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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 20 mars 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 17 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-250, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation).

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs. Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Je m’appelle Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique.

[Traduction]

J’invite mes collègues à se présenter.

La sénatrice Batters : Denise Batters, sénatrice de la Saskatchewan, vice-présidente du comité.

Le sénateur Klyne : Bonjour. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, du territoire visé par le Traité no 4. Bienvenue.

Le sénateur Prosper : Sénateur P. J. Prosper, de la Nouvelle-Écosse, du Mi’kma’ki, le territoire des Mi’kmaqs.

La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, du territoire visé par le Traité no 6.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, de l’Ontario.

La sénatrice Pate : Kim Pate, et je vis ici, sur le territoire non cédé de la nation algonquine anishinabe.

La présidente : Honorables sénateurs, nous nous réunissons pour poursuivre notre examen du projet de loi S-250, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation).

J’aimerais maintenant présenter le premier groupe de témoins. Nous accueillons, de Services aux Autochtones Canada, le Dr Tom Wong, médecin hygiéniste en chef, conseiller scientifique en chef et directeur général, Bureau de la santé publique et de la population, Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits; et Laura Mitchell, directrice, Division des jeunes et des familles en bonne santé, Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits. Du ministère de la Justice Canada, nous accueillons Me Matthew Taylor, avocat général et directeur, Section de la politique en matière de droit pénal; et Me Morna Boyle, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal. Me Taylor n’est pas un nouveau venu à notre comité.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous être joints à nous. Je dois vous dire que je suis vraiment déçue qu’aucun d’entre vous n’a d’exposé liminaire. C’est très difficile pour nous si vous n’en avez pas. Nous nous ferons chacun notre propre idée sur la raison pour laquelle vous n’avez pas d’exposé liminaire. Je peux dire que beaucoup d’entre nous sont très déçus.

Mais nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par la marraine du projet de loi.

La sénatrice Boyer : Je vous souhaite à tous la bienvenue. Je vous remercie d’être venus et j’ai hâte de discuter avec vous de certains aspects du projet de loi.

Ma première question s’adresse au Dr Wong. Je sais que vous connaissez bien la question de la stérilisation forcée et contrainte au Canada. Vous êtes déjà venu à ce comité et au Comité des droits de la personne. Je sais que vous êtes également très au fait du racisme et de la violence fondée sur le genre dans le système de soins de santé. Pouvez-vous nous parler de l’effet du modèle de consentement prévu par le projet de loi S-250 sur les interactions entre les médecins et leurs patients, en particulier les patients autochtones?

Dr Tom Wong, médecin hygiéniste en chef, conseiller scientifique en chef et directeur général, Bureau de la santé publique et de la population, Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, Services aux Autochtones Canada : Merci beaucoup, sénatrice Boyer. Je tiens à souligner que je me joins à vous aujourd’hui depuis le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Il est très important que nous reconnaissions tous qu’il existe un déséquilibre de pouvoir entre les prestataires de soins de santé, tels que les médecins, les infirmières et les travailleurs sociaux, et les patients, en particulier dans les populations mal desservies. Nous savons que les femmes autochtones sont victimes de nombreuses inégalités. Il est absolument essentiel que le consentement soit libre, préalable et éclairé. Avec la modification proposée par le projet de loi, j’espère que cet aspect sera dûment pris en compte.

En outre, il est très important de pouvoir appuyer les femmes autochtones dans leurs choix. Nous voulons nous assurer que les choix sont faits au moment et à l’endroit où elles veulent et qu’ils ne leur sont pas imposés dans des moments de contrainte. Merci.

La sénatrice Boyer : Je vous remercie. J’ai une deuxième question à laquelle Mme Mitchell voudra peut-être répondre.

Nous savons que l’accès aux soins de santé est souvent difficile pour les populations autochtones et qu’il y a de nombreuses raisons à cela, comme l’accès limité dans les communautés isolées, la méfiance à l’égard du système et le racisme dans le système qui affectent la qualité des soins.

Le projet de loi S-250 criminalise la stérilisation forcée et contrainte, et deviendra idéalement un moyen de dissuasion qui ne sera jamais utilisé ou qu’il ne sera jamais nécessaire d’utiliser. Nous voulons également nous assurer que les femmes disposent d’un accès libre d’obstacles aux soins de santé génésique qu’elles veulent, y compris la ligature des trompes. Nous voulons nous assurer qu’elles conservent leur liberté de choix.

Après mon examen externe de la politique de l’Autorité de la santé de Saskatoon en matière de ligature des trompes, celle-ci a eu la réaction problématique de limiter l’accès à la ligature à moins d’être recommandée par un médecin de famille, ce que, nous le savons, de nombreux Canadiens n’ont pas, en particulier dans les communautés isolées.

Pouvez-vous nous dire ce que Services aux Autochtones Canada, ou SAC, pourra faire si la stérilisation forcée et contrainte est explicitement criminalisée afin qu’il n’y ait pas d’effet néfaste sur les soins de santé génésique pour les femmes autochtones qui connaissent souvent déjà des problèmes d’accès aux soins de santé?

Laura Mitchell, directrice, Division des jeunes et des familles en bonne santé, Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits, Services aux Autochtones Canada : Je peux certainement essayer de répondre. Notre ministère est surtout responsable du financement. Nous savons que nous ne sommes pas des experts. Une des choses que nous avons faites — et que nous continuerons de faire, je l’espère — est de soutenir les organisations de femmes autochtones et d’autres organisations qui travaillent en étroite collaboration avec les populations autochtones, et qui font probablement l’objet de plus de confiance que les organisations gouvernementales, afin qu’elles puissent travailler avec les femmes autochtones pour clarifier leurs droits et ce à quoi devrait ressembler le consentement éclairé.

Il est regrettable que nous placions les patients dans une situation où ils doivent connaître leurs droits. Dans un monde idéal, ça ne serait pas le cas. Mais tant que nous n’aurons pas résolu les autres problèmes, nous devons donner aux populations autochtones les moyens de comprendre leurs droits dans le cadre de leurs interactions avec les systèmes de santé. C’est un rôle que notre ministère a joué et qu’il doit continuer à jouer.

Les Femmes Michif Otipemisiwak, l’Association des femmes autochtones du Canada et l’organisation Pauktuutit Inuit Women of Canada, ainsi que le Conseil national des sages-femmes autochtones, dont les représentantes me parlaient dans le corridor du travail qu’elles font pour aider les patientes à comprendre leurs droits dans le système de la santé, réalisent un excellent travail. C’est un bon point de départ.

Une autre chose importante que nous faisons est d’essayer de faire en sorte que le gouvernement entende leurs voix. Nous avons un comité. Vous avez fait un exposé devant ce comité l’année dernière, je crois. Il s’agit du Comité consultatif sur le bien-être des femmes autochtones, où siègent des organisations de femmes autochtones, des organisations servant les personnes bispirituelles et une organisation représentant les jeunes. On voulait les rassembler pour qu’elles nous disent ce qu’elles pensent que notre rôle pourrait ou devrait être. Notre portée est évidemment limitée puisque nous faisons partie du gouvernement fédéral et qu’une grande partie de ces activités se déroulent dans les systèmes provinciaux. La question qui se pose est donc la suivante : comment pouvons-nous devenir des rassembleurs et aider les peuples autochtones, qui sont les experts sur leurs propres soins de santé, à connaître leurs droits et à les exercer pleinement?

La sénatrice Boyer : J’ai encore une question complémentaire pour vous deux. Appuyez-vous le projet de loi? Avez-vous pensé à des amendements qui pourraient être utiles?

Mme Mitchell : Je ne suis pas juriste, alors je ne peux pas me prononcer sur la formulation juridique du projet de loi. Je dirais que j’ai entendu des survivantes et des personnes qui ont travaillé avec des survivantes dire à quel point cette criminalisation est importante pour elles. Je tiens à transmettre cette position. Je l’ai entendu directement de la bouche de survivantes. Ces personnes ou des avocats sont probablement mieux placés pour dire si ce projet de loi crée un risque juridique. Je ne suis certainement pas en mesure de le faire. J’ai l’impression que votre question tentait de faire allusion à cet enjeu. Je ne pense pas être bien placée pour répondre à cette question, mais les survivantes ont souligné à quel point c’était important — vous le savez et tout le monde ici le sait. Je ne fais que répéter que j’ai aussi entendu des survivantes le dire.

Dr Wong : Je voudrais faire écho à ce commentaire. J’ai entendu des survivantes parler de l’importance d’une telle mesure, mais je ne suis pas juriste et je ne peux pas me prononcer sur des amendements.

La sénatrice Boyer : Merci.

Me Matthew Taylor, avocat général et directeur, ministère de la Justice Canada : Au sujet de votre dernière question, à savoir si nous appuyons le projet de loi et si nous proposerions des amendements, comme vous le savez, nous ne sommes pas ici pour nous prononcer sur le projet de loi, mais pour vous aider à le comprendre. Je réitère ce qui a déjà été dit. J’ai suivi vos travaux et entendu les témoignages des personnes qui ont reconnu que le Code criminel couvre déjà ces actes, mais qu’il est utile d’aller plus loin, de modifier les choses, peut-être pour l’effet dissuasif.

En ce qui concerne des amendements précis, je suis sûr qu’il y aura d’autres discussions à ce sujet, mais comme point de départ pour les discussions du comité, je pourrais revenir sur la question que vous avez posée tout à l’heure concernant le consentement. Si vous me le permettez, j’aimerais donner la parole à ma collègue.

Nous savons que le modèle de consentement fonctionne de manière semblable à ce qui se fait actuellement en droit pénal. C’est semblable dans le sens que votre projet de loi ne définit pas le consentement. On pourrait s’attendre à ce que les tribunaux interprètent ce terme de façon uniforme, par exemple dans le contexte d’une voie de fait ou d’une agression sexuelle. C’est différent puisque cela n’intervient pas dans les éléments de l’infraction; cela fonctionne plus comme un moyen de défense. Alors que dans le droit relatif aux voies de fait, il faut prouver l’absence de consentement en tant qu’élément essentiel, votre projet de loi semble plutôt partir du principe que lorsqu’il y a consentement et ces mesures de sauvegarde en place, un crime n’a alors pas été commis.

Le paragraphe (4) du projet de loi établit ce qu’on pourrait appeler des facteurs limitatifs qui empêchent d’obtenir le consentement, et l’infraction serait donc établie. Nous pouvons peut-être parler très brièvement de certains de ces facteurs — et je vais donner la parole à ma collègue ici. Par exemple, on ne peut pas obtenir le consentement si la personne a moins de 18 ans. Maître Boyle, voulez-vous parler un petit peu de certains des scénarios où nous pensons que cette situation pourrait avoir lieu dans la pratique?

Me Morna Boyle, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Je serai heureuse d’en parler. Encore une fois, je ne suis pas médecin, et je ne peux donc pas parler de situations précises où cela pourrait avoir lieu, mais je pourrais dire que des personnes ont demandé s’il est possible que l’approche aux alinéas 4a), b) et c), qui consiste à déterminer si la personne est âgée de 18 ans, si elle est pour quelque raison incapable de donner son consentement et si elle n’a pas enclenché une demande de stérilisation de manière volontaire, puisse se traduire par une criminalisation accrue des médecins qui exécutent ce qui serait actuellement considéré comme un acte médical légal. Par exemple, le médecin pourrait aborder la possibilité de la stérilisation en tant qu’option médicale valide pour la patiente, qui peut alors librement faire ce choix.

D’après notre interprétation, le projet de loi pourrait empêcher la patiente de pouvoir légalement consentir à l’acte si le médecin ne soulève pas cette possibilité. Cela pourrait avoir une incidence sur les discussions entre les médecins et les patientes à propos de la reproduction, mais nous ne pouvons pas l’affirmer avec certitude.

La sénatrice Batters : Merci à vous tous d’être ici.

Je suppose que vous n’avez probablement pas fait de déclarations liminaires parce que le gouvernement ne veut pas que ses fonctionnaires disent quoi que ce soit sur ce projet de loi qui pourrait laisser entendre qu’il y est favorable ou non. Est-ce juste? Vous préférez plutôt être ici pour répondre à nos questions et peut-être en tirer quelque chose.

Me Taylor : Je ne peux pas parler pour le gouvernement. Je peux attirer l’attention sur ce qui a déjà été indiqué au comité, à savoir que le ministre de la Justice s’est dit disposé à établir ce projet de loi et à travailler avec la marraine du texte. Je pense que c’est de l’information publique. De façon plus générale, comme je l’ai dit plus tôt, notre rôle ici est vraiment de vous aider à comprendre le projet de loi et ses répercussions. Au bout du compte, c’est le Parlement qui décidera de l’appuyer ou non.

La sénatrice Batters : Oui, je suis d’accord avec notre présidente lorsqu’elle dit que cela rend notre travail plus difficile, car plutôt que de vous accorder 5 ou 10 minutes pour vous permettre de présenter les éléments qui pourraient être problématiques ou ce qui est utile selon vous — ce genre de choses —, nous devons jouer un peu aux détectives pour essayer de lire dans vos pensées, peut-être.

Cela dit, je vais revenir à un des passages dont j’ai déjà parlé. Les articles actuels du Code criminel, notamment l’article 265 sur les voies de fait, l’article 267 sur l’infliction de lésions corporelles et l’article 268 sur les voies de fait graves pourraient déjà tous s’appliquer dans les cas de stérilisation forcée. Lorsqu’on regarde le projet de loi S-250, on voit qu’une chose est très claire : si des accusations étaient portées en vertu des nouvelles infractions criminelles prévues dans le projet de loi plutôt qu’en vertu des dispositions existantes qui s’accompagnent de décennies de jurisprudence, un procureur pourrait avoir alors devoir prouver plus d’éléments hors de tout doute raisonnable. Il pourrait donc être plus difficile d’obtenir une condamnation en vertu de ce projet de loi plutôt qu’en vertu des articles du Code criminel actuellement en vigueur.

Quand j’ai posé la question à la sénatrice Boyer lors de notre dernière réunion, elle a répondu en mettant l’accent sur le manque de jurisprudence — il manque de décisions relatives aux cas de stérilisation forcée — et sur l’importance d’ajouter au Code criminel un nouvel article précis pour dissuader les gens et encourager une réflexion plus approfondie avant de donner suite à ce type d’interventions.

Les avocats de Justice Canada pourraient-ils de donner leur point de vue sur ce qui serait le plus efficace entre ajouter cette nouvelle disposition ou garder les dispositions existantes? Pensez-vous que l’ajout de ces infractions pourrait vraiment améliorer cette lutte contre la stérilisation forcée, ou êtes-vous d’avis que cela rendrait les poursuites plus complexes?

Me Taylor : Merci de la question. Je vais commencer puis céder la parole à Me Boyle si elle souhaite compléter ma réponse.

Je pense que vous soulevez des points importants, sénatrice Batters. Les tribunaux connaissent bien les cas de voies de fait graves, qui seraient selon nous l’infraction applicable dans les cas de stérilisation contrainte ou forcée. Les concepts dans le droit relatif aux agressions sont bien établis. Les deux nouvelles infractions, en particulier la première, instaurent un certain nombre d’éléments additionnels. Je pense qu’avec ces éléments, on tente de refléter les concepts liés au consentement, ce qui signifie que ce n’est pas entièrement nouveau puisque le consentement doit être concomitant et éclairé — des choses du genre.

Mais si nous comprenons bien, un procureur devrait démontrer que l’acte a eu lieu et qu’aucune des mesures additionnelles qui sont énoncées à propos de la première infraction ne s’applique. Donc, la personne avait au moins 18 ans, et les mesures de sauvegarde ne s’appliquaient pas. Il y a ces éléments additionnels.

Avez-vous quelque chose à ajouter?

Me Boyle : À l’heure actuelle, en droit pénal, il revient au procureur de prouver l’infraction hors de tout doute raisonnable, mais il n’est pas tenu de réfuter toutes les exceptions possibles jusqu’à ce que l’accusé démontre que ses gestes sont visés par cette exception. À l’heure actuelle, conformément au droit relatif aux voies de fait graves, c’est à la Couronne de prouver que l’acte a eu lieu, qu’il n’y a pas eu de consentement.

En vertu du projet de loi S-250, le procureur devrait établir que l’acte a eu lieu, et la défense aurait alors à démontrer que les exigences supplémentaires en matière de consentement ont été remplies. Le procureur devrait ensuite prouver que ce n’est pas le cas.

Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins d’être ici.

J’essaie de saisir une partie de ce que les sénatrices Boyer et Batters ont dit — et je leur en suis certainement reconnaissant — à propos des considérations en matière de consentement. J’essaie juste de comprendre votre dernière disposition concernant les pratiques courantes relativement aux voies de fait et aux poursuites connexes ainsi que la façon dont ce projet de loi pourrait inverser le fardeau de la preuve. Je ne suis pas certain que ce soit exact.

Une fois que l’intervention a lieu, il revient dorénavant à la défense de dire : « Eh bien, ces autres éléments à propos du consentement n’ont pas été satisfaits. » Est-ce bien ce que j’entends? En vertu de ce projet de loi, il reviendrait donc à la défense de prouver ces autres éléments, n’est-ce pas?

Me Boyle : Merci de poser la question.

Tout d’abord, je commencerais par dire que cela ne déplace pas la responsabilité. Il revient toujours à la Couronne de prouver l’infraction hors de tout doute raisonnable. Cette responsabilité ne change pas.

La défense devrait prouver que les gestes posés sont visés par les exceptions. Une fois les éléments de preuve présentés, il reviendrait encore à la Couronne de prouver hors de tout doute raisonnable que les gestes posés ne sont pas visés par les exceptions.

La défense doit prouver que les gestes posés sont visés par les exceptions, mais il reviendrait encore à la Couronne de le prouver.

Me Taylor : La défense n’assume aucune responsabilité à cet égard dans un procès criminel. En général, c’est un principe fondamental en droit pénal. L’obligation de la Couronne consiste à établir les éléments essentiels hors de tout doute raisonnable et à réfuter hors de tout doute raisonnable tous les arguments ou toutes les exceptions avancés par la défense.

Dans ces circonstances, un accusé dirait qu’il a rempli toutes ces exigences, que la personne avait plus de 18 ans et que ce n’est pas lui qui a abordé le sujet. Il reviendrait alors au procureur de démonter qu’il n’a pas respecté ces exigences. Un procureur peut le faire d’entrée de jeu. C’est une sorte de distinction théorique concernant le moment dans un procès où le procureur doit présenter ces éléments de preuve.

Pour répondre à la question posée plus tôt par la sénatrice Batters, il faut tenir compte de tous ces autres éléments pour établir que l’infraction a eu lieu.

Le sénateur Prosper : Je veux également donner suite à une question précédente. Vous avez dit, maître Taylor, qu’il y a des préoccupations au sujet du projet de loi. Ce qui vient en tête, c’est l’exigence selon laquelle la personne doit avoir au moins 18 ans et le fait que le médecin ne doit pas avoir abordé le sujet, ce qui pourrait se traduire par une reconnaissance de culpabilité en vertu de cette disposition. Pouvez-vous en dire un peu plus à ce sujet?

Me Taylor : Je peux commencer puis laisser Me Boyle compléter ma réponse. Nous ne sommes pas experts en médecine, comme vous le savez, mais lorsque nous avons examiné le projet de loi, nous avons tenté de cerner les scénarios où un médecin pourrait être accusé dans des circonstances où ce n’était pas son intention. Nos collègues peuvent peut-être en parler aussi. Par exemple, un scénario où une personne de 17 ans accouche et subit une hémorragie. Pour sauver sa vie, le médecin lui dit qu’il doit l’opérer. Vous êtes mieux placés que moi pour en parler, mais d’après notre interprétation des dispositions, le médecin ne serait pas protégé contre des poursuites pénales, car, premièrement, la personne a 17 ans et, deuxièmement, c’est le médecin qui a abordé le sujet. Nous craignons que cela puisse être une conséquence imprévue du libellé de la disposition sur le consentement.

Nous soupçonnons que le but ici est vraiment de faire en sorte que le consentement est éclairé et valide, sans coercition ni contrainte. C’est ce que je peux voir dans le libellé du projet de loi, mais nous craignons ces conséquences.

Me Boyle : En ce moment, l’article 45 du Code criminel permettrait à un médecin dans cette situation d’urgence de prendre cette décision pour sauver la vie de sa patiente, ce qui pourrait avoir comme résultat la stérilisation. Les réformes proposées dans le projet de loi retireraient toutefois les actes de stérilisation de l’application de l’article 45.

On pourrait avancer que la définition d’« acte de stérilisation » dans ce projet de loi n’englobe pas ce genre d’intervention d’urgence — par exemple, si la patiente subit une hémorragie aiguë. C’est une question que les tribunaux devraient trancher.

Je crois que la définition d’« acte de stérilisation » dans le projet de loi dit que c’est « dans le but premier de prévenir la grossesse de manière permanente. » En théorie, on pourrait faire valoir que ce n’était pas le but premier de l’intervention d’urgence. Il reviendrait toutefois aux tribunaux d’interpréter la définition.

Le sénateur Prosper : Merci.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Merci aux témoins d’être avec nous aujourd’hui. C’est toujours extrêmement utile.

[Traduction]

Ma question porte sur le libellé du paragraphe 268.1(1) proposé. Je crois comprendre que le paragraphe (2), la description de l’infraction, exclut l’article 45, comme vous l’avez dit. Cela signifie que cela exclut les défenses possibles en vertu de l’article 45. Le paragraphe (2) est très clair. C’est purement factuel. Il faut exécuter un certain type d’intervention, un acte de stérilisation, et on est coupable de l’avoir exécuté sauf lorsqu’une exception s’applique. Le principe est qu’on ne devrait pas l’exécuter.

L’exception est prévue au paragraphe (3), qui dit que cette disposition ne s’applique pas lorsqu’on a obtenu le consentement de la personne et qu’on s’est conformé aux exigences des paragraphes (5) et (6). Selon vous, est-ce que cela signifie qu’il revient à la Couronne de montrer que les exceptions ne s’appliquent pas, ou cela revient-il plutôt à l’accusé une fois que la situation prévue au premier paragraphe est considérée comme un fait et que les rôles sont inversés? Faut-il présenter une défense?

Cela ressemble à un moyen de défense et peut-être à un élément de l’infraction. Je ne sais pas lequel des deux.

Me Taylor : Je pense que vous avez formulé de bons commentaires, sénateur Dalphond, comme toujours. Nous l’interprétons comme une allégation disculpatoire, comme un moyen de défense. C’est ce que nous avons essayé de décrire plus tôt. Dans ce scénario, il reviendrait à l’accusé de présenter des éléments de preuve, pour montrer qu’il a respecté ces règles. La Couronne devrait alors les réfuter.

Comme je le disais, lorsque l’acte a eu lieu, c’est peut-être la Couronne qui aurait à expliquer pourquoi aucune de ces exceptions ou de ces mesures de sauvegarde ne s’applique. Elle pourrait le faire d’entrée de jeu, pour gagner du temps, mais nous interprétons cela comme une allégation disculpatoire.

Le sénateur Dalphond : C’est un paragraphe disculpatoire, et c’est donc l’accusé qui porte le fardeau de la preuve. Pensez-vous que cela pourrait mener à une contestation en vertu de la Charte? Ce n’est pas une infraction à une loi ici. Nous avons plutôt affaire à une infraction criminelle. L’article 45 porte sur une infraction criminelle grave assortie d’une défense un peu générale — à vrai dire, un moyen de défense prévu par la common law —, mais nous créons ici une infraction pour laquelle le fardeau de la preuve est inversé et les moyens de défense sont limités, comparativement à ce que prévoit l’article 45. Est-ce problématique selon vous?

Je ne vous demande pas de vous prononcer maintenant sur la question concernant la Charte. C’est une question difficile, mais est-ce une préoccupation qui a été soulevée dans le cadre de vos discussions?

Me Taylor : Pourvu que cela fonctionne comme les moyens de défense en droit pénal, cela n’impose pas de fardeau de persuasion à l’accusé; c’est un fardeau de preuve. Je pense que les tribunaux seraient très à l’aise de dire que c’est conforme au droit pénal, et que c’est donc conforme à la façon dont la Charte fonctionne à cet égard.

Il y a d’autres questions qui portent plus généralement sur les types de scénarios que l’infraction pourrait englober ou non ainsi que sur les liens avec les mesures de sauvegarde et l’exception. Il s’agit des situations où le médecin savait que le consentement était libre et éclairé, mais où il n’a pas strictement respecté les mesures de sauvegarde. Nous ne sommes pas en mesure de dire si cela soulève des considérations liées à la Charte.

Le sénateur Dalphond : Le paragraphe (3) est en quelque sorte une disposition disculpatoire. Qu’en est-il alors des mesures de sauvegarde? Est-ce quelque chose que la Couronne doit démontrer ou est-ce un cas d’inversion du fardeau de la preuve où il revient à la défense de démontrer que la personne a pris toutes les mesures qu’elle estimait indiquées et qu’elle était convaincue d’avoir satisfait aux exigences?

Me Boyle : La défense n’aurait pas à prouver hors de tout doute raisonnable qu’elle a respecté les mesures de sauvegarde. Il lui faudrait toutefois produire des éléments de preuve. La Couronne devrait alors établir hors de tout doute raisonnable que les mêmes mesures de sauvegarde n’ont pas été respectées.

Le sénateur Dalphond : Encore une fois, la disposition est dans une certaine mesure disculpatoire pour l’accusé, qui doit démontrer — au moins selon la prépondérance des probabilités — quelque chose que la Couronne devra infirmer hors de tout doute raisonnable.

Ma troisième question porte sur la deuxième infraction.

La présidente : Pourriez-vous y revenir à la deuxième série de questions?

Le sénateur Dalphond : Oui. J’aimerais bien y revenir plus tard.

La sénatrice Simons : Ma question s’enchaîne bien à ce qui précède parce que je voulais obtenir des précisions sur le paragraphe (7), qui porte sur la contrainte. Les notions de tromperie, d’intimidation, de menace ou de force sont claires. Toutefois, le projet de loi ne définit pas la notion de contrainte dans le contexte de la loi.

Quels actes la notion de contrainte englobe-t-elle?

Me Taylor : Merci de la question. La contrainte est une notion associée à d’autres infractions en droit pénal. Le libellé du projet de loi laisse entendre que la tromperie, l’intimidation, la menace ou la force sont des actes compris dans la notion de contrainte, ce qui concorde avec la jurisprudence.

La décision rendue par la Cour suprême dans le cas Big M Drug Mart Ltd., qui met en cause la Charte, traite de la contrainte dans le contexte dont nous parlons. Selon la décision, la notion de contrainte englobe toute forme de contrainte flagrante qui fait accomplir quelque chose, mais aussi toute forme de contrôle subtile ou indirecte visant à influer sur les décisions ou sur les choix d’une personne donnée. Elle engloberait enfin toute forme flagrante de menace et de violence, de même que toute pression psychologique exercée dans le but d’influer sur la prise de décisions.

La sénatrice Simons : Je suppose que c’est l’objet du projet de loi. Je ne pense pas qu’il y ait d’allégations. Nous ne sommes plus dans l’Alberta des années 1970, après tout. Aujourd’hui, selon moi, les personnes sont, certes, forcées, mais elles font davantage l’objet de pressions et d’acharnement et de je ne sais quoi d’autre encore. Le terme « quiconque » me préoccupe un peu, car il désigne tout sujet qui exerce une contrainte, et non pas seulement le médecin qui exécute la procédure. Le terme peut vraisemblablement désigner un époux, une belle-mère, un travailleur social, voire un avocat si ce dernier a conseillé à sa cliente de se faire stériliser. Mon analyse est-elle juste?

Me Taylor : Je pense que cela dépendra de l’interprétation que feront les tribunaux du terme « faire accomplir » et de la signification qu’ils lui donneront dans le contexte. Le libellé désigne-t-il la personne qui exécute la procédure ou englobe-t-il les autres scénarios? Je ne peux pas le dire avec certitude. Je vais demander à Me Boyle si elle a quelque chose à ajouter, mais la gravité de l’infraction et la lourdeur de la peine vont influer sur l’interprétation des tribunaux.

La sénatrice Simons : J’aurais une autre question, si je puis me permettre. Selon vous, l’alinéa 281(1)b) vise-t-il également les hommes qui se font faire une vasectomie?

Me Boyle : Merci de la question. Tout autre acte exécuté sur une personne dans le but premier de prévenir la grossesse de manière permanente peut inclure les hommes.

La sénatrice Simons : Ce qui me préoccupe vraiment... J’ai fait une blague sinistre sur les politiques eugénistes en Alberta. Moi qui viens de cette province, j’ai grandi en voyant partout autour de moi les conséquences de la loi sur l’eugénisme. Cette politique faisait partie de la matière étudiée à l’école. J’ai également écrit sur le sujet lorsque j’étais journaliste. Ce qui me préoccupe, par contre, comme l’a souligné le sénateur Dalphond, c’est que le libellé n’explicite pas les exceptions aux actes de stérilisation. N’oublions pas que nous luttons depuis un siècle au Canada pour l’accès à la contraception.

En cette période marquée par l’hostilité des réactions sur la place publique, je m’inquiète particulièrement du sort des personnes trans au pays — surtout les jeunes trans —, car le projet de loi pourrait avoir comme effet de rendre quasi impossible pour ces personnes — surtout pour les moins de 18 ans — d’obtenir un traitement de confirmation de genre.

Pensez-vous que les médecins qui pratiquent dans ces domaines seront réticents à offrir ces traitements, même s’ils exercent en toute bonne foi leurs fonctions médicales, de crainte d’être tenus criminellement responsables?

Me Boyle : Merci de la question. C’est en effet quelque chose d’inquiétant. Des obstétriciens vont comparaître devant le comité. Je pense que ces personnes seraient les mieux placées pour répondre à cette préoccupation qui mérite notre attention.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

La sénatrice Pate : Merci aux témoins.

Maître Taylor, vous avez mentionné que vous suiviez ces questions. Vous êtes donc au courant des préoccupations que suscite le risque de criminalisation dans un contexte où la plupart des personnes visées font partie des classes privilégiées et auraient probablement les moyens de recourir à un avocat ou à un expert. À mon humble avis, le racisme, la misogynie et les préjugés fondés sur la classe sociale sont au cœur de la question. Grâce au travail accompli par la sénatrice Boyer entre autres, nous savons depuis des années que cet enjeu figure à l’avant-plan. Nous savons tous que dans l’hôpital où Joyce Echaquan a été traitée de manière méprisante et raciste se trouvaient aussi des patients blancs privilégiés qui n’ont pas subi ce traitement dérogatoire.

Comment vos ministères respectifs peuvent-ils s’attaquer à ce problème? Vous avez mentionné la sensibilisation, le financement et les sources de financement. Quelles mesures en particulier avez-vous prises et comment déterminez-vous que vous avez modifié les comportements pour que les actes de stérilisation forcée, mais aussi les traitements misogynes, racistes et empreints de préjugés de classe ne soient plus exécutés au sein du système médical? Comment évaluez-vous l’atteinte de ces objectifs? Comment mesurez-vous les résultats obtenus? Quelles recommandations feriez-vous au comité concernant la manière de s’attaquer plus efficacement à ce problème?

Mme Mitchell : L’objet du projet de loi est louable, mais l’approche est encore punitive. Il faut parler de prévention. Le ministère a commencé à financer en 2017 — financement qu’il a considérablement bonifié en 2021 — la profession de sage-femme autochtone. Je trouve formidable que vous receviez plus tard aujourd’hui des représentantes du Conseil national des sages-femmes autochtones, qui pourront approfondir la question beaucoup mieux que moi. Le choix éclairé est un principe essentiel des services de sage-femme. Qui plus est, le risque de tenir une conversation sur la stérilisation est réduit dans le contexte d’un accouchement vaginal. La plupart des actes de stérilisation sont exécutés lors d’interventions telles que les césariennes.

Nous réalisons sans contredit de grands progrès sur ce plan, mais la formation d’un effectif de sages-femmes autochtones demande beaucoup de temps. Des programmes de formation sont sur les rails, et le Conseil national des sages-femmes autochtones contribue grandement à ces initiatives en assurant la formation et le perfectionnement des sages-femmes. Des choses très intéressantes se font dans la nation innue et un peu partout ailleurs au pays. Cela dit, un des principaux défis est la lenteur des progrès.

Des investissements ont été faits également dans la lutte contre le racisme envers les Autochtones, notamment par la mise en place d’intervenants pivots et de défenseurs des intérêts des patientes dans les hôpitaux. Ces personnes de confiance sont des ressources vers qui les patientes peuvent se tourner pour s’orienter dans le système de santé ou pour signaler un traitement insatisfaisant.

Pour répondre à vos questions sur l’évaluation de notre efficacité, il est encore trop tôt pour se prononcer. Une des choses sur lesquelles nous avons collaboré étroitement avec le Conseil national des sages-femmes autochtones a été la mise au point d’un outil permettant aux communautés de discuter et de faire rapport des résultats des investissements faits dans les services de sages-femmes autochtones. À la fin de l’exercice, nous en serons encore à la première année d’utilisation de cet outil. Je sais que cette réponse est insatisfaisante, mais il est encore trop tôt pour vous montrer des résultats concrets. Dans les histoires que nous entendons... Une naissance a eu lieu dans le territoire du lac Sturgeon pour la première fois depuis 50 ou 60 ans. Ces histoires vraiment importantes nous aident à poursuivre le travail, mais les données que vous voudriez obtenir n’ont pas encore été produites. Je suis désolée.

Me Taylor : Merci de la question, sénatrice Pate. L’étude du projet de loi au Parlement est une grande étape de franchie, et l’étude que vous menez est un outil de sensibilisation extrêmement important, car il amène toutes les parties à avoir une conversation productive.

L’utilisation de dispositions pénales — comme vous le savez tous parfaitement — est une solution de dernier recours pour répondre à des situations qui soulèvent des inquiétudes. Ce n’est pas inapproprié. C’est approprié. Ces dispositions créent un effet dissuasif et indiquent que le Parlement condamne les comportements répréhensibles. Il y a un intérêt à procéder de la sorte.

Conformément à l’usage du droit pénal que nous préconisons pour orienter les changements importants et nous y adapter, nous considérerions comme une réussite l’absence d’accusations due à l’absence de mauvaise conduite, ou encore une réponse efficace du système de justice pénale aux cas de mauvaise conduite. Je sais que des témoignages vous ont laissé entendre le contraire. Nos attributions nous amènent à transmettre des informations à nos partenaires provinciaux qui appliquent la loi pénale et à faire œuvre de sensibilisation. Nous avons eu plusieurs fois l’occasion de discuter du projet de loi avec nos partenaires provinciaux et territoriaux dans le cadre de processus que nous avons en place. Nous allons poursuivre cette collaboration, surtout si le projet de loi est adopté. Nous allons conduire comme à l’habitude des activités de sensibilisation sur les nouvelles lois. Vous connaissez nos enveloppes budgétaires pour le soutien aux victimes d’actes criminels. Voilà autre chose que nous faisons. Aucun financement n’est versé expressément pour cette cause, mais nous avons des enveloppes budgétaires. Ce que je vous ai énuméré aide un peu, mais ce n’est probablement pas aussi complet que vous le souhaiteriez.

La sénatrice Pate : Des discussions ont-elles eu lieu entre les organismes de normalisation professionnels et les avocats du ministère de la Justice? Ces discussions portent-elles sur la possibilité de mettre en place des infractions de responsabilité stricte qui pourraient être assorties d’infractions réglementaires?

Me Taylor : Notre groupe n’a pas eu de conversations avec des groupes de gouvernance ou des groupes médicaux. Nos collègues pourraient peut-être vous en dire plus. En règle générale, nous collaborons avec les policiers et les procureurs pour les sensibiliser et pour soutenir la mise en œuvre de mesures législatives. Cela dit, cette suggestion est très intéressante.

Mme Mitchell : En janvier 2020, nous avons octroyé des fonds au Centre de collaboration nationale de la santé autochtone pour l’organisation d’un forum sur le choix et le consentement éclairés. Différents organismes de réglementation ont participé à l’événement. Ensuite, la pandémie est arrivée, ce qui a certainement mis un frein à notre engagement. C’est quelque chose que nous sommes résolus à mener à bien, mais de concert avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et avec des organismes de défense des intérêts tels que le Conseil national des sages-femmes autochtones.

Nous avons bel et bien amorcé ces conversations, mais elles se tiennent encore de façon sporadique.

Dr Wong : J’aimerais ajouter un commentaire. Le comité pourrait peut-être inviter des organismes de réglementation à témoigner. Merci.

La sénatrice Clement : Merci à tous les témoins. À l’instar de la présidente, j’aurais moi aussi aimé entendre des déclarations liminaires. J’écoute toujours très attentivement ces déclarations, car elles sont très utiles. Je vous remercie néanmoins d’avoir répondu aux questions.

Je vais revenir sur la question posée par la sénatrice Pate. Des dispositions de voies de fait graves existent déjà, mais nous avons la preuve que des actes de stérilisation forcée sont encore commis. Il y a donc un vide. Ce qui est prévu dans les lois ne fonctionne pas, d’où notre présence ici aujourd’hui.

Je veux seulement mieux comprendre ce que Services aux Autochtones Canada fait pour lutter contre le racisme. Vous dites que les discussions sont encore sporadiques ou que les mesures sont insuffisantes. Vous faites des progrès, mais vous n’avez pas de données. Pourtant, vous savez comme moi que les situations que relatent les femmes autochtones dénotent une situation plus qu’urgente.

Voilà la raison pour laquelle le projet de loi a été présenté. J’aimerais donc savoir si quelqu’un d’entre vous a quelque chose à dire pour justifier le projet de loi ou pour s’y opposer, car vos commentaires ne font que confirmer la nécessité de l’adopter.

Mme Mitchell : Je voudrais seulement préciser quelque chose. Certes, les conversations avec les organismes de réglementation ne sont pas encore soutenues. Par contre, de nombreuses activités — dont je ne peux pas parler — visant à lutter contre le racisme envers les Autochtones dans le système de santé sont menées au sein du ministère et en collaboration avec Santé Canada.

Je veux être claire. Ces choses prennent beaucoup de temps. Il faut changer des croyances, des mentalités et des structures. Les conversations ne portent pour l’instant que sur le racisme structurel dans les espaces publics. Ces conversations n’existaient pas il y a 10 ou 15 ans. De fait, ce vocabulaire était inconnu de la plupart des gens.

La sénatrice Clement : J’étais là et je les ai entendues.

Mme Mitchell : Les progrès sont phénoménaux, mais ils ne sont pas encore suffisants selon moi. Je veux que les patientes autochtones sentent qu’elles sont en sécurité et qu’elles sont en mesure d’avoir les conversations qu’elles souhaitent dans un vocable qu’elles comprennent. Nous ne sommes pas rendus à ce stade, et je ne vais pas vous dire le contraire.

J’estime par contre que des investissements continus dans des activités telles que le programme de sages-femmes autochtones, les intervenants pivots et les défenseurs des intérêts des patientes, qui contribuent à rendre le système plus sécuritaire, sont essentiels à l’atteinte de notre objectif. J’essaie aussi de fixer des échéanciers réalistes. Étant donné les 300 ou 400 ans de colonisation qui nous précèdent, les problèmes ne se résoudront pas en trois ou quatre ans. La mort de Joyce Echaquan s’est avérée un catalyseur de changement — je suis tellement contente qu’elle ait filmé les incidents —, mais il nous faudra plus de temps pour apporter ces types de changements.

Cette conversation est passionnante — je viens moi aussi de l’Alberta —, mais ce n’est pas une conversation que tient le Canadien moyen. Il faut rallier ces Canadiens et les faire participer aux discussions tout en laissant les peuples autochtones diriger et orienter les conversations à leur rythme. Les femmes qui ont subi une stérilisation ne savent même pas que cet acte a été accompli sans leur consentement. C’est seulement lors des conversations avec les organismes qu’elles découvrent que les actes en question n’étaient pas appropriés. Elles ne savent pas quoi faire après cette prise de conscience.

Toutes ces choses arrivent en même temps.

Je sens votre frustration. Je suis désolée si j’ai banalisé ce que nous faisons. Je ne veux pas faire croire que le travail que nous accomplissons est plus considérable qu’il ne l’est en réalité étant donné l’ampleur de l’enjeu à résoudre.

La sénatrice Clement : Les autres témoins ont-ils quelque chose à ajouter?

Me Taylor : Non, je voudrais seulement reconnaître que les preuves que vous avez sont inacceptables. Le droit pénal devrait protéger tout le monde, et il devrait être accessible à toutes et à tous. S’il n’est pas appliqué là où il devrait l’être, il faut s’attaquer à cet enjeu. Il est question ici de problèmes de racisme systémique qui persistent dans le système de justice pénale.

La sénatrice Pate a parlé d’application ou de résultats disproportionnés selon la personne. Tous ces problèmes sont cruciaux et ils doivent absolument être réglés.

La sénatrice Clement : Vos ministères, Services aux Autochtones Canada et Justice Canada, collaborent-ils à ces dossiers?

Dr Wong : Services aux Autochtones Canada et Justice Canada collaborent à de nombreux dossiers liés au racisme, à la discrimination et à d’autres enjeux. Une de nos préoccupations principales concerne la tolérance au racisme et à la discrimination. À nos yeux, ce n’est pas seulement une question d’éducation. La tolérance devrait être zéro, qu’on parle de relations dans le domaine juridique, social ou de la santé. Ce n’est pas la responsabilité des personnes qui ont besoin de soins; c’est la responsabilité du système, des prestataires de soins de santé.

La sénatrice Clement : Je vous remercie.

Le sénateur Klyne : Je vous remercie pour vos témoignages. Docteur Wong, je vous remercie particulièrement pour votre dernière observation.

On peut difficilement imaginer qu’un médecin puisse pratiquer une stérilisation contrainte étant donné son obligation d’agir dans l’intérêt supérieur du patient, de faire preuve de bonne foi et de loyauté, et de ne pas laisser ses intérêts personnels entrer en conflit avec son devoir professionnel. En plus, cela voudrait dire qu’un ou plusieurs assistants resteraient les bras croisés pendant qu’un médecin s’apprêterait à commettre un tel acte.

Ma question s’adresse à Me Boyle. Concrètement, que donneront les modifications au Code criminel proposées dans le projet de loi S-250 pour les procureurs de la Couronne qui portent des accusations contre les auteurs présumés de tels actes? Y voyez-vous des avantages ou des difficultés? Les assistants qui restent les bras croisés devraient-ils être passibles d’accusations?

Me Boyle : Je vous remercie pour la question. Aux termes actuels de la loi, toute personne qui en aide une autre, y compris une infirmière ou un médecin, à pratiquer une stérilisation en sachant que le consentement de la patiente n’a pas été obtenu est passible d’accusations en vertu des dispositions du Code criminel relatives aux voies de fait graves et à la responsabilité des parties.

Le principe de la responsabilité des parties continuera à s’appliquer en vertu des modifications proposées dans le projet de loi S-250, mais la manière dont il s’appliquera n’est pas claire. Par exemple, faudra-t-il que l’infirmière sache que le consentement n’a pas été obtenu, ou toute personne qui en aide une autre à pratiquer une stérilisation sans prendre les mesures de protection et sans respecter les exigences relatives au consentement prévues dans le projet de loi sera-t-elle passible d’accusations? La version actuelle du projet de loi ne le précise pas.

Le sénateur Klyne : Avez-vous un amendement à proposer à ce sujet?

Me Boyle : Je ne suis pas ici pour proposer des amendements.

Le sénateur Klyne : Très bien, je comprends.

Plaît-il à un autre témoin de répondre à la question? D’accord.

Je reviens à votre dernière observation, docteur Wong. Par quels moyens peut-on s’attaquer à ce problème?

Dr Wong : Il y a plusieurs moyens par lesquels les provinces et les territoires, en collaboration avec les organismes de réglementation et de certification, peuvent veiller à ce qu’il y ait des conséquences pour toute forme de discrimination contre tout patient qui entre dans tout établissement de soins de santé. Le Canada en a fait beaucoup, mais il faut en faire beaucoup plus. La situation très troublante vécue par Joyce Echaquan en est la preuve.

Aucun organisme ne peut y arriver seul. De nombreux organismes doivent travailler ensemble, dont Agrément Canada, l’AMC, tous les organismes de réglementation provinciaux et territoriaux, ainsi que les groupes de défense des patients.

La présidente : Madame Mitchell, j’ai une question pour vous. Comment le principe du consentement éclairé s’applique-t-il à la profession médicale? Souvent, les femmes issues de la diversité et les femmes autochtones ne parlent pas la même langue. Quels sont les critères? Comment les professionnels de la santé peuvent-ils établir qu’ils ont obtenu le consentement éclairé?

Mme Mitchell : Je suis désolée, mais comme je ne suis pas médecin, je ne sais pas si je peux répondre à votre question. Toutefois, vous soulevez des points très importants qui ont été portés à notre attention. Puisque je n’ai pas travaillé auprès des femmes de couleur, je peux seulement parler des femmes autochtones. Le système ne tient pas pleinement compte de la crainte et du déséquilibre de pouvoir qui entourent les discussions à ce sujet, parce qu’on tient pour acquis que le patient moyen est blanc, cisgenre et hétérosexuel. Le principe du consentement éclairé ne tient pas toujours compte de toutes les différentes façons dont les personnes se présentent.

La présidente : Selon vous, devrait-il y avoir une question à propos du consentement éclairé? Quels devraient être les détails?

Dr Wong : Absolument. Le consentement éclairé doit tenir compte de la langue et de la culture. Il est inadéquat de demander le consentement éclairé seulement en anglais ou en français, par exemple, parce qu’on ignore si le patient comprend bien les avantages et les effets secondaires possibles d’une intervention, ainsi que les autres options envisageables. Merci.

La présidente : Sénateurs et sénatrices, la GRC a décliné notre invitation à témoigner devant le comité. Je vous lis un extrait de sa réponse :

Les allégations de stérilisation forcée sont relativement rares dans le paysage pénal du Canada. En 2019, la GRC a déclaré devant le Comité permanent de la santé qu’elle avait constaté qu’aucune allégation de stérilisation forcée ne lui avait été signalée.

Mesdames et messieurs les témoins, nous pourrions vous poser encore beaucoup de questions, mais notre temps est écoulé. Merci beaucoup de vous être joints à nous. Nous avons appris beaucoup de choses, mais comme vous le voyez, nous sommes aussi frustrés. Le temps manque, et les réponses aussi. De votre côté, vous cherchez également à obtenir des réponses; nous travaillons donc tous au même dossier. Merci beaucoup d’avoir été des nôtres.

Pour la deuxième partie de la réunion, nous avons le plaisir de recevoir deux représentantes de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada : la Dre Diane Francœur, directrice générale, et la Dre Jocelynn Cook, directrice des affaires scientifiques. La Dre Cook et moi avons travaillé ensemble pendant longtemps. Je vous souhaite la bienvenue.

Nous accueillons également la Dre Unjali Malhotra, médecin hygiéniste, Santé des femmes, Bureau du médecin hygiéniste en chef, de l’Autorité sanitaire des Premières Nations, par vidéoconférence; ainsi que Mme Ellen Blais, directrice exécutive, et Mme Claire Dion Fletcher, vice-présidente de l’Association canadienne des sages-femmes, et membre principal de la direction, du Conseil national des sages-femmes autochtones. Nous allons commencer par vous, docteure Francœur.

[Français]

Dre Diane Francœur, directrice générale, Société des obstétriciens et gynécologues du Canada : Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour. Je suis la Dre Diane Francœur, directrice générale de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada (SOGC). Je suis accompagnée aujourd’hui de la Dre Jocelynn Cook, directrice des affaires scientifiques de la SOGC.

Je vous remercie de cette invitation à témoigner. Nous souhaitons alimenter vos réflexions, car nous croyons qu’il faut impérativement permettre aux femmes, peu importe leur degré d’éducation, leur niveau socioéconomique ou leur origine ethnique, d’être les seules à prendre la décision irréversible de la stérilisation.

La SOGC a émis une opinion en 2019 sur les soins contraceptifs libres de coercition avec des recommandations très claires pour les obstétriciens-gynécologues. Cette opinion était nécessaire à la suite des démonstrations de racisme systémique dans le dossier de Mme Joyce Echaquan et dans le cadre de la démarche de vérité et de réconciliation, pendant laquelle les discussions ont heureusement donné le courage aux femmes de dénoncer ces médecins qui, en toute impunité, ont décidé de procéder à des stérilisations sans consentement. Ces actes répréhensibles se sont produits et nous en portons tous maintenant le fardeau. Nous enseignons maintenant ces histoires aux étudiants en médecine pour qu’ils soient en mesure de reconnaître l’impact des traumatismes que ces femmes ont vécus.

Depuis 1986, la Cour suprême du Canada a statué que seules les personnes aptes à donner leur consentement peuvent accepter de subir une contraception permanente. Il faut se questionner sur la raison pour laquelle cela se produit encore.

Toutefois, est-ce que la criminalisation demeure la seule solution?

Permettez-moi de vous transmettre nos inquiétudes, car nous croyons que les femmes risquent de perdre au change sous le principe du primum non nocere — premièrement, ne pas nuire. Nous avons tous assisté passivement à la perte des droits des femmes dans certains États de nos voisins du Sud lorsque la criminalisation s’est installée dans l’accès à leurs droits reproductifs. Cela nous inquiète.

Notre discipline, l’obstétrique-gynécologie, se berce entre l’urgence, la vie et la mort, faisant en sorte que les consentements ne sont pas toujours obtenus de façon respectueuse et posée. L’afflux des nouveaux arrivants au cours des dernières années nous oblige parfois à devoir utiliser un enfant, une application ou quelques gestes pour être en mesure de réaliser une chirurgie urgente en l’absence de traducteur, car le cerveau d’un petit bébé commence à démontrer des signes de détresse après 12 minutes sans oxygène.

Il est clair que personne ne ferait une stérilisation dans un tel contexte, mais que ferons-nous lorsqu’il s’agira d’une grossesse dans la trompe, lorsque la femme saigne, lorsque sa vie est en danger? La bonne pratique serait d’enlever la trompe, mais que ferons-nous lorsque nous n’aurons pas d’interprète, que nous manquerons de temps pour attendre que cette personne arrive ou qu’aucune personne de confiance n’accompagne la femme?

Est-ce qu’une potentielle criminalisation viendra décider à notre place? Malheureusement, c’est ce que nous observons aux États-Unis actuellement, où les femmes ont commencé à mourir à nouveau de grossesse ectopique rompue, parce que les gynécologues-obstétriciens ont peur de la criminalisation. C’est le même scénario chez une jeune femme qui subit une hémorragie après l’accouchement.

Savez-vous que les femmes meurent encore d’hémorragie au Canada? C’est l’une des deux principales causes de décès des femmes au moment de l’accouchement. Après avoir exécuté toutes les manœuvres et donné tous les médicaments, le seul traitement sera d’enlever l’utérus. C’est malheureusement une chirurgie stérilisante. Une femme qui est entre la vie et la mort ne peut donner son consentement. Le gynécologue devra donc décider. Nous craignons que la criminalisation potentielle ne fasse en sorte qu’on prendra trop de temps, que ces délais pourront mettre en péril la vie des femmes et qu’il sera trop tard pour les sauver.

Un autre domaine nous inquiète : comment consentir lorsqu’on prescrit de la chimiothérapie ou de la radiothérapie à des enfants ou à de jeunes femmes qui provoqueront une stérilisation médicale des années après, alors qu’il n’y avait aucun autre traitement à offrir pour combattre un cancer?

Qu’arrivera-t-il de toutes ces femmes qui ont choisi une méthode de contraception prolongée qui peut leur laisser une paix d’esprit pendant sept ans, si elles retournent dans une région où personne ne peut enlever ces stérilets ou ces implants? La personne qui les aura installés de bonne foi sept ans auparavant risquera-t-elle de faire face à des poursuites criminelles?

Par ailleurs, plusieurs feront le choix éclairé de la stérilisation pendant une césarienne et malheureusement, la chirurgie élective est de moins en moins une option. En Ontario, il y a un minimum de trois ans d’attente avant d’avoir accès à une chirurgie pour une stérilisation. L’exérèse préventive des trompes, lorsqu’on a un historique familial de cancer de l’ovaire, est une recommandation très ferme de nos collègues oncologues. Si la criminalisation fait en sorte que, pendant les césariennes d’urgence, l’exérèse des trompes est refusée, ces femmes à risque de cancer seront perdantes.

C’est pour toutes ces raisons que la SOGC vous recommande très respectueusement de refaire vos devoirs afin d’assurer que, dans ce projet de loi, la criminalisation ne sera appliquée d’aucune façon lorsqu’il s’agit de sauver la vie des femmes. Nous sommes très inquiets de laisser la criminalisation gérer la santé reproductive des femmes. Nous croyons que les recommandations de 1986 de la Cour suprême qui sont appliquées pour tous ceux qui ne sont pas aptes à donner leur consentement devraient être plus fermement appliquées par les collèges des médecins qui ont le pouvoir de faire des radiations et de s’assurer que les objectifs seront atteints.

La présidente : Merci.

[Traduction]

Si vous le voulez bien, nous entendrons maintenant Mme Ellen Blais parce qu’elle a un vol à prendre dans quelques minutes. Nous passerons ensuite à la Dre Malhotra. Madame Blais, si vous êtes d’accord, la marraine du projet de loi vous posera une question, et vous pourrez partir après.

Ellen Blais, directrice exécutive, Conseil national des sages-femmes autochtones : Merci. Je m’appelle Ellen Blais. Je suis une sage-femme haudenosaunee de la nation des Oneidas de la Thames. Je suis directrice exécutive et ancienne coprésidente du Conseil national des sages-femmes autochtones. Je vous apporte mon savoir-faire de sage-femme autochtone aux premières lignes de la protection de l’enfance. Je m’excuse auprès du comité, mais je vais devoir partir durant la réunion. Je vous remercie pour votre compréhension.

Claire Dion Fletcher, vice-présidente, Association canadienne des sages-femmes, et membre principal de la direction, Conseil national des sages-femmes autochtones : Je suis Claire Dion Fletcher, vice-présidente de l’Association canadienne des sages-femmes, et membre principal de la direction et ancienne coprésidente du Conseil national des sages-femmes autochtones. Je suis une sage-femme autorisée et une formatrice de sages-femmes issue des nations des Lenapes et des Potéouatamis et de colons mixtes.

Mme Blais : Le Conseil national des sages-femmes autochtones a pour mission de promouvoir l’excellence des soins de santé reproductive destinés aux femmes inuites, métisses et des Premières Nations. Nous militons pour la restauration de l’enseignement de la profession de sage-femme, la prestation de services de sages-femmes et la liberté de choix du lieu d’accouchement pour toutes les communautés autochtones, conformément à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Nous sommes très préoccupées par le fait qu’il soit question aujourd’hui de modifications au Code criminel touchant le droit des femmes autochtones à l’autonomie corporelle et au respect. Nous demandons la cessation immédiate des stérilisations forcées, contraintes et involontaires. Ce sont des actes de violence obstétricale et de génocide. Nos recommandations font écho au Cercle des survivantes pour la justice reproductive; nous suivons son exemple et nous appuyons le projet de loi S-250.

Les sages-femmes autochtones sont aux premières lignes de la lutte contre les stérilisations forcées et contraintes. Nous fournissons des soins de santé sexuelle et reproductive d’excellente qualité. Nous défendons nos patientes et leurs familles contre le racisme systémique. Nous sommes la prévention : nous appliquons les principes du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause; de la continuité des soins; des soins enracinés dans la culture; et de la défense des patients.

Mme Dion Fletcher : Le Conseil national des sages-femmes autochtones copréside le Comité consultatif sur le bien-être des femmes autochtones, qui a été mis sur pied en réponse à l’examen externe sur la stérilisation forcée réalisé en 2017-2018 par la sénatrice Boyer. Cet enjeu se situe au carrefour du racisme systémique, du colonialisme perpétuel, du sexisme, du capacitisme, de la transphobie, de l’homophobie et du génocide.

En notre qualité de prestataires de soins de santé, nous savons que la prévention demande des réponses multiples. Le Conseil national des sages-femmes autochtones, les membres du Comité consultatif sur le bien-être des femmes autochtones et les organismes nationaux voués à la santé des Autochtones s’attaquent aux causes profondes de la stérilisation forcée. Nous sensibilisons la population aux droits des Autochtones en matière de santé sexuelle et reproductive. Nous encourageons les professionnels de la santé non autochtones à fournir des soins adaptés à la culture, y compris en s’engageant à respecter le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, conformément à la DNUDPA. Nous travaillons aussi à accroître le nombre de prestataires de soins de santé autochtones, spécialement de sages-femmes. Toutefois, ce travail est à long terme.

Nous savons par expérience qu’à eux seuls, les initiatives volontaires de lutte contre le racisme et les efforts déployés par de solides alliés non autochtones ne peuvent pas mettre fin à la stérilisation forcée. Nous espérons que la mise en œuvre du projet de loi S-250 encouragera les associations de prestataires de soins de santé, les organismes de réglementation et les établissements à renforcer leurs politiques et leurs formations anti-oppressives de façon à ce qu’aucune intervention ne soit pratiquée sans consentement valable.

Le Conseil national des sages-femmes autochtones s’engage à faire avancer le dossier dans le milieu des sages-femmes. Il ne devrait pas incomber aux personnes autochtones qui donnent la vie de connaître leurs droits et de militer pour elles-mêmes lorsqu’elles ont besoin de soins de santé.

Mme Blais : Nous espérons que le projet de loi S-250 franchira toutes les étapes du processus législatif de manière rapide et judicieuse. Il pourrait renforcer le travail accompli partout au Canada en rendant le consentement obligatoire et en criminalisant la stérilisation forcée, une violation odieuse des droits de la personne et des droits des Autochtones.

En notre qualité de sages-femmes dont le modèle de soins est fondé sur l’adaptation culturelle, l’autodétermination et le choix éclairé, nous recommandons la mise en œuvre du projet de loi S-250. Toutefois, nous sommes d’avis que cette modification au Code criminel n’est pas suffisante.

Il faut également des politiques et des outils conçus par les Autochtones pour empêcher tout acte de stérilisation forcée et contrainte. Ces politiques et ces outils sont nécessaires pour veiller à ce que le consentement ne soit pas contraint, à ce que les personnes disposent de tous les renseignements et du temps qu’il faut pour prendre une décision, et à ce que l’accès à la stérilisation volontaire ne soit pas bloqué.

En conclusion, nous accueillons favorablement le projet de loi. Les Autochtones ont droit à la dignité, au respect et à l’autonomie dans tous les volets des soins de santé, y compris le droit de choisir d’avoir des enfants ou non. Nous saluons les personnes honorables qui ont eu le courage de prendre la parole et de lever le voile sur un autre chapitre sombre de notre histoire commune. Merci.

La sénatrice Boyer : Je vous remercie de votre présence et de vos déclarations. J’ai une question pour Mme Blais ou Mme Dion Fletcher. Selon vous, quel effet le projet de loi S-250 aura-t-il sur votre pratique et sur les communautés que vous servez?

Mme Dion Fletcher : Selon moi, il s’agit d’une reconnaissance importante des droits des Autochtones. Les membres des communautés avec lesquelles nous travaillons nous disent que la mesure est à la fois voulue et demandée, surtout depuis l’institution du Cercle des survivantes. Elle témoigne de l’importance du consentement éclairé, du respect des choix liés à la stérilisation et de la protection du droit de chaque personne de décider si et quand elle veut avoir des enfants.

La sénatrice Boyer : Merci.

Mme Blais : Je tiens à attirer votre attention sur quelque chose que j’ai entendu durant une réunion hier. De tels actes sont encore perpétrés aujourd’hui. On n’a pas mis fin à la pratique dans les années 1970 ou 1980. J’étais à une réunion hier et j’ai dit que j’allais témoigner devant votre comité. Une personne qui était là a raconté qu’en consultant un médecin pour une intervention, elle avait appris qu’il était écrit dans son dossier médical qu’elle avait subi une ligature des trompes plus tôt dans sa vie. Elle l’ignorait totalement. Cela se passe encore aujourd’hui. Je tenais à le mentionner. L’effet dissuasif du projet de loi représente un point de départ, mais il faut en faire beaucoup plus pour nos communautés.

La présidente : Merci, madame Blais. Nous entendrons maintenant la Dre Malhotra, qui se joint à nous par vidéoconférence. Elle est médecin hygiéniste pour la santé des femmes.

Dre Unjali Malhotra, médecin hygiéniste, Santé des femmes, Bureau du médecin hygiéniste en chef, Autorité sanitaire des Premières Nations : Bonjour. Je vous remercie de me recevoir. Je me joins à vous depuis les territoires des Syilx, que j’occupe sans invitation. Je suis membre adoptive du clan du loup, Takaya, de la famille de l’Autorité sanitaire des Premières Nations.

Je me présente humblement à vous aujourd’hui en tant que médecin spécialisée en santé reproductive qui exerce et qui a reçu de la formation partout au Canada depuis 20 ans. J’ai grandi à Prince Albert, en Saskatchewan. Je suis la fille des Drs Lalita et Tilak Malhotra, qui ont servi notre communauté autochtone du Nord de la Saskatchewan pendant près de 50 ans.

Le bagage que j’apporte ici aujourd’hui repose en partie sur l’expérience que j’ai acquise en travaillant dans les cliniques de mes parents, ainsi que sur l’enfance que j’ai passée dans une communauté majoritairement autochtone, où j’ai côtoyé de nombreuses filles à la voix et au privilège parfois limités. En ma qualité de femme d’origine sud-asiatique, je sais combien de femmes de descendance indienne ont subi les effets de la colonisation, de la misogynie, de mesures coercitives prises sous le couvert de la limitation des naissances ou de pratiques exemplaires, et de l’absence de droits à l’égard de leur — de notre — propre corps. Personnellement, j’entretiens des liens avec le système de soins de santé comme prestataire de soins et comme patiente.

Mes observations seront axées sur l’importance du consentement aux soins non urgents. Comme vous l’avez entendu durant des témoignages précédents, quand les survivantes d’actes de stérilisation forcée et contrainte décrivent leurs expériences et leurs vérités, elles parlent de l’absence de consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. C’est en réaction à cette réalité que l’Autorité sanitaire des Premières Nations a entrepris son travail, parce que le consentement est un droit de la personne fondamental. L’Autorité sanitaire des Premières Nations attend avec impatience le jour où le système de soins de santé respectera les droits inhérents des Premières Nations.

Nous avons dirigé l’élaboration d’un guide sur le consentement en matière de contraception et d’un manuel sur le consentement à l’intention des prestataires de soins de santé pour aider les professionnels de la santé à fournir des informations pertinentes et fondées sur des faits pour la prise de décisions, pour renforcer le pouvoir décisionnel des patients, pour défendre les droits à l’autodétermination des patients et pour présenter des connaissances spécialisées. Nos efforts visent à faire en sorte que les patients soient maîtres du processus décisionnel et qu’ils puissent prendre des décisions éclairées, libres et préalables sur les soins qu’ils reçoivent. Ils visent également à veiller à ce que la décision définitive soit prise par la personne qui reçoit les soins, mais il ne faut pas oublier que le consentement peut seulement être donné dans un environnement exempt de racisme et de discrimination.

À ce sujet, Janelle Tom, de Sḵwx̱wu7mesh Úxwumixw et de la nation des Syilx, et représentante vivante de l’Autorité sanitaire des Premières Nations, a déclaré ceci :

Le racisme ciblant les Autochtones est très répandu dans le système de santé et a des répercussions extrêmes sur mon peuple. Malheureusement, la plupart d’entre nous connaissent quelqu’un qui a été victime de coercition et de stérilisation; ce n’est pas un problème du passé, mais bien un problème qui perdure. Je veux que tous les prestataires de soins de santé respectent les droits des Premières Nations, y compris leur droit à l’autonomie, à l’autodétermination et à la prise de décisions éclairées sur leur santé et leur bien-être.

Comme l’explique Nicole Jules, de la Première Nation Secwepemc, à propos du système de santé :

Ce n’est pas un secteur où de nombreuses Premières Nations ont la chance de se sentir en sécurité ou de l’être. Il est donc essentiel d’instaurer cette confiance en comprenant que le consentement fait partie d’un processus [...]

Quand on réfléchit aux rôles, aux responsabilités et au consentement, les enseignements de la Dre Danièle Behn Smith sont nécessaires en ce moment. Elle nous enseigne les efforts interreliés pour défaire et désapprendre la suprématie blanche. Selon ces enseignements, le travail des peuples autochtones consiste à se rétablir, à se revitaliser et à se guérir, ce qui peut être représenté par un panier de cèdre. Les colons, y compris bon nombre d’entre vous et moi ici présents, doivent déployer des efforts qui les rendront mal à l’aise. Ce travail peut être représenté par une marmite en cuivre, qui implique la transformation du système et le respect des droits inhérents.

Toni Winterhoff, de la Première Nation Xa’xtsa, souligne l’importance de cette démarche. Elle dit :

[...] la promotion du consentement éclairé est l’un de vos super pouvoirs. Vous détenez une multitude de connaissances et une vaste expérience qui éclaire le chemin pour les autres. En éclairant le chemin et en accompagnant un patient dans un véritable partenariat, vous créez un changement inspirant dans les soins de santé, et surtout dans la vie de cette personne.

Elle remercie les prestataires de soins de santé d’apporter aux rendez-vous médicaux leur plus grande curiosité, leur esprit le plus attentif et leurs meilleures intentions pour chaque patient. Le travail fait avec bienveillance envoie des ondes de changement plus loin que nous ne pouvons l’imaginer.

Je nous demande à tous de miser sur l’autonomisation des femmes grâce à leurs droits et à leur liberté de choisir, en soutenant leur droit à un consentement éclairé en soins de santé. C’est notre travail — notre marmite de cuivre. C’est notre droit et notre responsabilité de garantir la reddition de comptes. L’objectif est de protéger la liberté de choix et l’autonomie corporelle, quel que soit le choix de la personne qui reçoit les soins. Je vous remercie du temps que vous m’avez consacré aujourd’hui.

La présidente : Merci, docteure Malhotra. J’ai une question à vous poser. Quelle forme devrait prendre le consentement éclairé? Vous en avez parlé et vous avez donné quelques exemples, mais que devrait comprendre une fiche d’admission? Qu’est-ce que les médecins devraient obligatoirement demander?

Dre Malhotra : Pour que le consentement soit réellement éclairé, il faut avant tout que les prestataires fassent preuve d’humilité sur le plan culturel et qu’ils ne tiennent pas seulement compte de leurs propres préjugés. Ils doivent également tenir compte des préjugés ancrés dans le système de santé dans lequel ils travaillent. Il faut ces deux éléments pour garantir que les formulaires, le processus et l’espace dans lequel ils travaillent et invitent les patients soit réellement sûr, comme nous le désirons. Une personne doit avoir la certitude que les soins qu’elle reçoit ne sont pas entachés de préjugés.

En outre, la conversation doit être exempte de coercition. Un sujet ne peut en aucun temps être abordé de manière répétée ou hors contexte. Il faut que le patient comprenne pourquoi la conversation a lieu et qu’elle soit pertinente pour les soins prodigués.

Ensuite, il s’agit de s’assurer que cette conversation a lieu au bon moment. Des survivantes nous ont dit que la conversation n’était pas appropriée pendant une période de contrainte — la période qui suit immédiatement l’accouchement, par exemple. La conversation doit commencer à un moment où il ne peut y avoir de contrainte de temps. Nous ne parlons pas ici de soins d’urgence, mais de soins pour lesquels on peut prendre le temps de discuter.

Le consentement doit être d’une grande lisibilité s’il s’agit d’un document papier; il doit être formulé de façon compréhensible. Il faut réserver les services d’un interprète, au besoin. Le service doit être proposé et mis à la disposition du patient.

Ensuite, nous devons tenir compte des obstacles potentiels qu’une personne peut rencontrer lors de l’obtention du consentement : les obstacles géographiques, financiers et liés à l’alphabétisation.

Tous ces éléments doivent être pris en compte.

J’entame cette conversation avec une humilité sur le plan culturel, car il est de notre devoir de réfléchir à ces préjugés, qui existent actuellement dans notre système de soins de santé et qui nuisent aux populations autochtones. Le consentement s’inscrit donc dans un processus, surtout pour les soins non urgents.

La présidente : Quelqu’un d’autre souhaite-t-il préciser comment se définit le consentement éclairé?

[Français]

Dre Francœur : Je me permettrai d’ajouter que je suis tout à fait d’accord avec la proposition de la Dre Unjali Malhotra. Pendant un suivi de grossesse, on voit souvent les femmes, alors une des bonnes pratiques est que cette discussion doit avoir eu lieu plus d’une fois. Elle doit être documentée dans le dossier obstétrical, elle ne doit jamais être prise sur un coup de tête pendant une visite et elle doit toujours être rediscutée au moment, par exemple, d’une stérilisation avec une césarienne.

Chaque province aura ses différentes recommandations et chaque établissement aussi, mais la bonne pratique fait qu’on a déjà certaines recommandations en place. Il doit y avoir notamment deux signatures et la présence d’un témoin ou d’une personne proche de la femme — que ce soit son conjoint ou un membre de la famille —, pour s’assurer qu’elle a compris l’impact de l’opération et qu’elle comprend que ce sera une procédure irréversible. Cela doit être discuté à plusieurs reprises et clairement retraçable dans le dossier pendant le suivi de grossesse justement pour éviter la pression le jour de la chirurgie.

Ce qui m’attriste beaucoup, parce que je continue à pratiquer à Sainte-Justine, c’est qu’on a toutes sortes de politiques en place présentement lorsqu’on fait une chirurgie, comme une politique qui s’appelle le time out, durant laquelle on revoit la chirurgie qui est prévue. Cela se fait en présence de l’infirmière, de la patiente, de son conjoint, de l’anesthésiste, du gynécologue et de tous ceux qui seront présents. On va répéter : « Vous êtes bien madame Unetelle? Aujourd’hui, nous faisons une césarienne. Vous êtes certaine que vous voulez une stérilisation? »

Pourquoi les femmes n’ont-elles pas le courage de le dire? C’est là, je pense, qu’on a échoué et qu’on doit trouver une façon de leur donner confiance. Elles ont le droit de refuser et de changer d’idée à tout moment — avant que la procédure soit faite, évidemment. Il faut qu’on soit capable de les mettre en confiance pour qu’elles puissent comprendre l’importance du pouvoir qu’elles ont de dire non.

[Traduction]

La présidente : Nous passons maintenant à la marraine du projet de loi.

La sénatrice Boyer : J’ai une question à poser à la Dre Malhotra. Pensez-vous que le projet de loi S-250 aura des répercussions sur les médecins qui donnent des traitements d’urgence?

Dre Malhotra : Merci, sénatrice Boyer. Je ressens beaucoup de compassion et je comprends les préoccupations et les craintes que suscite un projet de loi comme celui-ci, alors que des liens entre la criminalisation et les soins médicaux peuvent être établis en tout temps. Toutefois, pour les besoins de la profession du secteur de la santé, je vous demande de tenir compte du consentement non urgent et du consentement urgent. Le consentement urgent, clairement défini par l’Association canadienne de protection médicale, ou ACPM, implique que le médecin a le devoir de fournir immédiatement les soins nécessaires pour sauver la vie d’une personne. J’espère que cette information vous sera utile.

Je vous demande aussi de comprendre que nous devons, collectivement et en collaboration — non seulement en tant que praticiens, mais aussi en tant qu’organismes directeurs, organismes de réglementation et organismes chargés d’élaborer des lignes directrices —, nous assurer que tous les prestataires de soins de santé, dans tous les volets, comprennent en détail le consentement. Je crois que le travail que nous avons effectué ces deux dernières années, ou depuis plus longtemps, en Colombie-Britannique, où nous avons une déclaration commune avec le College of Physicians and Surgeons, a permis d’intégrer les exigences en matière de consentement dans ses lignes directrices, exigences et réglementation. Nous avons eu l’occasion de définir en collaboration ce qu’est le consentement, ce qu’il signifie et quelles en sont les exigences.

J’espère que cette collaboration ira plus loin au sein de l’organisme national, car nous voulons non seulement une pratique médicale axée sur les relations, mais aussi une collaboration relationnelle entre les prestataires.

La sénatrice Boyer : Merci.

J’ai une question pour la Dre Francœur. Elle porte sur le document Committee Opinion No. 419: Coercion Free Contraceptive Care, qui est, à mon avis, excellent. Nous avons entendu un témoin, Nicole Rabbit, qui est une survivante de la stérilisation forcée. Elle a mentionné que le racisme systémique est encore largement apparent dans les établissements de santé de sa propre communauté.

Selon vous, dans quelle mesure les directives ont-elles permis d’améliorer les soins prodigués aux femmes autochtones? Sont-elles efficaces? Comment le racisme systémique perdure-t-il dans les domaines de la gynécologie et de l’obstétrique?

[Français]

Dre Francœur : Je pense que, malheureusement, c’est un processus qui va continuer de s’établir et d’être soutenu.

Comme vous le savez, je viens du Québec et j’ai eu le privilège de soigner Mme Echaquan. Elle avait été hospitalisée dans mon département. Ce n’est pas là qu’elle est décédée, mais nous avons été traumatisés. Elle a passé un mois chez nous; on la connaissait. Le personnel n’en revenait pas de ce qui était arrivé, parce que ce n’est pas comme cela que les choses se passaient dans mon hôpital. Je pense que tant qu’il y aura des femmes qui ne se sentent pas respectées, entendues et écoutées... Quand j’étais chef de département à Sainte-Justine, cela a pris 20 ans avant qu’on soit capable de laisser les femmes partir avec leur placenta. Le placenta était considéré comme un risque biomédical. On s’est battu pendant toutes ces années, pendant 20 ans, avant de réussir à les laisser partir avec, même si c’était vraiment important pour elles. Maintenant, on trouve que c’est un peu ridicule, mais je pense que chaque petite victoire fait en sorte qu’on doit les accumuler et « contaminer » pour avoir une pratique qui sera la même d’un établissement à l’autre. Malheureusement, lorsqu’on parle de racisme systémique, on sait que certains établissements sont beaucoup plus proactifs.

Personnellement, je pense que la seule façon dont on pourra l’arrêter, c’est quand nous tous dans cette salle — quand tout le monde se lèvera debout quand on entendra des gestes et des paroles humiliantes qui ne sont pas respectueuses pour les femmes, pas seulement parce que ce sont nos filles, nos sœurs ou nos mères, mais avec des inconnues aussi. C’est comme ça qu’on réussira à changer les choses, mais en attendant, on doit célébrer toutes les petites victoires et essayer d’en accumuler d’autres.

[Traduction]

La sénatrice Boyer : Merci.

La sénatrice Batters : Je vous remercie toutes de votre présence malgré vos emplois du temps très chargés. Je vous en suis vraiment reconnaissante.

Ma question s’adresse à la Dre Francœur. L’Association des femmes autochtones du Canada a souligné l’importance de clarifier exactement ce qui est exigé d’un médecin lors de l’obtention d’un consentement. L’association a fait cette recommandation pour veiller à ce que les patients soient pleinement informés des options et des implications potentielles de la procédure de stérilisation, et ainsi garantir une bonne compréhension et un consentement éclairé.

Compte tenu de la proposition de l’association, que pensez-vous de la clarté des dispositions actuelles du projet de loi S-250 sur le consentement? Croyez-vous que le texte du projet de loi détaille suffisamment les obligations des médecins lorsqu’ils obtiennent le consentement à une procédure de stérilisation?

[Français]

Dre Francœur : Je suis médecin, pas juriste. Je vais vous répondre dans mon champ d’activité. Il ne s’agit pas seulement de faire signer un consentement parce qu’il faut s’assurer que la personne a la capacité de consentir. Il y a des femmes qui sont illettrées, qui sont gênées de le dire et de façon détournée, on s’apercevra qu’elles ne savent pas lire, mais elles ne veulent pas le dire parce qu’elles ont honte. C’est notre travail à nous de nous assurer, lorsqu’on pose une question, de demander ce qu’elles ont compris et de leur faire répéter ce qu’on leur a expliqué pour être certains qu’elles ont compris.

Personnellement, j’ai un biais; ma pratique était surtout en gynécologie pédiatrique adolescente, donc je voyais beaucoup de jeunes femmes qui ont une déficience intellectuelle et pour qui la santé reproductive demandait beaucoup d’imagination et d’explications. C’est notre rôle. Il ne s’agit pas seulement d’expliquer la procédure et de dire qu’on va enlever un petit bout, un moyen bout ou la trompe au complet.

Oui, toutes ces choses sont importantes. Cependant, au-delà de tout cela, c’est important de vérifier si la personne assise devant nous a besoin d’être accompagnée ou de quelqu’un qui va la rassurer, parce qu’on sait que lorsqu’on donne des informations ou un mauvais diagnostic, deux personnes vont parfois comprendre deux choses différentes. Il s’agit d’abord d’assurer la sécurité de la femme et de voir, lorsqu’on la questionne, s’il y a eu des événements traumatiques dans son passé. Il faut parler de ces choses; il faut s’assurer qu’elle ne fera pas le choix parce que quelqu’un le lui impose, que ce soit un professionnel de la santé qui l’a déjà recommandé pour cette procédure ou quelqu’un de sa famille. Il faut s’assurer que c’est son choix à elle et après, il faut donner toutes les informations, les détails, les avantages et les inconvénients des autres méthodes. Lorsqu’on demande à une patiente son consentement à une stérilisation, on discute de toutes les autres méthodes contraceptives aussi, parce que certaines ont des effets secondaires extrêmement bénéfiques pour la santé de la femme.

[Traduction]

La sénatrice Batters : Voici ma deuxième question pour vous, docteure. Que pense votre association du fait qu’il y a deux infractions différentes dans ce projet de loi : celle du paragraphe (2), qui est une infraction plus générale concernant l’exécution de l’acte de stérilisation, et celle du paragraphe (7), qui concerne la stérilisation forcée? Quelle est la position de votre association à ce sujet? Pensez-vous que c’est la meilleure façon de procéder, ou est-il préférable d’avoir un seul article sur l’infraction et de le diviser de cette façon? Quelle est la position de votre association?

[Français]

Dre Francœur : Comme je l’ai dit précédemment, je pense que la sénatrice Boyer a parlé de notre Opinion de comité no 419. C’est tout à fait clair, de la première phrase à la dernière, que nous ne soutiendrons jamais l’indéfendable position qui est de forcer une femme qui doit subir une stérilisation sans son consentement. Ce n’est pas acceptable. Pour nous, cette intention est claire et ferme. Peu importe les circonstances, cela ne doit pas arriver. Est-ce que la criminalisation est une bonne chose? Je ne suis pas juriste. Je vous laisse en juger. Ce qui nous inquiète, c’est que parfois, comme je le disais, dans une situation d’urgence, ce qu’on craint... On voit la dérive qui s’installe aux États-Unis actuellement où dans le doute, on ne le fait pas, ou par exemple, lorsqu’il y a une procédure qui pourrait être stérilisante, même si cela n’était pas l’intention... C’est là où l’on ressent une certaine inquiétude selon laquelle les femmes ne seront pas prises en charge adéquatement.

Le sénateur Dalphond : Merci beaucoup à nos témoins. Tout cela est très intéressant.

Ma question s’adresse à vous, docteure Francœur. Je comprends que vous avez une inquiétude qui semble grande, selon laquelle l’effet du projet de loi pourrait être d’exposer, par un effet pervers, des femmes qui sont en situation d’urgence à ne pas recevoir un traitement approprié. Je le comprends. D’un autre côté, cela vous incite à dire : « On ne favorise pas la criminalisation. » On peut peut-être mieux la définir pour limiter certaines de vos inquiétudes.

D’un autre côté, ce qui me préoccupe beaucoup également, c’est que la stérilisation forcée est une grave atteinte à l’intégrité d’une personne. Cela se fait encore aujourd’hui. Est-ce que le fait d’inclure un article dans le Code criminel n’enverrait pas un message plus puissant ou renforcerait les messages que l’on envoie dans les facultés de médecine, les associations, les collèges, et cetera? Le Parlement dirait : « Un instant, vous irez en prison si vous faites telle chose. »

Dre Francœur : Encore une fois, je ne suis pas juriste, je suis médecin...

Le sénateur Dalphond : Il ne faut pas sous-estimer l’impact de la loi sur les comportements.

Dre Francœur : Je suis vraiment d’accord avec vous pour dire que ces pratiques devraient être complètement disparues au moins depuis 1986, parce qu’on n’a pas le droit de stériliser quelqu’un sans son consentement; c’est illégal. Je pratique la médecine depuis 30 ans; même dans ma formation, avec 10 ans de plus, je n’ai jamais vu cela, mais je sais que ces choses-là existent, parce que les femmes me les ont racontées. Je les ai crues, ces femmes, parce que c’est vrai.

Comment peut-on faire s’assurer que, d’une province à l’autre, d’un hôpital à l’autre, d’un gynécologue à l’autre, ces choses ne se produisent plus? À vous de juger. Pour nous, cela doit cesser, cela ne doit plus se pratiquer.

Je pense que les collèges des médecins, du moins celui du Québec, ont la ferme intention de faire quelque chose, parce qu’il y a des recommandations qui sortiront bientôt et qui seront beaucoup plus agressives envers ces médecins, hommes ou femmes, qui font de pareilles horreurs. Vous savez, les collèges ont le pouvoir de retirer le permis de pratique du médecin. Si un médecin stérilise des femmes sans leur consentement, il ne devrait plus pouvoir pratiquer. Le collège a ces pouvoirs. La criminalisation sera-t-elle la meilleure avenue? C’est à vous de décider, mais il est clair que nous ne défendrons jamais des médecins qui font des stérilisations sans consentement.

Le sénateur Dalphond : Dans le monde de la médecine obstétrique, connaissez-vous des obstétriciens ou des obstétriciennes qui ont fait l’objet de procédures disciplinaires pour avoir fait cela?

Dre Francœur : Pour la stérilisation? Non, pas du tout. Je vis peut-être dans un monde de licornes dans mon hôpital, un centre tertiaire où on essaie d’être à la hauteur des recommandations. C’est ainsi qu’on développe les étudiants de demain : en donnant l’exemple. Je n’ai pas commencé ma pratique hier, mais ce qui nous inquiète beaucoup — et à Sainte-Justine, nous étions au bout du chemin Roxham —, c’est que nous avons reçu beaucoup d’immigrants et l’histoire du consentement, c’est un cauchemar pour nous, quand on doit demander à un enfant de traduire parce que la dame parle le turc et qu’on n’a pas d’interprètes. Quand on a quelque chose d’urgent à faire, dans le doute, on va faire le minimum.

La Dre Cook et moi travaillons de très près avec les Centers for Disease Control des États-Unis pour diminuer la mortalité maternelle. C’est l’un des sujets importants : les femmes meurent de grossesse ectopique. On doit les opérer et malheureusement, on doit enlever la trompe. Cela a été l’objet de discussions lors de la dernière rencontre. Même si tout le monde dit que personne ne fait plus cela, le fait que la criminalisation existe — et on le voit surtout dans le centre des États-Unis — a changé la façon dont on traite les gens.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins de leurs excellents témoignages sur un sujet assez complexe, si on se fie à la nature des témoignages.

Je cherche à mieux comprendre le consentement éclairé. Dans certains témoignages, les témoins ont fait une distinction entre les soins urgents et non urgents, et ont énoncé certaines considérations à prendre en compte.

Je crois qu’on a également mentionné des obstacles uniques entourant le consentement, qui peuvent être d’ordre géographique, financier, culturel ou linguistique.

Ce qui m’intrigue, c’est que, puisque le consentement éclairé est l’une des questions centrales dans cet enjeu, faut-il voir le consentement éclairé comme un processus? Ou vaudrait-il mieux qu’on obtienne ce consentement éclairé à un moment ou à un endroit particulier? Quelles sont les pratiques exemplaires en la matière?

[Français]

Dre Francœur : La meilleure pratique lorsqu’on prend une décision de chirurgie, comme je le disais tout à l’heure, c’est de s’assurer que la patiente soit toujours accompagnée — si elle refuse, c’est son choix —, afin qu’elle soit à l’aise et qu’elle comprenne tout. Il faut également que la personne qui l’accompagne, qui est une personne en qui elle a confiance, puisse poser les questions nécessaires et qu’elle ait bien compris les réponses, etc.

Je pense que le contexte idéal, c’est d’avoir un langage approprié sur le plan de la littératie de la personne qui est devant nous. Si on s’adresse à une infirmière en obstétrique, on ne va pas expliquer les choses de la même façon qu’on pourrait le faire avec quelqu’un qui n’a aucune idée de la manière dont fonctionne l’appareil reproductif.

Cela dit, le consentement doit être posé. On doit prendre le temps de réfléchir et de recevoir toutes les questions. On doit prendre le temps aussi de se revoir pour un rendez-vous et de s’assurer que la personne est totalement à l’aise avec les informations qu’on lui a données.

Durant la pandémie, on a parfois pris de mauvaises habitudes en croyant aider les gens — qui sont, à mon avis, des horreurs. Par exemple, discuter d’un consentement opératoire au téléphone, ce n’est pas une bonne pratique.

La présidente : Merci, docteure Francœur.

[Traduction]

Dre Malhotra : Je suis ravie d’avoir cette conversation. Nous partageons les pratiques exemplaires en matière de consentement, selon les règles de l’art pour le consentement le plus approprié. Je dois toutefois souligner qu’en Colombie-Britannique, au vu et au su de tous, il a été très clairement démontré que le racisme contre les Autochtones se poursuit à l’heure actuelle. Le consentement n’est donc pas donné librement, de manière appropriée ou en connaissance de cause. La dynamique de pouvoir entre le système de santé et le patient est alors complètement rompue. De plus, lorsque le racisme est une préoccupation constante dans notre système de soins de santé, nous savons que l’humilité culturelle n’est pas pratiquée. Les prestataires ne réfléchissent pas à leurs préjugés ou aux préjugés ancrés dans le système, et le système n’est pas remis en question en ce qui concerne la manière dont le consentement est obtenu ou dont les soins sont fournis.

Je tiens à souligner que le racisme à l’encontre des Autochtones est à l’origine de ce problème, de même que le racisme à l’égard d’autres personnes autochtones, noires et de couleur, ou PANDC. La conversation ne porte pas uniquement sur les pratiques exemplaires. C’est la réalité qui devrait exister et c’est ce que nous avons intégré dans tout notre travail avec l’organisme de réglementation de la Colombie-Britannique, ainsi que dans les produits et les rapports que nous avons publiés. Toutefois, nous n’en sommes pas encore au stade où nous pouvons dire que notre système est exempt de racisme.

La sénatrice Simons : Je crois que mes questions s’adressent à la Dre Francœur et à Mme Cook.

Le projet de loi semble — du moins selon une interprétation qu’on peut en faire — ériger en infraction la stérilisation sexuelle d’un mineur. Pouvez-vous nous donner des exemples de cas où l’intervention pourrait être nécessaire, qu’il s’agisse d’endométriose ou d’un cancer rare chez une jeune patiente, d’une hystérectomie, d’une orchidectomie ou — bien que les gynécologues ne traitent généralement pas ces problèmes de santé — d’une torsion ou d’un cancer du testicule? Y a-t-il des cas où la bonne pratique médicale consisterait à pratiquer une stérilisation médicale sur un mineur?

[Français]

Dre Francœur : Je peux vous répondre, car je suis gynécologue pédiatrique.

C’est très rare, mais il peut y avoir des anomalies. Habituellement, ce sont des enfants qui sont nés avec des anomalies multiples, soit des anomalies aux organes génitaux ou à la vessie; l’utérus et les intestins se trouvent dans un seul orifice et il faut faire une reconstruction. Malheureusement, l’utérus sera partiellement enlevé ou alors les trompes, parce qu’il y a eu des saignements et tout cela, mais c’est vraiment très rare.

Évidemment, une chirurgie aussi importante se fera dans des cas de cancer, par exemple, où ce sont malheureusement les parents qui auront l’autorité de décider, selon l’âge de l’enfant — le plus jeune bébé que j’ai vu avec un cancer du vagin avait trois mois. Malheureusement, il y a des choses incompréhensibles qui arrivent parfois et que l’on doit soigner.

Je m’inquiète davantage de l’impact quand on parle de consentement qu’on donne maintenant, par exemple lorsqu’on fait des traitements de chimiothérapie ou de radiothérapie à un enfant ou à une jeune femme; c’est parfois 10 ans plus tard qu’elle se rendra compte qu’elle est infertile. Au moment du consentement, on va discuter des risques avec elle ou avec les parents, mais c’est impossible de savoir et d’être sûr à 100 % s’il y aura infertilité ou non. Ce sont quand même des cas inhabituels, mais qui peuvent se produire.

[Traduction]

La sénatrice Simons : Selon ma compréhension du projet de loi, un parent ne peut pas donner son consentement. Permettez-moi de vous poser la question suivante. Disons que je suis gynécologue et que je cours le risque qu’une patiente porte plainte contre moi parce que je pensais qu’elle avait donné son consentement alors qu’elle dit ultérieurement : « Non, je me suis sentie contrainte — même pas nécessairement par le médecin — mais par quelqu’un d’autre. » Pensez-vous qu’il sera plus difficile pour les femmes qui ont besoin de ces traitements et qui souhaitent réellement les recevoir — par exemple, une ligature des trompes ou une hystérectomie — de les obtenir si les médecins ont peur d’être poursuivis au pénal?

[Français]

Dre Francœur : C’est la chose qui nous inquiète le plus, surtout, malheureusement, lorsqu’on regarde l’expérience des États-Unis; c’est ce qui se passe là-bas. Lorsqu’on parle avec nos collègues, ils nous mentionnent qu’ils ne font plus cela, qu’ils ne courent plus le risque.

Cette année, à leur gros congrès de formation pour les résidents, tous les cours de simulation servaient à apprendre à faire un curetage, qui est une procédure essentielle dans la formation d’un gynécologue, mais qu’ils n’apprennent plus à cause de la criminalisation de l’avortement. Donc, oui, le risque est présent.

Par rapport au consentement, c’est aussi pour cela qu’on encourage beaucoup toute la démarche de débreffage.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Ma première question s’adresse à la Dre Francœur. Entrevoyez-vous des difficultés que les médecins pourraient rencontrer pour adopter et mettre en œuvre les objectifs de ce projet de loi dans leur pratique?

[Français]

Dre Francœur : Lorsqu’on parle de criminalisation, je pense que oui, cela aura un impact sur les médecins.

Je vous dirais que la très grande majorité des gynécologues aura une pratique exemplaire par rapport au consentement, à la stérilisation, etc. Cependant, s’il y en a juste un qui continue de le faire, c’est déjà un de trop; il faut que cela cesse, vous l’avez dit, et on est 100 % d’accord avec cela.

Alors, comment la criminalisation ira-t-elle plus loin que ce que la Cour suprême a clairement établi en 1986? Je pense que les pouvoirs sont là. Les collèges des médecins ont tous les droits. Ils font des radiations. Chaque année, il y a des médecins qui perdent leur permis de façon permanente. Je pense que les pouvoirs existent. Est-ce que ce sera plus important? Je ne sais pas. Cependant, nous sommes inquiets du fait que le volet criminalisation peut avoir un impact sur les droits reproductifs des femmes, comme on le voit aux États-Unis, puisque d’habitude, on a une pratique assez semblable.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Merci.

J’ai une question pour Mme Cook.

Outre cette législation, existe-t-il des initiatives ou des mesures en place au sein de la profession médicale au Canada qui pourraient amoindrir les luttes uniques des femmes et des filles autochtones face à la stérilisation forcée?

Mme Cook : Je vous remercie. Je précise que je ne suis pas médecin, mais scientifique. À la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, ou SOGC, je m’occupe de tout le travail entourant l’orientation et la pratique fondées sur des données probantes.

Dans notre organisation, nous nous penchons depuis très longtemps sur les soins tenant compte des traumatismes. Nous collaborons aussi avec la Dre Malhotra et d’autres partenaires sur la formation des prestataires de soins de santé, pas seulement des obstétriciens et des gynécologues. Nous travaillons dans le domaine de la santé mentale périnatale, avec différentes communautés — les communautés africaines, caribéennes et noires; les communautés diversifiées sur le plan du genre; et avec des partenaires autochtones dans le domaine de la santé autochtone. Nous essayons d’aider les prestataires de soins de santé, le public et les patients à obtenir les informations dont ils ont besoin, de la manière dont ils en ont besoin, ainsi que les outils et les ressources qui leur permettront de collaborer. Encore une fois, je ne suis pas une prestataire de soins de santé, mais il est prouvé que pour la collaboration, si tout le monde sait la même chose et utilise le même vocabulaire, il devient, en principe, plus facile de se comprendre.

Ce que nous faisons — et nous avons parlé de la ligne directrice — est de discuter des lignes directrices sur les soins tenant compte des traumatismes. Nous lançons également un site Web — et tout le monde est invité à notre lancement le 27 mars — qui traite de l’endométriose, de l’avortement et des soins tenant compte des traumatismes. Le site Web offrira des ressources personnalisées créées par les communautés pour les sous-populations. Nous intégrons ces critères dans tout ce que nous faisons.

Lorsque nous organisons des cours en ligne, lorsque nous élaborons des lignes directrices pour la pratique clinique, lorsque nous rédigeons des prises de position, nous ne devons pas seulement penser — sans vouloir manquer de respect à quiconque — au centre-ville de Toronto, mais aussi à d’autres populations et à certains de leurs besoins plus particuliers et personnalisés en matière de communication et de respect.

La sénatrice Clement : Madame Dion Fletcher, vous et votre collègue avez parlé de soins ancrés dans la culture et du besoin de ne pas nous limiter à ce projet de loi. Qu’entendez-vous par là? C’est urgent, alors je vous demanderais de nous en dire davantage sur les outils contrôlés par des Autochtones dont vous avez parlé.

Docteure Malhotra, vous avez souvent parlé d’humilité culturelle. Ce sont des termes intéressants. Pourriez-vous nous expliquer quelle forme elle pourrait prendre? Comment faire en sorte que les professionnels de la santé — parce que la question est urgente — commencent à reconnaître leurs préjugés et ne se contentent pas, en quelque sorte, de dire que la question est urgente et qu’il faut y mettre un terme? Que faire pour devenir humbles sur le plan culturel?

Mme Dion Fletcher : Je vous remercie de la question.

Je tiens à souligner que nous parlons ici aujourd’hui d’un problème colonial, et d’une solution coloniale à ce problème colonial. Il faut aussi réfléchir à la question du point de vue autochtone et se demander quelle serait la réponse des Autochtones, et cela reposerait sur l’établissement de relations et sur la prévention.

Nous pouvons le faire notamment en ayant recours à des fournisseurs de soins de santé autochtones, des sages-femmes autochtones, des médecins, des infirmières et des intervenantes-pivots autochtones qui sont là pour promouvoir l’autonomie et l’autodétermination des peuples autochtones et promouvoir le consentement. Quand on parle en particulier des sages-femmes autochtones, il faudrait en parler dès le plus jeune âge et parler de l’incidence que cela peut avoir sur l’ensemble du cycle de vie.

Nous avons entendu beaucoup de non-Autochtones parler de la lutte contre le racisme dans le milieu de la santé, mais peu d’Autochtones se sont prononcés sur la question. Il y a toutefois des éléments évidents. C’est bien d’avoir des politiques sur la purification par la fumée. C’est bien d’avoir une politique sur le placenta, mais il faut se pencher sur le paternalisme des médecins à l’égard des Autochtones, et sur le fait qu’ils estiment être ceux qui savent ce qui est le mieux pour les patients.

Je comprends que les médecins et tous les fournisseurs de soins de santé ont des connaissances spécialisées en santé et en médecine, et c’est extrêmement important, mais il faut aussi être conscient que les Autochtones et les femmes autochtones ont des connaissances sur leur propre corps. En continuant de dire aux Autochtones — comme le font les fournisseurs de soins de santé — ce qu’on estime être le mieux pour eux, nous leur enlevons la capacité de dire ce qui est le mieux pour eux et de prendre leurs propres décisions.

La sénatrice Clement : Et vlan!

Docteure Malhotra, j’aimerais avoir votre avis.

Dre Malhotra : Je vous remercie. À l’Autorité sanitaire des Premières Nations, nous appuyons le projet de loi, mais aussi les fournisseurs. Nous avons créé un guide de consentement pour les fournisseurs de soins de santé qui explique très clairement, du point de vue des nombreuses Premières Nations consultées, ce à quoi devrait ressembler le consentement. Nous avons appuyé les services à domicile et les services de proximité. Nous avons appuyé les collèges et les universités pour qu’ils soutiennent la croissance et l’intégrité du rôle, des responsabilités et de la visibilité des fournisseurs de soins de santé autochtones dans le milieu de la santé.

Nous avons travaillé avec la communauté pour obtenir des services de proximité afin de nous assurer que sa voix est entendue, parce que l’Autorité sanitaire des Premières Nations sert la communauté. Nous voulons que ce soit cette voix qui guide notre travail, et c’est pourquoi je suis ici aujourd’hui.

Le sénateur Cotter : Je remercie les témoins de leurs exposés. C’est un enjeu extrêmement important, très précis, mais qui a des répercussions considérables, à mon avis, sur la culture, les Autochtones et le racisme.

Je pense que nous appuyons tous l’idée qu’il faut mettre fin à cette pratique. Ce qu’il faut notamment se demander, c’est si le Code criminel est la meilleure façon d’y parvenir ou la mesure à prendre pour le faire. J’y suis plutôt favorable. Il reste ensuite à savoir si c’est bien ce que fait le projet de loi.

J’ai une question précise qui s’adresse principalement à vous, docteure Francœur. Vous avez dit n’avoir jamais fait une stérilisation sans le consentement d’une patiente. Avez-vous déjà suggéré à une patiente, en raison de risques médicaux, d’avoir une ligature des trompes ou peut-être une hystérectomie, comme traitement médical nécessaire et légitime?

Vous pouvez répondre simplement par oui ou non. Avez-vous déjà suggéré cela?

[Français]

Dre Francœur : Oui, et c’est fréquent.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Ma question est donc la suivante : si je comprends bien ce projet de loi, si vous suggérez à la patiente d’avoir une stérilisation, le consentement est alors vicié. Autrement dit, il n’y a pas de consentement. Est-ce que cela vous préoccupe?

[Français]

Dre Francœur : Je crois que votre question tourne autour du pot, dans le sens où parfois, par exemple, si une femme subit une sixième, septième ou huitième césarienne, on va lui dire que la vessie était prise ou que les intestins étaient collés. Il y a des dangers pour elle, mais ultimement, c’est elle qui décide. On va tout lui expliquer. En obstétrique, on a cheminé avec les Témoins de Jéhovah. On les laisse choisir.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Je comprends tout cela. Toutefois, il me semble que l’inquiétude ici — et c’est une préoccupation qui concerne, à tout le moins, cette disposition du projet de loi —, c’est le fait que vous êtes susceptible, en tant que médecin, de connaître les risques médicaux pour la patiente beaucoup mieux que la patiente, et d’être celle qui va dire que le traitement X est celui qui pourrait être le plus utile, et que cela mènera à une stérilisation. La patiente acquiescera ensuite et vous dira de procéder.

Cependant, selon le libellé du projet de loi, si vous suggérez la stérilisation, par définition, il n’y a pas alors consentement.

[Français]

Dre Francœur : Encore une fois, c’est une question d’interprétation. J’ai l’obligation de donner l’état de la situation à la femme. J’ai l’obligation de la prévenir des risques d’une prochaine grossesse. C’est mon obligation déontologique. Je ne peux pas lui mentir à ce sujet. Je ne peux pas lui permettre d’être à risque de mourir durant sa prochaine grossesse, parce que parfois l’utérus sera tellement mince qu’on sait que les risques de rupture sont énormes, et on ne peut pas la garder à l’hôpital durant toute la grossesse.

Face à cela, on doit dire la vérité aux femmes, et après, elles feront le meilleur choix pour elles. Par contre, j’ai l’obligation de leur dire la vérité. Ce n’est pas la même chose que d’insinuer qu’on leur dira que ce serait vraiment mieux pour elles. Le choix leur appartient. Les choix sont là.

[Traduction]

La présidente : Je suis désolée, chers collègues, mais nous avons dépassé un peu le temps. Je remercie les témoins. C’était très intéressant. C’est pourquoi je n’ai pas interrompu les gens. Docteure Malhotra, je vous remercie de vous être jointe à nous par vidéoconférence. Nous allons lever la séance. Je rappelle aux membres du comité directeur de rester, s’il vous plaît.

(La séance est levée.)

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