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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 28 septembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 46 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution).

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs. Je déclare ouverte cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

[Traduction]

Nous allons commencer à nous présenter, en commençant avec le vice-président.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, sénateur du Québec.

Le sénateur Gold : Bonjour. Je suis Marc Gold, représentant du gouvernement au Sénat et sénateur du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Bonjour, je suis le sénateur Marty Klyne de la Saskatchewan, du territoire visé par le Traité no 4.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, sénatrice de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate, et je vis ici sur le territoire non cédé et non abandonné du peuple algonquin anishinabe.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, sénatrice de la division des Laurentides, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Bienvenue. Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

Le président : Je suis Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du comité.

Honorables sénateurs, nous nous réunissons à nouveau aujourd’hui pour poursuivre notre étude du projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution).

Nous aurons trois groupes qui feront des déclarations. Je vais les présenter dans l’ordre dans lequel ils apparaissent probablement sur votre liste. Étant donné que notre premier intervenant est encore en train de reprendre son souffle après être arrivé directement de l’aéroport, je pense que nous allons inviter Me Bytensky à prendre la parole en second.

De la Criminal Lawyers Association, nous recevons Boris Bytensky, trésorier. Bienvenue, maître Bytensky. De l’Association du Barreau autochtone, nous accueillons Christa Big Canoe, membre à titre personnel. Bon retour parmi nous, maître Big Canoe. De l’Association des avocats noirs du Canada, nous recevons Kristian Ferreira, agent de liaison communautaire, qui se joint à nous par vidéoconférence, et Theresa Donkor, membre, Comité de défense et Sous-comité de justice pénale, qui se joint également à nous par vidéoconférence. Bienvenue et merci de votre présence.

Nous allons commencer avec votre exposé, si vous le permettez, maître Big Canoe. Je vous invite à faire votre déclaration pendant cinq minutes environ. Nous demanderons à tous les témoins de faire de même pendant cinq minutes, puis les déclarations seront suivies de questions et d’un dialogue avec les membres du comité.

Me Christa Big Canoe, membre à titre personnel, Association du Barreau autochtone : Merci, monsieur le président, et bonjour, sénateurs. Je suis Christa Big Canoe. Je suis membre à titre personnel de l’Association du Barreau autochtone, ou ABA, au Canada. Je suis ici comme témoin au nom d’ABA.

J’aimerais juste... [Difficultés techniques]. La semaine dernière, nous avons entendu le sénateur Gold mentionner le fait que des discussions sur la réforme sur la liberté sous caution avec des organisations autochtones comme l’ABA ont joué un rôle important dans l’élaboration d’une approche législative qui contribuera à protéger les communautés autochtones contre les crimes violents tout en reconnaissant la nécessité de continuer à lutter contre la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale.

Je tiens à préciser que l’ABA n’a pas été consultée et n’a pas contribué de manière substantielle à la rédaction de ce projet de loi. Il est plutôt fallacieux de faire un commentaire général, et l’ABA souhaite préciser qu’en aucun cas une discussion antérieure sur la réforme de la mise en liberté sous caution n’a été une approbation de ce projet de loi. L’ABA est reconnaissante d’avoir l’occasion de comparaître devant le comité pour faire part de sa position sur ce projet de loi de manière plus officielle. Il convient également de noter que les services juridiques autochtones n’ont pas été consultés sur le projet de loi et n’ont pas été invités à s’exprimer devant ce comité, malgré leur défense connue et leur mandat en matière de réforme du droit.

Des mémoires ont précédemment été soumis au comité sénatorial permanent en lien avec le projet de loi C-7 — le prédécesseur de ce projet de loi — et à l’époque, Services juridiques pour les Autochtones avaient estimé que la violence conjugale était très grave, plus particulièrement en ce qui concerne son incidence sur les femmes et les jeunes filles autochtones. Ils ont abordé le fait que — et cette mesure législative soulève une préoccupation semblable — les tentatives bien intentionnées de s’attaquer au fléau de la violence conjugale ont non seulement échoué, mais ont eu des conséquences involontaires qui peuvent nuire aux personnes qu’elles sont censées aider, en particulier les femmes autochtones. Très souvent, nous constatons des mises en accusation doubles, qui surviennent lorsqu’un homme est accusé de violence conjugale, et il insiste pour dire que c’est sa partenaire qui a commencé et qu’elle devrait être inculpée. De plus en plus de femmes, en particulier des femmes autochtones, se retrouvent ainsi mêlées au système de justice pénale. Les politiques des services de police qui n’accordent aucun pouvoir discrétionnaire aux agents de police en cas d’allégation de violence conjugale exacerbent ce problème.

L’adoption du projet de loi C-75 a donné lieu à certains problèmes qui persistent, en particulier lorsque nous examinons les conséquences pratiques de ce projet de loi pour les femmes autochtones accusées de violence entre partenaires intimes. C’est l’une des principales préoccupations liées aux dispositions que nous aimerions aborder au nom de l’Association du Barreau autochtone et soumettre conjointement avec Services juridiques pour les Autochtones, à savoir qu’il existe un préjudice potentiel, en particulier pour les femmes autochtones, en ce qui concerne les accusations antérieures de violence à l’égard d’un partenaire intime, sachant que les femmes autochtones et les individus autochtones plaident souvent coupables, même s’ils ne sont pas coupables, parce que les conséquences sont moins graves que lorsqu’ils sont condamnés lors d’un procès.

L’année dernière, le comité de la Chambre des communes a été informé par la Société John Howard du Canada que, par rapport à d’autres pays, la proportion de prisonniers en détention avant procès au Canada est étonnamment élevée. Les prisonniers en détention avant procès au Canada représentent 38,7 % de la population carcérale totale. Comparativement à d’autres pays développés, cette proportion compromet la réputation du Canada en tant que pays qui prend au sérieux la présomption d’innocence et le droit à un cautionnement raisonnable.

Il est d’autant plus important de situer le contexte lorsqu’il est question des populations autochtones, car les Autochtones sont moins susceptibles d’être libérés sous caution et sont plus souvent confrontés à la détention provisoire que les non‑Autochtones. En 2020-2021, le taux d’incarcération des Autochtones au Canada était beaucoup plus élevé que celui des non-Autochtones. Il s’agit de statistiques actuelles et contemporaines. En moyenne, cette année-là, il y avait 42,6 Autochtones en détention dans une prison provinciale pour 10 000 habitants, contre 4 pour 10 000 habitants chez les non‑Autochtones. C’est une statistique provenant de Statistique Canada qui date de l'été 2023.

Le taux d’incarcération des femmes autochtones continue d’être beaucoup plus élevé. En fait, il est 12,5 fois plus élevé que celui des femmes non-autochtones. En mai 2022, les femmes autochtones représentaient la moitié de la population féminine dans les pénitenciers fédéraux.

En 2021, pour l’ensemble des provinces et des territoires, 67 % des personnes surveillées dans les centres de détention provinciaux pour adultes au cours d’une journée moyenne étaient en détention provisoire. S’ils sont en détention provisoire, c’est une détention préventive.

L’ABA et Services juridiques pour les Autochtones craignent que l’inversion du fardeau de la preuve en cas de violence entre partenaires intimes, ou VPI, criminalise davantage les femmes autochtones en raison des mises en accusation doubles.

Nos collègues qui, je crois, témoigneront devant vous la semaine prochaine, l’Association canadienne des libertés civiles, ou l’ACLC, ont déjà soumis des mémoires écrits, dans lesquels ils ont abordé cette question. Nous appuyons leurs observations à ce sujet. Ils citent à juste titre le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et mentionnent que les femmes autochtones peuvent craindre de signaler des actes de violence parce qu’elles risquent d’être arrêtées ou accusées d’abus ou de violence. En tant qu’ancien avocat principal de cette enquête nationale, nous avons entendu dans tout le pays, au fil des témoignages, les conséquences de cette situation lorsque les personnes essayaient d’appeler la police pour obtenir de l’aide, mais qu’elles craignent d’être elles-mêmes inculpées ou qu’elles l’ont effectivement été.

Les mises en accusation doubles ont souvent pour conséquence que les femmes, qui se trouvent dans une situation de pauvreté ou dans des circonstances, potentiellement, de violence domestique plus grave, soient confrontées au système de justice pénale d’une manière que l’inversion du fardeau de la preuve sera difficile pour elles. Nous savons déjà que les Autochtones ne bénéficient pas du même taux de mise en libération sous caution que les autres.

Pour conclure — et c’est mon dernier point —, l’Association du Barreau autochtone et Services juridiques pour les Autochtones appuient le mémoire de l’ACLC, et plus particulièrement la recommandation numéro 2, qui est un amendement suggéré visant à réduire la surreprésentation des populations autochtones et vulnérables dans le système de justice criminelle. Il est important de le faire, parce que l’ancien article 493.2 du Code criminel qui a été introduit avec le projet de loi C-75 doit être adopté de manière adéquate, et cela doit être reconnu d’une manière à ce que ce soit consigné dans un dossier si cette mesure législative est adoptée. Nous vous implorons d’apporter l’amendement suggéré par nos collègues de l’ACLC.

Je vous remercie du temps que vous m’avez consacré.

Le président : Merci, maître Big Canoe.

Maître Bytensky?

Me Boris Bytensky, trésorier, Criminal Lawyers Association : Je vous remercie, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, de me permettre, ainsi qu’à la Criminal Lawyers Association, de vous faire ces déclarations.

Nous sommes ici parce que le système de libération sous caution au Canada est brisé. Il n’est pas brisé comme on pourrait le penser si on ne lisait que des gazouillis de 280 caractères sur les médias sociaux.

Nous avons énormément de personnes en détention. Me Big Canoe vient de parler du pourcentage de personnes qui sont en détention avant procès par rapport à celles qui sont condamnées, et ces chiffres ont augmenté. En Ontario, le nombre de personnes incarcérées dans nos centres de détention est presque le plus élevé que nous ayons jamais enregistré — c’est sans précédent, avec plus de 10 000 détenus — et 85 % d’entre elles n’ont jamais été reconnues coupables du crime pour lequel elles ont été incarcérées; 15 % purgent des peines.

Le nombre de jours qu’il faut avant d’obtenir une audience de libération sous caution en Ontario a augmenté de 55 %, selon les chiffres mesurables que nous avons, les statistiques connues de 2019 à 2022, et il semble que ces chiffres continuent d’augmenter rapidement. La grande majorité des tribunaux au Canada — et si j’en savais un peu plus, je dirais tous les tribunaux du Canada — sont tout simplement incapables de traiter leurs affaires de liberté sous caution en temps voulu, ce qui donne lieu à des retards importants dans la mise en liberté sous caution de toutes sortes de personnes dans tout le pays et, bien sûr, a une incidence disproportionnée sur les Autochtones, les personnes racisées, les personnes démunies et les personnes atteintes de maladie mentale.

Nous devons reconnaître qu’un système de mise en liberté sous caution efficace n’exige pas une conformité parfaite. Peu importe la rigueur de notre système — et nous avons un système assez conservateur, comme beaucoup l’ont fait remarquer —, nous n’aurons pas une conformité parfaite, et des événements dangereux exceptionnels continueront à se produire. Même si l’on prenait la décision, manifestement ironique, d’incarcérer tout le monde sans possibilité de libération sous caution, cela n’aurait pas d’incidence non plus sur la sécurité publique, car les prisons sont très criminogènes et les gens en sortiront plus dangereux qu’ils n’y sont entrés. Les effets à long et à moyen terme sur la sécurité publique resteraient néfastes même si l’on incarcérait toutes les personnes accusées d’une infraction, sans compter les problèmes constitutionnels et pratiques évidents auxquels chacune d’entre elles serait confrontée.

Le projet de loi C-48 vise à répondre aux préoccupations de sécurité publique presque exclusivement en créant une série de dispositions relatives à l’inversion du fardeau de la preuve. Autrement dit, nous pensons qu’il est impossible d’échapper aux risques liés à la sécurité publique en recourant à la prison; il faudra toujours faire preuve de plus d’intelligence dans nos réformes de la mise en liberté sous caution.

La mesure législative proposée renferme une série de points très importants dans son préambule. L’un d’entre eux, après avoir rappelé les divers principes constitutionnels qui s’appliquent à la mise en liberté sous caution, est que la confiance dans l’administration de la justice est érodée lorsque des personnes sont mises en liberté sous caution alors que leur détention est justifiée ou — et c’est la partie importante — lorsqu’un accusé est détenu inutilement. Le projet de loi C-48 tente de cibler la première partie de cette disposition, mais il ne fait rien pour aborder la seconde.

Dans la respectueuse déclaration que j’ai faite au nom de la Criminal Lawyers Association, nous ne soutenons pas que les dispositions relatives à l’inversion du fardeau de la preuve pour les libérations sous caution sont inconstitutionnelles. La Cour suprême du Canada a déjà décidé que ce n’est pas le cas. Il s’agit plutôt des conséquences involontaires de la création de nouvelles dispositions relatives à l’inversion du fardeau de la preuve. Ces conséquences involontaires, combinées à l’incapacité honteuse d’aujourd’hui à faire en sorte que les audiences sur la libération sous caution se déroulent dans les délais impartis, entraîneront un retard encore plus important dans les tribunaux de libération sous caution. Cela ne fera que retarder le système au-delà du point où nous sommes déjà, tout en ne faisant rien pour régler le problème de la sécurité publique. Je crois que l’ACLC et le professeur Myers, qui pourraient témoigner devant ce comité, disposent de données plus précises.

L’expérience de nos membres est que l’inversion du fardeau de la preuve ne rend pas la détention d’un accusé plus probable. Cela a une incidence négligeable sur la libération ou le maintien en détention d’un accusé après une audience de libération sous caution. Ce qu’il fait, c’est prolonger la durée des audiences de libération sous caution. Il faut plus de temps pour les organiser et élaborer des plans, il faut plus de garanties pour témoigner, ce qui engorge le système au-delà de ce qu’il est déjà. Il n’y aura pas plus de personnes détenues; à mon avis, il y aura juste plus de personnes qui attendront leur audience au tribunal.

À mon humble avis, pour lutter contre les problèmes de ces conséquences involontaires, vous devez aborder trois aspects.

L’article 516 du Code, qui permet des ajournements de trois jours, doit être clarifié pour préciser que les ajournements ne peuvent être accordés que s’ils sont demandés par le procureur pour des raisons d’enquête légitimes et valables. Ils ne peuvent pas être accordés simplement parce qu’une affaire n’est pas close. C’est déjà prévu dans la loi en Ontario, mais elle doit être codifiée dans la mesure législative pour s’assurer qu’elle est appliquée dans tout le Canada.

Le droit de comparaître devant un juge dans les 24 heures en vertu de l’article 503 doit être clarifié pour préciser que toute personne qui s’est présentée dans les 24 heures, comme elle est actuellement tenue de le faire, doit avoir la possibilité de se présenter à l’audience de libération sous caution le jour même, si elle le souhaite, sans que l’excuse du manque de ressources puisse être invoquée.

À mon humble avis, si vous n’apportez pas ces changements additionnels, vous allez simplement déséquilibrer davantage le système et compromettre le droit des Canadiens qui sont confrontés à des audiences de libération sous caution dans l’ensemble du pays, sans pour autant contribuer de manière significative à la sécurité publique. En fait, vous aurez l’effet inverse à long terme.

Merci.

Le président : Merci, Me Bytensky.

Nous allons maintenant entendre l’Association des avocats noirs du Canada.

Me Theresa Donkor, membre, Comité de défense et Sous-comité de justice pénale, Association des avocats noirs du Canada : Merci et bonjour. Je suis Theresa Donkor, et je suis accompagnée aujourd’hui de Me Kristian Ferreira. Nous sommes tous les deux des avocats de la défense criminelle et, comme on l’a mentionné, nous sommes membres du Comité de défense et du Sous-comité de justice pénale de l’Association des avocats noirs du Canada.

La semaine dernière, l’honorable ministre de la Justice Arif Virani a exhorté la Chambre à adopter rapidement ce projet de loi afin d’améliorer la sécurité des Canadiens. Nous partageons son désir de rendre nos communautés plus sûres. Nous nous faisons l’écho de ses sentiments selon lesquels les Canadiens s’attendent à ce que les lois les protègent et respectent les droits inscrits dans la Charte. Cependant, nous ne pensons pas que le projet de loi C-48 atteigne ces objectifs. Nous aimerions formuler trois observations sur le projet de loi proposé.

Premièrement, nous devons exprimer nos inquiétudes quant aux répercussions du projet de loi sur la communauté noire. Il n’existe aucune preuve empirique que ce projet de loi atteindra les objectifs en matière de sécurité publique qu’il vise à atteindre. En revanche, il existe des preuves irréfutables qu’un projet de loi visant à incarcérer plus de personnes aura une incidence disproportionnée sur les Canadiens noirs. Les Noirs se voient plus souvent refuser la liberté sous caution que la population générale. Ils passent plus de temps en détention avant procès que la population générale et, lorsqu’ils sont incarcérés, ils subissent des conditions d’emprisonnement plus difficiles, étant confrontés plus souvent que les autres groupes racisés à l’usage de la force, à l’isolement cellulaire et à la sécurité maximale. Les lois neutres sur le plan racial n’ont pas toujours des effets neutres sur le plan racial. Selon nous, le projet de loi aggravera les disparités raciales au sein du système de justice pénale. Autrement dit, en adoptant ce projet de loi, vous enverrez davantage de Noirs en prison. Cela va à l’encontre de la Stratégie judiciaire pour les Noirs du Canada et de l’objectif déclaré de lutter contre le racisme envers les Noirs et la discrimination systémique qui ont conduit à la surreprésentation des Noirs dans le système de justice pénale.

Le projet de loi C-48 vise à cibler les récidivistes, mais la réalité est que les communautés noires sont davantage surveillées par les forces policières, ce qui fait que les Noirs sont plus susceptibles d’être arrêtés à maintes reprises. La surveillance policière excessive et le recours abusif à l’incarcération ne rendent pas nos communautés plus sécuritaires.

Les dispositions proposées relatives à l’inversion du fardeau de la preuve aggraveront également les inégalités dans notre système judiciaire. Les accusés mieux nantis ont plus de ressources pour réfuter la présomption légale de détention, alors que les Noirs et les Autochtones — en raison des séquelles permanentes laissées par le colonialisme, la traite transatlantique des esclaves et le racisme institutionnel au pays — sont plus souvent membres de communautés qui manquent de ressources. Par conséquent, les personnes noires et autochtones sont plus susceptibles de porter le poids des modifications apportées par le projet de loi C-48 au régime actuel de libération sous caution. Nos lois doivent lutter contre les inégalités, et non les renforcer.

Deuxièmement, comme d’autres intervenants, nous sommes préoccupés par la manière dont le gouvernement a contourné la procédure normale d’étude de ce projet de loi avant de l’adopter à la Chambre des communes. Nous sommes d’accord avec l’Association canadienne des libertés civiles qu’il s’agit d’une entorse fondamentale au principe de l’élaboration d’une politique de justice pénale fondée sur des données probantes et que cela pourrait créer un dangereux précédent. Une mesure législative symbolique ou des solutions de fortune n’engendrent pas la confiance dans l’administration de la justice et ne rendent assurément pas nos collectivités plus sûres.

Troisièmement, et enfin, nous vous invitons à réfléchir à ce qui rend nos collectivités plus sûres. Si nous nous soucions de la protection du public, nous devons envisager des politiques qui rendent plus accessibles des services sociaux comme les logements sûrs, les services de santé mentale et d’aide aux toxicomanes, et la garantie d’un revenu décent.

Nous recommandons, à tout le moins, que des amendements soient apportés à ce projet de loi pour remédier aux effets discriminatoires potentiels contre les groupes vulnérables qui sont déjà surreprésentés en détention. Nous comprenons que l’Association canadienne des libertés civiles recommandera un amendement, comme il a été dit précédemment, pour exiger que le juge mentionne dans le dossier de procédure la façon dont l’article 493.2 du Code criminel a été pris en compte pour rendre sa décision relative à la mise en liberté sous caution. Il s’agit de la disposition qui exige la prise en compte de la surreprésentation des populations vulnérables dans le système de justice pénale. Comme nos collègues de l’Association du Barreau autochtone, nous sommes en faveur de cet amendement et le considérons comme un petit pas pour remédier aux inégalités auxquelles se heurtent les Noirs, les Autochtones et les autres groupes vulnérables au stade de la mise en liberté sous caution.

Nous serons heureux de discuter plus en détail de nos préoccupations ou d’autres amendements avec le comité. Je vous remercie de votre attention.

Le président : Je vais maintenant inviter les sénateurs à poser leurs questions, en commençant par le sénateur Boisvenu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bonjour et bienvenue à nos témoins. Ma première question s’adresse à Me Big Canoe. Dans votre mémoire, vous affirmez que ce projet de loi risque d’augmenter la proportion des populations autochtones incarcérées. Est-ce que j’ai bien compris?

[Traduction]

Me Big Canoe : Oui, et cela est lié à la disposition relative à la violence entre partenaires intimes, car elle touche les femmes autochtones. Il s’agit d’une conséquence potentiellement involontaire, mais réelle. Nous le savons. Dès 2013, les rapports et les recherches indiquaient que les femmes autochtones au pays font souvent l’objet d’une double inculpation lorsqu’il y a des allégations de violence conjugale, et qu’elles plaident plus volontiers coupable. Si cette tendance se poursuit, il y aura une augmentation.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pour que je puisse vous poser des questions, il faudrait que vos réponses soient plus brèves, sinon nous allons manquer de temps.

Ma deuxième question est la suivante. Vous n’êtes pas étrangère à l’arrêt Gladue, de la Cour suprême, qui demande aux tribunaux de trouver des solutions alternatives à l’incarcération des Autochtones au pays.

Savez-vous qu’à deux reprises, soit en 2004 et en 2016, la Cour suprême a rappelé les juges à l’ordre, parce qu’ils avaient rarement recours à l’arrêt Gladue pour trouver des solutions alternatives à l’incarcération des Autochtones? La situation problématique de la disproportion par rapport aux Autochtones incarcérés est-elle aussi une conséquence de la façon dont nos juges traitent cette population et oublient souvent d’avoir recours à l’arrêt Gladue pour trouver des solutions alternatives à l’incarcération de ces personnes?

[Traduction]

Me Big Canoe : Je pense que cela pourrait être un élément. Lorsque l’article 718 du Code criminel a été mis en place, les magistrats ou les avocats l’ont très peu utilisé, ce qui pourrait constituer une partie du problème.

L’autre partie du problème tient au fait que, si on prend par exemple le préambule du projet de loi, on parle de l’importance de prendre en compte la surreprésentation, mais il n’y a pas de disposition concrète dans le projet de loi comme tel pour y remédier. C’est pourquoi l’Association du Barreau autochtone, mes collègues qui témoignent aujourd’hui et les SDA, les Services du droit autochtone, soutiennent l’amendement de l’Association canadienne des libertés civiles pour remédier à cela.

Si vous exigez des juges qu’ils mentionnent par écrit pourquoi une personne appartenant à l’un de ces groupes vulnérables est placée en détention provisoire dans le cadre de leurs... [Difficultés techniques].

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Cette année, j’ai mené une consultation auprès des communautés autochtones, surtout pour ce qui est de la violence conjugale et de l’utilisation accrue des bracelets électroniques. Plutôt que d’incarcérer ces personnes, le port du bracelet électronique à l’extérieur des institutions pénitentiaires est un bon moyen de les contrôler. La majorité des gens que j’ai consultés — sinon la totalité des communautés autochtones — était d’accord avec ce principe.

Selon vous, est-ce aussi un moyen efficace pour éviter une trop grande incarcération des Autochtones accusés de violence conjugale?

[Traduction]

Me Big Canoe : Sans avoir plus de contexte, je peux difficilement tenter de répondre à cette question. Je peux vous dire que tout au long de l’enquête nationale, nous avons entendu dire que même lorsque des ordonnances sont en place pour ces types de mesures, cela n’empêche pas toujours les actes de violence.

Le problème le plus important avec ce projet de loi, c’est que lorsque l’inversion du fardeau de la preuve concerne une personne très vulnérable, elle n’a pas cette possibilité, alors l’Association du Barreau autochtone demande ce qu’on fait pour protéger les personnes les plus vulnérables.

La sénatrice Jaffer : Je remercie tous nos témoins d’être avec nous ce matin.

Maître Bytensky, vous avez dit que les demandes de libération sous caution ne sont pas entendues en temps opportun. Pourriez-vous préciser ce que vous voulez dire par là?

Me Bytensky : Oui. Le Code criminel exige actuellement qu’une personne qui est arrêtée — en présumant qu’elle n’est pas remise en liberté par la police — soit amenée devant un juge pour qu’elle soit « traitée selon la loi ». Ce sont les mots que l’on trouve dans le Code criminel. On a donc des raisons de croire que le fait d’être « traitée selon la loi » ne veut pas simplement dire de revenir un autre jour.

On a vu des tribunaux partout au pays ordonner l’arrêt des procédures lorsque des gens n’ont pas pu obtenir une audience sur la libération sous caution en temps opportun. Cela s’est produit dans presque toutes les provinces, et deux fois à la Cour suprême. Cela se produit le plus souvent lorsque les gens ne sont pas amenés devant un tribunal dans un délai de 24 heures, mais nous avons aussi des exemples d’arrêt des procédures lorsque des gens n’ont pas pu obtenir leur audience avant plusieurs jours parce que l’audience était constamment reportée. Cela s’est aussi produit dans de nombreuses provinces, voire toutes.

Il serait important d’inclure une disposition dans la loi — au lieu de procéder au cas par cas et d’avoir des poursuites coûteuses — pour la clarifier et préciser que si une personne est amenée devant un juge et qu’elle est prête à procéder, elle devrait avoir droit à une audience le jour même. C’est un peu ambigu à l’heure actuelle. Je pense que la meilleure définition du point de vue des tribunaux est que la personne a droit à cela et que la pénurie de ressources n’est pas une excuse. Il serait utile pour les procureurs partout au pays et les juges qui administrent la loi de savoir quelle est précisément l’intention du Parlement et du Sénat à ce sujet, afin de s’assurer que les personnes qui souhaitent avoir leur audience puissent l’obtenir et ne la voient pas reportée. C’est un problème consternant à l’heure actuelle au pays.

La sénatrice Jaffer : Nous sommes tous les deux avocats. Je m’occupais autrefois des audiences de libération sous caution. Vous le savez mieux que moi maintenant, car je ne pratique plus depuis longtemps. Quels sont ceux qui se voient accorder une audience en premier? Ceux qui en ont les moyens ont un avocat ingénieux — je m’excuse, je ne veux pas être impolie — non pas ingénieux, mais un avocat qui dispose de beaucoup de ressources et qui est prêt à procéder. Ces audiences passeraient en premier. Quelles sont les audiences qui passeraient en dernier?

Me Bytensky : Respectueusement, je ne suis pas certain que l’on puisse analyser cela aussi facilement. Ce sont des avocats de service qui s’occupent déjà de la vaste majorité des audiences sur le cautionnement au pays. C’est donc la situation actuellement. Pour l’anecdote, lors d’une journée la semaine dernière à Toronto, il y avait 35 affaires de libération sous caution prêtes à être entendues, et je pense que 12 d’entre elles n’ont pas pu avoir lieu. Elles étaient menées par des avocats de service et des avocats du secteur privé. On ne peut pas les départager, et les avocats du secteur privé n’ont pas toujours la priorité.

La sénatrice Jaffer : Ce n’est pas ce que j’ai dit.

Me Bytensky : Je m’excuse. J’ai mal compris.

La sénatrice Jaffer : Non, il se peut que j’aie dit cela. Je m’en excuse. Ce que je voulais dire, c’est que ces affaires sont prêtes à être entendues, et le juge entend toujours celles qui sont prêtes, et ensuite celles des avocats de service. Je parle de mon expérience. Vous dites sans doute que ce n’est pas le cas. Les affaires qui sont prêtes à être entendues, normalement, selon mon expérience, sont celles qui sont menées par des avocats du secteur privé. Ce que je voudrais savoir, c’est quels sont les gens qui sont laissés derrière.

Me Bytensky : À l’heure actuelle, nous nous employons à trouver des stratégies partout au pays pour trier les affaires. C’est un peu comme dans une salle d’urgence où il y a plus de patients que de médecins et où on essaie d’établir qui doit être traité tout de suite et qui doit rester sur une civière pendant quelques jours. À mon humble avis, il est honteux d’avoir à procéder de cette façon. Je pense que les pratiques diffèrent au pays. Selon mon expérience, il arrive parfois que les avocats du secteur privé aient la priorité, mais je ne dirais pas que c’est une vérité universelle, et je pense qu’il y a des différences régionales partout. Dans de nombreux endroits, il n’y a tout simplement pas d’avocats du secteur privé, et toutes les affaires, ou 99 %, sont confiées à des avocats de service. Elles ne peuvent pas toutes être traitées, et c’est là le problème.

La sénatrice Jaffer : Dites-nous, d’après votre expérience, qu’arrive-t-il à une personne noire, autochtone ou vulnérable qui est incarcérée? Où se trouve-t-elle dans l’ordre de priorité?

Me Bytensky : Eh bien, honnêtement, j’ai plaidé l’affaire Balfour et Young au Manitoba, qui était mon affaire, et c’est une révélation consternante au sujet de la justice dans le Nord du Manitoba, où les accusés sont presque exclusivement des Autochtones. Les effets que cela a sur les prévenus sont épouvantables. Je vous encourage tous à la lire, car cela nous ouvre les yeux. Cela a été le cas pour moi.

Je ne sais pas s’il existe une réponse facile à cette question. Je pense qu’historiquement, nous avons désavantagé les personnes racisées, les pauvres, les personnes atteintes de maladie mentale et les Autochtones. II n’y a pas beaucoup d’Autochtones qui sont accusés à Toronto où je pratique principalement, mais nous savons que nos données montrent dans l’ensemble que certains groupes ont toujours été laissés derrière, et je suis convaincu que ce sera encore le cas dans l’avenir.

La sénatrice Jaffer : Les Noirs, les Autochtones, les personnes vulnérables, racisées et marginalisées sont ceux qui composent ces groupes, n’est-ce pas?

Me Bytensky : Oui, de même que les personnes atteintes de maladie mentale et les pauvres. La Cour de l’Ontario et toutes les cours de magistrats au pays sont remplies de personnes très, très pauvres et de personnes très, très malades mentalement.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie beaucoup.

Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue à nos témoins.

Ma question s’adresse à Me Bytensky. Selon votre expérience, croyez-vous qu’en élargissant les dispositions de l’inversion du fardeau de la preuve dans le projet de loi C-48, on augmenterait le nombre d’accusés en détention provisoire? Si on combine cela à la pénurie de ressources dans notre système de justice pénale, devrait-on s’attendre à une augmentation du nombre de négociations de plaidoyer?

Me Bytensky : Oui, il y aura plus de gens en détention provisoire parce que plus de gens vont attendre pour obtenir leur audience de libération sous caution. Il n’y aura pas plus de gens en détention provisoire parce qu’ils sont détenus après une audience de libération sous caution. Je ne pense pas qu’il y aura vraiment une différence dans ce cas. S’il y en a une, je m’attends à ce qu’elle soit très minime.

Ce qui se passera, c’est que les gens attendront plus longtemps, ce qui fera croître la population dans nos centres de détention provisoire, car il y aura de plus en plus de gens qui attendent de passer en cour. Et lorsque cela se produira, nous aurons des gens qui vont plaider coupable pour se prévaloir des dispositions relatives à la durée de la peine purgée, car c’est ce qui se passe depuis toujours au pays. Il ne fait aucun doute que nous avons un nombre incroyable de personnes condamnées à tort pour des crimes qu’elles n’ont pas commis parce qu’elles plaident coupable simplement pour être remises en liberté. Cela va se poursuivre et leur nombre va augmenter.

Le sénateur Klyne : Quelle part de chevauchement y a-t-il entre le projet de loi C-48 et les pratiques actuelles concernant les audiences de libération sous caution?

Me Bytensky : Cela varie selon les régions. Si je prends la situation dans ma pratique, et je pense que c’est le cas pour la plupart des avocats en Ontario, je peux vous dire que j’aborde une audience de libération sous caution où le fardeau de la preuve est inversé de la même manière que j’aborde toute affaire sérieuse dont le fardeau de la preuve repose sur la Couronne. Nous devons présenter un plan de libération sous caution convaincant pour toute allégation sérieuse. Je ne pense pas que j’aborderais mon travail différemment. Le fait de créer de nouvelles dispositions sur l’inversion du fardeau de la preuve me rendra extrêmement prudent dans certaines de ces affaires, mais pour être très franc avec vous, je ne pense pas que cela changera grand-chose.

Le sénateur Klyne : Je vous remercie.

Le sénateur Dalphond : En ce qui a trait au dernier point, je crois que vous avez dit que même si, dans le système actuel, le fardeau repose techniquement sur la Couronne, c’est en réalité l’accusé qui doit s’en acquitter. Vous affirmez que le projet de loi n’y changera rien. Il n’aggravera pas la situation; il ne fera que codifier en quelque sorte la pratique.

Me Bytensky : Oui, je pense que c’est ainsi que la plupart des avocats chevronnés verront les choses. À mon avis, si on prend un échantillon représentatif d’avocats de tous les niveaux d’expérience à l’échelle du pays, il va de soi que certains d’entre eux, en particulier les jeunes avocats — mes collègues débutants — seraient portés à prendre des mesures supplémentaires, peut-être inutilement, dans les procédures où le fardeau de la preuve est inversé, chose qu’ils ne feraient pas autrement. S’il y a une inversion du fardeau de la preuve, ils voudront peut-être proposer des cautions supplémentaires au juge, par excès de prudence, parce que c’est à eux qu’incombera le fardeau de la preuve. Je pense donc que, dans l’ensemble, une telle situation prolongera la durée des audiences de libération sous caution. Selon moi, il faudra plus de temps pour élaborer des plans, et les gens devront attendre plus longtemps avant d’obtenir leur audience de libération sous caution. Certains avocats modifieront un peu leur approche, mais je n’entrevois pas de changement radical.

Le sénateur Dalphond : Je vous remercie.

Vous êtes membre d’un groupe d’experts qui donne des conseils sur les audiences de libération sous caution. La plupart de ces décisions sont prises par un juge provincial dans un tribunal provincial. Que propose votre groupe consultatif pour accélérer les choses, surtout si le projet de loi risque de donner lieu à d’interminables audiences, occasionnant ainsi des retards supplémentaires, comme vous le dites? Je comprends cet argument. Y a-t-il un rapport que nous pourrions consulter?

Me Bytensky : Je faisais partie du groupe d’experts de l’Ontario sur la mise en liberté sous caution, qui a publié un rapport, je crois, en 2014. Il s’agit d’un document accessible au public. Je serai heureux de vous en transmettre une copie, mais c’est facile à trouver. Le document, qui s’intitule Justice juste-à-temps, se veut un rapport d’expertise sur la mise en liberté sous caution.

En ce qui concerne les recommandations actuelles, bon nombre d’entre elles portent sur des questions qui relèvent vraiment du domaine provincial. Par exemple, les questions relatives à la pratique ne devraient pas, selon moi, faire l’objet de dispositions législatives fédérales. Je pense qu’il y a lieu d’adopter certaines stratégies, comme la réduction de la durée excessive des contre-interrogatoires. Nous pouvons apporter des changements importants à la pratique, ce qui aura une incidence sur la durée des audiences de libération sous caution.

Du point de vue législatif, nous pouvons en dire beaucoup en indiquant clairement que l’intention des élus fédéraux et du Sénat est de faire en sorte que les gens obtiennent une audience de libération sous caution dans les meilleurs délais. C’est d’ailleurs ce que prévoit notre mesure législative. Certains tribunaux en font mention, mais cela ne suffit pas; nous voulons que vous le fassiez dans le cadre de votre pratique au moment d’appliquer les exigences relatives à la mise en liberté sous caution.

Le sénateur Dalphond : Je vous remercie.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup à tous les témoins.

Quels sont les enjeux, outre la question de la contre-accusation que vous avez soulevée, maître Big Canoe, et les problèmes liés à l’incarcération massive des Autochtones et des Noirs, dont vous avez parlé, maître Donkor? Je me demande si vous pourriez nous en dire un peu plus à ce sujet.

Maître Bytensky, l’impact des moyens financiers et le fait que, comme vous l’avez dit... En fait, je ne sais plus exactement qui l’a dit. Je crois que c’était vous, maître Bytensky. Vous avez mentionné que la plupart des gens qui sont représentés lors des audiences de libération sous caution ont recours à des avocats de service. Quels types de ressources sont nécessaires pour monter le genre de dossier qui permettra de contrer les dispositions proposées ici? D’après votre expérience jusqu’ici, que pouvez-vous nous dire — pour approfondir certaines des questions qui viennent d’être soulevées — sur le manque de ressources dont disposent les personnes qui souffrent peut-être de problèmes de santé mentale, qui sont aux prises avec l’itinérance ou qui vivent dans la pauvreté? Comment la détention avant procès est-elle traitée aujourd’hui?

J’aimerais donner à chacun de vous l’occasion d’en dire plus sur la crise qui préexiste au projet de loi et dont vous avez tous parlé. Nous pourrions peut-être suivre l’ordre dans lequel vous avez fait vos exposés.

Me Big Canoe : Oui, certainement. Je ne prendrai pas beaucoup de temps afin que mes collègues puissent également répondre à cette question.

En ce qui a trait à la reconnaissance fondée sur des données probantes, je pense que les multiples commissions et rapports mettent déjà en évidence l’incarcération massive des Autochtones et les difficultés qu’ils endurent depuis les années 1980. Nous connaissons l’expérience des Autochtones lorsqu’ils sont placés en détention provisoire, et ils se trouvent dans cette situation plus souvent que d’autres. C’est directement lié aux ressources.

La semaine dernière, j’ai pris la parole devant votre comité au sujet d’un autre projet de loi, et j’ai fourni des statistiques sur la pauvreté chez les Autochtones. Nous sommes au courant des ressources mises à la disposition des Autochtones, qu’il s’agisse de l’aide juridique ou des avocats de service. Les problèmes et les préjudices systémiques qui existaient bien avant le projet de loi perdurent encore. Nous savons que les idées préconçues, même celles d’il y a plusieurs décennies, influent encore sur la façon dont les Autochtones sont incarcérés.

Lorsqu’ils ont moins de chances d’être libérés sous caution, ils passent plus de temps en détention. Cela devient un problème vraiment inquiétant, non seulement en raison de la lenteur du système lui-même, mais aussi à cause des préjudices systémiques qu’ils subissent pendant leur incarcération. Nous disposons également de nombreuses données sur ce qui arrive aux Autochtones en détention. Cela varie de dommages légers jusqu’à, malheureusement, la mort. La majeure partie de mon travail consiste à mener des enquêtes et, dans la plupart des cas, il s’agit d’enquêtes obligatoires à la suite d’un décès.

Me Bytensky : Je ne veux pas transformer ce débat en une discussion sur le sort des avocats de la défense. À l’heure actuelle, du moins en Ontario et, je crois, dans d’autres régions du pays, l’aide juridique ne finance guère ou pas du tout les audiences de libération sous caution. Lorsque vous devez revenir plusieurs jours de suite pour une audience de libération sous caution, il est peu probable que vous récupériez le temps que vous y avez consacré. En tout cas, je ne veux pas parler sans cesse de nous.

Là où je veux en venir, c’est qu’il y a des avocats de service. Vous tiendrez beaucoup plus d’audiences, mais vous aurez besoin de plus de salles d’audience et de plus d’avocats de service ou, à tout le moins, vous devrez être en mesure de financer des avocats du secteur privé pour y arriver, faute de quoi il y aura plus de retards dans le système de mise en liberté sous caution. Cela imposera sans aucun doute un fardeau supplémentaire aux services d’aide juridique, et il faudra probablement davantage de ressources de la part du gouvernement provincial ou fédéral. D’une manière ou d’une autre, il faudra injecter des fonds additionnels parce que l’effectif actuel d’avocats de service ne parvient pas à gérer la charge de travail existante. Compte tenu de tous les problèmes que j’ai signalés, on aura probablement besoin de plus de salles d’audience. Le cas échéant, il faudra plus d’argent pour l’aide juridique et pour d’autres ressources destinées à la défense.

Me Donkor : J’aimerais ajouter une brève observation. Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il y aura une incidence disproportionnée sur le système juridique, mais, en ce qui concerne les ressources de la personne accusée, comme je l’ai expliqué brièvement, l’accès à plus de ressources permettra de réfuter la présomption légale d’un accusé en détention.

Par exemple, supposons que le fardeau de la preuve est inversé à l’étape de la mise en liberté sous caution et que l’accusé fait face à de graves accusations. Souvent, ce qui aide à obtenir une mise en liberté sous caution dans de tels cas, c’est le fait d’avoir une ou plusieurs cautions capables de loger l’accusé et de promettre une somme d’argent considérable pour garantir sa mise en liberté sous caution. Les individus qui n’arrivent pas à obtenir une mise en liberté sous caution sont justement ceux qui n’ont pas ce genre de ressources, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas de proches capables de promettre un montant d’argent non négligeable ou de loger l’accusé chez eux, faute d’espace. Sans ces ressources, il est plus difficile d’obtenir une mise en liberté sous caution. C’est souvent le cas pour les Noirs et les Autochtones.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci aux témoins d’être ici ce matin.

Maître Bytensky, puis-je revenir sur une partie de votre témoignage? Est-ce que vous avez la même lecture des impacts du projet de loi C-48 sur ce qui est énoncé clairement comme une volonté d’avoir une plus grande sécurité publique et de créer des conditions pour qu’il y ait moins d’infractions très violentes commises avec des armes à feu, par opposition aux incidents de violence qui impliquent un partenaire intime?

Est-ce que vous avez la même lecture des conséquences de ce projet de loi? Cela m’a frappée : vous avez dit qu’on avait un système très conservateur pour ce qui est de la libération sous caution. J’ai cru comprendre que vous aviez dit que cela ne va pas améliorer le système et que cela va plutôt augmenter les délais. D’après votre pratique et celle de vos collègues, portez-vous le même jugement par rapport à l’impact du projet de loi C-48 sur ces deux réalités, qui sont quand même très différentes?

[Traduction]

Me Bytensky : J’ai déjà dit devant un autre comité — et je l’ai dit ici aussi — que, selon moi, la question de savoir à qui incombe le fardeau de la preuve n’a pas vraiment d’effet sur le résultat pour ce qui est de la détention par rapport à la mise en liberté, et je maintiens cette position.

Dans bien des cas, il arrive que nous, les membres de la collectivité en général, contestions la décision de libérer quelqu’un sous caution. Nous aurions probablement le même désaccord si la personne était libérée dans une affaire où le fardeau de la preuve repose sur la Couronne ou dans une situation où le fardeau de la preuve est inversé. Le public est souvent en désaccord avec la décision finale du tribunal.

Toute mesure législative qui retirerait le droit à la mise en liberté sous caution aurait évidemment une incidence sur ces personnes. Je dirais que les effets en aval seraient assez importants dans l’autre sens, mais là où je veux en venir, c’est qu’il ne suffit pas d’ajouter simplement un certain nombre d’infractions supplémentaires donnant lieu à une inversion du fardeau de la preuve. On semble croire, sans preuve à l’appui, qu’il y aura ainsi plus de personnes détenues. C’est la théorie qui prévaut. Je ne sais tout simplement pas s’il existe des données qui en confirment la validité. En fait, mon expérience me porte à croire que c’est faux.

Un des résultats possibles — et je crois que Me Taylor en a parlé brièvement hier dans le cadre de son témoignage —, c’est la mise en liberté assortie de conditions plus sévères. Dans la mesure où cela peut contribuer à la sécurité publique, je suis d’accord avec Me Taylor. Si un détenu est relâché sans condition et qu’un autre est libéré sous réserve de conditions très strictes, cela peut avoir des répercussions mesurables sur la sécurité publique. J’accepte cette prémisse. Toutefois, si les citoyens estiment que le seul moyen d’assurer la sécurité publique est de détenir quelqu’un, je ne pense pas que nous allons atteindre cet objectif.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci pour cette réponse. J’ai bien compris que votre argument va dans le sens de dire qu’on met trop de gens en détention préventive, et que le fait de mettre trop de gens en détention préventive ne règle pas du tout les problèmes de violence avec des armes à feu. Donc, cela n’accentue pas, cela n’accélère pas et cela n’augmente pas la sécurité publique.

[Traduction]

Me Bytensky : Si vous poussez plus loin cette idée, on peut dire que cela aura l’effet inverse puisque tout le monde devra attendre plus longtemps dans les centres de détention avant d’obtenir leur audience de libération sous caution, et la personne qui se trouve là pour une présumée infraction de nature relativement mineure devra s’asseoir face à face, pendant un certain nombre de jours, avec des gens qui ont peut-être un passé criminel beaucoup plus long. Comme je l’ai dit dans mes observations écrites, la prison est très criminogène. Les gens en sortent beaucoup plus dangereux qu’ils n’y sont entrés.

Par ailleurs, si le détenu attend son audience de libération sous caution et qu’il perd entretemps son emploi, sa place dans un refuge, son admissibilité à un programme de traitement, sa famille ou ses enfants, ces circonstances le rendront plus dangereux précisément à cause de toutes les sources de stress auxquelles il devra désormais faire face dans sa vie.

Nous entendons parler de cas où une personne en possession d’armes à feu obtient une mise en liberté sous caution à plusieurs reprises. Écoutez, c’est ce qui arrive. Nous continuerons d’assister à de tels incidents, peu importe sur qui repose le fardeau de la preuve, et le public n’en sera pas content. Je dois le reconnaître.

La sénatrice Batters : Je remercie les témoins d’être des nôtres aujourd’hui et de nous aider à mieux comprendre le projet de loi.

J’aimerais d’abord m’adresser à Me Bytensky, de la Criminal Lawyers’ Association. Dans les faits, le projet de loi C-48 fera-t-il vraiment une différence lors des audiences de libération sous caution pour ces nouvelles infractions qui entraînent l’inversion du fardeau de la preuve, étant donné que les procureurs sont déjà plus susceptibles de demander la détention pour les récidives avec violence mettant en cause des armes, ou pour des infractions similaires?

Me Bytensky : Oui. La différence, c’est que les avocats de la défense et les avocats de service prendront probablement plus de temps pour élaborer les plans de mise en liberté sous caution qu’ils proposeront. Il faudra plus de temps pour obtenir des audiences. Je suis d’accord avec vous pour dire que les procureurs sont moins susceptibles de consentir à la mise en liberté sous caution dans certains des exemples que vous avez donnés, mais il y a toujours différentes nuances de gris.

Prenons le cas d’une accusation mettant en cause des armes à feu. On arrête quatre personnes dans une voiture et on trouve une arme à feu sur le siège du conducteur. Le passager arrière pouvait bénéficier d’un consentement à la mise en liberté sous caution lorsque le fardeau de la preuve reposait sur la Couronne. Or, ce ne sera peut-être plus le cas maintenant que le fardeau de la preuve sera inversé. Franchement, je doute que le public soit indigné si cette personne devait être libérée sous caution.

Je ne suis pas sûr de pouvoir faire une déclaration générale qui couvre tous les scénarios, mais dans l’ensemble, les répercussions sur la pratique seraient minimes. En tout cas, je suis plutôt d’accord avec vous pour dire que les accusations graves auront tendance à être traitées de la même façon.

La sénatrice Batters : Je vous remercie.

Passons maintenant à l’Association des avocats noirs du Canada. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que vous aimeriez que des amendements soient apportés au projet de loi C-48. Quels types d’amendements recommanderiez-vous à notre comité pour que le projet de loi C-48 atteigne ses objectifs tout en respectant les droits constitutionnels des individus?

Me Donkor : Je vous remercie.

Nous appuyons certes les amendements proposés par l’Association canadienne des libertés civiles, notamment la recommandation d’amender le projet de loi pour exiger que le juge mentionne, dans le dossier de l’instance, comment il a pris en considération l’article 493.2 du Code criminel pour rendre sa décision relative à la mise en liberté sous caution.

Nous proposons également d’ajouter les mots « prévenus noirs » au libellé de l’article 493.2. À l’heure actuelle, on utilise l’expression passe-partout « autres populations vulnérables » pour désigner les accusés de race noire. Compte tenu des statistiques, qui montrent clairement que les Noirs et les Autochtones sont surreprésentés et qu’ils se voient plus souvent refuser la mise en liberté sous caution, nous estimons qu’il est impératif d’employer précisément les mots « prévenus noirs » afin que les juges sachent qu’ils doivent prendre cette disposition en considération pour tous les accusés de race noire qui comparaissent devant eux.

De plus, nous proposons d’ajouter une disposition qui précise que le fait de ne pas appliquer correctement l’article 493.2 constitue une erreur de droit. Ainsi, la détention d’un délinquant noir ou autochtone avant le procès serait assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte, ce qui permet de régler le problème de l’incarcération excessive. Si les juges ne prennent pas cette disposition au sérieux, s’ils n’expliquent pas comment ils tiennent réellement compte de la surreprésentation des délinquants noirs et autochtones à l’étape de la détention préventive, ils commettent alors une erreur de droit qui doit faire l’objet d’un contrôle judiciaire. L’article 493.2 est déjà inscrit dans le Code criminel, mais nous ne voyons pas comment il est pris en considération dans la réalité pratico-pratique. En tant qu’avocate de la défense, je peux dire par expérience que certains juges ne savent pas vraiment comment l’appliquer. Parfois, ils ne le mentionnent même pas dans leurs décisions. Un tel amendement obligera vraiment les juges à tenir compte de cet aspect et à le prendre au sérieux.

La sénatrice Batters : Je vous remercie.

La sénatrice Clement : Je remercie nos témoins de leur présence. J’ai bien aimé la dernière réponse de Me Donkor. Je vais poser mes questions, puis laisser la place à nos invités.

J’aimerais demander à Me Bytensky s’il pense que les retards que nous connaissons déjà vont conduire à un rejet des accusations, ce qui serait contraire à la sécurité publique et ne ferait rien pour améliorer la confiance du public à l’égard de notre système de justice pénale. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Mes autres questions s’adressent à Me Donkor et à Me Big Canoe. Hier, lorsque le comité a interrogé le ministre et ses collègues, un thème clé n’a pas cessé de revenir : celui des données et de l’absence de données. Pouvez-vous nous parler du risque que cela pose d’aller de l’avant sans données probantes? D’ailleurs, quel type de données utilisez-vous? Lorsque nous évaluons quelque chose, utilisons-nous tous les mêmes? Pourriez-vous nous parler des données de manière générale? Le projet de loi C-75 est entré en vigueur en 2019 et il devra faire l’objet d’un examen. Recueillons-nous actuellement des données à ce sujet? Le savez-vous? Ces données ont-elles été publiées? Selon vous, ces données pourraient-elles être utiles pour ce processus? Voilà les questions que je voulais poser à Me Big Canoe et à Me Donkor.

Me Donkor : Je commencerai peut-être par aborder la question de l’absence de données, qui est assurément très préoccupante puisqu’il n’y a aucune preuve empirique que ce projet de loi atteindra les objectifs de sécurité publique qu’il vise. En fait, ce projet de loi n’a aucune base ou justification solide.

Je comprends parfaitement que lorsqu’une personne perd la vie, c’est une chose tragique. Il ne fait aucun doute que c’est quelque chose que nous voulons éviter, mais les exemples que nous renvoient les médias sont assurément des exceptions. Les personnes libérées sous caution ne se mettent pas toutes à commettre de nouveaux délits aussitôt qu’on les laisse sortir.

Le régime de mise en liberté sous caution tel qu’il existe actuellement répond déjà aux préoccupations en matière de sécurité publique, puisqu’un juge peut détenir une personne sur la base de préoccupations en matière de sécurité publique et en tenant compte de la confiance du public à l’égard de l’administration de la justice. Ces facteurs sont déjà pris en considération au stade de la mise en liberté sous caution.

Il est inquiétant de constater que ce projet de loi ne repose sur aucune preuve ou base probante. Ce qui est encore plus inquiétant, c’est qu’à l’inverse, il existe des preuves accablantes quant aux répercussions que ces mesures législatives auront sur les communautés noires et autochtones. En réalité, nous élaborons ce projet de loi sur la base d’hypothèses alors qu’il est clairement démontré qu’il aura des répercussions disproportionnées sur les communautés noires et autochtones.

En ce qui concerne les données que nous utilisons, il s’agit d’une vaste question, car il existe des données pour beaucoup de choses. Par exemple, lorsqu’il s’agit des conditions d’incarcération, le Bureau de l’enquêteur correctionnel publie un rapport annuel qui contient des données claires à ce sujet. Des recherches ont été effectuées. Vous pouvez consulter l’annexe A de la décision Morris c. La Reine. Il s’agit d’une décision de la Cour d’appel où l’on a tenu compte du contexte social dans la détermination de la peine. Il y a une annexe qui est un rapport d’expert sur la criminalité et l’expérience des... Je peux vous obtenir le nom complet, mais c’est une annexe qui contient beaucoup de données sur ce qu’ont vécu les Canadiens noirs et sur l’effet criminogène du racisme anti-noir, en particulier en Ontario. En fait, il y a des données pour toutes les provinces.

Je vais laisser la parole à ma collègue pour qu’elle nous en dise un peu plus à ce sujet.

Me Big Canoe : Me Donkor a très bien répondu.

J’aimerais aborder quelques éléments relativement aux données recueillies. L’un des principaux problèmes que nous avons est le suivant : ce n’est que récemment que nous avons commencé à désagréger des données pour avoir une idée des groupes particuliers qui sont touchés par le système de justice pénale, que ce soit en détention ou dans l’intervalle. L’un des problèmes réside dans le fait qu’au sein de plusieurs administrations, il existe différents [Difficultés techniques] pour collecter les données. Par exemple, il se peut que vous ne puissiez pas aller dans une province et demander combien d’audiences de libération sous caution ont eu lieu tel ou tel jour et combien de personnes ont été placées en détention provisoire par rapport à celles qui ont été remises en liberté. Cela pose problème. Nous nous appuyons souvent sur Statistique Canada. Nous nous comptons souvent sur l’enquêteur correctionnel. Nous nous appuyons également sur un certain nombre de rapports relatifs aux populations autochtones et à leurs interactions avec le système de justice pénale ou à leur expérience au sein de ce dernier.

Une chose à souligner — ma collègue l’a bien décrite lorsqu’elle a mentionné le fait que les personnes libérées sous caution qui récidivent sont des exceptions —, c’est que nous nous intéressons beaucoup aux vies perdues, mais que nous faisons peu de cas des vies perdues en détention ou dans les circonstances horribles de la détention, ce qui a une incidence énorme sur les Autochtones et les non-Autochtones. Et cela se produit encore et encore. Plus récemment, le groupe de recherche Tracking (In)Justice a publié de nombreux rapports — et il continuera à le faire — à la fois sur l’usage de la force par la police et sur les décès en établissement. J’attire votre attention sur ce point, car, malheureusement, lorsque vous regardez le nombre de personnes qui meurent en détention, vous constatez qu’il s’agit principalement de personnes issues des communautés autochtones et noires.

J’ai dit tout à l’heure à l’un des sénateurs que l’Association du Barreau autochtone est inquiète. Quelles sont les protections qui seront accordées à ces populations vulnérables dont nous savons déjà qu’elles subissent les effets les plus délétères — y compris la mort — du système de justice pénale? C’est là-dessus que les amendements doivent se focaliser. C’est à ce sujet que des modifications doivent être apportées pour veiller à ce que des mesures soient en place. Si ce projet de loi est adopté, ce qui me semble tout à fait probable, rien qu’en me basant sur la rapidité de [Difficultés techniques], je vous prie de mettre en place des protections qui aideront ces communautés.

Le président : Merci, Me Big Canoe.

Nous attendons toujours l’un des intervenants de notre prochain groupe d’experts, alors avec votre indulgence, nous pourrions prolonger nos échanges avec celui-ci d’environ cinq minutes.

Me Bytensky : J’aimerais répondre très brièvement à une partie de la question. Oui, il y aura des litiges. Vous verrez de graves accusations qui seront suspendues ou — ce qui est beaucoup moins connu — simplement retirées par la Couronne en réponse à des demandes de sursis. J’ai présenté ma première demande de sursis dans une affaire de retard de mise en liberté sous caution pour un client en 2001. Malheureusement, au cours des 22 années qui se sont écoulées depuis, le problème s’est aggravé plutôt que l’inverse. Il y a des cas bien connus en Ontario, y compris des accusations de possession d’armes à feu et des cas de violence entre partenaires intimes qui ont fait l’objet de sursis. La semaine dernière, une affaire d’armes à feu a été retirée par la Couronne à la suite d’une demande de suspension de l’instance. Vous avez tout à fait raison. Nous serions extrêmement naïfs de penser que la situation va s’améliorer et, en fait, je pense qu’elle va empirer et que de plus en plus d’accusations seront suspendues.

Le sénateur Gold : Tout d’abord, je remercie nos trois témoins de leur présence.

Hier, le ministre nous a dit que le projet de loi était délibérément très ciblé et, surtout, que tous les ordres de gouvernement travaillaient à renforcer et à accroître la confiance à l’égard du système de mise en liberté sous caution en général, et de façon encore plus générale, à l’égard du système de justice pénale. Nous avons beaucoup entendu parler de la collecte de données et du financement provincial des mesures de conformité aux ordonnances de mise en liberté sous caution. J’aimerais demander aux trois témoins — sans ordre particulier — ce qu’ils aimeraient voir comme investissements ou approches stratégiques dans le cadre d’une future coopération entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pour traiter des enjeux plus vastes dont ce projet de loi n’est qu’une partie.

Le président : Pouvons-nous procéder dans l’ordre inverse cette fois-ci? Maître Donkor?

Me Donkor : Merci de cette question. Je pense qu’il est important d’y répondre.

Tout d’abord, pour un projet de loi important comme celui-là, nous avons besoin d’une consultation plus vaste et plus précoce. Nous n’en sommes qu’au stade de l’étude de ce projet de loi par le Sénat, ce qui aurait dû avoir lieu beaucoup plus tôt. Le fait que la Chambre des communes passe outre ce processus suscite de vives inquiétudes.

En ce qui concerne les investissements dans les politiques futures, comme je l’ai brièvement mentionné dans ma déclaration liminaire, nous avons vraiment besoin de plus de politiques qui investissent dans les services sociaux et les rendent plus accessibles. Nous avons besoin de politiques sur un revenu de subsistance garanti. Nous avons besoin d’un plus grand nombre de politiques sur les logements sécuritaires, la santé mentale et les services d’aide aux toxicomanes.

En réalité, ce qui rend nos collectivités plus sécuritaires, c’est de s’attaquer aux causes profondes de la criminalité. Le recours trop répandu à la police et aux incarcérations ne fait rien pour s’attaquer aux causes profondes de la criminalité. C’est une sorte d’effet secondaire. On essaie de s’attaquer aux répercussions que le crime a déjà eues. Si nous voulons vraiment rendre nos collectivités plus sécuritaires, nous devons examiner les racines du problème et miser sur des politiques qui s’y attaquent.

De nombreuses données montrent que la violence est davantage un problème de santé publique qu’un problème de droit pénal. Investir dans la santé publique et les services sociaux aura, à mon avis, plus d’effet que de légiférer à outrance.

Me Kristian Ferreira, agent de liaison communautaire, Association des avocats noirs du Canada : Permettez-moi d’ajouter rapidement qu’une réforme plus importante de la mise en liberté sous caution inclurait également — comme l’a indiqué mon amie — une amélioration de l’efficacité des systèmes judiciaires, une application renforcée et ciblée des conditions du rapport et, comme l’a mentionné Me Donkor, un soutien communautaire accru.

En ce qui concerne les données, les unités d’aide aux victimes ont rédigé plusieurs rapports sur les processus de collecte de données au cours des dernières années, en particulier au sein de la police de Toronto.

Le président : Merci.

Me Big Canoe : Je suis d’accord avec Me Donkor et Me Ferreira.

J’aimerais ajouter une chose relativement à la première partie de votre question, sénateur. Vous avez parlé d’un ciblage très restreint. Au nom de l’Association du Barreau autochtone, je dirais que je ne suis pas d’accord avec cette affirmation en ce sens que le champ d’application est en effet étroit, sauf lorsque cela concerne la violence entre partenaires intimes. Nous avons entendu mon ami parler tout à l’heure du fait que la Cour suprême a déjà déclaré que l’inversion de la charge de la preuve était constitutionnelle. Lorsque nous examinons la portée excessive de quelque chose, disons que les femmes autochtones qui doivent composer avec un processus pris comme un tout soulèvent des arguments légitimes aux termes de l’article 11(e). Je laisserai mes collègues de l’Association canadienne des libertés civiles, ou ACLC, vous présenter ces arguments la semaine prochaine.

Je suis d’accord avec mes collègues pour dire que lorsque nous parlons de politique et de réformes, nous devons nous pencher sur les raisons pour lesquelles les gens se retrouvent devant le système judiciaire. Nous savons que pour les populations autochtones, il peut s’agir d’un problème aussi mineur que de plaider coupable et d’assumer la responsabilité pénale lorsqu’elle persiste, mais il peut aussi s’agir de problèmes plus profonds tels que le logement ou les politiques. Lorsqu’il s’agit de réformer la mise en liberté sous caution, il faut tenir compte d’une partie de ces éléments.

Nous voulons un amendement parce que lorsqu’il s’agit d’une personne vulnérable — qu’il s’agisse d’un Noir, d’un Autochtone ou d’une personne souffrant d’une grave maladie mentale —, un juge doit réfléchir aux ressources disponibles pour la garder. Dans un monde où la présomption d’innocence s’applique, la détention est censée être le dernier recours. Que pouvons-nous mettre en place? S’il doit y avoir une réforme, il faudrait que ce soit n’importe quelle réforme susceptible d’aider et d’entretenir afin que nous ne créions pas de meilleurs criminels et que nous puissions assurer que les gens en attente de leur procès vivent d’une façon convenable qui ne leur sera pas dommageable.

Me Bytensky : Il y a beaucoup de réponses générales qui pourraient être données à cette question, mais je vais me contenter de deux choses.

Premièrement, nous devons élaborer un projet de loi qui s’appuie concrètement sur des données probantes plutôt que se contenter d’en parler. Quoi que nous fassions, faisons-le parce que les données le confirment et non pour d’autres raisons.

Deuxièmement, je comprends qu’il est difficile pour les législateurs élus de se concentrer principalement sur les intérêts des pauvres et des personnes marginalisées dans notre société. Or, si nous nous concentrons simplement sur ce point, même s’il s’agit de sécurité publique, une justice plus rapide est synonyme d’une meilleure justice. La raison pour laquelle certaines personnes libérées sous caution commettent ensuite des délits est que leur audience de libération sous caution a peut-être été précipitée, ce qui s’explique par le fait qu’il y a 50 audiences de libération sous caution qui n’ont pas pu être tenues ce jour-là.

Je ne parle pas d’un cas particulier, mais la raison pour laquelle certains résultats sont, avec le recul, mauvais, c’est peut‑être parce que nous n’avons pas accordé à l’affaire le temps qu’elle méritait et que nous n’avons pas pris la décision appropriée. En effet, si tout avait été fait en temps opportun, la bonne décision aurait peut-être été une ordonnance de détention.

Si nous investissons dans l’autre moitié de la question — et je vous ai renvoyé au préambule du projet de loi actuel où il est question de la détention inutile des accusés qui érode la confiance du public à l’égard de l’administration de la justice — et si nous faisons quelque chose pour traiter cette partie de la question et légiférons de manière importante sur les dispositions qui permettront de rendre justice en temps opportun, nous améliorerons la justice et la sécurité publique.

Le président : Nous n’aurons pas le temps de faire un deuxième tour de questions. Le sénateur Cotter a retiré ses questions pour laisser la place à la sénatrice Simons, qui sera notre dernière intervenante.

La sénatrice Simons : Je vais revenir sur la question que la sénatrice Clement a posée à Me Bytensky, car je ne sais pas s’il a eu le temps d’y répondre complètement.

Je crains, et j’en ai parlé hier soir avec le ministre, que l’horloge de Jordan ne s’arrête et que des personnes ne voient pas seulement leur affaire suspendue, mais qu’à cause de Jordan, elles doivent être rejetées.

Je me pose aussi de sérieuses questions au sujet des réductions de peine accordées pour tenir compte de toute période que le délinquant a passée sous garde. Je pense que le public est souvent en colère lorsqu’il entend qu’une personne condamnée pour un crime va être libérée immédiatement en raison de tout le temps passé en détention provisoire. Je crains qu’il n’y ait un effet boomerang et que des délinquants condamnés pour des crimes assez graves ne sortent immédiatement sans avoir eu la possibilité de suivre les programmes qu’on aurait pu leur offrir dans un établissement fédéral, parce que, n’ayant pas pu bénéficier d’une mise en liberté sous caution, ils ont passé tout leur temps en détention provisoire.

Me Bytensky : Merci pour votre question, sénatrice Simons.

Je répondrai de la manière suivante : le cas des personnes qui reçoivent une peine d’emprisonnement et qui choisissent de servir une peine réduite plutôt que d’obtenir une audience de libération sous caution est une question distincte, qui n’est pas visée par cette loi.

La sénatrice Simons : Je parle des personnes à qui l’on refuse la libération sous caution.

Me Bytensky : D’accord. Une personne à qui l’on refuse la libération sous caution pourrait ne pas être jugée rapidement, ou elle pourrait l’être, pour une raison x ou y.

Au cours des 10 dernières années, nous avons en fait changé la loi. Il n’y a plus vraiment d’avantage à passer du temps en détention provisoire et à accumuler des crédits, parce que ces personnes, à moins que leur situation ne soit horrible et inhabituelle, n’accumuleront plus les crédits supplémentaires qu’elles recevaient généralement jusqu’à il y a 10 ans. Je ne suis pas sûr que ce problème persiste à l’avenir.

Je conviens en revanche que le fait de prioriser les demandes de libération sous caution et de repousser les limites des tribunaux de libération sous caution, comme le font certains tribunaux, du moins en Ontario, prive les tribunaux de première instance de leurs juges, qui vont tenir des audiences de libération sous caution pour essayer de limiter les retards. Lorsque vous retirez un juge d’un tribunal de première instance et que vous le placez dans un tribunal de libération sous caution, vous avez un juge de moins pour examiner d’autres types d’affaires. Ce jour-là, l’affaire d’une personne, ou peut-être même de plusieurs personnes, ne sera pas traitée. Cette affaire sera repoussée et l’affaire d’une autre personne le sera également lorsque la première reviendra devant le tribunal. Il y aura également des demandes de sursis pour retarder la libération sous caution, ce qui prend du temps aux juges, etc. Il y a un effet boule de neige. Oui, un plus grand nombre d’inculpations seront suspendues et moins de personnes pourront comparaître devant un tribunal. Tant les victimes que les accusés n’auront pas accès à une audience. C’est mauvais pour tout le monde.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le président : Cette séance est maintenant terminée. Permettez-moi de conclure en vous remerciant tous les quatre pour vos exposés remarquables et instructifs, et pour les excellentes réponses que vous avez apportées à nos questions. Je pense que certains d’entre nous, s’ils en avaient le temps, aimeraient poursuivre cette conversation toute la journée. Malheureusement, ce ne serait probablement pas intéressant pour vous, car vous avez une vie, des carrières, des emplois et des clients à servir. Nous tenons à vous remercier collectivement d’avoir pris le temps, bien que vos journées soient très chargées, de participer à l’étude de ce projet de loi. Encore une fois, merci beaucoup.

Nous allons passer au groupe suivant et poursuivre notre étude du projet de loi C-48. Le deuxième groupe est composé de représentants de deux organismes. Nous avons la chance d’avoir parmi nous aujourd’hui Thomas Carrique, commissaire de la Police provinciale de l’Ontario, par vidéoconférence; de l’Association canadienne des chefs de police, Jason Fraser, membre du Comité sur les amendements législatifs, et Pauline Gray, membre du Comité sur les amendements législatifs, tous deux par vidéoconférence.

Je remercie tout particulièrement le commissaire Carrique. Nous savons que votre temps est précieux et nous vous avons demandé d’avoir la gentillesse de vous joindre à nous à ce moment précis. Vous aurez environ cinq minutes pour formuler vos observations liminaires, puis je donnerai également cinq minutes à l’Association canadienne des chefs de police. Nous passerons ensuite à la série de questions. Nous limiterons cette séance à 45 minutes, en partie pour aider le commissaire, mais aussi parce qu’un groupe de sénateurs doit bientôt se rendre au Sénat.

Thomas Carrique, commissaire, Police provinciale de l’Ontario : Je vous remercie, monsieur le président. Je vous suis reconnaissant de faire preuve de considération et de compréhension à mon égard. Je remercie également les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de m’avoir invité à participer à l’étude du projet de loi C-48. Je suis ravi que ce projet de loi ait été présenté et je suis heureux que le comité ait rapidement entamé son étude après les première et deuxième lectures au Sénat la semaine dernière.

Vous vous souviendrez tous que le 27 décembre 2022, l’agent de la Police provinciale de l’Ontario Greg Pierzchala a été assassiné dans l’exercice de ses fonctions de protection des citoyens de cette province. Vous m’avez déjà entendu dire que le meurtre de M. Pierzchala aurait parfaitement pu être évité. Deux personnes ont été inculpées de meurtre au premier degré, nous avons perdu un jeune policier exemplaire et une famille a perdu un fils et un frère aimant.

L’un des accusés, Randall McKenzie, est un récidiviste violent qui avait été condamné pour vol à main armée avec utilisation d’une arme à feu, voies de fait armées, et voies de fait et possession d’une arme à feu, y compris des voies de fait contre un agent de la paix. En 2015, il avait fait l’objet d’une interdiction de port d’arme de cinq ans, en 2016, d’une interdiction de port d’arme de 10 ans, en 2018, d’une interdiction de port d’arme de 10 ans et d’une interdiction de port d’arme à vie, et, au moment du décès de l’agent provincial Pierzchala, de conditions de libération sous caution lui interdisant de posséder une arme et des munitions. Bien qu’il ait démontré une tendance inquiétante à ne pas respecter les interdictions antérieures liées aux armes et aux armes à feu, et qu’il ait fait l’objet de cinq condamnations antérieures pour refus de se conformer à une ordonnance judiciaire, il a été libéré dans l’attente d’un procès pour d’autres infractions liées à des armes violentes. M. McKenzie n’a pas respecté ses conditions. Il s’est notamment débarrassé d’un dispositif GPS de surveillance, qu’il devait porter à la cheville pendant sa mise en liberté sous caution.

Il n’est malheureusement pas rare que des délinquants violents récidivistes, ayant un passé violent, se voient accorder une libération provisoire et commettent d’autres actes criminels violents par la suite. Je suis reconnaissant de l’attention qui est portée à ce projet de loi et je suis heureux que les mois de discussion qui ont suivi le meurtre de l’agent de la police provinciale Pierzchala se traduisent par des mesures concrètes.

Comme vous le diront mes collègues, les tentatives des dirigeants de la police canadienne de réformer la libération sous caution n’ont pas commencé après le meurtre de l’agent provincial Greg Pierzchala, mais remontent à 2008, soit il y a environ 15 ans. L’Association canadienne des chefs de police avait alors présenté une résolution indiquant qu’une minorité de délinquants commettait la majorité des crimes violents dans notre pays. Les recherches menées à l’époque par l’Association canadienne des chefs de police ont établi que ces personnes pouvaient raisonnablement être qualifiées de récidivistes ou de multirécidivistes. Aujourd’hui, nous les qualifions de récidivistes violents. Les recherches ont montré que ces délinquants bénéficient souvent d’une mise en liberté provisoire, bien qu’ils aient un casier judiciaire lourd, qu’ils aient souvent violé les conditions de leur libération sous caution et que ces récidivistes, qui sont libérés sous caution, commettent souvent d’autres infractions peu de temps après.

Comme je l’ai indiqué au Comité permanent de la justice et des droits de la personne le 15 février 2023, en ce qui concerne la libération sous caution, la résolution de l’Association canadienne des chefs de police demandait au ministre fédéral de la Justice de modifier le Code criminel de manière à établir une définition des récidivistes fondée sur un nombre minimal d’infractions commises au cours d’une période donnée. On y demandait également qu’on établisse que, dans le cadre des audiences de libération sous caution, le fait d’être un récidiviste constitue une preuve prima facie de la nécessité de détenir un accusé. La résolution demandait également qu’il incombe au récidiviste qui fait l’objet d’une demande de refus de libération sous caution de justifier les raisons pour lesquelles il devrait bénéficier d’une mise en liberté provisoire.

Immédiatement après le meurtre tragique et évitable de Greg Pierzchala, mes collègues policiers et moi-même avons réclamé la modification du Code criminel de façon à ce qu’il reflète ce que je crois être la volonté des citoyens canadiens respectueux de la loi et oblige les tribunaux à tenir compte des facteurs qui doivent être pris en considération pour la libération d’un accusé. Ceux-ci comprennent notamment la prévention d’une infraction grave; le fait que l’accusé ait commis une infraction grave pendant une période de libération sous caution antérieure et le fait qu’il ait déjà commis une infraction en utilisant une arme — en particulier une arme à feu — ou qu’une arme à feu ait été utilisée pour commettre l’infraction. Les tribunaux doivent également évaluer la mesure dans laquelle le nombre et la fréquence des condamnations antérieures de l’accusé pour des infractions graves indiquent que l’accusé a continué de commettre des infractions graves. Ils doivent en outre tenir compte de la nature et de la probabilité de tout danger pour la vie d’une personne et sa sécurité, ou du fait que tout membre de la communauté soit mis en danger par la libération sous caution d’une personne accusée d’une infraction passible d’une peine d’emprisonnement de 10 ans ou plus.

Le projet de loi C-48 va dans le sens des demandes et des préoccupations que j’ai constamment exprimées au sujet du meurtre évitable de mon agent. J’ai demandé l’élargissement des dispositions relatives à l’inversion du fardeau de la preuve pour les infractions de possession d’armes à feu liées aux récidivistes violents. Le projet de loi C-48 transfère le fardeau de la preuve du poursuivant à l’accusé, qui doit démontrer pourquoi il ne devrait pas être détenu et gardé en détention dans l’attente de son procès. J’ai demandé une définition des récidivistes ou multirécidivistes violents ayant commis des infractions graves. Le projet de loi C-48 apporte des modifications ciblées au régime de libération sous caution du Code criminel, afin de répondre au problème des récidives violentes graves commises avec des armes à feu, des armes blanches, des répulsifs à ours et d’autres armes.

Je soutiens respectueusement que la limitation de l’inversion du fardeau de la preuve aux infractions violentes commises avec des armes pourrait bénéficier d’un examen plus approfondi afin de protéger les Canadiens contre les récidivistes violents qui n’utilisent pas d’armes pour infliger des blessures corporelles graves à leurs victimes.

J’ai proposé de codifier les considérations de sécurité publique avant l’octroi d’une libération sous caution. Le projet de loi C-48 exige que le tribunal tienne compte du fait que l’accusé ait déjà fait l’objet de condamnations pour des infractions violentes et qu’il inclue dans le dossier une déclaration indiquant que la sécurité de la communauté a été prise en compte. Cette disposition donne plus de poids au droit du public et de la victime d’être protégés contre le comportement criminel violent de ces délinquants lors de l’examen de la libération sous caution.

Le projet de loi C-48 renforcera les lois canadiennes sur la libération sous caution. Il renforcera la sécurité du public et des policiers et, par conséquent, la confiance du public dans le système juridique canadien.

En conclusion, je tiens à exprimer à nouveau ma sincère gratitude au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour cette étude. Je vous remercie de m’avoir permis de formuler mes observations et j’ai hâte de répondre à vos questions. Merci.

Le président : Merci, monsieur le commissaire.

Nous invitons maintenant Me Fraser et Me Gray à s’exprimer pendant cinq minutes, puis les sénateurs leur poseront des questions.

Me Jason Fraser, membre, Comité sur les amendements législatifs, Association canadienne des chefs de police : Merci, monsieur le président et chers membres du comité. Au nom du chef Danny Smyth, président de l’Association canadienne des chefs de police, nous sommes heureux d’avoir l’occasion de vous rencontrer aujourd’hui. Je m’appelle Jason Fraser. Je suis avocat général du Service de police régionale de York et je suis accompagné de la surintendante d’état-major Pauline Gray, du Service de police de Toronto. Nous représentons l’Association canadienne des chefs de police en tant que membres de son Comité sur les amendements législatifs.

L’Association canadienne des chefs de police accueille favorablement et soutient le projet de loi C-48 et la réforme du système canadien de libération sous caution. Les modifications proposées répondent à de nombreux appels à l’action lancés par les dirigeants de la police qui remontent — comme l’a déjà indiqué le commissaire Carrique — à une résolution de l’Association canadienne des chefs de police de 2008 qui demandait au gouvernement fédéral d’inverser le fardeau de la preuve pour les récidivistes qui demandent une libération sous caution. Cette année, l’Association canadienne des chefs de police a adopté une nouvelle résolution qui préconise la réforme de la libération sous caution et des dispositions relatives aux armes à feu, afin de soutenir la sécurité de la communauté.

L’Association canadienne des chefs de police reconnaît que le droit fondamental à un cautionnement raisonnable est essentiel à la présomption d’innocence protégée par la Charte. Dans la plupart des cas, c’est à la Couronne qu’il incombe d’établir la raison pour laquelle un accusé devrait être détenu en attendant son procès.

Néanmoins, tout système de cautionnement raisonnable doit tenir compte de la sécurité publique. Après tout, la libération sous caution est fondamentalement un outil de gestion des risques. Un régime de libération sous caution bien conçu doit tenir compte du risque de fuite d’un accusé, du risque qu’il représente pour la sécurité publique et du risque de miner la confiance dans le système judiciaire. Il y aura nécessairement des circonstances dans lesquelles le fardeau de la preuve devra être inversé et l’accusé devra décrire les raisons pour lesquelles il devrait être libéré.

Me Pauline Gray, membre, Comité sur les amendements législatifs, Association canadienne des chefs de police : En ce qui concerne les infractions liées aux armes à feu, nous soutenons sans réserve la nouvelle inversion du fardeau de la preuve proposée pour les infractions supplémentaires liées aux armes à feu, y compris la possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte. Bien que les causes profondes de la violence liée aux armes et aux gangs soient complexes et dépassent largement la réforme de la libération sous caution, il est important de réfléchir aux effets que cette réforme pourrait avoir sur l’endiguement de la vague de violence armée, en particulier dans les centres urbains comme Toronto.

Par exemple, à Toronto en 2021, 772 personnes ont été libérées sous caution après avoir été accusées d’infractions liées à des armes à feu. Parmi elles, 165 personnes ont été arrêtées de nouveau alors qu’elles étaient en liberté sous caution pour des accusations liées à des armes à feu. De ce nombre, 60 % ont été de nouveau arrêtées pour des accusations liées aux armes à feu, et 50 % de ces personnes ont été de nouveau libérées sous caution. En 2022, 754 personnes ont été libérées sous caution après avoir été accusées d’infractions liées à des armes à feu. Parmi elles, 89 personnes ont été arrêtées à nouveau alors qu’elles étaient en liberté sous caution après avoir été accusées d’une infraction liée à des armes à feu. De ce nombre, 47 % ont été arrêtées à nouveau pour une infraction liée à des armes à feu, et 71 % de ces personnes ont été libérées à nouveau sous caution.

Pour ce qui est de la violence entre partenaires intimes, de nombreuses municipalités au Canada, y compris Toronto et la région de York, ont déclaré que la violence entre partenaires intimes était une épidémie. Nous saluons donc les efforts du gouvernement visant à élargir, par l’entremise du projet de loi C-75, la disposition relative à l’inversion du fardeau de la preuve aux infractions liées à la violence entre partenaires intimes, en appliquant cette disposition aux accusés qui ont précédemment reçu une absolution sous condition ou inconditionnelle pour des infractions liées à la violence entre partenaires intimes. Nous recommandons que les amendements du projet de loi C-48 relatifs à la violence entre partenaires intimes soient précisés afin de garantir que l’inversion du fardeau de la preuve s’applique également aux actes antérieurs de violence psychologique, y compris la distribution criminelle d’images intimes, le harcèlement criminel et l’extorsion.

Me Fraser : En ce qui concerne les récidivistes violents, l’Association canadienne des chefs de police soutient la création d’une inversion du fardeau de la preuve. Cependant, nous estimons que la classification proposée pour les récidivistes violents est trop restrictive. En limitant l’inversion du fardeau de la preuve aux infractions violentes commises avec une arme, le projet de loi C-48 ne tient pas compte du risque que posent les délinquants qui infligent une violence réelle à leurs victimes sans utiliser d’arme. Par exemple, en 2022, un homme s’est introduit dans la maison d’une femme âgée dans la région de York et l’a violemment agressée sexuellement et étouffée. Il était en liberté sous caution au moment de l’infraction. Cette infraction ne serait pas couverte par les dispositions du projet de loi C-48 relatives à l’inversion du fardeau de la preuve liées à la mise en liberté sous caution, car le délinquant n’a pas utilisé d’arme, et pourtant l’infraction présentait un niveau de violence qui choque la conscience de nos communautés. Nous recommandons que l’inversion du fardeau de la preuve proposée soit élargie pour inclure les infractions violentes dans le cadre desquelles aucune arme n’est utilisée.

Nous recommandons également l’apport des précisions ou éclaircissements suivants concernant l’inversion du fardeau de la preuve pour les infractions violentes :

Un : il ne devrait pas y avoir de limite de cinq ans relativement à l’examen des condamnations antérieures. Une telle limite ne tient pas compte de la période d’incarcération du contrevenant résultant d’une condamnation antérieure. Elle ne tient pas compte non plus de la gravité objective, par exemple, de l’usage d’une arme à feu lors d’un délit, laquelle est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans, ni de la dangerosité d’un accusé qui commettrait une seconde infraction de cette nature.

Deux : une infraction mixte passible d’une peine d’emprisonnement d’une durée de 10 ans ou plus devrait pouvoir être prise en considération, et ce, sans égard au choix des procureurs de la Couronne de procéder par mise en accusation ou par voie de déclaration sommaire de culpabilité.

Trois : le renversement du fardeau de la preuve pour un accusé qui commet une infraction alors qu’il se trouve en libération sous caution assujettie à une clause d’interdiction de port d’armes, devrait être élargi pour inclure un accusé qui commet une infraction alors qu’il fait l’objet d’un engagement envers un policier lui interdisant de posséder des armes.

Pour conclure, la violence au sein de notre société est un enjeu complexe qui ne saurait être résolu par la seule réforme du système de la mise en liberté sous caution. Toutefois, à titre de chefs de police, nous considérons le projet de loi C-48 comme une étape importante pour remédier à l’impact des récidivistes violents sur la sécurité de la population canadienne et sur sa confiance envers notre système de justice.

Nous vous remercions de nous avoir offert l’occasion d’exprimer notre soutien à cet important projet de loi, et nous serons ravis de répondre à toutes vos questions. Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie pour vos présentations.

Nous allons maintenant céder la parole aux sénateurs pour leurs questions, en commençant par le vice-président, le sénateur Boisvenu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Encore une fois, je remercie nos témoins.

Ma première question s’adresse à vous, monsieur Carrique. Encore une fois, merci pour votre témoignage. Ma question est d’ordre général.

On sait que toutes les provinces canadiennes ont réclamé une réforme en profondeur de la mise en liberté sous condition. Croyez-vous que le projet de loi C-48 est une réforme en profondeur? Est-ce qu’il va assez loin pour répondre à vos besoins et à la sécurité de la population?

[Traduction]

M. Carrique : Je vous remercie pour la question, sénateur.

Je crois en effet que le projet de loi C-48, qui porte sur la réforme des libérations sous caution, est suffisant pour répondre aux nombreuses préoccupations légitimes de la population canadienne et des membres des forces de l’ordre. J’ajouterais que les suggestions formulées par M. Fraser, si elles sont appliquées, permettraient d’améliorer le projet de loi dans sa forme actuelle.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : M. Carrique dit que le projet de loi va assez loin, mais vous dites que le projet de loi ne va pas assez loin, parce que vous auriez notamment souhaité que l’on y inclue la violence conjugale. On sait qu’il y a beaucoup de récidives sur le plan de la violence conjugale et que les hommes agresseurs vont souvent faire plusieurs victimes.

Maître Fraser, partagez-vous le point de vue de M. Carrique selon lequel ce projet de loi va assez loin? Est-ce qu’il ne devrait pas inclure la violence conjugale et la récidive dans un contexte de violence conjugale?

[Traduction]

Me Fraser : Je partage l’avis du commissaire Carrique. En effet, le projet de loi aborde plusieurs enjeux mis de l’avant par nos chefs de police depuis 2008. Je conçois moi aussi le système de mise en liberté sous caution comme une sorte de microcosme du système de justice pénale. Ce système étant très complexe, nous ne pouvons pas nous attendre à des changements révolutionnaires du jour au lendemain. Nous sommes donc conscients que le changement se fera progressivement, et l’ACCP continuera de plaider en faveur d’une réforme progressive du système de mise en liberté sous caution. Nous souhaitons nous aussi que la mise en liberté sous caution soit pensée sous l’angle de la sécurité publique et, plus spécifiquement, de la sécurité des victimes de violence entre partenaires intimes. Nous constatons hélas que trop de victimes subissent à la fois de la violence physique et de la violence psychologique, qui est tout aussi dommageable.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Le système de justice est un gros paquebot qui peut bouger lentement sur l’océan de la justice. Cependant, la violence conjugale, qui est endémique au Canada, est un problème réel et actuel. Faut-il attendre encore cinq ans pour intervenir, ou ne devrait-on pas modifier ce projet de loi pour y inclure également la violence conjugale?

[Traduction]

Me Fraser : Je vous remercie, sénateur.

Je suis d’accord, et c’est d’ailleurs l’une des recommandations que nous avons présentées sous forme d’amendement au projet de loi. Nous voulons nous assurer de nous attaquer aux manifestations de violence tant physique que psychologique entre partenaires intimes. Nous sommes d’avis qu’il s’agit d’une mesure importante visant à renforcer la sécurité de la population canadienne. À titre d’exemple, des dirigeants locaux partout au Canada se disent préoccupés par ce qu’ils qualifient d’épidémie de violence. On parle notamment de Toronto, où travaille la Surintendante d’état-major Gray, ainsi que ma région, York. La réforme du système de mise en liberté sous caution représente un volet du problème, mais nous devons adopter une approche holistique à l’échelle nationale.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup, messieurs et madame.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Je tiens à remercier tous nos témoins pour leur contribution aujourd’hui. Je voudrais également mentionner au commissaire Carrique que l’histoire dont il a parlé, et qui a suscité l’indignation de la population est un exemple flagrant des ratés du système de justice. Je suis tout à fait d’accord avec son analyse de la situation. Cela m’amène néanmoins à poser les questions suivantes.

Si l’on examine les chiffres fournis par la Surintendante d’état-major Gray, 772 contrevenants arrêtés pour des infractions en lien avec une arme à feu ont été libérés sous caution, et 165 d’entre eux ont été arrêtés de nouveau. Certains de ces contrevenants en étaient peut-être à leur troisième ou quatrième arrestation, comme ce fut le cas dans l’horrible récit que nous a rapporté le commissaire Carrique. Il n’en reste pas moins que plus de 600 contrevenants semblent avoir respecté les conditions de leur mise en liberté sous caution, et ont donc été libérés à juste titre. Nous ne devons donc pas négliger cet état des faits, et être conscients du poids porté par ces 600 individus en cas de renversement du fardeau de la preuve.

En fin de compte, et comme l’un de vous l’a si bien dit, le processus de mise en liberté sous caution est un outil de gestion des risques. Le juge et le jury, censés connaître la loi, sont amenés à déterminer, sur la base de la preuve présentée par la Couronne et l’avocat de la défense, si la libération sous caution d’un contrevenant représente un quelconque risque pour la sécurité publique, auquel cas le contrevenant devrait être maintenu en détention.

Pensez-vous que le renversement du fardeau de la preuve dans ce genre de cas aurait amélioré l’issue? Je suppose que dans l’horrible affaire à laquelle vous avez fait référence, monsieur le commissaire, le procureur de la Couronne s’était opposé en deuxième et troisième instances à la libération sous caution du contrevenant? L’individu a ensuite été appelé à comparaître pour une cinquième fois, toujours en vertu d’accessions liées au port d’une arme à feu. Je suis persuadé que le procureur de la Couronne a refusé toute mise en liberté sous caution. Êtes-vous d’avis qu’en cas de renversement du fardeau de la preuve, les 600 contrevenants dont je viens de parler pourraient se voir imposer un fardeau injuste?

M. Carrique : Je vous remercie, sénateur.

Si vous n’y voyez pas d’objections, j’aimerais d’abord aborder la question du risque lié à l’imposition d’un fardeau injuste. Selon moi, la portée du projet de loi dont il est question est raisonnable, et je ne pense pas que les contrevenants risquent d’être désavantagés de manière injuste. Il est question d’un sous-ensemble très restreint de contrevenants, qu’il sera désormais possible de catégoriser comme récidivistes violents s’ils présentent un risque élevé de danger pour la population.

Le renversement du fardeau de la preuve n’aurait pas empêché un drame comme celui qui a éclaté le 27 décembre. Je rappelle par ailleurs que l’accusé était placé en détention à ce moment-là, puis a bénéficié d’une mise en liberté provisoire. Toutefois, je pense que le fait de bien définir ce qu’est un récidiviste violent contribuera à mieux orienter la prise de décisions. Je crois également que le fait de devoir consigner publiquement les considérations relatives à la revictimisation et à la sécurité de la population, et de montrer comment ces considérations ont été prises de manière réfléchie, entraînera des changements positifs. J’ose espérer que cela nous permettra d’éviter d’autres blessés graves et d’autres décès.

Le sénateur Dalphond : Madame Gray, un bref commentaire?

Me Gray : Je suis d’accord avec les propos du commissaire, et je tiens par ailleurs à préciser que le projet de loi, sous sa forme actuelle, porte sur un groupe très restreint d’individus, les récidivistes violents.

Le président : Chers collègues, comme il ne nous reste que 21 minutes et que six intervenants doivent prendre la parole, je vous demanderais de poser des questions très précises.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous les trois d’être présents.

Monsieur le commissaire, ce que vous avez dit à propos de la perte tragique de policiers et de policières dévoués se reflète partout au pays. À Vancouver, nous venons tout juste d’être endeuillés par la mort d’un policier, un père de famille dévoué. Nous souhaitons ainsi vous présenter nos condoléances pour ce terrible drame, à vous et aux forces policières que vous représentez.

Monsieur le commissaire, outre ce que vous avez rapporté aujourd’hui, je suis avant tout préoccupée par le fait que l’adoption de ce projet de loi ne va pas empêcher d’autres situations tragiques de se reproduire. Le projet de loi vise certes à répondre à certaines inquiétudes au sein de la population canadienne, mais ne va pas régler les problèmes de surpeuplement dans les centres de détention provisoire et dans les prisons. Le projet de loi ne va pas non plus s’attaquer à la surreprésentation des Autochtones, des Noirs et des personnes marginalisées au sein du système carcéral. J’aimerais donc savoir ce que vous pensez du renversement du fardeau de la preuve, et de la situation en général?

M. Carrique : Sénatrice, je vous remercie pour vos condoléances, et pour l’inquiétude que vous avez exprimée par rapport à l’année sans précédent qu’ont vécue nos forces de l’ordre. Depuis septembre 2022, 13 policiers ont été tués dans l’exercice de leurs fonctions, et un certain nombre d’entre eux ont été carrément assassinés.

Je suis d’accord pour dire que nous devons toujours demeurer attentifs aux questions de surpeuplement au sein des prisons, aux autres conséquences imprévues des changements que nous apportons. Comme l’a si bien dit Me Fraser, nous devons adopter une approche holistique, et je pense à cet effet que le projet de loi C-48 aura un effet d’entraînement positif. Tout changement commence par un geste intentionnel visant à améliorer la sécurité pour nous tous, mais nous devons également prendre en compte d’autres éléments de manière continue. Chacun d’entre nous a un rôle à jouer pour entraîner des changements bénéfiques.

Pour conclure, je crois que les changements amenés par le projet de loi C-48 vont renforcer la sécurité de la population canadienne. Il s’agit de peser le pour et le contre, et d’atténuer les risques que posent une catégorie très restreinte de récidivistes violents qui doivent être incarcérés en attente de leur procès.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie, commissaire.

La sénatrice Simons : Les témoignages aujourd’hui me rappellent une histoire tragique que j’ai couverte à l’époque où j’étais chroniqueuse au Edmonton Journal, à savoir le meurtre de David Wynn et l’assaut contre Derek Bond. Tous deux étaient des agents de la GRC qui ont été assaillis par Shawn Rehn, un contrevenant qui avait été libéré sous caution.

À l’époque, le gouvernement de l’Alberta a mené une enquête approfondie sur ces événements. L’enquête a fait ressortir le fait qu’au moment où M. Rehn s’est présenté à l’audience de mise en liberté sous caution, aucun procureur de la Couronne n’était présent. C’est plutôt un policier qui a dû mener l’enquête sur la mise en liberté sous caution, laquelle s’est avérée extrêmement superficielle. Il faut dire que le policier n’avait pas réussi à obtenir l’accès aux renseignements détaillés contenus dans le dossier de M. Rehn, si je me souviens bien. Aucun membre du bureau du procureur de la Couronne ne s’était présenté pour exiger la détention provisoire de l’accusé. Je me rappelle avoir été très choquée d’apprendre ce fait, et je me suis fait un devoir de rapporter que très peu de demandes de mise en liberté sous caution étaient traitées par des avocats. À l’époque, seuls 7 à 10 % des accusés étaient représentés par un avocat.

Je me demande si nous n’utilisons pas le mauvais outil pour aborder un problème systémique plus sérieux, et si notre système de mise en liberté sous caution n’est pas lui-même dysfonctionnel. Savez-vous s’il existe encore des provinces ou des territoires où des policiers sont amenés à remplacer les procureurs de la Couronne pour traiter des demandes de mise en liberté sous caution? Savez-vous si l’information circule de manière suffisamment transparente pour que les juges de la paix qui statuent sur les audiences de mise en liberté sous caution comprennent réellement le dossier de l’individu auquel ils ont affaire, ou s’ils sont laissés dans le noir?

M. Carrique : Sénatrice, à ma connaissance, il n’existe pas en Ontario de juridictions où des policiers doivent eux-mêmes présenter directement les dossiers de mise en liberté sous caution à un juge. Je suis responsable du maintien de l’ordre dans près de 350 municipalités en Ontario, et je peux vous assurer que dans chacune d’entre elles, les audiences de mise en liberté sous caution sont dirigées par les procureurs de la Couronne. Cela dit, il est possible que la situation que vous avez décrite se soit déjà produite dans une municipalité, mais je n’en ai pas eu connaissance.

À mon avis, il faut permettre aux autres provinces et territoires d’étudier les pratiques exemplaires qui ont lieu en Ontario, et vice-versa; c’est une question de bonne communication. Le gouvernement ontarien a récemment investi environ 112 millions de dollars dans son système de justice, notamment dans la formation de procureurs spécialisés dans le processus de mise en liberté sous caution. Je peux également vous dire que la surintendante d’état-major Gray, qui travaille au sein du Service de police de Toronto, a fait preuve de leadership en mandatant des policiers à travailler de concert avec les procureurs de la Couronne. La collaboration entre policiers et procureurs permet une collecte de données plus efficace, ainsi qu’une meilleure prise de décisions.

Me Fraser : Je vous remercie de votre question, sénatrice.

J’ajouterai que je partage vos préoccupations et celles qui ont été exprimées par le groupe de témoins précédent à propos des ressources dont nous avons besoin pour accroître l’efficacité des tribunaux. Les retards dans l’administration de la justice n’aident personne. Ils n’aident ni l’accusé, ni la victime, ni la collectivité. Cela vaut également pour la justice différée à l’étape de la mise en liberté sous caution. Les ressources qui sont investies, comme l’a indiqué le commissaire Carrique, constituent une étape importante. Le projet de loi C-48 est, en soi, une étape importante, mais il ne peut s’agir d’une mesure en vase clos. Ce projet de loi doit être jumelé à un processus qui permettra aux gens d’obtenir une audience pour mise en liberté sous caution en temps opportun. Sinon, la justice écopera dans l’ensemble du système.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question s’adresse à tous les témoins.

Monsieur le commissaire, je tiens à dire que je suis également très sensible à ce qui est arrivé à un membre de la force policière chez vous.

Ma question est la suivante. Selon vous, est-ce que le projet de loi C-48 concerne les personnes qui prennent les décisions? Si je comprends bien, le système actuel ne fonctionne pas, étant donné qu’il permet de remettre en liberté des délinquants qui sont violents et qui utilisent des armes à feu.

Sommes-nous en train de dire que ceux qui décident actuellement de la remise en liberté n’assurent pas adéquatement la sécurité publique? Doit-on modifier la loi pour fournir des directives à ceux-ci, sous forme de renversement du fardeau de la preuve, afin qu’ils soient mieux encadrés, parce qu’ils ne répondent pas aux préoccupations des citoyens et des forces policières sur le plan du maintien de la sécurité publique?

[Traduction]

M. Carrique : Je vous remercie, sénatrice.

Je suis d’accord avec vos commentaires. Ce projet de loi est absolument essentiel parce qu’il fournit le cadre nécessaire à la prise de décisions qui correspondent aux attentes des Canadiens, qui veulent vivre dans une société sûre.

Me Fraser : Sénatrice, je suis du même avis.

La résolution la plus récente de l’Association canadienne des chefs de police prévoit notamment que les audiences sur la mise en liberté sous caution pour les infractions les plus graves commises avec des armes à feu devraient être entendues par un juge plutôt que par un juge de paix, afin de disposer d’une plus grande expertise lorsqu’il s’agit de traiter de questions aussi complexes.

J’aimerais revenir sur certains commentaires qui ont été formulés par Me Bytensky plus tôt. L’inversion du fardeau de la preuve ne doit pas être un simple geste symbolique. Cela serait préoccupant. L’inversion du fardeau de la preuve doit avoir un sens. J’espère qu’en exigeant du juge qui préside l’audience qu’il donne les raisons pour lesquelles une décision a été prise dans un sens ou dans l’autre fera valoir que l’inversion du fardeau de la preuve n’est pas qu’une marque que l’on appose sur un dossier. Il est important de reconnaître que, dans la plupart des cas, c’est à l’État qu’il revient de justifier les raisons pour lesquelles une personne sera libérée. Toutefois, dans des circonstances particulières, c’est à l’accusé qu’il incombe d’expliquer pourquoi il devrait être libéré. L’inversion du fardeau de la preuve doit être plus qu’un simple geste symbolique.

La sénatrice Pate : Je remercie les témoins de leur présence.

Il arrive souvent que nous ayons des décisions difficiles à prendre compte tenu des violences horribles subies par les victimes et d’une charge émotive très importante.

Mes questions s’adressent aux trois témoins. Vous avez donné des exemples qui montrent qu’il ne s’agit que d’un facteur parmi d’autres qui doit être pris en compte. Lorsque j’ai travaillé avec la GRC et avec la police de Calgary — lorsque j’étais en Alberta —, les agents de police d’expérience et les membres de la direction disaient souvent qu’avec les « repris de justice dangereux », comme ils les appelaient à l’époque, il ne fallait pas uniquement entamer une démarche juridique, imposer des sanctions et prononcer des peines d’emprisonnement. Ils disaient qu’il fallait adopter une approche globale. L’organisme avec lequel je travaillais a été invité à fournir des logements, des services de santé et des mesures de soutien économique et social dans le cadre de cette approche, ce qui m’a permis d’en apprendre davantage.

À ce moment-ci de notre étude, aucune recommandation en ce sens n’a encore été présentée, ce qui inquiète bon nombre d’entre nous, bien franchement. Je trouve qu’il est très préoccupant de prétendre que ce que nous proposons nous permettra réellement de résoudre les problèmes qui existent, alors que nous savons que les sans-abri, les personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale ou qui sont racisées sont surreprésentés. Nous ne sommes pas en train de renforcer les capacités au sein du système.

Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Vous avez tous dit que nous avons besoin de mesures de soutien supplémentaires. Quels sont les efforts déployés, à votre connaissance, pour combler ces lacunes?

M. Carrique : Je vous remercie, sénatrice.

Bon nombre de provinces et de territoires disposent d’un système très solide qui permet d’assurer la sécurité et le bien-être des collectivités. De fait, en Ontario, chaque municipalité est tenue par la Loi sur les services policiers de se doter d’un plan communautaire en matière de sécurité et de mieux-être qui précise que la sûreté des collectivités ne dépend pas seulement des forces policières et de l’application de la loi. La sécurité du public dépend aussi du logement, de l’éducation et des services de santé. À l’aide de ces éléments, nous pouvons créer un environnement plus sûr et favoriser la réhabilitation et la prévention. Il est nécessaire de prendre un engagement ferme envers ces responsabilités.

Comme l’a dit Me Fraser, le projet de loi C-48 ne peut être adopté en vase clos. Je pense toutefois qu’il doit être adopté. Il ouvrira la voie et créera un précédent, et il montrera aux Canadiens ce qui compte pour nous au Canada. Je crois sincèrement que d’autres initiatives intéressantes découleront de ce projet de loi.

La sénatrice Batters : J’aimerais remercier les témoins de leur présence et de leur service envers les Canadiens. Je vous remercie de veiller à notre sécurité au quotidien.

Je m’adresse au commissaire Carrique. Vous avez parlé du terrible meurtre de l’agent de la Police provinciale de l’Ontario, Greg Pierzchala. Pensez-vous que les dispositions du projet de loi C-48 auraient pu — si le prévenu était resté en prison — empêcher la libération sous caution du meurtrier de l’agent Pierzchala? Si ce n’est pas le cas, cela ne met-il pas en lumière des lacunes importantes dans ce projet de loi que nous pourrions, peut-être, corriger?

M. Carrique : Je vous remercie de votre question, sénatrice.

Je crois sincèrement que ce projet de loi, s’il avait été mis en œuvre comme on le prévoit, aurait permis d’éviter la mort de l’agent Greg Pierzchala. Randall McKenzie peut être défini comme un récidiviste violent, et les exigences qui auraient été imposées au système de justice à l’époque auraient, je pense, empêché sa libération et donc évité la mort de l’agent.

La sénatrice Batters : Je suis heureuse d’entendre cela. Il s’agit d’un cas qui pourrait correspondre à cette définition assez restreinte, alors je suis heureuse d’entendre cela. Je vous remercie.

Ma prochaine question s’adresse aux représentants de l’Association canadienne des chefs de police, Me Gray et Me Fraser. Maître Gray, lorsque vous avez fait votre déclaration, j’aurais aimé vous donner un peu plus de temps pour que vous nous parliez des amendements que vous aimeriez apporter au projet de loi C-48 pour renforcer les dispositions relatives à la violence interpersonnelle. S’il reste du temps — vous pourrez peut-être aussi nous envoyer des renseignements plus tard —, pourriez-vous nous parler de la limite de cinq ans qu’établit le projet de loi C-48 pour ce qui est de la prise en compte des condamnations dans l’inversion du fardeau de la preuve? Cela concerne peut-être davantage Me Fraser. Mais dans le peu de temps qu’il nous reste, aimeriez-vous ajouter quelque chose? Vous pourriez aussi nous envoyer d’autres renseignements plus tard.

Me Gray : J’aimerais aborder quelques questions à propos de la violence entre partenaires intimes, et plus particulièrement en ce qui concerne les mises en accusation doubles dont a parlé Me Big Canoe. Je ne suis pas en désaccord. Les services de police ont reçu et continuent de recevoir de nombreuses formations qui portent sur l’agresseur. Mais soyons clairs : nous parlons de mise en liberté sous caution. Il y a une accusation. Le problème se pose avant que nous n’arrivions au tribunal pour l’audience sur la libération sous caution. Il s’agit de deux questions différentes.

Pour ce qui est de la violence entre partenaires intimes, la mise en liberté sous caution doit prendre en compte des questions particulières et différentes des cas où des armes à feu sont en jeu. Chaque fois qu’un prévenu dans une situation de violence entre partenaires intimes récidive ou viole sa mise en liberté sous caution, il devient de plus en plus dangereux pour sa victime. Il ne s’agit pas seulement de se demander si le prévenu respectera la loi ou restera chez lui après 21 heures. Il est question d’un comportement qui devient de plus en plus dangereux. Il a été démontré à maintes reprises que plus le comportement de l’agresseur s’aggrave, plus la victime risque de perdre la vie aux mains de son agresseur.

La sénatrice Batters : Maître Fraser, aimeriez-vous ajouter quelque chose à propos de cette limite de cinq ans pour les condamnations?

Me Fraser : Je vous remercie de votre question, sénatrice.

Lorsque nous parlons de délinquants violents dangereux, nous parlons d’un petit sous-groupe de la population qui cause énormément de torts, et dans certains cas, ces délinquants sont condamnés à de longues peines d’emprisonnement, pour ensuite être libérés et récidiver. La limite de cinq ans créerait une situation où quelqu’un pourrait passer cinq ans en prison puis sortir, et cette infraction ne serait pas visée par cette disposition.

Les tribunaux utilisent déjà le casier judiciaire d’un individu comme l’un des facteurs aggravants ou atténuants dans la détermination de la peine. Les tribunaux examineront s’il s’agit d’infractions récentes ou si le casier judiciaire de l’individu est incomplet ou plutôt vieux. Il est évident que cela aura une incidence sur le poids qui sera accordé au casier judiciaire. Ces mêmes facteurs pourraient être pris en compte.

Avec cette limite arbitraire de cinq ans, nous courrons le risque de ne pas viser les infractions mêmes que nous voulons inclure.

La sénatrice Clement : Je vous remercie de votre travail. Je vous remercie du fond du cœur. Les dernières années ont été horribles et vous êtes toujours là. Vous continuez à accomplir votre travail, et nous vous en sommes reconnaissants.

J’aimerais revenir aux questions qui ont été posées par la sénatrice Pate. Dans le dernier groupe de témoins, nous avons entendu Me Bytensky dire que nous ne pouvons pas assurer la sécurité publique uniquement avec des peines d’emprisonnement. Nous avons entendu des témoins souligner l’existence d’études qui ont mis en lumière les conséquences disproportionnées de la détention provisoire sur les groupes marginalisés. En quoi le racisme envers les personnes marginalisées et les autres formes de discrimination influencent-ils le processus de libération sous caution? Ma question s’adresse à vous, maître Gray, car dans votre déclaration préliminaire, vous avez parlé de la complexité de la question.

Me Gray : Je vous remercie de votre question.

Pour répondre à la remarque du commissaire, il ne peut s’agir que de cela. Nous avons à cœur la sûreté et le bien-être des collectivités. C’est ce que nous croyons à l’Association canadienne des chefs de police. Nous avons même intégré dans notre travail des stratégies de retrait des gangs et des programmes de lutte contre la violence entre partenaires intimes.

Je tiens à souligner que, oui, bien que je ne sois pas en désaccord avec ce qu’ont dit les témoins précédents, les collectivités les plus touchées par les crimes commis avec des armes à feu sont aussi des collectivités marginalisées. Les mesures contenues dans ce projet de loi rendront ces collectivités plus sûres. Une fois que les mesures de soutien communautaire seront en place, les collectivités pourront se relever, et les personnes qui sont incarcérées en raison de ces crimes resteront en prison.

Le président : Nous n’avons pas assez de temps pour une deuxième série de questions. Nous avons tous d’autres engagements bientôt.

Avant de lever la séance, j’aimerais remercier sincèrement les témoins qui ont participé à cette réunion. Je sais que vous avez des collègues qui ont souffert et qui ont perdu la vie alors qu’ils servaient les Canadiens. Vos témoignages sont très importants pour notre comité. J’aimerais surtout vous remercier, commissaire Carrique, de vous être joint à nous aujourd’hui et de nous avoir réservé du temps dans votre horaire chargé. Maîtres Fraser et Gray, je vous remercie de vos témoignages. Merci d’avoir répondu à nos questions.

M. Tom Stamatakis qui est le représentant et le président de l’Association canadienne des policiers n’a pu participer à notre réunion en raison de problèmes d’ordre technique. Il est dans une région éloignée et il ne dispose pas d’un casque d’écoute qui fonctionne. Il va nous envoyer un mémoire dans quelques jours.

Nous reprendrons notre étude de ce projet de loi mercredi prochain. Je vous remercie.

(La séance est levée.)

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