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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 21 mars 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 54 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-250, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation).

La sénatrice Denise Batters (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bonjour, honorables sénateurs. Je suis la sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan. Je suis également vice-présidente du comité et j’agis aujourd’hui à titre de présidente.

J’invite maintenant mes collègues à se présenter à tour de rôle.

Le sénateur Cotter : Je m’appelle Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan.

Le sénateur Tannas : Scott Tannas, de l’Alberta.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Pierre J. Dalphond, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Sénateur P. J. Prosper, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Simons : Sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice McBean : Marnie McBean, de l’Ontario.

La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, de l’Ontario.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Honorables sénateurs, le comité se réunit aujourd’hui pour poursuivre son étude du projet de loi S-250, Loi modifiant le Code criminel (actes de stérilisation).

Pour notre premier panel, nous avons le plaisir d’accueillir l’Association médicale canadienne : Dre Kathleen Ross, présidente, et Dre Paula Cashin, vice-présidente du conseil d’administration. Nous vous souhaitons la bienvenue et vous remercions de vous être jointes à nous. Nous commencerons par vos déclarations préliminaires avant de passer aux questions des sénateurs.

La parole est à vous pour cinq minutes lorsque vous êtes prête.

Dre Kathleen Ross, présidente, Association médicale canadienne : Merci beaucoup. Je ferai de mon mieux pour laisser du temps pour les questions.

Je suis la Dre Kathleen Ross. Je suis médecin de famille en Colombie-Britannique. Je travaille également en chirurgie cardiovasculaire et je m’implique beaucoup en soins primaires obstétriques.

En tant que présidente de l’Association médicale canadienne, je représente les convictions et les intérêts des médecins du pays, de leurs patients et de toutes les personnes qui n’ont pas accès aux soins de santé. Je suis accompagnée de la Dre Paula Cashin, vice-présidente du conseil d’administration de l’Association médicale canadienne et première Autochtone du Canada à se spécialiser en radiologie et en médecine nucléaire.

C’est un plaisir d’être ici à Ottawa, sur le territoire non cédé de la Nation algonquine anishinabe. Je vous remercie de cette invitation à intervenir auprès du comité.

L’Association médicale canadienne a fermement dénoncé les actes odieux de stérilisation forcée ou contrainte, y compris les interventions chirurgicales visant à prévenir la grossesse, notamment toute intervention altérant les trompes de Fallope, les ovaires ou l’utérus, ou toute autre action exécutée sur une personne dans le but premier de prévenir la grossesse de manière permanente. Ces pratiques sont enracinées dans la discrimination et le racisme systémique. Comme le comité l’a déjà entendu, elles ont infligé des dommages irréversibles à des femmes, principalement autochtones, et elles ont nourri les cycles d’inégalité et d’injustice. Le sombre héritage de la stérilisation forcée ou contrainte fait partie de l’histoire pas si lointaine de notre pays.

Les personnes qui ont autrefois soutenu ces pratiques, tant au sein du gouvernement que du milieu médical, voulaient réduire les naissances dans les communautés des Premières Nations, des Inuits et des Métis, dans les communautés noires ainsi que chez les personnes présentant des vulnérabilités multiples liées à des déterminants sociaux et structurels de la santé, à l’ethnicité et à la déficience.

Des membres de la profession médicale et des membres du gouvernement se réunissent donc aujourd’hui pour remédier à cette iniquité, à cette injustice.

L’Association médicale canadienne, qui représente les médecins en exercice et en devenir, est fermement résolue à respecter les normes les plus élevées en matière d’éthique médicale et de soins aux patients. En dépit de cet engagement, nous devons reconnaître le rôle historique de notre profession dans ces pratiques contraires à l’éthique.

Il incombe au gouvernement de défendre les normes éthiques les plus élevées dans le système de santé. Le Canada doit s’engager fermement à protéger les droits et la dignité de l’ensemble de la patientèle, et plus largement de l’ensemble de la population canadienne. La présentation du projet de loi S-250, qui vise à modifier le Code criminel pour ériger en infraction les interventions de stérilisation effectuées sans consentement libre et éclairé, représente une étape louable et cruciale pour corriger des injustices de longue date. L’Association médicale canadienne soutient pleinement la recommandation du comité sénatorial visant à interdire ces pratiques, en soulignant l’importance d’adopter des mesures de sauvegarde strictes et d’obtenir un consentement libre et éclairé pour tous les actes médicaux.

Notre travail commun ne se limite pas à faire en sorte que soit approuvée cette modification au Code criminel, qui n’a que trop tardé. Il s’agit d’un pas en avant, décisif, sur un long chemin. Ensemble, nous devons éradiquer des hôpitaux et du système de santé public le racisme explicite et systémique à l’encontre des Premières Nations. Ensemble, nous devons transformer le système de santé afin qu’il respecte et protège véritablement les droits et l’autonomie de chaque patient, en priorisant les personnes les plus vulnérables et les plus marginalisées.

Le système de santé canadien doit être modernisé, car il ne répond pas aux besoins d’une partie importante de la population. Au moment où nous cherchons à réformer l’ensemble du système de santé, nous ne devons pas perdre de vue les piliers de l’éthique médicale. L’Association médicale canadienne possède un code d’éthique et de professionnalisme qui peut nous guider dans la mise sur pied d’un système véritablement universel offrant un soutien à toutes les personnes ayant besoin de soins. Ces principes directeurs pourraient également vous être utiles, à vous et à vos pairs, dans le cadre des travaux menés par le gouvernement. Ces principes, qui mettent l’accent sur le traitement digne et respectueux de toutes les personnes, indépendamment de leur situation ou de leur état de santé, permettent de donner la priorité à leur santé et à leur bien-être, de favoriser l’établissement de relations de confiance avec elles en tenant compte de leurs vulnérabilités et en soutenant leur autonomie pour qu’elles puissent prendre des décisions éclairées en matière de soins selon leurs propres valeurs et préférences, de s’attaquer, sur le plan de la justice sociale, aux disparités dans les soins de santé et de défendre les droits des populations marginalisées et mal desservies.

L’Association médicale canadienne appuie les changements à apporter au Code criminel qui sont prévus dans le projet de loi S-250. Nous souhaitons ardemment un avenir où les droits de chaque personne seront protégés. Un avenir où, au Canada, le consentement de la personne concernée sera considéré comme primordial dans le système de santé. Nous sommes déterminés à ouvrir la voie à cet avenir, où toutes les personnes au Canada pourront obtenir des soins de santé dans des établissements sécuritaires, sous le signe de la dignité et de la bienveillance.

Au nom de l’Association médicale canadienne, je vous remercie de nous avoir donné l’occasion de vous faire part de notre point de vue sur cet enjeu crucial et d’influencer les changements à apporter au système de santé. Merci.

La vice-présidente : Merci. Nous passons maintenant aux questions.

Le sénateur Dalphond : Je propose que la marraine du projet de loi pose la première question.

La vice-présidente : Certainement.

La sénatrice Boyer : Merci, sénateur Dalphond, et merci, Dre Ross et Dre Cashin, de votre présentation. Je vous en suis reconnaissante, comme je vous suis reconnaissante de votre présence ici aujourd’hui.

L’Association médicale canadienne mène des activités de recherche et de défense, et elle soutient les médecins canadiens de même que les étudiants en médecine. Pensez-vous que les hôpitaux seront en mesure de guider efficacement les médecins et d’autonomiser les patients en élaborant de bonnes politiques en réponse à l’adoption du projet de loi S-250 et comment y parviendront-ils?

Dre Ross : J’ai énormément d’espoir que cela alimentera les processus déjà en cours.

J’aimerais profiter de l’occasion pour inviter ma collègue, la Dre Cashin, à parler un peu du travail que l’Association médicale canadienne entreprend dans le cadre de son engagement à répondre aux besoins des Premières Nations, des Inuits et des Métis au Canada.

Dre Paula Cashin, vice-présidente du conseil d’administration, Association médicale canadienne : Je vous remercie de m’avoir invitée à prendre la parole aujourd’hui.

L’Association médicale canadienne a accompli un travail remarquable dans le domaine de la santé des Autochtones. C’est l’une de nos priorités stratégiques, et nous nous y appliquons d’une très bonne manière. Je suis une médecin micmaque de Terre-Neuve et je n’ai jamais vu un tel niveau d’engagement dans une organisation médicale, alors que je participe à de nombreuses organisations médicales et que je travaille dans le secteur de la santé depuis 20 ans. La différence, c’est que le travail est mené par des Autochtones. Il y a environ un an, nous avons lancé notre premier cercle d’accompagnement autochtone, qui réunissait 16 aînés, gardiens du savoir, experts, médecins et autres professionnels de la santé, ainsi que des personnes possédant une expertise environnementale ou linguistique. Il s’agissait d’un groupe vaste et diversifié de personnes issues de communautés métisses, inuites et des Premières Nations. C’est un groupe formidable que nous avons réuni à l’Association médicale canadienne. Nous avons la chance de pouvoir compter sur les conseils et l’orientation de ce groupe.

C’est de là qu’est né notre objectif en matière de santé autochtone. Madame Ross, je pense que vous l’avez ici, pour que je ne me trompe pas. L’Association médicale canadienne s’est fixé comme priorité d’apporter des améliorations mesurables à la santé et au bien-être des Autochtones en s’appuyant sur un système de santé transformé, exempt de racisme et de discrimination, qui respecte les droits des peuples autochtones à l’autodétermination, qui valorise et respecte les visions du monde, la médecine et les pratiques de guérison autochtones, et qui offre un accès équitable à des soins respectueux de leur culture et tenant compte des traumatismes à l’ensemble des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

En tant que femme autochtone, je peux vous dire que c’est à un tel système de santé que j’aspire.

C’était la première étape. À la fin des travaux du cercle d’orientation stratégique autochtone, le conseil d’administration a appuyé à l’unanimité cet objectif axé sur la santé. Il nous sert de point de mire; il représente la vision de l’Association médicale canadienne à cet égard. C’est ce à quoi nous aspirons. C’est ainsi que nous voyons l’avenir des soins de santé au Canada pour les peuples autochtones. L’objectif est ambitieux, mais il est possible d’y arriver.

Depuis, nous avons mis sur pied un deuxième cercle d’orientation stratégique autochtone composé d’anciens et de nouveaux membres. Le groupe a été particulièrement utile pour orienter notre travail en vue de la présentation d’excuses aux peuples autochtones.

L’Association médicale canadienne est pleinement engagée à examiner les torts causés aux patients autochtones au nom des médecins du Canada. Pour mieux comprendre les préjudices subis et le rôle que l’association a joué dans les 150 dernières années, nous faisons le travail nécessaire à l’interne, en passant en revue nos pratiques, nos documents et nos archives du journal. Nous arrivons à la fin du processus de collecte d’information. Nous prévoyons présenter des excuses aux peuples autochtones le 18 septembre prochain. Nous nous réunirons et inviterons des aînés, des gardiens du savoir et des dirigeants autochtones de partout au pays pour présenter des excuses au nom de l’association et des médecins du Canada pour les torts causés aux peuples autochtones au Canada. Il ne s’agit pas seulement de reconnaître les torts causés dans le passé, mais également le fait qu’ils perdurent aujourd’hui.

Le projet de loi à l’étude s’inscrit certainement dans ce cadre. La stérilisation forcée de femmes autochtones est l’une des choses pour lesquelles nous présenterons des excuses.

Les excuses sont prévues en septembre, mais ce n’est qu’une partie du processus. À mon avis, l’aspect le plus important des excuses est en fait le plan d’action qui suivra. La semaine après les excuses, nous annoncerons notre plan d’action. Il est toujours en cours d’élaboration — nous y travaillons avec l’aide des gardiens du savoir et des aînés autochtones. Un solide plan d’action suivra les excuses en tant que telles.

J’espère que nous pourrons commencer aujourd’hui à contrer le racisme envers les Autochtones dans le système de santé.

Dre Ross : C’est ainsi que je répondrais à votre question.

La sénatrice Boyer : Merci.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Tout d’abord, bienvenue au comité. C’est toujours apprécié d’avoir des témoins qui connaissent bien leur domaine.

[Traduction]

Ma question est un peu technique. Je présume que vous avez lu le projet de loi dans sa forme actuelle. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais la directrice générale de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada a témoigné hier. J’ignore si vous avez écouté ce témoignage. Elle s’est dite inquiète que le libellé des définitions ait un effet dissuasif sur les chirurgiens ou les médecins qui, dans une situation d’urgence, pourraient être appelés à effectuer une intervention pouvant mener à la stérilisation sans être en mesure d’obtenir le consentement. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Dre Ross : Je vous remercie de la question. Je suis heureuse d’y répondre à titre de personne qui prodigue bon nombre de soins primaires en obstétrique.

Selon mon interprétation, le projet de loi ne s’applique pas aux interventions d’urgence visant à prévenir des décès ou des amputations. J’ai vu des cas où des hystérectomies d’urgence étaient la seule option. Je travaille à un établissement de soins tertiaires où j’ai accès à tous les outils imaginables pour soigner et prévenir les hystérectomies. Même avec ce niveau élevé de soins, c’est encore une possibilité.

Ce ne sont pas les cas qui sont ciblés dans le projet de loi, à mon avis. Ce n’est pas l’intention criminelle qui y est établie. Il s’agit plutôt d’actes médicaux qui sont effectués sous la contrainte, sans obtenir le consentement approprié et sans prévoir un temps de réflexion, et qui entraînent des préjudices irréversibles. Les préjudices découlant de la stérilisation involontaire sont immenses et sont transmis sur de multiples générations, comme le comité l’a entendu d’autres témoins.

Je pense qu’il faut distinguer la préservation de la vie par tous les moyens et les préjudices intentionnels.

Le sénateur Dalphond : Je vois que vous détenez également une maîtrise en droit.

Dre Cashin : En tant que médecin, je ne suis pas obstétricienne, mais radiologue d’intervention. Je suis bien au fait des actes qui doivent être effectués et du consentement qu’il faut obtenir. C’est un aspect de mon travail quotidien en tant que radiologue. En fait, je me réjouis de ce projet de loi. Je ferais valoir le point de vue opposé : avec le projet de loi, on établit essentiellement les limites en indiquant quel est le comportement acceptable et comment le consentement doit être obtenu.

J’estime que les répercussions du projet de loi dans le système de justice pénale vont bien au-delà de mon champ d’expertise, mais, en ce qui concerne la culture médicale, je connais les rouages des hôpitaux — ils ont souvent un programme caché d’enseignement. À mon avis, la mesure législative lancera une conversation sur le consentement et la façon de l’obtenir. Je pense que c’est une conversation très importante.

J’enseigne la santé autochtone à l’Université Memorial. Je parle notamment des préjudices médicaux qui ont été subis et de la façon de les aborder. C’est l’un des exemples que je donne, la stérilisation forcée des femmes autochtones et l’importance du consentement. Les étudiants quittent ma salle de classe avec le portrait que j’ai brossé, puis ils intègrent le système.

Nous savons tous comment obtenir le consentement, mais comment cela se passe-t-il au quotidien? Que se passe-t-il sur le terrain? Je suis convaincue que le projet de loi montrera à quel point cette question est cruciale parce que bien des médecins ne réalisent même pas que c’est un enjeu. Je pense qu’il lancera cette conversation très importante sur le consentement. Dans cette perspective, je suis très heureuse que ce projet de loi ait été présenté. Comme la Dre Ross l’a déjà dit, les situations d’urgence mentionnées se produiront néanmoins.

Le sénateur Dalphond : La question portait davantage sur le côté technique. Je pense que nous nous entendons tous sur les principes.

Y a-t-il d’autres façons de procéder à une stérilisation que par l’occlusion, la ligature ou la cautérisation? La définition d’acte de stérilisation inclut tout acte exécuté sur une personne dans le but premier de prévenir la grossesse de manière permanente. C’est une autre inquiétude qui a été soulevée, c’est-à-dire que la définition serait trop large.

Dre Ross : Il existe de nombreuses façons. Nous parlons précisément des femmes et, en grande partie, des interventions chirurgicales qui altèrent le fonctionnement de l’appareil reproducteur. Il existe des médicaments qui altèrent la fertilité des femmes. Il y a aussi des médicaments et des interventions chirurgicales pour les hommes. À mon avis, le fait que la définition soit large permet d’entamer une conversation sur le consentement pour tous les actes médicaux qui auraient des répercussions sur la fertilité d’une personne. Je ne m’y oppose pas. Je pense que l’implication selon laquelle l’acte est intentionnel et a fait l’objet d’un consentement valable est manifeste dans le projet de loi.

Le sénateur Dalphond : Ces actes médicaux sont-ils permanents ou réversibles?

Dre Ross : Ils peuvent être l’un ou l’autre, selon l’acte dont il est question. Lorsqu’on enlève une trompe de Fallope, on ne peut pas la remettre. Certaines interventions chirurgicales chez les hommes, comme la vasectomie, peuvent être réversibles. Les médicaments ont différentes répercussions selon la durée de leurs effets.

Le sénateur Dalphond : Merci.

La vice-présidente : Je vais prendre la parole un instant. Je reviens à l’une des questions que le sénateur Dalphond a posées sur un aspect plus technique. Quelles dispositions... Je me tournerais probablement vers vous, docteure Cashin, en raison de votre formation en droit.

Quelles dispositions du projet de loi vous donnent l’assurance, au nom de l’Association médicale canadienne, que les interventions d’urgence qui pourraient être nécessaires ne seront pas ciblées?

Dre Cashin : Comme l’a dit la Dre Ross, nous savons tous qu’en situation d’urgence, le médecin est à l’abri concernant les décisions qu’il prend dans le but de sauver une vie ou un membre. En tant que professionnels, nous savons cela.

Selon moi, le projet de loi porte sur les situations où le médecin a le temps d’obtenir le consentement, mais ne le fait pas comme il se doit ou l’obtient dans de mauvaises circonstances, comme lorsqu’une femme en train d’accoucher insiste pour qu’on lui ligature les trompes. Il faut tenir compte de la situation et le moment doit être opportun.

En situation d’urgence, je ne crois pas que le médecin ait à craindre d’être accusé d’un acte criminel si son intention est de sauver une vie.

La vice-présidente : Est-ce en raison de la protection offerte par l’article existant du Code criminel ou autre chose du genre? J’aimerais que vous précisiez sur quoi vous vous fondez pour affirmer cela.

Dre Cashin : À ma connaissance, le Code criminel, tel qu’il se présente à l’heure actuelle, n’a pas été utilisé concernant la stérilisation forcée. À ce que je sache, cette loi n’a jamais été invoquée avec succès contre la stérilisation forcée.

Le sénateur Prosper : Je remercie les témoins. La question de la sénatrice Batters à savoir si le libellé du projet de loi laisse entendre que la disposition s’applique strictement aux situations non urgentes pique vivement ma curiosité.

Je déduis de vos réponses, docteure Cashin, et même de la vôtre, docteure Ross, que vous ne voyez rien dans le libellé du projet de loi qui limite sa portée aux situations non urgentes, c’est exact?

Dre Ross : Je dois admettre que ni la Dre Cashin ni moi ne sommes avocates. Selon moi, rien dans le libellé ne semble menaçant pour quelqu’un qui, comme moi, est appelé à gérer ce genre de situation. Je reconnais que dans le témoignage qu’elle a livré hier, la Dre Francœur a exprimé une opinion différente, mais en tant que non-juriste, je m’intéresse à la question du consentement et à l’élimination de la discrimination et le racisme à l’égard des Autochtones au sein de la profession médicale, et de mon point de vue, il n’y a rien d’alarmant dans le libellé du projet de loi.

Le sénateur Prosper : Merci.

Un autre élément soulevé dans les témoignages d’hier est la validité du consentement lorsque l’acte de stérilisation n’est pas initialement soulevé ni demandé volontairement par la patiente.

Je suis curieux. De la façon dont les choses se présentent, le devoir du médecin consiste à examiner les options relativement à la santé de son patient. Discuter de stérilisation peut faire partie de cela. J’ai l’impression que lorsque la possibilité n’est pas soulevée par le patient lui-même, mais plutôt par le médecin, cela jette un doute sur la validité du consentement.

Croyez-vous que cela risque de causer des problèmes pour les médecins, à un tel point qu’ils refuseront même de considérer cette possibilité dans le cadre du long continuum de soins de santé de leurs patients?

Dre Ross : Je recommande certes fréquemment la contraception post-partum à des femmes. Des patientes nous disent : « Je cherche une solution temporaire; j’ai l’intention d’avoir un autre enfant dans quelques années. » Nous posons bel et bien les questions qui s’imposent : « Prévoyez-vous avoir d’autres enfants? Quand prévoyez-vous avoir d’autres enfants? » C’est dans le cadre de cette conversation que la demande suivante est typiquement formulée : « Je ne veux pas d’autres enfants. Est-ce moi ou mon partenaire qui devrait subir la chirurgie pour mettre fin à notre fertilité? » Ces questions sont couramment soulevées.

Selon mon interprétation, ce qu’on tente d’éviter dans le libellé du projet de loi, ce sont les discussions du genre : « Puisque nous procédons à une césarienne, ligaturons les trompes en même temps. » Cela sème l’idée d’un acte irréversible dans la tête de la patiente. Par contre, lorsqu’une femme déclare : « J’aimerais prendre rendez-vous pour ma césarienne planifiée, et j’aimerais subir un acte de stérilisation permanente par la même occasion. », la conversation est nettement différente.

Je crois que la façon dont le projet de loi est formulé prévient les suggestions anticipées du genre « nous pouvons mettre fin à votre fertilité » non accompagnées d’une discussion complète concernant toutes les autres solutions possibles. Il existe de nombreux moyens de contraception autres qu’une intervention chirurgicale qui pourraient être considérés comme étant permanents ou à long terme.

La sénatrice Simons : Je poursuis dans la même veine que le sénateur Prosper, car cette préoccupation a été soulevée par les représentants du ministère de la Justice ainsi que par le sénateur Cotter hier.

De la façon dont j’interprète le projet de loi, dès que l’idée est soulevée par quiconque autre que le patient lui-même, le consentement est invalide. Je crains non seulement que le médecin risque l’emprisonnement pour avoir formulé, en toute bonne foi, une suggestion logique sur le plan médical, mais également qu’on infantilise les patients en déclarant nulle leur capacité de consentir si quelqu’un leur suggère cette option.

Je suis curieuse de savoir si, dans l’exercice de vos fonctions, vous avez déjà suggéré à un homme de subir une vasectomie ou soulevé auprès d’une femme la possibilité de se faire ligaturer les trompes ou de subir une hystérectomie, que ce soit parce qu’elle souffre d’endométriose ou de léiomyome utérin ou pour une autre raison.

Dre Ross : Il ne fait aucun doute que toutes ces discussions ont bel et bien lieu. Elles se tiennent au quotidien dans le contexte de la prestation des soins primaires, tout à fait. L’idée est de présenter l’éventail complet des traitements possibles. Par contre, la situation est nettement différente lorsque le médecin aborde la question avec l’idée bien déterminée d’offrir uniquement cette solution plutôt que de présenter une liste d’options à partir de laquelle le patient peut, de manière autonome, faire ses propres recherches et prendre sa propre décision.

La sénatrice Simons : Le problème, c’est que le projet de loi ne fait pas la distinction. Il dit que si la personne n’a pas enclenché une demande de stérilisation de manière volontaire, il n’y a pas de consentement. Je crains que des personnes risquent de se retrouver prises au piège.

J’aimerais également vous demander votre avis au sujet de la limite d’âge. Le projet de loi érigerait en acte criminel le fait de stériliser une personne âgée de moins de 18 ans. Même un parent ne pourrait donner son consentement en situation d’urgence ou dans le cas rare, mais possible d’un cancer de l’utérus, de grave endométriose ou d’une chirurgie d’affirmation de genre. Êtes-vous le moindrement préoccupée par le fait qu’une personne âgée de moins de 18 ans ne pourrait recevoir ce traitement sans que le médecin risque une sanction criminelle?

Dre Ross : Je vais parler à titre personnel et avant tout à titre de médecin, car l’Association médicale canadienne n’a pas de politique guidant ma position par rapport à cette question précise. En tant que médecin traitant des personnes d’âge varié qui sont à différentes étapes de leur vie, j’appuie cette limite d’âge, sachant que je dispose d’importantes solutions de rechange en matière de soins pour traiter la question précise de la fertilité. Je crois que la discussion élargie concernant l’ablation ou le traitement d’organes pelviens pour traiter un cas grave d’endométriose ou un cancer est une situation distincte de celle que vise précisément le projet de loi. Je comprends le risque.

La sénatrice Simons : Ce qui me préoccupe, c’est que le projet de loi dit que tout acte de stérilisation est illégal, sauf si x, y, z. Selon mon interprétation, cela s’applique tout à fait aux hommes, même s’il s’agit d’un joueur vedette de basketball ou de football de 17 ans souffrant d’une torsion testiculaire. Je crains simplement que cela réduise la capacité des patients de consentir et de subir l’intervention chirurgicale dont ils ont besoin, au moment où ils en ont besoin.

Je comprends que selon vous, cela ne s’applique pas, mais à la lecture du projet de loi, je ne partage pas votre sentiment de confiance.

Dre Ross : C’est raisonnable.

Le sénateur Tannas : Je vais prendre le relais. Personnellement, j’appuie le projet de loi. Nous avons entendu sans équivoque que vous l’appuyez également.

Est-ce que vos avocats ont examiné le projet de loi et vous ont dit que tout était bien, qu’il n’y avait pas de préoccupation à y avoir? Sont-ils d’avis que cela n’exposerait vos milliers de collègues à aucun risque, que cela ne compromet nullement, par inadvertance, quelque chose qu’ils font peut-être au quotidien? Vos assureurs contre la faute professionnelle, par l’intermédiaire d’avocats, ont-ils examiné le projet de loi et déterminé qu’il est parfait? Est-ce ce que vous êtes ici pour nous dire, ou êtes-vous ici pour nous dire que vous approuvez le concept?

Dre Ross : Sénateur, je ne suis pas le cheminement de beaucoup de projets de loi, je le reconnais. Cependant, je n’ai jamais vu de projet de loi qui était parfait dès sa première mouture. Cela dit, je pense que nous appuyons l’objectif. Nous voulons le maintien des plus hautes normes d’éthique professionnelle afin de prévenir la stérilisation et les préjudices liés au racisme et à la discrimination pour tous les Canadiens. En ce qui concerne les éléments juridiques ou techniques, je les laisse aux avocats. Cependant, nous appuyons l’objectif.

Le sénateur Tannas : Vos avocats viendront-ils témoigner ou espérez-vous que nous recevions des représentants de l’Association du Barreau ou quelqu’un d’autre? Y a-t-il des experts du domaine médical ou juridique représentant une autre organisation que l’Association médicale canadienne qui viendront témoigner et à qui vous croyez qu’il serait préférable de poser la question? C’est bien ce que vous dites?

Dre Ross : C’est une excellente question. Je ne sais pas qui d’autre viendra témoigner dans le cadre de la présente étude. Ce que nous voulons soutenir, c’est le libellé visant à empêcher les préjudices causés de façon intentionnelle.

Le sénateur Tannas : Merci.

La vice-présidente : À ce sujet, nous recevrons d’autres témoins du domaine juridique. Cependant, je dois dire que, souvent, lorsque le comité sénatorial des affaires juridiques reçoit de grandes organisations, comme l’Association médicale canadienne, ces dernières abordent les aspects juridiques.

Je voudrais m’attarder à cette question. Vous représentez l’Association médicale canadienne et je présume que votre organisation compte une équipe juridique importante. La déclaration que vous avez faite aujourd’hui visait-elle à appuyer l’adoption du projet de loi sans amendements? Est-ce que les juristes de votre organisation vous ont conseillée sur cette question?

Dre Ross : Absolument.

Dre Cashin : L’Association médicale canadienne représente les médecins, mais les discussions que nous avons au sujet des fautes professionnelles... en toute transparence, je dois dire que je fais partie du conseil de l’Association canadienne de protection médicale, mais je ne parle pas au nom de cette association ici aujourd’hui. Je suis ici à titre de représentante de l’Association médicale canadienne.

Je pense que ces aspects devraient être abordés par les organismes en question et par les collèges des médecins. Je crois qu’ils pourraient en parler. Bien sûr, l’Association médicale canadienne représente les médecins, mais nous appuyons entièrement le projet de loi. S’il y a des enjeux juridiques à régler, je ne suis pas certaine que l’association soit le meilleur organisme vers lequel se tourner. Cependant, il y a assurément des organisations du secteur médical qui pourraient examiner ces enjeux et être convoquées à témoigner devant le comité pour en discuter.

La vice-présidente : Oui, nous recevrons des témoins pour nous en parler. Merci beaucoup.

Le sénateur Cotter : Merci d’être avec nous. La plupart des membres du comité n’ont pas de formation médicale et c’est d’ailleurs mon cas. La question que je veux vous poser porte sur les aspects médicaux.

Arrive-t-il que des mineurs — des personnes de moins de 18 ans — aient besoin de subir une intervention médicale qui entraîne leur stérilisation? Ce genre de situations peuvent-elles survenir en raison des problèmes de santé du jeune — le plus souvent, une jeune fille?

Dre Ross : Cela m’est déjà arrivé dans le cadre de ma pratique. Il avait fallu retirer une tumeur sur l’un des ovaires d’une jeune à l’âge de 16 ans puis, lorsqu’elle a eu 18 ans, il a fallu procéder à l’ablation presque complète de son autre ovaire, ce qui a gravement compromis sa fertilité. Il est déjà arrivé que des préjudices soient causés par inadvertance au moment de soigner des blessures subies dans un accident de voiture ou des blessures mettant en péril un membre ou la vie d’une patiente et que l’apport sanguin aux ovaires et la fertilité soient compromis. Ce genre de situation peut arriver.

Le sénateur Cotter : Ma deuxième question est la suivante : vous avez parlé de situations d’urgence où les médecins doivent intervenir pour sauver la vie d’une jeune femme et où l’intervention risque d’entraîner la stérilisation de la personne. Il n’y a rien dans le projet de loi qui parle explicitement des situations d’urgence. Au fond, ma question est de savoir si cela vous inquiète. Le projet de loi pourrait-il être modifié de façon à corriger cette lacune, qui aurait un effet sur la possibilité de pratiquer des interventions visant à assurer la santé du patient et sur la protection des praticiens?

Dre Ross : Je pense que nous serions favorables à un amendement qui parlerait explicitement de ces situations d’urgence. Cependant, comme l’a mentionné la Dre Cashin, lorsqu’il faut sauver un membre ou la vie d’une personne, il existe déjà des protections pour les médecins qui sont appelés à effectuer les interventions requises.

Comme l’a souligné la Dre Cashin, en règle générale, l’application des normes cliniques relève des organismes de réglementation provinciaux et territoriaux, mais bon nombre de ces organismes se servent des codes d’éthique et de professionnalisme et d’autres politiques mises en œuvre par l’Association médicale canadienne pour prendre leurs décisions.

Le sénateur Cotter : Ils devront peut-être aussi se servir du Code criminel.

Merci.

La sénatrice McBean : Merci de nous accorder votre temps et de nous faire profiter de votre expertise. Je trouve vos témoignages très intéressants.

Ce projet de loi vise à modifier le Code criminel et je m’intéresse aux conséquences après l’acte. La peine pourrait aller jusqu’à 14 ans d’emprisonnement.

Peut-être que ma question n’est pas pertinente, mais est-ce que l’Association médicale canadienne joue un rôle dans l’accréditation des médecins? Si elle n’en joue aucun, qui est responsable de l’accréditation? Qu’arriverait-il de l’accréditation d’un médecin qui serait reconnu coupable d’une infraction? Que ferait l’association au sujet de l’accréditation de ce médecin?

Dre Ross : Le rôle de l’association en est un de leader en matière de politiques et de réflexion.

Dre Cashin : L’association ne joue aucun rôle dans l’accréditation des médecins. C’est le rôle des collèges des médecins. Cet enjeu concerne les provinces et les territoires. Ce sont eux qui décideraient de ce qui arrive des accréditations. Cette question ne relève pas directement de l’association, mais comme l’a mentionné la Dre Ross, toutes ces entités se servent du code d’éthique et des orientations en matière de professionnalisme de l’association pour établir leurs lois, leurs règlements et leurs positions.

La sénatrice McBean : Il n’y a donc pas de conséquence relative à l’accréditation du médecin pour de tels actes. Il pourrait aller en prison, mais...

Dre Ross : Ce n’est pas du ressort de l’Association médicale canadienne.

La sénatrice McBean : Trouvez-vous cela inquiétant? Je trouve toujours inquiétant qu’une personne puisse aller en prison pour des actes qu’elle a commis, être libérée et reprendre sa carrière comme si de rien n’était, malgré les impacts majeurs qu’elle a fait subir à d’autres.

Dre Ross : Je ne crois pas qu’on puisse présumer qu’il n’y aurait pas de conséquences. Les organismes de réglementation tiennent compte des casiers judiciaires. Il faut même mentionner les accusations qui n’ont pas abouti au moment de demander le renouvellement annuel de notre accréditation auprès des organismes de réglementation concernés.

C’est une question à laquelle l’association peut difficilement répondre, parce qu’elle n’a pas de pouvoir réglementaire direct sur les médecins, mais elle est certainement intéressée par la reddition de comptes et la transparence auprès des collèges responsables de la réglementation afin que tous les renseignements leur soient communiqués.

La vice-présidente : L’association joue plutôt un rôle de défense des droits des médecins. C’est le Collège des médecins et chirurgiens, ainsi que les collèges techniques associés, qui seraient responsables des sanctions professionnelles, c’est bien cela? D’accord, merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je ne sais pas si vous allez pouvoir répondre à ma question ou si vous avez vérifié, mais l’âge du consentement aux soins au Québec est de 14 ans. Dans l’Est du Canada, on parle de « mineur mature ». N’y a-t-il pas un enjeu de constitutionnalité? Ne sommes-nous pas dans le champ de compétence des provinces en ce qui a trait au consentement aux soins? On sait que les personnes de moins de 18 ans, mais âgées de 14 ans et plus peuvent consentir aux soins sans même consulter leurs parents. Les parents n’y ont même pas accès dans la situation qui existe au Québec. Y voyez-vous un enjeu? Avez-vous examiné cet angle-là? Est-ce qu’on vous a souligné ce problème de constitutionnalité?

[Traduction]

Dre Ross : Je voudrais des précisions sur cette question si possible. Ce que vous voulez savoir, c’est pourquoi le projet de loi parle de 18 ans, alors que l’âge du consentement est fixé à 14 ans dans certaines provinces? Ai-je bien compris la question?

[Français]

Le sénateur Carignan : On a un problème, parce qu’un enfant de 14 ans et plus peut consentir aux soins, mais il ne pourrait pas consentir à ce soin-là, parce que c’est criminel pour la personne qui... N’y a-t-il pas un enjeu de conflit constitutionnel et juridictionnel?

[Traduction]

Dre Ross : Je pense qu’il existe des solutions de rechange pour éviter la conception dont on peut discuter.

Le sénateur Carignan : Oui, j’ai compris.

[Français]

Au-delà des solutions alternatives par rapport à cette situation, si le jeune veut consentir à des soins qui amènent la stérilisation pour des raisons relatives au cancer ou pour d’autres raisons, n’y aurait-il pas un conflit juridictionnel avec les lois provinciales?

[Traduction]

Dre Ross : [Difficultés techniques] aspect. L’âge de 18 ans, qui est inclus dans ce projet de loi, nous semble un chiffre raisonnable, parce que beaucoup de solutions de rechange existent avant l’âge de 18 ans, où la personne est plus apte à prendre des décisions concernant un traitement permanent et irréversible. Mais je ne sais pas si, techniquement, je peux répondre à cette question.

[Français]

Le sénateur Carignan : Madame la vice-présidente, est-ce qu’on a prévu de faire venir des témoins qui seraient des experts constitutionnels dans le cadre de l’étude de ce projet de loi?

[Traduction]

La vice-présidente : Je ne suis pas sûre que des constitutionnalistes figurent dans la liste, mais on y trouve certainement l’Association du Barreau canadien et les avocats de la défense qui représentent les médecins, de sorte que nous pouvons disposer de l’expertise nécessaire dans ce domaine.

La sénatrice Clement : Je remercie les témoins et je les félicite pour leurs carrières.

J’aimerais revenir aux réponses que vous avez données au sénateur McBean. Vous dites que l’Association médicale canadienne a comme vocation de guider la réflexion plutôt que d’être un organisme de réglementation. Docteure Cashin, vous avez utilisé l’expression « programme caché d’enseignement ». Je ne suis pas sûr de ce que vous entendez par là; j’aimerais que vous nous en disiez plus à ce sujet. Vous avez également dit que de nombreux médecins ne se rendent même pas compte qu’il s’agit d’un problème. J’aimerais que vous développiez ce point, en gardant les questions suivantes à l’esprit. Savez-vous quel genre de sensibilisation aux réalités culturelles est faite dans les écoles de médecine? Cette sensibilisation a-t-elle bel et bien lieu? À quel moment? Est-ce qu’elle est faite à la faculté de médecine? Est-ce une sensibilisation tout au long de la carrière des médecins? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Par ailleurs, quelles provinces et quels collèges obtiennent de meilleurs résultats que d’autres? Vous avez probablement ce genre de vue d’ensemble.

Dre Cashin : En ce qui concerne le contenu du curriculum sur les questions d’éthique, de professionnalisme et de consentement, ce sont des questions qui sont étudiées par les étudiants en médecine à tous les stades de leur formation. Je donne des cours sur la santé des Autochtones, et une partie de mon enseignement s’adresse aux étudiants en médecine. J’enseigne également aux résidents. Ces enseignements sont dispensés tout au long de la formation. Tous les étudiants en médecine possèdent des connaissances de base et reçoivent un enseignement dans ce domaine. Par exemple, j’enseigne principalement aux étudiants en première et deuxième année de médecine, et une partie de mon enseignement porte sur les erreurs médicales, le professionnalisme et l’éthique. Tout cela est donc couvert. Ils reçoivent ces informations à différents stades de leur formation.

La sénatrice Clement : Cela semble merveilleux. Est-ce que tout le monde est aussi merveilleux dans tout le pays?

Dre Cashin : Merci beaucoup de dire que c’est merveilleux. Je connais beaucoup de médecins qui font ce travail dans cet espace, et je dirais qu’ils le font effectivement très bien.

Vous mentionnez le « programme caché d’enseignement ». C’est bien ce que j’ai dit. Je pense que cette expression est le reflet de la culture du monde médical dans de nombreux cas. Par exemple, les étudiants en première année de médecine à qui j’ai enseigné la semaine dernière m’ont entendue leur parler des erreurs médicales subies par des patients autochtones, ce qui fait partie des questions d’éthique. C’est l’un des sujets que j’aborde, ainsi que la question du consentement. Lorsque les étudiants commencent à pratiquer la médecine dans les divers services des hôpitaux, les salles d’opération et les cliniques, ils voient comment les choses se passent si l’on prend des raccourcis ou si les règles de consentement ne sont pas respectées. Ils apprennent également ces choses. Nous devons toujours être très conscients de l’exemple que nous donnons aux apprenants. Ils apprennent beaucoup en observant et en faisant partie du système, et c’est une façon d’apprendre qui est cachée.

Le problème du racisme systémique est lié à cela, et c’est pourquoi il existe encore. Je peux vous assurer que toutes les facultés de médecine du Canada enseignent à leurs étudiants en médecine et à tous les apprenants que ce comportement n’est pas acceptable. Pourtant, dans la pratique, on voit bien que le problème existe encore. Il se manifeste constamment dans le cas des patients autochtones. Les exemples sont légion. Le plus récent est celui de Joyce Echaquan et de ce qui lui est arrivé. Il se passe donc quelque chose entre le moment où les étudiants en médecine quittent la faculté et celui où ils se mettent à pratiquer leur profession, car ces comportements perdurent. C’est ce qu’il faut arrêter.

Quoi qu’il en soit, l’enseignement se fait dans tout le pays.

La deuxième partie de votre question portait sur...

La sénatrice Clement : Les collèges de médecins et de chirurgiens du pays...

Dre Cashin : Les normes de pratique sont fixées par nos collèges. Dans mon cas, je suis une spécialiste, donc c’est le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada qui fixe mes normes de pratique. Il a ses propres lignes directrices en matière d’éthique et de professionnalisme. L’Association médicale canadienne a ses propres lignes directrices en matière d’éthique et de professionnalisme. Dans mon cas et dans le cas de tous les médecins spécialistes du Canada, les attentes sont définies par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada. Nous sommes tous censés adhérer à ces lignes directrices. Le Collège fait actuellement un travail incroyable en revoyant ces lignes directrices pour y intégrer la lutte contre le racisme et la santé des Autochtones.

La sénatrice Clement : Merci.

Dre Ross : J’ajouterais que les organismes de réglementation de tout le pays intègrent également l’équité antiraciste, la diversité et l’inclusion dans leurs exigences liées au droit de pratique.

Je tiens à souligner que la communauté médicale est le reflet de la société dans son ensemble. Bien que nous soyons responsables au sein du système de santé, nous savons qu’il y a un travail important à faire dans la société en général pour lutter contre le racisme et braquer les projecteurs sur les comportements discriminatoires.

La sénatrice Boyer : J’aimerais vous parler d’Andrew Kotaska, qui a été président de l’Association médicale des Territoires du Nord-Ouest, qui a pratiqué la médecine pendant des années dans des départements d’obstétrique et de gynécologie de Toronto, du Manitoba et de l’Université de la Colombie-Britannique et qui a publié des articles sur les patients autochtones, le consentement éclairé et l’éthique.

En juillet 2019, grâce à une échographie à distance, il a posé un diagnostic sur une femme inuite de 37 ans et l’a opérée d’un kyste douloureux sur son ovaire droit à l’hôpital territorial Stanton en 2021. Elle a consenti à l’ablation de sa trompe de Fallope droite et de son ovaire, si nécessaire. Il a enlevé la trompe de Fallope et l’ovaire droits, puis il a aussi enlevé la trompe de Fallope et l’ovaire gauches. Il s’est dit qu’il lui fallait trouver une raison d’enlever la trompe gauche. Il a stérilisé sa patiente pour toujours.

Une action civile a été intentée en avril 2021 pour réclamer un montant de 6,5 millions de dollars. Une plainte officielle a été déposée auprès de l’Administration des services de santé et des services sociaux des Territoires du Nord-Ouest, et une audience a eu lieu. La commission d’enquête a conclu que ce médecin ne s’était pas acquitté de ses responsabilités, comme le veut le code d’éthique et de professionnalisme. Elle a suspendu le droit de pratique du médecin pour une durée de cinq mois. Il a été condamné à payer 20 000 dollars de frais et à suivre un cours de déontologie. Il travaille et vit actuellement en Colombie-Britannique. Cette histoire rejoint les propos du sénateur McBean. J’aimerais que vous nous fassiez vos commentaires à ce sujet, s’il vous plaît.

Dre Ross : De mon point de vue, je trouve de telles histoires profondément troublantes et accablantes à bien des égards, mais elles nous indiquent que nous avons encore un long chemin à parcourir. Le code d’éthique et de professionnalisme que l’Association médicale canadienne a proposé et mis à jour au cours des cinq dernières années est notre cadre de référence, et nous devons nous efforcer de sensibiliser la profession médicale, de l’impliquer et de l’amener à respecter ce code. Il s’agit d’un exemple de cas où la norme n’a pas été respectée, et je pense que nous devons faire mieux.

La sénatrice Boyer : Merci.

Le sénateur Dalphond : Je crois que vous avez dit dans certaines de vos réponses, y compris à l’une de mes questions et à une autre, que vous vous sentiez protégée lorsque vous pratiquez une intervention chirurgicale urgente. Je pense que vous avez dit que la loi offre une protection dans de tels cas. Vous vous appuyez, semble-t-il, sur l’article 45 du Code criminel, qui protège les personnes — y compris les médecins, bien sûr — de la responsabilité pénale à condition qu’ils agissent avec des soins et une habileté raisonnables et à condition qu’il soit raisonnable de pratiquer l’opération, compte tenu de l’état de santé du patient et des circonstances. Savez-vous que ce projet de loi prévoit que l’article 45 ne s’appliquerait pas?

Dre Ross : C’est encore plus préoccupant. Comme je l’ai dit, je ne suis pas juriste, mais je peux parler des normes éthiques.

Le sénateur Dalphond : Je suis avocat de formation. Je suis désolé.

Dre Ross : Je peux parler des normes éthiques et du cadre de référence qui devrait guider la profession médicale. Je connais la réalité : des urgences se produisent et, en tant que médecin pratiquante et respectueuse de l’éthique, je peux dire que mes collègues et moi faisons de notre mieux pour protéger les patients.

Le sénateur Dalphond : Je comprends, mais quand vous dites que vous vous sentez protégée, vous vous appuyez sur l’article 45 du Code criminel?

Dre Ross : Oui.

Le sénateur Dalphond : Merci.

La vice-présidente : Merci d’avoir soulevé cette question. J’allais le faire à la fin si elle ne l’avait pas été.

Merci beaucoup à nos témoins. Vous nous avez apporté des points de vue précieux aujourd’hui. Merci d’avoir pris le temps de répondre à nos questions.

Honorables sénateurs, nous reprenons la séance publique pour poursuivre notre étude du projet de loi S-250.

Pour ce qui est de notre deuxième panel, nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui Me Sarah Niman, directrice principale des services juridiques de l’Association des femmes autochtones du Canada, et Me Pam Hrick, directrice exécutive et avocate générale du Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes.

Bienvenue, et merci de vous joindre à nous.

Nous commencerons par les déclarations liminaires de Me Niman et de Me Hrick. La parole est à vous pour cinq minutes lorsque vous êtes prêtes. Nous commencerons par Me Niman.

Me Sarah Niman, directrice principale des services juridiques, Association des femmes autochtones du Canada : Bonjour et boozhoo, honorables membres du comité.

Je vous remercie d’avoir invité l’Association des femmes autochtones du Canada à prendre la parole dans le cadre de votre étude du projet de loi S-250. Nous nous trouvons sur un territoire algonquin non cédé.

Je tiens également à remercier la sénatrice Yvonne Boyer.

Je vous remercie. Vous avez déposé ce projet de loi au nom des survivants de la stérilisation forcée.

Je tiens à remercier tous les sénateurs d’avoir adopté une approche unie à l’égard de ce projet de loi, car cette violation des droits de la personne relève de notre responsabilité collective.

Je suis honorée représenter ici l’Association des femmes autochtones du Canada, qui appuie le projet de loi S-250. Ce projet de loi est nécessaire et doit être adopté. C’est une façon de faire honneur aux survivantes et à la prochaine génération d’enfants autochtones en reconnaissant que ceux qui stérilisent les femmes autochtones par la force ou la coercition sont des criminels et des rouages de la machinerie coloniale. Il est grand temps que la législation de notre pays en tienne compte.

La stérilisation forcée des femmes autochtones est un acte de génocide. L’Association des femmes autochtones du Canada appuie l’adoption du projet de loi S-250, qui n’a que trop tardé. L’Association ne veut pas entraver sa progression. En plus de ce projet de loi, elle demande au Sénat d’envisager la rédaction de dispositions juridiques additionnelles et d’un plan d’action national, car cette approche permettra de soulever davantage les questions et les préoccupations en suspens liées à la stérilisation forcée.

Je m’en voudrais, en tant que représentante de l’Association des femmes autochtones du Canada, de ne pas vous faire part des dix questions les plus importantes qu’il faudrait intégrer au projet de loi pour qu’il soit pleinement conforme à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et à l’engagement clairement affirmé du Canada à favoriser la réconciliation. Le projet de loi doit préciser que les personnes les plus touchées par la stérilisation forcée appartiennent à un groupe marginalisé.

Premièrement, les survivantes méritent des excuses officielles et une reconnaissance de la part du gouvernement du Canada.

Deuxièmement, les réparations. La guérison des personnes victimes d’un génocide nécessite un soutien financier, culturel et psychologique. Ce soutien doit être adapté aux traumatismes subis et géré par les survivantes elles-mêmes.

Troisièmement, les femmes autochtones ont besoin de services de santé génésique qui sont offerts dans leur communauté et qui sont adaptés à leur culture et aux traumatismes qu’elles ont subis.

Quatrièmement, pour garantir que le seuil du consentement libre, préalable et éclairé puisse être atteint, des services d’interprètes en langue autochtone doivent être financés et mis à la disposition des patientes dans les établissements de santé.

Cinquièmement, la guérison. Nous devons former et financer un conseil consultatif pour aider les femmes qui ont subi une stérilisation forcée afin de faciliter leur guérison.

Sixièmement, la responsabilité. Nous devons aider les femmes autochtones à prendre des mesures pour que les autorités médicales, le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux rendent des comptes.

Septièmement, l’éducation. Nous avons déjà entendu parler de l’importance d’aller au-delà de la criminalisation de ces agressions en formant et en sensibilisant tous nos fournisseurs de soins de santé pour qu’ils soient bien renseignés sur les cultures autochtones, les droits de la personne, les droits des Autochtones, les problèmes de santé génésique des Autochtones ainsi que la signification du consentement libre, préalable et éclairé.

Huitièment, une collecte de données. Un système de collecte de données doit être établi à l’échelle du Canada afin de mieux comprendre l’ampleur du problème de la stérilisation forcée.

Neuvièmement, une enquête. Il faut que soit menée une enquête transparente qui prendrait en compte les traumatismes et qui serait menée à l’échelle du Canada en collaboration avec les populations autochtones et les survivantes dans le but d’examiner le problème de la stérilisation forcée et de veiller à ce que cette pratique disparaisse pour toujours.

Et dixièmement, les modifications législatives. En plus des modifications proposées dans le projet de loi S-250, l’Association des femmes autochtones du Canada estime qu’il est important d’étudier la question et de repérer les autres dispositions juridiques qui devraient être modifiées pour garantir l’efficacité du projet de loi S-250.

À titre d’exemple, nous vous signalons que la Loi canadienne sur la santé pourrait être modifiée pour y rattacher des dispositions réglementaires supplémentaires qui exigent des provinces qu’elles se mettent à jour et déterminent comment elles comptent gérer le problème de la stérilisation forcée après l’entrée en vigueur du projet de loi S-250.

Entre autres choses, le projet de loi S-250 ne prévoit aucun mécanisme de réparation. Depuis plusieurs années, l’Association des femmes autochtones du Canada réclame la création d’un système de réparation pour les survivantes de la stérilisation forcée. Nous pensons que le cadre juridique nécessaire est défini à l’article 8 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Un système de réparation permettrait au Canada d’expier cette tragédie qui le hante. Il lui permettrait de respecter ses obligations en vertu de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

Prévoir des compensations monétaires en guise de réparation n’effacerait pas les préjudices subis — rien ne saurait les effacer — mais cela constituerait un signal montrant qu’il est urgent de réparer les préjudices subis par des personnes que le Canada a terriblement maltraitées.

L’Association des femmes autochtones du Canada reste à la disposition des membres du comité pour répondre à leurs questions sur la déclaration que je viens de faire ou sur d’autres sujets de préoccupation.

Merci et meegwetch

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Me Pam Hrick, directrice exécutive et avocate générale, Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes : Bonjour, je m’appelle Pam Hrick. Je suis directrice exécutive et avocate générale du Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes.

Je suis heureuse d’être ici avec vous aujourd’hui, sur le territoire traditionnel et non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Je tiens à remercier mes collègues Kat Owens et Lou Lamari pour le travail qu’ils ont accompli en vue de ma comparution d’aujourd’hui.

Comme beaucoup le savent parmi vous, le Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes est une organisation caritative nationale qui utilise les tribunaux, des propositions de modifications législatives et l’éducation juridique publique pour défendre la cause de l’égalité des femmes, des filles ainsi que des personnes trans ou non binaires. Nous sommes à l’œuvre depuis près de 40 ans.

Je vous remercie de m’avoir invité aujourd’hui à m’exprimer sur le projet de loi S-250.

Je tiens à saluer le courage des survivantes qui ont fait entendre leurs voix, notamment devant votre comité et d’autres comités sénatoriaux, pour exiger la fin de la pratique de la stérilisation forcée.

Je tiens à féliciter la sénatrice Boyer pour le travail de cheffe de file qu’elle a accompli en présentant ce projet de loi.

Comme l’ont dit déjà des témoins entendus par votre comité, la stérilisation forcée est une violation des droits de la personne et un crime dont les femmes autochtones sont victimes dans une proportion beaucoup plus grande que le reste de la société. Les femmes noires, les femmes handicapées, les femmes pauvres et les enfants intersexués ont également été victimes de la stérilisation forcée au Canada. Cette pratique est une violation majeure des principes de l’égalité des sexes et du respect de l’intégrité corporelle, violation qui est empreinte de racisme, de colonialisme, de capacitisme et de sexisme.

Le Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes appuie l’idée d’ajouter une disposition au Code criminel qui ferait de stérilisation forcée une infraction. Nous ne nous prononçons pas à la légère. Comme l’ont dit des membres de votre comité, le système de justice pénale ne protège pas les membres des communautés marginalisées du Canada, en particulier les femmes autochtones, racisées et handicapées, et leur cause des préjudices.

Les dispositions du projet de loi relatives aux infractions s’appliqueront très probablement aux fournisseurs de soins de santé qui jouissent de privilèges et sont en situation d’autorité ou de confiance par rapport à leurs patientes. Ériger la stérilisation forcée en infraction dissipera tous les doutes quant à l’illégalité de cette pratique. Les nouvelles dispositions pénales serviront de moyen de dissuasion et de communication visant les professionnels de la santé, les organismes de réglementation et les associations professionnelles.

Il est important que la définition d’une infraction précise des circonstances étroites et ciblées. Ainsi, l’opération de stérilisation qui est définie dans le projet de loi englobe les actes dont le but premier est d’empêcher chirurgicalement ou définitivement la conception. Elle n’englobe pas les actes qui ont pour effet d’empêcher la conception, mais qui ont un autre objectif principal, comme le traitement de maladies telles que le cancer, les fibromes utérins ou l’endométriose.

En outre, comme l’a souligné la sénatrice Boyer dans son témoignage, de nombreuses personnes peuvent vouloir subir une opération de stérilisation. Ce projet de loi leur permet de demander une opération de ce genre et, ce qui est essentiel, de consentir à la subir.

Nous vous recommandons toutefois d’amender le projet de loi afin de supprimer l’obstacle au consentement pour les personnes âgées de moins de 18 ans. Cela serait conforme à l’approche standard du consentement aux traitements médicaux pour les mineurs, qui est axée sur la question de savoir si la personne est en mesure de comprendre la nature et le but du traitement et ses conséquences raisonnablement prévisibles. Prévoir un âge minimum pour consentir à un traitement dans ces circonstances aurait comme conséquence, selon nous, d’ouvrir la porte à l’établissement de limites d’âge pour qu’une personne puisse consentir à un traitement médical dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive, par exemple, l’avortement.

Le projet de loi à l’étude est un point de départ important pour la prévention et la responsabilisation. Cependant, comme l’a dit Me Niman dans sa déclaration liminaire, tous les pouvoirs publics, ainsi que les acteurs non gouvernementaux dans les secteurs de la santé et de l’éducation, doivent prendre des mesures pour mettre fin à la stérilisation forcée. Des travaux de recherche supplémentaires doivent être réalisés sur cette pratique, et des données ventilées doivent être colligées. Un cadre doit être établi pour les réparations. Le gouvernement du Canada doit présenter des excuses officielles aux survivantes de la stérilisation forcée, y compris aux survivantes comme Mme Rabbit, qui est déjà venue témoigner devant votre comité.

Nous devons en outre faire davantage pour lutter contre la discrimination systémique dans les services de santé et garantir un accès équitable à ces services. Il s’agira notamment d’accroître la représentation des femmes autochtones dans le monde de la santé, y compris par l’intermédiaire des sages-femmes autochtones et des sages-femmes communautaires. Il sera nécessaire de former les responsables des services de santé contre le racisme et de leur permettre d’acquérir des compétences culturelles. Des services d’interprètes médicaux dûment formés devront être fournis. Un accès équitable à une éducation complète et culturellement adaptée en matière de santé sexuelle et génésique devra être assuré.

Je vous remercie du temps que vous m’accordez. Je serai heureuse de répondre à vos questions.

La vice-présidente : Merci beaucoup à toutes les deux.

La sénatrice Boyer : Ma question s’adresse à vous, Madame Niman. L’Association des femmes autochtones du Canada a continué à défendre avec vigueur les droits reproductifs des femmes, des filles ainsi que des personnes bispirituelles, transgenres ou de diversités identités de genre au Canada.

Comment envisagez-vous la mise en œuvre du projet de loi S-250 pour outiller et autonomiser les femmes et des filles autochtones dans la prise de décisions concernant leur santé génésique?

Me Niman : Merci pour votre question. L’Association des femmes autochtones du Canada a entendu les femmes autochtones et les personnes de diverses identités de genre qu’elle a consultées dire qu’elles comprennent déjà qu’elles ont droit à leur autonomie corporelle, mais ce que fait le projet de loi S-250, c’est qu’il inscrit ce droit dans la loi et qu’il veille à ce qu’il y ait des sanctions pénales pour ceux qui le violeraient. Comme je l’ai indiqué brièvement dans mon mémoire, cette approche doit faire partie d’une approche multidimensionnelle de lutte contre la discrimination systémique qui a engendré la pratique de la stérilisation forcée.

La sénatrice Boyer : Merci.

Le sénateur Dalphond : Bienvenue encore. Quand je suis entré, j’ai dit que je croyais vous reconnaître, car vous êtes déjà venu ici plusieurs fois. J’ai appris que c’était cinq fois. Nous avons devant nous un groupe de personnes qui excellent. Merci beaucoup d’être venues une nouvelle fois. Nous l’apprécions toujours.

Ma question porte sur l’âge, maître Hrick. Vous dites que votre groupe représente aussi les personnes transgenres. Cela pose-t-il problème? Je pense que la sénatrice Simons a soulevé cette question hier ou lors d’une réunion précédente, à savoir que la définition des opérations de stérilisation incluse dans le projet de loi pourrait inclure les personnes qui souhaitent changer de sexe, par exemple, une femme qui veut devenir un homme ou un autre cas du genre où une certaine forme de stérilisation aurait lieu. Cela vous préoccupe-t-il votre organisation?

J’ai deux questions. Je veux vous entendre sur la question de la limite d’âge, au sujet de laquelle vous avez commencé à nous fournir des explications, et sur la question des personnes qui n’ont pas encore 18 ans et qui voudraient subir une opération chirurgicale en vue de changer de sexe, par exemple.

Me Hrick : Je vais prendre les questions dans l’ordre. En ce qui concerne la limite d’âge, nous dirions qu’il s’agit d’une question de soins de santé sexuelle et reproductive. En termes d’approche, nous voudrions être cohérents avec la prestation générale de ces soins, mais avoir une approche axée très précisément sur le préjudice que ce projet de loi tente d’éviter.

En common law, on applique généralement la doctrine du mineur mature, qui régit le consentement aux traitements médicaux. L’accent serait mis sur la capacité du mineur à consentir. Nous ne pensons pas qu’il y ait un grand nombre de personnes de moins de 18 ans qui voudraient subir une opération de stérilisation dans le but principal — et je veux mettre l’accent sur cette formulation, que l’on a bien fait d’employer, à mon avis, dans le texte de ce projet de loi — dans le but principal donc d’empêcher de façon permanente la conception. Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles nous vous suggérons de supprimer la limite d’âge. C’est que nous ne voudrions pas créer un précédent qui permettrait de fixer des limites d’âge en droit pénal pour d’autres soins de santé.

S’agissant de la deuxième partie de votre question, qui concerne ce que l’on pourrait appeler plus justement les soins d’affirmation de genre, je vous dirais que c’est un point qui a été soulevé également lors de nos discussions en vue de définir la position que nous allions adopter sur ce projet de loi. Ce que nous apprécions dans ce projet de loi, c’est qu’il est très ciblé. Il ne faut pas oublier la question du but premier, qui doit être la prévention de la conception.

En ce qui concerne les opérations faisant partie des soins d’affirmation de genre, il y en a un large éventail qui ne ressemble pas du tout au cas particulier et très rare où une mineure aurait à subir une opération de ce type. Je pense aussi que la situation serait claire. L’objectif de ce projet de loi n’est pas d’empêcher les soins d’affirmation du genre, qui ont pour but premier de permettre à une personne d’affirmer son genre plutôt que d’empêcher la conception. Voilà ce que je répondrais.

Le sénateur Dalphond : C’est pourquoi vous vous dites favorable à une interprétation très étroite basée sur l’objectif du projet de loi?

Me Hrick : Exactement.

Le sénateur Dalphond : Merci.

Le sénateur Prosper : Merci aux témoins pour leur témoignage. J’ai une question pour Me Niman. Elle porte sur le consentement éclairé.

Je comprends qu’un certain nombre de considérations doivent être prises en compte lorsqu’il est question de groupes marginalisés et de femmes autochtones. Vous avez parlé des interprètes, par exemple. Je me demande quelles autres considérations vous jugeriez pertinentes lorsque nous discutons du consentement éclairé.

Me Niman : Merci de me donner l’occasion de m’exprimer sur ce sujet. L’Association des femmes autochtones du Canada a mené de nombreuses études, en particulier dans le domaine de la santé, sur ce qu’est le consentement éclairé, compte tenu de la discrimination endémique dont sont victimes les femmes autochtones dans ce domaine. Vous me demandez des exemples de ce à quoi cela pourrait ressembler. Dans le cas des choix futurs en matière de fertilité, il pourrait s’agir de discuter de la question avec la femme bien avant la date prévue de l’accouchement et de la mettre au courant des options qui s’offrent à elle : « Voici toutes les informations dont vous avez besoin. Maintenant, allez consulter votre famille, les gardiens du savoir, les anciens, et lorsque vous serez prête à faire une demande volontaire pour obtenir l’un ou l’autre de ces services, vous pourrez revenir nous voir et nous le demander. »

C’est contextuel, bien sûr. L’Association des femmes autochtones du Canada préconise non seulement le consentement libre, préalable et éclairé, mais aussi le choix libre, préalable et éclairé. Ainsi, selon la situation, en sachant que tout le monde n’a pas un accès semblable aux soins de santé dans un monde où sévit la discrimination systémique, s’il existe une possibilité de discussion libre, préalable et informée pour éclairer la personne devant faire un choix, l’Association des femmes autochtones du Canada tient pour acquis que le seuil à atteindre pour obtenir le consentement serait fondé sur la norme éthique, mais qu’il serait aussi déterminé au cas par cas en ayant conscience de la marginalisation subie par les femmes autochtones lorsqu’elles cherchent à obtenir des soins de santé.

Le sénateur Prosper : Merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je regarde la définition d’acte de stérilisation. En français, cela semble viser seulement les jeunes filles, mais en anglais, cela pourrait inclure les jeunes garçons. L’alinéa 268.1(1)(b) dit « any other act performed on a person ».

Le projet de loi vise-t-il seulement les jeunes filles, ou l’intention est-elle aussi de couvrir les garçons? On n’entend pas du tout parler des garçons, mais la version anglaise pourrait être interprétée comme incluant les garçons. Je voulais vous entendre là-dessus.

[Traduction]

Me Niman : Je vous remercie de la question.

L’un des amendements que propose l’Association des femmes autochtones du Canada consiste à préciser, dans le préambule, que bien que cette mesure vise à remédier aux préjudices causés par la stérilisation forcée, il convient de donner les raisons pour lesquelles la stérilisation forcée est survenue et de rappeler les conséquences coloniales qu’elle a entraînées, en particulier pour les femmes autochtones.

Je pense que votre question porte sur l’interprétation de la différence qui existe entre le texte anglais et le texte français. Je dirais que l’accès aux soins de santé et au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause est un droit de la personne, peu importe le sexe. Toute personne devrait pouvoir s’en prévaloir librement, peu importe son identité intersectionnelle, en tant qu’homme, femme ou personne d’identité de genre diverse autochtone.

Me Hrick : Je suis d’accord.

[Français]

Le sénateur Carignan : Habituellement, dans les projets de loi ou les infractions de type sexuel ou intime, il y a des dispositions pour protéger la victime, comme ordonner le huis clos, rendre des ordonnances de non-publication, empêcher un accusé non représenté de contre-interroger lui-même la victime... Il y a différentes ordonnances qui peuvent s’appliquer pour protéger la victime. Croyez-vous que ces ordonnances devraient également s’appliquer à la nouvelle infraction, afin que le tribunal ait la compétence requise pour protéger l’identité de la personne et son intégrité?

[Traduction]

Me Niman : L’Association des femmes autochtones du Canada est d’avis qu’il n’est pas nécessaire d’amender ce projet de loi pour refléter la situation que vous soulevez, parce qu’il existe déjà un cadre législatif qui permet de régler cette question précise.

[Français]

Le sénateur Carignan : Par contre, ce n’est pas prévu spécifiquement. Ce nouvel article n’est pas ajouté à la liste des compétences d’ordonnance de protection. Autrement dit, devrait-on ajouter dans le Code criminel un article précis, l’article 268.1, afin que le juge ait la compétence requise pour ordonner ces protections?

[Traduction]

Me Niman : Nous souhaitons que le projet de loi franchisse les différentes étapes du processus législatif. C’est pour cette raison que notre association ne proposera pas d’ajouter cet amendement si le faire devait retarder l’adoption du projet de loi. Je pense que vous mettez la charrue devant les bœufs lorsque vous parlez de la protection des victimes qui se trouvent dans la situation que vous décrivez. Il serait sage d’attendre de voir si ce projet de loi contribuera effectivement à protéger les victimes de stérilisation forcée et contrainte. Comme ma prédécesseure à l’Association des femmes autochtones du Canada l’a dit lors de son témoignage en comité en 2019, le meurtre est un acte illégal. Si on n’y met pas fin, il y aura une vague de femmes autochtones assassinées.

Alors que l’objectif principal de ce projet de loi est de criminaliser une conduite qui était jusqu’à présent autorisée par les politiques et la loi, l’objectif principal est de s’assurer que ceux qui commettent cet acte de génocide se voient infliger une sanction pénale.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je ne suis pas certain que ma question a été bien comprise. L’objectif est de protéger davantage la victime en assurant la protection de son identité et en évitant de mettre la personne qui est accusée en contact direct avec la victime pour la protéger. Avez-vous une objection à cela? J’ai peut-être mal compris.

[Traduction]

Me Niman : Merci. Votre reformulation m’aide à mieux comprendre, et je pense que je suis sur la même longueur d’onde. Je vous remercie d’avoir reformulé vos propos.

Non, l’Association des femmes autochtones du Canada ne s’opposerait pas à cela.

La vice-présidente : J’ai quelques questions pour Me Niman de l’Association des femmes autochtones du Canada.

J’aimerais discuter de votre recommandation concernant la nécessité de préciser ce qu’un médecin est tenu de faire pour obtenir le consentement pour une procédure de stérilisation. Votre proposition vise à garantir que les patients seront pleinement informés des solutions de rechange et des risques de ces procédures afin qu’ils comprennent bien ce qu’ils s’apprêtent à faire et qu’ils puissent donner un consentement véritablement éclairé.

Pourriez-vous nous expliquer plus en détail comment nous pourrions intégrer cette recommandation dans le texte du projet de loi S-250? Quelles précisions devrions-nous apporter pour que les obligations des médecins relativement au consentement soient définies explicitement dans la loi de manière à mieux protéger le patient, mais aussi à garantir la protection juridique des médecins?

Me Niman : Merci.

Avant de répondre à votre question, je tiens à souligner que je pense encore à ce qu’ont dit les témoins du groupe de témoins précédent, à savoir que de nombreux médecins ne réalisent pas qu’il s’agit d’un problème. Pour ce qui est de l’approche, l’une de nos suggestions serait d’assurer une collaboration avec les organismes provinciaux et les organismes chargés de délivrer les permis d’exercice de la médecine pour veiller à ce qu’il existe un seuil clair relatif au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Les médecins devraient avoir l’obligation formelle de démontrer qu’ils comprennent ce seuil pour conserver leur permis pour exercer la médecine. Je sais que ces exigences sont rigoureuses, mais elles ne le sont pas si vous tenez compte des répercussions de ces procédures.

Au Canada, nous continuons à préciser les seuils relatifs au consentement. Dans cette situation, il devrait y avoir une discussion avant l’accouchement, là où c’est possible, et là où il existe une relation continue entre un fournisseur de soins et une patiente en obstétrique, pour présenter les solutions de rechange — la patiente peut le demander, ou le médecin peut les présenter —, permettre à la patiente d’y réfléchir sérieusement avant de revenir, librement, avec son choix. Voilà le genre de seuils que nous recherchons, à l’Association des femmes autochtones du Canada.

La vice-présidenteLe projet de loi S-250 renferme deux articles distincts qui proposent de nouvelles infractions. Le paragraphe 268.1(2) porte sur l’acte de stérilisation et stipule qu’une personne pourrait être « coupable d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans ». Le nouveau paragraphe 268.1(7) porte sur la contrainte. Il édicte une infraction différente, mais la peine infligée serait la même.

Est-il pertinent, selon vous, de séparer ces deux paragraphes? Serait-il préférable de les regrouper, tout en conservant les mêmes caractéristiques? Que pensez-vous des peines potentielles évoquées?

Me Niman : Je pense que l’on a décidé de séparer ces deux paragraphes — et nous l’avons entendu tout au long des discussions au sein de ce comité —, car on parle de stérilisation forcée et de stérilisation contrainte et l’on reconnaît qu’il s’agit de deux procédures distinctes. Dans sa forme actuelle, le projet de loi peut inclure différentes formes de coercition et de consentement, sans avoir à définir l’un par rapport à l’autre. Cela offre une certaine souplesse, et permet d’agir au cas par cas.

Certains des exemples cités dans le rapport de la sénatrice Boyer, par exemple, correspondraient au niveau de non-consentement établi, mais pas tout à fait à celui qui est prescrit ici. Les femmes ne sont pas inconscientes, par exemple, ou elles n’ont pas la capacité mentale requise pour donner leur consentement. Dans les situations où l’on pourrait faire valoir un argument d’un côté ou d’un autre, ce projet de loi, avec cette séparation, donnera une marge de manœuvre à celles qui font respecter et affirment leur droit de ne pas être stérilisées de force ou sous la contrainte.

À l’Association des femmes autochtones du Canada, nous croyons qu’il est un peu trop tôt pour prévoir quelle peine devrait être infligée, car personne n’a encore été accusé de ces infractions. Par conséquent, je ne veux pas me prononcer sur le caractère approprié de la peine infligée à un médecin qui exercerait cet acte médical. Notre préoccupation porte davantage sur le caractère approprié des recours et de la réparation des torts causés.

Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue à nos invités.

Il est difficile de comprendre comment ce type d’agression — la stérilisation forcée et contrainte — peut se produire. On ne peut s’empêcher de se demander comment c’est possible. On s’attendrait à ce que les objectifs du projet de loi et les infractions criminelles qu’il renferme aient un effet dissuasif. De plus, on s’attendrait à ce que le protocole chirurgical soit une garantie de conformité; que l’hôpital et le médecin se conformeront à la loi. Me Niman a dit que, dans la mesure du possible, les patients doivent être consultés de façon appropriée et recevoir l’aide nécessaire. Elle a aussi parlé du consentement préalable et éclairé, que le personnel médical doit obtenir après avoir minutieusement expliqué l’intervention chirurgicale au patient avant qu’il ne la subisse, y compris les raisons pour lesquelles il la subit, les risques qui s’y rattachent et ce à quoi il doit s’attendre après l’intervention. Le patient doit également être informé de toutes les solutions de rechange possibles qu’il peut envisager. Ce n’est qu’à ce moment-là que le patient doit être invité à signer un formulaire de consentement éclairé.

Comment le milieu juridique peut-il collaborer avec les professionnels de la santé, les décideurs et les organisations de la société civile pour faire en sorte que ce projet de loi propose une approche globale et fondée sur les droits pour lutter contre cette criminalité et garantir la justice?

Me Hrick : Il existe, évidemment, des normes dans la loi et dans la pratique qui correspondent au modèle que les médecins devraient adopter, et que vous venez d’évoquer : il faut expliquer au patient la procédure proposée et les traitements disponibles et veiller à ce que toutes ces mesures soient prises avant d’obtenir le consentement préalable et éclairé.

Il va sans dire que si ce projet de loi est adopté, la collaboration entre les juristes, les organisations de la société civile et les médecins sera utile pour assurer la connaissance, le respect et l’adoption de normes appropriées. Cette collaboration permettra aussi aux associations médicales de donner des lignes directrices à ceux qu’elles gouvernent — les fournisseurs de soins de santé — pour assurer le respect des normes en matière de consentement qui sont énoncées dans ce projet de loi. Nous avons bon espoir qu’une définition très précise, bien articulée, étroite et claire de ce qui est autorisé et de ce qui ne l’est pas en matière de stérilisation et de la manière dont elle doit être effectuée aura un effet dissuasif. Elle dissuadera ceux qui sont en mesure d’exercer un acte de stérilisation de le faire, à moins que ces exigences précises ne soient respectées. Je pense que l’adoption de ce projet de loi aura un véritable effet dissuasif et une réelle incidence.

Le sénateur Klyne : Merci.

Me Niman : Je vois votre mise en ce qui a trait à la collaboration et je relance — il est important de veiller à ce que les collectivités autochtones soient incluses dans les efforts de collaboration. Les seuils relatifs au consentement n’ont pas joué en leur faveur jusqu’à présent, de sorte que la solution à adopter doit tenir compte du fait que les systèmes juridiques autochtones et les collectivités autochtones ont des conceptions différentes de ce qu’est le consentement. Pour que le génocide cesse — du moins par la stérilisation forcée —, leur collaboration doit être un élément prioritaire également.

La sénatrice Clement : Vos témoignages sont toujours excellents et j’abonde dans le sens du sénateur Dalphond. Nous nous réjouissons toujours de vous voir ici. C’est utile chaque fois.

J’aimerais vous interroger au sujet du fossé qui existe entre le projet de loi et ce que la société canadienne sait. Mes nièces et mes neveux s’intéressent aux travaux du Sénat, ce que j’adore. Je les en remercie. Lorsque je leur ai parlé du projet de loi, ils m’ont dit : « Je ne comprends pas, c’est quelque chose qui se produit? » Ils sont choqués en tant que jeunes.

Par ailleurs, je ne sais pas si vous avez suivi notre réunion d’hier, mais nous avons reçu une lettre de la GRC. On nous y informait qu’aucun de ses représentants ne viendrait comparaître en tant que témoin. Je vous en lis un extrait :

Les allégations de stérilisation forcée sont relativement rares dans le paysage criminel canadien. En 2019, on a informé le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes qu’aucune allégation de stérilisation forcée n’avait été rapportée à la GRC.

C’est peut-être vrai, mais est-ce rare? Qu’en savons-nous? Vous avez toutes deux parlé de la collecte de données dans vos déclarations préliminaires. De quoi s’agirait-il? Comment cela devrait-il être fait? Est-ce la réponse à ce fossé? C’est que des témoignages que nous avons entendus et les recherches de la sénatrice Boyer indiquent le contraire — soit que ce n’est pas aussi rare que le dit la GRC.

Me Hrick : Je dirai tout d’abord ce qui me semble évident, à savoir qu’il est difficile d’évaluer la fréquence de ce type de comportement en se basant sur les signalements de femmes autochtones — qui sont touchées de manière disproportionnée — à la GRC, compte tenu du rôle joué par la GRC dans l’existence du racisme systémique. Je pense que nous sommes tous d’avis qu’il ne s’agit pas d’une mesure fiable de la fréquence de cette pratique.

Je laisse à Me Niman le soin de parler de la manière dont la collecte de données pourrait se dérouler pour que nous ayons une véritable idée de la fréquence de ce comportement, étant donné qu’il s’agit de l’une des recommandations qu’elle a formulées, bien entendu.

Me Niman : Merci. La collecte de données est un élément. Il faudrait certainement qu’elle soit menée par les Autochtones et les survivantes, ce qui serait à la base d’une pratique qui tient vraiment compte des traumatismes. Comme nous l’avons entendu dans le cadre des travaux de la sénatrice Boyer devant ce comité, revenir sur ces questions est très traumatisant et il n’est pas dans l’intérêt de l’Association des femmes autochtones du Canada de faire subir à une personne plus de mal que ce à quoi elle a déjà survécu.

Je ne suis pas surprise que de nombreux Canadiens n’en aient pas entendu parler, car cela signifie que le colonialisme fonctionne. Comme l’a dit la chercheuse Karen Stote, la raison pour laquelle plus de femmes autochtones que de femmes non autochtones sont stérilisées de force, c’est qu’elles seront moins nombreuses. Elles seront moins nombreuses à avoir des droits relatifs aux terres que le gouvernement est tenu d’affirmer et de reconnaître.

Il n’est pas étonnant que les gens n’en aient pas entendu parler, car ils ne sont pas directement touchés. Il y a aussi la honte qui accable les survivantes qui hésitent à raconter leurs expériences parce qu’elles en assument une responsabilité personnelle dans le contexte d’un génocide qui se poursuit. Cela fonctionne. Or, en parlant de ces expériences, en déposant le projet de loi à l’étude, en demandant des comptes au Canada et en offrant des recours, des excuses et la réparation, nous faisons connaître les effets de ces activités génocidaires.

La sénatrice Simons : Maître Niman, je tiens à dire que les idées que vous avez présentées dans votre exposé sont excellentes et peut-être même plus efficaces que des sanctions pénales. Certaines des choses dont vous parlez relèvent du bon sens — avoir des interprètes non seulement pour les personnes qui parlent le déné et le cri, mais aussi pour celles qui parlent l’ourdou. Il y a tellement de femmes qui ne peuvent pas comprendre ce à quoi elles consentent dans diverses situations à cause de la barrière des langues.

Par ailleurs, ce que vous avez dit sur l’éducation, l’interprétation et d’autres formes d’accès... Car, lorsqu’il s’agit de corriger le problème, envoyer quelqu’un en prison est probablement une solution moins efficace que d’examiner de manière globale les raisons pour lesquelles nos services médicaux ne fournissent pas des services de façon égale aux gens — hommes et femmes — en fonction de leur position quant à l’intersectionnalité.

Cela dit, je voudrais poser ma question à Me Hrick. Il y a un élément dont nous n’avons pas parlé aujourd’hui, bien que nous l’ayons fait hier. Il s’agit du dernier paragraphe du projet de loi, qui porte sur la contrainte. Il stipule que toute personne qui en contraint une autre à se faire stériliser peut faire l’objet d’une sanction pénale. En discutant avec des représentants du ministère de la Justice hier, j’ai dit qu’il pouvait s’agir d’un mari, d’une femme, d’une belle-mère, d’un travailleur social, d’un conseiller d’orientation scolaire — bref, de toutes sortes de personnes. Avez-vous des inquiétudes quant à la portée de la disposition, en particulier parce que « contrainte » n’est pas définie dans le projet de loi?

Me Hrick : Il faut juste que je retrouve le libellé ici pour l’avoir sous les yeux moi aussi. Je comprends la remarque et je pense qu’il faut faire en sorte que, quelle que soit la forme finale que prendra le projet de loi, il sera mûrement réfléchi et aura une portée limitée.

Au cours de l’échange d’hier, j’ai cru comprendre que vous posiez également des questions sur les soins d’affirmation de genre. Je voulais profiter de l’occasion pour inciter le comité à envisager la possibilité de recevoir des personnes qui sont des chefs de file au sein d’organisations de personnes trans qui sont dirigées par des personnes trans également.

La sénatrice SimonsJe le souhaiterais également.

Me Hrick : Formidable.

La sénatrice Simons : Alors, j’aimerais terminer sur ce sujet. Vous avez dit que vous interpréteriez le projet de loi de manière très étroite, qu’il ne s’agirait que des cas où l’objectif principal est la stérilisation à des fins de contraception. Ce qui me préoccupe, c’est que le projet de loi dit quelque chose de flou à cet égard, mais il dit aussi, comme une sorte de fondement principal, que l’article 45 ne s’applique pas, que chaque acte de stérilisation est illégal, jusqu’à preuve du contraire. Je me demande si cela ne prive pas les médecins des protections dont ils bénéficient habituellement et si cela ne risque pas d’avoir un effet dissuasif. Le Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes se bat depuis des générations pour que les femmes aient accès aux soins génésiques, ce qui inclut le droit à la ligature des trompes. À l’époque de ma mère, elle avait besoin de la permission de mon père pour se faire ligaturer les trompes. Je m’inquiète de l’effet dissuasif qui pourrait amener les médecins à décider que, puisque la formulation est si obscure, ils ne vont offrir ce service à personne parce qu’ils ne veulent pas se retrouver accidentellement avec des sanctions pénales pour avoir fait leur travail.

Me Hrick : Je voudrais revenir sur les observations des Dres Ross et Cashin, bien que je comprenne qu’elles se soient imposé des limites dans leurs propres observations quant à leurs sentiments par rapport à la formulation qui est incluse ici.

À mon avis, ce que nous voulons garantir, c’est que pour toute loi qui criminaliserait une stérilisation forcée, et encore une fois, la formulation relative au but premier est importante, il soit clair qu’il n’y a pas d’interdictions, par exemple, et d’effets dissuasifs. Je suis aussi d’avis que la mesure législative ne doit pas nuire à la capacité d’un médecin de discuter avec sa patiente de toutes les options qui s’offrent à elle.

La sénatrice Simons : C’est un aspect qui nous préoccupait également.

Me Hrick : S’il existe une formulation plus claire qui permettrait de s’assurer que c’est bien le cas, tout en s’attaquant au cœur des préjudices importants que cette pratique a causés aux femmes autochtones, en particulier, au fil des ans, je pense qu’elle serait bien accueillie par les médecins et les fournisseurs de soins de santé, qui font ce travail quotidiennement.

Je dirais également que nous voudrions veiller à ce que les étapes qui peuvent être suivies soient claires lorsqu’il s’agit d’en arriver à une façon de procéder qui soit légale et fondée sur un consensus.

La sénatrice Simons : Je pense que les étapes décrites aux paragraphes 5 et 6 sont bonnes. Je m’inquiète seulement de ce qui peut se passer d’un côté ou de l’autre.

La vice-présidente : Encore une fois, merci beaucoup à nos témoins d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer aujourd’hui et de répondre à nos questions. S’il n’y a pas d’autres questions ou sujets que les membres du comité souhaitent soulever, je vous remercie, sénateurs et sénatrices.

(La séance est levée.)

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