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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 6 décembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, avec vidéoconférence, à 16 h 37 (HE), afin de poursuivre son étude du projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je m’appelle Brent Cotter et je suis sénateur de la Saskatchewan et président du comité. J’aimerais inviter mes collègues à se présenter.

La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.

La sénatrice Busson : Bienvenue. Je m’appelle Bev Busson. Je suis sénatrice de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire visé par le Traité no 4.

Le sénateur Prosper : Sénateur P.J. Prosper; je viens de la Nouvelle-Écosse, territoire du peuple Mi’kmaq.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, division sénatoriale Les Laurentides, au Québec.

[Traduction]

Le président : Merci, chers collègues.

Honorables sénateurs et sénatrices, nous nous réunissons afin de poursuivre notre étude du projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Nous recevons aujourd’hui deux groupes de témoins. Le premier est composé de trois intervenants, et j’aimerais accueillir en premier Nyki Kish, directrice générale associée de l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry. Mme Kish se joint à nous par vidéoconférence. Bienvenue, madame Kish. Nous recevons Catherine Latimer, directrice générale, de la Société John Howard du Canada, qui se joint à nous en personne. Bienvenue, madame Latimer. Kate Mitchell, avocate et candidate au doctorat de l’Université de Toronto, de la Criminal Lawyers’ Association, se joint à nous par vidéoconférence. Bienvenue maître Mitchell.

Chacune d’entre vous sera invitée à s’adresser à nous pour une période d’environ cinq minutes. Après cette période, les sénateurs vous poseront des questions et discuteront avec vous.

Commençons dans l’ordre que je viens de décrire. Mme Kish, aimeriez-vous passer en premier? La parole est à vous.

Nyki Kish, directrice générale associée, Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Merci, honorables sénateurs et sénatrices, de m’avoir invitée ici aujourd’hui. Depuis le début des années 1980, l’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry, ou ACSEF, maintient une présence forte dans les pénitenciers du Canada conçus pour les femmes. Nous effectuons chaque mois des visites à l’intérieur de chacun des pénitenciers et produisons des dossiers détaillés qui documentent les conditions carcérales et démontrent les contradictions généralisées entre les règles écrites qui réglementent ce système et ses réalités.

Le système carcéral du Canada est effectivement très réglementé, mais il est dépourvu de structures de responsabilisation efficaces. Le résultat se remarque dans les conséquences : une population se chiffrant à un peu moins de 13 000 personnes incarcérées dans un établissement fédéral à tout moment donné, dont l’entretien nécessite environ 2,5 milliards de dollars en frais annuels directs et qui produit un tas de conséquences défavorables connues.

Nous nous demandons quel est le but de lois qui ne font l’objet d’aucune surveillance ni correction. Le système carcéral proprement dit existe pour garantir le respect de la règle de droit, or des appels continus du Bureau de l’enquêteur correctionnel, de l’ACSEF, de bon nombre de mes collègues ayant comparu devant vous et même de chaque grande commission et enquête qui s’est penchée sur ce système ont conclu qu’il nécessite de nombreux changements, comme ceux prévus dans le projet de loi, y compris des voies de sortie pour les nombreuses personnes incarcérées qui n’ont pas besoin d’être là, afin que l’on puisse les amener dans des systèmes en mesure de répondre à leurs besoins.

La question devrait non pas être « devrions-nous adopter le projet de loi », mais bien « pourquoi ne l’avons-nous pas fait plus tôt? » Si le système n’était pas si occupé à réagir à la pauvreté, aux dépendances et aux problèmes de santé mentale, il répondrait de manière plus concrète au très petit pourcentage de gens qui présentent un risque continu.

Fait important, le projet de loi prononce les priorités législatives existantes. La disposition 4(c.2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition exige que le Service correctionnel du Canada prenne chaque décision en envisageant des solutions de rechange à la mise sous garde dans un pénitencier. Lorsqu’il le fait, de façon très limitée, nous voyons une réussite. Je salue les transfèrements des personnes purgeant une peine de ressort fédéral dans des centres communautaires de traitement des dépendances; c’est ce qui fonctionne, c’est ce qui renvoie les gens dans la communauté de manière sécuritaire pour tous.

Malheureusement, la plupart des décisions ne sont pas prises dans ce sens et sont trop restrictives. Une bonne partie de ce qui se passe dans les pénitenciers canadiens devrait choquer le public. C’est pourquoi le fait de permettre aux personnes de demander une réparation, si une iniquité a été démontrée dans l’administration de leur peine, constitue un outil fort nécessaire dans notre système de justice.

Nos institutions doivent faire preuve de l’équité et de la responsabilisation qu’elles attendent des gens. Cette disposition permettra d’augmenter la confiance du public dans le système de justice et de réduire le coût prohibitif de futures poursuites. J’attire l’attention sur les 28 millions de dollars qui viennent d’être attribués à des personnes ayant été placées en isolement au Canada.

Nous saluons le mécanisme de surveillance du projet de loi relativement à l’isolement. La mise en œuvre des unités d’intervention structurée, ou UIS, comme un membre l’a souligné à juste titre, était « bien intentionnée, mais mal exécutée ».

Les bonnes intentions assorties d’une mauvaise exécution sont le modus operandi du système carcéral. Tout fonctionne bien sur papier, mais est imparfait dans la pratique.

Sur papier, les UIS respectent les règles Nelson Mandela. Dans la pratique, elles échouent. Sur papier, les gens sortent de leur isolement cellulaire et ont des contacts humains réels pour une période pouvant aller jusqu’à quatre heures par jour. Dans la pratique, les gens refusent; ils sont déprimés parce que ce n’est pas gratifiant de passer ces heures devant une caméra en interagissant uniquement avec des employés qui, par rapport à eux sont en position de pouvoir et écrivent et analysent tout ce qu’ils disent et font. Et ce n’est pas gratifiant de s’asseoir seul dans une petite cour froide en ne pouvant regarder que du béton et des clôtures à mailles.

À l’heure actuelle, il y a une personne dans un établissement carcéral pour femmes qui se trouve dans une UIS depuis 49 jours. Nous savons que l’isolement pour toute période de temps donnée est traumatisant, mais on voit apparaître de nouvelles tendances où, des personnes séjournent longtemps dans les UIS, et parmi celles-ci on trouve principalement des femmes autochtones et des personnes aux diverses identités de genre, ainsi que celles présentant d’importants besoins en matière de santé mentale à leur admission. Comme le constate le comité consultatif indépendant, les UIS favorisent la maladie mentale. Ces tendances sont les mêmes que celles qu’on constatait dans les régimes précédents d’isolement préventif et de protocoles de gestion.

Cette personne attend d’être transférée dans un établissement différent, ce qui ne se fera pas avant au moins une autre semaine, et nous n’avons aucune indication à savoir si elle sera réadmise dans une nouvelle UIS à son arrivée. Contrairement au secteur des hommes, tous les établissements carcéraux conçus pour les femmes, à l’exception du pavillon de ressourcement, comportent des UIS. Cela a fait en sorte que les placements deviennent une stratégie de gestion de la population relativement facile qui entraîne des conséquences dangereuses. Dans les établissements carcéraux pour femmes, du moins, les UIS sont utilisées principalement comme réponse en matière de santé mentale.

Nous ne devrions pas accepter des conditions qui nuisent aux gens et font en sorte qu’à leur libération les personnes sont dans un état pire qu’à leur arrivée. Il est plus que temps que nous transférions les personnes ayant des besoins en santé dans les systèmes de santé.

Je vous remercie et je suis impatiente de répondre à vos questions.

Le président : J’aimerais maintenant inviter Mme Latimer à s’adresser à nous.

Catherine Latimer, directrice générale, Société John Howard du Canada : Merci, sénateurs et sénatrices, de m’avoir invitée pour entendre la perspective de la Société John Howard du Canada concernant le projet de loi S-230.

La Société John Howard souhaite depuis longtemps réduire le mauvais traitement qu’est l’isolement cellulaire; nous sommes très intéressés par l’orientation du projet de loi S-230 et y sommes très favorables.

Nous pensons qu’il est extrêmement important de définir ce que nous entendons par isolement cellulaire, étant donné que les prisonniers dans les établissements fédéraux sont soumis à ce que les Nations unies définissent comme un isolement cellulaire tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des unités d’intervention structurée. Nous convenons qu’une définition législative précise est nécessaire pour fournir des mesures de protection à l’ensemble des prisonniers purgeant une peine de ressort fédéral qui sont soumis à l’isolement cellulaire.

Au lieu de la définition proposée dans le projet de loi S-230 qui élargit la définition d’une unité d’intervention structurée à certains cas d’isolement cellulaire, la Société John Howard préférerait une définition d’isolement cellulaire qui est conforme à la définition des Nations unies, c’est-à-dire 22 heures dans une cellule sans contacts humains réels par jour.

Que cela se produise à l’intérieur des unités d’intervention structurée ou ailleurs dans l’établissement carcéral, nous aimerions également que l’isolement cellulaire prolongé, à savoir 15 jours consécutifs d’isolement cellulaire ou plus, soit expressément interdit, comme le prévoient les Règles Mandela.

Nous pensons que la surveillance judiciaire est extrêmement importante dans les cas d’isolement cellulaire. Comme l’a révélé le rapport annuel du Comité consultatif sur la mise en œuvre des unités d’intervention structurée, les décideurs externes indépendants qui devaient garantir l’équité procédurale dans le placement et la gestion de l’isolement cellulaire dans les unités d’intervention structurée sont inadéquats. S’appuyer davantage sur la surveillance judiciaire pour ce qui est du placement et de la gestion de ces personnes en isolement cellulaire constituerait une mesure de protection importante contre les mauvais traitements.

La Société John Howard croit également que la responsabilité des soins de santé mentale et physique des prisonniers devrait revenir aux autorités de la santé et non pas aux autorités correctionnelles. Nous convenons que les personnes atteintes de maladies mentales invalidantes devraient être transférées dans des hôpitaux psychiatriques. En particulier, nous sommes favorables à l’amendement proposé à la disposition 6(1). La détérioration de la santé mentale des personnes placées en isolement cellulaire est bien connue et devrait être prise au sérieux. L’exigence législative qu’une évaluation de la santé mentale soit réalisée dans les 24 heures est renforcée par la proposition selon laquelle une personne placée en isolement cellulaire devrait être transférée dans un hôpital, si l’autorité correctionnelle n’est pas en mesure d’effectuer l’évaluation dans les délais prévus.

Les populations défavorisées, autochtones et marginalisées... Nous convenons que des approches adaptées et pertinentes sur le plan culturel sont importantes pour les Autochtones ainsi que pour d’autres personnes qui ont été défavorisées. Cependant, la définition pourrait ne pas être inclusive.

De nombreux prisonniers ont vécu les désavantages des mauvais traitements, des foyers d’accueil, de la pauvreté, de la violence et d’autres traumatismes de l’enfance et n’ont pas été victimes de discrimination, comme semble l’exiger la disposition. Il serait regrettable que des personnes ayant tout autant besoin de programmes communautaires s’y voient refuser l’accès. Est-il possible de prévoir une définition plus inclusive des personnes « défavorisées » pour faire en sorte que les programmes communautaires de soutien soient ouverts aux personnes qui en profiteraient?

La Société John Howard appuie entièrement la disposition 11 du projet de loi, qui propose la présentation d’une demande devant les tribunaux pour une réduction de la peine ou de la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle si la peine a été administrée injustement.

En conclusion, la prédiction du ministre Goodale selon laquelle le projet de loi C-83 mettrait fin à l’isolement cellulaire dans le système carcéral fédéral était effectivement trop optimiste. L’isolement cellulaire se produit à la fois dans les unités d’intervention structurée et à de nombreux autres endroits dans les établissements carcéraux. Je pense que les critiques s’inquiètent généralement du fait qu’il s’agissait surtout d’un changement de nom, et qu’aucun progrès réel par rapport à l’isolement préventif n’a été réalisé.

Même si le projet de loi S-230 permettra de réagir à certains des mauvais traitements infligés, l’examen parlementaire global promis qui devait commencer au début de la cinquième année suivant l’entrée en vigueur du projet de loi C-83 est d’une importance vitale. Cette cinquième année a commencé en juin 2023. La Société John Howard du Canada presse le comité de commencer l’examen du projet de loi C-83 et de produire le rapport requis, qui énonce les réformes recommandées.

Je serai heureuse de répondre à vos questions. Je vous remercie.

Le président : Merci, madame Latimer.

Maître Mitchell, la parole est à vous.

Me Kate Mitchell, avocate, Criminal Lawyers’ Association : Bonjour et merci de me permettre d’être ici aujourd’hui. Je suis ici aujourd’hui au nom de la Criminal Lawyers’ Association, ou CLA, une organisation d’avocats qui s’engagent à donner une voix à la justice pénale et aux libertés civiles. Nous sommes très favorables au projet de loi S-230, qui prévoit des mesures de protection vitales pour les personnes incarcérées dans le système correctionnel fédéral, et nous appuyons les observations de l’Association canadienne du droit carcéral.

Dans le rapport de 1996 de la Commission d’enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston, la juge Arbour a décrit un effondrement de la règle de droit dans le système correctionnel. Malheureusement, peu de choses ont changé, et les rapports annuels du Bureau de l’enquêteur correctionnel recensent certaines des nombreuses violations et l’illégalité qui persistent dans le système fédéral. Une réforme sérieuse est nécessaire, et le projet de loi S-230 est une première étape importante.

L’isolement est très dommageable et demeure surutilisé dans le système correctionnel, et la CLA appuie l’élargissement des mesures de protection offertes aux détenus dans les unités d’intervention structurée. En fait, nous recommandons de les élargir encore davantage pour couvrir tout détenu maintenu dans des conditions restrictives pendant 22 à 24 heures par jour et qui n’a pas reçu au moins deux heures d’interactions sociales réelles.

Compte tenu des conséquences graves de l’isolement, nous sommes également favorables à une plus grande surveillance judiciaire. Les décideurs externes indépendants ont eu une certaine influence positive, mais il demeure des enjeux très graves liés aux placements en isolement prolongés et des disparités entre les personnes soumises à l’isolement. La surveillance judiciaire est absolument essentielle pour corriger les placements erronés en isolement, mais même la seule disponibilité de la surveillance judiciaire joue un rôle important pour ce qui est de promouvoir une meilleure prise de décision et la règle de droit.

Nous soutenons également les efforts du projet de loi S-230 en vue de créer des solutions de rechange appropriées pour les personnes aux prises avec des problèmes de santé mentale, mais nous recommandons d’élargir la disposition afin d’inclure les services de santé mentale communautaires. De plus, nous soutenons l’élargissement des services correctionnels pour les prisonniers issus de populations défavorisées ou minoritaires. Ce sont nos populations surreprésentées dans les prisons qui, trop souvent, se heurtent à des obstacles très sérieux dans le système actuel et ont des besoins distincts, auxquels notre système n’est pas bien adapté.

Enfin, la CLA appuie fermement l’article 11, qui met enfin en œuvre la recommandation de la juge Arbour d’autoriser les réductions de peine en raison d’une iniquité dans l’administration d’une peine. Pour protéger les droits, il doit y avoir une réparation concrète. Dans le contexte du droit pénal, nous retrouvons généralement de telles réparations, les éléments de preuve recueillis lors d’une fouille qui contrevient à l’article 8 de la Charte peuvent être exclus en vertu du paragraphe 24(2). Des sursis peuvent être accordés pour réagir à certaines violations des droits. Ce sont certes des réparations radicales, mais notre cour d’instance supérieure a soutenu que ces réparations sont absolument essentielles pour donner suite à notre engagement de respecter la Charte. Pour ce qui est des violations commises en détention présentencielle, les tribunaux prévoient des réparations relativement efficaces, des réductions de peine et même des sursis, mais une fois qu’ils sont reconnus coupables, les prisonniers n’ont généralement pas accès à des réparations efficaces. L’habeas corpus n’est pas une panacée. Le tribunal l’a essentiellement transformé en cadre pour obtenir un contrôle judiciaire plus rapide des décisions qui touchent les intérêts en matière de liberté résiduelle des prisonniers.

Pour être claire, cette catégorie est définie étroitement — par exemple, les placements en isolement et les transfèrements vers un établissement à sécurité élevée — et la réparation consiste à ordonner la libération des prisonniers d’une forme de détention illégale. On ne peut pas tout contester de cette façon. Le cadre est imparfait, et même lorsqu’un prisonnier conteste une privation de liberté, il peut falloir tellement de temps pour avoir gain de cause que la question devient théorique, et les tribunaux ne peuvent pas faire grand-chose pour corriger le tort.

Pour les torts qui ne relèvent pas d’une privation de liberté, l’autre option est un recours en vertu de la Charte, mais toutes les violations ne donnent pas lieu à une contravention de la Charte, ou à un contrôle judiciaire, un processus lent offrant des réparations limitées. De façon générale, si le tort causé n’a plus cours au moment de l’audience, peu de réparations efficaces sont offertes. Il est peut-être possible de faire une déclaration, mais cela ne suffit pas pour réagir aux torts sérieux et graves qui sont souvent commis contre les prisonniers. Les réductions de peine sont absolument essentielles pour enfin défendre les droits des prisonniers et veiller à ce que les responsables prennent les droits des prisonniers au sérieux.

Dans la mesure où l’on doit adopter toutes les dispositions de coordination pour permettre cette réparation, je crois que c’est ce que l’on devrait faire. Cela demande certes temps et efforts, mais respecter les droits des prisonniers nécessite d’avoir accès à des réparations efficaces.

Je vous remercie. Je suis impatiente de répondre à vos questions.

Le président : Merci, maître Mitchell.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Sénatrice Pate, vous êtes la marraine du projet de loi, et je vais vous inviter à passer en dernier et à aborder ce qui aurait été laissé de côté, au besoin. Vous savez comment nous sommes au comité.

La sénatrice Batters : Merci à vous tous d’être ici. Ma première question s’adresse à Mme Kish, des Sociétés Elizabeth Fry du Canada. J’aimerais savoir si vous pensez que la limite de 48 heures dans le contexte des séjours prolongés est convenable.

Étant donné que les données révèlent que, entre novembre 2019 et novembre 2021, environ le quart des détenus dans les unités d’intervention structurée, ou UIS, ont été détenus pendant plus de deux mois, et que 20 % sont restés dans l’unité d’intervention structurée entre un et cinq jours, je me demande si vous pensez que la limite de 48 heures fixée par le projet de loi S-230 pour un séjour dans une telle unité est réaliste et suffit à répondre aux besoins des détenus et aux exigences en matière de gestion pour ces UIS.

Mme Kish : Merci de votre excellente question. Je pense effectivement que c’est une première étape importante. Certes, en ce moment, des conditions restrictives et l’isolement sous toutes ses formes sont principalement utilisés en tant que stratégie de gestion de la population. Ils ne permettent pas de régler les problèmes qu’ils visent à régler, donc oui, je pense que c’est raisonnable. Je pense que cela incitera le système à innover et à trouver des réactions différentes et plus concrètes, en particulier si le projet de loi doit être adopté, afin de permettre aux personnes ayant un problème de santé mentale connu d’être déplacées en dehors de ces systèmes et amenées dans les réseaux des soins de santé.

La sénatrice Batters : Madame Latimer, si vous avez une brève réponse à ajouter, vous pouvez le faire.

Mme Latimer : Je pense que nous devons prévoir un contrôle judiciaire continu des personnes placées en isolement cellulaire. Selon moi, la période de 48 heures est très bien pour, premièrement, vérifier les motifs pour lesquels les personnes ont été placées en isolement cellulaire et savoir si c’est une solution légitime à utiliser.

Selon notre examen, le placement en isolement cellulaire ne devrait jamais excéder 15 jours, mais puisque nous travaillons beaucoup avec des hommes qui peuvent être violents, nous ne croyons pas pouvoir abolir l’isolement cellulaire ou l’isolement préventif, parce qu’il y a des circonstances où les prisonniers peuvent se blesser entre eux à moins d’être séparés. Cela prend parfois plus de 48 heures à régler, mais il ne faudrait pas que cela dépasse 15 jours.

La sénatrice Batters : Merci.

Je reviens à Mme Kish. En tant que directrice générale associée des Sociétés Elizabeth Fry du Canada, comment évaluez-vous les risques pour la sécurité et le bien-être des détenus, surtout de ceux qui sont vulnérables ou menacés au sein de la population carcérale, dans les cas de retards et du traitement des demandes de prolongation par les tribunaux supérieurs pour des séjours dans des unités d’intervention structurée? Quelles mesures de protection urgentes recommanderiez-vous pour ces détenus?

Mme Kish : Nous faisons beaucoup de travail sur le terrain en organisant des ateliers et en utilisant des outils de règlement des conflits productifs. Les données probantes montrent clairement que, dans les systèmes d’incarcération conçus pour les femmes, comme Mme Latimer l’a noté, les réalités et les contextes sont très différents de ceux dans le secteur des hommes. Nous pensons que, dans la structure existante, il existe plus d’outils qu’il n’en faut pour que le Service correctionnel du Canada puisse assurer la sécurité des gens sans qu’ils soient placés dans des conditions aussi restrictives. En tant que partenaire, nous sommes déterminés à continuer d’inviter des experts communautaires et de soutenir la population afin qu’elle ait les compétences nécessaires pour le faire sans être maintenue dans de petites cages.

La sénatrice Batters : Merci.

Le sénateur Prosper : J’ai une question générale pour chacun des témoins. Merci de comparaître devant notre comité.

J’aimerais savoir ce que vous pensez, dans la pratique, des ressources offertes pour effectuer les évaluations de santé mentale ou des ressources qui se trouvent dans le système. D’après ce que je comprends, ce sont les employés qui s’en occupent plutôt qu’un professionnel, et si c’est fait en partie par un membre du personnel au sein de l’établissement, il y a fort à parier qu’il ne possède pas l’expertise appropriée. Les systèmes et les processus qu’ils utilisent sont essentiellement des cases que l’on coche, je n’ai pas de meilleure façon de le dire. Pouvez‑vous me dire un peu ce que vous savez de ces évaluations et des ressources nécessaires pour réagir au problème?

Mme Latimer : Certainement. Je pense que ce qui explique en partie les décisions qui ont conclu que le système d’isolement préventif contrevenait à la Charte tenait au traitement infligé aux personnes atteintes de maladies mentales lorsqu’elles étaient placées en isolement préventif. On nous a notamment laissé entendre que le projet de loi C-83 permettait d’être vigilant en ce qui concerne la santé mentale des gens placés en isolement cellulaire, et une grande quantité de ressources ont été consacrées à cela pour l’ensemble du système. Je pense que le ministre Goodale a dit qu’on avait affecté 450 millions de dollars à la mise en œuvre. Nous serions en droit de nous attendre à ce que des évaluateurs de la qualité appropriée soient là pour surveiller la santé mentale des gens et s’en occuper.

Nous attendons avec intérêt le prochain rapport du Comité consultatif sur la mise en œuvre des unités d’intervention structurée, parce qu’il se concentrera sur la santé mentale. Je pense, ayant moi-même parlé à des gens qui l’ont vécu, que les évaluations nécessaires ne sont pas effectuées de manière à changer grand-chose pour les gens.

Le sénateur Prosper : Avez-vous autre chose à ajouter?

Mme Kish : Le problème nous semble en quelque sorte double. D’abord, toutes les personnes qui fournissent des services de thérapie et de santé à l’intérieur du Service correctionnel du Canada sont formées selon un cadre de risques et de sécurité. Par exemple, avec l’afflux récent de conseillers en comportement, les femmes et les personnes aux diverses identités de genre incarcérées voient ces personnes comme dans le cadre d’une relation thérapeutique et sont souvent choquées lorsque ces mêmes personnes portent des accusations disciplinaires contre elles. Tant qu’il existe des relations latérales et fortes entre les fournisseurs de soin de santé et le Service correctionnel du Canada, nous verrons la santé mentale intégrée dans les cadres de risque, et comme il se doit, du côté des personnes incarcérées, nous voyons que les gens ont peur de dire qu’ils ne vont pas bien parce que, comme c’est arrivé dans le passé et ça arrive encore constamment, lorsqu’une personne incarcérée dit qu’elle va mal, on réagit souvent en réduisant son accès à tout ce qui est en prison puis en traitant sa souffrance comme un risque.

Me Mitchell : Je n’ai rien d’autre à ajouter. Je pense que Mme Latimer et Mme Kish ont bien couvert le sujet.

Le président : Merci à vous tous.

La sénatrice Simons : Madame Latimer, j’ai été très perturbée de vous entendre parler d’endroits à l’extérieur des UIS où les gens sont détenus dans ce qui ressemble de facto à un isolement cellulaire. Pouvez-vous nous dire quels sont ces types d’endroits, et si ce ne sont pas des UIS, y a-t-il quelqu’un qui fait le suivi de ce qui se passe dans ces unités d’isolement informelles?

Mme Latimer : Non. Il est très décourageant que la réponse aux décisions relatives à la Charte n’ait pas été de respecter les droits qui, comme on l’a démontré, sont violés par ces décisions. Donc en ce moment, dans les unités d’intervention structurée, on accorde une certaine attention à la façon dont elles sont mises en œuvre. Les gens sont placés en isolement cellulaire, et on appelle cela de différentes manières, que ce soit la rangée d’association limitée volontaire, ou juste un isolement dans une rangée particulière de sorte que personne ne peut sortir, ou l’isolement dans une cellule particulière ou des cellules d’observation ou... appelez cela comme vous le voulez. Il y a beaucoup d’endroits différents dans l’établissement carcéral où vous verrez des gens seuls dans leur cellule 22 heures par jour ou plus et sans contacts humains réels.

La sénatrice Simons : Avec l’UIS, il existe des règles et il y a une surveillance. Si je suis placée dans une cellule et qu’il s’agit, sur le plan fonctionnel, d’une unité d’isolement, y a-t-il quelqu’un qui fait le suivi de cela? Disposez-vous de données fiables concernant le nombre de personnes qui peuvent être gardées dans ces conditions dans un mois ou un trimestre donné?

Mme Latimer : Non. Je ne pense pas que le SCC produise des données fiables à ce sujet, mais il vaudrait la peine de lui demander combien de gens sont détenus conformément à la définition d’isolement cellulaire des Nations unies, c’est-à-dire 22 heures par jour dans une cellule sans contacts humains réels.

La sénatrice Simons : J’ai peut-être une question rapide pour chacune de vous. Nous savons que les personnes aux prises avec une maladie mentale sont représentées de manière disproportionnée dans la population carcérale. Parmi les personnes détenues dans les UIS ou d’autres types de situations d’isolement cellulaire, quel pourcentage, selon vous, souffrent d’une maladie mentale, que ce soit un état de psychose, une dépression profonde ou des idées suicidaires? Quel serait le pourcentage?

Mme Latimer : Il serait vraiment difficile de vous donner des chiffres à ce sujet car l’isolement lui-même peut causer des maladies mentales. Il peut y avoir des personnes qui sont... je parlais à un jeune qui allait bien et qui, après avoir passé 48 heures dans une cellule d’isolement préventif, était devenu suicidaire. Le bien-être peut se détériorer très rapidement, et c’est... l’isolement fait en sorte que vous commencez à perdre la notion de ce qui est réel et de ce qui ne l’est pas. La distinction entre l’inconscient et le conscient devient floue, et vous commencez à voir et à entendre des choses qui n’existent pas.

Si vous êtes déjà aux prises avec des problèmes de santé mentale qui vous prédisposent, ce sera beaucoup plus difficile pour vous. Cependant, c’est difficile pour tout le monde.

Le président : J’invite les autres témoins à répondre, Mme Kish d’abord, puis Me Mitchell, si vous le souhaitez, au sujet de la question de la proportion des détenus dans cette situation qui souffrent de maladies mentales ou de troubles de santé mentale.

Mme Kish : Je suis d’accord avec Mme Latimer. Selon notre expérience, assurément, la plupart des personnes admises dans les unités d’intervention structurée ont déjà des problèmes de santé mentale diagnostiqués. Après leur admission, un grand nombre de détenus voient leur santé mentale se détériorer de façon importante. Les femmes et les personnes de genres différents sont en détresse pour de nombreuses raisons en prison, et plus encore dans des conditions restrictives et d’isolement.

Nous interagissons avec des personnes pas seulement en prison, nous le faisons également lorsqu’elles sont mises en liberté, et des répercussions à long terme de ce genre de traitement sont réellement importantes à souligner, car nous voyons des personnes cinq à dix ans plus tard dans les collectivités qui ont vraiment du mal à participer à la vie économique et à entretenir des relations et qui s’isolent... ces tendances se poursuivent après l’incarcération de manière réellement troublante.

Le président : Merci.

Me Mitchell : Oui, merci. Je suis entièrement d’accord avec Mme Latimer et Mme Kish à ce sujet. La population aux prises avec des problèmes de santé mentale représente, je dirais, un pourcentage très important. Cependant, je n’ai pas les chiffres exacts.

Il est certain que l’isolement peut créer un certain nombre de problèmes de santé mentale. Les statistiques sont même difficiles à établir, car en raison du manque de ressources, de nombreuses personnes ne sont pas nécessairement diagnostiquées et soignées, ce qui constitue une difficulté supplémentaire dans l’obtention des chiffres à ce sujet.

Le président : Merci.

Le sénateur Klyne : Les deux premières questions que j’ai et que je veux poser, et peut-être une troisième, s’adressent à Me Mitchell. Comment pensez-vous que l’obligation proposée de transfèrement des personnes souffrant de problèmes de santé mentale invalidants dans un hôpital contribuera à leur bien-être et à leur adaptation en comparaison avec un établissement pénitentiaire? Cela est-il plausible d’un point de vue judiciaire?

Me Mitchell : Oui, merci. Je commencerai par dire que nous avons des problèmes de santé mentale très graves faisant en sorte que de nombreuses personnes se retrouvent dans le système de justice pénale alors qu’elles ne devraient pas y être, et le milieu carcéral n’est évidemment pas le plus favorable au traitement, à la réadaptation et à la réinsertion des personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale. Il est tout à fait dans l’intérêt de la sécurité publique de placer les personnes dans un environnement où elles recevront le soutien et les soins dont elles ont besoin pour poursuivre leur réadaptation et leur réinsertion. Nous soutenons donc fortement les mesures qui proposent des solutions de rechange à l’incarcération.

Il y a certainement des défis et des problèmes logistiques à résoudre en ce qui concerne la promotion de cette approche et les transferts entre ces milieux, mais nous croyons que cela est possible et que cela exigera du travail et une certaine consultation entre les provinces, qui supervisent les systèmes de soins de santé. Il y a une solution à ce problème et, étant donné qu’il y a des bienfaits à placer les gens dans le cadre approprié, cela vaut la peine de faire des efforts et de surmonter ces défis particuliers.

Le sénateur Klyne : Maître Mitchell, l’article 11 peut être contesté devant les tribunaux et insusceptible d’application valable d’un point de vue juridique au titre du Code criminel. Le Code criminel permet-il à un juge de modifier la peine imposée pour les motifs énumérés dans le nouvel article proposé dans le projet de loi?

Me Mitchell : Nous pensons que l’article 24 de la Charte permet aux tribunaux d’accorder tout recours approprié pour remédier à un manquement aux droits prévus dans la Charte. L’article 11 ne crée pas nécessairement de nouveaux pouvoirs, il ne fait que renforcer quelque chose qui peut déjà être fait par les tribunaux au titre de l’article 24 de la Charte.

Il est très important de le signaler et de posséder une législation qui le garantisse, c’est-à-dire qui autorise expressément nos tribunaux à le faire. Avant cela, du moins à ma connaissance, ce n’était pas le cas. Nous devons prendre les mesures mentionnées par la juge Arbour pour faciliter la collaboration entre nos tribunaux et l’organe législatif afin de protéger les droits.

Même si nous arrivons à la conclusion selon laquelle nous devons apporter ces dispositions de coordination, je réitère que nous devrions le faire. Il est clair que les prisonniers doivent avoir accès à des recours efficaces. Même s’il est difficile et peu pratique d’apporter ces amendements, il est possible de le faire et c’est absolument essentiel si nous voulons faire respecter les droits des prisonniers.

Le sénateur Klyne : Madame Kish, l’un des objectifs du projet de loi est de permettre à des groupes communautaires et à d’autres services de soutien d’assurer la prestation de services correctionnels et de plans de libération et de réinsertion dans la collectivité des personnes défavorisées ou en situation minoritaire, et cela ne me pose aucun problème. Je me demande simplement si le projet de loi prévoit des programmes qui devraient être fournis dans le cadre des services correctionnels ou dans les établissements correctionnels afin d’aider les personnes incarcérées à trouver un moyen de réinsertion en toute sécurité dans les collectivités? Y a-t-il quelque chose dans le projet de loi qui garantit que les programmes sont offerts et dispensés à ces détenus, et que ceux-ci peuvent avoir accès à ces programmes et services avant d’en arriver à ce point?

Mme Kish : Je pense qu’il n’y en a pas, et j’espère que c’est tout à fait intentionnel, car ce que nous savons, c’est que les programmes et services offerts dans les établissements pénitentiaires, même s’ils doivent tous être mis en œuvre pour favoriser la réinsertion et la réintégration de manière à répondre à toutes les populations qui s’y trouvent, s’intègrent dans des cadres de sécurité qui les étouffent. Du point de vue du soutien aux femmes et aux personnes de différentes identités de genre depuis la diffusion du rapport La création de choix, il a été reconnu que la meilleure façon pour les personnes d’accéder à un programme ou de recevoir une quelconque thérapie ou des soins, c’est de les offrir dans la collectivité où les normes de soin et les objectifs de la formation et non pas les objectifs de sécurité sont la priorité. Je m’excuse si c’était un peu alambiqué.

Le président : Non, ça ne l’était pas. C’était très utile, madame Kish.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci aux trois témoins d’être parmi nous aujourd’hui.

Madame Latimer, j’aimerais que vous reveniez sur votre commentaire au sujet de la définition de « population défavorisée ou en situation minoritaire ». Vous sembliez indiquer que cette définition n’est pas inclusive.

Pourriez-vous préciser ce qu’il faudrait ajouter ou écrire différemment?

[Traduction]

Mme Latimer : Merci beaucoup. J’ai commencé à travailler au tribunal pour adolescents auprès de jeunes ayant des démêlés avec la justice et beaucoup d’entre eux venaient de milieux défavorisés, avaient vécu la pauvreté, la maltraitance, avaient été placés dans des familles d’accueil, et bon nombre d’entre eux étaient blancs. Même s’ils ont vécu ces situations, je ne suis pas sûre qu’ils correspondraient nécessairement à la définition de défavorisé.

Selon moi, le problème est qu’ils n’étaient pas... je ne sais pas comment décrire cela... adéquatement socialisés. Ils n’ont pas appris les normes sociales. Je parlerais plutôt d’une première intégration que d’une réintégration. Je ne dirais pas qu’ils souffrent nécessairement d’un handicap mental ou de quelque chose de ce genre. Ils étaient simplement défavorisés, absolument défavorisés dans leur départ dans la vie.

Je constate que bon nombre d’entre eux se sont retrouvés dans le système pénitentiaire fédéral. Je pense qu’il serait bénéfique qu’ils aient également accès à des programmes de soutien communautaires qui pourraient les aider à surmonter leurs désavantages et les expériences qu’ils ont vécues lorsqu’ils étaient jeunes.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci. Cela répond à ma question.

Avez-vous une suggestion de formulation différente? Parce qu’on a l’air de dire ici, dans la définition de l’article 8 « population défavorisée ou en situation minoritaire S’entend de toute population victime de discrimination [...] ».

Est-ce qu’on devrait ajouter un élément?

[Traduction]

Mme Latimer : Peut-être que si vous disiez simplement : « Les personnes qui ont été défavorisées et celles qui ont... ». Vous pourriez faire une distinction.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Cela répond à ma question.

[Traduction]

Mme Latimer : Je pense que s’il s’agissait d’une catégorie distincte, elle ne serait pas aussi restrictive.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Busson : Le projet de loi S-230 exigerait, dans certaines circonstances, qu’une personne détenue souffrant d’un problème de santé mentale invalidant soit transférée dans un hôpital y compris un établissement de santé mentale. C’est l’une des exigences. Comment pourrait-on définir les « troubles mentaux invalidants » dans le cadre du projet de loi S-230?

Mme Latimer : Définir ce que nous entendons par « troubles mentaux invalidants » est une question difficile. Je sais que les litiges portant sur les préjudices liés à l’isolement préventif, les recours collectifs, portent sur les problèmes de santé mentale graves et sur les difficultés rencontrées par les personnes souffrant d’importants problèmes de santé mentale qui sont placées en isolement préventif.

Par exemple, je sais que la Commission de la santé mentale du Canada élabore un plan d’action national ou un appel à l’action associé au système de justice pénale, pour essayer de voir si une définition éventuelle pourrait régler le problème.

Je pense que le terme « invalidant » est aussi bon que n’importe quel autre. Si les gens sont incapables de fonctionner, qu’ils sont suffisamment désorientés ou se replient sur eux-mêmes et ne peuvent pas fonctionner, alors c’est invalidant, et cela nécessite probablement une aide professionnelle spécialisée.

La sénatrice Busson : Il me semble que, quelle que soit la définition utilisée, elle donne à penser que les personnes souffrant d’un tel degré de problèmes de santé mentale ont besoin d’une hospitalisation carcérale. Je me demande si j’ai raison dans la plupart des cas. Quelles seraient, selon vous, les répercussions de cette exigence, à la fois sur le plan administratif et sur le plan des exigences en matière d’infrastructure?

Mme Latimer : Vous soulignez un élément très intéressant de la société canadienne en général; il n’y a pas assez de services de soins de santé mentale pour tous ceux qui en ont besoin. Franchement, je pense qu’il faut consacrer beaucoup plus d’efforts à la résolution des problèmes de santé mentale dans la population en général et pour cette population en particulier qui ne reçoit pas beaucoup d’aide.

J’ai eu la possibilité de rencontrer des personnes qui se trouvaient dans l’unité de santé mentale de l’Établissement de Millhaven et qui avaient vécu l’isolement préventif, et c’est probablement la série d’entrevues qui m’a causé le plus d’insomnie. Il était très tragique et très malheureux que des personnes souffrant de tels problèmes de santé mentale soient soumises à quelque chose qui ne fait qu’aggraver leur situation.

Nous avons un défi à relever, mais si vous deviez octroyer des ressources en fonction des besoins, ces personnes en ont extrêmement besoin. Certaines d’entre elles ont extrêmement besoin des ressources disponibles.

La sénatrice Busson : Ai-je raison de dire que cette problématique est indissociable du besoin de traitement de la toxicomanie, qui est un autre problème lié aux infrastructures dans notre pays?

Mme Latimer : C’est une bonne question. Il ne fait aucun doute qu’il existe souvent un diagnostic mixte et que de nouveaux types de médicaments semblent favoriser l’apparition d’un épisode psychotique. Je ne sais pas si cela dure longtemps ou si c’est permanent. Je pense que c’est probablement permanent. Oui, je pense qu’il existe un véritable défi en matière de diagnostic mixte au chapitre de la toxicomanie et de la santé mentale.

La sénatrice Busson : Merci beaucoup.

Le président : Merci à toutes les deux. Sénatrice Simons, je ne passerai pas au deuxième tour si c’est possible. Nous avons commencé un peu tard et je crains que nous causions un désagrément majeur au second groupe de témoins.

La sénatrice Simons : Je peux tout aussi bien poser la question que j’ai en tête au deuxième groupe de témoins.

Le président : Vous pourriez peut-être poser la question à la sénatrice Pate plus tard. Sénatrice Pate, vous êtes la marraine du projet de loi. Je vais vous céder la dernière série de questions.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup. Je voudrais reprendre là où la sénatrice Busson s’est arrêtée. L’une des questions soulevées par certaines personnes qui nous ont parlé du projet de loi est qu’il y a énormément de personnes à qui les dispositions relatives à la santé mentale pourraient s’appliquer. L’une des raisons tient au fait que le système de santé mentale n’a pas été en mesure de répondre à la demande croissante, et lorsqu’il était incapable de le faire, le système carcéral a été utilisé. Considérez-vous que cela constitue un motif valable, d’un point de vue moral, juridique ou éthique, pour continuer à incarcérer les gens?

Mme Latimer : Pas du tout. Je pense que nous avions un problème avec la désinstitutionnalisation et à l’idée que les ressources communautaires devaient être adéquates pour composer avec les gens qui ne seraient plus incarcérés pour des problèmes de santé mentale. La communauté n’a pas pu répondre aux besoins. Les ressources ne sont tout simplement pas là. Donc, non, je pense qu’il faut davantage de ressources, surtout des services communautaires en santé mentale.

La sénatrice Pate : Vous avez souligné, et je suis heureuse que d’autres témoins se soient aussi joints à la discussion, mais vous avez souligné que, lorsque le ministre Goodale examinait ce projet de loi, les affectations étaient importantes. En fait, le gouvernement avait reçu une demande spéciale pour une recommandation royale afin de financer des services de santé mentale. L’objectif était d’obtenir des services contractuels au moyen des ententes d’échange de services qui existaient déjà avec les provinces et les territoires pour créer des places supplémentaires dans les centres psychiatriques. Savez-vous si cela s’est produit?

Mme Latimer : Je dirais que non. Je sais qu’il y avait déjà des places à l’Institut Pinel. Il y a déjà eu des places à Brockville, et je pense qu’on a perdu ces places. Je dirais que l’on ne va pas dans la bonne direction. Mme Kish sait peut-être mieux que moi si les prisonniers sont transférés dans ces endroits.

Le président : Madame Kish et maître Mitchell, voudriez-vous vous joindre à la discussion si vous avez une opinion ou de l’information à ce sujet?

Mme Kish : Je dirais qu’il n’y a pas beaucoup plus de places qu’avant; les places sont très limitées dans les centres psychiatriques.

Ce qui fonctionne, et en ce qui concerne le fardeau et l’infrastructure, je sais qu’il y a trois centres de traitement en Colombie-Britannique — et tous les centres de traitement de la toxicomanie ont une composante qui touche la santé mentale, parce que l’expérience nous a appris que c’est interrelié —, et les détenus sous responsabilité fédérale sont transférés avec succès du milieu carcéral à des centres de traitement au sein de la collectivité, et ceux-ci sont assez différents des centres psychiatriques régionaux. Ces centres sont axés sur la communauté et sur les soins, et les résultats sont excellents. Donc, il faudrait étudier ce qui fonctionne et partir de là.

Le président : Merci. Avez-vous quelque chose à ajouter, maître Mitchell?

Me Mitchell : Non. Mme Latimer et Mme Kish ont fait de bons commentaires.

La sénatrice Pate : Les places en centre psychiatrique dont vous avez parlé, madame Kish, sont accessibles grâce à une ordonnance de traitement qui fait partie des dispositions relatives à la mise en liberté sous condition. C’est cela?

Mme Kish : Parfois, cela fait partie des conditions de la mise en liberté, parfois, c’est plus tôt. À l’Établissement de la vallée du Fraser, le pénitencier pour femmes, il y avait deux centres de traitement qui acceptaient des gens répondant à certains critères avant la semi-liberté. Je ne sais pas si c’est prévu dans les articles de ce projet de loi.

Quoi qu’il en soit, nous constatons que, lorsque les gens sont placés dans des conditions préjudiciables, leur état se détériore, et que, lorsqu’ils sont placés dans des conditions où ils sont soutenus, ils terminent avec succès leur traitement et ont des vies productives et enrichissantes. Au contraire, les gens qui sont placés dans ces unités d’intervention structurées subissent des torts irréparables.

La sénatrice Pate : Merci. Si je comprends bien, cela ne concerne pas l’article 29; il s’agit plutôt d’ordonnances de traitement lorsque les gens deviennent admissibles à des permissions de sortie avec ou sans escorte. Mais nous pouvons certainement le demander si nous en avons l’occasion.

Quelles étaient les dispositions avant le projet de loi C-83 et la création des unités d’intervention structurées? Quelle était la définition d’« isolement », et quels genres de mécanismes de surveillance existait-il, avant?

Mme Latimer : Ce qui est intéressant, c’est qu’il y avait plus de mesures de protection ou de protection procédurale pour l’isolement disciplinaire que pour l’isolement préventif. Les trois mêmes dispositions, portant sur les motifs de détention, qui existent maintenant pour une unité d’intervention structurée figuraient dans les dispositions relatives à l’isolement préventif, mais les détenus placés en isolement préventif avaient accès à de l’information concernant la raison pour laquelle ils étaient placés là et ils avaient l’occasion de demander pour quels motifs ou en raison de quels faits ils étaient placés en isolement préventif.

Les prisonniers se plaignaient du fait qu’ils avaient davantage de droits en isolement disciplinaire qu’en isolement préventif. Mais je crains que les protections procédurales limitées prévues dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la LSCMLC, pour l’isolement préventif ne soient elles-mêmes disparues avec non seulement la création des unités d’intervention structurée, mais avec la prolifération des différents types d’isolement cellulaires, peu importe leur nom, qui existent aujourd’hui.

La sénatrice Pate : Seriez-vous d’accord pour dire que, avant cela, la définition d’isolement concernait en fait tous ceux qui n’étaient pas dans la population régulière, et qu’il pouvait s’agir d’isolement préventif même si c’était disciplinaire? Ces personnes avaient aussi droit à un conseil.

Mme Latimer : Oui.

La sénatrice Pate : Nous avons observé la surutilisation de l’isolement préventif comme moyen d’éluder les responsabilités liées à l’isolement disciplinaire. Êtes-vous d’accord avec cela?

Mme Latimer : Oui. Il y avait toujours des cellules nues et quelques autres isolements ponctuels, mais la majorité des gens étaient placés en isolement préventif.

Le président : Merci à vous. J’aimerais clore cette discussion en remerciant Mme Kish, Mme Latimer et Me Mitchell. Comme d’habitude, vous avez contribué grandement à notre étude du projet de loi, et j’aimerais vous remercier encore une fois de vous être jointes à nous.

Nous allons maintenant passer à notre deuxième groupe de trois témoins, et j’aimerais les accueillir à tour de rôle.

Nous recevons aujourd’hui, Me Michael Spratt, associé chez AGP LLP. Bienvenue, maître Spratt. Nous recevons aussi Mme Adelina Iftene, professeure agrégée de droit à la Faculté de droit Schulich de l’Université Dalhousie. Bienvenue, madame Iftene. Nous recevons également Mme Mary Campbell, ancienne directrice générale à la Direction générale des affaires correctionnelles et de la justice pénale de Sécurité publique Canada, aujourd’hui retraitée.

Me Spratt et Mme Campbell sont ici avec nous, et Mme Iftene participe par vidéoconférence. Dans cet ordre, je vous inviterais à tour de rôle à faire vos déclarations liminaires; vous avez environ cinq minutes chacun, puis nous passerons aux questions des sénateurs et à la discussion. Nous commençons par vous, maître Spratt, allez-y.

Me Michael Spratt, associé, AGP LLP, à titre personnel : Merci beaucoup. Bonsoir. Je m’appelle Michael Spratt et je suis spécialiste en droit pénal et associé au cabinet d’avocats AGP LLP, à Ottawa. C’est toujours un plaisir de comparaître devant votre comité.

On vit plusieurs choses frustrantes et décourageantes lorsque l’on pratique le droit criminel. Le sous-financement du système de justice, les retards des tribunaux, notre refus, vraisemblablement, de composer adéquatement avec la santé mentale, la dépendance et la pauvreté, ce sont là toutes des choses qui me pèsent beaucoup, mais cela n’est rien comparativement à l’impuissance que nous ressentons, mes clients et moi, lorsque ceux-ci sont victimes d’injustice dans le système correctionnel. Soyons très clairs : il y a de l’injustice dans le système correctionnel.

Je sais que vous avez tous lu les rapports annuels du Bureau de l’enquêteur correctionnel, qui font état de l’utilisation de l’isolement cellulaire et des cellules nues à des fins punitives, des problèmes d’accès aux soins de santé et au soutien en santé mentale, des incidents de discrimination, du racisme et de la prévalence de la violence sexuelle et de la violence en général.

Je ne prends pas connaissance de ces incidents tragiques seulement en lisant les rapports du Bureau de l’enquêteur correctionnel; mes clients m’en parlent eux-mêmes directement et, souvent, je ne peux pas faire grand-chose pour les aider à obtenir justice.

Imaginons une hypothèse tout à fait raisonnable. Un détenu ayant des problèmes de santé mentale ne reçoit pas un traitement adéquat pour ses problèmes de santé mentale et est plutôt confiné dans une unité d’intervention structurée pendant, disons, 30 jours. Cette décision découle peut-être d’une erreur tout à fait involontaire dans les lois ou les politiques. C’était peut-être une décision visant à punir ou c’était peut-être tout simplement une décision déraisonnable. Quoi qu’il en soit, très peu de recours s’offrent à cette personne.

Souvent, cette personne est incapable de se défendre, et, même si elle l’était, des obstacles la dissuadent de déposer des plaintes à l’interne et de signaler le problème. Des rapports à l’enquêteur correctionnel pourraient éclairer les propres rapports de ce dernier et ses recommandations, mais ils n’offriraient pas vraiment de solutions personnalisées et rapides à la personne qui souffre, dans ces conditions.

C’est souvent difficile pour cette personne de communiquer avec un avocat, et, lorsqu’elle y parvient, elle se bute souvent à un mur de formalités administratives, d’obstacles et de secrets. Lorsque j’arrive à obtenir de l’information, une plainte concernant les droits de la personne ou une autre poursuite civile suppose de faire appel à un autre avocat spécialisé dans ce domaine, et c’est un processus long, complexe et possiblement coûteux, qui ne garantit pas la prise de mesures correctives en temps opportun. Actuellement, il n’existe aucun mécanisme qui nous permet de renvoyer le délinquant devant la personne la mieux placée pour régler ses problèmes : le juge qui détermine les peines.

C’est lui qui a pris connaissance des faits de l’affaire. Il connaît la situation du délinquant. C’est tout à fait illogique de ne pas permettre au juge qui détermine les peines d’administrer ces peines, et c’est ce dont je veux vous parler aujourd’hui.

Je peux vous dire que les juges sont atterrés lorsqu’ils entendent parler de certaines des conditions et de certains des traitements auxquels font face les gens en prison. Les juges qui ont infligé une peine à quelqu’un en présumant que les lois et les politiques seraient suivies sont atterrés lorsqu’ils réalisent que ce n’est pas le cas et qu’ils ne peuvent rien faire.

L’absence de recours pour une personne incarcérée qui fait face aux situations que j’ai décrites est... la solution est exposée dans le projet de loi. Le mécanisme visant à corriger ce problème peut aussi régler certaines disparités relevées dans le système de justice pénale. Voyez-vous, les juges peuvent tenir compte des conditions d’incarcération, des conséquences collatérales et des inconduites déclarées avant l’imposition de la peine, mais ils ne peuvent plus tenir compte de ce qui se passe après.

Cette situation fait en sorte que deux personnes comparables, qui ont commis les mêmes infractions, sont traitées différemment; l’une a vécu ce comportement illégal, discriminatoire et injuste avant l’imposition de la peine, et le juge peut déterminer la peine en tenant compte de ces facteurs. Cependant, dès que la décision est rendue, si l’autre délinquant, qui a commis la même infraction, vit ces mêmes injustices, mais après la décision, ne peut plus s’adresser au juge qui détermine les peines, la personne la mieux placée pour cela, pour obtenir réparation.

Les propositions figurant dans le projet de loi permettraient de garantir non seulement une réparation rapide, mais aussi que les gens incarcérés qui sont victimes d’injustice à un moment ou un autre pendant leur détention sont en mesure de demander réparation en temps opportun à un décideur réceptif. Une procédure par laquelle les tribunaux qui déterminent la peine pourraient revoir l’administration d’une peine et qui leur permettrait d’accéder aux documents, de lever le voile sur certains secrets auxquels nous sommes confrontés, d’assigner des témoins à comparaître et d’explorer pleinement tous les faits qui ont mené à la situation, pour imposer une réparation convenable.

J’aime le projet de loi, mais je pense toujours que tout peut être amélioré; voici donc deux propositions que vous pourriez considérer au moment d’étudier le projet de loi.

De nombreuses personnes qui bénéficieraient de ce projet de loi ne pourront pas se payer les services d’un conseil et n’auront pas la capacité ou les compétences nécessaires pour se représenter elles-mêmes durant ces audiences. Des mécanismes peuvent facilement être ajoutés à ce projet de loi pour régler ce problème. Ils figurent dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ou dans l’article 486.3 du Code criminel, et ils permettraient au tribunal de désigner un conseil, aux tarifs de l’aide juridique, pour aider la personne. C’est une modification qui pourrait être apportée pour s’assurer que les choses tournent rondement, sans trop monopoliser les ressources des tribunaux qui traitent ces affaires.

L’autre chose que le projet de loi devrait aborder, c’est la façon dont ces personnes comparaîtraient devant le tribunal pour présenter leur demande. L’une des pires choses que l’on peut faire c’est de sortir une personne de l’établissement fédéral — parfois, on l’envoie à l’autre bout du pays ou de la province — et de la placer dans un établissement de détention provisoire pendant qu’elle attend de comparaître devant le tribunal, mais cela peut être corrigé facilement à l’aide d’un libellé qui permet les comparutions virtuelles depuis l’établissement fédéral. Cela permettrait au tribunal de prendre connaissance des faits et d’imposer ou non réparation, après l’audience, sans perturber le processus ou entraîner d’autres retards dans le système de justice pénale.

Je répondrai avec plaisir à toutes les questions sur cette disposition précise.

Le président : Merci, maître Spratt. Vous avez dépassé un peu le chronomètre, toutefois, la dernière fois que vous avez comparu, vous avez pris moins de temps, donc cela s’équilibre. Merci.

Madame Iftene, c’est à votre tour de faire votre déclaration liminaire, vous avez environ cinq minutes. Allez-y.

Adelina Iftene, professeure agrégée de droit, Faculté de droit Schulich, Université Dalhousie, à titre personnel : Bonsoir, et merci de m’avoir invitée à témoigner au sujet du projet de loi S-230. Dans ma déclaration, je vais me concentrer sur les amendements qui concernent la durée et la surveillance des séjours dans les unités d’intervention structurées — les UIS — et la mesure réparatrice proposée de réduction de peine. J’ai déposé des explications plus détaillées sur les trois points que je vais présenter de vive voix, ainsi que trois annexes auxquelles je ferai référence durant ma déclaration.

Le premier point que je veux soulever — et dont vous avez déjà beaucoup entendu parler ce soir, de la part du premier groupe de témoins — est le fait que l’isolement continue d’être surutilisé, sous divers noms, dans le système correctionnel fédéral. Peu importe si on appelle cela des unités d’intervention structurée ou quoi que ce soit d’autre, cela reste de l’isolement. Les unités d’intervention structurée ont été mises en œuvre suivant la promesse d’abolir l’isolement et de créer un espace plus thérapeutique, mais ce n’est pas ce qui est arrivé. Selon les rapports des professeurs Doob et Sprott, ainsi que les rapports plus récents du Comité consultatif sur la mise en œuvre des unités d’intervention structurée, la mise en œuvre des UIS s’est révélée extrêmement difficile. Par exemple, à plusieurs égards, les UIS continuent d’être utilisées simplement comme une autre forme de l’ancien régime d’isolement; les personnes avec des problèmes de santé mentale restent dans les UIS pendant de longues périodes; et les personnes racisées y sont surreprésentées.

Je veux tout spécialement attirer votre attention sur le quatrième rapport de Doob et Sprott, dont je suis co-auteure, et dont je vous ai transmis une copie à l’annexe A. Le rapport montre, à l’aide des propres données du Service correctionnel du Canada, comment toutes ces préoccupations à l’égard des UIS — des préoccupations dont on vous a déjà parlé — n’ont pas du tout été atténuées par les décideurs externes indépendants, qui étaient censés être un mécanisme de surveillance créé spécifiquement pour surveiller les séjours dans les UIS et prévenir les abus.

Mon deuxième point est que l’isolement — et cela est très bien documenté, je suis sûre que vous en avez entendu parler — nuit bien évidemment à la santé physique et mentale de la personne. Je vous ai transmis des notes détaillées où j’explique ce point, comme je le fais aussi à l’annexe B, où il est aussi souligné en quoi les pratiques correctionnelles actuelles sur le recours à l’isolement, sous n’importe quelle forme, y compris les UIS, contreviennent aux normes des Nations unies et violent probablement la Charte, parce qu’elles posent certains des mêmes problèmes que le vieux régime, qui a été jugé non conforme à la Charte.

Mon troisième point est que le projet de loi S-230 pourrait aider à atténuer certains de ces problèmes, de deux façons au moins. Premièrement, je pense que l’isolement soulève de plus en plus de préoccupations juridiques et de santé, surtout pour les personnes qui ont des problèmes mentaux. Comme nous utilisons encore très clairement certaines formes d’isolement au Canada, avec très peu de surveillance concrète, je suis d’avis que des mesures plus strictes sont nécessaires pour encadrer le recours à l’isolement, peu importe la forme.

Ces mesures — conformément à l’objectif du projet de loi S-230 — devraient comprendre l’imposition de limites strictes sur la durée de l’isolement et l’obligation d’obtenir l’ordonnance d’un juge pour prolonger les séjours au-delà de cette durée. Je pense que, au point où nous en sommes, il s’agit du seul mécanisme de surveillance raisonnable, parce que l’échec de toutes les autres formes de surveillance est bien documenté, qu’il s’agisse de mécanismes internes ou externes. Il est maintenant clair que seule une cour a l’indépendance et l’impartialité nécessaires pour remplir la fonction de surveillance.

Enfin, j’aimerais parler des mesures réparatrices pour les détenus qui ont vécu de la violence en prison, dans les UIS ou ailleurs. Comme l’a dit M. Spratt, les détenus s’exposent à un risque accru de préjudice et de violation de leurs droits. La façon dont les UIS ont été mises en œuvre n’en est qu’un exemple. Les services correctionnels sont rarement tenus responsables des préjudices qu’ils causent. Le système de mise en liberté sous condition n’a pas non plus fait grand-chose pour remédier à la situation des détenus qui subissent un châtiment plus sévère en raison de la façon dont leur peine est administrée. Je vous ai aussi transmis en annexe C un article que j’ai écrit il y a longtemps, dans lequel j’explore cet enjeu particulier de la mise en liberté sous condition.

Il est essentiel, pour protéger les droits et assurer une reddition de comptes, d’autoriser la réduction de peine en tant que mesure réparatrice. Dans les années 1990, la juge Louise Arbour a rédigé un rapport sur la Prison des femmes de Kingston, dans lequel elle a noté qu’il y a peu d’espoir que la primauté du droit s’impose d’elle-même dans la culture correctionnelle sans l’intervention du Parlement et des tribunaux. Elle a ensuite proposé que les tribunaux puissent accorder des réductions de peine en tant que réparation aux personnes qui ont subi des préjudices en raison de la façon dont leur peine a été administrée.

Pour que ce soit clair, d’autres pays utilisent cette mesure réparatrice depuis des décennies, par exemple les pays nordiques et certains pays de l’Europe de l’Ouest. Cependant, le Canada n’a pas mis en œuvre cette recommandation. Plutôt, nous avons tenté diverses réformes qui n’étaient que de simples retouches et qui ne réglaient pas le problème principal, c’est-à-dire, à mon avis, le manque de reddition de comptes dans le système correctionnel. Et nous voilà maintenant, malgré toutes ces réformes, 30 ans plus tard, encore en train de discuter des mêmes problèmes. Nous discutons du recours excessif à l’isolement, de l’absence de surveillance adéquate et de la surreprésentation des personnes souffrant de problèmes mentaux dans le système carcéral. Je pense que ce projet de loi est une occasion de donner aux tribunaux le pouvoir de surveiller la façon dont sont exécutées les peines qu’ils rendent et d’atténuer les préjudices que les détenus vivent en prison chaque jour. Merci.

J’invite maintenant Mme Campbell à présenter sa déclaration. Vous avez environ cinq minutes.

Mary Campbell, ancienne directrice générale, Direction générale des affaires correctionnelles et de la justice pénale, Sécurité publique Canada, à titre personnel : J’espère casser la tendance, monsieur le président. Je n’ai pas rédigé de déclaration officielle, parce que ce n’est habituellement pas mon style, mais j’ai de l’expérience en ce qui concerne la majorité des questions à l’étude aujourd’hui. Il y a trois choses que je veux souligner en particulier.

Le Service correctionnel du Canada — le SCC — a toujours eu le pouvoir de transférer les détenus dans des hôpitaux, que ce soit pour une évaluation ou pour un traitement. C’est prévu dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition — la LSCMLC — depuis 1992. Il a ce pouvoir, et il l’a évidemment utilisé. Le sénateur Boisvenu a parlé des places disponibles à l’Institut Philippe-Pinel, un établissement de psychiatrie médico-légale. Il en a fait l’éloge, et avec raison. L’ancienne présidente de votre comité appuyait fortement le Centre de santé mentale de Brockville, en particulier après qu’il a mis en place une unité médico-légale pour femmes, et ce centre, lui aussi, est à la disposition du SCC. Il existe des ressources, qu’il s’agisse des ressources internes du SCC ou des établissements privés avec qui il a conclu des contrats.

Je ne veux pas dire par là qu’il y a une quantité illimitée de places. Malgré tout, il y a des options, et le SCC a bien sûr exploité lui-même des centres psychiatriques régionaux, comme celui de la Saskatchewan, par exemple. Ces mesures existent, mais il faut la volonté de les utiliser.

Au sujet de la limite de 48 heures pour l’isolement, j’aimerais attirer votre attention sur un point : j’espère qu’il y a dans le projet de loi des protections qui empêcheront ce qu’on pourrait appeler le cycle des 47 heures, c’est-à-dire que, une fois qu’il s’est écoulé 47 heures, le SCC retire la personne pendant une demi-heure, puis la remet en isolement, et le cycle de 48 heures recommence à zéro. Ainsi, le SCC n’est pas obligé de s’adresser au tribunal. Je voulais seulement attirer votre attention sur ce point important.

Troisièmement, au sujet de la recommandation de Mme Arbour, j’ai effectivement travaillé pour le solliciteur général du Canada et tout ce qui a suivi. La recommandation n’est pas inconnue dans le système de justice pénale du Canada. Les gens qui sont en détention préventive avant un procès bénéficient d’une peine réduite, qui équivaut à plus d’un jour pour un jour, parce que l’on sait que les conditions en détention préventive sont plus difficiles que les conditions en détention, à purger sa peine. C’est une situation analogue. La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents prévoit qu’un jeune délinquant peut retourner devant le tribunal afin de bénéficier d’une peine d’emprisonnement réduite ou pour demander une période réduite de surveillance conditionnelle. Ce ne sont que quelques exemples. Ce n’est pas un concept étranger de permettre le retour devant la cour.

Pourquoi n’a-t-on pas donné suite à la recommandation de Mme Arbour? Nous approchons le 30e anniversaire de cette recommandation. Comme je l’ai dit, je travaillais pour le solliciteur général, à l’époque. Et si nous revenons en arrière pour savoir quelle a été la réponse du gouvernement en 1998, il a noté que nous l’avions renvoyée au ministère de la Justice, parce qu’il s’agissait d’une question liée à la détermination de la peine et qu’elle était « en cours d’examen ». On attendait un rapport provisoire à l’automne 1998. Faisons un saut en avant; au 10e anniversaire, en 2006, le rapport d’étape disait — et vous ne serez pas surpris de l’apprendre — que le ministère de la Justice n’avait pas encore terminé son examen. Dans un bel élan de franchise, le rapport soulignait aussi que rien n’indiquait que le ministère de la Justice allait proposer des amendements à la loi pour donner suite à ces recommandations, et le dossier a été clos. Puis, bien sûr, les fonctionnaires partent, les gouvernements changent, les ministres changent, et personne n’a rien fait avec cette recommandation. Les choses allaient en rester là jusqu’à ce que la sénatrice Pate la ramène dans ce projet de loi.

Voilà tout ce que j’ai à dire pour l’instant. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le président : Merci, madame Campbell. Vous avez pris moins de cinq minutes, alors vous détenez le record. Merci.

La sénatrice Batters : Merci à vous tous d’être ici. Vous avez toujours donné des conseils très précieux au comité au fil des nombreuses années, et nous vous en remercions.

Tout d’abord, j’aimerais m’adresser à M. Spratt. Entre novembre 2019 et novembre 2021, 3 734 détenus ont passé du temps dans une unité d’intervention structurée. Selon vous, quel impact ce genre de volume aurait-il sur les demandes adressées aux cours supérieures?

Nous avons évidemment un problème avec les retards judiciaires. C’est une crise qui perdure au Canada depuis des années déjà, et je sais que vous avez déjà témoigné ici de nombreuses fois à ce sujet. Je me demandais si vous croyez que le système judiciaire actuel est équipé pour traiter efficacement un si grand volume de dossiers.

M. Spratt : Je serai franc, je pense que cela serait un fardeau pour les cours supérieures. Nous manquons déjà de ressources, et nous surchargeons les ressources que nous avons. Malgré tout, certains aspects me permettent d’espérer.

Nous parlons beaucoup de dissuasion, de manière spécifique et générale, dans le système de justice pénale. Le simple fait d’avoir à justifier la demande de prolongation devant un juge pourrait limiter le nombre de fois où il faut s’adresser à un juge pour justifier une prolongation. Cela pourrait encourager les gens à être raisonnables lorsqu’ils utilisent leur pouvoir discrétionnaire pour prendre ce genre de mesures.

Je pense aussi que, avec de l’expérience, les cours pourront traiter ces dossiers de manière efficiente. Nous savons que les cours supérieures doivent faire l’examen du cautionnement et des ordonnances de détention à l’étape préalable au procès, et qu’elles sont capables de le faire. Toute personne en détention avant procès a droit à une révision de l’ordonnance de détention après 90 jours. Cela concerne beaucoup plus de gens en détention avant le procès que le nombre que vous avez cité, malheureusement. Les cours supérieures sont capables de traiter tous ces examens obligatoires, alors je suis convaincu que le système saura s’adapter au travail supplémentaire que nous lui demandons.

La sénatrice Batters : Merci.

Monsieur Spratt, vous avez proposé dans votre déclaration un amendement qui permettrait aux détenus qui sont visés par le projet de loi de retenir les services d’un conseil aux tarifs de l’aide juridique. Quand vous avez dit cela, j’ai pensé au départ « Oui, c’est une bonne idée, c’est bien réfléchi », mais après y avoir pensé un peu, il y a un détail qui me préoccupe : il s’agit d’un projet de loi déposé par un sénateur, et en conséquence, il n’a pas accès à la recommandation royale nécessaire pour dépenser de l’argent. Seriez-vous d’accord pour dire que ce serait une préoccupation, en ce qui a trait à cet élément en particulier?

M. Spratt : Je vais laisser aux experts — vous tous — le soin de juger les paramètres de ce qui est approprié pour un projet de loi d’initiative parlementaire, mais l’aide juridique relève de la compétence provinciale. Il n’y aurait pas de dépenses fédérales. Ce serait certainement quelque chose que les provinces devront couvrir, comme cela se fait dans d’autres types de lois.

Je pense certainement que c’est quelque chose qui pourrait au bout du compte faire sauver aux cours beaucoup de temps et de ressources; c’est-à-dire de l’argent, mais surtout du temps, pour que les professionnels concernés puissent rationaliser le processus de demande.

La sénatrice Batters : Merci.

Madame Campbell, vous avez été directrice générale de la Direction générale des affaires correctionnelles et de la justice pénale pendant très longtemps, et je me demandais si, vu votre expérience, vous pouviez nous donner votre opinion sur la justification de la limite de 48 heures dans les unités d’intervention structurée prévue dans le projet de loi S-230.

Mme Campbell : Cela va certainement poser des difficultés, en pratique; je n’ai rien à dire là-dessus.

Je pense qu’un des avantages sera, comme M. Spratt l’a dit, l’effet dissuasif, et que, je l’espère, le Service correctionnel du Canada — le SCC — sera mieux en mesure de planifier ces cas et que les établissements auront sur place les ressources nécessaires pour gérer la personne et qu’ils n’attendront pas à la dernière minute pour se demander, oups, que devons-nous faire avec cette personne?

Je pense que la nécessité de se préparer deviendra très claire pour le SCC. Est-ce que ce sera un défi? Oui, ce ne sera pas facile. Mais chez beaucoup de ces personnes, les problèmes de santé mentale n’apparaissent pas soudainement. Ils sont très évidents, dès le départ.

J’ai déjà visité une rangée de cellules pour les détenus qui ont des besoins spéciaux, à l’Établissement de Stony Mountain, et je dois le dire : je ne sais même pas comment on avait pu conclure qu’ils étaient aptes à subir un procès, pour être honnête. Le SCC sait qu’ils sont là, il sait qu’il doit prendre des mesures d’adaptation quelconques, mais je pense que, s’il n’y a pas de limite prévue dans la loi, je doute que le SCC fasse ce qu’il doit faire.

La sénatrice Batters : Merci.

Le président : Merci à vous deux.

Le sénateur Prosper : Je réfléchissais aux témoignages du dernier groupe, et je serais curieux de connaître les pourcentages en ce qui concerne le lien de causalité entre l’isolement et les problèmes et les enjeux de santé mentale. À certains égards, je pense qu’on a parlé de « torts irréparables », et du fait que cela pouvait accroître ou accélérer ou aggraver les conditions préexistantes. La question est donc : quand ces personnes en sortent, vont-elles recommencer le processus?

Je serais curieux d’entendre vos commentaires — je m’adresse à tous les témoins — sur ce lien, sur les données existantes montrant un lien entre l’isolement et le préjudice accru au regard des problèmes de santé mentale préexistants.

Mme Campbell : Je ne peux rien dire en ce qui concerne des études ou des données, mais votre commentaire me fait penser au fait que, depuis peu, la société est préoccupée par la solitude, surtout depuis la pandémie, et la solitude chez les personnes âgées.

Je pense qu’il y a un lien à faire avec l’isolement. La société a commencé à comprendre qu’il y a beaucoup de gens seuls, et que cela a un véritable impact sur la santé mentale. Quand on y pense, l’isolement n’est véritablement rien d’autre qu’une forme profonde de solitude, n’est-ce pas?

J’aimerais qu’il y ait plus d’études sur les conséquences de l’isolement en milieu carcéral, et sur ses conséquences à long terme. Présentement, souvent, les gens qui sont placés en isolement ont eu des difficultés durant toute leur vie, et, même si le temps passé en isolement peut leur être temporairement bénéfique, sans traitement de fond, le cycle se poursuivra, et ils continueront d’être des gens très seuls, sans aucun soutien social.

Je pense que c’est un problème très profond, pas seulement dans les établissements carcéraux, mais dans toute la société, et nous devrions nous en préoccuper, parce que, comme vous l’avez dit, la plupart de ces personnes vont être remises en liberté dans la collectivité.

Mme Iftene : Me permettez-vous de répondre moi aussi?

Le président : Oui, je vous en prie.

Mme Iftene : En fait, il y a beaucoup d’études sur les gens atteints de maladie mentale qui sont incarcérés au Canada et en général.

Présentement, au Canada, d’après les études que j’ai réalisées auprès de personnes âgées de 50 ans et plus, environ 40 % des détenus âgés de 50 ans et plus incarcérés dans les pénitenciers fédéraux canadiens ont reçu un diagnostic de maladie mentale, c’est-à-dire qu’ils ont au moins un trouble mental diagnostiqué. Chez les femmes, de façon générale, environ 80 % ont un trouble mental diagnostiqué. Le pourcentage est très élevé chez les femmes.

Je ne suis pas certaine du pourcentage chez les hommes, mais je pense que les dernières données montrent que la proportion est d’environ 30 %. Encore une fois, je parle ici des troubles diagnostiqués, et il y a bien sûr bien des gens qui arrivent en prison sans avoir pu recevoir de diagnostic, avant, ce qui veut dire qu’il y a probablement plus de cas que ce que montrent les chiffres.

Premièrement, nous savons que, chez beaucoup de gens qui vont en prison, il y a un très haut pourcentage de problèmes de santé mentale, plus élevé que dans la population générale qui n’est pas en prison.

Deuxièmement, il y a beaucoup d’études montrant que l’environnement carcéral lui-même — même sans l’isolement — a un effet négatif sur les troubles mentaux. Il y a des études, même au Canada, qui montrent que les taux de suicide et de dépendance sont généralement plus élevés chez les gens qui sortent de prison, et qu’ils ont généralement des besoins en santé mentale accrus.

Troisièmement, j’ai expliqué dans les commentaires détaillés que je vous ai transmis que certaines études montrent que l’isolement a vraiment un effet négatif sur la santé mentale, peu importe la personne. Même si vous n’avez pas de maladie mentale diagnostiquée, les conséquences négatives sur la santé apparaissent dès les 48 premières heures. Après 15 jours, les conséquences deviennent permanentes, et il n’y a vraiment rien à faire pour y remédier. C’est très grave, et il s’agit de personnes qui n’ont même pas de problèmes de santé mentale.

Pour les gens atteints de maladie mentale, il y a beaucoup d’études, y compris certaines des Nations unies, qui montrent que toutes les conséquences négatives apparaissent bien avant les 48 premières heures, et bien avant 15 jours. Beaucoup d’études ont été faites — et je vous en ai transmises quelques-unes —, mais nous devrions certainement être beaucoup plus préoccupés par l’utilisation de toute forme d’isolement en réaction à la maladie mentale et en réaction aux comportements indésirables.

En ce moment, l’isolement sert à contrôler tout ce qui est considéré comme un comportement indésirable, même si le comportement est parfois dû à de vrais problèmes de santé préexistants.

Le président : Merci, madame Iftene.

Le sénateur Klyne : J’ai un certain nombre de questions, mais j’aimerais vous demander, madame Campbell, vu votre expérience dans le système correctionnel, comment les établissements correctionnels peuvent s’adapter aux modifications proposées dans le projet de loi S-230, ou plutôt comment ils doivent s’adapter aux modifications proposées dans le projet de loi S-230. Y a-t-il des difficultés potentielles que nous devrions prévoir ou aplanir dans la mise en œuvre du projet de loi?

Mme Campbell : Oui, la mise en œuvre va présenter des difficultés, entre autres celle de s’assurer que le système dispose de ressources médicales adéquates, parce que nous savons à quel point il est difficile de convaincre les médecins, les psychologues et les thérapeutes de travailler dans un établissement. C’est une difficulté depuis longtemps, pour toutes sortes de raisons. Nous le savons bien, alors il n’y a rien de nouveau ici.

Une autre difficulté sera d’informer tout le personnel de ces obligations juridiques. Je ne veux pas généraliser quand il s’agit du personnel du système correctionnel. C’est un travail difficile et il y a beaucoup de bonnes personnes qui font du mieux qu’elles peuvent, mais il y a souvent un grand écart entre Ottawa et les rangées de cellules de l’Établissement de Stony Mountain ou de Matsqui. Le personnel n’est pas toujours bien informé des lois et de ses obligations particulières. Quand je passais beaucoup de temps dans les établissements, j’avais l’habitude de dire que, si je recevais 5 ¢ chaque fois qu’on me disait qu’une proposition ou une règle était la loi, je serais très riche. Les gens ne voient pas la différence entre une loi et une politique. Je pense qu’éduquer le personnel au sujet de ces mesures sera crucial, si on veut qu’elles donnent des résultats.

J’espère qu’il y aura un peu un effet dissuasif, et que le personnel comprendra qu’il n’aura pas à invoquer la recommandation de Mme Arbour, du moins aussi longtemps que les employés éviteront de créer des conditions difficiles ou illégales ou d’y contribuer.

Je pense qu’il va y avoir beaucoup de travail à faire, par exemple — comme toujours — redistribuer les ressources. J’ai beaucoup d’idées sur la façon dont le SCC pourrait redistribuer son argent, parce qu’il s’agit — après tout — de l’argent de tous les contribuables canadiens. Je ne veux tout de même pas minimiser la situation. Effectivement, ce sera un défi, mais le SCC peut être à la hauteur de la tâche. Il va falloir un réel leadership ainsi qu’une bonne éducation pour le personnel.

Le sénateur Klyne : Madame Iftene, je voulais vous demander, rapidement, quelle incidence vont avoir les dispositions du projet de loi S-230 sur la santé et le bien-être des détenus, en particulier ceux qui ont des troubles mentaux invalidants. Y a-t-il des aspects précis du projet de loi qui, selon vous, pourraient atténuer ou exacerber les difficultés actuelles en matière de santé dans les prisons?

Mme Iftene : Le projet de loi, entre autres, élimine cette idée que l’isolement est ou peut être une solution à tout problème comportemental, y compris ceux causés par les troubles mentaux. Je pense que l’important, c’est que l’imposition d’une limite stricte au recours à l’isolement met en relief le fait que la prise en charge de la maladie mentale doit se faire dans un autre cadre. La maladie doit être traitée, et ce n’est probablement pas dans un établissement carcéral qu’elle le sera.

Présentement, l’isolement est utilisé — et il l’est depuis des décennies — comme intervention générale pour tout ce qui est perçu comme un comportement indésirable, y compris les problèmes de santé. Je pense que c’est extrêmement important. Il y a eu beaucoup de tentatives, dans le passé, visant à restreindre ce genre de mesures disciplinaires ou punitives, mais elles n’ont pas donné de résultats. Je pense qu’il est temps d’établir très clairement que le délai de 48 heures sert à trouver une vraie solution au problème.

Cela va effectivement être un défi, parce que le projet de loi, bien évidemment, ne prévoit pas ou ne peut pas prévoir, actuellement, toutes les autres solutions de rechange qui devront être mises en place. Comme l’a dit Mme Campbell, il devra y avoir une redistribution des ressources. Nous allons devoir repenser en profondeur la façon dont les choses étaient faites, mais je pense que c’est un pas très important vers l’avant de dire que l’isolement n’est pas une solution. L’isolement n’est pas une solution, il s’agit d’une période transitoire de 48 heures qui vous donne le temps de réfléchir à la meilleure solution pour la personne dans cette situation.

Certaines des données du SCC que j’ai examinées montrent que certaines personnes restent en isolement pendant 120 jours. C’est une solution à long terme pour gérer les comportements indésirables, mais cela ne pourra plus se faire, et d’ailleurs cela n’aurait jamais dû être fait.

La sénatrice Simons : C’est un peu déprimant. Madame Campbell, vous avez parlé du tour de passe-passe des 47 heures, et plus tôt, Mme Latimer a parlé de la création de... je ne veux pas les appeler des unités secrètes d’isolement. Je ne sais pas quel est le bon terme. Des cellules fantômes?

Qu’est-ce qu’il y a, dans la culture correctionnelle, qui mène à cela? Après vous avoir écoutés, vous, Mme Latimer et M. Spratt, je m’inquiète et je me demande si les modifications du projet de loi proposées par la sénatrice Pate vont régler quelque chose, parce qu’elles ne tiennent pas compte de tous les tours que vous avez décrits.

Mme Campbell : Je suis d’accord. Je ne pense pas que le projet de loi de la sénatrice Pate va tout régler, mais c’est un pas important dans la bonne direction.

Qu’est-ce qu’il y a dans le système correctionnel — ou le SCC — qui est si déprimant? Je viens de passer toute la journée d’hier avec une vingtaine de collègues. C’était le 50e anniversaire du Bureau de l’enquêteur correctionnel, et certains d’entre nous ont été invités à passer un peu de temps à discuter des réussites et des échecs. Nous étions quelques-uns, dans la salle, dont un expert juridique reconnu de la côte Ouest, qui a maintenant 80 ans et qui a travaillé avec le système correctionnel, mais de l’extérieur, pendant environ 50 ans. Même lui se demandait à quoi a servi le travail des 50 dernières années. Qu’avons-nous vraiment réalisé? Je laisse en partie paraître l’humeur dans laquelle j’ai baigné toute la journée d’hier.

Beaucoup d’entre nous ont conclu que c’est au niveau individuel que les choses avaient changé. Des gens ont reçu de l’aide. Mais, pour ce qui est des changements systémiques, vous avez raison de dire que c’est un défi de tous les instants. Je pense que la simple notion d’enfermer d’autres êtres humains dans des cages alimente ce genre d’attitude punitive ou ce genre de mépris.

Nous acceptons l’incarcération, mais cela n’a pas toujours été accepté. En Angleterre, quand la peine d’emprisonnement a d’abord été proposée, bien des gens ont dit : « Qu’est-ce que ça veut dire? C’est trop cher. Pourquoi enfermer les gens pour les punir? » Bien sûr, ils avaient des solutions encore pires, ils se faisaient une joie de continuer à les utiliser. Je parle des exécutions ou de la déportation.

C’est tout simplement quelque chose d’inhérent aux établissements carcéraux, et je pense qu’il faut toujours chercher à lutter contre cela. C’est pour cette raison que des projets de loi comme celui-ci et beaucoup d’autres sont si importants, parce qu’ils continuent à combattre la dérive, comme il faut le faire.

La sénatrice Simons : Monsieur Spratt, j’ai une question pour vous. Compte tenu du libellé du projet de loi, si un détenu reste en isolement ou peu importe comment on appelle cela maintenant — une unité d’intervention structurée — pendant plus de 48 heures, il faut demander une ordonnance à un juge, mais cela ne s’applique pas dans le cas où une personne est placée dans une cellule fantôme. Disons que la personne est placée en isolement pendant 45 heures, puis y est replacée après 24 heures pour un autre 45 heures, la mesure ne s’appliquerait pas.

À quel point cette disposition ouvre-t-elle la voie à des recours vraiment réalisables pour les gens?

M. Spratt : Je me dis que c’est souvent tentant de ne pas adopter les solutions possibles, parce qu’on imagine toutes sortes de façons dont les gens essaieront de contourner les solutions ou alors leurs lacunes potentielles. Je ne pense pas que ce soit une raison de ne pas adopter les solutions sensées.

Je pense que les changements se verront surtout dans les cours, où je fais la plus grande part de mon travail et où nous avons adopté le principe de la publicité de la justice. Il n’y a aucun principe de la publicité carcérale. Les gens ne peuvent pas facilement savoir ce qui s’y passe. Même à titre d’avocat qui a des clients détenus en établissement, j’ai parfois de la difficulté à savoir ce qui s’y passe.

On dit souvent que la lumière du soleil est le meilleur désinfectant. L’exigence de demander une autorisation judiciaire après 48 heures et de permettre à un juge de gérer la peine après qu’elle a été imposée nous permettra, je crois, d’obtenir un peu d’information, un peu de lumière du soleil et des perspectives; cela permettra non seulement d’aborder les problèmes individuels, mais aussi d’intervenir de manière systémique pour changer la perception du public. Je pense que, dans la profession juridique, nous nous sommes trop longtemps laissés menotter par ces phrases latines, et nous le faisons volontairement : functus officio. Un juge ne peut absolument rien faire, sauf si nous disons qu’il le peut, sauf en ce qui concerne les peines d’emprisonnement avec sursis, les probations et les ordonnances accessoires, que les juges peuvent administrer.

Je pense que c’est un pas en avant. Cela ne va pas tout corriger, mais c’est un pas nécessaire, que nous faisons avec 30 ans de retard. Cela fait 30 ans que nous l’attendons. Alors, faisons-le.

Le président : Merci à vous deux. Nous avons encore trois intervenants, et il nous reste environ 15 minutes avant de devoir absolument nous arrêter.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Ma question porte sur ce que vient de dire Mme Campbell.

Madame Campbell, lorsque vous avez parlé du fait qu’il n’y avait pas eu de changement systémique depuis 50 ans, je voudrais mettre cela en parallèle avec ce que Mme Latimer nous a dit tout à l’heure, à savoir qu’une révision de la loi aurait dû commencer en janvier 2023 et qu’on nous invitait à entreprendre ce travail, ici en comité.

Si je comprends bien, nous n’avons pas fait, dans le domaine carcéral, ce que nous avons dû faire dans le domaine du travail, soit de passer d’un régime où les accidents de travail étaient des accidents physiques, à la réalité qu’aujourd’hui, où les problèmes sont majoritairement des problèmes de santé mentale.

De la même manière, est-ce que nous avons refusé de voir que dans les prisons, c’est la même chose? Ce qui préoccupe beaucoup le monde carcéral, ce sont des problèmes de santé mentale. Selon vous, est-ce qu’un changement radical est nécessaire dans la façon dont nous examinons ces questions dans le monde des pénitenciers fédéraux?

[Traduction]

Mme Campbell : Je dirais certainement qu’un changement radical est nécessaire. Comme les gens l’ont dit ici, il y a tellement de gens en prison qui ont des problèmes de santé mentale ou d’autres troubles cognitifs. En même temps, certains d’entre eux ont fait des choses qui ont vraiment causé du tort à des gens et à la société. Donc, que devons-nous cibler en premier? Nous voulons que la société soit plus sécuritaire pour tout le monde, mais, parmi les gens qui se retrouvent devant les tribunaux, il y en a beaucoup qui n’ont pas su contrôler leur comportement. Je ne parle pas de tout le monde. Il y a évidemment certaines personnes qui savaient exactement ce qu’elles faisaient qui doivent être retirées de la société un certain temps ou peut-être pour la vie. Ces personnes sont simplement incapables de vivre en société.

Cependant, je pense que nous devons effectivement repenser la façon dont nous traitons les gens en marge de la société, parce que c’est simplement beaucoup trop facile de les envoyer en prison et de les oublier. C’est pour cette raison qu’on a créé le Bureau de l’enquêteur correctionnel, il y a 50 ans. La prison était un milieu tellement fermé, et, quand il y a eu l’émeute au pénitencier de Kingston, il y a eu une explosion de rage et de colère. J’ai visité le pénitencier de Kingston environ huit ans plus tard, et une rangée de cellules a été conservée comme elle l’était. On pouvait voir les appliques de porcelaine qui avaient été arrachées des murs de béton. On se demande à quel point il faut être enragé pour faire une telle chose. Le Bureau de l’enquêteur correctionnel a été fondé en grande partie pour donner aux détenus un exutoire, pour qu’ils puissent faire un peu de lumière sur ce qu’ils vivent, et pour leur donner un certain accès à des recours.

Cinquante ans plus tard, nous n’avons pas vraiment avancé. Les gens disent que, si un détenu n’est pas content ou a un problème, il peut téléphoner à un avocat. Eh bien, tout d’abord, il doit trouver un téléphone. C’est tellement prosaïque : trouver un téléphone. Il doit trouver le nom d’un avocat et trouver son numéro de téléphone. Il doit trouver un avocat disposé à prendre son appel. Pour les détenus qui sont laissés à eux-mêmes, accéder aux recours est une tâche monumentale. Je ne pense pas que tout le monde le comprend.

Encore une fois, je n’essaie pas de dire que tous les détenus ont une forme de handicap ou de déficit, mais cela est vrai pour un si grand nombre d’entre eux, et on ne fait que les mettre de côté.

Le président : Merci à vous deux.

La sénatrice Clement : Merci à vous tous de vos témoignages et du travail que vous faites. Quand j’étais avocate, j’étais spécialisée dans le droit des pauvres, et non pas dans le droit criminel, alors vous m’apprenez beaucoup de choses. Je savais qu’il y a une intersectionnalité entre les problèmes et les déterminants sociaux de la santé, mais je ne le comprenais pas vraiment. Vous savez, vous avez beau lire des statistiques, c’est seulement quand vous visitez un établissement carcéral que vous apprenez vraiment des choses.

Pour donner suite à ce que vous avez dit, madame Campbell, quand j’ai visité l’Établissement Grand Valley, j’ai parlé à une agente correctionnelle, au personnel correctionnel. Elle a dit qu’elle revenait tout juste d’un congé pour des raisons de santé mentale. J’avais l’impression que des êtres fragiles surveillaient des êtres encore plus fragiles. J’avais l’impression qu’il y avait une très grande fragilité. L’atmosphère me semblait horrible et peu sécuritaire, pour tout le monde. C’est un travail difficile, à tous les égards.

Monsieur Spratt, vous avez dit que les juges étaient atterrés de voir comment leurs peines sont interprétées, en pratique. Je me demandais si cela s’est transformé en soutien pour le projet de loi ou si nous pouvons invoquer cela à l’appui du projet de loi. Voilà la question que je vous pose.

Madame Iftene, vous avez beaucoup publié. C’est impressionnant. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez mentionné un rapport. S’il y avait un seul rapport que nous devrions examiner pour appuyer le projet de loi, lequel serait-ce? Je n’ai rien vu, alors pourriez-vous nous le dire?

Je vais d’abord laisser M. Spratt répondre.

M. Spratt : C’est toujours difficile d’amener les juges à faire des commentaires publics sur ce genre de choses, mais je pense que nous pouvons trouver une orientation dans quelques avis juridiques sur l’état de nos établissements. Très souvent, les avis juridiques concernent l’état de nos établissements provinciaux, parce que c’est là que beaucoup d’accusés sont détenus avant de comparaître devant le juge. Nous avons remarqué, au cours des dernières années, que les juges ont de plus en plus tendance à parler des conditions de détention. Je pense qu’on reconnaît de plus en plus que les prisons et les détenus sont un aveu d’échec sociétal, un échec à prendre soin les uns des autres.

J’ai remarqué cela pour la première fois dans une décision de, je crois, 2019. Je pense que c’était le juge Schreck, de Toronto, qui a formulé un commentaire sur le Centre de détention du Sud de Toronto, une maison de correction provinciale affectée par bon nombre des problèmes auxquels s’attaque le projet de loi. Je n’avais jamais entendu un juge parler avec autant de franchise des conditions de détention : les draps souillés et tachés de sang, la nourriture inadéquate, l’accès et les choix politiques délibérés. Ce qui se passe est un secret pour bien des gens, mais pas pour les gens aux commandes. D’entendre un juge parler de l’indifférence politique délibérée à l’égard de ces conditions était choquant, mais cela arrive de plus en plus souvent.

L’un des avantages que nous avons, ici, c’est que votre comité n’est pas indifférent. Votre comité est saisi d’un projet de loi qui pourrait changer les choses, même si les changements exigés seront difficiles à mettre en œuvre. Malgré tout, si c’était facile de régler le problème des établissements carcéraux, des prisons et des conditions de détention, alors ce serait déjà fait. Ce n’est pas parce que quelque chose est difficile à faire et peut nécessiter une réflexion et des changements que c’est un obstacle. Nous voyons de plus en plus de ce genre de commentaires, dans les décisions juridiques. Je pense que vous pourriez vous en inspirer.

Mme Iftene : Je pense que le rapport dont vous parlez est celui que je vous ai transmis en tant qu’annexe A. C’est le rapport intitulé Do Independent External Decision Makers Ensure that “An Inmate’s Confinement in a Structured Intervention Unit Is to End as Soon as Possible”?, soit : est-ce que les décideurs indépendants s’assurent que « l’incarcération dans une unité d’intervention structurée prend fin le plus tôt possible? »

Si j’ai attiré votre attention sur ce rapport, c’est que l’un des plus gros enjeux dont il a été question ici ce soir tient au fait que le Service correctionnel du Canada trouve des façons et des échappatoires et, souvent, ne se conforme pas à la loi. Il trouve des moyens d’abuser de beaucoup de ses pouvoirs, et c’est à cause du manque de reddition de comptes et de transparence. La disposition sur la surveillance judiciaire — dans les UIS et en tant que recours — va aider à cet égard.

Je pense que c’est un rapport très clair. Il utilise les données de la première année où le SCC a utilisé les unités d’intervention structurée. Il montre que, après l’adoption du projet de loi C-83 qui créait les unités d’intervention structurée, ce qui donnait de la légitimité à tout cela — la grande revendication — était qu’il allait y avoir une structure décisionnelle externe indépendante qui assurerait la reddition de comptes et empêcherait les abus.

Malheureusement, les données du SCC montrent que, dans les faits, cela n’a rien changé relativement aux abus que les gens ont subis. Cela met vraiment en évidence la notion que ce n’est pas parce qu’une entité est externe ou prétendument indépendante qu’elle va nécessairement garantir la reddition de comptes et la transparence que nous voulons, alors nous devrions peut-être chercher plus loin. Et la seule étape suivante, c’est un tribunal.

Le président : Merci. Le sénateur Klyne et le sénateur Cotter n’auront pas le temps d’intervenir au deuxième tour. La sénatrice Pate, la marraine du projet de loi, a le droit d’avoir le dernier mot.

La sénatrice Pate : Je ne sais pas si je l’aurais dit ainsi; j’aimerais tout de même revenir sur quelque chose que la sénatrice Simons a dit à propos de la définition. Le projet de loi C-83 avait modifié la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition en éliminant l’isolement, et la définition que nous avons reprise, une définition que nous avons examinée pendant notre étude sur les amendements — les amendements du Sénat à la LSCMLC, dans le projet de loi C-83 — visait à nous assurer que la définition des unités d’intervention structurée comprenne ce qui avait été la définition de l’isolement. Donc, concrètement, les cellules fantômes et les cellules cachées seraient couvertes, parce que c’est les conditions du confinement, et non pas nécessairement le nom utilisé, qui définissent de quoi il s’agit, maintenant. En vertu de ce projet de loi, les unités d’intervention structurée seraient donc définies en tant que telles.

Si vous connaissez des façons d’améliorer cela, je serais heureuse de le savoir, mais la seule autre option que nous avons trouvée, avec le légiste, était de revenir à l’ancienne définition. Cela aurait supposé une tout autre série d’amendements, alors nous avons choisi de redéfinir le concept.

En plus des problèmes que vous avez soulevés, madame Campbell, au sujet de l’accès depuis que les UIS ont été mises en place, il y a aussi eu des changements continuels au système téléphonique. Vous avez dit « trouver un téléphone ». Quand les gens sont enfermés dans leurs cellules, ils n’ont pas de téléphone avec eux, n’est-ce pas? Oui. Aussi, les gens ont généralement une carte qui énumère tous les numéros autorisés. Donc, en plus d’avoir un nom et un numéro, le détenu doit aussi avoir une autorisation préalable. Cette disposition permettrait... parmi les numéros d’accès général auxquels les détenus ont droit, il est censé y avoir le numéro de l’aide juridique. Vous voyez pourquoi votre proposition m’intéresse tant. Si vous avez une formulation à proposer, monsieur Spratt, je vous demanderais de le dire, nous vous en serions reconnaissants.

Enfin, comme nous savons que le financement qui a été approuvé pour des places externes réservées par contrat n’a pas été utilisé à cette fin, j’aimerais beaucoup savoir, madame Campbell, si vous avez d’autres idées sur le financement et la façon dont les fonds pourraient être redistribués, ou si vous avez d’autres exemples de tentatives pour assurer la reddition de comptes. Je parle, par exemple, de la sous-commissaire pour les femmes. Si vous avez d’autres exemples qui pourraient nous aider, ça nous serait utile.

Le président : J’aimerais vous demander de nous communiquer vos réflexions par écrit, si vous en avez. La fin de la réunion approche, et nous devons conclure. Est-ce que cela vous convient?

Mme Campbell : Oui.

M. Spratt : Oui.

Le président : Merci.

Chers collègues, nous arrivons à la fin de la réunion. Je suis toujours expansif à propos de la qualité des témoignages et de l’aide que les témoins apportent au comité. Et c’est pourquoi j’aimerais exprimer la reconnaissance de tous les membres du comité pour vos contributions à notre travail aujourd’hui. Merci beaucoup, monsieur Spratt, madame Iftene et madame Campbell.

Nous allons poursuivre les délibérations sur ce projet de loi, mais nous avons d’autres travaux demain en lien avec un autre projet de loi; nous ferons l’étude article par article.

(La séance est levée.)

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