Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 14 décembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 49 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition; et, à huis clos, pour étudier une ébauche d’ordre du jour.

Le sénateur Brent Cotter (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Bienvenue. Je m’appelle Brent Cotter, je suis un sénateur de la Saskatchewan et le président du comité. J’invite mes collègues à se présenter.

La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Pierre-Hugues Boisvenu, du Québec.

Le sénateur Dalphond : Pierre J. Dalphond, division sénatoriale De Lorimier, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue à nos invités. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire du Traité no 4.

La sénatrice Simons : Paula Simons, sénatrice de l’Alberta, territoire du Traité no 6.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, division sénatoriale des Laurentides, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Bonjour et bienvenue. Kim Pate. Je vis ici, sur le territoire algonquin anishinaabe non cédé et non abandonné.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Bienvenue. Je suis Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur McNair : Bienvenue. Je suis John McNair, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Chers collègues, nous allons discuter avec deux groupes de témoins dans le cadre de notre étude sur le projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.

Si vous le permettez, je propose que nous écourtions l’heure pour aborder, à la fin de la réunion, quelques questions réglementaires, si je puis m’exprimer ainsi. J’espère que ce sera l’occasion pour certains d’entre nous de transmettre nos meilleurs vœux à la sénatrice Dupuis. J’aimerais aussi proposer que nous discutions d’un enjeu à huis clos.

Commençons par le premier groupe de témoins, qui est composé d’invités des plus distingués de Service correctionnel Canada. Je veux souhaiter la bienvenue à Anne Kelly, la commissaire; Ginette Clarke, la commissaire adjointe par intérim du secteur des services de santé; et Jay Pyke, le sous-commissaire principal par intérim.

Bienvenue, et merci d’être parmi nous. Nous allons d’abord entendre la déclaration liminaire de Mme Kelly, d’environ cinq minutes, qui sera suivie de questions et d’échanges avec les sénateurs. Madame Kelly, la parole est à vous.

[Français]

Anne Kelly, commissaire, Service correctionnel Canada : Monsieur le président et membres du comité, bonjour. C’est un plaisir d’être avec vous aujourd’hui.

[Traduction]

Étant donné le sujet de votre étude, j’ai jugé qu’il était important pour moi d’être ici afin de m’entretenir avec vous et de répondre à vos questions.

Le mandat central de notre système correctionnel est de réhabiliter et de réintégrer en toute sécurité les délinquants dans nos communautés. Pour réaliser notre mandat, nos établissements carcéraux doivent offrir des environnements sécuritaires pour le personnel et les détenus. C’est notre responsabilité fondamentale.

Je suis la commissaire qui a supervisé l’abolition de l’isolement et la création des unités d’intervention structurée, ou UIS, en novembre 2019, une transformation historique dans le système correctionnel fédéral. Les UIS ont été créées quelques mois seulement avant la pandémie, ce qui a eu une incidence considérable et d’envergure, y compris dans notre système carcéral. Je demeure fermement déterminée à assurer la réussite des UIS.

En guise de contexte, je dirai que certains détenus ne peuvent vivre en sécurité avec la population carcérale régulière à cause des risques qu’ils représentent pour eux-mêmes et autrui. C’est pour ces délinquants, qui représentent environ 1,6 % des détenus fédéraux, que les UIS ont été créées.

Les UIS ne visent pas à punir les détenus ou à leur faire du tort. Bien au contraire, elles servent à aider les détenus et à leur fournir des interventions, des programmes et des services de santé ciblés pour favoriser leur retour sécuritaire dans la population carcérale régulière aussitôt que possible. Les UIS se veulent une mesure temporaire pour aider les détenus à adopter des comportements plus positifs qui garantissent la sécurité de l’ensemble de l’établissement.

Le modèle des UIS répond à nos obligations en vertu du droit canadien, et la loi est claire. Les détenus dans des UIS doivent avoir l’occasion de passer un minimum de quatre heures à l’extérieur de leur cellule, y compris deux heures par jour de contacts humains réels. De plus, les détenus dans des UIS reçoivent des visites quotidiennes de professionnels de la santé.

La loi orientant le recours aux UIS fait état de situations où un détenu passerait plus de temps dans sa cellule, par exemple s’il refuse d’en sortir. Les détenus en ont le droit.

[Français]

Depuis la mise en place des unités d’intervention structurées (UIS), nous avons obtenu et continuons de recevoir de la rétroaction de la part d’intervenants et de comités consultatifs. En réponse à cette rétroaction, nous avons apporté des changements afin d’améliorer nos UIS.

[Traduction]

Nous continuons à travailler avec les membres du Comité consultatif sur la mise en œuvre des unités d’intervention structurée et les décideurs externes indépendants pour mettre les données en commun et examiner leurs importants constats et recommandations. Je tiens à reconnaître leur travail qui nous aide à continuellement réaliser des améliorations.

Je sais que certains d’entre vous ont déjà visité nos établissements, mais j’encourage fortement ceux qui ne l’ont pas encore fait à venir voir notre travail de leurs propres yeux.

En tant que commissaire, et forte de mon expérience de plus de 40 ans pour le Service correctionnel du Canada, la réintégration sécuritaire et réussie des contrevenants demeure ma priorité. Comme je le répète souvent, aucune responsabilité n’est plus grande que celle de s’occuper des soins et de la garde d’autres êtres humains.

Pour terminer, je veux remercier nos employés, qui travaillent dans certaines des circonstances les plus difficiles qui soient, mais qui demeurent résolument dévoués à notre mission.

Merci.

Le président : Merci, madame Kelly. Nous allons d’abord entendre les questions du vice-président du comité.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue, madame Kelly, à vous et vos collaborateurs. Après avoir visité les pénitenciers fédéraux au Québec, je peux vous dire que les délinquants dans ces unités sont très bien traités, souvent mieux que dans un hôpital public. C’est mon constat.

Ma première question concerne la déclaration que répète souvent la sénatrice Pate, à savoir que lorsque les gens sont dans ces unités pour plus de 15 jours, cela s’apparente à de la torture. Êtes-vous d’accord avec cette définition de la sénatrice?

Mme Kelly : Il est clair que dans la loi, il y a certaines attentes face à ce qu’on doit faire avec les délinquants qui sont dans les UIS. Premièrement, dans les UIS, on a du personnel particulier. On a des agents de libération conditionnelle, des agents de programme, des professeurs...

Le sénateur Boisvenu : Comme j’ai d’autres questions, je comprends que votre réponse est qu’il ne s’agit pas de torture; ils sont bien traités.

Mme Kelly : Oui, on leur offre des programmes et des interventions.

Le sénateur Boisvenu : La définition que la sénatrice Pate met dans son projet de loi, « troubles mentaux invalidants » fait référence à l’article 37.11 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, où l’on parle de refus d’insertion sociale, d’actes d’automutilation, de symptômes de surdose de drogue et de signes de détresse émotionnelle. Est-ce que pour vous, cette définition est si significative que les gens qui sont souvent incarcérés dans ces unités doivent être transférés dans des hôpitaux publics?

Mme Kelly : Premièrement, on a à peu près 1 200 professionnels de la santé qui travaillent en équipe. On fait des évaluations rapides dans les 24 heures pour connaître les besoins des délinquants en matière de santé mentale. Ensuite, on s’assure qu’ils se trouvent dans des établissements qui peuvent leur fournir les soins qu’ils requièrent.

Le sénateur Boisvenu : Si on se réfère à cette définition, selon vous, combien de délinquants seraient transférés dans les hôpitaux, entre autres, au Québec? Combien cela représente-t-il à peu près, en chiffres?

Mme Kelly : Parlez-vous des hôpitaux publics?

Le sénateur Boisvenu : L’intention de la sénatrice est de s’assurer que lorsque quelqu’un souffre de troubles mentaux dans un pénitencier, il est transféré dans un hôpital en psychiatrie, comme à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel. Il nous faut une référence en matière de nombre. Combien de délinquants cela représenterait-il, si ce projet de loi était adopté?

Mme Kelly : Service correctionnel Canada a quand même des centres de traitement régionaux, justement pour traiter les besoins plus aigus que les délinquants...

Le sénateur Boisvenu : Ma question est plus pointue. Vous avez lu le projet de loi, n’est-ce pas?

Mme Kelly : Oui.

Le sénateur Boisvenu : Si ce projet de loi est adopté tel quel, combien de délinquants incarcérés seront visés? C’est le nombre que je veux avoir, parce que si on transfère ces gens au provincial, ça veut dire qu’il y aura une charge de travail additionnelle pour les provinces.

Mme Kelly : Cela dépend de la définition de ce qu’on appelle en anglais « disabling mental health issues ».

Le sénateur Boisvenu : La définition se trouve à l’article 37.11 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Vous la connaissez, c’est votre loi. À partir de cette définition, combien de personnes incarcérées dans les pénitenciers fédéraux sont visées par ce projet de loi, par exemple, au Québec?

Mme Kelly : Madame Clarke, environ combien de personnes seraient visées?

[Traduction]

Ginette Clarke, commissaire adjointe par intérim, Secteur des services de santé, Service correctionnel Canada : Parmi la population carcérale dont Service correctionnel Canada, ou SCC, s’occupe et a la garde, il se trouve une plus grande proportion de personnes ayant des besoins en santé mentale. Bien entendu, les répercussions et l’intensité des symptômes de ces besoins en santé mentale varient d’une personne à l’autre.

Le sénateur Boisvenu : Combien de détenus seraient visés par ce changement législatif? Je veux seulement connaître le nombre.

Le président : Je pense que le sénateur Boisvenu soulève un bon point, mais s’il vous est impossible de donner un nombre aujourd’hui, pourriez-vous y réfléchir et transmettre la réponse par écrit au comité? Notre étude de ce projet de loi se poursuivra pendant un certain temps. Serait-ce possible, madame Kelly?

[Français]

Mme Kelly : Oui, nous pourrons vous fournir l’information.

Le sénateur Boisvenu : Oui, parce que si on n’a pas ces données alors qu’on s’apprête à adopter un projet de loi, c’est inquiétant. Il faut comprendre que c’est une responsabilité qu’on va transférer aux provinces. Il faut absolument avoir ces données.

Merci, madame Kelly.

Le sénateur Dalphond : Merci, madame la commissaire, d’être parmi nous, aujourd’hui, avec votre équipe.

Je voudrais poursuivre la réflexion relative aux questions du sénateur Boisvenu, parce que, à mon avis, les faits sont importants.

Vous avez parlé d’une population carcérale d’environ 1,6 % qui a des besoins ou qu’on doit mettre dans les unités spéciales. Avez-vous des données plus précises? Parmi ce 1,6 % des détenus, certains sont incarcérés dans ces unités pour leur protection — par exemple, des délateurs. J’ai déjà vu quelqu’un qui a été admis dans une unité spéciale pour sa protection, parce qu’il avait déjà été juge.

De ce pourcentage, quels sont ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale par rapport à ceux qui ont besoin d’être isolés pour d’autres raisons?

Mme Kelly : J’ai des données en main. Toutefois, les données changent, selon le nombre de personnes qui se trouvent dans les UIS. En ce moment, nous en avons 200. Pour la sécurité de l’établissement, c’est autour de 40 à 45 %. Pour la propre sécurité des détenus, le pourcentage est un peu élevé en ce moment. Pour ce qui est d’intervenir dans le cadre d’une enquête, c’est moins de 1 %; cela arrive rarement.

Je vais aussi parler du profil des délinquants. Le profil est différent pour ce qui est de la population régulière. Nous avons mené une étude sur le profil des gens qui aboutissent ou qui sont placés dans les UIS. Ces délinquants sont plus impulsifs et moins tolérants. Ils agissent de manière plus agressive. Ce sont des faits que nous avons constatés.

Nous avions fait une étude, qui n’est pas récente, pour voir quelle était la proportion de délinquants incarcérés dans ces unités pour des raisons de santé mentale. Nous avions constaté que chez 72 % des détenus, aucun problème de santé mentale n’était indiqué dans leur dossier au moment de leur transfert ou de leur admission; 18 % des détenus avaient besoin de soins en santé mentale, donc de soins primaires qui sont offerts à l’établissement où ils sont incarcérés; 10 % des détenus avaient besoin de soins intermédiaires, qui sont fournis dans nos établissements. Lorsque ces détenus ont des problèmes de santé aigus, le service de santé s’en mêle, et c’est à ce moment-là que nous les transférons dans nos centres de traitement.

Le sénateur Dalphond : Combien de centres ont les ressources ou les capacités nécessaires pour aider les gens ayant des problèmes de santé mentale? Combien de psychiatres, de psychologues sont disponibles à l’intérieur du système?

Mme Kelly : Nous avons cinq centres régionaux de traitement. Nous en avons un dans chaque région, puis nous pouvons accommoder 650 détenus dans ces centres de traitement. De plus, nous avons ce qu’on appelle des « rangées thérapeutiques », où nous offrons des soins de santé intermédiaires. Nous avons à peu près 300 lits. Pour les femmes, c’est différent. Nous avons aussi une unité pour les femmes à l’établissement de Rivière-des-Prairies. Nous avons 20 lits pour les femmes et nous avons une entente avec l’Institut Philippe-Pinel. Nous avons 15 lits pour les femmes et trois pour les hommes.

Le sénateur Dalphond : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Je vous remercie d’être parmi nous, madame Kelly. Je veux souligner vos années d’engagement et de dévouement. Je suis convaincu qu’un tel service s’accompagne de certaines difficultés, mais aussi de gratification.

J’aimerais poursuivre dans la veine des données. Je suis curieux d’en savoir plus sur ces détenus. Pouvez-vous me décrire le processus par lequel un détenu est admis pour la première fois dans une UIS? Pouvez-vous me dire quel type de données sont recueillies et à quoi ressemble habituellement la progression des détenus dans les UIS? Plus précisément, détenez-vous des données sur les détenus qui ont des besoins préexistants en santé mentale, et qui voient leur état s’améliorer grâce à leur séjour dans une UIS? Merci.

Mme Kelly : Je vous remercie de la question.

Un détenu ou une détenue est placé dans une UIS pour l’une de ces trois raisons : pour la sécurité du pénitencier, pour sa propre sécurité ou parce qu’une enquête a abouti à ce constat.

Une fois dans une UIS, comme je le disais, du personnel se consacrant à ces unités travaille avec le détenu. Le premier élément à mentionner est cependant qu’il reçoit une visite quotidienne d’un professionnel de la santé autorisé, sans obstacle aucun. La porte doit être ouverte, et le professionnel de la santé discute avec le détenu. De plus, des évaluations sont effectuées rapidement.

Il faut souligner que le personnel assume très rapidement la responsabilité des détenus dans les UIS. Un agent de libération conditionnelle rencontre le détenu sur-le-champ, détermine pourquoi il a été placé dans une UIS, et discute d’autres options. Si le détenu s’y retrouve pour sa propre sécurité et à cause d’un conflit avec un autre délinquant, nous essayons de le régler. Nous avons recours à différentes approches. Si le changement a été apporté pour assurer la sécurité du pénitencier, nous pourrions envisager de placer le délinquant dans une autre rangée ou une autre unité, ou de le transférer dans un autre établissement.

De plus, notre personnel correctionnel doit, légalement, donner à ces détenus l’occasion de sortir de leur cellule pendant quatre heures, y compris deux heures où ils ont des contacts humains réels. Cela se fait au courant de la journée. Même si un détenu refuse la première fois, nous suivons grâce à une application le nombre de fois où il se voit offrir cette possibilité. Nous connaissons donc le nombre exact de fois qu’il se fait offrir de sortir et nous savons s’il s’est prévalu de l’option. Nous donnons aux détenus l’occasion de sortir tout au long de la journée.

Puis, nous travaillons avec eux. Nous leur offrons des interventions et des services ciblés. Comme les UIS représentent une mesure temporaire, notre but est de travailler avec les détenus. Si c’est le comportement qui pose problème, nous les aidons à adopter un comportement plus positif pour qu’ils puissent rester dans la population carcérale régulière, ou nous veillons à résoudre le conflit qui peut être survenu. L’objectif ultime est toutefois d’éviter qu’ils se retrouvent en UIS afin que la mesure ne se transforme pas en porte tournante. C’est notre but.

Le président : Soyez très concis.

Le sénateur Prosper : Vous avez mentionné utiliser une application, à tout le moins pour ceux à qui on offre la possibilité de sortir. Cette application recueille-t-elle aussi des données sur la durée de temps dont les détenus se prévalent sur les quatre heures et les deux heures de contacts humains réels?

Mme Kelly : Oui. M. Pyke pourra vous en parler plus en détail, mais c’est une application que nous avons conçue et améliorée depuis la mise en œuvre des UIS. Oui, elle recueille différentes données.

Le sénateur Prosper : Merci, madame Kelly.

Le sénateur Klyne : Madame la commissaire Kelly, vous vous souvenez du projet de loi C-83, qui, à bien des égards, est la genèse du projet de loi S-230 que nous étudions à notre comité. Le projet de loi C-83 prévoyait la création des UIS et l’élimination de l’isolement préventif et disciplinaire. En fait, l’isolement préventif a été aboli grâce à l’adoption du projet de loi C-83 et la création des UIS. À la toute fin de l’étude, alors que nous écoutions des témoins experts et des groupes de témoins — dont vous faisiez partie, probablement en tant qu’experte clé sur le sujet —, j’avais demandé si la culture et la structure organisationnelle nécessaires existaient pour appuyer la mise en œuvre des UIS, et si l’administration était convaincue de l’exécution de ce plan. Vous m’avez donné une excellente réponse. À vrai dire, vous m’avez dit tout ce que je désirais entendre. Grâce à cette mesure, et aux UIS, nous répondions à de nombreux critères qui s’avéreraient la solution aux maux de l’isolement qui prenait auparavant la forme de l’isolement préventif et certainement la forme de l’isolement disciplinaire.

Lorsque je pense à l’origine de ce projet de loi, j’y vois l’échec de l’exécution complète des UIS qui était prévue et proposée dans le projet de loi C-83. D’une part, j’aimerais vous demander ce qui a mal tourné. Mais ce n’est pas ce que je veux vous demander pour l’instant. Un jour, j’aimerais vous poser cette question. J’ai l’impression que c’est une expérience qui a échoué.

Comment veillerez-vous à ce que les établissements correctionnels respectent les nouvelles exigences énoncées dans le projet de loi S-230, et quelles seront les conséquences en cas de non-conformité?

Mme Kelly : En ce qui concerne les UIS, pour revenir à la culture, je dirais que nous sommes en mesure de maintenir les nombres aux alentours de 200. En fait, en août 2022, le nombre était inférieur et s’élevait à 117. Je crois que d’énormes efforts sont déployés. Le personnel fait preuve d’un grand dévouement et engagement. Nous offrons aux détenus l’occasion de quitter leurs cellules pendant quatre heures, y compris deux heures de contacts humains réels. D’ailleurs, dans plus de 90 % des cas, les détenus sortent de leurs cellules et ont des contacts humains réels. Or, certains détenus ne se prévalent pas de l’occasion de sortir de leurs cellules. Dans ces cas, nous devons mettre les bouchées doubles pour travailler avec les délinquants, déterminer pourquoi ils ne veulent pas sortir et trouver comment les inciter à vouloir sortir de leurs cellules.

À l’époque, j’ai aussi mentionné que nous avions étudié les données et constaté qu’il se trouve parmi les délinquants placés dans des UIS une plus grande proportion de détenus sur le point d’obtenir leur libération d’office que dans la population carcérale régulière. Certains détenus sur le point d’être libérés recherchent la tranquillité. Ils ne veulent pas se mettre dans le pétrin. Ils seront bientôt dans la communauté. C’est une réalité que nous avions observée.

Or, comme je le disais, d’incroyables efforts, et un dévouement...

Le sénateur Klyne : J’aimerais vous interrompre : je ne...

Le président : Sénateur Klyne, votre temps est écoulé.

Le sénateur Klyne : Je reprendrai la parole pour poser la question à nouveau.

Le président : S’il y a une deuxième série de questions, je vous en donnerai l’occasion.

La sénatrice Simons : Mes questions s’adressent à la commissaire Kelly.

Nous avons entendu des témoignages perturbants d’autres témoins sur le recours aux cellules d’isolement qui ne sont pas officiellement des UIS, mais plutôt des cellules d’isolement solitaire de fortune où sont enfermés des détenus, et qui sont souvent des cellules nues. Les règles protégeant les détenus dans les UIS ne s’appliquent pas dans ces autres cellules. J’aimerais savoir ce que vous pouvez me dire sur la fréquence de cette pratique et la façon dont vous la répertoriez.

Mme Kelly : D’accord. Nous n’avons pas de cellules cachées. J’ai entendu les témoignages. Ce que je peux toutefois dire, c’est que pendant la pandémie, puisque nous devions appliquer des mesures de santé publique très rigoureuses — et nous avons agi en partenariat avec les régies de la santé locales, régionales et nationales —, nous avons isolé des délinquants pour des raisons médicales afin d’éviter la propagation de la COVID-19 à l’échelle des établissements. Je dirais que nos efforts ont porté leurs fruits. Oui, pendant cette période, nous avons utilisé des cellules pour de l’isolement médical. Mis à part cet exemple, il n’y a pas de cellules cachées.

Ce que je dirais, toutefois...

La sénatrice Simons : Eh bien, je ne devrais pas dire « cachées », mais de fortune...

Mme Kelly : Des cellules de fortune. Oui.

La sénatrice Simons : Vous nous témoignez que ces allégations ne sont pas véridiques?

Mme Kelly : Il n’y a pas de cellules de fortune.

La sénatrice Simons : Si vous découvriez qu’il y en a, comment réagiriez-vous?

Mme Kelly : Je ferais assurément des vérifications. Je voudrais découvrir pourquoi de telles cellules existent.

La sénatrice Simons : Mary Campbell, ancienne directrice générale de la Direction générale des Affaires correctionnelles et de la justice pénale, nous a notamment mis en garde contre la disposition du projet de loi de la sénatrice Pate prévoyant une détention de 48 heures. Elle a dit qu’il fallait être très prudent, car dans ce genre de situation, les établissements carcéraux détiennent parfois quelqu’un pendant 47 heures, le libèrent, puis relancent le compteur pour le garder détenu pendant un autre 48 heures. Que pensez-vous de cela? Vos établissements ont-ils pour habitude de s’adonner à ce genre de jeux et à relancer sans cesse le compteur lorsqu’il y a une limite de temps?

Mme Kelly : Non.

La sénatrice Simons : Pourquoi pensez-vous que des gens qui connaissent bien les prisons nous disent ce genre de choses?

Mme Kelly : Cette question a déjà été soulevée, mais nous avons changé la façon de faire avec l’isolement préventif. Ce genre de choses remonte à il y a des années. Les choses ont changé depuis, et cette situation n’est pas survenue dans les UIS.

La sénatrice Simons : J’ai visité la prison pour femmes d’Edmonton avec la sénatrice Pate à deux reprises. Dans les cellules qui servaient autrefois pour l’isolement, on retrouve de nouvelles affiches indiquant qu’il s’agit désormais d’UIS. Ces cellules sont-elles différentes? Vous dites avoir éliminé l’isolement, mais en quoi l’expérience de ces cellules est-elle différente pour les détenus? Est-ce une question d’heures de sortie? Parle-t-on des visites de l’infirmière ou du thérapeute? Mis à part le changement d’affichage, en quoi l’expérience est-elle différente?

Mme Kelly : L’expérience est différente, parce qu’avec l’isolement, les détenus n’étaient pratiquement plus en mesure d’atteindre les objectifs fixés dans leur plan correctionnel. Tout stagnait, ou presque. Maintenant, les détenus peuvent continuer à atteindre ces objectifs grâce à un personnel dévoué et à des interventions ciblées. Des professionnels de la santé leur rendent visite et une équipe travaille avec eux. Comme je l’ai dit, nous offrons également des programmes dans les UIS. La situation est donc différente. Nous travaillons avec les détenus afin qu’ils puissent réintégrer la population générale.

La sénatrice Simons : Combien de ces cellules sont des cellules nues? Est-ce du cas par cas?

Mme Kelly : Les cellules nues sont complètement différentes des UIS. Nous avons recours à ces cellules lorsque nous pensons qu’un délinquant a ingéré de la drogue qui serait présentement dans son système digestif, par exemple. Nous pouvons alors le placer dans une cellule nue, mais nous le surveillons de très près. Nous sommes tenus de signaler l’incident.

La sénatrice Simons : Il n’y a donc pas...

Le président : Votre temps est écoulé, sénatrice Simons.

La sénatrice Simons : D’accord, merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Merci à nos témoins. Madame Kelly, vous avez dit que selon vos statistiques, 1,6 % des détenus sont en UIS actuellement. Êtes-vous en mesure de ventiler ce chiffre de 1,6 %, qui représente quelques centaines de personnes? Combien d’hommes et de femmes? Est-ce qu’il y a des personnes racisées, des Autochtones?

Mme Kelly : Oui, j’ai la ventilation devant moi. Aujourd’hui, on a 200 détenus dans nos UIS, soit 197 hommes et 3 femmes. De ce chiffre, 79 sont des hommes autochtones, donc on est à 39,5 %. Il n’y a pas de femmes autochtones. D’ailleurs, je dois dire que pour ce qui est des Autochtones, à un moment donné, ils étaient à 47 %; aujourd’hui, ils sont à 39,5 %.

Pour les hommes noirs, on en a 25, ce qui représente 12,5 %, et aucune femme.

Pour ce qui est de l’âge — parce qu’on tient compte de l’âge aussi —, 47 % sont âgés de 25 à 34 ans.

La sénatrice Dupuis : Est-ce que vous pouvez me dire si les conditions à l’intérieur des UIS sont exactement les mêmes selon le sexe de la personne? L’enquêteur correctionnel a déjà documenté le fait qu’il y avait des règles précises pour traiter un certain nombre de réalités qui nécessitaient l’isolement pour les hommes, et qui étaient définies. Par conséquent, les détenus savaient à quoi s’attendre s’ils avaient un certain genre de comportement.

Alors que pour les femmes, il n’y avait pas vraiment de critères, ce qui fait que chaque détenue était laissée au bon vouloir ou à l’appréciation de sa situation personnelle par la personne qui en était responsable dans le service.

Est-ce que les conditions, les critères, les règles sont les mêmes dans les unités qui reçoivent des hommes et des femmes, actuellement?

Mme Kelly : Les critères sont les mêmes, mais pour les femmes, c’est un environnement de soutien accru. Donc, avant même que les femmes soient placées dans une UIS, selon leur comportement, on pouvait les placer dans ce genre d’environnement où il y a un peu plus de supervision. C’est comme un entre deux, pour les femmes.

La sénatrice Dupuis : Est-ce qu’il y a quelque chose que l’on ne vous a pas demandé que vous puissiez nous donner comme information?

Il y a des types de cellules et des types d’unités qui varient selon les types de réalités que vous rencontrez. Avez-vous une liste de toutes les catégories de possibilités, soit les UIS, les cellules nues, etc., pour qu’on puisse avoir une meilleure idée de la réalité exacte à laquelle on peut faire face?

Mme Kelly : Dans un pénitencier, on transige avec 260 différentes catégories — ce qu’on appelle des « gangs ». Donc, vous pouvez comprendre que c’est très difficile de gérer les populations.

Si je prends comme exemple, Stony Mountain, il y a plus de 800 détenus dans l’établissement. Il y a une grande population autochtone et aussi plusieurs membres de différents gangs qui ne peuvent pas se côtoyer. Il faut gérer cette situation.

C’est un fait que dans un établissement, on va avoir des unités abritant des détenus qui peuvent vivre ensemble, et d’autres unités avec d’autres genres de populations.

D’autre part, on a des UIS, et pour ce qui est des cellules nues, elles ne sont pas utilisées de façon courante. Chaque fois que quelqu’un est placé dans une cellule nue, nous devons en être avertis. C’est clair que l’on surveille cela de près.

La sénatrice Dupuis : Si je comprends bien le message qu’on a reçu du syndicat des agents correctionnels, les seringues sont chose courante dans les établissements. Votre réponse m’étonne quand vous dites que dans les cellules nues, il n’y en a pas tant et que l’on n’en a pas autant besoin. Il semble y avoir un gros problème. Est-ce que les gens qui le disent se trompent?

Mme Kelly : En ce moment, on a un problème de drone, et malheureusement, il s’agit de drogue, d’armes. Donc, c’est un problème.

Pour ce qui est des aiguilles, elles ne se trouvent pas partout dans les établissements. Il s’agit d’un programme d’échange de seringues; les gens doivent respecter certains critères, ils doivent consulter les services de santé. C’est de la prévention qu’on fait, et on leur donne un kit qu’ils laissent dans leur cellule. Toutefois, les aiguilles ne se trouvent pas partout et on n’a jamais eu d’incident.

La sénatrice Dupuis : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie d’être des nôtres, madame Kelly, vous ainsi que votre équipe.

J’aimerais simplement que vous me donniez une vue d’ensemble de la situation. Vous vous occupez de l’ensemble de l’institution. Cela relève de votre responsabilité, n’est-ce pas?

Mme Kelly : Je m’occupe de tous les établissements fédéraux.

La sénatrice Jaffer : Les établissements fédéraux, donc. Et vous avez autorité sur les employés de ces établissements?

Mme Kelly : C’est exact.

La sénatrice Jaffer : Leur apprenez-vous à respecter les détenus? Discutez-vous personnellement de la façon dont les détenus doivent être traités? Ce sont aussi des êtres humains.

Mme Kelly : Oui, tout à fait.

La sénatrice Jaffer : Je suis livide. J’essaie de rester calme. Quelqu’un vient de m’envoyer un lien vers un site web de vos agents correctionnels. Je ne sais pas si vous pouvez le voir. Probablement pas. On peut y lire : « les gens stupides me permettent de garder mon emploi. » Il s’agit d’un site web d’un établissement correctionnel et d’un syndicat d’employés. L’avez-vous vu?

Mme Kelly : La sénatrice Pate vient de m’en faire part et de me le montrer.

La sénatrice Jaffer : Qu’en pensez-vous?

Mme Kelly : Cela ne reflète pas le professionnalisme de nos employés.

La sénatrice Jaffer : Qu’allez-vous faire?

Mme Kelly : Je vais discuter avec le président d’UCCO-SACC-CSN, mais comme je l’ai dit, il y a des employés qui, tout comme moi, travaillent depuis des années chez SCC...

La sénatrice Jaffer : Je sais tout cela, mais qu’allez-vous faire à propos de ce site Web?

Mme Kelly : Nous menons présentement un audit de notre culture...

La sénatrice Jaffer : Non, non. Qu’allez-vous faire à propos du site Web?

Mme Kelly : À propos du site Web? Je vais m’entretenir avec le président.

La sénatrice Jaffer : Et après? Comment allez-vous punir ces agents? Il s’agit d’un site Web. Comment pensez-vous que les détenus et leurs familles se sentent? Je suis livide. Comment se sentent les détenus, croyez-vous? On dit qu’ils sont stupides. On parle de gens qui s’occupent des détenus jour et nuit. Je suis très surprise de vous voir aussi calme. Est-ce qu’on traite les détenus de gens stupides?

Mme Kelly : Non.

La sénatrice Jaffer : Ce n’est pas ce que vous me dites. Vous dites que vous allez en discuter, mais cela ne suffit pas. Qu’allez-vous faire, précisément?

Mme Kelly : Je répète que je viens d’en prendre connaissance, alors je vais...

La sénatrice Jaffer : Vous auriez dû être au courant, cela dit. D’accord, vous venez d’en prendre connaissance. Je ne fais pas partie du système, je viens de l’extérieur, mais cette situation me contrarie énormément. Vous dites que vous allez parler au président. Est-ce tout ce que vous allez faire?

Mme Kelly : Non. Je vais d’abord lire ce qu’ils ont écrit, et puis...

La sénatrice Jaffer : Je vais vous le dire, ce qu’ils ont écrit...

Mme Kelly : ... je vais prendre des mesures...

La sénatrice Jaffer : ... gens stupides...

Le président : Nous voulons entendre la réponse de Mme Kelly à votre question, sénatrice Jaffer.

Mme Kelly : Je l’ai dit et je le répète : cela ne reflète pas le professionnalisme de nos employés. Nous offrons de la formation, et nous discutons du respect. Le respect est très important au sein de l’organisation.

La sénatrice Jaffer : Oui, mais qu’allez-vous faire dans ce cas-ci? Allez-vous les réprimander, les renvoyer? Qu’allez-vous faire?

Mme Kelly : Cela concerne l’UCCO-SACC-CSN. Je vais m’entretenir avec le président de l’organisation. Cela ne reflète pas le professionnalisme de nos employés.

La sénatrice Jaffer : Il est évident que vos employés se comportent ainsi, cela dit. Cela nous indique leur degré de professionnalisme, en quelque sorte.

Le président : Voici ce que je vous propose, madame Kelly. Seriez-vous prête à nous faire part des développements de cette situation rapidement? Je crois que les membres du comité aimeraient que vous assuriez un suivi de la situation.

La sénatrice Jaffer : Je voudrais aller plus loin. Le président a reçu mes questions, mais j’aimerais aller plus loin et vous demander de nous dire ce que vous aurez fait dans cette situation.

Le sénateur Boisvenu : Nous étudions le projet de loi qui traite de cet enjeu. Nous devons l’étudier.

La sénatrice Jaffer : J’ai des questions à poser. C’est mon privilège.

Le sénateur Boisvenu : Non, nous devons étudier le projet de loi.

La sénatrice Jaffer : Oui, mais cela en fait partie.

Le président : Je crois que la question a été posée et que Mme Kelly y a répondu. Elle nous dira quel suivi elle assurera.

Mme Kelly : Il est important pour moi cela dit que vous compreniez que cela ne reflète pas le professionnalisme, le dévouement et l’engagement de notre personnel, qui travaille dans des circonstances très difficiles.

Le président : Merci, madame Kelly, même si vous avez répété cette réponse quelques fois pendant ce tour de questions.

La sénatrice Batters : Je reviens sur ce qui vient de se passer. Franchement, je suis un peu estomaquée que vous ne nous ayez pas dit vouloir lancer une enquête en partant. N’est-ce pas la première chose à faire pour savoir ce qui s’est passé et tenter de trouver une solution? Nous sommes impatients d’en savoir plus à ce sujet.

La semaine dernière, Mme Campbell, ancienne directrice générale de la Direction générale des affaires correctionnelles et de la justice pénale de Sécurité publique Canada, a souligné que la limite de 48 heures pourrait inciter le Service correctionnel du Canada à disposer de ressources adéquates et à mieux planifier la gestion des UIS et des détenus, en particulier ceux qui ont des besoins particuliers ou des problèmes de santé mentale. Le Service correctionnel du Canada croit-il que la mise en œuvre d’une limite de 48 heures, telle que proposée par le projet de loi S-230, pourrait réellement encourager une meilleure organisation et une meilleure préparation en amont pour la gestion des détenus et améliorer les conditions de détention et les soins octroyés aux détenus vulnérables?

Mme Kelly : Comme je l’ai dit, notre objectif consiste à travailler avec les détenus qui se trouvent dans une UIS afin qu’ils puissent retourner dans la population générale dès que possible. En ce qui concerne la limite de 48 heures, la libération du détenu après une telle période n’est pas toujours une option viable. Une telle limite pourrait mettre en danger la sécurité du détenu.

La sénatrice Batters : Mme Campbell nous a également dit la semaine dernière qu’il est parfois possible de contourner une telle limite. S’il y a une limite de 48 heures, ils attendent 47 heures et font ensuite quelque chose — transfert ou autre — pour pouvoir relancer le compteur. Que pensez-vous de ce genre de situation?

Mme Kelly : Cela m’a surprise. J’ai essayé de l’expliquer.

La sénatrice Batters : Cela ne se produit pas?

Mme Kelly : Non. Cela dit, il arrive que nous trouvions une option viable pour des détenus dans une UIS, comme un transfert vers un autre établissement. Ils nous disent : « Oui, transférez-moi, je peux aller dans la population générale. » Nous faisons des vérifications avec tout le monde, avec nos agents du renseignement de sécurité, et tout est beau. Or, une fois arrivés dans le nouvel établissement, il arrive qu’ils désirent retourner dans une UIS.

La sénatrice Batters : Vous avez parlé plus tôt d’une période de deux heures par jour de « contacts humains réels ». Qu’est-ce que cela signifie, au juste? Cherchez-vous une définition?

Mme Kelly : Nous en avons une. Il s’agit d’une « possibilité d’interaction avec les autres propice à l’établissement de relations et de réseaux sociaux, ou au renforcement des liens avec la famille ou d’autres soutiens », ce qui comprend, sans s’y limiter, « des visites, la participation à des programmes, des interventions et des services qui encouragent le détenu à atteindre les objectifs de son plan correctionnel ».

Dans les établissements que j’ai visités, par exemple, des enseignants ont lancé des programmes d’art pour les détenus placés dans les UIS. Ils sortent et font de l’art. Les gens sont...

La sénatrice Batters : Ils sortent de l’établissement?

Mme Kelly : Non, ils sortent de leur cellule.

La sénatrice Batters : D’accord.

Je dois poser une autre question. Vous avez dit qu’il y a un professionnel de la santé dans les établissements qui rend visite aux détenus au moins une fois par jour. De quel type de professionnel de la santé parlez-vous? À quelle fréquence prévoit-on la présence d’une infirmière ou d’un professionnel de la santé de niveau inférieur à celui des médecins ou des psychiatres, par exemple? Ai-je raison de présumer qu’il ne s’agit jamais nécessairement d’un professionnel formé en santé mentale?

Mme Kelly : Je vais laisser Mme Clarke vous répondre.

Mme Clarke : Nous disposons d’un processus exhaustif d’évaluation et de suivi de l’état de santé des détenus placés dans des UIS. La visite quotidienne est généralement effectuée par une infirmière praticienne, bien qu’elle puisse être effectuée par un autre professionnel de la santé agréé. De plus, nous procédons à des évaluations de la santé mentale au 14 e et au 28 e jour. Ces évaluations sont effectuées par un professionnel de la santé agréé. Il peut s’agir d’un psychiatre, d’un psychologue, d’un travailleur social ou d’une infirmière praticienne en soins psychiatriques.

La sénatrice Batters : On ne procède pas à une évaluation de leur santé mentale avant le 14 e jour?

Mme Clarke : Non, ils sont référés immédiatement à un professionnel de la santé, dans les 24 heures suivant leur transfert dans une UIS. Ils sont vus dès le premier jour par l’infirmière dans le cadre de ses rondes quotidiennes. S’il y a raison de croire qu’il serait nécessaire de procéder à une évaluation plus rapidement pour répondre à un certain besoin, il est possible de le faire. Voilà le délai que nous prescrivons. Nous pouvons mener ces évaluations à n’importe quel moment en fonction des besoins évalués ou relevés.

La sénatrice Batters : Et l’infirmière praticienne qui...

Le président : Votre temps est écoulé, madame la sénatrice.

La marraine du projet de loi, la sénatrice Pate, est la prochaine sur la liste et nous n’aurons pas le temps de tenir un deuxième tour de questions.

La sénatrice Pate : Je vous remercie d’être des nôtres.

Tout d’abord, je tiens à préciser que l’image dont parlait la sénatrice Jaffer en est une d’employés correctionnels en train de remplir des enveloppes avec ce message, que je vous ai montré mardi. Nous avons écrit au syndicat pour lui faire part de notre objection, et comme je l’ai dit, je vous ai envoyé une copie de notre document. Je voulais m’assurer de le dire aux fins de compte rendu.

J’aimerais maintenant revenir sur un point que la sénatrice Simons et d’autres ont soulevé, à savoir la définition de l’isolement et des conditions de détention. Dans les prisons que moi-même et d’autres sénateurs avons visitées depuis l’adoption de ce projet de loi et depuis que les restrictions liées à la COVID ont été levées, des détenus ont été placés dans des unités dans des conditions de détention, qui, selon moi, sont des conditions d’isolement. On utilise parfois d’autres termes, tels que rangées d’associations volontairement limitées, unités de soins courants, détention, détention temporaire ou observation médicale. C’est ce à quoi l’enquêteur correctionnel fait référence dans son rapport. Je crois savoir qu’il vous a fait des recommandations. Je sais que nous n’aurons pas le temps d’entrer dans les détails, mais pourriez-vous nous envoyer par écrit vos réponses à ses commentaires?

Pourriez-vous également répondre aux commentaires de l’organe consultatif ministériel, qui a déclaré que le nombre de détenus effectuant des séjours dans ce type d’unité pour des raisons de santé mentale est préoccupant et que de longs séjours dans ce type d’unité contribuent à la détérioration de la santé mentale? Dans son rapport annuel de janvier de cette année, il a évoqué le lien entre la santé mentale et les séjours répétés dans ces unités. Selon lui, l’argument selon lequel cela est attribuable au refus des détenus ne tient pas. J’aimerais entendre vos réponses à ses recommandations à cet égard. Les membres de cet organe disent que vous êtes sans aucun doute au courant de ces données, et ils ont fourni des informations dans leurs graphiques, surtout dans le tableau 6 de l’annexe. Pourriez-vous nous fournir ces réponses par écrit?

Mme Kelly : D’accord.

La sénatrice Pate : De plus, devant le Comité des finances, j’ai poser une question au sujet du financement et des corrections reçues pour le projet de loi C-83 afin d’embaucher des défenseurs de la santé mentale et d’obtenir des lits à l’externe. Les seuls lits auxquels il a été fait référence étaient les lits Pinel déjà existants, et il n’y en a pas d’autres. Si nous n’avons pas le temps pour entendre une réponse aujourd’hui, j’aimerais que vous nous la transmettiez par écrit. Où sont allées les allocations budgétaires et où sont les défenseurs de la santé mentale qui ont été embauchés? À ma connaissance, il n’y a aucun défenseur de la santé mentale et aucun lit à l’externe n’ont été ajoutés depuis le projet de loi C-83. Il nous serait très utile d’obtenir des comptes à ce sujet.

Le président : J’aimerais que Mme Kelly nous confirme qu’elle peut nous transmettre ces réponses par écrit.

Mme Kelly : Oui, je le ferai.

La sénatrice Pate : Ensuite, que se passe-t-il avec les mécanismes? Nous avons entendu l’enquêteur correctionnel, les prisonniers et le personnel dire qu’étant donné que les ressources ont été affectées dans les unités d’intervention structurée des prisons, les détenus des autres zones étaient confinés à leur cellule pendant des périodes plus longues que prévu. Nous comprenons que des griefs ont été déposés à cet égard. Pourriez-vous nous dire combien d’incidents se sont produits? Quelles seront les approches adoptées pour veiller à ce qu’il y ait suffisamment de ressources et à ce que les détenus passent suffisamment de temps à l’extérieur de leur cellule? On entend parler des « cellules fantômes », mais aussi des nombreux confinements qui sont imposés. En se centrant sur les unités d’intervention structurée, on néglige d’autres membres de la population qui n’ont pas accès aux programmes, aux services, aux évaluations et au temps à l’extérieur des cellules dont ils ont besoin.

Mme Kelly : C’est un peu plus difficile. Vous parlez par exemple des cas où un drone avec un paquet rempli de fentanyl, d’armes à feu ou de cartes SIM atterrit dans la cour. Bien sûr, dans ces cas, les détenus doivent retourner dans leur cellule afin que nous procédions à une fouille. Ce sont des choses qui arrivent, et cela représente un réel défi pour le Service correctionnel du Canada. Nous allons penser à la façon de vous transmettre des renseignements qui pourraient vous être utiles. De tels incidents se produisent.

La sénatrice Pate : Je pense notamment à notre dernière visite à l’établissement de Collins Bay. Plusieurs détenus et membres du personnel nous ont dit que c’était la première fois que des groupes de prisonniers avaient pu se réunir. Bon nombre d’entre eux ont fait valoir qu’il n’y avait plus vraiment de population carcérale générale et que c’était la première fois que les détenus pouvaient sortir de leur cellule. Même s’il y avait eu un incident avec un drone, on reconnaissait que selon l’évaluation des risques et de la menace qui devait être faite, il n’y avait pas de risque pour cette population, mais certains détenus ne s’étaient pas vus depuis des mois; quelques-uns d’entre eux ont dit qu’ils ne s’étaient pas vus depuis des années.

Il me semble que ce sont des occasions pour les gens d’interagir avec d’autres, qui peuvent réduire l’isolement et les tensions, et qui permettent de mettre en œuvre certaines des mesures de sécurité dynamiques qui font partie des objectifs du Service correctionnel du Canada. Selon certaines personnes, on aurait encore recours à des mesures semblables à celles utilisées pendant la pandémie de COVID. On a fait valoir que ces mesures étaient appliquées en raison de la COVID ou de préoccupations en matière de santé, mais lorsqu’on les remet en question, les explications ne tiennent pas la route. Si vous pouviez nous transmettre des données sur le sujet également, cela nous serait très utile.

Le président : Madame Kelly, est-ce que vous pourriez nous transmettre des commentaires sur ce qu’a évoqué la sénatrice Pate? Est-ce que ce serait acceptable?

Mme Kelly : J’ai pris des notes; nous verrons ce que nous pouvons vous transmettre.

Le président : Après cette discussion avec Mme Kelly, notre temps est écoulé. Au nom du comité, je tiens à remercier tous les témoins, en particulier la commissaire, de s’être joints à nous et d’avoir répondu à nos questions aujourd’hui.

Mme Kelly : Merci beaucoup et si vous souhaitez visiter un établissement, dites-le-nous.

Le président : Honorables sénateurs, pour la deuxième partie de notre réunion, nous recevons la vice-présidente de l’Association canadienne du droit carcéral, Jennifer Metcalfe, et le directeur des litiges pour l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, Vibert Jack. Tous deux se joignent à nous avec vidéoconférence. Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d’être avec nous. Je vous invite à faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.

Jennifer Metcalfe, vice-présidente, Association canadienne du droit carcéral : Je vous remercie, honorables sénateurs, de m’avoir invitée à m’adresser à vous aujourd’hui. Je vous parle depuis les territoires non cédés des nations Musqueam, Squamish, Tsleil-Waututh et Kyuquot. J’utilise le pronom « elle ». Je suis vice-présidente de l’Association canadienne du droit carcéral et directrice générale des Services juridiques aux prisonniers de la Colombie-Britannique.

L’association appuie le projet de loi. Nous convenons qu’il est important que les personnes qui sont visées par toutes les formes d’isolement cellulaire, qu’il s’agisse des cellules nues, du confinement ou des cellules d’observation des détenus suicidaires, bénéficient de protections procédurales.

Nous croyons aussi que certaines personnes vivent dans des conditions semblables à l’isolement dans le cadre des déplacements prévus dans de nombreuses prisons à sécurité maximale, qui peuvent être plus restrictives que les unités d’intervention structurée, de sorte que la comparaison avec la population carcérale générale n’est peut-être pas utile. Nous recommandons d’élargir la protection contre l’isolement en adoptant les mesures désignées dans la End Solitary Confinement Act des États-Unis, qui exigent que les détenus passent 14 heures par jour à l’extérieur de la cellule dans des espaces partagés, et qu’ils consacrent au moins sept heures par jour à des programmes et à de la formation. En vertu de cette mesure législative, l’isolement cellulaire à des fins de désescalade ou de confinement est limité à quatre heures par jour et à 12 heures par semaine.

Nous appuyons l’idée d’une évaluation de l’état de santé des détenus par des cliniciens indépendants et du transfert des personnes handicapées vers un hôpital ou un établissement de santé mentale, si elles le souhaitent. Nous sommes particulièrement préoccupés de savoir que les personnes ayant des troubles de santé mentale sont maintenues en isolement, et que le personnel de soins de santé employé par le Service correctionnel du Canada ne plaide pas pour que les patients soient retirés de l’isolement lorsque leur santé mentale se détériore. Les recherches menées par les médecins Anthony Doob et Jane Sprott ont révélé que les fournisseurs de soins de santé du Service correctionnel du Canada recommandaient le retrait des unités d’intervention structurée dans seulement 0,15 % des cas, malgré leur estimation selon laquelle 28 % des séjours dans ces unités constituaient de l’isolement cellulaire et que 10 % des séjours constituaient de la torture selon la définition de l’ONU.

À notre avis, les problèmes de santé mentale invalidants devraient aller au-delà d’un diagnostic du DSM-5 et inclure les symptômes associés à l’isolement, notamment l’automutilation, les idées suicidaires et les traumatismes qui découlent du recours à la force. Nous avons des clients qui se mutilent et tentent régulièrement de se suicider et qui voient leur accès refusé aux centres de traitement régionaux du Service correctionnel du Canada.

Ce ne sont pas toutes les personnes ayant un trouble de santé mentale invalidant qui peuvent être détenues dans un hôpital. Nous recommandons de modifier l’article 29.02 pour y inclure des services communautaires en santé mentale afin de permettre aux gens d’être placés dans les milieux de soins de santé qui leur conviennent le mieux.

L’Association canadienne du droit carcéral appuie la surveillance judiciaire du recours aux unités d’intervention structurée pour une période de plus de 48 heures. Les examens du Service correctionnel du Canada et du décideur externe indépendant ne permettent pas réellement aux gens d’exercer leur droit à un avocat. Le Service correctionnel du Canada et les décideurs externes indépendants refusent maintenant de transmettre les documents aux avocats à des fins d’examen. La surveillance judiciaire permettrait notamment d’aborder ce problème.

L’examen du recours aux unités d’intervention structurée doit être associé au pouvoir d’ordonner des solutions de rechange à la réinsertion dans la population générale d’une prison à sécurité maximale, où les niveaux d’isolement sont comparables à ceux des unités d’intervention structurée.

L’association appuie l’idée d’accroître les possibilités pour les groupes défavorisés de purger leurs peines dans la collectivité. Nous proposons d’ajouter la pauvreté à la définition et recommandons que la loi exige un financement au moins égal pour les solutions de rechange communautaires à l’incarcération. Cela pourrait se faire par un transfert important du financement du Service correctionnel du Canada vers les services communautaires.

L’association appuie également la surveillance judiciaire de l’administration injuste des peines. La situation de Joey Toutsaint illustre bien la nécessité de cet amendement. Il a passé 2 180 jours en isolement et il continue de l’être depuis le changement de régime. Il est peu probable qu’il puisse sortir d’un établissement à sécurité maximale, car il présente les réactions normales à l’isolement et aux traumatismes, soit l’anxiété, les accès de colère, la dépression, la paranoïa, l’automutilation et les pensées suicidaires. Joey Toutsaint est dans la même situation que de nombreux autres hommes autochtones, qui sont deux fois plus susceptibles d’être classés au niveau de sécurité maximale. Les femmes autochtones sont quatre fois plus susceptibles d’être condamnées à purger leur peine dans un établissement à sécurité maximale, et les Autochtones sont moins susceptibles d’obtenir une libération conditionnelle. L’emprisonnement continu de Joey Toutsaint ne remplit pas l’objectif du Service correctionnel du Canada. Il n’est ni sécuritaire ni humain, et on ne l’aide pas à se réadapter ou à réintégrer la communauté.

La possibilité de demander une réduction de peine à un tribunal pour les raisons énoncées dans le projet de loi améliorerait considérablement les droits fondamentaux des détenus.

Merci.

Le président : Merci beaucoup, madame Metcalfe.

Me Vibert Jack, directeur des litiges, Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique : Honorables sénateurs, bonjour. Je vous remercie de m’accueillir aujourd’hui. Je me joins à vous depuis le territoire non cédé des peuples Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh.

Je m’appelle Vibert Jack et je suis le directeur des litiges à l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique. Notre association et la Société John Howard — dont vous avez entendu parler, je crois, lors d’une réunion précédente — étaient responsables de l’une des contestations judiciaires fructueuses relatives à l’isolement préventif qui a mené, en grande partie, à nos discussions. En plus de l’affaire dont nous avons été saisis ici en Colombie-Britannique, il y a aussi eu la cause portée par l’Association canadienne des libertés civiles non affiliée en Ontario. Je tiens également à souligner qu’avant de me joindre à l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, j’ai passé sept ans à offrir de l’aide juridique aux personnes incarcérées partout en Colombie-Britannique. Par conséquent, mes commentaires et mes réponses se fonderont également sur cette expérience.

Aujourd’hui, j’aimerais vous exhorter à adopter une approche fondée sur les droits de la personne dans le cadre de votre étude du projet de loi. Il est important de se poser la question suivante : que faut-il faire pour respecter les droits des personnes incarcérées?

À notre avis, il faut commencer par revoir les directives fournies par nos tribunaux et reconnaître qu’elles ne sont tout simplement pas respectées. Lorsque le projet de loi C-83 était à l’étude, nous avons comparu devant le Sénat pour faire valoir qu’il ne mettrait pas fin aux violations de la Charte décrites dans la jurisprudence. Comme vous l’avez entendu, nos préoccupations se sont avérées fondées. Donc, que disent les tribunaux au sujet des droits des personnes placées en isolement cellulaire?

Il doit y avoir un examen indépendant. Cela signifie en partie que la personne responsable de l’évaluation a le pouvoir de retirer quelqu’un de l’isolement cellulaire en temps opportun, un pouvoir que les décideurs externes indépendants n’ont pas.

Les personnes doivent avoir droit à un avocat. Il existe un droit statutaire et constitutionnel d’être représenté par un avocat dans le cadre d’une audience de révision.

Les personnes atteintes de maladie mentale ne devraient pas être placées en isolement cellulaire. Bien que les tribunaux aient laissé aux décideurs le soin de définir les limites de ce principe, ils ont constaté qu’il y avait eu un manquement à cet égard dans le cadre du régime d’isolement préventif.

L’isolement cellulaire ne doit pas être utilisé de façon discriminatoire. Le Canada et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique ont reconnu que les Autochtones avaient été placés en isolement cellulaire de façon discriminatoire.

Enfin, il doit y avoir une limite de temps. La Cour d’appel de l’Ontario a fixé une limite ferme de 15 jours, conformément aux Règles Nelson Mandela. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique s’est abstenue de fixer une limite précise, mais a conclu que l’isolement cellulaire prolongé ou indéfini ne pouvait être autorisé.

Je tiens à souligner que ces exigences représentent le strict minimum nécessaire pour protéger les droits garantis par la Charte aux personnes incarcérées.

L’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique appuie pleinement l’intention et une grande partie du contenu du projet de loi S-230. L’ajout d’une surveillance judiciaire est une très bonne chose, car le modèle du décideur externe indépendant n’a pas permis de répondre aux exigences énoncées dans la jurisprudence en matière d’examen indépendant. Certaines parties du projet de loi visant à fournir des évaluations de la santé mentale et des solutions de rechange aux placements en détention créeraient des outils importants pour éviter que les personnes atteintes de maladie mentale ne soient placées en isolement cellulaire et pour prévenir le recours disproportionné à l’isolement cellulaire pour d’autres groupes vulnérables. La réduction possible des peines se veut une solution importante afin d’éviter la violation des droits associée à l’isolement cellulaire ou à d’autres mesures.

Nous croyons toutefois que le libellé du projet de loi ne va toujours pas assez loin pour empêcher le recours inconstitutionnel à l’isolement cellulaire. D’après sa définition d’une unité d’intervention structurée, le projet de loi ne semble pas tenir compte des cas d’isolement cellulaire lorsqu’il est appliqué à l’ensemble de la population carcérale, comme dans le cadre du confinement, de la modification des routines ou même dans le cadre des routines de déplacement générales pouvant être trop restrictives. Comme nous l’avons déjà vu en réponse à l’introduction des unités d’intervention structurée, toute lacune en matière de surveillance dans une prison donnera sans aucun doute lieu à plus d’abus. Il est essentiel de comprendre que l’isolement cellulaire n’est pas défini par un lieu, mais plutôt par l’absence de contacts humains significatifs.

De plus — et c’est peut-être le plus important —, dans sa forme actuelle, le projet de loi S-230 omet une fois de plus de mettre en œuvre l’exigence fondamentale du droit international et national : un plafond sur la durée de l’isolement cellulaire. L’absence d’une limite de temps pour prévenir l’isolement cellulaire prolongé ou indéfini signifie que la loi demeurera inconstitutionnelle.

Merci.

Le président : Merci, maître Jack, et merci à vous deux d’avoir été très disciplinés pendant vos exposés. Nous passons maintenant aux questions et commentaires des sénateurs.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Bienvenue à nos invités.

Ma première question s’adresse à vous, maître Jack. Est-ce que vous avez déjà travaillé dans un hôpital psychiatrique?

[Traduction]

Me Jack : Non.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous savez que dans les hôpitaux psychiatriques, l’isolement est couramment pratiqué pour protéger les patients ou protéger le personnel?

Je pense à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel, entre autres, où les patients peuvent être en isolement pendant un mois, tout dépendant de leur niveau de dangerosité. Vous savez que cela se pratique dans les hôpitaux.

[Traduction]

Me Jack : Oui, je sais que l’on a recours à l’isolement dans les hôpitaux.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Donc, si ce projet de loi vise à éviter le plus possible l’isolement des patients et qu’on les transfère dans les hôpitaux psychiatriques où ils sont en isolement, quel problème tente-t-on de régler?

[Traduction]

Me Jack : Premièrement, je crois qu’il est moins probable qu’une personne soit placée en isolement dans un hôpital qu’en prison parce que le personnel des hôpitaux est formé pour traiter avec des personnes atteintes de maladie mentale et qu’il sera mieux préparé à trouver d’autres solutions. En même temps, si vous voulez modifier le projet de loi afin d’imposer plus de restrictions relatives à l’isolement dans un contexte hospitalier, je vous appuierais en ce sens. Je n’y ai pas beaucoup pensé.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Est-ce que vous avez écouté tantôt le témoignage de Mme Kelly sur les services de qualité offerts dans les pénitenciers, pour les gens qui souffrent de troubles mentaux?

[Traduction]

Me Jack : Oui, je l’ai écouté.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : D’accord, merci.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Madame Metcalfe, vous avez mentionné la nécessité d’assurer un certain degré d’indépendance dans les évaluations de santé en raison de la probabilité que personne ne plaide pour qu’un détenu soit retiré d’une unité d’intervention structurée. Ensuite, vous avez parlé d’une personne qui avait passé plus de 2 000 jours en isolement, et vous avez donné certains détails sur ce genre d’isolement et ses répercussions globales sur la santé mentale de ce détenu, en ce sens que cet isolement a rendu les choses pires qu’avant. Pouvez-vous nous en dire plus? Je suis curieux d’obtenir plus de détails sur la proportionnalité de la durée du séjour en isolement dans les unités d’intervention structurée par rapport aux troubles de santé mentale préexistants. Quel est le lien entre les deux?

Mme Metcalfe : Je vous remercie.

Nous avons obtenu une évaluation psychiatrique indépendante pour M. Toutsaint dans le cadre d’une injonction en vue de le retirer de ce qui était alors un isolement préventif pour le transférer dans un centre de traitement régional. Le psychiatre indépendant, le Dr John Wesley Boyd, professeur à Harvard et psychiatre à la Cambridge Health Alliance, a déclaré ceci dans son évaluation :

La dépression majeure et le trouble de stress post-traumatique de M. Toutsaint sont si évidents que je me demande pourquoi ces diagnostics n’apparaissent dans aucun des dossiers médicaux que j’ai examinés à son sujet. Je ne peux m’empêcher de me demander si les cliniciens en santé mentale qui travaillent dans le système pénitentiaire canadien se font dire de ne pas utiliser ces diagnostics dans leurs rapports écrits.

Nous sommes donc vraiment préoccupés par le manque d’indépendance des fournisseurs de soins de santé dans les prisons fédérales. Nous craignons que les fournisseurs de soins de santé soient influencés par une double loyauté envers leur employeur. Ils adoptent une perspective axée sur l’évaluation des risques, qui consiste à examiner le comportement des personnes au lieu de s’intéresser à leurs besoins en matière de soins de santé.

Les symptômes du trouble de stress post-traumatique et ceux de l’isolement cellulaire produisent les mêmes comportements que ceux auxquels les unités d’intervention structurée sont censées remédier. Par conséquent, nous estimons que les unités d’intervention structurée ne protègent pas la sécurité des personnes. Au contraire, elles augmentent le risque pour leur sécurité. Lorsque les gens sont placés dans de telles conditions d’isolement, ils souffrent de paranoïa et d’hypervigilance. Lorsqu’ils sortent de l’isolement, ils ont des craintes légitimes. Il ne s’agit pas seulement de paranoïa. Les gens ont peur de sortir de leur cellule parce qu’ils craignent d’être battus par les agents correctionnels.

Pour répondre à ce que disait Anne Kelly au sujet de l’inconduite du personnel et de la façon dont l’organisation tente de changer la culture, nous avons des clients qui nous disent souvent que les agents correctionnels les encouragent à se suicider et leur donnent parfois des rasoirs.

Le sénateur Prosper : Merci, madame Metcalfe, de nous avoir fourni ces renseignements.

Je suis curieux de savoir si vous pouvez ajouter quelque chose à votre remarque sur la nécessité de faire faire les évaluations par des praticiens de la santé. Certains employés d’un établissement pourraient être réticents à examiner les considérations de risque pour la santé générale et le bien-être des détenus eux-mêmes. Connaissez-vous bien les types de méthodologies d’évaluation? Je crois que Mme Kelly a utilisé tout à l’heure le terme « agréé ». Connaissez-vous les titres de compétence des personnes qui effectuent ces évaluations de santé en milieu carcéral?

Mme Metcalfe : Non. Nous avons entendu quelques anecdotes de gens qui se sont trouvés dans une situation étrange, car nos clients reçoivent parfois des services de counseling ou de santé mentale par des personnes qui n’ont pas les titres de compétence nécessaires. Les résultats ont été assez terribles.

Je suis plutôt choquée d’entendre les statistiques de Mme Kelly sur le nombre de personnes qui sont évaluées comme ayant des problèmes de santé mentale dès leur admission. Je l’ai pris en note, mais je ne le retrouve plus, mais c’était un très petit nombre pour les hommes. Je pense que le problème, c’est que les gens ne reçoivent tout simplement pas de diagnostic. Il y a un véritable sous-diagnostic des lésions cérébrales et de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale, qui ne sont tout simplement pas pris en compte dans la manière dont les gens se comportent. Par conséquent, on punit les gens parce qu’ils ont des troubles de santé mentale, au lieu de reconnaître que certains comportements peuvent être causés par un handicap et au lieu d’aider ces gens à apprendre à connaître les symptômes de leur handicap et à mieux réagir aux éléments déclencheurs et à d’autres choses de ce genre.

Le sénateur Klyne : Je vais poser la même question aux deux témoins, à Mme Metcalfe et à Me Jack. Avez-vous des inquiétudes quant à la capacité des établissements correctionnels de se conformer aux nouvelles exigences énoncées dans le projet de loi S-230?

Mme Metcalfe : La surveillance judiciaire est vraiment essentielle. Le manque de conformité est un problème constant au Service correctionnel du Canada, et il faut vraiment que les tribunaux interviennent et fassent respecter les règles. Dans les prisons, les règles sont omniprésentes, mais la règle de droit y est absente.

Me Jack : J’ai plus que des inquiétudes; j’ai la ferme conviction que les prisons ne respecteront pas ces lois parce qu’elles ont l’habitude de ne pas les respecter.

Lorsque vous posiez des questions à la commissaire Kelly tout à l’heure, notamment sur la situation en milieu carcéral, la plupart de ses réponses étaient que la loi dit ceci ou cela.

Dans l’affaire Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, on a parlé de l’existence d’une culture de déférence au sein du Service correctionnel du Canada : en effet, les directeurs et les administrateurs font preuve de déférence à l’égard du personnel de première ligne. Les employés de première ligne disent qu’ils suivent les règles, et les directeurs les croient sur parole, sans tenir compte des propos des détenus. Ensuite, les bureaux régionaux ou nationaux croient sur parole les directeurs d’établissement et font preuve de déférence à l’égard de ceux qui dirigent les prisons.

Il ne suffit donc pas d’avoir des lois et des règles dans les prisons. Il faut une surveillance. Je suis d’accord avec Mme Metcalfe pour dire que la surveillance judiciaire est la meilleure approche.

Le sénateur Klyne : Je vous remercie de ces réponses.

Madame Metcalfe, parlant de surveillance judiciaire, diriez-vous que cela devrait remplacer les DEI?

Mme Metcalfe : Je suis désolée; parlez-vous de remplacer les décideurs externes indépendants?

Le sénateur Klyne : Il y avait un groupe qui, je crois, s’appelait DEI. Je ne me rappelle plus la signification de cet acronyme, mais la sénatrice Pate le saurait peut-être. C’est un groupe de professionnels qui répondent aux préoccupations soulevées. Ils sont censés être indépendants pour pouvoir intervenir. C’est, semble-t-il, un échec.

Mme Metcalfe : Du point de vue de notre bureau, c’est un échec, en partie à cause du fait qu’ils n’ont pas leurs propres employés de soutien administratif. Ils comptent sur le personnel du Service correctionnel du Canada pour produire leur rapport administratif. Au début, ils nous remettaient des documents avant les audiences et nous faisaient part de leurs décisions, ce qui est vraiment essentiel pour permettre à l’équipe des Services juridiques aux prisonniers de fournir de l’aide juridique aux personnes placées dans des unités d’intervention structurée. Récemment, ils ont dit que cette obligation relevait du Service correctionnel du Canada, mais ce dernier a fait valoir que c’est la responsabilité du « délinquant ». Cela s’inscrit dans le droit fil de la mentalité qui préconise en quelque sorte la responsabilisation des délinquants; ainsi, les avocats sont traités comme des tiers, et le détenu est censé fournir les documents nécessaires. Il s’agit de gens qui n’ont pas accès au courrier électronique, aux photocopieurs et aux ordinateurs, et qui souffrent souvent des symptômes de l’isolement et d’autres troubles de santé mentale; il leur est donc vraiment difficile de savoir ce qu’il faut remettre. Ils ne reçoivent pas nos demandes de rappel. Ils n’ont pas un accès adéquat au téléphone. Ils ne savent pas quoi transmettre. Ils doivent remplir un autre formulaire pour que les renseignements nous soient envoyés par télécopie. Ils doivent parfois payer des frais pour les télécopieurs, ce qui a été temporairement suspendu. Bref, il y a un véritable problème d’accès aux services d’un avocat.

De plus, on nous a récemment empêchés de rendre visite à nos clients à Kent. L’établissement a mis en place tellement de paramètres stricts pour les visites qu’il nous est impossible d’aller rendre visite à plus d’une personne. Il nous faut quatre heures de route par jour pour nous rendre à Kent. Il n’y a aucun accès aux services d’un avocat, ce qui signifie que ces examens ne valent rien. Nous ne pouvons pas nous présenter à un examen sans avoir consulté les documents ou, parfois, sans avoir parlé à nos clients ou reçu des instructions. Un examen judiciaire de ces placements éliminerait ce problème. Les tribunaux respectent le rôle des avocats, et il n’y aurait aucun problème quant à la communication des renseignements et à la réception des décisions.

Le sénateur Klyne : Je vous remercie.

La sénatrice Simons : C’est une bonne transition vers le sujet que je voulais aborder. Dans mes cours d’anglais, il y a bien des années, nous avions appris la notion de narrateur non fiable, c’est-à-dire la personne qui raconte l’histoire et dont le lecteur ne peut pas savoir si elle dit la vérité ou non. J’ai un peu l’impression d’être de retour en classe d’anglais parce que les plus hauts responsables du Service correctionnel du Canada nous disent qu’il n’y a pas de cellules cachées, alors que le rapport de l’enquêteur correctionnel de 2021-2022 fait état de cellules cachées où les détenus sont maintenus dans des conditions semblables à l’isolement pendant des semaines. Lorsque vous parlez à vos clients, on pourrait dire qu’ils ne sont pas des narrateurs fiables. Ils sont en prison parce qu’ils sont malhonnêtes, ce qui fait que nous ne pouvons pas nous fier à leur parole. Comment sommes-nous censés savoir où se situe la vérité lorsque, d’une part, nous entendons parler de violations flagrantes des droits de la personne et, d’autre part, nous recevons l’assurance que rien de tout cela ne se produit? Avez-vous des conseils avisés à nous transmettre sur la façon dont nous sommes censés juger de l’extérieur?

Mme Metcalfe : Je vous remercie.

L’équipe des Services juridiques aux prisonniers s’entretient avec environ 1 000 détenus chaque année, et nous les aidons en défendant environ 3 000 cas par année. Nous sommes très au fait de ce qui se passe dans les établissements. Quand une personne nous dit qu’un agent a proféré des insultes racistes à son encontre ou lui a dit de se suicider ou que des agents couvrent leur porte-nom ou arborent des écussons ornés d’une mince ligne bleue, nous pourrions mettre en doute la crédibilité de ces propos, mais lorsque nous les entendons régulièrement de la bouche de plusieurs détenus placés dans différentes unités et qui ne se connaissent pas, nous sommes portés à croire ces allégations très difficiles à accepter concernant les mauvais traitements et le degré d’isolement.

La commissaire Kelly a parlé de l’application qui permet de suivre le temps passé hors des cellules. Nous avons demandé à nos clients placés dans des unités d’intervention structurée à Kent à quelle fréquence on leur proposait de sortir de leur cellule, et ils nous ont répondu qu’on leur proposait de sortir de leur cellule le matin, peut-être à 7 heures, alors qu’ils ne sont peut-être pas tout à fait réveillés, qu’ils n’en ont pas envie ou qu’ils n’ont pas encore bu leur café; on ne leur offre pas d’autres occasions pendant le reste de la journée. Ils ont expliqué que l’application enregistre l’heure à laquelle se déroulent les activités lorsqu’il est possible de participer à des programmes ou à d’autres interactions. Autrement dit, l’enregistrement se fait au moment où l’activité a lieu, et non pas au moment où l’on donne à quelqu’un l’occasion d’y participer. Je pense que cela pourrait également expliquer certaines des divergences dans les preuves.

Me Jack : Vous avez mentionné le rapport de l’enquêteur correctionnel. Il y a aussi les rapports des groupes consultatifs. Il s’agit de tiers indépendants et dignes de confiance. Ces rapports contiennent des renseignements très clairs sur la persistance de ces problèmes.

Je vous renvoie également à la jurisprudence. Nous avons des tribunaux dont le travail consiste à écouter les témoignages des différentes parties et à déterminer qui dit vrai. Dans l’affaire Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, le Service correctionnel du Canada était catégorique sur le fait que l’isolement cellulaire n’existait pas. Or, si vous lisez cette décision et l’autre qui a été mentionnée, il est très clair que le Service correctionnel du Canada ne dit pas la vérité à ce sujet.

Lorsqu’un organisme comme le Service correctionnel du Canada ne dit pas la vérité à plusieurs reprises, je pense qu’il est juste de supposer qu’il va continuer dans cette voie. Tout à l’heure, la commissaire Kelly a été interrogée au sujet du site Web où l’on dit que « les gens stupides me permettent de garder mon emploi », et elle a répondu que cela ne reflétait pas le professionnalisme des employés du Service correctionnel du Canada. Malgré les preuves irréfutables, elle continue de nier la réalité. C’est tout de même inexplicable, mais je pense qu’il s’agit là de la culture du Service correctionnel du Canada : nier les faits et refuser d’assumer la responsabilité de ses actes.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

La sénatrice Batters : Je remercie nos témoins d’être là aujourd’hui.

Ma première question s’adresse à Mme Metcalfe. Pensez-vous qu’il soit nécessaire de retirer certains détenus de la population carcérale en raison de comportements dangereux et destructeurs? Selon vous, la limite de 48 heures prévue dans le projet de loi S-230 est-elle suffisante pour assurer la sécurité de l’ensemble de la population carcérale? Je me demande quelle serait, d’après vous, la durée de séjour appropriée dans une unité d’intervention structurée pour que l’on puisse régler efficacement les comportements dangereux et perturbateurs, tout en préservant la sécurité générale dans les prisons.

Mme Metcalfe : Les faits montrent que l’isolement cellulaire a des conséquences néfastes pour les personnes qui souffrent déjà de problèmes de santé mentale. Selon la décision Francis, il n’est pas approprié de placer une personne ayant un trouble mental préexistant en isolement cellulaire, quelle qu’en soit la durée.

En ce qui a trait aux comportements difficiles, je pense qu’une limite de quatre heures par jour pour une période de désescalade, comme le prévoit la loi adoptée aux États-Unis, suffit pour répondre à toute préoccupation concernant le risque immédiat pour une personne. Au-delà de cette limite, nous risquons de causer aux gens un préjudice qui ne fera qu’exacerber la violence et les problèmes de santé mentale.

La sénatrice Batters : Je vous remercie.

Ma prochaine question s’adresse à Me Jack. Que pensez-vous des risques pour la vie et la sécurité des détenus, en particulier ceux qui peuvent avoir été menacés au sein de la population carcérale, si un tribunal n’est pas en mesure de traiter une demande de prolongation dans les délais prescrits? Pensez-vous que les retards dans la prise de ces décisions pourraient exposer ces détenus à des dangers accrus? Quelles mesures de protection recommanderiez-vous pour atténuer ces risques?

Me Jack : Je ne peux pas vraiment parler de la probabilité que des retards se produisent. Je ne connais pas très bien les procédures judiciaires. Je suppose que ces cas feraient l’objet d’une instruction accélérée et auraient préséance sur les autres.

S’il y a un retard, d’après mon expérience, parce que ce sont des choses qui arrivent dans le processus d’examen actuel — et c’était aussi le cas dans l’ancien régime d’isolement préventif —, ce qui se passe en pratique, c’est que la personne restera tout simplement dans l’unité d’intervention structurée jusqu’à ce que l’examen puisse avoir lieu. En ce qui concerne les protections procédurales, c’est aux tribunaux de s’en occuper et d’essayer de faire en sorte que les audiences se déroulent le plus rapidement possible. Je ne m’attends pas à ce que les prisons mettent les gens en danger à cause de retards administratifs. Je ne pense pas que cela soit réaliste.

La sénatrice Batters : Oui, espérons-le. Comme l’a dit Michael Spratt, qui comparaît fréquemment devant notre comité, une pression indue pourrait être exercée sur les instances supérieures qui se verraient dans l’obligation de gérer ce genre de situations.

Merci beaucoup à vous deux pour vos réponses.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Je remercie les témoins d’être avec nous aujourd’hui. J’ai deux questions à vous poser.

Dans les statistiques que Mme Kelly nous a données tout à l’heure, j’ai été étonnée d’apprendre que 45 % des gens placés dans les unités d’intervention structurées pour des raisons de sécurité, soit à la suite d’une attaque à la sécurité de l’établissement, alors que la préoccupation est vraiment la sécurité de Service correctionnel Canada et de ses établissements. Il y a un peu plus de gens qui sont placés dans les UIS à cause de préoccupations concernant leur propre sécurité.

Dans votre travail, voyez-vous une différence entre les réalités que vivent les gens qui sont placés en UIS pour assurer la sécurité de l’établissement par rapport à ceux qui y sont placés, selon ce qu’en juge en tout cas Service correctionnel Canada, pour leur propre sécurité?

[Traduction]

Mme Metcalfe : Selon les Nations unies, isoler une personne ayant un trouble mental préexistant pendant plus de 22 heures par jour ou encore pendant plus de 15 jours consécutifs constitue de la torture ou un traitement cruel.

Si quelqu’un se retrouve volontairement dans de telles conditions, je ne crois pas qu’on l’on puisse parler d’isolement volontaire. Si la personne s’auto-isole, ce qui est un des symptômes d’un isolement cellulaire prolongé, elle doit être placée dans un autre environnement où elle se sent réellement en sécurité. Beaucoup de nos clients ne se sentent pas en sécurité parce qu’ils craignent que les agents de correction aient recours à la force. Ils craignent d’être agressés par d’autres détenus, ce qui est régulièrement facilité par les agents de correction selon ce que l’on nous rapporte. C’est ce qu’ils appellent le double dooring, ou le fait d’être « ensassés », c’est-à-dire bloqués entre deux portes. Les symptômes de l’isolement cellulaire et du traumatisme rendent les détenus hypervigilants et craintifs quant à leur sécurité.

Il faut vraiment traiter les symptômes de gens comme Joey, qui a passé plus de 2 000 jours en isolement, pour les aider à comprendre ces déclencheurs et à leur fournir un environnement qui leur permet d’interagir avec d’autres avec qui ils se sentent en sécurité. Voilà le travail de Service correctionnel Canada : gérer les détenus de sorte qu’ils soient en sécurité et se sentent en sécurité.

Pourrais-je répondre à une question précédente sur les hôpitaux spécialisés en psychiatrie légale? Il y a un lien avec ce que nous venons d’aborder. Seriez-vous d’accord?

La sénatrice Dupuis : Oui.

Mme Metcalfe : Merci.

Je n’ai pas travaillé dans un hôpital spécialisé en psychiatrie légale, mais nous en avons visité un en Colombie-Britannique, où nous avons rencontré certains des psychiatres. Ils nous ont dit avoir remarqué qu’il y avait beaucoup d’agressions contre le personnel. Quand ils ont commencé à se pencher sur le moment où ces agressions avaient lieu, ils ont constaté que ceux-ci se produisaient surtout quand les gens étaient placés en isolement. Ils ont décidé de ne plus mettre les détenus en isolement et de plutôt s’asseoir avec eux pour leur demander quels sont leurs besoins et de quelle façon ils pouvaient les aider à y répondre. Quand ils ont commencé à mettre cette stratégie en œuvre, ils ont constaté que le taux d’agressions contre le personnel a grandement diminué pour éventuellement être nul. C’était il y a quelques années de cela. Je ne saurais dire où ils en sont à l’heure actuelle. Au Canada, l’hôpital spécialisé en psychiatrie légale de la Colombie-Britannique est certes un étalon de référence contrairement à d’autres établissements. Il y a aussi un mouvement pour éliminer le recours à l’isolement dans les hôpitaux psychiatriques. Cette histoire établit avec grande éloquence les préjudices subis par les personnes qui sont soumises à l’isolement et l’incidence de celui-ci sur la sécurité.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup à vous deux pour le travail que vous faites et pour celui accompli par vos organisations respectives.

Vous avez tous les deux suggéré des façons d’améliorer le projet de loi, et je me demande si vous seriez prêts à nous les envoyer par écrit, sous forme d’amendements qui, selon vous, viendraient améliorer le projet de loi.

Aussi, je serais curieuse de savoir si vous avez répondu aux rapports de l’enquêteur correctionnel et du comité consultatif ministériel. Les autres sénateurs vous ont posé des questions sur différentes statistiques, et je remarque que, dans bien des cas, il y a des problèmes connexes soulevés par le comité consultatif ministériel dans ses rapports annuels, de même que par l’enquêteur correctionnel. Avant de poursuivre, vos organisations respectives ont-elles la moindre réponse à fournir à ces rapports?

Mme Metcalfe : Non, il n’y en a pas eu de la part de notre organisation, mais nous écrivons assez régulièrement des lettres à la commissaire Kelly pour lui faire part de nos préoccupations, qui sont en partie les mêmes que celles évoquées par l’enquêteur correctionnel.

La sénatrice Pate : Est-il possible de nous transmettre certaines de ces lettres, si elles ne posent pas de problème de confidentialité pour vos clients?

Mme Metcalfe : Oui. Merci.

Le président : Maître Jack, souhaitez-vous répondre à la question de la sénatrice Pate?

Me Jack : Pour ce qui est de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique, la réponse est tout simplement non.

La sénatrice Pate : Les deux affaires qui ont donné lieu au projet de loi C-83, comme vous l’avez indiqué, ont été abandonnées par le Service correctionnel du Canada au niveau de la Cour suprême du Canada. Avez-vous des observations ou des conclusions à tirer de la décision d’abandonner ces affaires, sur la base de ce que vous savez et de ce que vous avez entendu aujourd’hui de la part de la commissaire du Service correctionnel?

Me Jack : J’en déduis que le Service correctionnel a accepté les décisions. Si je comprends bien, le projet de loi C-83 était destiné à les mettre en œuvre. Je ne pense pas qu’il ait complètement réussi, et j’en ai déjà exposé certaines des raisons aujourd’hui et dans mes observations écrites. D’après mon examen, le modèle des décideurs externes indépendants en particulier a été conçu de manière à perpétuer le problème soulevé lors de ces procès, à savoir que le directeur d’une prison est toujours le décideur, puis le juge de sa propre cause. Le moment choisi pour les examens des décideurs indépendants et les pouvoirs qui leur sont conférés ne leur permettent pas à changer quoi que ce soit à cette situation. Il est possible que l’appel à la Cour suprême du Canada — parce qu’un appel a été déposé, puis retiré — ait été retiré pour éviter que la Cour suprême du Canada ne se prononce encore plus fermement ou qu’un contrôle judiciaire soit ordonné, etc. Les autorités ont probablement estimé qu’elles pouvaient mettre en place un modèle qui leur permettrait de continuer à recourir à l’isolement cellulaire, et c’est ce qui s’est passé.

Mme Metcalfe : Je suis d’accord avec Me Jack.

La sénatrice Pate : Lorsque les responsables du Service correctionnel du Canada ont comparu devant le Comité des finances, je leur ai demandé où l’argent avait été dépensé. Une recommandation royale accompagnait le projet de loi C-83 et prévoyait des ressources précises pour la location de places dans des établissements comme l’hôpital psychiatrique dont vous avez parlé, madame Metcalfe, ainsi que pour l’embauche d’avocats indépendants spécialisés dans la santé mentale. À votre connaissance, l’une ou l’autre de ces dispositions a-t-elle été mise en œuvre depuis la promulgation du projet de loi C-83?

Mme Metcalfe : Non. Par ailleurs, j’ai été assez choquée d’entendre les statistiques de Mme Kelly sur le nombre de places disponibles à l’Institut Pinel et sur le fait qu’il n’y a que 13 places pour les hommes, sachant que les hommes représentent 93 % des personnes incarcérées.

La sénatrice Pate : Avez-vous quelque chose à ajouter, maître Jack?

Me Jack : Honnêtement, je ne peux pas répondre à cette question. Je n’ai pas assez d’informations. Je suis désolé.

La sénatrice Pate : D’accord. Ce n’est pas grave.

Merci beaucoup à vous deux.

Le président : Permettez-moi d’adresser mes remerciements et ceux du comité à Mme Metcalfe et à Me Jack, pour s’être joints à nous et avoir répondu à nos questions de manière aussi efficace et exhaustive. La séance est maintenant terminée. Nous n’allons pas lever la séance tout de suite, mais vous pouvez retourner à vos occupations — et je sais que vous êtes généralement occupés — ou rester pour observer, si vous le souhaitez. Merci à tous les deux.

Chers collègues, je voudrais aborder deux autres points. Tout d’abord, le sénateur Dalphond souhaite proposer une motion au comité.

Le sénateur Dalphond : Merci, monsieur le président.

Comme vous le savez, chers collègues, la sénatrice Jaffer sera contrainte de prendre sa retraite l’été prochain, soit à l’été 2024. J’ai été informé en début de semaine qu’un accord avait été conclu entre le sénateur Cotter et la sénatrice Jaffer pour que cette dernière reprenne la présidence à partir de 2024 et jusqu’à sa retraite. Je n’enlève rien au président, qui, je le sais, fait un excellent travail, mais je sais aussi que la présidente précédente était également excellente. Par conséquent, il me plaît de concrétiser cet accord à l’amiable en proposant, si le comité en convient, que la sénatrice Jaffer reprenne la présidence à compter de la reprise de nos travaux en février 2024.

Le président : Y a-t-il débat sur la motion?

La sénatrice Batters : Il ne s’agit pas d’un débat, mais ce changement ne devrait-il pas entrer en vigueur le 1er janvier ou quelque chose du genre? Il y aurait évidemment du travail supplémentaire, et cela ne se fait pas tout seul, comme je le sais en tant que membre du comité.

Le président : Considérons cela comme un amendement amical.

Le sénateur Dalphond : Je peux proposer que la nomination entre en vigueur le 1er janvier 2024.

La sénatrice Batters : Je serais heureuse d’appuyer la motion, si nécessaire.

Le président : Merci. Nous allons maintenant entamer un débat sérieux sur le sujet. Je n’entends aucune opposition. Vous plaît-il d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Le président : Je déclare la motion adoptée. Merci.

Deuxièmement, j’ai pensé que nous pourrions prendre quelques minutes en plus des discussions en Chambre pour remercier la sénatrice Dupuis pour ses services. J’invite tous ceux qui le souhaitent à dire quelques mots. Si vous avez fait une allocution à ce sujet au Sénat, nul besoin de vous répéter ici. Nous avons entendu beaucoup de paroles aimables, élogieuses et bien méritées.

[Français]

Le sénateur Boisvenu : Chère collègue, je tiens à vous remercier pour le travail que vous avez fait au comité, également au comité directeur dont vous avez été membre pendant quelques années.

La sénatrice Dupuis : C’était avec vous, d’ailleurs.

Le sénateur Boisvenu : On a appris à s’apprivoiser l’un et l’autre. J’ai découvert chez la sénatrice Dupuis une sénatrice qui a beaucoup d’humour, mais aussi une personne qui a une grande humanité. La santé de son conjoint m’a beaucoup touché et on a eu la chance d’en discuter à l’occasion. Je ne vous souhaite pas une retraite du Sénat, mais un bon départ. Le mot « retraite » ne fait pas partie de mon vocabulaire. Je vous souhaite beaucoup de santé à vous et à votre conjoint, surtout une longue vie — personnelle, professionnelle et familiale. Merci de votre collaboration au comité.

La sénatrice Dupuis : Merci beaucoup, sénateur Boisvenu.

[Traduction]

Le président : Si vous me permettez de faire quelques brèves observations, je dirai que la sénatrice Dupuis m’a énormément aidé à remplir ce rôle et à apprendre à être sénateur, grâce aux contributions qu’elle a apportées vu sa carrière prolifique avant son arrivée ici, à la précision de ses interventions et à ses questions incisives qui, sans aucun doute, mettent les témoins et parfois la présidence mal à l’aise. J’ai admiré le travail qu’elle a accompli, non seulement devant ce comité et au Sénat, mais aussi à titre de modèle pour les sénateurs. Je pense que nous avons eu de la chance — tant nous-mêmes que notre pays — de pouvoir compter sur les services de la sénatrice Dupuis. En notre nom à tous, je vous exprime toute ma reconnaissance pour le travail que vous avez accompli dans cette salle et pour les autres rôles que vous avez joués au sein de cette institution. Merci beaucoup, sénatrice Dupuis.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Pate : Je m’excuse. J’aurais aimé m’exprimer en français, mais ma prestation ne pourrait pas rendre justice à la sénatrice. J’ai ri lorsque le sénateur Klyne a dit qu’il était toujours capable de reconnaître les plus intelligents, mais je crains de ne pas avoir souvent été parmi ceux et celles qui comprenaient les questions que vous avez soulevées. Plus sérieusement, je vous remercie pour l’incroyable rigueur dont vous avez fait preuve dans toutes nos discussions, que ce soit au sein de ce comité, à la Chambre ou sur des questions concernant la société toute entière. Je peux toujours compter sur vous pour être une référence en ce qui concerne les réflexions que nous devrions avoir et les raisons pour lesquelles nous devrions nous interroger sur certains sujets, et pour nous encourager à donner le meilleur de nous-mêmes dans le cadre de nos fonctions. Vous le faites avec beaucoup de gentillesse, de douceur, de clarté et de précision, et sans jamais vous laisser emporter par les émotions, comme certains d’entre nous le font parfois. Je vous considère comme un modèle formidable pour nous tous, et je tiens à vous remercier tout particulièrement pour l’influence que vous avez eue sur moi. Vous me manquerez. Vous me manquerez de l’autre côté de l’allée, dans la salle du Sénat et dans cette salle de comité.

[Français]

La sénatrice Simons : C’est impossible de suivre la grande poésie du sénateur Cormier et d’en dire plus. Vous êtes incroyable. Merci pour tout ce que vous avez fait avec nous.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Avant de remercier la sénatrice Dupuis, je tiens à vous remercier pour l’excellent travail que vous avez accompli, monsieur le président. Ce fut un plaisir de travailler avec vous. Merci, sénateur.

Des voix : Bravo!

[Français]

La sénatrice Jaffer : Sénatrice Dupuis, merci infiniment pour votre travail ici. Vous êtes vraiment un membre important de ce comité. Merci infiniment.

[Traduction]

Merci beaucoup pour vos contributions. Je peux sincèrement vous dire que vous nous manquerez au sein de ce comité et au Sénat. Merci pour tout votre travail.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Est-ce que je peux dire rapidement —

[Traduction]

... à ma collègue Kim Pate, vous exercez votre droit constitutionnel de parler anglais...

[Français]

— et moi j’exerce mon droit constitutionnel de vous répondre en français, il y a un équilibre, il n’y a pas de problème. Merci pour vos bons mots, je dois dire que j’ai pris un plaisir particulier à m’accrocher au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Quand je dis m’accrocher — je suis au comité depuis le début, donc depuis mon assermentation, en novembre 2016, et je suis impressionnée par la diversité des questions très complexes qu’on a été obligés d’examiner, souvent en n’ayant pas assez de temps pour plonger dans la réalité que les textes de loi couvrent.

Contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est extrêmement intéressant et offre des occasions d’échanges qui peuvent être très vifs, parfois, mais qui sont aussi très intéressants pour moi. Merci beaucoup de vos bons mots.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, à ce stade-ci, je souhaite que le comité se réunisse à huis clos. D’accord?

Des voix : D’accord.

(La séance se poursuit à huis clos.)

Haut de page