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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 8 novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 34 (HE), pour l’étude du projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi d’interprétation et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, nous nous réunissons afin d’entamer l’étude article par article du projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi d’interprétation et apportant des modifications connexes à d’autres lois

Nous sommes accompagnés aujourd’hui de fonctionnaires du ministère de la Justice du Canada qui répondront à toute question d’ordre technique, mais ne présenteront pas d’exposé. Nous sommes heureux de souhaiter la bienvenue à Mme Laurie Sargent, sous-ministre adjointe, Portefeuille des droits et relations autochtones; Mme Valerie Phillips, directrice et avocate générale, Centre de droit autochtone, Portefeuille des droits et relations autochtones; et Mme Jaya Bordeleau-Cass, conseillère juridique, Centre de droit autochtone, Portefeuille des droits et relations autochtones

Merci d’être des nôtres pour nous appuyer dans ce travail.

Pourquoi ne pas faire maintenant un tour de table pour permettre à mes collègues de se présenter à notre vaste auditoire.

La sénatrice Batters : Denise Batters, de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, division sénatoriale de La Salle, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur D. Patterson : Dennis Patterson, Inuit Nunangat, Nunavut.

Le sénateur Prosper : Sénateur Paul Prosper, de la Nouvelle-Écosse, territoire des Micmacs.

Le sénateur Klyne : Marty Klyne, de la Saskatchewan, territoire visé par le Traité no 4.

Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Patti LaBoucane-Benson, territoire visé par le Traité no 6, Alberta.

La sénatrice Simons : Paula Simons, également du territoire visé par le Traité no 6, Alberta.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, division sénatoriale des Laurentides, au Québec.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Bienvenue. Mobina Jaffer, Colombie-Britannique.

Le président : J’aimerais d’abord rappeler quelques règles de base concernant le déroulement de notre étude article par article. Si vous ne savez plus où nous en sommes dans le processus, vous pouvez demander des précisions. N’hésitez pas à m’interrompre. Je pense que nous voulons tous nous assurer que nous comprenons toujours où nous nous situons.

En ce qui concerne la mécanique du processus, lorsque plus d’un amendement est proposé pour un article, les amendements sont généralement considérés dans l’ordre des lignes de l’article visé. À moins d’un élément nouveau qui n’aurait pas été porté à ma connaissance, je crois que nous avons aujourd’hui deux amendements portant sur l’un des articles. L’un d’eux, celui de la sénatrice Jaffer, a été retiré au profit de l’amendement du sénateur Prosper. Nous ne devrions donc pas avoir de problème à ce chapitre.

Si un sénateur s’oppose à un article entier, le processus approprié consiste non pas à proposer une motion pour supprimer l’article en entier, mais à voter contre l’article en tant que partie intégrante du projet de loi.

Certains amendements qui sont proposés peuvent avoir des effets corrélatifs sur d’autres parties du projet de loi. Il est donc utile pour le processus que le sénateur qui propose un amendement indique au comité les autres articles de projet de loi pouvant être touchés par son amendement. Autrement, il pourrait être difficile pour les membres du comité de rester cohérents dans leurs décisions.

Comme aucun avis n’est requis afin de proposer des amendements, il est bien sûr possible qu’il n’y ait eu aucune analyse préliminaire des amendements pour établir lesquels peuvent avoir des conséquences pour d’autres et lesquels peuvent être contradictoires.

Si les membres du comité ont une question au sujet du processus ou de la légitimité de quoi que ce soit, ils peuvent invoquer le Règlement. En tant que président, je vais écouter les arguments avancés, déterminer à quel moment on aura suffisamment débattu de la question, et rendre une décision.

Le comité est le maître ultime de ses travaux dans les limites établies par le Sénat, et il est possible d’interjeter appel devant le comité plénier en demandant si la décision doit être maintenue.

Je tiens à rappeler aux sénateurs que, s’il y a incertitude quant au résultat d’un vote par oui ou par non ou d’un vote à main levée, la façon la plus efficace de procéder est de demander un vote par appel nominal — ce qui, de toute évidence, donne des résultats sans ambiguïté — et le greffier procédera alors à un appel nominal. Enfin, les sénateurs savent, je crois, que toute égalité des voix annule la motion en question. Y a-t-il des questions ou des commentaires au sujet de ces différents points? S’il n’y en a pas, je crois que nous pouvons entreprendre l’étude article par article du projet de loi S-13.

Comme la sénatrice LaBoucane-Benson parraine ce projet de loi, je vais lui accorder pour ainsi dire le mot de la fin pour conclure chacun des débats.

Êtes-vous d’accord pour que nous passions à l’étude article par article du projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi d’interprétation et apportant des modifications connexes à d’autres lois?

Des voix : D’accord.

Le président : L’étude du titre est-elle reportée?

Des voix : D’accord.

Le président : Êtes-vous d’accord pour que les autres articles soient considérés en groupes — et je proposerais des groupes de 10 articles?

Des voix : D’accord.

Le président : Les articles 1 à 10 sont-ils adoptés?

Une voix : Avec dissidence.

Le président : Les articles 1 à 20 sont-ils adoptés? Je pense que c’est à cet endroit… Je suis désolé, mais je suis allé un peu trop vite. Je vous prie de bien vouloir m’excuser, mais l’amendement du sénateur Prosper porte sur l’article 1. Êtes-vous d’accord pour que nous annulions notre vote sur les articles 1 à 10?

Des voix : D’accord.

Le président : Merci.

Le sénateur Dalphond : [Difficultés techniques]

Le président : Si vous permettez, je vais vous éclairer un peu sur le contexte. Il y a quelques semaines, nous avons éprouvé des difficultés avec la séquence des votes au comité de l’agriculture, et c’est le sénateur Dalphond, toujours vigilant, qui nous a rappelés à l’ordre.

Je vais maintenant inviter le sénateur Prosper à présenter son amendement dont je vais donner le numéro pour la gouverne de mes collègues avant de lui céder la parole. Il s’agit de l’amendement PJP-S13-1-1-11.

Le sénateur Prosper : Je propose :

Que le projet de loi S-13 soit modifié à l’article 1, à la page 1 :

a) par adjonction, après la ligne 10, de ce qui suit :

« (1.1) Toute loi fédérale est entendue dans un sens compatible avec la Déclaration. »;

b) par adjonction, après la ligne 13, de ce qui suit :

« (3) Pour l’application du paragraphe (1.1), Déclaration s’entend au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. ».

Chers collègues, cet amendement ne vise pas à créer des lois. Il concerne la loi d’interprétation. Il s’agit également de respecter les obligations juridiques en vigueur et d’offrir l’orientation la plus claire possible autant à notre appareil judiciaire qu’aux législateurs canadiens.

Des témoins nous ont parlé du lien existant entre la déclaration et l’article 35 en faisant valoir que l’un alimentait l’autre et que la déclaration permet de concrétiser les visées de l’article 35.

Nous savons également qu’en sa qualité de signataire, le Canada est déjà légalement tenu à l’échelle internationale de respecter les principes de la déclaration. En outre, le Canada s’est lui-même imposé à l’échelle nationale l’obligation juridique de veiller à ce que toutes les lois canadiennes soient conformes à la déclaration en adoptant la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dont l’article 5 stipule par exemple ce qui suit :

Le gouvernement du Canada, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, prend toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la déclaration.

De plus, le plan d’action élaboré en application de cette loi prévoit au chapitre 1 — intitulé « Priorités partagées » — que :

Le gouvernement du Canada prendra les mesures suivantes en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones :

2. Cerner et classer par ordre de priorité les lois fédérales existantes en vue d’une révision et d’une éventuelle modification, notamment :

une disposition interprétative dans la Loi d’interprétation ou d’autres lois, qui prévoirait l’utilisation de la déclaration des Nations Unies dans l’interprétation des lois fédérales...

Je vous rappelle que de vastes consultations ont été menées lors de l’étude du projet de loi C-15 ainsi qu’au moment de l’élaboration du plan d’action en vertu de la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

L’amendement proposé pourrait entraîner de nouvelles discussions et peut-être un changement quant au type de témoins que le comité de l’autre Chambre souhaitera entendre, mais rien qui justifierait en soi que l’étude de ce projet de loi soit retardée.

C’est simplement la prochaine mesure à prendre pour que des gestes réels soient posés afin de concrétiser les paroles et les promesses du gouvernement. Nous avons maintenant l’occasion de le faire avec cet amendement, alors pourquoi attendre?

Le président : Comme la sénatrice Jaffer avait un amendement assez similaire à celui-ci, je vais lui demander de nous faire part de son point de vue sur ce qui est proposé ainsi que sur la situation dans son ensemble.

La sénatrice Jaffer : J’appuie la proposition.

Comme vous êtes nombreux à le savoir, je faisais déjà partie de ce comité lorsque le rapport intitulé Prendre au sérieux les droits confirmés à l’article 35 : Dispositions de non-dérogation visant les droits ancestraux et issus de traités a été rendu public en décembre 2007. La déclaration n’était alors vieille que de quelques mois. Elle a été adoptée à l’échelle internationale en septembre 2007.

Dans le cadre de notre étude du projet de loi S-13, il est important de constater que cette mesure législative vise la reconnaissance des droits inhérents des Autochtones et la mise en œuvre de la déclaration des Nations unies à ce sujet. Il s’agit de reconnaître le droit à l’autodétermination des Autochtones, leurs droits relatifs à leurs territoires et à leurs ressources, et leur droit à un consentement libre, préalable et éclairé.

En ma qualité de sénatrice représentant la Colombie-Britannique, la première province au Canada à intégrer la déclaration à son corpus législatif en 2019, je pense qu’il est possible de tirer parti de cette expérience pour paver la voie aux autres provinces afin qu’elles nous emboîtent le pas. Nous pouvons cerner les éléments qui ont plus ou moins bien fonctionné et nous appuyer sur cette analyse pour assurer une mise en œuvre efficace de la déclaration partout au pays.

La déclaration a fait l’objet de nombreuses consultations depuis 2007. Ces consultations ne portaient peut-être pas nécessairement sur ce projet de loi-ci, mais elles ont bel et bien eu lieu. Je souscris à toutes les observations du sénateur Prosper, et je vous prie donc d’appuyer cette proposition.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : J’aurais d’abord une question à poser à la sénatrice LaBoucane-Benson. Cet amendement au sens de la confection du projet de loi change-t-il profondément le contenu du projet de loi du point de vue du gouvernement?

[Traduction]

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je demanderais à nos fonctionnaires de bien vouloir répondre à cette question. Je ne suis pas avocate. Mon premier réflexe serait de vous dire que n’importe quel changement va nécessairement se traduire par des modifications à la loi. Je préférerais toutefois que les gens du ministère vous répondent à ce sujet.

Le président : Madame Sargent, pouvez-vous nous aider à éclaircir ce point?

Laurie Sargent, sous-ministre adjointe, Portefeuille des droits et relations autochtones, ministère de la Justice du Canada : Bonjour, sénateurs et sénatrices.

J’estime que, d’une certaine manière, il s’agit effectivement d’un changement très important, car on nous renvoie à un instrument très différent — un instrument international —, plutôt qu’à notre Constitution, comme le prévoit le projet de loi S-13.

Comme l’indiquait le sénateur Prosper, les deux instruments peuvent être considérés en parallèle, et nous constatons bien sûr déjà qu’ils peuvent s’éclairer l’un l’autre. D’un point de vue strictement juridique, il s’agit toutefois d’un changement de fond à la teneur du projet de loi.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je suis un peu déchiré par le témoignage de femmes autochtones, qui nous on dit que l’intégration dans ce projet de loi de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones serait un avancement pour elles, et vous connaissez ma préoccupation pour les droits des femmes. Nous avons aussi eu des commentaires de chefs autochtones, particulièrement des hommes, comme quoi ils n’avaient pas été consultés en ce qui a trait à un projet de loi qui comportait la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

À cet effet, si cet amendement est adopté, sur le plan strictement politique, est-ce que plusieurs communautés autochtones pourraient contester cet amendement dans le sens où elles n’auraient pas été préalablement consultées sur la loi originale?

Mme Sargent : Oui, je crois que les témoignages qu’on a entendus suggèrent qu’effectivement, il n’y a pas eu de consultations ni de collaboration sur cet amendement en particulier. Effectivement, il y a eu beaucoup de consultations sur le Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, mais on n’a pas consulté directement au sujet de cette proposition même.

Le sénateur Boisvenu : Lors des consultations, est-ce qu’il a été présenté aux chefs autochtones, hommes ou femmes, la possibilité d’intégrer la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones dans ce projet de loi? Sinon, pour quelle raison le gouvernement ne l’a-t-il pas fait?

Je vous ai vu hocher de la tête, donc j’ai compris que la réponse était non.

Mme Sargent : Je dirais qu’on était sur deux voies un peu parallèles, mais différentes. Dans le projet de loi S-13, on savait qu’il y avait beaucoup de peuples autochtones qui appuyaient cette modification particulièrement en ce qui concerne l’article 35. Donc, on consultait et on collaborait là-dessus. Dans ce processus, évidemment, on invitait les gens à présenter des modifications potentielles, etc. Certains ont soulevé la possibilité d’une telle modification. On ne l’a pas entendu de façon globale. En parallèle, on faisait nos consultations sur le plan d’action et là aussi, on entendait certains soulever cette possibilité d’une telle modification, mais jamais de proposition concrète de libellé.

Donc, c’est pour cela que c’est dans le plan d’action, parce qu’on voyait qu’il y avait un intérêt et un besoin de consultation pour la relation additionnelle, disons.

Le sénateur Boisvenu : Si cet amendement était intégré au projet de loi, peu importe si le gouvernement l’adoptait ou non, est-ce que cela fragiliserait leur adhésion à un projet de loi amendé incluant la déclaration?

Mme Sargent : C’est là où je ne me sens pas suffisamment qualifiée pour répondre à cette question. Il faudrait poser la question aux peuples autochtones.

Le sénateur Boisvenu : Selon votre perception des consultations, a-t-on abordé l’intégration de la charte dans le projet de loi? Est-ce que cela a été soulevé lors de vos discussions?

Mme Sargent : Je ne dirais pas que cela n’a pas été abordé dans nos discussions portant sur cette modification.

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que c’est en raison de la résistance que les chefs autochtones démontraient ou était-ce volontaire de la part du ministère de ne pas aborder ce sujet?

Mme Sargent : On écoutait ce qu’on nous disait. L’accent était vraiment mis sur l’article 30.

La sénatrice Dupuis : J’aurais une question pour le sénateur Prosper. Quel est l’effet de l’amendement que vous proposez sur l’article du projet de loi S-13 qui prévoit que la clause de non-dérogation, dans la loi de mise en œuvre de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, sera abrogée? J’imagine que vous avez réfléchi à cette question. J’aimerais connaître votre réflexion là-dessus.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Merci de faire ressortir cet élément, sénatrice Dupuis. Si j’ai bien compris votre question, je pense que cela créerait un mécanisme ou un cadre permettant d’aborder les choses sous l’angle approprié en intégrant l’article 35 — comme cela est bien établi dans la jurisprudence canadienne — à une interprétation de vaste portée de nos lois qui tiendrait compte de la loi sur la DNUDPA et de la déclaration elle-même.

Nous en sommes pour ainsi dire aux premières étapes des interactions entre l’article 35 et la déclaration. C’est encore aux tribunaux qu’il revient d’interpréter la façon dont cette relation doit se concrétiser. Il persiste des possibilités de transgression, avec justification. Cela demeure inchangé. Mais je vous répète que si nous avons maintenant l’occasion d’apporter des éclaircissements vraiment nécessaires au bénéfice des Autochtones et de tous les Canadiens, pourquoi ne le ferions-nous pas?

[Français]

La sénatrice Dupuis : Pourquoi, dans votre amendement, utilisez-vous « every law » — en français « toute loi fédérale » — alors que le projet de loi S-13 utilise le terme « tout texte » en français et « enactment » en anglais?

Quelle est la réflexion qui vous amène à choisir le terme « law » que vous proposez d’ajouter à l’article 1?

En principe, le législateur ne parle pas pour ne rien dire. Si on introduit une nouvelle terminologie, cela veut dire qu’on veut peut-être introduire un nouveau concept. J’essayais de comprendre ce qui vous a amené à choisir le terme « law » dans votre amendement.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Je suppose que c’est probablement mon erreur, car je n’ai pas cherché à établir une distinction entre les lois à proprement parler et les autres textes législatifs pouvant être visés.

Quand il est question d’interprétation, j’inclus l’ensemble des lois et des règlements fédéraux. D’après moi, c’est l’objectif même de ce projet de loi qui vise une plus grande cohérence. Ce serait ma réponse à cette question.

[Français]

La sénatrice Dupuis : J’aurais une troisième question, vous êtes mon interlocuteur de choix puisque vous avez déposé un amendement.

Dans la loi d’interprétation, en ce qui concerne l’article 35, il y a tout un mécanisme de consultation qui a été établi par la jurisprudence, avec les années, depuis 1982. On définit jusqu’où va la consultation, quelles sont les étapes, etc. Vous avez bien dit aussi qu’en ce qui a trait à la Déclaration des Nations unies ou à la loi qui la met en œuvre, on est en train de travailler à un plan d’action.

Dans le cas de la loi de mise en œuvre de la Déclaration des Nations unies, on parle d’un processus de consultation beaucoup plus serré et complet parce qu’on dit bien « en consultation et en collaboration ». Donc, on parle ici d’un codéveloppement de normes et c’est beaucoup plus strict, cela impose plus de contraintes au gouvernement. Dans ce sens, ne devrait-on pas laisser à ceux qui sont les détenteurs de ces droits l’occasion de développer et de codévelopper avec le gouvernement les normes qui doivent s’appliquer à cette déclaration?

On est dans deux réalités juridiques et politiques. Si on met tout cela dans la loi d’interprétation, on viendrait court-circuiter complètement ce que les gens nous ont dit lors des consultations.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Merci pour votre question. Je comprends ce que vous faites valoir concernant ce mécanisme s’inscrivant dans un effort de collaboration entre le gouvernement et les peuples autochtones. Je vous dirais à ce propos que cet amendement pourrait en fait encourager le gouvernement à s’asseoir à la même table que les Autochtones dans un effort pour instituer une collaboration semblable.

Nous avons comme il se doit l’article 35, et nous avons aussi la déclaration. Le dialogue est nécessaire pour déterminer exactement le sens que prendra la combinaison de ces deux éléments. C’est sur cela que devraient porter selon moi les analyses et discussions à venir.

La sénatrice Batters : Ma question est pour la sénatrice LaBoucane-Benson qui, en plus d’être la marraine de ce projet de loi du gouvernement, est aussi leader adjointe du gouvernement au Sénat.

Sénatrice LaBoucane-Benson, je présume que le gouvernement s’oppose à cet amendement. Il est possible que je me trompe. Si le gouvernement s’y oppose bel et bien, pouvez-vous nous dire pourquoi?

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je remercie mon honorable collègue pour sa question. Il est vrai que le gouvernement s’oppose à cet amendement. J’ai parrainé ce projet de loi, et nous avons dû redoubler d’ardeur pour faire adopter la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ce ne fut pas chose facile. Il a fallu travailler très fort et mener de vastes consultations pour y parvenir. Et même après tous ces efforts, de nombreux groupes ont indiqué au gouvernement qu’ils souhaiteraient être consultés différemment et davantage.

Pour ce qui est du projet de loi S-13, voilà des années que j’entends des intervenants réclamer l’inclusion d’une clause de non-dérogation dans la Loi d’interprétation. Lorsque les représentants du Ralliement national des Métis sont venus nous dire qu’ils y travaillaient depuis 15 ans et que ceux de l’Inuit Tapiriit Kanatami nous ont indiqué que cela faisait 25 ans dans leur cas, ce n’était pas des chiffres lancés au hasard.

Les aînés et les chefs s’y emploient depuis très longtemps déjà. Les Autochtones ont présenté la clause de non-dérogation au gouvernement en lui indiquant que c’est ce qu’ils souhaitaient. Le gouvernement s’est retourné pour leur demander ce qu’ils entrevoyaient exactement. Voulez-vous la version positive ou la version négative? Utilisons-nous le terme « Autochtones » comme dans notre Constitution? Il y a eu de nombreuses discussions quant à la version à retenir. Les conseillers juridiques de certaines nations leur ont fait valoir qu’il fallait procéder d’une certaine manière alors que d’autres ont soutenu le contraire.

Le gouvernement a compilé toute cette information pour en arriver à présenter ce projet de loi. Malgré tout, certaines nations ont indiqué qu’elles n’avaient pas été consultées dans la mesure où elles l’auraient voulu.

J’aimerais que notre comité se penche sur la question des consultations. Le terme « consultation » est employé assez librement au Sénat, mais je ne pense pas que nous ayons convenu du sens exact que l’on devrait lui donner. Je sais toutefois que le gouvernement fait encore fausse route à ce chapitre. On s’efforce d’y arriver, mais il y a encore du chemin à faire.

Si vous me demandez pourquoi je m’oppose à cet amendement, je peux vous dire que j’aimerais beaucoup que l’on adopte une telle clause concernant la déclaration, mais je dois vous avouer que les leaders autochtones — et ils ont été nombreux à vous le faire savoir — ne sont tout simplement pas prêts. Ils n’ont pas mis le doigt sur la formulation recherchée. Rien de cela n’est réglé pour eux.

Il y a toutefois une chose qu’ils savent très bien. Ils savent qu’ils veulent cette clause de non-dérogation et qu’ils désirent que ce projet de loi soit adopté dans sa forme actuelle. Il est donc impossible pour le gouvernement d’affirmer qu’il sait ce qu’il y a de mieux pour les Autochtones et qu’il est très au fait de ce qu’ils veulent, étant donné qu’il les a consultés concernant la loi sur la déclaration. Pour avoir écouté nos leaders autochtones, je peux vous dire que ce n’est pas le cas. Ils ne sont pas prêts. C’est ce qu’ils souhaitent, mais ils veulent d’abord être consultés.

Je vous dirais en terminant que le principe de l’autodétermination est au cœur même des 46 articles de la déclaration des Nations unies. Les peuples autochtones ont déployé tant d’ardeur pour avoir voix au chapitre. Ils sont nombreux parmi ces détenteurs de droits à réclamer d’avoir encore leur mot à dire concernant cette modification à la Loi sur l’interprétation. Ils veulent que nous en discutions avec eux.

J’ajouterais que l’on n’hésitera pas, tout au moins dans mon coin de pays, à sortir les calumets de cérémonie. Il y aura des prières à ce sujet. Selon ce que prévoit la culture de chacun, on fera le nécessaire pour déterminer la meilleure façon de s’y prendre. Le moment n’est tout simplement pas encore venu. Ce sont donc les raisons pour lesquelles le gouvernement s’oppose à cet amendement.

Le sénateur Klyne : J’aimerais vous rappeler les réponses de quelques-uns des leaders que nous avons entendus concernant la possibilité d’inclure la déclaration. Je vais essayer d’être bref.

Natan Obed, président d’Inuit Tapiriit Kanatami, a indiqué que son organisation n’avait pas envisagé ce projet de loi comme avenue possible pour intégrer la déclaration à la loi. Ce n’est pas selon eux le mécanisme qui convient. Il a indiqué que le principe de la capacité du Canada, en tant qu’État-nation, à se conformer à la déclaration et à assurer la cohérence de ses lois et de ses politiques avec cette déclaration est une grande priorité pour les Inuits et l’Inuit Tapiriit Kanatami qui sont favorables à toute voie pouvant être empruntée de manière constructive pour réaliser cet objectif. Autrement dit, le gouvernement du Canada ne doit pas tarder à le faire, mais la situation ne s’y prête pas maintenant.

La réponse d’Eva Clayton, qui est présidente du gouvernement de Nisga’a Lisims, était que le projet de loi S-13 devrait être adopté sans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, mais qu’il fallait l’inclure à l’avenir. Elle a ensuite ajouté à l’intention de la sénatrice Patterson qu’elle pensait que personne n’était contre le projet de loi S-13, sauf lorsqu’on propose d’inclure la déclaration. Elle craignait que l’amendement sur la déclaration ajoute une couche de complexité et peut-être même de la controverse, même avec les meilleures intentions. Elle pensait que nous devrions régler ce problème de longue date, celui du projet de loi S-13 et de la Loi d’interprétation, uniformiser la disposition de non-dérogation et renvoyer le projet de loi, pour que nous puissions l’adopter rapidement à la Chambre des communes. Elle a conclu en disant que le projet de loi devrait être adopté et que nous devrions ensuite faire le travail nécessaire pour que tous les passages qui se rapportent à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones soient suffisamment précis et clairs et pour qu’ils répondent aux besoins de tout le monde.

Marie Belleau, qui est conseillère juridique directrice de Nunavut Tunngavik Incorporated, a également dit en répondant de manière générale que le projet de loi S-13 devrait être adopté sans mention de la déclaration des Nations unies parce qu’il faudrait que ce soit ajouté plus tard.

Jackson Lafferty, le grand chef tlicho, s’oppose à l’inclusion dans le projet de loi d’une disposition sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ils appuient l’intégration de la déclaration, mais estiment qu’il faut le faire plus tard. Si le Canada choisit d’envisager l’idée plus tard, ils sont d’accord, mais cela ne devrait pas faire partie selon eux de la discussion en cours sur le projet de loi déposé. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est une entité distincte de dispositions de non-dérogation, à laquelle on a travaillé pendant 20 ans, et son ajout retardera tout le processus.

Will Goodon, qui représente la Fédération métisse du Manitoba, a dit qu’on ne devrait pas examiner davantage l’ajout dans le projet de loi de dispositions sur la déclaration des Nations unies, parce qu’ils ne veulent pas retarder encore plus l’adoption du projet de loi S-13. Dans une réponse à la sénatrice Simons, il a dit qu’ils appuient les dispositions sur la déclaration, mais qu’elles devraient être dans un autre projet de loi, puisqu’il faut du temps pour revenir en arrière, mener des consultations adéquates et veiller à ce que des mesures convenables soient prises à cette fin. Ils croient que même si l’idée d’une telle disposition mérite d’être étudiée, et il ne fait aucun doute que la Fédération métisse du Manitoba appuie la déclaration des Nations unies, on ne les a pas consultés au sujet de la moindre préoccupation à cet égard. Il pourrait y avoir des questions complexes quant à la façon exacte dont cette disposition fonctionnerait, et ils savent qu’il y a déjà eu un litige quant à la signification d’un article similaire dans la loi d’interprétation de la Colombie-Britannique.

Il a dit que la Fédération métisse du Manitoba continue de participer aux consultations et à l’élaboration du plan d’action fédéral, et ses membres seraient très ouverts à des discussions sur ce genre d’article comme on l’a déjà envisagé dans la deuxième section du plan d’action 2023-2028. Cependant, jusqu’à maintenant, il n’y a pas eu la moindre consultation ou collaboration avec la Fédération métisse du Manitoba à propos de l’article proposé. Ils nous exhortent fortement à ne pas retarder l’adoption du projet de loi S-13 pendant la poursuite de l’étude sur l’ajout au projet de loi de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

La présidente du Ralliement national des Métis, Cassidy Caron, ne pense pas que cela devrait faire partie du projet de loi S-13. Dans sa réponse à la sénatrice Simons, elle a dit qu’ils appuient sans réserve la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ils appuient également le libellé actuel présenté dans le projet de loi S-13. À propos de l’inclusion de la déclaration, ils sont d’accord, mais ils estiment que le gouvernement métis doit être consulté à nouveau. Ils ne veulent pas retarder davantage l’adoption du projet de loi. À ce stade-ci, elle a dit que le Ralliement national des Métis concentre ses efforts sur le plan d’action concernant la déclaration, puisque c’est là que leurs priorités pour la mise en œuvre de la déclaration sont établies.

Enfin, Judy Wilson, l’ancienne cheffe Kukpi7, a dit qu’un amendement n’est pas nécessaire, puisque la disposition de non-dérogation a déjà cet effet. La déclaration des Nations unies est un cadre de travail minimal sur les droits de la personne — des droits protégés par la Constitution —, il n’est pas question ici de tous les droits qu’ils exercent sur le terrain. Il est nécessaire d’intégrer la déclaration des Nations unies à la législation fédérale. Elle a dit qu’elle pense vraiment que la disposition de non-dérogation dans sa forme actuelle contribue à la mise en œuvre continue de la déclaration des Nations unies parce que c’est exactement ce qu’elle fait.

Sénateur Prosper, avez-vous des commentaires ou une réponse?

Le sénateur Prosper : Je vous remercie pour ces observations, sénateur Klyne.

C’est exact. Des représentants des Premières Nations, c’est-à-dire des représentants autochtones, se disent très inquiets de ne pas avoir eu plus d’occasions de consultation. Je pense que le facteur prépondérant de leur position est leur crainte qu’un certain processus indu pour ajouter un amendement puisse à lui seul mettre en péril l’adoption de toute la loi.

Mme Metallic, de l’Association du Barreau autochtone, Cheryl Casimer, de l’Assemblée des Premières Nations, et Mme Niman, de l’Association des femmes autochtones du Canada, ont également fait part dans leurs témoignages de leur position par rapport à l’ajout de la déclaration dans le projet de loi S-13.

À l’heure actuelle, il n’y a pas d’argument de fond, à ma connaissance, pour ne pas tenir compte de ce que ces personnes ont affirmé, si ce n’est, en effet, la question de la consultation et une certaine peur de prolonger le processus et de peut-être compromettre l’adoption de la loi à proprement parler. C’est légitime en soi, et je comprends.

Plus ou moins, j’aborde la question en me disant que, en général, il n’y a pas d’opposition à la déclaration parmi les peuples autochtones. On ne peut jamais avoir un consensus absolu, mais le gouvernement et les Autochtones ont déployé beaucoup d’efforts pour faire adopter la déclaration des Nations unies et le plan d’action. Le libellé des deux documents se ressemble.

Je dis seulement que l’intégration de quelque chose du genre dans cette mesure législative ne revient pas à faire un énorme pas en avant. Il y a certainement moyen d’agencer les deux, ce qui pourrait offrir une certitude dont ont grandement besoin les groupes et les organisations autochtones. Merci d’avoir demandé mon avis.

La sénatrice Simons : J’ai deux questions : une pour le sénateur Prosper et l’autre pour les fonctionnaires.

Tout d’abord, je tiens à vous féliciter. Vous venez tout juste d’arriver au Sénat, et vous avez déjà présenté un amendement à un projet de loi important. C’est un bon début.

Je suis vraiment déchirée. Lorsque ce processus a commencé, il m’a semblé évident que l’omission de la déclaration des Nations unies était un oubli. J’ai trouvé très frustrant d’entendre le ministre, lorsqu’il a témoigné ici, dire que c’était seulement parce qu’on n’avait pas mené la consultation. Et je me suis demandé pourquoi, car c’est le ministre.

J’ai d’abord pensé que l’amendement était simple, lorsque les gens en parlaient. Nous avons ensuite entendu à maintes reprises des détenteurs de droits, et le sénateur Klyne en a mentionné quelques-uns et a parlé de leurs témoignages. Je me suis dit que ces personnes se plaignent de ne pas avoir été consultées comme il se doit, de manière assez approfondie, à propos du projet de loi. Elles nous demandent de ne pas ajouter l’article sur la déclaration des Nations unies parce qu’elles n’ont pas encore été consultées.

Je me suis ensuite demandé qui j’étais pour imposer le fruit de mes efforts bien intentionnés afin de les aider dans ce qu’elles devraient vouloir selon moi alors qu’elles me disent, en tant que détentrices de droits autochtones, que ce n’est pas ce qu’elles veulent.

Le point de vue de ces personnes diffère beaucoup parce qu’elles sont autochtones. Que dois-je conclure du fait que l’Inuit Tapiriit Kanatami, la nation métisse et les autres Premières Nations détentrices de droits, surtout celles qui représentent des signataires de traités modernes, nous ont explicitement dit de ne pas le faire, que ce n’est pas ce qu’ils veulent, qu’ils n’ont pas été consultés.

C’est une question pour le sénateur Prosper.

Le sénateur Prosper : Dommage que ce soit à moi de répondre. Merci pour ces observations. Le scénario précis que vous avez présenté en est un avec lequel je dois également composer, et à juste titre, car les dirigeants autochtones et les organisations ont été catégoriques et explicites à propos de la nécessité de mener des consultations, non seulement sur cette mesure législative — soyons réalistes —, mais aussi sur d’autres projets de loi.

Je peux seulement me fier aux positions présentées ici et ailleurs par des parlementaires et des Autochtones et au travail accompli pour parvenir où nous en sommes maintenant.

Dès le départ, pourquoi avons-nous besoin de ce projet de loi lorsque, en théorie, le gouvernement doit respecter les droits protégés par la Constitution? Il a néanmoins été nécessaire d’avoir cette disposition dans différentes lois et maintenant dans la Loi d’interprétation, et je pense que c’est un gain global, mais cela pourrait être mieux.

La question porte alors également sur le rôle des parlementaires dans ce processus pour examiner ce contexte et cette histoire et en venir à se demander si c’est positif. Pensez-vous que la portée des consultations menées pour le projet de loi C-15, le plan d’action et les priorités partagées servent de fondement à cet amendement?

Nous n’avons rien entendu de concret. Je comprends — les préoccupations relatives aux consultations et ce qui a été dit à propos de retarder une chose qui est désespérément nécessaire —, mais il devrait revenir au gouvernement de respecter ses propres lois au pays.

La sénatrice Simons : Je suis certaine que des gens à l’extérieur, peut-être des personnes qui nous regardent, se disent que nous venons tout juste de faire des consultations, que tout le monde était ici. Ce n’est toutefois pas le type de consultation riche, approfondie, significative et délibérée qui est nécessaire. Je suis très nerveuse au moment d’imposer ce que je pense, car je crois que le projet de loi doit intégrer la déclaration des Nations unies, mais son ajout et 50 cents ne me permettront même pas de m’acheter un café.

Comme la sénatrice LaBoucane-Benson le sait bien, dans nos vies précédentes lorsque nous avons travaillé ensemble à Edmonton, alors que nous partagions parfois le même avis dans un dossier et parfois pas, j’ai passé une grande partie de ma trentaine et de ma quarantaine avec un énorme complexe du sauveur blanc que j’ai parfois essayé de me faire pardonner, et je ne veux pas être la personne ici qui impose sa conviction qu’il faut faire mention de la déclaration des Nations unies, ce qui reviendrait à ignorer les dirigeants autochtones qui nous ont dit de ne pas le faire, que ce serait irrespectueux à leur égard.

Le sénateur Prosper : J’ajouterais simplement que nous avons certainement entendu les témoins, mais pas le témoignage d’une vaste majorité d’Autochtones au pays. Lorsque vous dites que nous nous imposerions, je crois que c’est une bonne raison de tenir de plus amples discussions. Quand il est question d’imposer sa volonté, je pense que nous devons examiner la situation. Nous devons regarder ce qui s’est fait et, dans notre esprit, nous demander si cela revient vraiment à imposer notre volonté ou si c’est quelque chose qui tient compte de l’esprit du projet de loi C-15 et de ce qui s’est fait tout au long de l’histoire dans tout cela. Merci.

La sénatrice Clement : Je vais commencer par remercier le sénateur Prosper pour l’amendement et la sénatrice Jaffer pour son engagement de longue date dans ce dossier.

Nous avons eu ici une bonne discussion sur la consultation, mais nous sommes loin de comprendre à quoi cela devrait ressembler ou comment nous devons le définir — loin d’être où il faudrait que nous soyons.

J’ai toutefois eu l’impression de pouvoir apprendre ici à ce sujet. Comme la sénatrice Simons, je suis dans une position extrêmement inconfortable puisque je suis un allié, mais pas un Autochtone.

J’écoute tous les témoins et je prends position. Comment puis-je participer? Je crois que cette situation inconfortable est le sort qui m’est réservé. C’est ainsi pour nous. Nous devons tous l’accepter. Je vais donc faire mon travail de sénateur et dire que j’ai écouté les témoins et que certains m’ont persuadé plus que d’autres. C’est ce que je fais ici.

Dans leur témoignage, Mme Metallic et Mme Niman m’ont persuadé parce qu’elles ont parlé de l’urgence à laquelle vous avez fait allusion, sénateur Prosper. Pourquoi attendre?

Elles ont parlé de la façon dont la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones aborde de manière plus précise l’intersectionnalité, les Autochtones de diverses identités de genre et les femmes autochtones que l’article 35. L’article 35 n’est pas tout à fait satisfaisant, et nous en sommes donc là.

Je veux citer Mme Metallic puisque ses commentaires m’ont frappé :

C’est absolument crucial. Je ne veux pas me retrouver ici dans 16 ans pour expliquer l’importance de cet amendement aux sénateurs. Si on continue de dire que la déclaration des Nations unies n’est qu’une simple aspiration ou qu’elle n’est pas contraignante et qu’elle n’affecte pas le processus décisionnel actuel au Canada, on ne fera pas beaucoup de progrès en matière de réconciliation.

Mme Niman a dit :

En laissant le projet de loi S-13 tel quel et en s’appuyant uniquement sur les droits prévus à l’article 35, les droits issus de traités traitent l’égalité de genre comme acquise, ce qui risque de perpétuer la marginalisation fondée sur le genre.

Nous savons que ce n’est pas le cas. La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones offre des protections précises pour les groupes vulnérables au sein de la population autochtone, y compris les femmes. C’est à cause de ces articles dans la déclaration que les membres de l’Association des femmes autochtones du Canada ont demandé que ces droits soient affirmés et inclus dans la disposition de non-dérogation.

Comme je l’ai mentionné dans une autre réunion du comité, lorsqu’on nous dit d’attendre parce que la consultation n’était pas adéquate et parce que le gouvernement n’a pas fait entièrement ce qu’il aurait dû faire, ou fourni ce qu’il aurait dû fournir, les gens qui attendent sont généralement ceux qui se situent dans cette intersectionnalité, les gens les plus vulnérables.

Ce que je crains aussi si nous n’ajoutons pas la déclaration des Nations unies au projet de loi S-13, c’est l’ambiguïté que cela pourrait créer. Pourquoi ne l’a-t-on pas incluse? Pourquoi? Je pense que c’est également problématique. Je vais appuyer l’amendement. Une fois de plus, je vous remercie de l’avoir proposé, sénateur Prosper. J’aime ce que vous avez dit. Je vais terminer en vous citant : « Pourquoi attendre? » C’est le prochain petit pas à faire pour passer à l’action. Pourquoi attendre?

Le sénateur Dalphond : J’ai deux questions pour le sénateur Prosper, le parrain de l’amendement.

Vous avez parlé du fait qu’une grande partie des personnes à qui nous avons parlé s’y opposent également, mais nous n’avons pas nécessairement entendu tout le monde. Il est difficile d’obtenir un consensus.

J’aimerais d’abord savoir si vous avez consulté d’autres groupes, mis à part ceux que nous avons entendus. Nous en avons entendu beaucoup qui s’y opposaient.

Le sénateur Prosper : Non, je n’en ai pas consulté d’autres. Comme vous, je m’appuie sur les témoignages et la participation au comité.

Le sénateur Dalphond : Je suis un peu comme la sénatrice Simons, la sénatrice Clement et certains autres collègues. Je suis déchiré dans ce dossier. Je veux bien faire.

J’écoute votre point de vue lorsque vous dites que nous avons l’occasion de faire quelque chose de bien, ce qui n’est peut-être pas la proposition du gouvernement, mais améliorons ce qui a été proposé sans égard au débat ici sur la portée du projet de loi et la façon dont nous ne la respectons pas. Je ne vais pas soulever le point. Je dirai simplement, sans égard à cela, que vous dites que ce serait une bonne chose.

Que devrait faire le gouvernement selon vous? Si nous amendons le projet de loi, comme vous le proposez, et que nous le renvoyons à la Chambre, que devrait faire le gouvernement selon vous lorsque les groupes qui ne voulaient pas l’inclure dans le projet de loi, et d’autres groupes, diront qu’ils n’ont pas été consultés, qu’ils s’opposent au processus, qu’ils pensent que la rédaction doit faire partie du processus et qu’ils ont quelque chose à dire sur le libellé?

La sénatrice Dupuis a parlé, par exemple, de l’utilisation de mots comme « toute loi » à la place de « tout texte », qui est plus vaste — cela comprend les règlements, peut-être les décrets qui ne sont pas des règlements et peut-être même des décisions réglementaires de tribunaux administratifs. Le terme « texte » peut être vaste.

Diriez-vous que le gouvernement doit aller de l’avant, que si les groupes disent qu’ils doivent être consultés, le gouvernement aura l’obligation d’interrompre le processus et d’organiser une rencontre pour discuter?

Le sénateur Prosper : Je vous remercie pour la question, sénateur Dalphond.

Pour tout texte, tout projet de loi ou toute loi, il y a un risque que quelqu’un soit oublié ou que tous ne soient pas d’accord, surtout lorsqu’il y a des consultations. La décision d’aller de l’avant ou non appartient aux responsables; c’est leur prérogative.

J’ai écouté les témoignages. Les préoccupations sont directement liées aux consultations, et elles sont fondées. Toutefois, je me suis aussi demandé s’il y avait des raisons valables de ne pas enchâsser la déclaration dans le projet de loi, mises à part les préoccupations soulevées.

Je le répète, il faut examiner le contexte et se demander quelles mesures ont été prises par rapport à la déclaration. Franchement, il y en a eu beaucoup, dont le projet de loi C-15, la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et les priorités partagées. Il y a une grande cohérence.

Le sénateur Dalphond : Excusez-moi de vous interrompre.

Le sénateur Prosper : Je vous en prie.

Le sénateur Dalphond : Ma question concerne le devoir de consultation de la Couronne, qui signifie que le gouvernement a l’obligation de consulter. La Cour suprême a jugé que le Parlement n’avait pas pareille obligation, mais le gouvernement, si.

Cela signifie que lorsque le gouvernement recevra le projet de loi et prendra sa décision, il se peut que les gens cognent à sa porte pour lui dire : « Attendez un instant. Nous n’avons pas été consultés. Vous devez respecter le processus. Il se peut même que nous demandions à la cour de vous ordonner de vous acquitter de votre obligation constitutionnelle. »

Ne croyez-vous pas, d’une part, que le gouvernement voudrait aussi qu’on le consulte, et d’autre part, qu’il serait contraint de suspendre le processus législatif pour mener des consultations? Le Sénat n’a pas l’obligation de consulter. Nous avons tenu des séances. Nous avons reçu 10 groupes différents. Je présume qu’ils représentent la réalité de centaines de groupes, mais ce n’est peut-être pas le cas. Je ne sais pas.

La cour a jugé que nous n’avions pas l’obligation de consulter. Toutefois, le gouvernement est soumis à cette obligation en vertu de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. En amendant le projet de loi, ne contraignez-vous pas le gouvernement à mener des consultations pour s’acquitter de son obligation?

Le sénateur Prosper : En ce qui concerne l’approche que prendra le gouvernement, c’est vrai qu’il a le devoir et l’obligation de consulter.

Il devra tenir compte, comme je l’ai déjà dit — je suis désolé de me répéter —, de ce qui a été mis sur papier par rapport à la déclaration, au plan d’action et aux priorités partagées. Il a déjà pris des engagements officiels se rapportant à la Loi d’interprétation, à la déclaration et à la nécessité de veiller à ce que les lois canadiennes soient compatibles avec la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

D’une certaine façon, c’est déjà écrit noir sur blanc. Le processus est déjà entamé. Je ne veux pas tout mettre à la poubelle sous prétexte qu’il faudrait mener des consultations, car ces mots ne sont pas vides de sens. Ils ont été couchés sur le papier pour une raison. Ils forment la base sur laquelle nous espérons bâtir une relation qui mènera à la réconciliation. Il revient au gouvernement de s’acquitter de son obligation à cet égard.

Le président : Chers collègues, tous ceux et celles qui ont demandé la parole ont exprimé leurs points de vue et ont posé des questions au parrain de l’amendement. Vous êtes cinq à vouloir prendre part à une deuxième série de questions. Je vous inviterais à faire preuve de concision, soit à prendre deux ou trois minutes chacun, et idéalement, à soulever un nouveau point.

Le sénateur Patterson vient de lever la main. Comme il n’est pas encore intervenu, je vais mettre son nom en tête de liste pour l’inclure dans la première série de questions. Je vois que le sénateur Klyne cherche à obtenir plus de temps. J’inviterai ensuite le sénateur Prosper à présenter une brève conclusion, puis nous terminerons avec la sénatrice LaBoucane-Benson.

Vous convient-il de procéder de cette façon? Après, si vous êtes prêts, nous mettrons l’amendement aux voix.

Nous entendrons d’abord le sénateur Patterson pour la première fois, puis à peu près cinq d’entre vous reprendront brièvement la parole.

Le sénateur D. Patterson : Je ne veux pas répéter ce qui a déjà été dit ou ce que j’ai dit durant la dernière réunion, sauf qu’un grand nombre d’organisations titulaires de droits, que je connais bien, veulent que le projet de loi soit adopté tel quel, sans tarder et sans mener de nouvelles consultations.

Aujourd’hui, pour le dire simplement, j’ai entendu le sénateur Prosper demander avec beaucoup d’éloquence : qu’y a-t-il de mal à faire cela maintenant?

J’aimerais souligner que l’amendement proposé ressemble beaucoup à l’article 5 du projet de loi C-15, la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Cet article stipule aussi que le gouvernement du Canada doit prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois canadiennes soient compatibles avec la déclaration. L’amendement proposé emploie des termes semblables.

Ma réserve à l’égard de l’amendement, en plus de la crainte qu’il gâte le projet de loi, pour le dire sans ambages, c’est que la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones vise le même objectif : veiller à ce que les lois du Canada soient compatibles avec la déclaration. Cependant, la question est par quel moyen. Aux termes du projet de loi C-15, la Loi sur la Déclaration des Nations unies, le ministre doit élaborer et mettre en œuvre, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, un plan d’action.

Voilà le moyen par lequel on peut veiller à ce que les lois du Canada soient compatibles avec la déclaration. Le processus a été enclenché. Il sera long et difficile. La façon d’établir comment appliquer la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones aux lois du Canada présente de nombreux défis.

Je vous donne un exemple, rapidement. Dans le Nord du Canada, les préoccupations sont grandes. Il a fallu des décennies pour négocier la mise en place de processus réglementaires complexes et nuancés qui incluent les peuples autochtones, qui garantissent leur voix et leur représentation, et qui définissent le rôle de la Couronne. Ces processus sont enchâssés dans des traités modernes protégés par la Constitution et dans des mesures législatives comme la Loi sur l’aménagement du territoire et l’évaluation des projets au Nunavut. Comment ces textes s’articuleront-ils avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, qui prévoit une formule très simple pour l’approbation des projets d’aménagement sur les terres autochtones et autres? Qu’entend-on par « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause »?

Bref, l’idée d’introduire une telle disposition dans la Loi d’interprétation me pose problème parce que le Parlement a déjà convenu de la méthode à suivre pour veiller à ce que les lois du Canada soient compatibles avec la déclaration, soit en élaborant un plan d’action.

La deuxième chose que je veux dire, c’est que durant mes études en droit, j’ai appris que le motif de créer une loi devrait être de corriger un vice. C’est le terme que m’a enseigné Horace Read à la faculté de droit de Dalhousie. Quel est le vice que le projet de loi vise à corriger? C’est le pullulement des dispositions de non-dérogation dans les lois fédérales. La liste qu’on nous a donnée est longue. Le désordre règne. Les termes varient d’un texte à l’autre.

Les artisans du projet de loi voulaient uniformiser et renforcer la disposition de non-dérogation. C’est cela, le vice que le projet de loi vise à corriger, et non la compatibilité avec la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Cet enjeu a été intégré à la discussion et il est important, mais l’objectif, c’est de faire le ménage dans les dispositions de non-dérogation et de les uniformiser. À mon avis, il faut mener à bien cet objectif. Je ne voudrais pas qu’on m’accuse de faire attendre les titulaires de droits, mais quant à moi, le temps est venu de terminer le processus entamé il y a 20 ou 30 ans. Le plan d’action relatif à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est un autre projet important que nous réaliserons séparément.

La question est complexe, et je ne crois pas qu’il suffise d’ajouter une disposition à la Loi d’interprétation pour la régler.

Le président : Nous passons maintenant à une brève deuxième série de questions.

La sénatrice Jaffer : J’ai une question pour Mme Sargent, si vous le permettez.

Durant les consultations, il n’était pas question de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, n’est-ce pas? Le gouvernement n’a pas inclus la déclaration dans le texte soumis au processus de consultation. Est-ce exact?

Mme Sargent : Le texte que nous avions provenait en grande partie de la recommandation originale du Sénat, qui remontait à 2007 et qui reposait sur l’article 35. Durant les dernières consultations, après que nous avons entamé le processus de consultation sur le plan d’action relatif à la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, nous avons invité les intervenants à nous dire s’ils pensaient que nous devrions prendre d’autres mesures. C’était ouvert. Nous n’avions pas de termes précis.

La sénatrice Jaffer : Les intervenants n’avaient pas les termes sous les yeux?

Mme Sargent : Non, nous n’avions pas de termes.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je remercie tous les sénateurs qui ont pris la parole, car c’est très instructif.

J’ai l’impression qu’on est en train de faire une modification constitutionnelle. Tellement, que je constate que l’intégration de la Déclaration des Nations unies aura très grande portée sur les ministères et le gouvernement. J’ai l’impression que le travail effectué avec les communautés autochtones a été fait à moitié. C’est comme si on les avait invitées à regarder le hall d’entrée de la maison en leur disant voici ce qu’on vous offre, mais qu’au fond, on leur dit qu’on va leur offrir toute la maison.

Le sénateur Patterson l’a très bien dit. Ce projet de loi convient aux communautés autochtones, aujourd’hui, en 2023. Il reste du chemin à faire et je ne crois pas qu’il est de notre responsabilité de les pousser et de leur faire faire le chemin. Il faut laisser cette responsabilité aux communautés. On leur donne l’outil qu’ils désirent et c’est à eux de faire les prochains pas plutôt qu’à nous de les précipiter vers ce chemin.

Je vais adopter la même position que les sénateurs Klyne et D. Patterson, en disant que le projet de loi S-13 est l’outil qu’ils veulent et c’est là-dessus qu’il faut voter.

La sénatrice Dupuis : Comme l’a dit le sénateur Prosper, ce sont les tribunaux qui ont défini à la pièce l’étendue du devoir de consulter relativement à la protection des droits constitutionnalisés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Je suis d’avis que si on adopte cet amendement, on va court-circuiter le processus qui est mis en œuvre par la Loi de mise en œuvre, selon laquelle la compatibilité doit se faire en consultation et en collaboration. Cela va plus loin que cela, parce que l’alinéa 6(2)b) — le plan d’action, qui est l’outil pour assurer la compatibilité —, prévoit ce qui suit :

« des mesures de contrôle ou de surveillance, des voies de recours, des mesures de réparation ou d’autres mesures de reddition de comptes en lien avec la mise en œuvre de la Déclaration. »

Dans ce sens, il est clair que l’on vise l’établissement de mesures beaucoup plus contraignantes pour le gouvernement. Je suis tout à fait d’accord. Toutefois, je ne suis pas d’accord pour ce qui est de laisser les tribunaux continuer d’interpréter les lois comme si cela ne garantissait pas l’égalité des droits des hommes et des femmes. C’est indiqué depuis 1982 dans la constitution. On est obligé de le préciser dans une loi d’interprétation.

Ma position est qu’on ne doit pas permettre au gouvernement de s’en tirer en disant que c’est maintenant indiqué dans la loi d’interprétation et qu’on n’a pas besoin d’aller définir de façon précise la façon dont on va assurer la compatibilité des lois avec la déclaration. C’est vraiment ma principale préoccupation. Je ne serai donc pas en mesure de voter en faveur de l’amendement.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Ma question s’adresse aux fonctionnaires. Comme le sénateur Prosper l’a souligné à juste titre, la jurisprudence concernant la signification de l’article 35 et son application dans le contexte de la consultation est abondante. Je présume que le projet de loi a été rédigé en tenant compte de la jurisprudence et que le gouvernement a une idée de l’effet qu’auront les termes du projet de loi.

J’ai posé la question la semaine dernière, mais je vais la reposer : si l’amendement est adopté, quelles en seront les conséquences juridiques? L’avocat représentant les signataires de traités modernes a parlé de conséquences imprévues, mais je ne sais pas quelles seraient ces conséquences. Si le projet de loi est amendé, qu’arrivera-t-il concrètement?

Mme Sargent : La discussion d’aujourd’hui nous donne une idée d’éventuelles conséquences imprévues. Évidemment, puisque nous venons tout juste de recevoir l’amendement, nous n’avons pas pu l’examiner attentivement.

Nous aimerions avoir plus de temps pour examiner comment la disposition sur la déclaration qu’on propose d’ajouter à la Loi d’interprétation s’articulerait avec la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones en tant que telle. La Loi sur la Déclaration des Nations unies contient des termes semblables, et les dispositions sont potentiellement redondantes. C’est dur à dire en ce moment.

Le sénateur Klyne : La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est une loi, une mesure législative, et elle se trouve actuellement à l’étape de la consultation pour l’élaboration du plan d’action 2023-2028. Quand cette étape aura été franchie, la déclaration sera toujours une loi. Ce sera une mesure législative prête à être mise en œuvre pour assurer l’atteinte de ses objectifs.

En consultant les représentants du Ralliement national des Métis, de la Fédération des Métis du Manitoba, de l’Inuit Tapiriit Kanatami, ainsi que les chefs régionaux, on a consulté ces peuples. Ces personnes sont élues. Elles ne participent pas à de tels processus sans s’informer et sans consulter leurs membres. Ce sont des personnes élues. Quand on a discuté avec la représentante du Ralliement national des Métis, on parlait en fait à la Nation métisse de la Saskatchewan, à la Nation métisse de l’Alberta et à d’autres parties prenantes. Les propos de la présidente Cassidy Caron étaient très précis. Elle n’a pas présenté des notes qu’elle avait gribouillées sur une serviette en papier durant son vol jusqu’ici. Elle avait un mandat et un message à livrer. Elle a répondu aux questions d’une manière claire, voire engagée, assurée et confiante.

C’était la même chose pour la Fédération des Métis du Manitoba. Cette organisation compte des milliers de membres, et ses représentants sont élus. On peut parier que William Goodon était ici pour présenter le message du président et que ses directives étaient claires.

C’était pareil pour le président Obed. Lui aussi a été élu, et il sait ce que les gens qu’il représente veulent. Il est venu ici pour faire entendre leurs voix. Il n’a pas à leur téléphoner pour leur dire qu’il a une autre question. Il sait ce qu’il fait. Ses directives sont claires.

Quand on parle aux chefs régionaux, c’est en fait avec les conseils tribaux qu’on s’entretient. Les chefs présentent le point de vue des conseils tribaux régionaux. Vous pouvez en être sûrs.

Quand on fait appel à l’Assemblée des Premières Nations, c’est probablement aux chefs régionaux qu’on devrait s’adresser. Ce sont eux qui détiennent vraiment l’autorité, et ils adoptent des résolutions que l’Assemblée des Premières Nations doit mettre en œuvre. L’Assemblée des Premières Nations doit suivre les directives et appliquer les résolutions qu’elle reçoit des chefs régionaux.

C’est comme quand on étudie une question liée au monde des affaires et qu’on fait appel à un représentant de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. Ce faisant, on s’entretient avec l’ensemble des petites entreprises canadiennes. De même, quand on s’adresse à la Chambre de commerce du Canada, on parle à toutes les entreprises membres d’une chambre de commerce d’un océan à l’autre. Il n’y a aucune différence. Parler au représentant équivaut à parler à l’ensemble des membres.

Le président : Maintenant, je vais inviter le sénateur Prosper à présenter ses observations finales, suivi de la sénatrice LaBoucane-Benson. Ensuite, si vous êtes d’accord, nous mettrons l’amendement aux voix.

Le sénateur Prosper : Chers collègues, je vous remercie pour vos questions et vos observations.

Je tiens à réitérer qu’il n’est pas question de créer des lois, mais bien de les interpréter. La compatibilité, le vice et même les témoignages que nous avons reçus soulèvent de nombreuses questions. Cela dit, je reviens toujours à l’objectif d’apporter les précisions qui s’imposent à l’heure actuelle au chapitre des droits ancestraux et issus de traités. Le rapport entre l’article 35 et la déclaration est complexe, mais on sait qu’ils s’influencent mutuellement, qu’ils sont liés et que l’un donne vie à l’autre.

Nous n’avons pas de procureur général pour demander des comptes au gouvernement et pour défendre nos droits. Le ministère de la Justice ne prévoit pas non plus de mécanismes pour examiner les questions constitutionnelles liées à l’article 35 de la Charte.

Nous avons une occasion devant nous, et je ne veux pas que nous la manquions. Les mesures qui ont été prises par rapport à la déclaration et au consensus établi sont importantes. Il ne faut pas en faire fi.

S’il y a des questions sur ce que devrait faire le gouvernement, la réponse, c’est qu’il devrait être tenu de rendre des comptes sur ses engagements et sur son bilan afin de pouvoir aller de l’avant.

Merci beaucoup.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Je tiens d’abord à remercier le sénateur Prosper et à le féliciter pour sa proposition. Vous l’avez admirablement défendue.

Des voix : Bravo!

La sénatrice LaBoucane-Benson : Vous l’avez fait avec brio.

Je tiens également à souligner que vous êtes un ancien chef et détenteur de droits et que je vous comprends lorsque vous réclamez de la célérité. Je ne suis pas très patiente moi-même et je comprends votre point de vue.

Je tiens également à exprimer mon respect et mon admiration pour le travail de Mme Metallic. Elle a témoigné pendant notre étude du projet de loi C-92, et je l’admire depuis. C’est une professeure exceptionnelle.

Je remercie également mes collègues pour cet excellent débat. J’ai l’impression que certains grands penseurs qui nous ont quittés riraient de bonheur de voir que nous débattons maintenant d’un tel sujet, que le débat est rendu si poussé. Il s’agit là d’une discussion très engagée sur les droits, sur le rôle du Sénat et sur notre place dans cette démarche. Je suis très heureuse d’y participer.

J’ai quelques commentaires à faire. De nombreux témoins nous ont dit que le processus est important et que la raison pour laquelle on exige des consultations, c’est que les choses qui semblent simples au départ finissent souvent par être plus compliquées, surtout lorsqu’on parle de termes juridiques techniques.

L’amendement qui nous est présenté semble assez simple, mais il pourrait être formulé de nombreuses façons différentes. Par exemple, on y lit : « Toute loi fédérale est entendue dans un sens compatible avec la Déclaration ». Ce n’est pas la même formulation que celle sur laquelle les peuples autochtones se sont mis d’accord dans ce projet de loi concernant l’article 35, qui se lit plutôt comme suit : « Tout texte maintient les droits [...] confirmés par l’article 35. »

D’un point de vue juridique, y a-t-il une différence entre « est entendue dans un sens compatible avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones » et « maintient » les droits énoncés à l’article 35? Je n’en sais rien. Mais j’imagine qu’il s’agit d’un point sur lequel des personnes raisonnables pourraient être en désaccord. Je pourrais sans contredit imaginer un tribunal, quelque part, essayer de comprendre pourquoi le Parlement a utilisé un mot dans un cas et un autre relativement à l’article 35.

Autre exemple : cette disposition du projet de loi sur l’article 35 comporte à la fois une composante affirmative et une composante négative en anglais, par les mots « no enactment is to be construed as abrogating or derogating from », dans le contexte de l’article 35. Il n’y a rien de tel dans cet amendement en ce qui concerne la déclaration. Peut-être devrions-nous utiliser la même formulation. Je n’en suis pas certaine.

Par ailleurs, la disposition du projet de loi S-13 sur l’article 35 commence par « Tout texte... » alors que cet amendement commence par « Toute loi fédérale... », comme l’a déjà dit l’un de mes collègues, je crois. Cette différence pourrait être importante parce que la Loi d’interprétation définit un texte comme « Tout ou partie d’une loi ou d’un règlement ». En revanche, le terme « loi fédérale » n’est pas défini.

Encore une fois, je ne sais pas quelle est la meilleure approche. Je pose simplement la question pour souligner qu’il y aurait beaucoup de choses à approfondir dans le cadre d’un processus de consultations en bonne et due forme, et les organisations qui représentaient les Autochtones nous ont demandé de leur laisser du temps pour faire ce travail.

Enfin, en ce qui concerne les droits des femmes, l’Association des femmes autochtones du Canada est un groupe de défense important. En tant que femme autochtone, je lui suis immensément reconnaissante du travail qu’elle accomplit à l’échelle nationale, même si elle ne représente pas les femmes métisses comme moi. Je voudrais toutefois rappeler au comité que nous avons entendu des points de vue très différents de la part de plusieurs éminentes femmes autochtones, notamment de Mme Caron, présidente du Ralliement national des Métis, de Mme Clayton, présidente des Nisga’a et de Marie Belleau, conseillère juridique directrice de Nunavut Tunngavik Inc., qui m’a beaucoup impressionnée.

Je pense qu’il faut au moins admettre que les femmes autochtones ont une diversité de points de vue sur cette question. J’y ajouterai ma propre perspective, à savoir que le projet de loi S-13, dans sa version actuelle, constituerait un jalon important dans l’évolution du droit canadien et des droits autochtones, du point de vue de nombreux dirigeants du pays.

Comme Mme Belleau nous l’a dit, cet amendement est « ... le fruit d’années de travail de rédaction ». Je ne pense pas que nous devrions déroger du fruit du processus de consultation à la dernière minute et ainsi aller à l’encontre de la volonté de nombreux détenteurs de droits autochtones, même si nous pensons que les consultations ne sont peut-être pas nécessaires en raison du travail effectué concernant la Loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Les dirigeants de nombreuses organisations qui représentent les Autochtones ont comparu devant nous et nous ont dit qu’ils voulaient avoir le temps de tenir des consultations en bonne et due forme avant que la déclaration ne soit ajoutée à la Loi d’interprétation. Ils nous ont dit par ailleurs qu’ils voulaient que le projet de loi S-13 soit adopté dans sa forme actuelle, aussi vite et aussi efficacement que possible.

Je pense que nous devrions respecter leur demande. Hiy hiy.

Le président : Chers collègues, je pense que nous avons eu un débat riche, réfléchi, remarquablement éclairé et respectueux. Je ne pense pas que ce soit vraiment mon rôle, mais je tiens à vous féliciter et à vous exprimer ma gratitude, à chacun d’entre vous.

J’aimerais maintenant passer au vote sur l’amendement, si vous le voulez bien. Il est proposé par l’honorable sénateur Prosper que le projet de loi S-13 soit modifié à l’article 1, à la page 1... Ici, j’aimerais bien que vous me dispensiez de lire l’amendement au complet.

Des voix : Ce n’est pas nécessaire.

Le président : Merci. Je vous invite maintenant à voter sur cette motion. Que tous ceux qui sont en faveur de l’amendement veuillent bien dire « pour ».

Des voix : Pour.

Le président : Qui est contre?

Des voix : Contre.

Le président : Je crois que la motion est rejetée, mais nous tiendrons le vote par appel nominal.

Vincent Labrosse, greffier du comité : L’honorable sénateur Cotter?

Le président : Non.

Le greffier : L’honorable sénatrice Batters?

La sénatrice Batters : Non.

Le greffier : L’honorable sénateur Boisvenu?

Le sénateur Boisvenu : Non.

Le greffier : L’honorable sénatrice Clement?

La sénatrice Clement : Oui.

Le greffier : L’honorable sénateur Dalphond?

Le sénateur Dalphond : Non.

Le greffier : L’honorable sénatrice Dupuis?

La sénatrice Dupuis : [Difficultés techniques]

Le greffier : L’honorable sénatrice LaBoucane-Benson?

La sénatrice LaBoucane-Benson : Non.

Le greffier : L’honorable sénatrice Jaffer?

La sénatrice Jaffer : Oui.

Le greffier : L’honorable sénateur Klyne?

Le sénateur Klyne : Non.

Le greffier : L’honorable sénateur Kutcher?

Le sénateur Kutcher : Oui.

Le greffier : L’honorable sénateur Patterson?

Le sénateur Patterson : Non.

Le greffier : L’honorable sénateur Prosper?

Le sénateur Prosper : Oui.

Le greffier : L’honorable sénatrice Simons?

La sénatrice Simons : Non.

Le greffier : Il y a 4 pour; 9 contre; 0 abstention.

Le président : Chers collègues, je déclare la motion d’amendement rejetée.

La sénatrice Simons : Je n’ai pas préparé d’observation, et c’est le résultat de ma propre négligence. Cet après-midi a été remarquable. J’espère que nous pourrons nous mettre d’accord pour ajouter une observation sur l’importance de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et la nécessité de consulter.

Le président : À cet égard, bien qu’aucune observation n’ait été soumise au comité, vous pourriez peut-être laisser au comité directeur le soin de produire quelques phrases courtes pour faire valoir l’argument que vous venez de présenter. Y a-t-il consensus à ce propos?

Des voix : D’accord.

Le président : Merci. Nous voulions justement un peu plus de travail. Merci, sénatrice Simons.

Je vais maintenant, si vous le permettez, reprendre l’examen du projet de loi. Les articles 1 à 10 sont-ils adoptés?

Une voix : Avec dissidence.

Le président : Avec dissidence. Les articles 11 à 20 sont-ils adoptés?

Une voix : Avec dissidence.

Le président : Ces articles sont adoptés avec dissidence. Les articles 21 à 30 sont-ils adoptés?

Une voix : Avec dissidence.

Le président : Les articles 31 à 38 sont-ils adoptés?

Une voix : Avec dissidence.

Le président : Avec dissidence. Le titre est-il adopté?

Des voix : D’accord.

Le président : Le projet de loi est-il adopté?

Une voix : Avec dissidence.

Le président : Avec dissidence. J’étais en train d’oublier votre proposition d’y joindre des observations, mais le comité, je pense, est d’accord pour que nous produisions de brèves observations avec l’aide de l’équipe, qui seront soumises à l’examen du comité directeur. S’il y a une quelconque controverse, nous communiquerons plus largement avec vous. Est-ce que cela vous paraît acceptable?

Des voix : D’accord.

Le président : En fait, j’essaie d’établir un contact visuel avec la sénatrice Batters parce que je sais qu’elle est anxieuse. C’est relativement simple, mais s’il y a une quelconque préoccupation, nous la soumettrons à l’examen du comité.

Est-il convenu que je fasse rapport du projet de loi, avec de brèves observations, au Sénat dans les deux langues officielles?

Des voix : D’accord.

Le président : Je pense, chers collègues, que nous en avons terminé avec les questions centrales pour aujourd’hui.

Je tiens à nouveau à remercier les fonctionnaires du ministère de la Justice pour leurs réponses extrêmement utiles et franches à nos questions — parfois délicates, parfois moins. Nous leur en sommes très reconnaissants. Merci pour le temps que vous nous avez accordé aujourd’hui.

Je tiens également à remercier chacun de mes collègues pour le travail accompli dans le cadre de l’étude article par article du projet de loi S-13. Je remercie en particulier le sénateur Prosper, un membre relativement nouveau, qui s’est surpassé lors du contre-interrogatoire.

Si vous me le permettez, je dirai également, en guise de remerciement et par respect pour le sénateur Patterson, que le sénateur Prosper sera désormais membre du comité directeur du comité de la justice. Nous voulons lui souhaiter la bienvenue à cette fonction. Je vais bientôt lever la séance, mais je vous invite d’abord à discuter très brièvement de...

Le sénateur Dalphond : ... la motion pour le remplacer? Parce que sinon, nous indiquerons simplement dans la motion qu’il devient membre du comité directeur.

Le président : On me dit que ce n’est pas nécessaire. Nous n’avons pas besoin de motion. Nous n’avons pas notre mot à dire à ce sujet, sénateur Prosper. Je vous souhaite la bienvenue.

Chers collègues, je vous remercie à nouveau de votre attention. La séance est maintenant levée.

(La séance est levée.)

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