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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 10 avril 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner le projet de loi S-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je suis la sénatrice Jaffer, présidente du comité. Les sénateurs vont se présenter, en commençant par la vice-présidente.

La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.

[Français]

Le sénateur Carignan : Bonjour. Claude Carignan, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Sénateur Don Plett. Je viens du Manitoba.

[Français]

La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta.

Le sénateur Klyne : Bienvenue. Marty Klyne, de la Saskatchewan, du territoire visé par le Traité no 4.

Le sénateur Prosper : P. J. Prosper, je viens de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, du territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice McBean : Marnie McBean, de l’Ontario.

Le sénateur Cotter : Je suis Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan.

La sénatrice Boyer : Yvonne Boyer, de l’Ontario.

[Français]

Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs et sénatrices, nous nous réunissons afin de commencer notre étude du projet de loi S-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial.

Dans le cadre de notre premier groupe de témoins, et comparaissant pour la première fois devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, nous accueillons l’honorable Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique. Bienvenue, monsieur le ministre. Nous sommes absolument ravis de vous recevoir ici aujourd’hui. Nous allons commencer par votre déclaration.

J’ai oublié de mentionner que le ministre est accompagné de ses représentants d’Environnement et Changement climatique Canada : Julien Landry, gestionnaire en politiques législatives, Gouvernance législative; Stephanie Lane, directrice exécutive, Gouvernance législative; et Carolina Caceres, directrice, Politique de la biodiversité internationale. Nous recevons Robert Brookfield, directeur général et avocat général principal, Section de la politique en matière de droit pénal; et Aleksander Godlewski, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, du ministère de la Justice du Canada.

Bienvenue à vous tous et merci de vous joindre à nous.

L’honorable Steven Guilbeault, c.p., député, ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Environnement et Changement climatique Canada : Honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité à discuter du projet de loi S-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial.

Il ne fait aucun doute que les Canadiens ont une grande affection pour les animaux, pour les animaux domestiques, mais aussi pour les animaux sauvages. Notre gouvernement a pris des mesures pour renforcer la protection des animaux partout au Canada, parce que les Canadiens le veulent, mais aussi parce que c’est la bonne chose à faire. Par exemple, nous prenons des mesures importantes pour réduire la dépendance à l’égard de l’utilisation d’animaux dans les tests de substances toxiques et nous avons interdit l’utilisation d’animaux dans les tests de cosmétiques. Nous avons aussi renforcé les protections offertes aux animaux en élargissant la portée des infractions relatives à la bestialité et au combat d’animaux, et nous avons pris des mesures pour mettre fin à la captivité des cétacés à la suite de l’adoption du projet de loi du Sénat.

[Français]

Récemment, notre gouvernement a introduit des mesures réglementaires qui restreignent considérablement l’importation et l’exportation d’ivoire d’éléphant et de cornes de rhinocéros. Ces mesures sont parmi les plus strictes au monde et montrent l’engagement du Canada à protéger les animaux et à protéger, conserver et améliorer la biodiversité ici et partout sur la planète. Malgré ces progrès, le gouvernement reconnaît que d’autres mesures sont nécessaires pour protéger les animaux sauvages et ceux qui sont en captivité au Canada. C’est pourquoi nous avons présenté le projet de loi S-15 au Sénat le 21 novembre 2023. Le projet de loi S-15 modifierait le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial, afin d’éliminer graduellement la captivité des éléphants et des grands singes au Canada, sauf dans des circonstances limitées.

[Traduction]

Parallèlement au projet de loi S-15, Environnement et Changement climatique Canada dirigera une mobilisation nationale avec les provinces, les territoires, les peuples autochtones, les experts et les intervenants pour discuter d’un éventail de questions liées aux animaux en captivité au Canada.

L’objectif de cette mobilisation nationale sera de collaborer afin de cerner les lacunes en matière de protection du bien-être des animaux et de sécurité publique, et d’encourager l’amélioration des normes relatives à la captivité d’animaux sauvages dans l’ensemble du pays tout en respectant la compétence des provinces et territoires.

Comme vous le savez peut-être, la compétence sur les animaux en captivité est partagée entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Les provinces et les territoires canadiens sont les principaux responsables de la réglementation des zoos et de la protection du bien-être des animaux. Toutes les provinces et tous les territoires ont des lois sur la protection des animaux, et la plupart réglementent la captivité d’animaux sauvages par des particuliers et des zoos, y compris en établissant des normes pour leurs soins. Les lois criminelles fédérales qui protègent les animaux mettent principalement l’accent sur la prévention de la cruauté envers les animaux. C’est exactement ce que vise le projet de loi S-15.

[Français]

L’approche adoptée en vertu du projet de loi S-15 pour protéger les éléphants et les grands singes suit une approche semblable au régime existant, qui interdit la captivité des baleines et des dauphins au Canada. En 2019, le Parlement a interdit la captivité des cétacés au motif qu’elle est cruelle en raison de leurs capacités cognitives élevées, de leur structure sociale et des effets physiques et mentaux néfastes de la captivité sur ces créatures.

Par l’entremise du projet de loi S-15, notre gouvernement a choisi de s’appuyer sur cette approche pour protéger certains animaux qui ne devraient pas être gardés en captivité à des fins purement privées, de divertissement ou d’exposition publique. L’engagement national permettra de s’assurer que les questions plus vastes liées au bien-être des animaux en captivité seront abordées en s’appuyant sur les rôles fédéraux, provinciaux et territoriaux existants.

L’évolution de l’opinion publique et surtout les preuves scientifiques nous indiquent que les éléphants et les grands singes ne devraient pas être gardés en captivité, en dehors de circonstances limitées et spécifiques, en raison de la cruauté que cela représente. Comme les cétacés, les éléphants et les grands singes présentent de multiples indicateurs de bien-être négatifs lorsqu’ils sont gardés en captivité, y compris des problèmes de santé physique et des signes de détresse psychologique.

Par exemple, parce qu’il s’agit d’espèces qui ont une espérance de vie importante, qu’elles ont des facultés cognitives élevées et qu’elles sont intrinsèquement sociales, les éléphants et les grands singes ont une combinaison unique de caractéristiques qui les rendent plus susceptibles que les autres animaux de faire face à une détresse psychologique en captivité. En conséquence, ils souffrent de graves troubles de santé mentale, y compris l’agressivité pathologique, l’automutilation et les comportements ressemblant à la dépression.

[Traduction]

Il est essentiel que nous agissions pour protéger les éléphants et les grands singes, comme le Parlement l’a fait pour les cétacés en 2019. Le projet de loi S-15 modifierait le Code criminel afin d’interdire la possession, la reproduction, la fécondation ou l’omission de prendre des mesures raisonnables pour empêcher l’élevage naturel d’un éléphant ou d’un grand singe qui est gardé en captivité. Un éventail d’activités associées à l’utilisation de ces animaux pour le divertissement dans un spectacle, comme lorsqu’ils sont forcés d’effectuer des tours ou de promener des gens, seraient également interdites, sans exception. Cependant, cette prohibition n’interdirait pas l’observation publique du comportement naturel des animaux ou des pratiques requises pour leur prise en charge lorsqu’ils sont autrement détenus légalement.

Le projet de loi S-15 vise à éliminer graduellement la captivité en exemptant les éléphants et les grands singes qui sont actuellement gardés dans les zoos, ainsi que leur progéniture si les bêtes sont enceintes au moment de l’entrée en vigueur du projet de loi. En d’autres termes, la captivité existante d’éléphants et de grands singes au Canada pourra se poursuivre, mais la nouvelle captivité, la reproduction, l’importation et l’exportation cesseront, sauf dans des circonstances limitées et autorisées.

Il est important de reconnaître le rôle que les zoos canadiens peuvent jouer dans l’étude et la conservation des animaux sauvages. C’est pourquoi, en vertu du projet de loi S-15, le gouvernement fédéral ou les gouvernements provinciaux et territoriaux pourraient autoriser la nouvelle captivité ou la reproduction d’éléphants et de grands singes dans le cadre d’un programme de recherche scientifique ou de conservation. Cela permettra aux zoos de continuer d’apporter de précieuses contributions à la conservation et à la recherche scientifique, tout en mettant progressivement fin à la captivité des éléphants et des grands singes à des fins purement privées, de divertissement ou d’exposition publique.

Il peut également y avoir des circonstances où la captivité est dans l’intérêt du bien-être d’un animal individuel. Le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux ou territoriaux pourraient également autoriser une nouvelle captivité pour cette raison. Ces exemptions visent à saisir le petit nombre de situations où la captivité de ces animaux peut être justifiée par un objectif impérieux, mais à indiquer clairement qu’en général, ces animaux ne devraient pas être gardés en captivité.

Parallèlement au Code criminel, le projet de loi S-15 apporterait plusieurs modifications à la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial, ou LPEAVSRCII. L’un des principaux objectifs de ces amendements est de contrôler les échanges internationaux d’espèces inscrites à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, ou CITES.

Les populations d’éléphants et de grands singes sont presque toutes inscrites à l’annexe I de la CITES, la plus haute protection accordée par la convention. Cela signifie que, pour soutenir la conservation de ces animaux, l’importation et l’exportation d’éléphants et de grands singes sont déjà interdites à moins d’être autorisées. Présentement, avant de délivrer un permis en vertu de la LPEAVSRCII — heureusement, je n’ai pas à dire cela trop souvent dans mon discours —, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique détermine si l’importation ou l’exportation est autorisée en vertu de la CITES. Le projet de loi S-15 ajouterait une exigence supplémentaire selon laquelle chaque importation et exportation d’éléphants et de grands singes vivants doit être liée à un programme de recherche scientifique ou de conservation, ou être dans l’intérêt du bien-être de l’animal. Cela permettra au Canada de continuer de respecter ses engagements internationaux concernant la protection des espèces en voie de disparition, tout en facilitant l’élimination progressive de la captivité des éléphants et des grands singes au Canada.

Le projet de loi S-15 modifierait également la LPEAVSRCII pour exiger que les personnes qui possèdent des éléphants ou des grands singes au moment de l’entrée en vigueur m’informent, en tant que ministre fédéral responsable, qu’elles ont ces animaux. Cela permettra à Environnement et Changement climatique Canada d’établir des données exactes sur tous les éléphants et les grands singes en captivité et permettra au personnel d’application de la loi de faire la distinction entre les animaux qui sont exemptés et ceux qui ne le sont pas.

[Français]

Le projet de loi S-15 n’est qu’une partie de l’équation pour la protection des animaux sauvages en captivité. Il reste encore beaucoup à faire. Comme la compétence sur les animaux en captivité est partagée entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, ce travail est une responsabilité partagée.

Honorables sénatrices et sénateurs, nous devons continuer de travailler ensemble pour protéger les animaux sauvages. Comme nous le savons, ils n’ont pas de voix au Parlement. Nous devons donc faire ce qui est juste et agir dans leur meilleur intérêt. En éliminant graduellement la captivité des éléphants et des grands singes, le projet de loi S-15 fait un pas important vers l’atteinte de cet objectif.

Je serai heureux de répondre à vos questions et de travailler avec le Sénat pour veiller à ce que ces animaux bénéficient de la protection qu’ils méritent.

Merci.

[Traduction]

La présidente : Monsieur le ministre, merci de votre exposé. Je viens d’Afrique — de l’Ouganda — et j’ai été témoin de la destruction de troupeaux d’éléphants lorsque les éléphants et les singes sont capturés pour être envoyés dans d’autres pays, et c’est pourquoi je vous félicite pour ce projet de loi.

Nous allons commencer par le parrain du projet de loi, le sénateur Klyne.

Le sénateur Klyne : J’ai une question pour le ministre, et je vous souhaite à nouveau la bienvenue et vous remercie d’être ici ce soir.

Monsieur le ministre, après l’adoption par le Parlement de lois en 2019 visant à protéger les baleines et les dauphins contre les torts causés par la captivité, le gouvernement a introduit le projet de loi S-15 pour les éléphants et les grands singes. De nombreux scientifiques considèrent que ces espèces sont une source de préoccupation particulière en ce qui concerne leur bien-être en captivité en raison de leur conscience de soi, de leur intelligence, de leurs émotions, de leur capacité sociale et de leurs besoins complexes.

Avec les éléphants, nous constatons également des preuves importantes de torts causés par la captivité, selon les lettres d’experts en éléphants qui m’ont été soumises. Vous avez également mentionné dans votre commentaire que l’annexe I de la CITES prévoit déjà une certaine protection des éléphants.

Ma question est la suivante : pourquoi le gouvernement considère-t-il les éléphants et les grands singes captifs comme des espèces prioritaires pour l’obtention d’une protection légale?

M. Guilbeault : Merci de la question, sénateur Klyne.

Je pense que les politiques publiques devraient être guidées par les sciences, et de plus en plus de données scientifiques tendent à démontrer que, dans le cas des grands singes et des éléphants, la captivité est synonyme de cruauté pour bon nombre des raisons que j’ai décrites dans mon mot d’ouverture, mais également parce qu’ils ont de grandes capacités cognitives, de grandes compétences sociales et une bonne longévité.

Je serai heureux de les transmettre au comité, mais nous disposons d’un certain nombre d’articles scientifiques qui signalent que ces animaux ne sont pas faits pour vivre en captivité. Par conséquent, c’est un engagement que nous avons pris en 2021 à l’égard des Canadiens pendant la campagne électorale. Pour toutes ces raisons, nous tenons notre promesse.

Le sénateur Klyne : Dans l’intérêt du comité, pourriez-vous envoyer les articles au greffier?

M. Guilbeault : Oui, absolument.

Le sénateur Klyne : Merci.

La présidente : Nous allons maintenant passer au critique, le sénateur Plett.

Le sénateur Plett : Bienvenue, monsieur le ministre. Monsieur le ministre, bon nombre d’entre nous ne sommes aucunement en désaccord avec vous concernant l’intention, en bonne partie. Je pense que le désaccord tient parfois à la marche à suivre, et non pas à l’objectif final. La présidente a déjà parlé de cruauté associée au fait d’expédier des éléphants et d’exporter et d’importer des éléphants, mais, bien sûr, c’est déjà contraire à la loi. Ce n’est pas ce dont nous traitons ici. C’est contraire à la loi depuis de nombreuses années, et personne ne le fait.

Le parrain du projet de loi, le sénateur Klyne — et, d’ailleurs, Jane Goodall elle-même — nous ont dit que les grands singes au Canada vivent dans d’excellentes institutions. De plus, toutes les installations du Canada qui hébergent des éléphants, sauf une, ne les élèvent pas. Cela signifie donc bien sûr qu’ils mourront ou seront déplacés dans un autre établissement, mais les établissements ne les élèvent pas. Ils ne prévoient pas le faire. La seule institution qui le fait a, évidemment, beaucoup de place, et c’est à des fins de conservation et de capacité de recherche.

Pouvez-vous m’expliquer le problème concret que cette législation permet de régler? Je crois comprendre — et vous l’avez dit — que, en 2021, vous avez pris quelques engagements et que vous êtes en train d’y donner suite. Je suis juste un peu perplexe quant à ce que le projet de loi tente réellement de faire qui n’est pas déjà fait sauf pour créer, peut-être, un autre niveau de bureaucratie pour l’obtention de permis.

M. Guilbeault : Je vous remercie de la question, sénateur Plett. Je n’étais pas au courant des commentaires formulés par le sénateur Klyne ou Jane Goodall auxquels vous avez fait allusion, mais nous étions tous les deux à l’événement organisé par le sénateur Klyne un peu plus tôt aujourd’hui, où elle a dit qu’elle pense qu’aucun animal ne devrait vivre en captivité.

L’objet du projet de loi est d’éliminer graduellement la captivité des éléphants et des grands singes au Canada. Sans ce projet de loi, il serait possible que certaines institutions continuent de le faire. Ce serait assujetti à un certain nombre de conditions, mais elles pourraient tout de même de continuer de le faire. Le projet de loi permettra, au fil du temps, d’éliminer graduellement cette pratique jusqu’à ce que ces animaux ne soient plus en captivité, sauf, comme je l’ai dit dans mes commentaires, dans des circonstances très précises.

Le sénateur Plett : Merci, monsieur le ministre. Ces circonstances particulières seraient notamment à des fins de conservation et de recherche.

Si le projet de loi entrait en vigueur maintenant et qu’il n’y avait plus de reproduction d’éléphants pour quelque raison que ce soit, il faudrait, bien sûr, à peu près 60 ans avant que le dernier éléphant — un être très social comme nous en convenons tous — meure lentement par lui-même dans 60 ans.

Encore une fois, pour revenir à ce que la présidente a dit concernant les éléphants africains, la plupart des éléphants africains vivent dans des réserves. Ils ne sont pas dans la nature sauvage. S’ils quittent la réserve, ils sont probablement chassés et tués. Il y a des braconniers. Les pattes sont coupées, et les organes sont recueillis. Ils sont donc dans des réserves.

Nous parlons de captivité, et vous avez raison; nous étions à l’événement de Jane Goodall, et elle a dit qu’aucun animal ne devrait être en captivité. Son animal favori est un chien. Elle a parlé de rats. Les rats sont gardés en captivité afin de faire ce qu’ils sont censés faire, comme elle l’a dit, chasser les mines antipersonnel. Pour ce qui est des chiens, nous voyons des gens garder des saint-bernard et des grands danois dans des condos de 900 pieds carrés. En réalité, le seul établissement au Canada où des humains s’occupent d’éléphants... Je suppose que je n’appellerais pas cela captivité lorsqu’ils se trouvent sur une terre de 300 acres, où ils se promènent librement et ont la capacité d’entrer dans une grande et magnifique installation s’ils le veulent. Ils peuvent se promener dans la brousse et dans les pâturages, manger des pommes à même l’arbre. Je n’appellerais pas cela captivité.

Quelle est donc la différence, monsieur le ministre, entre une réserve en Afrique qui est peut-être un peu plus grande et une réserve au Canada?

M. Guilbeault : Merci de la question, sénateur Plett.

Je vais citer ces chiffres de mémoire. Si ce n’est pas exact, nous pourrons certainement fournir la bonne information au comité. De mémoire, si vous regardez le parc national Kruger en Afrique du Sud, il fait environ 22 000 kilomètres carrés par rapport à 300 acres pour celui que vous avez mentionné. Vous pouvez voir la différence. Il y a — comme la présidente le sait — de nombreuses et très grandes réserves en Afrique dans de nombreux pays différents, où le statut de ces animaux est très protégé. J’ai eu le plaisir — pas en tant que ministre de l’Environnement, mais dans ma vie antérieure — de visiter certaines d’entre elles. Pour ce qui est de l’échelle, la différence est immense.

Il y a aussi, évidemment, une différence climatique. Les éléphants et de nombreux animaux gardés en captivité au Canada peuvent, dans certaines circonstances dans notre pays, se promener un peu dans des enclos limités. Cependant, ils devront être ramenés à l’intérieur pour l’hiver. Ils ne sont pas faits pour résister à nos hivers. Pendant l’hiver, les conditions de vie de ces animaux sont beaucoup plus limitées pour ce qui est de l’espace qu’en été, quelque chose que vous ne verriez pas en Afrique d’où viennent ces animaux.

Il existe un certain nombre de différences importantes entre les conditions de vie ici et celles des réserves et des parcs nationaux d’Afrique.

Le sénateur Plett : Je ne veux pas entrer dans un débat, monsieur le ministre. Ce n’est pas l’objectif. Je suis ici pour poser des questions, vous êtes ici pour y répondre, et c’est ce que vous faites. À ce sujet, toutefois, le fait d’avoir des milliers d’éléphants dans une grande région ou d’en avoir 19 dans une région plus petite revient un peu à la même chose.

Nous allons entendre des experts plus tard qui disent que ces éléphants à Hamilton se portent en fait beaucoup mieux dans le froid que dans la chaleur en raison des mouches, des moustiques et de différents types d’insectes. Bien sûr, ils sont tous nés au Canada et se sont acclimatés en conséquence tout comme n’importe qui d’autre le ferait.

C’est un commentaire, monsieur le ministre, qui n’exige pas de réponse. Je vous remercie. S’il y a un deuxième tour, madame la présidente, s’il vous plaît...

La présidente : Je vais inscrire votre nom pour le deuxième tour.

Nous allons maintenant passer à la vice-présidente du comité, la sénatrice Batters.

La sénatrice Batters : Monsieur le ministre Guilbeault, je trouve vos priorités législatives curieuses. Vous avez demandé à votre ministère et aux rédacteurs législatifs du ministère de la Justice de consacrer beaucoup de temps et d’efforts à ce projet de loi, le projet de loi S-15. Vous avez accordé la priorité à ce projet de loi qui traite d’éléphants et de grands singes, et — comme on vient de le dire — ceux-ci sont déjà fortement protégés au Canada. Parallèlement, il y a six mois, la Cour suprême du Canada a statué que la plus grande partie du projet de loi C-69 et l’intégralité de son règlement d’application étaient inconstitutionnels. La loi renferme presque 200 articles, et la Cour suprême n’en a jugé que dix acceptables.

Monsieur le ministre, il y a six mois, vous avez alors immédiatement essayé de rejeter la décision de la Cour suprême, prétextant qu’il s’agissait d’un « avis ». Étant donné que vous comparaissez aujourd’hui devant le Comité sénatorial des affaires juridiques, monsieur le ministre, je vous informe que les décisions de la Cour suprême du Canada relativement à des renvois sont importantes et qu’il ne s’agit pas de simples avis.

En octobre, vous avez fait les déclarations suivantes au sujet de l’énorme réforme qu’il vous fallait apporter au projet de loi C-69, qui est en grande partie inconstitutionnel : « Nous sommes déterminés à nous y atteler rapidement... »; « Nous allons... travailler rapidement à l’amélioration de la législation au Parlement »; et « Il est nécessaire d’agir rapidement... »

Monsieur le ministre, pourquoi avez-vous décidé d’accorder la priorité au projet de loi S-15 concernant les éléphants et les grands singes très protégés plutôt qu’à la nécessité de remanier complètement le projet de loi C-69, vu son incidence massive sur des millions de travailleurs et de Canadiens?

M. Guilbeault : Comme je l’ai dit concernant la Loi d’évaluation d’impact du Canada, nous prévoyons aller rapidement de l’avant avec les amendements. J’espère fortement que vous verrez ces amendements au cours des prochaines semaines.

La sénatrice Batters : Monsieur le ministre, compte tenu du fait que le nombre d’éléphants et de grands singes en captivité au Canada est déjà extrêmement limité grâce aux mesures de protection robustes en place en raison de la législation et des accords internationaux actuels comme la CITES, pourriez-vous expliquer les raisons précises qui ont amené le gouvernement fédéral à se concentrer précisément sur ces deux catégories d’animaux dans le projet de loi S-15?

Aussi, quels sont les études ou les éléments particuliers qui ont fait en sorte que les éléphants et les grands singes sont les seuls animaux dont on a déterminé qu’ils nécessitaient des mesures législatives supplémentaires à ce moment-ci malgré leurs nombres limités et l’existence de mesures de protection déjà solides au Canada?

M. Guilbeault : Comme je l’ai dit plus tôt, je serai heureux de vous communiquer une partie de la littérature scientifique qui a inspiré le projet de loi S-15. Je pourrais volontiers citer certains de ces textes pour vous en ce moment, mais essentiellement, vous voulez savoir pourquoi nous avons choisi ces deux espèces. J’ai essayé d’y répondre dans ma déclaration liminaire. En raison de la nature très particulière de ces animaux — des fonctions cognitives élevées, leur longévité et leurs capacités sociales — cela les place dans des catégories différentes. Il y a un corpus de données scientifiques qui démontrent que le fait de garder ces animaux en captivité s’assimile à de la cruauté.

Peut-être que, au fil du temps, nous disposerons de plus de données scientifiques signalant que c’est le cas avec d’autres espèces d’animaux qui ne sont actuellement pas visées par le projet de loi S-15. Je pense que c’est notre rôle en tant que législateurs de nous assurer de suivre le rythme de ce que la science nous dit, assurément du point de vue de l’environnement et de la conservation.

J’ai sous les yeux un certain nombre d’articles scientifiques qui ont été publiés dans des revues scientifiques à comité de lecture qui parlent de ces éléments particuliers. Encore une fois, je les communiquerai volontiers, tout comme certains autres, au comité.

La sénatrice Batters : Merci. Veuillez les envoyer.

Le parrain du projet de loi S-15 a dit que le gouvernement est prêt à accepter des amendements au projet de loi qui reflètent des parties du projet de loi S-241 que vous avez choisi de laisser en dehors du projet de loi. Je me demande si vous pouvez dire au comité quels amendements feraient selon vous partie de la portée de cette législation et quels amendements en seraient exclus.

Je souligne également que le parrain, le sénateur Klyne, a remis au comité la semaine dernière un mémoire dans lequel, dans sa lettre d’accompagnement, il mentionnait sa défense d’amendements possibles du projet de loi. Je trouve curieux qu’un parrain d’un projet de loi d’initiative gouvernementale se porte déjà à la défense d’amendements.

Que seriez-vous prêt à accepter?

M. Guilbeault : Je ne pense pas qu’il m’appartienne de dire aux sénateurs quels amendements ils devraient apporter. Je suis un député de la Chambre des communes, et il n’est en fait pas inhabituel pour les gouvernements de proposer des amendements à leurs propres projets de loi entre le moment de l’élaboration d’un projet de loi et le moment de son dépôt. Vous pouvez apprendre de nouvelles choses. Ce serait bête pour nous de ne pas le faire.

C’est maintenant le quatrième, le cinquième ou le sixième projet de loi, je ne suis pas sûr, que j’ai présenté à la Chambre ou ici, au Sénat, depuis 2019, et il est pratique courante pour nous de proposer des amendements.

Mon message pour vous est que le gouvernement est très ouvert aux amendements que les sénateurs jugent appropriés pour le projet de loi.

La sénatrice Batters : J’allais simplement dire que, de façon générale, les amendements proposés par le gouvernement sont de nature technique, et non pas de portée générale.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Je note que le ministre est ouvert à des amendements s’ils semblent raisonnables. Cela dit, monsieur le ministre, on sait désormais que le Zoo de Granby, l’Edmonton Valley Zoo font partie des grands zoos canadiens qui ont décidé de ne plus avoir d’éléphants en captivité. Il y a aussi le Zoo de Toronto et le Zoo de Calgary qui ont annoncé un plan d’élimination graduelle des éléphants en captivité. Aux États‑Unis, il y a plus de 20 zoos qui ont annoncé qu’ils allaient faire la même chose.

De toute évidence, la législation s’inscrit dans une mouvance et tout le monde, y compris les propriétaires de zoos, envisage cela comme étant la nouvelle normalité des choses. Est-ce que cela élimine quelque peu la nécessité de procéder à une criminalisation, puisqu’il y a un phénomène qui semble se développer à l’interne pour aller dans cette direction?

M. Guilbeault : D’abord, je tiens à saluer les décisions courageuses prises sur une base volontaire par ces zoos canadiens et américains. Le volontariat est certainement une chose souhaitable dans notre société. Plusieurs choses se font sur une base volontaire, tous les jours et dans toutes les sphères de notre société. Cependant, cela ne fonctionne pas toujours. Il y a systématiquement des cas où des gens vont décider de ne pas suivre ces tendances.

Vous avez tout à fait raison, sénateur Dalphond, de faire référence à cela comme étant une tendance. C’est le reflet de l’évolution de la science et de notre connaissance. On a eu un bon exemple un peu plus tôt aujourd’hui, dans le bref témoignage de Mme Goodall, de l’évolution de la connaissance scientifique de notre compréhension du comportement animal. On est parti, il y a 50 ou 60 ans, de connaissances scientifiques où ces animaux n’avaient pas d’émotion et où on ne pouvait pas référer à eux comme des individus.

Tout cela a beaucoup évolué et continuera d’évoluer. Le but de la législation est de nous assurer que tout le monde respecte des normes minimales à l’échelle du pays. Cela n’empêche pas certains qui souhaitent aller plus loin de le faire, mais tout le monde a un minimum de normes à respecter.

Le sénateur Dalphond : Si je comprends bien, il demeure nécessaire de s’assurer que le législateur envoie un signal puissant pour montrer qu’il approuve non seulement le mouvement et les tendances qui se dessinent, mais pour faire en sorte que ceux qui sont réticents à les suivre devront monter dans le train, si je peux dire?

M. Guilbeault : Exactement.

Le sénateur Dalphond : Merci, monsieur le ministre.

[Traduction]

Le sénateur Prosper : Merci, monsieur le ministre, de comparaître devant nous.

Vous avez mentionné plus tôt certaines des caractéristiques uniques des éléphants et des grands singes. Vous venez maintenant de parler des normes minimales pour ce qui est de l’un des objets du projet de loi.

Je m’intéresse au lien avec la cruauté. Même s’il s’agit d’une évaluation scientifique, quelles sont les caractéristiques uniques qui cadrent avec cette définition de « cruauté »? Est-ce purement lié à la science? Quels sont les attributs ou quelles sont les caractéristiques qui définissent la « cruauté » dans ce contexte?

M. Guilbeault : Je vous remercie de la question, sénateur Prosper. Je ne suis pas un expert en comportement animal. J’ai décrit certains des éléments qui situent les grands singes et les éléphants dans une catégorie différente.

Pour ce qui est de la définition de « cruauté », je me demande si l’un de nos intervenants peut nous aider à ce sujet. Madame Lane?

Stephanie Lane, directrice exécutive, Gouvernance législative, Environnement et Changement climatique Canada : Je peux commencer. Je pense que l’une des raisons pour lesquelles nous avons parlé de cruauté, tout particulièrement dans ce contexte, comme les sénateurs le savent peut-être, est le lien avec les interdictions prévues dans le Code criminel et le fait qu’il doive y avoir un tort moral associé à l’activité pour que les interdictions prévues dans le Code criminel s’appliquent.

En ce qui concerne ces espèces particulières, je pense que le ministre a décrit très clairement les données probantes que nous avons utilisées pour établir l’évaluation. Je peux peut-être demander à ma collègue Mme Caceres de parler un peu plus de l’aspect qui concerne la vie sauvage.

Carolina Caceres, directrice, Politique de la biodiversité internationale, Environnement et Changement climatique Canada : Merci.

En effet, en ce qui concerne cette interdiction de la cruauté, nous avons dialogué avec des experts vétérinaires qui travaillent également dans le milieu des zoos. Nous avons examiné la prépondérance des données probantes dans la littérature également. Bien sûr, comme c’est le cas de tout discours scientifique, il y a des opinions divergentes, mais, de façon générale, la prépondérance de la littérature donnait à penser qu’un nombre important de facteurs biologiques et écologiques, comme on l’a mentionné, ainsi que la performance générale des indicateurs du bien-être indiquaient que ce groupe d’espèces — les éléphants et les grands singes — franchissait ce seuil lorsqu’ils étaient gardés en captivité.

Le sénateur Prosper : Merci.

La sénatrice Sorensen : Merci, monsieur le ministre, d’être ici.

Vous avez fait allusion à votre lettre de mandat de 2021. Vous avez été chargé de présenter une loi visant à protéger les animaux en captivité. À votre avis, pourquoi cet engagement particulier figurait-il dans votre lettre de mandat, étant donné que vous avez de nombreuses priorités dans votre portefeuille? Je vous demande pourquoi il a fallu trois ans pour arriver jusqu’ici. Je suppose que ma question est la suivante : pourquoi maintenant? Qu’est-ce qui vous a incité à le faire à ce moment-ci?

Si je peux ajouter quelque chose — je pense que c’est lié — en 2022, le Canada a tenu l’événement COP15 à Montréal, où heureusement, la biodiversité a été mise en lumière et était un objectif principal, ce que, personnellement, j’ai été très heureuse de voir. Il était incroyable de voir le Canada préconiser une collaboration internationale à l’égard d’un accord pour protéger la nature et s’efforcer de freiner et de renverser la perte de biodiversité à l’échelle mondiale.

Pensez-vous que ces objectifs ont un lien avec cette législation? Le cas échéant, pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Guilbeault : Il y a là trois questions. Tout d’abord, pourquoi avons-nous pris cet engagement en 2021? Pour cette question, je pourrais me tourner vers nos collègues au fond de la salle, qui représentent des groupes de défense des droits des animaux de partout au pays — l’Institut Jane Goodall et bien d’autres — qui nous ont incités à inscrire cela dans notre programme électoral. J’ai fait référence de manière générale à un certain nombre d’articles scientifiques publiés en 2020 et 2021. Entre les organisations qui nous parlaient de l’importance de prendre un tel engagement et le fait que de plus en plus d’articles scientifiques étaient publiés sur ce même sujet, cela nous a amenés à prendre cet engagement électoral.

Pourquoi maintenant? Comme vous l’avez souligné à juste titre, je suis celui qui a la plus longue lettre de mandat, après la ministre des Finances; ce sont les instructions que le premier ministre donne à tous ses ministres. J’ai beaucoup de pain sur la planche. Nous avons estimé que le moment était venu de proposer le projet de loi.

À l’évidence, le projet de loi S-15 vise à prévenir la cruauté envers les animaux, mais il existe également un lien évident avec la question très importante de la conservation, ce qui renvoie à votre troisième question portant sur la COP15.

La COP15 était censée se tenir en Chine. En raison de la COVID, la conférence a été retardée à maintes reprises. Les Nations unies se sont tournées vers le Canada et nous ont demandé si nous accepterions d’accueillir l’événement. Nous avions très peu de temps pour l’organiser d’un point de vue logistique. C’était un véritable défi. Habituellement, un pays qui accueille une conférence des parties — qu’elle porte sur le climat ou la biodiversité — a un an ou deux pour se préparer. Nous avons eu environ cinq mois.

De nombreux experts et journalistes ont qualifié le succès de la COP15 de « moment Paris pour la nature ». Cela démontre que de plus en plus de pays — et de plus en plus de personnes — partout dans le monde, y compris bien sûr le Canada, comprennent l’importance de travailler à la protection de la nature et de la biodiversité. On parle souvent de la double crise du climat et de la nature. Le premier ministre estimait qu’il était de notre responsabilité, en tant que Canadiens, d’aider la communauté internationale. Voilà pourquoi nous sommes intervenus.

La sénatrice Simons : Monsieur le ministre, j’ai deux questions, dont une très précise et une très vaste. Je vais les présenter toutes les deux d’entrée de jeu pour ne pas être interrompue.

Suivant l’alinéa 22.01(1)c) de ce que j’appellerai la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial, la contravention aux conditions d’une licence délivrée en vertu de cette loi serait une infraction punissable, comme si ces conditions étaient des dispositions législatives. Actuellement, les violations des conditions de la licence peuvent entraîner la suspension ou l’annulation de cette licence. Autrement dit, on vous impose une sanction administrative pour une infraction administrative.

Le changement proposé, pourrait-on dire, constitue une escalade assez impressionnante des conséquences potentielles de règles imposées sur le plan administratif, règles qui échappent à la surveillance parlementaire. Je me demande pourquoi vous pensez que votre pouvoir d’annuler un permis ou une licence n’est pas suffisant. C’est la première question.

La deuxième question est complètement différente. Nous avons tous été bombardés de courriels de personnes qui s’inquiètent des grands félins. Ils ont été initialement inclus dans la Loi de Jane Goodall. À la suite de la série Au royaume des fauves, je pense que les gens ont été sensibilisés à la crise des très grands félins — lions, tigres et autres prédateurs — gardés dans des zoos en bordure de route ou dans des collections personnelles. Je me demande pourquoi on a décidé de retirer tout cela du projet de loi.

M. Guilbeault : Comme je l’ai dit plus tôt, je ne suis pas juriste — non, j’ai dit que je n’étais pas un expert en comportement animal. Je ne suis pas non plus un juriste, mais heureusement, nous en avons un parmi nous, c’est pourquoi je me tournerai vers lui pour obtenir la réponse à votre première question. Je répondrai avec plaisir à la deuxième après.

Me Robert Brookfield, directeur général et avocat général principal, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Je vais éluder un peu en disant que je suis censé être ici en tant que criminaliste, et non en tant qu’expert en droit administratif. Cependant, je dirai, en règle générale, qu’il est assez courant qu’il existe des dispositions administratives qui permettent, comme vous l’avez mentionné, la révocation de permis de toutes sortes, mais qui garantissent également que, si ce mécanisme n’est pas approprié — parce qu’on craint que la révocation n’arrive trop tard ou peut-être pas assez vite — des infractions liées à la violation des conditions du permis puissent s’appliquer.

Je dirais — sans avoir fait une recherche exhaustive, et nous pourrions certainement vous fournir des exemples si cela peut être utile — que de telles dispositions ne sont pas contraires à la pratique générale.

La sénatrice Simons : Mais il s’agit d’une peine d’emprisonnement potentielle pour une violation d’un règlement administratif. Cela semble peut-être disproportionné.

Me Brookfield : Si vous le souhaitez, je peux certainement faire quelques recherches, et nous pourrons vous donner des exemples analogues.

La sénatrice Simons : Très bien. Merci beaucoup.

M. Guilbeault : En réponse à votre deuxième question, nous avons décidé, à ce stade, de n’inclure que les éléphants et les grands singes en nous fondant sur la littérature scientifique. Mme Caceres le disait plus tôt : comme dans de nombreux autres domaines scientifiques, différentes études aboutissent parfois à des conclusions différentes, mais l’ensemble des données probantes indiquent que le fait de garder ces animaux en captivité équivaut à de la cruauté, d’après certains critères dont j’ai parlé.

Nous n’avons pas actuellement le même ensemble de données scientifiques pour — vous les avez appelés grands félins. La science évoluera avec le temps, et le moment viendra peut-être où il sera approprié de les inclure. À l’heure actuelle, nous ne pensons pas disposer des données scientifiques nécessaires pour le faire.

La sénatrice Simons : C’est vrai. Je ne les mettrais pas dans le même avion. C’est l’un des rares moments où je suis d’accord avec le sénateur Plett. Le statu quo pour les grands singes et les éléphants au Canada est plutôt bon à l’heure actuelle. Le statu quo pour certains de ces grands félins gardés dans des attractions en bordure de route et dans des collections privées est non seulement plus injuste pour l’animal, mais aussi plus dangereux pour le grand public.

Lorsque le sénateur Sinclair a rédigé pour la première fois la Loi de Jane Goodall, celle-ci comportait deux articles très distincts. L’un traitait des grands singes et des éléphants, et l’autre, des grands félins et des grands crocodiliens aussi, si je me souviens bien.

La meilleure question est peut-être la suivante : y aura-t-il d’autres dispositions législatives concernant ces animaux? Ou pensez-vous qu’il vaut mieux laisser cela à la compétence provinciale?

M. Guilbeault : Comme je l’ai dit un peu plus tôt, il s’agit d’une compétence partagée entre les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral. J’ai également souligné le fait que nous souhaitons entamer un dialogue avec les provinces, les territoires, les experts et les organisations de la société civile sur cette question. Nous conclurons peut-être qu’il faut faire quelque chose de plus. Je ne pense pas que le projet de loi S-15 soit la solution ultime aux droits des animaux et à leur captivité au Canada. Encore une fois, comme je l’ai dit, nous sommes ouverts aux amendements à ce projet de loi si le comité et le Sénat les jugent nécessaires.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Carignan : Monsieur le ministre, j’étais surpris de voir que la priorité du gouvernement, au moment où il y a une crise du logement et beaucoup de sans-abri au Canada, était l’habitat des grands singes et des éléphants, mais je me suis dit : « Bon, c’est la volonté du gouvernement, donc je vais lire, je vais m’instruire et je vais essayer de comprendre l’objectif du projet de loi S-15. »

Je crois comprendre que vous basez la compétence en droit criminel sur la cruauté et que le fait de garder de grands singes ou des éléphants en captivité au Canada est, par nature, un élément de cruauté qui justifie de recourir à la compétence constitutionnelle d’agir dans un domaine de compétence partagé. Je comprends aussi que cette cruauté est particulièrement grave pour les grands singes et les éléphants en raison de leur intelligence émotionnelle et cognitive, qui est supérieure à d’autres espèces. Est-ce que je comprends bien votre témoignage, le texte que vous avez lu et que j’ai lu, quant à la justification de la compétence fédérale en matière de Code criminel sur la notion de cruauté?

M. Guilbeault : J’aimerais dire deux choses. Tout d’abord, je pense qu’il est important, lorsque nous sommes au gouvernement, de pouvoir marcher, mâcher de la gomme et même texter en même temps.

Bien sûr, la crise du logement est une priorité pour notre gouvernement, tout comme les questions d’abordabilité. Cela ne veut pas dire que des enjeux comme ceux-là ne sont pas importants. C’est un engagement que nous avons pris envers la population canadienne en 2021; c’est dans ma lettre de mandat et dans les instructions que le premier ministre m’a données.

D’autre part, je pense qu’on est à peu près d’accord sur la deuxième partie de votre question, c’est-à-dire qu’on ne dit pas dans le projet de loi — et la littérature scientifique ne dit pas nécessairement — que ces animaux sont supérieurs, mais que, en raison de leurs fonctions cognitives, leurs interactions sociales et leur longévité, les garder en captivité s’apparente à de la cruauté, ce qui relève du droit fédéral. Donc, on est dans les nuances, mais on est probablement tout près de s’entendre sur ces questions.

Le sénateur Carignan : Ce n’est pas péjoratif et je ne veux pas qu’on le prenne au premier degré, mais j’aimerais vous parler du cas du cochon. Le cochon est l’un des animaux les plus intelligents qui existent sur la planète; il a une intelligence émotionnelle et cognitive. De plus, dans plusieurs classements, il se trouve devant l’éléphant et le chimpanzé. Pourtant, il est en captivité. En outre, il a des comportements inappropriés lorsqu’il est en captivité : souvent, il va se mordre ou s’automutiler. À cause de cela, il y a un organisme fédéral d’Agriculture et Agroalimentaire Canada qui a adopté des normes : il s’agit du Conseil national pour les soins des animaux d’élevage. Donc, ils ont consulté les provinces et ont établi des normes pour s’assurer que ce comportement en captivité ne nuit pas à l’individu.

Le Conseil canadien de protection des animaux a fait la même chose pour les singes. J’ai un document devant moi, qui contient 100 pages de lignes directrices sur les façons de garder des singes en captivité au Canada en s’assurant qu’il n’y a pas un élément de cruauté.

Donc, est-ce à dire qu’il faut imposer une interdiction totale, parce que vos collègues du Conseil canadien de protection des animaux, quand ils ont rédigé 100 pages de lignes directrices en avril 2019, ont échoué? Puisqu’ils ont échoué, est-on obligé d’interdire totalement?

M. Guilbeault : Je n’ai pas le document sous les yeux. Si ma mémoire est bonne, ce sont des lignes directrices. Donc, pour faire un lien avec la réponse que j’ai donnée à votre collègue le sénateur Dalphond plus tôt, tout est basé sur le volontariat et le bon vouloir.

Je suis certain que la grande majorité des propriétaires de porcs se conforment à ces lignes directrices de façon responsable, mais on voit régulièrement certains propriétaires plus déviants qui ne le font pas, d’où l’importance d’avoir des normes nationales et d’avoir des normes minimales. Quelqu’un peut toujours en faire plus s’il le souhaite. Ce n’est pas un constat d’échec sur ces lignes directrices; nous voulons nous assurer que ces normes nationales sont respectées.

[Traduction]

La sénatrice Boyer : Merci, monsieur le ministre Guilbeault, de votre témoignage.

Vous ne savez peut-être pas que, lors de la législature précédente, j’ai été la marraine au Sénat du projet de loi C-84, qui porte sur la bestialité et les combats d’animaux; je suis fière de défendre les droits des animaux. C’est pourquoi je suis vraiment heureuse de voir le gouvernement adopter une approche et une position fondées sur des principes à l’égard de ces questions en présentant le projet de loi S-15.

Vous savez certainement que les Métis, les Premières Nations et les Inuits entretiennent des liens spirituels profonds avec nos ancêtres animaux. Comment le gouvernement a-t-il consulté les communautés autochtones au sujet du projet de loi? A-t-il leur soutien? Je sais que vous avez mentionné la mobilisation nationale avec les peuples autochtones, mais j’aimerais que vous nous en parliez davantage, s’il vous plaît.

M. Guilbeault : Je n’ai pas la liste des organismes que nous avons consultés avant le dépôt du projet de loi, mais nous pourrions la fournir au comité.

La sénatrice Boyer : Merci. Le projet de loi bénéficie-t-il du soutien des Autochtones?

M. Guilbeault : J’ai lu la liste il y a quelque temps. Je ne sais pas si nous — c’est le cas? Oui, c’est le cas, mais nous fournirons la liste. Je ne l’ai tout simplement pas sous les yeux.

La sénatrice Boyer : Et le processus de mobilisation?

M. Guilbeault : De manière plus générale, madame la sénatrice, je vous dirais qu’en tant que ministre de l’Environnement et du Changement climatique, il me serait difficile d’imaginer une semaine de travail où je ne rencontre pas des représentants autochtones, que ce soit à propos d’un projet de conservation, des changements climatiques ou des évaluations d’impact.

Nous procédons maintenant à des évaluations d’impact conjointes avec les nations ou les collectivités lorsqu’elles le souhaitent. Ce n’est pas quelque chose que nous imposons; c’est quelque chose que nous encourageons. La majeure partie de tout ce que nous faisons dans le cadre de projets de conservation est dirigée par des Autochtones au pays. Vous ne pouvez pas venir me voir si vous souhaitez proposer un nouveau projet de conservation — qu’il s’agisse d’un parc national ou d’une autre forme de conservation — si les Autochtones ne sont pas à la table dès le départ et n’en sont pas partenaires.

C’est une réponse générale. Nous vous donnerons les détails de la consultation pour le projet de loi.

La sénatrice Boyer : Je suppose que cela s’est également produit avec ce projet de loi?

M. Guilbeault : Je pense que c’est assez juste.

La sénatrice Boyer : Merci.

La sénatrice McBean : Merci à vous, monsieur le ministre Guilbeault, et à votre personnel pour tout le travail que vous avez consacré au projet de loi.

Vous avez commencé par dire que c’était la bonne chose à faire pour protéger les animaux. Vous avez répété à plusieurs reprises que c’est parce qu’ils vivent longtemps, qu’ils ont des capacités cognitives élevées, qu’ils démontrent des comportements sociaux et qu’ils se font du mal en captivité. Il s’agit avant tout de prévenir la cruauté envers les animaux, mais le projet de loi S-15 laisse là les animaux que nous avons en captivité pour le reste de leur vie.

Pourquoi les laissez-vous là alors qu’ils ont des besoins sociaux très complexes et une longue durée de vie, et que maintenant, ceux qui restent — cette dernière génération — se retrouveront isolés et seuls? Pourquoi cette génération reste‑t‑elle alors que les zoos dont nous avons tant parlé ont trouvé d’autres sanctuaires plus grands où les animaux peuvent mener une vie plus sociale?

M. Guilbeault : Je partage votre point de vue, madame la sénatrice. Le projet de loi S-15 n’empêcherait pas un zoo, si cela est possible... la réalité est que certains de ces animaux, parce qu’ils sont en captivité depuis si longtemps, ne seraient pas capables de s’adapter à la vie dans la nature. Mais cela ne les empêche pas — comme le font volontairement certains zoos au Canada en ce moment — de trouver des solutions de rechange pour ces animaux. Nous voulons empêcher que le problème s’aggrave. En gros, c’est ce que nous faisons.

La sénatrice McBean : Oui.

M. Guilbeault : Nous avons un certain nombre de ces animaux en captivité et, avec le temps — et dans certains cas, comme le sénateur Plett le disait plus tôt, nous parlons de décennies —, nous éliminerons lentement la captivité de ces animaux au Canada.

Il n’est pas toujours possible de relocaliser des animaux restés en captivité longtemps. Des fois, ça l’est. Parfois, c’est impossible. Dire que non seulement nous empêchons les zoos d’acquérir de nouveaux animaux ou de faire de la reproduction, mais qu’ils doivent se débarrasser de ceux qu’ils possèdent actuellement... Je pense que, cela créerait plus de problèmes plutôt que d’en résoudre. Je suis d’accord avec vous; ce n’est pas une situation parfaite.

La sénatrice McBean : Je vis à Toronto et je me souviens de Bob Barker... Lorsque Toronto a expédié nos éléphants; c’était très triste. J’ai une fille âgée de huit ans et j’adore aller au zoo, mais les éléphants du zoo de Toronto ont été déplacés. Je me demande à quoi ils ont pensé lorsqu’ils ont dit qu’il s’agissait de la dernière génération et qu’ils peuvent rester où ils sont plutôt que de dire que la captivité est cruelle. N’y a-t-il pas un processus permettant de... et je sais qu’ils ne peuvent pas retourner vivre dans la nature.

Cependant, s’il existe des sanctuaires offrant la possibilité de socialiser ou, lorsqu’ils sont les derniers de leur espèce à vivre dans leur environnement, ils ont la possibilité de le faire. Comment s’est déroulée la discussion au sujet de la question de laisser cette génération rester plutôt que d’admettre qu’il faut déployer des efforts... Il n’y aura pas de solution universelle, mais peut-être que c’est l’exception lorsqu’un animal n’a nulle part où aller, alors c’est peut-être le meilleur endroit pour lui. Si la captivité est cruelle et que l’isolement l’est encore plus, ne leur rendons-nous pas doublement un mauvais service?

M. Guilbeault : C’est une situation imparfaite. Je vous ai donné une réponse générale. Madame Caceres, avez-vous des éléments plus précis à nous fournir?

Mais oui, cela faisait partie de la conversation.

La sénatrice McBean : Oui, je comprends qu’il faut les protéger, mais comment les protéger de nouveau?

Mme Caceres : Je vais dire deux choses.

Tout d’abord, le projet de loi prévoit une exemption concernant l’importation et l’exportation dans l’intérêt supérieur de l’animal. Cela nous permettrait d’évaluer la situation s’il y a une demande de transfert d’animaux vers un sanctuaire ou un autre environnement dans l’intérêt de l’animal.

L’autre point que je voudrais souligner est que cela fait partie des raisons pour lesquelles nous examinons la possibilité de prendre des engagements nationaux afin d’avoir des discussions plus approfondies avec les intervenants concernés sur la meilleure façon d’aller de l’avant avec le projet d’élimination de la captivité au Canada.

La présidente : Je vous remercie.

Monsieur le ministre, quatre personnes ont une question à poser pendant le deuxième tour. Pourriez-vous nous accorder huit minutes supplémentaires?

M. Guilbeault : Oui.

La présidente : Merci, monsieur le ministre. Nous vous en sommes reconnaissants.

Chers sénateurs et sénatrices, vous disposez de deux minutes chacun.

Le sénateur Plett : Brièvement, monsieur le ministre, je voudrais à nouveau souligner que nous nous opposons tous à la cruauté envers les animaux. Je pense que nous sommes tous sur la même longueur d’onde à ce sujet. Nous ne sommes peut-être pas toujours d’accord sur d’autres éléments, mais je suis certainement d’accord avec ce que la sénatrice Simons pense au sujet des grands félins dans les zoos en bordure de route. J’aimerais que nous nous occupions de tous les zoos en bordure de route du pays afin qu’ils aient d’excellentes installations comme celles de Toronto, Calgary et du Assiniboine Park Zoo à Winnipeg.

Ma question fait suite à celle de la sénatrice Batters. Je crois comprendre, monsieur le ministre, que vous devez examiner les amendements — c’est un processus démocratique — mais nous étions saisis d’un projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi S-241, et le gouvernement, pour quelque raison que ce soit, a pris du temps pour présenter le projet de loi S-15. Le projet de loi S-15 est entièrement différent du projet de loi S-241. Le parrain a déjà dit que c’est un point de départ pour l’adoption du projet de loi S-241 si des amendements sont proposés. Ce qu’il a dit est consigné dans le compte rendu. Pourquoi avez-vous choisi, monsieur le ministre, de réduire l’envergure du projet de loi S-241? Nous savons tous que vous subissiez des pressions pour faire davantage que ce que vous avez fait.

Vous nous avez présenté le projet de loi S-15. Je ne sais pas si je peux être en faveur, mais ce n’est pas un mauvais projet de loi. J’ai dit...

M. Guilbeault : Je le prends comme un compliment, monsieur le sénateur.

Le sénateur Plett : Il s’agit d’un compliment, monsieur le ministre.

Pourquoi avez-vous réduit considérablement l’envergure? Vous avez pris le projet de loi S-241 et vous avez présenté le projet de loi S-15.

M. Guilbeault : Encore une fois, le raisonnement qui sous-tend le projet de loi S-15 et la concentration de nos efforts sur les éléphants et les grands singes sont fondés sur la science. Si les sénateurs trouvent d’autres éléments de preuve scientifique indiquant que nous devrions en faire davantage et inclure plus d’animaux, nous serons très ouverts à recevoir ces conclusions scientifiques et ces amendements par...

Le sénateur Plett : Devrait-ils aussi reposer sur la science?

M. Guilbeault : Oui.

Le sénateur Plett : Merci.

La sénatrice Batters : Monsieur le ministre, la répartition des pouvoirs entre les provinces et le gouvernement fédéral en matière de protection des animaux est quelque peu complexe, comme vous l’avez mentionné. La division repose en partie sur la gravité des préjudices infligés aux animaux. Les provinces tirent leur pouvoir législatif du paragraphe 92.13 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui porte sur la propriété et les droits civils alors que le pouvoir fédéral est octroyé conformément au paragraphe 91.27, qui porte sur le droit pénal.

Dans ce contexte, si le Parlement adopte des lois criminalisant la simple possession ou l’élevage de certains animaux, cela ne risque-t-il pas d’empiéter sur la compétence des provinces? De plus, comment est-il possible de justifier que des personnes, simplement du fait qu’elles possèdent un animal et respectent les normes établies par les zoos et aquariums accrédités du Canada, peuvent être considérées comme ayant commis un acte de cruauté passible d’une sanction pénale?

M. Guilbeault : Encore une fois, je vous suggère de consulter les preuves scientifiques que nous avons utilisées et les scientifiques que nous avons consultés pendant l’élaboration du projet de loi S-15, d’après lesquels la captivité des animaux visés par le projet de loi S-15 équivaut à de la cruauté. Par conséquent, cela nous permet d’avoir recours au pouvoir fédéral en matière de droit pénal.

La sénatrice Batters : Cependant, s’il s’agit de cruauté animale dans leur cas, qu’en est-il des animaux qui sont actuellement en captivité et font l’objet de droits acquis en vertu de ce projet de loi?

M. Guilbeault : La sénatrice McBean a posé une question similaire. Nous avons évidemment examiné la question.

Avec ce projet de loi, nous finirons par mettre un terme à cela, mais, comme l’a souligné à juste titre le sénateur Plett, cela prendra un certain temps. Nous voulons nous assurer que le problème ne s’aggrave pas et qu’il soit enfin réglé. Cependant, cela prendra du temps.

La sénatrice Batters : Des décennies. D’accord. Merci.

M. Guilbeault : Si vous me le permettez, j’aimerais ajouter certaines choses.

Lorsqu’il s’agit de questions touchant l’environnement et la conservation, je pense que j’entends souvent des électeurs et des Canadiens de tout le pays dire qu’ils aimeraient voir des changements rapides. Je vais vous donner un exemple simple.

J’ai parlé de la décision du Canada d’accueillir la COP15 en 2022. Ce n’est pas la première fois que notre pays a choisi de s’attaquer aux problèmes environnementaux. En 1987, le premier ministre Brian Mulroney a décidé que le Canada accueillerait le sommet sur l’ozone à Montréal, lequel a donné lieu au Protocole de Montréal. À l’époque, tout le monde parlait de la couche d’ozone. Nous n’en parlons plus aujourd’hui en raison du Protocole de Montréal. Nous avons signé l’accord en 1987, et les scientifiques nous disent que, vers 2060, le trou de la couche d’ozone se sera probablement refermé... ou ce qu’on appelle les trous. Il aura fallu 75 ou 80 ans à l’humanité pour régler ce problème environnemental.

Il est facile de créer un autre préjudice dans le domaine de l’environnement, de la conservation ou des droits des animaux. Il faut généralement beaucoup de temps pour corriger les erreurs... souvent des décennies, comme vous l’avez dit.

La présidente : Merci, monsieur le ministre.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vous parlais tout à l’heure du Conseil canadien de protection des animaux, avec ses 100 pages de lignes directrices. Je vous ai demandé si c’était un constat d’échec, mais je veux vous parler du conseil. Il y a 23 membres dans ce conseil — je ne sais pas si vous le saviez. Parmi les membres, il y a l’Agence canadienne d’inspection des aliments, Agriculture et Agroalimentaire Canada et toute une série d’organismes qui touchent l’éthique des sociétés canadiennes. Également, il y a Environnement et Changement climatique Canada. Même votre ministère a participé à l’élaboration de ces lignes directrices. Je ne comprends pas pourquoi vous n’avez pas bénéficié de la science de tout ce groupe afin de réglementer ces normes.

M. Guilbeault : Vous comprendrez, sénateur, qu’il y a une différence entre des lignes directrices et un projet de loi.

Le sénateur Carignan : C’est pour cela que je vous demande pourquoi vous ne le mettez pas dans un règlement.

M. Guilbeault : Parce qu’on estimait que la chose à faire était de déposer un projet de loi et de le faire adopter par le Parlement plutôt que de procéder par...

Le sénateur Carignan : Pour criminaliser?

M. Guilbeault : Par voie réglementaire.

Le sénateur Carignan : Je vais vous dire pourquoi : parce que si vous l’aviez fait par règlement, vous seriez dans le champ de compétence des provinces. Puisque vous ne vouliez pas aller dans le champ de compétence des provinces, vous avez décidé de criminaliser.

M. Guilbeault : C’est votre interprétation.

Le sénateur Carignan : Je pense que c’est inconstitutionnel, votre...

M. Guilbeault : Je ne la partage pas, mais c’est votre interprétation et vous y avez droit.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Monsieur le ministre, en ce qui concerne les singes, j’ai dit qu’ils se trouvent actuellement dans des zoos accrédités et que cela pourrait avoir une valeur sur le plan de la conservation et une valeur scientifique.

Monsieur le ministre, la question est la suivante : sur le plan juridique, ce projet de loi s’inspire beaucoup des lois canadiennes sur la captivité des baleines et des dauphins adoptées en 2019. Ces lois ont permis de mettre fin à l’importation de bélugas et de dauphins sauvages à Marineland à Niagara Falls, ainsi qu’à l’élevage de baleines qui s’y déroulait. Elles ont également mené à des accusations au pénal pour les spectacles à des fins de divertissement.

J’ai présenté des preuves montrant qu’il y a de l’élevage d’éléphants au Canada au parc African Lion Safari, à des fins commerciales, notamment la séparation des mères et des filles éléphants qui, en temps normal, restent ensemble pour la vie, ainsi que des spectacles à des fins de divertissement. Les promenades à dos d’éléphant n’ont pris fin qu’il y a quelques années à la suite d’une attaque, mais elles restent légales. Considérez-vous que le projet de loi S-15 est le meilleur moyen pour le Canada de mettre fin à ces pratiques une fois pour toutes?

M. Guilbeault : Oui.

Le sénateur Klyne : Merci.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur le ministre, de nous avoir accordé un peu de temps supplémentaire, mais aussi de votre présence. Je sais que vous nous en avez appris beaucoup. Merci, et nous vous réinviterons bientôt.

M. Guilbeault : Merci, mesdames et messieurs.

La présidente : Nous allons maintenant suspendre la séance pendant quelques minutes pour permettre aux fonctionnaires de s’installer.

La sénatrice Simons : J’ai une question technique qui peut sembler ridicule, mais je voulais obtenir quelques éclaircissements.

Les dispositions proposées dans le projet de loi restreignent le champ d’application aux grands singes et aux éléphants gardés en captivité. Ma question peut sembler ridicule, mais existe-t-il des singes et des éléphants qui ne sont pas gardés en captivité au Canada? Quelles sont les conséquences juridiques de cette formulation dans la législation?

Me Brookfield : D’un point de vue juridique — et je vais laisser mon collègue en dire davantage — mais, évidemment, comme vous l’avez souligné, cela ne couvrirait pas les animaux qui ne sont pas en captivité. Mes collègues seront peut-être en mesure de commenter le fondement factuel. En principe, si le Parlement décidait de combler la lacune potentielle en couvrant les animaux qui ne sont pas en captivité — qui sont dans la nature — il pourrait le faire.

La sénatrice Simons : Parce qu’il n’y a vraisemblablement pas beaucoup d’éléphants à l’état sauvage au Canada.

Me Brookfield : Je dirais qu’il n’est pas rare que le Code criminel du Canada, comme d’autres textes législatifs, cible la réalité pratique de la situation, plutôt que de nécessairement...

La sénatrice Simons : Il n’est pas attendu que cela ait un sens particulier sur le plan juridique?

Me Aleksander Godlewski, avocat, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Madame la sénatrice, j’aimerais également ajouter — si vous me permettez de paraphraser un peu le préambule du projet de loi — que le problème que le projet de loi tente de résoudre est lié à la captivité des animaux et non pas aux animaux dans leur état naturel.

Mon collègue a raison de souligner que cette application est restreinte, mais, en même temps, le projet de loi se concentre spécifiquement sur les situations de captivité contrairement aux...

La sénatrice Simons : Donc, jusqu’à ce que nous ayons des mammouths clonés en liberté. Très bien.

J’ai une autre question qui concerne la reproduction naturelle. Je me demande quelle est la responsabilité des zoos et des établissements qui hébergent ces animaux... Je veux dire, c’est comme avoir des adolescents, n’est-ce pas? Il est difficile de les empêcher de se reproduire naturellement.

Attendons-nous des zoos qu’ils séparent les animaux par sexe? Attendons-nous des zoos qu’ils utilisent des moyens de contraception? Que se passe-t-il si les chimpanzés s’adonnent à des activités derrière les bottes de foin et que personne ne le remarque?

La sénatrice McBean : C’est parce qu’ils n’utilisent pas les applis.

La sénatrice Simons : Effectivement, ils ne sont pas sur Tinder.

Me Brookfield : Eh bien, d’un point de vue juridique, il est possible de dire que l’intention est, bien évidemment, d’offrir une flexibilité. La ségrégation sexuelle serait une option. il peut y avoir d’autres options, et mes collègues peuvent parler de leur fondement factuel.

Le Code criminel du Canada, comme dans de nombreux autres cas, vise à offrir une certaine flexibilité grâce à divers moyens.

Madame Caceres, pourriez-vous nous parler des éléments pratiques?

Carolina Caceres, directrice, Politique de la biodiversité internationale, Environnement et Changement climatique Canada : Je pense que le projet de loi propose que les personnes qui possèdent ces animaux fassent des efforts raisonnables. Par exemple, d’après les spécialistes consultés, il existe des moyens humains d’empêcher la reproduction naturelle tels que les contraceptifs entre autres, et nous espérons donc, grâce à la participation, que nous pourrons trouver certaines de ces approches en travaillant avec les intervenants.

La sénatrice Simons : Pour revenir sur la question de la sénatrice McBean, s’il y a des conséquences inattendues, si les animaux... Je ne pense pas qu’il y a beaucoup de bonobos en captivité au Canada, mais, chez les grands singes, les relations sexuelles et les jeux sexuels ne servent pas seulement à la reproduction; c’est comme chez les humains, ils servent à faciliter les relations sociales et à tisser des liens. La contraception pourrait avoir un effet néfaste sur la santé des animaux. Nos efforts se veulent bienveillants, mais je me demande si nous ne créons pas potentiellement de la cruauté, sans l’avoir voulu.

Mme Caceres : Merci, sénatrice. Encore une fois, l’objectif du projet de loi est d’éliminer progressivement la captivité, et à cette fin, il est nécessaire de limiter et de prévenir la reproduction. Par conséquent, nous devons imposer des sacrifices aux animaux qui sont présentement en captivité, et c’est un sujet que nous allons continuer d’aborder, dans nos activités, en réfléchissant aux moyens les plus humains d’atteindre cet objectif, celui d’éliminer progressivement la captivité pour ces animaux au Canada.

La sénatrice Simons : Je crois, pour verser dans l’anthropomorphisme, que pour la plupart, nous ne serions pas plus heureux si on nous enlevait le préambule à la reproduction naturelle.

Je ne posais pas une question, je faisais seulement un peu d’humour grinçant. Vous n’avez pas à répondre.

Le sénateur Gold : Merci, et bienvenue. Merci d’être ici.

Je voulais vous demander de nous parler de la nature des normes en place et pour nous aider à un peu mieux les comprendre... pas nécessairement celles que notre collègue, le sénateur Carignan, a mentionnées, mais plutôt celles qui s’appliqueraient généralement. Je crois savoir que ces normes sont volontaires.

Je pense qu’il y a deux parties à ma question : quelles sont les normes volontaires en place que les zoos peuvent choisir de suivre ou non pour leur certification? Combien de zoos ou d’établissements qui gardent des animaux en captivité ont choisi de ne pas respecter volontairement ces normes?

Une question tout aussi ou encore plus importante : selon vous, ces normes fournissent-elles à prévenir les préjudices aux animaux en captivité visés par ce projet de loi? Comment les normes canadiennes, qu’on a déjà mentionnées, se comparent-elles aux normes des autres pays, par exemple les États-Unis?

Mme Lane : Merci de la question. Je pense que vous allez entendre des experts de divers organismes d’accréditation ainsi que d’autres personnes qui sont probablement mieux placées pour vous parler des normes en vigueur dans les zoos, actuellement. Comme cela a été mentionné dans des questions précédentes — y compris par le ministre —, cela relève habituellement de la compétence provinciale.

Il n’y a aucun renvoi à des normes dans le projet de loi S-15. Il y a des interdictions, et le projet de loi énonce les raisons pour lesquelles ces interdictions peuvent être levées, mais le projet de loi ne renvoie pas à des normes existantes, alors nous ne sommes pas les mieux placés pour vous dire si ces normes sont adéquates ni quelles normes existent. La prémisse du projet de loi, c’est vraiment les interdictions et la levée des interdictions dans l’intérêt de la recherche scientifique ou à des fins de conservation.

Le sénateur Gold : D’après ce que je comprends, étant donné les compétences provinciales et comme des normes différentes peuvent s’appliquer aux organisations selon qu’elles ont choisi ou non de respecter ces normes, on a pensé qu’il serait préférable — contrairement à ce que prévoit la loi Jane Goodall, qui a été mentionnée — de discuter de cela avec les provinces, les territoires, les experts, les parties prenantes et le milieu scientifique, et de simplement régler la question de la norme d’interdiction générale nationale. Est-ce que j’ai bien compris l’intention?

Mme Lane : Je pense que vous avez raison, puisque le but du processus de consultation nationale — je ne sais pas si mes collègues voudront ajouter quelque chose — est d’entamer une discussion nationale sur certaines des autres installations qui hébergent d’autres types d’animaux, et pas seulement des grands singes et des éléphants. Le projet de loi vise donc surtout ces deux espèces, ainsi que les interdictions et la levée des interdictions pour ces deux espèces.

Le sénateur Gold : Si j’ai bien compris, on songe à tout le moins — advenant l’adoption du projet de loi — à lancer ce genre de consultations avec les provinces, les territoires et les autres parties prenantes à ce sujet, dans l’intérêt des animaux en captivité?

Mme Caceres : Oui, effectivement. On y songe : on veut consulter les provinces et les territoires, comme le ministre l’a dit dans sa déclaration, voir ce qui se fait d’un bout à l’autre du Canada en matière de garde d’animaux en captivité; évaluer s’il y a ou non des lacunes; et réfléchir aux différentes approches que nous pourrions vouloir envisager collectivement.

Le sénateur Gold : Merci.

Le sénateur Klyne : J’ai deux petites questions.

Je crois savoir qu’Environnement et Changement climatique Canada a déjà le pouvoir de délivrer des permis fédéraux en vertu de la CITES et de permettre le transport d’espèces menacées en captivité en veillant à ne pas nuire à la survie d’espèces. Selon vous, y a-t-il des possibilités de renforcer ce cadre, en ajoutant dans les processus ministériels d’autres considérations à l’égard du bien-être animal et de la sécurité du public en lien avec les éléphants et les grands singes?

Mme Lane : Je pense que je vais laisser ma collègue répondre en ce qui concerne la délivrance des permis en vertu de la CITES. Mais en ce qui concerne le bien-être du public — et vous avez mentionné dans votre question une autre considération —, le projet de loi est muet sur ces enjeux. Comme cela a été souligné, les exceptions qui seront ajoutées et les permis qui seront délivrés sont axés sur l’intérêt supérieur, les programmes de conservation et la recherche scientifique.

Peut-être que Mme Caceres voudrait dire quelque chose sur le processus actuel d’octroi de permis, si c’est utile. Toutefois, nous ne pouvons pas vraiment nous prononcer sur l’utilité de tout cela. C’est au Sénat de décider.

Le sénateur Klyne : D’accord, merci.

Mme Caceres : Je pourrais peut-être dire, rapidement, que le processus actuel d’octroi de permis en vertu de la CITES est fondé sur nos obligations au regard de cette convention. Avant de délivrer un permis pour l’importation ou l’exportation d’un animal — ou d’une partie de cet animal ou d’un dérivé ou produit obtenu à partir de cet animal — inscrit sur la liste de la CITES, il faut s’assurer que l’acquisition est légale et que le commerce ne nuit pas à la survie de l’espèce dans la nature. Donc, c’est axé sur la conservation des espèces.

Le sénateur Klyne : Merci.

Pêches et Océans Canada est actuellement responsable de l’administration des lois canadiennes de 2019 sur la captivité des baleines et des dauphins, y compris le cadre régissant les importations et les exportations. Selon vous, votre ministère pourrait-il s’inspirer des pratiques exemplaires que ce ministère a relevées ces dernières années relativement à l’élaboration et à l’administration d’un cadre d’octroi de permis pour les éléphants et les grands singes en captivité?

Mme Lane : Certainement. Merci de la question. Nous allons travailler en étroite collaboration avec le ministère des Pêches et des Océans. Bien sûr, comme vous l’avez souligné dans votre question, le projet de loi s’est inspiré du cadre inclus dans la loi sur les cétacés. Nous allons bien sûr discuter avec nos collègues.

Le sénateur Klyne : Merci.

Le sénateur Plett : Je réalise que j’abonde souvent dans le sens de la sénatrice Simons. C’est une excellente chose, sénatrice Simons.

Je trouve étrange que nous voulions être très cruels dans le but d’être très gentils. Nous voulons les empêcher de se reproduire, de socialiser et de faire tout ce que nous disons qu’ils veulent faire par-dessus tout, afin d’aider, au bout du compte, un animal qui n’est même pas né. Nous allons laisser les éléphants lentement mourir au cours des 60 prochaines années, en les empêchant de faire ce qu’ils voudraient le plus faire, et nous allons le faire pour protéger un animal qui n’est même pas né. Déjà, il est interdit d’importer ces animaux, alors n’importe quel éléphant ou n’importe quel grand singe qui se trouverait au Canada serait le résultat d’un élevage au Canada. Cet animal serait habitué à notre climat. Je trouve cela étrange. Vous dites que vous avez mené des consultations. C’est une chose qu’on entend très souvent de la part du gouvernement.

Je vais vous poser une question que j’ai posée quelques fois au Sénat. Le parc African Lion Safari possède présentement 19 des 25 éléphants vivant au Canada, et ces éléphants vont très bien. Je pense que la plupart des sénateurs les ont vu sur vidéo jouer dans la neige, briser de la glace et de s’amuser comme des fous en plein hiver.

Y a-t-il quelqu’un dans votre ministère qui a participé aux recherches et est allé au parc African Lion Safari pour évaluer l’expérience et l’existence de ces animaux, aux fins de la recherche et de ce que nous avons sous les yeux aujourd’hui? Avez-vous visité cet endroit?

Mme Lane : Peut-être que je peux répondre à votre première question. Quant à la question sur la prémisse que l’on ne peut pas importer un éléphant ou un grand singe au Canada actuellement, comme ma collègue Mme Caceres l’a dit, il est actuellement possible d’importer des éléphants et des grands singes. Je ne sais pas si nous avons les chiffres.

Le sénateur Plett : Avec un permis, oui.

Mme Lane : Avec un permis, et pourvu que cela ne nuise pas à la conservation de l’espèce dans la nature.

Le sénateur Plett : Ce n’est pas ce que fait le projet de loi.

Mme Lane : Exact. Le projet de loi ajouterait un filtre supplémentaire.

Pour ce qui est de visiter le parc African Lion Safari, je n’y suis jamais allée personnellement — sauf peut-être quand j’étais petite, mais je ne m’en souviens pas — nous avons cependant travaillé avec des experts vétérinaires compétents sur le terrain, et, qui ont travaillé avec des zoos, et qui ont pu nous conseiller à ce sujet.

Le sénateur Plett : Ils ont travaillé avec des zoos qui n’ont pas d’éléphants. Le sénateur Dalphond a mentionné plus tôt que les villes de Calgary et Toronto avaient dit par lettre qu’elles voulaient se débarrasser des éléphants, mais il n’y a pas d’éléphants là-bas depuis 2014.

Il semble que vous ayez fermé les yeux sur l’expérience de 76 % des éléphants du Canada, ce qui me laisse croire que quelqu’un a fait un tri dans les soi-disant données. Comment pouvez-vous donc prétendre que les données appuient votre position, quand vous n’avez pas pris en considération la situation et les expériences des éléphants du Canada? Pour chaque scientifique qui vous dit que c’est une bonne idée, je peux vous en présenter un autre qui dira que ce sera une mauvaise idée, à un moment donné.

Et maintenant, nous apprenons que vous n’avez pas mené de consultation. Vous n’avez même pas consulté les provinces. On nous a dit, aujourd’hui, que vous allez lancer des consultations quand ce projet de loi sera adopté. Pourquoi pouvons-nous faire tout cela, sans même consulter? Un militant vous a donné... pardon, je dis des choses que je ne devrais pas dire, parce que je n’ai pas de preuves. Malgré tout, il semble que vous avez cru sur parole quelqu’un qui est contre quelque chose et qui dit : « Voici ce que dit la science ».

Comme vous l’avez dit, madame, nous allons entendre plus tard ce que les experts ont à dire... je pense que c’était en réponse à la question du sénateur Gold, nous allons entendre les experts. Nous allons entendre ici des experts qui nous diront que tout cela, c’est de la bouillie pour les chats, et que les éléphants et les grands singes se portent à merveille. Nous allons aussi entendre ce que ces experts ont à dire, mais j’ai l’impression qu’on veut laisser tomber leur avis.

Qui avez-vous consulté, à part des scientifiques? La sénatrice Boyer a demandé si vous aviez consulté la communauté autochtone. Je vous le demande : avez-vous consulté ma province du Manitoba? Avez-vous consulté la province de l’Ontario, où se trouvent ces éléphants? Avez-vous mené des consultations? Les gens étaient-ils d’accord avec vous?

Mme Lane : Nous avons discuté avec les provinces au niveau opérationnel. Nous avons discuté avec les intervenants du parc African Lion Safari et avec certains des témoins qui vont comparaître devant vous également au sujet du projet de loi. Je dirais que, comme vous pouvez sans doute l’imaginer, les provinces et les territoires craignent que l’on empiète sur leurs compétences.

Le sénateur Plett : Et le parc African Lion Safari aussi, sans doute.

Mme Lane : Oui, il y aura assurément des opinions divergentes. Je pense que vous recevrez des témoins du parc African Lion Safari et vous pourrez entendre leurs opinions.

Nous avons discuté avec les provinces et les territoires. Nous avons parlé avec le parc African Lion Safari, avec des groupes de défense des droits des animaux et avec d’autres personnes pour préparer ce projet de loi.

Le sénateur Plett : Une consultation, cela ne suppose-t-il pas d’écouter également? Vous avez dit « parler ».

Mme Lane : Pardon. Nous avons parlé, et ces organisations nous ont parlé, et nous avons écouté.

Le sénateur Plett : Et vous avez fait fi de ce qu’ils ont dit. Les provinces ne sont pas d’accord avec vous, et le parc African Lion Safari n’est pas d’accord avec vous, mais les avez-vous écoutés? Vous m’excuserez, c’est ma dernière question, mais répondez, je vous prie.

Mme Caceres : Si vous me le permettez, sénateur, comme je l’ai dit plus tôt, il va y avoir toutes sortes d’opinions. Notre but, ici, était de discuter avec des vétérinaires et des experts du bien-être, qui ont une vaste expérience, pour avoir des conseils et tirer profit de leur expertise.

Ils ont pris en considération des facteurs biologiques et écologiques ainsi que des indicateurs du bien-être, et c’était selon cette prépondérance, selon le poids de ces informations, et compte tenu de toutes les opinions différentes, que nous avons conclu que, pour ce projet de loi et pour déterminer le seuil de la cruauté — il est cruel d’être gardé en captivité —, dans le cas des éléphants et des grands singes, selon le poids des données probantes, il semble que nous atteignons ce seuil. Nous reconnaissons cependant qu’il y a tout un éventail d’opinions sur le sujet.

Le sénateur Plett : Envers qui sommes-nous cruels?

La présidente : Sénateur Plett, je vous inscris au deuxième tour. Je vous ai donné huit minutes.

Le sénateur Plett : Merci. J’apprécie beaucoup, madame la présidente.

La présidente : De rien.

La sénatrice Batters : Tout d’abord, je viens de consulter la lettre de mandat que le premier ministre avait adressée au ministre Guilbeault en 2021, et, comme il l’a dit plus tôt, c’est une très longue lettre. Elle comporte 39 points. L’avant-dernier élément de la lettre de mandat, dans cette très longue liste, était « Présenter un projet de loi pour protéger les animaux en captivité ». Il ne se limite pas, comme le fait le projet de loi, aux éléphants et aux grands singes.

Donc, et compte tenu du fait que le ministre a essentiellement dit aujourd’hui que sa lettre de mandat était l’un des principaux facteurs pour lesquels ce projet de loi va maintenant de l’avant, quelle sera la prochaine étape? Quelle catégorie d’animaux va‑t‑on cibler ensuite, pour respecter les objectifs prévus dans une lettre de mandat de 2021?

La présidente : Sénatrice Batters, je pense que vous auriez dû poser cette question-là au ministre.

La sénatrice Batters : Je n’en ai pas eu le temps, et je viens tout juste de consulter la lettre de mandat.

La présidente : Pardon, mais ce n’est pas juste de leur poser la question.

La sénatrice Batters : Si on peut me donner une réponse, parfait, sinon...

Mme Lane : J’ai bien peur de ne pas pouvoir répondre et vous dire si le gouvernement présentera d’autres projets de loi à cet égard.

La sénatrice Batters : D’accord. Peut-être que je vais trouver une autre façon d’obtenir une réponse du ministre.

Plus tôt, la sénatrice Boyer a demandé au ministre quel genre de consultations ont été menées auprès des Autochtones en lien avec le projet de loi S-15, et il n’a pas pu y répondre; il a dit qu’il allait devoir nous répondre plus tard. Je trouve vraiment sa réponse très surprenante, parce que, dans les lettres de mandat du gouvernement actuel, il est dit que la relation avec les peuples autochtones était la relation la plus importante pour ce gouvernement.

Je me demande une chose, cependant : quand je regardais le ministre Guilbeault qui essayait de répondre à la question... j’ai remarqué que l’une de ses fonctionnaires, assise derrière lui, faisait des signes, comme si elle connaissait la réponse. Je ne sais pas si elle est toujours ici, mais quelle était la réponse à la question?

Mme Lane : Elle n’est pas ici présentement. Je répondrais comme le ministre Guilbeault que nous pourrons vous faire parvenir une réponse plus tard en ce qui concerne les consultations qui ont été faites. Dans beaucoup de projets de loi et dans beaucoup de choses faites par la fonction publique, il y a des consultations au niveau des fonctionnaires, c’est-à-dire nous, et il y a aussi des consultations par le personnel politique. Je pense que la meilleure solution serait de vous transmettre l’information par écrit à ce moment-là.

La sénatrice Batters : Au niveau des fonctionnaires, cependant, y a-t-il eu des consultations avec des groupes autochtones? Pouvez-vous nous fournir de l’information à ce sujet également?

Mme Lane : En ce qui concerne le projet de loi à l’étude, il n’y a pas eu de consultations spécifiques sur ce projet de loi avec des groupes autochtones. Cependant, nous avons régulièrement des discussions avec des groupes autochtones, avec l’Assemblée des Premières Nations, l’APN, et avec les organisations autochtones nationales sur toutes ces questions. Comme il s’agit d’espèces qui ne sont pas indigènes du Canada, nous n’avons pas entendu une grande diversité d’opinions à ce sujet de la part des groupes autochtones. Les groupes autochtones ne se sont pas beaucoup exprimés sur ce projet de loi jusqu’ici.

La sénatrice Batters : D’accord. Voici ma dernière question : Avec ou sans le projet de loi S-15, aucun des animaux visés ne peut être importé sans l’approbation explicite du gouvernement fédéral. En vertu de la LPEAVSRCII — je crois l’avoir bien dit —, le ministre possède déjà le pouvoir discrétionnaire de refuser de délivrer un permis, conformément au paragraphe 10(1), lequel habilite le ministre à délivrer un permis ou à rejeter la demande « aux conditions qu’il estime indiquées ». Ce projet de loi ajouterait deux nouveaux types de permis pour les éléphants et les grands singes, un pour l’importation ou l’exportation d’éléphants ou de grands singes vivants, et un autre pour la possession d’éléphants ou de grands singes vivants.

Cela veut-il dire que, si quelqu’un veut importer l’un de ces animaux au Canada, il va devoir demander deux permis au ministre au lieu d’un seul? Autrement dit, est-ce qu’il y a un permis pour importer l’animal, et un autre pour le posséder?

Mme Lane : Nous allons devoir vérifier avant de répondre. Je ne sais pas si nous pouvons vous répondre.

Julien Landry, gestionnaire en politiques législatives, Gouvernance législative, Environnement et Changement climatique Canada : Le dossier serait examiné du point de vue à la fois de la conservation et des objectifs du projet de loi S-15. La loi n’aborde pas directement cette question, mais il pourrait potentiellement, en pratique, délivrer un permis en même temps pour la conservation et pour les objectifs du projet de loi S-15.

La sénatrice Batters : Excusez-moi, mais votre réponse me laisse un peu confuse. Voulez-vous dire qu’il ne serait pas nécessaire d’avoir deux permis, qu’un seul permis serait suffisant? Et s’agit-il du permis qui existe déjà, ou du nouveau permis dans le projet de loi S-15?

Mme Lane : En vertu du projet de loi S-15, il y a une nouvelle autorité d’octroi de permis pour la possession d’animaux de ces deux espèces. Je pense que ce que mon collègue disait, c’était que, en pratique, il est possible qu’il existe un permis qui relève de ces deux autorités délivrantes. Ce sont des détails que nous allons régler, à mesure que tout cela sera mis en œuvre. Il ne sera pas nécessairement obligatoire de demander deux permis à ces deux autorités délivrantes. Ai-je répondu à votre question?

La sénatrice Batters : Allez-vous être en mesure de nous fournir une réponse plus complète, avant que nous poursuivions l’étude du projet de loi?

Mme Lane : Oui.

La sénatrice Batters : Cela nous serait utile. Merci.

Mme Lane : Oui.

Le sénateur Dalphond : Des questions ont été soulevées à propos du fondement constitutionnel de la loi. Je crois comprendre que le projet de loi a deux parties.

La première modifie le Code criminel. Ces dispositions sont fondées sur des définitions — si j’ai bien compris — du caractère criminel des situations qui entraînent de la cruauté envers les animaux, ce qui est un crime bien connu; c’était d’abord dans la common law, avant d’être codifié dans le Code criminel. Voilà la première partie.

La deuxième partie concerne la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial, laquelle dépend du pouvoir du gouvernement fédéral de réglementer les échanges et le commerce internationaux, les douanes et les frontières et le commerce interprovincial. Ai-je raison ou tort de dire que les deux parties de la loi s’appuient sur deux bases différentes?

Me Brookfield : Pour que ce soit clair, j’hésite à dire, ici, quels arguments constitutionnels en particulier pourraient être soulevés. Nous ne sommes pas des spécialistes des contestations constitutionnelles. Cela étant dit, il n’y a rien eu de tel, pour l’instant, pour les dauphins et les baleines. Peut-être que des experts du ministère de la Justice pourraient présenter d’autres arguments.

Un autre point que j’aimerais éclaircir — et je crois que mon collègue enchaînera —, c’est que le ministre a insisté, ici, sur le fondement factuel de la cruauté. Comme vous l’avez dit, il y a une disposition dans le Code criminel sur la cruauté. Je dirais que le fondement du pouvoir pénal, du point de vue constitutionnel, est plus large que la simple cruauté, bien sûr. Le pouvoir pénal est fondé, entre autres choses, sur la culpabilité morale. Une chose que nous ferions — si vous décidez d’adopter le projet de loi —, serait de dire que, dans ces cas-là, en nous fondant peut-être sur des données scientifiques et peut-être sur d’autres considérations, on jugerait que le fait de garder certains animaux particuliers en captivité entraîne un degré approprié de culpabilité morale.

Me Godlewski : Je ne pense pas avoir grand-chose à ajouter, à moins que vous n’ajoutiez d’autres éléments à votre question, sénateur.

Le sénateur Dalphond : L’infraction concerne un animal gardé en captivité. Est-ce qu’il y a des éléphants ou des grands singes au Canada qui ne sont pas gardés en captivité?

Me Godlewski : Je vais laisser mes collègues du milieu des sciences qui en savent un peu plus sur ces populations d’animaux intervenir, mais ce projet de loi vise le problème particulier de la captivité de ces animaux. S’il y avait, au Canada, de grands troupeaux d’éléphants indigènes ou de gorilles...

Le sénateur Dalphond : Voici ce que je veux savoir : Comment définit-on la captivité? Tous les éléphants au Canada, par définition, sont-ils en captivité, ou faut-il démontrer que l’animal est en captivité? Dans quel contexte l’animal n’est-il pas en captivité?

Me Godlewski : À dire vrai, je ne veux pas trop spéculer, sur une question hypothétique. Comme vous le savez sûrement, du côté judiciaire...

Le sénateur Dalphond : C’est la définition de l’infraction. L’infraction est de posséder un éléphant ou un grand singe qui est gardé en captivité. J’essaie de comprendre quelle est la définition de « captivité ». Une cage, c’est de la captivité. Je le saisis parfaitement. Mais combien d’acres envisageons-nous? La captivité, qu’est-ce que c’est?

La présidente : Si vous ne connaissez pas la réponse...

Mme Caceres : Je n’ai pas de définition à vous donner, mais au Canada, il y a 23 éléphants et 31 grands singes en captivité. Nous considérons que tous ces animaux sont en captivité au Canada.

Le sénateur Dalphond : Et l’infraction comprend la possession. Si vous possédez un animal, présentement, vous avez commis un crime en lien avec l’importation ou l’exportation.

Me Godlewski : Au sujet de l’importation et de l’exportation, peut-être que je vais laisser mes collègues intervenir, mais il y a une chose que je voulais savoir, parce que vous avez parlé de possession. Il y a une clause grand-père pour les éléphants en captivité que quelqu’un possède déjà, et aussi pour les grands singes. Vous avez dit qu’une personne qui a un éléphant ou un grand singe commet une infraction, mais, en fait, il y a une exception pour ce scénario.

Le sénateur Dalphond : Je sais qu’il y a une clause grand-père. Faut-il un permis pour faire reconnaître que la clause grand-père s’applique à votre situation?

Me Godlewski : Je vais laisser ma collègue répondre.

Mme Lane : Cela requiert un avis en vertu de la LPEAVSRCII, et une personne qui possède un éléphant ou un grand singe devra envoyer au plus tard 60 jours après l’entrée en vigueur de la loi un avis indiquant qu’elle possède un de ces animaux pour que ces exceptions s’appliquent.

Me Brookfield : Par souci de clarté, aucun permis n’est nécessaire au titre du Code criminel.

Le sénateur Prosper : Ma question revient sur un sujet abordé avec le groupe de témoins précédent, lorsque la sénatrice McBean a posé une question au sujet des animaux qui restent en captivité. Je crois que la justification donnée dans le projet de loi est, en ces termes, que c’est justifié lorsque c’est dans l’intérêt du bien-être de l’animal.

Comment faire pour savoir si c’est dans l’intérêt du bien-être de l’animal? De quoi tenez-vous compte?

Mme Caceres : Tout d’abord, si ce projet de loi est adopté, il faudra un travail de réflexion pour nous assurer d’avoir des politiques claires au sujet des critères relatifs au bien-être ainsi qu’au sujet des exemptions liées à la conservation et à la science.

Je n’ai pas de critères précis présentement, mais nous pensions important de pouvoir évaluer chaque cas individuellement pour savoir s’il est dans l’intérêt d’un animal précis de rester en captivité.

Le sénateur Prosper : Merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question porte sur le Conseil canadien de protection des animaux. Le ministre n’avait pas l’air trop sûr qu’il était membre de cette organisation. Vous savez, j’imagine, que le ministère est membre de ce conseil?

Mme Lane : Moi, je n’étais pas au courant que le ministère était membre de ce conseil. Il y a beaucoup de secteurs au sein d’Environnement et Changement climatique Canada. Cependant, il se peut que ce soient les personnes qui travaillent dans notre secteur des sciences et technologies.

[Traduction]

Mme Caceres : Cela ne relève pas de mon organisation, donc je ne sais pas qui est membre de ce comité.

[Français]

Le sénateur Carignan : Il existe un organisme qui établit des normes sur les primates en captivité, dont Environnement et Changement climatique Canada est membre. Vous déposez un projet de loi sur les primates en captivité, mais le ministère ne consulte pas le conseil ni les experts pour déterminer s’ils adhèrent à ce projet de loi? On ne sait pas que cet organisme existe. Je présume que vous ne l’avez pas consulté, puisque vous ne savez pas qu’il existe.

Mme Lane : On peut donner de l’information au comité plus tard; on peut faire un peu de recherche auprès du ministère pour vous donner une réponse écrite par la suite.

[Traduction]

Pour en revenir à l’objectif du projet de loi, je présume que les normes dont vous parlez qui ont peut-être été établies avec l’aide d’Environnement et Changement climatique Canada sont distinctes et différentes de ce dont on parle dans le projet de loi que nous étudions.

[Français]

Le sénateur Carignan : Conformément aux normes sur le maintien des primates en captivité, le projet de loi interdit les primates en captivité, parce qu’on dit que c’est cruel de les garder en captivité. On commence à être proche du sujet, quand même. Je ne veux pas argumenter.

Dans la liste des témoins qu’on a actuellement, qui ont été suggérés par le gouvernement ou par le parrain du projet de loi, il y a surtout des experts allemands, anglais et américains. Est-ce qu’on peut avoir la liste des experts que vous avez consultés? Vous en parlez de façon assez large. Qui sont les experts que vous avez consultés? Est-ce qu’il y a des experts canadiens? Si oui, lesquels? Quels sont les experts étrangers que vous avez consultés?

Mme Lane : On peut faire un suivi avec le nom des personnes avec qui on a travaillé sur le projet de loi. C’était surtout des vétérinaires canadiens.

Le sénateur Carignan : J’ai hâte de voir. On pourra peut-être faire un croisement, parce que dans la liste de ceux qui ont participé au sous-comité concernant les normes sur les primates non humains, il y a le Dr Paré, le Dr Everling et la Dre Goulet.

Je présume que ce sont des vétérinaires aussi, donc on pourra peut-être faire un croisement de ces noms. Merci.

[Traduction]

La sénatrice Clement : Merci à vous tous de votre témoignage. J’aimerais remercier la sénatrice Boyer de nous avoir rappelé certains travaux qu’elle a accomplis dans le passé. Je ne suis pas ici depuis très longtemps, et j’aime toujours avoir plus de contexte. Merci.

J’aimerais revenir sur une question qui a été posée plus tôt parce que j’aimerais comprendre pourquoi nous avons délaissé le projet de loi S-241 pour le projet de loi S-15. Madame Lane, si j’ai bien compris, vous avez dit que nous suivons la loi de 2019 sur les cétacés. Je vois que vous préférez les formats éprouvés.

Lorsque la sénatrice Simons a posé des questions au sujet des grands félins et de la possibilité d’ajouter des choses, on nous a répondu : « Eh bien, les données scientifiques ne sont pas encore tout à fait claires au sujet de cette catégorie ». Y aurait-il un problème juridique si nous ajoutions une forme d’autorité exécutive, ici, qui permettrait au gouvernement, à mesure que la science avance, d’ajouter des renvois à différentes catégories d’animaux? Vous parlez aux Canadiens et vous dites : « Bon, nous étudions les éléphants et les grands singes », et ils vous répondent : « Et les grands félins? ». C’est assez difficile à expliquer aux Canadiens. Pourquoi procédons-nous de cette manière, et peut-on inclure ce genre de renvoi dans la loi?

Mme Lane : J’aimerais renvoyer la question à mes collègues du ministère de la Justice. Comme l’a indiqué Mme Caceres, et aussi le ministre dans ses déclarations liminaires, pour ces deux espèces, l’accent était mis sur l’aspect de la cruauté. Pour les autres grands félins, par exemple, les justifications données ne concernent pas nécessairement la cruauté associée à la captivité de ces animaux. Si je comprends bien — encore une fois, je ne suis pas non plus scientifique —, il y a des données probantes, et je suis certaine que vous entendrez des opinions différentes, qui montrent que ces animaux sont mieux en captivité que d’autres espèces comme les éléphants et les grands singes.

La sénatrice Clement : Mais on ne s’entend pas encore à ce sujet.

Mme Lane : Oui, bien entendu. Pour ce qui est de la question de savoir s’il serait possible d’inclure ces éléments dans la loi, pour qu’elle puisse évoluer au fil du temps, c’est au Parlement de décider de la structure de la loi. Ces éléments ne sont pas là présentement. Comme vous l’avez fait remarquer, ils l’étaient dans le projet de loi S-241.

Nous ne pouvons pas réellement répondre à la question de savoir s’il faudrait faire cela ou non. Je ne sais pas s’il y a quelque chose à ce sujet dans le Code criminel...

La sénatrice Clement : Est-ce un problème sur le plan juridique? J’imagine que vous pouvez répondre à cette question.

Me Brookfield : La réponse simple, du point de vue de la rédaction, c’est que nous pourrions demander à nos collègues rédacteurs législatifs d’ébaucher quelque chose. Je ne vois pas pourquoi techniquement ce ne serait pas possible. La question fondamentale — pour en revenir à la discussion qu’il y a eu plus tôt avec le sénateur Dalphond — est de savoir, si cela est fondé sur le pouvoir du droit criminel et sur le Code criminel, si le principe de la culpabilité morale existe, comme l’a établi le Parlement, compte tenu des données probantes dont dispose le Parlement et d’autres considérations?

Me Godlewski : J’ajouterais à la réponse que, si nous parlons des infractions au Code criminel, nous parlons dans les faits d’étendre les infractions criminelles par ce processus. Évidemment, les gens qui sont reconnus coupables d’une infraction au Code criminel feront face à des conséquences assez lourdes. Sachant cela, il pourrait être avantageux de demander au Parlement de réfléchir à la question de savoir si cette détermination est méritée et d’avoir cette réflexion supplémentaire.

La sénatrice Clement : Merci.

La sénatrice McBean : Quel poids aurait cette loi à l’échelle internationale? Si nous réglementons les importations et les exportations, au moyen du projet de loi S-15, cela contribue-t-il à la lutte contre le trafic d’espèces sauvages? Y a-t-il d’autres pays qui font exactement la même chose, et faisons-nous partie d’un mouvement mondial qui vise à protéger les animaux? Ou sommes-nous seulement une toute petite île dans un océan déchaîné?

Mme Lane : Je peux essayer de vous donner une réponse. Nous n’avons pas fait de recherches exhaustives. Je pense que Mme Caceres serait sans doute la mieux placée pour dire si cela contribue à la conservation des espèces et si cela s’aligne sur le travail que fait déjà le ministère.

Comme le comité le sait sans doute déjà, le pouvoir constitutionnel diffère beaucoup d’un pays à un autre. Les pouvoirs du gouvernement fédéral canadien sont très différents de ceux du gouvernement fédéral américain. C’est un peu difficile de comparer ce que nous faisons ici.

Il existe peut-être ailleurs dans le monde des exemples semblables à ce que nous faisons. Nous n’avons pas découvert cela, un jour, et dit : « Oui, cela se passe dans ce pays précis présentement. » L’approche que nous utilisons dans le projet de loi S-15 est fondée sur la loi visant les cétacés, mais il n’existe pas de loi internationale analogue à l’échelle fédérale présentement.

Je ne sais pas si vous voulez parler de l’autre partie de la question de la sénatrice, au sujet de la contribution.

Mme Caceres : L’objectif du projet de loi S-15 concerne le maintien de ces animaux en captivité et la cruauté intrinsèque de cette captivité. Ce n’est pas une question de conservation. Le projet de loi est fondé sur le travail que nous faisons déjà en matière de conservation. Le Canada fait partie d’un réseau, puisqu’il est partie à la CITES, mais il participe aussi à différents forums axés sur diverses actions pour la conservation de la biodiversité mondiale, y compris les éléphants et les singes.

Les enjeux touchant le braconnage et les inquiétudes liées à la capture illégale de ces animaux sont aussi des préoccupations que nous ciblons, dans nos engagements, surtout dans la CITES. Dans le cadre de ces engagements, nous nous penchons plus souvent sur les projets qui favorisent le braconnage, et habituellement, l’objectif n’est pas de capturer ces animaux vivants pour en faire le commerce. Ce n’est certainement pas dans le but de faire entrer des choses illégalement au Canada.

Pour ce qui est du projet de loi S-15, encore une fois, notre objectif ici concernait davantage le maintien en captivité de ces animaux et la question de savoir s’il fallait continuer cette pratique.

La sénatrice McBean : Encore une fois, si nous revenons à ce qu’a dit le ministre, au début : « parce que c’est la bonne chose à faire », devrions-nous aussi promouvoir à l’échelle internationale une politique selon laquelle le maintien en captivité de ces gros animaux est cruel? C’est assez difficile pour vous. Vous allez au zoo de San Diego ou à n’importe quel autre zoo, et tous ces animaux sont là. Nous traçons une ligne dans le sable, car nous disons que c’est cruel de les garder en captivité, mais nous ne faisons rien pour partager cette vision internationalement. Je pense qu’il est impossible de le nier.

Mme Caceres : Merci de votre commentaire. Présentement, je n’ai aucune idée de la façon dont nous pourrions présenter le projet de loi sous une forme plus internationale.

La présidente : Pouvez-vous rester 10 minutes, après? Oui? Merci.

Le sénateur Plett : Je trouve étrange que le sénateur Dalphond vous ait demandé d’expliquer ce qu’était la captivité; le sénateur Carignan vous a aussi questionné un peu à ce sujet. Nous n’arrêtons pas de parler d’animaux en captivité, et vous ne pouvez pas nous définir le mot « captivité ». Selon le Oxford English Dictionary, il s’agit de l’état d’un être emprisonné ou confiné. Je pense que c’est assez simple.

J’ai demandé au ministre quelle était la différence entre la vie dans une réserve en Afrique et la vie au parc African Lion Safari. Il a parlé de la taille du terrain. Les animaux disposaient de 22 000 kilomètres carrés, dans la réserve, plutôt que de 250 ou 300 acres. Mais c’est tout. Quelqu’un a décidé que c’était la bonne taille.

Pourquoi disons-nous qu’un éléphant qui peut se promener sur 250 acres à ciel ouvert est en captivité, et qu’un animal vivant dans une réserve n’est pas en captivité? Les animaux ne peuvent pas quitter la réserve, donc ils sont captifs de celle-ci. Ces animaux vivent en captivité sur 300 acres. Quelle est la différence?

Mme Lane : Je pense que nous avons répondu à la question en pensant au contexte du Canada. Notre opinion est que tous les éléphants et les grands singes, au Canada, vivent en captivité.

Pour ce qui est de l’interprétation de l’interdiction, si je regarde dans le dictionnaire — et il y a d’autres principes d’interprétation des lois qui pourraient nous aider à définir le terme « captivité » —, je pense que, compte tenu de l’objectif de ce projet de loi, notre opinion est que tous les éléphants et les grands singes vivent en captivité au Canada.

Le sénateur Plett : Le sénateur Klyne a dit clairement qu’il croyait que les éléphants dont les humains s’occupent — et je dis seulement que des humains « s’en occupent » parce que je ne crois pas que ces animaux sont en captivité; ils reçoivent des soins de l’homme —, il croit que tous les éléphants dont les humains s’occupent ne jouent aucun rôle au chapitre de la conservation.

Est-ce la position du gouvernement, qu’ils ne jouent aucun rôle au chapitre de la conservation?

Mme Caceres : Nous voulions inclure des exceptions, y compris une exception liée à la conservation. Nous n’avons pas mené d’évaluation pour savoir si le maintien en captivité des éléphants au Canada jouait un rôle dans la conservation de l’espèce, présentement, mais cela fait partie des politiques qu’il faudra modifier si l’on veut envisager la mise en œuvre sous l’angle de la conservation des éléphants.

Le sénateur Plett : Mais le projet de loi permet...

La présidente : Merci, sénateur Plett.

Le sénateur Plett : Ce n’était pas une réponse complète, madame la présidente. J’aimerais avoir une réponse complète.

La présidente : Je vous ai déjà donné trois minutes.

Le sénateur Plett : Je pense que ma question mérite une réponse complète.

La présidente : Pourriez-vous transmettre une réponse complète par écrit au sénateur Plett...

Le sénateur Plett : Le projet de loi parle d’un objectif de conservation.

La présidente : Pourriez-vous transmettre une réponse complète par écrit au sénateur Plett? Merci.

Le sénateur Klyne : Je pense que j’ai dit que les éléphants en captivité ne jouaient pas vraiment de rôle au chapitre de la conservation.

Pour ce qui est de la dualité de ce projet de loi, le gouvernement fédéral a compétence en ce qui concerne les actes criminels de cruauté animale, la sécurité publique et le commerce international. Les provinces quant à elles partagent une responsabilité commune envers les espèces sauvages en captivité, dans la mesure où elles sont une propriété privée, et les municipalités peuvent aussi imposer des restrictions locales. Compte tenu de cette division des pouvoirs, pouvez-vous confirmer que la province de l’Ontario a le pouvoir d’intervenir pour aider les baleines qui sont toujours à Marineland, si elle le désire, au moyen par exemple du mécanisme juridique d’expropriation?

Mme Lane : Je ne suis pas vraiment bien placée pour commenter des dossiers relevant du mandat de Pêches et Océans Canada.

Le sénateur Klyne : Pouvez-vous faire des commentaires sur la dualité du projet de loi, étant donné les questions concernant le provincial et le fédéral?

Me Brookfield : Je crois que nous pouvons convenir qu’il y a une dualité dans le projet de loi. Je ne crois pas que nous puissions parler au nom de la province de l’Ontario et de son point de vue sur sa compétence...

Le sénateur Klyne : Eh bien, vous n’avez pas à en parler, mais la compétence de la province à cet égard lui permettrait d’offrir des licences et des permis pour le transport, mais la compétence du gouvernement fédéral est d’un autre ordre.

Pouvez-vous commenter ces différences?

Me Brookfield : Nous ne sommes pas avocats en droit constitutionnel, alors je ne suis pas en mesure de fournir des détails.

Je crois que, en général, pour ce qui est de...

Le sénateur Klyne : Lui, l’est-il?

Me Brookfield : Non. Nous sommes tous deux experts en droit criminel.

De manière générale, je crois qu’il est juste d’affirmer qu’en effet, il s’agit d’une compétence partagée. Dans le projet de loi, il est question du pouvoir en matière de droit criminel, qui relève clairement du gouvernement fédéral. D’autres questions relèvent de la compétence provinciale, comme les droits de propriété et les droits civils.

Le sénateur Klyne : Et voilà. Merci.

Me Brookfield : Il y a certainement une compétence partagée. Je crois que nous serions réticents à nous lancer dans un débat sur la nature de ces nuances et à argumenter sur les rubriques de compétence.

Le sénateur Klyne : Aviez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?

Merci d’avoir fait la distinction.

La présidente : J’ai commis une erreur. Envoyez votre réponse à la question que le sénateur Plett a posée au greffier, et il la distribuera à tout le monde.

La sénatrice Batters : J’aimerais revenir sur la question de la captivité parce que je trouve cela très curieux. Comme vous le disiez, selon vous, tous les éléphants et les grands singes au Canada sont en captivité. Pourtant, selon le projet de loi, tous les éléphants et les grands singes au Canada sont essentiellement visés par la clause des droits acquis. Cela ne va pas changer grand-chose à leur situation.

Laissez-moi vous donner un exemple un peu absurde. Étant donné qu’il n’y a aucune limite à la superficie de son terrain, un éléphant pourrait se promener librement dans toute la province de la Saskatchewan et il serait tout de même considéré comme étant en captivité, n’est-ce pas?

Le sénateur Plett : Oui.

Mme Lane : Je ne veux pas faire d’hypothèses. Je crois que...

La sénatrice Batters : Eh bien, il n’y a aucune limite de superficie, n’est-ce pas?

Mme Lane : Non, il n’y a aucune limite de superficie, mais il y a vraisemblablement une obligation de propriété associée à ces espèces.

La sénatrice Batters : Bien sûr. Mais si cette obligation était respectée, il s’agirait probablement encore de captivité, même si on donnait à ces espèces un espace de la taille de la province de la Saskatchewan?

Mme Lane : Peut-être. Je ne sais pas...

Me Brookfield : En ce qui concerne le Code criminel du Canada, de toute évidence, il faudrait essentiellement que la police porte des accusations et qu’un procureur donne son approbation et s’assure que la situation réponde aux critères d’une infraction. Il faudrait ensuite établir devant une cour ce que « captivité » veut dire et si, selon les faits de ce cas particulier — dans votre scénario, si je comprends bien —, quelqu’un possède cet éléphant. Je ne sais pas trop ce que cela signifie, et il faudra donc déterminer si cette possession respecte les exigences du projet de loi.

La sénatrice Batters : D’accord, mais pourquoi n’avez-vous pas envisagé d’inclure une limite de superficie dans votre définition de la « captivité »?

Mme Lane : Je ne sais pas si nous pouvons répondre à cette question pour l’instant. Je crois que, en ce qui concerne les espèces que nous avons désignées en particulier, soit les éléphants et les grands singes, ce ne sont pas des espèces que l’on trouve habituellement dans la nature, et il ne faut pas s’attendre à les trouver dans la nature.

L’idée, c’est qu’il faudrait qu’une personne possède des animaux de ces espèces et les importe, et le but du projet de loi, une fois de plus, est de mettre progressivement fin à leur captivité au Canada. La limite de superficie et les autres éléments de la réglementation... le projet de loi ne traite pas de la manière dont ces animaux sont gardés.

Le sénateur Dalphond : J’imagine que c’est pour cela que nous avons des juges. Les mots « en captivité » doivent avoir un sens, il faut leur donner une définition raisonnable. Nous devons définir l’essence même de la captivité.

Je pose la question parce qu’il y a une disposition sur les droits acquis, comme vous l’avez mentionné, concernant les personnes qui possèdent aujourd’hui des grands singes ou des éléphants. Elles n’ont rien à faire, selon le droit criminel.

Cependant, l’autre loi — la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial — les oblige à envoyer un avis de propriété, faute de quoi, elles s’exposent non pas à une infraction criminelle, mais à une infraction réglementaire limitée. À quoi s’exposent-elles, étant donné que le projet de loi dit que toute personne qui commet une infraction contrevenant à l’article 11.1 — sur la transmission d’un avis — commet cette infraction. Quelle en est la sanction?

Mme Lane : La sanction concernant les exigences relatives aux avis? Nous pouvons trouver la réponse. Si nous ne pouvons la trouver immédiatement, nous pourrions peut-être la communiquer par écrit au comité.

Le sénateur Dalphond : Quel est le fondement de cette obligation d’informer?

Mme Lane : Quel est le fondement de l’exigence relative aux avis?

Le sénateur Dalphond : Oui.

Mme Lane : C’est pour que nous sachions un peu à qui s’applique l’exception relative à la possession.

Le sénateur Dalphond : N’est-ce pas un moyen de défense? Le fait est que, si je possède l’éléphant au moment où cette loi entre en vigueur, je ne commets aucune infraction. C’est donc à moi de prouver que je le possédais à ce moment-là. Pourquoi devrais-je aviser le gouvernement?

Mme Lane : Le projet de loi comprend l’exigence de donner un avis pour faciliter le respect de la loi et permettre au ministère de savoir où se trouvent les animaux de ces espèces. Je crois que vous avez soulevé un bon point, mais c’est pour cela que cette exigence a été incluse dans le projet de loi.

Le sénateur Dalphond : Merci.

Me Brookfield : Je peux peut-être ajouter quelque chose. Je crois qu’il est important que cet élément ait été inclus dans la réglementation.

Il y a dans le Code criminel un certain aspect d’opprobre moral, comme nous en avons déjà parlé. Dans ce cas, l’identification n’est pas nécessaire. Le Code criminel concerne les choses répréhensibles, qu’il ne faut pas faire. C’est aussi simple que ça. Les infractions réglementaires concernent les choses que l’on peut faire, à condition de les faire comme il se doit, et c’est pourquoi il est question de transmettre un avis. Il s’agit davantage d’un contexte réglementaire que d’un contexte criminel.

Le sénateur Dalphond : Je comprends la nécessité d’obtenir un permis pour être exempté de l’interdiction de la reproduction, par exemple, mais, si je possède un animal et que le Code criminel ne considère pas cela comme une infraction... ce serait une infraction que d’en importer un autre ou de le faire se reproduire. Mais en posséder un ne constitue pas une infraction criminelle, alors pourquoi dois-je aviser le ministre?

Me Brookfield : Il y a dans d’autres projets de loi de nombreuses autres dispositions réglementaires qui exigent la transmission d’un avis ou d’autres informations à des fins réglementaires, autrement dit, pour autoriser des choses qui sont généralement permises, mais sous certaines conditions. Je suppose que c’est pourquoi il y a une différence quant à l’emplacement qui doit transmettre un avis.

La présidente : Merci.

Sénateur Dalphond, je n’ai pas bien compris. Voulez-vous encore que l’on fournisse une définition de la « captivité »?

Le sénateur Dalphond : Non, parce que je crois qu’elle doit être définie par la jurisprudence, bien entendu, comme bien d’autres infractions.

La sénatrice Simons : Je vais pour terminer parler du préambule. Les préambules des projets de loi me rendent toujours nerveuse parce que l’on accorde parfois trop d’importance à leur rhétorique par rapport à leur objectif.

Dans le préambule du projet de loi, deux phrases me préoccupent. La première est « la captivité de certaines espèces animales non domestiques »; je crois que l’on pourrait soutenir que, dans certaines régions d’Asie, les éléphants sont, en fait, domestiqués.

Ce qui me préoccupe un peu aussi est cette phrase très générale, dont nous avons un peu discuté :

[que le Parlement] est d’avis que la science établit que certains animaux... ne doivent pas vivre en captivité en raison de la cruauté que cela représente;

La cruauté est un jugement de valeur; elle ne mesure rien, scientifiquement parlant. Nous avons décidé que le Parlement déclarera que cela est cruel. Je me demande si cela ne va pas créer une situation où les gens vont... Je tiens d’abord à souligner que je soutiens le sens de ce projet de loi. Je crois également que l’on devrait mettre progressivement fin à la captivité de ces animaux au Canada.

Toutefois, je m’inquiète que l’on mette en relief un tel jugement de valeur dans une disposition du Code criminel. Je crains que les gens se permettent alors de dire : « Eh bien, si cela est cruel pour les éléphants et les singes, étant donné qu’ils sont incroyablement intelligents, qu’en est-il de cette espèce d’animaux? Qu’en est-il de cette autre espèce d’animaux? » Puis, en tant que vice-présidente du comité de l’agriculture, je dois me préoccuper de l’effet d’entraînement du fait de déclarer cruelle la captivité de certaines espèces d’animaux. Je dois tenir compte des conséquences logiques que cela pourrait avoir sur le bétail.

Donc, en tant que rédacteurs de lois, à quel point êtes-vous à l’aise par rapport à la rhétorique percutante de ce préambule?

Mme Lane : De manière générale, comme vous le savez, les préambules ont force probante pour l’interprétation des autres dispositions du projet de loi. S’il y a, au Sénat ou ailleurs, une préoccupation concernant la formulation et le libellé de ce projet de loi, il est, bien entendu, loisible au Sénat de l’exprimer.

Le but du préambule est de soutenir la nature constitutionnelle du projet de loi, et le fait qu’il y ait... pour ce qui est de son élaboration, je crois que nos collègues du ministère de la Justice ont souligné que nous ne pouvons pas nous prononcer définitivement sur la possibilité que d’autres arguments d’ordre constitutionnel soient avancés à l’appui du projet de loi, mais je crois qu’un des éléments liés à l’application du Code criminel concerne la cruauté envers les animaux. C’est pourquoi cette notion a été incluse dans le préambule.

Me Brookfield : Je conviens essentiellement que c’est au Parlement de décider si le libellé est adéquat selon les données probantes et vos jugements moraux. Il pourrait être utile de faire mention de l’article 445.1 du Code criminel, qui porte sur la cruauté envers les animaux. Il est question de causer volontairement à un animal ou à un oiseau une douleur, souffrance ou blessure, sans nécessité. La notion de douleur, souffrance ou blessure causée sans nécessité est dans les faits une définition de la « cruauté ». Que vous soyez d’accord ou non avec les données probantes que l’on vous a soumises et avec les considérations morales dont vous pourriez tenir compte pour déterminer s’il s’agit d’une description adéquate, ce serait bien entendu au Parlement d’en décider.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup. C’est très utile.

La présidente : Je tiens à remercier les fonctionnaires. Vous avez été très patients. Vous êtes restés longtemps. Merci d’être venus ici aujourd’hui et d’avoir pris le temps de répondre aux questions. Je remercie également les membres du comité de leur présence.

(La séance est levée.)

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