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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 23 novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 51 (HE), avec vidéoconférence, pour approuver un budget de dépenses spéciales; étudier le projet de loi S-231, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur la défense nationale et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques; et étudier le projet de loi S-13, Loi modifiant la Loi d’interprétation et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Je m’appelle Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du comité. J’invite mes collègues à se présenter.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, vice-président du comité. Bienvenue, sénateur Carignan.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, de Montréal, au Québec.

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, division De Lorimier, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Le sénateur P. J. Prosper, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

L’honorable Claude Carignan, c.p., parrain du projet de loi : Sénateur Carignan, du Québec, division des Mille Isles.

[Traduction]

La sénatrice Busson : La sénatrice Bev Busson, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Simons : La sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, territoire du Traité no 6.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

Le sénateur McNair : Sénateur John McNair, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Donna Dasko, sénatrice de l’Ontario.

Le président : Merci, chers collègues. J’aimerais souhaiter la bienvenue au sénateur Dagenais, qui peut seulement se joindre au comité à l’occasion, ainsi qu’au sénateur McNair, qui se joint à nous pour avoir un aperçu de ce qui se passe au sein du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Bienvenue à vous deux.

Nous avons une question très brève à régler, une étude du budget. Avant de passer au projet de loi S-231, nous devons traiter de cette question budgétaire. Nous avons devant nous un budget total de 6 000 $ que nous demandons chaque année afin d’acheter des codes criminels à jour pour les membres du comité. Une copie du projet de budget a été distribuée, chers collègues, et j’aimerais vous demander s’il est convenu d’approuver l’affectation budgétaire de 6 000 $ pour les codes criminels aux fins de présentation au Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration pour l’exercice se terminant le 31 mars 2024? Êtes-vous d’accord?

Des voix : D’accord.

Le président : Pas particulièrement avec enthousiasme, mais tout de même, merci.

Honorables sénateurs, nous nous réunissons aujourd’hui afin de poursuivre notre étude du projet de loi S-231, Loi modifiant le Code criminel, la Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur la défense nationale et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques. Vous vous souviendrez que nous avions commencé brièvement notre étude de cette question récemment; nous la poursuivons maintenant.

Aujourd’hui, le comité est heureux d’accueillir le parrain du projet de loi d’intérêt public du Sénat, l’honorable sénateur Claude Carignan. Bienvenue et merci d’être parmi nous, sénateur Carignan. Nous allons commencer par votre déclaration préliminaire d’environ cinq minutes, qui sera suivie, comme vous le savez, d’une période de questions et de discussions. En fait, j’ai noté ici que vous pouvez prendre jusqu’à 10 minutes, si vous en avez besoin, monsieur. Votre déclaration sera suivie, comme vous le savez, d’une période de questions et de discussions avec les sénateurs.

La parole est à vous.

[Français]

Le sénateur Carignan : Chers collègues, merci de m’accueillir.

Nous étudions aujourd’hui le projet de loi S-231. Je veux souligner la présence d’un témoin que vous déjà avez vu, M. Greg Yost, qui est derrière moi, qui a participé activement avec moi à la rédaction du projet de loi. Je veux le remercier, car il l’a fait de façon volontaire, sans aucune rémunération, par passion pour la cause, ce qui doit être souligné.

Ce projet de loi vise à mieux protéger la sécurité publique en favorisant l’identification fiable d’auteurs d’infractions criminelles. Je pense non seulement à des meurtriers en série, mais également aux auteurs d’autres crimes graves, comme des infractions d’agressions sexuelles, d’enlèvements et de trafic d’armes à feu illégales. En effet, les policiers peuvent trouver de l’ADN sur tout type de scène de crime.

Avant de vous décrire les principales mesures de mon projet de loi, je vais vous expliquer rapidement le fonctionnement de la Banque nationale de données génétiques. Opérée par des fonctionnaires de la Gendarmerie royale du Canada, cette banque gouvernementale constitue un formidable outil qui permet aux policiers d’identifier des suspects par leurs empreintes génétiques. Cette banque contient différents fichiers. Par exemple, le fichier de criminalistique contient des échantillons génétiques provenant de l’ADN trouvé sur une scène de crime, tandis que le fichier des condamnés contient les échantillons génétiques de délinquants coupables d’infractions criminelles.

La législation actuelle permet aux fonctionnaires de la banque d’informer les policiers lorsqu’il y a une correspondance exacte entre ces deux fichiers, c’est-à-dire lorsque l’échantillon de la scène de crime est identique à celui provenant de la personne condamnée. Lorsqu’il y a une correspondance dans la banque, les policiers ne peuvent pas produire en preuve l’échantillon d’ADN de la banque. Toutefois, ils peuvent tenir compte de cette correspondance dans leurs motifs pour arrêter un suspect ou pour demander un mandat à un juge afin de les autoriser à faire un prélèvement d’ADN qui, dans ce cas, peut être utilisé en preuve au procès pour établir la culpabilité.

Malheureusement, la législation actuelle ne permet pas d’utiliser la banque à son plein potentiel, ce qui empêche, dans plusieurs affaires criminelles, de prévenir ou de résoudre des crimes ou des erreurs judiciaires ou d’élucider des crimes, notamment dans le cas d’infractions graves mettant en danger la sécurité des Canadiens. Plusieurs crimes non résolus après avoir détecté la présence de l’ADN d’un suspect sont des cas d’agression sexuelle de femmes, de femmes assassinées, d’enfants violés et assassinés. La mesure phare du projet de loi S-231 vise à augmenter le nombre d’infractions pour lesquelles les juges seraient tenus d’exiger la prise d’un échantillon d’ADN à la personne condamnée.

Cette mesure répond à une recommandation figurant dans trois rapports parlementaires : le rapport de 2010 du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes ; celui de 2011 du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel siégeaient alors la sénatrice Fraser, le sénateur Baker, la sénatrice Carstairs, le sénateur Joyal, le sénateur Rivest et le sénateur Nolin, notamment; enfin, un rapport de 2017 qui portait sur les délais judiciaires, publié par un comité sénatorial composé notamment de la sénatrice Jaffer, du sénateur Joyal, du sénateur Sinclair et du sénateur White. Ils ont tous recommandé une augmentation du nombre d’infractions prévues dans la loi.

Comme vous l’ont expliqué MM. Yost, Bird et Maguire dans leurs témoignages, plus il y a de profils d’identification génétique de personnes condamnées dans la banque, plus il y a de possibilités de trouver des correspondances avec des profils provenant des scènes de crimes. L’ajout d’un profil dans le fichier des condamnés peut permettre de résoudre des crimes passés et de résoudre des crimes futurs. Prenons l’exemple réel du meurtre de Guylaine Potvin, commis à Jonquière en 2000, dont l’auteur présumé a été arrêté 22 ans plus tard. Avant cette arrestation, cet homme avait des antécédents criminels en matière de vol, intrusion de nuit, tentative d’introduction par effraction, menaces et voies de fait.

Étant donné que tous ces antécédents sont des infractions visées par le projet de loi S-231, l’ADN de cet individu aurait été prélevé à la condamnation pour n’importe lequel de ses antécédents criminels. Cela permet de croire que ce meurtre aurait pu être résolu bien plus tôt si le projet de loi S-231 avait été en vigueur, car les fonctionnaires de la banque auraient alors pu obtenir une correspondance de son ADN.

S’il est adopté, mon projet de loi donnerait plus de possibilités pour utiliser la Banque nationale de données génétiques. Le mot clé est « identifier ». L’identification de délinquants par leurs empreintes génétiques est plus fiable, mais joue le même rôle que l’identification par les empreintes digitales. Leur rôle est de pouvoir identifier avec précision un suspect afin de le reconnaître et de le distinguer d’un autre s’il laisse ses empreintes digitales ou son ADN sur une scène de crime.

En résumé, mon projet de loi vise principalement, d’une part, à augmenter le nombre d’infractions pour lesquelles le juge serait obligé d’ordonner une prise d’empreintes génétiques. Cette mesure inclut toutes les infractions criminelles passibles d’une peine d’emprisonnement de cinq ans ou plus, ce qui comprend notamment toutes les infractions avec violence prévues au Code criminel.

On se souviendra que, en 2022, la Cour suprême du Canada a rappelé dans l’arrêt R. c. Sharma que la peine maximale d’une infraction constitue un indicateur approprié dans une loi pour définir une catégorie d’infractions jugées plus graves par le législateur. D’autre part, le projet de loi S-231 propose d’autoriser la recherche par lien de parenté dans le cas d’infractions graves passibles d’une peine maximale de 14 ans ou plus, dans un cas où il y a urgence ou dans le cas où d’autres méthodes d’enquête ont été utilisées en vain. Cette mesure permettra aux fonctionnaires de la banque de révéler aux enquêteurs qu’il y a une correspondance partielle entre l’ADN trouvé sur la scène de crime et celui obtenu auprès d’une personne condamnée qui est un parent biologique de l’auteur de l’infraction. Une telle information permettra aux policiers de poursuivre ou de relancer leurs enquêtes.

Par ailleurs, selon certains intervenants, le projet de loi S-231 contribuerait à la surreprésentation des Autochtones et d’autres groupes surreprésentés dans le système de justice pénale. Or, je vous rappelle, d’une part, que la prise d’un échantillon d’ADN pour la banque s’effectue sur une personne qui a été déclarée coupable hors de tout doute raisonnable. Ce n’est donc aucunement du profilage racial ou discriminatoire.

J’aimerais également vous soumettre que l’Association des femmes autochtones du Canada est en faveur du projet de loi. Dans son mémoire, elle a rappelé que les femmes et les filles autochtones « sont victimes de violences sexuelles de manière disproportionnée » et que, par conséquent, les mesures proposées dans le projet de loi S-231 pourraient permettre de résoudre ces enquêtes « plus rapidement et facilement que dans le cadre du système actuel. »

Toujours dans son mémoire, l’association affirme, et je cite :

Le projet de loi S-231 ne cherche pas explicitement à remédier à la surreprésentation des femmes autochtones dans les établissements pénitentiaires, mais ses mécanismes permettent de réduire les condamnations injustifiées et d’éliminer les préjugés subjectifs à l’égard des femmes autochtones […] les modifications proposées par le projet de loi S-231 peuvent réduire les risques de condamnations injustifiées lorsque des preuves ADN peuvent être utilisées en vue d’identifier le bon coupable, ce qui peut réduire les taux de condamnations injustifiées des femmes autochtones et la probabilité de plaidoyers de culpabilité injustifiés.

Tout comme cette association, le Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques, l’Association canadienne des chefs de police et d’autres experts appuient mon projet de loi. Ils sont notamment en faveur de cette mesure qui augmente le nombre d’infractions pour lesquelles une personne condamnée doit fournir un échantillon d’ADN à la banque.

En terminant, je veux souligner que le président du Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques a écrit une lettre, le 27 janvier 2022, à la commissaire de la GRC avec une copie au ministre de la Sécurité publique, qui étaient à l’époque Brenda Lucki et Marco Mendicino. Le comité leur demandait d’agir et de travailler avec moi pour faire avancer rapidement le projet de loi S-231. Il avait également écrit au commissaire de la GRC en 2017 pour appuyer la recommandation du comité sénatorial dans son rapport sur les délais judiciaires. Le comité recommandait que le ministre de la Justice présente une mesure législative pour modifier le Code criminel de manière à autoriser le prélèvement immédiat et automatique d’un échantillon d’ADN sur tout adulte ayant été reconnu coupable d’une infraction désignée conformément à l’article 487.04. C’est ce que vise spécifiquement le projet de loi S-231, c’est-à-dire de donner suite aux recommandations du comité sénatorial et de celui de la Chambre des communes.

Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président : Merci, sénateur Carignan.

J’invite les sénateurs à poser des questions et à discuter avec vous, en commençant par notre vice-président, le sénateur Boisvenu.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, sénateur Carignan, et merci beaucoup pour ce projet de loi très intéressant, surtout pour les victimes et leurs proches, car ce sont souvent des meurtres et les victimes sont disparues.

Vous parlez du comité consultatif et d’une lettre rédigée à l’époque pour le ministre et la commissaire de la GRC qui demandaient de collaborer avec vous. Est-ce que le ministre ou la GRC vous ont contacté?

Le sénateur Carignan : J’ai essayé de rencontrer les ministres Mendicino et Lametti. Toutefois, il n’y a pas eu de suite à cette demande. Malheureusement, j’aurais aimé pouvoir en discuter avec eux, mais cela n’a pas été possible et il y a eu les changements de ministre par la suite.

Le sénateur Boisvenu : Mais le président du comité s’est montré intéressé.

Le sénateur Carignan : Oui, certainement, selon toutes mes lectures et les échanges que j’ai vus. J’ai demandé à l’accès à l’information de voir les échanges entre le cabinet du ministre et le comité. C’est une demande pressante de leur part qui faisait suite aux recommandations du comité sénatorial.

Le sénateur Boisvenu : Un des grands fléaux qui touche notre système de justice, particulièrement au Québec, ce sont les délais qui engendrent énormément de coûts pour le système de justice. Est-ce qu’on peut faire un lien entre les améliorations à la Banque nationale de données génétiques et la réduction des délais? Cette banque, comme vous le disiez dans votre présentation, est un élément de résolution de cas.

Le sénateur Carignan : C’est définitif; d’ailleurs, cela faisait partie des recommandations lorsqu’on a fait l’étude — parce que j’ai nommé certains membres, mais vous étiez aussi membre de ce comité. Parmi les arguments en faveur de l’élargissement de l’utilisation de la Banque de données génétiques, il y avait des preuves irréfutables. Donc, on réduit le nombre d’enquêtes et de suspects, on concentre plus rapidement les efforts en efficience pour éliminer les non-coupables et on arrive avec une personne suspecte et lorsqu’on l’accuse avec une preuve d’ADN, la puissance de la preuve fait en sorte que cela amène souvent des plaidoyers de culpabilité. Cela évite des procès, les accusés étant plus portés à plaider coupables lorsqu’il y a une preuve d’ADN.

Le sénateur Boisvenu : Dans certains pays, comme les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Nouvelle-Zélande et l’Australie, on prélève l’ADN à l’arrestation d’un prévenu. Je comprends que, selon votre projet de loi, cela va se faire au moment de la mise en accusation.

Le sénateur Carignan : De la déclaration de culpabilité.

Le sénateur Boisvenu : Exactement. Cela fait en sorte que les gens qui sont arrêtés et relâchés, faute de preuve ou à cause d’un vice de procédure... Ne pas avoir leurs empreintes nous prive-t-il de beaucoup d’informations?

Le sénateur Carignan : Lorsque la personne est reconnue coupable, elle perd une partie de son expectative de vie privée. C’est pour cette raison que je recommande dans le projet de loi que l’on prélève l’ADN au moment où la personne est déclarée coupable. Par contre, il y a une disposition qui demande d’étudier la question et de le faire au moment où les accusations sont portées au même moment que les empreintes digitales.

Plusieurs décisions assimilent la prise d’ADN aux empreintes digitales pour fins d’identification. On ne peut presque plus se priver de l’utilisation de cet outil de preuve moderne. C’est comme si on me disait que les empreintes digitales, c’est un cheval, et que la prise d’ADN est une voiture. Oui, le cheval peut nous permettre d’aller du point A au point B, mais aujourd’hui, je crois que c’est mieux de prendre la voiture, même si le cheval peut avoir une certaine utilité. Les empreintes digitales sont devenues obsolètes. Avec une preuve d’ADN, un criminel le moindrement intelligent porte des gants, tandis que la preuve d’ADN apporte une certitude beaucoup plus élevée.

Le sénateur Boisvenu : Merci.

Le sénateur Dalphond : Merci, sénateur Carignan, pour ce projet de loi. Merci d’être avec nous ce matin. J’avais la même question que le sénateur Boisvenu, ou en fait la réponse à la question du sénateur Boisvenu. Vous avez commencé à parler de l’obligation, pour le ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales, d’examiner l’opportunité de prélever des échantillons d’ADN selon les méthodes prévues par la Loi sur l’identification des criminels, c’est-à-dire à l’étape du bertillonnage. On prendrait non seulement l’empreinte des doigts, mais on prélèverait aussi une empreinte génétique. Vous dites que le ministre doit faire rapport devant chaque Chambre dans un délai assez court, au deuxième anniversaire de l’entrée en vigueur de la loi?

Le sénateur Carignan : Oui.

Le sénateur Dalphond : Pourquoi ne proposez-vous pas de l’inclure directement dans la loi dès maintenant? Vous semblez dire que c’est une chose qu’il faudrait faire, mais vous ne le faites pas; vous le mettez dans la loi en disant que le ministre a l’obligation de faire rapport.

Le sénateur Carignan : Évidemment, c’est un projet de loi d’intérêt privé. Je crois que, dans cette situation, il faut peut-être y aller avec un certain degré d’acceptabilité sociale et de connaissances. Les connaissances scientifiques sont là, mais est‑ce que les gens sont sensibles à ces connaissances scientifiques? Est-ce qu’ils sont suffisamment informés pour qu’il y ait une meilleure acceptabilité? Le fait de réaliser une étude pour démystifier cette partie serait sain.

Évidemment, quand la personne est reconnue coupable, son expectative disparaît presque automatiquement. Si on le met à cet endroit, si vous me permettez l’expression, on ne se trompe pas. Si on le met avant, cela peut soulever des débats. Le fait de demander au ministre de réaliser une étude, de mener des consultations publiques et de faire rapport va amener de la sensibilisation et une éducation de la population — et probablement une plus grande acceptation lorsque le projet de loi sera mis en vigueur.

Si vous me demandez mon opinion, je préférerais bien évidemment que cela se fasse tout de suite, parce qu’on pourrait faire la comparaison immédiatement et qu’on pourrait peut-être même ne pas accuser la personne d’un seul crime, mais d’une série de crimes.

Comme je l’ai mentionné plus tôt, ce qui m’a beaucoup frappé quand j’ai travaillé sur le dossier, dans les rapports que j’ai lus, les rapports de la GRC, du comité consultatif, les affaires non résolues dans lesquelles il y a des traces d’ADN, il s’agit presque toujours de meurtres de femmes, de viols et de meurtres d’enfants. Si on augmente les données en arrêtant une personne, même si elle peut être acquittée, on va peut-être découvrir autre chose en obtenant ses empreintes génétiques à l’arrestation. Cependant, c’est une autre étape.

Le sénateur Dalphond : Pourquoi, à ce moment-là, si c’est une question d’acceptabilité sociale, ne serait-ce pas le ministre de la Justice plutôt que le ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales qui serait responsable de faire cette étude?

Le sénateur Carignan : Je n’ai pas nécessairement de préférence. On a choisi le ministre de la Sécurité publique, des Institutions démocratiques et des Affaires intergouvernementales, parce que c’est la GRC qui est responsable de la banque. Je veux la meilleure personne.

Le sénateur Dalphond : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Merci beaucoup de votre témoignage.

J’écoutais justement d’autres témoins au sujet de ce projet de loi, et l’un d’eux a parlé d’un certain concept — la discrimination génétique — et de la mesure dans laquelle une mesure législative comme celle-ci pourrait être intrusive en lien avec la surreprésentation non seulement des peuples autochtones — c’est certainement une considération pour ce groupe également —, mais particulièrement en ce qui concerne l’utilisation de l’ADN des membres de la famille et de l’incidence sur la vie des peuples autochtones. Que dites-vous lorsque vous entendez parler d’un concept comme la discrimination génétique?

[Français]

Le sénateur Carignan : J’ai travaillé un peu sur le dossier de la discrimination génétique, particulièrement lorsqu’on a travaillé avec le sénateur Cowan pour modifier un projet de loi visant à interdire la discrimination génétique. Dans le cas de la discrimination génétique, on va chercher d’autres éléments de codage que l’élément d’identification. Ce que l’on vise à faire actuellement avec l’ADN, ce qui est visé pour la Banque nationale de données génétiques, ce sont vraiment les données ou le codage qui vont identifier l’individu, et non l’information sur la race, la couleur des yeux, les prédispositions à des maladies.

Toute cette partie de l’information n’est pas traitée, elle ne fait pas partie de la banque, elle n’est pas prélevée. La seule partie du codage de l’ADN est celle qui va identifier l’individu et qui lui est particulière. Cela limite beaucoup l’intrusion dans la vie privée. C’est ce que les cours ont d’ailleurs reconnu, soit que l’équilibre entre les droits et la discrimination ou l’identification de ces informations privées était réduit au minimum en raison des techniques qui sont utilisées. Il y a un équilibre vis-à-vis de l’expectative de vie privée, de ce à quoi l’on s’attend dans un cercle d’expectative de vie privée. Comment recueille-t-on les données au moment où la personne est reconnue coupable? Il est reconnu que, surtout pour un adulte, son expectative de vie privée vis-à-vis des policiers, des autorités chargées de la loi ou du grand public, elle disparaît. Les tribunaux ont jugé que c’était une justification.

Par rapport à la surreprésentation, la beauté de la banque de données génétiques, elle permet aussi de disculper des gens. Si on va voir les chefs de police, je ne sais pas s’ils pourront traiter de cette partie des enquêtes... Lorsqu’ils font des enquêtes, ils vont demander aux gens s’ils veulent soumettre leur ADN et ils pourront disculper beaucoup de personnes en utilisant cette preuve. Cela sert également à disculper les personnes et à concentrer les efforts sur des cibles de suspects qui sont plus probantes.

J’ai de la difficulté à voir un impact négatif sur les plans de la surreprésentation ou de la discrimination. Est-ce qu’il y a un problème de surreprésentation? Oui, et c’est pour cette raison que l’Association des femmes autochtones du Canada est en faveur du projet de loi. Vous pourrez leur poser des questions. Elles sont en faveur du projet de loi, car cela permettra aussi de disculper des personnes qui sont innocentes, comme on l’a vu dans certains dossiers où la preuve d’ADN a permis de mettre à jour des erreurs judiciaires.

J’aimerais ajouter quelque chose sur la question de la bio et du lien de parenté, parce que je n’ai pas répondu à la question. C’est un autre domaine qu’il faut approfondir. Cette partie est une recherche touchant la famille. On a prévu un test beaucoup plus sérieux qui s’inspire un peu des pratiques d’éthique de certains pays européens. On l’a inclus dans la loi dans le cas de crimes très graves, quand on aura épuisé l’ensemble des autres ressources. Je sais qu’il y a des professeurs qui ont suggéré de créer un comité d’éthique qui pourrait encadrer cette pratique. Je n’ai aucun problème à ce qu’il y ait un comité d’éthique qui encadre cette pratique. Il y a déjà un pouvoir de réglementation qui est prévu dans le projet de loi. Par un règlement, le gouverneur en conseil pourrait mettre sur pied un comité d’éthique qui s’assurerait que tout se fait dans les règles de l’art et conformément aux pratiques professionnelles.

[Traduction]

Le président : Votre temps est écoulé, sénateur Prosper. Nous allons poursuivre.

La sénatrice Busson : Merci, sénateur. Je suis heureuse d’avoir l’occasion de vous poser une question.

Le préambule du projet de loi C-231 dit ceci :

[…] Attendu que l’efficacité de la banque nationale de données génétiques dépend du nombre de profils d’identification génétique qui se trouvent dans le fichier des condamnés et qui peuvent faire l’objet d’une comparaison avec ceux qui se trouvent dans le fichier de criminalistique […]

Malheureusement, il ajoute :

[…] Attendu que, dans le fichier des condamnés de sa banque nationale de données génétiques, le Canada compte beaucoup moins de profils d’identification génétique par habitant que d’autres pays libres et démocratiques en comptent dans leurs banques nationales de données génétiques, ce qui réduit les chances d’identifier les auteurs de crimes graves et violents […]

À mon avis, vous avez très bien expliqué comment ce projet de loi améliorera la capacité non seulement de trouver les auteurs de crimes graves, mais aussi de protéger les innocents. J’essaie d’imaginer ce que diraient les opposants de ce projet de loi, compte tenu des commentaires convaincants que vous avez formulés dans votre exposé.

[Français]

Le sénateur Carignan : Comme je l’ai expliqué plus tôt, j’ai de la difficulté à comprendre pourquoi on se priverait de preuves modernes. J’ai de la difficulté à comprendre cet argument et à comprendre pourquoi on se priverait d’obtenir de l’information qui pourrait permettre de trouver des meurtriers.

Encore une fois, ce qui me choque et ce qui me surprend le plus dans tout ce que j’ai lu, c’est que, souvent, dans ces situations, il s’agit de femmes et d’enfants violés et assassinés. Si on a la possibilité d’avoir plus d’informations, même dans le cas de crimes commis par des jeunes de moins de 18 ans, ce serait une bonne chose. La Cour suprême et les cours d’appel reconnaissent le prélèvement d’un échantillon d’ADN. Je suis le fils d’agriculteurs, et c’est comme si on me donnait le choix entre un tracteur et un cheval avec une raie pour faire le labourage. C’est sûr que je vais choisir le tracteur. J’ai de la difficulté à comprendre pourquoi on se priverait d’informations essentielles.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Sénateur Carignan, tout à l’heure, vous avez dit que vous pensiez que c’était justifié parce que c’est quelque chose qui arriverait seulement aux personnes reconnues coupables d’un crime hors de tout doute raisonnable. Pourtant, dans votre projet de loi, vous incluez le pouvoir — l’obligation — de prélever des échantillons d’ADN de personnes qui ont reçu une absolution inconditionnelle et de personnes qui ont été déclarées non criminellement responsables pour des raisons médicales. Je me demande pourquoi vous incluez de tels cas.

[Français]

Le sénateur Carignan : En fait, c’est parce que ce sont ces personnes qui ont commis un acte criminel et que celles-ci ne sont pas reconnues criminellement responsables en raison d’un problème de santé mentale, par exemple. Ces personnes ont commis un acte criminel, mais est-ce qu’elles en ont commis d’autres? Ce sont des gens qui peuvent avoir commis d’autres crimes. Est-ce qu’ils vont en commettre d’autres? Je pense qu’on doit pouvoir obtenir cette information, même dans les cas de non-responsabilité criminelle. L’objectif de prélever un échantillon d’ADN n’est pas d’imposer une sanction ou une punition. On prélève un échantillon d’ADN et on s’assure que l’information est stockée dans une banque, puis que cette information est analysée et comparée.

Si je découvre que des crimes extrêmement violents ont été commis et que, par la suite, je peux valider le fait que la personne qui a été reconnue non criminellement responsable est celle qui a commis ces crimes, qu’elle a été libérée de l’institut psychiatrique X ou Y, qu’elle est retournée dans la société et que je suis capable de déterminer que c’est cette même personne qui a récidivé, elle sera peut-être encore reconnue non criminellement responsable. Toutefois, on va peut-être prendre des mesures supplémentaires pour s’assurer qu’elle reçoit des traitements et qu’elle est bien encadrée. C’est tout simplement cela, la raison. Cette personne n’a pas été acquittée. Elle est considérée comme non criminellement responsable.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Mais c’est une forme de punition. Vous dites que ce n’est pas le cas, mais, de toute évidence, c’est une forme de punition que de communiquer une telle information sur soi-même. Je suis inquiète. Je pourrais comprendre votre argument si vous ne parliez que des cas de récidives, mais on parle aussi d’utiliser le mécanisme pour établir des correspondances avec d’autres membres de la famille. Il pourrait s’agir, par exemple, d’une femme autochtone qui reçoit une absolution inconditionnelle, mais dont l’ADN figure dans la banque, et dont le petit-fils ou la petite-fille commet un crime. Maintenant, vous utilisez l’information que vous avez recueillie auprès de quelqu’un qui a reçu une absolution inconditionnelle pour mener une enquête. Je sais que vous vous considérez, comme moi, comme un défenseur des libertés civiles. Je me demande si vous ne voyez pas là un problème.

[Français]

Le sénateur Carignan : Il y a beaucoup d’aspects à votre question. Vous avez ajouté que les données du petit-fils ou de la petite-fille d’une personne ayant reçu une absolution inconditionnelle seraient comparées.

La sénatrice Simons : Ou peut-être son frère.

Le sénateur Carignan : Ou peut-être le frère de la personne en question.

Disons que vous venez de faire une recherche par lien parental; vous tombez alors dans une autre catégorie de crimes violents pouvant mener à une peine d’emprisonnement de plus de 14 ans. Disons qu’un comité a mis en équilibre tous les éléments de preuve et s’est assuré qu’il n’y avait pas d’autres situations, et qu’on a épuisé tous les moyens possibles pour essayer d’identifier la personne qui a commis l’acte violent punissable d’une peine de plus de 14 ans. À ce moment-là, on est à court de ressources et on est rendu à faire une recherche par lien parental. Dans les cas d’un crime punissable par une peine de plus de 14 ans... On parle de crimes graves; on parle de meurtres, de viols.

Je comprends la frustration de la personne dont les données se trouvent dans la banque. Toutefois, est-ce que, dans un État moderne où on a des preuves scientifiques et où on est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés, on peut se priver d’identifier un criminel qui a commis un viol et un meurtre en disant : « Je ne peux pas faire cela, parce que je ferais de la peine à la grand-mère si je recueille des informations sur un échantillon de son ADN qui se trouve dans la banque »?

[Traduction]

La sénatrice Simons : C’est un argument selon lequel la fin justifie les moyens. Selon cette logique, on pourrait prélever un échantillon d’ADN de toutes les personnes accusées ou de tout le monde à la naissance. Ce serait une excellente façon de pouvoir…

Le sénateur Carignan : Non. Pas les personnes accusées.

[Français]

J’ai dit « charged » un peu plus tôt. On pourrait même aller jusque-là, mais le projet de loi ne va pas aussi loin.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Je comprends. Oui.

[Français]

Le sénateur Carignan : C’est dans le même sens que les empreintes digitales.

La sénatrice Clement : Merci d’être parmi nous, sénateur Carignan. En passant, je suis petite-fille d’agriculteurs.

Le sénateur Carignan : Et nous avons tous les deux été maires.

La sénatrice Clement : Nous avons plein de points en commun.

J’ai compris votre référence. J’aimerais revenir sur la question du sénateur Prosper en ce qui concerne la surreprésentation des personnes autochtones, noires et racialisées dans notre système juridique.

On a entendu les témoignages des professeurs Crawford et Clausius, qui eux, croient que le projet de loi aura des répercussions négatives.

Vous avez correctement cité l’Association des femmes autochtones du Canada. Dans leur mémoire, effectivement, l’association appuie le projet de loi, mais elle indique aussi qu’elle a des inquiétudes en ce qui concerne les abus de pouvoir et la surreprésentation. Ce mémoire était quand même nuancé. Je voulais juste soulever ce point.

Le sénateur Carignan : Assurément.

La sénatrice Clement : Comment envisagez-vous de répondre à cette question, à cette inquiétude, soit qu’il y a déjà des preuves d’une surreprésentation dans la banque actuellement? En effet, des gens ont commis des crimes, mais il y a toute la question de la surreprésentation. La banque est déjà affectée par une surreprésentation, et un élargissement peut justement amener de la suspicion qui affectera toutes ces populations et leur famille, ce qui amènera des enquêtes supplémentaires au sein des familles de ces gens.

J’aimerais savoir si vous avez envisagé une réponse pratico-pratique pour répondre à cette inquiétude soulevée par plusieurs témoins.

Le sénateur Carignan : Il y a plusieurs réponses à cela. En fait, on ne sait pas s’il y a une surreprésentation dans la banque. On ne le sait pas. On présume que oui, mais on ne le sait pas.

La sénatrice Clement : Justement, on manque d’information.

Le sénateur Carignan : C’est que les données de la banque sont confidentielles. Elles servent à identifier; elles sont confidentielles. Même les gens qui gèrent la banque ne le savent pas. Tout est codé pour assurer cet anonymat. Ce que l’on sait, c’est que ce sont des gens reconnus coupables d’un crime.

Quant à la surreprésentation, est-ce qu’on va enlever les empreintes digitales? Est-ce que les empreintes digitales ont contribué à la surreprésentation? Les empreintes digitales sont prélevées lorsqu’un suspect est arrêté. Il n’est même pas reconnu coupable. Est-ce qu’on devrait les enlever? Je ne suggérerais pas de faire cela.

Qu’est-ce qui a mené à cette surreprésentation? Il y a différents éléments. Quand on fait le prélèvement au moment où la personne est reconnue coupable, je pense que c’est une garantie. Elle est reconnue coupable hors de tout doute raisonnable. Par la suite, comme l’Association des femmes autochtones du Canada l’a dit, cela permettra aussi de disculper les gens. S’il y a une surreprésentation dans la banque, ils pourront faire des analyses pour éliminer ces gens. Si cela contribue à innocenter des gens parce qu’il y a plus de données dans la banque, eh bien, c’est parfait.

La sénatrice Clement : On a assurément des preuves concernant la surreprésentation.

Le sénateur Carignan : Oui, c’est définitif, c’est reconnu.

La sénatrice Clement : Mais on manque d’information sur les raisons de cela et sur comment cela se passe. Voilà le problème. Est-ce qu’on adopte des lois sans avoir assez de données pour justifier les décisions que l’on prend?

Le sénateur Carignan : Je pense que la solution de la surreprésentation n’est pas dans la non-utilisation ou dans l’optimisation de la banque d’ADN. Il y a des éléments culturels, des éléments de formation des policiers, il y a plusieurs autres éléments dans cette question de surreprésentation.

Si l’on reconnaît les nations autochtones, devrait-il y avoir des tribunaux autochtones spécialisés? On a des cours municipales pour les municipalités — je lance l’idée —, alors pourquoi ne pas avoir des tribunaux autochtones pour s’assurer d’éviter cette surreprésentation? Il y a plusieurs solutions qui pourraient être envisagées plutôt que de se priver d’un outil scientifique permettant de reconnaître et de trouver un coupable ou d’innocenter une personne. Je pense que la science doit servir là où on en est rendu en 2023.

La sénatrice Clement : On pourrait davantage s’inspirer des systèmes de justice autochtones. Je pense que ce genre de conversation élargie est vraiment nécessaire.

Le sénateur Carignan : Je suis d’accord.

La sénatrice Clement : On n’en est pas encore là. Merci pour votre témoignage.

Le sénateur Carignan : Je suis d’accord, mais comme je l’ai dit, on étudie un projet de loi qui touche la génétique, la banque d’ADN. Ce n’est peut-être pas là où l’on doit agir pour...

[Traduction]

La sénatrice Batters : Je vous remercie d’avoir présenté cet important projet de loi.

Comme je le disais à certains des témoins la dernière fois, je suis sûre que de nombreuses Canadiennes et de nombreux Canadiens seraient très surpris d’apprendre que nous n’avons pas déjà ce genre d’exigence au Canada, surtout compte tenu de la prévalence des émissions américaines de télévision sur la criminalité et ce genre de choses, en plus des reportages sur les situations qui surviennent là-bas.

Tout d’abord, pour ce qui est de savoir si l’Association des femmes autochtones est en faveur de cette mesure, je pense qu’une partie de la justification pourrait être — je n’ai pas encore eu l’occasion de lire le mémoire du groupe, mais je vais le faire —, en plus de la libération de personnes innocentes, bien sûr, comme nous avons pu le voir dans certains cas vraiment tragiques de l’histoire juridique canadienne, ce pourrait donc être aussi la possibilité d’arrêter des personnes qui ont blessé et tué des femmes et des filles autochtones, une situation tellement cruciale à laquelle nous faisons face au Canada en ce moment, et c’est très difficile à faire, surtout si beaucoup de temps s’est écoulé.

J’aimerais vous poser quelques questions au sujet des recherches par liens de parenté. Votre projet de loi S-231 propose de permettre la recherche par liens de parenté dans la base de données des condamnés, de sorte qu’il doit y avoir condamnation. Pourquoi votre projet de loi limite-t-il un tel recours à des crimes passibles d’une peine maximale de 14 ans ou plus et le limite-t-il aussi aux cas où il y a urgence et à ceux où d’autres méthodes d’enquête n’ont pas fonctionné? Je me demande si vous fondez ces critères sur les recommandations du Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques?

[Français]

Le sénateur Carignan : Je sais que c’est l’un des aspects qu’ils recommandent. Il y a une question d’équilibre. Si j’utilise le lien de parenté, il y a une discrimination technique basée sur la condition sociale ou le lien de filiation. L’idée est d’équilibrer les droits et les intérêts et de minimiser l’impact de cette discrimination.

Quand j’assure un équilibre par rapport aux intérêts, je pense qu’il est justifié de prouver qu’on porte le moins possible atteinte à cette discrimination fondée sur la filiation. Je pense que c’est une question d’équilibre des droits. Dans les situations où on a un crime très grave et où on a épuisé tous les autres motifs, on vise à satisfaire le test. Dans la plupart des juridictions, d’ailleurs, il n’y a pas d’autorisation spécifique pour faire la recherche par filiation; par contre, étant donné l’absence d’interdiction, on l’autorise, mais le processus est encadré par des comités d’éthique et par différentes politiques des agences de police équivalentes à la GRC. Elles ont mis en place des règles de bonne pratique pour ces situations.

On l’a inclus en partie dans la loi, mais, comme je l’ai dit tout à l’heure, le gouverneur en conseil a le pouvoir de réglementer cette partie spécifique sur l’utilisation de la banque d’ADN avec une question de parenté biologique. Si le gouverneur en conseil le juge opportun, il pourra créer un comité d’éthique ou mettre en place des règles plus précises à ce moment-là.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Il y a autre chose que j’aimerais aborder. Nous avons un peu discuté ici de l’absolution inconditionnelle. L’une des dispositions de votre projet de loi prévoit que la procédure s’appliquerait non seulement aux personnes reconnues coupables, mais aussi aux personnes libérées. On ne parle pas d’absolution inconditionnelle, mais bien d’absolution. Bien sûr, cela comprendrait les absolutions conditionnelles ainsi que les absolutions inconditionnelles et les verdicts de non-responsabilité criminelle. Dans tous ces cas, le fil conducteur est la présence d’un verdict de culpabilité. On parle de personnes qui ont été trouvées coupables par un tribunal dans tous les cas — n’est-ce pas? — des personnes qui ont été reconnues coupables du crime, puis il s’agit simplement d’établir la sanction, qu’il s’agisse d’une peine, d’une libération conditionnelle ou absolue, ou encore d’un verdict de non-responsabilité criminelle. Exact?

Le sénateur Carignan : Exactement.

La sénatrice Batters : Merci.

La sénatrice Dasko : Je vous remercie, sénateur Carignan, de votre projet de loi. J’ai quelques brèves questions, puis une autre un peu plus détaillée.

Vous avez dit que, après l’adoption du projet de loi, il y aura une augmentation du nombre de profils d’identification génétique dans nos banques de données. À quoi vous attendez‑vous comme augmentation? S’agira-t-il d’une augmentation de 100 % des profils génétiques ou peut-être de 10 %? Avez‑vous examiné la question pour comprendre la façon dont nous allons accroître notre banque?

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vais vous divulguer des informations de mon bureau. On a fait une demande d’accès à l’information au ministre de la Sécurité publique. On a eu accès à la note de breffage de la Banque nationale de données génétiques au ministre et à celle de la commissaire au ministre.

Quant aux chiffres qu’ils avancent sur l’impact, on parle de 70 000 profils de plus dans la première année. Par la suite, il y aura un rythme plus régulier. Je peux vous fournir le chiffre exact, mais de mémoire, on parle d’environ 70 000. À l’heure actuelle, on est autour de 30 et quelques...

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Qu’est-ce que cela représenterait comme augmentation? Est-ce une augmentation de 100 % par rapport à la situation actuelle?

[Français]

Le sénateur Carignan : La première année, c’est de 80 % à 85 %, mais par la suite, ce sera probablement de 50 % à 60 % d’augmentation. C’est donc un retard.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : C’est une augmentation très importante des profils d’identification génétique.

[Français]

Le sénateur Carignan : Oui, mais c’est encore loin de ce que l’on voit quand on compare avec d’autres autorités. On a énormément de rattrapage à faire.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : D’accord.

À titre d’information, nos organismes d’application de la loi ont-ils accès à des banques de données génétiques étrangères?

[Français]

Le sénateur Carignan : J’ai mal compris votre question, pourriez-vous la répéter?

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Oui. À titre d’information, nos organismes d’application de la loi ont-ils accès à des banques de données génétiques étrangères? Pouvons-nous y avoir accès?

[Français]

Le sénateur Carignan : Est-ce que nos agences de police ont accès aux banques étrangères de données génétiques, c’est cela?

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Oui, des banques étrangères de données génétiques à des fins de couplage.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je pense que oui. Il faudrait poser la question aux organismes de façon précise, parce que cela doit dépendre des législations des différents pays, mais je serais porté à vous dire oui, selon les critères et conditions qu’ils doivent respecter.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Nous avons donc déjà un bassin de correspondances potentielles?

[Français]

Le sénateur Carignan : Il y en a. Il ne faut pas oublier — on en a entendu parler — toute la question de la généalogie génétique, où les gens ont accès à des banques pour retrouver leurs ancêtres et renoncent automatiquement à leur ADN en faisant cela. On voit ça aux États-Unis. Au Canada, ça commence et c’est sûr qu’ils y ont accès aussi. Cela fait partie du domaine public tel que la banque a été créée.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Oui, et les forces de l’ordre peuvent-elles utiliser ces sources?

[Français]

Le sénateur Carignan : Oui, comme nous pouvons l’utiliser.

[Traduction]

La sénatrice Dasko : Vous avez parlé tout à l’heure d’un sentiment de résistance à l’égard de votre projet de loi découlant, disons, d’une certaine perception du public. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Sentez-vous une réticence? Le Canada est un pays qui adopte généralement les nouvelles technologies, et nous avons vu de nombreux exemples d’anciens cas non résolus qui ont été réglés grâce à l’utilisation de l’ADN. Avez-vous l’impression que les Canadiennes et les Canadiens sont réticents à accepter ce projet, ou pensez-vous que les gens sont généralement favorables à une telle initiative?

[Français]

Le sénateur Carignan : Quand j’ai parlé de cela, je faisais surtout référence au moment de l’arrestation, et non pas au moment où la personne est déclarée coupable. Au moment de l’arrestation, je peux comprendre qu’il peut y avoir une certaine résistance, dans le sens où la personne n’a pas été reconnue coupable. Elle a donc certaines attentes quant à sa vie privée. Les empreintes digitales, c’est plus connu, c’est plus accepté. Il y a là un petit côté mystérieux et les gens ont besoin d’information. Souvent, pour ce qui est de l’acceptabilité sociale, il s’agit d’un problème d’information. Vous êtes une experte des sondages; vous pouvez sonder les gens une journée, lancer beaucoup d’information pour les sensibiliser à une cause ou à une situation et les sonder de nouveau un mois plus tard, les résultats ne sont plus les mêmes. On voit ces situations. J’ai vu des cas de meurtres en série et de viols où la même personne ayant le même profil génétique avait commis des viols, des entrées par effraction, des meurtres de femmes et d’enfants. La même personne, on ne sait pas qui c’est, mais j’ai bien hâte qu’on l’attrape.

[Traduction]

Le président : Merci.

Permettez-moi d’informer tout le monde que nous allons dépasser un peu le temps alloué par respect pour le sénateur Carignan, mais qu’il n’y aura pas de temps pour un deuxième tour. Ce sera la dernière question. J’avais pensé donner la parole aux sénateurs McNair et Cotter, s’ils avaient des questions, mais nous allons manquer de temps.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Est-ce une invitation à céder mon droit de parole au président du comité? Merci d’être ici, sénateur Carignan. Je voudrais juste mieux comprendre la disposition 6.41, donc l’article 18 de votre projet de loi. Il y a une série de pouvoirs discrétionnaires qui s’additionnent. Cela me frappe. On dit que le commissaire « peut demander » : il peut effectuer la comparaison demandée s’il est d’avis que le profil d’identification qui a fait l’objet d’une comparaison pourrait être celui d’un parent biologique et il peut communiquer les résultats à l’autorité chargée de l’enquête. En général, on n’aime pas beaucoup adopter des lois qui comportent des pouvoirs discrétionnaires qui ne sont aucunement encadrés par des critères X, Y ou Z. Pouvez-vous me dire, dans ce cas-ci, quand on parle de « l’autorité chargée de l’enquête », au tout début de la modification proposée à l’article 18... À qui fait-on référence ici?

Le sénateur Carignan : On parle des services de police, des services d’enquête.

La sénatrice Dupuis : On parle de services publics d’enquête, de services privés d’enquête ou des deux?

Le sénateur Carignan : Évidemment, on parle d’enquêtes sur des crimes et des meurtres. Je ne pense pas qu’il y ait des autorités privées qui enquêtent sur des meurtres.

La sénatrice Dupuis : Dans cet article-là, il y a une première notion au sujet d’une autorité chargée de l’enquête, et on peut demander au commissaire à ce qu’une comparaison soit effectuée. Par rapport au paragraphe 6.41(3), qui dit que s’il est d’avis que le profil d’identification qui a fait l’objet d’une comparaison en application du paragraphe 6.41(2) pourrait être celui de... Quels sont les critères qu’il utilisera pour déterminer « pourrait être celui »... S’il est d’avis que c’est bien le cas, c’est son intuition? Quelle est la référence? Il pourrait être convaincu que...

Le sénateur Carignan : Non, c’est la comparaison. Il y a un exercice scientifique qui se fait de façon à comparer les données ou les marqueurs qui sont dans l’ADN qui se trouve dans la banque par opposition à celui qui est identifié, parce que les policiers ou les services d’enquêtes ont envoyé cet ADN. Donc, il y a une question de jugement, évidemment : plus on s’éloigne en matière d’hérédité, plus il y a de l’incertitude. Mon ADN est beaucoup plus proche de la jeune fille qui est là, qui est ma fille, que d’une autre personne dans la pièce. Donc, il y a une question de jugement qui s’exerce quand on fait la comparaison.

La sénatrice Dupuis : C’est la raison pour laquelle je pose ma question : quels sont les critères?

Le sénateur Carignan : Ce sont les marqueurs scientifiques, les marqueurs se trouvant dans l’ADN qui est dans la banque par opposition celui qu’on lui remet.

La sénatrice Dupuis : J’essaie juste de comprendre la logique du projet de loi, parce qu’on parle d’un système où le tribunal doit rendre une ordonnance, mais on ne donne aucune discrétion au tribunal. Tu n’as pas le choix, si tu es dans telle figure, tu dois rendre une ordonnance. Par contre, le commissaire n’est pas tenu de rendre une ordonnance s’il est convaincu. Déjà, on vient de baisser d’un cran et si on va un peu plus loin dans le projet de loi, on lit qu’on « peut demander », mais le commissaire « peut effectuer » et s’il est d’avis que ça « pourrait être celui d’un parent biologique ». Si on lit plus bas dans le projet de loi, on finit par en arriver à un stade où le commissaire a une très grande discrétion, mais cette discrétion n’est encadrée par aucun critère.

Le sénateur Carignan : C’est pour ça qu’il y a un pouvoir de règlement. Pour celui-là en particulier, on parle de profil de parent biologique. Selon le niveau de distance de parenté entre l’échantillon qui est dans la banque par opposition à celui qui est comparé, il y a une analyse qui est faite par le commissaire, qui doit déterminer s’il s’agit d’un parent très proche ou plus éloigné. Donc, c’est pour cela qu’il y a ce genre de texte.

L’Association canadienne des chefs de police recommande que ce soit écrit « doit » plutôt que « peu ». Si vous voulez proposer cet amendement, je ne m’y opposerai sans doute pas.

L’autre aspect, c’est que le pouvoir de réglementation est traité à l’article 23, où l’on parle de modifier l’article 12 de la loi par l’adjonction de l’alinéa c.1), qui parle de « régir l’application de l’article 6.41 ». Donc, le gouverneur en conseil pourrait établir des règles pour encadrer ce pouvoir discrétionnaire de façon à le rendre plus précis, que ce soit en créant un comité d’éthique ou en encadrant ce pouvoir discrétionnaire.

[Traduction]

Le président : Merci.

Le temps dont nous disposions est écoulé, sénateur Carignan. Chers collègues, en votre nom, je remercie le sénateur Carignan de s’être joint à nous à titre de parrain pour présenter le projet de loi et pour participer, comme d’habitude, à des discussions animées avec nos collègues.

Dans notre deuxième groupe de témoins d’aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir Frederick Bieber, expert en éthique biomédicale, de la Brigham and Women’s Hospital, Pathologie, du Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques, qui comparaît par vidéoconférence; et Derrill Prevett, expert juridique de l’ADN médico-légal, qui comparaît lui aussi par vidéoconférence au nom du Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques. Nous accueillons aussi en personne Stephen Smith, sergent-détective de l’Unité des homicides et des personnes disparues du Service de police de Toronto, et Andrew Chan, chef adjoint par intérim du Service de police de Vancouver, tous deux de l’Association canadienne des chefs de police. Bienvenue, messieurs, et merci de vous joindre à nous.

Nous allons commencer par la déclaration préliminaire des représentants du Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques, qui sera suivie par celle des représentants de l’Association canadienne des chefs de police. Nous inviterons chaque organisation à prendre la parole pendant environ cinq minutes, après quoi nous passerons aux questions et aux discussions avec les sénateurs. Je vous signale, au cas où la question vous intéresse, messieurs, que nous allons essayer de mettre fin à la discussion à 13 h 40, heure d’Ottawa. Nous avons une petite question liée aux délibérations du comité à régler avant de retourner au Sénat. La parole est à vous.

Derrill Prevett, expert juridique, ADN médico-légal, Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques : Merci, monsieur le président. Je crois que je vais commencer.

Vous avez reçu des renseignements contextuels de notre part, mais je veux simplement vous rappeler que le Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques est un comité indépendant composé de membres de diverses disciplines qui sont nommés par le ministre de la Sécurité publique. Le mandat du Comité consultatif comprend la formulation de recommandations au commissaire de la GRC et au ministre de la Sécurité publique afin de rendre la Banque nationale de données génétiques plus efficace et plus efficiente dans l’intérêt de la sécurité publique.

Les trois principales caractéristiques du projet de loi S-231 sont, bien sûr, d’élargir la liste des infractions désignées pour y inclure presque toutes les infractions au Code criminel, de rendre automatiques les ordonnances de prélèvement d’échantillons de la banque de données pour toutes les infractions désignées et de reconnaître la valeur de la recherche par liens de parenté dans certains cas graves.

En général, le Comité consultatif est d’accord sur les quatre points énoncés dans le préambule du projet de loi S-231. L’analyse génétique est un moyen d’identification. Vous l’avez entendu à maintes reprises. Ce n’est pas une punition. L’efficacité de la Banque nationale de données génétiques dépend du nombre de profils qu’elle contient. Il est clair qu’il y a un manque à gagner dans le nombre de profils reçus par la Banque nationale de données génétiques, compte tenu de la population canadienne. Enfin, la recherche par liens de parenté a permis de faciliter des enquêtes sur certains crimes graves alors que les autres méthodes d’enquête n’avaient pas donné de résultats.

À l’origine, en 2000, il y avait 16 infractions primaires et 25 infractions secondaires pour lesquelles il était possible de rendre une ordonnance de prélèvement de la Banque nationale de données génétiques, et en 2008, à la suite d’un projet de recherche du ministère de la Justice du Canada, qui a permis de cerner cet écart important entre le nombre de profils d’identification génétique qui auraient pu être soumis et le nombre l’ayant réellement été, des modifications législatives ont été apportées pour supprimer le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance dans le cas de certaines infractions. Je le mentionne parce que les ordonnances automatiques ne sont pas une nouveauté dans la loi. Il y a eu une légère amélioration, mais le nombre de profils reçus est demeuré bien en deçà de ce qui était prévu. En bref, la Banque nationale de données génétiques ne reçoit pas le nombre de profils prévu, compte tenu de la population canadienne, et elle ne peut pas utiliser une méthode médico-légale bien établie : la recherche par liens de parenté.

Le Comité consultatif appuie le prélèvement automatique d’échantillons d’ADN sur déclaration de culpabilité de tout adulte relativement à une infraction désignée. Cette position a été clairement exprimée devant les comités de la Chambre et du Sénat qui ont examiné la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques en 2009 et 2010. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes ont déjà formulé une telle recommandation dans leurs rapports sur la question. Dans un rapport publié en 2010, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a recommandé que le Code criminel soit modifié pour permettre le prélèvement immédiat et automatique d’échantillons d’ADN de tout adulte déclaré coupable d’une infraction désignée. Le Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques considère qu’il s’agit de la modification législative la plus importante qui pourrait renforcer considérablement la valeur et l’incidence positive de la Banque nationale de données génétiques pour les Canadiennes et les Canadiens.

Le 3 décembre 2015, le Comité consultatif a recommandé l’adoption de la recherche de liens de parenté. L’ancien président du Comité consultatif, Richard Bergman, a discuté de la recherche par liens de parenté avec un comité sénatorial dès 2009. Si, après une recherche de routine, aucune correspondance exacte n’est trouvée, une recherche de profils d’ADN semblables pourrait permettre d’identifier d’autres personnes d’intérêt qui méritent de faire l’objet d’une enquête plus poussée. Le Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques a conclu que les avantages pour la sécurité publique du recours à la recherche par liens de parenté l’emportent sur les risques inhérents associés à la protection de la vie privée.

Nous devons trouver un juste équilibre entre la protection de la vie privée de la personne et l’utilisation de méthodes judiciaires modernes pour enquêter sur certaines infractions. Il faut tenir compte de l’aspect humanitaire lié au fait de ne pas faire tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger le public. Le public reste à risque lorsque des criminels violents demeurent en liberté. Par conséquent, le Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques vous exhorte à envisager la mise en œuvre de ces changements importants.

Merci, monsieur le président.

Le président : Vous avez dépassé votre temps d’une seconde, monsieur Prevett. Merci beaucoup.

J’invite le chef adjoint par intérim Chan et le sergent-détective Smith à présenter leur exposé.

Andrew Chan, chef adjoint par intérim, Service de police de Vancouver, Association canadienne des chefs de police : Merci, monsieur le président.

Honorables sénateurs et distingués membres du comité, au nom du chef Danny Smyth, président de l’Association canadienne des chefs de police, je suis heureux de vous rencontrer aujourd’hui. Je suis le chef adjoint par intérim Andrew Chan du Service de police de Vancouver. Je représente le Comité de l’ACCP sur les amendements législatifs et je suis accompagné du sergent-détective par intérim Stephen Smith, membre de l’Unité des homicides et des personnes disparues de la police de Toronto. Nous sommes heureux d’avoir l’occasion de vous parler aujourd’hui du projet de loi S-231. Nous avons également préparé un mémoire que, nous l’espérons, vous avez eu l’occasion d’examiner.

Depuis plus de 20 ans, la Banque nationale de données génétiques est un outil important pour l’application de la loi et nous considérons que le projet de loi S-231 représente une occasion de la rendre plus efficace. Après avoir brièvement exprimé notre soutien en faveur des principales dispositions du projet de loi, nous vous proposerons d’autres amendements.

La collecte et l’utilisation de profils ADN protègent la société et l’administration de la justice en facilitant la détection précoce, l’arrestation, et la condamnation des auteurs d’infractions criminelles. Elle permet également de simplifier les enquêtes et de protéger les personnes innocentes en éliminant les suspects et en exonérant les personnes condamnées à tort.

D’autres pays et États américains ont élargi leurs régimes de bases de données génétiques pour y inclure toutes les infractions que nous qualifierions d’actes criminels ou d’infractions hybrides, alors que la liste au Canada demeure restrictive. L’ACCP appuie la désignation comme infraction primaire toute infraction prévue par le Code criminel et d’autres lois fédérales qui est punissable par mise en accusation et assortie d’une peine d’emprisonnement de cinq ans ou plus, et comme infraction secondaire, toute infraction punissable par mise en accusation assortie d’une peine d’emprisonnement de moins de cinq ans, y compris les infractions punissables sur déclaration sommaire qui peuvent également faire l’objet d’une mise en accusation. Une telle modification cruciale permettra d’accroître l’utilité globale de la Banque nationale de données génétiques. Nous pensons qu’il est possible de le faire en respectant les obligations de la Charte et les principes de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, tout en parvenant à un équilibre approprié entre les droits individuels et la sécurité publique.

Les progrès de la technologie de l’ADN ont permis aux services de police de prélever des échantillons non identifiés sur les scènes de crime et de repérer des membres potentiels de la famille des suspects grâce à la recherche de marqueurs héréditaires. Le projet de loi S-231 modifierait la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques afin de permettre une recherche visant à établir si un profil génétique soumis pour comparaison pourrait être celui d’un parent biologique d’une personne dont le profil génétique figure dans les différents fichiers d’empreintes génétiques. L’ACCP soutient en principe cet amendement.

L’ACCP soutient également l’efficience rendue possible par l’amendement proposé qui permettrait à un agent de la paix de renoncer au prélèvement d’un échantillon d’ADN s’il est convaincu que l’ADN de la personne figure déjà dans le fichier des condamnés.

Je vais maintenant souligner trois autres amendements proposés.

Le premier amendement concerne la demande d’ordonnance de prélèvement d’ADN après l’audience de détermination de la peine. Il faudrait rendre les ordonnances de prélèvement d’ADN pour les infractions primaires et secondaires lors de la détermination de la peine pour les infractions primaires et secondaires afin de simplifier la procédure et d’assurer la cohérence. En ce qui concerne les autres amendements proposés, le paragraphe 487.053(3) du Code criminel permettrait au tribunal de rendre une ordonnance de prélèvement d’ADN à exécuter dans les 90 jours suivant la fin des procédures judiciaires dans certaines circonstances. L’ACCP soumet respectueusement que la capacité de la Couronne à demander une ordonnance de prélèvement d’ADN après l’audience de détermination de la peine ne devrait pas être limitée dans le temps ou que la Couronne devrait avoir la possibilité de demander à la Cour l’autorisation de prolonger le délai pour demander une ordonnance de prélèvement d’ADN dans les circonstances appropriées.

Le deuxième amendement proposé concerne le fait de fixer la date, l’heure et le lieu du prélèvement d’échantillons corporels. Le paragraphe 487.051(4) permet au tribunal de rendre une ordonnance autorisant le prélèvement d’échantillons corporels et exigeant que le contrevenant se présente à l’endroit, au jour, et à l’heure indiqués dans l’ordonnance. L’ACCP estime que le délinquant et la police devraient pouvoir convenir d’une heure et d’une date données ou reporter le prélèvement d’échantillons d’ADN dans des circonstances appropriées au cours d’une période donnée. Cela serait particulièrement utile dans les régions rurales et nordiques.

L’ACCP soutient que les comparaisons d’ADN visant les parents biologiques, telles que proposées dans le paragraphe 6.41(1) de la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, ne devraient pas inclure le fichier des victimes et le fichier des donneurs volontaires, car cela pourrait entraîner des conséquences inattendues touchant l’obtention d’échantillons d’ADN de la part de ces donneurs.

Enfin, le paragraphe 6.41(2) proposé pour ce projet de loi prévoit que le commissaire peut effectuer une comparaison d’ADN visant les parents biologiques dans certaines circonstances. L’ACCP estime que le mot « peut » devrait être remplacé par « doit » et que la comparaison familiale d’ADN devrait être obligatoire tant que le commissaire est convaincu que les conditions préalables énumérées dans le projet de loi ont été respectées.

En conclusion, dans l’ensemble, l’ACCP appuie le projet de loi S-231, et nous croyons qu’il améliorera la sécurité de tous les Canadiens. En terminant, nous tenons à remercier l’honorable sénateur Carignan et son personnel d’avoir rédigé un projet de loi qui vise à moderniser la Banque nationale de données génétiques et l’utilisation de l’ADN dans le cadre des enquêtes.

Nous vous remercions et nous serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, chef adjoint Chan.

Nous avons une liste de questions. Nous sommes un peu pressés par le temps, alors je vais nous inviter, chers collègues, à limiter nos interventions à quatre minutes chacune. S’il nous reste du temps, nous reviendrons à vous.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. Messieurs Chan et Smith, j’aimerais qu’on revienne à la base du projet de loi et à la base de votre travail. On sait qu’il y a des familles qui nous écoutent aujourd’hui, possiblement des proches de gens qui ont été assassinés ou qui ont disparu et qui attendent depuis des années et des décennies. On sait que le taux de résolution des crimes au Canada, notamment les meurtres et les disparitions criminelles, est très faible à cause d’un manque d’outils pour soutenir le travail des policiers. En quoi cet outil va-t-il enfin donner des réponses aux familles qui attendent des réponses depuis des années?

[Traduction]

Stephen Smith, sergent-détective, Unité des homicides et des personnes disparues, Service de police de Toronto, Association canadienne des chefs de police : Merci, monsieur.

Plus nous intégrerons de profils génétiques dans notre banque nationale de données génétiques par l’intermédiaire de notre fichier des condamnés, plus il y a de probabilités que ces profils soient associés à un fichier de criminalistique lié à un crime assorti d’un profil génétique inconnu que nous n’avons pas encore apparié à un délinquant. Essentiellement, lorsque nous avons un profil génétique non identifié sur une scène de crime, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Plus il y a de profils génétiques dans nos dossiers, plus il y a de chances d’obtenir une concordance.

Les recherches par liens de parenté, même si elles sont limitées aux parents, aux frères et sœurs ou aux enfants, permettraient également de trouver un délinquant qui a commis une infraction et qui a laissé son ADN sur les lieux d’un crime. Nous pourrions faire un tel lien, puis de revenir aux méthodes policières traditionnelles pour nous assurer que la personne est bien le contrevenant et, le cas échéant, de l’arrêter.

Le sénateur Dalphond : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui.

Je regarde votre mémoire, chef Chan et monsieur Smith. Je m’intéresse aux comparaisons visant les parents biologiques. Vous avez parlé d’un cas bien connu en Californie où l’identification a finalement été rendue possible à partir des données d’entreprises offrant des tests d’ADN aux consommateurs. Proposez-vous que nous allions dans cette direction, ou aurez-vous seulement accès à la banque qui est sous le contrôle de la GRC? Empêchera-t-on les policiers de demander l’aide d’entreprises qui offrent des d’ADN avec ou sans mandat?

M. Smith : Monsieur, je ne crois pas. Ce sont deux choses complètement différentes. Ce que nous proposons, ce sont des analyses pour établir des correspondances avec d’autres membres de la famille par l’intermédiaire de la Banque Nationale de données génétiques seulement avec le fichier des condamnés. La généalogie génétique d’enquête est une technique d’enquête utilisée par les services de police. Je pense qu’on a une peu une idée fausse. Nous n’utilisons pas toutes les sources d’ADN de consommation ou facturées à l’utilisation aux États‑Unis, 23andMe et AncestryDNA interdisent l’intervention de la police. On ne peut pas y avoir accès. Aux États-Unis, il n’y a que deux bases de données qui permettent à la police de participer à la généalogie génétique d’enquête, et il s’agit de GEDmatch et de FamilyTreeDNA. Dans les deux cas, c’est inscrit dans les conditions de service, et on demande aux gens leur consentement éclairé. Dans GEDmatch, il faut en fait cliquer d’un non à un oui pour que la police puisse utiliser les données génétiques. Il s’agit donc de deux techniques complètement différentes.

Le sénateur Dalphond : Mais, est-elle utilisée, maintenant?

M. Smith : Oui, elle est utilisée maintenant.

Le sénateur Dalphond : Par les forces policières canadiennes?

M. Chan : C’est exact.

Le sénateur Dalphond : Elles consultent la banque de données américaine.

M. Chan : C’est une banque de données mondiale, alors n’importe qui dans le monde peut y entrer son ADN. Essentiellement, on peut consigner son ADN dans une base de données de consommateurs comme AncestryDNA, et, si on veut en extraire son profil génétique, on peut le déplacer vers ce qu’on appelle GEDmatch. C’est une sorte de centre d’échange de toutes les sources d’ADN, de toutes les unités sources — 23andMe, AncestryDNA —, et les gens y mettent leur ADN pour obtenir de plus vastes correspondances parce que, dans le milieu de la généalogie, les correspondances que l’on obtient ne proviennent que de sa base de données.

Afin que ce soit clair, si la police avait accès à Ancestry.com, nous résoudrions probablement toutes les affaires classées du monde parce qu’il y a tant de profils dans cette base de données. Mais nous n’avons pas accès à ces bases de données, juste pour que ce soit bien clair.

Le sénateur Dalphond : J’aurai d’autres questions à poser plus tard. Merci.

Le sénateur Prosper : Monsieur Chan, je suis très curieux au sujet du processus relatif aux liens de parenté. J’aimerais que vous nous expliquiez un peu la méthode qui consiste à utiliser des marqueurs précis comme données de comparaison. Comme vous l’avez laissé entendre, je crois, lorsque ces marqueurs sont utilisés comme base, il y a les moyens dont dispose traditionnellement la police, que vous avez mentionnés sur le même sujet. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce contexte? Merci beaucoup.

M. Chan : Merci. Je m’en remets à mon collègue pour ce qui est des comparaisons d’ADN visant les parents biologiques. Il est l’expert en la matière. Je pourrai aborder certaines des autres techniques policières conventionnelles.

M. Smith : Merci, monsieur.

Ce sont deux flux d’ADN très différents. Notre Banque Nationale de données génétiques utilise l’ADN STR, c’est-à-dire les courtes répétitions en tandem. Ce sont essentiellement les 20 marqueurs qui distinguent une personne de toutes les autres dans le monde. Vous avez votre propre ensemble de 20 marqueurs de répétition génétiques. En généalogie génétique d’enquête ou pour la recherche de correspondances génétiques familiales, on utilise le SNP, ou polymorphisme mononucléotidique. Il s’agit du gène entre les gènes, et on en a des centaines de milliers, voire des millions. On peut analyser les SNP dans l’ADN pour montrer dans quelle mesure une personne est apparentée à n’importe qui dans le monde. On y trouve la couleur des yeux, des cheveux et ce genre de choses qui sont transmises de génération en génération. Mais pour les fins de la Banque Nationale de données génétiques, nous n’utilisons que les données STR, et ce, même dans le cas des analyses visant à établir des correspondances avec d’autres membres de la famille, ce qui signifie que nous n’utilisons que de 13 à 20 marqueurs, selon la mesure dans laquelle l’échantillon d’ADN est complet. Voilà pourquoi elle nous limite aux correspondances avec les parents, les enfants ou les frères et sœurs. Nous n’allons pas jusqu’aux cousins, pas si loin. C’est l’unité familiale serrée.

La sénatrice Batters : Je vous remercie tous de votre présence, y compris nos témoins en ligne.

Je m’adresse à ceux de l’Association canadienne des chefs de police. Le 13 janvier 2022, Alexandra Foster, du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, a écrit au président du Comité consultatif de la Banque Nationale de données génétiques, Brendan Heffernan, pour lui faire part de ses préoccupations au sujet de l’aspect du projet de loi S-231 qui augmente le nombre d’infractions exigeant que les condamnés fournissent un échantillon d’ADN à partir du dossier des condamnés de la banque. Je vais vous lire un extrait de la lettre de Mme Foster parce que je veux connaître votre point de vue sur son raisonnement.

Nous remarquons que la raison pour laquelle la collecte automatique de profils génétiques serait nécessaire ou utile n’est pas claire en ce qui concerne des infractions comme le parjure, le libelle diffamatoire ou le méfait public, pour n’en nommer que quelques-unes. En outre, il devrait y avoir des preuves démontrables de la nécessité de rendre obligatoires les ordonnances de prélèvement d’échantillon au moment de la condamnation et de retirer le pouvoir discrétionnaire aux juges. Par ailleurs, à nos yeux, il n’est pas évident, d’après les données probantes présentées, que les avantages l’emportent […]

Pourriez-vous me dire ce que vous pensez des commentaires qu’elle formule dans ce passage?

M. Chan : Merci.

Du point de vue de l’ACCP, certaines préoccupations valables ont été soulevées dans ce que vous venez de lire. L’objectif des amendements à ce projet de loi est de permettre aux services de police du Canada d’avoir un accès élargi à des techniques d’enquête, y compris l’ADN, pour résoudre les affaires majeures et les infractions avec violence. Certaines des infractions que vous avez mentionnées ne sont absolument pas avec violence; cependant, il a été prouvé qu’elles ont été liées à des infractions avec violence commises par les mêmes personnes. Des exemples ont déjà été donnés.

Je ne sais pas si mon collègue a quelque chose à ajouter?

M. Smith : Oui, j’ai quelques brèves observations à faire.

Nous remarquons dans les tribunaux que les juges oublient parfois de rendre l’ordonnance ou que les procureurs de la Couronne oublient de la demander. C’est pourquoi nous demandons qu’elle soit automatique. Ainsi, il ne manquera pas dans la banque de données les personnes dont nous avons besoin et qui ne sont pas visées par une ordonnance les obligeant à y consigner leur ADN.

La sénatrice Batters : Merci.

Aussi — je m’adresse à vous deux —, le professeur Crawford a témoigné devant le comité au sujet du projet de loi, et je vous cite un extrait de ses observations pour vous demander si vous êtes d’accord avec sa déclaration sur la recherche de liens de parenté :

[L]e système CODIS […] peut servir à effectuer des comparaisons juxtaposées entre membres d’une même famille, mais on sait également qu’il est très peu efficace pour la recherche de parents dans les banques de données et qu’il ne permet pas d’identifier des parents éloignés. Pour ces raisons, en 2022, le FBI a interdit [son] utilisation […] pour les recherches par liens de parenté.

Quelles sont vos réactions à ces commentaires?

M. Chan : Je crois qu’il y avait d’autres mémoires qui donnaient une perspective différente de ce témoignage. Voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Smith : Oui.

Simplement pour que ce soit clair, les Américains ont recours à l’analyse visant à établir des correspondances avec d’autres membres de la famille. Le système CODIS est conçu à cette fin. Nous avons ce système. Ces analyses ne sont tout simplement pas activées. Cette fonction est désactivée au Canada. Les Américains l’utilisent. Ce ne sont pas tous les États américains qui le font, mais la plupart s’en servent maintenant.

D’autre part, pour ce qui est de montrer des parents éloignés, c’est exact. Comme je l’ai dit, puisqu’on utilise l’ADN STR, on ne peut pas aller au-delà des parents, des enfants ou des frères et sœurs et avoir la capacité de le prouver.

La sénatrice Batters : Permettez-moi de vous interrompre, car je veux poser ma question. Je crois bien comprendre que les grands États, comme la Californie et New York… ce sont deux des États qui permettent ce genre de recherche de liens de parenté. Est-ce exact?

M. Smith : C’est exact, oui.

Le président : Si nous pouvions revenir en arrière, sénateur Prosper, il se peut que j’aie interrompu le chef adjoint Chan en répondant à une partie de votre question. Je tiens à m’excuser. J’ai l’impression de vous avoir coupé la parole. Vous pouvez prendre un instant pour nous en reparler, si vous le souhaitez.

Le sénateur Prosper : Oui. Je crois que vous étiez prêt à répondre à cette deuxième question sur les méthodes policières traditionnelles. Je voulais entendre votre point de vue.

M. Chan : Merci, sénateur.

Pour répondre à votre question, je n’entrerai pas dans les détails des autres techniques d’enquête, mais nous avons dit dans notre mémoire que la comparaison d’ADN visant les parents biologiques ne serait qu’un outil parmi tant d’autres. La police a accès à une foule d’autres techniques. Nous ne l’utiliserions pas dans tous les cas. La police emploierait régulièrement les techniques traditionnelles, comme les enquêtes normales, les entrevues, la surveillance, et ainsi de suite. Cet outil ne fait que renforcer notre capacité d’arrêter les contrevenants et de placer les bonnes personnes sous garde.

La sénatrice Simons : Ma question s’adresse à M. Bieber. J’ai fait des recherches sur vous, et je constate que, comme notre président, vous êtes né en Saskatchewan, mais que vous avez passé la majeure partie de votre carrière aux États-Unis. Vous avez fait un travail remarquable dans la foulée de l’attaque terroriste du 11 septembre et de l’ouragan Katarina en utilisant l’ADN pour identifier les victimes.

Comme il y a longtemps que vous n’avez pas vécu au Canada, vous n’êtes peut-être pas aussi au courant de la crise que nous vivons au pays en raison de la surreprésentation des Autochtones au sein de notre population carcérale où, par exemple, 48 % des détenues dans les prisons fédérales pour femmes du pays sont des Autochtones. Ce chiffre est encore plus élevé dans les Prairies. Dans l’ensemble, bien au-delà de 30 % des personnes condamnées et purgeant une peine de ressort fédéral sont des Autochtones.

Je m’inquiète de l’existence d’un genre d’effet boule de neige. Cela signifie qu’un nombre disproportionné, voire démesuré, des échantillons proviendrait de prisonniers autochtones, ce qui faciliterait la condamnation de futurs criminels autochtones par la recherche de correspondances génétiques familiales ou simplement par la récidive. Je crains que cela n’ait un effet multiplicateur sur le nombre d’Autochtones en détention. C’est une question que la sénatrice Clement a soulevée au cours de sa conversation avec le sénateur Carignan, mais, monsieur Bieber, j’aimerais savoir ce que vous en pensez, d’un point de vue éthique.

Frederick R. Bieber, expert en éthique biomédicale, Brigham and Women’s Hospital, Pathologie, Comité consultatif de la Banque Nationale de données génétiques : Je vous remercie de poser la question.

En fait, j’étais à Regina il n’y a pas très longtemps, et j’ai rencontré certains des chefs tribaux autochtones. Je travaille avec RCAANC, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, relativement aux graves problèmes dans les écoles et à la possibilité d’utiliser l’ADN.

Je connais très bien ce concept. Il est important de comprendre que, dans de nombreux pays du monde, la majorité des victimes de crimes violents sont aussi des femmes appartenant à une minorité. La question que je nous pose à tous pour la forme, c’est comment pouvons-nous tourner le dos aux femmes de couleur, aux groupes tribaux, alors que nous savons que nous disposons dans la boîte à outils d’outils qui pourraient nous aider à identifier les auteurs d’actes criminels, commis en l’occurrence contre des femmes et des enfants autochtones au Canada?

La plupart des crimes sont commis à l’intérieur d’un groupe social — pas entre groupes sociaux. Ce n’est pas toujours la règle, mais, dans l’ensemble, jusqu’à maintenant, dans les pays du monde qui ont utilisé la recherche de liens de parenté, si la police enquête sur un crime contre une femme de couleur, par exemple, ils sont plus susceptibles de trouver une personne d’intérêt potentielle dans la même catégorie de personnes.

Le meilleur exemple qui me vient à l’esprit, c’est la première recherche de liens de parenté aux États-Unis, qui a été effectuée en 2008, deux ans seulement après la publication dans la revue Science, en 2006, de notre article décrivant la méthode, l’algorithme statistique, permettant d’effectuer une recherche de liens de parenté. Soit dit en passant, cet article était fondé sur notre travail humanitaire lors des attentats du 11 septembre et lors d’écrasements d’avions où nous avons recours à des parents biologiques proches pour identifier les victimes de ces catastrophes de grande envergure. La toute première fois que la Californie a fait l’essai de la méthode que nous avons décrite dans notre article paru dans la revue Science, elle a trouvé une personne qui a depuis été condamnée. Toutes les victimes de cet homme étaient des femmes de couleur, noires, afro-américaines. Chacune appartenait à ce qu’on appelle un groupe minoritaire.

L’autre aspect de la justice, ce sont les droits des victimes et des victimes potentielles. Honnêtement, je ne sais pas… et j’ai réfléchi à la question sous tous les angles. Je travaille constamment avec des juges, des avocats de la défense, des tribunaux, partout dans le monde. Je ne comprends pas comment nous pouvons faire fi d’un outil important lorsqu’il est utilisé dans des circonstances très limitées — des circonstances très, très limitées — lorsque tous les autres moyens d’enquête utilisés par les agents de la GRC ou les policiers ont abouti à une impasse et qu’il y a encore des victimes potentielles. Je ne comprends pas pourquoi nous ne pourrions pas l’utiliser dans ces cas très sélectifs, avec toutes les contraintes que le projet de loi C-231 impose.

Tout groupe consultatif que le Sénat ou le ministère de la Justice voudra mettre sur pied pourra déterminer dans quels cas nous utiliserons les recherches de liens de parenté et si elles sont justifiées. Pratiquement tout le temps, un seul nom est donné aux forces de l’ordre. Il ne s’agit pas d’un vaste ratissage où les gens défoncent la porte de tout le monde dans un quartier. Ce n’est habituellement qu’un seul nom d’un parent très proche, comme vous l’avez déjà entendu dire aujourd’hui, d’un parent, d’un enfant, d’un frère ou d’une sœur. Parce que, pour que ces recherches fonctionnent au moyen des marqueurs STR qui sont utilisés au Canada ou ailleurs, il faut que ce soit un parent au premier degré, quelqu’un qui a la moitié de son ADN en commun avec une personne dont le profil figure dans la banque de données.

J’espère que c’est utile.

Le président : Merci, monsieur Bieber.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci aux témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse aux deux représentants de l’Association canadienne des chefs de police. Selon ce que je comprends, la Banque nationale de données génétiques est responsable de deux principaux fichiers : celui des condamnés et ce que l’on appelle le « fichier de criminalistique ».

On fait aussi référence au fait que, depuis 2018, la banque possède également un fichier des personnes disparues, des parents des personnes disparues, des restes humains, des victimes et des donneurs volontaires.

Pouvez-vous m’expliquer l’interrelation entre ces trois banques de données? Quel est l’effet du projet de loi S-231, selon vous, sur cette interrelation entre les trois banques de données?

[Traduction]

M. Smith : Merci.

En réalité, le projet de loi S-231 n’aurait d’incidence que sur les bases de données des condamnés et de criminalistique. Ce serait avec ces deux fichiers que nous comparerions nos données lorsque nous utiliserions les analyses visant à établir des correspondances avec d’autres membres de la famille.

Les autres fichiers sont utilisés pour retrouver les personnes disparues. Dans le passé, nous ne faisions pas un bon travail de collecte de l’ADN des personnes disparues. Maintenant, lorsque des gens sont portés disparus, nous allons recueillir, si nous le pouvons, leur ADN, si nous sommes capables d’obtenir une brosse à cheveux, une brosse à dents ou quelque chose du genre. Si ce n’est pas possible, nous recueillons l’ADN d’un parent le plus proche possible, et nous le consignons dans ces fichiers.

Nous trouvons parfois des restes humains non identifiés, et ce pourrait être dans 20, 30 ou 40 ans, et nous aurons cet ADN au dossier. Une fois que nous aurons prélevé l’ADN du squelette, nous serons en mesure de rechercher une correspondance avec un membre de la famille dans les fichiers des personnes disparues et de dire sans équivoque que cette personne est celle qui a disparu il y a 40 ans, dans n’importe quelle ville du Canada. Nous avons tendance à retrouver nos personnes disparues dans tout le pays. Elles sont éparpillées un peu partout, et il se peut qu’on ne les retrouve pas avant des années si elles ont abouti dans une région boisée ou quelque chose du genre. C’est à cela que servent ces fichiers, mais ils ne sont pas touchés par le projet de loi S-231. Ce sont les fichiers de criminalistique et des condamnés, pour résoudre les infractions criminelles non résolues.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Qu’est-ce qui fait qu’il y a une coupure entre les deux premiers fichiers et le troisième, celui sur les personnes disparues? Est-ce une pratique des corps de police? Est-ce qu’il pourrait y avoir une communication, des informations partagées entre les deux premiers et le troisième?

[Traduction]

M. Smith : En principe, ce serait possible. Pour ce qui est des préoccupations en matière de protection de la vie privée, nous ne voulons pas traiter les personnes disparues considérées comme des criminels. Les disparitions sont un domaine, et les crimes en sont un autre. Ils ne se chevauchent jamais. Le fait de disparaître n’est pas un crime. Nous voulons maintenir cette séparation par souci de protection de la vie privée et ce genre de choses. Je pense que vous constatez que nous avons fait de grands progrès en ce qui concerne les personnes disparues au cours des dernières années, surtout à Toronto. Une personne qui a été portée disparue n’a pas à être définie par cela jusqu’à la fin de ses jours. Les gens disparaissent pour toutes sortes de raisons, et nous voulons donc protéger leur vie privée. Ils ont peut-être pris une courte pause à cause de quelque chose qui s’est passé dans leur vie, et nous voulons nous assurer qu’ils ne sont pas considérés comme des criminels ou que cela n’a pas de répercussions sur eux pour le reste de leur vie. La vie d’un jeune qui a été porté disparu à l’âge de 18 ans ne doit pas être placée sous le signe de cette disparition.

Le président : Merci à vous deux. Comme vous pouvez le constater, le temps file, et je voulais offrir au parrain du projet de loi, le sénateur Carignan, la possibilité de faire la dernière intervention.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aux policiers et a trait aux propositions d’amendement. Je comprends bien le « peut » par opposition au « doit ». D’ailleurs, la sénatrice Dupuis en a déjà parlé; je me suis aussi interrogé sur le terme que l’on devait utiliser — c’est le terme « peut » qui a été choisi. Sur la question des 90 jours pour l’infraction, il y a deux types d’infractions : l’une est imposée automatiquement lors de la sentence et pour l’autre, j’ai décidé de mettre 90 jours. La raison, c’est que pour la première, quand c’est automatique, le prévenu est reconnu coupable. Le juge n’a pas la discrétion requise pour ordonner de prendre un échantillon. Pour le deuxième type d’infraction, le juge doit décider, mais l’accusé a un droit de représentation de ne pas utiliser son ADN et de ne pas donner de prélèvement. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de mettre 90 jours, pour permettre de faire des démarches adéquates.

Avec cette explication, cela change-t-il votre opinion sur le projet d’amendement, ou trouvez-vous que c’est une réponse logique qui respecte une certaine bonne foi dans la représentation de la personne sur le prélèvement de son ADN?

[Traduction]

M. Smith : Je pense que notre position à ce sujet, c’est qu’il faut imposer des limites, pour la simple raison qu’il y a d’innombrables variables qui entrent en ligne de compte et auxquelles on ne peut même pas penser. Une personne qui est condamnée à distance et qui se trouve peut-être dans un autre pays pourrait ne pas purger de peine. Pouvons-nous obtenir son ADN dans les 90 jours? Peut-être quelque chose comme « sans délai », sans plus de précision, pour la fourniture de l’ADN. Évidemment, tout un processus devra être mis en place pour recueillir cet ADN. Notre point de vue, c’est simplement qu’il faut fixer une limite de temps. Et si ce délai de 90 jours arrive à expiration, est-ce que cela signifie que nous ne pouvons plus recueillir d’ADN? Ou devons-nous demander une prorogation aux tribunaux? Je pense que si nous modifions un peu le libellé pour y faire figurer quelque chose comme « sans délai », cela nous donnerait la possibilité de recueillir l’information dans l’immédiat ou dès que possible.

Le président : Merci, monsieur.

Voilà qui met un terme à cette série d’échanges avec les témoins. Une fois de plus, je vous remercie, honorables sénateurs, de la grande précision de vos interventions. Je remercie également les témoins d’avoir fourni des réponses concises, précises et très utiles à nos questions, et de nous avoir permis de comprendre un peu mieux le projet de loi. J’aimerais conclure cette table ronde en vous remerciant tous les quatre d’être venus ici aujourd’hui et de nous avoir aidés à accroître sensiblement notre compréhension du projet de loi.

Chers collègues, si cela vous convient, je propose que nous poursuivions nos travaux, car il y a deux points dont nous devons nous occuper. Des observations en anglais et en français sont en train d’être distribuées. Elles doivent être annexées au rapport du comité sur le projet de loi S-13. Elles ont été commandées par le comité, et le comité directeur a rédigé le tout, selon ce qui a été convenu par ses membres. Une phrase a été ajoutée, et elle est surlignée en gris à la deuxième page en anglais et en français. J’espère que vous serez d’accord avec ce modeste ajout. Je suis conscient que vous venez tout juste de le recevoir, exception faite de la personne qui a rédigé le texte. Écoutons la sénatrice Simons, qui est l’artisane de cette phrase.

La sénatrice Simons : J’ai deux choses à dire.

Ce rapport n’a pas pour objet de nommer un témoin en particulier, mais la phrase renvoie aux préoccupations soulevées par Natan Obed, qui a dit lors de son témoignage qu’il n’y avait pour ainsi dire pas eu de consultation auprès de l’Inuit Tapiriit Kanatami. C’est précisément ce dont il est question ici.

Il y a quelque chose que je dois ajouter en tant que police de la grammaire, et vous pouvez vous fâcher contre moi. Le mot anglais « fulsome » est une insulte. Il renvoie à quelque chose d’excessif ou de bassement flatteur. Un compliment « fulsome » consisterait à dire : « Oh, Bernadette, j’adore cette veste. Elle vous va si magnifiquement bien. » Pourrions-nous employer un terme comme « thorough », « complete » ou un autre qui ne risque pas d’être mal interprété?

Une voix : « Full ».

La sénatrice Simons : « Full », c’est bien. Le mot n’est pas utilisé en français.

Le président : D’accord. Est-ce que cela vous convient?

La sénatrice Pate : Je croyais que plus d’un témoin avait dit qu’il n’y avait pas eu de consultation.

La sénatrice Simons : Il y a peut-être eu plus d’un témoin.

La sénatrice Pate : Pouvons-nous simplement dire « witnesses »?

Le président : Je pense qu’il faudrait dire « some witnesses », car si l’on dit simplement « witnesses »...

La sénatrice Simons : Cela me convient.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je reviens avec ma préoccupation habituelle, quand on dit dans la phrase précédente :

La plupart des témoins ont souligné de manière non équivoque le besoin de mener des consultations complètes avec les peuples autochtones quant à la mise en œuvre du plan d’action notamment en ce qui concerne les modifications.

Si on ajoute : « Un témoin a soulevé des préoccupations quant à l’absence de consultations », je pense qu’on devrait dire dans la phrase précédente « la plupart des témoins », ou « plusieurs témoins ont souligné de manière non équivoque que », ou « ont souligné l’absence de consultations et le besoin de mener des consultations complètes ». Ce ne sont pas deux choses séparées. Plusieurs témoins, et je suis d’accord avec eux, ont dit qu’il n’y avait pas eu de consultations et que c’était essentiel de faire des consultations complètes.

Si tout est dans la même phrase, c’est la même réalité dont on parle, et on n’a pas besoin d’ajouter quelque chose qui a l’air d’être détaché de la phrase qui précède.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Puis-je répondre ou dois-je attendre mon tour?

Le président : C’est votre tour.

La sénatrice Simons : Merci.

Je pense que vous avez raison. Nous pourrions peut-être modifier légèrement la phrase au-dessus, et alors nous n’aurons pas besoin de la deuxième phrase. « Most witnesses categorically emphasized the necessity of full consultation with Indigenous peoples of… »

La sénatrice Dupuis : Étant donné que de telles consultations n’ont pas encore eu lieu.

La sénatrice Simons : « Full and complete ». En français, c’est mieux. On parle de « consultations complètes ». Si nous utilisions les termes « complètes » et « full »...

[Français]

La sénatrice Dupuis : Est-ce qu’on peut mettre ce qui suit dans votre phrase à vous, en anglais :

[Traduction]

Several witnesses raised concerns regarding lack of consultation. It makes clear the need for complete consultations with Indigenous peoples.

La sénatrice Simons : Oui, et alors on supprime la phrase précédente.

[Français]

La sénatrice Dupuis : On pourrait demander au comité directeur de combiner les deux phrases pour en faire une seule.

[Traduction]

Le président : Est-ce la volonté du comité?

Nous avions prévu de déposer ce rapport dans environ une heure. Cette conversation est utile, mais elle fait en sorte qu’il sera quelque peu difficile d’entrer au Sénat à 13 h 45.

La sénatrice Batters : J’ai des commentaires plus généraux à ce sujet. Lorsque le texte a été distribué il y a deux minutes, je m’attendais à y voir une très brève observation concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ou DNUDPA. Ce n’est vraiment pas ce à quoi je m’attendais. Je ne m’attendais pas à ce qu’on y reprenne certains des témoignages. Je croyais que cela porterait beaucoup plus sur la consultation que sur ces autres questions.

Comme nous venons tout juste de recevoir cela, je n’ai pas la possibilité de me reporter à ce que nous avons effectivement entendu ni à ce que nous avions envisagé quant au contenu de l’observation. Habituellement, bien sûr, nous recevons les observations bien avant la réunion, de sorte que nous avons l’occasion de les examiner et de faire cela par la suite. Nous pourrions peut-être reporter cela à notre prochaine réunion. Nous aurons alors la possibilité d’examiner cela et d’avoir une meilleure discussion que celle d’une minute que nous sommes en train d’avoir.

Le président : Permettez-moi de dire que, hormis l’ajout de la sénatrice Simons, ce texte a été distribué au comité tard hier, une fois qu’il a été approuvé par le comité directeur.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je propose donc que l’on supprime complètement la phrase en gris et que l’on dépose le rapport sans plus tarder, puisque, dans la phrase en français, c’est très clair que c’est ce que les témoins nous ont dit.

Comme on avait déjà convenu que c’était très bien et que vous aviez déjà eu le mandat de le faire, je propose que le rapport soit adopté tel quel, qu’on enlève le gris et que le rapport soit déposé le plus rapidement possible.

Le sénateur Boisvenu : Je fais plutôt référence au ton de la phrase finale, où on peut lire que ce comité « exhorte le gouvernement ».

Je pense qu’on est plutôt dans une démarche où l’on fait une recommandation au gouvernement, parce que dans le mot « exhorter », il y a une notion de commandement. Je pense que si l’on fait...

Le sénateur Dalphond : « Invite le gouvernement »?

Le sénateur Boisvenu : Oui, « invite le gouvernement » plutôt que « exhorte ». « Exhorter », c’est « faites-le tout de suite ».

L’autre élément, c’est de décider si l’on recommande la mise en œuvre ou une consultation pour la mise en œuvre.

La sénatrice Dupuis : On recommande de mener des consultations.

Le sénateur Boisvenu : Et non la mise en œuvre?

Le sénateur Dalphond : Des consultations.

Le sénateur Boisvenu : Parce que quelque part, il est indiqué que l’on recommande la mise en œuvre de la loi.

Le sénateur Dalphond : Le dernier paragraphe commence ainsi : « Ce comité invite le gouvernement d’entamer sans délai des consultations ».

Le sénateur Boisvenu : Pour la mise en œuvre?

La sénatrice Dupuis : Non, pour faire respecter « [...] lesquels sont nécessaires pour faire respecter les obligations de consultation [...] ».

[Traduction]

Le président : Je pense que nous sommes en train de faire de la rédaction collective, et nous ne nous en sortirons jamais aujourd’hui. Ce que je vais faire, c’est vous demander de formuler, si vous le pouvez, des suggestions sur la façon dont vous souhaiteriez modifier cela, et nous nous pencherons là‑dessus lors de la prochaine réunion du comité. Nous avons une série de votes sur la question de savoir si nous allons supprimer la disposition de la sénatrice Simons, et nous sommes en train de modifier ce texte mot à mot. Seriez-vous d’accord pour que nous procédions de cette façon? La sénatrice LaBoucane-Benson sera un peu déçue. Elle espérait que cela se fasse aujourd’hui, mais je ne pense pas que ce soit possible.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Est-ce qu’on peut demander au comité directeur de nous proposer la version révisée et de la faire circuler avant la prochaine réunion, pour qu’on ne se retrouve pas dans la même situation?

On avait l’impression qu’on avait accepté le document. Pour éviter que cela ne se reproduise, si on pouvait demander au comité directeur de nous envoyer la prochaine version d’avance...

Le sénateur Dalphond : Je pense qu’on l’a envoyée hier.

[Traduction]

Le président : Je pense qu’il n’y aurait pas de problème, mais pour ce qui est des points que nous venons de mentionner, il serait utile de communiquer peut-être une phrase ou quelques mots au greffier. Nous essaierons de les intégrer dans une autre version que vous pourrez consulter à l’avance.

Puis-je vous inviter à examiner très brièvement la deuxième question? Le sénateur Boisvenu a proposé au comité directeur de réorganiser l’ordre des projets de loi que le comité devra examiner une fois que l’étude du projet de loi du sénateur Carignan sera terminée. Il n’y a pas eu de consensus au sein du comité directeur, et il a demandé — ou peut-être est-ce moi qui l’ai fait — que l’ensemble du comité se penche sur cette question.

Bref, si je peux me permettre, le sénateur Boisvenu propose essentiellement que le projet de loi parrainé par la sénatrice Batters se voie accorder un degré de priorité plus élevé — parce qu’il s’agit d’un projet de loi des Communes — et qu’il soit étudié dès la conclusion de l’étude du projet de loi C-231 du sénateur Carignan. Le comité n’est pas parvenu à un consensus à ce sujet et, si vous le permettez, j’ajouterai — sans nommer qui que ce soit — que d’aucuns ont fait valoir que le principe normalement appliqué — la pratique courante — était celui du premier arrivé, premier servi, peu importe la source. Comme il n’y a pas eu de consensus, il était normal que le comité se penche là-dessus. Je pense que c’est une bonne description, sénateur Boisvenu, mais je sais que c’est du projet de loi de la sénatrice Batters qu’il est question, et je vais inviter la sénatrice Batters à formuler un commentaire.

Essayons de prendre rapidement une décision, car les membres du comité directeur ont convenu, entre autres, de tenter de répondre aux demandes de quelques sénateurs en reportant l’étude article par article au 7 décembre, de sorte qu’il y a maintenant un créneau libre jeudi prochain, le 30 novembre. Nous devons savoir quel projet de loi nous allons étudier. Si nous acceptons la réorganisation, ce sera le projet de loi de la sénatrice Batters, et sinon, ce sera celui de la sénatrice Pate sur la question de la mise en liberté sous condition. C’est la raison pour laquelle cela semble un peu urgent, mais nous avons besoin d’une décision précise.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Excusez-moi, monsieur le président, j’aimerais faire un point d’ordre, ou un rappel au Règlement, comme vous voulez l’appeler.

La discussion que vous nous demandez de tenir vise à réordonner l’analyse des projets de loi. Ce que l’on doit se demander, c’est si on veut réordonner l’analyse des projets de loi, peu importe le nom qui est attaché au projet de loi. Il y a une question de principe qui se pose et que l’on doit traiter avant de savoir si on va étudier un projet de loi qui porte la lettre P ou B; ça, on le fera après.

Je propose donc que la discussion se tienne d’abord sur la question de savoir si on veut changer la pratique du comité, qui est d’étudier chacun des projets de loi à mesure qu’ils sont déposés et qu’ils nous sont renvoyés.

[Traduction]

Le sénateur Dalphond : Je pense qu’il s’agit là de la question de fond. Ce n’est pas propre à un projet de loi en particulier. J’ai un projet de loi qui figure au bas de la liste et dont le comité a déjà discuté dans le cadre de l’examen du budget. Ce que je veux dire, c’est que nous recevons des ordres de renvoi. Ils arrivent ici, et il y a eu un débat à la Chambre, et il a été convenu qu’à un moment donné, le projet de loi irait de l’avant. Nous devrions donc traiter les projets de loi dans l’ordre où nous les recevons. Cela reflète la volonté de la Chambre.

Le président : Je pense que la question est de savoir si nous allons respecter cette norme de pratique ou la modifier. Je pense qu’il est tout à fait légitime qu’un sénateur propose une modification de ce genre. En fait, je suggère que nous invitions essentiellement la sénatrice Batters à proposer que nous changions l’ordre des projets de loi de façon à ce que le sien figure après celui du sénateur Carignan, après quoi nous pourrions simplement passer au vote.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Je comprends la position de la sénatrice Dupuis, mais le comité directeur a toujours eu une fonction. Le comité directeur a eu une discussion ce matin et ce dont on parle maintenant est le résultat de cette discussion. On ne remet pas le document en question. On a regardé le document, le comité directeur a fait une proposition de modification et c’est de cela qu’il faut débattre. Sinon, n’ayons pas de comité directeur et travaillons toujours ici.

[Traduction]

Le président : Sénateur Boisvenu, je ne crois pas que le comité directeur propose un changement. Il n’y a pas eu de consensus.

Le sénateur Boisvenu : Vous m’avez posé une question ce matin à propos du fait de présenter ma proposition ici.

Le président : C’est exact, et je pense que c’est ce que nous essayons de faire : une simple motion de la sénatrice Batters visant à déplacer son projet de loi pour qu’il soit le prochain à l’étude. Cela soulève certaines des questions concernant le processus normal d’établissement des priorités dont a parlé la sénatrice Dupuis, mais je crois que nous devons prendre une décision à cet égard. Nous comprenons assez bien de quoi il s’agit. Je vais poser la question à ce sujet. Ceux qui sont en faveur de la motion de la sénatrice Batters...

La sénatrice Batters : Un instant. Puis-je dire quelque chose?

Le président : Bien sûr. Je pensais que vous l’aviez fait, mais allez-y.

La sénatrice Batters : Non, je n’ai rien dit à ce sujet.

Tout d’abord, ce n’est pas mon projet de loi. Il s’agit d’un projet de loi d’un député de la Chambre des communes, Mel Arnold, qui a été adopté à l’unanimité à la Chambre des communes il y a déjà un certain temps. Il a été renvoyé au comité en juin, après quelques mois d’attente et assez longtemps après que j’ai pris la parole à titre de marraine et de porte-parole.

Souvenons-nous de l’objet du projet de loi. Il s’agit du projet de loi C-291, qui propose une modification très sensée visant à remplacer dans le Code criminel et partout ailleurs le terme « pornographie juvénile » — qui n’est pas adéquat — par « abus et exploitation pédosexuels ». Je souligne que même le leader du gouvernement au Sénat a récemment confirmé au Sénat que le gouvernement est favorable à ce changement et à ce projet de loi. En fait, il a modifié sa terminologie en fonction de cela dans le cadre du projet de loi S-12, le projet de loi d’initiative ministérielle sur cette question.

Je tiens également à souligner que je siège à ce comité depuis près de 11 ans et que, en fait, ce n’était pas du tout la pratique normale jusqu’à il y a quelques années seulement, et certainement pas lorsque je siégeais au comité directeur il y a trois ans, je crois. En fait, c’étaient les projets de loi de la Chambre ayant été adoptés à la Chambre des communes qui se voyaient généralement accorder un traitement préférentiel. Le projet de loi parrainé par le sénateur Dalphond, qui a été également adopté avec une large majorité — peut-être même à l’unanimité — à la Chambre des communes, soit le projet de loi C-233, a été renvoyé à notre comité après la deuxième lecture, juste avant le congé de Noël, le 14 décembre 2022. Il y a ensuite eu la pause des Fêtes. Dans les deux premières semaines de la séance, à compter du 14 février 2023, le comité l’a étudié. Il nous a fallu essentiellement deux semaines de séance, et non six mois, pour étudier un projet de loi très semblable sur une question de justice pénale. Ce projet de loi a obtenu un large appui non seulement au Sénat, mais aussi à la Chambre des communes.

Je dirais que, oui, c’est un projet de loi qui peut être étudié assez rapidement et qui améliorera la situation des Canadiens.

Le président : Merci, sénatrice Batters.

Êtes-vous d’accord pour que le projet de loi parrainé par la sénatrice Batters au Sénat soit déplacé de manière à constituer la prochaine priorité du comité?

Des voix : D’accord.

Des voix : Non.

Le président : Je dirais que la proposition est rejetée.

La sénatrice Batters : Vote par appel nominal.

Le président : Vote par appel nominal.

Vincent Labrosse, greffier du comité : L’honorable sénateur Cotter?

Le sénateur Cotter : Non.

M. Labrosse : L’honorable sénatrice Batters?

La sénatrice Batters : Oui.

M. Labrosse : L’honorable sénateur Boisvenu?

Le sénateur Boisvenu : Oui.

M. Labrosse : L’honorable sénatrice Busson?

La sénatrice Busson : Oui.

M. Labrosse : L’honorable sénatrice Clement?

La sénatrice Clement : Non.

M. Labrosse : L’honorable sénateur Dalphond?

Le sénateur Dalphond : Abstention.

M. Labrosse : L’honorable sénatrice Dupuis?

La sénatrice Dupuis : Non.

M. Labrosse : L’honorable sénatrice Pate?

La sénatrice Pate : Non.

M. Labrosse : L’honorable sénateur Prosper?

Le sénateur Prosper : Non.

M. Labrosse : L’honorable sénatrice Simons?

La sénatrice Simons : Non.

M. Labrosse : Oui, 3; non, 6; abstentions, 1.

Le président : Je déclare la motion rejetée.

Chers collègues, cela signifie que nous nous pencherons sur le projet de loi de la sénatrice Pate à compter de jeudi prochain. Nous aurons besoin de l’aide de tous les sénateurs afin de pouvoir entendre les témoins en temps opportun. Merci de votre patience.

Je sais que nous approchons de l’heure à laquelle la Chambre commence ses travaux. Je déclare maintenant la séance levée. Merci.

(La séance est levée.)

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