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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 1er novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi d’interprétation et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Je suis Pierre-Hugues Boisvenu, un sénateur du Québec, et je suis vice-président du comité. Je remplace au pied levé le président, le sénateur Cotter.

J’inviterais maintenant les sénateurs à se présenter.

La sénatrice Dupuis : Sénatrice Renée Dupuis, division sénatoriale des Laurentides, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate. J’habite ici sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, également du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta

Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue, monsieur Goodon. Je suis le sénateur Marty Klyne, de la Saskatchewan, territoire visé par le Traité no 4.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, sénateur de la division De Lorimier, au Québec. Bienvenue.

[Traduction]

Le sénateur D. Patterson : Bienvenue. Je suis Dennis Patterson, sénateur du Nunavut, dans l’Inuit Nunangat.

[Français]

Le vice-président : Nous allons poursuivre notre étude du projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi d’interprétation et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Jackson Lafferty, grand chef, Gouvernements autochtones autonomes, qui participe par vidéoconférence, et M. William Goodon, ministre du Logement et de la Gestion immobilière de la Fédération des Métis du Manitoba.

Bienvenue à nos deux témoins.

[Traduction]

Je vous cède la parole, monsieur Goodon. Vous disposez de cinq minutes pour faire votre déclaration, après quoi chaque sénateur aura cinq minutes pour poser ses questions.

William Goodon, ministre du Logement et de la Gestion immobilière, Fédération des Métis du Manitoba : Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Je vais essayer de prononcer mon discours rapidement pour vous laisser le plus de temps possible. J’ai tendance à beaucoup parler et à utiliser tout le temps dont je dispose.

Je m’appelle William Goodon. Je suis ministre du Logement et de la Gestion immobilière au sein de la Fédération des Métis du Manitoba ou du gouvernement national des Métis de la rivière Rouge. Je fais aussi d’autres choses fort intéressantes, comme témoigner devant votre comité, alors je vous remercie pour le temps que vous me consacrez aujourd’hui.

Je tenais à saluer le grand chef Lafferty. Il y a des Lafferty dans mon arbre généalogique, alors il se peut que nous soyons parents.

Je suis heureux de comparaître devant le comité au nom de la Fédération des Métis du Manitoba ou du gouvernement national des Métis de la rivière Rouge, dans le cadre de votre étude sur cet important projet de loi.

La Fédération des Métis du Manitoba, ou FMM, prône depuis longtemps l’inclusion d’une disposition de non-dérogation universelle dans la Loi d’interprétation fédérale, et nous appuyons sans équivoque l’adoption rapide du projet de loi S-13. Nous nous réjouissons que le gouvernement du Canada ait choisi d’aller de l’avant avec cette initiative, dirigée par les Autochtones, qui s’imposait depuis longtemps. La fédération est consciente que cette mesure législative est le produit de plusieurs années de travail, que cette initiative a d’abord été entreprise par nos amis ayant conclu des traités modernes et qu’elle a fait l’objet d’un vaste appui, et que le comité l’a recommandée à l’unanimité en 2007. Nous avons pris part à des discussions et à des consultations au sujet du libellé actuel. Nous avons indiqué au gouvernement que nous y étions favorables et nous l’avons exhorté à adopter rapidement le projet de loi.

La FMM a toujours maintenu sa position. Cependant, le libellé de l’Entente de reconnaissance et de mise en œuvre de l’autonomie gouvernementale des Métis du Manitoba, que nous avons signée avec la Couronne le 6 juillet 2021, est presque identique à ce qui est maintenant proposé pour la Loi d’interprétation, et notre traité presque achevé renfermera une disposition semblable pour faire en sorte que nos droits garantis par l’article 35 soient respectés et que rien n’y porte atteinte. Nous prévoyons que notre traité sera présenté au Parlement dans les mois à venir. En attendant, nous affirmons que le même principe d’interprétation devrait s’appliquer à tous les textes législatifs fédéraux.

Nous sommes d’accord avec d’autres détenteurs de droits autochtones pour dire que nous ne devrions pas avoir à surveiller tous les projets de loi qui sont présentés au Parlement afin de déterminer s’ils restreignent nos droits de manière délibérée ou par inadvertance ni à exercer des pressions par la suite pour obtenir des dispositions de non-dérogation de façon ponctuelle. Nous convenons également que les dispositions qui figurent actuellement dans un certain nombre de lois de façon que celles-ci ne portent pas atteinte à la protection de nos droits accordée par la Loi constitutionnelle sont inutiles, inefficaces et devraient être abrogées.

Nous avons appris que certaines organisations avaient recommandé au comité de modifier le projet de loi en y ajoutant une référence à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA. En tout respect, je dois dire que cette suggestion nous préoccupe. L’idée d’une telle disposition mérite certainement d’être prise en considération, et il ne fait aucun doute que la Fédération des Métis du Manitoba appuie la DNUDPA, mais nous n’avons aucunement été consultés au sujet d’un quelconque libellé. Il peut également y avoir des questions complexes entourant l’application d’une telle disposition, et nous croyons savoir qu’il y a déjà eu des litiges quant au sens d’une disposition semblable dans la Loi d’interprétation de la Colombie-Britannique. La FMM continue de participer aux consultations et aux discussions concernant l’élaboration du plan d’action fédéral et serait disposée à discuter d’une telle disposition, comme le propose l’article 2 du plan d’action 2023-2028. Or, jusqu’à maintenant, il n’y a eu aucune consultation ou collaboration avec la FMM au sujet de la disposition proposée. Nous demandons instamment que le projet de loi S-13 ne soit pas retardé pendant que l’on étudie la possibilité d’y ajouter une disposition sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Nous avons passé en revue les délibérations du comité de la semaine dernière, et j’aimerais citer les propos que le sénateur Patterson a tenus jeudi dernier à la suite des témoignages des représentants de la nation Nisga’a et de Nunavut Tunngavik Incorporated :

Je crains que nous n’ajoutions une couche de complexité, et peut-être même de controverse, si nous ajoutons un amendement relatif à la DNUDPA, même avec les meilleures intentions du monde. Je pense qu’il faut régler ce problème de longue date, ce que nous attendons depuis des décennies, en normalisant la disposition de non-dérogation dans la Loi d’interprétation, et en renvoyant le projet de loi à la Chambre des communes pour qu’elle l’adopte sans délai.

La FMM souhaite ajouter sa voix à celle de la nation Nisga’a et aux Inuits du Nunavut pour appuyer ce point de vue.

[Français]

Le vice-président : Merci beaucoup, M. Goodon.

Je voudrais souligner que la sénatrice Clement et le sénateur Prosper viennent de se joindre à nous.

Maintenant, je vais céder la parole à M. Lafferty.

[Traduction]

Jackson Lafferty, grand chef, Gouvernements autochtones autonomes : Je vous remercie de me donner cette occasion de comparaître devant vous cet après-midi. J’ai l’honneur de pouvoir m’exprimer au nom de la nation Tlicho, dans les Territoires du Nord-Ouest, et au nom du conseil exécutif des chefs du gouvernement Tlicho au sujet du projet de loi S-13.

Depuis 2007, le gouvernement tlicho ainsi que les membres de la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales plaident en faveur d’une disposition universelle de non-dérogation. Les modifications proposées dans le projet de loi S-13 font suite à nos efforts dans ce sens. Nous souhaitons l’adoption de ce projet de loi sans amendement.

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 1982, des dispositions de non-dérogation ont été incluses dans plusieurs lois fédérales, mais il existe des différences sur le plan du libellé, ce qui peut parfois prêter à confusion et avoir des conséquences préjudiciables. Par exemple, certaines dispositions indiquent que les lois en question ne doivent pas porter atteinte à la protection des droits ancestraux et des droits issus de traités au titre de la Loi constitutionnelle plutôt qu’aux droits eux-mêmes. C’est trop important pour ne pas faire les choses correctement.

La disposition de non-dérogation dans la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie est un bon exemple. J’aimerais parler de la modification proposée à cette loi, qui correspond à la disposition de non-dérogation de la Loi d’interprétation.

En tant que nation signataire d’un traité moderne, il est important pour nous d’améliorer, plutôt que d’abroger, la disposition de non-dérogation contenue dans cette loi. Comme vous le savez, nous, les Tlichos, exerçons notre autonomie gouvernementale depuis près de 20 ans. En plus d’un traité moderne, l’Accord sur les revendications territoriales et l’autonomie gouvernementale du peuple tlicho, la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie est un élément clé du cadre qui garantit que nous avons notre mot à dire et que nous assurons une cogestion de l’eau et de la terre que nous utilisons sur notre territoire appelé Môwhì.

Rien n’est plus important pour nous que la protection de notre mode de vie et de nos terres. Il est essentiel de veiller à ce que la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie ne nous prive pas de nos droits protégés par la Constitution. Cette loi est un outil. Le gouvernement tlicho est un traité. L’outil ne peut pas modifier le traité ni nuire à ses dispositions. C’est pourquoi nous devons veiller à bien faire les choses relativement à la disposition de non-dérogation. L’approche distincte nécessaire ici reflète le fait que les traités modernes constituent des ententes particulières qui recoupent d’autres catégories existantes fondées sur les distinctions.

Certains groupes ont demandé l’inclusion d’une disposition sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans le projet de loi. En tout respect, nous ne souscrivons pas à cette approche. Nous travaillons sur ce dossier depuis plus de 20 ans et nous sommes tout près du but. Nous ne sommes pas contre les nouvelles idées, mais nous avons des craintes quant à celles qui pourraient retarder cette mesure importante. Nous voudrions souligner que l’inclusion d’une disposition de non-dérogation dans la Loi d’interprétation est une priorité du Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. L’inclusion de la disposition concernant la DNUDPA ne l’est pas. Le gouvernement tlicho n’a pas analysé les ramifications de l’inclusion d’une telle disposition. Nous serions d’accord si le Canada envisageait de le faire à une date ultérieure, mais nous nous y opposons à l’étape actuelle du projet de loi.

Le projet de loi S-13 supprimera enfin les dispositions de non-dérogation des lois fédérales qui risquent de diminuer les droits ancestraux et issus de traités prévus à l’article 35 et fera en sorte que toutes les lois et tous les règlements fédéraux doivent maintenir les droits ancestraux ou issus de traités et ne pas y porter atteinte. Les traités sont au cœur du tissu constitutionnel du Canada. Ce sont des accords fondamentaux en vertu desquels le Canada a été créé. La disposition de non-dérogation est un élément clé si nous voulons faire respecter nos accords fondamentaux et veiller à ce que les parties tiennent leurs promesses.

Je tiens à remercier tous ceux qui ont contribué à cette initiative. Tous les efforts que nous avons déployés jusqu’à maintenant en ont valu la peine. Mahsi’cho pour cette occasion.

[Français]

Le vice-président : Je vous remercie, monsieur Lafferty.

Je souligne l’arrivée au comité de la sénatrice Batters.

Nous commençons la période des questions avec la marraine du projet de loi, la sénatrice LaBoucane-Benson.

[Traduction]

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je tiens à remercier le grand chef Lafferty pour son discours. C’est la première fois que je vous entends, grand chef. C’était très intéressant. Je vous remercie.

Je tiens à souhaiter de nouveau la bienvenue à M. Goodon au sein d’un comité sénatorial. Si je ne me trompe pas, vous avez témoigné hier devant le Comité des peuples autochtones, et demain, vous comparaîtrez devant le comité de la Chambre des communes. Vous êtes fort occupé.

Je sais que la Fédération des Métis du Manitoba entretient une relation de longue date avec le gouvernement fédéral. Vous avez travaillé en étroite collaboration sur ce dossier et sur de nombreux autres. J’ai eu l’occasion de rencontrer le président de la FMM l’autre jour. Bien des choses se passent en ce moment. Tout d’abord, pouvez-vous me confirmer que votre organisation a été consultée convenablement au sujet du projet de loi S-13?

M. Goodon : Je vous remercie, madame la sénatrice.

À ma connaissance, on a travaillé sur le projet de loi S-13, à l’exception des amendements potentiels concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui, selon nous, ne sont pas pertinents pour l’instant. Nous devons agir le plus tôt possible, en fait, nous devons agir maintenant.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Ma deuxième question complémentaire est la suivante : lorsqu’on parle de disposition de non-dérogation, on dirait que cela tient du jargon juridique. Pouvez-vous donc expliquer au comité ce que l’adoption du projet de loi S-13 signifierait pour la Fédération des Métis du Manitoba?

M. Goodon : Je dirais que l’élément fondamental, c’est qu’on simplifie les choses grâce à cette disposition. Comme je l’ai dit dans ma déclaration, nous n’aurons pas besoin d’examiner chaque mesure législative qui est présentée au Parlement du Canada. On reconnaît ainsi les droits énoncés à l’article 35, leur importance et la mesure dans laquelle le gouvernement, fédéral ou provincial, doit en tenir compte dans tout ce qu’il fait, bien qu’il puisse y avoir des obstacles à d’autres ordres de gouvernement. Chose certaine, il est essentiel pour la poursuite de nos travaux de comprendre que ces droits existent et qu’ils doivent être reconnus, car nous ne voulons pas revenir en arrière et reprendre les mêmes batailles. Nous voulons continuer de collaborer avec vous.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Je voudrais d’abord remercier nos deux invités aujourd’hui.

[Traduction]

Ma première question porte sur la dernière partie de vos deux présentations. Comme vous devez vous en douter, elle concerne la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Nous n’avons pas de questions sur la première partie du projet de loi qui porte sur l’inscription de la disposition d’interprétation dans la Loi d’interprétation plutôt que d’adopter chaque fois une loi distincte. Cela ne nous pose pas problème. Un oubli est toujours possible et un libellé qui diffère d’une mesure à l’autre engendrera beaucoup de confusion. Nous allons régler ce problème.

Mon autre question concerne le projet de loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Grand chef Lafferty, je crois comprendre que vous avez longtemps siégé à l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest. Vous avez déjà été ministre de la Justice, si je ne m’abuse, ministre de l’Éducation et Président. Vous savez comment fonctionne le service juridique et comment les lois sont rédigées. Or, vous êtes manifestement d’avis que nous ne devrions pas procéder et ajouter à ce projet de loi des dispositions sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones?

M. Lafferty : Je vous remercie de votre question.

À l’Assemblée législative territoriale, où j’ai été ministre de la Justice, ministre de l’Éducation et Président, nous avons travaillé pendant plus de 20 ans sur l’ensemble du processus entourant la Loi d’interprétation. Il faudra du temps, selon moi, avant d’ajouter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. C’est un élément distinct. Lorsque nous avons entamé la négociation sur la modification de la Loi d’interprétation il y a plus de 20 ans, personne ne pensait alors à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. On aurait pu en discuter, mais on n’en était pas là. Le projet de loi est en cours d’élaboration depuis un certain temps. Ajouter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans le projet de loi retardera tout le processus. Nous demandons respectueusement son exclusion pour l’instant. Nous l’appuierons quand elle sera présentée dans une autre mesure, plus tard, mais pour l’instant, il faut donner un coup d’accélérateur, en omettant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Comme l’a dit un autre intervenant, nous travaillons sur la mesure actuelle depuis un bon bout de temps. Elle nous permettra d’aller de l’avant.

Le sénateur Dalphond : Grand chef, votre principale préoccupation semble être de gagner du temps et de ne pas retarder l’adoption du projet de loi. Normalement, la Chambre des communes nous renvoie un projet de loi. Si le Sénat amende celui-ci, il doit être renvoyé à la Chambre des communes, ce qui peut entraîner des retards. Dans ce cas-ci, le projet de loi a été présenté au Sénat. Nous sommes les premiers à nous présenter au bâton, si je puis dire. Si nous amendons le projet de loi, cela n’occasionnera pas de retard. Cela vous rassurerait-il?

M. Lafferty : C’est un point auquel nous avons réfléchi en partant. L’ajout de la disposition sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones transformerait ce projet de loi. Nous n’avons pas fait d’analyses pour savoir si le projet de loi s’en trouverait amélioré ou non. Ce projet de loi est important. Même s’il y a bien des façons de l’améliorer, nous ne voulons pas que l’ajout de la disposition sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones le fasse dérailler. Il s’agit des principales préoccupations qu’a la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales. Il y a 26 nations au Canada. Parmi les membres de la coalition, il y a des gouvernements et des organismes signataires de traités modernes au Canada. Les membres de la coalition souhaitent l’adoption du projet de loi sans amendement. Nous avons aussi reçu des lettres à ce sujet du fédéral. Ce sont là parmi les principales préoccupations à avoir été portées à notre attention lors des discussions avec la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales.

La sénatrice Simons : Je commencerai par M. Goodon et je poursuivrai peut-être avec le grand chef Lafferty.

Nous avons entendu des témoins plus tôt dans le processus qui s’exprimaient au nom de femmes autochtones et de groupes de femmes autochtones. Ces personnes ont fait valoir avec beaucoup de conviction qu’on fragiliserait leurs droits en excluant l’ajout d’une disposition sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, car une disposition de non-dérogation renvoyant à la Charte ne défendrait pas les droits des femmes comme le ferait une disposition sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Cependant, d’autres témoins nous ont dit que si nous ajoutons des éléments dans le projet de loi, nous nous trouverons à en changer l’esprit, et que nous le ferons sans avoir mené de consultations axées sur la collaboration comme celles qui ont eu lieu au sujet de la disposition de non-dérogation. Que dites-vous aux femmes autochtones qui nous ont dit que la disposition de non-dérogation à elle seule leur paraît insuffisante pour les protéger?

M. Goodon : C’est une excellente question. Je vais tenter d’aller à l’essentiel, mais j’aimerais d’abord ajouter une ou deux choses à ce que le grand chef a dit.

Nous avons appuyé la disposition sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. J’ai aidé à la rédaction de cette déclaration à Genève en 1999, nous en sommes donc des partisans de longue date. Il serait peut-être bon de considérer que celle-ci n’est pas nécessairement un plafond, mais plutôt un seuil. Nous savons que l’Organisation des États américains travaille à une déclaration américaine qui va un peu plus loin. Prendrons-nous en compte la déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones sur une question comme celle-là l’an prochain? Le projet de loi ne sera plus le même.

Vous avez parlé du temps comme étant une source de préoccupation, du temps qu’il faut pour mener des consultations correctement et établir un dialogue. Il faut du temps pour consulter des nations autochtones, des gouvernements et des populations à l’échelle du pays, comme le voient les gouvernements métis en ce moment dans le cadre des négociations sur les traités et sur l’autonomie gouvernementale.

Que dirons-nous aux groupes de femmes autochtones qui ont cette impression? Il faut garder à l’esprit que nous avons entamé un parcours où nous progressons petit à petit, un pas après l’autre. J’ai marché jusqu’au camp de base de l’Everest. À un moment donné, faire un seul pas était un objectif en soi. Parfois, c’est aussi ce qu’il faut faire ici. Tout ne tombera pas parfaitement en place, mais si nous parvenons à faire ce pas, et à écouter ces préoccupations, je crois qu’il sera possible de discuter et de travailler ultérieurement pour nous assurer de répondre à celles-ci.

La sénatrice Simons : Grand chef Lafferty, que faites-vous pour répondre aux préoccupations soulevées par des femmes autochtones qui disent que la disposition de non-dérogation ne suffira pas à elle seule à leur assurer respect et protection?

M. Lafferty : Mahsi pour la question.

En tant qu’élus, nous représentons une variété de parties, de personnes et de membres de communautés faisant partie d’organismes que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ou l’ensemble de la discussion sur le projet de loi comme tel peut intéresser.

Je veux parler du dialogue. Il faudra un certain temps pour établir un dialogue avec des gens de partout au Canada au sujet de l’ajout de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans le cadre du projet de loi S-13, et le temps presse. Comme je l’ai dit précédemment, si d’autres occasions se présentent plus tard, nous les appuierons sans réserve, qu’il s’agisse d’une mesure sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ou d’autres mesures. En ce moment, il est essentiel que le projet de loi progresse. La Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales a discuté de ce projet de loi en particulier. Il y a eu des échanges de lettres avec le gouvernement fédéral. Je crois qu’il est temps de procéder avec cette mesure. Mon collègue a dit que nous suivons un parcours. Je sais que nous l’avons entamé il y a longtemps, plus de 20 ans, mais il faut maintenant faire franchir au projet de loi S-13 le reste du parcours pour que ces mesures entrent en vigueur.

Il y a des organismes qui communiqueront avec nous aussi, à l’évidence. Je veux simplement dire aux organismes comme l’Association des femmes autochtones du Canada et aux autres organismes qui ont des sujets de préoccupation ou des problèmes que l’on portera sûrement à notre attention ceux-ci au fur et à mesure que le nouveau projet de loi progressera.

Mahsi.

Le sénateur Klyne : Monsieur Goodon, que pensez-vous des effets du projet de loi S-13, comme celui d’éviter aux peuples autochtones d’avoir à demander une disposition de non-dérogation chaque fois que le gouvernement adopte une mesure législative qui pourrait avoir un effet sur leurs droits et favoriser la réconciliation? En répondant à cette question sur les effets du projet de loi S-13, pourriez-vous me dire si vous pensez que ce sera un avantage accessoire ou si celui-ci sera significatif ou substantiel? Par ailleurs, y a-t-il des lois dans lesquelles la disposition de non-dérogation ne doit pas être abrogée, mais bien conservée à jamais afin d’éviter toute erreur d’interprétation?

M. Goodon : Je vous remercie, sénateur.

Je crois que les modifications proposées dans le projet de loi S-13 feront une nette différence. Lorsque nous négocions des ententes, que celles-ci portent sur le logement, sur l’autonomie gouvernementale ou, même de manière plus large, sur les questions territoriales ou sur les droits, etc., nous avons souvent tendance à demander des conseils juridiques. Moins il y a de formalités, mieux c’est quand nous avons des dossiers d’une importance cruciale, comme nous occuper de nos enfants ou fournir des soins à nos aînés. C’est extrêmement important. Il est inutile que notre équipe de négociation consacre 40 heures supplémentaires à ce genre de choses. On comprend simplement que cela fait partie de tout ce qui sera fait dans l’avenir.

Pour ce qui est de votre deuxième question, je n’en sais pas assez à ce sujet pour dire s’il faudrait une loi distincte de ce projet de loi-ci. Je m’en excuse. Il me faudra sans doute y réfléchir, et la prochaine fois que nous serons pris ensemble à bord d’un avion, je vous répondrai.

Le sénateur Klyne : Grand chef Lafferty, y a-t-il des lois dans lesquelles, à votre avis, la disposition de non-dérogation ne doit pas être abrogée, dans lesquelles il faut la garder présente et claire, afin d’éviter toute erreur d’interprétation?

M. Lafferty : La disposition de non-dérogation est une réponse attendue à la recommandation d’interpréter chaque loi en maintenant les droits ancestraux ou issus de traités. Les membres de la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales en sont satisfaits. Vous avez également entendu d’autres entités politiques, comme le gouvernement Nisga’a et Nunavut Tunngavik Inc. dire qu’il faut faire progresser ce projet de loi le plus rapidement possible. Sans en dire plus, je fais écho au message du gouvernement tlicho pour dire que nous appuyons ce projet de loi. Sans compter que, parallèlement, le projet de loi fera évidemment en sorte que les lois et les règlements fédéraux seront interprétés comme maintenant les droits ancestraux ou issus de traités au Canada. Voilà en partie ce sur quoi ont porté les discussions de la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales partout au Canada avec 26 nations.

La sénatrice Pate : Je remercie les témoins d’être là.

Il arrive que le gouvernement consulte ceux qu’il sait être déjà en accord avec lui plutôt que ceux qui sont aux prises avec des problèmes. J’ai deux questions interreliées. L’un de vous connaît-il un organisme autochtone qui n’appuie pas la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones? Étant donné que le Sénat, comme l’ont fait valoir des collègues, est la première Chambre à étudier le projet de loi, nous avons la possibilité d’améliorer le projet de loi à cette étape-ci plutôt que d’attendre un certain nombre d’années avant d’ajouter la déclaration des Nations unies. Pourquoi ne pas le faire? Il y a tellement de personnes qui demandent clairement de le faire.

M. Goodon : Merci, sénatrice.

Je ne suis pas un expert en ce qui concerne les consultations et le devoir de consulter, mais je contribue à la réponse de notre gouvernement à l’égard de ce document depuis, si je ne me trompe, le début des années 2000. Pour nous, le processus de mener des consultations n’est pas qu’une formalité. Ce processus ne se résume pas à quelque chose que l’on fait sans conviction, même si certaines instances gouvernementales l’ont fait par le passé. Ce ne sont pas tous les gouvernements qui savent parfaitement comment consulter. Selon le côté de la table où vous êtes assis, le processus de consultation peut avoir une signification différente.

Or, selon ma compréhension, le devoir de consulter est envers les peuples et les nations, et non envers des organisations ou des organismes à but non lucratif. Même si certaines organisations sont capables de parler au nom des particuliers, les notions d’appartenance à la nation et de relation de nation à nation et de gouvernement à gouvernement doivent être prises en compte selon une compréhension plus générale comparativement aux organisations qui militent au nom de groupes précis.

Cela dit, je ne connais aucun organisme ou gouvernement autochtone qui soit contre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

J’ai déjà entendu cette expression, et je suis désolé de devoir consulter mon téléphone pour vérifier : « Le mieux est l’ennemi du bien. » J’ai entendu des personnes le mentionner. Si l’on vise la perfection, si notre but est que ce projet de loi soit absolument parfait, il ne fait aucun doute que nous allons attendre encore 20 ans. Il est à espérer que le grand chef Lafferty sera encore là dans 20 ans pour faire avancer ce dossier. Si l’on veut obtenir le « bien », je dois avouer respectueusement que je crois qu’il faut aller de l’avant avec ce projet de loi et l’adopter. Parallèlement, il faut continuer à travailler sur tous les autres aspects qui y sont associés, y compris la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. J’exhorte le gouvernement du Canada à examiner la déclaration américaine sur les droits des peuples autochtones, qui, comme je l’ai précisé, va plus loin dans le respect des droits des peuples autochtones dans les Amériques.

Merci.

La sénatrice Pate : J’aimerais aussi entendre le grand chef Lafferty dans un instant. En fait, c’est l’une des expressions que j’aime le moins, tout simplement parce que « mauvais » et « inadéquat » sont aussi les ennemis du bien. Dans ce cas-ci, comme vous l’avez mentionné, presque tous les gouvernements autochtones et toutes les organisations conviennent que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones doit être incluse. La raison qui justifie de ne pas l’inclure, à ce moment, dès maintenant, dans le projet de loi, m’échappe encore. Votre réponse ne m’a pas convaincue du contraire, mais je suis très curieuse de savoir ce que le grand chef...

M. Goodon : Puis-je ajouter quelque chose? Je vous en suis reconnaissant. J’ai grandi avec un père qui — nous vivions sur une terre, une terre agricole. Parmi les choses qui énervaient mon père, il y avait l’expression « assez bon ». Il détestait cette expression, car cela signifie que ce n’est pas suffisant. Si l’on peut améliorer quelque chose, alors il faut l’améliorer. En même temps, cela pouvait prendre énormément de temps.

Je veux revenir sur la notion de temps et de consultation. Au risque de me répéter, pour que les consultations soient faites correctement, il faut que toutes les parties soient consultées à propos du libellé. Comme je l’ai dit dans ma déclaration initiale, nous ne sommes pas contre la déclaration. À ce stade-ci, nous jugeons qu’il est plus important de passer à l’étape suivante. Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci à vous deux d’être ici aujourd’hui.

J’aurais une question pour le grand chef Lafferty.

Quand le ministre est venu témoigner devant le comité, il nous a expliqué que le projet de loi S-13 allait couvrir la plupart des lois où il y a des clauses de non-dérogation, sauf trois situations, dont celle qui s’appliquerait dans la vallée du Mackenzie.

Quand vous avez fait votre présentation, monsieur Lafferty, il me semble vous avoir entendu faire référence à la vallée du Mackenzie, pouvez-vous me le confirmer? Je vois que dans la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, il y a l’article 5 qui est, en effet, une clause de non-dérogation et cette loi n’est pas dans l’annexe du projet de loi S-13. Est-ce que c’est bien de cette loi que vous nous parliez tout à l’heure?

Je vous pose cette question parce que le ministre nous avait dit, quand il est venu, que cette loi n’était pas abrogée par le projet de loi S-13, entre autres, parce que cela répondait à une demande expresse des Premières Nations qui étaient touchées par ce projet de loi. Pouvez-vous confirmer que c’est de cela que vous parliez tout à l’heure?

À votre connaissance, est-ce que c’est exact que les Premières Nations ont exprimé le désir express que la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie ne soit pas couverte par le projet de loi S-13?

[Traduction]

M. Lafferty : Lorsque j’ai parlé de la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, j’y faisais référence parce que c’est un excellent exemple. Or, l’amendement proposé à cette loi reflète aussi la disposition de non-dérogation proposée dans la Loi d’interprétation. Par conséquent, je voulais simplement utiliser cet exemple lié à la Loi d’interprétation puisque nous l’examinons en ce moment. Quand on parle de participation, plusieurs définitions du terme « consultation » ont été utilisées. Pour ma part, j’évite d’employer le mot « consultation ». J’estime qu’il est plus approprié de parler de mobilisation de la population, des communautés et du Canada. Toutefois, il faudra un certain temps pour mobiliser la population. Parallèlement, il ne faut pas oublier que la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales est aussi en préparation depuis plus de 20 ans. Je voulais simplement utiliser la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie comme un exemple d’outil par rapport à la disposition de non-dérogation dans la Loi d’interprétation.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’ai une sous-question pour le grand chef Lafferty.

À votre connaissance, à l’intérieur de la coalition des gouvernements autonomes autochtones, est-ce qu’il y a des Premières Nations qui ont demandé expressément de ne pas être couvertes par projet de loi S-13?

[Traduction]

M. Lafferty : Dans le cadre des discussions que nous avons eues dans le passé avec la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales — c’est-à-dire les propriétaires, les 26 Premières Nations —, en ce qui concerne le projet de loi S-13 et la disposition de non-dérogation, il a abondamment été souligné qu’il faut passer à la prochaine étape. Les parties attendent depuis déjà très longtemps. Il n’y a eu aucune opposition ni abstention à ce sujet. La Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales, tous les groupes de revendication territoriale et les détenteurs de titres appuient sans réserve la progression de ce projet de loi à la prochaine étape. Oui, ils veulent que le projet de loi aille de l’avant. Nous attendons avec impatience un changement positif.

Mahsi.

La sénatrice Clement : Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux, et je vous remercie de votre présence. Je vous remercie également pour votre travail — pour votre dévouement à l’égard de ce dossier.

J’aimerais revenir à la notion de la consultation. Je veux revenir aux questions que les sénatrices Simons et Pate ont posées. J’aimerais aborder l’urgence d’agir. Monsieur Goodon, je vous ai entendu soulever le fait que le devoir de consulter n’est pas seulement envers les organisations, mais aussi directement les nations. J’entends ce que vous dites.

Je voudrais simplement citer Mme Metallic, qui a témoigné devant notre comité au nom de l’Association du Barreau autochtone. Elle a déclaré ce qui suit :

En stipulant clairement dans la Loi d’interprétation que les lois et règlements fédéraux doivent être interprétés conformément et à l’article 35 et à la déclaration des Nations unies, le Canada peut réellement tenir sa promesse. À notre avis, il serait regrettable d’invoquer la nécessité d’une consultation approfondie pour retarder ces modifications.

Par ailleurs, Mme Niman a souligné l’urgence d’agir pour les femmes et les personnes de diverses identités de genre autochtones, plus particulièrement en ce qui concerne les aspects intersectionnels de ces groupes. Elle estime que la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones aborde beaucoup plus directement cette intersectionnalité que ne le fait, ou pourrait le faire, l’article 35.

Je suppose qu’il serait important d’entendre ce que vous avez tous les deux à dire. D’une part, pouvez-vous nous donner plus de détails sur l’urgence d’agir soulevée par ces témoins au nom des groupes intersectionnels et, d’autre part, comment le fait d’avancer graduellement peut-il représenter un problème pour les personnes qui affirment qu’il est urgent d’agir?

M. Goodon : Grand chef, voulez-vous vous exprimer en premier sur cette question?

M. Lafferty : Mahsi, pour la question.

Il y a urgence d’agir pour l’engagement envers ce très important projet de loi dont nous sommes saisis, le projet de loi S-13, surtout pour l’ajout d’autres éléments d’intérêt, le parfait exemple étant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Le gouvernement tlicho, même dans le cadre de la Coalition pour les accords sur les revendications territoriales, n’a pas analysé les répercussions de l’inclusion dans le projet de loi de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Il reste du travail à faire dans ce domaine. Cette question ne se posait pas quand le projet de loi a été présenté pour la première fois il y a plus de 20 ans. Par conséquent, il faudrait un processus de discussion, d’engagement et de négociation. C’est nouveau pour nous. Quand je dis « nouveau », je veux dire que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a adopté la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Les gouvernements autochtones dans les Territoires du Nord-Ouest ont entièrement appuyé ces mesures législatives pour aller de l’avant, mais ce sont des mesures législatives distinctes qui sont déjà adoptées et avec lesquelles nous travaillons. Elles ont été intégrées dans la Coalition pour les accords sur les revendications territoriales et les Territoires du Nord-Ouest. Il y a une nouvelle loi en préparation, alors nous devons appliquer la loi en vigueur. À propos du projet de loi S-13, je crois qu’il est urgent de faire avancer les choses plus rapidement. Inclure un nouvel amendement signifie évidemment de mobiliser les Canadiens de partout au Canada. Je ne suis pas sûr du temps que cela prendrait, mais cela retarderait le processus. Je ne saurais évaluer la durée de ce délai. Je peux seulement parler au nom du conseil exécutif du gouvernement tlicho et de la Coalition pour les accords sur les revendications territoriales — nous avons aussi participé à ce processus : nous voulons agir rapidement pour faire passer le projet de loi S-13 à la prochaine étape dans sa forme actuelle.

La sénatrice Clement : Merci.

M. Goodon : Je suis d’accord avec mon collègue, le grand chef Lafferty. En tant que Métis de la rivière Rouge, nous n’avons pas eu le temps voulu pour examiner attentivement les conséquences possibles du libellé de cet ajout. Comme nous le savons tous, les mots sont importants, surtout en ce qui concerne les enjeux comme celui-ci, et il s’agit d’un enjeu primordial. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est un document de la plus haute importance qui peut littéralement changer des vies. S’il doit être inclus, je pense que nous serions d’accord. Toutefois, à l’heure actuelle, nous n’avons aucune idée des mots ni des répercussions — positives ou potentiellement négatives — par rapport au résultat concret.

Le sénateur D. Patterson : C’est un plaisir de vous voir, grand chef Lafferty.

Merci à M. Goodon pour votre grande attention lors de nos réunions précédentes. Je suis flatté que vous ayez pris en note mes humbles observations.

J’ai deux brèves questions pour chacun d’entre vous. Vous avez peut-être déjà fourni une réponse.

Votre organisation a-t-elle été consultée sur un projet d’amendement sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones? J’aimerais d’abord entendre M. Goodon, puis le grand chef Lafferty.

M. Goodon : Non.

M. Lafferty : Non.

Le sénateur D. Patterson : Il est entendu que, à la Fédération Métisse du Manitoba, votre position est l’adoption rapide du projet de loi sans amendement. Comme mon éminent collègue, le sénateur Dalphond, l’a dit, ce projet de loi émane du Sénat. Par conséquent, si nous approuvons cet amendement, cela ne créera aucun retard. Cependant, je sais que, d’après mon expérience sur l’étude de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, le projet de loi C-15, le processus de consultation a été un énorme problème, surtout chez les peuples autochtones visés par les traités, pendant l’élaboration de cette loi. Si l’on ajoutait une nouvelle disposition sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, sans égard au mérite d’une telle disposition, seriez-vous inquiet que, lorsque le projet de loi serait renvoyé à la Chambre des communes et à un comité similaire à celui-ci, il y ait un risque élevé que des témoins autochtones disent qu’ils n’ont pas été consultés sur les répercussions de cette nouvelle disposition et qu’ils auraient besoin de temps pour examiner cette complexité avant d’émettre une opinion à ce sujet?

M. Goodon : Merci, monsieur le sénateur.

Vous avez assez bien résumé notre position. Comme nous le savons, la Cour suprême a déclaré que l’obligation de consulter s’applique dès lors qu’il y a une incidence sur les droits prévus à l’article 35. Un tel amendement entraînerait l’obligation de consulter. Dans pareil cas, il faut aussi tenir compte de la participation et de l’accommodement des gens. Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, ce n’est pas que nous nous opposons à l’inclusion de cette disposition, c’est simplement que nous ignorons quel sera le libellé. Nous n’avons pas été consultés à ce sujet. Nous avons nos propres façons de faire au sein de notre nation et de notre gouvernement en ce qui concerne la manière dont nous obtenons l’avis des gens. Il faudra du temps pour nous rendre dans 20 communautés différentes afin de poser des questions aux gens sur une telle disposition et de leur demander quelle incidence elle aura dans leur foyer. De plus, il ne s’agit que de nous dans la Fédération des Métis du Manitoba. D’autres nations auront des façons différentes de collaborer avec leurs citoyens et d’écouter leur point de vue. Donc, oui, cela prendra du temps.

Le sénateur D. Patterson : Grand chef Lafferty, je pense que la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales mérite d’être félicitée pour avoir préconisé sans relâche ce changement pendant des décennies. Un porte-parole inuit a indiqué au comité qu’on en parle depuis 2002 et que le sénateur Charlie Watt était un champion de cette modification. Vous avez travaillé pendant toutes ces décennies pour en arriver là où nous en sommes aujourd’hui. Maintenant, des gens animés des meilleures intentions sont venus nous dire que, pendant que nous procédions à ce changement tant attendu, il serait peut-être bien d’apporter cet autre changement — certes important et, je dirais, complexe. Craignez-vous que cette disposition sème la pagaille à la Chambre des communes, voire au Sénat, et retarde ce changement progressif tant attendu?

M. Lafferty : Mahsi, sénateur Patterson. C’est un plaisir de vous revoir.

Comme l’a dit M. Goodon, il s’agira d’un ajout complexe au projet de loi très important dont nous sommes saisis, et l’amendement général retardera certainement l’ensemble du processus. De toute évidence, la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales et mon gouvernement seront pris au dépourvu, car nous n’avons pas fait preuve de toute la diligence voulue à cet égard ni effectué d’analyse. Nous pensions que, quand le projet de loi nous a été présenté par le ministre de la Justice, il était en cours d’examen à la Chambre des communes et au Sénat. Nous l’avons évidemment appuyé sans réserve, à juste titre. Présenter un amendement sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones afin de débattre ici d’un nouvel outil à ajouter au projet de loi retardera vraiment tout le processus. Il faudra du temps pour mobiliser les gens à travers le Canada. Comme mon collègue l’a dit, le processus lié à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est très complexe. Il a fallu un certain nombre d’années pour régler cette question dans le cadre de notre loi territoriale. Ajouter cette disposition au projet de loi S-13 retardera évidemment le processus. Nous ne voulons pas de retard. Nous voulons que le projet de loi S-13 soit adopté rapidement et qu’il devienne une loi afin que nous puissions commencer à travailler avec le gouvernement fédéral et à reconnaître tous les droits ancestraux et issus de traités dans tous les projets de loi qui sont présentés. Ce sont là quelques-unes des préoccupations qui ont été portées à mon attention par mon équipe de direction et par la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales.

La sénatrice Pate : La question que j’ai posée plus tôt, à laquelle le grand chef Lafferty n’a pas eu l’occasion de répondre, est celle à laquelle j’espérais qu’il pourrait répondre. Connaît-il des groupes de gouvernance autochtones ou des groupes autochtones qui s’opposent à la déclaration des Nations unies? J’ajoute maintenant la question suivante : selon vous, en raison du libellé utilisé, si la déclaration des Nations unies était incluse, quelles seraient les complexités et les composantes négatives qui en découleraient?

M. Lafferty : Mahsi.

Je ne crois pas qu’il y ait d’organismes ou de gens qui s’opposent à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Comme je l’ai dit, notre administration — et je ne peux parler que de la mienne — a adopté la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones à l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest, et les gouvernements autochtones de tout le territoire l’ont appuyée et ont soutenu le gouvernement territorial.

La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est un dossier très complexe. Nous avons collaboré avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, même si nous sommes une petite administration. Imaginez un peu la loi fédérale sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Lorsqu’il est question d’apporter un amendement, il faut un certain temps pour faire participer le grand public, c’est-à-dire les Canadiens. Il faudra du temps, ce qui retardera l’ensemble du processus.

Comme je l’ai dit, et je sais que je me répète, nous travaillons sur ce dossier depuis plus de 20 ans. En même temps, nous en sommes aux dernières étapes. Nous voulons voir le résultat final. Le ministre de la Justice a présenté le projet de loi à la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales. Nous n’avons pas été consultés au sujet du nouvel amendement. Nous venons d’en entendre parler. Il s’agit d’un domaine très complexe que nous entrevoyons en tant que nation.

Mahsi.

Le sénateur Dalphond : Grand chef Lafferty, vous l’avez peut-être dit au début de votre présentation, mais pouvez-vous indiquer combien de membres des gouvernements autochtones autonomes font partie de votre organisation? Dans les opinions que vous exprimez, parlez-vous au nom de tous les gouvernements autonomes ou seulement de ceux des Territoires du Nord-Ouest? C’est un peu nébuleux pour moi. Quelle est l’ampleur des consultations qui ont été menées avant que vous décidiez de présenter les positions que vous avez prises aujourd’hui?

M. Lafferty : Mahsi de cette question, monsieur le sénateur.

La Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales compte 26 signataires de traités modernes. Quand j’interviens ici aujourd’hui, je parle au nom de mon gouvernement tlicho, dans les Territoires du Nord-Ouest, mais, parallèlement, nous faisons partie de la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales. Nous avons déjà débattu de la Loi d’interprétation. Nous en avons discuté et nous avons soutenu le ministre Lametti quand il a présenté le nouveau projet de loi S-13, donc nous sommes saisis. Je peux dire sans me tromper au nom de la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales que nous appuyons ce projet de loi dans sa forme actuelle. Toutefois, je fais partie de la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales seulement à titre de membre.

Mahsi.

Le vice-président : Merci beaucoup.

[Français]

Sénateurs et sénatrices, vous allez sans doute vous joindre à moi pour saluer et remercier nos deux témoins qui ont donné de leur temps ce soir pour faire progresser notre étude du projet de loi S-13. Merci à nos témoins.

Chers collègues, nous avons terminé notre séance pour aujourd’hui. Est-ce que des membres voudraient faire état de préoccupations avant la prochaine réunion? N’en voyant pas, je vous souhaite une belle fin de soirée et je vous dis à demain.

(La séance est levée.)

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