LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 25 octobre 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 18 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi d’interprétation et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Je m’appelle Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du comité. J’invite maintenant les sénateurs à se présenter.
La sénatrice Jaffer : Bienvenue, monsieur le ministre. Bienvenue à vous tous. Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Pate : Bienvenue. C’est un plaisir de vous revoir. Je m’appelle Kim Pate. Je vis ici, sur le territoire non cédé et non abandonné de la nation algonquine anishinabe.
Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.
Le sénateur Cardozo : Andrew Cardozo, de l’Ontario.
La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6.
[Français]
La sénatrice Clement : Bienvenue. Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Sénateur Paul Prosper. Je viens de la Nouvelle-Écosse, le territoire traditionnel des Micmacs.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Sénatrice LaBoucane-Benson, de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, division sénatoriale des Laurentides, du Québec.
La sénatrice Audette : Bonjour [mots prononcés en innu‑aimun]. Michèle Audette [mots prononcés en innu-aimun], du Québec.
[Traduction]
Le sénateur D. Patterson : Dennis Patterson, sénateur du Nunavut, Inuit Nunangat.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Bonjour. Pierre Dalphond, division sénatoriale De Lorimier, au Québec.
[Traduction]
Le président : Merci.
C’est avec grand regret que je dois informer les sénateurs, les témoins et les gens qui regardent la réunion, que l’honorable sénateur Ian Shugart est décédé plus tôt aujourd’hui. Nous aurons l’occasion de lui rendre hommage ultérieurement, mais pour l’instant, au nom de vous tous et de toutes les personnes associées à cette réunion, je tiens à offrir mes plus sincères condoléances à son épouse Linda, à son fils James, à ses filles Robin et Heather, ainsi qu’à toute la famille Shugart. Je vous invite maintenant à vous joindre à moi pour observer un moment de silence.
(Les personnes présentes observent un moment de silence.).
Merci, chers collègues.
Avant que nous commencions, je dois préciser que les membres du Parti conservateur qui siègent à ce comité ont été informés que les membres du caucus conservateur ne participeraient pas aux réunions de comité aujourd’hui. Par conséquent, le vice-président de notre comité, le sénateur Boisvenu, et la sénatrice Batters se sont retirés de la réunion. Quoi qu’il en soit, nous poursuivrons nos travaux, car nous avons des questions d’une certaine importance à examiner. Lors d’un échange privé que j’ai eu avec le sénateur Dalphond — si je peux me permettre, sénateur Dalphond —, nous avons convenu que Ian Shugart voudrait que nous poursuivions nos travaux.
Cela étant dit, permettez-moi de passer à la question qui nous occupe. Honorables sénateurs, nous sommes réunis pour commencer notre étude du projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi d’interprétation et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
Nous sommes ravis d’accueillir à nouveau, dans notre premier groupe de témoins, l’honorable Arif Virani, ministre de la Justice et procureur général du Canada. Il est accompagné de fonctionnaires du ministère. Nous recevons le sous-ministre délégué, M. Jean-François Fortin — bienvenue, monsieur Fortin. Nous accueillons également la sous-ministre adjointe du portefeuille des droits et relations autochtones, Mme Laurie Sargent — bienvenue, madame Sargent. Et nous recevons la directrice générale et avocate générale principale, Me Uzma Ihsanullah — bienvenue, maître Ihsanullah. Je vous remercie tous de votre présence.
Je voudrais profiter de ce moment pour signaler aux membres du comité que des votes ont lieu à la Chambre des communes et que le ministre Virani a indiqué qu’à une ou deux occasions — cela vient d’ailleurs de se produire —, il devra voter à distance. Il est étonnant de voir qu’il a réussi à éviter de commencer sa déclaration préliminaire. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de suspendre la séance, mais nous allons prendre un moment pendant que le ministre Virani vote.
Avez-vous une question, sénatrice Dupuis?
[Français]
La sénatrice Dupuis : Puisque de toute façon nous attendons que le ministre se libère, ma question est la suivante : lors de notre dernière réunion, on avait fait une observation dans le rapport qui a été déposé au Sénat. Le rapport n’a pas encore été adopté, mais on y demandait que l’on dépose une analyse comparative entre les sexes plus devant notre comité pour chacun des projets de loi avant le début des travaux. Est-ce que je peux savoir si le comité a reçu l’analyse comparative entre les sexes plus du ministère de la Justice pour ce qui est du projet de loi S-13?
[Traduction]
Le président : Voulez-vous dire pour ce projet de loi?
[Français]
La sénatrice Dupuis : Oui, le projet de loi S-13.
[Traduction]
Le président : Nous ne l’avons pas reçu à ce moment-ci.
La parole est à vous, monsieur le ministre.
Arif Virani, c.p., député, ministre de la Justice et procureur général du Canada, ministère de la Justice Canada : Merci beaucoup, sénateurs. Je veux seulement vous informer, comme l’a fait le président, qu’il me reste encore un vote. Ce sera dans environ 12 ou 14 minutes. Je vous remercie.
Bonjour à tous. Je suis ravi de revenir devant le comité sénatorial pour parler du projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi d’interprétation et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
Je voulais d’abord souligner le départ de votre collègue, M. Shugart. J’ai bien aimé que nous observions un moment de silence. Il est une véritable légende pour cette institution. Il est reconnu pour le travail qu’il a accompli en tant que très haut fonctionnaire, greffier du Conseil privé et, plus récemment, collègue ici, au Sénat. Son absence se fera sentir pendant de nombreuses années.
Pour ce qui est des observations que j’ai à vous présenter, je tiens à dire que le projet de loi dont je parle, le projet de loi S-13, se fait attendre depuis longtemps. De nombreux Inuits, Métis et membres des Premières Nations demandent depuis longtemps qu’une disposition de non‑dérogation relative à l’article 35 soit ajoutée à la Loi d’interprétation fédérale. Une telle disposition s’appliquerait à toutes les lois fédérales et rappellerait l’importance qu’ont les droits ancestraux ou issus de traités confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
[Français]
Dans le cadre du Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, rendu public le 21 juin cette année, les peuples autochtones ont identifié que le projet d’adoption d’une disposition de non‑dérogation continue d’être une priorité. L’adoption du projet de loi signifierait la réalisation d’une des mesures prioritaires communes énoncées dans le plan d’action.
Je tiens à prendre un moment pour souligner le travail acharné et le grand dévouement des partenaires autochtones qui ont participé aux consultations et collaboré avec nous pour faire avancer le projet de loi. Les peuples autochtones et les organisations qui les représentent ont pris part à plus de 70 rencontres et ils ont déposé plus de 45 mémoires concernant l’initiative législative sur la disposition de non‑dérogation. Je suis extrêmement reconnaissant à tous ceux qui ont partagé leurs perspectives et leur expertise technique.
[Traduction]
Je voudrais seulement ajouter en passant qu’à 9 heures, ce matin, je rencontrais le comité exécutif de l’Assemblée des Premières Nations, ou l’APN, qui est composé de la cheffe intérimaire de l’APN et des chefs régionaux de partout au pays, qui étaient présents en personne ou virtuellement. Ils savaient très bien que je comparaissais devant le comité aujourd’hui pour parler du projet de loi S-13. Ils ont souligné une fois de plus l’intérêt que montrent diverses collectivités des Premières Nations du pays pour l’adoption de ce projet de loi et l’importante modification à la Loi d’interprétation qui en découle.
Permettez-moi maintenant de parler du contenu du projet de loi S-13. On y propose d’ajouter à la Loi d’interprétation fédérale une disposition de non‑dérogation relative à l’article 35 et d’abroger la plupart des dispositions de non‑dérogation contenues dans d’autres lois.
L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme les droits ancestraux ou issus de traités. Ces droits sont d’une importance capitale pour les peuples autochtones. Ils comprennent les droits relatifs aux terres, aux ressources — y compris les droits de récolte, de chasse et de pêche — à la culture, à la langue, aux cérémonies et d’autres droits collectifs qui sont au cœur de la question de l’autodétermination et de l’autonomie gouvernementale des Autochtones. Ainsi, la Constitution protège ces droits contre toute atteinte découlant de mesures gouvernementales, y compris de mesures législatives, à moins que l’atteinte ne soit justifiable conformément au critère rigoureux qui a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sparrow.
Une disposition de non‑dérogation relative à l’article 35 tient compte de cette protection constitutionnelle en stipulant qu’un texte législatif doit être interprété conformément aux droits constitutionnels prévus à l’article 35 et de façon à ce qu’il n’y ait pas d’effet négatif sur eux. L’ajout d’une disposition de non‑dérogation vise donc à souligner qu’il est important de maintenir les droits prévus à l’article 35 et d’appliquer les lois fédérales de manière à éviter de porter atteinte à ces mêmes droits.
L’inclusion d’une disposition de non‑dérogation dans la Loi d’interprétation garantirait que l’ensemble des lois et des règlements fédéraux soient interprétés de manière à maintenir, et non à réduire, les droits des peuples autochtones confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Par conséquent, il ne serait plus nécessaire d’inclure une disposition de non‑dérogation dans les différentes lois fédérales, comme on l’a fait jusqu’à présent.
[Français]
Le projet de loi ferait en sorte que toutes les lois fédérales soient interprétées d’une manière compatible avec l’article 35 de la Constitution. Ainsi, les peuples autochtones n’auraient plus à insister pour faire inclure des dispositions de non‑dérogation chaque fois que le gouvernement présenterait un nouveau projet de loi susceptible d’avoir une incidence sur les droits reconnus par l’article 35.
De plus, le projet de loi favorise l’uniformité des lois fédérales au regard des dispositions de non‑dérogation. L’approche ponctuelle, conjuguée à l’évolution du paysage juridique et des pratiques de rédaction des lois, a mené au cours des 40 dernières années à des dispositions de non‑dérogation qui diffèrent entre elles. Ainsi, on se retrouve aujourd’hui avec plusieurs textes de loi dont les dispositions de non‑dérogation sont formulées différemment.
[Traduction]
C’est précisément pour garantir que les lois soient claires et cohérentes que le projet de loi propose d’abroger la quasi-totalité des dispositions de non‑dérogation contenues dans les lois existantes, à quelques exceptions près. Lorsque les peuples autochtones directement touchés par les différents textes législatifs nous ont indiqué qu’il était important de conserver une disposition de non‑dérogation particulière dans un texte donné, la disposition a été préservée. On parle de circonstances exceptionnelles et très limitées. Il s’agit de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, de la Loi sur l’autonomie gouvernementale de la Nation shishalhe et de la Loi sur le gouvernement du territoire provisoire de Kanesatake. Ce sont les trois seuls exemples.
En outre, le projet de loi s’appuie sur les travaux importants qu’a accomplis le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles et sur son rapport de 2007. Je me tourne vers la sénatrice Jaffer parce qu’elle était membre de ce comité il y a environ 16 ans, lorsqu’il a publié un rapport intitulé Prendre au sérieux les droits confirmés à l’article 35 : Dispositions de non‑dérogation visant les droits ancestraux et issus de traités. En effet, le comité faisait progresser la réconciliation avant même que l’on ne prononce le mot « réconciliation ». Dans son rapport, il recommandait au gouvernement du Canada de présenter une mesure législative afin d’ajouter une disposition de non‑dérogation à la Loi d’interprétation fédérale et d’abroger de telles dispositions dans des lois existantes. Un grand nombre de dirigeants autochtones et de spécialistes ont participé aux audiences du comité sénatorial qui ont abouti à la publication du rapport de 2007 et ont continué à plaider en faveur de sa mise en œuvre depuis.
En réponse à ces efforts soutenus et à ce leadership continu, Justice Canada a lancé, en décembre 2020, un processus de consultation ciblé pour faire avancer les discussions sur l’initiative relative à la disposition de non‑dérogation. Le processus visait à déterminer si les points de vue avaient changé depuis la publication du rapport du Sénat en 2007 et à évaluer la mesure dans laquelle on appuyait l’initiative. Ce processus ciblé nous a permis de constater que la proposition de modifier la Loi d’interprétation fédérale jouissait toujours d’un appui considérable.
[Français]
De décembre 2021 à mai 2023, un groupe considérablement élargi de partenaires autochtones a eu l’occasion de formuler des commentaires. Ce nouveau processus de consultation et de collaboration s’est déroulé en deux phases supplémentaires.
La première de ces deux phases supplémentaires a commencé en décembre 2021, quand le ministre de la Justice précédent a annoncé un processus de consultation et de collaboration élargi, conformément aux exigences posées par la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Des rencontres ont eu lieu avec les partenaires autochtones à partir de février 2022 dans le but d’examiner les options pour la modification de la Loi d’interprétation afin d’y inclure une disposition de non‑dérogation.
[Traduction]
Au cours de la dernière phase du processus de consultation et de collaboration, une ébauche de proposition législative a été affichée sur le site Web de Justice Canada du 1er mars 2023 au 14 avril 2023. Cette méthode a permis d’améliorer la transparence du processus de consultation et de collaboration et a permis aux partenaires autochtones d’examiner l’ébauche de proposition législative et de formuler des commentaires.
Tout au long du processus, les partenaires autochtones se sont montrés très favorables à l’initiative relative à la disposition de non‑dérogation, même si les avis divergeaient quant à son libellé. Certains préféraient l’expression « peuples autochtones », tandis que d’autres disaient qu’il fallait utiliser l’expression « droits ancestraux ou issus de traités », qui reflète plus fidèlement l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les deux expressions sont utilisées dans le projet de loi pour illustrer un compromis entre les options linguistiques qui avaient été proposées par les partenaires autochtones.
[Français]
Le sort qui serait réservé aux dispositions de non‑dérogation se trouvant dans les lois existantes a également fait l’objet de discussions soutenues avec les partenaires autochtones.
L’abrogation de la totalité des dispositions de non‑dérogation n’était pas l’avenue privilégiée par les partenaires autochtones. De fait, de nombreux partenaires autochtones ont fait valoir que les dispositions de non‑dérogation devaient rester dans les lois qui ont une incidence directe sur des peuples autochtones, si tel était le souhait des peuples touchés.
[Traduction]
Je pense que l’élément important, c’est que nous avons toujours été à l’écoute des intervenants autochtones, en particulier de ceux que nous avons consultés sur la question.
En terminant, les changements envisagés dans le projet de loi renforcent les protections constitutionnelles énoncées à l’article 35. Ils contribueront à promouvoir, à protéger et à confirmer les droits des Autochtones à l’échelle fédérale, tout en rendant l’interprétation de toutes les lois fédérales plus cohérente. En résumé, l’initiative témoigne de notre volonté de travailler en partenariat avec les peuples autochtones pour renforcer les relations entre nations, entre les Inuits et la Couronne, et entre gouvernements.
Merci.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
Nous avons une liste de sénateurs qui souhaitent vous poser des questions. Ce sera la marraine du projet de loi qui commencera. Nous allons seulement attendre que le ministre Virani ait voté. Il a terminé sa déclaration au bon moment, ce qui est une bonne chose.
J’invite la sénatrice LaBoucane-Benson à poser la première question.
M. Virani : Le vote est terminé. Il n’y aura plus d’interruption.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Je crois que tous les sénateurs ont reçu le Rapport sur ce que nous avons appris en octobre. Si vous en avez besoin, je peux vous le fournir.
J’ai remarqué que quelques partenaires soulevaient la possibilité d’inclure dans la Loi d’interprétation une référence à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ce n’est pas dans le projet de loi. Pourriez-vous nous dire pourquoi et si on prévoit l’inclure?
M. Virani : Je vous remercie de la question, sénatrice. Merci d’être la marraine du projet de loi dans cette chambre.
Nous croyons comprendre, par exemple, que l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique a inclus un élément relatif à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en ce qui concerne la disposition de non‑dérogation. Ce que je comprends également, c’est que la Colombie-Britannique l’a fait après avoir consulté les peuples autochtones.
Si l’on remonte jusqu’en 2007 et que l’on examine l’étude du Sénat, puis les échanges que nous avons eus avec les collectivités et les groupes autochtones, les organisations autochtones nationales, et cetera, tous nous avaient indiqué souhaiter qu’on ajoute une disposition de non‑dérogation relative à l’article 35, mais ils ne nous avaient pas dit qu’ils voulaient qu’un élément relatif à la déclaration soit inclus dans la disposition.
Il est vraiment important de mentionner quelque chose à propos de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones — et vous le savez probablement tous très bien. Si l’on veut aller de l’avant sur une base qui donne vraiment des moyens d’action et qui correspond au sens du document et qui trace une nouvelle voie pour les relations entre les gouvernements et les peuples autochtones sur cette terre, selon l’article 5, pour ce faire, on doit consulter les peuples autochtones et collaborer avec eux. Je le soulève parce que si nous voulions aller dans cette direction, nous ne voudrions jamais le faire sans consulter les dirigeants autochtones.
Si je peux me permettre, il s’agit à première vue d’une proposition assez simple quant au projet de loi actuel et à ce que nous essayons de faire. Cela dit, j’ai dit plus tôt qu’il y avait eu des consultations pendant deux ans rien que sur la question relative à la disposition de non‑dérogation. Je pense qu’il serait nécessaire d’effectuer le travail de consultation si nous voulions inclure la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans la disposition.
La sénatrice LaBoucane-Benson : Merci.
La sénatrice Jaffer : Merci, monsieur le ministre. Grâce à vous, tout le monde sait maintenant que je suis une relique au sein de ce comité.
J’aimerais poursuivre dans la foulée de la question de la sénatrice LaBoucane-Benson. Le Parlement a déjà adopté la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. La mesure législative est entrée en vigueur en juin 2021. Je ne comprends toujours pas. Je sais que vous avez donné l’explication, et je l’accepte. La référence directe de la déclaration concernant cette protection est plus explicite que l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Elle est plus explicite. A-t-on discuté de la question par respect pour les personnes que vous avez consultées?
M. Virani : Concernant la question de savoir si la question a été soulevée au cours des consultations, je m’en remettrai à mes collaborateurs, mais les deux ont des objectifs différents. L’article 35 traite des droits ancestraux ou issus de traités. Lorsqu’il est question de ne jamais porter atteinte à ces droits ancestraux ou issus de traités dans la manière dont nous interprétons les lois fédérales, c’est ce que nous visons par cette modification précise, qui est censée réduire la nécessité de soulever la même question pour chaque loi et les problèmes d’uniformité dans certaines dispositions — certaines dispositions d’une loi ne correspondent pas à celles d’une autre, par exemple. Des intervenants autochtones ont très clairement demandé, et ce, de façon continue — il en aurait été ainsi à votre comité il y a 16 ans —, que l’on fasse exactement cela.
Le lien avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est intéressant dans la mesure où nous disposons d’un plan d’action sur la déclaration, que nous avons présenté en juin dernier. Le plan d’action contient des mesures qui sont l’équivalent d’un appel à l’action de la Commission de vérité et réconciliation. Nous les appelons des priorités partagées. La priorité 2a), si je me souviens bien, porte précisément sur l’idée d’apporter cette modification à la Loi d’interprétation.
Y a-t-il un lien entre les deux documents? Certainement. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA, est-elle plus importante? Je vais poliment mettre le holà et dire que les deux documents abordent des questions différentes. La DNUDPA porte sur la voie de l’avenir et la façon dont nous sommes censés traiter les relations avec les peuples autochtones, alors que l’article 35 traite des questions liées aux droits ancestraux et issus de traités qui remontent en fait aux traités signés il y a littéralement des centaines d’années. Ces documents ont tous deux de l’importance.
S’il est quelque chose que j’ai appris dans mon rôle de ministre et en tant que parlementaire au cours des huit dernières années, c’est qu’il n’est jamais prudent de faire quoi que ce soit sans l’adhésion, la participation et la consultation actives des peuples autochtones lorsque leurs intérêts sont en jeu. Il faudrait donc que nous les consultions soigneusement avant d’agir dans ce domaine.
Peut-être que Mme Sargent peut parler de la consultation.
Laurie Sargent, sous-ministre adjointe, Portefeuille des droits et relations autochtones, ministère de la Justice Canada : Merci beaucoup de cette question.
Pour compléter la réponse du ministre, oui, certains titulaires de droits ont assurément soulevé la question dans différentes régions du pays. Je sais que vous entendrez des témoins à ce sujet. Mais dans l’ensemble, c’est vraiment de l’article 35 dont nous avons entendu parler pour l’instant.
Je tiens à souligner que notre Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones — désolée, je dis « notre », car je me suis beaucoup impliquée — traite du rôle de la Déclaration des Nations unies dans l’interprétation de toutes les lois fédérales. C’est un peu différent de la loi de déclaration équivalente de la Colombie-Britannique, qui n’a pas de disposition interprétative. Dans une certaine mesure, nous en avons déjà dans une dans la loi elle-même.
Comme le ministre l’a indiqué, nous attendons avec impatience les changements supplémentaires qui pourraient être apportés à la Loi d’interprétation, mais, à bien des égards, ces points sont déjà, dans une certaine mesure, couverts par la Loi sur la DNUDPA elle-même.
La sénatrice Jaffer : Madame Sargent, vous avez en quelque sorte répondu à ma prochaine question. Je viens de la Colombie-Britannique, laquelle a modifié sa loi d’interprétation provinciale pour qu’elle soit interprétée comme étant conforme à la DNUDPA ainsi qu’aux droits protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Pourquoi le gouvernement fédéral ne fait-il pas de même? Pourquoi n’accepte-t-il pas les deux?
M. Virani : Mme Sargent vous a parlé des différentes composantes et, dans une certaine mesure, des chevauchements. Je répéterai ce que j’ai dit à la sénatrice LaBoucane-Benson, à savoir que les fonctionnaires de la Colombie-Britannique, avant d’adopter cette disposition, ont mené des consultations exhaustives auprès des Premières Nations. Je dirai aussi poliment, sénatrice Jaffer, que c’est parfois plus facile de traiter avec les Premières Nations d’une province qu’avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis du pays. L’exercice est de plus grande envergure, et à juste titre, quand on est le gouvernement national dans un pays fédéré. Cette consultation est l’élément clé. Or, elle n’a pas été menée avec la moindre rigueur, et c’est pourquoi je serais très réticent à m’engager dans cette voie pour l’instant.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie, monsieur le ministre.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Bienvenue, monsieur le ministre. J’ai une question un peu technique. Le projet de loi S-13 va modifier la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones pour supprimer une disposition qui figurait au paragraphe 2(1). Cet article se lit comme suit :
La présente loi maintient les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 [...]
Le texte qui va le remplacer est un peu différent. Il dit ce qui suit :
Tout texte maintient les droits — ancestraux ou issus des traités — des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 [...]
Pourquoi le ministère a-t-il modifié quelque peu la terminologie de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, qui a été adoptée il n’y a pas très longtemps?
Ma question étant très technique, elle ne s’adresse peut-être pas à vous, monsieur le ministre.
Je pense que quelqu’un a dû penser à ajouter ces mots avec des tirets.
M. Virani : Je vais céder la parole à Mme Sargent.
Mme Sargent : Merci de la question. Je crois qu’en effet, c’était le résultat d’une réflexion plus généralisée sur la façon dont la Loi d’interprétation est rédigée. Nos rédacteurs, qui sont les spécialistes dans ce domaine, ont décidé que, puisqu’on avait l’occasion de regarder ce texte, on pouvait encore l’améliorer un peu sans changer quoi que ce soit au sens des termes ou du libellé. C’est pour cette raison qu’on voit une légère différence, ce qui n’a aucun effet juridique, selon nous.
Le sénateur Dalphond : Ma deuxième question s’adresse au ministre.
[Traduction]
Ici encore, cela concerne l’interrelation entre la Loi d’interprétation et la DNUDPA. Le plan d’action du ministère, qui n’a été publié qu’en juin, il y a quelques mois, indique ce qui suit :
2. Cerner et classer par ordre de priorité les lois fédérales existantes en vue d’une révision et d’une éventuelle modification, notamment :
une disposition interprétative dans la Loi d’interprétation ou d’autres lois, qui prévoirait l’utilisation de la Déclaration des Nations unies dans l’interprétation des lois fédérales...
Je comprends que cela a toujours fait partie du plan d’action, mais nous n’en sommes pas encore là parce que la consultation n’est pas terminée ou est en cours.
M. Virani : Ce qui est essentiel dans le plan d’action de l’ONU, c’est qu’il contient un certain nombre de dispositions. Il comporte 181 mesures. L’une des dispositions que j’ai mentionnées, je crois, à la sénatrice Jaffer, c’est l’alinéa 2a), qui parle d’apporter un amendement très précis à la Loi d’interprétation pour tenir compte de cela. Y a-t-il encore du travail à faire? Absolument, il y a encore du travail à faire, mais cela nécessite une consultation exhaustive.
La réunion de ce matin avec l’Assemblée des Premières Nations, ou APN, dont j’ai parlé portait sur la façon dont nous donnons un sens au plan d’action et sur la façon dont ces consultations se dérouleront, en ce qui concerne notamment l’affectation de ressources à l’APN pour y participer. C’est une demande que nous comprenons parfaitement. Il y a beaucoup de travail à faire, mais on prévoit également un délai de cinq ans pour la cessation éventuelle des mesures du plan d’action, qui touchent 25 ministères, je crois.
La réponse brève, c’est qu’il reste encore beaucoup de travail à faire. Cela prend et prendra du temps. Ce qui est important dans le cadre de la réflexion du comité, faite avec un certain recul, c’est qu’il s’agit d’un premier pas important. C’est une mesure qui est réclamée depuis de nombreuses années. Je tiens beaucoup à ce que nous allions de l’avant, ne serait-ce que pour assurer un peu plus de cohérence et d’uniformité dans la loi et pour ne plus obliger les communautés autochtones à lever la main et à demander : « Qu’en est-il du projet de loi sur la santé, du projet de loi sur l’industrie ou du projet de loi sur la main-d’œuvre? Où est votre disposition de non‑dérogation? » Cette mesure leur évitera d’avoir à le faire et nous permettra d’être un peu plus cohérents dans notre approche.
La sénatrice Pate : Pour continuer dans la même veine que mes collègues, j’ai reçu de nombreux messages de groupes autochtones au sujet de l’absence d’inclusion de la Déclaration des Nations unies et de l’élimination des dispositions de non‑dérogation dans un certain nombre de lois. Pourriez-vous fournir au comité des détails sur les consultations? Si vous ne pouvez le faire aujourd’hui, transmettez-nous l’information par écrit. Qui a été consulté? Quels commentaires ont été formulés? Nous pourrions ainsi voir quelle était l’opinion des divers groupes, par région et par groupes des Premières Nations, des Métis et des Inuits, ainsi que la représentation des sexes. Ce serait extrêmement utile, surtout avec l’information que nombre d’entre nous ont reçue dans leurs bureaux.
M. Virani : Je vais vous donner des informations préliminaires pour l’instant, sénatrice Pate, mais nous nous engageons à fournir certains des détails que vous avez demandés.
À titre d’étape initiale, nous avons entamé des discussions préliminaires avec certains des partenaires qui ont participé aux travaux du comité dont faisait partie la sénatrice Jaffer.
Puis, en décembre 2020, nous avons envoyé une lettre à environ 60 titulaires de droits autochtones et organisations représentatives pour les inviter à présenter des mémoires écrits. Nous avons tenu des réunions en 2021 pour donner suite à cette lettre et nous y avons reçu d’autres mémoires.
En décembre 2021, avec l’entrée en vigueur de la Loi sur la Déclaration des Nations unies, nous avons lancé la phase suivante de la consultation sur la disposition de non‑dérogation. Une lettre a été envoyée aux mêmes partenaires et nous avons reçu d’autres observations.
La dernière phase de la consultation a eu lieu en 2023, lorsque nous avons élaboré une ébauche de projet de loi et l’avons publiée sur le site Web. Je crois l’avoir mentionné plus tôt. À la fin de la période de consultation, cette ébauche a été retirée du site Web afin qu’un projet de loi officiel puisse être préparé. C’est, de fait, le projet de loi qui figure devant vous.
En ce qui concerne les observations qui ont été entendues, je pense que nous pouvons entreprendre de vous fournir le plus de détails possible sur l’ampleur de la consultation et les observations que nous avons reçues.
Vous vous souvenez que j’ai dit que nous supprimions et abrogions les dispositions de non‑dérogation dans environ 26 lois. M. Fortin hoche la tête, alors j’ai dû fournir le bon chiffre. Il reste cependant trois lois, et ce, uniquement en raison des commentaires des communautés autochtones touchées, qui estimaient qu’il était très important de conserver ces dispositions, puisque cela concerne des lois récentes qui ont trait à leur autonomie gouvernementale et elles voulaient que les dispositions soient maintenues. Par respect pour les communautés, nous avons respecté leurs souhaits.
Mon aide vient de m’informer que dans le Rapport sur ce que nous avons appris que la sénatrice LaBoucane-Benson a évoqué, l’annexe A dresse la liste des divers partenaires que nous avons entendus. Cela vous donne une meilleure idée des personnes qui ont participé — ou non, selon le cas. C’est à l’annexe A du Rapport sur ce que nous avons appris.
La sénatrice Pate : Si nous pouvions obtenir plus de détails, ce serait formidable.
M. Virani : Nous veillerons à vous en fournir.
La sénatrice Pate : Dans le rapport de 2007 intitulé Prendre au sérieux les droits confirmés à l’article 35 : dispositions de non‑dérogation visant les droits ancestraux et issus de traités, à la rédaction duquel ma collègue a participé, les consultations figurent évidemment au chapitre des recommandations, mais il a été recommandé à titre de mesure clé que les Autochtones ne devraient pas continuellement recourir aux tribunaux au sujet des atteintes aux droits qu’ils réclament, atteintes qu’il aurait été possible de prévenir par des consultations convenables, alors que les tribunaux devraient être le dernier recours et non le premier. Je pense que la plupart d’entre nous seraient d’accord avec cette recommandation. Quelles mesures votre gouvernement prend-il pour veiller à ce que les recommandations soient mises en œuvre et que les tribunaux ne soient pas encore l’organe de premier recours en raison de cette mesure législative?
M. Virani : Avec votre permission, je prendrai un peu de recul à cet égard. C’est essentiel, et j’avouerai que lorsque j’ai eu une réunion avec un chef autochtone au cours des quatre dernières semaines environ, j’ai trouvé troublant qu’il affirme que parfois, la seule façon d’obtenir une réunion, c’est de recourir à la menace ou d’intenter des procédures judiciaires. Cela ne se produira pas sous ma garde et j’espère que cela ne se produira pas non plus sous celle de mes collègues du Cabinet.
Je voudrais aussi prendre du recul pour dire que la directive sur les procédures judiciaires adoptée par celle qui occupait mon poste avant mon prédécesseur — soit Jody Wilson-Raybould — précise vraiment, à mon avis, la manière de traiter les procédures judiciaires et les perspectives de règlement. Il y a un ou deux jours à peine, nous avons conclu un règlement historique dans le litige sur le bien-être des enfants autochtones, qui a été ratifié par la Cour fédérale. C’est un pas important dans la bonne direction.
Malheureusement, ce sera un peu un modèle au cas par cas, mais ce qui me rassure légèrement, c’est que dans ce contexte, quand on modifie la Loi d’interprétation en disant qu’on ne peut déroger à l’article 35, on envoie un message aux juges, de toute évidence, en espérant qu’il soit reçu. Je pense que ce message doit être reçu bien avant le processus judiciaire, bien avant qu’on en arrive à un litige. Cette disposition est censée nous aider à interpréter la loi à titre d’élus et aussi en tant que hauts fonctionnaires. Dans ce contexte, l’objectif ambitieux consiste à faire en sorte que nous comprenions tous que les droits ancestraux et issus de traités sont importants et devraient être pris en compte dans toutes les mesures que nous prenons à l’égard des communautés autochtones du pays, en espérant éviter de devoir en arriver aux procédures judiciaires. C’est une très longue réponse à une question très importante.
Le président : Non, monsieur le ministre. Elle était trop longue, mais néanmoins excellente.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Bienvenue, monsieur le ministre. Je voudrais revenir sur le choix des termes, car Mme Sargent a dit : « On a changé les termes, mais cela veut dire la même chose. »
En général, en droit, le législateur ne parle pas pour ne rien dire. S’il change des termes, c’est parce qu’il a une raison de le faire. J’essaie de comprendre : si le terme Indigenous peoples, que l’on introduit dans le paragraphe 8.3(1) du projet de loi S-13... C’est bien ce que l’on veut dire lorsqu’on dit au paragraphe 8.3(2) que cela « s’entend au sens de peuples autochtones du Canada, au paragraphe 35(2) de la Loi constitutionnelle de 1982 »?
Autrement dit, jusqu’ici, à partir de 1982, on a parlé de peuples autochtones ou d’Aboriginal peoples, Aboriginal rights and treaty rights, soit les droits ancestraux ou issus de traités. Là, on introduit une nouvelle catégorie. On parle d’Indigenous peoples, et j’ai compris que vous aviez consulté des groupes. Est-ce que j’ai bien compris que c’est la préférence d’une majorité de groupes pour le terme Indigenous peoples qui vous a décidé à employer ces termes? Si c’est le cas, qu’est-ce qu’on fait de ceux qui ne sont pas d’accord avec cette appellation? En principe, une loi d’interprétation générale qui vient abroger plusieurs lois veut essayer de cerner, le plus largement possible, ce qu’on veut dire dans les lois. C’est ma première question, monsieur le ministre.
M. Virani : Je vais essayer de répondre en français en faisant des ajouts en anglais.
Effectivement, depuis 40 ans, avec le système de droits et la volonté de faire avancer et de promouvoir la réconciliation, il y a un changement de vocabulaire. Maintenant, en français on parle habituellement des Autochtones et en anglais, on parle toujours des peuples autochtones, the Indigenous peoples.
[Traduction]
C’était effectivement par souci de tenir compte de la position du pays au chapitre du vocabulaire que nous utilisons, afin d’être cohérents avec ce vocabulaire, mais aussi avec le texte du document lui-même. Nous avons jugé nécessaire de parler à la fois des droits ancestraux et des droits issus de traités dont il est question à l’article 35 de la Constitution, mais aussi du terme Indigenous peoples, qui est devenu le terme accepté et préconisé par les peuples autochtones. Si nous excluons l’un au détriment de l’autre, il y a un risque de sous-inclusion et de problèmes d’interprétation potentiels, chose que nous voulons absolument éviter. C’est la solution la plus élégante que nous avons pu trouver pour assurer la clarté chez les personnes mentionnées par la sénatrice Pate, soit les juristes, les élus, les fonctionnaires, etc.
Je ne sais pas si les fonctionnaires veulent ajouter quelque chose.
[Français]
La sénatrice Dupuis : J’avais une autre question. J’essaie de comprendre. Est-ce que les Aboriginal and treaty rights of Indigenous peoples, dans la version anglaise, font référence exclusivement aux droits qui sont reconnus à l’article 35? Si je comprends bien le paragraphe 8.3(2), oui.
Pourquoi dites-vous que l’article 35, c’est juste pour le passé?
Dans le fond, les articles 35 et 37 de la Loi constitutionnelle parlent aussi des documents pour l’avenir.
Autrement dit, ce ne sont pas juste les vieux traités qui sont à l’article 35. Les droits issus de traités sont aussi des droits issus d’accords de revendications contemporains, de revendications territoriales. On a l’air de dire que la nouvelle mode ou la nouvelle méthode, c’est d’utiliser le terme Indigenous peoples. C’est une question de convenance. Ce sont des termes qui nous conviennent mieux, et Aboriginal and treaty rights of Aboriginal peoples, ce serait juste pour le passé. Est-ce vraiment ce que vous nous dites?
M. Virani : J’aimerais apporter une précision. En ce qui concerne l’article 35, on parle des droits autochtones. Parfois, je cherche les mots exacts en français. Pour les droits issus de traités et les droits des peuples autochtones, il y a une réflexion quant à ce que représente un test pour les droits issus de traités. Pour les droits issus de traités, c’est plus évident. Cela touche effectivement les traités, c’est-à-dire ce qui figure dans les traités comme tels.
[Traduction]
Les droits ancestraux sont établis au moyen d’un critère juridique élaboré grâce à la jurisprudence de la Cour suprême qui a une application très rétrospective. C’est le premier point. Lorsque nous parlons d’un droit autochtone, il s’agit d’une coutume, d’une tradition ou d’une pratique intégrale propre à la culture d’un groupe autochtone en ce qui concerne les terres, les ressources, la cueillette, la chasse, la pêche, les cultures, les langues, et j’en passe. C’est le critère juridique. Toutefois, lorsqu’on examine le critère juridique et qu’on établit un droit autochtone, il est certain — et je suis désolé si je n’ai pas été clair plus tôt — qu’il y a une application prospective. Je le souligne, car nous pouvons parler des droits de pêche des habitants de la côte Est — à Mi’kma’ki, par exemple — et de certaines des tensions malheureuses que nous avons observées à cet égard au cours des deux ou trois dernières années. Nous examinons donc rétrospectivement ce qu’est un droit autochtone, mais nous l’appliquons de façon prospective.
Le sénateur Cardozo : Bienvenue, monsieur le ministre. Nous sommes enchantés de vous accueillir.
Pour ma question, je veux revenir au recul dont vous parliez plus tôt et parler des raisons pour lesquelles nous avons besoin de ce projet de loi. Si l’article 35 figure dans la Constitution, avons-nous encore besoin de dispositions de non‑dérogation? Vous en avez parlé brièvement et je me demande si vous pouvez en dire plus. Avons-nous besoin de cette loi? N’est-ce pas clair? Est-il possible qu’en étant aussi précis que nous le sommes dans ce projet de loi, nous puissions par mégarde réduire ou limiter les droits des Autochtones?
M. Virani : En ce qui concerne la dernière partie de votre question, je suis convaincu que non. Plus nous accordons d’attention aux droits à titre de législateurs dans les deux chambres, plus cela démontre que nous soulignons l’importance — symbolique et concrète — de l’affirmation, de la protection et de la promotion des droits autochtones et des droits ancestraux et issus de traités.
Est-il nécessaire d’aborder le sujet malgré le fait qu’il en est déjà question à l’article 35 de la Constitution? C’est une question juridique intéressante, mais je vous dirais qu’au regard des procédures judiciaires que j’ai vues au cours de mes 25 années de carrière juridique et du nombre de poursuites autochtones qui ont eu lieu auparavant pendant de nombreuses décennies, nous sommes loin d’une situation où tous les gouvernements du pays font tout ce qu’ils peuvent pour ne pas déroger aux droits très sensibles et importants dont la sénatrice Dupuis et moi venons de discuter. Chaque effort que nous pouvons déployer pour que chaque loi fédérale soit interprétée de manière à respecter la promesse des droits ancestraux et issus de traités, chaque mesure que nous pouvons prendre pour assurer le respect de ces droits est ce qu’il y a de mieux.
Je vais vous donner un bon exemple. La sénatrice Pate a abordé avec moi la question des litiges. Il y a bel et bien eu des litiges. Je pense notamment au cas de la nation Gitxaala, où le commissaire en chef de l’or de la Colombie-Britannique a accordé des claims miniers sans consulter les groupes autochtones. La cause a été entendue en cour supérieure. Le tribunal a conclu que la décision du commissaire était inappropriée parce que le droit de consultation des Autochtones n’avait pas été respecté au titre d’une disposition de non‑dérogation qui s’appliquait au contexte précis de la Colombie-Britannique.
La disposition de non‑dérogation s’est avérée utile dans des affaires dont ont été saisis les tribunaux récemment. À plus long terme, cela ne peut qu’aider à renforcer des droits qu’il nous revient à tous de respecter.
Le sénateur Cardozo : Ce serait une couche de protection supplémentaire en quelque sorte.
Puis-je demander quelles sont les répercussions concrètes des lois d’interprétation sur la vie des gens? Je pourrais vous amener sur le terrain des préjudices en ligne et vous demander si ces problèmes ont une incidence. J’aimerais beaucoup que vous me fassiez part de vos plans concernant le projet de loi.
M. Virani : Vous reniez notre objectif commun d’éradiquer la discrimination, sénateur Cardozo.
Concernant les lois au Feuilleton et les lois à venir, ces dispositions nous obligent, lors de la rédaction, de la promulgation et de la réflexion précédant la rédaction, à toujours nous assurer de ne pas déroger aux droits ancestraux et aux droits issus des traités. La question plus vaste qui transcende les préjudices en ligne est la nécessité de faire progresser le processus de réconciliation et de lutter contre la discrimination à l’endroit des Autochtones. Je suis fermement engagé envers cette cause, mais je ne peux pas brimer le privilège parlementaire en discutant avec vous d’un projet de loi qui n’a pas encore été déposé. Il faut comprendre que toutes les mesures défendent les valeurs fondamentales de respect, de protection et de promotion des droits.
L’aspect important à dégager, c’est que l’article 35 traite des droits ancestraux et des droits issus des traités tels que la chasse et la pêche, dont parlait la sénatrice Dupuis. Nous voulons donc nous assurer de ne pas déroger à ces droits. Pour l’heure, rien ne pose problème concernant les lois fédérales.
Le sénateur Cardozo : Merci.
Le sénateur D. Patterson : Bienvenue au comité, monsieur le ministre.
J’accueille avec plaisir le projet de loi. Je vous remercie de reconnaître que le comité a mené en 2007 une étude et formulé des recommandations qui concordent avec ce projet de loi que nous attendons depuis longtemps. Je suis ravi de voir que la sénatrice Jaffer est parmi nous. Je voudrais aussi mentionner en passant le combat acharné mené par l’ancien sénateur Charlie Watt, qui a porté ce dossier à bout de bras sans pour autant obtenir le soutien du gouvernement du jour.
Pour faire suite aux commentaires de la sénatrice Pate sur la consultation — elle a posé la question que je m’apprêtais à poser —, le comité a recommandé en 2007 que le ministère de la Justice développe un processus qui aurait permis de mener un examen systématique des lois fédérales — tous les projets de loi et les règlements en cours de rédaction — en consultation auprès d’une vaste représentation de groupes autochtones pour vérifier les effets possibles de ces mesures sur l’article 35 qui énonce les droits ancestraux et les droits issus des traités. D’ailleurs, la recommandation 4 voulait que soit établi au sein du ministère de la Justice, ce que le comité appelait un « portefeuille des affaires autochtones », qui aurait été chargé de maintenir le dialogue. Le ministère de la Justice était responsable du projet de loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Y a-t-il au sein du ministère une équipe — même si ce n’est pas à proprement parler un « portefeuille » — qui pourrait donner suite à ce que recommandait le comité, soit essentiellement de consulter les groupes autochtones et d’examiner tous les projets de loi et les règlements en cours de rédaction pour vérifier leurs possibles interactions avec l’article 35 sur les droits ancestraux et les droits issus des traités?
M. Virani : La réponse courte, c’est que nous nous efforçons de mettre sur pied ces ressources. Quant au rapport de 2007 — merci de m’avoir informé du rôle de Charlie Watt dans ce dossier, car c’est important de le souligner —, nous avons examiné la liste des personnes qui avaient participé à l’étude en question, et nous les avons invitées à participer en priorité. Je tiens à mentionner que nous ne nous sommes pas arrêtés là. Nous vérifions si ces personnes ont encore le même point de vue et nous essayons de voir si nous pouvons bonifier le concept en apportant de légers changements. Quant à la pièce maîtresse consistant à s’assurer que toutes les lois et les règlements du gouvernement fédéral s’harmonisent avec l’objet de l’article 35, le travail se poursuit. Je vais être candide avec vous. La tâche est titanesque, mais nous sommes investis de cette mission et nous y consacrons toutes les ressources nécessaires. C’est un travail de longue haleine.
Le sénateur D. Patterson : Très bien. C’est très prometteur.
Les versions précédentes des dispositions de non‑dérogation allaient dans le sens de... En fait, le projet de loi met de l’ordre dans ce mélange — certains diraient ce magma — de libellés tous un peu différents les uns des autres. Cette mesure fait un ménage presque complet. Le libellé habituel « la présente loi ne porte pas atteinte aux droits — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones » est remplacé par « tout texte maintient les droits — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones. »
Pourriez-vous dire pourquoi le ministère a recommandé ce changement de formulation? À quel principe obéit-il? Je sais que vous avez mené de vastes consultations, mais j’aimerais bien en savoir plus. Il me semble que le ton est différent. La formulation est peut-être plus forte. Pourriez-vous nous dire pourquoi cette approche a été choisie?
M. Virani : Je dirais que le style est plus élégant. La formulation est un peu plus simple et un peu plus forte. Je vais demander à Mme Sargent d’expliquer le choix de formulation.
Mme Sargent : Sénateur Patterson, la forme affirmative du libellé concorde assez bien avec la recommandation formulée par le Sénat qui souhaitait une tournure positive et le maintien de la notion de ne pas porter atteinte aux droits.
Le sénateur D. Patterson : En résumé, le passage « la présente loi ne porte pas atteinte » est une forme négative par rapport au passage « tout texte maintient les droits ». D’accord. Je comprends mieux. Merci.
La sénatrice Simons : J’ai la prérogative de poser une des dernières questions, mais de nombreuses bonnes questions que j’aurais voulu poser l’ont déjà été.
J’aimerais approfondir les trois exceptions que vous avez énumérées. Pourquoi avoir conservé la disposition de non‑dérogation originale dans ces trois lois? En quoi ces cas sont-ils particuliers?
M. Virani : Merci de la question, sénatrice Simons.
Ce qui est ressorti lors des consultations, c’est que compte tenu du paysage législatif actuel, notamment les lois promulguées récemment sur les accords d’autonomie gouvernementale signés par différentes Premières Nations et différents groupes inuits et métis, et de la situation respective de ces individus et de ces groupes, ces derniers ont demandé que leur disposition de non‑dérogation soit conservée. Je vais lancer l’hypothèse — Mme Sargent me corrigera si je me trompe — voulant que les groupes autochtones aient ressenti le besoin de conserver telle quelle la disposition afin de préserver leurs droits, étant donné qu’ils avaient été impliqués très étroitement dans la rédaction du libellé. Par respect pour eux et conformément à leur souhait, nous avons reporté les modifications.
La sénatrice Simons : Très bien.
Ces exceptions pourraient-elles créer un précédent? D’autres groupes vont-ils vouloir conserver leurs dispositions de non‑dérogation ou avoir leur propre disposition dans les lois qui seront adoptées à l’avenir?
M. Virani : J’ai de la difficulté à me prononcer. On ne devrait jamais dire « jamais », mais je suppose que c’est une possibilité. Nous aimerions toutefois éviter une telle situation. Vous méritez que je fasse preuve de candeur, sénatrice Simons.
Selon ce que nous avons entendu lors des consultations et selon ce que j’ai appris en travaillant sur ce dossier, la vaste majorité des groupes autochtones trouvent lourd, voire épuisant de devoir constamment réclamer l’ajout d’une disposition de non‑dérogation dans les lois. Il existe une différence qualitative entre, d’une part, les lois portant sur une revendication territoriale faite par un groupe autochtone, et d’autre part, la modification d’une loi fédérale quelconque, par exemple la loi sur les préjudices en ligne sur laquelle je travaille, la loi sur l’immigration ou encore la loi sur la santé. Ces mesures sont différentes sur le plan qualitatif. Les groupes autochtones sont intervenus lors du processus législatif avec le souci de progresser vers leur autonomie gouvernementale. Ils ont négocié une disposition en particulier. Dans le cas de trois lois, ils ont voulu conserver la version originale de la disposition.
La sénatrice Simons : Les dispositions d’application générale apportent plus de clarté et d’efficacité.
J’ai une autre question complémentaire. Plusieurs sénateurs ont parlé du rapport de 2007. Une des recommandations qui y étaient formulées était de réserver aux traditions des Premières Nations, des Métis et des Inuits, y compris au droit coutumier et oral, une plus grande considération au sein du système judiciaire au Canada. Pourriez-vous parler un peu des efforts que votre ministère a déployés et qu’il déploie en ce moment pour donner suite à cette recommandation?
M. Virani : Je vais vous donner une vue d’ensemble de ce que nous faisons. Nous travaillons sur plusieurs fronts, mais dans le cas des histoires et des lois issues de l’oralité qui font partie des traditions législatives autochtones, nous essayons de promouvoir l’autonomie gouvernementale.
Nous travaillons sur quatre fronts : les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, les 181 priorités communes, et les recommandations sur les sépultures anonymes et le rapport de l’interlocutrice spéciale, que j’attends avec impatience. Dans l’ensemble, ces mesures veulent permettre aux communautés autochtones de s’épanouir et de parvenir à l’autonomie gouvernementale conformément à leurs propres lois et traditions, y compris le droit oral. La meilleure façon de conférer un sens à ce processus est de se référer à la loi de mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, dont l’objet est justement de nous guider dans ce cheminement. Cette analyse générale est le mieux que je peux faire pour vous décrire les efforts que nous consentons dans ce domaine.
Quant au travail sur le terrain — je suis désolé de la longueur de ma réponse —, je mène des initiatives en collaboration avec certaines provinces pour renforcer la justice réparatrice et les centres de justice communautaires. J’ai été ravi d’apprendre que l’Ontario avait inauguré plusieurs de ces centres, notamment à Kenora. Ces organismes repensent les mécanismes d’accès à la justice des membres des communautés autochtones. Ce sont des pas dans la bonne direction qui octroient davantage de pouvoirs aux traditions législatives autochtones, dont vous avez parlé.
[Français]
La sénatrice Audette : Je vous remercie de m’accorder quelques minutes. Premièrement, monsieur le ministre, merci d’être ici.
Je vois beaucoup de juristes autour de moi, des expertes et des experts, des avocats et des avocates passionnés. J’ai participé à l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, l’ENFFADA, avant d’arriver au Sénat. On demande à ce que les gouvernements nous reconnaissent éventuellement comme un autre ordre de gouvernement; c’est ce que recommandait la Commission royale sur les peuples autochtones.
Pouvez-vous nous rassurer, monsieur le ministre? Je me souviens que les nations ont beaucoup espéré. Avec le projet de loi S-13, on va continuer de mobiliser les leaders autochtones et les femmes autochtones pour l’exercice sur la Loi sur la Déclaration des Nations Unies pour éventuellement les ajouter. Pouvez-vous nous rassurer? C’est nous qui vivons les injustices et ce projet de loi va permettre, en quelque sorte, de régler ou d’aider à régler des choses qui auraient déjà dû l’être. Je ne suis pas juriste, mais on fonctionne petits pas par petits pas. On aimerait déjà être un gouvernement, mais ce n’est pas le cas.
Pouvez-vous nous rassurer et nous dire que nous allons nous mobiliser dans le cadre de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies pour pousser encore plus loin ce que disait le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées en parlant de vérité, de réconciliation et ainsi de suite?
M. Virani : Madame la sénatrice, je crois que oui. Je crois qu’il y a des étapes et des pas que l’on fait en tant que gouvernement pour créer un nouvel avenir pour le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux avec les peuples autochtones. Comme je viens de le mentionner à la sénatrice Simons, il est certain que l’ENFFADA fait partie de notre grand projet pour livrer la justice dans ce contexte et pour en arriver à une vraie réconciliation.
Est-ce qu’on est complètement dévoués au fait que l’on doit consulter de bonne foi, de façon vraiment forte et profonde avec les communautés autochtones, spécialement les femmes autochtones? Absolument.
La sénatrice Audette : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Prosper : Merci, monsieur le ministre. Les questions de mes collègues et les réponses que vous et les éminents invités avez données m’aident à approfondir le dossier.
Je voudrais seulement souligner que ce projet de loi est essentiel, car il traite du problème d’accès à la justice. Les litiges devraient constituer un dernier recours, mais parfois, les peuples des Premières Nations sont contraints de défendre leurs droits devant les tribunaux. Ce processus très coûteux est loin d’être à la portée de tous. Vous avez parlé des directives sur les litiges que votre prédécesseur avait proposées, ce qui est un élément important. Dans un autre ordre d’idées, je suis tenté de mentionner que la reconnaissance et l’affirmation des droits se font souvent par l’entremise des tribunaux. Il revient ensuite aux gouvernements de respecter ces droits et de les mettre en œuvre. Si la volonté politique d’octroyer un mandat n’est pas là — car les droits ancestraux et les droits issus des traités sont souvent négociés dans le cadre de mandats du gouvernement —, quelles sont les autres solutions pour les peuples des Premières Nations, qui ont déjà par ailleurs un droit jugé constitutionnel par le plus haut tribunal du pays? Souvent, les Premières Nations se retrouvent dans cette situation. Je voulais seulement vous faire part de mon point de vue, à vous et aux sénateurs. Merci beaucoup.
M. Virani : Merci, sénateur Prosper. Je sais tout ce que sous-tendent votre question et vos observations. Ce que vous dites est important.
Je vais réitérer l’importance non seulement de l’inscription de l’article 35 dans la Constitution en 1982, mais aussi de la signification que nous devons lui donner. Nous revenons à ce que le sénateur Cardozo disait sur la dimension symbolique. Cette disposition n’existe-t-elle pas déjà? Si cette disposition était suffisante, nous n’aurions pas à modifier la Loi d’interprétation pour éviter que des dérogations soient commises ultérieurement. C’est un point important.
Le juriste en moi, qui joue un grand rôle depuis que j’occupe mes nouvelles fonctions, reconnaît également la jurisprudence établie par la Cour suprême selon laquelle le gouvernement peut enfreindre, pour une période limitée, s’il y est contraint, un droit qui a déjà été établi. Il doit à cette fin satisfaire à un critère comportant différents paramètres, qui ont été énoncés dans la décision Sparrow dont j’ai parlé au début de la séance.
De plus en plus, le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux — j’espère notamment voir de grandes avancées du côté du Manitoba sous le leadership du nouveau premier ministre, Wab Kinew — essaient de donner un sens aux droits ancestraux et aux droits issus des traités, y compris à certains des droits que j’ai mentionnés. Voilà un pas dans la bonne direction. Certes, il y aura des conflits, mais ces initiatives combinées à l’application par certaines provinces de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones — la Colombie-Britannique mène le jeu, mais le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest y réfléchissent — donnent à penser que nous faisons des progrès. Il en a même été question ce matin avec l’Assemblée des Premières Nations. Ce vent d’optimisme nous permettra-t-il de naviguer en eaux calmes? Je ne le pense pas, mais il y a des raisons d’être optimiste.
Le président : Monsieur Virani, je vous demanderais une faveur. Tous les sénateurs, sauf deux, ont posé leurs questions. J’espère que vous pourrez rester parmi nous pendant cinq ou huit minutes.
M. Virani : Mon équipe me fait signe que j’ai encore cinq minutes.
La sénatrice Clement : Merci d’être des nôtres.
Comment le gouvernement compte-t-il vérifier l’efficacité de cette mesure législative? Comment les communications sur le plan d’action se feront-elles? Les Canadiens savent qu’ils ont des responsabilités individuelles et collectives. J’aimerais en savoir plus sur les plans de communication du gouvernement et sur la manière dont il compte s’y prendre pour vérifier le succès ou l’échec de ses efforts.
M. Virani : Le succès dépendra des relations avec les communautés autochtones. Ces relations seront-elles conflictuelles, litigieuses et houleuses dans l’avenir? Honnêtement, la plupart des Canadiens, y compris ceux que je représente, parlent surtout des éléments de base de la prestation de services tels que le financement des mesures de soutien aux enfants autochtones et les avis d’ébullition d’eau. J’ai rarement eu des discussions sur la Loi d’interprétation avec les résidants de ma circonscription...
La sénatrice Clement : Non, mais la mesure fait partie du plan d’action.
M. Virani : Oui, exactement. Ce que nous, le gouvernement, devons faire, c’est trouver les points qu’ont en commun les femmes et filles autochtones disparues et assassinées, ou FFADA, les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation, les résultats à venir du travail de l’interlocutrice spéciale pour les tombes anonymes et le plan d’action sur la déclaration de l’ONU; les rassembler; puis mettre l’accent sur des éléments concrets. Ensuite, nous devons présenter les réussites, ainsi que les dossiers qu’il faut faire avancer. Le projet de loi est crucial, mais c’est une mesure de très grande échelle. Il n’est pas facile à promouvoir, si je puis le dire ainsi.
Le président : J’ai deux questions, monsieur le ministre.
D’abord, au nom du comité, le Sénat examine un rapport sur les textes législatifs qui comprend une observation concernant l’importance de réaliser des analyses comparatives entre l’ACS+ en temps opportun, y compris au début des examens de projets de loi. Le projet de loi à l’étude aujourd’hui est un peu particulier. Comme vous l’avez dit, vous n’en parlez pas beaucoup avec vos électeurs. Si une telle analyse a été effectuée, nous aimerions bien la recevoir dès que possible.
Ma deuxième question fait suite à des questions que d’autres ont posées, y compris le sénateur Patterson. En 1982, on a différé la mise en œuvre de la disposition sur l’égalité de la Charte pour permettre aux gouvernements de procéder à un examen de toutes les dispositions allant à l’encontre de la Charte. J’aimerais savoir si vous envisagez de faire de même pour cette mesure législative presque aussi importante. J’aimerais aussi savoir si vous chargerez une équipe de dépister les violations législatives ou réglementaires possibles à cette disposition de la Loi d’interprétation, comme vous le faites au moyen des analyses de conformité avec la Charte.
M. Virani : Je vous remercie pour la question, monsieur le président.
Le ministère de la Justice a déjà pour principe de procéder à une analyse au regard de l’article 35. On ne m’a pas parlé de la possibilité de prévoir une période de transition. L’article 15 est entré en vigueur seulement trois ans après les autres dispositions de la Charte. Je vous tire mon chapeau, monsieur. On ne m’a pas informé du besoin de fixer une période de transition semblable pour ce projet de loi en attendant la sanction royale. Nous sommes convaincus de la valeur de la version actuelle de notre projet de loi. Nous sommes extrêmement confiants par rapport à l’avenir.
Je ne sais pas si Mme Sargent a quelque chose à ajouter.
Mme Sargent : Je vais profiter de l’occasion pour mentionner que mon portefeuille existe en partie grâce au travail de votre comité. Il s’appelle maintenant le portefeuille des droits et relations autochtones. C’est à nous qu’il revient de vérifier la conformité de tout texte législatif ou réglementaire avec l’article 35 de la Loi constitutionnelle. Pourrions-nous faire mieux? Pourrions-nous en faire plus? Certainement; c’est notre rôle.
Le président : Je vous encourage à considérer la possibilité de nous fournir des analyses sur les droits autochtones, comme vous le faites pour la Charte.
Nous n’avons pas le temps de procéder à une deuxième série de questions. Nous avons demandé au ministre de nous accorder plus de temps que d’habitude.
Merci, monsieur le ministre, et merci à vos collègues. L’examen du projet de loi, communément appelé le « projet de loi Mobina Jaffer », se poursuivra peut-être durant les semaines à venir. Merci beaucoup d’avoir ouvert le bal.
Pour la deuxième partie de la réunion, nous accueillons, par vidéoconférence, Mme Naiomi Metallic, membre du conseil d’administration de l’Association du Barreau autochtone. Nous recevons également par vidéoconférence, depuis Melbourne, en Australie, M. Lorne Neudorf, doyen adjoint et professeur de la Faculté de droit La Trobe, de l’Université La Trobe. Je crois que pour vous, monsieur Neudorf, il est autour de 8 h 30 demain. Que nous réserve la journée de demain?
Lorne Neudorf, doyen adjoint et professeur de la Faculté de droit, Faculté de droit La Trobe, Université La Trobe, à titre personnel : Vous avez parfaitement raison. C’est une journée fraîche et pluvieuse.
Le président : Bienvenue à vous deux.
M. Neudorf : Merci.
Le président : Nous entendrons d’abord la déclaration préliminaire de Mme Metallic, suivie de celle du professeur Neudorf. Les témoins disposent de cinq minutes chacun. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs qui sont ici aujourd’hui.
Naiomi Metallic, membre du conseil d’administration, Association du Barreau autochtone : Merci. Wela’lin. Je suis avocate mi’kmaq et professeure de droit spécialisée en droit constitutionnel et en droit autochtone. Je témoigne aujourd’hui au nom de l’Association du Barreau autochtone, dont le mandat consiste notamment à promouvoir l’avancement de la justice juridique et sociale pour les peuples autochtones du Canada.
Pour donner suite à l’engagement du Parlement de mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, l’ABA soutient respectueusement que certaines modifications doivent être apportées au projet de loi S-13 afin de respecter cet objectif. Les modifications proposées par l’ABA sont nuancées, mais cruciales.
Il est important de rappeler qu’en vertu de la jurisprudence sur l’article 35, une loi ou un règlement qui déroge ou porte atteinte à un droit ancestral ou issu d’un traité sera considéré comme inconstitutionnel si cette atteinte ne peut être justifiée par le gouvernement. Ainsi, les lois et règlements doivent être interprétés de manière à faire respecter les droits ancestraux et issus de traités, sous peine d’être jugés illégaux. L’article 8.3(1) qu’on propose d’ajouter à la Loi d’interprétation a pour objet de rappeler à ceux qui appliquent et interprètent les lois canadiennes que les droits ancestraux et issus de traités sont un élément central de notre Constitution. Il ne s’agit pas de créer une nouvelle loi.
La discrimination systémique, ainsi que le déni et la minimisation des droits inhérents des peuples autochtones se poursuivent aujourd’hui et sont favorisés par les ambiguïtés et les omissions dans la législation canadienne concernant les droits ancestraux et les droits issus de traités. Une disposition générale de non‑dérogation dans la Loi d’interprétation est nécessaire pour éliminer ces ambiguïtés et ces omissions.
Ce même objectif — lutter contre la discrimination systémique et le déni des droits autochtones — est à la base des modifications que nous proposons, dont l’ajout d’une clause à la disposition de non‑dérogation stipulant que les textes législatifs fédéraux doivent être conformes à la déclaration des Nations unies. Cette même modification fait partie de la deuxième priorité partagée du plan d’action du gouvernement pour la mise en œuvre de la déclaration, mais à notre grand étonnement, le processus législatif relatif au projet de loi S-13 ignore complètement cet engagement.
Cette modification est conforme au paragraphe 4a) de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies, qui confirme que la déclaration « constitue un instrument international universel en matière de droits de la personne qui trouve application en droit canadien ». Idéalement, cette disposition devrait suffire à informer ceux qui interprètent et appliquent le droit canadien que nos lois doivent être interprétées conformément à la déclaration des Nations unies.
Malheureusement, il reste encore beaucoup à faire pour changer notre mentalité collective. Ce sont le déni et la minimisation systématiques des droits fondamentaux des peuples autochtones à l’échelle internationale qui ont rendu nécessaire la déclaration des Nations unies. Même après le vote de l’Assemblée générale des Nations unies en faveur de l’instrument et son approbation par le Canada, de nombreux acteurs politiques et juridiques au Canada continuent de rejeter la déclaration, en maintenant qu’elle est non contraignante. Cela se produit en dépit de la règle claire d’interprétation juridique selon laquelle le droit national doit être interprété conformément aux normes internationales en matière de droits de la personne.
Le mois dernier, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a déclaré que l’équivalent provincial du paragraphe 4a) de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies ne démontrait pas une intention suffisante du gouvernement de mettre en œuvre la déclaration. Des lacunes importantes dans le raisonnement du juge confirment l’appréhension de l’ABA : la confusion et la résistance à la déclaration sont profondes. Une fois de plus, nous revenons au thème du déni systémique des droits des Autochtones. Une disposition interprétative de la Loi d’interprétation de la Colombie-Britannique, qui est étroitement reproduite dans notre proposition de modification, a amené le juge dans l’affaire susmentionnée à conclure qu’il était tenu d’interpréter la loi de la Colombie-Britannique conformément à la déclaration.
Il convient de noter qu’il s’agit de la disposition dont le Canada dit s’être inspiré pour le projet de loi S-13. Toutefois, en Colombie-Britannique, les dispositions de non‑dérogation et de conformité avec la déclaration ont été introduites simultanément. C’est vrai que le Canada n’avait pas encore adopté la Loi sur la Déclaration des Nations unies lorsqu’il a commencé les consultations sur le projet de loi S-13. Cependant, ce n’est pas une raison pour ne pas inclure une telle disposition maintenant, d’autant plus que le gouvernement a reçu beaucoup de commentaires de la part des communautés autochtones sur la nécessité d’une disposition à ce sujet lors des consultations sur son plan d’action pour la mise en œuvre de la déclaration. Pourquoi remettre à demain ce que l’on peut faire aujourd’hui?
Le Canada ne pourra pas atteindre les objectifs qu’il vise avec le projet de loi S-13 sans ces modifications. Le gouvernement affirme que le projet de loi est présenté pour assurer la conformité avec la déclaration, mais le document ne prévoit rien à ce sujet. En 2016, la ministre de la Justice du Canada a promis de mettre en œuvre la déclaration pour « donner vie » à l’article 35. En outre, les 10 principes du Canada concernant les relations du gouvernement avec les peuples autochtones stipulent que l’article 35 « contient un large éventail de droits » qui doit être guidé par la déclaration.
En stipulant clairement dans la Loi d’interprétation que les lois et règlements fédéraux doivent être interprétés conformément et à l’article 35 et à la déclaration des Nations unies, le Canada peut réellement tenir sa promesse. À notre avis, il serait regrettable d’invoquer la nécessité d’une consultation approfondie pour retarder ces modifications. Cela va de soi. Toutes les communautés et organisations autochtones qui ont soutenu l’adoption de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies appuieraient indubitablement ce changement, car il ne fait que rendre plus clair et plus efficace l’objet de cette loi : faire en sorte que le droit national soit interprété conformément à la déclaration. La déclaration devrait suffire à elle seule pour atteindre cet objectif, tout comme l’article 35 de la Loi constitutionnelle devrait suffire à garantir le respect des droits ancestraux et issus de traités. Toutefois, le déni systémique des droits des peuples autochtones exige d’en faire plus. S’il vous plaît, faites-en plus.
Merci.
Le président : Je vous remercie, madame Metallic.
Nous invitons maintenant le professeur Neudorf à prendre la parole pendant environ cinq minutes.
M. Neudorf : Bonsoir à vous, et bonjour de Melbourne. Je suis doyen adjoint et professeur de droit à l’Université La Trobe, à Melbourne, en Australie. Je suis aussi conseiller juridique pour le Comité sénatorial permanent d’examen des mesures législatives subordonnées de l’Australie. Je vous remercie de m’avoir invité à discuter avec vous du projet de loi S-13.
S’il est adopté, le projet de loi S-13 modifiera la Loi d’interprétation par adjonction du nouvel article 8.3, qui stipule que tous les textes législatifs et réglementaires fédéraux maintiennent les droits ancestraux ou issus de traités des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; ils n’y portent pas atteinte. À mon avis, la brièveté de cette disposition du projet de loi S-13 donne une fausse idée de son importance.
Dans mes écrits universitaires, je préconise un recours accru à la Loi d’interprétation, un outil puissant pouvant être mis en œuvre pour tout le recueil des lois. En effet, les règles contenues dans la Loi d’interprétation s’appliquent à l’ensemble des lois et des règlements fédéraux, peu importe leur date d’adoption. Au moins deux faits mettent en évidence l’importance de la Loi d’interprétation : d’abord, c’est la toute première loi que le nouveau Parlement canadien a adoptée en 1867; ensuite, elle est fréquemment citée par toutes les instances judiciaires canadiennes. Si les citations par les tribunaux étaient des gazouillis partagés ou des « j’aime » sur les médias sociaux, la Loi d’interprétation serait certainement l’une des plus suivies.
Quels seront les effets juridiques et pratiques du projet de loi S-13? Durant ma déclaration préliminaire, je vous présenterai mon point de vue sur l’incidence que le projet de loi pourrait avoir sur l’interprétation et l’application de la législation fédérale et des mesures gouvernementales.
Pour commencer, il importe de réitérer que la disposition de non‑dérogation introduite par le projet de loi S-13 ne s’inscrirait pas dans un vide juridique ou constitutionnel. Elle viendrait plutôt s’ajouter à la jurisprudence et au cadre général des droits ancestraux reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle. D’après les tribunaux, ces droits comprennent le droit à la terre, les droits de pêche et de chasse, ainsi que les droits liés aux pratiques, aux coutumes et aux traditions faisant partie intégrante de la culture distincte d’un peuple autochtone.
Puisque ces droits sont déjà protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle, on peut se demander si la modification introduite par le projet de loi S-13 est utile. Si le gouvernement a déjà l’obligation de faire respecter ces droits, pourquoi est-il nécessaire d’adopter une disposition de non‑dérogation applicable à l’ensemble des lois?
Une partie de la réponse, c’est que les droits reconnus et confirmés par l’article 35 ne sont pas absolus. La Cour suprême du Canada a conclu que ces droits pouvaient être restreints par des mesures législatives en vue d’atteindre un objectif important, à condition que la restriction des droits soit minimale. En ce qui concerne les mesures gouvernementales, la même cour a déclaré que les décisions de l’exécutif qui restreignent les droits protégés par l’article 35 doivent être prises au moyen d’un processus consultatif pertinent qui respecte l’honneur de la Couronne.
À mon avis, la disposition de non‑dérogation introduite par le projet de loi S-13 aura un effet juridique réel. Sans cette disposition, les lois ordinaires pourraient être appliquées d’une façon qui restreint, même implicitement, les droits protégés par l’article 35. Or la disposition de non‑dérogation stipule explicitement que l’interprétation des lois ne doit pas porter atteinte aux droits protégés par l’article 35. À titre d’exemple, lorsque deux interprétations sont également plausibles, dont l’une qui limite un droit protégé, il est fort probable que la disposition de non‑dérogation fasse pencher la balance du côté de l’interprétation qui maintient le droit.
Elle pourrait également s’appliquer au pouvoir exécutif, qui reçoit principalement ses pouvoirs par délégation législative. Si la disposition de non‑dérogation est appliquée aux dispositions relatives à la délégation de pouvoirs, cela devrait restreindre l’autorité du gouvernement de prendre des mesures portant atteinte aux droits protégés par l’article 35. La disposition de non‑dérogation pourrait également avoir une incidence sur la prise de règlements, qui sont aussi établis en vertu de lois habilitantes.
La jurisprudence renforce cette conception de l’effet du projet de loi S-13. Par exemple, en 2002, dans l’affaire Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique, la Cour suprême du Canada s’est penchée sur une loi provinciale prévoyant une disposition de non‑dérogation similaire. La cour a conclu à l’unanimité que la disposition énonçait un principe essentiel pour l’interprétation et la mise en œuvre de la loi et qu’elle visait à protéger les droits ancestraux ou issus de traités des Premières Nations. Cela voulait dire que la loi ne pouvait pas autoriser le ministre à ordonner la destruction d’objets ou de sites du patrimoine autochtone visés par des droits ancestraux ou issus de traités.
Dans d’autres affaires, les dispositions de non‑dérogation ont été considérées comme une garantie que le gouvernement ne portera pas atteinte aux droits reconnus. Le gouvernement fédéral a défendu cet argument devant la Cour fédérale, et la cour a conclu que les dispositions de non‑dérogation avaient un effet réel et qu’elles ne pouvaient pas être jugées inutiles.
À mon sens, la disposition de non‑dérogation introduite par le projet de loi S-13 n’oblige pas le gouvernement à prendre de nouvelles mesures, mais elle transmet le message que les droits protégés par l’article 35 doivent être pris au sérieux. Quant à moi, la disposition maintient ou protège la pleine valeur des droits reconnus à l’article 35, et non une version édulcorée et limitée de ces droits. C’est la meilleure façon d’interpréter le projet de loi S-13, en respectant le principe qui veut que le Parlement ne légifère pas en vain et qu’un sens soit donné à chaque disposition législative.
Les limitations doivent elles-mêmes être considérées comme des dérogations, car elles réduisent la portée et la protection du droit sous-jacent. À mon avis, la disposition de non‑dérogation proposée dans le projet de loi S-13 signifie donc que toute limitation des droits conférés par l’article 35 doit être clairement énoncée dans le droit fédéral, soit par un libellé exprès, soit par une implication nécessaire lorsqu’il n’existe pas d’interprétation sensée permettant de maintenir les droits. Des limitations sont encore possibles parce que les règles contenues dans la Loi d’interprétation fonctionnent comme une série de règles par défaut en vertu du paragraphe 3(1), que l’on applique à moins que le droit fédéral n’exprime une intention contraire. Cela signifie qu’une dérogation à la pleine protection des droits conférés par l’article 35 doit être planifiée et délibérée, ce qui favorise une meilleure reddition de comptes en rendant ces choix clairs pour tous. Pour reprendre les termes d’un témoin cité dans votre rapport de 2007, le projet de loi S-13 empêchera une violation occasionnelle et non intentionnelle des droits conférés par l’article 35.
En conclusion, la disposition de non‑dérogation proposée dans le projet de loi S-13 est particulière parce qu’elle concerne des droits reconnus par la Constitution et diffère qualitativement des autres règles contenues dans la Loi d’interprétation. Bien qu’elle ne modifie pas et ne puisse pas modifier la Constitution, elle confirme l’approche du Parlement canadien en matière de légifération, qui cherche à éviter de supprimer ou de limiter les droits ancestraux et issus de traités dans le cadre de l’article 35. Il s’agit en quelque sorte d’une disposition quasi constitutionnelle qui fera partie du paysage jurisprudentiel qui continue d’évoluer dans les tribunaux canadiens.
Merci beaucoup, monsieur le président. J’ai hâte de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Neudorf.
Nous allons maintenant commencer la période de questions.
Le sénateur Dalphond : J’aimerais remercier les témoins d’être des nôtres. Vous consacrez beaucoup de temps à ces questions. Vous les étudiez, et votre apport nous est très précieux. Merci beaucoup.
Ma question s’adresse à Mme Metallic. Vous avez dit que nous devrions profiter de l’occasion aujourd’hui pour ajouter un autre amendement à la Loi d’interprétation afin de traiter de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Je ne sais pas si vous avez écouté la comparution des témoins précédents, mais le ministre a déclaré que ce n’était pas chose possible parce qu’il n’y a pas eu de consultations et que ces dernières sont limitées à l’article 35 de la Loi constitutionnelle. Que répondez-vous à cela?
[Français]
Mme Metallic : Merci. Je peux parler en français, mais je m’exprime mieux en anglais.
[Traduction]
J’ai écouté sa comparution, et, comme je l’ai dit à la fin de mes remarques liminaires, tout devrait être raisonnable. Les consultations devraient être raisonnables. On ne devrait pas utiliser les consultations comme une excuse pour ne pas faire quelque chose qui devrait manifestement être fait. Cette recommandation relative à la clause de non‑dérogation est tirée d’un rapport du Sénat datant de 2007. Je ne sais pas calculer, et je suis devenue avocate pour ne pas faire de mathématiques, mais cela fait beaucoup, beaucoup d’années. Plus d’une décennie, 16 ans. Est-ce le temps que cela prendra pour agir?
Il s’agit d’une nécessité évidente si on se base sur l’appel lancé dans le plan de la déclaration des Nations unies. J’ai pris part aux délibérations sur ce projet de loi, et j’ai notamment dit que vous devriez ajouter un article sur la cohérence avec la déclaration des Nations unies, comme l’a fait la Colombie-Britannique la dernière fois. Je n’étais pas seule. J’ai dit à beaucoup d’autres personnes de le faire et je sais qu’elles l’ont fait. J’ignore pourquoi le gouvernement ne l’a pas fait, lui.
Comme je l’ai dit, je ne comprends pas pourquoi les consultations devraient être un obstacle dans ce contexte. Il est évident que si les groupes ont soutenu la Loi sur la Déclaration des Nations Unies et l’article 4a) en particulier, la disposition proposée ne fait que renforcer l’article 4a) de la Loi d’interprétation. C’est évidemment souhaitable. On ne devrait pas utiliser les consultations comme une excuse ou pour prétendre vouloir faire ce qui est juste, alors que les peuples autochtones appuient cette démarche de toute évidence.
Le sénateur Dalphond : Merci. Pour que je comprenne bien, si d’autres témoins, en particulier des groupes autochtones, disent « nous devons être consultés, les consultations n’ont pas encore eu lieu et nous vous demanderions de ne pas aller de l’avant », nous devrions respecter cela? Le processus de consultation fait également partie de la réconciliation.
Mme Metallic : Oui, mais il y a eu des consultations dans ce cas-ci. On a soulevé la question dans le rapport sur le dernier cycle de consultations après l’entrée en vigueur de la Loi sur la Déclaration des Nations unies. On n’aurait pas pensé le faire avant cela. Ces divers groupes ne pouvaient pas être consultés sur quelque chose qui n’était pas envisageable à l’époque. Cela dit, on a soulevé la question par la suite, notamment dans le cadre des actions menées en vertu du plan. Il faut avoir une vue d’ensemble raisonnable de tout cela pour déterminer quelle est la bonne approche.
Le sénateur Dalphond : Merci.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous les deux d’être des nôtres.
J’ai une question pour vous, madame Metallic. Si je me fie à ce que j’ai entendu, votre réponse sera évidente, mais j’aimerais que vous nous donniez votre raison à nouveau aux fins de compte rendu. Approuvez-vous la recommandation de l’Association des femmes autochtones du Canada d’inclure une référence directe à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans le projet de loi? Si oui, pourquoi?
Mme Metallic : Oui, tout à fait, car l’article 35 et la Déclaration des Nations unies vont de pair. Je ne suis pas tout à fait de l’avis du ministre à cet égard. L’article 35 s’inspire de la Déclaration des Nations unies, et il est vraiment important de reconnaître qu’ils vont de pair pour progresser en matière de réconciliation. Les modifications apportées à cette loi devraient aller de pair. La Commission de vérité et réconciliation a statué que l’article 35 tel quel n’était pas suffisant et que la Déclaration des Nations unies devrait servir de cadre pour la réconciliation. Nous l’avons reconnu. Le Parlement l’a reconnu lui aussi, et il devrait prendre cette dernière mesure supplémentaire qui apportera le plus de clarté possible pour veiller à ce que les législateurs et les juges se fient à la Déclaration des Nations unies lorsqu’ils interpréteront le droit canadien à l’avenir. Merci.
La sénatrice Jaffer : Merci. Vous avez écouté la comparution du ministre. Je lui ai dit que la Colombie-Britannique avait inclus cette référence dans sa loi. Qu’avez-vous pensé de son explication à ce sujet? Il a mentionné quelques erreurs.
Mme Metallic : Il a dit que la loi de la Colombie-Britannique avait été rédigée différemment de la Loi sur la déclaration des Nations unies, ce qui explique la nécessité d’y inclure la référence. Or, ces deux lois sont essentiellement pareilles. J’ai la disposition sur mon autre écran. Je voulais revérifier parce que j’ai pensé qu’on me poserait peut-être la question. La loi de la Colombie-Britannique contient une disposition de déclaration d’objet qui stipule que l’objet de cette loi est notamment « ... d’affirmer l’application de la déclaration en conformité avec les lois de la Colombie-Britannique... » Cette disposition stipule essentiellement qu’il faudrait appliquer la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en conformité avec les lois provinciales. On retrouve une disposition de déclaration d’objet très semblable — pratiquement identique, même — à l’article 4 de la loi fédérale. Cette disposition fait également référence à la Déclaration des Nations unies et stipule que cette dernière est un instrument international en matière de droits de la personne qui trouve application en droit canadien. C’est pratiquement la même chose.
Les tribunaux de la Colombie-Britannique ont interprété la loi de la province et cette disposition comme une disposition de déclaration d’objet. Il n’est pas certain que le gouvernement provincial ait réellement voulu que cette disposition soit interprétée comme une modification du droit canadien. Je conteste le raisonnement du tribunal, mais cela nous montre néanmoins que certains contourneront l’interprétation de la loi en vertu de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones s’ils trouvent un moyen de le faire. Il faut donc être très clair à ce sujet dans la Loi d’interprétation et énoncer exactement ce qu’on entend faire afin qu’un juge ne puisse pas contourner la disposition inscrite dans la Loi d’interprétation en Colombie-Britannique. Voilà pourquoi nous croyons fermement qu’il faudrait inclure une disposition semblable dans la Loi d’interprétation canadienne.
La sénatrice Jaffer : D’accord. Dans ce cas, comment l’inclusion d’une référence directe à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones affecterait-elle le droit fédéral?
Mme Metallic : M. Neudorf a expliqué comment la disposition de non‑dérogation s’appliquerait. Cela s’appliquerait essentiellement de la même manière. S’il y a deux interprétations potentielles d’une loi qui sont soit incompatibles, soit plus ou moins conformes à l’article 35 ou à la Déclaration des Nations unies, on choisit celle qui est la plus conforme à ces instruments. C’est ainsi que le droit serait affecté. Comme le disait M. Neudorf, cela enverrait un message direct, à savoir que les législateurs, les interprètes et l’exécutif doivent agir conformément à cela et y réfléchir plus régulièrement.
La sénatrice Simons : Monsieur Neudorf, en toute justice, je devrais vous poser une question puisque vous vous êtes levé très tôt. Vous avez expliqué avec beaucoup d’éloquence que l’insertion de cette disposition dans la Loi d’interprétation modifierait l’interprétation de la Constitution de façon très particulière. J’aimerais vous entendre sur l’idée d’inclure une référence à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans le projet de loi. S’agit-il de l’endroit approprié? Comment cela pourrait-il s’arrimer ou entrer en conflit avec les éléments constitutionnels?
M. Neudorf : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice.
En Australie, on a plutôt tendance à se référer à des instruments internationaux pour établir des cadres législatifs. Je considère qu’une référence à cet instrument international renforce essentiellement l’idée de cette proposition de modification à la Loi d’interprétation et contribue peut-être à l’objectif de faciliter le processus décisionnel du gouvernement et l’élaboration de lois gouvernementales conformément à ces droits protégés. Cela formera une partie de la matrice sur laquelle les tribunaux s’appuieront dans les cas appropriés. Cela sera considéré comme un outil d’interprétation. Cela va essentiellement dans le même sens que cet amendement, selon ce que j’en comprends.
La sénatrice Simons : Ma question s’adresse à Mme Metallic. Si j’ai bien compris, depuis que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est devenue loi, certains textes législatifs y font référence. Si cette disposition maîtresse de non‑dérogation implique qu’on modifie certaines de ces lois pour supprimer ces références individuelles, est-ce en fait possible de reculer en matière de reconnaissance de la déclaration?
Mme Metallic : Non, je ne crois pas. On peut avoir recours à cette déclaration pour différentes choses à différents moments. Ce dont on parle, c’est de l’idée de l’utiliser comme cadre d’interprétation du droit existant. Comme je l’ai dit, si on ajoute une façon possible d’interpréter quelque chose de deux façons et que l’une d’entre elles est plus cohérente avec la déclaration, alors on choisit cette option. On peut également utiliser la Déclaration autrement. Prenons l’exemple du projet de loi C-92, Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Dans ce cas-ci, le gouvernement a incorporé les principes de la Déclaration de façon plus substantielle dans le projet de loi et dans le processus d’élaboration de la loi. Ces démarches ne sont pas incompatibles. En fait, en reconnaissant le droit inhérent à l’autonomie gouvernementale, le gouvernement applique les dispositions de la déclaration relatives à l’autodétermination et à l’autonomie gouvernementale. Il n’y a pas d’incohérence; il s’agit simplement de différentes façons d’utiliser la déclaration.
Le gouvernement doit appliquer le reste de la Loi sur la Déclaration des Nations unies et adopter de nouvelles mesures législatives pour incorporer plus clairement les dispositions de la déclaration dans le droit. D’ici là, rien ne nous empêche — nous devrions assurément le faire, si nous pensons au droit international en matière de droits de la personne — d’interpréter la loi actuelle en respectant la déclaration. Nous devrions inciter très clairement les assemblées législatives à le faire.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
La sénatrice Pate : Je vous remercie tous deux d’être des nôtres.
Madame Metallic, on vous a demandé de représenter l’Association du Barreau autochtone, mais vous avez développé une certaine expertise dans ce domaine à titre de professeure et d’universitaire. Vous avez conseillé beaucoup de gens à ce sujet, dont l’Association du Barreau autochtone. Le ministre de la Justice vous a-t-il consultée? Vous a-t-il demandé de l’aide pour rédiger ce projet de loi?
Mme Metallic : Non, on ne m’a pas consultée. Comme je l’ai dit, je me suis essentiellement comportée comme le commun des mortels. Je me suis prononcée au moment opportun et j’ai incité d’autres amis universitaires à faire de même, mais on ne m’a jamais approchée pour que je donne ma rétroaction sur le projet de loi.
La sénatrice Pate : À votre connaissance, est-ce que d’autres universitaires ayant une expertise sur l’article 35 et la Déclaration des Nations unies ont été consultés pour la rédaction de ces dispositions?
Mme Metallic : Non, pas à ma connaissance.
La sénatrice Pate : Vous avez été très claire, mais peut-être voudrez-vous expliquer plus en détail pourquoi il s’agit d’un enjeu aussi crucial. Vous avez clairement dit que le plan ou l’inspiration pour ce projet de loi découle d’un rapport de 2007. C’était il y a 16 ans. La Déclaration des Nations unies est beaucoup plus jeune, et pourtant on ne l’a pas incluse ici. À quel point est-ce crucial de l’inclure, selon vous?
Nous serions heureux de vous entendre à ce sujet également, monsieur Neudorf, si vous avez quelque chose à ajouter.
Mme Metallic : C’est absolument crucial. Je ne veux pas me retrouver ici dans 16 ans pour expliquer l’importance de cet amendement aux sénateurs. Si on continue de dire que la Déclaration des Nations unies n’est qu’une simple aspiration ou qu’elle n’est pas contraignante et qu’elle n’affecte pas le processus décisionnel actuel au Canada, on ne fera pas beaucoup de progrès en matière de réconciliation.
M. Neudorf : Je suis du même avis. J’ai examiné attentivement le projet de loi tel que rédigé, mais il est certain qu’un amendement dans ce sens favoriserait les objectifs politiques qui sous-tendent cette proposition.
La sénatrice Pate : Génial, merci beaucoup.
Madame Metallic, vous nous avez proposé un libellé. Pourriez-vous nous l’envoyer par écrit?
Mme Metallic : Oui, avec plaisir. Vous trouverez d’ailleurs des propositions de libellé au verso de mes remarques liminaires que vous avez reçues cet après-midi, si je ne m’abuse.
La sénatrice Pate : Génial. Je ne crois pas que nous les ayons, car elles doivent être traduites. Ce serait formidable. Nous les recevrons.
Le président : Nous vous les distribuerons bientôt. Merci, madame Metallic.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci aux deux témoins d’être ici aujourd’hui.
J’aurais une question pour Mme Metallic. Est-ce que, dans votre esprit, il y a une nuance, sur le plan juridique, entre Indigenous peoples et rights holders?
Selon ce que le ministre nous a dit, on introduit toutes sortes de concepts sans nécessairement préciser le sens que l’on attribue à ces termes.
Dans votre esprit, est-ce que le terme rights holders renvoie à un concept en droit qui est bien connu, bien déterminé et bien délimité?
Mme Metallic : Je ne suis pas tout à fait certaine de pouvoir répondre à cette question. Je sais qu’à l’heure actuelle, la convention adoptée par le gouvernement fédéral, selon le paragraphe 8.3(2) du projet de loi S-13, est d’utiliser le mot Indigenous au lieu du mot Aboriginal. Par contre, je n’ai pas vraiment étudié la question en profondeur.
Je pense qu’ils utilisent ce mot parce qu’il est conforme à la déclaration, mais d’un autre côté, ils s’en remettent aussi au paragraphe 35(2). D’après moi, on doit utiliser la déclaration pour interpréter l’article 35, parce que c’est une loi canadienne.
Je crois que c’est un peu comme un cercle. Je ne suis pas tout à fait certaine d’avoir répondu à votre question, mais je ne l’ai pas étudiée de façon approfondie.
La sénatrice Dupuis : Est-ce qu’il y a un glissement de sens dans ce que je vois? Est-ce une nouvelle convention au ministère de la Justice d’utiliser le terme rights holders? Est-ce que ça laisse entendre que ce ne sont pas nécessairement des peuples autochtones au sens de l’article 35? Ce pourrait être différents groupes qui se revendiqueraient de l’article 35 ou de la déclaration.
Ma deuxième question est la suivante. Dans le projet de loi S-13, on dit que l’on abroge le paragraphe 2(2) de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Au fond, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies prévoit que cette loi maintient les droits des peuples autochtones reconnus et confirmés.
Selon vous, est-ce que l’introduction du projet de loi S-13 ne vient pas réduire la reconnaissance qu’on avait faite dans la Loi sur la Déclaration des Nations Unies? En effet, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies se tient toute seule, et on prévoit qu’elle maintient les droits des peuples autochtones.
Si on vient préciser ici que cela veut dire que tout cela ne touche pas aux droits de la Constitution prévus à l’article 35, est‑ce qu’on ne vient pas réduire la portée de cette loi?
Mme Metallic : Je n’ai pas interprété l’abrogation du paragraphe 2(2). Je sais que c’était un article assez important pour quelques groupes autochtones lors des débats sur la Loi sur la Déclaration des Nations Unies.
D’un autre côté, oui. Je ne comprends peut-être pas toutes les nuances pour ce qui est de la façon dont cela pourrait changer la portée de la loi. Peut-être pourriez-vous me l’expliquer un peu, car je ne suis pas certaine de comprendre, effectivement.
La sénatrice Dupuis : En adoptant le projet de loi S-13 et en changeant la formulation d’Aboriginal peoples à Indigenous peoples, on ouvre la catégorie des groupes ou des individus qui pourraient se revendiquer de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies ou de l’article 35.
Mme Metallic : Je pense que non, mais si l’un envoie à l’autre, cela boucle la boucle. J’ai de la difficulté à voir comment d’autres.... Il y a des peuples qui revendiquent des droits qui ne sont pas reconnus. Il y a des tests qui viennent de la Cour suprême et qui nous aident à déterminer cela. De plus, on a la déclaration elle-même qui nous guide quelque peu sur cette question.
Ce sont les outils que l’on utilisera pour trancher ces questions. Selon moi, les deux fonctionneraient ensemble; on utiliserait les deux outils pour répondre à cette question.
Je m’excuse, mais je ne peux pas vous éclairer davantage à ce sujet.
La sénatrice Dupuis : Merci.
[Traduction]
Le sénateur D. Patterson : Ma question s’adresse à Mme Metallic. Je suis heureux de vous revoir devant un comité sénatorial. Je suis curieux de voir quel libellé vous suggérez pour l’amendement proposé, et je suis heureux de savoir que nous pourrons l’avoir une fois vos remarques traduites.
J’aimerais vous poser une question qui me trotte dans la tête. Ce projet de loi traite de l’interprétation des lois canadiennes en vertu de l’article 35 relatif aux droits ancestraux et issus de traités. Vous proposez que nous modifiions également la Loi d’interprétation afin d’assurer une certaine cohérence entre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et d’autres lois fédérales qui pourraient être incompatibles avec cette déclaration. Si j’ai bien compris, le projet de loi sur la déclaration contenait un engagement à réviser toutes les lois fédérales afin de relever toutes celles qui étaient incompatibles avec la déclaration, et le plan d’action constituait la première étape. J’ai pensé à ma question en écoutant vos remarques liminaires. L’amendement que vous proposez exigerait-il également des amendements connexes comme il y en a eu dans ce projet de loi afin de rendre les textes législatifs plus conformes à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones?
Mme Metallic : Je ne pense pas car tout ce que vous faites, c’est confirmer une règle d’interprétation pour laquelle nous n’aurions même pas dû avoir besoin de la loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA. Il existe un principe d’interprétation, « la présomption de conformité au droit international », qui prévoit que nous devons interpréter le droit national de manière à ce qu’il soit conforme aux normes internationales en matière de droits de la personne.
Certains tribunaux l’appliquaient, mais pas tous. J’ai obtenu gain de cause dans une affaire en 2012 en faisant valoir que la Déclaration des Nations unies informait les droits procéduraux en vertu du droit administratif. Ce n’était pas le cas en raison de la discrimination systémique et de la négligence ou du déni constants des droits des Autochtones. Cette règle d’interprétation n’était pas bien comprise. Nous l’avons donc inscrite dans la loi sur la DNUDPA, au paragraphe 4a), qui l’englobe essentiellement. Il confirme ou affirme cette règle.
C’est une réponse semblable à une question d’un des sénateurs précédents. La DNUDPA fait différentes choses. Elle oriente l’interprétation du droit, mais elle peut également éclairer un travail plus substantiel pour transposer des dispositions de la loi dans le droit canadien. Ce n’est pas incompatible. Il faut simplement confirmer une règle que tout le monde devrait déjà respecter, à savoir que nous devrions interpréter le droit canadien, dans la mesure du possible, pour qu’il soit compatible avec la DNUDPA.
J’espère avoir répondu à votre question.
Le sénateur D. Patterson : Je pense que vous l’avez fait. Eh bien, c’est dans la loi sur la DNUDPA, n’est-ce pas?
Mme Metallic : Oui, au paragraphe 4a).
Le sénateur D. Patterson : Oui. Mais vous croyez que nous devrions renforcer cela avec l’amendement que vous proposez à la Loi d’interprétation également?
Mme Metallic : Exactement.
Le sénateur D. Patterson : D’accord, c’est utile. Merci.
Le président : J’ai une brève question à poser.
Dans le cadre de la discussion, M. Neudorf nous a parlé du pouvoir de la Loi d’interprétation. Je pense que le sénateur Dalphond, dans sa vie antérieure, l’a probablement beaucoup utilisé dans ses décisions judiciaires. C’est important dans le contexte de l’examen de l’article 35 et de la disposition dont nous sommes saisis.
Madame Metallic, est-ce que je comprends que l’ajout ou le supplément que vous avez décrit ne nous amène pas nécessairement à une incohérence mais dépasse les questions des droits prévus à l’article 35? En fait, l’amendement que vous proposez est en réalité un amendement lié à un lien général entre le droit canadien et la DNUDPA et ne se concentre même pas sur l’article 35 en particulier.
Mme Metallic : Je ne suis pas d’accord car j’estime que la Déclaration des Nations unies et l’article 35 sont liés, tout comme ce gouvernement, qui a déclaré, comme je l’ai dit dans mes remaques, que la Déclaration des Nations unies donnera vie à l’article 35. Le document sur les 10 principes fait également état que l’article 35 fournit désormais un ensemble complet de droits guidés par la Déclaration des Nations unies. C’est seulement si l’on considère l’article 35 comme étant très étroit et incapable d’évoluer qu’on les perçoit comment étant deux choses distinctes. Je pense que le point de vue des peuples autochtones et de la Commission de vérite et réconciliation est que nous devrions les rendre compatibles. C’est essentiel car ce sont les normes minimales des droits de la personne fondamentaux des peuples autochtones qui ont été garanties et reconnues par l’Assemblée générale des Nations unies.
Le président : Je vais juste poser une brève question complémentaire pour ce qui ressemble à de la semi-ignorance. Je n’ai pas lu la DNUDPA depuis un certain temps, mais il me semble que les dispositions de la DNUDPA couvrent un territoire qui va au-delà de ce que l’on considère normalement comme des droits au titre de l’article 35. Mon interprétation est-elle trop étroite ou superficielle ou pas assez poussée en ce qui concerne la DNUDPA? Q’en pensez-vous?
Mme Metallic : Je pense que c’est exact. Vous interprétez l’article 35 de manière trop étroite, et la Déclaration des Nations unies représente les normes minimales que le droit international a jugé bon d’accorder aux peuples autochtones. L’article 35 n’est pas une boîte fermée ou vide. Notre Constitution, vous le savez bien, est en constante évolution. La critique de la plupart des universitaires autochtones au cours des 20 dernières années, ainsi que de la Commission de vérité et réconciliation, a été que nos droits ne se limitent pas à la pêche et à la chasse. Le dernier groupe de témoins en a un peu parlé. Nous devons aller plus loin. Nous ne parviendrons pas à une réconciliation si nous considérons simplement l’article 35 comme des droits de chasse et de pêche. Nous sommes plus que cela, et il faut s’attaquer à d’autres problèmes. La Déclaration des Nations unies nous y aide.
Le président : Je vous remercie.
Nous avons peu de temps pour une deuxième série de questions.
Le sénateur Dalphond : Je serai bref.
[Français]
Madame Metallic, je ne sais pas si vous avez pris connaissance du mémoire de l’Association des femmes autochtones du Canada qui a été déposé devant notre comité le 5 octobre dernier. Elles ont recommandé d’ajouter un texte au sujet de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qui se lit comme suit : « Toute loi et tout règlement doivent être compatibles avec la Déclaration. »
Faites-vous la même proposition?
Mme Metallic : Effectivement, oui. Je n’étais pas au courant. C’est un bel accident qu’ils aient déposé un mémoire contenant la même proposition.
Le sénateur Dalphond : Merci.
La sénatrice Dupuis : Ma question rejoint celle du sénateur Dalphond, mais elle est un peu différente. Si on ajoute l’article 8.3 du projet de loi S-13, qui dit ce qui suit : « Tout texte maintient les droits — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 », on a une clause interprétative de l’article 35. On ajoute aussi une disposition selon laquelle tout texte va maintenir les droits qui sont reconnus par la déclaration des Nations unies. N’inclut-on pas seulement deux clauses interprétatives de deux types de documents différents, dont l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, sans faire nécessairement le lien que vous faites bien entre les deux? C’était ma question au ministre.
Vous nous parlez de l’article 35 comme si ce n’était que pour le passé, alors qu’au contraire, c’est prospectif. Il est artificiel de dire que l’un est prospectif et que l’autre est pour le passé. Je voudrais que vous réfléchissiez à votre formulation pour faire en sorte que, si vous nous soumettez un texte, on s’assure qu’il y ait un lien entre les deux, que ce ne sont pas uniquement deux clauses interprétatives qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre, et que les juges continuent d’interpréter l’article 35 pour le passé, et que quand on aura du temps, on regardera la déclaration — on gardera cela pour l’avenir.
Mme Metallic : C’est un point intéressant auquel j’ai réfléchi hier et aujourd’hui pendant que j’écrivais cela. J’ai utilisé le libellé de la Loi d’interprétation de la Colombie-Britannique, car je veux suggérer quelque chose qui est faisable et qui n’est pas trop grand. Cela fonctionne. La déclaration dicte les normes minimales de droit fondamental des peuples autochtones. Cela nous aide à interpréter l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cela peut aussi nous aider à interpréter l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, les autres articles de cette Charte et les autres lois. En mettant tout cela ensemble, je me demandais si cela pouvait réduire la portée de la déclaration. C’est vraiment un outil qui sert à interpréter l’article 35 sur les droits collectifs pour certains.
Il y a aussi des droits individuels qui sont évoqués là-dedans; il y a les deux. Voilà ce que j’en pense, mais c’est une bonne question et j’y réfléchis moi aussi.
La sénatrice Dupuis : Merci.
[Traduction]
Le président : Voilà qui conclut la série de questions des sénateurs.
Permettez-moi de prendre un moment pour remercier nos deux témoins de s’être joints à nous de relativement près, Mme Metallic, et d’assez loin, M. Neudorf. Il n’est peut-être pas incroyablement tôt ce matin, mais nous vous sommes reconnaissants que vous ayez pris le temps de vous joindre à nous et de nous informer sur cet important projet de loi.
Chers collègues, cela m’amène à clore cette séance sur l’étude de ce projet de loi. Nous poursuivrons l’étude demain avec des témoins autochtones représentant des organisations autochtones. Nous nous réjouissons à l’avance des deux heures de réunion de demain.
Merci encore une fois, madame Metallic et monsieur Neudorf. Nous vous sommes reconnaissants du temps que vous nous avez consacré et des renseignements que vous nous avez fournis.
(La séance est levée.)