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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 5 octobre 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution).

Le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Je m’appelle Pierre-Hugues Boisvenu, sénateur du Québec et vice-président de ce comité. J’invite mes collègues à se présenter.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, Alberta.

Le sénateur Arnot : David Arnot, de la Saskatchewan. Je remplace la sénatrice Dupuis ce matin.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate, du territoire non cédé et non abandonné du peuple algonquin anishinabe de l’Ontario.

La sénatrice Simons : Paula Simons, Alberta, territoire du Traité no 6.

La sénatrice Jaffer : Bienvenue, madame la ministre. Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le vice-président : Honorables sénateurs, nous nous réunissons aujourd’hui afin de poursuivre notre étude du projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme de la mise en liberté sous caution).

Pour notre premier groupe de témoins, notre comité est heureux d’accueillir, par vidéoconférence, l’honorable Niki Sharma, c.r., députée, procureure générale de la Colombie-Britannique.

Bienvenue, madame Sharma, et merci d’être parmi nous ce matin. Nous commencerons la réunion par vos remarques préliminaires.

Vous avez la parole.

[Traduction]

L’honorable Niki Sharma, c.r., députée, procureure générale de la Colombie-Britannique : Merci beaucoup, et bonjour à tous. Je m’adresse à vous depuis les territoires traditionnels des peuples de langue Lkwungen, notamment les Songhees, les Esquimalt et les W̱sáneć. Je suis heureuse de me joindre à vous aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution).

Le projet de loi C-48 reflète le souhait qu’a la Colombie-Britannique d’élargir les dispositions relatives au renversement du fardeau de la preuve visant à renforcer l’imputabilité des délinquants qui commettent des crimes graves avec violence en rendant plus difficile leur mise en liberté sous caution. À notre avis, les gens méritent de se sentir en sécurité là où ils résident. Des collectivités de partout au Canada ont exprimé leurs préoccupations face à la récidive de crimes violents. En fait, le texte que vous avez devant vous aujourd’hui est appuyé par les procureurs généraux de tout le pays et découle du travail effectué lors de deux réunions FTP et de nombreux groupes de travail des services des poursuites partout au pays.

Quant à la sécurité des collectivités, je vais présenter brièvement l’approche de la Colombie-Britannique. Nous avons lancé un plan d’action pour des collectivités plus sécuritaires. C’est une approche globale de sécurité communautaire. Ce plan comporte de nombreux volets. Il comprend des investissements en santé mentale ainsi que dans la lutte contre la toxicomanie et dans l’application de meilleurs systèmes de justice, comme la mise en liberté sous caution virtuelle et l’initiative sur les récidivistes violents. Cette initiative est une approche novatrice visant à réduire les cas de récidive avec violence. Les avocats de la Couronne collaborent avec les agents de probation et avec les services de police. Les dossiers des délinquants les plus violents leur sont envoyés afin qu’ils collaborent de façon interfonctionnelle pour élaborer un plan et pour obtenir plus de renseignements s’ils envisagent de détenir le délinquant afin d’éviter les préjudices qu’il pourrait causer dans les collectivités. Cette initiative est en cours depuis près de quatre mois et, jusqu’à maintenant, elle s’est avérée très efficace.

Dans le cadre du travail que nous effectuons pour renforcer la sécurité des collectivités, nous voyons la nécessité d’apporter des modifications législatives ciblées au régime de mise en liberté sous caution. Les modifications proposées dans le projet de loi C-48 compliqueraient l’obtention d’une libération sous caution pour les délinquants accusés d’infractions particulièrement graves ou répétées commises à l’aide d’une arme à feu et pour les accusés d’actes répétés de violence par un partenaire intime. Les modifications proposées exigeront également que les juges tiennent compte avant toute chose de la sécurité publique en prenant leurs décisions et en imposant des changements pour éviter les préjudices que subirait la collectivité. Ce projet de loi transmet le fardeau de la preuve aux personnes accusées d’infractions graves commises avec violence et aux accusés déjà déclarés coupables d’une infraction sur de mêmes critères au cours des cinq années précédentes. Je tiens à préciser que ces modifications visent ceux qui commettent de façon répétée des crimes violents avec des armes à feu et avec d’autres armes dangereuses comme un couteau et du gaz poivré. Elles pareront également aux risques graves que causent les actes de violence par un partenaire intime.

À mon avis, ces changements sont très importants. J’ai trop entendu parler de personnes vulnérables agressées par un récidiviste violent qui était en liberté sous caution. Il faut que nous modifiions la loi afin de donner à la Couronne et aux tribunaux les pouvoirs nécessaires pour détenir les délinquants qui menacent la sécurité publique. Je trouve que ces modifications équilibrent bien les droits des victimes et des collectivités et les droits juridiques et constitutionnels des accusés. Elles s’ajoutent aux travaux que nous effectuons déjà ici, en Colombie-Britannique, pour briser le cycle de la récidive violente et pour renforcer la sécurité des collectivités.

Je tiens à vous remercier de m’avoir invitée à prendre la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-48 et pour vous présenter l’approche particulière adoptée par la Colombie-Britannique, qui fait de notre province un chef de file dans ce dossier. Merci beaucoup.

[Français]

Le vice-président : Merci beaucoup, madame Sharma, pour votre témoignage.

Je vais maintenant donner la parole aux sénateurs, qui disposeront d’un temps de parole de quatre minutes chacun.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Merci, madame la ministre, de nous avoir consacré de votre temps pour venir nous parler. Nous vous en sommes reconnaissants.

Nous comprenons pourquoi vous appuyez cette initiative, mais lors des réunions précédentes, de nombreux témoins ont souligné le manque de données. Les fonctionnaires du gouvernement fédéral ont expliqué que ce manque est dû au fait que l’administration de la justice relève des provinces. Ce sont elles qui peuvent recueillir ces données. On nous dit aussi que pendant leurs discussions, les représentants des ministères de la Justice et d’Ottawa et les procureurs généraux provinciaux ont décidé de fournir plus de données à l’avenir. Pourriez-vous nous dire si c’est le cas et si d’autres données seront fournies? Quel type de données seront mises à notre disposition pour que nous puissions éventuellement mener un examen approfondi dans trois ou cinq ans? Merci.

Mme Sharma : Je vous remercie pour cette importante question.

Les données causent des inquiétudes. En Colombie-Britannique, nous avons confié cela au bureau des procureurs. Ils les recueillent lorsqu’ils demandent la détention, donc lorsqu’ils évaluent la cause afin de déterminer si l’individu menace la sécurité publique. Ils recueillent des données sur ces causes, comptant le nombre de fois où la détention a été accordée ou refusée. Nous faisons cela depuis cinq mois. Vous avez raison de dire que lors de notre dernière réunion FTP avec des représentants de partout au pays, toutes les provinces ont promis de collaborer pour trouver une façon de rationaliser le type de données à recueillir pour surveiller ces choses.

Cette initiative d’intervention sur la récidive des délinquants violents menée en Colombie-Britannique est très intéressante, parce qu’elle aborde des circonstances très particulières. Elle permet aux procureurs, aux policiers et aux agents de probation de se concentrer sur les récidivistes violents. Nous obtenons ainsi des données très précises, dont nous protégeons la confidentialité, évidemment, mais qui nous indiquent comment ces individus en sont arrivés là et de quelles manières le système est intervenu. Je pense que la Colombie-Britannique en retirera beaucoup d’information intéressante. Il est évident que nous ne pouvons pas divulguer toutes ces données, et nous sommes heureux que les intervenants s’informent les uns les autres.

Le sénateur Dalphond : S’il existe un document particulier qui décrit ce que vous essayez de faire, nous aimerions en recevoir un exemplaire pour le comité. Merci.

Mme Sharma : Certainement.

La sénatrice Jaffer : Merci, madame la ministre, d’avoir pris le temps de nous rencontrer aujourd’hui. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Madame la ministre, la Colombie-Britannique a lancé son plan d’action pour des collectivités plus sécuritaires, qui découle en partie de votre initiative sur les récidivistes violents. Dans quelle mesure cette intervention précoce dans les causes d’individus particuliers aide-t-elle les procureurs à prendre des décisions éclairées en vue de formuler l’accusation, de mener une évaluation et de communiquer ces renseignements à la police et à d’autres organismes? Concrètement, que se passe-t-il sur le terrain?

Mme Sharma : Je vous remercie pour cette question.

D’abord et avant tout, les systèmes collaborent mieux. Même si l’individu voyage d’un bout à l’autre de la province, on peut le retracer. Nous avons donc de meilleurs renseignements non seulement pour la détermination de la peine, mais aussi pour la planification de la libération sous caution.

Je crois que nous avons des centres dans 12 régions de la province, et ils reçoivent des causes des différents systèmes. Nous avons fixé des critères pour déterminer qui sont les récidivistes violents. Au bout de ces quatre mois, nous avons remarqué que ce service fournit de meilleurs renseignements aux procureurs qui demandent la détention, parce que les systèmes collaborent. Le système de justice pénale détient une foule de dossiers et comprend très bien le parcours des délinquants ainsi que les répercussions de leurs actes sur les collectivités. Nous commençons à remarquer que ce service produit de meilleurs résultats autant pour les collectivités que pour les délinquants. Il nous permet d’évaluer ce que nous devons faire pour les empêcher de récidiver.

La sénatrice Jaffer : Quelles conséquences ce programme aura-t-il sur les centres de détention de la Colombie-Britannique et sur leur surpeuplement?

Mme Sharma : Merci pour cette question.

À ce stade-ci, nous investissons dans des ressources qui nous incitent à y réfléchir et à nous concentrer sur ce problème. Il faut que tous les systèmes y collaborent. Je tiens à souligner que l’initiative sur les récidivistes violents applique une approche holistique qui tient compte de ce dont les individus ont besoin pour cesser de récidiver. Parfois, il leur faut une intervention en santé mentale. D’autres fois, il suffit de leur donner les médicaments qu’ils devraient prendre, mais qu’ils ne reçoivent pas. Il arrive aussi que nous devions prolonger l’incarcération, parce que malgré les autres interventions, certains délinquants violents continuent à récidiver. Nous devons protéger le public. Ce service nous aide à mieux comprendre le parcours des individus ainsi que les services dont ils ont besoin.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La sénatrice Simons : Madame la ministre Sharma, dans votre déclaration préliminaire, vous avez utilisé à quelques reprises une expression désignant délibérément les individus qui commettent de multiples infractions avec violence. Je pense que cela va au cœur d’un de mes désaccords au sujet du projet de loi C-48, à savoir que nous présumons avant le procès que ces personnes sont coupables. Nous les pénalisons en fonction d’actions passées qui souvent ne s’insèrent même pas dans un procès criminel. Ces personnes ont été accusées d’avoir commis une infraction avec violence alors que juridiquement, elles ne l’ont pas commise. Je me demande ce que vous pensez, du point de vue des libertés civiles, du fait que nous rendons la mise en liberté sous caution beaucoup plus difficile à obtenir pour certains individus tout simplement parce qu’ils ont commis un crime dans le passé.

Mme Sharma : Merci pour cette question.

À mon avis, ce projet de loi établit un juste équilibre. Bien entendu, vous soulevez de très graves préoccupations au sujet du fondement de notre système de justice, qui présume que les accusés sont innocents jusqu’à preuve du contraire. Mon rôle consiste également à garder à l’esprit la façon dont cela se manifeste dans le système de justice, en particulier dans le système de justice pénale. À notre avis, les modifications proposées établissent un juste équilibre. Elles visent une certaine catégorie de récidivistes violents.

Le Code criminel prévoit des dispositions de renversement du fardeau de la preuve qui permettent à un juge de décider dans certaines circonstances que, pour certains facteurs, un individu ne peut pas être libéré en toute sécurité. Nous pensons qu’il faut simplement renforcer cela. Dans le cas de certaines catégories de crime, notamment la violence par un partenaire intime, cette période est très dangereuse pour la victime. Un grand nombre d’organismes de défense des femmes avec lesquelles nous travaillons soulignent que l’escalade des procédures criminelles accroît le risque pour les victimes de subir des blessures graves. Je suis convaincue que dans des circonstances bien particulières, la détention est préférable à la libération. Dans les cas de crimes qui causent des préjudices dans les collectivités, comme ceux qui sont commis à l’aide d’une arme et comme la violence par un partenaire intime, nous pensons que ce projet de loi établit un bon équilibre.

Dans la collectivité de Vancouver-Est que je représente, j’entends les témoignages de femmes vulnérables, en particulier, qui sont victimes de récidivistes violents en liberté sous caution. C’est un problème dont m’ont parlé les participantes à l’Enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées dans le cadre d’une franche discussion. À mon avis, il y a des circonstances où le système de justice pénale vise plutôt à protéger la collectivité, et cette inversion du fardeau de la preuve en est le reflet.

La sénatrice Simons : Cela m’amène à ma deuxième question. Avant de vous lancer en politique, vous avez beaucoup travaillé avec des peuples autochtones sur des enjeux liés à la réconciliation et à l’indemnisation. Vous inquiétez-vous des répercussions que cela pourrait avoir sur les Autochtones qui sont déjà outrageusement surreprésentés dans notre système carcéral?

Mme Sharma : Merci de me poser la question.

Permettez-moi d’apporter une précision à ce sujet. Dans le cadre de l’approche adoptée en Colombie-Britannique, nous avons mis en place, il y a quelques années, une stratégie de justice autochtone. Nous reconnaissons les torts causés aux Autochtones au sein de notre système de justice. Cette approche comporte deux volets. Le premier consiste à atténuer les préjudices subis et à prendre des mesures pour réduire la surreprésentation des Autochtones dans les prisons. Nous avons ouvert des centres de justice autochtone à la grandeur de la province où les Autochtones aux prises avec le système de justice peuvent obtenir des services juridiques adaptés à leur culture et offerts par des Autochtones, y compris la rédaction de rapports Gladue et toutes les améliorations que nous devons apporter pour aider les Autochtones qui ont des démêlés avec la justice. Le deuxième volet consiste à faire comprendre comment nous mettons en œuvre les ordres juridiques autochtones.

Nous sommes également en train d’élaborer une stratégie de lutte contre le racisme qui s’appliquerait à tous les services gouvernementaux. Comme vous l’avez mentionné, cela faisait partie de mon travail avant d’être élue ici, j’en suis tout à fait consciente. La Colombie-Britannique est fermement engagée à tout faire pour que notre système de justice ne porte pas préjudice aux Autochtones, comme c’était le cas dans le passé.

Le sénateur Arnot : Madame la ministre, il est assez facile de prédire que les pressions vont s’accentuer et qu’il y aura davantage d’enquêtes sur remise en liberté, un besoin accru de ressources judiciaires, notamment de procureurs de la Couronne et de services d’aide juridique, ainsi qu’une capacité accrue de détention avant procès. Êtes-vous et votre ministère prêts à combler rapidement à ces besoins? Selon vous, quel sera le prix à payer pour mettre en œuvre cette nouvelle loi?

J’aimerais aussi savoir quel a été le point de départ de votre plan d’action pour des collectivités plus sécuritaires? C’est une approche stratégique. Quelles sont les attentes et quels sont les résultats attendus? Selon vous, ce modèle pourrait-il s’appliquer au reste du Canada? Savez-vous si d’autres pays ont adopté ce genre de modèle d’intervention active?

Mme Sharma : Je vous remercie pour ces deux questions. Je vais répondre à la première.

Nous pensons toujours aux investissements. Bien entendu, je dois travailler avec le solliciteur général pour le deuxième volet, et je me concentre sur notre travail au Bureau du procureur général.

Nous avons investi pour accroître le nombre d’avocats de la Couronne. Durant des décennies, ici en Colombie-Britannique, nous en avons embauché un nombre record parce que nous voulons avoir les ressources dont nous avons besoin pour relever les défis dont nous avons parlé. Nous avons notamment investi dans l’initiative d’intervention auprès de récidivistes violents. Les investissements visent expressément ce groupe de personnes. Je travaille toujours avec mon collègue, le solliciteur général, pour déterminer les ressources requises de son côté du système de justice. Nous sommes prêts à collaborer avec le gouvernement fédéral pour accroître cet investissement.

Vous soulevez un point très important au sujet de l’aide juridique. Nous remercions le gouvernement fédéral d’avoir accru le financement dans les services d’aide juridique au cours des dernières années, mais nous devons travailler de concert avec le gouvernement fédéral afin de mieux financer l’aide juridique en matière pénale afin que les personnes démunies puissent être représentées devant les tribunaux.

Quant à votre deuxième question concernant le plan d’action pour des collectivités plus sécuritaires, je ne sais pas si d’autres provinces ont adopté cette approche. Nous pensons qu’elle est tout à fait appropriée. Nous avons consulté des experts qui nous ont dit que la criminalité est un enjeu complexe. Les répercussions sur les collectivités, quelle que soit leur forme, sont bien réelles et toutes les villes du Canada sont touchées. Notre approche consiste à nous attaquer à tous les problèmes qui minent le sentiment de sécurité au sein des collectivités, que ce soit en investissant dans les services de santé mentale et de lutte contre les dépendances, ou en apportant des changements à notre système de justice. Nous investissons dans l’initiative d’intervention auprès de récidivistes violents, qui nous aide à comprendre la personne qui commet des actes violents, tout en nous incitant à réfléchir à ce que le système doit faire pour intervenir. Nous investissons également dans les nombreuses ressources que réclament les collectivités, notamment des tables d’intervention. Nous travaillons sur de nombreux dossiers et nous sommes toujours guidés par les besoins exprimés par nos collectivités. Il s’agit cependant d’une approche globale dans laquelle chaque ministère doit s’investir dans le but de rendre les collectivités plus sécuritaires.

Le sénateur Arnot : Merci.

La sénatrice Pate : Je vous remercie, madame la ministre, de vous joindre à nous et pour tout le travail que vous avez accompli dans ce domaine au cours de votre vie.

L’un des points soulevés par d’autres témoins, et qui a été confirmé par le gouvernement, je pense, c’est le fait que le Parlement ne s’est pas appuyé sur des données empiriques lorsqu’il a présenté, dans les années 1970, les dispositions relatives à l’inversion du fardeau de la preuve. Depuis, nous avons constaté, comme vous l’avez fait remarquer, une augmentation exponentielle du nombre de personnes en détention sous caution ou en détention préventive au Canada, en particulier des membres de groupes marginalisés.

Des témoins nous ont également parlé des répercussions préoccupantes que cela aura sur les femmes autochtones en particulier. Je sais que vous avez investi beaucoup d’argent dans la stratégie de justice pour les femmes autochtones en Colombie-Britannique. Comment conciliez-vous cela avec la réalité selon laquelle un nombre croissant de femmes autochtones font l’objet de contre-accusation? Si elles tentent d’éviter les coups à l’aide d’une brosse à cheveux ou d’un ustensile de cuisine, elles risquent d’être contre-accusées et, parfois, de faire l’objet de plusieurs contre-accusations. Selon vous, que faut-il faire pour éviter que ces femmes ne soient pas visées?

Mme Sharma : Je vous remercie pour cette très importante question.

Nous sommes très conscients de ce problème et je pense qu’en Colombie-Britannique, nous faisons les investissements nécessaires pour nous assurer qu’il s’agit d’un processus de freins et contrepoids. Comme je l’ai déjà dit, nous sommes fermement engagés dans la mise en œuvre de notre stratégie de justice autochtone. Nous travaillons avec des groupes autochtones pour comprendre les répercussions du racisme et de la colonisation présents dans le système et, ensuite, pour réparer ces préjudices. Comme vous l’avez mentionné, cela fait partie du travail que nous effectuons dans le cadre de la stratégie de justice pour les femmes autochtones qui est vraiment dirigée par des femmes autochtones. En tant que gouvernement, nous savons que pour régler certains de ces problèmes, nous devons parfois prendre du recul, comprendre ce qui se passe et relever les défis après avoir entendu ce que les femmes autochtones ont à nous dire. Vous soulevez un point très important. C’est un sujet qui me préoccupe et nous cherchons à investir afin d’éviter que cela se produise lorsque le système sera étendu.

Je tiens aussi à ajouter que la raison pour laquelle je suis persuadée que ces modifications sont appropriées, c’est que des personnes de ma communauté ont participé à l’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Elles y ont joué un rôle. Lorsque nous parlons d’une catégorie particulière de récidivistes violents qui ont commis des actes de violence conjugale, il est nécessaire d’assurer une protection afin de les empêcher de continuer à faire souffrir les personnes les plus vulnérables de nos collectivités.

Nous devons trouver un équilibre et bien cerner les défis auxquels est confronté le système de justice, notamment ceux que vous venez de signaler.

La sénatrice Pate : Si nous obtenons des données probantes indiquant que la situation n’a fait qu’empirer depuis les années 1970, accepteriez-vous de montrer la voie aux provinces pour les inciter à changer les choses? Demanderiez-vous au gouvernement fédéral d’abroger cette politique?

Mme Sharma : Oui. Si nous constatons que la situation fait plus de tort que de bien aux collectivités, je pense qu’il est de mon devoir d’inciter le gouvernement à apporter les changements nécessaires pour corriger la situation.

En Colombie-Britannique, nous mettons en place les systèmes appropriés pour faire en sorte que cela ne se produise pas, notamment en investissant dans les ressources dont nous avons besoin pour intervenir auprès de récidivistes violents. Nous nous assurons également que les soutiens nécessaires sont en place et nous cherchons à comprendre à quel moment les femmes autochtones se retrouvent coincées dans les filets du système de justice, comme vous l’avez mentionné. Nous allons travailler là‑dessus. Je suis convaincue que nous faisons les bons investissements pour comprendre comment les choses se passent. Je crois que ces mesures sont bien équilibrées.

La sénatrice Pate : Je vous remercie, madame la ministre. Nous allons suivre la situation.

La sénatrice Clement : Bonjour, madame la ministre. Je tiens à vous remercier de vous être présentée aux élections. Comme vous le savez, c’est une importante source d’inspiration pour beaucoup. Je tenais à le dire à voix haute.

Je vais continuer sur la question de la surreprésentation des Autochtones, des Noirs et d’autres personnes racisées au sein de notre système de justice. Hier, des témoins nous ont dit que le système est en pleine crise et que cette surreprésentation est démontrée et confirmée par des données probantes. Il semble que le projet de loi C-48 fera le contraire de ce qu’il est censé faire, n’est-ce pas? Il rendra certaines collectivités encore plus dangereuses. J’aimerais poursuivre sur ce sujet.

J’ai une autre question pour vous. La Colombie-Britannique fait manifestement preuve de leadership. Qu’est-ce que cela signifie dans les autres provinces qui n’ont pas annoncé leur volonté ou leur capacité à accroître leurs investissements? Qu’est-ce que cela signifie pour les gens qui vivent dans différentes régions du pays? Cela m’inquiète. J’aimerais que vous répondiez à cette question.

Mme Sharma : Merci d’avoir soulevé ces deux points très importants. Je vous remercie également pour ce que vous avez dit au sujet de mon élection.

Je suis très fière de diriger ce travail de lutte contre le racisme au sein du gouvernement et de mon ministère. C’est un travail exhaustif qui consiste à localiser le racisme systémique et à l’éliminer. Nous avons pris des mesures novatrices dans ce domaine. Nous recueillons des données fondées sur la race. C’est ce que les collectivités racisées réclament depuis longtemps. Nous venons juste d’obtenir les résultats d’une enquête démographique que nous avons réalisée auprès des citoyens de la province, dans laquelle nous leur demandions de nous fournir, de manière confidentielle et protégée, des données relatives à la race. Dans le cadre de la prochaine étape de ce projet, je vais adopter un projet de loi prévoyant une intervention du gouvernement dès que nous aurons analysé ces données. Le but de cet exercice, c’est de nous permettre, dès qu’il sera clairement démontré que des systèmes et des services, dont le système de justice, ont des répercussions sur certains citoyens, de corriger la situation en améliorant les politiques et les interventions. C’est un travail important.

Nous savons pertinemment qu’une partie de l’approche qui nous guide dans notre travail, notamment pour rendre les collectivités plus sécuritaires, consiste à reconnaître que notre système de justice a des répercussions disproportionnées sur les Autochtones et les personnes racisées, et de reconnaître aussi à quel point ces répercussions ont été néfastes jusqu’à maintenant. Cela fait partie du travail que nous devons tous faire. Oui, c’est très important.

Quant à votre deuxième question, je suis toujours contente de discuter avec mes collègues de tout le pays du travail que nous accomplissons dans ma province et de notre approche. Plusieurs procureurs généraux m’expliquent le travail qu’ils font dans ce domaine. J’ai bon espoir, grâce à la collaboration que nous avons eue dans le cadre de ce projet de loi — et il est assez rare que les intervenants de tout le pays s’entendent sur des amendements précis —, que nous pourrons poursuivre nos discussions sur les mesures à prendre pour aider nos collectivités à relever les défis en matière de violence et de récidive. Nous sommes toujours heureux de faire connaître les mesures que nous prenons et nous espérons que nous pourrons obtenir un soutien accru du gouvernement fédéral pour certaines initiatives en cours en Colombie-Britannique.

La sénatrice Clement : Je vous en remercie.

L’espoir, c’est une chose, mais il y a des gens qui sont vraiment dans le besoin. Votre plan d’action, le Safer Communities Action Plan, porte-t-il précisément sur des investissements liés à la pauvreté, au logement et aux services de santé mentale?

Mme Sharma : Oui. Nous avons un ministre du Logement en Colombie-Britannique et nous avons un plan de réduction de la pauvreté qui relève de la ministre du Développement social et de la Réduction de la pauvreté. Tout cela est très lié. La plupart du temps, nous entendons dire que le logement est l’un des plus grands défis auxquels nous sommes confrontés pour que les gens vivent en sécurité. Pour être honnête, l’une de nos grandes priorités en Colombie-Britannique est d’investir dans la compréhension de la façon dont nous pouvons relever le défi du logement.

Nous vivons également une crise tragique des opioïdes en Colombie-Britannique. Trop de vies ont été perdues à cause de cela. Nous envisageons la question de façon globale, ce qui signifie qu’il faut offrir des services dans des collectivités qui sont sous-financées depuis trop longtemps, notamment des services de santé mentale et de toxicomanie, des services de santé mentale et des services de traitement des dépendances pour les jeunes, pour aider les élèves des écoles qui vivent cette première expérience négative de l’enfance qui pourrait les amener à avoir des problèmes de santé mentale. Ces fonds sont donc investis partout dans la province.

Nous avons vraiment réfléchi à tous ces défis, à leurs causes profondes complexes et au travail que nous devons faire pour réparer les préjudices causés par le système de justice à ces groupes de personnes.

La sénatrice Batters : Merci, madame la ministre, de vous joindre à nous aujourd’hui pour traiter de cet important sujet.

Dans une déclaration récente concernant l’évolution du projet de loi C-48, vous avez exprimé votre intention de préconiser d’autres changements concernant la réforme de la mise en liberté sous caution. Pourriez-vous nous dire quels changements vous souhaitez voir apportés au niveau fédéral?

Mme Sharma : Nous préconisons les changements précis que vous avez devant vous. Pour l’instant, je n’ai rien d’autre à proposer. Je pense qu’il y a une conversation importante, mis à part les réformes dont vous êtes saisis aujourd’hui, au sujet d’une plus grande coopération entre les gouvernements fédéral et provinciaux en matière de soutien, qu’il s’agisse d’un financement accru pour l’aide juridique ou d’un financement accru pour notre initiative sur les récidivistes qui, à mon avis, fonctionne ou qui offre un grand potentiel de succès. À l’heure actuelle, je ne préconise pas d’autres changements, à part celui que vous avez devant vous sur la réforme de la mise en liberté sous caution.

La sénatrice Batters : D’accord.

Dans une lettre, les 13 premiers ministres des provinces et des territoires du Canada ont exprimé le souhait que le gouvernement fédéral procède à un examen complet du système de mise en liberté sous caution. Évidemment, le projet de loi C-48 est très limité et très ciblé. Cela ne va pas vraiment aussi loin que ce que demandaient les premiers ministres des provinces et des territoires. À ce sujet, selon vous, que devrait faire le gouvernement fédéral? Êtes-vous d’accord avec votre premier ministre pour dire que c’est quelque chose que vous voulez continuer de voir?

Mme Sharma : Merci.

Il y a évidemment d’autres aspects ou problèmes qui y sont reliés et dont j’ai un peu parlé. C’est un document ciblé que vous avez devant vous, mais nous devons travailler ensemble pour obtenir de meilleures données, par exemple, ce qui est l’une des premières questions que j’ai posées. Nous devons aussi travailler ensemble pour mieux investir dans différents niveaux du système de justice. Pour ce qui est de la façon dont les collectivités vivent les défis ou y font face, je pense que le gouvernement fédéral a effectivement un rôle à jouer. Bien que ce que vous avez devant vous soit des réformes très ciblées que nous préconisons, il y a évidemment une conversation plus vaste dans toutes nos FTP au sujet des différents aspects des investissements et des approches qui sont nécessaires pour travailler ensemble afin de régler le problème. Je pense que nous en avons abordé quelques-uns aujourd’hui.

La sénatrice Batters : Il y a des années, lorsque j’étais la cheffe de cabinet du ministre de la Justice de la Saskatchewan, je me souviens que nos réunions FTP avaient lieu à l’automne. Je ne sais pas si c’est encore le cas ou si la COVID a interrompu cela. Quand aura lieu votre prochaine réunion FTP, et est-ce une question à l’ordre du jour?

Mme Sharma : Votre question est très opportune. Nous tiendrons notre prochaine réunion au Québec la semaine prochaine, alors nous en parlerons tous. Cela figurera à l’ordre du jour, ainsi que d’autres points.

La sénatrice Batters : Merci.

Le sénateur D. Patterson : Merci beaucoup, madame la ministre, d’être parmi nous aujourd’hui.

Des témoins très respectables ont dénoncé de façon retentissante le projet de loi hier. Ils ont dit que la mise en œuvre se faisait à la hâte, sans données, et que le système révoquait déjà de plus en plus la mise en liberté sous caution, passant à une moyenne de 70 % à l’échelle du Canada en 2022 et jusqu’à 79 % en Ontario l’an dernier. Ils ont également dit que l’augmentation des peines de détention provisoire placerait davantage de personnes vulnérables dans des situations difficiles et inciterait les gens à plaider coupables, même si, statistiquement, près de la moitié des personnes accusées ne seraient pas condamnées.

Comme vous l’avez dit en réponse à la sénatrice Batters, le système est déjà soumis à de fortes pressions, et il s’agit d’une mesure très ciblée. Ma question est la suivante : le projet de loi prévoit un examen de ces dispositions dans cinq ans par le comité permanent de la Chambre des communes qui se penche normalement sur les questions de justice. Diriez-vous comme certains témoins que nous devrions faire plus que simplement examiner ces dispositions ciblées — certains diraient des solutions de fortune — et envisager un examen plus complet du système de mise en liberté sous caution, qui est l’une des dispositions les plus compliquées et les plus alambiquées du Code criminel?

Mme Sharma : Je vous remercie de votre question.

Une chose intéressante s’est produite pendant la pandémie de COVID-19, à savoir que les différents acteurs indépendants de notre système de justice travaillent mieux ensemble pour comprendre comment maintenir le système de justice dans les contraintes auxquelles nous étions confrontés à ce moment-là. Ces tableaux existent toujours. Pour répondre à votre question, il est important que nous comprenions mieux les résultats, les mesures et les données en ce qui concerne notre système de justice. Je me souviens lorsque j’ai assumé mes fonctions actuelles et que j’ai appris à quel point il est difficile de recueillir des données et qu’il y a tellement d’acteurs indépendants qu’il est important non seulement de comprendre comment le système de justice agit sur les gens et comment il se manifeste pour eux, mais aussi qu’il est compliqué de réfléchir à la façon dont nous recueillons ces données et à la façon dont nous les mesurons. Il y a beaucoup de travail important à faire pour maintenir le lien que nous avons établi depuis la COVID-19 et dans toutes les provinces pour y réfléchir.

En fin de compte, tout le monde veut de meilleurs résultats pour sa collectivité et pour les personnes qui ne sont pas dans une situation où il y a des récidivistes violents. C’est un problème dans la société, et je pense que tout le monde conviendra que nous voulons nous efforcer de le prévenir. C’est une bonne chose qu’il y ait un examen dans le cadre de ce processus et que nous nous pencherons sur cet aspect.

J’ai parlé de l’initiative sur les récidivistes violents en Colombie-Britannique. Je viens de rencontrer toute l’équipe, l’avocat de la Couronne qui travaille là-dessus. Ils commencent à entendre que certains accusés veulent être aiguillés vers l’Initiative d’intervention concernant la récidive avec violence, malgré ce que vous appelleriez la stigmatisation liée à ce genre d’étiquette, parce qu’ils ont l’impression qu’ils recevraient alors à la fois l’attention et les ressources dont ils ont besoin pour changer leur vie.

Nous découvrirons beaucoup de choses intéressantes dans tout le travail que nous faisons. J’espère que cela améliorera le système de justice. De toute évidence, ce processus doit faire l’objet d’un examen. Nous devons comprendre ensemble ce que nous mesurons et à quoi ressemble le succès.

Le sénateur Klyne : Bienvenue, madame la ministre.

Je veux me concentrer sur la stratégie de justice des Premières Nations de la Colombie-Britannique dans le contexte du projet de loi C-48. Je suis impressionné par les buts, les objectifs et l’objectif global, à savoir réduire le nombre de membres des Premières Nations qui ont des démêlés avec le système de justice pénale. D’autres objectifs consisteraient à améliorer l’expérience de ceux qui le font, à accroître le nombre de peuples des Premières Nations qui travaillent au sein du système de justice et à aider les Premières Nations à rétablir leurs systèmes de justice et leur infrastructure. Le projet de loi C-48 est-il en complémentarité avec ces buts et objectifs? Quelle sera l’incidence du projet de loi C-48 sur ces buts et objectifs? Faudra-t-il apporter des modifications à la stratégie?

Mme Sharma : Aucune modification à la stratégie ne sera nécessaire. Franchement, nous ne voyons aucun conflit, parce que nous parlons de récidivistes violents. Il y a un cercle autour de ce groupe qui cause du tort à de nombreuses personnes dans la collectivité, y compris des femmes et des filles autochtones. C’est ce que je dirais pour commencer.

Oui, cette stratégie est exhaustive. Nous mettons en place des ressources dans les collectivités de la province. Cinq autres centres seront créés sous peu cette année. Ces centres de justice autochtones sont des centres de ressources directes pour les Autochtones qui sont aux prises avec le système de justice, qu’il s’agisse de la rédaction des rapports Gladue ou de conseils juridiques d’un avocat autochtone.

L’objectif des centres est de travailler avec les Premières Nations locales. Chaque centre aura une orientation différente en fonction des besoins de la collectivité, mais nous pouvons établir des soutiens culturels pour les gens. S’il est approprié dans le système de justice pénale qu’il ne s’agisse pas de détention, il pourrait s’agir d’une voie culturellement appropriée que l’accusé pourrait emprunter.

Une fois que nous aurons développé ces systèmes et ces collectivités, cela évoluera avec le temps en fonction de la collectivité et des nations concernées. Les soutiens seront ceux nécessaires pour réduire la surreprésentation des Autochtones de la province dans les prisons. C’est un travail important qui est dirigé par le BC First Nations Justice Council. Je rencontre régulièrement ses membres en ma qualité de procureure générale, et nous déterminons les mesures de soutien dont ils ont besoin pour faire leur travail. Il s’agit de reprendre ce pouvoir.

Le sénateur Klyne : Merci. Je vous souhaite beaucoup de succès dans cette stratégie. J’espère que tout ira bien.

Mme Sharma : Merci.

Le vice-président : J’ai trois sénateurs pour le deuxième tour. Il nous reste 10 minutes, alors je vais vous accorder trois minutes chacun.

La sénatrice Jaffer : Madame la ministre, je vous remercie de toutes vos réponses. Vous m’en avez beaucoup appris aujourd’hui.

Je crois savoir que vous avez également un tribunal autochtone distinct. Est-ce exact?

Mme Sharma : C’est exact. Il y en a quelques-uns dans la province. Nous y pensons également dans le cadre de la stratégie. Les collectivités nous posent des questions à ce sujet. Elles aimeraient avoir leur propre tribunal autochtone. Oui, nous envisageons d’élargir ce concept.

La sénatrice Jaffer : Merci.

En ce qui concerne l’aide juridique, lorsque le ministre de la Justice a comparu, je lui ai posé une question au sujet du projet de loi et je lui ai demandé s’il allait accroître l’aide juridique. Il m’a dit : « En 2022, nous avons ajouté 60 millions de dollars à l’aide juridique. » Je ne lirai pas tout ce qu’il a dit, mais si j’ai bien compris, il a dit que l’affectation annuelle par le gouvernement du Canada est de 202 millions de dollars par année pour l’aide juridique en matière pénale. Évidemment, c’est pour l’ensemble du pays. Vous attendez-vous à plus d’aide juridique une fois la loi adoptée? Sinon, avec le renversement du fardeau de la preuve, cela ne veut-il pas dire que d’autres services, comme les appels dans les affaires matrimoniales et autres, vont en souffrir?

Mme Sharma : Je vous remercie de vos questions, sénatrice.

Je suis heureuse que vous ayez posé une question au ministre au sujet du financement de l’aide juridique. Nous avons fait la même demande. Nous sommes reconnaissants des augmentations que vous avez mentionnées plus tôt, mais nous voyons la nécessité d’investir davantage dans l’aide juridique en matière pénale, ainsi que des investissements que nous devons faire de notre côté comme province. C’est préoccupant. L’une des pires choses dans notre système de justice, c’est lorsque quelqu’un n’a pas les moyens d’être représenté et fait face à une situation qui a une incidence sur sa liberté ou sa vie sans cette représentation adéquate. Nous continuerons de préconiser les niveaux d’aide juridique en matière pénale que nous jugeons nécessaires dans la province. Nous avons demandé une augmentation lors du dernier cycle budgétaire et nous espérons l’obtenir à un moment donné. Cela fait partie du tableau des choses dont nous avons besoin. Une partie du plan global consiste à s’assurer que les ressources nécessaires pour réagir à des changements comme celui-ci sont en place.

La sénatrice Jaffer : Merci, madame la ministre.

Le sénateur Dalphond : Merci, madame la ministre, des aperçus et du complément d’information que vous nous avez apportés.

En votre qualité de procureure générale, vous pouvez sans doute donner des lignes directrices générales aux procureurs de la Couronne. Envisageriez-vous de leur en donner une qui leur rappellerait qu’il faut tenir compte de facteurs précis, comme la surreprésentation de certains groupes, lorsqu’ils évaluent les dossiers, et présenter au juge leur position au sujet de ces facteurs?

Mme Sharma : C’est une question importante. Mon prédécesseur au poste de procureur général de la Colombie-Britannique a donné aux procureurs de la Couronne une ligne directrice au sujet des infractions de cette nature. Elle disait clairement que, dans l’exercice de leurs fonctions, ils devaient éviter de nuire à notre travail relatif à la Stratégie en matière de justice autochtone. Cette intervention s’inscrit dans les efforts déployés en Colombie-Britannique. Nous cherchons toujours à préserver l’équilibre. Nous nous demandons sans cesse ce que nous pourrions faire de plus dans ce dossier. À la lumière de ce que j’ai entendu ici, je vais essayer de voir s’il y a lieu de faire autre chose.

Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup. Des témoins ont soutenu que les juges ne tiennent pas compte de ces facteurs. S’ils en sont informés, ils en tiendront probablement compte. Merci.

Mme Sharma : Merci.

La sénatrice Simons : Je reviens aux questions de la sénatrice Jaffer au sujet de l’aide juridique. En 2019, les avocats de l’aide juridique de la Colombie-Britannique ont fait grève pour protester contre leurs conditions salariales. Ils soutenaient que le financement par habitant de l’aide juridique en Colombie-Britannique se situait au 10e rang sur 12 au Canada. Puisqu’il s’agit d’une responsabilité partagée, pouvez-vous m’en dire un peu plus sur ce que votre ministère demande au Trésor provincial pour appuyer l’aide juridique?

Mme Sharma : Ce sont d’excellentes questions.

Oui, les faits que vous rappelez sont exacts. Depuis, les avocats de l’aide juridique ont une association qui les représente. Nous pouvons donc discuter, négocier des augmentations de rémunération. Nous avons accordé une hausse récemment. C’est là un travail qui ne s’arrête jamais. Comme les avocats ont maintenant une association, ils ont régulièrement des échanges avec moi et me rencontrent, à titre de représentante du gouvernement, pour discuter expressément de leurs besoins ou des défis qu’ils ont à relever. Nous cherchons toujours à améliorer la situation.

À l’heure actuelle, notamment sous l’angle de l’aide juridique, nous réfléchissons au droit de la famille en Colombie-Britannique et à la façon dont nous pouvons assurer des hausses. C’est un peu hors sujet, mais c’est là un objet de discussions constantes.

La sénatrice Simons : Il y a une toute nouvelle juriste qui travaille en droit de la famille et qui offre parfois des services d’aide juridique à Vancouver. Si je pouvais intervenir sans me placer en situation de conflit d’intérêts, ce serait bien. Mais je me demande au fond quel genre d’augmentation vous espérez obtenir de votre propre gouvernement?

Mme Sharma : Nous avons augmenté les ressources de l’aide juridique au fil du temps, et vous avez raison de dire qu’il y a des années, l’aide juridique et les mesures de soutien en Colombie-Britannique ont fait l’objet de lourdes compressions qui n’ont rien épargné. Comme nous nous attaquons au problème de différentes façons, il est difficile de vous donner un chiffre. Par exemple, nous ouvrirons bientôt une clinique juridique pour les Canadiens d’origine sud-asiatique. Nous investissons dans différentes cliniques pour les immigrants et les réfugiés. Le travail est confié à des avocats que nous payons ou que nous finançons en partie, avec d’autres bailleurs de fonds. Bien que ce ne soit pas de l’aide juridique à proprement parler, il s’agit d’une ressource.

La sénatrice Simons : À propos des personnes incarcérées en vertu du projet de loi C-48, ce qui m’inquiète vraiment, c’est que l’inversion du fardeau de la preuve fera augmenter la demande d’aide juridique. C’est bien beau de financer le travail en droit de la famille que fait ma propre fille ou le travail que vous faites auprès des immigrants, mais y aura-t-il suffisamment de fonds pour prendre en charge ceux qui seront contraints de défendre leur cause dans un régime d’inversion du fardeau de la preuve?

Mme Sharma : Oui, et nous devons être attentifs. Nous avons demandé au gouvernement fédéral d’augmenter l’aide juridique en matière pénale. Votre question est tout à fait juste. Nous avons un rôle à jouer à cet égard en Colombie-Britannique. Nous nous assurerons d’être en contact avec l’aide juridique en Colombie-Britannique pour voir si une augmentation s’impose ou s’il existe un besoin. Notre tâche est évidemment d’obtenir les ressources voulues, s’il y a lieu.

[Français]

Le vice-président : Je conclus en vous remerciant, madame Sharma, et j’en profite également pour vous féliciter de votre leadership en matière d’aide aux victimes et de lutte contre la criminalité. Vous êtes très inspirante et très éclairante. Merci beaucoup.

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir, par vidéoconférence, Kat Owens, directrice de projets au Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, Catherine Latimer, directrice générale de la Société John Howard du Canada et Emilie Coyle, directrice générale de la Société Elizabeth Fry.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être jointes à nous.

Nous commencerons par les remarques d’ouverture de Mme Owens, qui prendront cinq minutes. Elle sera suivie de Mme Latimer et de Mme Coyle.

Madame Owens, vous avez la parole.

[Traduction]

Kat Owens, directrice de projets, Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes : Bonjour. Je m’appelle Kat Owens. Je suis avocate et directrice de projets au Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, ou FAEJ. Je suis heureuse de comparaître aujourd’hui à Toronto, ville qui se situe sur les terres traditionnelles des Mississaugas de Credit, des Wendats et des autres nations anishinabe et haudenosaunee.

Le FAEJ est un organisme caritatif national qui milite pour l’égalité des femmes, des filles et des personnes trans et non binaires. Il le fait en travaillant à la réforme du droit, en intervenant dans des litiges et en sensibilisant l’opinion au plan juridique.

Le FAEJ s’est associé à l’Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, à la Barbra Schlifer Commemorative Clinic et à Luke’s Place pour présenter un mémoire conjoint au comité sur le projet de loi C-48. Nos quatre organisations travaillent avec des femmes et des personnes de diverses identités de genre qui ont été victimes de violence fondée sur le sexe, de violence entre partenaires intimes et de criminalisation. Nous sommes tous en faveur de mesures qui permettront de lutter efficacement contre la violence fondée sur le sexe et de mieux assurer la sécurité des survivantes de la violence entre partenaires intimes. Le projet de loi C-48 ne fera ni l’un ni l’autre. Il risque plutôt d’accroître la criminalisation des groupes marginalisés, dont celui des victimes de la violence entre partenaires intimes.

Aujourd’hui, je vais m’attarder à trois points principaux, soit la crise du système de mise en liberté sous caution au Canada, l’effet du projet de loi C-48 sur les survivantes de violence conjugale et la nécessité d’une réforme du droit fondée sur des faits.

Comme de nombreux témoins vous l’ont dit, le système de mise en liberté sous caution du Canada est en crise, mais ce n’est pas parce qu’il est trop laxiste ou qu’il libère trop de prévenus en attente de procès. Au contraire, il y a trop de monde dans les prisons, et la majorité des détenus n’ont pas été reconnus coupables d’un crime. Ils vivent dans des conditions épouvantables : confinements prolongés, absence de programmes de réadaptation ou de soutien en santé mentale et risques graves pour la santé et la sécurité. Il est peu étonnant, mais consternant, que des détenus perdent la vie dans ces conditions. Cette année, par exemple, Sarah Rose Denny, une jeune mère mi’kmaq, a demandé à maintes reprises des soins de santé dans une prison provinciale. On les lui a refusés et elle est morte quelques jours plus tard d’une double pneumonie.

Le projet de loi C-48 risque de faire augmenter le nombre de détenus dans un système déjà débordé qui cause un tort réel aux groupes marginalisés dont le taux d’incarcération est disproportionné. Pour résoudre le problème, nous appuyons la recommandation de l’Association canadienne des libertés civiles, l’ACLC, exigeant un énoncé en bonne et due forme qui explique comment le juge a tenu compte de l’article 493.2 du Code criminel.

Voici mon deuxième point : le projet de loi C-48 n’apportera pas plus de sécurité aux survivantes de la violence entre partenaires intimes. Pourquoi? Il est essentiel de se rappeler qu’il n’y a pas de ligne de démarcation nette entre ceux qui sont victimes de cette violence entre partenaires intimes et ceux qui sont accusés d’avoir commis ces actes de violence. Parfois, c’est en raison d’une double inculpation injustifiée découlant des politiques de mise en accusation obligatoire. Comme Me Big Canoe l’a dit au comité la semaine dernière, il s’agit d’un problème important pour les femmes autochtones.

De plus, il y a souvent un recoupement entre les auteurs et les survivantes. Les personnes incarcérées ont un lourd passé en matière de victimisation sexuelle ou physique. Les femmes noires et autochtones sont plus susceptibles d’avoir été victimes de violence conjugale. Elles sont également plus susceptibles d’être criminalisées par l’État. Voilà pourquoi nous vous exhortons à supprimer l’amendement proposé à l’alinéa 515(6)b.1) du Code criminel, amendement qui prévoit l’inversion du fardeau de la preuve relativement à l’absolution pour les infractions de violence entre partenaires intimes.

Voici mon dernier point : les réformes du système de mise en liberté sous caution doivent être fondées sur des faits avérés, et non sur des manchettes. De plus, les conséquences possibles du projet de loi C-48 pour les groupes marginalisés et un système de mise en liberté sous caution en crise doivent être prises en compte le plus tôt possible. Nous vous exhortons à exiger un examen par le comité, deux ou trois ans après la sanction royale du projet de loi, s’il est adopté, plutôt qu’après cinq ans. Cet examen devrait englober une évaluation indépendante et externe du système canadien de mise en liberté sous caution en général.

En ce moment, lorsqu’on parle de réforme de la mise en liberté sous caution, c’est pour chercher à la rendre plus difficile à obtenir. Cela n’améliorera pas la sécurité, notamment celle des survivantes d’actes de violence entre partenaires intimes. Ce qui améliorera la sécurité, ce sont les réformes fondées sur des faits avérés qui visent à rompre le lien plus large entre l’incarcération, la santé mentale, la toxicomanie, la discrimination, la pauvreté et les inégalités sociales.

Merci de votre attention. Je suis prête à répondre à vos questions.

[Français]

Le vice-président : Merci, madame Owens. Madame Latimer, la parole est à vous.

[Traduction]

Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : Merci beaucoup, sénateur Boisvenu.

Il est merveilleux de comparaître devant le comité pour discuter du projet de loi C-48. Je suis particulièrement heureuse du nombre de témoins éloquents et bien préparés que vous avez déjà entendus à ce propos. Ils ont mis en lumière des dysfonctionnements du système de mise en liberté sous caution. Dysfonctionnements que le projet de loi va exacerber. Il ne fait rien pour améliorer la situation.

J’ai demandé que les réflexions que j’ai livrées au comité de la Chambre des communes en mars, ainsi que les notes d’allocution que j’ai préparées pour aujourd’hui, soient distribuées à l’avance, ce qui me permettra de les parcourir rapidement, quitte à m’attarder aux éléments qui me semblent particulièrement importants.

D’autres témoins ont clairement décrit toute l’ampleur du dysfonctionnement du système de mise en liberté sous caution. Il en a même été question dans des rencontres internationales. Dans sa conclusion de 2018, le comité contre la torture a expressément demandé au Canada d’éviter une utilisation excessive et prolongée de la détention avant procès. Depuis que le comité est arrivé à cette conclusion, la situation s’est détériorée, ce qui m’amène aux trois préoccupations que je souhaite vous présenter. Elles sont essentiellement liées à la présentation du projet de loi par le ministre de la Justice et ses fonctionnaires.

Ce qui me préoccupe d’abord, c’est que le ministre et ses fonctionnaires prétendent que le système de mise en liberté sous caution fonctionne essentiellement bien, ce qui justifie l’approche chirurgicale proposée dans le projet de loi C-48. Une trentaine de témoins ont comparu devant le comité de la Chambre des communes pour donner un aperçu général du système de mise en liberté sous caution. Nous avons analysé leurs témoignages, et j’aurais du mal à conclure que les témoins pensent que, de façon générale, le système de mise en liberté sous caution fonctionne bien. Je dirais plutôt que l’administration de la justice est discréditée par l’actuel fonctionnement de notre système de mise en liberté sous caution. Bon nombre des témoins ici présents l’ont dit.

Le ministre et les fonctionnaires ont ajouté que les premiers ministres provinciaux ne voulaient accepter que cette approche chirurgicale étroite. En fait, comme la sénatrice Batters l’a souligné, ces premiers ministres ont demandé dans leur lettre un examen général et complet du système de mise en liberté sous caution.

Cette approche étroite et cette complaisance du ministère de la Justice à l’égard du fonctionnement du système de mise en liberté sous caution me portent vraiment à me demander si l’examen exigé par ce projet de loi cinq ans après la sanction royale sera suffisamment vaste et approfondi pour donner une image objective de ce qui cloche dans le système. La position de la Société John Howard du Canada est toujours que la réforme devrait être fondée sur des faits bien établis et sur des principes. Voilà qui donne lieu à de réelles préoccupations.

Étant donné que l’étape de la Chambre des communes a été franchie en coup de vent, sans qu’on demande l’avis du comité de la Chambre sur la mise en liberté sous caution, et vu leur interprétation de ce qui a été entendu dans le cadre de l’examen général du système de mise en liberté sous caution là-bas, je ne suis pas vraiment à l’aise avec l’idée que ce soit le comité de la Chambre des communes qui soit chargé de l’examen du système.

La Société John Howard estime que nous avons besoin d’un examen exhaustif et fondé sur des faits bien établis du système de mise en liberté sous caution.

L’autre opinion qui a été avancée et qui, à mon avis, exige une réflexion plus poussée, c’est l’idée que la présomption d’innocence s’applique pendant le procès, mais pas pendant la période préalable au procès. Comme beaucoup de témoins l’ont souligné, la présomption d’innocence repose sur un système de détention et de libération avant procès qui fonctionne bien et qui ne permet pas de détenir inutilement des personnes innocentes des crimes qu’elles auraient commis.

Comme les témoins l’ont dit, les taux de détention avant procès au Canada sont extrêmement élevés par rapport à ceux observés dans d’autres pays. Voyez le taux de détention, les chiffres ou la proportion relevés dans les établissements provinciaux. En Ontario, c’est 79 %, ce qui est scandaleux. Voilà qui trahit l’existence d’un problème important dans le système de mise en liberté sous caution. Nous avons essentiellement mis en place un système qui punit les prévenus en les gardant en prison avant qu’ils ne soient reconnus coupables de crimes. Comme Mme Myers l’a fait remarquer, bon nombre de personnes...

[Français]

Le vice-président : Madame Latimer, je vais vous demander de conclure, s’il vous plaît.

[Traduction]

Mme Latimer : Bien. Je pense avoir couvert l’essentiel de ce que je voulais dire, à savoir que nous avons besoin d’une révision complète, fondée sur des données probantes et des principes, du système de mise en liberté sous caution pour remédier à ce qui constitue un dysfonctionnement important et grave du système. Il existe des moyens de permettre à un plus grand nombre de personnes d’attendre leur procès dans la collectivité, en toute sécurité, grâce à des programmes de supervision de la mise en liberté sous caution et à d’autres mécanismes qui doivent être financés.

[Français]

Le vice-président : Merci, madame Latimer. Madame Coyle, la parole est à vous.

[Traduction]

Emilie Coyle, directrice générale, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Merci beaucoup. C’est un plaisir et un honneur d’être de nouveau parmi vous aujourd’hui.

Comme je l’ai déjà dit devant le comité, notre organisme a pour objectif de s’attaquer aux façons persistantes dont les femmes et les personnes de diverses identités de genre qui sont touchées par cette criminalisation sont privées d’humanité et exclues de la considération de la collectivité.

Nous comprenons l’instinct qui pousse à vouloir remédier aux préjudices causés dans nos collectivités, car nous partageons cet instinct. Cependant, nos organisations répondent chaque jour aux conséquences négatives et imprévues des lois rédigées par des gens bien intentionnés qui sont très éloignés des réalités vécues par les personnes que nous côtoyons. Nous soulignons, sans équivoque, que le projet de loi C-48 n’atteindra pas son objectif d’empêcher d’autres préjudices et qu’il ne rendra pas les collectivités plus sûres pour tous.

Nous espérons que vous avez tous eu l’occasion d’examiner le mémoire que nous avons présenté conjointement avec le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, ou FAEJ, la Barbra Schlifer Commemorative Clinic et Luke’s Place. Nous sommes d’accord avec les commentaires que nos collègues ont faits devant votre comité et nous les appuyons.

Aujourd’hui, nous tenons à souligner l’une des deux modifications que nous proposons d’apporter au projet de loi dans notre mémoire, à savoir la suppression de l’amendement proposé à l’alinéa 515(6)b.1) du Code criminel, qui porte sur le renversement du fardeau de la preuve pour la violence par un partenaire intime. Nous utiliserons le temps dont nous disposons aujourd’hui pour contextualiser et humaniser l’importance de cet amendement dans le cadre d’un appel plus vaste à abandonner complètement cette mesure législative.

Premièrement, nous présenterons des exemples de la véritable crise liée au système de mise en liberté sous caution, en mettant l’accent sur la façon dont cette disposition continuera de criminaliser et léser les victimes de la violence par un partenaire intime, et ensuite sur la façon dont cela alimentera une culture de condamnations injustifiées, qui produit des « délinquants » issus des communautés marginalisées.

De nombreux témoins vous ont dit que les prisons provinciales et territoriales du pays sont remplies de gens qui n’ont pas pu avoir accès à la justice et qui attendent toujours leur procès. Dans les Prairies, nous constatons que la majorité des femmes et des personnes de diverses identités de genre en détention sont autochtones.

Les conditions actuelles de détention dans ces prisons sont si déplorables que même ceux d’entre nous qui y vont régulièrement sont dégoûtés. Les défenseurs de notre réseau ont vu des personnes placées dans des cellules couvertes de matières fécales. Sans accès à l’eau, une femme a du boire l’eau de ses toilettes. D’autres femmes avec lesquelles nous nous sommes entretenus ont été placées à deux ou trois dans une petite cellule et n’ont pas été autorisées à en sortir, ne serait-ce que pour se laver, pendant plus de deux semaines.

D’autres témoins vous ont dit que le nombre de personnes qui meurent en détention avant leur procès est alarmant. Nous devrions tous nous familiariser avec les conclusions du rapport de décembre 2022 sur les décès en établissement en Ontario, qui soulignent que la détention provisoire augmente le risque de décès.

De plus, bien sûr, les gens qui sont en détention avant leur procès pendant une période que certains d’entre vous pourraient même juger courte, perdent leur emploi et leur logement, ainsi que la garde de leurs enfants dans le cas des nombreux parents auprès desquels nous travaillons. L’effet d’entraînement sur les familles des personnes détenues avant leur procès est donc incommensurable.

Je vais maintenant citer une femme nommée Jessica, un pseudonyme, qui a dit : « La détention provisoire, c’est comme la mort. Il n’y a pas d’accès aux programmes, pas de soutien en santé mentale et presque pas de soins de santé. J’ai passé 96 jours à attendre que justice soit faite et, à la fin, les accusations ont été levées et on m’a libérée. Mais quand je suis sortie, j’avais perdu mon appartement parce que je n’avais pas pu payer mon loyer. Tous mes biens avaient été jetés, et mes beaux chats avaient été enlevés. Je me suis retrouvée sans ma prestation pour personne handicapée, sans logement et sans accès aux médicaments qui me gardent en vie. Ma vie a été ruinée. Et tout cela pour quoi? »

Bon nombre des personnes avec lesquelles nous travaillons qui sont criminalisées sont également des victimes ou des survivantes de violence par un partenaire intime. Dans le cadre de notre travail, nous savons que les lois sur la violence familiale sont souvent utilisées comme arme contre les personnes qui subissent cette violence. Les Sociétés Elizabeth Fry travaillent avec les personnes qui sont ensuite renvoyées vers ce que certaines provinces ont mis en place, à savoir les tribunaux spécialisés en matière de violence familiale. Ces tribunaux exigent que les gens fassent le travail qu’ils leur ordonnent de faire en vue d’obtenir une absolution. Si le projet de loi C-48 était adopté dans sa forme actuelle, ces personnes seraient prises dans la porte tournante de la criminalisation.

Pourquoi consacrons-nous tout ce temps à décrire en détail les horribles conditions de détention avant le procès? Les champions de ce projet de loi croient qu’il est ciblé et qu’il ne touchera que les personnes qui posent un risque réel en imposant le renversement du fardeau de la preuve aux « récidivistes violents ». L’expression « récidiviste violent » a de quoi faire peur, mais dans les faits, au Canada, des personnes sont condamnées une première fois et deviennent des personnes...

[Français]

Le vice-président : Madame Coyle, je suis obligé de vous demander de conclure.

[Traduction]

Mme Coyle : En conclusion, ces personnes sont par la suite considérées comme des délinquants sur des bases douteuses.

J’espère qu’au moment des questions, je pourrai vous parler du livre que Kent Roach a publié récemment et qui s’intitule Wrongfully Convicted, car il y a un lien de cause à effet.

[Français]

Le vice-président : Merci, madame Coyle.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Je pense à un incident qui a eu lieu l’été dernier, en mai 2022, à Edmonton, où un autochtone a été inculpé après que deux hommes âgés du quartier chinois d’Edmonton ont été battus à mort, dans deux circonstances différentes. L’accusé était en liberté sous caution, mais la CBC a découvert par la suite, dans le cadre d’un reportage d’investigation, que les conditions de sa mise en liberté sous caution étaient qu’il ne pouvait pas se trouver dans la ville d’Edmonton et qu’il devait demeurer chez des amis dans une région rurale de l’Alberta. Lorsque le prévenu est devenu violent et qu’il les a menacés, ses amis ont appelé la GRC. La GRC est venue le chercher et l’a déposé à Edmonton, où, livré à lui‑même, il a par la suite été accusé d’avoir causé la mort de deux personnes.

Cela m’amène à m’interroger. Le public se méfie du système de mise en liberté sous caution, mais dans quelle mesure est-ce parce que les personnes qui sont en liberté sous caution ne sont pas adéquatement surveillées, et que celles qui ne respectent pas leurs conditions ne sont pas arrêtées de nouveau. Si le problème est que les gens ne font pas confiance au système de mise en liberté sous caution, que faut-il faire, selon vous trois, pour leur donner l’assurance que le système de mise en liberté sous caution fonctionne comme il est censé le faire?

Mme Latimer : Je pense que c’est une excellente question.

La Société John Howard offre une surveillance communautaire et des solutions de rechange à la détention pour les besoins de l’immigration et de la mise en liberté sous caution. Pour ce qui est de la mise en liberté sous caution, ces programmes sont extrêmement sous-financés, mais ils donnent d’excellents résultats, car ils s’adressent à des personnes qui, autrement, seraient incarcérées. Ces personnes peuvent avoir des problèmes de santé mentale et avoir de la difficulté à respecter les conditions, mais elles sont soutenues et supervisées. Si elles s’écartent du droit chemin, on les remet rapidement sur la bonne voie afin de protéger le public contre tout préjudice. Parce qu’elles bénéficient d’un soutien, la plupart d’entre elles parviennent à rester dans la collectivité jusqu’à la date de leur procès. Ces programmes sont très importants et doivent être financés.

Je pense que vous avez tout à fait raison. Les conditions de mise en liberté sous caution, leur application et leur respect posent un véritable problème. Je pense qu’il est facile de régler ce problème avec plus de programmes.

Mme Coyle : Je suis d’accord. Puis-je également répondre à cette question?

La sénatrice Simons : Oui, jusqu’à ce que nous manquions de temps.

Mme Coyle : Vous serez peut-être surpris d’apprendre qu’il n’y a que trois ou quatre lits pour les femmes en liberté sous caution dans toute la ville de Toronto, et que ces lits sont seulement pour les femmes autochtones. Il n’y a pas de lits de mise en liberté sous caution dans le Nord de l’Alberta, et il n’y en a pas en Nouvelle-Écosse pour les femmes.

La conclusion à laquelle Mme Latimer nous amène est que nous avons besoin de plus de ressources dans la collectivité. Les personnes libérées sous caution se retrouvent souvent sans-abri. Par conséquent, elles sont souvent placées dans des situations où elles enfreignent leurs conditions et retournent en prison. C’est la porte tournante dont nous parlons. Si nous voulons vraiment combler les défaillances systémiques, nous devons fournir des ressources à nos collectivités.

Mme Owens : Je suis d’accord avec ce qui a été dit.

Pour ce qui est de votre question sur la confiance du public à l’égard du système de mise en liberté sous caution, l’un des points importants soulevés par d’autres témoins est la nécessité de recueillir des preuves et des données afin que, lorsque le public a des inquiétudes, nous puissions avoir des conversations fondées sur des données et des analyses précises.

Au-delà du financement ciblé des programmes liés à la mise en liberté sous caution, que nous appuyons sans réserve, des services sociaux et des mesures de soutien communautaires plus vastes, comme l’accès aux soins de santé mentale et l’assurance-médicaments, sont aussi des investissements qui peuvent aider à renforcer le système et à rétablir la confiance du public.

La sénatrice Simons : J’ai été journaliste pendant de nombreuses années. La plupart des enquêtes sur le cautionnement font systématiquement l’objet d’une ordonnance de non-publication. Il est tout à fait inhabituel de pouvoir rendre compte de ce qui se passe. Il m’arrivait de m’asseoir dans la salle pour écouter l’audience de mise en liberté sous caution, et de me dire : « Très bien. Je comprends pourquoi cette personne est libérée. » Mais je ne pouvais jamais l’expliquer. Pensez-vous que nous avons besoin de plus de transparence dans le fonctionnement du système de mise en liberté sous caution pour accroître la confiance du public?

Mme Latimer : La transparence est toujours une bonne chose. Quand on se base sur des données et des preuves, même si les gens ne sont pas d’accord avec ce qui s’est passé, au moins nous fonctionnons à partir d’un ensemble commun d’interprétations. Oui, plus c’est opaque, plus il y a de malentendus.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous trois d’être ici.

C’est seulement il y a quelques mois que j’ai entendu parler de la double inculpation. Je trouve cela choquant, parce que c’est une façon paresseuse de procéder. Quand on ne peut pas enquêter suffisamment, on se contente d’inculper les deux partenaires. Madame Coyle et madame Latimer, pouvez-vous me dire ce que vous pensez de la double inculpation?

Mme Coyle : Bien entendu, tout cela nous ramène à la réforme législative bien intentionnée sur laquelle repose le projet de loi C-48, à savoir que nous voulons protéger les gens. Nous voulons protéger les personnes vulnérables. Celles avec lesquelles nous travaillons sont parmi les plus marginalisées et les plus vulnérables de notre société. Malheureusement, elles font souvent l’objet d’une double inculpation. Les policiers arrivent à la maison. Ils n’arrivent pas à établir ce qui s’est passé, ou ils ont des préjugés, et ils finissent par porter deux accusations. Les deux parents sont alors pris dans le système judiciaire. Les répercussions sont considérables, surtout s’il y a des enfants. C’est l’un des aspects nuancés de la loi dont nous devons vraiment parler.

Mme Latimer : Je suis tout à fait d’accord.

La sénatrice Jaffer : Madame Owens, j’ai été très troublée par les dispositions sur l’absolution. Je n’arrive pas à croire que le projet de loi C-48 comporte une disposition sur l’absolution dans les cas de violence par un partenaire intime. Comment peut‑on accorder une absolution, et que pensez-vous des dispositions du projet de loi à cet égard? J’aimerais avoir votre opinion.

Mme Owens : Je vous remercie, sénatrice Jaffer, de me donner l’occasion d’intervenir sur ce point. Nous sommes également très préoccupés par cette disposition, et c’est pourquoi nous avons demandé qu’elle soit retirée du projet de loi.

En ce qui concerne les absolutions, le comité a entendu d’autres témoins dire qu’il y a des exigences rigoureuses à respecter pour pouvoir accorder une absolution. On s’inquiète des conflits avec la Loi sur le casier judiciaire et on craint que les personnes qui ont obtenu une absolution qui devrait être supprimée de leur casier judiciaire ne voient pas cela se produire. Il y a aussi le fait que les procureurs ont déjà accès à l’information sur les absolutions. Nous sommes préoccupés par l’élargissement du renversement du fardeau de la preuve au-delà des circonstances étroites où les tribunaux ont jugé que c’était approprié, et par l’impact, comme Mme Coyle l’a mentionné, sur les personnes qui font face à une double inculpation.

La sénatrice Jaffer : Madame Owens, ce qui m’inquiète, c’est que les dispositions relatives à la libération seront peut-être ouvertes, ce qui fera de l’accusé un récidiviste et se traduira par le recours à l’inversion du fardeau de la preuve. Je ne sais pas comment ça va fonctionner. Y avez-vous réfléchi?

Mme Owens : Nous y avons réfléchi, oui, voir à quel point c’est problématique pour les raisons que Mme Coyle a évoquées elle aussi, c’est-à-dire qu’il suffit que quelqu’un soit libéré pour une infraction relativement mineure ou qu’il plaide coupable à deux chefs d’accusation en vue de sortir de prison, pour qu’il devienne d’un seul coup un récidiviste assujetti à l’inversion du fardeau de la preuve, ce qui nous inquiète beaucoup.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup à vous tous de votre présence.

Tout d’abord, en ce qui concerne la double accusation, je dois dire que je suis d’accord avec la sénatrice Jaffer. Je n’avais pas entendu parler de cette pratique auparavant, et ça ne fait pas si longtemps que j’ai arrêté d’exercer le droit. En Saskatchewan, ce serait quelque chose d’extrêmement rare, et pourtant, ce matin, Mme Coyle a utilisé le mot « fréquemment » pour décrire cet usage.

Madame Owens, vous avez souligné dans votre mémoire que de nombreuses personnes peuvent être à la fois victimes et auteurs de violence familiale, et il me semble que cet argument est peut-être au cœur de votre opposition à cette disposition du projet de loi. Vous avez parlé de données plus tôt, et je me demande s’il existe des données statistiques fiables qui permettent de quantifier avec exactitude le nombre de cas de violence conjugale où des personnes sont à la fois victimes et auteurs de violence, surtout en ventilant le nombre d’hommes et de femmes en cause. Il s’agirait aussi de savoir dans quelle mesure ces données varient en fonction de facteurs comme la définition de la violence familiale ou de différentes méthodes de collecte de données.

Mme Owens : Merci beaucoup de la question.

La réponse toute simple, c’est que c’est l’un des domaines où il serait avantageux d’avoir des données supplémentaires portant précisément sur la question de la double accusation. J’ignore s’il existe des données solides à ce sujet, mais peut-être que mes collègues du groupe ont des renseignements là-dessus. Je sais, pour avoir parlé à des gens qui travaillent directement avec des survivantes, comme Me Mattoo qui a comparu devant le comité hier et Mme Coyle aujourd’hui, que c’est un problème qu’elles rencontrent souvent dans le travail qu’elles font.

D’un point de vue statistique plus général, nous connaissons également — et il y a des statistiques à ce sujet dans notre mémoire — le pourcentage de personnes incarcérées qui ont elles-mêmes été victimes de violence. Ça va au-delà de la double accusation, mais c’est une situation où il y a un chevauchement entre les agresseurs et les survivantes.

La sénatrice Batters : Oui, ça va bien au-delà. Je pensais que c’était peut-être un problème propre à l’Ontario, ou peut-être au niveau de la police, ce qui, franchement, semble être le cas. Les quelques praticiens à qui j’ai parlé ici ne l’ont pas vu non plus. Ils ont dit qu’ils l’avaient certainement vu, mais qu’ils ne le décriraient pas du tout comme quelque chose de fréquent. S’il y a des données ou des preuves concrètes que vous pourriez fournir à notre comité à ce sujet, j’aimerais bien les voir.

De plus, madame Owens, dans le mémoire que vous avez présenté au comité, vous avez recommandé la suppression de la disposition du projet de loi C-48 qui applique l’inversion du fardeau de la preuve dans les cas où l’accusé qui a déjà été libéré d’une infraction de violence conjugale se retrouve de nouveau accusé d’une infraction analogue. De toute évidence, comme vous vous occupez des femmes vulnérables à titre de membres du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, et compte tenu de la prévalence accrue de la violence familiale au Canada, vous ne croyez pas qu’il soit essentiel d’avoir ce genre de mesure législative plus rigoureuse pour protéger les éventuelles victimes, même si cela veut dire imposer ce genre de conditions plus strictes aux actes de violence conjugale, comme le prévoit le projet de loi C-48?

Mme Owens : Je vous remercie également de cette question.

Nous sommes tout à fait d’accord pour dire que la violence fondée sur le sexe est une épidémie, comme l’a dit la Commission des pertes massives, mais des interventions comme celles-ci ne font rien pour renforcer la sécurité des survivantes, et je peux vous donner trois raisons rapides à cela. La première, c’est que le système de justice pénale ne fonctionne déjà pas pour de nombreuses survivantes, surtout pour celles qui proviennent de milieux marginalisés. Deuxièmement, on a dit qu’il n’y avait pas de ligne de démarcation nette entre les survivantes et les agresseurs. Troisièmement, des changements comme celui-ci au système de mise en liberté sous caution ne font rien pour s’attaquer aux causes sous-jacentes de la violence fondée sur le sexe, et ils pourraient même empirer la situation à cause des répercussions que la détention exerce sur les gens, comme la perte de leur emploi, de leur foyer et des services de soutien en santé mentale, comme d’autres témoins l’ont dit.

La sénatrice Batters : Enfin, puisque vous êtes ici aujourd’hui en représentation du Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes, êtes-vous préoccupée par le fait que le prédécesseur du ministre chargé de ce projet de loi a présenté ce projet de loi en mai ou au début de juin, et que, de façon générale, le gouvernement Trudeau présente une analyse comparative entre les sexes pour un projet de loi mais que nous n’en avons toujours pas une. Cela vous inquiète-t-il, puisque c’est le genre de chose qui pourrait nous fournir des réponses?

Mme Owens : Oui, ça nous inquiète, et nous pensons qu’il serait avantageux d’en avoir une.

La sénatrice Jaffer : Monsieur le président, puis-je demander que nous ne mettions pas la dernière main au projet de loi avant l’évaluation comparative entre les sexes? Puis-je demander au greffier de faire savoir au cabinet du ministre que le Sénat — je parle en mon nom personnel — envisagera de réexaminer ce projet de loi si nous ne l’obtenons pas, parce que le ministre a dit que nous l’obtiendrions. Ce n’est pas normal de ne pas l’avoir.

Le sénateur D. Patterson : Lettre du président.

La sénatrice Jaffer : Merci.

Le vice-président : On m’a dit que nous avions posé la question au ministre la semaine dernière.

La sénatrice Jaffer : Puis-je demander respectueusement que nous posions de nouveau la question, parce qu’il s’agit d’un nouveau ministre et que je ne veux pas que cela devienne...

Le vice-président : Nous le ferons.

La sénatrice Jaffer : Merci, monsieur le président.

La sénatrice Batters : Surtout que nous ne l’avons toujours pas alors que nous sommes sur le point de passer à l’étude article par article. C’est inacceptable.

La sénatrice Jaffer : J’ai vraiment du mal à poser des questions alors que nous ne l’avons pas.

Le vice-président : Je suis d’accord avec vous.

La sénatrice Batters : Merci.

Le sénateur D. Patterson : Merci à tous les témoins.

Madame Latimer, vous avez dit clairement que vous croyez que le système de mise en liberté sous caution doit être remanié. Il nous faut selon vous une vision exhaustive du système qui soit fondée sur des données probantes, mais vous avez également parlé d’un examen du système aux soins de la Chambre des communes. Est-ce toujours nécessaire d’y procéder?

Mme Latimer : Je n’ai pas encore vu les résultats du débat qui a eu lieu en mars dernier à la Chambre des communes, mais il faut absolument que ce soit fait. Il y a des questions qui ont été soulevées par des témoins et qui reflètent vraiment un grave dysfonctionnement du système de mise en liberté sous caution. Beaucoup trop de gens sont détenus avant le procès, et l’un des éléments les plus exaspérants, à mon avis, c’est que si on est reconnu coupable, le temps passé en détention avant le procès compte dans le calcul de la peine. Essentiellement, on reconnaît que c’est une sanction ou une punition qui compense la peine. Si on est acquitté ou si les accusations sont abandonnées, comme dans l’exemple que Mme Coyle a évoqué, on a la vie foutue et il n’y a pas d’indemnisation pour cela.

Le sénateur D. Patterson : Recommandez-vous donc que l’examen, dont vous avez dit, je crois, qu’il devrait avoir lieu — était-ce vous ou un autre témoin? — au deuxième ou troisième anniversaire, et non au cinquième, devrait comprendre une étude exhaustive du système de mise en liberté sous caution au lieu de se concentrer uniquement sur cette modification très étroite des dispositions qui s’y rapportent?

Vous avez également dit que vous n’étiez pas à l’aise avec le fait que ce soit la Chambre des communes qui s’occupe de ces dispositions, et que le projet de loi y avait été adopté à toute vapeur. Recommanderiez-vous donc — et j’espère que cela ne semble pas intéressé — que le comité sénatorial approprié entreprenne aussi cet examen de ces dispositions et peut-être l’examen plus approfondi que vous suggérez?

Mme Latimer : J’en serais absolument ravie. J’espère que nous pourrons désormais commencer à recueillir des preuves qui permettront un examen éclairé, et je crois que le Sénat devrait certainement faire partie d’un comité mixte qui se pencherait sur l’examen ou s’y prendre de façon indépendante.

Le sénateur D. Patterson : D’après mon expérience de l’examen des projets de loi, lorsqu’on parle du cinquième anniversaire, c’est en réalité au bout de six ou sept ans que ça commence. J’aimerais savoir ce que vous aviez à l’esprit en recommandant que l’examen ait lieu la deuxième ou la troisième année.

Mme Latimer : Je pense que nous pourrions commencer l’examen dès que nous aurons recueilli les preuves. Il faudrait communiquer avec Statistique Canada et d’autres ressources pour essayer de combler les lacunes sur le plan des données. Mme Myers, qui a comparu devant vous, est probablement la principale experte canadienne en ce qui a trait aux données disponibles et elle sait où se trouvent les lacunes. Je pense qu’elle serait une bonne ressource pour évaluer les preuves qui doivent être recueillies afin d’avoir une idée claire de ce qui se passe.

Le sénateur D. Patterson : En fait, c’est le Fonds d’action et d’éducation juridiques pour les femmes qui a fait cette recommandation, alors je me demande si Mme Owens pourrait nous dire pourquoi vous recommandez le deuxième ou le troisième anniversaire plutôt que le cinquième.

Mme Owens : Merci.

J’y répondrai rapidement. Ma collègue Mme Coyle a également fait cette recommandation, et c’est que nous savons que le système ne fonctionne pas tel qu’il est à l’heure actuelle. Nous savons que ce projet de loi risque fort d’avoir des répercussions négatives sur les communautés marginalisées. Ainsi, dès que nous aurons les données, comme l’a dit Mme Latimer, commençons cet examen afin que nous puissions apporter des changements de politique fondés sur des données probantes.

Le sénateur D. Patterson : Merci.

Le sénateur Klyne : J’ai une question pour Mme Owens, mais le groupe de témoins qui est avec nous peut aussi intervenir si le temps le permet.

Jusqu’à maintenant, je n’ai pas été en mesure de répondre à cette question. Peut-être que vous pourriez mettre le doigt dessus. Pour avoir une meilleure idée des personnes touchées par le projet de loi C-48, avez-vous des statistiques sur le nombre d’accusés libérés, conditionnellement ou de façon absolue, à la suite d’une accusation de violence contre un partenaire intime?

Mme Owens : Je vous remercie de votre question, sénateur Klyne.

Je n’ai pas ces chiffres. Ça ne veut pas dire qu’ils n’existent pas, mais je n’y ai pas accès.

Le sénateur Klyne : Je pourrais peut-être vous proposer autre chose à quoi penser dans ce contexte. Pouvez-vous nous dire en quoi le projet de loi C-48 mettra fin ou non à la violence fondée sur le sexe ou servira à renforcer la sécurité des survivantes de la violence entre partenaires intimes?

Mme Owens : Absolument. Je vous remercie de cette question.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, le système de justice pénale ne fonctionne pas pour toutes les survivantes. Il y en a beaucoup pour qui cela ne fonctionne pas et qui n’ont jamais affaire au système, en particulier les membres des communautés marginalisées — les femmes autochtones, les femmes noires et les femmes trans — qui sont aux prises avec des niveaux élevés de violence fondée sur le sexe. L’absence d’interaction avec le système de justice pénale fait qu’une intervention de ce système ne les aidera probablement pas. Quant à celles qui s’adressent au système, nous entendons parler du risque de double accusation et du fait que la police ne les prend pas au sérieux. Voilà des décennies que nous misons exclusivement sur un système de justice pénale pour lutter contre la violence fondée sur le sexe, mais ce système n’a pas fonctionné et il est peu probable qu’il en soit autrement à présent.

Le sénateur Klyne : Merci.

Le sénateur Arnot : Madame Coyle, vous faisiez allusion à une publication récente du professeur Kent Roach sur les condamnations injustifiées dans l’un de vos arguments. J’aimerais que vous nous en disiez plus long.

Ensuite, et je m’adresse à tous les témoins si possible, j’ai entendu dire que le projet de loi C-48 a des conséquences négatives qui nuiront davantage aux victimes de violence par des partenaires intimes. Il me faut mieux comprendre sur quoi se fondent cette affirmation et les preuves ou les données que vous pouvez apporter pour l’illustrer.

Mme Coyle : Je vous suis très reconnaissante de m’avoir donné le temps de parler du livre Wrongfully Convicted de Kent Roach. Le premier chapitre s’intitule « False Guity Pleas ». On y décrit très clairement le lien de cause à effet entre les conditions de détention avant le procès, notre système de cautionnement déjà onéreux, dont on a parlé ad nauseam au comité, et les personnes innocentes qui plaident coupables, ce qui est un problème social très réel que le projet de loi C-48 exacerbera.

On y précise que la majorité des personnes condamnées à tort sur la base de faux plaidoyers de culpabilité au Canada sont des femmes, des Autochtones, des personnes racisées ou des personnes vivant avec des problèmes de santé mentale.

Nous nous penchons sur le droit fondamental à la présomption d’innocence et, à cet égard, sur le droit à un cautionnement raisonnable qui est enchâssé dans notre Charte. Nous estimons qu’il s’agit d’un fondement essentiel qui est menacé par ce projet de loi. L’auteur donne en fait plusieurs exemples de telles situations, mais je n’entrerai pas dans les détails.

Je vais répondre à votre deuxième question. Les données se trouvent probablement dans les systèmes provinciaux parce que les tribunaux de violence par un partenaire intime dont j’ai parlé plus tôt sont des tribunaux provinciaux. Tout juste hier soir, en prévision de mes observations, j’ai parlé à une personne qui m’a dit que, pas plus tard qu’hier, une des personnes avec qui elle travaille a été accusée de violence par un partenaire intime parce qu’elle était en conflit avec lui et qu’elle a fini par le frapper à la jambe, involontairement, avec le jouet de leur enfant. Quelqu’un a filmé la scène, et a appelé la police. Elle est maintenant accusée de violence conjugale. Ce n’est pas inhabituel. Ce n’est pas quelque chose de ponctuel. Vous avez entendu hier Michael Spratt vous dire qu’il voit cela dans son travail tous les jours, alors quand je dis souvent, c’est fréquent dans notre domaine de travail.

Mme Owens : J’abonde dans le même sens que Mme Coyle, et je me dois de penser à certaines des conséquences collatérales. Je crois que c’est Me Mattoo qui a parlé hier des répercussions sur les survivantes lorsqu’elles font face à une accusation comme celle-ci, lorsqu’elles sont en détention provisoire, même pour de courtes périodes, en ce qui concerne la perte de l’accès au logement et aux enfants et, si elles ont des exigences relatives au statut d’immigrant, lorsqu’elles ne sont pas en mesure de satisfaire à ces exigences. Ce qui nous préoccupe, c’est que lorsque vous voyez des survivantes accusées de violence, comme Mme Coyle vient de le mentionner, on constate une augmentation de ce type de conséquences plus vastes pour les survivantes plutôt qu’une diminution des taux de violence fondée sur le sexe.

La sénatrice Pate : Merci à vous tous d’être venus.

L’une des questions qui a été soulevée et qui vient d’être soulevée de nouveau est celle de la contre-accusation, et il semble que pour certaines personnes, c’est nouveau. Catherine Latimer, vous vous rappellerez probablement, d’après votre poste précédent, que dès la fin des années 1980 et 1990, la question était soulevée par des groupes de femmes au pays. La violence faite aux femmes et aux enfants en particulier n’était pas prise au sérieux, et la professeure émérite Elizabeth Sheehy a commencé à faire des recherches qui ont étayé ces données. Donc, en fait, les données existent déjà, et comme Mme Coyle et Kent Roach l’ont fait remarquer, nous déplorons en fait des décennies d’échecs historiques du système de justice pénale pour ce qui est de tenir compte des préjugés de la police, des procureurs, des avocats de la défense et des juges, y compris les législateurs. Les rapports sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et d’autres rapports ont recommandé de renforcer les filets sociaux, économiques et de santé au lieu d’offrir des solutions à court terme qui semblaient plus acceptables sur le plan politique, comme des peines et des approches plus punitives, comme le veut le projet de loi C-48.

J’aimerais que vous nous parliez davantage du manque de ressources qui est encore plus criant. Vous avez parlé de la nécessité d’un soutien au cautionnement, mais en réalité, si nous voulons régler ce problème, il me semble que nous devons intervenir beaucoup plus tôt dans le processus pour empêcher que les gens soient séparés de leur terre, de leur collectivité, de leurs enfants et de leur famille. Vous pourriez peut-être nous en parler. Je sais qu’il y avait des documents à ce sujet au ministère de la Justice. Peut-être pourriez-vous nous expliquer un peu ce qui existait, et peut-être que cela pourrait être ajouté au compte rendu pour ceux qui ne sont pas au courant.

Mme Latimer : Bien sûr.

On a fait beaucoup de travail sur la prévention du crime et sur la façon d’empêcher les gens de recourir à la criminalité.

L’un des problèmes qui, à mon avis, est apparu récemment, et qui a amené le public à se préoccuper davantage de la criminalité, c’est le ralentissement de l’économie. On constate presque toujours une hausse de la criminalité lorsque l’économie est en difficulté parce que la pauvreté touche plus de gens. La pauvreté et l’absence de services pour aider ceux qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale, de toxicomanie et d’autres problèmes sociaux sont malheureusement un véritable moteur de la criminalité. On pourrait régler une bonne partie de ce problème en offrant un soutien adéquat dans la collectivité afin que les gens n’aient pas à chercher désespérément des mesures pour nourrir leur famille et subvenir à leurs besoins.

Je pense qu’il y a pas mal d’information qui est disponible dans le cadre du travail de prévention de la criminalité pour dépenser maintenant afin de prévenir des problèmes ultérieurs. Il ne fait aucun doute que même la surveillance et le soutien dans la collectivité coûtent beaucoup moins cher que la détention provisoire. Il y a des économies qui appuient cet argument également, mais on devrait et on pourrait faire beaucoup plus pour régler les problèmes qui amènent les gens à avoir des démêlés avec la justice et à se retrouver en détention avant le procès.

Mme Coyle : Tout récemment, le gouvernement a déposé un projet de loi, qui est devenu loi et qui constitue le cadre fédéral pour réduire la récidive. On a beaucoup discuté des éléments qui réduisent la récidive dans notre collectivité, à savoir le logement, l’emploi, le soutien par les pairs, le soutien et les ressources en santé mentale. Tout cela nous semble assez clair lorsque nous parlons de récidive, mais je pense que la discussion pourrait très facilement se tenir beaucoup plus en amont, c’est-à-dire parler de toutes ces étapes dans la collectivité avant que les gens ne soient criminalisés.

J’implore toutes les personnes ici présentes de considérer les femmes criminalisées et les personnes de diverses identités de genre avec lesquelles nous travaillons comme étant dignes de notre protection et comme des membres précieux de nos collectivités.

La sénatrice Clement : Je vous remercie tous les trois de votre témoignage et de votre travail.

Je remercie le sénateur Arnot d’avoir permis à Mme Coyle d’approfondir les commentaires du professeur Roach dans son livre.

Les provinces ont uni leurs efforts. Elles ont présenté un front uni en faveur de ce projet de loi. Je crains qu’il y ait un certain leadership et une certaine volonté et des ressources dans certaines provinces, mais pas dans d’autres, pour faire les investissements nécessaires afin de soutenir et de faire les choses en parallèle. Pourriez-vous nous parler de l’incidence inégale que cela pourrait avoir?

Madame Latimer, dans votre déclaration préliminaire, vous avez commencé à parler de l’analyse de Mme Myers sur les taux de détention avant procès et ce que cela signifie. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez et ce que cela signifie, du point de vue constitutionnel, à savoir si ce projet de loi peut être adopté?

Mme Latimer : L’une des choses dignes de mention, c’est que les organisations internationales qui respectent les droits de la personne considèrent que lorsqu’environ 25 % de l’ensemble de la population carcérale est détenue avant le procès, un pays frôle la limite des problèmes liés aux droits de la personne. Aux États-Unis, c’est 22 %; en Grande-Bretagne, 11 %; au Canada, 38 %. Il y a là un énorme problème, et je suis convaincu que des organisations internationales de défense des droits de la personne viendront nous demander pourquoi ce problème n’a pas été réglé. C’est un problème important qui mine vraiment notre engagement visible à l’égard de la présomption d’innocence et du droit à un cautionnement raisonnable, à un procès rapide et à tout le reste. Il est relativement complexe de déterminer exactement comment nous pouvons améliorer cela, mais nous devons le faire.

Je pense que les droits des gens sont violés de façon importante. Nous sommes tombés dans un système où nous acceptons que des gens soient punis avant qu’il y ait condamnation. C’est un principe fondamental du droit pénal : nulla poena sine culpa. On ne peut pas punir sans culpabilité, et nous le faisons tout le temps. Si la personne est condamnée, elle obtient une réduction de peine, mais si elle ne l’est pas, elle est laissée pour compte, ce qui, à mon avis, témoigne d’une injustice fondamentale dans notre système.

Pour ce qui est de votre question sur la collecte de données, je fulminais à mon bureau lorsque j’ai constaté que le pourcentage de détention avant procès dans les établissements provinciaux pouvait atteindre 40 %, 50 %, 60 %, et maintenant, il est de 70 %, 79 % dans certaines provinces. Vous avez raison de dire que la variation entre les administrations est importante. Le pourcentage est élevé partout simplement à cause de la façon dont nous fonctionnons. Comme la Colombie-Britannique a toujours été un peu plus progressiste et qu’elle fait un peu cavalier seul pour ce qui est d’avoir des programmes de soutien et de reconnaître certains problèmes, je ne la vois pas comme un modèle. Si vous examinez les taux de détention avant procès dans les provinces des Prairies, environ 95 % des personnes détenues sont des Autochtones. C’est énorme. C’est un problème vraiment grave et exaspérant sur lequel que nous fermons les yeux, et j’espère vraiment que lorsque nous commencerons à recueillir des données probantes, cela suscitera la réaction du public et des préoccupations quant à savoir si nos activités sont conformes à nos valeurs en tant que Canadiens.

[Français]

Le vice-président : Merci, madame Latimer.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Ma question porte sur la première recommandation. Vous proposez d’éliminer le renversement du fardeau de la preuve dans le cas d’une absolution pour violence par un partenaire intime, ce qui signifierait que l’agresseur a été reconnu coupable, mais qu’il recevrait une absolution conditionnelle pour toutes sortes de raisons, y compris parce qu’il travaille aux États-Unis. J’ai vu cela dans certains cas. Il en bénéficiera, parce que l’agresseur est un homme dans 80 % des cas. Le renversement du fardeau de la preuve n’existera plus pour ce type de personne.

Mme Coyle : Cette question s’adresse-t-elle à moi?

Le sénateur Dalphond : Elle s’adresse à quiconque veut y répondre.

Mme Coyle : Merci.

Je crois que ma collègue, Mme Owens, a déjà abordé la question des lois existantes qui sont censées aider les gens et les empêcher d’être victimes de violence conjugale, et nous savons qu’elles ne fonctionnent toujours pas. Notre recommandation est de ne pas essayer de créer des lois en aval qui continuent de criminaliser les gens et de nuire aux gens avec qui nous travaillons, mais plutôt d’investir en amont pour veiller à ce que les gens ne vivent pas le genre de situations précaires qui finiront par les criminaliser en vertu de ces lois sur la violence familiale.

Le sénateur Dalphond : Vous n’avez pas fourni de chiffres, mais si vous pouviez le faire, ce seraient surtout des hommes qui sont accusés et reconnus coupables de violence conjugale.

Mme Coyle : Comme nous travaillons avec des femmes et des personnes de diverses identités de genre, ce sont ces personnes dont je parle dans mon exposé.

Le sénateur Dalphond : Ai-je raison de dire que dans 80 % des cas, ce sont des hommes qui sont reconnus coupables d’agression et de violence conjugale?

Mme Coyle : Nous n’essayons certainement pas, dans nos remarques, de dire qu’il est acceptable de nuire à quelqu’un, car ce ne l’est pas. Nous travaillons tous les jours à prévenir les méfaits. Nous ne croyons pas qu’une disposition comme le renversement du fardeau de la preuve dans le cas de la violence par un partenaire intime assurera la sécurité des gens avec qui nous travaillons. Même si 80 % des accusations sont portées contre des hommes en vertu de cette disposition, les gens ne seront toujours pas en sécurité.

Le sénateur Dalphond : Merci.

[Français]

Le vice-président : Je tiens à remercier les témoins de leurs témoignages.

Je viens de recevoir une note du greffier. Justice Canada prévoit d’avoir l’ACS plus, soit l’analyse comparative entre les sexes plus, à la disposition du comité à notre retour de la semaine de relâche. Nous aurons alors l’information que nous avons demandée.

Pour notre troisième et dernier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir Me Sarah Niman, directrice principale, Services juridiques, Association des femmes autochtones du Canada; de l’Association des régimes d’aide juridique du Canada, nous accueillons David Field, président et directeur général, et Marcus Pratt, conseiller en politique; enfin, à titre personnel, nous accueillons Carolyn Yule, professeure adjointe au Département de sociologie et d’anthropologie de l’Université de Guelph.

Bienvenue à nos invités. Nous sommes impatients d’entendre vos remarques.

Nous commencerons par les remarques d’ouverture de Me Niman, suivies des représentants de l’Association des régimes d’aide juridique du Canada, pour conclure avec Mme Yule.

[Traduction]

Me Sarah Niman, directrice principale, Services juridiques, Association des femmes autochtones du Canada : Bonjour, honorables sénateurs, et boozhoo.

Je tiens tout d’abord à rappeler que des Canadiens de tous les coins du pays se sont joints hier à la campagne Sœurs par l’esprit de l’Association des femmes autochtones du Canada, l’AFAC, afin de tenir une vigile pour toutes les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées — les FFADA —, ainsi que pour les personnes de diverses identités de genre et leurs familles. L’AFAC souhaite explorer avec vous aujourd’hui l’intersection importante du projet de loi C-48 avec le génocide des FFADA.

Le projet de loi C-48 est une mesure de réforme du droit pénal, et je tiens à situer mes observations d’aujourd’hui dans le cadre de cet effort plus vaste de réforme systémique et de réconciliation, et ce, pour deux raisons : premièrement, les femmes autochtones sont des victimes disproportionnées de violence familiale; et, deuxièmement, les femmes autochtones sont surreprésentées en milieu carcéral. Aujourd’hui, lorsque je parle des femmes autochtones, j’inclus les filles, de même que les personnes bispirituelles, transgenres et de diverses identités de genre que l’AFAC représente.

L’AFAC appuie les initiatives du projet de loi C-48 visant à utiliser le droit pénal pour protéger les femmes autochtones contre la violence entre partenaires intimes, la VPI, mais elle suggère quand même d’en modifier le libellé pour tenir compte de la surreprésentation des femmes autochtones. Le comité doit tenir compte de l’intersection entre le sexe et l’indigénéité lorsqu’il modifie les dispositions du Code criminel relatives à l’inversion du fardeau de la preuve.

Premier enjeu : le projet de loi C-48 comprend un préambule reconnaissant que les femmes autochtones sont surreprésentées dans les prisons. Le comité a entendu des données et des anecdotes sur les délais de mise en liberté sous caution et la probabilité accrue que les Autochtones soient mis en détention provisoire plutôt que libérés. Cela signifie que les femmes autochtones sont séparées de leur famille, de leurs enfants, de leur travail, de leur foyer, de leur communauté et de leurs pratiques de guérison. Cela perpétue les préjudices coloniaux.

Dans les arrêts Gladue et Ipeelee, la Cour suprême du Canada a rendu des décisions qui donnent déjà des directives claires aux juges pour qu’ils interprètent les facteurs contextuels lorsqu’ils rendent une décision qui pourrait priver un Autochtone de sa liberté, y compris au moment de la détermination de la peine et de la mise en liberté sous caution. Mais ce que nous savons aujourd’hui, c’est que lorsque les rapports Gladue sont soumis à l’appréciation d’un juge, la mise en liberté sous caution est souvent refusée parce que les facteurs systémiques de l’arrêt Gladue sont considérés comme des facteurs de risque à l’encontre de ce que dit le gouvernement. La jurisprudence et le projet de loi C-48 font naître des tensions lorsque nous équilibrons les droits des Autochtones au moment du cautionnement. Les femmes autochtones à risque de violence structurelle dans le système de justice pénale et de violence familiale à la maison se trouvant dans cette situation.

Ce qui m’amène au deuxième enjeu : six femmes autochtones sur dix sont victimes de violence familiale au cours de leur vie. De ce nombre, quatre sur dix sont victimes de violence physique de la part d’un partenaire intime. Le risque est encore plus gros pour les femmes autochtones qui appartiennent à d’autres groupes marginalisés, comme les personnes LGBTQ2S+ et les femmes handicapées.

Les appels à la justice des FFADA 5.3, 5.6 et 5.14 engagent la responsabilité pour les législateurs d’aborder les réformes du droit pénal en matière de VPI par une approche holistique, améliorée et exhaustive qui applique les perspectives juridiques féministes autochtones.

Le comité est invité à concilier les réalités concurrentes de la surreprésentation en milieu carcéral des Autochtones et des taux élevés de VPI dans un projet de loi visant à créer des règles plus rigoureuses pour les personnes accusées de violence dans le cadre d’une relation intime. De fait, ces réalités concurrentes finissent souvent par désavantager doublement les femmes autochtones par la pratique que nous avons évoquée et qui s’appelle la double accusation. Le comité a entendu des témoignages et examiné des documents à ce sujet. L’Enquête nationale sur les FFADA a entendu des témoins affirmer que la police avait menacé d’arrêter des femmes autochtones pour possession de drogue, intoxication publique ou violation des conditions de libération conditionnelle lorsqu’elles ont signalé une VPI, et qu’elles craignaient également qu’on leur retire leurs enfants. Le projet de loi C-48 doit tenir compte de cette réalité pour la réforme du droit pénal.

Étant donné que le Canada a adopté, en juin 2021, la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones — en abrégé la Loi sur la DNUDPA —, le comité a la responsabilité de produire une analyse sérieuse de la conformité de ce projet de loi à la DNUDPA, qui affirme que les femmes autochtones ont des droits propres à leur sexe d’être protégées contre la violence à l’article 22.2. L’AFAC suggère de reformuler les modifications proposées aux alinéas 515(6)b.1) et 515(13) de manière à mieux refléter les réalités des femmes autochtones. Les formulations proposées se trouvent dans la documentation écrite de l’AFAC.

L’AFAC appuie également la recommandation de l’Association canadienne des libertés civiles, l’ACLC, d’inclure une exigence qui applique les principes de l’arrêt Gladue par le biais de l’article 493.2 du Code criminel.

L’AFAC demande au comité de laisser aux femmes autochtones plus qu’un préambule, plus que des mots. L’AFAC demande au comité de réfléchir sérieusement à la façon d’équilibrer la représentation disproportionnée des femmes autochtones parmi les survivantes de la VPI et dans nos prisons.

Merci. Meegwetch.

[Français]

Le vice-président : Merci beaucoup. Je cède la parole maintenant aux représentants de l’Association des régimes d’aide juridique du Canada, M. Field et Pratt.

[Traduction]

David Field, président et directeur général, Régime d’aide juridique du Canada : Merci. Je suis chef de la direction et président d’Aide juridique Ontario. Je suis accompagné de Marcus Pratt, également d’Aide juridique Ontario. Nous vous parlerons au nom du Régime d’aide juridique du Canada, le RAJC, au sujet du projet de loi C-48.

Notre association représente les programmes d’aide juridique de toutes les provinces et de tous les territoires. Nous sommes heureux de pouvoir contribuer par nos mémoires et nos témoignages d’aujourd’hui à l’étude de cet important projet de loi. Les régimes d’aide juridique assurent la représentation de la majorité des accusés devant le tribunal de mise en liberté sous caution. Le RAJC est bien placé pour donner son avis sur le projet de loi C-48.

Le RAJC s’inquiète des conséquences imprévues du projet de loi pour nos clients, dont la grande majorité ne sont ni violents ni dangereux, et dont bon nombre sont eux-mêmes victimes de mauvais traitements, souffrent de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie et sont aux prises avec la pauvreté, le racisme systémique et l’héritage du colonialisme. Ce projet de loi a beau viser à améliorer la sécurité des collectivités, nos clients seront moins en sécurité. Ils se verront refuser plus souvent la mise en liberté sous caution et seront placés en détention préventive plus souvent et pour de plus longues périodes. En détention provisoire, ils seront entassés dans des logements surpeuplés, sans accès ou à peu près à des programmes de traitement ou de réadaptation. Il leur sera plus difficile de présenter une défense, ce qui rendra plus probables les faux plaidoyers de culpabilité et autres erreurs judiciaires. Une fois libérés, ils seront plus susceptibles de se livrer à des activités criminelles. Le projet de loi s’ajoutera à ce qu’on a appelé à juste titre la crise de la détention provisoire au Canada.

Le pourcentage de détenus en détention provisoire en attente de leur procès par rapport aux détenus purgeant une peine de compétence provinciale a connu une augmentation spectaculaire ces dernières décennies, indépendamment de tout changement dans le taux de criminalité. Plus de 70 % des personnes sous garde provinciale ou territoriale sont en attente de cautionnement ou de procès. Il se peut fort bien qu’elles ne soient pas reconnues coupables de l’infraction dont elles sont accusées. De fait, moins de 50 % des décisions relatives à des accusations criminelles sont des déclarations de culpabilité.

La crise de la détention provisoire ne touche pas tous les Canadiens de la même façon. Les Autochtones représentent environ 5 % de la population canadienne, mais 32 % des personnes en détention provisoire. Ce pourcentage est nettement plus élevé dans certaines provinces.

Nos observations écrites expliquent en détail comment les dispositions particulières qui élargissent le recours à l’inversion du fardeau de la preuve ne ciblent pas suffisamment, en droit, un sous-ensemble de délinquants violents. Ces dispositions toucheront de façon disproportionnée les clients de l’aide juridique.

Les préoccupations du RAJC à l’égard de la vaste portée du projet de loi C-48 n’ont été qu’exacerbées par l’absence de tout nouveau soutien, comme un financement accru de l’aide juridique, pour aider les accusés à plaider leur mise en liberté sous caution. En revanche, on vient d’annoncer un nouveau financement considérable pour les services de police et de poursuite afin de repérer proactivement les délinquants présumés violents qui devraient être détenus plutôt que libérés avant le procès. À notre avis, si l’on donne plus de ressources à la police et aux procureurs dans les affaires de mise en liberté sous caution, mais qu’on n’accroît en même temps les ressources de la défense et du soutien pour les tempérer, tous les accusés et pas seulement pour les délinquants violents, auront plus de difficulté à obtenir une mise en liberté sous caution.

On ne peut pas faire abstraction des répercussions du projet de loi C-48 sur la justice en temps raisonnable devant le tribunal chargé de la mise en liberté sous caution, qui est déjà en péril. Des données récentes de la Cour de justice de l’Ontario montrent que le nombre moyen de jours qu’un tribunal de mise en liberté sous caution consacre à une cause donnée a augmenté de plus de 50 % de 2019 à 2022. Ces dernières années, les tribunaux de tous les coins du Canada ont ordonné l’arrêt des procédures dans le cas d’accusations graves à cause du temps qu’il a fallu pour entendre la demande de mise en liberté sous caution. Avec le projet de loi C-48, les enquêtes sur le cautionnement deviendront plus fréquentes, plus complexes et plus longues. Les tribunaux auront du mal à organiser des audiences à moins d’abréger d’autres procédures, ce qui compromettra le droit de l’accusé à un procès dans un délai raisonnable en vertu de l’arrêt Jordan.

Étant donné que le fardeau pour la mise en liberté incombe désormais à l’accusé, il faudra davantage de préparation de la défense, y compris des entrevues pour obtenir de nouvelles garanties, l’élaboration de plans de mise en liberté plus stricts, l’aiguillage vers d’autres services de soutien communautaire, la convocation d’un plus grand nombre de témoins et l’allongement du temps de présentation des observations. D’autres ajournements seront donc demandés.

Sans ressources supplémentaires pour permettre à l’aide juridique et aux autres organismes de répondre à ces nouvelles demandes, le fardeau réel qui sera transféré à la suite du projet de loi C-48 retombera sur les accusés pauvres, autochtones et racisés et sur ceux qui ont des problèmes de santé mentale, c’est-à-dire les clients de l’aide juridique.

Merci.

[Français]

Le vice-président : Merci, monsieur Field. Madame Yule, la parole est à vous.

[Traduction]

Carolyn Yule, professeure adjointe, Département de sociologie et d’anthropologie, Université de Guelph, à titre personnel : Bonjour. Je suis professeure agrégée au département de sociologie et d’anthropologie de l’Université de Guelph. J’ai passé plus d’une décennie à étudier le système canadien de mise en liberté sous caution. Je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui.

Je vais présenter trois arguments principaux. Premièrement, le système de mise en liberté sous caution du Canada mérite attention et examen. Il y a beaucoup de place à l’amélioration. Deuxièmement, il est peu probable que le projet de loi C-48 entraîne les conséquences souhaitées d’une amélioration de la sécurité des collectivités à long terme; il pourrait même l’affaiblir. Troisièmement, on peut trouver une approche plus prometteuse d’une réforme significative du cautionnement dans les efforts déployés par les gouvernements provinciaux et territoriaux pour modifier la façon dont le cautionnement est mis en œuvre.

Pour commencer, je conviens qu’un examen critique du système de mise en liberté sous caution s’impose. Les décisions fondées sur des données probantes doivent guider la réforme du cautionnement et nous devons nous concentrer sur la sécurité publique à long terme. La sécurité publique est un objectif important du système de justice pénale. Nous ne pouvons pas perdre de vue les torts et les traumatismes dévastateurs que les crimes, particulièrement les crimes violents, causent aux victimes et aux collectivités. Nous devons également respecter les principes clés du système de justice pénale, à savoir la présomption d’innocence et le droit à une mise en liberté sous caution raisonnable. Le projet de loi C-48 nous aidera-t-il à atteindre ces objectifs?

Ma principale préoccupation au sujet du projet de loi est qu’il ne fera pas grand-chose pour améliorer la sécurité publique et qu’il pourrait même l’affaiblir, tout en rendant le système moins équitable pour les accusés. Dans le système actuel, les décideurs doivent tenir compte de la sécurité publique lorsqu’ils décident de détenir ou de libérer un accusé, ainsi que d’autres facteurs pertinents, y compris les antécédents criminels. Comme vous le savez, de nombreuses personnes sont actuellement incarcérées avant leur procès. Étant donné que l’incarcération constitue une rupture des liens avec la communauté, y compris avec la famille, pour l’emploi et pour le logement, et introduit les personnes dans un milieu criminogène, l’augmentation des taux d’incarcération peut avoir l’effet inattendu de diminuer la sécurité publique.

Il est également important de noter que les répercussions de l’élargissement des dispositions relatives à l’inversion du fardeau de la preuve ne seront pas réparties uniformément. Les personnes qui n’ont pas les moyens de se payer un avocat privé pour contester les dispositions relatives à l’inversion du fardeau de la preuve seront grandement désavantagées. Les groupes déjà marginalisés de la société, y compris les Canadiens autochtones, seront touchés de façon disproportionnée par le projet de loi C-48.

Je vais conclure en vous exposant brièvement quatre suggestions que ma collègue, Mme Laura MacDiarmid, et moi‑même avons faites et qui pourraient mieux équilibrer l’objectif de la sécurité publique avec la présomption d’innocence et le principe de l’entrave minimale.

Premièrement, il faudrait consacrer plus de ressources au resserrement du respect des conditions de mise en liberté sous caution afin de surveiller de près les accusés jugés à haut risque et d’appréhender sans tarder les personnes accusées d’infractions avec violence qui contreviennent à leurs conditions. Fait important, dans certains cas qui ont précédé le projet de loi C-48, il y avait des mandats non exécutés pour des personnes qui n’avaient pas été appréhendées.

Deuxièmement, il faut améliorer l’efficacité des tribunaux pour réduire le temps que l’accusé passe en détention provisoire, diminuer la probabilité d’accusations supplémentaires pour violation des conditions — souvent pour comportement non criminel — et accélérer le rythme auquel les personnes reconnues coupables se voient infliger leur peine.

Troisièmement, l’accès à des conseillers juridiques compétents et à un financement accru de l’aide juridique est primordial. Veiller à ce que les accusés soient représentés par un avocat non seulement contribue à l’efficacité des tribunaux en réduisant les retards dans les procédures judiciaires, mais assure également des services essentiels aux personnes marginalisées sur le plan économique.

Quatrièmement, il est essentiel d’accroître le soutien social, notamment en priorisant les efforts visant à lutter contre l’itinérance, la santé mentale, la pauvreté, la toxicomanie, la victimisation et les traumatismes. Nous devons reconnaître qu’une sécurité publique efficace dépend de la lutte contre les précurseurs de la criminalité. L’établissement de liens entre l’accusé et les services sociaux et les mesures de soutien renforce la sécurité publique.

Les types d’activités de réforme du cautionnement que je propose relèvent en grande partie des compétences provinciales et territoriales. Le gouvernement fédéral apporterait une contribution beaucoup plus significative et productive à la sécurité publique, tout en préservant mieux les principes fondamentaux de notre système de justice pénale, en collaborant avec les provinces sur la question de la réforme de la mise en liberté sous caution et en offrant des ressources pour les types d’initiatives dont j’ai parlé qui mettent l’accent sur la mise en œuvre de la mise en liberté sous caution, plutôt que sur la modification du droit pénal.

Merci.

[Français]

Le vice-président : Merci beaucoup, madame Yule. Nous devons terminer à 13 h 50. Vous disposez donc de trois minutes chacun. Je vous demanderais de poser des questions courtes, afin que les témoins puissent répondre à l’intérieur des délais requis.

Nous commencerons avec la sénatrice Simons.

[Traduction]

La sénatrice Simons : J’aimerais tout d’abord poser à M. Field et à M. Pratt des questions très précises sur les répercussions que ce projet de loi aura sur l’aide juridique. Dans quel pourcentage des provinces a-t-on recours aux avocats de service? Pouvez-vous me donner une idée de qui a recours à des avocats de service et de qui a recours à des avocats de l’aide juridique désignés?

M. Field : Je vais commencer, et peut-être que M. Pratt pourra ajouter quelque chose.

La façon dont les services juridiques sont offerts varie beaucoup d’une province à l’autre. Bon nombre d’entre eux reposent sur des modèles de recours à des salariés. Nous avons ici une sorte de modèle mixte. Il y a beaucoup d’avocats de service qui s’occupent de toutes les enquêtes sur le cautionnement. D’autres administrations embauchent du personnel pour le faire. Je ne crois pas pouvoir vraiment vous fournir une réponse catégorique à ce sujet. Tout ce que je peux que dire, c’est que cela varie beaucoup d’une province à l’autre. En Ontario, les avocats de service, soit une combinaison d’avocats rémunérés à la journée et d’avocats salariés, font 80 % du travail de mise en liberté sous caution.

La sénatrice Simons : Quel serait l’impact sur votre système d’avocats de service si vous deviez faire plus de travail d’inversion du fardeau de la preuve?

M. Field : Le gros problème, c’est le temps et le coût que cela représente. À l’heure actuelle, nous n’avons pas les ressources nécessaires pour que les avocats effectuent plus d’heures. C’est l’une des choses que nous examinons dans le cadre de la réforme tarifaire. Combien d’heures doit-on prévoir pour un avocat qui s’occupe d’une enquête sur le cautionnement, par exemple? C’est une combinaison de facteurs. Je dirais que cela aura une incidence sur nos niveaux de dotation. Les audiences seront beaucoup plus techniques sur le plan de la complexité. Cela signifie que nous devons envisager d’avoir du personnel spécialisé dans la mise en liberté sous caution. Nous nous sommes demandé si nous devions investir, peut-être engager cinq ou six avocats chargés principalement de conseiller nos avocats de service, qui sont des spécialistes de la mise en liberté sous caution, par exemple. Nous pensons à un dans chaque secteur de compétences en Ontario, et plus d’heures pour les avocats du secteur privé qui ont déjà une relation avec un client et qui feraient ce travail.

La sénatrice Simons : Quel est le risque qu’une personne, surtout si elle ne se trouve pas dans un grand centre, doive se représenter elle-même lors d’une enquête sur le cautionnement?

M. Field : Nous avons éliminé l’aspect financier de l’admissibilité, de sorte que nous représentons tous les clients qui sont sous garde et qui veulent avoir recours à l’aide juridique. Nous avons réglé cette question. Une fois qu’un client est libéré sous caution, il a la possibilité de retenir les services d’un avocat privé. Je pense que nous avons tout couvert, mais les besoins en ressources seraient importants.

La sénatrice Simons : Merci. C’est très éclairant.

La sénatrice Jaffer : Pratiquement tous les témoins se sont prononcés contre le projet de loi. Je ne pense pas que personne d’autre que le ministre et le deuxième ministre aient appuyé ce projet de loi. Mes collègues pourront me corriger si je me trompe. Je m’interroge sur ce que nous faisons.

J’ai une question pour Mme Yule et peut-être aussi pour M. Pratt. Vous faites ce genre de travail tout le temps. Premièrement, avez-vous été consultés?

M. Field : Non.

La sénatrice Jaffer : Vous connaissez vraiment ce travail. Les journaux se font parfois l’écho de récriminations — et je ne sais pas à quel point elles sont importantes — de gens qui disent que le gouvernement est trop laxiste, qu’il est trop facile d’être libéré sous caution et qu’il y a récidive. C’est ce qu’on lit. Ce sont les commentaires que nous entendons. Comment le gouvernement aurait-il pu améliorer ce système autrement qu’avec le projet de loi C-48?

Marcus Pratt, conseiller en politique, Association des régimes d’aide juridique du Canada : Je vous remercie de cette question.

Certaines des idées que nous avons entendues ce matin de la part de la procureure générale de la Colombie-Britannique nous donnent une avenue, des pistes pour améliorer le système. Nous avons entendu parler d’un meilleur partage de l’information et d’un meilleur soutien pour les personnes qui sont en liberté sous caution, afin qu’elles se conforment à la loi. C’est le genre de propositions que nous ferions et, évidemment, nous informerions le ministre de la situation qui prévaut dans les tribunaux de mise en liberté sous caution, à quel point il est difficile pour un avocat de service de fournir une représentation adéquate.

Je dirais que oui, des avocats de service sont disponibles, mais l’une des difficultés, c’est que la Couronne n’est pas prête à aller de l’avant, pour une raison ou une autre. Le système est surchargé. Des personnes sont remises en détention provisoire. Cela accroît la pression sur les clients pour qu’ils enregistrent un plaidoyer ou acceptent des conditions qu’ils ne peuvent pas respecter. Ils finissent par être arrêtés de nouveau et réincarcérés.

Nous voulons que le ministre soit conscient de cela et nous l’exhortons à ne pas aller de l’avant avec un projet de loi aussi vaste, mais plutôt à se concentrer, le cas échéant, sur les délinquants violents, contrairement à ce que prévoit le projet de loi.

La sénatrice Jaffer : Vous avez dit que vous auriez besoin de plus de ressources et qu’il faut presque un procès, ce qui fait que si l’accusé se retrouve en détention provisoire jusqu’à ce que toutes les ressources soient réunies et que les témoins soient entendus, cela prend presque autant de temps qu’un procès dans certains cas. Bien sûr, nous tenons compte du temps passé devant les tribunaux et du fait que nous n’avons pas un effectif complet de juges. Il est évident qu’il faut plus de juges, et ainsi de suite. Cela m’inquiète beaucoup. Avons-nous simplement affaire à un cercle vicieux? Il y aura plus de procès, mais moins de juges, moins de ressources judiciaires et moins de ressources pour vous, et les avocats de service ne seront pas prêts le moment venu.

M. Field : Je pense que vous avez compris qu’il s’agit d’une question très complexe qui exige la collaboration de toutes les parties. Nous n’avons pas vraiment parlé de l’accès pour les personnes qui sont incarcérées et qui attendent une mise en liberté sous caution. Les avocats privés et nos avocats de service n’ont pas vraiment l’occasion de parler aux gens dans les établissements parce qu’ils n’arrivent pas à les joindre. Par exemple, l’organisation nécessaire pour faire comparaître à distance une personne qui se trouve dans une région éloignée, dans le cadre d’une enquête sur le cautionnement, est très difficile.

Je ne veux pas critiquer les services correctionnels. Ils ont énormément d’établissements à gérer et ils doivent parfois organiser des comparutions devant six tribunaux différents le même jour. Il faut mettre au point de nombreux mécanismes. Cela exige une somme importante de participation et de divulgation. Il y a de nombreuses questions complexes qui doivent être examinées de façon beaucoup plus globale. Sans pointer du doigt qui que ce soit, le nombre de facteurs qui expliquent ce taux élevé de détention provisoire est si élevé qu’il n’y a pas de solution simple à ce problème. Ce projet de loi représente une solution simple qui, à mon avis, ne donnera pas les résultats escomptés.

Le sénateur Dalphond : Madame Yule, vous avez écrit un article intéressant, le 18 janvier, au sujet du système de mise en liberté sous caution. Vous avez proposé cinq façons de le réformer, que vous venez de décrire. Certaines données auxquelles vous faites mention dans cet article m’intéressent beaucoup.

Des données récentes de Statistique Canada montrent également que près de 80 % des personnes détenues dans les établissements provinciaux de l’Ontario sont innocentes au sens de la loi, ce qui démontre encore une fois que le processus de mise en liberté sous caution n’est en aucun cas indulgent.

Pourriez-vous nous donner des précisions sur les chiffres et la façon dont a été obtenu ce pourcentage de 80 % de personnes qui, si j’ai bien compris, sont détenues, mais ne seront finalement pas reconnues coupables?

Mme Yule : Je vous remercie de votre question et je vais apporter des précisions. Les 80 % font référence au nombre de personnes qui, en gros, sont détenues en Ontario, qui font partie de la population en détention provisoire et qui n’ont pas encore été reconnues coupables, par suite des accusations qui pèsent contre elles, et qui, en fin de compte, ne seront pas reconnues coupables.

Le sénateur Dalphond : Y a-t-il des données sur le nombre de personnes qui seront reconnues coupables?

Mme Yule : Il y a des données. Je n’ai pas les chiffres précis devant moi. Nous savons qu’une proportion importante des accusations sont retirées. Nous savons que de nombreuses personnes détenues finissent par voir les accusations qui pèsent contre elles retirées ou ne sont pas reconnues coupables.

Le sénateur Dalphond : Vous serait-il possible de fournir ces données au comité?

Mme Yule : Oui.

Le sénateur Dalphond : Monsieur Field, l’expérience est-elle la même en ce qui concerne les avocats de service ou l’aide juridique?

M. Field : Oui. En écoutant cette conversation, le chiffre qui m’est venu à l’esprit en Ontario est de 40 % de cas retirés ou qui ne font pas l’objet de procédures. La proportion est élevée au Canada, mais ce sont les chiffres que nous avons en Ontario.

Le sénateur Dalphond : Quand vous parlez de 40 %, est-ce parce que l’initiative vient d’abord de la police, l’ordonnance de mise en liberté sous caution étant rendue par la suite sans que la Couronne soit responsable du dossier, celle-ci libérant par la suite la personne, lorsqu’elle prend le dossier en charge, de sorte que les accusations sont abandonnées?

M. Field : Je ne peux pas me prononcer là-dessus. Il s’agit d’un chiffre global qui, à mon avis, tient à un certain nombre de facteurs, le trop grand nombre d’accusations portées par la police, l’absence de triage par la Couronne ou le pouvoir discrétionnaire de procéder, avec retrait au moment du procès. Comme vous l’avez souligné, ces personnes peuvent être en détention, en détention provisoire, pendant tout ce temps, les accusations étant retirées au bout du compte.

Le sénateur Dalphond : Avez-vous des données précises sur le temps qu’il faut pour que les accusations soient abandonnées?

M. Field : Je n’ai pas ces données avec moi, mais je peux certainement essayer de les trouver et les communiquer au comité.

Le sénateur Dalphond : Merci.

Le sénateur Klyne : Maître Niman, dans un article intitulé « Le pouvoir de guérison des rapports Gladue » que vous avez rédigé, vous avez mentionné que les rapports Gladue sont largement sous-utilisés. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le rôle des rapports Gladue dans notre système de justice pénale, surtout à l’étape de la mise en liberté sous caution? Comment expliquez-vous ces résultats?

Me Niman : Je vous remercie de votre question et je tiens à préciser que, même si j’ai écrit cet article, je ne l’ai pas fait en tant que représentante de l’Association des femmes autochtones du Canada, au nom de laquelle je suis ici aujourd’hui, mais je peux certainement en parler.

Nous savons, et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées nous l’a confirmé, que ces rapports ne sont pas utilisés comme nous l’avions prévu, ni de façon à permettre de réparer certains des torts coloniaux, ce qu’ils étaient censés faire. Mais cela ne veut pas dire que nous ne continuerons pas d’essayer. On les utilise de façon limitée au moment de la mise en liberté sous caution. Cela veut dire que les mêmes crises d’offre et de demande touchent leurs dispositions à toutes les étapes du processus, y compris celle de la détermination de la peine.

Ce que les chercheurs, les avocats et les universitaires nous disent, c’est que ces rapports sont souvent préparés de façon plus précipitée, si je peux m’exprimer ainsi, parce que la mise en liberté sous caution est beaucoup plus rapide que la préparation d’une audience de détermination de la peine. L’information qui est rendue disponible est souvent présentée dans l’intention de réduire la probabilité que la personne soit gardée en détention, mais les juges font la démonstration qu’ils interprètent ces facteurs comme des facteurs de risque justifiant l’absence de mise en liberté. Ensuite, nous nous retrouvons dans une sorte de cercle vicieux, où les facteurs mêmes qui justifient le maintien en détention provisoire sont similaires à ceux qui, selon l’AFAC, devraient entrer en jeu pour convaincre un juge que les personnes détenues devraient être autorisées à retourner dans leur collectivité.

Le sénateur Klyne : Une préoccupation commune en ce qui concerne les détenus autochtones est leur manque d’accès à une caution. Il semble que si un détenu répond aux critères de renversement du fardeau de la preuve, un juge soit plus susceptible d’imposer — comme un échelon inférieur dans le principe de l’échelle — une caution comme condition de la mise en liberté sous caution. Le projet de loi C-48 va-t-il exacerber ce problème?

Me Niman : Je veux qu’il soit bien clair que je tente de trouver un juste milieu dans ma position d’aujourd’hui en tant que représentante de l’AFAC appuyant les femmes autochtones qui veulent être protégées et méritent d’être protégées contre la violence entre partenaires intimes. C’est de ce point de vue que l’AFAC appuie ce que le projet de loi C-48 tente de faire. D’un autre côté, il faut s’assurer de ne pas incarcérer un nombre disproportionné de femmes autochtones, et c’est là qu’entrent en jeu les doubles accusations. C’est dans ce contexte que je vais formuler ma réponse.

Il y a plusieurs facteurs — pas seulement la capacité de fournir une caution, mais aussi le logement, l’emploi, la fiabilité et l’itinérance — qui ont tous des répercussions disproportionnées sur les femmes autochtones et les Autochtones en général, ce qui les désavantage. C’est la raison pour laquelle nous voyons un plus grand nombre d’Autochtones que de non-Autochtones incarcérés à l’étape de la détention provisoire.

Le sénateur Klyne : Merci.

La sénatrice Clement : Bienvenue et merci à tous pour le travail que vous faites. Je tiens simplement à rappeler que j’occupe un petit emploi dans une clinique d’aide juridique, où je ne fais pas de droit pénal ni de travail lié à l’administration fédérale. Je voulais préciser cela d’entrée de jeu.

Je vous remercie de votre commentaire, monsieur Field, au sujet du fait que plus les dépenses au titre des services de police sont élevées, plus il faut investir dans la défense et l’aide juridique. J’aimerais que vous nous parliez un peu plus du concept de sécurité publique. S’il y a suspension d’accusations graves, qu’est-ce que cela signifie pour la confiance et le sentiment de sécurité du public à l’égard de notre système judiciaire? Qu’en pensez-vous?

Maître Niman, je comprends que vous nuanciez vos réponses, surtout par suite des questions du sénateur Klyne. Je veux simplement m’assurer de bien comprendre si vous appuyez l’amendement visant à exiger que l’article 493 soit pris en compte et que cela soit précisé. Merci.

M. Field : Je pense que les sursis diminuent la confiance dans le système de justice, mais je pense que c’est la solution au problème que nous examinons. Comment pouvons-nous nous assurer qu’il n’y a pas de sursis? La façon d’y arriver, c’est d’avoir un système plus efficace, mais je pense que cela ne fera que compliquer les choses. Ce qui est proposé dans le projet de loi fera en sorte de compliquer davantage le fonctionnement efficace du système de justice, et c’est ce qui se produit lorsque des gens se retrouvent sans enquête sur le cautionnement pendant une longue période et qu’un juge estime que ce n’est pas approprié. Je pense que c’est la décision du juge, mais la solution consiste à corriger le système et à le rendre plus efficace. Il y a des problèmes liés à la confiance des gens, mais la solution est très différente de ce qui est proposé ici.

La sénatrice Clement : Les provinces ont fait front commun pour appuyer ce projet de loi. La Colombie-Britannique, en particulier, a fait beaucoup de travail de leadership en ce qui concerne les stratégies autochtones et les stratégies de lutte contre le racisme. Voyez-vous cela en Ontario? Pensez-vous que la province où nous siégeons fait des investissements qui feront partie des solutions dont vous parlez?

M. Field : Je pense que cela dépasse mes compétences. C’est vraiment une question à laquelle le procureur général de la province doit répondre. Je suis ici pour parler de la façon dont nous administrons ce programme, des répercussions de ce projet de loi et de son effet sur notre programme. Je ne peux vraiment pas aller au-delà de cela et me prononcer sur les investissements que le gouvernement fait dans d’autres domaines.

La sénatrice Clement : Mais vous appuyez les investissements dans la lutte contre la pauvreté?

M. Field : Absolument. Ce sont des choses de ce genre qui préviendraient les taux de criminalité élevés dans n’importe quel secteur de compétences, grâce au soutien social offert aux gens. Nous avons parlé de toxicomanie, de problèmes de santé mentale, de toutes ces choses, et beaucoup de témoins ont dit que c’est le genre d’investissements qui sont nécessaires.

Me Niman : Je vous remercie de votre question et je suis heureuse de pouvoir préciser que l’AFAC appuie la recommandation de l’Association canadienne des libertés civiles d’inclure un libellé faisant expressément référence aux obligations en vertu de l’article 493.

Le langage utilisé est proactif, et j’apprécie cela parce qu’en apportant un amendement qui comprend un libellé impératif, on ne se contente pas de se conformer à la règle. C’est une mesure de transparence, et cela permet d’établir un lien de confiance avec la communauté autochtone et les femmes autochtones.

Les cas de violence entre partenaires intimes et le point de rencontre avec les forces de l’ordre exigent un niveau élevé de confiance. Lorsque vous êtes une femme autochtone, il faut beaucoup de courage pour demander de l’aide dans ces situations, et lorsqu’il y a double accusation, vous êtes à la fois l’accusée et la victime.

Lorsqu’il faut expliquer...

Le vice-président : Veuillez conclure, maître Niman.

Me Niman : L’obligation de faire preuve de transparence quant à la façon dont les facteurs Gladue sont inclus dans une décision, et pas seulement les faits, est ce qui est important pour établir la confiance.

La sénatrice Clement : Merci.

Le sénateur D. Patterson : Merci à tous les témoins.

J’ai déjà été avocat à l’aide juridique, tout comme ma collègue et probablement la sénatrice Jaffer. Monsieur Field, ma question s’adresse à vous. Vous avez parlé de l’effet disproportionné que ce projet de loi aura sur les clients de l’aide juridique et sur les systèmes d’aide juridique, et vous avez également souligné que les récentes mesures visant à accroître le financement des services de police et des procureurs exacerberont cette situation. Je sais que les coûts sont partagés à l’échelle du pays, mais pourriez-vous nous donner une idée de la tendance quant au financement de l’aide juridique par le gouvernement fédéral au Canada? Nous avons entendu le ministre dire qu’il y avait eu une augmentation du financement de l’aide juridique au cours des dernières années, mais pour que nous puissions faire des observations sur le fardeau de l’aide juridique, il serait utile d’avoir des renseignements concrets sur ces tendances.

M. Field : Le ministre a raison de dire qu’il y a eu des investissements supplémentaires dans l’aide juridique, mais si vous regardez la façon dont cela est structuré, il s’agit d’un financement d’année en année ou en cours d’année. En tant qu’association, nous avons rencontré les représentants du ministère de la Justice à plusieurs reprises et nous leur avons expliqué que nous ne pouvons pas vraiment planifier. Il a été annoncé à plusieurs reprises dans le budget qu’il s’agissait d’un financement ponctuel, alors cela ne nous aide pas vraiment à planifier à long terme.

Pour ce qui est simplement du financement de base que l’aide juridique reçoit du gouvernement fédéral, il s’agit de 100 millions de dollars, dont 58 millions de dollars sous forme de financement de base, et le reste, sous forme de financement ponctuel, selon les circonstances. Chaque année, nous devons quémander auprès du gouvernement fédéral en disant : « Nous manquons d’argent. Nous avons besoin de votre aide. »

Je pense que les autres régimes sont dans une situation beaucoup plus précaire qu’Aide juridique Ontario. Nous avons une base plus vaste. La province nous fournit beaucoup d’argent, et certains des autres régimes dépendent beaucoup plus que nous du financement fédéral. C’est un grave problème pour bon nombre de régimes au pays, car comment peuvent-ils planifier lorsque, d’une année à l’autre, ils ne savent pas exactement ce que le gouvernement fédéral va investir? Comment pouvons‑nous modifier la rémunération horaire des avocats? Nous ne pouvons pas faire marche arrière d’une année à l’autre et dire : « Désolé, nous n’allons pas vous payer autant que l’an dernier. » Voilà le genre de défis de planification que cela représente.

Le sénateur D. Patterson : Pourriez-vous fournir cela par écrit au comité par l’entremise du greffier, s’il vous plaît?

M. Field : Nous pouvons certainement vous fournir l’information. Ces renseignements figurent dans nos états financiers, mais je peux vous les fournir.

Le sénateur D. Patterson : Je veux dire pour l’ensemble du pays, si vous avez accès à cela par l’entremise de votre association, s’il vous plaît.

La sénatrice Pate : Merci à tous d’être parmi nous.

J’allais vous demander comment vos divers organismes font pression concernant le genre d’interventions que vous appuyez tous, mais je vais d’abord m’adresser à vous, madame Yule. Vous vous êtes prononcée et vous avez écrit au sujet des condamnations injustifiées et de la façon dont les activités courantes du système actuel ont tendance à avoir une incidence disproportionnée sur les femmes et les victimes, alors je suis curieuse. Je sais que vous avez fait du travail dans les prisons et que vous avez interviewé des gens à ce sujet. Je me demande si vous pouvez nous donner plus de précisions.

Mme Yule : Merci beaucoup de la question.

Mon travail auprès des femmes en détention n’était pas tant que cela axé sur les condamnations injustifiées. Il s’agit plutôt de travaux antérieurs sur leurs expériences de victimisation.

Cela dit, le lien entre la condamnation injustifiée, dont il a été question aujourd’hui, et le projet de loi C-48 est très préoccupant, et nous devons le prendre au sérieux parce que, si des personnes sont confrontées à des obstacles accrus à la mise en liberté sous caution, il y a certainement une plus grande probabilité qu’elles décident qu’il est dans leur intérêt de plaider faussement coupable pour quelque chose qu’elles n’ont pas fait, afin d’éviter de passer de longues périodes en détention provisoire. Les conséquences très négatives de la détention provisoire ont déjà été discutées hier et aujourd’hui, alors je ne vais pas m’étendre là-dessus. On craint vraiment une augmentation des condamnations injustifiées et des faux plaidoyers de culpabilité, des erreurs judiciaires en général, si nous alimentons un système surchargé en rendant de plus en plus difficile la mise en liberté sous caution, en raison de l’élargissement de la disposition relative au renversement du fardeau de la preuve.

La sénatrice Pate : Toujours dans le même ordre d’idées, en ce qui concerne l’aide juridique, je suis particulièrement préoccupée par le fait que l’un des problèmes soulevés est que cela privilégiera ceux qui ont des ressources. Vous avez déjà mentionné certaines des répercussions que cela aura sur les systèmes d’aide juridique et sur les avocats de service. J’aimerais savoir si l’un d’entre vous, ou vous tous, avez quelque chose à dire sur la façon dont cela deviendra le privilège de ceux qui ont les plus grandes ressources de mettre en place des moyens de défense.

M. Pratt : C’est ce qui nous préoccupe, car ce projet de loi et l’élargissement du renversement du fardeau de la preuve font en sorte que nos avocats de service doivent répondre à un nombre de plus en plus grand de demandes. Comment pouvons-nous donner suite à ces demandes? Comment pouvons-nous fournir ce genre de services sans que cela soit au détriment d’autres services? On a déjà mentionné certaines des difficultés auxquelles se heurtent actuellement les personnes sans ressources qui dépendent de l’aide juridique pour obtenir une mise en liberté sous caution, comme l’accès à des cautionnements et à un logement. Avec le renversement du fardeau de la preuve, ces coûts augmentent.

L’un des aspects que je tiens à mentionner au sujet de l’importance du travail des avocats de service dans le cadre de ce projet de loi, c’est qu’il est nécessaire parce qu’il aide à atténuer les risques liés à ce projet de loi. En fait, d’une certaine façon, il appuie les objectifs du gouvernement, qui consistent à mettre l’accent sur les délinquants violents. Les gens qui ont commis une agression armée en utilisant un objet relativement inoffensif vont y échapper. Les femmes qui ont été libérées pour violence entre partenaires intimes ne seront pas criminalisées. C’est le travail de l’avocat de service de porter cela à l’attention des procureurs de la Couronne et des juges, et nous aurons comme défi de poursuivre ce travail.

Le sénateur Arnot : À mon avis, l’aide juridique a toujours souffert d’un manque de ressources et de financement. D’après ma propre expérience, je constate que les avocats de l’aide juridique semblent être — c’est une généralisation — assez stressés par les responsabilités professionnelles incroyables qu’ils ont. Ce n’est pas une exagération. Dans quelle mesure croyez-vous que les gouvernements fédéral, provinciaux ou territoriaux fourniront les types de ressources nécessaires aux services d’aide juridique pour qu’ils puissent offrir une représentation équitable à leurs clients?

M. Field : C’est une question difficile. Je dirais que ce sera toujours un problème. L’aide juridique n’est pas populaire, alors les gouvernements ne peuvent pas annoncer qu’ils y consacrent de l’argent et s’attendre à recevoir un grand soutien du public à cet égard. C’est un problème permanent. Ce sera toujours un défi. Il y aura toujours des pressions, ou du moins des tentatives de pressions, pour que les gouvernements fournissent les ressources dont nous avons besoin pour faire notre travail. Cela a des répercussions constitutionnelles. Aucun gouvernement ne veut nous voir représenter des clients, ni voir des gens condamnés à tort. Ce sera un problème permanent.

[Français]

Le vice-président : Merci beaucoup. Je remercie sincèrement nos témoins de leurs témoignages éclairants. Je vous remercie également, chers collègues. L’une des responsabilités d’un président de comité, c’est de respecter le temps qui nous est imparti. Grâce à votre discipline, nous finissons la réunion à l’heure prévue. Je vous souhaite à tous une bonne fin de semaine. Nous nous reverrons dans deux semaines.

(La séance est levée.)

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