LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 27 septembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), pour étudier le projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme de la mise en liberté sous caution).
Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J’inviterais les sénateurs à se présenter.
La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.
Le sénateur Arnot : Sénateur David Arnot, de la Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec, vice-président du comité.
Le sénateur Gold : Marc Gold, représentant du gouvernement au Sénat, du Québec; parrain du projet de loi.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Bienvenue. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire visé par le Traité no 4.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Sénateur Pierre Dalphond, division sénatoriale De Lorimier, au Québec.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Sénatrice Renée Dupuis, division sénatoriale des Laurentides, au Québec.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Kim Pate. J’habite ici, sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes.
La sénatrice Jaffer : Bienvenue, monsieur le ministre. Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice White : Kwe. Sénatrice Judy White, de Terre‑Neuve-et-Labrador, la terre ancestrale des Mi’kmaqs et des Béothuks.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, Nouvelle‑Écosse. Je représente la sénatrice Bernadette Clement.
Le président : Je m’appelle Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du comité. Juste avant de commencer, je vous informe que le sénateur Arnot et la sénatrice White ne sont pas des membres officiels du comité, mais qu’ils se joignent à nous aujourd’hui parce qu’ils s’intéressent au projet de loi. Ils y voient peut-être aussi l’occasion d’assister à la première comparution du ministre au comité.
Honorables sénateurs, le comité se réunit aujourd’hui pour entamer son étude sur le projet C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme de la mise en liberté sous caution). Nous sommes ravis d’accueillir l’honorable Arif Virani, ministre de la Justice et procureur général du Canada, qui comparaît pendant la première heure pour discuter du projet de loi gouvernemental. Je souhaite aussi la bienvenue à ses collègues, dont certains resteront durant la deuxième heure de la séance : Isabelle Jacques, sous-ministre déléguée; Matthew Taylor, avocat général et directeur, Section de la politique en matière de droit pénal; Chelsea Moore, conseillère juridique, Section de la politique en matière de droit pénal; Shannon Davis-Ermuth, avocate-conseil et gestionnaire, Section de la politique en matière de droit pénal.
Comme je pense que vous le savez, monsieur le ministre, nous vous invitons à présenter une déclaration liminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie d’un dialogue. En gros, vous devrez répondre aux questions des sénateurs durant la majeure partie du temps qu’il vous restera. Je vous cède maintenant la parole, monsieur le ministre.
L’honorable Arif Virani, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada, ministère de la Justice Canada : Je vous remercie, monsieur le président, comme je remercie tous les membres du comité. Je suis heureux de vous parler depuis le territoire traditionnel non cédé des Algonquins.
[Français]
Je suis très heureux d’être ici aujourd’hui pour vous parler du projet de loi C-48. Ce projet de loi vise à renforcer nos lois concernant la mise en liberté sous caution pour nous assurer qu’elles continuent à protéger nos communautés, et qu’elles continuent à garantir la confiance du public face aux cas de récidive de crimes violents et aux infractions commises avec des armes.
[Traduction]
Ce projet de loi fait suite à des incidents tragiques de violence qui nous ont tous profondément troublés et qui ont ébranlé le sentiment de sécurité du public ainsi que leur confiance dans le système de justice pénale.
Je tiens d’abord à exprimer mes condoléances aux victimes et à leurs familles, ainsi qu’à reconnaître la souffrance de tous ceux qui ont été touchés par ces actes de violence insensés.
[Français]
Permettez-moi de vous rappeler que ce projet de loi est le résultat de discussions approfondies avec nos homologues provinciaux et territoriaux. Nos partenaires autochtones et tout particulièrement des organisations autochtones nationales; les organismes chargés de l’application de la loi dans l’ensemble du Canada ont aussi fait partie de ces discussions.
[Traduction]
Le projet de loi découle également d’une étude sur le système de mise en liberté sous caution au Canada, menée par le Comité de la Justice de la Chambre des communes plus tôt cette année. Le comité a entendu une trentaine de témoins durant sept séances. Mon cabinet et le ministère ont examiné soigneusement les témoignages et en ont tenu compte dans la rédaction du projet de loi que vous avez devant vous.
Toutes les provinces et tous les territoires appuient ce projet de loi, comme tous les membres du comité de la Chambre des communes. Je dois vous admettre que c’est rare.
Nous avons aussi reçu le soutien de la police et des groupes de victimes. Nous avons entendu les appels pour adopter ce projet de loi rapidement et j’ai hâte de travailler avec vous pour ce faire.
[Français]
En vertu de la loi actuelle sur la mise en liberté sous caution, et conformément à la Charte canadienne des droits et libertés, le point de départ est que toute personne a droit à une mise en liberté sous caution raisonnable.
Pour la plupart des infractions pénales, il incombe à la Couronne de convaincre le tribunal que l’accusé doit être détenu. Il y a trois motifs pour lesquels une personne peut être placée en détention provisoire : pour assurer sa présence au tribunal, afin de prévenir le risque de fuite; pour protéger la sécurité publique, y compris toute probabilité marquée de récidive de l’accusé; pour ne pas miner la confiance du public envers l’administration de la justice.
[Traduction]
Le projet de loi C-48 inverse le fardeau de la preuve pour les récidives d’infractions violentes impliquant des armes. Pour que cette inversion s’applique — dans le contexte du projet de loi —, l’accusé doit répondre à trois conditions : il doit être accusé d’une infraction violente impliquant l’utilisation d’une arme; il doit avoir été accusé d’une infraction violente impliquant une arme dans les cinq dernières années; les deux infractions doivent comporter une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans ou plus. Cette approche encouragera les tribunaux à porter davantage attention aux contrevenants présentant un risque de récidive élevé à l’étape de la mise en liberté sous caution durant les procédures pénales.
Ensuite, concernant les aspects généraux liés au projet de loi, quatre infractions impliquant une arme à feu s’ajoutent aux dispositions sur l’inversion du fardeau de la preuve. Je pourrai vous donner des précisions plus tard, mais il s’agit de la possession d’une arme à feu; de l’introduction par effraction pour voler une arme à feu; du vol qualifié visant une arme à feu; de la fabrication d’une arme à feu. Cela répond aux préoccupations des forces de l’ordre de partout au Canada en matière de violence par arme à feu, ainsi qu’à l’appel des 13 premiers ministres à adopter l’inversion du fardeau de la preuve pour l’infraction de possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte avec des munitions.
Pour la troisième catégorie générale touchée par ce projet de loi, on vise à renforcer le fardeau de la preuve inversé qui s’applique déjà aux personnes accusées d’une infraction impliquant de la violence contre un partenaire intime, si elles ont déjà été condamnées pour ce type d’infraction. La disposition serait élargie pour s’appliquer aux accusés qui ont non seulement été condamnés pour une telle infraction, mais aussi à ceux qui ont été libérés après avoir été déclarés coupables de ce genre d’infraction.
[Français]
Sénateur Boisvenu, je sais que vous avez un projet de loi qui est actuellement à l’étude dans la Chambre, qui fait exactement la même chose, et je tiens à vous remercier pour votre travail dans ce domaine.
En dehors de ces changements proposés au renversement du fardeau de preuve, ce projet de loi apporterait également des éclaircissements pour ce qui est des ordonnances d’interdiction à l’étape de la mise en liberté sous caution.
[Traduction]
Les deux derniers changements concernent les considérations dont les tribunaux doivent tenir compte lorsqu’ils prennent des décisions sur la mise en liberté sous caution. Ce projet de loi exige que les juges de paix vérifient si le casier judiciaire de l’accusé comprend des condamnations impliquant de la violence, que l’accusé fasse l’objet ou non d’une inversion du fardeau de la preuve.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit que les juges de paix tiennent expressément compte de la sécurité de la collectivité en lien avec l’infraction alléguée, en plus de la sécurité des victimes, lorsqu’ils rédigent une ordonnance de mise en liberté sous caution. Cela garantirait que les préoccupations particulières des petites municipalités et des communautés autochtones, racisées ou marginalisées soient prises en considération à l’audience sur la mise en liberté sous caution.
[Français]
Il est tout aussi important de nous assurer que les mesures mises en place ne vont pas aggraver la surreprésentation des Autochtones, des Noirs et des personnes racisées dans notre système de justice pénale. Je suis convaincu que notre décision de proposer des réformes mesurées, qui visent un groupe de personnes présentant un risque élevé à la sécurité publique, s’inscrit dans la mission qu’a notre gouvernement de s’attaquer à la discrimination systémique dans le système de justice pénale au Canada.
[Traduction]
J’insiste aussi pour dire que la mise en liberté sous caution constitue une responsabilité partagée. Ce projet de loi n’a rien de magique. Tous les ordres de gouvernement doivent jouer leur rôle pour s’assurer que le système de mise en liberté sous caution fonctionne comme prévu. Les changements non législatifs — comme le besoin de continuer de consolider les programmes communautaires de supervision de la mise en liberté sous caution; l’accès au logement durable; le soutien en santé mentale et pour les dépendances — sont également des volets importants pour améliorer le système. J’applaudis le travail accompli récemment dans ces domaines et je vais continuer de collaborer avec tous les ordres de gouvernement pour nous assurer d’atteindre les objectifs du système de mise en liberté sous caution.
Je m’engage aussi à garantir que nous recueillions des données précises et exhaustives sur la mise en liberté sous caution au Canada. Les données sont présentement insuffisantes. Dans la même réunion fédérale-provinciale-territoriale où le gouvernement s’est engagé à présenter ce projet de loi, mes homologues provinciaux et territoriaux se sont engagés à recueillir de meilleures données pour voir quelle sera l’incidence du projet de loi.
Monsieur le président, je vous remercie de m’avoir offert l’occasion de prendre la parole aujourd’hui sur cet important projet de loi. Je répondrai aux questions avec plaisir.
Le président : Je vous remercie, monsieur le ministre. Les sénateurs sont très enthousiastes à l’idée de pouvoir discuter avec le ministre. J’invite chacun d’entre vous à poser des questions et à obtenir des réponses en respectant la limite de cinq minutes. Sans être irrespectueux, je serai assez discipliné pour que vos collègues aient eux aussi la chance de poser leurs questions.
Nous allons commencer par le vice-président, le sénateur Boisvenu. Nous devrions terminer par le sénateur Gold, qui parraine le projet de loi. Je ferai de mon mieux pour donner à tous la chance de prendre la parole, mais l’enthousiasme du comité présente un défi.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, monsieur le ministre. Félicitations pour votre nomination. J’espère pouvoir vous rencontrer bientôt pour discuter des dossiers qui touchent surtout les victimes d’actes criminels.
Le projet de loi C-75 a été adopté en 2019. Depuis quatre ans, la criminalité en matière d’agressions sexuelles et de violence conjugale a augmenté de 32 %; le nombre d’assassinats de femme a augmenté de 60 %. Avec ce nouveau projet de loi, admettez-vous aujourd’hui que l’adoption du projet de loi C-75 a été une erreur de votre gouvernement?
M. Virani : Merci beaucoup pour votre question, sénateur. En termes francs, je crois que non. Le projet de loi C-75 était là pour toucher plusieurs aspects de notre système de justice, particulièrement la violence conjugale, qui a été une priorité pour vous et aussi pour notre gouvernement.
Les chiffres concernant la violence faite aux femmes augmentent. Cela touche à plusieurs aspects systémiques, particulièrement en raison de la pandémie et du fait que les personnes étaient forcées de rester chez elles dans des lieux privés, que ce soit à la maison ou ailleurs. Lorsqu’un endroit n’est pas sécuritaire pour une femme, nous allons voir plus de violence à l’encontre des femmes.
Il est certain que notre gouvernement peut gérer ces types de situations au moyen de ses finances. Nous avons subventionné des programmes pour promouvoir la lutte contre la violence conjugale.
Ce que nous visons avec le projet de loi C-75, sur le plan de la violence entre partenaires intimes, est d’utiliser pour la première fois un renversement du fardeau de la preuve pour la mise en liberté sous caution. Grâce à ce projet de loi, on va élargir ou augmenter ce type de phénomène, en raison du fait qu’il ne s’agit pas juste d’une déclaration de culpabilité, mais que même avec une libération, on peut viser le même type de menace de violence.
Le sénateur Boisvenu : Votre projet de loi touche à quelques aspects de la criminalité, notamment ceux liés aux armes à feu. Les premiers ministres de toutes les provinces canadiennes ont demandé une réforme en profondeur des remises en liberté, et c’est le ministre de la Justice de la Colombie-Britannique qui disait que ce qui devait être une règle d’exception est devenu un fait. Les remises en liberté sont devenues presque un automatisme.
Pourquoi ne pas avoir fait une étude en profondeur du système actuel et proposé un projet de loi beaucoup plus robuste sur les remises en liberté, au lieu d’un projet de loi qui touche à peine quelques aspects du Code criminel, notamment les remises en liberté lorsqu’un crime est commis avec une arme à feu? Prenons l’exemple d’une tentative de meurtre sans arme à feu, elle sera assujettie à une remise en liberté. Pourquoi ne pas avoir élargi l’exception des remises en liberté à tous les crimes graves?
M. Virani : Je veux souligner que dans le cadre de nos discussions fédérales-provinciales territoriales, ainsi que des discussions que nous avons tenues avec nos homologues provinciaux, ces derniers nous ont demandé — en octobre 2022, si je me souviens bien — de faire des changements en matière de mise en liberté sous caution.
Le sénateur Boisvenu : Considérez-vous le projet de loi comme une réforme majeure?
M. Virani : C’est une réforme précise et mesurée, qui a été demandée par le même gouvernement que vous venez de mentionner. M. Eby a mentionné cela, et je le cite :
[Traduction]
Du point de vue de la Colombie-Britannique, il s’agit d’une grande priorité. Nous devons adopter ce projet de loi, qui reçoit un large appui de tous les partis et de tous les premiers ministres; il faut agir.
[Français]
C’est le même gouvernement de la Colombie-Britannique, que vous venez de mentionner...
Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous considérez que votre projet de loi est une réforme en profondeur des remises en liberté ou seulement d’un aspect des crimes, qui est lié aux armes à feu, notamment?
M. Virani : Ce que j’ai mentionné au début, monsieur le sénateur, c’est qu’effectivement, si on veut sauvegarder la sécurité de nos communautés, notre priorité à titre de parlementaires, que ce soit pour n’importe quel gouvernement — et c’est une priorité pour moi comme ministre —, est qu’il faut faire des efforts précis, mais qu’il faut aussi jouer un rôle et avoir un dialogue avec nos homologues à différents niveaux. Disons qu’il y a un aspect qui s’applique aux gouvernements municipaux et provinciaux, qui doivent participer à la lutte en même temps que nous.
[Traduction]
La sénatrice Batters : Monsieur le ministre, si le projet de loi C-48 sur la réforme de la mise en liberté sous caution était entré en vigueur il y a cinq ans au Canada, combien de criminels seraient restés derrière les barreaux au lieu d’être libérés? Compte tenu des conditions que vous avez décrites dans votre exposé liminaire, il me semble que ce projet de loi du gouvernement Trudeau ait une portée très limitée. Je présume que le nombre de contrevenants visés par le projet de loi serait minime.
M. Virani : Tout d’abord, il est difficile de répondre à cette question avec précision. Comme je l’ai mentionné au départ, sénatrice Batters, les données recueillies par les provinces sont insuffisantes. Je vous invite à prendre contact, en tant que sénatrice de la Saskatchewan, avec vos collègues de la province pour les encourager à recueillir des données plus robustes.
Ensuite, concernant les suppositions logiques, un projet de loi de la sorte — qui ne rend pas la mise en liberté sous caution impossible, mais bien plus difficile à recevoir — signifiera qu’il y aura moins de récidives d’infractions graves et violentes et d’infractions impliquant une arme avant le procès. Ipso facto, la criminalité sera moins probable, sauf si le contrevenant commet un crime en prison. Je pense qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction. Toutefois, je ne peux pas vous fournir de données, car malgré mes demandes pour des données meilleures et plus précises, bien que certaines provinces aient amélioré leurs données, d’autres n’ont pas donné suite à mes demandes.
La sénatrice Batters : Monsieur le ministre, j’ai reçu une réponse semblable du leader du gouvernement au Sénat, le parrain du projet de loi qui se trouve parmi nous aujourd’hui. Il a dit que le ministère de la Justice n’avait ni de données sur les décisions récentes concernant la mise en liberté sous caution ni de données sur le nombre de contrevenants que vise le projet de loi.
Dites-vous que lorsqu’il a rédigé ce projet de loi, votre prédécesseur n’a pas évalué combien d’infractions seraient visées?
M. Virani : Nous avons réalisé une évaluation en ce qui a trait aux infractions; c’est pourquoi il y a une mesure ciblée pour les récidivistes violents.
Je ne suis pas certain de comprendre votre question. Je crois que vous posez deux questions distinctes. La première a trait au nombre de crimes qui ont été évités, mais la deuxième a trait au type d’analyse que nous réalisons pour vérifier les types d’infractions qui sont commises. Elle portait de manière très précise sur les récidivistes violents. Je vous en ai donné la définition plus tôt.
Ce que nous ont dit les communautés au pays, surtout dans les Prairies — notamment dans votre province —, c’est que les armes blanches représentent un problème en Saskatchewan; que le répulsif pour les ours représente un problème au Manitoba, par exemple. Nous avons pris d’importantes mesures pour aborder ces préoccupations. Les premiers ministres provinciaux nous ont fait part de leurs préoccupations et le premier ministre de votre province, la Saskatchewan, est tout à fait pour ce projet de loi; il l’a fait savoir publiquement. Je crois que c’est encourageant.
Bien sûr, nous avons examiné les renseignements dont nous disposions sur les personnes les plus susceptibles de récidiver. Je vois que tout le monde porte le chandail orange aujourd’hui; je suis très heureux de savoir qu’il y a une Journée du chandail orange au Sénat du Canada. Nous avons aussi entendu les communautés autochtones nous dire qu’il était important pour les juges ou juges de paix qui prennent les décisions relatives à la mise en liberté sous caution de tenir compte de l’incidence de la libération de ces personnes dans la population générale sur les communautés. C’est ce que nous ont dit les communautés autochtones de l’ensemble du Canada et c’est ce que nous faisons avec le projet de loi.
La sénatrice Batters : Mes deux questions portaient sur le nombre de délinquants qui auraient été visés par le projet de loi au cours des cinq dernières années. Je pourrai peut-être aborder ces détails avec les représentants de votre ministère au cours de la prochaine heure.
Les premiers ministres des provinces appuient une réforme importante de la mise en liberté sous caution, mais ils veulent une vraie réforme. Je vais passer à autre chose.
Monsieur le ministre, où se trouve votre analyse comparative entre les sexes plus? Comme je l’ai dit à maintes reprises à votre prédécesseur en comité, il est beaucoup plus pratique pour nous d’obtenir un tel document avant votre comparution plutôt qu’après. Monsieur le ministre, selon ma propre analyse du projet de loi C-48, sa portée est beaucoup trop étroite, parce qu’il place de nombreuses femmes canadiennes — qui sont peut‑être victimes de crimes violents — dans une situation de vulnérabilité.
M. Virani : Je suis très heureux que vous souleviez cette question. Le gouvernement de la Colombie-Britannique auquel le sénateur Boisvenu — votre collègue conservateur — a fait référence était ici il y a quelques jours. J’ai discuté avec Niki Sharma, la procureure générale de la province. Elle m’a dit clairement que le projet de loi représentait un grand pas dans la bonne direction pour lutter contre la violence faite aux femmes. Elle m’a dit que dans sa communauté, à Vancouver, des personnes étaient victimes d’abus de la part de leur ancien conjoint ou partenaire libéré sous caution. Par conséquent, l’inversion du fardeau de la preuve, que nous appliquons à la violence entre partenaires intimes, représente un important pas dans la bonne direction.
Je suis aussi heureux que vous me parliez de l’analyse comparative entre les sexes plus. Pour être honnête, il est rare que des politiciens conservateurs me posent des questions sur ce sujet à la Chambre. Je vous remercie de le faire. L’analyse vous sera transmise sous peu. Nous devons biffer certains renseignements pour des raisons de privilège et de confidentialité. Mes représentants m’ont dit que l’analyse sera publiée, comme elle l’a été par le passé.
La sénatrice Simons : J’aimerais examiner la question selon un autre angle. Les dispositions sur l’inversion du fardeau de la preuve me rendent très mal à l’aise parce qu’elles renversent la tradition de longue date de la common law britannique voulant qu’une personne soit innocente jusqu’à preuve du contraire. Nous présumons que parce qu’une personne a commis un crime par le passé, elle a aussi commis ce nouveau crime et nous lui retirons sa liberté... même si nous ne savons pas si elle est coupable cette fois-ci.
Je me préoccupe de ce que cela signifie pour un énoncé concernant la Charte. J’ai aussi des préoccupations pratiques quant à ce que cela signifie en aval pour les centres de détention du pays, qui débordent déjà. Je m’inquiète des conséquences d’une telle mesure pour les personnes détenues dont le cas est visé par l’arrêt Jordan, et qui ne feront jamais l’objet d’un procès, faute de temps. Je m’inquiète de ce que cela signifie pour les personnes en détention provisoire pendant 18 ou 20 mois, qui décident de plaider coupable simplement pour accélérer le processus. Si ces personnes sont accusées d’un crime grave, elles seront détenues dans un établissement fédéral, qui est souvent jugé plus confortable.
Je crois que j’ai abordé cinq questions dans mon commentaire.
M. Virani : Merci, sénatrice Simons. Permettez-moi de dire pour commencer qu’il est très important de faire la distinction entre ce qui se passe avant le procès et ce qui se passe au moment du procès. La présomption d’innocence, qui est enchâssée dans l’article 11 de la Charte, est associée au procès. Ce n’est pas de cela que l’on parle. On ne parle pas de présumer une condamnation. On parle du temps passé avant le procès, dans la communauté ou en prison... C’est important. La présomption d’innocence de l’article 11 ne s’applique pas au contexte que vous décrivez.
Il est bon de poser ces questions, que ce soit en comité parlementaire ou ailleurs. En ce qui a trait à l’inversion du fardeau de la preuve relativement à la mise en liberté sous caution, le processus est assujetti à certains paramètres. J’en ai énuméré quelques-uns : la confiance à l’égard de l’administration de la justice, le risque de fuite, etc. Ces paramètres ont été mis à l’épreuve devant les tribunaux, notamment devant la Cour suprême du Canada, dans le cadre de l’affaire R. c. Morales. Dans cette affaire, le tribunal avait déterminé que lorsque la sécurité publique était en jeu, il était légitime d’inverser le fardeau de la preuve, si le risque de récidive était démontré. On ne contrevient pas à ce qui est autrement un droit à la mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable en vertu de l’alinéa 11e) de la Charte. L’article 7 de la Charte protège aussi les intérêts relatifs à la liberté, etc.
J’attache beaucoup d’importance à mon rôle et au serment que j’ai prêté, qui diffère grandement de celui des autres ministres. J’ai prêté serment de faire respecter la Constitution. Je suis le seul à le faire. J’ai pratiqué le droit constitutionnel avant d’être ministre. La Loi sur le ministère de la Justice m’oblige — en vertu de l’énoncé relatif à la Charte auquel vous avez fait référence — à veiller à ce que les projets de loi qui sont présentés respectent la Charte, et à déposer le document que vous avez mentionné.
Nous avons pris toutes ces mesures. Je suis très satisfait de l’approche ciblée et presque chirurgicale utilisée envers les délinquants ayant commis des crimes graves et violents lorsque le risque de récidive est démontré. Il est juste de soulever certaines préoccupations relatives au caractère constitutionnel d’une telle mesure. Je ne crois pas qu’il soit question d’un vice constitutionnel ici... loin de là. Je crois que la mesure respecte la loi.
En ce qui a trait à l’arrêt Jordan, je dirais qu’il s’agit d’un enjeu important. Cet arrêt nous permet de veiller à ce qu’un procès soit tenu selon un délai raisonnable. La négociation du plaidoyer représente une facette de notre système de justice, mais de toute évidence, ce système doit éviter — et non promouvoir — les plaidoyers qui ne sont pas faits de bonne foi ou de façon honnête... C’est une préoccupation pour nous tous.
Si vous avez des questions au sujet de la surreprésentation, je serai très heureux d’y répondre. C’est peut-être là que vous vouliez en venir; je vais vous laisser poser vos questions.
La sénatrice Simons : D’autres sénateurs vous poseront des questions au sujet de la surreprésentation des personnes racisées et des personnes autochtones de façon particulière, mais je me préoccupe surtout des circonstances pratiques. Nous n’avons pas beaucoup de place pour la détention provisoire. Si on ne permet pas la mise en liberté dans la collectivité, même selon des conditions strictes, alors il faut placer les personnes en détention. Le nombre de lits dans les centres de détention est limité et il y a certaines conséquences pratiques associées à... Je ne devrais pas utiliser le mot « incarcération »... la détention des personnes avant leur procès.
Il n’y a aucun financement rattaché à cela. Craignez-vous que nous ayons de la difficulté à loger toutes ces personnes ou à tenir leur procès en temps opportun?
M. Virani : Le financement associé au Fonds d’action sur la violence liée aux armes à feu et aux gangs est important et une partie de l’argent — plus de 300 millions de dollars — est utilisée par les provinces pour la mise en liberté sous caution. Me Taylor me fait signe que oui; je crois que c’est 330 millions de dollars.
Pour répondre à la deuxième partie de votre question, sénatrice Simons, je souligne que dans les cas d’inversion du fardeau de la preuve, la Couronne doit prouver qu’une personne présente un risque et ne devrait pas être libérée sous caution. Oui, nous renversons le fardeau de la preuve, mais cela n’entraîne pas automatiquement la détention. Cela ne signifie pas qu’en adoptant une mesure législative, toutes les personnes qui font partie de la catégorie que j’ai mentionnée — les récidivistes qui commettent des crimes graves et violents avec une arme — se verront refuser ipso facto la mise en liberté sous caution. Ces personnes devront tout simplement travailler plus fort pour l’obtenir. On envoie aussi un message aux tribunaux et au pays : le Parlement juge cette mesure nécessaire pour assurer la sécurité des Canadiens.
Je vous demande de tenir compte d’une chose : étant donné le climat parlementaire et politique actuel, il est assez rare d’avoir le consentement unanime au sujet d’un projet de loi, et qu’il soit appuyé par les 13 provinces, de même que par les responsables de l’application de la loi du pays. Les gens au pays ont l’impression que ce type de projet de loi est nécessaire pour assurer notre sécurité.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup. Et je fais écho à [Difficultés techniques] le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes étudiait les questions auxquelles vous avez fait référence dans votre déclaration préliminaire. Le 15 février 2023, vous avez parlé avec M. Caputo des arrêts Antic et Zora. Vous avez dit ceci :
D’après ce que je comprends en lisant ces arrêts, la Cour suprême souligne que la règle fondamentale à suivre veut que la libération soit la norme et que la détention soit l’exception. Il faut présumer que dans la plupart des cas, le prévenu devrait être libéré.
Étant donné le nombre croissant de victimes de violence conjugale — de femmes noires et autochtones de façon particulière — qui sont contre-accusées et qui sont visées par les mesures voulant empêcher la libération, j’aimerais savoir de quelle façon, à votre avis, cette définition élargie a une incidence sur les femmes noires et autochtones — et les autres femmes racisées — qui autrement pourraient être criminalisées. Pourriez-vous nous fournir les études ou les recherches et les données que vous avez examinées au sujet de l’atténuation de ce résultat?
M. Virani : À titre de précision, sénatrice Pate, la conversation que vous avez citée était-elle entre M. Caputo et mon prédécesseur? Je n’ai pas témoigné devant le comité en ce rôle à ce moment-là.
La sénatrice Pate : C’était peut-être votre prédécesseur.
M. Virani : J’ai été nommé le 26 juillet, et non en février.
Il y a un lien entre votre question et ce qu’a dit le sénateur Boisvenu au sujet du projet de loi C-75. Nous avons entendu de telles critiques au sujet du projet de loi C-75 lorsqu’il a été adopté en 2018 ou 2019, si je me souviens bien, et l’analyse comparative entre les sexes plus vous permettra de comprendre notre vision au sujet de la disposition.
Nous avons tenu des consultations dans le cadre de l’élaboration du projet de loi, qui allaient au-delà des travaux du Comité de la justice à la Chambre des communes. Nous avons consulté des organisations autochtones nationales et locales... et on n’y a pas soulevé les préoccupations que vous venez d’exprimer. Je demanderais aux représentants du ministère d’intervenir s’ils souhaitent ajouter quelque chose au sujet de la violence conjugale et de l’inversion du fardeau de la preuve, et de son incidence disproportionnée sur les femmes autochtones accusées.
Nous avons pris d’importantes mesures, en tant que gouvernement, pour veiller à aborder la question de la surreprésentation des personnes noires et autochtones au Canada. Je pourrais vous donner de nombreux exemples, mais je vais m’en tenir à quelques-uns.
Je pense notamment au projet de loi C-5, qui porte sur les peines minimales obligatoires et la surincarcération des personnes noires et autochtones qui en résulte. Je travaille actuellement avec les leaders autochtones à une stratégie sur la justice autochtone, qui porte non seulement sur les femmes autochtones, mais sur toutes les personnes autochtones au Canada et sur leur surreprésentation dans notre système de justice. Nous y abordons plusieurs volets. C’est important pour établir le contexte et déterminer dans quelle mesure nous prenons au sérieux la question de la surreprésentation possible des Autochtones.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup.
J’aimerais savoir s’il y a des données sur le projet de loi C-5. Selon tous les renseignements que nous recevons — surtout de la part des groupes qui représentent les femmes noires et autochtones, et les autres femmes racisées —, les femmes doivent encore se protéger elles-mêmes dans les situations de violence conjugale; cela n’a pas changé. De plus, rien ne prouve que le projet de loi C-5 permet d’aborder le problème de l’incarcération de masse, surtout celle des femmes autochtones — qui représentent une femme incarcérée sur deux — et des femmes noires, qui représentent une femme incarcérée sur 10.
Si vous pouviez transmettre de nouvelles données sur le sujet au comité, nous vous en serions très reconnaissants.
M. Virani : Les représentants du ministère me disent que nous n’avons pas encore de telles données, mais dès qu’elles seront disponibles, nous vous les transmettrons. Elles sont importantes en vue d’évaluer les réussites et les défis associés à la mise en œuvre de la loi.
Dans le cadre de mes conversations avec les représentants du gouvernement de la Colombie-Britannique — un gouvernement provincial très progressiste, comme vous le savez —, ils m’ont dit que les préoccupations exprimées dans certaines villes, dont Vancouver, au sujet de la violence conjugale se fondaient aussi sur l’expérience des femmes autochtones. C’est notamment le cas dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver. Je crois qu’il est pertinent de le dire. La Colombie-Britannique fait partie des provinces qui ont encouragé la création du projet de loi. Je suis certain que vous pourriez obtenir les déclarations d’autres provinces également.
La sénatrice Pate : J’ai également eu des discussions avec les provinces.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Monsieur le ministre, je vous remercie d’être ici avec nous. Est-ce que vous êtes en mesure de nous présenter aujourd’hui certains éléments forts de l’analyse comparative entre les sexes plus qui a été développée par votre ministère? Peut-être préférez-vous que ce soit une question que l’on aborde avec vos représentants dans les prochaines heures. Je crois qu’il serait intéressant de vous entendre sur le contenu de cette analyse et sur ce qui vous apparaît comme étant des éléments déterminants de l’analyse par rapport au projet de loi C-48.
M. Virani : Je vous remercie de la question. Premièrement, je peux vous dire que l’objectif de notre gouvernement est toujours de protéger les femmes et de faire avancer la lutte contre la violence conjugale. Deuxièmement, lorsque nous avons écouté tous les représentants des provinces, ils nous ont parlé à plusieurs reprises des personnes accusées de crime violent avec une arme. Nous avons décidé de notre propre initiative d’ajouter un aspect qui touche la violence entre partenaires intimes.
Comme je l’ai mentionné au tout début, il ne s’agit pas seulement d’une déclaration de culpabilité, mais la libération qui fait l’objet d’études ou d’analyses. Les résultats de l’analyse comparative entre les sexes plus qui seront présentés au comité seront en mesure de vous aider à comprendre le phénomène que l’on voit au Canada. J’aimerais vous rappeler ce que j’ai mentionné au sénateur Boisvenu, à savoir que les chiffres et les statistiques nous démontrent que la violence a augmenté, particulièrement pendant et après la pandémie.
La sénatrice Dupuis : Merci. Mon autre question porte sur l’article du projet de loi qui prévoit un examen parlementaire après cinq ans. Ce qui est prévu dans le projet de loi C-48, c’est un examen parlementaire par la Chambre des communes seule. En matière de politiques publiques, quelle est la raison pour laquelle le gouvernement a choisi de soustraire l’analyse ou l’examen parlementaire à l’attention du Sénat?
M. Virani : J’ai remarqué la même chose en ce qui a trait à cet article. Les approches sont un peu différentes selon les projets de loi.
Par exemple, dans le cadre du projet de loi C-36 — je crois que c’était en 2014 —, il a été recommandé qu’il y ait une étude à la Chambre des communes. Pour ce qui est du projet de loi C-14, c’était un examen mené par une Chambre ou l’autre, ou les deux en même temps. Dans le cadre du projet de loi C-24 concernant le crime organisé, c’était une Chambre ou l’autre ou les deux en même temps. Pour le projet de loi C-5, c’était un examen mené par les deux Chambres et pour le projet de loi S-4, il y a eu une révision indépendante, mais c’était une révision qui avait été menée par les deux Chambres.
Ce que je peux dire, c’est qu’effectivement, vous êtes les maîtres chez vous en ce qui concerne votre propre processus. Vous pouvez entamer un examen de n’importe quel projet de loi. Ce que j’aimerais également souligner, c’est que, effectivement, dans les prochains projets de loi —
[Traduction]
Je m’engage à ce que, dorénavant, tous les projets de loi découlant du ministère de la Justice que vous étudierez comprennent un article prévoyant un examen par les deux Chambres — pas seulement par l’une d’entre elles.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Si je comprends bien, votre engagement porte à corriger cette situation. Est-ce que cela veut dire que vous seriez ouvert à un amendement qui prévoirait que, dans ce cas-ci aussi — dans le cadre du projet de loi C-48 —, l’examen parlementaire pourrait être fait par l’une ou l’autre des Chambres?
M. Virani : Ce que j’aimerais souligner, c’est qu’à l’avenir, pour les prochains projets de loi que vous allez étudier, nous allons toujours être en mesure —
[Traduction]
Nous veillerons à ce que les examens parlementaires incluent les deux Chambres. Je pense que vous avez vu la vitesse fulgurante à laquelle ce texte de loi a été rédigé. En octobre 2022, on nous fait une suggestion; s’ensuivent une étude d’experts et une autre réunion fédérale-provinciale-territoriale, ou FPT.
[Français]
En mars 2023, nous avons un projet de loi qui a été déposé huit semaines plus tard et un projet de loi qui a été recommandé de façon unanime en une journée à la Chambre des communes. À mon avis, je crois que le fait que nous devons sauvegarder la sécurité des peuples et des communautés au Canada, c’est une priorité des deux Chambres au Parlement.
[Traduction]
Je crois que c’est une priorité pour chacun d’entre nous, et nous devrions tous coopérer aussi efficacement que possible pour adopter le projet de loi.
Le président : Merci, monsieur le ministre. Il reste six sénateurs sur la liste et, avec votre permission, nous continuerons jusqu’à 17 h 20 ou 17 h 25.
La sénatrice Coyle : Je remercie tous les témoins d’être parmi nous cet après-midi. Félicitations, monsieur le ministre, pour votre récente nomination.
Nous tous qui sommes ici dans la salle avons la responsabilité de garantir la sécurité des Canadiens. Comme vous l’avez énoncé, ce projet de loi vise justement ce but : garantir la sécurité des Canadiens. Il a été proposé, comme vous l’avez dit, dans un contexte très tendu, alors que des incidents violents venaient d’effrayer la population, y compris moi-même. Le projet de loi a vu le jour en raison d’une demande conjointe des provinces et des territoires. Il jouit de l’appui de tous les partis. La Chambre des communes a mené une étude sur le système des mises en liberté sous caution, comme vous l’avez noté, mais le projet de loi devant nous n’a pas été étudié avant qu’il nous parvienne. N’oublions pas que c’est la toute première fois que ce projet de loi est étudié.
Ce contexte complique la tâche du Sénat. Nous n’avons ni accès, comme c’est habituellement le cas, à des recherches, des travaux et des études qui auraient été préalablement menés, ni à des débats qui auraient eu lieu à la Chambre des communes. La tâche est donc corsée pour nous.
De quels constats de recherche et données fiables le gouvernement dispose-t-il sur les mesures énoncées dans le projet de loi et qui donneront les résultats que nous désirons tous : des communautés, des rues, des autoroutes et des foyers plus sécuritaires? Voilà ma première question. De quelles données disposez-vous?
M. Virani : Votre question s’apparente à celle de la sénatrice Batters. Nous nous fions à ce que les données empiriques et statistiques indiquent : la criminalité augmente au Canada, et cette augmentation est corrélée avec certains facteurs et certaines régions. Ces données se retrouvent dans les statistiques du ministère de la Justice et de Statistique Canada. L’augmentation de la criminalité comprend notamment les crimes violents commis avec des armes. Les événements récents qu’on a mentionnés sont survenus un peu partout au pays.
Je ne peux vous donner de prévisions absolues sur le taux de diminution des mises en liberté sous caution qui seront accordées. Comme je l’ai mentionné à votre collègue, la sénatrice Simons, les juges et juges de paix détiennent des pouvoirs discrétionnaires pour prendre des décisions quant à ces mises en liberté. Ils tiennent compte des orientations que leur fournit le Parlement. Logiquement, si les règles pour obtenir une mise en liberté sous caution sont resserrées, il est probable que ces dernières seront moins souvent accordées. En donnant des instructions très explicites sur l’importance de tenir compte de la sécurité dans la communauté et sur le renversement du fardeau de la preuve dans le cas des crimes graves et violents commis avec une arme, nous verrons probablement moins de délinquants violents dans nos rues.
Je suis persuadé que ces instructions changeront la donne. Puis-je quantifier leur incidence dès maintenant? Non. Je ne sais pas si mes collaborateurs désirent ajouter quelque chose à ce sujet, mais nous tâcherons de vous fournir une analyse aussi complète que possible.
Il est inexact d’avancer que nous avons trouvé une solution à la va-vite. Oui, nous avons travaillé rapidement, mais nous avons fait preuve d’une diligence remarquable. On le constate en se rappelant que la demande a été faite en octobre 2022 à la table fédérale-provinciale-territoriale : un groupe d’experts a ensuite travaillé avec rigueur et nous a présenté des propositions pour un projet de loi rédigé sur mesure. Ce projet de loi adapté est en cours de rédaction, et la même étude du Comité de la justice de la Chambre des communes qu’a citée la sénatrice Pate a permis d’entendre — au cours de sept réunions — 30 témoins au sujet de la mise en liberté sous caution et de la façon de réformer le système. Ces témoignages peuvent éclairer l’analyse que vous faites ici de la question.
Vous êtes ici pour accomplir de l’important travail. Vous représentez la chambre de second examen modéré et réfléchi. Je comprends et respecte ce rôle. Il est essentiel dans notre démocratie parlementaire. Or, il est également primordial de tenir compte des besoins des Canadiens; des inquiétudes exprimées dans nos communautés; et du vaste appui pour ce projet de loi — une réalité que je qualifierais de rare. En effet, le projet de loi jouit non seulement du soutien des partis, mais aussi des intervenants intergouvernementaux puisque toutes les provinces l’appuient, y compris nos précieux agents d’application de la loi. Je ne sais pas si nos collaborateurs aimeraient ajouter quelque chose sur l’analyse des données.
Me Matthew Taylor, avocat général et directeur, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Nous pourrons apporter des compléments d’information pendant notre comparution. Je sais que vous avez de nombreuses questions à poser au ministre.
La sénatrice Coyle : Ce serait merveilleux.
Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue au ministre et à nos invités. Monsieur le ministre, je vous félicite encore une fois.
Comme vous y avez fait allusion dans votre déclaration liminaire, nous avons été saisis du projet de loi C-48 après que d’effroyables actes de violence ont été commis. Néanmoins, et sans vouloir manquer de respect aux victimes de ces crimes, je rappelle que votre prédécesseur aurait affirmé que trop peu de statistiques étayent que plus de délinquants commettent des crimes pendant leur mise en liberté sous caution. Étant donné la rareté des délinquants qui commettent des crimes pendant leur mise en liberté sous caution, comment le gouvernement justifie‑t-il un projet de loi aussi vaste?
M. Virani : J’essaie simplement de comprendre votre question parce que certains de vos collègues m’accusent de présenter un projet de loi à la portée trop étroite, mais vous me dites qu’il est plutôt trop vaste. Soit. J’imagine qu’il faut y voir toute l’hétérogénéité du Sénat, une particularité qui fait du Parlement une institution bénéfique et utile.
Je ne crois pas que ce projet de loi est trop vaste, sénateur. Je crois qu’il est très ciblé. Nous avons reçu différentes suggestions sur certains types d’infractions, et nous les avons ajoutées au texte. Dans certains cas, nous avons élargi les suggestions à la lumière, ici encore, de la consultation des provinces et des territoires. Je dirai bien franchement que notre démarche va droit au but pour la violence envers les partenaires intimes, mais nous ciblons les contrevenants qui ont par le passé récidivé et qui sont donc susceptibles de récidiver à nouveau. Les contrevenants ciblés sont des personnes qui ont commis des crimes violents passibles de peines sévères, et dont le dernier crime est récent. Vous m’avez entendu définir ce qui constitue un contrevenant violent commettant des crimes graves. Ils se servent d’armes telles que des couteaux, des armes à feu et — parfois, dans les Prairies — de chasse-ours pour des biens mal acquis et, au bout du compte, pour fomenter la crainte et l’émoi dans les communautés. Je crois qu’il s’agit là d’une approche ciblée nécessaire pour assurer la sécurité des communautés, et c’est pourquoi nous ne démordons pas de cette démarche.
Le sénateur Klyne : Pour ce qui est de la constitutionnalité du projet de loi C-48, si on se fie à la vaste expérience de l’honorable ministre qui a été avocat plaidant en droit constitutionnel et défenseur des droits de la personne, peut-on s’attendre à une constitutionnalité à toute épreuve?
M. Virani : Oui, tout à fait. Je crois que ce projet de loi est solide. Est-ce que cela signifie qu’il ne sera jamais contesté en vertu de la Charte? Toutes sortes de documents se font constamment contester. Mon travail consiste fondamentalement à présenter au Parlement des textes valables sur le plan constitutionnel, et ce projet de loi répond à ce critère.
Le sénateur Klyne : Merci.
La sénatrice Jaffer : Merci, monsieur le ministre, de votre présence parmi nous. Je dois admettre que je suis vraiment heureuse que vous comparaissiez devant le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles. J’imagine que je ressens aussi beaucoup de fierté parce que vous êtes non seulement le premier ministre ismaélien du gouvernement du Canada, mais aussi le premier ministre de la Justice ismaélien. Et c’est ici que s’arrête ma gentillesse : il est habitué à mon style.
Il ne fait aucun doute que le système de justice pénale canadien connaît un problème de surpopulation en ce moment. Je décrirais ainsi le dilemme auquel nombre d’entre nous sont confrontés : le renversement du fardeau de la preuve exerce-t-il des pressions accrues pour que l’accusé plaide coupable à l’avance, afin de réduire les interminables retards qui précèdent les procès, lorsque des plaidoiries fondées sur des faits sont présentées? Ce projet de loi créerait de la pression pour plaider coupable afin d’écourter la peine.
M. Virani : Merci, sénatrice Jaffer, tant pour vos premiers commentaires que pour votre franchise et votre professionnalisme que vous démontrez en tout temps. J’y suis habitué, effectivement.
Vous soulevez une question importante. Je crois que c’est la sénatrice Simons qui, au début, a fait remarquer que ce facteur n’est pas censé compter. Je vais enlever mon chapeau de ministre pour enfiler celui d’avocat pendant quelques instants. On est censé plaider coupable ou non coupable en toute bonne foi. Certaines normes éthiques, règles et lignes directrices régissent la conduite d’un procureur de la Couronne qui réclame un plaidoyer. C’est le premier point qui importe grandement.
Y a-t-il des enjeux qui se rapportent à l’administration de la justice et à des éléments tels que les populations carcérales? Oui, bien entendu. Je n’essaie pas de donner l’impression de refiler la responsabilité à d’autres, mais vous savez fort bien — surtout à ce comité, étant donné ce que vous étudiez sur une base régulière au Parlement — que l’administration de la justice, y compris les centres de détention provinciaux, relève des provinces. Nous devons travailler de façon coordonnée avec nos homologues provinciaux afin de garantir qu’ils administrent la justice de façon à répondre aux critères de l’arrêt Jordan, à donner des conditions équitables à l’accusé, etc. C’est fondamental et essentiel.
Je crois vraiment qu’une approche ciblée permettra de faire ce qui s’impose pour lutter contre les infractions graves et violentes. Je le répète : le projet de loi n’a pas d’incidence sur la présomption d’innocence parce que c’est pendant le procès que ce principe s’applique. La présomption d’innocence protégée par l’alinéa 11d) de la Charte donne le ton général sur la façon d’accorder une mise en liberté sous caution. Comme je l’ai dit tout à l’heure, la Cour suprême a tranché sans équivoque dans l’affaire Morales que le renversement du fardeau de la preuve pour la mise en liberté sous caution est conforme à la Constitution et à la Charte des droits, pourvu qu’il tienne compte des impératifs de sécurité publique. C’est précisément l’approche que nous adoptons.
Je vais revenir à cette question : le projet de loi a-t-il une portée trop large ou trop étroite? Elle est étroite pour une raison. Une approche trop vaste risquerait de rendre le projet de loi inconstitutionnel. Je ne crois pas que ce projet de loi comporte ce risque. Je vais m’arrêter ici.
La sénatrice Jaffer : Monsieur le ministre, permettez-moi de décrire un grand défi que je vivais quand je pratiquais le droit pénal : les personnes qui étaient susceptibles de se retrouver derrière les barreaux avaient droit à l’aide juridique. Voici mes préoccupations : tout d’abord, votre gouvernement élargira-t-il l’aide juridique? Deuxièmement, si le nombre de personnes risquant d’être incarcérées augmente — augmentant ainsi les besoins en aide juridique — les autres secteurs en pâtiront, notamment le secteur matrimonial. Il écope toujours parce que plus d’argent est versé à l’aide juridique en matière criminelle.
Si je me fie à mon expérience et au nombre de femmes que je vois, même de nos jours, je sais qu’elles ne reçoivent pas d’aide juridique matrimoniale parce que de grandes sommes sont consacrées à l’aide juridique en matière criminelle. Avez-vous réfléchi à cet aspect? Comment allez-vous aider les provinces?
M. Virani : Je crois qu’il y a là deux questions. Permettez‑moi de donner un peu de contexte. Avant ma vie en politique, j’ai participé à la mise sur pied d’un centre d’aide juridique à Toronto. Je crois fermement à l’accès à la justice et à l’aide juridique. Quand l’Ontario s’est détourné de l’aide juridique pour les immigrants et les réfugiés, j’ai été parmi ceux qui ont veillé personnellement à ce que notre gouvernement réponde présent. C’est le premier élément.
En deuxième lieu, nous avons bonifié l’aide juridique de 60 millions de dollars en 2022, en plus de la somme initiale que nous versions déjà pour ce service. Vous vous dites peut-être que l’aide juridique en matière criminelle est la priorité dans ce contexte parce qu’il est question de crimes en vertu du Code criminel du Canada. En veillant à ce que les intimés soient notamment représentés par un avocat, on atténue la surreprésentation de certains groupes dans nos prisons et le risque que les accusés soient traités injustement par le système judiciaire. C’est ce que nous faisons et continuerons de faire. L’enveloppe annuelle du gouvernement du Canada pour l’aide juridique en matière criminelle s’élève à 202 millions de dollars.
Je peux aussi répondre à votre question sur le droit matrimonial, bien qu’elle ne porte pas sur ce projet de loi à proprement parler. Comme on l’a vu dans nos réformes sur la Loi sur le divorce, nous nous efforçons toujours — dans les situations matrimoniales, de divorces et d’échecs de mariages — de veiller à ce que le système juridique et la structure de nos lois permettent aux requérants de clore leurs demandes de façon plus rapide, abordable et accessible. Par exemple, on facilite l’accès aux ressources et on incite les requérants à communiquer avec l’Agence du revenu du Canada, ou ARC. Nous avons constaté que certains des obstacles — du côté du droit matrimonial — étaient causés par l’impossibilité d’avoir accès aux dossiers fiscaux ou par la possibilité de cacher son revenu pour éviter de verser la pension alimentaire. C’était une longue parenthèse, mais je voulais m’assurer de répondre à la question.
Le président : Merci, monsieur le ministre. Je ne voulais pas vous interrompre, mais je vous donnerai l’occasion de répondre à cette question la prochaine fois qu’un projet de loi sur le droit matrimonial sera déposé.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Bienvenue au Comité sénatorial des affaires juridiques, monsieur le ministre. Je sais que vous serez un visiteur fréquent. J’aimerais saluer la présence des représentants de votre ministère que nous avons eu le plaisir d’entendre à plusieurs reprises par le passé. C’est toujours apprécié.
[Traduction]
J’ai lu la lettre des premiers ministres et leurs demandes, qui se trouvent au quatrième paragraphe. Voici la mesure précise qu’ils réclamaient :
Il faut créer un renversement du fardeau de la preuve en matière de mise en liberté sous caution pour les cas de possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte chargée prévus à l’article 95 du Code.
Je vois que vous avez été à l’écoute et que vous avez proposé un projet de loi qui prévoit cette mesure. La lettre ne demande aucune autre mesure précise. C’est tout ce que les premiers ministres réclamaient. On lit au paragraphe suivant :
Il ne s’agit là que d’une proposition de réforme incontournable, et nous serions heureux de collaborer avec vous et votre gouvernement sur cette question pressante.
Je sais que des discussions ont eu lieu sur cette lettre. Nous nous réunissons aujourd’hui, et bien des intervenants ont exprimé leurs préoccupations, y compris moi-même, sur la collecte de données et sur le fait qu’il manque des données pour avoir le tableau complet de la situation. Vous avez dit dans votre témoignage que les provinces sont les gardiens. Elles recueillent les données, surtout celles sur les détenus qui ne purgent pas leurs peines dans les pénitenciers fédéraux.
Vous êtes-vous entendus avec les provinces pour recueillir plus de données au cours de ces discussions, qui seront d’ailleurs pertinentes dans le cadre de notre examen dans cinq ans? Leur avez-vous demandé ou suggéré de recueillir des données sur le sexe ou sur les origines ethniques, ou sur les autres facteurs pour lesquels il manque souvent de l’information, ce qui nous empêche d’évaluer l’impact réel des mesures législatives?
M. Virani : Je répondrai aux deux questions que vous avez soulevées, sénateur Dalphond. Vous avez d’abord parlé de la demande contenue dans la lettre de cautionnement. On y réclamait une disposition sur les armes à feu. Le gouvernement de l’Ontario nous a ensuite parlé de trois infractions : le vol à main armée, l’introduction par effraction pour obtenir une arme à feu et la tentative de fabrication d’une arme à feu. Nous avons inclus ces infractions à sa demande et à celle de certains territoires. Voilà pour votre première question.
En ce qui concerne les données, oui, nous en avons discuté. Selon mes informations, 7 des 13 premiers ministres provinciaux et territoriaux recueillent des données. Nous voulons qu’ils le fassent tous. Nous leur avons parlé de notre désir de combler les lacunes et de ce qu’il faudrait faire pour que cela se concrétise. J’en parle constamment avec mes homologues — les procureurs généraux Downey et Sharma, notamment — lorsque je les rencontre. Le ministère de la Justice travaille de concert avec Statistique Canada pour veiller à ce que les provinces et les territoires priorisent ce travail, qui est important.
Les données que vos collègues et vous cherchez à obtenir sont un enjeu important. Je ne souhaite pas vous dire comment faire votre travail, mais si vous recevez des représentants des gouvernements provinciaux lors de vos prochaines séances, je vous inciterais à leur demander de vous transmettre ces données importantes. Il va sans dire que c’est important pour l’avenir, parce que ces données nous permettront de voir comment le projet de loi évolue et quels sont les hauts et les bas de la mise en œuvre de ce dernier.
Le sénateur Dalphond : Je suis heureux de vous voir puisque vous êtes avocat constitutionnel de formation. L’équilibre est très fragile parce qu’il existe une protection dans la Charte, en vertu de l’alinéa 11e), qui stipule qu’un individu en attente d’un procès doit être libéré, à moins qu’il n’y ait des raisons concurrentes.
Je présume que vous avez décidé de faire un exercice d’équilibre pour voir jusqu’où on peut aller sans tomber dans les enjeux de constitutionnalité et de préservation de la Charte.
M. Virani : Je reviens à une question du sénateur Boisvenu. Le projet de loi C-75 a enchâssé le principe de la retenue, qui découle de l’affaire Antic. Il s’agit d’une codification importante de la jurisprudence de la Cour suprême. Nous défendons à la fois cette jurisprudence et les exigences de la Charte.
Notre approche est très chirurgicale. Nous croyons respecter la protection prévue à l’alinéa 11e) de la Charte que vous avez évoqué.
Le sénateur Arnot : Vous avez déjà abordé bon nombre d’enjeux que je voulais relever, monsieur le ministre, mais je souhaite les approfondir, car je pense qu’il est possible de prédire avec certitude certaines conséquences du projet de loi, dont l’augmentation de la détention provisoire de certains individus. En Saskatchewan, on présume qu’il s’agira d’hommes autochtones.
Lorsque je réfléchis à ces conséquences, je pense aux établissements déjà surpeuplés. Il y a beaucoup d’enjeux de sécurité lorsqu’on transporte des détenus en Saskatchewan — à cause des gangs — afin qu’ils comparaissent au tribunal de façon sécuritaire à leur audience de libération sous caution. Je pense à l’aide juridique, qui a été mentionnée, mais aussi à ce qui se passe dans les salles d’audience. Les procureurs de la Couronne et les juges tiendront davantage d’audiences de libération sous caution et auront besoin de retarder les choses. Nous savons que cela va se produire.
Vous avez dit qu’il fallait s’attaquer aux problèmes de santé mentale et de dépendance. En Saskatchewan, les programmes sont terriblement inadéquats. Je crois que c’est le cas dans la majorité des régions au pays. Les détenus n’ont généralement pas accès à ces programmes.
Lorsque vous parlez de collaboration, cela se résume à la pression exercée sur les ressources, à la pression financière. Arriverez-vous à travailler de concert avec vos homologues provinciaux et territoriaux — qui doivent appliquer le droit pénal avec de réelles ressources — sur ces enjeux essentiels, qui, je pense, se poseront de manière sûre et prévisible, et ensuite à atténuer les conséquences négatives de la mise en œuvre du projet de loi en offrant un financement efficace pour qu’on s’y attarde?
M. Virani : Je vous remercie de cette question, sénateur Arnot. J’entends vos préoccupations. Je sais que vous défendez ces droits de la personne en Saskatchewan depuis fort longtemps.
Je travaille bien sûr déjà en ce sens, et j’espère pouvoir en faire nettement plus. Voilà ce que je vous répondrais en premier.
J’aimerais aussi revenir sur les 330 millions de dollars octroyés au Fonds d’action contre la violence liée aux armes à feu et aux gangs afin d’apaiser certaines inquiétudes et pressions financières liées à la libération sous caution.
En ce qui concerne la santé mentale, vous avez tout à fait raison. Nous devons remonter à la racine de la criminalité. J’aime que notre gouvernement reconnaisse que certains finissent par entrer dans le système de justice pénale pour des raisons de pauvreté, de logement, de santé mentale ou de dépendance. Je vous renvoie aux quelque 200 milliards de dollars prévus dans l’entente nationale en matière de santé. La santé mentale est l’un des cinq enjeux compris dans l’entente.
La surreprésentation des Noirs et des Autochtones dans le système de justice pénale me tient à cœur. Nous travaillons d’arrache-pied là-dessus. Vous m’avez entendu parler du projet de loi C-5 et de la stratégie de justice autochtone que nous sommes en voie de créer. Nous travaillons également sur une stratégie de justice pour les personnes noires. Nous œuvrons sur divers fronts. Je pense entre autres au financement des rapports Gladue. Nous avons également mis en œuvre une initiative que nous avons empruntée à la côte Est, soit les évaluations de l’origine ethnique et culturelle. Comme je l’ai dit, nous finançons aussi l’aide juridique, et nous travaillons sur une stratégie contre le racisme.
Nous travaillons sur divers fronts. Mon prédécesseur en a parlé, et j’en parlerai aussi au Québec. Je m’engage ouvertement — et il en sera question lors de la prochaine réunion FPT avec les collègues de la santé publique et les procureurs généraux — à ce que ce projet de loi n’ait pas pour effet d’augmenter la surreprésentation de certaines communautés, à savoir les accusés noirs et autochtones. J’estime que nous agissons de manière ciblée.
Si vous me le permettez, monsieur le président, j’aimerais ajouter une chose rapidement. Les communautés autochtones m’ont également dit que bien qu’elles fassent parfois l’objet d’une trop grande surveillance policière — lorsque les forces de l’ordre ont la main lourde — elles se sentent aussi laissées à elles-mêmes par moments. Cela veut dire que la police peut intervenir deux heures après le signalement d’une menace sérieuse ou violente. C’est inadéquat. Ces communautés sont surreprésentées, tant sur le banc des accusés que dans le camp des victimes.
Les communautés noires et autochtones m’ont dit vouloir une approche ciblant — avec des mesures conséquentes — ceux qui utilisent des armes pour commettre des crimes graves et violents. Voilà ce que nous tentons d’instaurer.
Le sénateur Gold : Je vous félicite, monsieur le ministre. Toutes mes questions ont déjà été posées.
Cela dit, j’aimerais vous poser une autre brève question. Vous avez beaucoup parlé du processus en amont du projet de loi, notamment des consultations avec les provinces, les territoires, les communautés autochtones, etc. Nous étudions maintenant ce projet de loi. Comment les gens réagissent-ils à ce projet de loi? Les provinces, les territoires, les communautés autochtones et les autres intervenants que vous avez évoqués sont-ils satisfaits du projet de loi actuel?
M. Virani : Oui, ils sont fort satisfaits. J’ai l’impression d’être en pleine lune de miel. Des gens comme vous me félicitent. Les gens embarquent. Il m’arrive également d’avoir des discussions avec des personnes qui n’ont pas exactement le même profil politique que nous, et elles se réjouissent de ce projet de loi. Elles le trouvent important et souhaitent qu’il soit adopté.
Je suis également rassuré de voir que des communautés l’appuient. Je pense entre autres à la Fédération canadienne des municipalités. Les forces de l’ordre soutiennent universellement le projet de loi à l’échelle nationale, provinciale et locale. Le projet de loi bénéficie d’un appui important.
Je nuance toujours mon discours en disant qu’il ne s’agit pas d’une panacée. Il y a du travail à faire à l’échelle locale, municipale et provinciale et au sein des forces de l’ordre. Cela dit, beaucoup souhaitent que ce projet de loi soit adopté rapidement. Pour être franc, je vous exhorterais à tenir compte de ce désir, parce qu’il est rare qu’un projet de loi fasse autant l’unanimité. Vous examinez bon nombre de projets de loi qui ne font pas autant l’unanimité.
Lorsque je reçois des appels élogieux de personnes qui n’ont habituellement pas une bonne opinion de mon travail ou de celui de mon gouvernement, je considère que c’est un signe que cet enjeu est non partisan. Il devrait être traité comme tel.
Je n’en dirai pas plus.
Le président : Il nous reste environ deux minutes, et je ne crois pas qu’il serait juste d’entamer un deuxième tour de questions, sauf votre respect.
Si je puis me permettre, monsieur le ministre, j’aimerais vous poser deux questions. Vous avez répondu à une question sur l’augmentation de l’offre d’aide juridique. Presque chaque fois que le gouvernement du Canada lance une initiative comme celle-ci, les coûts augmentent, peu importe quelles étaient les ressources deux semaines auparavant. Je crois qu’il serait bien que votre ministère porte attention aux coûts supplémentaires engendrés par les individus incarcérés ou détenus qui devront désormais prouver ou justifier leur libération, ce qui représente une charge plus importante pour eux et pour le système d’aide juridique. Les 60 millions de dollars de l’an dernier étaient bienvenus, mais il y aura des coûts supplémentaires engendrés au cours des prochaines semaines.
Il me semble avoir entendu qu’on avait fourni l’argent, mais pas à cet effet. Les provinces soutiennent la décision d’Ottawa, mais elle pèse sur l’aide juridique dans le système de justice pénale.
Deuxièmement, dans une réponse à la sénatrice Simons et peut-être à une autre question, vous avez laissé entendre que la présomption d’innocence était en quelque sorte différente ou moins applicable lors des procès que lors de la détention. Je voulais simplement souligner que la référence à la présomption d’innocence dans le contexte de la libération sous caution figure dans le préambule du projet de loi. Je souhaitais vous donner l’occasion de développer ce point, car il m’a semblé, avec tout le respect que je vous dois, que vous dédaigniez quelque peu l’application de la présomption d’innocence dans les circonstances auxquelles ce projet de loi s’applique.
M. Virani : Je vous remercie de me donner cette occasion, monsieur le président.
La présomption d’innocence est inscrite à l’alinéa 11d) de la Charte. Ce que la Cour suprême a dit, particulièrement dans le cadre de l’affaire Morales et ce que j’essayais d’expliquer, c’est que la présomption d’innocence guide l’analyse lors de l’examen de la libération sous caution. Cela dit, la libération sous caution ne détermine pas la culpabilité ou l’innocence de l’accusé à première vue. La libération sous caution est octroyée à un accusé en attente d’un procès. Il est important que les Canadiens et les parlementaires comprennent cette distinction.
C’est une petite nuance, mais elle est enchâssée dans le projet de loi, parce que nous avons des inquiétudes à propos de la présomption d’innocence, que nous défendrons toujours. En modifiant le fardeau de la preuve pour la libération sous caution, on ne touche pas directement à la présomption d’innocence. Certes, il faudra s’assurer de respecter les normes et les principes liés à la présomption d’innocence en évaluant les implications de l’inversion du fardeau de la preuve, mais il n’est pas question d’application directe et linéaire. L’octroi de la libération sous caution est prévu à l’alinéa 11e) de la Charte, qui stipule qu’un individu a le droit à la liberté sous réserve de certaines conditions raisonnables.
Le président : Cette précision est utile. Elle l’est pour moi, du moins.
M. Virani : Si je puis me permettre, j’aimerais également rectifier une chose à propos de l’aide juridique dans le système de justice pénale. Le gouvernement fédéral a investi 60 millions de dollars supplémentaires, ce qui veut dire que sa contribution s’élèvera désormais à 202 millions de dollars par année.
Le président : Merci.
Voilà qui met fin à ce témoignage. Au nom de tous mes collègues, je vous remercie d’avoir été des nôtres, monsieur Virani. Je vous remercie également de votre exposé, de votre ouverture, de votre franchise et de vos réponses à nos questions.
Nous allons poursuivre la discussion lors de la deuxième heure avec les fonctionnaires du ministère de la Justice.
À nouveau, j’aimerais vous remercier, monsieur le ministre, madame Jacques, ainsi que vous, chers collègues, de votre participation.
J’aimerais à nouveau remercier les fonctionnaires du ministère de la Justice, qui vont rester avec nous pour répondre à nos questions. Je vous en remercie, maîtres Taylor, Moore et Davis‑Ermuth. Nous allons tout de suite passer aux questions.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Merci aux témoins d’être avec nous. Monsieur Taylor, ce projet de loi vient modifier certains éléments du projet de loi C-75 adopté en 2019. Selon le projet de loi C-75, si un homme accusé de violence conjugale obtenait une absolution et qu’il commettait à nouveau un acte de violence conjugale, il n’était pas considéré comme un récidiviste, donc le renversement du fardeau de la preuve ne s’appliquait pas à lui. Il ne s’appliquait qu’à un homme condamné qui faisait une nouvelle victime, et on renversait alors le fardeau de la preuve.
Est-ce que ce projet de loi enlève ce privilège à un homme qui a reçu une absolution et qui commet un acte de violence sur un autre conjoint? Est-ce que le renversement du fardeau de la preuve s’appliquerait à lui, même s’il avait obtenu une absolution?
Me Taylor : Exactement.
Le sénateur Dalphond : Dans le cadre de la préparation du projet de loi, je comprends que la lettre est arrivée en janvier, qu’il y a eu des consultations immédiatement après, et que le projet de loi a été déposé au mois de mai. C’est assez rapide comme exercice. Pourriez-vous nous parler des consultations que vous avez menées? Le ministre a fait référence au fait qu’on n’a pas seulement consulté les provinces et les procureurs généraux, mais aussi d’autres groupes. Quels autres groupes ont été consultés?
[Traduction]
Me Taylor : Notre équipe de fonctionnaires a longuement discuté du principe de libération sous caution avec les provinces et les territoires. Ces discussions ont certes eu lieu dans le cadre du projet de loi C-75, mais elles se sont poursuivies par la suite.
Nous discutons régulièrement des enjeux du projet de loi avec des hauts fonctionnaires depuis plus d’un an. À la suite de la réunion spéciale des ministres en mars, nous nous sommes rencontrés chaque semaine — les fonctionnaires, j’entends — pour élaborer des options de réforme législative. Les sous‑ministres ont également pris part à ces discussions.
Nous ne nous sommes pas entretenus directement avec les intervenants. L’étude du comité de la Chambre des communes nous a été utile, par contre. Nous avons écouté le témoignage des témoins et en avons tenu compte pour l’élaboration du projet de loi. Cela dit, le cabinet du ministre de la Justice a communiqué avec des intervenants ainsi qu’avec des organisations policières et autochtones à maintes reprises. Je sais que cela a éclairé l’approche décisionnelle de l’ancien ministre Lametti et que cela a eu une incidence sur les mesures incluses dans le projet de loi C-48. Je n’ai pas la liste d’organisations avec moi. Si votre comité le souhaite, je suis certain qu’il est possible de la retrouver.
Le président : Considérez cela comme une requête, maître Taylor. Merci.
La sénatrice Pate : Je tiens d’abord à corriger une erreur de ma part concernant le ministre; c’était bien vous, maître Moore, qui avez eu une interaction avec M. Caputo. Je me demandais si vous souhaitiez nous donner plus de détails en ce qui concerne le genre de données que j’ai demandé.
J’aimerais également vous poser quelques questions concernant les données. La Commission d’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, de même que la Commission des pertes massives ont soulevé plusieurs enjeux concernant l’importance d’adopter une approche fondée sur les principes de la Charte. Nous devons considérer le principe d’égalité mis de l’avant par la Charte, notamment en ce qui concerne les femmes autochtones, les femmes racisées et les femmes pauvres. Néanmoins, je suis frappée par le fait que ce type d’approche est trop souvent adoptée après les faits. Peu après l’allocution du ministre — quelle horrible coïncidence —, j’ai commencé à recevoir des textos d’un membre de la famille d’une femme autochtone dont la sœur et la nièce venaient d’être placées dans un centre de détention provisoire après avoir été accusées exactement du genre d’infractions dont nous venions de discuter.
Comme ce projet de loi n’est pas encore en vigueur, je garde espoir que ces deux femmes autochtones s’en sortiront. Par contre, j’ai été frappée par ce qui suit : alors que nous tentons de mettre en place une stratégie visant à réduire le nombre de détenus d’origines autochtones et noirs, nous n’appliquons pas la même stratégie pour prévenir la criminalisation et la victimisation, alors que l’ensemble des commissions d’enquête, des recommandations et des recherches indiquent que ce genre de stratégies doivent être mises en place partout au pays pour s’attaquer réellement au problème de la violence entre partenaires intimes. Je suis curieuse de comprendre comment se passe la collaboration entre le ministère de la Justice et les autres ministères concernés par ce genre d’enjeux. J’aimerais également savoir où en sont les relations entre le gouvernement fédéral et les provinces, et s’il y a eu des contestations par rapport au projet de loi en question.
Me Shannon Davis-Ermuth, avocate-conseil et gestionnaire, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Malheureusement, je n’ai rien de précis à propos de la stratégie dont il est question, et vous m’avez en quelque sorte devancée sur mon prochain point. En effet, vous avez soulevé l’enjeu fondamental de la double mise en accusation et de l’inculpation croisée. L’une des questions épineuses concernant le Code criminel est que s’il devait être rédigé d’une manière à ne pas tenir compte du genre d’infractions dont ces femmes sont victimes, alors nous ne pourrions pas nous en servir pour intenter des poursuites en ce sens. L’approche généralement adoptée — et je suis d’avis qu’elle est pertinente dans le cadre d’autres stratégies concernant la violence à caractère sexiste — consiste à faire exactement ce que vous préconisez.
Ce qu’il faut changer, c’est bien le mode de mises en accusation, et non le traitement des chefs d’accusation une fois qu’ils ont été prononcés. Cela implique d’améliorer la collaboration entre les partenaires fédéral, provinciaux et territoriaux afin d’étudier les politiques en matière de mises en accusation et de poursuites.
La sénatrice Pate : Comme nous le savons également, plusieurs recommandations continuent d’être formulées concernant les mises en accusation. La pandémie a mis en lumière le manque d’options disponibles au sein de notre système de justice. La Colombie-Britannique s’est révélée un chef de file dans ce domaine, car elle avait besoin que des mesures de soutien économique et autres soient mises en place. Toutefois, les progrès escomptés n’ont pas eu lieu. Pouvez-vous nous indiquer s’il y a eu des progrès en ce sens, autres que ceux déjà évoqués dans les grandes lignes par le ministre?
Me Taylor : Il est difficile pour moi de répondre à cette question, sénatrice. Ma collègue a raison d’affirmer qu’il s’agit en fait d’une question de mise en œuvre qui doit se faire en tenant compte des provinces et des territoires, étant donné leur responsabilité en matière d’administration de la justice.
Nous pouvons débattre de manière générale de la manière dont le ministre Virani a parlé du Fonds de lutte contre la violence liée aux armes à feu et aux gangs. Le ministre m’a mal compris au sujet du nombre; c’est bien une somme de 390 millions de dollars qui a été allouée pour soutenir les initiatives de prévention dans ce domaine. Il s’agit d’un fonds d’une importance considérable, comme l’est également le Fonds pour bâtir des communautés plus sécuritaires, qui relève lui aussi du ministère de la Sécurité publique. Je tiens enfin à souligner la pertinence de plusieurs travaux réalisés par nos collègues de Santé Canada. J’aimerais vous donner une réponse plus complète et satisfaisante, mais je ne peux pas.
La sénatrice Simons : J’aimerais me concentrer sur la question de l’absolution inconditionnelle. Comme je le répète souvent, même si on tente de me décourager de le dire, je ne suis pas avocate. Si j’ai bien compris, en cas d’absolution inconditionnelle, le contrevenant est considéré comme n’ayant pas été condamné, et n’écope pas d’un casier judiciaire. Pourtant, ce projet de loi instaure le renversement du fardeau de la preuve pour la mise en liberté sous caution lorsqu’un prévenu qui a antérieurement été déclaré coupable d’une infraction est accusé cette fois-ci d’une infraction impliquant de la violence contre un partenaire intime.
Pourriez-vous m’expliquer la chose suivante : si un contrevenant a déjà bénéficié d’une absolution inconditionnelle, pourquoi est-ce que cela constitue un facteur préjudiciable dans le cadre d’une demande de mise en liberté sous caution?
Me Chelsea Moore, conseillère juridique, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Je vous remercie de la question. Vous avez raison d’affirmer que l’absolution inconditionnelle représente un outil de détermination de la peine en vertu de l’article 730 du Code criminel, lequel permet au contrevenant d’éviter une condamnation pénale. L’absolution inconditionnelle est généralement accordée par le juge en cas de circonstances atténuantes, ou lorsque le contrevenant est jugé apte à la réhabilitation, par exemple.
Néanmoins, je rappelle que même en cas d’absolution inconditionnelle, le juge a déclaré le contrevenant coupable de l’infraction.
Dans les cas de violence entre partenaires intimes, les individus ayant fait preuve de ce type de violence par le passé peuvent toujours représenter un risque élevé de récidive envers leur partenaire intime, qu’ils aient été condamnés ou libérés par le passé. Par ailleurs, ce risque est encore plus élevé lorsque l’individu doit de nouveau faire face au système de justice. L’objectif du projet de loi est donc de prendre compte de ce risque accru, même dans les cas où le juge a déterminé qu’il y avait des circonstances atténuantes lors de la détermination de la peine.
La sénatrice Simons : Je suis préoccupée que ce projet de loi puisse favoriser un renversement du fardeau de la preuve, car lors d’une demande de mise en liberté sous caution, le juge ou le juge de paix doit toujours étudier la deuxième clause dans sa liste de mesures à prendre. Il me semble que si nous adoptons des dispositions relatives au renversement du fardeau de la preuve, elles devraient s’appliquer uniquement aux contrevenants les plus dangereux, ceux ayant commis des crimes particulièrement odieux. Un juge peut étudier le dossier et constater que le contrevenant a déjà bénéficié d’une absolution inconditionnelle, et néanmoins prendre la décision de refuser la demande de mise en liberté sous caution sans que le fardeau de la preuve soit renversé, et cela me préoccupe. Loin de moi l’idée de minimiser la gravité de la violence entre partenaires intimes, mais en tant qu’adultes, nous sommes tous conscients que certains chefs d’accusation sont plus graves que d’autres. Comme l’a remarqué la sénatrice Pate à propos des accusations croisées, un contrevenant pourrait être accusé d’avoir proféré des menaces de violence, alors qu’aucun acte violent n’a eu lieu. Le contrevenant pourrait bénéficier d’une absolution inconditionnelle, pour se voir ensuite traité comme le plus odieux des criminels lors d’un renversement du fardeau de la preuve. Cela me paraît tout simplement injuste.
Me Moore : Même si un contrevenant est soumis à un renversement du fardeau de la preuve, le juge étudiera en premier lieu les motifs de la détention du contrevenant, et cherchera notamment à savoir si elle est dans l’intérêt de la sécurité publique. J’ose espérer que si un contrevenant ne représente pas un danger pour la sécurité publique, il ne soit pas placé en détention à l’étape de la mise en liberté sous caution.
La sénatrice Simons : En raison du renversement du fardeau de la preuve, c’est à présent au contrevenant de justifier sa remise en liberté, et non à la Couronne de prouver qu’il doit être mis en détention. Il me semble que l’ajout de l’absolution inconditionnelle à la liste des facteurs préjudiciables représente un poids considérable pour les accusés, d’autant plus que certains se représentent eux eux-mêmes ou sont représentés par un avocat de l’aide juridique particulièrement inexpérimenté.
Me Davis-Ermuth : Je comprends vos préoccupations. Le problème tient en partie à la nature de la violence entre partenaires intimes, ainsi qu’au fonctionnement des audiences de mise en liberté sous caution, à la rapidité de la décision qui doit être prise, et aux renseignements dont dispose le tribunal. Malheureusement, nous avons été témoin de nombreuses situations dans lesquelles des femmes ont porté plainte pour violence entre partenaires intimes, mais n’ont pas été prises au sérieux parce qu’il s’agissait d’une relation entre deux étrangers. Toutefois, comme l’a mentionné Me Moore, des études ont montré que les femmes qui témoignent devant un tribunal de libération sous caution peuvent être exposées à un risque accru en raison de la dynamique même de la violence entre partenaires intimes.
Lorsqu’un contrevenant bénéficie d’une absolution inconditionnelle la première fois, c’est souvent parce que le juge a étudié le cas et ne l’a pas jugé assez grave. Néanmoins, nous savons que les cas de violence entre partenaires intimes ne sont souvent pas isolés, et font plutôt partie d’une dynamique plus complexe impliquant des actes cumulatifs de violence. Les tribunaux doivent donc intervenir à un stade où, au lieu de devoir se prononcer sur un incident unique, il semble y avoir tout un schéma de violence. La victime risque alors de se retrouver en danger si le contrevenant est mis en liberté sous caution. En effet, de nombreux rapports d’enquête font état d’incidents tragiques lors desquels des femmes ont été tuées dans ce genre de situation. À mon avis, les contrevenants devraient pouvoir bénéficier d’une mise en liberté sous caution, mais les tribunaux doivent analyser en profondeur l’ensemble des circonstances dans chaque cas.
Le sénateur Klyne : J’aimerais poser une question à la sous‑ministre déléguée, mais d’autres intervenants pourront se sentir libres d’y répondre.
Ma question va dans le même sens que celle posée par la sénatrice Simons. Selon Statistique Canada, pour l’année 2021, les adultes autochtones représentaient près du tiers de l’ensemble des entrées en détention au sein d’établissements provinciaux et territoriaux, de même que 33 % des entrées au sein d’établissements fédéraux, alors qu’ils ne représentent que 3 % de la population canadienne. Le gouvernement fédéral dispose‑t‑il d’une analyse démographique fondée sur la race quant aux individus qui commettent le type d’infractions entraînant le renversement du fardeau de la preuve en vertu du projet de loi C-48?
Me Taylor : Il s’agit d’une excellente question. Nous ne disposons pas à l’heure actuelle de données complètes. Toutefois, le ministre Virani a déjà parlé des démarches que nous effectuons auprès des provinces et des territoires, et par l’entremise de Statistique Canada, pour obtenir un portrait plus complet de la situation.
Nous avons pu fournir des données préliminaires à la Chambre des communes dans le cadre de l’étude qu’elle a menée au début de l’année sur la mise en liberté sous caution, et je pourrais en souligner plusieurs aspects. Cela ne répondra pas directement à votre question, mais risque de vous être tout de même utile.
Le sénateur Klyne : D’accord, merci.
Me Taylor : Comme l’a dit le ministre Virani, les données dont nous disposons concernent sept provinces et territoires. Ces données indiquent, comme on pouvait s’y attendre, que la plupart des individus qui se présentent à une audience quotidienne bénéficient d’une mise en liberté sous caution. La Chambre des communes et l’ensemble des provinces ont reconnu que le système de libération sous caution fonctionne bien dans la plupart des cas.
Voici la liste des sept provinces et territoires pour lesquels nous disposons de données préliminaires : Terre-Neuve-et-Labrador, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, le Québec, l’Ontario, la Colombie-Britannique et le Nunavut. Entre 2016 et 2021, un total de 983 000 cas d’audiences de libération sous caution ont été enregistrés. Parmi ces cas, 67 % ont abouti à une mise en liberté sous caution, 10 % ont débouché sur une détention provisoire, et nous ne connaissons pas le résultat dans environ 23 % des cas. Ainsi, vous remarquerez que même avec les données que nous avons été en mesure de recueillir, nous n’avons toujours pas réussi à dégager un portrait complet de ce qui se passe réellement au terme des audiences de libération sous caution.
Comme je l’ai dit, ces données concernent sept provinces et territoires.
J’aimerais maintenant aborder des préoccupations spécifiques au projet de loi dont il est question. Je tâcherai d’être très bref, car je sais que j’empiète sur le temps de parole des autres intervenants. Statistique Canada et nos autres collaborateurs ont recueilli des données préliminaires au sujet des cas d’infractions violentes impliquant une arme, et continuent de mener des études pour mieux comprendre cette réalité.
Parmi les individus accusés d’avoir commis une nouvelle infraction pendant leur période de liberté, 39 % ont été libérés sous caution, et 10 % ont été accusés d’avoir utilisé une arme. Je rappelle qu’il s’agit d’individus dont l’infraction violente initiale avait été commise avec une arme. On peut donc observer qu’une petite proportion d’individus commettent des infractions violentes avec arme durant leur période de liberté.
Le renversement du fardeau de la preuve proposé dans ce projet de loi, qui exige des tribunaux qu’ils étudient en profondeur ce genre de cas, pourra entraîner la détention d’un contrevenant, mais pas nécessairement. Le juge pourra également imposer un plan de mise en liberté sous caution plus rigoureux, assorti de conditions plus strictes. L’objectif n’est donc pas de préconiser à tout prix la détention d’un contrevenant, mais bien d’aboutir à la sentence la plus adéquate et la plus rigoureuse selon chaque cas. J’invite d’ailleurs mes collègues à vous fournir plus de renseignements à ce sujet.
Je sais que je n’ai pas répondu spécifiquement à votre question, mais j’espère avoir été utile.
Le sénateur Klyne : Cela fait réfléchir. Je vous remercie.
La sénatrice Jaffer : Maître Taylor, je suis ravie de vous voir. Je vous souhaite la bienvenue. C’est également un plaisir de compter Me Moore et Me Davis-Ermuth parmi nous. Je vous remercie de votre présence.
Comme je suis encore très troublée par ce qu’a rapporté la sénatrice Simons, je vais y revenir.
Lorsque je devais plaider pour obtenir une absolution inconditionnelle pour un client, je me rappelle à quel point l’audience sur la détermination de la peine était particulièrement longue. Il était en effet difficile de convaincre le juge d’accorder une mise en liberté sous caution à un contrevenant, et celle-ci n’était accordée que dans des cas exceptionnels.
J’ai écouté attentivement votre argumentaire, mais je suis encore très troublée et je demande à être convaincue. Comment peut-on absoudre un contrevenant s’il a commis des actes de violence répétés par le passé? J’ai de la difficulté à comprendre.
Je suis également très préoccupée par les propos de Me Davis‑Ermuth, et j’aimerais m’adresser directement à elle. J’ai de la difficulté à bien saisir ce que vous avez mentionné à propos des statistiques, et à comprendre votre explication. Je pense que dans le contexte d’une audience sur la détermination de la peine, nous devons nous concentrer avant tout sur les faits en rapport avec le cas présent, et sur le témoignage du contrevenant. Les autres circonstances dont vous avez parlé me paraissent secondaires.
Me Davis-Ermuth : Je vous remercie de cette question supplémentaire. C’est l’argument que j’ai fait valoir à propos de la nature de la violence entre partenaires intimes : en l’inscrivant dans le Code criminel, on s’assure que les décideurs appliquent la bonne optique lorsqu’ils prennent certains types de décisions, et comme je l’ai mentionné, la violence entre partenaires intimes est d’une nature très différente des sévices graves à la personne qui figurent dans le Code criminel. La majeure partie du Code criminel a été structurée en fonction des infractions fondées sur des incidents. Vous êtes accusé qu’un certain incident soit survenu à une certaine date. Mais dans le cas de la violence entre partenaires intimes, s’il s’agit d’un comportement qui se produit de manière répétée au sein d’une relation, l’incident consigné dans le document — dans le champ du chef d’accusation — n’est souvent que la pointe de l’iceberg. Le but n’est pas nécessairement que cette personne soit détenue, mais, dans le passé, des décisions et des enquêtes ont montré que les juges ne comprenaient pas nécessairement la nature de la violence entre partenaires intimes lorsqu’ils prenaient ces décisions. S’ils se basaient uniquement sur le type d’infractions commises — que ce soit une agression ou un autre acte de violence —, il s’agissait d’un type d’infractions pour lesquelles, en l’absence de tous les facteurs relationnels et autres, un juge ne serait probablement même pas saisi de l’affaire. Initialement, lorsque ces affaires étaient portées devant les tribunaux, les juges ne les prenaient pas nécessairement au sérieux.
Cela va de pair avec certains des autres amendements apportés par le projet de loi C-75, notamment le fait que les juges sont tenus de prendre en considération l’existence d’actes de violence entre les partenaires intimes.
Il y avait une préoccupation à cet égard. Quand votre comité a étudié le projet de loi C-75, une motion a été proposée en vue d’élargir ce renversement du fardeau de la preuve, de sorte que ce renversement ait lieu pour toute personne accusée de violence faite à un partenaire intime si elle a déjà été inculpée. Certains s’inquiétaient de savoir si cette personne avait fait face à d’autres accusations — même si elles n’avaient peut-être pas abouti à des condamnations. Cette motion n’a pas été adoptée, et cet amendement était fondé sur des condamnations antérieures.
Les gens ont exprimé l’inquiétude suivante : le problème n’est pas seulement que la personne a été inculpée auparavant, c’est aussi qu’elle a été reconnue coupable de ce type de violence dans le passé. En même temps, lorsqu’une personne est remise en liberté, on estime généralement qu’il s’agissait d’un incident unique qui ne se reproduira pas. Par conséquent, si le tribunal est à nouveau saisi d’une telle affaire, on ne veut pas qu’elle soit simplement rejetée et qu’on déclare que la personne a été remise en liberté et que sa condamnation antérieure ne compte donc pas. On veut que les juges s’assurent qu’ils remarquent bien l’aspect répétitif de la situation; c’est la raison d’être du renversement du fardeau de la preuve.
La sénatrice Jaffer : Je ne suis pas entièrement convaincue, mais je crois que mon temps de parole est écoulé.
La sénatrice Batters : Il y a quelques aspects que je souhaiterais aborder. Tout d’abord, en répondant à une question antérieure d’une sénatrice qui demandait la raison pour laquelle un comité sénatorial n’avait pas également participé à l’examen quinquennal du projet de loi C-48, le ministre a fourni, je suppose, une justification en parlant de la rapidité avec laquelle cette mesure législative a été élaborée. Pourtant, le projet de loi C-48 ne prévoit pas d’examen par les deux Chambres du Parlement. Il ne me semble pas qu’il aurait fallu plus de temps pour mettre en place cet article du projet de loi. En fait, l’article 2 du projet de loi concernant l’examen quinquennal stipule ce qui suit : « [...] ont soumises à l’examen du comité permanent de la Chambre des communes habituellement chargé des questions concernant la justice. »
Je me demande pourquoi notre Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles n’a pas été mentionné dans cet article, étant donné que le Parlement du Canada est composé de deux Chambres. De même, pourquoi cet article a-t-il été rédigé de cette manière particulière visant à ne faire allusion qu’au comité de la Chambre des communes? Cela me semble un peu étrange.
Je comprends que les noms des comités changent parfois, mais je pense que le nom de ce comité de la Chambre des communes est demeuré le même pendant de nombreuses années — il s’agit du Comité de la justice et des droits de la personne, je crois. Je ne sais pas pourquoi on le désigne — dans la formulation de cette partie du projet de loi — comme le comité permanent de la Chambre des communes habituellement chargé des questions concernant la justice. Est-ce la façon normale dont une mesure législative y fait allusion? Pourquoi le comité est-il mentionné de cette façon?
Me Taylor : C’est une bonne question, et je vous remercie de l’avoir posée. Le ministre a expliqué qu’il existe différents modèles. Il n’y a pas d’approche unique en ce qui concerne la manière dont ces articles relatifs à des examens ont été rédigés. Parmi les mesures législatives les plus récentes, il a mentionné le projet de loi S-4, qui comporte deux articles relatifs à des examens. Le premier article prévoit un examen indépendant du Parlement, et le second, un examen par les deux Chambres, pour reprendre votre point de vue. Le projet de loi C-5 prévoit un examen par chacune des chambres du Parlement. La loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation — la réponse à la décision de la Cour suprême dans l’affaire Bedford — prévoit une étude menée uniquement par la Chambre des communes, et le ministre a parlé d’autres exemples où l’examen était effectué par l’une ou l’autre des chambres.
Lorsque j’ai examiné ces autres exemples, j’ai constaté que le libellé ne précisait pas le nom du comité. Pour répondre à votre deuxième question, sénatrice Batters, je ne crois pas que cette façon de formuler les choses soit inédite.
Au cours de la séance d’information technique d’hier, j’ai parlé du projet de loi C-28, ou projet de loi sur l’intoxication volontaire extrême, et j’ai fait remarqué qu’il s’agissait d’un projet de loi qui prévoyait un examen par les deux Chambres, mais j’ai fait une erreur en indiquant que cela figurait dans le projet de loi. Ce n’est pas le cas; c’est une mesure qui a été prise indépendamment du projet de loi — si je me souviens bien, cela s’est produit parce que les choses avançaient assez rapidement. Je pense que ce qui s’est passé, c’est que le Parlement a fait part de son intention d’étudier le projet de loi, sans tenir compte du fait que le projet de loi lui-même l’obligeait à le faire. Bien entendu, en tant que sénateurs, vous pouvez étudier cette question — que le projet de loi l’exige ou non — ou proposer des amendements à ce projet de loi, bien sûr.
La sénatrice Batters : D’accord. Oui, je pourrais dire que l’absence de sénateurs dans le caucus ministériel libéral explique peut-être comment un tel oubli pourrait se produire de temps en temps. Je sais que nous n’aurions pas toléré qu’un caucus ministériel conservateur nous tienne à l’écart d’un tel projet de loi.
Je vais passer à une autre question que j’ai posée au ministre au sujet des données ou peut-être de l’absence de données. Vous avez fait allusion à certaines provinces pour lesquelles vous disposez de ce type de données. J’aimerais obtenir de plus amples renseignements sur le type d’évaluation que vous avez effectuée, compte tenu des données dont vous disposez — et je note que la Colombie-Britannique, je crois, est l’une des provinces pour lesquelles vous disposez de données. Il s’agit d’une province assez vaste qui, malheureusement, a porté de nombreuses accusations criminelles; je suis sûre que vous avez procédé à une sorte d’évaluation visant à déterminer combien d’infractions pourraient en fait être assujetties au projet de loi. Veuillez me fournir — de la manière la plus complète possible — des informations à ce sujet, parce que je ne peux croire que vous n’ayez pas effectué une sorte d’évaluation pour déterminer combien d’infractions relèveraient actuellement du projet de loi.
Me Moore : Si vous demandez...
La sénatrice Batters : Non pas les infractions. Je parle des délinquants potentiels. Comme je l’ai demandé au ministre, combien de personnes auraient été maintenues en détention — au cours des cinq dernières années, peut-être —, au lieu d’être libérées sous caution, si le projet de loi s’était appliqué à elles?
Le président : Ou, sénatrice Batters, pourrais-je dire, s’ils avaient été pris dans le filet du renversement du fardeau de la preuve? Ils n’auraient peut-être pas été maintenus en détention.
La sénatrice Batters : Oui, c’est possible. C’est la raison pour laquelle j’ai parlé de délinquants « potentiels ».
Me Moore : Oui, car le projet de loi ne prévoit pas de résultat précis pour chaque cas. Il serait impossible de savoir combien de personnes seraient détenues.
Je crois que le but est d’examiner de plus près les affaires soumises aux tribunaux et, dans la pratique, cela pourrait se traduire par des plans de mise en liberté sous caution plus stricts et plus de renseignements communiqués au tribunal. Par elle‑même, la détention ne serait pas nécessairement synonyme d’une plus grande sécurité publique dans tous les cas. Une demande de mise en liberté sous caution plus stricte pourrait également être un signe de plus grande sécurité.
La sénatrice Batters : N’avez-vous vraiment pas procédé à une telle évaluation, afin de déterminer combien de cas — au cours des cinq dernières années — auraient pu remplir les conditions décrites dans ce projet de loi? D’après les données...
Me Taylor : Il est vraiment impossible de répondre à cette question, sénatrice Batters. Je n’essaie pas d’être peu serviable. Comme je l’ai dit plus tôt, nous disposons de données limitées sur le nombre d’audiences de mise en liberté sous caution tenues au Canada. Compte tenu des données dont nous disposons, nous n’obtenons pas de résultats concernant les audiences de mise en liberté sous caution; je vous ai parlé des 23 %. Avec les informations dont nous disposons actuellement, il n’est pas possible de dire à quel point les résultats seraient différents. Pour donner suite à l’argument de Me Moore, même si nous disposions de ces informations, les changements proposés ne prévoient pas de résultats précis.
Des informations complètes nous permettraient peut-être d’avoir une meilleure idée des types d’affaires dans lesquelles — comme l’a souligné le président — le renversement du fardeau de la preuve était en cause. Nous espérons pouvoir collecter ces renseignements à l’avenir, mais nous ne pouvons pas le faire pour le moment.
La sénatrice Batters : Il faudrait que ce chiffre soit minuscule, car comme vous l’avez expliqué tout à l’heure en répondant à une question du sénateur Klyne, il s’agit d’un petit sous-ensemble, même en se fondant sur les données limitées dont vous disposez. Vous avez indiqué que ce pourcentage correspondait à celui des personnes armées. Eh bien, une infraction « avec une arme » est très éloignée des conditions très strictes à respecter que le projet de loi prévoit. Il ne s’agit pas seulement d’une infraction « avec une arme » — il faudrait que la personne ait été condamnée au cours des cinq dernières années et que la peine maximale soit de cinq ans ou plus. Les circonstances sont très restrictives. Les chiffres dont vous disposiez étaient assez faibles, et je ne peux qu’imaginer à quel point ils diminueraient si les conditions réelles du projet de loi étaient appliquées.
Me Taylor : Il s’agit vraiment d’un compromis. Cela donne suite à ce qu’a dit le ministre : il s’agit d’amendements précis et ciblés. C’est tout à fait vrai. C’est exactement ce que fait le projet de loi. Il n’est pas censé modifier fondamentalement le système de mise en liberté sous caution, car nos partenaires provinciaux nous ont dit qu’en général, le système de mise en liberté sous caution fonctionne bien dans la majorité des cas. Le comité de la Chambre des communes a affirmé la même chose. Il s’agit d’essayer de cibler un sous-ensemble très précis de crimes graves commis avec des armes, qui préoccupait particulièrement les forces de l’ordre, nos partenaires provinciaux et le public.
La sénatrice Batters : Les premiers ministres provinciaux cherchent un compromis beaucoup plus important que ce que vous essayez tous de faire.
Le président : Pourrais-je conclure cette discussion? J’avoue qu’elle m’intéressait tellement que nous avons largement dépassé les cinq minutes qui nous étaient imparties. Merci, sénatrice Batters. Merci, maître Taylor.
La sénatrice Coyle : Je remercie nos témoins de leur présence. Les renseignements que vous nous fournissez sont très utiles.
Comme la sénatrice Simons, je ne suis pas avocate, et je ne siège pas habituellement à cette table. Je pose donc des questions très fondamentales. Je crois comprendre que la loi — dans sa version actuelle — prévoit déjà des mécanismes qui permettent de maintenir des personnes en détention avant leur procès quand cela est approprié, y compris pour des raisons de sécurité publique.
Maître Davis-Ermuth a mentionné que les juges n’ont peut‑être pas compris ce que nous savons maintenant sur les cycles et les étapes de la violence entre partenaires intimes. Il y a probablement toute une série de mesures qui nécessitent un certain travail, qui ne requièrent pas d’amendements au Code criminel et qui pourraient, en fait, donner le type de résultats que nous souhaitons, à savoir une amélioration de la sécurité publique. C’est en fait ce que je demandais au ministre tout à l’heure : que savons-nous? Il ne s’agit pas seulement de savoir quelles sont les données sur les crimes violents. D’accord, nous pouvons obtenir les données requises. Il est généralement plus facile d’obtenir des données que des données de recherche probantes, de manière à ce que nos mesures aient l’effet que nous voulons. Quelles sont les autres mesures qui pourraient avoir l’effet que nous souhaitons? Quelles sont les autres failles de notre système judiciaire qui entraînent la récidive des criminels violents, ce qui nous préoccupe?
Je suis simplement curieuse de connaître la loi dans sa forme actuelle — parce que ces mécanismes existent. Peut-être ne sont‑ils pas utilisés comme ils le devraient. Pourriez-vous nous en parler et aider quelqu’un comme moi à comprendre pourquoi ce projet de loi est nécessaire si nous disposons déjà des dispositions légales nécessaires?
Me Taylor : Vous avez tout à fait raison. Vous avez rendu compte de la loi avec exactitude. J’ai deux ou trois choses à dire à ce sujet.
L’objectif général du projet de loi est, peut-être, de permettre au système de justice pénale de prêter une plus grande attention à un sous-ensemble précis de crimes graves. Comme vous l’avez déjà indiqué, le projet de loi ne modifie en rien les motifs pour lesquels une personne peut être détenue. En revanche, il modifie radicalement le processus, grâce au renversement du fardeau de la preuve. Il modifie le processus que le tribunal utilisera pour prendre une décision.
Le ministre Virani a expliqué que ces amendements n’étaient pas une panacée; je pense que nous le comprenons bien. Le travail non législatif est d’une importance cruciale pour réduire la criminalité, mais il concerne également l’application de la loi en ce qui concerne la mise en liberté sous caution, et c’est un aspect de la question dont les ministres ont discuté et dont ils continueront de discuter. Nous pouvons citer quelques exemples de mesures prises par certaines provinces.
Par exemple, plus tôt cette année, l’Ontario a affecté 112 millions de dollars à des programmes de respect des conditions de mise en liberté sous caution pour aider la police à surveiller les personnes en liberté sous caution et faire en sorte qu’elles respectent leurs conditions à des fins de sécurité publique. En mai dernier, le Manitoba a doublé la capacité d’un programme de probation en matière d’efforts de supervision. La Colombie-Britannique a mis en œuvre un plan d’action pour améliorer la sécurité des collectivités. De plus, elle a affecté 230 millions de dollars au financement de services de police.
C’est tout à fait vrai; toutes ces autres choses qui s’ajoutent à la réforme de la loi sont très importantes.
La sénatrice Coyle : Je vais donner brièvement suite aux observations formulées. Si nous disposons déjà de ces dispositions qui pourraient être utilisées et que nous ajoutons maintenant quelque chose de nouveau qui pourrait avoir des conséquences négatives imprévues — nous espérons que cela aura les conséquences positives que nous recherchons —, je suis curieuse de savoir quels types de recherches — pas seulement une collecte de données, mais des recherches réelles — seront planifiées pour examiner l’efficacité des nouvelles dispositions et mesures que nous insérons dans notre Code criminel. Par ailleurs, je pense que l’examen quinquennal qui figure dans le projet de loi est standard. Ne pourrions-nous pas réduire un peu ce délai afin d’examiner la question avant cinq ans?
Me Taylor : Je ne pense pas pouvoir parler de domaines de recherche concrets sur lesquels nous nous concentrerons, mais nous le ferons certainement au cours des cinq prochaines années — si la mesure législative est adoptée — en reconnaissance de l’étude parlementaire. Par ailleurs, le contrôle de l’efficacité des lois et la formulation de conseils à l’intention du gouvernement concernant l’efficacité des mesures prises par ce dernier dans le domaine de la justice pénale font partie des activités du ministère de la Justice. À cet égard, nous travaillerons en étroite collaboration avec les provinces et les territoires. Nous ne voulons absolument pas que des conséquences imprévues surviennent. Ce n’est pas le but recherché. L’objectif est vraiment de recalibrer la loi, de braquer les projecteurs sur des cas précis de délinquance violente qui sont particulièrement préoccupants, et de veiller à ce que la loi soit appliquée de la manière dont nous pensons qu’elle devrait l’être. La libération sous caution peut être refusée pour des raisons de sécurité publique ou des raisons de confiance du public. L’objectif de la mesure législative est de veiller à ce que, dans les cas qui pourraient se prêter plus facilement à ces considérations, ce système soit examiné de plus près.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci à vous trois et rebienvenue au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.
J’essaie de comprendre l’esprit et la lettre du projet de loi C-48. Lorsque je lis le préambule, les paragraphes du préambule ont tous trait aux actes de violence répétés, aux crimes graves commis avec des armes à feu ou d’autres armes, et aux actes de violence commis au hasard qui ont un impact sur la justice. Je continue la lecture et j’arrive aux modifications au Code criminel qui sont proposées. Je vois qu’on propose quelque chose d’autre au paragraphe 4 b.1) : « une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace prétendus de violence contre son partenaire intime ». C’est la première nouvelle qu’on a dans le projet de loi sur cette question. Dans le deuxième paragraphe, le 4 b.2), on reprend toutes les questions de crimes violents commis avec des armes à feu.
Êtes-vous en mesure de nous dire quelles sont les consultations qui ont été menées auprès des provinces? Je pense, par exemple, au Programme d’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) du Québec. On détient des recherches, des directives et des politiques qui traitent de la violence contre les femmes. On documente ce que vous avez voulu expliquer, maître Davis-Ermuth : la répétition des actes de violence, le fait qu’il y a un continuum de sept attaques physiques successives contre une femme — c’est documenté au Québec, je ne sais pas pour ailleurs — dans les cas de violence contre un partenaire intime. Qui avez-vous consulté sur ces questions? Est-ce que les provinces vous ont fourni de l’information? En avez-vous demandé?
Donc, voici ma première question : pourquoi, tout à coup, cela surgit-il à la page 3 du projet de loi, sans que cela nous ait été annoncé? On a l’impression que cela a été ajouté après le fait, ou que quelqu’un a tout à coup soulevé cette question. Quelles sont les consultations qui ont été faites et qu’est-ce qu’elles vous ont appris?
Ma sous-question est la suivante : est-ce que dans l’analyse comparative entre les sexes plus, vous avez des informations à nous donner à cet effet?
Merci.
[Traduction]
Me Moore : Je vous remercie de votre question. Le paragraphe 1(4) du projet de loi apporterait une modification à l’article 515(6)(b.1) du Code criminel. Cette disposition existe déjà dans le Code criminel, et nous ne ferions qu’y apporter une modification. Cette disposition a été ajoutée par l’ancien projet de loi C-75, et elle sera élargie par le projet de loi. L’alinéa (b.2) serait une disposition entièrement nouvelle. Cette disposition vise les récidives en matière d’infractions violentes avec une arme. Une peine maximale de 10 ans est imposée pour l’accusation actuelle et la condamnation antérieure. L’objectif est de s’attaquer à l’utilisation d’armes dangereuses qui ont fait l’objet de préoccupations exprimées directement par les provinces et les territoires.
À l’article 2 du Code criminel, le terme « arme » est défini au sens large comme tout ce qui peut être destiné à être utilisé comme une arme. La définition englobe les armes préoccupantes dans les différentes provinces que le ministre a mentionnées plus tôt: les répulsifs à ours au Manitoba, les couteaux au Manitoba et en Saskatchewan, et les armes à feu en Colombie-Britannique. Il s’agit en fait d’une réponse aux informations que nous avons reçues des provinces et des territoires au sujet de ces armes particulières et des infractions aléatoires commises avec ces armes.
Il en va de même pour l’élargissement de la notion de violence entre partenaires intimes, qui a été élaboré à la suite de consultations avec les provinces et les territoires.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Ce n’était pas ma question. J’aimerais la préciser. Avez-vous consulté des organisations? Si oui, lesquelles, et que vous ont-elles dit; qu’avez-vous appris?
Me Davis-Ermuth : Nous n’avons pas consulté les organisations nous-mêmes. Nous avons parlé avec les provinces et les territoires. Une autre question que vous avez posée porte sur l’origine de cette modification. C’était proposé dans le projet de loi S-245 du sénateur Boisvenu. C’était une proposition que le gouvernement avait appuyée dans le cadre de ce projet de loi. C’est le ministre et son bureau qui ont fait les consultations. Nous pourrions vous fournir la liste des personnes consultées.
La sénatrice Dupuis : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président : Si vous me le permettez, j’ai une question à vous poser concernant l’examen, les données et d’autres aspects semblables.
Si j’étais le procureur général de la Saskatchewan ou le ministre fédéral de la Justice, j’aimerais vraiment savoir si ce projet de loi sera efficace. Il me semble, comme le demandait la sénatrice Batters, qu’il y aura un ensemble d’infractions qui seront assujetties au critère de renversement du fardeau de la preuve. Avec une aide suffisante de la part des provinces chargées de l’administration de la justice, il sera possible de déterminer le nombre de cas visés et leurs résultats. Il pourrait s’agir de probabilités plutôt que d’une réponse définitive.
J’aimerais le savoir parce que je dois penser aux coûts d’incarcération et aux coûts de l’aide juridique, ainsi qu’à la question de savoir si cette mesure législative protège les citoyens ou si elle va trop loin. Pour être honnête, je ne veux pas attendre cinq ans pour savoir si c’est le cas.
Je me demande si vous savez — et je canalise maintenant l’esprit de la sénatrice Coyle — si un nombre suffisant de provinces et de territoires vous fera parvenir suffisamment de données — franchement, j’espère que c’est le cas de ma propre province — pour que vous puissiez déterminer cette efficacité plus tôt et que nous puissions peaufiner ces dispositions. Nous entreprenons un exercice qui consistera presque certainement à priver certaines personnes de leurs libertés, des personnes que nous ne privions pas de leurs libertés auparavant. Quelqu’un prédira qu’une personne sur 1 000 — ou une personne sur 100 ou sur 10 — commettra un crime grave, mais disposerez-vous de ces informations dans trois ans pour qu’en ma qualité de procureur général de la Saskatchewan ou du Canada, je puisse vous dire que vous devez en faire davantage ou que nous sommes allés trop loin dans ce domaine?
Me Taylor : C’est une excellente question. L’un des aspects merveilleux de notre travail, c’est que nous avons l’occasion de collaborer régulièrement avec nos partenaires provinciaux à la résolution de ces problèmes. Mes deux collègues ici présents rencontreront en personne leurs homologues provinciaux la semaine prochaine. Je suis sûr que nous discuterons de l’avancement de ce projet de loi et de notre comparution devant vous. Je suis certain que nous pourrons discuter avec eux de la manière dont nous pourrions obtenir certaines de ces informations — si le projet de loi est promulgué — plus tôt, au lieu de devoir attendre cinq ans.
Le président : La mise en œuvre de ce projet de loi sera immédiate — un peu plus rapide qu’une grande partie du droit pénal; normalement, les mesures législatives sont purement éventuelles, alors que celle-ci est à moitié éventuelle. Le projet de loi renferme un message selon lequel nous voulons passer à l’action rapidement. Cela semble également rendre très convaincant l’argument selon lequel nous voulons savoir rapidement si nous avons bien calibré ces dispositions — il s’agit davantage d’un énoncé.
Nous avons le temps de lancer une deuxième série de questions rapide. Comme vous n’avez pas eu l’occasion de faire une déclaration préliminaire, vous n’avez pas pu absorber suffisamment de temps. Comme vous le savez, cela nous laisse plus de temps pour poser des questions.
Pendant la deuxième série de questions, j’inviterai trois sénateurs à intervenir pendant deux minutes chacun. Avant cela, je voudrais m’assurer que le sénateur Gold, l’auteur du projet de loi, a la possibilité de poser des questions s’il en a.
Le sénateur Gold : Tout d’abord, je sais comment je vais me prononcer sur ce projet de loi. Je laisserai donc le temps qui reste, aussi limité soit-il, à mes collègues.
Le président : Je vous remercie, sénateur Gold.
Le sénateur Dalphond : Je demanderai aux témoins de résumer les principes qui guident — selon le Code criminel — l’octroi d’une absolution inconditionnelle ou conditionnelle. Si je me souviens bien, l’un des critères est la gravité des conséquences de la condamnation de l’accusé. La personne ne pourra plus voyager aux États-Unis, s’il s’agit d’une femme ou d’un homme d’affaires.
Je me trompe peut-être, mais je me souviens — et je ne suis pas loin de la vérité — que c’est la dernière chance que le système donne à l’accusé. Les preuves permettent de conclure à la culpabilité de la personne, ou la personne admet sa culpabilité. Ensuite, elle doit suivre un traitement ou se rendre dans un centre de lutte contre la violence — car il existe des endroits qui se spécialisent dans lutte contre la violence familiale. Lorsque nous recevons une lettre indiquant que « vous avez suivi la formation avec succès », nous accordons l’absolution.
Il s’agit de la dernière grâce accordée par le système à une personne reconnue coupable. Si —après toutes ces années — cette personne commet à nouveau des actes de violence à l’égard d’un partenaire intime, nous lui disons : « C’est dommage, mais cette fois, le fardeau de la preuve est inversé, et vous devrez démontrer que nous nous sommes trompés la première fois. Maintenant, montrez-nous pourquoi nous devrions vous remettre en liberté. »
Vous pourriez peut-être mentionner les critères relatifs à l’absolution au profit de tous.
Me Moore : L’article 730 du Code criminel précise ce que le tribunal doit prendre en considération lorsqu’il accorde une absolution. Au lieu de condamner l’accusé, il doit déterminer si l’absolution est dans l’intérêt de l’accusé et si elle ne nuit pas à l’intérêt public. Comme je l’ai mentionné précédemment, je pense qu’il faut notamment évaluer si l’accusé serait un bon candidat à la réadaptation ou s’il existe des circonstances atténuantes.
Je voudrais également souligner que dans le cas d’une libération conditionnelle, l’accusé dispose généralement d’un maximum de trois ans pour remplir les conditions de la libération. Ces conditions peuvent consister à suivre un traitement ou à respecter certaines conditions. Si les conditions sont remplies au bout de trois ans, l’absolution sous condition est supprimée du casier judiciaire, alors que dans le cas d’une absolution inconditionnelle, elle est automatiquement supprimée au bout d’un an.
Le président : Je vous remercie, sénateur Dalphond. J’espère que vous ne posez pas cette question dans votre intérêt personnel.
Le sénateur Dalphond : Non, j’ai posé la question pour ceux qui connaissent peut-être moins bien le système que moi.
Le président : Cette discussion était très utile, et je vous en remercie.
La sénatrice Simons : J’ai une question à poser au sujet des dispositions transitoires. À cet égard, le projet de loi stipule ce qui suit :
Il est entendu que les modifications apportées par la présente loi s’appliquent également à l’égard des procédures qui sont déjà en cours à la date de son entrée en vigueur.
Les accusés ne bénéficieront donc pas exactement d’un droit acquis; ils bénéficieront plutôt d’un droit partiellement acquis, pour ainsi dire. Est-il juste que la loi s’applique légèrement ex post facto?
Me Taylor : L’une des observations que nous avons entendues à propos des dispositions transitoires, et de leur valeur, c’est qu’elles contribuent à apporter une certitude au système sur le plan de l’application des amendements. Me Davis-Ermuth pourrait peut-être parler de cet enjeu avec plus d’éloquence que moi.
En règle générale, les changements apportés aux procédures s’appliquent immédiatement. Cela a toujours été compris. Cependant, la jurisprudence a quelque peu changé la donne à cet égard. Nous avons donc inclus cette disposition pour essayer de clarifier un peu les choses.
Toutefois, je comprends votre point de vue qui consiste à poser la question suivante : « Est-ce juste pour la personne accusée? »
La sénatrice Simons : Si je commets un crime le mardi, le projet de loi entre en vigueur le mercredi et l’audience de mise en liberté sous caution a lieu le jeudi... Je ne soutiens pas que quelqu’un se dise « je dois commettre ce crime rapidement avant que ce projet de loi ne soit adopté », mais il me semble qu’il existe une sorte de justice implicite selon laquelle il ne faut pas pénaliser quelqu’un pour un acte qu’il a commis avant l’entrée en vigueur de la loi.
Me Taylor : Une chose que le projet de loi ne fait pas, c’est d’imposer un résultat. Cela fait certainement partie des considérations qui ont présidé à la rédaction de cette disposition.
La sénatrice Simons : Oui, mais il est évident qu’un plus grand nombre de personnes seront visées par les dispositions relatives au renversement du fardeau de la preuve le jour où le projet de loi sera adopté.
Me Taylor : Oui.
Le président : Je vous remercie.
La sénatrice Pate : Je suis extrêmement troublée, car j’ai passé la majeure partie de ma vie à travailler avec des victimes, notamment des femmes et des enfants. En raison de l’autre sorte de travail que j’ai accompli, j’ai constaté que ces victimes finissent également par être criminalisées et emprisonnées.
Je vois dans ce projet de loi une tendance inquiétante que nous avons observée au cours de notre étude du projet de loi sur l’intoxication volontaire extrême, et que nous observons depuis plusieurs décennies maintenant, à savoir qu’au lieu de s’attaquer aux problèmes sous-jacents, nous présentons cette intervention après coup, sans examiner qui elle privilégie. Qui a les moyens de mettre en place les types services de soutien dont le sénateur Dalphond nous a si gentiment parlé, comme les traitements? Compte tenu du peu de ressources à la disposition de ces personnes sur le plan de la surveillance des personnes en liberté sous caution et du traitement des dépendances et de la santé mentale, nous savons quelles personnes seront touchées de manière disproportionnée.
Y a-t-il quelque chose que vous puissiez indiquer qui montrerait que cela ne va pas, une fois de plus, permettre aux avocats de la défense et aux personnes les plus privilégiées — qui disposent également des moyens les plus importants et ont également accès aux équipes de la défense les meilleures, les plus coûteuses et les plus complètes — d’obtenir des absolutions ou de contester le renversement du fardeau de la preuve? Y a-t-il une quelconque information que vous puissiez fournir pour rassurer les gens — comme moi — et leur assurer que nous ne sommes pas simplement en train de poursuivre une trajectoire sans fin, et de devoir simplement continuer de nous montrer plus sévères?
Me Davis-Ermuth : Je vous remercie de votre question. Il y a une chose que je peux mentionner — en plus de ce que Me Taylor a dit plus tôt — à propos des études qui auront lieu à l’avenir. Étant donné que le projet de loi C-75 a été promulgué en 2019, le ministère avait donc l’obligation d’effectuer des recherches pour pouvoir présenter un rapport à ce sujet dans les cinq années suivant cette date. Ces recherches sont déjà en cours. Le projet de loi C-75 a apporté de nombreuses modifications à très grande échelle — sans changer la loi, mais en la modernisant et en modifiant les dispositions relatives à la mise en liberté sous caution. Ils envisagent déjà de mettre au point des recherches dans ces domaines — y compris des recherches sur certains des groupes dont vous avez parlé — pour déterminer l’incidence du système de mise en liberté sous caution, et pour voir ce qu’ils trouvent en étudiant des aspects comme la disposition de l’article 493.2 du Code criminel portant sur les circonstances particulières qui a été adoptée dans le cadre du projet de loi C-75, afin de demander aux juges d’examiner la discrimination systémique qui survient au cours de la prise de décisions de mise en liberté sous caution. Cela fait partie des recherches que le ministère va mener.
Voilà les principales préoccupations qui ont été exprimées au cours des discussions entre les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux. Ils ont déclaré que, lorsqu’ils ont publié leur communiqué concernant leurs décisions, la discrimination était un facteur très important pour eux. C’est une autre raison pour laquelle ils ont essayé d’adopter une approche très ciblée, en vue de minimiser ces autres types de répercussions.
Le président : Je pense que nous allons peut-être devoir nous arrêter là, sénatrice Pate. Je vous remercie de votre intervention.
La sénatrice Pate : [Difficultés techniques] préoccupés par vos problèmes, alors que 98 % des filles détenues sont autochtones.
Le président : Nous discuterons de cette question séparément.
Permettez-moi de conclure l’audience du deuxième groupe de témoins d’aujourd’hui, en remerciant notamment maîtres Taylor, Moore et Davis-Ermuth. Je vous remercie une fois de plus de l’aide que vous avez apportée au comité. Je tiens également à remercier les membres du comité et, en particulier, ses membres occasionnels qui ont posé des questions réfléchies et perspicaces, noué un dialogue éclairé et enrichi ainsi notre examen du projet de loi.
Nous oublions souvent d’apprécier la fluidité du fonctionnement de nos comités et d’en être reconnaissants. Je tiens donc à remercier l’ensemble du personnel qui fournit tout ce soutien, y compris les interprètes et la Bibliothèque du Parlement. Quelle que soit la qualité de notre travail, nous le ferions beaucoup moins bien sans leur soutien. Merci à vous tous.
(La séance est levée.)