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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 29 novembre 2023.

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 21 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-231, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur la défense nationale et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Je m’appelle Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan et président du comité. J’invite mes collègues à se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Batters : La sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Pierre-Hugues Boisvenu, vice-président du comité, du Québec.

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

Le sénateur Carignan : Claude Carignan, du Québec.

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, division sénatoriale De Lorimier, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Bonjour. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, sur le territoire visé par le Traité no 4.

Le sénateur Prosper : Le sénateur P. J. Prosper, de la Nouvelle-Écosse, sur le territoire des Mi’kmaqs.

La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, sur le territoire visé par le Traité no 6.

[Français]

La sénatrice Clement : Bonjour. Bernadette Clement, de l’Ontario.

La sénatrice Dupuis : Bonjour. Renée Dupuis, division sénatoriale des Laurentides, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate. Je vis ici, sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinaabe.

La sénatrice Jaffer : Bienvenue. Je m’appelle Mobina Jaffer et je viens de la Colombie-Britannique.

Le président : Nous nous réunissons aujourd’hui afin de poursuivre notre étude du projet de loi S-231, Loi modifiant le Code criminel, la Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur la défense nationale et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques. J’aimerais souhaiter la bienvenue au sénateur Carignan, le parrain du projet de loi, que nous connaissons bien au comité.

Notre premier groupe de témoins est composé de porte-parole de l’Association des femmes autochtones du Canada, l’AFAC, qui comparaîtront avec vidéoconférence. Il s’agit de Mme Carol McBride, la présidente, et de Me Sarah Niman, la directrice principale des Services juridiques. Bienvenue à vous deux.

Nous accueillons également dans ce groupe Me Jeremy Tatum, qui représente l’Association canadienne des juristes de l’État, l’ACJE. Me Tatum est avocat de la Couronne au Bureau des avocats de la Couronne — droit criminel, du ministère du Procureur général de l’Ontario. Soyez le bienvenu.

Nous allons tout d’abord entendre les déclarations liminaires de cinq minutes des témoins, en commençant par celle de Mme McBride, qui sera suivie de celle de Me Tatum. Madame McBride, je vous cède la parole.

Carol McBride, présidente, Association des femmes autochtones du Canada : Merci. Bonjour à tous. Honorables sénateurs, je vous remercie d’avoir invité l’AFAC à vous présenter le point de vue des femmes autochtones dans le cadre de votre étude du projet de loi S-231. Je me joins à vous depuis le territoire traditionnel algonquin de la Première Nation Timiskaming, dont je fais partie. Aujourd’hui, quand je vais parler des femmes autochtones, je vais le faire en pensant également aux filles et aux personnes transgenres, bispirituelles et de diverses identités de genre représentées par l’AFAC.

L’AFAC appuie les efforts déployés par le Sénat pour moderniser le cadre juridique qui régit le prélèvement des empreintes génétiques au titre du projet de loi S-231.

Le seuil prévu dans la version actuelle du projet de loi S-231 nous apparaît raisonnable dans la mesure où il précise le moment où les empreintes génétiques doivent être prélevées, l’endroit où elles doivent être envoyées et la manière dont elles doivent être utilisées. L’AFAC se réjouit surtout des incidences positives que pourrait avoir le projet de loi S-231 sur le dénouement des affaires des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées dont les familles restent à ce jour dans le noir.

Le projet de loi S-231 prévoit des recherches de liens de parenté et l’élargissement de la banque de données génétiques afin de favoriser la résolution d’un plus grand nombre d’affaires. Nous ne connaissons pas le nombre exact d’affaires non résolues mettant en cause des femmes et des filles autochtones disparues ou assassinées. La Gendarmerie royale du Canada, la GRC, estime ce nombre à plus de 1 000, mais les recherches de l’AFAC donnent à penser qu’il pourrait y en avoir davantage.

Les affaires les plus susceptibles de ne jamais être résolues concernent de façon disproportionnée les femmes autochtones. Les affaires liées à la traite des personnes et au travail du sexe sont directement liées au génocide dont sont victimes les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Si des preuves génétiques ont été prélevées dans le cadre d’une affaire non résolue, mais qu’aucune correspondance n’a pu être établie, le projet de loi S-231 pourrait aider à élucider ces crimes. Étendre le filet aux personnes condamnées pour la plupart des infractions et les obliger à fournir des échantillons d’ADN pourront contribuer à tirer ces affaires au clair.

Selon ce que j’en comprends, le projet de loi va permettre aux enquêteurs qui ont un suspect et un échantillon d’ADN de demander à un parent biologique de fournir à son tour un échantillon d’ADN après que toutes les ressources auront été épuisées. C’est un cadre déjà appliqué pour élucider des affaires anciennes non résolues.

Selon ce que l’AFAC en comprend, s’il remplace le régime actuel, le projet de loi S-231 pourrait accélérer et faciliter la résolution d’affaires mettant en cause des femmes autochtones. Par exemple, en août 2018, une femme a été violemment agressée sexuellement dans le Sud de l’Ontario. Elle a réussi à s’enfuir et à appeler le 911. Les échantillons d’ADN prélevés sur son corps ont permis aux enquêteurs d’établir le profil d’un suspect, mais ils n’ont pas pu trouver de correspondance dans la banque de données à ce moment. L’enquête est vite arrivée à un point mort.

Trois mois plus tard, un homme a été condamné pour une infraction secondaire et a fourni un échantillon d’ADN en vertu de cette ordonnance. La police a trouvé une correspondance. L’homme a été arrêté et accusé en décembre 2018. En mai 2020, il a été condamné pour agression sexuelle et il fera l’objet d’une mesure d’expulsion une fois sa peine purgée. Dans ce cas, l’agresseur n’était pas une personne d’intérêt et il vivait à l’extérieur de la ville où l’agression a eu lieu. Si une correspondance n’avait pas été établie avec ses empreintes génétiques, il est fort probable que cette affaire d’agression sexuelle violente serait restée irrésolue.

Les témoins qui ont comparu durant l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont exprimé à quel point il serait important pour eux de faire le deuil de la personne aimée. Ils nous ont parlé de leur grande méfiance à l’égard de la volonté de la police de résoudre les affaires anciennes. Le projet de loi S-231 offre des outils qui permettront aux enquêteurs de nous donner la preuve qu’ils prennent nos inquiétudes au sérieux et qu’ils sont déterminés à élucider les affaires anciennes mettant en cause des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées.

C’est dans cette optique que l’AFAC recommande que les enquêteurs donnent la priorité aux affaires liées à ces femmes et à ces filles en mettant à profit les outils du projet de loi S-231.

En plus d’aider les familles qui attendent des réponses sur le sort de femmes et de filles autochtones disparues et assassinées, le projet de loi S-231 pourrait contribuer à réduire le trop grand nombre de femmes autochtones emprisonnées. En effet, en élargissant la banque de données biologiques et la recherche de liens de parenté à partir de ces données, le projet de loi permettra de libérer des personnes accusées à tort et de réduire les erreurs judiciaires. L’utilisation de preuves génétiques pour identifier les vrais coupables pourrait se traduire par un taux moindre de femmes autochtones injustement condamnées et le risque de plaidoyers de culpabilité injustifiés.

Les observations dont je vous fais part aujourd’hui reposent sur une analyse du projet de loi qui tient compte de la culture et des différences entre les sexes. Il en ressort notamment que la version actuelle du projet de loi ne tient pas compte des préoccupations propres aux Autochtones. Il traite les questions liées à la protection de la vie privée comme si tous les Canadiens étaient dans la même situation. Or, la marginalisation historique et le génocide culturel dont ils ont été victimes rendent les Autochtones plus susceptibles de subir des abus de pouvoir, y compris des atteintes à leur vie privée.

Il faudra faire davantage de recherches et d’examens pour établir si le projet de loi S-231 respecte et protège les droits des Autochtones à donner un consentement libre, préalable et éclairé relativement à leurs renseignements personnels, et s’il leur laisse le plein contrôle sur les recherches génétiques les concernant, notamment sur le prélèvement d’empreintes génétiques.

Il est prévu que Sécurité publique Canada procède à un examen au deuxième anniversaire du projet de loi S-231. L’AFAC recommande d’inclure dans l’examen du ministre une analyse des effets des dispositions sur la recherche de liens de parenté sur les droits collectifs et individuels des Autochtones à la protection de leur vie privée. Cette analyse devra viser principalement à déterminer si les processus et leurs résultats contribuent à perpétuer la discrimination systémique à l’endroit des Autochtones.

Je vous remercie d’avoir prêté l’oreille à mes préoccupations et aux perspectives des femmes autochtones dans le cadre de votre étude du projet de loi S-231. Je répondrai volontiers à vos questions avec l’aide de notre avocate, Me Sarah Niman.

Le président : Merci, madame McBride.

Je donne maintenant la parole à Me Tatum, pour cinq minutes environ.

Me Jeremy Tatum, avocat de la Couronne, Bureau des avocats de la Couronne — droit criminel, ministère du Procureur général de l’Ontario, Association canadienne des juristes de l’État : Merci beaucoup, honorables sénateurs, et merci, monsieur le président. Je suis heureux de témoigner devant vous au nom de l’Association canadienne des juristes de l’État, l’ACJE, et particulièrement de le faire aux côtés de l’Association des femmes autochtones du Canada. Meegwetch.

L’ACJE représente des organismes formés de procureurs de la Couronne, d’avocats spécialisés en droit civil et de notaires qui sont à l’emploi de l’État au gouvernement fédéral ou dans les provinces et les territoires. Les organismes membres représentent des avocats de première ligne dans chacune des provinces, de même qu’au sein du Service fédéral des poursuites et du ministère de la Justice du Canada.

L’ACJE m’a demandé de comparaître devant le comité en raison de mon expérience dans les domaines des empreintes génétiques et des contentieux liés aux perquisitions et aux saisies. J’ai notamment plaidé dans la première instance dans laquelle le recours des services policiers à la généalogie génétique d’enquête a été reconnu constitutionnel au Canada.

Comme je témoigne au nom de l’ACJE, je tiens à souligner que mes déclarations n’engageront d’aucune façon le gouvernement de l’Ontario ou le ministère du Procureur général, au sein duquel j’exerce à titre d’avocat de la Couronne. J’ai été auparavant avocat de la défense et je suis actuellement avocat de la Couronne, et j’ai donc été à même de constater la nature révolutionnaire des preuves génétiques comme outils d’identification de restes humains, de criminels et d’innocents.

L’ACJE appuie le projet de loi dans sa forme actuelle, hormis deux éléments qui soulèvent quelques réserves. Premièrement, nous recommandons le maintien des ordonnances d’inscription à la banque de données génétiques au moment du prononcé de la peine ou du verdict de non-responsabilité criminelle surtout pour des raisons de cohérence administrative, mais aussi parce que l’auteur d’une infraction secondaire aurait le droit de plaider l’effet nettement démesuré d’une ordonnance avant qu’elle soit délivrée.

Deuxièmement, une modification du paragraphe 487.051(4) du Code criminel portant maintien de l’ordonnance jusqu’à son exécution permettrait de clarifier la validité de l’ordonnance et garantirait la conformité avec la disposition sur la délivrance d’un mandat à l’article 487.0551.

Je vais maintenant vous présenter les trois principaux arguments pour lesquels l’ACJE appuie le projet de loi. Ces arguments ainsi que notre position sur les amendements proposés par l’Association canadienne des chefs de police sont exposés dans le mémoire soumis aujourd’hui, auquel nous avons joint des renvois à la jurisprudence et aux textes législatifs pertinents.

Le premier argument est lié à l’importance des empreintes génétiques comme outils d’enquête. Le Parlement et les tribunaux canadiens ont affirmé à moult reprises que la collecte de preuves génétiques par les forces de l’ordre au titre d’une ordonnance judiciaire, d’un mandat ou d’un autre pouvoir de common law n’exigeant pas de mandat — pour des empreintes sur un objet abandonné ou un échantillon prélevé avec consentement, par exemple — constitue un outil d’enquête légitime et essentiel au bon fonctionnement de l’administration de la justice.

Les individus trouvés coupables d’un crime « ont des attentes considérablement réduites en matière de vie privée », et ces crimes « leur ont fait perdre tout espoir raisonnable que les organismes chargés du contrôle d’application de la loi ignorent leur identité ». Bref, il n’existe pas de droit à l’anonymat absolu.

Le second argument tient au fait que nos tribunaux ont réitéré que les ordonnances d’inscription à la banque de données génétiques ne sont ni une punition ni une peine visant à perpétuer la surreprésentation. Ces ordonnances sont la conséquence d’un verdict de culpabilité; elles ne sont pas en soi une punition. L’objectif de la banque de données est d’aider à la conduite des enquêtes sur des crimes futurs ou passés, y compris à l’identification des auteurs ou des victimes.

Le Code criminel prévoit déjà un mécanisme d’appel dans les cas où l’ordonnance de prélèvement d’empreintes génétiques fait suite à une erreur judiciaire ou à une injustice. Les préoccupations générales concernant la surreprésentation des Autochtones ou des personnes racisées dans le système de justice pénale ne peuvent pas, à notre humble avis, être invoquées à l’encontre des objectifs d’intérêt public valables qui sous-tendent le projet de loi S-231.

Comme l’a fait valoir l’Association des femmes autochtones du Canada, les victimes de crimes violents sont dans une proportion démesurée des femmes et des enfants moralement innocents, le plus souvent autochtones ou de couleur. Il est grand temps que notre système de justice pénale leur assure une meilleure protection.

Les données génétiques inscrites dans la banque sont anonymisées, non codées et ne révèlent aucune caractéristique médicale, physique ou mentale. Si un individu ne commet pas d’autre infraction et que les forces de l’ordre ne recueillent pas d’empreinte génétique laissée derrière, il ne sera jamais identifié par l’intermédiaire de la banque de données et il sera tranquille. L’inscription d’un individu dans la banque de données génétiques n’est pas un argument recevable en cour. Seules les empreintes génétiques prélevées au titre d’un mandat peuvent être mises en preuve devant les tribunaux.

Pour ce qui a trait aux jeunes personnes, il a été établi que les ordonnances obligatoires de prélèvement d’empreintes génétiques pour des infractions « super-primaires » ou « primaires désignées » sont constitutionnelles. De plus, le projet de loi n’a aucun effet sur les mesures de protection prévues aux paragraphes 9(1) et 10(1) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents qui exigent le retrait et la destruction du dossier de la jeune personne de la banque de données génétiques.

Dans la trentaine de secondes qui me reste, j’aimerais souligner qu’il faut distinguer la recherche de liens de parenté de la généalogie génétique d’enquête, et que cette dernière n’est pas visée par le projet de loi S-231.

Malheureusement, deux témoins qui ont comparu le 9 novembre 2023 ont omis de mentionner qu’aucun tribunal canadien ou américain n’a conclu à l’illégalité du recours par la police à la généalogie génétique d’enquête. Des jugements publiés au Canada — un en Ontario et un en Alberta — et plusieurs jugements de tribunaux américains ont conclu à la constitutionnalité de son utilisation par les forces de l’ordre.

Je serai heureux de répondre à vos questions, le cas échéant, sur l’inclusion de la généalogie génétique d’enquête dans différents cadres juridiques. C’est ce que je voulais dire en guise d’introduction. Merci.

Le président : Merci, maître Tatum, notamment d’avoir respecté le temps alloué.

Distingués collègues, vous êtes assez nombreux à vouloir interroger les témoins. Je voudrais réserver du temps à la fin de ce bloc pour permettre au sénateur Dagenais, le porte-parole de l’opposition pour le projet de loi, et au sénateur Carignan, de poser des questions s’ils le souhaitent. Vous aurez quatre minutes chacun. Merci de vous y tenir.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos témoins. Mes questions s’adresseront à Mme McBride.

En 2015, la GRC évaluait que le nombre d’affaires non résolues —, disparitions et meurtres de jeunes femmes et de femmes autochtones — était 204 dossiers, dont 106 homicides et 98 disparitions. Je suis convaincu que la Commission d’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées donne un nombre beaucoup plus élevé que cela.

Ma première question est de savoir — parce que j’ai bien entendu votre témoignage — si votre prise de position est vraiment centrale en ce qui concerne le trop grand nombre de femmes autochtones qui disparaissent et qui sont assassinées. Est-ce que vous faites vraiment un lien entre le registre, ce projet de loi, et la situation des femmes autochtones?

[Traduction]

Mme McBride : Oui, tout à fait. Ce serait un excellent outil pour élucider une partie de ces crimes et ceux qui suivront. Je suis tout à fait d’accord.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Vous avez parlé, dans votre déclaration, de fausses accusations. Est-ce que vous avez des exemples d’erreurs judiciaires commises à l’encontre de femmes ou de jeunes filles autochtones condamnées?

Avez-vous des exemples qui feraient en sorte de démontrer qu’avec cette banque, on pourrait éviter d’accuser faussement des jeunes filles ou des femmes autochtones?

[Traduction]

Mme McBride : Si vous me le permettez, je vais demander à Me Niman, notre avocate, de répondre à cette question.

Me Sarah Niman, directrice principale, Services juridiques, Association des femmes autochtones du Canada : Merci. Je ne peux pas vous donner d’exemples précis ou vous citer des affaires auxquels l’AFAC a été directement liée. Toutefois, il ressort des témoignages entendus au cours de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, ainsi que de nos recherches en interne sur la méfiance des femmes autochtones à l’égard des services policiers et leur relation brisée avec eux que ce climat est le résultat des préjugés systémiques inhérents au système de justice pénale et aux fausses promesses d’accélérer le processus et de retrouver leurs enfants et leur famille si elles plaident coupables alors qu’elles ne le sont pas.

Nous plaçons beaucoup d’espoir dans l’idée que les empreintes génétiques ne mentent pas et que le projet de loi S-231 permettra de réaliser cette idée. L’élargissement de la banque de données va améliorer l’exactitude des éléments de preuve, et la fiabilité accrue des preuves génétiques va contribuer à la réduction des condamnations et des accusations injustifiées.

Nous avons bon espoir que les changements visant ces deux éléments — la discrimination systémique induite par des intervenants partiaux et la précision scientifique des preuves génétiques — auront pour effet conjugué de réduire les taux disproportionnés d’incarcération des femmes autochtones.

Le sénateur Boisvenu : Merci, madame.

Le sénateur Dalphond : Je crois que c’est Me Tatum qui a mentionné les deux affaires jugées par des tribunaux canadiens dans lesquelles des données de banque privée ont été mises en preuve. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet?

Me Tatum : Les deux affaires ont été jugées par un tribunal de première instance. La première, Sa Majesté la Reine c. Robert Steven Wright, a été instruite à Sudbury, en Ontario, dans le cadre d’une poursuite pour meurtre. La seconde touchait l’affaire Cochrane, en Alberta. Elle a longtemps fait l’objet d’une interdiction de publication qui a été levée à la fin de la semaine dernière, à l’annonce du verdict. Dans ces deux affaires, la police a recouru à ce qu’on appelle communément la « généalogie génétique » en vue de faire une identification présomptive.

Ce qu’il faut comprendre, distingués sénateurs, c’est que l’identification présomptive, au même titre qu’une correspondance trouvée dans la Banque nationale de données génétiques, est la première d’une série d’étapes qui culmine avec la demande d’un mandat de prélèvement d’empreintes génétiques que la police soumet à un juge d’un tribunal provincial, laquelle comprend le rapport complet de l’enquête menée jusque-là, les renseignements sur la parenté obtenus, les techniques d’enquête et les étapes subséquentes de celle-ci.

Dans le cas de Robert Steven Wright, le juge de première instance a conclu qu’il ne pouvait pas s’attendre de façon raisonnable à la protection de sa vie privée au vu des concordances familiales issues de la comparaison entre un échantillon prélevé sous les ongles de la victime abandonnée sur la scène de crime et les profils ou les trousses génétiques que des personnes avaient téléchargés volontairement sur des sites publics comme GEDmatch. Les témoins précédents n’ont malheureusement pas fait cette importante mise au point. Dans le domaine de la généalogie génétique d’enquête, les forces de l’ordre consultent des sites accessibles au public pour l’identification de restes humains et dans le cadre d’enquêtes criminelles. Les membres du public choisissent sciemment d’utiliser ces sites et ils décident eux-mêmes, sur une base individuelle, d’autoriser la communication de leur profil aux forces de l’ordre. Les personnes concernées peuvent en tout temps changer d’idée et se retirer du processus. J’espère avoir bien répondu à votre question.

Le sénateur Dalphond : Oui, merci. Avez-vous dit que les policiers avaient reçu une autorisation judiciaire pour demander ce genre de permission?

Me Tatum : J’ai dit que, dans les deux cas, après qu’ils ont consulté ces sites pour essayer de confirmer un lien avec un éventuel membre de la famille élargie de l’auteur inconnu auquel a été associé un échantillon vraisemblablement laissé par le meurtrier sur la scène du crime, les policiers ont utilisé des moyens d’enquête traditionnels pour trouver des pistes et discuter avec les membres de la famille de leur arbre généalogique, si on peut dire.

Cela a été le point culminant du processus dans les deux cas. Dans ce processus de généalogie génétique d’enquête, la demande de mandat de prélèvement d’empreintes génétiques soumise par la police visait à comparer directement un échantillon lié au suspect avec un échantillon de référence, soit l’échantillon laissé par l’auteur inconnu sur la scène de crime. C’est pourquoi je dis que le recours à la généalogie génétique d’enquête, à l’instar du recours à la banque de données, a pour objectif de faciliter l’identification présomptive, en sachant que la comparaison directe visant l’auteur présumé exige un mandat de prélèvement d’empreintes génétiques. Le résultat de ce processus est ce que la poursuite va mettre en preuve devant le tribunal afin d’établir l’identité de l’accusé.

Le sénateur Dalphond : Merci.

Le président : Merci à vous deux.

Le sénateur Prosper : Madame McBride, merci pour votre témoignage. Si j’ai bien compris, vous appuyez le projet de loi S-231. Vous avez mentionné l’utilité des empreintes génétiques pour élucider des affaires mettant en cause notamment des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, ou des condamnations injustifiées, de même que des affaires anciennes.

Vous avez également évoqué la possibilité d’inclure dans l’examen prévu au deuxième anniversaire une analyse des incidences du projet de loi sur les Autochtones et — corrigez‑moi si je me trompe — des éventuels enjeux de discrimination systémique à leur endroit. Vous avez aussi parlé du consentement libre, préalable et éclairé associé à la protection de la vie privée et des empreintes génétiques. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à cet égard? Merci.

Mme McBride : Je vais demander à notre avocate de répondre à cette question. Elle est un peu trop technique pour moi, j’ai bien peur.

Me Niman : Merci, madame McBride.

On pourrait dire qu’il existe encore un vide juridique autour de l’application de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Nous savons qu’elle s’applique au Canada, mais les paramètres associés à certaines de ses promesses n’ont pas encore été établis.

L’AFAC propose que l’examen exigé au deuxième anniversaire de l’adoption du projet de loi englobe une partie qui sera fondée sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Cet examen visera à garantir la reconnaissance des droits explicites et établis des Autochtones au contrôle de leurs données génétiques et à l’obligation d’un consentement libre, préalable et éclairé, et que ces principes seront intégrés aux mécanismes d’interaction avec les instruments prévus dans le projet de loi.

Les personnes autochtones que nous avons consultées en vue de l’établissement de notre position nous ont fait part de leurs préoccupations à l’égard de leurs droits à la protection de la vie privée. Ces personnes nous ont rappelé qu’historiquement, le principe du consentement libre, préalable et éclairé n’a pas été respecté pour ce qui les concerne, et elles craignent que cela joue contre elles en cas de poursuites. Cette crainte est légitime quand on sait que ces positions sont fondées sur l’histoire coloniale.

Pour résumer, nous pensons que plus d’examens seront nécessaires, mais l’AFAC maintient néanmoins son appui global au projet de loi.

Le sénateur Prosper : Merci beaucoup.

La sénatrice Jaffer : Madame McBride, je vais donner suite à la question du sénateur Prosper, en mettant l’accent sur vos préoccupations concernant le recours à la recherche de liens de parenté mettant en cause des Autochtones et l’intensification de la discrimination qui pourrait résulter du recours accru à la technologie. Pouvez-vous nous en parler un peu?

Mme McBride : Maître Niman, pouvez-vous répondre à cette question?

La sénatrice Jaffer : Merci.

Me Niman : Volontiers. Je suis contente que vous souleviez cette question, sénatrice Jaffer. C’est l’aspect du projet de loi qui, à mon avis, risque le plus de perpétuer la discrimination systémique plutôt que de la réduire. Il fait intervenir une dimension humaine et des choix subjectifs.

Selon la compréhension de l’AFAC — je répète que notre appui de bonne foi au projet de loi reste intact —, les enquêteurs vont utiliser ces outils en dernier recours pour traiter et régler des affaires irrésolues, en donnant la priorité à celles qui mettent en cause des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées.

La recherche de liens de parenté pour élucider ces affaires pourrait permettre aux familles de faire leur deuil, comme elles l’ont réclamé auprès de l’AFAC et dans le cadre de l’Enquête nationale. S’il ressort de l’examen mené au deuxième anniversaire que cet outil est utilisé à mauvais escient ou d’une manière qui perpétue la discrimination systémique, l’AFAC va reconsidérer son appui à cette mesure.

La sénatrice Jaffer : Si vous me le permettez, madame McBride, je vais poursuivre avec votre avocate. Maître Niman, estimez-vous que la surreprésentation des personnes autochtones dans les banques de données risque de perpétuer leur surreprésentation dans les prisons?

Me Niman : C’est une question dont nous avons longuement débattu au sein de l’AFAC. Au bout du compte, notre position s’appuie sur la confiance et la science. Les empreintes génétiques ne mentent pas. Si une proportion démesurée d’échantillons sont fournis par des Autochtones en raison des taux démesurés de condamnation, c’est le processus pénal qu’il faudra remettre en cause. Nous nous fondons sur les assurances et les critères émanant de la Cour suprême pour vérifier si les droits garantis par la Charte et les droits à la protection de la vie privée sont respectés et maintenus.

Comme Me Tatum l’a énoncé si éloquemment, c’est une conséquence, non une punition. De très nombreuses conséquences vont toucher de façon disproportionnée les Autochtones en raison de leur surreprésentation dans le système. Nous le savons, mais nous pensons qu’ils feront moins l’objet d’accusations injustes de crimes que sous l’effet de la discrimination systémique parce que les empreintes génétiques ne mentent pas. Dorénavant, quand il y aura des accusations, elles seront légitimes puisqu’elles reposeront sur une correspondance d’empreintes génétiques.

La sénatrice Jaffer : Merci.

La sénatrice Batters : Je remercie les témoins d’être des nôtres aujourd’hui. Je vais commencer avec une question qui s’adresse à Mme McBride, de l’Association des femmes autochtones du Canada. La semaine dernière, notre comité a reçu un spécialiste du Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques qui nous a fait part de son appui à la proposition du projet de loi S-231 visant la recherche de liens de parenté en raison de la rigueur de ce critère.

Pensez-vous que le critère prévu au projet de loi S-231 garantira le recours à cette méthode d’enquête uniquement dans des circonstances exceptionnelles et pour sauver des vies? Je remarque que cette technique d’enquête peut être utilisée seulement dans le cas d’un crime grave passible d’une peine d’emprisonnement maximale de plus de 14 ans, et lorsque d’autres méthodes d’enquête ont été essayées en vain et que l’urgence de la situation le justifie.

J’aimerais aussi vous demander de nous donner des exemples réels d’auteurs de crimes contre des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées qui auraient pu être identifiés plus rapidement si le projet de loi S-231 avait été en vigueur. Je pense entre autres à un cas comme celui du tueur en série Robert Pickton.

Mme McBride : Merci. Je vais de nouveau demander à Me Niman de répondre à cette question.

Me Niman : Merci. Sénatrice Batters, comme l’a évoqué Mme McBride dans sa déclaration liminaire, le projet de loi semble traiter uniformément l’ensemble des Canadiens, mais vous et moi savons que ce n’est pas le cas.

Je crois que vous faites allusion au fait que même si la recherche de liens de parenté se fonde sur des paramètres et des règles d’application stricts, il n’a jamais été question dans les débats officiels sur ce projet de loi de ce qui constitue l’éléphant dans la pièce, soit la discrimination systémique. Compte tenu de leur historique à cet égard, nous savons d’emblée que les Autochtones ne seront pas traités de la même manière que les autres Canadiens. C’est important de comprendre que dès lors que les enquêteurs ont à faire une appréciation ou à prendre une décision subjective, elles sont invariablement influencées par les préjugés intrinsèques. Il faut exiger une reddition de comptes en la matière. L’AFAC veut faire preuve de bonne foi et espère que ces outils seront utilisés de façon responsable, conformément à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et aux relations de la Couronne avec eux. Néanmoins, nous allons attendre les résultats de l’examen pour nous prononcer à ce sujet.

Concernant les exemples concrets de l’ordre de celui que vous avez donné, l’AFAC utilise la banque de données Safe Passage, qui est constamment actualisée. On y trouve les récits des femmes autochtones concernant des expériences attestant le manque de sécurité, des cas d’homicides ou la disparition d’une des leurs. Ces cas se comptent par milliers, et chacun pourrait nous permettre d’illustrer comment, lorsqu’il existe des preuves génétiques, les outils prévus au projet de loi S-231 permettraient de répondre aux demandes des familles touchées par des affaires non résolues.

Les membres d’une des familles qui ont témoigné dans le cadre de l’Enquête nationale ont raconté qu’ils avaient eux‑mêmes procédé à des recherches pour trouver les restes de leur proche disparue. Quand ils ont découvert des ossements qui auraient pu selon eux être liés à l’affaire, ils les ont apportés au poste de police local pour qu’ils puissent servir de preuve. Ils ont demandé à ce que des recherches soient faites pour constituer une preuve génétique, mais ils ont eu l’impression d’être ignorés par les policiers. C’est le genre de situation où les pouvoirs accrus des enquêteurs pourraient assurer une plus grande responsabilité et une plus grande détermination à traiter ces affaires et à respecter les principes de réconciliation mis en lumière par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

La sénatrice Batters : Merci. C’est incroyable. Des milliers de cas… Merci pour cet exemple.

J’ai une question brève pour Me Tatum, de l’Association canadienne des juristes de l’État. Le projet de loi S-231 propose de simplifier considérablement la liste des infractions désignées visée à l’article 487.04 du Code criminel et ouvrant droit au prélèvement d’empreintes génétiques. Votre organisme représente les procureurs de la Couronne. Est-ce qu’ils sont favorables à la disposition visant à simplifier la liste des infractions? J’ai moi-même une longue expérience des tribunaux, et je sais que les procureurs et les juges doivent tenir compte de multiples aspects durant les instances. Je me demande si le fait d’avoir une liste plus simple et plus courte aidera les procureurs et les juges à se souvenir d’imposer une ordonnance de prélèvement d’ADN après une condamnation pour une infraction désignée.

Le président : Pouvez-vous nous donner une réponse brève, maître Tatum?

Me Tatum : Oui, tout à fait. L’ACJE appuie cette modification et estime qu’elle simplifiera l’application des ordonnances d’inscription de données génétiques à la banque après une condamnation. Cela uniformisera et précisera le mécanisme d’identification des infractions visées ou non, et dans quel cas c’est obligatoire. Actuellement, il existe plusieurs catégories d’infractions secondaires désignées pour lesquelles l’ordonnance est obligatoire et présumée.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup.

Le président : Merci à vous deux.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup. J’ai une question pour les deux groupes de témoins. Maître Niman et madame McBride, je crois que c’est une chose d’affirmer que les empreintes génétiques ne mentent pas, mais il ne faut pas oublier le risque de racisme systémique qui peut être associé à la technologie. Nous savons tous que les Autochtones sont ridiculement surreprésentés dans notre système carcéral. Il s’ensuit que la plupart des échantillons répertoriés seront ceux prélevés sur des Autochtones. Par conséquent, lorsqu’une recherche de liens de parenté sera réalisée à partir de ces échantillons, le bassin sera composé de façon disproportionnée de ceux prélevés chez des Autochtones.

Craignez-vous que cet outil soit utilisé au détriment de la communauté autochtone, pas forcément par mauvaise foi, mais parce que c’est ainsi que le racisme systémique fonctionne? Il fait partie intégrante du système. Par conséquent, s’il y a un nombre disproportionné d’échantillons de personnes autochtones, il y aura forcément un nombre disproportionné de correspondances les visant, ne pensez-vous pas?

Mme McBride : Maître Niman, pouvez-vous répondre?

Me Niman : Merci. Si j’ai bien compris, vous nous demandez si l’AFAC craint que cet outil perpétue la surreprésentation en milieu carcéral. Je comprends que la plupart des communautés autochtones encouragent les gens à assumer la responsabilité de leurs actes et que, si un échantillon génétique pointe vers une personne, la probabilité est très forte qu’elle soit en cause. Ce sera donc l’occasion pour cette personne de répondre de ses actes.

Toutefois, la myriade de raisons qui ont mené cette personne à avoir des démêlés avec la justice pénale n’est pas prise en compte. C’est ce travail qui est réalisé dans le cadre de la réforme législative globale. Le projet de loi S-231 et notre analyse législative ne nous ont pas vraiment donné la possibilité de nous concentrer sur les facteurs systémiques qui expliquent pourquoi quelqu’un se retrouve entre les mailles du système de justice pénale, comme victime ou comme accusé.

Par conséquent, même si nous n’avons pas relevé dans ce projet de loi de possibilité de proposer une réforme législative qui obligerait la prise en compte des dommages découlant de la colonisation et de la myriade de facteurs susceptibles de perpétuer les comportements criminels des personnes autochtones, nous sommes tout à fait d’accord avec vous. L’existence d’une correspondance génétique ne dénote pas forcément le même degré de culpabilité pour une personne autochtone, pour les raisons que je viens d’expliquer.

Le président : Merci. Nous allons maintenant passer à des tours d’une minute et demie.

La sénatrice Simons : Maître Tatum, vous avez dit qu’il s’agit d’une conséquence, et non d’une punition. J’aimerais que vous nous expliquiez la différence entre les deux. Je sais que quand ma fille était petite, elle interprétait comme une punition ce qui pour moi était une conséquence tout à fait logique.

Me Tatum : Ce langage découle de divers jugements de la Cour suprême et des cours d’appel. Madame la sénatrice, au nombre des facteurs que les tribunaux doivent analyser se trouve la nature non punitive des ordonnances de prélèvement d’empreintes génétiques. Il n’y a aucune incidence perçue sur la liberté, à l’opposé d’une ordonnance d’interdiction fondée sur l’article 161, qui a pour effet de continuer de restreindre la liberté d’un individu quant aux lieux où il peut se trouver ou aux personnes avec qui il peut entrer en contact. Dans le cas d’une ordonnance de prélèvement d’empreintes génétiques, les tribunaux ont conclu à maintes reprises que le processus lui‑même a peu d’impact sur la liberté. L’impact le plus important touche le respect de la vie privée.

Toutefois, en raison des mesures de protection prévues dans la mesure législative, elle a été jugée constitutionnelle. Dans le mémoire que j’ai soumis, j’ai inclus des renvois à la jurisprudence dont découle cette interprétation.

Le président : Merci à vous deux.

Le sénateur Klyne : Ma question s’adresse à Mme McBride, mais j’invite également le porte-parole de l’Association canadienne des juristes de l’État à y répondre s’il estime que c’est nécessaire.

Le projet de loi S-231 prévoit qu’après le deuxième anniversaire de son adoption, le ministre de la Sécurité publique devra établir un rapport sur la possibilité, en cas d’arrestation, de prélever des échantillons d’ADN comme c’est le cas actuellement pour la prise d’empreintes digitales.

Le cas échéant, quelle serait la position de l’AFAC à l’égard de cette proposition? Existe-t-il un risque d’atteinte à la vie privée des délinquants autochtones accusés si le prélèvement d’échantillons d’ADN au moment de l’arrestation est légalisé?

Mme McBride : Je vais définitivement demander à notre avocate de répondre à cette question.

Me Niman : Merci de poser cette question. Il existe une nette distinction entre le prélèvement d’échantillons d’ADN lors de l’arrestation et après la condamnation.

Les recherches que nous avons menées à ce jour nous poussent à mettre en cause les mesures de protection liées à la protection de la vie privée et aux garanties constitutionnelles prévues à l’article 8 de la Charte après la condamnation, mais nous n’avons pas mené de recherches qui permettraient à l’AFAC d’appuyer la proposition liée aux prélèvements lors de l’arrestation, notamment à cause du risque particulièrement élevé d’atteinte au droit des personnes autochtones à la protection de leur vie privée en raison de la discrimination systémique. Pour l’instant, par souci de clarté, je dirai que l’AFAC n’est pas favorable au prélèvement d’échantillons d’ADN lors de l’arrestation.

Le président : Maître Tatum, voulez-vous nous donner votre point de vue à ce sujet?

Me Tatum : Certainement. D’un point de vue strictement juridique, les considérations qui entrent en ligne de compte concernant les ordonnances de prélèvement d’empreintes génétiques après la condamnation — le délinquant n’a alors plus droit à la présomption d’innocence, ce qui au vu des tribunaux est la conséquence d’un verdict de culpabilité ou d’une condamnation — ne s’appliquent pas au moment de l’arrestation. Depuis quelques années, le Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques a mené des études, selon ce que j’en comprends, sur la possibilité d’apporter cette modification et les considérations liées à la présomption d’innocence au moment de l’arrestation et au fait que le prélèvement d’empreintes génétiques a une incidence plus marquée sur la vie privée que le prélèvement d’empreintes digitales, par exemple, au titre de la Loi sur l’identification des criminels.

Le président : Sénateur Klyne, il vous reste une minute et demie si vous avez d’autres questions.

Le sénateur Klyne : D’accord. Dans le même ordre d’idées — je m’adresse à l’avocat de la Couronne —, j’aimerais savoir si la représentation disproportionnée des Autochtones est aussi prise en considération.

Me Tatum : Je suis désolé. Pouvez-vous répéter la question?

Le sénateur Klyne : Je vous ai demandé s’il y aurait un risque d’atteinte à la vie privée des délinquants autochtones accusés si le prélèvement est réalisé lors de l’arrestation plutôt qu’après la condamnation.

Me Tatum : De façon générale, d’un point de vue juridique, les préoccupations soulevées, ou les critiques qui ont été faites concernant le prélèvement d’empreintes génétiques lors de l’arrestation tiennent à la présomption d’innocence, même si la possibilité de comparer des échantillons représente un atout évident pour ce qui est de l’enquête.

Les préoccupations liées à la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale et les incidences sur leur droit à la protection de leur vie privée peuvent être très différentes au moment de l’arrestation et après la condamnation. Je vais donc me garder de prendre position au nom de l’ACJE pour le moment. Tout ce que je peux affirmer, c’est que certaines des préoccupations suscitées par le prélèvement d’empreintes génétiques lors de l’arrestation sont non avenues pour ce qui a trait au projet de loi S-231 puisqu’il est question de prélèvement consécutif à la condamnation ou au verdict de culpabilité.

Le président : Je m’apprête à faire une remarque que je fais souvent juste avant que la sénatrice Pate intervienne, et j’en suis désolé.

Il reste encore quatre sénateurs sur la liste des intervenants, en plus du porte-parole de l’opposition et du parrain du projet de loi, le cas échéant. Avec votre permission, nous pourrions dépasser un peu l’heure prévue pour que tout le monde puisse intervenir. Cela dit, comme prévu, vous aurez quatre minutes pour poser vos questions, sénatrice Pate.

La sénatrice Pate : Je remercie les témoins.

J’aimerais reprendre là où vous vous êtes arrêtée, maître Niman, dans votre réponse à la question de la sénatrice Simons.

Il est ressorti clairement de l’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées que beaucoup d’affaires n’ont pas été résolues parce que les policiers n’ont pas pris au sérieux les signalements des femmes ou des familles.

L’exemple que vous avez donné au sujet de la famille de Bernice et de Wilfred est selon moi très éloquent et nous pousse à nous demander si l’accès des services policiers à une banque de données génétiques élargie — compte tenu surtout du problème soulevé par la sénatrice Simons — est la meilleure approche.

Soit dit en passant, avant l’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, nous avons eu plusieurs cas en Alberta, et le service de police local ainsi que la GRC ont décidé de prélever les empreintes génétiques de femmes qui les connaissaient. Il en est ressorti deux choses. Dans le cas de deux de ces femmes, ces empreintes génétiques ont été utilisées à leur encontre ultérieurement. Pour ce qui concerne les femmes qui ont essayé d’obtenir une révision d’une condamnation, les empreintes génétiques n’ont pas été utilisées dans aucune de leurs causes.

J’aimerais savoir si vous avez réfléchi à ces questions. Si le représentant de la Couronne souhaite répondre à la question, il est le bienvenu, mais c’est surtout le point de vue de l’AFAC qui m’intéresse.

Le président : La question s’adresse à Me Niman, et Me Tatum pourra nous donner son point de vue s’il le souhaite.

Me Niman : Merci. Je vais être brève. Vous avez raison. Ce que nous tenons absolument à préciser, c’est que notre appui au projet de loi S-231, à l’accès des enquêteurs à cet outil supplémentaire et à l’élargissement de la banque de données génétiques repose sur notre espoir en une utilisation qui fera progresser la réconciliation. Cela dit, nous savons très bien que la résolution des affaires non résolues concernant les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ne sera peut-être pas la priorité, et nous nous préparons à voir les chiffres continuer de grimper sans que les femmes autochtones et leur famille en bénéficient. Nous avons pleinement conscience également que la relation fondée sur la confiance entre les femmes et les communautés autochtones et les forces de l’ordre pourrait continuer de se déliter.

Nous tenons à ce que la réconciliation progresse et, considérant que l’AFAC représente des personnes qui sont sur ce chemin et d’autres qui sont responsables de l’avancement vers les jalons subséquents, nous donnons notre appui au projet de loi S-231. Nous espérons toutefois, en toute bonne foi, que la priorité sera accordée aux affaires mettant en cause des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées et à l’avancement de la réconciliation, mais aussi que le projet de loi fera l’objet d’un examen continu afin de cerner ce qui empêche la réalisation de ce qui a été promis, notamment par son parrain.

Donc, pour répondre à votre question, nous allons surveiller cela de près et, après l’examen, nous pourrions reconsidérer notre position.

Le président : Merci. Maître Tatum, voulez-vous ajouter quelque chose?

Me Tatum : De manière générale, je dirais que dans la majorité des cas, ou du moins de ceux dont j’ai eu connaissance ou auxquels j’ai travaillé, les empreintes génétiques ont aidé à incriminer ou à disculper une personne. J’ai traité des dossiers dans lesquels les empreintes génétiques ont permis d’innocenter complètement une personne, et en même temps d’identifier le vrai responsable.

Sénatrice, je ne peux pas me prononcer sur l’exemple que vous avez donné concernant des femmes autochtones qui ont consenti au prélèvement d’empreintes qui ont par la suite été utilisées à leur encontre. Je peux seulement insister sur… Oh! allez-y.

La sénatrice Pate : Je suis désolée de vous interrompre. Pouvez-vous nous donner une ventilation des personnes disculpées et inculpées selon le sexe et la race?

Me Tatum : Dans tous les cas auxquels je pense… Désolé. Allez-y.

La sénatrice Pate : Comme on le sait, la plupart du temps, les empreintes génétiques ont servi à disculper des hommes impliqués dans des actes de violence misogyne, mais je ne connais pas les statistiques pour ce qui concerne les preuves incriminantes. Est-ce que c’est aussi votre expérience?

Me Tatum : Je ne peux pas vous donner de statistiques fondées sur des données. Tout ce que je sais, c’est que dans la majorité des cas de violence conjugale, d’agressions sexuelles ou d’abus sexuels d’enfants que j’ai traités, les auteurs étaient en très grande majorité des hommes, et certains ont aussi été disculpés sur la foi d’échantillons prélevés avec leur consentement ou trouvés sur des objets abandonnés.

Quand une femme était accusée… Aucun exemple ne me vient à l’esprit dans lequel une autre femme a cessé d’être considérée comme une personne d’intérêt ou comme une suspecte éventuelle.

Les poursuites dans les affaires anciennes d’infraction à caractère sexuel ou d’homicides donnent lieu à des centaines, et parfois à des milliers de pistes concernant d’éventuelles personnes d’intérêt ou même des suspects. Les analyses d’échantillons d’ADN abandonnés ou prélevés avec le consentement de l’intéressé permettent à la police d’exclure des personnes de leur enquête de façon uniforme et fiable et, espérons-le, d’éviter les arrestations ou les poursuites injustifiées.

Le sénateur D. Patterson : Maître Tatum, vous avez évoqué les décisions de première instance qui mettent en jeu le droit à la protection de la vie privée. Ce droit existe. Les empreintes génétiques sont de nature éminemment personnelle et privée. Ma première question concerne l’équilibre à trouver.

Que pensez-vous de l’argument voulant qu’il existe un risque d’atteinte au droit à la protection de la vie privée parce que la recherche de liens de parenté proposée dans le projet de loi permettrait d’obtenir une correspondance partielle ou proche plutôt qu’une correspondance exacte? Ce changement ferait en sorte qu’une personne pourrait être soupçonnée non pas du fait de ses gestes, mais plutôt en raison de ses liens familiaux. Quel est votre avis à ce sujet?

Me Tatum : Je vais commencer par répéter quelque chose que la sénatrice Batters a évoqué dans une question précédente. La version actuelle de l’article 6.41 restreint la recherche de liens familiaux au titre de la Banque nationale de données génétiques aux infractions graves et — le « et » est important parce que c’est un critère conjonctif — si c’est nécessaire pour faire avancer l’enquête, et si le commissaire a établi que c’était essentiellement une solution de dernier recours.

Le texte actuel du projet de loi restreint expressément la capacité de la police de recourir, de manière automatique ou non, à la recherche de liens familiaux.

Selon ce que j’en comprends et comme je l’ai déjà dit, il s’agit d’un outil d’enquête censé aider à l’identification présomptive. Il serait ensuite loisible aux policiers de pousser plus loin l’enquête pour établir si une personne peut bel et bien être considérée comme étant d’intérêt ou suspecte.

Je trouve important de tenir compte du fait que cette banque de données pourrait également jouer un rôle majeur dans l’identification des personnes qui ne sont pas responsables de l’infraction criminelle faisant l’objet de l’enquête. Elle a donc une double fonction.

Le sénateur D. Patterson : Le projet de loi élargit également les pouvoirs liés au prélèvement d’empreintes génétiques pour un éventail beaucoup plus large d’infractions non violentes au Code criminel. Pensez-vous qu’il existe un risque d’atteinte au droit à la protection de la vie privée? Dans les affaires que vous avez citées, savez-vous si un appel a été interjeté? Merci.

Me Tatum : Oui. Les deux affaires que j’ai mentionnées ont donné lieu à une décision de première instance sur la généalogie génétique d’enquête, et non sur la recherche de liens de parenté dans la Banque nationale de données génétiques. L’affaire instruite en Ontario fait actuellement l’objet d’un appel. Quant à celle qui a été instruite à Calgary, le verdict a été rendu vendredi passé. Je ne peux pas vous donner tous les détails.

Pouvez-vous me rappeler la deuxième partie de votre question, monsieur?

Le sénateur D. Patterson : Elle porte sur l’élargissement de la portée aux infractions non violentes. Est-ce que ce changement aura une incidence sur l’étendue de la protection du droit à la vie privée?

Me Tatum : Le projet de loi S-231 vise des situations où un individu a été, au vu d’une norme de preuve applicable en matière criminelle, condamné pour une ou plusieurs infractions criminelles. On ne parle pas du moment de l’arrestation, ou d’un individu qui vient d’être appréhendé sur la rue ou qui fait l’objet d’une ordonnance de fournir un échantillon d’ADN à la suite d’une arrestation. On parle de la conclusion à laquelle est arrivé un tribunal, au vu des faits et de l’ensemble des éléments mis en preuve, et consécutivement à un plaidoyer de culpabilité ou à un procès, comme quoi un individu a commis une infraction.

Les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada et les cours d’appel du pays, ont réitéré que l’attente de protection en matière de vie privée est réduite dans ce cas.

Le sénateur D. Patterson : Merci.

Le président : Maître Tatum, vos éclairages sont très instructifs, mais je tiens à ce que d’autres sénateurs puissent avoir la chance de poser leurs questions. Je dois donc vous interrompre. Vous m’en voyez désolé.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci aux témoins d’être ici devant nous. J’ai une question pour Mme McBride.

Dans votre exposé, vous avez dit que les femmes autochtones disent que la police n’a pas la volonté de résoudre les cas des femmes autochtones disparues. J’essaie de comprendre votre position, aujourd’hui, lorsque vous dites que l’Association des femmes autochtones du Canada appuie le projet de loi S-231. Nous dites-vous que c’est un appui que j’appellerais « qualifié »? Parce qu’on va utiliser votre position pour dire que oui, les femmes autochtones nous ont demandé d’adopter le projet de loi S-231.

J’essaie de comprendre les réponses que vous avez données. Vous espérez qu’avec ces nouveaux moyens, ces nouvelles techniques d’enquête, la police aura la volonté de résoudre les cas. Comment réconcilie-t-on le fait que les gens se demandent s’il y a une volonté réelle de résolution? Serait-ce en leur donnant plus de moyens techniques que cela leur donnera la volonté de résoudre les cas non résolus?

[Traduction]

Mme McBride : J’espère que les nouveaux moyens à leur disposition ne leur donneront pas le choix de mener des enquêtes dignes de ce nom et complètes. Je vais demander à Me Niman de donner son avis.

Me Niman : Merci. Comme vous pourrez le constater dans notre mémoire écrit, si ce n’est déjà fait, nous avons deux recommandations, dont une vise l’application par les enquêteurs, après l’adoption du projet de loi S-231, de ces outils pour résoudre en priorité les affaires de femmes et de filles autochtones disparues et assassinées. Ils ne devront pas se borner à dire que c’est ce qu’ils vont faire. Ils devront retrousser leurs manches et s’efforcer d’obtenir des résultats mesurables et quantifiables, qui nous donneront la preuve que c’est exactement ce qu’ils font.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci.

[Traduction]

Le président : Merci à vous deux.

La sénatrice Clement : Je vais poursuivre sur la même lancée que la sénatrice Dupuis. Tout d’abord, merci à vous trois de vos témoignages, mais également du travail que vous accomplissez au sein de notre système. Vous faites tous les trois un travail d’une importance capitale.

Ma question est pour Mme McBride. C’est un grand plaisir de vous voir et de vous entendre par écran interposé.

Je voudrais revenir aux difficiles interactions des femmes autochtones avec ce système et aux répercussions sur leur vie. Les statistiques sont claires : elles sont surreprésentées dans ce système, que ce soit à titre de victimes ou dans les prisons.

Me Niman fait valoir que cette surreprésentation pourrait être corrigée grâce à l’exactitude scientifique des empreintes génétiques. Elle a beaucoup parlé de la bonne foi et de la confiance. Nous devons avoir confiance, et nous devons avoir foi en ce système.

Vous avez formulé des recommandations qui portent sur la conduite d’un examen et la priorité à accorder aux femmes qui ont été oubliées et traitées de façon irrespectueuse. Y a-t-il autre chose qui pourrait être fait d’ici à ce qu’un examen soit effectué? Qu’est-ce qui devrait être mis en place pour renforcer la foi et la confiance qu’on nous demande à nous, à vous et aux communautés plus vulnérables d’avoir à l’égard du système? Quelles mesures supplémentaires devrions-nous prendre, et quelles mesures s’imposent pour améliorer le système? Quels investissements supplémentaires seraient nécessaires selon vous? Pouvez-vous me donner des exemples qui m’aideront à avoir la foi que nous devrions tous avoir?

Me Niman : Merci de cette question. D’un point de vue pratique, nous aimerions entendre de la part des enquêteurs et des familles que des affaires anciennes ont été résolues. Ce serait formidable si, durant ces deux années, on nous informe des chiffres et des données sur le nombre d’enquêtes rouvertes et reprises grâce aux nouveaux outils, des suivis effectués et, idéalement, du règlement de ces dossiers. Si on peut nous fournir ce genre de données et si nos membres nous apprennent qu’ils ont été contactés à titre de membres des familles et de survivants, que ces affaires ont été résolues, ce serait une preuve à nos yeux que la réconciliation est en cours, comme on a promis de le faire en réglant les affaires de femmes et de filles autochtones disparues et assassinées laissées en plan.

L’autre chose que nous aimerions voir, étant donné que les femmes autochtones sont extrêmement susceptibles d’être victimes de la traite des personnes ou de l’exploitation sexuelle, et donc d’être les victimes de ces affaires non résolues… Un travail en amont s’impose pour comprendre pourquoi il y a autant d’affaires irrésolues, pourquoi autant de personnes autochtones, et notamment des femmes et des personnes de diverses identités de genre, se retrouvent dans des situations qui les mettent à risque de grossir le nombre disproportionné d’entre elles qui sont des victimes de la traite des personnes.

La sénatrice Clement : Merci.

Le président : Merci, sénatrice. Sénateur Dagenais, à titre de porte-parole de l’opposition, si vous avez des questions pour les témoins, je vous invite à les poser.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’ai une courte question qui s’adresse à Me Tatum.

Une fois que le projet de loi sera adopté et que le système sera mis en place, voyez-vous dans ce projet de loi des points que des avocats de la défense pourraient soulever pour contester, du point de vue constitutionnel, cet usage élargi de l’ADN par le système judiciaire?

[Traduction]

Me Tatum : Ma réponse comportera deux volets. Le projet de loi S-231 vise à maintenir le pouvoir discrétionnaire, du moins pour ce qui concerne les infractions secondaires, de délivrer une ordonnance de prélèvement d’empreintes génétiques. Toutefois, il faut dorénavant donner la preuve d’un effet nettement démesuré. Ce seuil va inévitablement donner lieu à des litiges sur la question de savoir si l’ordonnance de prélèvement d’empreintes génétiques est justifiée dans ces circonstances.

Si le projet de loi est adopté, une autre considération juridique sur laquelle le comité — et un tribunal, le cas échéant — devrait se pencher sera celle du seuil qui devra être établi ou appliqué dans le cas d’une personne reconnue non criminellement responsable du fait d’un trouble mental. Quand Mme DiGiuseppe est venue témoigner au nom de l’Association des avocats criminalistes, elle a cité l’arrêt R. v. Roche que vient de rendre la Cour d’appel de l’Ontario. J’en parle également dans mon mémoire et j’ai inclus un renvoi à cet arrêt. Au paragraphe 11, la cour observe que la situation unique d’un délinquant non criminellement responsable est prise en compte par le caractère discrétionnaire de la disposition législative. Le comité — et un tribunal, le cas échéant — devra déterminer si une question d’ordre juridique est soulevée si le prélèvement d’empreintes génétiques n’est pas exigé dans le cas d’un délinquant non criminellement responsable plutôt que d’en faire une infraction désignée entraînant un prélèvement d’empreintes génétiques.

Je précise que le Code criminel vient d’être modifié afin d’inclure dans les dispositions concernant le registre des délinquants sexuels de l’article 490.012 que, dans le cas d’un délinquant non criminellement responsable, la délivrance d’une ordonnance en vertu de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels est présumée, et qu’une série de conditions législatives visées au paragraphe (3) doivent être prises en considération avant la délivrance de cette ordonnance.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, Me Tatum.

Le sénateur Carignan : Je préfère céder mon temps de parole. Merci.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, je tiens à vous remercier de l’engagement dont vous avez fait preuve à l’égard des témoins qui comparaissent devant nous aujourd’hui, et je tiens à remercier tout particulièrement Mme McBride, Me Niman et Me Tatum. Ce débat a été fascinant, de mon point de vue, et très utile pour le comité. Nous vous sommes reconnaissants du temps que vous avez passé avec nous pendant cette période. Nous vous avons poussés au-delà des limites de ce que nous avions demandé. Je tiens à vous en remercier et à vous remercier également, au nom du comité, pour les contributions que vous avez apportées à l’étude de ce projet de loi.

Chers collègues, nous passons maintenant au groupe de témoins suivant.

Nous avons le plaisir d’accueillir, du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Gregory Smolynec, sous‑commissaire, Secteur des politiques et de la promotion; Lacey Batalov, directrice, Direction des services conseils au gouvernement; et Nadia Sayed, conseillère juridique, Direction des services juridiques. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être joints à nous.

Je vais vous laisser la parole durant cinq minutes environ pour une déclaration préliminaire, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

Gregory Smolynec, sous-commissaire, Secteur des politiques et de la promotion, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Merci, monsieur le président et membres du comité, de m’avoir invité à prendre la parole sur ce projet de loi.

L’ADN est un renseignement personnel très délicat. Si les profils génétiques peuvent aider à poursuivre des délinquants violents, à résoudre des affaires non résolues depuis longtemps et à permettre aux victimes et à leurs familles de tourner la page, leur collecte et leur conservation doivent tenir compte du droit universel à la protection de la vie privée.

La Banque nationale de données génétiques remplit une fonction précieuse en matière d’application de la loi. Depuis sa création, le Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques conseille la GRC sur les opérations de la banque de données. Le comité consultatif comprend un représentant de notre bureau ainsi que des communautés policières, juridiques, scientifiques et universitaires.

Lorsque le comité consultatif a examiné une version préliminaire du projet de loi S-231, nous avons soulevé un certain nombre de préoccupations. J’y reviendrai plus en détail aujourd’hui.

Notre bureau est particulièrement préoccupé par la portée accrue de la collecte d’ADN qui serait entreprise si le projet de loi recevait la sanction royale. Dans sa formulation actuelle, presque toutes les infractions au Code criminel, y compris les infractions non violentes, entraîneraient le prélèvement d’échantillons d’ADN. C’est là un changement important par rapport au modèle mis en place en 1998. En vertu de la loi initiale sur l’identification par les empreintes génétiques, seuls les délits les plus graves entraînaient le prélèvement d’échantillons d’ADN. Cela est beaucoup plus conforme à l’esprit de la loi, dont une section sur les principes reconnaît explicitement le rôle de la vie privée et la nécessité de garantir solidement la protection des renseignements personnels.

Si l’on étend la collecte et l’utilisation des données d’identification génétique, il faut prouver que cette extension est nécessaire, proportionnée, susceptible d’être efficace et peu intrusive. Nous n’avons pas encore la preuve que les avantages de l’extension proposée des prélèvements d’ADN, en particulier chez les délinquants qui ont commis des infractions non violentes et moins graves, seraient proportionnels à la perte du droit à la vie privée.

[Français]

Nous avons aussi soulevé des préoccupations concernant les nouvelles utilisations possibles des profils d’identification génétique dans le projet de loi S-231, en particulier pour la recherche de liens de parenté.

Essentiellement, les modifications proposées permettraient aux services de police d’utiliser des échantillons d’ADN pour établir des correspondances proches ou partielles dans des bases de données génétiques, plutôt que d’établir des correspondances une à une.

L’objectif est de permettre aux services de police de trouver des membres de la famille des suspects grâce à des marqueurs héréditaires, afin de réduire la liste des suspects ou de lancer de nouvelles pistes d’enquête qui n’ont pas encore été envisagées.

Sur le plan de la protection de la vie privée, la recherche de liens de parenté est problématique, car elle transforme des personnes en suspects potentiels, non pas en raison de ce qu’elles ont fait, mais simplement en raison de leurs liens biologiques.

Le fait de ne plus recourir aux correspondances une à une, de cette manière, est aussi une source de préoccupations pour les groupes vulnérables. C’est le cas pour les jeunes, ainsi que pour les communautés qui sont déjà surreprésentées dans les prisons et dans les bases de données des organismes chargés du contrôle d’application de la loi, comme les minorités visibles et les Autochtones.

En raison de l’élargissement proposé en ce qui concerne les circonstances dans lesquelles il serait permis de prélever et d’utiliser des échantillons biologiques, nous nous attendons à ce que des mesures de protection plus rigoureuses en matière de responsabilité soient mises en place, comme l’obligation de procéder à un examen continu.

[Traduction]

Enfin, nous avons des inquiétudes concernant la transparence. Le projet de loi supprime l’obligation pour les agents de la paix de déposer un rapport lorsqu’ils prélèvent un échantillon d’ADN.

Ce sont là des questions de surveillance et de responsabilité, qui sont deux principes clés d’une protection solide de la vie privée.

Voilà qui conclut ma déclaration. Je vous remercie pour le temps que vous m’avez accordé. C’est avec plaisir que je développerai mes remarques et répondrai à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Smolynec. Nous avons une liste de sénateurs qui souhaitent vous poser des questions. La liste est assez longue. Nous pourrions essayer de limiter nos interventions à quatre minutes chacune. S’il reste du temps, nous ferons un deuxième tour.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bonjour, monsieur Smolynec.

J’ai tenté de comprendre votre témoignage à savoir si vous étiez pour ou contre le projet de loi.

Vous ne trouvez pas que les décisions récentes de la Cour suprême vont à l’encontre de votre prise de position. La Cour suprême, dans l’arrêt Rodgers, a dit ce qui suit :

Il est incontestable que l’analyse génétique est un moyen d’identification beaucoup plus performant que la comparaison des empreintes digitales, d’où le plus grand intérêt de la société à l’ajouter aux outils dont elle dispose en la matière.

J’essaie de comprendre. Croyez-vous que le projet de loi aura un impact sur la vie privée?

M. Smolynec : Oui, essentiellement.

Il y a l’expansion, l’élargissement des cas de conviction.

Le sénateur Boisvenu : Combien de plaintes avez-vous reçues, au cours des 10 dernières années, de gens qui croient qu’il y a eu atteinte à leur vie privée en raison de leur inscription au registre actuel?

M. Smolynec : Je n’ai pas de chiffres pour répondre à votre question.

Le sénateur Boisvenu : Alors, sur quoi vous appuyez-vous pour dire que le projet de loi actuel sera une atteinte à la vie privée alors que vous n’avez jamais eu de plaintes relativement au modèle actuel?

M. Smolynec : Premièrement, je crois que nous n’avons pas dit qu’il s’agissait d’une atteinte à la vie privée, mais nous avons des préoccupations pour ce qui est des...

Le sénateur Boisvenu : Mettons que cela revient à peu près au même.

M. Smolynec : Non, je crois qu’il y a une différence entre les deux.

Premièrement, nous n’avons pas de preuves que cela va résoudre des cas. Donc, nous aimerions voir une recherche disant que cela va aider à le faire.

Le sénateur Boisvenu : Cette loi, normalement, sera révisée tous les cinq ans, comme toutes les lois. Est-ce que vous souhaitez appuyer votre jugement sur une évaluation prochaine — dans cinq ans — à savoir si effectivement la loi va avoir cet effet, ou si au départ, vous voulez mettre des balises dans la loi?

M. Smolynec : Il y a des principes de la vie privée qui sont en jeu ici et ces principes sont importants; il faut reconnaître qu’il y a ces principes.

Quand on prend un nouveau départ, habituellement, pour de nouveaux programmes et de nouvelles initiatives du gouvernement et des institutions fédérales, les institutions sont obligées de fournir des évaluations et des facteurs relatifs à la vie privée. Un des facteurs, dans les évaluations, est d’analyser les risques particuliers pour les populations vulnérables, par exemple, par celles touchées par ces initiatives.

Le sénateur Boisvenu : Là, elles ne sont pas du tout touchées par la loi, on garde l’ancien cadre.

M. Smolynec : Oui, mais je pense, par exemple, aux communautés autochtones.

On veut savoir s’il y a des risques. On ne se prononce pas à savoir s’il y a nécessairement des risques, mais on aimerait savoir s’il y en a; c’est une question de principe de la vie privée.

Le sénateur Boisvenu : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Je voudrais juste faire suite à une question précédente du sénateur Boisvenu concernant les principes.

Vous avez parlé des principes du droit à la vie privée. Je me souviens d’une conversation avec un autre témoin portant sur ce projet de loi particulier, concernant l’équilibre entre l’administration de la justice et les droits à la vie privée. Je suis curieux de connaître ces principes à prendre en compte. Pour toute nouvelle initiative, comme vous l’avez mentionné plus tôt, il faut tenir compte de ces principes.

Quels sont les principes que vous considérez comme des attributs clés qui pourraient englober les principes liés au droit à la vie privée?

M. Smolynec : Les principes clés comprennent la nécessité et la proportionnalité.

Ces mesures sont-elles nécessaires pour atteindre les objectifs stratégiques proposés? Sont-elles proportionnelles à la perte du droit à la vie privée qui pourrait être en jeu? Il s’agit là de deux principes clés.

Il existe également un principe, très étroitement lié à la proportionnalité et à la nécessité, qui est celui de l’efficacité. La mesure sera-t-elle efficace? Si l’objectif de la loi est de résoudre des crimes graves et d’élucider des affaires non résolues, cela se produira-t-il? S’agit-il d’un moyen efficace d’atteindre ces objectifs?

La minimisation des effets des droits à la vie privée est un autre principe clé.

Ce sont là quelques-unes des considérations essentielles.

Le sénateur Prosper : Je vous remercie.

Lacey Batalov, directrice, Direction des services conseils au gouvernement, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Lorsque nous abordons les aspects précis de la Banque de données génétiques elle-même, nous examinons des éléments tels que la limitation des garanties de conservation et les principes relatifs à la limitation de la collecte. Cela entre également dans le débat sur la proportionnalité. Certains de ces éléments interviennent davantage au niveau de la mise en œuvre du programme, mais je pense qu’ils s’appliquent également de façon plus générale.

Le président : Merci à vous deux.

La sénatrice Simons : Je voulais d’abord vous demander si vous pouviez nous donner quelques exemples de types de crimes pour lesquels vous pensez que cela peut être disproportionné, soit parce qu’ils sont non violents, soit parce qu’ils sont moins graves qu’un meurtre ou une agression sexuelle. Pour quelqu’un qui est accusé de fraude grave, par exemple, je ne sais pas si le fait d’avoir ses données génétiques dans la Banque de données empêchera la prochaine fraude bancaire.

Quels sont, selon vous, les exemples de crimes dont le champ d’application est inapproprié?

M. Smolynec : Comme nous l’avons mentionné dans notre déclaration, nous nous demandons si les crimes non violents et les crimes moins graves devraient être inclus dans le champ d’application de la loi.

La sénatrice Simons : Quels seraient donc des exemples?

M. Smolynec : Nous nous demandons, dans le cadre de nos propres débats, si un délit d’intrusion, par exemple, serait concerné.

La sénatrice Simons : L’intrusion criminelle serait donc couverte par cette disposition?

M. Smolynec : J’hésite à répondre à votre question, car ce n’est pas comme si nous avions fait une étude de toutes les infractions et de la corrélation entre la condamnation pour ces infractions et la relation qui pourrait exister avec la grande criminalité.

Nous ne sommes pas ici en tant qu’experts en criminologie, mais nous nous posons ces questions. Il s’agit de savoir si l’élargissement de la liste des condamnations criminelles visées par le projet de loi est nécessaire pour que l’on atteigne les objectifs de résolution des crimes graves, tels que les crimes violents, et que l’on trouve d’autres bonnes causes évidentes.

Nadia Sayed, conseillère juridique, Direction des services juridiques, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Je peux vous donner quelques exemples. Le libelle diffamatoire, par exemple, serait pris en compte dans le cadre du projet de loi actuel; une ordonnance de prélèvement d’ADN serait obligatoire. Le parjure est un autre exemple.

Il s’agit vraiment de savoir si c’est nécessaire ou proportionnel à ce type d’infraction.

La sénatrice Simons : J’ai été journaliste pendant 30 ans. Entendre que le libelle diffamatoire pourrait être couvert me fait froid dans le dos.

J’aimerais revenir sur une question posée plus tôt. Je suis vraiment préoccupé par les statistiques. Dans le bassin d’échantillons d’ADN, la logique nous dit, lorsque nous regardons les taux d’incarcération, que la plus grande représentation sera celle des Autochtones parce que leur taux d’incarcération est disproportionné. Cela crée un effet exponentiel : lorsque l’on procède à des comparaisons, la plus grande base de données dont on se trouve à disposer est celle des délinquants autochtones. Il est donc plus probable que l’on utilise la Banque de données génétiques avec succès pour identifier les membres de la famille des délinquants autochtones.

Je me demandais si vous aviez des inquiétudes concernant le risque de ce type de racisme systémique. Personne ne dit que c’est ainsi que le système a été intentionnellement conçu, mais ce serait la conséquence logique de la pêche dans un bassin qui contient de manière disproportionnée le profil génétique de délinquants autochtones.

M. Smolynec : Merci, sénatrice Simons. Nous avons soulevé cette préoccupation, mais nous ne pouvons pas prévoir exactement quels seront les résultats de ce projet de loi s’il reçoit la sanction royale.

Dans les évaluations habituelles de l’impact sur la vie privée, c’est un risque. L’une des choses que les institutions fédérales doivent faire est d’évaluer comment les différentes populations vulnérables seraient touchées.

Nous signalons donc que cet aspect doit être pris en compte. C’est une préoccupation. Il faut la prendre en compte. Mais nous ne pouvons pas dire exactement quelles seront les conséquences de l’élargissement du champ d’application des condamnations et des aspects relatifs à la recherche familiale.

Mais c’est assurément une préoccupation qui doit être prise en compte.

La sénatrice Simons : Le risque d’être perçu définit le devoir d’obéir.

La sénatrice Batters : Merci beaucoup.

J’aimerais revenir sur l’arrêt Rodgers. Dans cette décision, la Cour suprême du Canada a déclaré que la perte de vie privée d’une personne qui fournit un échantillon d’ADN à la banque de données est minime, car elle est comparable à la prise d’empreintes digitales. Cette décision stipule également ce qui suit :

[...] Il est incontestable que l’analyse génétique est un moyen d’identification beaucoup plus performant que la comparaison des empreintes digitales, d’où le plus grand intérêt de la société à l’ajouter aux outils dont elle dispose en la matière.

À la lumière de cette décision et de la citation que je viens de lire, ne pensez-vous pas que la décision de la Cour suprême du Canada contredit vos préoccupations en matière de respect de la vie privée dans le prélèvement de l’ADN d’une personne condamnée pour la Banque nationale de données génétiques?

Je crois que vous avez dit à ma collègue que vous n’aviez pas nécessairement de jurisprudence pour étayer votre affirmation. Si c’est le cas, comment distinguez-vous cette affaire?

Me Sayed : Merci de cette question.

Il est important de noter que, dans l’arrêt Rodgers, la Cour suprême du Canada a tiré des conclusions fondées sur la banque nationale de données qui existait à l’époque. Il est vrai que la Cour a dit que l’on pouvait faire une analogie avec la prise d’empreintes digitales, en particulier parce que les fins auxquelles la banque nationale de données permet d’utiliser les empreintes génétiques sont assez limitées. Les tribunaux ont donc déclaré que le potentiel d’intrusion d’analyse génétique était virtuellement infini, mais le tribunal a fait cette analogie parce que le système actuel le limite à des fins d’identification.

Toutefois, ce projet de loi autoriserait l’utilisation de l’identification génétique à une nouvelle fin, à savoir la recherche familiale, ce que le système n’autorise pas à l’heure actuelle. Il s’agit là d’un aspect qui se distingue vraiment des empreintes digitales. Une empreinte digitale ne révèle rien sur vos liens avec les membres de votre famille, alors qu’un échantillon d’ADN le ferait.

La sénatrice Batters : Bien sûr, les empreintes digitales ne sont pas prises à la suite d’une condamnation, mais c’est le cas ici. De plus, pour les recherches familiales, il doit s’agir d’un délit très grave pouvant aller jusqu’à 14 ans d’emprisonnement ou plus.

Je constate que vous êtes tous membres du Commissariat à la protection de la vie privée, mais le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, M. Philippe Dufresne, n’est pas présent aujourd’hui. Cela concerne un projet de loi auquel vous vous opposez et que vous nous encouragez à ne pas adopter.

Est-ce courant? Pourquoi le commissaire à la protection de la vie privée lui-même n’est-il pas présent pour défendre ces positions? Est-ce peut-être parce que c’est le projet de loi d’initiative privée d’un sénateur et non un projet de loi gouvernemental?

M. Smolynec : Le commissaire à la protection de la vie privée s’était engagé à participer à un forum des autorités de protection de la vie privée de la région Asie-Pacifique. C’est là qu’il se trouve.

La sénatrice Batters : Il se trouve donc à l’étranger?

M. Smolynec : Oui, il est à l’étranger.

La sénatrice Batters : Bien. Je vous remercie de votre attention.

M. Smolynec : Mais non, je vous en prie. Il vous présente ses excuses. Il m’a demandé de le représenter. Il a été pleinement informé et a également examiné tous nos documents.

La sénatrice Batters : Merci.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie tous les trois d’être ici.

Pour faire suite à certaines des questions posées par la sénatrice Simons, j’aimerais poser une question sur la recherche familiale. Devrions-nous nous inquiéter du droit à la vie privée des personnes innocentes, de l’impact sur la présomption d’innocence d’un membre de la famille, de la surveillance génétique potentielle de certains groupes qui pourraient être surreprésentés dans le système judiciaire et de la divulgation involontaire de renseignements accessoires?

Cela concerne le droit à la liberté de rechercher les parents génétiques des personnes qui ont fait l’objet d’un profilage. Vous en avez parlé un peu, mais j’aimerais que vous développiez ce point.

M. Smolynec : Notre point de départ est qu’il y a des questions et des préoccupations. Ces questions et préoccupations pourraient faire l’objet d’une élaboration, d’une étude, d’une recherche plus poussée, etc. Cela s’applique à la fois aux questions de proportionnalité et aux principes en jeu.

Si nous parlons de recherche familiale, c’est un nouveau départ que de mener une enquête qui, peut-être, dans son exécution, touche des personnes qui n’ont peut-être rien à voir avec l’activité criminelle ou l’événement en question, etc.

Il est nécessaire d’examiner les conséquences sur la vie privée de ces personnes. Quelles sont les conséquences plus larges pour ce qui est du respect de la vie privée? Quelle est l’utilité de ces mesures? Seront-elles efficaces? Sont-elles proportionnelles et nécessaires? Et ce, en plus d’une série d’autres principes concernant la manière dont l’échantillon serait prélevé, conservé, et ainsi de suite.

Ce n’est pas nécessairement à nous de répondre à ces questions. Nous soulevons les aspects de la problématique liés à la protection de la vie privée. Nous sommes préoccupés, bien sûr. C’est notre raison d’être — la protection des droits des Canadiens en matière de vie privée.

Lorsque nous en arrivons à la collecte d’ADN qui peut impliquer un grand nombre de personnes qui n’ont rien à voir avec un événement ou un crime, il est évident que cela doit être examiné dans les moindres détails.

La sénatrice Jaffer : Si je comprends bien ce que vous dites, cette question doit être étudiée de manière plus approfondie avant que nous ne procédions à l’examen du projet de loi en ce qui concerne ses conséquences. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Smolynec : Nous soulevons la question de savoir s’il est nécessaire, par exemple, de connaître le nombre et le type de condamnations incluses dans le champ d’application du projet de loi. Si nous avons des questions sur la nécessité et la proportionnalité, il manque des renseignements pour répondre aux questions : cela est-il nécessaire? sera-t-il efficace?

Quels sont les objectifs stratégiques qui sous-tendent le projet de loi? S’il s’agit de résoudre des crimes graves, la collecte d’ADN en cas de parjure est-elle liée de quelque manière que ce soit à la résolution de crimes graves? Dans la négative, cet aspect n’est probablement pas nécessaire ou proportionnel, et il ne sera pas efficace non plus. Cela semble être la collecte gratuite de renseignements personnels qui ne répond pas aux objectifs politiques du projet de loi dont vous êtes saisis.

La sénatrice Jaffer : Merci.

Le sénateur Klyne : Madame Batalov, on nous a dit que le Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques est tout à fait ouvert à l’utilisation des nouvelles technologies. On nous a également fait part de préoccupations quant à l’intégrité et à la fiabilité de ces nouvelles technologies, ainsi qu’à leurs conséquences sur le plan de la discrimination génétique et de l’atteinte à la vie privée. Par exemple, il peut être moins coûteux de reproduire un génome entier plutôt que certaines parties de celui-ci, comme c’est le cas actuellement dans CODIS. Pouvez-vous nous en dire plus sur les technologies émergentes que la Banque nationale de données génétiques pourrait chercher à intégrer à l’avenir?

Mme Batalov : Je ne peux rien dire pour l’instant, non, sur toute autre technologie qu’ils pourraient chercher à incorporer. Mon rôle est de fournir des conseils en matière de protection de la vie privée. J’ignore donc ce qu’ils pourraient envisager à l’avenir.

Le sénateur Klyne : Merci.

Monsieur Smolynec, j’aimerais citer quelques éléments de votre déclaration préliminaire qui, tels que vous les avez formulés, me préoccupent.

Selon la formulation actuelle, presque toutes les infractions au Code criminel, y compris les infractions non violentes, entraîneraient le prélèvement d’échantillons d’ADN sur les personnes. Cela représente un changement important par rapport au modèle adopté en 1998.

Selon le modèle initial, les échantillons d’identification génétique n’étaient prélevés que pour les infractions les plus graves. Cette mesure est beaucoup plus conforme à l’esprit de la loi, qui comprend un article de principe reconnaissant explicitement le rôle de la vie privée et la nécessité de mettre en place des garanties solides pour protéger les renseignements personnels.

Vous avez poursuivi en disant que nous n’avons pas encore vu de preuve des avantages qui en découlent. Par ailleurs, vous avez également exprimé des inquiétudes quant aux nouvelles utilisations du profilage dans le projet de loi S-231, en particulier la recherche familiale. Du point de vue de la protection de la vie privée, la recherche familiale est problématique parce qu’elle transforme des gens en suspects éventuels, à cause non pas de leurs actes, mais simplement de leurs liens biologiques.

Enfin, vous avez également des préoccupations en matière de transparence. Le projet de loi supprime l’obligation pour les agents de la paix de déposer un rapport lorsqu’ils prélèvent un échantillon d’ADN.

D’après votre conclusion, ces questions concernent le contrôle et la responsabilité, qui sont deux principes clés d’une protection solide de la vie privée, et je suis d’accord. Souhaitez-vous commenter certains points sur lesquels le projet de loi étend sa portée à des domaines où il ne devrait peut-être pas le faire?

M. Smolynec : De façon très fondamentale et globale, nous nous interrogeons sur la nécessité d’une telle mesure. Est-elle proportionnée? Sera-t-elle efficace? Certaines de nos questions concernant l’élargissement de la liste des infractions touchées.

Le sénateur Klyne : J’aimerais que vous parliez de l’idée que l’élargissement nous fait passer des délits les plus graves aux délits les moins graves, en passant par les délits non violents. N’est-ce pas de l’exagération en quelque sorte?

M. Smolynec : Une considération clé pour notre bureau est de savoir si l’intrusion dans la vie privée est proportionnelle à la réalisation des objectifs politiques.

Le sénateur Klyne : S’agit-il d’un crime grave, violent, par rapport à autre chose?

M. Smolynec : La question est de savoir si, dans le cas de ces infractions non violentes, le projet de loi permettra d’atteindre les objectifs politiques qui sous-tendent la loi. Si l’objectif politique de la loi est de résoudre les affaires non résolues et les crimes graves, le prélèvement d’ADN dans le cadre d’une condamnation pour parjure est-il en corrélation avec cet objectif?

Le sénateur Klyne : Juste pour gagner du temps, sinon nous ne...

Le président : Je pense que nous devons le laisser répondre. Brièvement, monsieur Smolynec?

M. Smolynec : Les questions qui se posent sont de savoir si ces nouvelles mesures de la loi auront réellement l’effet escompté dans les objectifs stratégiques de la loi. Si elles n’ont pas ces effets et qu’elles ne seront pas efficaces, nous nous demandons si elles seront proportionnées ou si elles seront...

Le sénateur Klyne : J’ai une autre petite question. Le projet de loi élimine l’obligation actuelle pour les agents de la paix de déposer un rapport lorsqu’ils prélèvent un échantillon d’ADN. Cela vous préoccupe-t-il?

M. Smolynec : Oui, parce que cela concerne la responsabilité. Si l’agent de la paix est tenu de déposer un rapport, on dispose alors d’une trace documentaire des mesures qui ont été prises, quand elles ont été prises et par qui elles ont été prises.

Le sénateur Klyne : Merci.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui.

Ma question porte sur le droit à la vie privée. Quel lien faites‑vous avec la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui interdit la discrimination? L’article 3 interdit la discrimination fondée sur la situation de famille et les caractéristiques génétiques. On parle d’apparier l’ADN de personnes condamnées à une personne de sa famille. Par ailleurs, on dit un peu plus loin, au paragraphe 3(3), que :

[...] le refus d’une personne, à la suite d’une demande, de subir un test génétique, de communiquer les résultats d’un tel test ou d’autoriser la communication de ces résultats est réputée être de la discrimination fondée sur les caractéristiques génétiques.

Pouvez-vous nous expliquer le lien que vous faites entre les deux? Il y a l’aspect de la vie privée, qui est un élément extrêmement important, mais c’est à la fois un droit fondamental de la personne. Quel est le lien que vous faites entre les deux, s’il vous plaît?

M. Smolynec : Le lien entre le droit fondamental de la vie privée et la discrimination?

La sénatrice Dupuis : Le droit fondamental à la vie privée et l’interdiction de la discrimination, qui sont prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, fondés sur la situation de famille ou les caractéristiques génétiques — est-ce qu’on additionne ici deux types de droits fondamentaux?

M. Smolynec : Ce n’est pas une addition, il y a des liens entre le droit à la vie privée et d’autres droits les libertés fondamentales aussi, pas seulement la non-discrimination. Selon moi, le droit à la vie privée est un droit qui agit souvent comme un droit instrumental au respect d’autres droits, même les droits démocratiques. Donc, s’il y a des atteintes à la vie privée, cela peut avoir des conséquences et cela peut causer des problèmes pour d’autres droits fondamentaux. Ce n’est pas distinct, mais c’est lié, certainement.

La sénatrice Dupuis : J’aurais une autre question, rapidement. Vous avez parlé de la transparence nécessaire. Pouvez-vous nous renvoyer à quelque chose ou nous expliquer plus précisément ce que vous entendez par « transparence »?

C’est le dernier point que vous aviez soulevé; vous avez dit que cela demanderait des mesures plus rigoureuses et que cela demanderait plus de transparence.

M. Smolynec : Un des aspects de la transparence est d’avoir des données sur les effets de toutes ces mesures sur les droits, il s’agit donc d’un aspect. La transparence est un autre principe des droits d’information, c’est aussi fondamental.

La sénatrice Dupuis : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Merci beaucoup de votre témoignage et de votre travail. J’aimerais revenir sur deux points. Les personnes qui ont fait des recherches dans ce domaine ont fait remarquer que ce ne sont pas les femmes autochtones ou celles qui représentent les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées qui ont proposé ce type de loi. Il s’agit généralement d’une proposition faite alors qu’en fait, ces personnes cherchent à obtenir un changement systémique plus large.

L’une des mises en garde formulées par des personnes comme Jessica Kolopenuk est que ces biotechnologies pourraient en fait être utilisées de manière excessive pour la surveillance et la gestion des peuples autochtones, comme plusieurs personnes autour de cette table l’ont déjà mentionné.

Avez-vous vu d’autres options envisagées à l’échelle internationale? Vous avez mentionné que le commissaire à la protection de la vie privée est à l’étranger. Avez-vous vu une loi de ce genre? Outre les mises en garde que vous avez déjà proposées, y a-t-il d’autres questions qui ont été soulevées jusqu’à présent ou qui auraient pu l’être?

M. Smolynec : Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre directement à votre question, mais je ne m’abstiendrai certainement pas d’y répondre.

Lorsque je pense aux nouvelles technologies telles que la biométrie, il y a une croissance énorme du nombre de technologies biométriques à des fins diverses, y compris à des fins d’enquête criminelle, de mesures antifraude, et d’autres fins. Il s’agit d’un changement radical sur le plan technologique pour ce qui est de la collecte de données biométriques. Il y a aussi, vous le savez, des changements historiques dans l’utilisation de diverses technologies numériques, comme l’intelligence artificielle.

Les changements technologiques se font à un rythme tel qu’il est difficile de prévoir toutes les conséquences des nouvelles technologies et de leurs différentes applications dans différents domaines, comme l’application de la loi, etc. Je pense qu’il nous incombe d’être prudents quant aux conséquences imprévues. Certaines mesures partent d’une bonne intention. Ma banque peut vouloir prendre mon empreinte vocale pour pouvoir m’identifier afin de protéger mon investissement financier dans la banque, ma sécurité personnelle avec la banque. Toutefois, si cette empreinte vocale est recueillie de manière inappropriée ou irresponsable, elle pourrait me mettre en danger. La banque n’essaie pas de me mettre en danger, mais elle pourrait le faire si elle ne recueille pas l’empreinte vocale correctement et si elle ne prend pas en considération toutes ces conséquences différentes et imprévues.

Une façon détournée de répondre à votre question est que j’ignore si c’est l’intention de qui que ce soit, mais il peut y avoir des conséquences involontaires qui doivent être soigneusement examinées et étudiées.

La sénatrice Pate : Avez-vous procédé à une évaluation de l’impact sur la vie privée?

M. Smolynec : C’est aux institutions fédérales qu’il incombe d’effectuer des évaluations de l’impact sur la vie privée conformément à la politique gouvernementale, et non à la loi. Nous aimerions que ce soit exigé par la loi, mais il n’en est rien.

Quelques évaluations de l’impact sur la vie privée ont été réalisées pour la Banque nationale de données génétiques et quelques amendements ont été proposés à ces évaluations. Nous avons formulé des recommandations en réponse à ces évaluations. La GRC a mis en œuvre nos recommandations, mais il n’y a pas eu d’évaluation de l’impact sur la vie privée, par exemple, de la recherche familiale, etc.

L’un des premiers éléments d’une évaluation d’impact sur la vie privée qui serait une base essentielle pour un examen précoce est de savoir s’il existe un pouvoir légitime de recueillir des renseignements personnels.

La sénatrice Clement : Je vais continuer avec cela. Merci, sénatrice Pate.

Merci à vous trois, monsieur le sous-commissaire et vos collègues, d’être ici.

Nous sommes souvent appelés ici à examiner des projets de loi pour lesquels il n’y a pas beaucoup de preuves. Les gens disent : « Nous n’avons tout simplement pas de preuves. Mais nous allons quand même aller de l’avant et adopter ces lois. » C’est inquiétant.

Vous avez parlé des principes nécessaires — proportionné et susceptible d’être efficace. Quelles sont les preuves dont vous avez besoin pour étayer ces principes? S’agit-il des évaluations de l’impact sur la vie privée, dont nous savons qu’elles n’ont pas été réalisées dans le cas des recherches familiales? Quel est votre rôle dans la collecte de ces preuves? Qui recueille ces preuves?

Je vous remercie d’avoir été présents pendant que les témoins précédents étaient là. Vous avez entendu l’Association des femmes autochtones du Canada approuver ce projet de loi tout en soulignant certaines préoccupations et en disant : « Nous allons réexaminer cette période de deux ans. » Que voulez-vous voir au cours de cette période de deux ans? Quel genre de preuves voulez-vous pour répondre à ces préoccupations?

M. Smolynec : Nous ne sommes pas ici afin de présenter un argument pour de nouvelles mesures stratégiques, pas plus que pour présenter un argument contre de bonnes pratiques de protection des renseignements personnels ou des bons objectifs stratégiques. Notre objectif n’est pas de présenter un argument criminologique ou sociologique sur les effets de la loi, mais pour signaler ces préoccupations.

En ce qui concerne les preuves dont vous parlez, la seule chose que je dirais est : quelle est la théorie à laquelle les preuves apporteraient une réponse? Quelle est la question de recherche à laquelle nous cherchons à répondre? Quelque chose de vraisemblablement exhaustif. Quelque chose de vraisemblablement complet. Dans ce contexte, pour certains des aspects dont nous parlons, la mesure est-elle nécessaire? Sera‑t‑elle efficace? Cela soulève la question suivante : quels sont les objectifs stratégiques de la loi? L’élargissement des types d’infractions et la collecte d’échantillons d’ADN découlant de cet élargissement permettent-ils d’atteindre les objectifs stratégiques de résolution des crimes graves?

Quel est l’objectif théorique du projet de loi? Par « théorique », j’entends les objectifs stratégiques. Les mesures répondent-elles à ces objectifs stratégiques? Quels sont les éléments de preuve qui s’y rapportent? Dans notre cas, nous nous intéressons aux principes de la protection de la vie privée. Ces mesures sont-elles nécessaires? Sont-elles proportionnées? Que pouvons-nous attendre? Seront-elles efficaces?

Ce sont des réponses générales à la question pour vous de savoir quelles sont les questions auxquelles vous essayez de répondre et quelles sont les preuves nécessaires pour répondre à ces questions.

La sénatrice Clement : Les études d’impact sur la vie privée fournissent-elles des preuves, selon vous, et peut-on s’appuyer sur ces études?

M. Smolynec : Je suis un grand partisan des évaluations de l’impact sur la vie privée, qui sont généralement effectuées, non pas lors de l’adoption d’une loi, mais habituellement dans le cas de nouveaux programmes ou de nouvelles initiatives au sein des ministères, ou parfois pour l’application de nouvelles technologies.

S’il existe une technologie pour laquelle la loi autorise la collecte de renseignements personnels, la politique du gouvernement veut parfois que la nouvelle technologie fasse l’objet d’une évaluation de l’impact sur la vie privée, que nous examinons ensuite. Si je suis un partisan des évaluations de l’impact sur la vie privée, c’est parce qu’elles sont un processus très rigoureusement structuré qui permet de répondre à toutes ces questions, de recueillir des renseignements et de répondre aux questions relatives à l’objectif poursuivi. Quel est le pouvoir juridique? Et nous avons des lignes directrices très pratiques sur la façon de procéder, qui structurent ces débats et répondent à de nombreuses questions, et les gens apportent divers éléments de preuve pertinents dans la conduite...

La sénatrice Clement : Ce ne sont pas [Difficultés techniques], n’est-ce pas?

M. Smolynec : Non, ce sont des institutions fédérales qui sont tenues, en vertu de la politique du gouvernement du Canada, de lancer un nouveau programme, une nouvelle initiative ou d’utiliser une nouvelle technologie susceptible d’avoir une incidence sur la vie privée. Elles doivent le faire. Ce n’est pas le cas de tout le monde, d’ailleurs.

La sénatrice Clement : Je comprends.

Le président : Merci.

Le sénateur Dalphond : J’ai de petites questions. Existe-t-il une réglementation fédérale applicable à ces autres organismes qui recueillent des échantillons d’ADN à des fins de généalogie? S’agit-il d’un monde non réglementé ou est-ce laissé à la responsabilité de la province?

M. Smolynec : Ce sont des entreprises commerciales, qui sont donc soumises à notre projet de loi fédérale sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, ou LPRPDE, et aux dispositions de la loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, qui est elle-même fondée sur des principes. Un des principes les plus importants est celui du consentement.

Le sénateur Dalphond : Mais on nous dit que le fait même de demander à se soumettre à un test pour savoir d’où viennent ses ancêtres constitue un consentement. Je ne suis pas sûr que les gens s’en rendent compte. Par consentement, on entend apparemment autoriser son utilisation par la police qui vient frapper à la porte.

M. Smolynec : Cela dépend de l’entité commerciale en question, si elle prévoit une telle éventuelle utilisation et si elle obtient des personnes ce que nous appelons un « consentement valable ».

Le sénateur Dalphond : Nous avons deux systèmes : l’un sous l’égide de la GRC, qui est très strict et comporte de nombreuses règles, et l’autre en parallèle sur les entreprises commerciales, qui est plus ou moins mal réglementé et facilement accessible. Alors pourquoi faut-il travailler sur cette partie et pas sur l’autre?

M. Smolynec : J’allais dire qu’un autre aspect de ces entités commerciales qui demandent le consentement, vraisemblablement, de leurs clients et ainsi de suite, est que ces personnes soumettent leur propre ADN, mais elles ne donnent pas nécessairement — et ne peuvent pas donner — le consentement des membres de leur famille qui pourraient éventuellement être touchés par cette collecte. C’est donc un autre espace — que je qualifierais de liminal — dans lequel cette nouvelle technologie affecte l’univers de la vie privée de manière différente et parfois inattendue.

Le sénateur Dalphond : Merci.

Le président : Puis-je poser une question avant d’inviter le sénateur Dagenais à parler? Nous avons entendu dire que la proportion de prélèvements d’ADN au Canada est beaucoup moins élevée que dans d’autres pays, ce qui laisse peut-être entendre que nous avons été plus respectueux du droit à la vie privée des gens que dans d’autres pays. De nombreuses personnes souhaitent certainement que les crimes non résolus soient élucidés, et l’ADN est un outil qui permettrait d’y parvenir.

Si ce projet de loi devait entrer en vigueur, monsieur Smolynec, il me semble qu’il y a certaines idées et préoccupations que vous avez précisées ici. La collecte de preuves génétiques concernant ces crimes s’avérera non pertinente pour la découverte et la condamnation d’autres personnes à l’avenir, de crimes financiers et de certains autres crimes que vous avez mentionnés, tels que le parjure.

Si l’on analysait l’efficacité réelle de cette incursion modérée — permettez-moi de l’appeler modérée — dans la vie privée, il me semble qu’il serait utile que vous indiquiez à quiconque le ferait quel type de renseignements il serait utile d’étudier. Est-ce le genre de choses que vous faites? Je ne dis pas que le sénateur Carignan serait la personne chargée de faire cette évaluation, mais je pense que c’est le genre de choses que des gens comme nous aimeraient savoir, et j’aurais pensé que c’était particulièrement le cas de gens comme vous. Existe-t-il des points de repère pour le type de questions que vous souhaiteriez poser, qui sont entièrement propres à ce projet de loi lorsqu’il entrera en vigueur?

M. Smolynec : En ce qui concerne le projet de loi, j’y reviendrai peut-être dans un instant.

Je tiens à préciser qu’il va sans dire que nous sommes pour la résolution des crimes graves, nous sommes pour des objectifs souhaitables en matière de politique publique et nous aimerions savoir comment ces objectifs peuvent être atteints tout en protégeant la vie privée.

Nous sommes souvent appelés, comme c’est le cas ici, à répondre à des questions et à témoigner au sujet de projets de loi présentés à la Chambre ou au Sénat, afin d’apporter notre expertise en matière de protection de la vie privée dans le cadre de ce genre de débats en comité. Lorsque nous avons une position stratégique sur un projet de loi, nous respectons toujours, je pense, la primauté du Parlement et fournissons ces renseignements aux parlementaires en premier lieu.

Il n’est pas courant pour nous d’être impliqués dans l’élaboration de mesures législatives. Je pense que nous devons reconnaître, pour nous-mêmes et pour les autres, que nous ne sommes pas des législateurs et que nous ne sommes pas non plus les promoteurs de projets de loi. Nous avons peut-être des idées à ce sujet, mais nous ne sommes pas les promoteurs.

Mais je pense que nous pouvons avoir des débats, et il existe toutes sortes de bons forums dans lesquels nous pouvons débattre de choses comme les suivantes. Si nous parlons de nécessité et de proportionnalité, que cela signifie-t-il réellement pour ce qui est d’opérationnaliser ce grand principe en quelque chose de concret dans le cas d’une question comme celle qui nous occupe? Que cela signifie-t-il? Je pense que nous pourrions réfléchir à la manière dont nous pourrions avoir ces conversations.

Autrement dit, parfois, ces choses sont encore au niveau académique. Par exemple, nous avons une équipe d’analyse technologique au Commissariat à la protection de la vie privée. Elle ne se concentre pas sur les biotechnologies, mais sur les technologies numériques. Par exemple, elle rédige des documents légèrement académiques sur des sujets tels que le cryptage homomorphique et d’autres nouvelles technologies ayant un impact sur la vie privée, afin d’essayer de les comprendre, comme la dépersonnalisation, l’anonymisation, etc. Nous parlons avec des universitaires, par nos propres médias et lors de conférences pour essayer d’opérationnaliser ces termes.

L’une des grandes questions de la loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé est donc la suivante : qu’entend-on par « dépersonnalisation »? Que signifie dépersonnaliser des données? Que signifie anonymiser des données? Nous participerons à ce débat sociétal sur la façon d’opérationnaliser ces termes pour une entreprise qui souhaite recueillir des données, les rendre anonymes, les agréger et les utiliser à diverses fins commerciales, tout en protégeant la vie privée. Nous avons donc de tels débats.

J’imagine qu’en théorie, quelque chose de ce genre est également possible dans le domaine des biotechnologies.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je comprends ce que vous avez dit. Il y a plusieurs commentaires que vous avez faits au sujet desquels on a eu des preuves apportées par des policiers, des enquêteurs, qui prient pour qu’on ait cela parce que cela va être un outil utile. J’ai un jugement de la Cour suprême, ici, qui nous dit :

Contrairement au mandat ADN décerné pour les besoins d’une enquête, l’autorisation de prélèvement ne vise pas les personnes soupçonnées d’une infraction ni ne permet l’obtention d’éléments de preuve aux fins d’une poursuite. Les dispositions mettent les nouvelles techniques d’analyse génétique au service de l’identification des contrevenants [...]

— donc de gens qui ont déjà commis déjà un crime; ils ne sont pas soupçonnés, mais ont été reconnus coupables.

La société a indéniablement intérêt à ce que les organismes chargés du contrôle d’application de la loi recourent à cette nouvelle technique performante pour identifier les contrevenants.

La technique est performante pour identifier les contrevenants, c’est la Cour suprême qui l’a dit en 2006. Cela va bientôt faire 20 ans. Donc vous n’avez pas fait ces études, malgré le fait que vous avez une collègue qui siège au Comité consultatif de la banque nationale de données génétiques. Je comprends que son rôle ce n’est que de lever des drapeaux sur des enjeux qui vont toucher la vie privée, mais rien n’a empêché le comité consultatif de recommander ce projet de loi.

M. Smolynec : Nous avons posé les mêmes questions au comité.

Le sénateur Carignan : D’accord.

M. Smolynec : Selon moi, c’est important de dire que nous avons des préoccupations, nous avons des questions sur les principes de la nécessité, la proportionnalité.

Le sénateur Carignan : Je comprends. Dans ma tête, on l’a mis sur la balance quand on l’a rédigé, mais, ça, c’est un autre argument. Un comité de la Chambre des communes et deux comités du Sénat ont recommandé l’élargissement de la banque de données génétiques. J’ai vu la sénatrice Jaffer tantôt qui siégeait à l’un des comités.

Avez-vous témoigné devant ces trois comités à ce moment-là? Je ne me souviens plus.

M. Smolynec : Non, ce n’est pas le cas. C’est la première fois qu’on témoigne à propos de ce projet de loi.

Le sénateur Carignan : Parfait. Merci.

Le sénateur Dagenais : Monsieur Smolynec, votre témoignage soulève quelques questions sur lesquelles j’aimerais entendre vos commentaires.

Vos craintes quant aux risques anticipés représentent-elles un élément suffisamment fort pour empêcher la société de doter ses services de police de moyens modernes et efficaces pour retrouver les auteurs d’un crime? Vos préoccupations sur la possibilité de répercussions sur certaines communautés sont-elles justifiables pour limiter les policiers canadiens quant aux moyens qui leur permettent d’identifier de façon certaine des criminels dangereux?

M. Smolynec : J’ai une question sincère en lien avec votre question : les aspects du projet de loi vont-ils réellement aider à résoudre ces enquêtes? C’est une question que je pose. Est-ce que l’élargissement est proportionnel à la perte des droits à la vie privée? On peut répondre en disant qu’on peut résoudre un nombre X de crimes sérieux.

Le Commissariat à la protection de la vie privée n’a pas de données sur l’efficacité de ces mesures, de ces aspects de la loi. Est-ce que cela va fonctionner comme vous le dites? Je ne suis pas sûr.

Le sénateur Dagenais : On parle de crimes graves, on ne parle pas de vols dans un dépanneur.

M. Smolynec : Vous parlez de crimes graves pour...

Le sénateur Dagenais : Les policiers vont utiliser les empreintes génétiques dans des enquêtes pour des crimes graves. On a pu démontrer que les empreintes génétiques sont beaucoup plus efficaces. Il y a moins de risques de se tromper avec une empreinte génétique. Quand je vous ai demandé si c’est utilisé pour résoudre des crimes graves, je voyais vos préoccupations.

Je vous remercie quand même de votre réponse.

[Traduction]

Le président : Je pense que cela met fin au temps dont nous disposons pour nos conversations avec les témoins. Permettez-moi de remercier M. Smolynec, Me Sayed et Mme Batalov. Ces conversations avec vous ont été fort instructives et nous ont permis de comprendre les perspectives en matière de protection de la vie privée en ce qui concerne ce projet de loi.

Chers collègues, ceci met un terme à nos audiences sur le projet de loi S-231 avec des témoins. Nous procéderons à l’étude article par article du projet de loi le jeudi 7 décembre. Le sénateur Carignan pourra se joindre à nous à cette date à titre de parrain du projet de loi.

Demain et par la suite, nous nous pencherons sur le projet de loi S-230. Nous aurons l’occasion d’entendre la sénatrice Pate comme témoin demain. Nous l’attendons avec impatience. Nous n’avons pas toujours l’occasion de contre-interroger nos propres collègues. C’est une autre occasion intéressante pour nous.

Une fois de plus, je remercie mes collègues de leur engagement dans ce dialogue, ainsi que les témoins et l’équipe professionnelle qui nous a soutenus. Nous avons dépassé aujourd’hui ce que nous demandons habituellement. En nos noms à tous, je tiens à leur exprimer notre gratitude.

(La séance est levée.)

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