénatrice Pate : Je vous remercie tous de votre présence et du travail que vous accomplissez chaque jour, ainsi que de votre travail bénévole, qui est souvent non rémunéré.

Messieurs Myette et Sauvé, vous êtes tous deux des Autochtones. Vous connaissez les difficultés particulières auxquelles sont confrontés ceux qui sortent de prison. Monsieur Myette, vous vivez dans une province où 90 % des hommes autochtones ont un casier judiciaire à l’âge de 30 ans. Vous avez déjà parlé des conséquences de cette situation.

Je tiens à ce que ce soit clair, car certaines observations ont été moins claires. Vous avez raison : c’est après deux ans pour une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, cinq ans sans qu’un crime ait été commis, mais aussi il n’y a pas d’expiration automatique si des alertes ont été émises. Alors, la Commission des libérations conditionnelles fait une vérification et cela apparaît comme un signalement dans le système du Centre d’information de la police canadienne, le système du CIPC, qui est un système automatisé. Je tiens à préciser que ce n’est pas qu’il doit s’agir d’une condamnation, que ce doit être signalé et que cela peut être ensuite examiné.

Je reçois encore des appels constamment, malgré les 18,5 millions de dollars qui ont été versés à vos merveilleux organismes pour aider les gens qui essaient de s’y retrouver dans le processus. Je me demande si vous pourriez nous en dire plus sur les liens étroits entre ces questions. Aujourd’hui même, je parlais à une femme qui, parce qu’elle ne pouvait pas trouver d’emploi à cause de son casier judiciaire, se trouvait dans un refuge pour sans-abri. Elle envisageait de vendre son corps et de travailler dans un club de striptease parce que c’était le seul milieu où l’on ne demandait pas une vérification du casier judiciaire. J’ai été frappée de voir à quel point toutes ces questions sont étroitement liées les unes aux autres quant à la capacité à élever des enfants et à se loger de cette personne. Comme elle l’a dit, elle ne veut pas recommencer à consommer des drogues pour s’insensibiliser.

Pouvez-vous décrire les étapes du processus actuel et sa durée? Vous avez parlé, tout comme l’a fait la sénatrice Clement, des personnes qui ne vont pas jusqu’au bout du processus. Je suis au courant également de ce genre d’histoire. Quels seraient les effets réels, selon vous, pour certaines des personnes que vous connaissez? Quelle incidence la mise en place de cette mesure aurait-elle sur elles?

M. Myette : Le niveau de capacité des personnes qui suivent les étapes du système varie. Certaines peuvent s’en sortir facilement, mais pour une forte proportion des gens incarcérés, ce n’est pas le cas. Si l’on considère le nombre de détenus dans les prisons provinciales, les Autochtones et les membres de communautés marginalisées qui sont en prison, ils sont désavantagés d’emblée. S’ils ont en plus des problèmes de santé mentale et des problèmes de toxicomanie qui sont généralement causés par des problèmes de santé mentale, ils se retrouvent en situation de faiblesse au départ.

Il y a environ un an, j’ai eu une discussion avec un dirigeant de la Commission des libérations conditionnelles du Canada au sujet de la mise en œuvre du projet concernant les pardons. Il m’a dit « si vous trouvez de bons processus pour aider les gens à s’y retrouver dans le système, dites-le-nous, car nous ne savons pas quoi faire ». Le processus est déjà tellement compliqué, mais est-ce vraiment nécessaire qu’il en soit ainsi?

Voilà la question. Pourquoi faut-il que ce soit tellement compliqué que même la Commission des libérations conditionnelles du Canada, qui est chargée d’accorder les pardons, a parfois du mal à comprendre ce qu’il faut faire? Il y a deux niveaux — je crois qu’il existe, en fait, quatre avenues, si je ne me trompe pas, pour obtenir une suspension du casier ou un pardon, et la confusion règne même à ce sujet.

Je pense qu’il faut simplifier quelque peu l’ensemble du processus et je ne pense pas que, ce faisant, nous créerons une société dangereuse, bien franchement. Je pense qu’en simplifiant le processus, nous allons rendre la société plus sûre. Pour des gens qui pourraient être des membres actifs de la société, au lieu d’être un fardeau parce qu’ils ne se comportent pas correctement, nous avons une solution. Nous devrions avoir honte si nous ne faisons rien à cet égard.

Le processus existe depuis si longtemps et il n’a pas vraiment été amélioré. Nous devons donc nous en occuper d’une manière qui aidera les gens, de sorte que le processus soit simplifié, en particulier pour les personnes ayant des difficultés. L’analphabétisme est un problème majeur pour beaucoup de gens. C’est l’un des aspects.

Nous avons deux bureaux pour notre projet sur les pardons. L’un se trouve à Dartmouth et l’autre, en Alberta, à Calgary. Une forte proportion des gens qui viennent demander de l’aide ont de la difficulté à lire et à écrire et ont toutes sortes d’autres problèmes. Ce sont là les personnes pour qui, en fait, ce serait bénéfique parce que l’emploi constitue évidemment l’un des problèmes. Il y a aussi la question du logement, comme l’a dit Mme Desai, et le processus s’éternise pour elles. Dans de nombreux cas, c’est ce qui les force à abandonner, comme la personne que vous avez mentionnée et qui pense maintenant qu’elle doit vendre son corps pour subvenir à ses besoins.

Le président : Merci, monsieur Myette.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’aurais d’abord une question pour vous, monsieur Myette. Merci à vous trois d’être ici aujourd’hui. Vous avez dit quelque chose de très intéressant, à mon avis. Quand vous avez commencé votre présentation, vous avez dit que vous étiez un ancien détenu, que vous avez obtenu un pardon, que vous avez changé votre vie et que le pardon que vous avez obtenu vous a donné confiance.

Je ne veux pas être indiscrète, mais ma question est la suivante : diriez-vous que c’était la décision de changer votre vie qui vous a amené à obtenir un pardon, ce qui vous a donné confiance, ou bien l’inverse? On fait beaucoup de caricatures et on serait devant des détenus qui vont devenir des récidivistes. C’est de plus en plus agaçant et on essaie d’aller un peu plus loin et de comprendre vraiment, alors vous me permettrez de poser ce genre de questions.

[Traduction]

M. Myette : Tout d’abord, j’avais décidé de changer ma vie bien avant d’obtenir un pardon. Le pardon a été la cerise sur le gâteau qui m’a permis de ne plus avoir ce sentiment lié aux préjugés. Pendant de nombreuses années, même si j’avais obtenu un pardon, je continuais à penser que je ne pouvais pas parler trop ouvertement de mon passé criminel parce que je vivais dans une société... Même si j’avais obtenu un pardon, je me gardais bien d’en parler à tout le monde, mais ce n’était pas nécessaire. Je savais que je n’avais pas à en parler et les gens ne me posaient pas de questions. Je veux dire que j’ai eu de la chance dans bien des cas. Toutefois, si on me posait la question, je pouvais dire que je n’avais pas de casier judiciaire parce que j’avais obtenu un pardon. C’était là le but.

Beaucoup de gens décident de changer leur vie. Ce n’est pas comme si un pardon allait, comme par magie, faire d’eux des gens accomplis. Évidemment, ils ont déjà pris la décision de s’améliorer. Je pense que cela les aide à ne plus avoir ce sentiment lié aux préjugés et à ne plus ressentir la honte dans certains cas, ce qui les aide dans les décisions qu’ils ont déjà prises.

Si cela aide davantage les gens sur le plan de l’emploi, du logement ou des assurances, par exemple, c’est bien. Même aujourd’hui, les compagnies d’assurance posent la question : Est-ce que quelqu’un dans votre maison a un casier judiciaire? Eh bien, quel est le rapport avec l’obtention d’une assurance habitation? Je suppose que si vous avez été condamné pour incendie criminel, c’est peut-être pertinent, mais autrement, j’en doute, pour être honnête avec vous.

C’est pourquoi je reviens sur cette observation concernant l’état d’esprit, car c’est l’un des aspects. Nous sommes tous guidés par nos émotions dans une large mesure. Si nous pouvons y faire face et surmonter nos peurs et notre manque de confiance en nous, je pense que c’est la meilleure chose, parce que tant de gens sortent de prison et l’un de nos fondateurs de la 7th Step Society a dit que leur estime de soi était à son plus bas. Voilà l’état dans lequel elle était, alors tout ce qui peut aider à la rebâtir est bienvenu. Certains diront qu’on ne peut pas simplement serrer les criminels dans ses bras. Dans certains cas, oui, on peut le faire, parce que c’est ce qui manquait à la personne dans sa vie, soit peut-être un peu de compassion et ce genre de choses.

Encore une fois, ce qu’il ressort du pardon, c’est le fait que la société est prête à donner une chance à ces personnes.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse à vous trois. Pour répondre à la question du sénateur Boisvenu, à savoir si vous avez des données? Notre comité ne devrait-il pas plutôt demander des données à ceux qui assurent le financement, comme Service correctionnel Canada et la Commission des libérations conditionnelles du Canada? On comprend que vos organisations fonctionnent avec un financement minimal. Posons-nous la question à la mauvaise autorité ou au mauvais organisme? Ne devrions-nous pas plutôt demander aux gouvernements ce qu’ils réussissent à faire et ce qu’ils ont comme données? On sait que les données gouvernementales sont un problème. Ne devrions-nous pas forcer davantage les instances en autorité à se doter de systèmes qui vont générer des données?

[Traduction]

M. Sauvé : Il serait important d’examiner les données du gouvernement. Les organismes ne disposent pas de telles ressources, mais la Commission des libérations conditionnelles du Canada et Service correctionnel Canada devraient les fournir.

J’aimerais revenir brièvement sur ce qu’a soulevé la sénatrice Pate au sujet des prisonniers autochtones et des gens de couleur qui sont en prison. Ils représentent une proportion croissante des détenus. Certains des outils d’évaluation utilisés étaient discriminatoires à leur égard. Bon nombre d’entre eux ont de la difficulté à trouver un logement; bon nombre d’entre eux vivaient dans des logements pour les personnes à faible revenu. Certains d’entre eux viennent des réserves.

J’ai été stupéfait lorsque j’ai commencé à retourner dans les prisons. Je me suis rendu à l’Établissement de Beaver Creek, qui s’appelait à l’époque l’Établissement Fenbrook, et c’est là qu’on emmenait la plupart des prisonniers inuits. On les emmenait à Gravenhurst, à des milliers de milles de leurs familles et de leurs ressources. Bon nombre d’entre eux venaient à Ottawa sans n’avoir jamais vécu dans la ville de leur vie. Je vois tant d’Autochtones et de personnes de couleur et tout joue contre eux lorsqu’ils réintègrent la collectivité.

Pour ma part, j’ai réussi lorsque j’étais en prison malgré cela, et non grâce à cela. Quand j’y entre aujourd’hui, je vois que les possibilités qui m’avaient été offertes n’existent plus dans les prisons.

Le président : Je dois maintenant vous interrompre, monsieur Sauvé. Merci beaucoup.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup. Ma question s’adresse à Mme Desai.

J’ai émis des critiques au sujet d’une version antérieure du projet de loi. Je demeure très préoccupée par le projet de loi qui est à l’étude, en particulier par l’idée d’accorder automatiquement un pardon absolu à certaines personnes qui ont été reconnues coupables de crimes très graves. En raison de l’aspect automatique, certaines situations bien réelles et alarmantes passeraient vraiment à travers les mailles du filet dans le cadre de cette mesure législative. Je pense à une situation où une femme âgée qui s’occupe de son petit-enfant loue, sans le savoir, un appartement au sous-sol de son domicile à un délinquant qui a purgé une peine pour des crimes très graves. Ou prenons le cas d’un délinquant qui a purgé une peine pour une agression sexuelle grave, qui a obtenu une suspension de son casier judiciaire et qui trouve ensuite un emploi d’agent immobilier dans lequel il pourrait faire visiter des résidences à des clientes seules.

Pouvez-vous formuler des observations sur ce type de situations? Il ne s’agit peut-être pas des situations auxquelles les gens pensent dans le cadre du projet de loi, mais elles peuvent très bien se produire. La possibilité que ce type de situations se produise ne vous préoccupe-t-elle pas, vous et votre société, dans le contexte du projet de loi?

Mme Desai : Certainement.

Je ne veux pas donner l’impression que deux camps s’opposent. Personne ne préconise autre chose que des mesures justes, équitables et proportionnelles aux activités criminelles. Je ne pense pas que nous appuyions la dissimulation de renseignements importants à la police ou au système de justice pénale. Si des personnes s’adonnent à des activités criminelles, il doit y avoir un processus en place.

C’est difficile parce qu’il s’agit d’une réaction émotive à une question qui suscite des préoccupations bien légitimes. Cependant, le malaise réside dans le fait d’accepter ce que les recherches nous montrent, à savoir que, dans l’immense majorité des cas, si une personne n’a pas commis d’autres actes criminels pendant un certain temps et qu’elle bénéficie du soutien nécessaire... Si un individu en arrivait au point où il serait capable de devenir agent immobilier, je me réjouirais de voir que quelqu’un qui était en prison a été capable d’atteindre un point où il a pu trouver un emploi sûr.

Toutefois, ce qui se passe concrètement, en ce qui a trait à la gestion des risques, c’est que pendant une certaine période, les gens démontrent qu’ils ont évolué et qu’ils ne présentent pas plus de risque de récidive que n’importe qui d’autre. C’est ce que nous disent les recherches et c’est ce qui nous met mal à l’aise en ce qui concerne ce type de situations hypothétiques. Puis, réfléchir à ce que les recherches nous apprennent sur la participation des personnes à des activités criminelles est un peu différent de cela.

La sénatrice Batters : Certains crimes très graves peuvent être des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Admettriez-vous que, peut-être, une période de deux ans n’est pas suffisante pour ce type de situations?

Mme Desai : Je sais que vous avez entendu de nombreux autres témoins qui sont probablement bien placés pour parler précisément de la question du temps. Les honorables membres du comité ici présents doivent se demander quelle serait cette période, mais je pense qu’il doit y avoir une période déterminée. Si nous ne croyons pas qu’il peut y en avoir une, alors nous disons essentiellement que nous ne croyons pas au système de justice pénale tel qu’il est établi actuellement.

Nous devons croire en la réadaptation. Cela doit inclure le concept de réintégration après de nombreuses années suivant une condamnation. À un moment donné, nous devons nous appuyer sur une période déterminée afin de respecter fondamentalement les principes de notre système de justice pénale. C’est à vous d’en décider, pas à moi, mais je pense qu’il est important que vous en discutiez.

Le sénateur Klyne : Merci. Bienvenue à nos invités.

Ma question s’adresse à M. Sauvé. Nous nous sommes rencontrés il y a quelques années. J’étais en compagnie de la sénatrice Pate et nous visitions des centres correctionnels. Il en est ressorti deux choses mémorables. La première, c’est qu’en discutant avec certains prisonniers — et il s’agissait de détenus dits « à sécurité maximale », de façon générale —, j’ai constaté qu’ils avaient accès à des programmes de réadaptation, mais qu’ils n’en bénéficiaient pas. C’est une chose qui m’est restée à l’esprit.

La seconde, c’est le travail formidable que vous accomplissiez auprès de certains hommes qui avaient des problèmes avec l’autorité, etc. Vous aviez un excellent programme qui menait probablement à une réadaptation réussie, je suppose. Je sais que cela a été vrai dans de nombreux cas.

J’ai deux questions brèves. Croyez-vous que l’octroi d’un pardon suffit en soi à favoriser une réintégration réussie d’un détenu dans la société? Ensuite, l’exécution d’un programme de réadaptation qui a fait ses preuves avant qu’un prisonnier finisse de purger une peine contribuerait-elle grandement au succès de sa réintégration?

M. Sauvé : Le pardon est un des outils qui incitent les gens à rester dans le droit chemin et à sentir qu’ils sont des citoyens et peuvent réintégrer la communauté. C’est donc tout à fait vrai.

En ce qui concerne les programmes offerts dans les établissements, je vois beaucoup de personnes de couleur qui en sont exclues parce que l’on considère qu’elles appartiennent à un groupe menaçant la sécurité, ce qui signifie qu’elles ont été associées à un gang. Elles sont donc écartées de ces programmes. Des barrières sont dressées devant tellement de personnes. Ce ne sont pas tous des membres de gangs; la grande majorité d’entre eux ne le sont pas, mais s’ils apparaissent sur une photo aux côtés d’un membre, cette étiquette peut leur être accolée.

Ils sont alors écartés des programmes, des emplois et transférés à un niveau de sécurité inférieur. Cela leur montre qu’ils ne sont pas égaux et qu’ils sont tenus à l’écart.

J’estime qu’une grande partie des programmes devraient être offerts au sein de la collectivité, et qu’une part importante des ressources dépensées dans le système carcéral devraient être consacrées à la prévention de la criminalité.

Le pardon ne s’applique pas à moi, mais il donne aux gens l’impression d’être acceptés de nouveau. Ils sentent qu’ils ne sont plus marqués d’un stigmate. Je pense donc que c’est un élément important.

Le sénateur Klyne : Je vous remercie.

Le président : Sénateur Boisvenu, il nous reste deux minutes pour le deuxième tour.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Madame Desai, vous dites que vous faites beaucoup de lecture et de recherches; avez-vous lu le rapport du vérificateur général de 2018 sur le taux de récidive au Canada?

[Traduction]

Mme Desai : Non, je ne l’ai pas lu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le rapport nous informe que le taux de récidive au Canada ne tient pas compte des gens incarcérés dans les prisons provinciales. La population dans les prisons provinciales au Canada est cinq fois plus élevée que dans les pénitenciers fédéraux. Donc, on peut considérer que le taux de récidive est beaucoup plus élevé que les 10 % que la sénatrice Jaffer vient de mentionner.

Comment la Commission des libérations conditionnelles du Canada pourra-t-elle suivre cette population qui se trouve dans les prisons provinciales — ces gens sont remis en liberté sans que la commission en soit informée —, alors que, dans ces prisons, il y a cinq fois plus de délinquants que dans les pénitenciers fédéraux? Comment ce suivi pourra-t-il être fait? Ne croyez-vous pas qu’il y a un problème? Monsieur Myette, vous semblez hocher de la tête.

[Traduction]

M. Myette : Pour ce qui est du nombre de personnes qui passent par le système provincial, vous avez raison de dire qu’il y en a beaucoup à l’échelle du pays. Cependant, dans une large mesure, ces personnes ont bien souvent commis ce que j’appellerais des infractions contre les biens — si vous deviez classer le degré de menace à l’égard de la collectivité...

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends. Cependant, comment la commission pourra-t-elle suivre le taux de récidive avec une population aussi élevée? On compte 55 000 détenus dans les prisons provinciales et 15 000 dans les pénitenciers fédéraux. Il y a donc 70 000 personnes à suivre. Comment est-ce humainement faisable, selon vous?

[Traduction]

Le président : Sénateur Boisvenu, nous allons maintenant donner à M. Myette une minute sans interruption pour répondre.

M. Myette : C’est l’avantage du pardon automatique. Si des gens n’ont pas commis de crime depuis un certain temps, cette mesure allégera le fardeau de la Commission des libérations conditionnelles. Il est évident qu’il y aura une forme de surveillance, notamment un examen administratif, une vérification de casier judiciaire et ce genre de choses pour déterminer si la personne a récidivé.

Mais quand un individu n’a pas commis de crime pendant cette période et que toutes les autres mesures de soutien sont mises en place... Il ne faut pas croire que le pardon sera une solution miracle.

De toute évidence, ce n’est pas le cas.

Une question précédente portait sur ce qui peut être fait pour faciliter la réintégration des personnes. Les systèmes correctionnels provinciaux commencent à s’en rendre compte. J’ai échangé récemment avec les gouvernements du Nouveau-Brunswick et de la Colombie-Britannique, qui ont injecté d’importantes sommes d’argent dans des programmes visant à donner aux personnes libérées une meilleure chance de réussir dans leur milieu. Auparavant, les prisons provinciales étaient avant tout des entrepôts. Les gens se présentaient au tribunal et disaient : « Donnez-moi plus de deux années, car si je vais dans une prison provinciale, je ne recevrai ni soutien ni programme. »

Je ne veux pas blâmer les provinces et dire que tout est leur faute, mais la situation évolue, et les provinces l’ont admis. J’espère que nous en verrons les avantages ces prochaines années.

Quoi qu’il en soit, je ne suis pas certain d’avoir répondu à la question, mais ce problème doit être réglé. Évidemment, comme M. Sauvé l’a dit plus tôt, l’objectif est, si possible, d’empêcher la personne de passer par le système carcéral provincial, de commettre des crimes plus graves, puis d’aboutir dans les pénitenciers fédéraux. Nous aurons alors réalisé un gain d’emblée. Toute mesure permettant d’atteindre cet objectif mérite d’être étudiée.

Le président : Je vous remercie, monsieur Myette.

Permettez-moi de conclure cette partie de notre séance. Je remercie tout d’abord les sénateurs de leurs échanges avec les témoins, mais surtout Mme Desai, M. Sauvé et M. Myette pour leurs déclarations éclairées et leur ouverture à répondre à nos questions.

Honorables sénateurs, nous poursuivons notre examen du projet de loi S-212 en compagnie de notre deuxième groupe de témoins. Nous avons le plaisir d’accueillir les représentantes de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : la directrice générale Emilie Coyle — bon retour parmi nous, madame Coyle — et la directrice générale associée Nyki Kish. Nous recevons également Christa Big Canoe, directrice des affaires juridiques des Services juridiques autochtones, qui comparaît par vidéoconférence. Je vous souhaite la bienvenue.

Nous commençons par les remarques liminaires de Mme Coyle, qui sera suivie de Mme Big Canoe. Comme vous le savez, nous invitons chaque groupe à prendre la parole cinq minutes, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.

Emilie Coyle, directrice générale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Je vous remercie infiniment. Je partagerai mon temps de parole avec Nyki Kish, la directrice générale associée de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, ou ACSEF.

Je tiens à remercier les honorables sénateurs de nous accueillir à nouveau. Comme vous le savez, l’ACSEF s’efforce de remédier à la déshumanisation et à l’exclusion sociale persistantes des femmes et des personnes de diverses identités de genre criminalisées. La discussion d’aujourd’hui est donc étroitement liée à notre travail.

Nous regroupons également 22 Sociétés Elizabeth Fry locales, dont plusieurs offrent des programmes de suspension du casier judiciaire et des services de première ligne pour soutenir les femmes et les personnes de diverses identités de genre ayant des démêlés avec la justice.

Comme vous le savez, nous travaillons étroitement chaque jour avec des personnes victimisées qui vivent une exclusion sociale et subissent des préjudices en raison des effets durables d’un casier judiciaire. L’ACSEF est également membre de la Coalition nouveau départ, un comité dont vous avez déjà entendu plusieurs fois le témoignage.

Nous sommes ici aujourd’hui pour mettre en lumière la nécessité d’assurer une administration responsable de la justice, et l’avantage net qu’en retirera la société. Certaines crises ont une incidence sur nos systèmes, mais passent sous votre radar. Nous saluons cette proposition législative puisqu’elle répond à ces crises de trois manières très importantes.

Premièrement, elle s’attaque à un enjeu crucial qui préoccupe tout le monde, à savoir la sécurité publique. Il s’agit d’une question non partisane. Tout le monde veut se sentir en sécurité dans son environnement.

Deuxièmement, elle nous offre une façon proactive de nous rapprocher de nos objectifs nationaux en matière de réconciliation, d’accès à la justice et de pays équitable.

Enfin, même si nous admettons que le sujet peut être chargé d’émotion, nous sommes ravis de constater que la rédaction du projet de loi est fondée sur des preuves tangibles.

Nyki Kish, directrice générale associée, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Assurer la sécurité publique grâce à la réintégration dans la collectivité est l’objectif ultime et le moteur de notre système carcéral. C’est le résultat que nous souhaitons atteindre à l’égard des personnes condamnées pour les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et par voie de mise en accusation, y compris les infractions prévues aux annexes 1 et 2. Les études indiquent clairement que les systèmes qui favorisent la réintégration sont garants de la sécurité publique.

Cependant, notre régime de casier judiciaire fait actuellement obstacle à cet objectif. Nous punissons les gens au moyen de la prison, puis nous continuons de les pénaliser longtemps après leur peine en les empêchant d’avoir un emploi, un logement, une famille et une réelle participation à la société, comme nous l’avons entendu.

Nous connaissons personnellement de nombreuses personnes touchées, qui ont purgé leur peine, puis qui font de leur mieux pour essayer d’améliorer leur vie et celle de leur communauté. Par exemple, une personne de notre réseau a fini de purger sa peine il y a quelques années. Elle a trouvé un emploi dans la prestation d’un service de première ligne qui aide les autres membres de son milieu. Elle a récemment appris qu’elle devait quitter son appartement. Cependant, elle n’a pas pu trouver un nouveau logement sécuritaire en raison de la vérification du casier judiciaire lors de ses demandes de logement. Elle nous a confié craindre de devoir travailler pendant qu’elle vit dans son véhicule.

Trop de personnes se heurtent à ces obstacles inutiles et immuables à la réintégration tout au long de leur parcours. Des personnes se voient refuser des emplois qui pourraient devenir leur profession. On leur refuse même parfois des possibilités de bénévolat.

Mme Coyle : Je suis très heureuse de comparaître aux côtés de Mme Big Canoe, qui, j’en suis sûre, parlera elle aussi de cet enjeu. En fait, le gouvernement sait déjà que l’incarcération massive des Autochtones est une crise flagrante. Les Autochtones représentent 50 % de la population des prisons fédérales pour femmes, et plus de 90 % de certaines prisons provinciales des Prairies. Le gouvernement a pris certaines mesures, comme investir des fonds importants dans le secteur des ONG pour mettre en œuvre les programmes de suspension du casier judiciaire. Il s’agit d’une reconnaissance de cette réalité, mais l’ACSEF, qui effectue ce travail, signale que le processus demeure laborieux et inaccessible pour de nombreuses personnes. Il faut raccourcir les délais et abolir les demandes, ce qui aura un effet direct sur les nombreuses personnes qui n’ont pas accès à la suspension du casier judiciaire. Cette mesure permettra également d’alléger considérablement la pression sur les ressources publiques, qui pourraient être mieux utilisées, comme nous l’avons entendu plus tôt.

L’article 4 du projet de loi prévoit l’expiration du casier dans un délai de deux et de cinq ans, respectivement, sans devoir passer par le système ultérieurement. Si nous réfléchissons à tout ce qui se passe dans la vie d’une personne en cinq ans, il serait difficile d’affirmer que ce délai n’est pas suffisant, d’autant plus que lorsque nous visitons les prisons, nous y voyons des personnes très jeunes de 18, 19 ou 20 ans. Pensez à la différence qu’il y a entre une personne de 20 ans et une autre de 25 ans. Ce sont des changements simples et efficaces qui nous rapprochent de notre objectif d’avoir un système judiciaire responsable et équitable.

Mme Kish : Il est important de noter que le projet de loi ne s’adresse pas à toutes les personnes criminalisées. Nous considérons ces dispositions législatives comme un système à deux paliers, à savoir les infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, et celles qui le sont par voie de mise en accusation. Mais comme l’a dit M. Sauvé, le projet de loi exclut 26 % des détenus du système correctionnel fédéral qui purgent une peine d’emprisonnement à perpétuité ou d’une durée indéterminée, une population composée d’Autochtones, de Noirs et de personnes défavorisées.

Au cours des dix dernières années, l’Aperçu statistique du système correctionnel et de la mise en liberté sous condition a révélé que 61 % des femmes condamnées à une peine d’emprisonnement à perpétuité étaient autochtones. Nous avons donc plutôt un système à trois paliers.

Malgré tout, le projet de loi commence surtout à s’attaquer à l’incarcération massive des femmes autochtones et des personnes de diverses identités de genre en supprimant les obstacles à la réintégration.

Mme Coyle : Je vais conclure. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, monsieur le sénateur, ce sera ma dernière minute de parole. Si nous allégeons les peines sévères dont écopent les personnes qui retournent inutilement dans le système carcéral parce qu’ils continuent à subir une exclusion sociale attribuable à leur casier judiciaire, nous améliorerons évidemment la vie d’innombrables personnes, y compris les Autochtones dont nous parlions plus tôt. Nous donnerons ainsi les moyens à nos systèmes de s’attaquer de manière plus réfléchie à des maux sociaux légitimes.

Je vous invite à lire un article d’opinion paru en octobre 2022 dans le Toronto Star, que nous avons rédigé en collaboration avec le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes et Luke’s Place. Il dit ceci :

La recherche en sciences sociales est explicite : il n’est pas possible de prédire si une personne risque d’être violente à l’avenir à la lumière uniquement d’un casier judiciaire. En revanche, le fait d’empêcher les gens d’avoir un emploi ou un logement stable augmente considérablement leur probabilité de démêlés avec la justice.

Je vous remercie de votre attention.

Le président : Je vous remercie toutes les deux.

Christa Big Canoe, directrice des affaires juridiques, Services juridiques autochtones : Je vous remercie. Meegwetch. [mots prononcés dans une langue autochtone]

Je vais traduire pour vous. Je suis la directrice des affaires juridiques des Services juridiques autochtones, pour notre peuple anishinabeg en quête de vérité. Mmes Coyle et Kish ont fait le gros du travail pour moi. Je vais donc essayer d’être aussi brève que possible.

Le 30 novembre 2021, la sénatrice Pate a mis aux voix sa motion de deuxième lecture du projet de loi, que nous appuyons sans réserve. Les Services juridiques autochtones sont favorables à un processus d’expiration automatique des casiers judiciaires. Il y a des avantages à ce type de processus. C’est particulièrement vrai du côté des Autochtones. Le coût actuel de la procédure de demande et sa lourdeur s’ajoutent aux obstacles qui se dressent déjà devant les Autochtones. Le prix à payer pour la procédure en vigueur introduit une discrimination qui se combine à d’autres inégalités systémiques que subissent les Autochtones même sans avoir de casier judiciaire. C’est pire encore dans le contexte de l’incarcération massive et des interventions policières excessives qui frappent les communautés autochtones au Canada.

Les personnes qui ont purgé leur peine et ont été tenues responsables de leurs actes ont fait exactement cela : ils ont purgé une peine qui, en vertu de la loi — qu’il s’agisse d’une peine minimale obligatoire ou d’une décision judiciaire d’appliquer les principes de détermination de la peine énoncés dans le Code criminel —, est terminée. Une fois que les individus ont purgé leur peine, et que le délai de deux ou cinq ans proposé à l’article 4 du projet de loi est écoulé, comme mes collègues l’ont dit, ils ont besoin, comme tout le monde, d’un emploi, d’un logement, d’une éducation et de possibilités de bénévolat pour être des membres à part entière de leur milieu.

Les inégalités socioéconomiques entre les Autochtones et les autres sont énormes. Elles se traduisent notamment par une concentration supérieure de pauvreté chez les Premières Nations, les Métis et les Inuits, attribuable à des politiques et des pratiques coloniales, y compris à des obstacles à l’éducation et aux occasions économiques. En résumé, les populations autochtones sont plus susceptibles de vivre en situation de pauvreté. Au Canada, c’est la population autochtone qui connaît les plus hauts taux de pauvreté. Il est choquant de constater qu’un Autochtone sur quatre vit dans la pauvreté, soit 25 % d’entre eux, et que 4 enfants autochtones sur 10 vivent dans la pauvreté au Canada, soit 40 % d’entre eux. Vous vous demandez : « Madame Big Canoe, pourquoi parlez-vous des enfants autochtones? » Lorsqu’une personne a un casier judiciaire et n’a pas les moyens de demander un pardon, que ce soit pour des raisons financières ou en raison d’un faible niveau de scolarité, et que cette personne a ensuite des enfants qui vivent eux aussi dans des milieux défavorisés, il est très difficile d’aller dans la bonne direction.

Les Services juridiques autochtones trouvent également important de transférer la responsabilité aux acteurs gouvernementaux, ce que la sénatrice Pate a bien expliqué en novembre 2021.

Il est important que les acteurs gouvernementaux aient la responsabilité de procéder à l’expiration du casier judiciaire une fois que ces délais sont écoulés, sans déclaration de culpabilité ou accusation ultérieure. Il faut éviter de faire porter à l’individu le fardeau financier du lourd processus de demande qui est actuellement en place. Le Centre d’information de la police canadienne, ou CIPC, est lui-même un système automatisé. Je sais que quelques sénateurs ont posé des questions sur le rôle de la commission. Si vous regardez les articles 7 et 8, vous verrez que la commission est tenue d’effectuer une vérification. Il s’agit déjà d’un système automatisé. Mettre en place un processus et faire respecter des délais importants permettraient de lever les obstacles qui empêchent les personnes d’accéder au processus de pardon ou à la suppression du casier judiciaire.

Nous trouvons également extrêmement importante la disposition qui interdira la communication des condamnations et la vérification du casier judiciaire pour un fait qui a ensuite cessé de constituer une infraction. C’est particulièrement vrai pour les femmes autochtones qui peuvent avoir un casier judiciaire attribuable à la prostitution. Parlons de tout ce que nous avons abrogé, des lois en quelque sorte désuètes qui ont contribué aux obstacles systémiques ou à la discrimination que les Autochtones ont subie. Il serait utile qu’une fois le délai écoulé, les personnes n’ayant pas eu d’autres démêlés avec la justice et ayant purgé leur peine puissent faire effacer leur casier judiciaire.

Nous aurons accès aux mesures. Tout cela revient à la première chose que j’ai mentionnée : il s’agit d’un système où les membres des communautés autochtones, qu’ils aient un casier judiciaire ou non, ont moins de scolarité, de possibilités d’emploi et d’accès aux services de mieux-être et de santé, qu’ils vivent en milieu urbain ou dans les communautés éloignées des Premières Nations du Grand Nord.

Nous devrions donc prendre tous les moyens pour que ces personnes, qui ont purgé leur peine et ont tout terminé, aient toutes les chances de vivre et de s’épanouir dans de bonnes conditions.

Voilà ce que je voulais dire. J’attends avec impatience vos questions. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Je vous remercie, madame Big Canoe. Vous tombez à point nommé.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci aux témoins d’être des nôtres. Bienvenue au comité.

Je crois que tout le monde est d’accord pour dire que le système de pardon actuel doit être réformé afin de le rendre plus accessible aux criminels et pour dire que cette réforme ne doit pas se faire au détriment de la sécurité des femmes et des enfants.

Je vais parler pour ma province. On constate que les agressions sexuelles sur des enfants par des adultes, que ce soit des entraîneurs de hockey, des animateurs de scouts ou des professeurs, sont un fléau. La violence conjugale est un fléau au Québec. Les agressions sexuelles sur les femmes sont un fléau.

Le projet de loi ne fait pas de distinction entre les crimes graves et les crimes moins graves. Je comprends que le fait de commettre un vol dans un dépanneur à l’âge de 18 ans peut être une erreur de jeunesse. Toutefois, violer une femme alors qu’on a 35 ou 40 ans, ce n’est plus une erreur de jeunesse.

Ce qui m’embête dans ce projet de loi, c’est qu’on a complètement écarté la notion de victime. On se concentre plutôt sur l’état du délinquant, soit sur son emploi ou son logement. Je partage ces préoccupations, mais ne croyez-vous pas que ce projet de loi, à la base, devrait faire une distinction entre les crimes violents et les crimes mineurs, afin que le pardon soit automatiquement accordé pour les crimes mineurs, mais que, pour les crimes violents — surtout dans les cas de récidive —, cela se fasse à la demande du criminel, pour qu’il y ait au moins une vérification?

Comme je le disais plus tôt, 15 000 personnes sont incarcérées dans les pénitenciers fédéraux et 60 000 le sont dans les prisons provinciales. Or, la Commission des libérations conditionnelles n’a aucune d’information sur ces gens. Comment peut-on avoir un système qui ne fera pas plus de victimes, parce que ces personnes obtiendront un pardon automatique, alors qu’on devrait faire la distinction entre les deux? Êtes-vous d’accord?

Mme Coyle : Votre question s’adresse-t-elle à moi?

Le sénateur Boisvenu : Allez-y. Elle s’adresse à l’une ou l’autre.

[Traduction]

Mme Coyle : Je veux simplement mentionner — et vous me l’avez peut-être déjà entendu dire à d’autres occasions ici, sénateur — que les personnes avec qui nous travaillons dans les prisons pour femmes sont à vrai dire — il y a une distinction erronée qui est faite entre les gens qui ont un casier judiciaire et les victimes... En fait, la plupart des personnes avec qui nous travaillons ont elles-mêmes subi des préjudices à plusieurs reprises.

Ce que nous voulons faire sans faute, lorsque nous prenons une mesure, c’est observer de quelles façons ces personnes tentent de faire leur retour dans la société, de se réintégrer, de se réadapter, et nous ne voulons pas les empêcher de le faire, surtout lorsqu’on sait que les personnes avec qui nous travaillons sont extrêmement vulnérables et souvent très marginalisées, et qu’elles ont subi de nombreux torts dans leur vie.

Je vais m’arrêter ici.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends ce que vous dites, mais là n’est pas ma question. Je comprends très bien votre philosophie, puisque vous travaillez avec ces gens. Ce projet de loi fera en sorte que, demain, des femmes ayant subi de la violence conjugale ne pourront plus s’informer auprès du poste de police, comme elles le font actuellement, sur les antécédents d’un nouveau conjoint qui a des comportements bizarres. Une garderie n’aura plus accès au passé d’un professeur ou d’un animateur qu’on veut engager. Il est là, mon problème. On va effacer toute trace du passé des criminels qui travaillent auprès de clientèles vulnérables. C’est le problème avec ce projet de loi.

Dans le projet de loi, ne devrait-on pas faire une distinction avec les crimes commis contre des enfants ou des femmes, pour faire en sorte qu’on n’accorde pas un pardon automatique, mais qu’il y ait plutôt un processus de demande?

[Traduction]

Mme Kish : Merci de poser la question.

Quand on réfléchit à cette question, il faut penser — comme l’a dit Anita Desai — à l’objectif du système carcéral, car lorsque des personnes sont condamnées et se retrouvent dans le système, les attentes par rapport aux programmes à suivre et aux comportements à adopter sont très élevées, exigeantes et lourdes, peu importe les circonstances entourant la condamnation. Comme beaucoup d’entre vous le savent, c’est malgré de nombreux obstacles dans le système carcéral.

Il faut présumer — à moins de reconfigurer toutes les ressources que nous utilisons pour incarcérer quelqu’un — qu’après avoir passé par le système carcéral et avoir purgé avec succès sa peine, après avoir passé un certain temps dans la collectivité et n’avoir commis aucune irrégularité pouvant mener à des démêlés avec la justice — et nous connaissons toutes les façons dont les gens qui ont été incarcérés sont plus à risque —, c’est tout un exploit de passer deux ou cinq sans démêlés avec la justice.

À ce moment-là, sauf si nous croyons vraiment que les gens sont incapables de changer, ce qui voudrait dire que nous devrions changer tout le système, je pense que nous devons reconnaître que ce que nous faisons actuellement, c’est causer du tort à beaucoup de personnes, et il existe des moyens non polarisants de renforcer la sécurité publique pour tout le monde. Il faut éliminer les obstacles et laisser les gens qui ont travaillé fort pour passer à autre chose effectivement passer à autre chose.

Le président : Madame Big Canoe, avez-vous des commentaires?

Mme Big Canoe : Non. Je vais juste ajouter un petit quelque chose, car je pense que les réponses de Mme Kish et de Mme Coyle suffisent.

Je dirais la même chose ou je répéterais que lorsqu’on parle du délai entre — et il ne faut pas oublier le contexte... Tout d’abord, je suis d’accord pour dire que la majorité des femmes autochtones — et je les utilise comme exemple puisqu’elles représentent la moitié de la population carcérale, et même plus dans certaines provinces — ont subi plus de violence qu’elles en ont probablement créée elles-mêmes.

Mais vous avez parlé de l’autre problème — et pour moi, c’est une sorte de préoccupation qui revient un peu à dire que le ciel nous tombe sur la tête. Oh, le ciel nous tombe sur la tête. Si nous laissons une personne franchir toutes les étapes du système, que se passe-t-il? La réalité, c’est que lorsque nous regardons la situation dans son ensemble, ce n’est pas ce qui se produit.

La période de deux à cinq ans dans le cas de ce genre de personne violente devrait permettre au système de l’attraper. Elle devrait faire l’objet de nouvelles accusations. Le temps qui s’écoule pendant cette période, lorsque la personne ne commet aucun crime et ne fait l’objet d’aucune condamnation, sert à accorder le pardon. L’autre chose à retenir est le concept de la présomption d’innocence.

Si la personne commet une infraction et qu’elle fait de nouveau face au système de justice pénale, elle bénéficie encore de la présomption d’innocence. Il faut encore démontrer hors de tout doute raisonnable qu’elle a commis un crime. Rien de cela ne change dans le système simplement parce que le délai a pris fin après une peine qui a déjà été purgée.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Simons : Je ne cesse de penser au théâtre sécuritaire qui consiste à vérifier les antécédents de milliers de personnes qui n’ont aucun lien avec le système de justice pénale, mais nous avons créé cette culture. Dans les faits, nous ne vérifions pas les antécédents de nos petits amis, mais nous vérifions ceux de nos bonnes d’enfants et des bénévoles dans les écoles.

Est-ce vraiment juste au cours des 10 ou 15 dernières années que nous avons développé cette fixation en demandant tout le temps une vérification des antécédents criminels pour tout? Il me semble que ce n’était pas le cas il y a 20 ou 25 ans.

Mme Coyle : Je ne sais pas si je suis la bonne personne pour répondre à cette question, car je ne pense pas pouvoir dire ce qui se faisait il y a 20 ou 25 ans.

La sénatrice Simons : Oh, le coup de grâce.

Mme Coyle : Je pense que c’est le cas, sans aucun doute, lorsqu’on regarde la trajectoire suivie en droit en ce qui concerne les casiers judiciaires. Nous avions une période de deux et de cinq ans avant la loi actuelle. Je pense que si nous examinions ce qui se faisait avant, nous pourrions en tirer des leçons.

La sénatrice Simons : Il me semble tout simplement qu’il faut une vérification des antécédents criminels pour pratiquement tout ces jours-ci, même si je ne pense pas que c’est nécessaire pour être sénateur.

Mme Coyle : Oh, oui, vous avez eu un...

La sénatrice Simons : Oh, c’était une vérification de sécurité, mais je n’ai pas dû me rendre au poste de police comme ma pauvre enfant doit le faire tout le temps.

Je vais toutefois poser la question inverse.

Mme Coyle : Bien sûr.

La sénatrice Simons : J’ai été journaliste pendant 30 ans, et j’ai couvert la plupart du temps les procès et les affaires criminelles, et j’ai donc forcément couvert les pires cas, car ce sont ceux qui faisaient les manchettes. Par conséquent, j’ai peut‑être une vision déformée des choses, mais je partage certaines des préoccupations de la sénatrice Batters et du sénateur Boisvenu, à savoir qu’il y a des gens — pas ceux qui ont commis des infractions mineures parce qu’il traversait une période difficile — très mauvais et sociopathes, qui pourraient être des exemples parfaits — plus le criminel est intelligent, plus il peut être en mesure d’échapper au système de justice pénale. Je suis donc préoccupée par l’exemple de la réhabilitation automatique.

La sénatrice Batters a parlé d’un violeur qui est courtier en immeubles, et on a répondu que ce serait formidable s’il se prenait assez en main pour devenir courtier en immeubles.

Il y a toutefois des gens qui ne font peut-être pas partie de la clientèle que servent l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry et la Société John Howard du Canada, qui sont plutôt des criminels de carrière. Et je suis préoccupée par la nature automatique du mécanisme pour ces cas lorsque les gens — vous comprenez ce que je veux dire — commettent plus de fautes qu’ils en subissent.

Mme Big Canoe : Puis-je répondre en premier à cette question?

La sénatrice Simons : Je vous en prie.

Mme Big Canoe : Merci. Il y a deux ou trois choses à examiner ici, mais je tenais à dire que c’est intéressant, car, une fois de plus, nous parlons des plus ignobles criminels. Votre vision s’est peut-être déformée, car vous avez couvert — et la misère aime la compagnie, et nous vivons dans une société voyeuriste qui aime voir le mauvais... Je l’ai amplement constaté dans l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées en tant que procureure en chef de la commission, alors qu’une grande partie des médias ne s’intéressait qu’à ce qu’il y a de mauvais dans les nouvelles.

Il est possible que votre point de vue soit faussé, mais l’autre chose, par exemple, c’est que nous ne pouvons pas vous dire combien de cas de femmes autochtones disparues et assassinées étaient des crimes odieux où un corps a été trouvé. On parle de personnes qui se déplacent librement et qui n’ont pas été condamnées. Dans cette mesure législative, nous parlons d’un groupe de personnes qui ont été condamnées en fonction de principes de détermination de la peine après l’examen du dossier par un juge et qui ont purgé toute leur peine.

Lorsque la peine est purgée et que le délai prend fin — et, comme ma collègue l’a mentionné, c’était le cas après deux et cinq ans —, on ne réinvente pas la roue. C’est un laps de temps. Y a-t-il une préoccupation? Pourquoi maintenons-nous cette marginalisation? En quoi est-ce important sur le marché de l’emploi? Pourquoi marginaliser une personne longtemps après les faits lorsqu’elle a payé sa dette? Est-ce à cause de la mince possibilité qu’elle pourrait refaire quelque chose alors que nous avons au pays toute une série d’homicides non résolus?

Le président : Madame Coyle, madame Kish, aviez-vous quelque chose à ajouter, brièvement?

Mme Kish : Je pense que les cas isolés sont importants. J’aborde ce travail d’un point de vue qualitatif. Nous nous adressons à vous aujourd’hui parce que nous passons beaucoup de temps dans le système carcéral. Nous travaillons dans les contextes démographiques majoritaires. Nous voyons et nous savons que le système actuel fait subir beaucoup de torts aux gens. Puisque nous savons qu’il y aura des cas isolés, à quoi bon les invoquer pour permettre tous les obstacles inutiles que nous voyons actuellement?

Nous disons souvent que rien ne justifie l’incarcération de masse des Autochtones. Il n’y a aucune raison pour laquelle l’insécurité économique devrait mener à un risque accru de condamnation. Il devrait être question d’enfreindre la loi. Si nous pouvions nous attaquer à toutes les raisons inutiles pour lesquelles les gens deviennent des criminels, les responsables du système ne seraient-ils pas alors en mesure de réfléchir sérieusement et de répondre aux cas légitimes que vous soulevez?

Mme Coyle : Nous ne voulons vraiment pas que les gens pensent que nous excusons qui que ce soit ou que nous ignorons le risque. Soyons clairs : il est question de s’attaquer réellement au risque.

Mme Kish : Oui.

Le président : Merci.

Le sénateur Tannas : Je veux revenir au thème récurrent de l’itinérance et de l’incapacité de subvenir à ses besoins grâce à un emploi une fois sorti de prison. Cela n’aide pas, n’est-ce pas?

C’est un peu un argument fallacieux que de dire que cela aidera en quelque sorte à régler l’autre problème. C’est faux. Quelqu’un peut naviguer en eaux troubles pendant cinq ans et ensuite, soudainement, obtenir un emploi et avoir une maison parce que cinq années se sont écoulées.

De quoi s’agit-il? Est-ce de l’espoir? On dit à quelqu’un de tenir bon pendant cinq ans, de faire certaines choses, et son casier disparaîtra automatiquement après, ce qui lui permettra de vraiment passer à autre chose et de réaliser ses rêves.

Qu’y a-t-il de si magique avec ce mécanisme automatique qui s’enclenche après une longue période d’attente? Pouvez-vous me le dire, me parler du logement, du travail et des choses que nous entendons constamment?

Mme Coyle : Bien sûr. Je veux aussi permettre à Mme Big Canoe de parler, si elle veut commencer.

Mme Big Canoe : Je vais intervenir en premier alors et je vous laisserai poursuivre, madame Coyle.

Tout d’abord, ce n’est pas un délai magique, n’est-ce pas? Lorsque quelqu’un est détenu assez longtemps, s’il s’agit d’un acte criminel, la période de transition est de cinq ans. Lorsque nous réinsérons les gens dans la société, cela ne se fait pas instantanément. Il existe des programmes formidables comme ceux de la Société Elizabeth Fry, et d’autres, qui appuient la réinsertion d’une personne dans la collectivité. C’est la première chose, n’est-ce pas? Ce délai est très important, car sinon, l’incapacité de payer 680 ou 690 $ — je n’ai pas la somme exacte en tête — pour obtenir un pardon, les formalités administratives à remplir et le temps d’attente prennent souvent plus que cinq ans. Souvent, les personnes n’ont pas la capacité de remplir les formulaires ou de faire un suivi pour obtenir un pardon.

Lorsque ces personnes présentent une demande pour obtenir un logement et doivent répondre à la question sur le casier judiciaire, et que le casier n’expire pas automatiquement après cette période, devinez ce qui se produit? Elles doivent répondre oui. On les écarte ensuite immédiatement pour une raison ou une autre. Elles pourraient avoir un bon emploi ou faire des études. Elles progressent peut-être très bien dans leur transition, mais peu importe. Elles seront exclues lorsque les gens verront qu’elles ont un casier judiciaire. C’est tout simplement la réalité. Et on complique encore la situation lorsqu’on ajoute l’intersectionnalité, la diversité et la condition autochtone. Tout cela rend leur situation encore plus difficile.

Le président : Merci. Vous êtes très populaires en tant que témoins, et je vais peut-être essayer d’être plus rigoureux pour ce qui est du temps de parole.

Mme Coyle : Je presse tout le monde de consulter le rapport de la Commission des pertes massives en Nouvelle-Écosse. Si vous voulez voir des crimes odieux et des recommandations vraiment formidables pour s’attaquer au problème dans nos collectivités, nous pouvons aller très loin dans ce rapport.

Ce n’est qu’un outil. L’élimination automatique du casier judiciaire n’est pas la solution à tous les problèmes que nous avons soulevés ici aujourd’hui. Le processus de demande est toutefois ardu. Même si on élimine le coût, ce que le gouvernement a fait récemment, le processus oblige encore la personne, de bien des façons, à revivre des parties de sa vie qu’elle ne veut plus aborder si elle est passée à autre chose. Si vous consultez le site Web de la coalition Nouveau départ que nous avons créé, freshstartcoalition.ca, vous y verrez plusieurs exemples de personnes qui ont un casier judiciaire et ce qu’elles ont vécu en tentant de s’en débarrasser. Pour une femme qui a éprouvé pas mal de difficultés dans sa vie, le problème n’était pas nécessairement le coût, mais le fait qu’elle devait retourner au palais de justice et au poste de police. Elle a dû rassembler tout ce qui était nécessaire à cette demande difficile. Cela l’a épuisée. À certains moments, elle a décidé de laisser tomber parce que c’était trop pour elle. Elle avait une vie productive après sa condamnation, et elle n’a jamais été reconnue coupable d’un autre crime. Un mécanisme automatique serait très avantageux pour elle.

Le sénateur Tannas : Merci.

La sénatrice Clement : Vous avez abordé beaucoup de choses. Merci pour votre réponse.

Lorsque j’étais à l’établissement pour femmes Grand Valley cet été, j’étais accompagnée de Katie Verhoeven de mon bureau. Nous avons assisté à une assemblée publique avec des femmes. Il était déchirant de voir la surreprésentation de femmes autochtones et noires. Je prends la parole au Sénat, je prononce des discours là-dessus et je donne des chiffres, mais le voir de ses propres yeux est une expérience marquante.

Je vous écoute maintenant et je peux mieux comprendre les personnes qui, même avec mon aide pour tenter de suivre le processus de suspension du casier, laissent tomber et disent : « Je ne peux pas le faire. Je ne vais plus commettre de crimes, mais je ne peux pas le faire. C’est trop. De toute évidence, la société ne veut pas que je le fasse. »

Vous avez dépeint la sécurité publique différemment. Nous entendons dire que la « sécurité publique » passe par la loi et l’ordre et la répression de la criminalité. Vous présentez cela autrement. En vous concentrant là-dessus, pouvez-vous nous dire pourquoi le projet de loi S-212 nous donne l’impression d’être plus en sécurité? Pour quelle raison faudrait-il que ce soit ainsi?

Nous devons reformuler ce que « sécurité publique » signifie. Je dois comprendre comment vous le faites.

Mme Coyle : Me permettez-vous de répondre en premier, madame Big Canoe? Je vous remercie. Je vais lire l’avant‑dernier paragraphe de l’article que j’ai écrit en collaboration avec le Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes et Luke’s Place. Pour ceux d’entre vous qui ne le savent pas, Luke’s Place est un organisme qui collabore principalement avec des gens qui travaillent dans le domaine du droit de la famille et avec des personnes qui ont été victimes de violence conjugale et de violence entre partenaires intimes. Nous avons jugé important de connaître leur point de vue sur la réforme du casier judiciaire.

Selon nous, il y a une véritable sécurité publique — en ce qui concerne les questions d’intersectionnalité — lorsqu’une femme noire et transgenre peut trouver un logement en toute sécurité. Il y a une véritable sécurité lorsqu’une femme handicapée qui a un casier judiciaire trouve un emploi et peut nourrir ses enfants. Il y a une véritable sécurité lorsque l’on aide une personne qui a des antécédents de toxicomanie à trouver un bon logement et une communauté qui la soutient.

Vous êtes confrontés à des problèmes de sécurité publique lorsque le système qui régit les casiers judiciaires empêche les gens d’accéder à ces occasions. La sécurité publique doit assurer la sécurité de tous, à commencer par les personnes qui en ont le plus besoin.

La sénatrice Clement : Je travaille encore à temps partiel dans une clinique juridique, et c’est ce que j’ai toujours voulu dire avant de collaborer avec un avocat d’une clinique juridique.

Mme Big Canoe : C’est très bien. Je vous remercie, sénatrice Clement.

Je me ferai l’écho de tout ce qu’a dit Mme Coyle. Ceux d’entre nous qui travaillent dans le système de justice pénale devraient reconnaître que ce système ne crée pas réellement des communautés sûres où l’on trouve des logements, des emplois et des occasions. Il existe des groupes et des segments de la population, qu’ils soient racisés ou qu’ils aient d’autres besoins en matière d’intersectionnalité, pour lesquels nous continuons de dresser des obstacles de sorte qu’ils ne peuvent pas accéder aux occasions qui, nous le savons, les aideront à améliorer leur sort.

Il est question de la raison pour laquelle le projet de loi S-212 serait utile. Lorsque vous éliminez les obstacles, vous protégez par le fait même les enfants de la femme qui a été reconnue coupable d’une infraction criminelle il y a 10 ans. Cette femme n’est plus cette personne. Elle s’est pleinement réinsérée dans la société. Mais elle aura toujours quelque chose qui lui colle à la peau. Elle s’est battue contre le système en surmontant tous les autres obstacles pour être productive et avoir des enfants. Cependant, si elle est autochtone, si elle a un autre besoin en matière d’intersectionnalité, ou si elle est handicapée, elle est probablement déjà confrontée à tous ces obstacles. Nous parlons d’un obstacle de plus qui n’est pas nécessaire, surtout si cette femme a déjà purgé sa peine et qu’elle a réintégré la collectivité.

La sénatrice Batters : Je remercie les témoins de leur présence.

D’abord, vous m’excuserez, madame Coyle, mais je dois admettre que je trouve un peu troublante la réponse que vous venez de donner sur le fait que vous croyez que le processus actuel de demande de pardon oblige les contrevenants à revivre des expériences difficiles, comme se rendre à un palais de justice. Je me suis tout de suite demandé ce qu’il en était des victimes de ces crimes qui doivent revivre les crimes perpétrés contre elles par des contrevenants qui obtiendront un pardon automatique et absolu pour ces crimes graves. Comment réagissez-vous à cela?

Mme Coyle : Je vais vous dire ce qui me vient à l’esprit. Prenons, par exemple, les politiques d’inculpation obligatoire en matière de violence conjugale dans cette province. Dans un cas d’inculpation obligatoire, lorsque la police arrive au domicile et ne peut déterminer qui est l’auteur de l’acte violent, elle inculpera souvent les deux parties. S’il s’agit d’une femme qui a subi beaucoup de violence dans sa vie de la part de son partenaire et qu’elle doit ensuite se présenter au tribunal tous les jours et se défendre contre une accusation de violence conjugale contre la personne même qui lui a fait du mal tous les jours, vous pouvez imaginer qu’elle revivra des événements horribles.

Pour ce qui est de savoir qui est la victime d’un crime et qui en est l’auteur, dans notre métier, il s’agit d’une distinction floue et importante qu’il faut comprendre.

La sénatrice Batters : Madame Big Canoe des Services juridiques autochtones, je m’interroge sur les femmes autochtones qui sont trop souvent victimes de crimes graves. À votre avis, quelle sera l’incidence sur ces femmes des pardons absolus octroyés automatiquement aux contrevenants qui leur ont fait du mal?

Mme Big Canoe : Je vais replacer cette question dans le contexte du projet de loi qui est proposé. Le mécanisme viserait une personne qui a purgé la totalité de sa peine. Je comprends ce que vous dites. Comme vous le savez peut-être, j’ai été la procureure en chef de la commission dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Oui, il existe toujours quelques enjeux à ce sujet, mais nous devons également tenir compte — et je pense à ce que disent mes collègues — du nombre de femmes qui sont reconnues coupables, par exemple, de violence conjugale lorsqu’il y a une mise en accusation double. Il est bien connu, et cela a été souligné dans de nombreux rapports, que les Autochtones choisiront de plaider coupables. Le système est si dur avec eux qu’il est parfois plus facile de plaider coupable et d’accepter une peine ou une accusation moins lourde. Qu’en est‑il de ces gens? C’est l’inverse. Qu’en est-il des personnes qui ont été victimes de violence? De quoi sont-elles coupables? Bien franchement, notre système tout entier est défaillant lorsqu’il s’agit de ce genre de choses.

L’équilibre est difficile à trouver entre le survivant d’un méfait ou d’un acte de violence et l’auteur d’un acte violent. La frontière est floue. Ce concept de pardon absolu se rapporte au système que nous avions avant que la loi ne le modifie en 2012. Nous parlons de deux ans et de cinq ans. Nous revenons à quelque chose qui existait déjà depuis un certain temps, donc je ne pense pas qu’il s’agisse d’un pardon absolu.

La sénatrice Batters : Cet octroi n’était pas automatique. Encore une fois, je vous demanderais de bien vouloir parler des femmes autochtones qui sont les victimes. La situation n’est pas floue. Je vous demanderais de formuler un commentaire à ce sujet.

Mme Big Canoe : En toute honnêteté, étant moi-même une femme autochtone depuis près de 50 ans et travaillant dans ce domaine, je ne peux pas me souvenir d’un moment où la situation n’était pas floue en ce qui concerne les personnes avec lesquelles nous avons travaillé et qui ont été reconnues coupables d’une infraction alors qu’elles étaient également victimes d’une infraction, que ce soit à cause de l’héritage colonial ou non. J’ai de la difficulté à faire une distinction.

Vous me demandez de formuler un commentaire général sur la victimisation des Autochtones. En tant que personne qui a été victime d’un crime à caractère sexuel dans son enfance, je vous dirais également que je ne peux pas parler au nom de toutes les victimes autochtones. Ce ne serait pas juste.

Je peux vous dire, à la lumière de mon expérience personnelle, qu’une personne qui a été condamnée ou reconnue coupable, qui a purgé sa peine, qui a été responsable de ses actes et qui n’a pas commis d’autres crimes, est une personne qui devrait avoir droit à l’expiration de son casier judiciaire.

La sénatrice Batters : Pensez-vous que le délai de deux ans que propose ce projet de loi pour une expiration automatique, dans le cas d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, est assez long?

Mme Big Canoe : Encore une fois, c’est la nature du crime qui compte. S’il s’agit d’une déclaration de culpabilité par procédure sommaire, il s’agit probablement d’un crime moins grave.

La sénatrice Batters : Probablement, mais pas toujours. Le projet de loi ne parle que d’infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et d’infractions punissables par voie de mise en accusation. Il n’y a pas d’autre distinction. Pensez-vous qu’il devrait y avoir plus de nuances?

Mme Big Canoe : Pas nécessairement. Encore une fois, la distinction se fonde sur la nature de l’infraction, qu’il s’agisse d’un acte criminel ou d’une infraction sommaire. Je ne suis pas certaine de bien comprendre votre question.

Le président : Madame Big Canoe, il s’agit d’une discussion très intéressante, mais certains sénateurs risquent de ne pas avoir la chance de poser leurs questions.

La sénatrice Pate : Je veux revenir en arrière et situer dans son contexte la question que j’aimerais vous poser à toutes les trois. Je tiens à vous remercier pour votre travail et vos efforts continus dans tous ces domaines.

Tout d’abord, je tiens à préciser que le projet de loi ne supprime ni l’annexe 1 ni l’annexe 2, et qu’il maintient la vérification des antécédents en vue d’un travail auprès de personnes vulnérables. Je tiens à ce que cela soit clair, car des questions ont semé une certaine confusion quant à ce processus.

Je me souviens de ce qui se passait il y a 25 ans et 40 ans. Les vérifications du casier judiciaire ont évolué au fur et à mesure que des demandes ont été faites pour qu’il y ait une plus grande reddition de comptes pour des questions touchant la violence à l’encontre des femmes et des enfants, en particulier. On a ainsi fourni, selon moi, une réponse superficielle plutôt qu’une réponse adéquate aux situations que vous avez évoquées. C’est là mon humble avis.

J’aimerais savoir si vous avez également constaté qu’à mesure que la société est devenue plus réticente à prendre des risques et plus encline à pointer du doigt les personnes sur qui nous devons jeter le blâme et tenir responsables, on a davantage recouru à des mesures comme la vérification du casier judiciaire au lieu de fournir des logements et de l’aide, et de veiller à ce que les gens aient accès à ces occasions. Même lorsque le gouvernement s’est engagé à revenir à ce type de système et à envisager un processus plus automatisé, c’est la réaction émotive et impulsive, et non les données probantes, qui a été le problème.

Si je me trompe, j’aimerais que chacune d’entre vous me corrige. Est-ce là votre compréhension de la situation qui prévalait et de l’évolution des choses?

Mme Coyle : Je pense qu’il est quelque peu paternaliste que d’utiliser les femmes et les enfants comme excuse pour la création de lois plus restrictives et moins adaptées. En toute franchise, en tant que femme qui a été victime de violence sexuelle, je ne veux pas que d’autres personnes parlent à ma place. J’aimerais que nous ayons des lois qui se fondent sur des données probantes. Cette loi en est un exemple. Il est évident qu’elle ne sera pas la solution à tous les maux. C’est pourquoi j’attire votre attention sur les recommandations formulées par la Commission des pertes massives, parce qu’elles se concentrent sur l’approche préventive en amont dont nous avons besoin pour faire toute la différence au Canada.

Mme Kish : Je pense que vous avez été très claire en parlant d’une loi plus restrictive et moins adaptée. Lorsque nous diffusons des messages publics à propos des méchants et des criminels, la population nous entend. Nous savons qu’il y a énormément de condamnations injustifiées, qu’il y a trop de condamnations et que tous ces problèmes systémiques s’incrustent dans notre système judiciaire. Lorsque les membres de la communauté — les filles, les mères et les pères —, lorsqu’un Canadien sur neuf qui possèdent un casier judiciaire entend cela, eux aussi ressentent de l’anxiété.

Le président : Vous acquiescez, madame Big Canoe. Voulez‑vous ajouter quelque chose?

Mme Big Canoe : Je suis d’accord avec mes deux collègues et, oui, c’est vrai. Je pense qu’elles ont très bien illustré la situation et je suis tout à fait d’accord avec elles.

Le président : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci à vous trois d’être venues.

J’aimerais revenir sur ce que vous avez dit à propos du fait que c’est un processus très, très laborieux actuellement, que le gouvernement a donné des fonds pour aider des groupes à passer à travers ce processus, mais que finalement, il est extrêmement onéreux.

Ma première question est la suivante : à quoi pourrait servir le financement actuel, qui sert à soutenir les gens dans leur processus de pardon?

Si on adopte le projet de loi S-212, à quoi pourrait servir ce type de financement? J’imagine qu’il servira à soutenir ces personnes, parce que même si leur casier était expiré automatiquement, on a encore affaire à des personnes qui sont dans une grande situation de vulnérabilité, ne serait-ce que parce qu’ils ont été en isolement dans un pénitencier pendant une période de leur vie.

[Traduction]

Mme Coyle : Cet argent pourrait être utilisé pour tant de choses. Il pourrait être utilisé de bien des façons. Nos collègues qui ont participé au premier groupe de témoins ont parlé du Cadre fédéral visant à réduire la récidive, qui met en lumière plusieurs piliers qui peuvent aider les gens à réintégrer la collectivité après l’incarcération, comme le logement, l’emploi, les soins de santé, et le soutien par les pairs. À ce jour, ce gouvernement n’a pas affecté de fonds au Cadre fédéral visant à réduire la récidive. Nous pouvons aider les gens en utilisant d’autres sources de financement, mais ce cadre serait une façon de le faire.

Chose certaine, nous manquons de logements au Canada, en particulier pour les personnes qui ont un casier judiciaire ou qui ont déjà de la difficulté à se loger. Je m’en voudrais de ne pas parler de notre système d’aide juridique pour lequel nous avons toujours besoin d’un financement accru, surtout pour aider les gens qui sont en prison et qui ne peuvent se payer les services d’un avocat qui pourrait les aider avec les problèmes auxquels ils sont confrontés en prison, mais aussi avec d’autres problèmes qui les touchent.

Mme Big Canoe : Je suis d’accord avec tous ces points. Pour moi, l’élément le plus important est le logement. Les gens s’en sortent mieux lorsqu’ils ont un logement. Dans notre clinique juridique, nous œuvrons, entre autres, pour empêcher les expulsions et aider les gens à se trouver un logement lorsqu’ils ne peuvent pas en trouver un. Avoir un toit est presque toujours la meilleure chose qui puisse arriver aux gens. Il existe une énorme différence entre une personne qui est logée et une personne qui ne l’est pas.

Mme Kish : J’aimerais ajouter quelque chose à propos du système mieux adapté dont nous avons parlé et de la réduction du fardeau de la criminalisation excessive. Nous formons et nous faisons confiance à une foule d’experts et de professionnels de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et du Service correctionnel du Canada pour l’administration du système de justice. Si nous éliminons les obstacles pour les personnes qui passent à une autre étape, je pense que nous pourrions investir dans les services qui les appuient pour qu’il y ait des solutions aux questions qui se posent encore.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Plusieurs personnes ont parlé de logement et vous trois en avez parlé aussi. J’aimerais que vous soyez plus précises. On pourrait vous répondre très rapidement que tout le monde a un problème de logement, y compris les gens qui n’ont pas commis d’actes criminels. C’est une réponse caricaturale, mais on l’entend souvent.

Est-ce qu’on parle des types de logements en particulier? Pourriez-vous être plus précises pour dire autre chose que « cela prendra un toit pour chacune de ces personnes »? Peut-être pourriez-vous parler de l’expérience de vos organisations et des gens avec qui vous travaillez.

[Traduction]

Mme Coyle : Je ne sais pas de combien de temps je dispose. L’année dernière, l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry a effectué des recherches pour savoir combien de logements étaient offerts par les sociétés Elizabeth Fry aux femmes et aux personnes de diverses identités de genre qui avaient été incarcérées ou accusées d’actes criminels au Canada. Nous avons constaté qu’il y avait un manque de logements dans tout le pays, mais nous avons également constaté que les besoins étaient particulièrement criants dans les Prairies, en Saskatchewan, au Manitoba et en Alberta.

C’est aussi dans ces régions que l’on trouve le plus grand nombre d’Autochtones incarcérés. Nous ne pouvons pas dire que l’intersectionnalité est une idée éphémère. Elle est bien réelle dans la vie des gens. Les peuples autochtones de ces provinces et de partout au Canada sont victimes de racisme et de traumatismes intergénérationnels, ce qui les mène à être écartés des occasions de logement ou à s’en voir refuser l’accès. Si nous ajoutons à cela une couche de criminalisation, ils n’ont déjà plus d’options.

Nous sommes à la recherche d’un éventail d’options comme des lits pour les personnes libérées sous caution et qui ont fait l’objet d’accusations, des logements dits de deuxième étape, des logements supervisés et des logements subventionnés. Voilà ce que je voulais dire. Nos efforts se concentrent plus particulièrement sur les Prairies en ce moment.

Le président : Je vous remercie, madame Coyle.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’aime bien ces rondes d’échanges, parce que cela nous permet de rectifier certaines affirmations.

Ma position, ce n’est pas d’être dur avec tous les criminels; je crois en la réhabilitation. Ma position est d’être dur avec les récidivistes qui battent à répétition des femmes et agressent à répétition des enfants.

Est-ce que ce projet de loi ne devrait pas distinguer les criminels récupérables par la société? On les connaît, on a des évaluations par rapport à ceux qui le sont, par rapport à ceux qui ne le sont pas et à ceux qui sortent de libération conditionnelle, parce qu’on est obligé de faire une libération d’office. On sait que certains vont récidiver. Est-ce qu’on ne devrait pas faire une distinction entre ceux dont on est certain qu’ils feront encore des victimes et ceux qui n’en feront pas d’autres, parce qu’ils ont déjà entrepris un processus de réhabilitation?

Je vous rappelle que, dans les prisons provinciales, il n’y a pas de programmes de réhabilitation; il y en a seulement dans les pénitenciers fédéraux.

[Traduction]

Mme Kish : Je vous remercie de la question. Je pourrais poser la question suivante : qu’est-ce qui fait que des personnes sont condamnées à plusieurs reprises? Certains des problèmes que nous essayons de résoudre font-ils partie de ce qui contribue à la récidive et aux condamnations répétées?

Nous vous laissons du temps, madame Big Canoe, si vous voulez dire quelque chose.

Mme Big Canoe : Oui. J’aimerais répondre au point soulevé par Mme Kish, que j’ai moi aussi soulevé dans mon premier mémoire à propos de dispositions archaïques qui n’existent plus ou de gestes qui ont été décriminalisés. Vous pouvez, par exemple, faire affaire à une personne qui a été reconnue coupable quatre fois d’une infraction qui n’est plus criminelle. Il est très important de supprimer cette condamnation. Pour reprendre cet exemple, que se passe-t-il si cette personne est un récidiviste? Un récidiviste de quelle infraction?

Je sais que vous vous concentrez uniquement sur ceux qui sont, selon vous, les criminels les plus dangereux. Il faut toutefois penser à l’incidence qu’aura ce mécanisme sur un grand nombre de personnes qui ont des problèmes et qui ne seraient plus visées par des accusations criminelles. Si leur casier est expiré pour des actes qui ne sont plus illégaux au Canada, elles pourraient avoir accès à de nouvelles occasions.

Le président : Merci, madame Big Canoe. Vos remarques mettent fin à la série de questions. J’aimerais prendre un moment pour remercier les sénateurs, et tout particulièrement les témoins, de leurs questions. Madame Coyle et madame Kish, merci beaucoup. Madame Big Canoe, je sais que vous deviez composer avec des contraintes de temps. Vous avez eu la générosité de vous libérer pour venir témoigner. J’espère que nous avons été à la hauteur de vos attentes. Merci beaucoup.

Chers collègues, je vais mentionner deux ou trois choses au sujet de notre programme. D’abord, nous entendions pour la dernière fois aujourd’hui des témoins dans le cadre de l’étude du projet de loi S-212. Le comité procédera à l’étude article par article demain, le jeudi 21 septembre. Par conséquent, si vous voulez proposer des amendements ou présenter des observations, je vous prierais de les envoyer le plus tôt possible aux autres membres du comité.

Ensuite, lorsqu’il s’est réuni la semaine dernière, le groupe directeur du comité a convenu d’éviter le plus possible de modifier l’ordre des projets de loi publics et des projets de loi d’initiative parlementaire en tenant compte également de l’alternance entre les parrains et des délais rattachés à l’étude des textes en question. Nous discuterons plus amplement de cette question au cours des deux prochaines semaines. Le groupe directeur était d’avis que nous devrions examiner le projet de loi S-231 du sénateur Carignan, suivi du projet de loi de la sénatrice Pate.

Nous recevrons peut-être également des projets de loi du gouvernement, qui nous amèneront à « ajuster », si je puis dire, notre calendrier. Nous ferons de notre mieux pour proposer une manière de faire progresser, au cours de l’automne et probablement de l’hiver, l’étude des projets de loi déjà inscrits au calendrier. Nous discuterons de ce point dans deux semaines.

Je vais ajouter une dernière chose avant de céder la parole à la sénatrice Dupuis, qui a un commentaire ou une question.

Certains ont suggéré d’inviter d’emblée le ministre de la Justice à comparaître devant le comité. Les membres du groupe directeur estiment que nous devrions consacrer ce temps à l’étude des projets de loi, qui sont nombreux, et de proposer que le nouveau ministre de la Justice et procureur général, Arif Virani, organise dans un avenir rapproché une rencontre lors d’un petit-déjeuner à laquelle assisteraient le plus de membres du comité possible. La discussion serait informelle et ne serait pas diffusée, mais ce serait une belle occasion de mieux connaître le nouveau ministre, qui pourrait peut-être nous donner son point de vue sur les travaux que nous enverra l’exécutif dans les semaines et les mois à venir.

Y a-t-il des commentaires et des interventions à ce sujet? Sénatrice Dupuis, vous avez la main levée.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question concerne la liste des projets de loi. Est-ce que le projet de loi S-231 est le deuxième projet de loi sur la liste? J’ai compris que l’habitude, la tradition au comité est d’étudier les projets de loi qui ne sont pas des projets de loi du gouvernement dans l’ordre où on les reçoit du Sénat. Le projet de loi qui suit le projet de loi S-212 sur la liste est-il celui dont vous nous avez parlé?

[Traduction]

Le président : Dans l’ordre, nous commencerions par le projet de loi S-231 du sénateur Carignan et nous passerions au projet de loi S-230 de la sénatrice Pate sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Nous déciderons ensuite si nous changeons l’ordre et que nous dérogeons du principe du premier arrivé, premier servi.

Sur la liste, en ce moment, le principal projet de loi du gouvernement à surveiller est très technique. Il renferme essentiellement des corrections à apporter à la loi et aux règlements. À ce stade, nous n’avons rien d’autre de la part du gouvernement.

Quant au projet de loi C-48, nous l’étudierons quand nous le recevrons. Nous attendons une indication à cet effet. Lorsque nous le recevrons, nous en entamerons l’étude immédiatement et nous suspendrons l’étude des projets de loi du Sénat conformément aux normes habituelles.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Le projet de loi du sénateur Carignan est le deuxième sur la liste dans l’ordre où on l’a reçu du Sénat?

[Traduction]

Le président : Il vient immédiatement après. Nous venons d’examiner la liste des témoins que nous commencerons à entendre mercredi prochain.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ai-je bien compris que normalement, on étudie les projets de loi qui ne sont pas des projets de loi du gouvernement par ordre de date où ils sont renvoyés par le Sénat et référés au Comité des affaires juridiques? N’est-ce pas?

[Traduction]

Le président : C’est exact. En fait, le projet de loi du sénateur Carignan et le projet de loi de la sénatrice Pate sont arrivés le même jour. Nous avons jugé que ce serait de mise d’enclencher sur-le-champ le processus pour le projet de loi du sénateur Carignan plutôt que d’attendre après l’étude du projet de loi de la sénatrice Pate.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci, cela répond à ma question.

Lorsque j’avais soulevé la possibilité de demander au ministre de venir préciser au comité la réponse qu’il avait envoyée sur notre rapport au sujet du projet de loi C-28, l’idée était d’avoir une rencontre formelle avec le ministre.

Pouvez-vous nous expliquer la raison qui nous amène à favoriser un déjeuner social avec un ministre de façon informelle? Cela ne répond pas du tout à ce que j’avais proposé et qu’on avait accepté au comité par consensus. Je voulais juste être sûre de comprendre.

[Traduction]

Le président : Je vais vous relayer le mieux possible le raisonnement du groupe directeur. La proposition de petit-déjeuner informel n’exclut pas ce que vous avez suggéré, sénatrice Dupuis, mais le groupe directeur juge que notre programme est tellement chargé que de consacrer même deux heures pour entendre un ministre se prononcer sur un rapport ne serait pas, dans l’immédiat, la meilleure utilisation de notre temps. Je pense que j’ai donné un bon compte rendu de la conversation.

Nous n’avons pas écarté votre suggestion; nous la mettons en suspens jusqu’à ce que certains autres éléments soient réglés.

La sénatrice Jaffer : Monsieur le président, je siège au comité depuis longtemps et je n’ai jamais rencontré un ministre qui vient d’être nommé lors d’un petit-déjeuner ou d’une rencontre informelle. Pourquoi dérogeons-nous à la pratique habituelle? Nous rencontrons les ministres seulement lorsqu’ils présentent un projet de loi. D’où vient ce besoin de mieux connaître le ministre? Nous n’avons jamais eu de petit-déjeuner ou de rencontre informelle avec M. Lametti ou avec n’importe quel autre ministre, si ma mémoire est bonne. Pourquoi alors le faire avec ce ministre-ci?

Le président : Je vais laisser à ceux qui l’ont suggéré le soin de répondre. Si le comité estime que ce n’est pas une bonne idée... Nous n’avons pas encore lancé l’invitation...

La sénatrice Jaffer : Nous ne l’avons jamais fait auparavant, alors pourquoi le ferions-nous? J’ai mon opinion, mais je ne vais pas l’exprimer. Je vais seulement poser la question : puisque nous ne l’avons jamais fait auparavant, pourquoi le faire cette fois-ci?

Le président : Le comité souhaite-t-il qu’on ne procède pas de cette façon?

Des voix : D’accord.

Le président : Très bien. Merci de votre commentaire.

Y a-t-il d’autres commentaires ou d’autres questions?

La sénatrice Batters : Je remercie la sénatrice Jaffer d’avoir soulevé ce point. J’allais dire que c’est préférable, et de loin, de tenir des réunions publiques et télévisées plutôt que de petits‑déjeuners informels en privé avec le ministre. Nous pouvons ainsi lui poser des questions que les Canadiens pourront entendre.

Mon commentaire portait seulement sur le projet de loi C-291, que je parraine au Sénat, mais qui a été adopté à la Chambre des communes. Où se situe ce projet de loi dans la liste? Ce texte a été renvoyé il y a un certain temps et a été adopté à l’unanimité par la Chambre des communes. Je constate donc une volonté de le faire progresser rapidement.

Le président : Comme ce n’était pas un projet de loi du gouvernement, il a été classé par le groupe directeur du comité dans la catégorie du premier arrivé, premier servi. Le projet de loi du gouvernement nous a été renvoyé le 1er juin 2023. Le groupe directeur a discuté de la possibilité de prendre en compte des facteurs qualitatifs au moment d’établir l’ordre de priorité des projets de loi, mais les choses en sont restées là. La volonté d’apporter un changement de ce genre doit venir de l’ensemble du comité.

Nous n’avons pas écarté l’idée d’ajuster ponctuellement l’ordre des projets de loi, mais nous nous en tiendrons pour l’instant à la règle du premier arrivé, premier servi.

La sénatrice Batters : Nous l’avons fait auparavant, mais peut-être à une époque précédant la vôtre, monsieur le président. Nous avons en effet donné préséance à certains projets de loi qui avaient été adoptés à la Chambre des communes pour ne pas ralentir le processus législatif étant donné que les mesures en question avaient déjà franchi une étape importante.

Le président : Nous aurons une discussion intéressante en temps et lieu et je crois que c’est un critère valable à ajouter au processus décisionnel.

Le sénateur Dalphond : Je voudrais simplement dire que la Bibliothèque du Parlement pourrait peut-être fournir au groupe directeur une liste des dates pour chacun des projets de loi. Je me souviens que nous avons reçu trois projets de loi le 3 novembre. Deux ont été présentés par la sénatrice Pate, un par le sénateur Carignan, et un...

Le président : L’autre a-t-il été présenté par le sénateur Boisvenu?

Le sénateur Dalphond : Oui. Je pense que c’était le sénateur Boisvenu.

Les trois projets de loi sont arrivés le même jour. Nous sommes passés de la sénatrice Pate au sénateur Carignan. Ensuite, nous passerions...

Le président : À la réunion du groupe directeur du comité, nous avons dit entre autres que nous tâcherions d’étudier dans les plus brefs délais le projet de loi du sénateur Boisvenu dès l’automne, car c’est la seule plage qu’il nous reste avant la fin de son service au Sénat. Nous respecterions ainsi les vœux du sénateur.

Je suggère que nous tenions une discussion franche et ouverte sur la possibilité de modifier l’ordre des projets de loi en fonction de facteurs qualitatifs. La meilleure façon de procéder serait peut-être d’entamer la conversation. Nous pourrions préparer une proposition ou discuter d’une ébauche qui aurait l’assentiment de tous les membres du comité. Cet outil permettrait aux sénateurs de faire part de leurs observations sur certains projets de loi. Pour l’heure, nous n’avons pas à prendre de décision.

Y a-t-il d’autres interventions?

Le sénateur Dalphond : [Difficultés techniques] que nous devons convoquer des témoins pour le prochain projet de loi, qui a été présenté par le sénateur Carignan. Sommes-nous autorisés à convoquer des témoins pour le projet de loi du sénateur Carignan?

Le président : Je suis à l’aise avec l’idée. Nous nous en occuperons mercredi prochain. Le sénateur Carignan nous a fourni une liste de noms, et le greffier a essayé d’élaguer pour que nous puissions étudier le projet de loi le plus efficacement possible. Nous vous reviendrons là-dessus sous peu.

Demain, nous procéderons à l’étude article par article du projet de loi S-212 de la sénatrice Pate. Encore une fois, je vous serais très reconnaissant, si vous souhaitez présenter des amendements ou des observations, de bien vouloir les transmettre dès que possible au greffier et aux membres du comité. Je vous rappelle que nos délibérations débutent à 11 h 30 demain matin.

Sur ce, je vais clore la réunion. Merci beaucoup de votre participation et de votre contribution à toutes nos discussions.

(La séance est levée.)

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