LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 17 avril 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 16 h 17 (HE), avec vidéoconférence, afin de poursuivre son étude du projet de loi S-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial.
La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je m’appelle Mobina Jaffer, je suis sénatrice de la Colombie-Britannique et présidente du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J’invite maintenant mes collègues à se présenter, à commencer par la vice-présidente.
La sénatrice Batters : Sénatrice Denise Batters, de la Saskatchewan.
[Français]
Le sénateur Carignan : Claude Carignan, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Plett : Je suis le sénateur Don Plett et je viens du Manitoba.
La sénatrice McBean : Marnie McBean, de l’Ontario.
Le sénateur Klyne : Bonjour. Je suis Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, du territoire du Traité no 4.
[Français]
Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, du Québec, division De Lorimier.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, du territoire du Traité no 6.
La sénatrice Pate : Je m’appelle Kim Pate. Je vis ici, sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinaabe.
Le sénateur Cotter : Bonjour. Je suis Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan.
[Français]
La sénatrice Oudar : Bonjour. Manuelle Oudar, du Québec, division de La Salle.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nous nous réunissons pour poursuivre notre étude du projet de loi S-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial. Au cours de la première heure, nous avons le plaisir d’accueillir un représentant de l’Amboseli Trust for Elephants, W. Keith Lindsay, chercheur collaborateur, biologiste en conservation et gestionnaire de projet, Environment and Development Group. De Protection mondiale des animaux, nous entendrons le Dr Jan Schmidt-Burbach, responsable des Recherches, des espèces sauvages et du bien-être animal. Enfin, Bob Jacobs, professeur émérite de neurosciences au Collège Colorado, comparaît à titre personnel. Honorables sénateurs, tous les témoins comparaissent aujourd’hui par vidéoconférence.
Nous commencerons par M. Lindsay. Vous disposez de cinq minutes chacun.
W. Keith Lindsay, chercheur collaborateur, biologiste en conservation et gestionnaire de projet, Environment and Development Group, Amboseli Trust for Elephants : Merci beaucoup.
Je suis écologiste de la faune et biologiste en conservation. J’ai la double nationalité canadienne et britannique et je compte 48 ans d’expérience de travail sur les éléphants de la savane africaine et plus récemment, sur les éléphants d’Asie dans leurs aires de répartition d’origine. J’ai également une vingtaine d’années d’expérience dans le domaine des éléphants maintenus en captivité.
Le projet de loi S-15 fait état de préoccupations concernant le bien-être des espèces sauvages ayant des besoins physiques et sociaux complexes, notamment les éléphants et les grands singes, qui sont actuellement maintenus en captivité au Canada, loin de leur aire de répartition tropicale d’origine et des habitats et climats qui leur conviennent. Il vise à éliminer progressivement cette pratique en empêchant l’importation et la reproduction d’animaux vivant déjà en captivité.
Mes observations à l’appui de ce projet de loi concernent les éléphants, dont j’ai une connaissance directe approfondie. J’aborderai les aspects de la conservation, de la recherche et du bien-être.
En ce qui concerne la conservation, malgré tout ce qu’on peut entendre, les expositions dans des zoos ne contribuent pas réellement à la conservation des éléphants. Le principe clé des lignes directrices de l’Union internationale pour la conservation de la nature en matière de conservation ex situ est que les animaux sauvages devraient être placés dans des sites ex situ éloignés de leur aire de répartition principalement dans un but de reproduction en captivité en vue d’un relâchement dans la nature en temps voulu. Ce n’est absolument pas possible pour les éléphants d’Afrique et d’Asie dans les zoos, et ce n’est pas la raison pour laquelle ils ont été retirés de leur milieu sauvage à l’origine, qui est plutôt l’exposition et le divertissement. Il n’existe aucune preuve indépendante crédible que les visiteurs de zoos acquièrent ou conservent des connaissances notables sur les éléphants, ni qu’ils changent d’attitude ou de pratique à l’égard de leur conservation dans la nature.
Les petits groupes d’éléphants essentiellement séparés les uns des autres qu’on trouve dans les zoos d’Amérique du Nord, d’Europe et des autres continents ne représentent pas une population ni même une métapopulation au sens biologique du terme. Ils n’ont pas de contacts sociaux, et seul un flux génétique limité n’est possible, principalement par le déplacement des individus d’un zoo à l’autre, ce qui a pour effet de rompre les relations sociales.
Le Groupe de spécialistes de l’éléphant d’Afrique de la CSE de l’UICN a fait deux déclarations publiques, en 1998 et en 2003, confirmant son point de vue selon lequel le fait de retirer des éléphants de leur milieu naturel ne présente aucun avantage direct pour la conservation in situ et aucune contribution financière ou technique indirecte de la part des zoos n’exige ni ne justifie le maintien en captivité de ces animaux.
Concernant la recherche, la grande majorité des recherches menées sur les éléphants dans les zoos visent à résoudre les problèmes liés à leur élevage en captivité. L’endocrinologie de la reproduction, la cryopréservation du sperme, l’endocrinologie des hormones de stress, l’infection par le virus de l’herpès de l’éléphant et son traitement sont autant de problèmes de santé auxquels les éléphants ne sont confrontés qu’en captivité. Les rares recherches qui pourraient être utiles pour une application in situ, principalement sur certaines techniques vétérinaires, pourraient être réalisées sur des éléphants captifs dans les pays de l’aire de répartition d’origine, mais elles devraient ensuite être validées sur des éléphants sauvages.
En ce qui concerne le bien-être, la petite taille et la qualité généralement médiocre des groupes d’éléphants élevés en captivité sont telles qu’ils ne peuvent afficher qu’un infime pourcentage des comportements normaux que les éléphants adoptent pour vivre dans leurs environnements naturels. Les éléphants vivant en captivité n’ont pas l’occasion d’acquérir le vaste répertoire d’interactions sociales et de modalités de communication qu’ils acquerraient dans la nature, pas plus qu’ils ne peuvent passer les trois quarts de leur journée à se nourrir activement d’un vaste éventail d’espèces végétales et parcourir de longues distances à cette fin. Même les plus grands zoos ne représentent qu’une infime partie de l’aire de répartition normale des éléphants d’Asie et d’Afrique.
La plus grande limitation imposée aux éléphants en captivité est peut-être leur perte d’autonomie et du pouvoir de choisir où et comment passer leur temps tout au long de leurs cycles quotidiens et annuels. Les contraintes imposées par les aspects pratiques de la gestion d’un zoo, notamment les installations et le personnel, surtout dans des pays tempérés aux hivers glacials comme le Canada, restreignent l’autonomie et les mouvements des éléphants, ce qui leur cause des torts physiques et du stress psychologique. Le bien-être est inévitablement compromis lorsque de très grands animaux, habitués à vivre dans de vastes milieux naturels et des écosystèmes dynamiques, sont confinés dans les conditions exiguës et l’environnement non naturel de zoos.
En conclusion, les normes minimales fixées par les associations de zoos en Amérique du Nord et en Europe ne se fondent pas sur les réalités et les besoins biologiques des éléphants, mais sur les contraintes financières et logistiques auxquelles sont confrontés la majorité des zoos. Compte tenu de ces calculs pragmatiques, les normes définies par l’industrie des zoos elle-même sont, au mieux, un compromis dramatique pour le bien-être des éléphants, n’offrant pas les meilleures conditions pour leur santé et leur bien-être. Au pire, elles sont terriblement inadéquates et mènent à des traitements cruels et inhumains.
Des éléphants sont placés en captivité, gardés et reproduits à des fins d’exposition et de divertissement. Rien ne peut justifier de les garder en captivité plus longtemps. La conclusion inéluctable, c’est que la captivité dans les zoos doit cesser progressivement, grâce à l’interdiction de l’importation d’animaux vivants et de la reproduction en captivité.
La présidente : Merci. Nous allons maintenant entendre le Dr Schmidt-Burbach.
Dr Jan Schmidt-Burbach, responsable, Recherches, espèces sauvages et bien-être animal, Protection mondiale des animaux : Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer et de vous faire bénéficier de mon expertise.
Je suis un vétérinaire spécialisé dans les animaux sauvages et le bien-être des animaux. J’ai effectué mon doctorat sur les éléphants d’Asie dans les zoos européens et depuis 15 ans, je mène l’une des plus grandes études sur les conditions de bien‑être des éléphants d’Asie maintenus en captivité dans des installations en Asie.
La question de savoir si le Canada doit continuer de maintenir des éléphants en captivité dans des zoos se résume en fait à deux choses : premièrement, les éléphants gardés dans les zoos canadiens sont-ils essentiels à la conservation des éléphants dans leur habitat naturel? Deuxièmement, le bien-être des éléphants gardés dans les zoos canadiens est-il adéquat pour l’espèce, leur permet-on de s’épanouir, d’exprimer leur comportement naturel et de satisfaire pleinement tous leurs besoins?
La captivité compromettra toujours, au moins dans une certaine mesure, le bien-être des animaux sauvages, car les installations en captivité, qu’il s’agisse de zoos ou de sanctuaires, ne reproduisent jamais entièrement les conditions dont les animaux sauvages ont besoin pour vivre pleinement leur vie. L’étendue et la qualité limitées de l’espace des enclos, le manque d’occasions de stimuler les comportements naturels, le confinement dans des espaces intérieurs pendant des mois en raison d’un climat inadapté et le recours à des outils de gestion des animaux fondés sur la dominance ne sont que quelques-uns des aspects qui montrent clairement qu’un zoo canadien n’est pas l’habitat idéal pour un éléphant.
Compte tenu des effets négatifs sur le bien-être des animaux, nous devons réfléchir attentivement à la raison d’être de la détention d’animaux sauvages en captivité. Après tout, ce n’est jamais le choix de l’animal sauvage d’être en captivité; c’est toujours un choix fait par l’humain.
Dans une industrie zoologique qui s’efforce de se maintenir et de croître en attirant les visiteurs payants, il y a trop souvent trop peu de remise en question à savoir si cela justifie d’élever davantage d’animaux en captivité ou de les importer de la nature. Dans les zoos d’Amérique du Nord et d’Europe, près d’un éléphant d’Asie né en captivité sur quatre meurt au cours de la première année de sa vie. Seuls 6 sur 10 survivent les 10 premières années. Environ la moitié des décès sont attribuables à l’herpèsvirus endothéliotrope de l’éléphant, ou EEHv, et une étude récente a montré que les décès attribuables à l’EEHv chez les jeunes éléphants en captivité surviennent généralement à un âge où le stress dû à la séparation ou au dressage est probable.
Dans les zoos américains et canadiens, près de quatre éléphants sur cinq sont transférés d’un établissement à l’autre au moins une fois. Une étude réalisée en 2012 a révélé que 42 % des éléphants nés en captivité en Amérique du Nord ne vivent plus avec leur mère. Il semble donc probable que les taux de mortalité globalement élevés des jeunes éléphants de zoo soient associés à des degrés inadéquats de bien-être ou de stress.
La plupart des zoos prétendent que la conservation est l’un des principaux objectifs de leurs activités. Si la conservation des animaux sauvages semble toujours être un objectif sensé, il y a des interprétations très différentes de ce qu’on entend réellement par « conservation » dans le contexte des zoos. La plupart des spécialistes de la conservation s’accordent à dire que la conservation consiste à protéger la population d’une espèce dans son habitat naturel afin qu’elle puisse continuer à jouer son rôle dans un écosystème complexe, qui à son tour profitera à de nombreuses autres espèces, y compris à l’homme. Cependant, de nombreux zoos affirment que la conservation signifie également l’établissement et le maintien en captivité de populations d’une espèce, même s’il n’existe aucune possibilité raisonnable que ces animaux retournent un jour à l’état sauvage. Non seulement cela n’aide pas les populations sauvages ni les écosystèmes, mais cela perpétue la souffrance d’animaux sauvages gardés en captivité et contribue à alimenter la demande d’animaux à extraire de la nature.
Il est également important d’analyser l’influence qu’exerce l’industrie zoologique dans une perspective mondiale. Les zoos occidentaux ont longtemps servi de modèles à l’établissement de zoos en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique. Depuis longtemps, les façons de faire des zoos occidentaux sont reproduites dans les zoos ailleurs dans le monde. Cela se poursuit encore aujourd’hui.
Nous constatons des problèmes importants dans la gestion des éléphants en captivité et dans l’acquisition non éthique d’éléphants dans diverses installations du monde, mais il est souvent compliqué de réussir à mettre fin à ces façons de faire parce que l’attrait des éléphants en captivité reste largement accepté dans les pays occidentaux. Si l’on prenait des mesures pour éliminer progressivement les éléphants en captivité des zoos canadiens, ce serait un tremplin important pour ouvrir la discussion visant à mettre fin aux pratiques d’exploitation graves qu’on observe ailleurs.
Le maintien et la reproduction d’éléphants en captivité dans les zoos, particulièrement hors des pays de l’aire de répartition, relèvent d’une façon de faire dépassée qui n’aide pas les éléphants sauvages et cause de la souffrance en captivité. Avec le projet de loi S-15, le Canada a la possibilité de contribuer à l’élimination progressive du maintien en captivité d’éléphants dans un climat inadapté et de favoriser une protection accrue des éléphants là où ils ont leur véritable place : dans la nature. Merci.
La présidente : Merci, docteur Schmidt-Burbach. Nous allons maintenant entendre M. Bob Jacobs. Merci de vous joindre à nous depuis les États-Unis. Nous vous remercions de votre contribution. La parole est à vous.
Bob Jacobs, professeur émérite, Neurosciences, Collège Colorado, à titre personnel : Merci de m’offrir cette tribune. Je mène des recherches sur le cerveau des mammifères depuis 1984 et j’ai publié 46 articles scientifiques évalués par des pairs. De 1984 à 2010, mes recherches se concentraient principalement sur le cortex cérébral humain. Depuis 2010, je me concentre sur la neuroanatomie comparative, j’examine le cerveau d’un grand nombre d’espèces rarement étudiées, dont l’éléphant d’Afrique.
Six décennies de recherche neuroscientifique m’ont permis de tirer plusieurs conclusions sur l’état du cerveau des animaux non humains en captivité. Ces conclusions sont présentées dans notre article de synthèse de 2021 sur les conséquences neuronales des environnements appauvris pour les éléphants et les cétacés. Il convient de souligner qu’aucune recherche de cette nature n’a été menée directement sur les éléphants, car elle nécessiterait des expériences contrôlées sur des compagnons de portée — les éléphants n’ont pas de compagnons de portée — et on devrait ensuite tuer ces animaux pour extraire leur cerveau. Je pense donc que de telles recherches seraient non conformes à l’éthique. Néanmoins, les cerveaux de toutes les espèces — plus de 20 espèces citées dans l’article examiné à ce jour, des fourmis à l’être humain — montrent clairement les effets néfastes d’un environnement appauvri sur de multiples structures cérébrales, du niveau moléculaire au niveau cellulaire. Nos conclusions ne sont donc pas faciles à rejeter, à moins que l’on ne veuille affirmer que le cerveau des éléphants réagit différemment à l’environnement que le cerveau de toutes les autres espèces étudiées à ce jour. À cet égard, il est important de souligner que les cerveaux sont hautement conservés. En effet, les cerveaux de l’éléphant, de l’être humain, du singe, du chat, du chien et du rat ont tous les mêmes structures de base qui remplissent les mêmes fonctions de base et qui réagissent à l’environnement de la même manière.
En résumé, l’environnement en captivité présente des limites inhérentes aux éléphants. Dans les faits, l’environnement captif est un environnement appauvri qui a des répercussions négatives sur le cortex cérébral, ce qui entraîne des déficits cognitifs. L’environnement captif et appauvri entraîne également un stress chronique qui compromet le système immunitaire, ce qui rend l’animal plus susceptible aux infections et aux maladies. Enfin, le stress chronique induit par l’environnement appauvri entraîne la dégénérescence et la dérégulation de plusieurs structures cérébrales, ce qui se traduit par des troubles de la mémoire et de traitement des émotions, l’impuissance acquise, des symptômes s’apparentant à une dépression et des stéréotypies prononcées, c’est-à-dire des mouvements répétitifs sans but, comme des balancements d’avant en arrière. Ces stéréotypies ne sont jamais observées chez les éléphants en liberté, mais elles sont courantes chez les éléphants en captivité et elles sont des signes de lésions cérébrales.
Il existe des preuves irréfutables que l’environnement d’un zoo, quel que soit le critère utilisé, et même s’il est conforme aux directives relatives à l’accréditation, est appauvri et qu’il a donc des répercussions négatives sur la santé générale des éléphants, y compris sur leur cerveau complexe. Je pense qu’il est inhumain et contraire à l’éthique de détenir des éléphants dans des zoos, car ce sont des êtres autonomes qui vivent longtemps et qui sont dotés de capacités sociocognitives et émotionnelles complexes. À tous les égards, cela équivaut à forcer un être humain à vivre toute sa vie dans une salle de bains. Les éléphants méritent mieux.
Dans la mesure où la plupart des éléphants en captivité ne peuvent pas être relâchés dans la nature pour des raisons pratiques et éthiques, on peut préconiser de les transférer dans d’authentiques sanctuaires où ils peuvent vivre dans un environnement plus naturel. Les véritables sanctuaires font état d’une amélioration de la santé physique et psychologique des éléphants après leur arrivée. Je pense donc que les éléphants devraient rester libres et protégés ou, s’ils sont déjà en captivité, ils devraient être relâchés dans un sanctuaire authentique.
En conclusion, j’ajouterai que ce que j’ai dit ici au sujet des éléphants s’applique également aux grands singes, aux grands félins et probablement à de nombreuses autres espèces. Je vous remercie.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Jacobs. Nous passons maintenant aux questions. Nous entendrons d’abord le parrain du projet de loi, le sénateur Klyne, et ensuite le porte-parole du projet de loi.
Le sénateur Klyne : Ma question s’adresse à l’ensemble des témoins. La semaine dernière, des représentants de l’African Lion Safari ont répondu à une question sur l’annulation de la vente de deux éléphants d’Asie à un zoo du Texas en 2021. Cette vente aurait brisé deux paires mère-fille qui, d’après ce que j’ai compris, restent normalement ensemble pour la vie. Dans un cas, Emily, une éléphante de 15 ans, devait être vendue loin de sa fille, Gigi. Dans l’autre cas, Nellie, huit ans, devait être vendue loin de sa mère, Natasha. Les représentants d’African Lion Safari nous ont indiqué qu’une telle séparation ne cause pas de détresse émotionnelle ou de traumatisme chez les éléphants. Cependant, j’ai vu ailleurs que les paires mère-fille d’éléphantes d’Asie se souviennent l’une de l’autre après des années de séparation et qu’elles vivent de joyeuses retrouvailles.
Pouvez-vous nous dire si la séparation des paires mère-fille d’éléphants d’Asie, notamment dans le cas d’une jeune éléphante de huit ans, leur causerait une détresse émotionnelle ou un traumatisme?
M. Lindsay : Je pense sans équivoque que cela leur causerait du stress et un traumatisme. Ces dernières semaines, j’étais dans le parc national d’Amboseli, au Kenya. En ce moment, les conditions sont bonnes, mais les groupes se séparent et se réunissent souvent. Les membres des différents groupes montrent des réactions incroyablement émotionnelles lorsqu’ils retrouvent des membres de leur famille. Ces animaux sont très heureux de se revoir même chez les groupes matriarcaux séparés au sein desquels les paires mère-fille ne sont pas séparées. Cela implique que lorsque ces animaux sont séparés, ils éprouvent un certain sentiment de perte.
Je pense que les représentants de l’African Lion Safari ne savent pas vraiment de quoi ils parlent. Ils ne fondent pas leurs connaissances sur la biologie des éléphants naturels qui vivent en liberté, mais sur ce qu’ils voient devant eux, c’est-à-dire un fragment de la vraie vie d’un éléphant.
M. Jacobs : Si vous me le permettez, j’aimerais ajouter que les recherches sur les sujets humains montrent que la privation socioémotionnelle précoce entraîne une variété de déficits neuronaux qui correspondent aux déficits cognitifs, comportementaux et socioémotionnels observés chez les enfants. Certains croient qu’un traumatisme subi pendant la petite enfance peut par la suite rendre le cerveau adulte plus vulnérable à des réponses inadaptées au stress. Cette question est particulièrement pertinente pour les espèces à longue durée de vie et les animaux très sociaux comme les éléphants nés en captivité, car les jeunes cerveaux sont plus malléables et plus sensibles aux changements environnementaux, y compris l’environnement appauvri et les blessures socioémotionnelles.
Dr Schmidt-Burbach : Une étude réalisée en 2008 indique que dans les zoos européens, l’âge de la séparation et le nombre de transferts au cours de la vie sont liés à un risque de mortalité plus élevé pour les éléphants d’Asie. Il ne fait aucun doute que cela s’applique probablement aussi aux éléphants d’Afrique.
Le sénateur Klyne : Ma prochaine question s’adresse également à l’ensemble des témoins. Monsieur Lindsay et docteur Schmidt-Burbach, vous et une vingtaine d’autres spécialistes des éléphants avez écrit une lettre à l’appui des politiques du projet de loi S-15 concernant les éléphants. Vous avez écrit ce qui suit au sujet des éléphants:
...leurs besoins biologiques, sociaux, cognitifs, en matière d’espace et intrinsèques de base. Il faut mettre fin à la possibilité de maintenir des éléphants en captivité au Canada et tout mettre en œuvre pour que ceux qui restent captifs bénéficient des meilleures conditions possible pour répondre à leurs besoins et assurer leur bien-être pour le reste de leur vie.
Pourriez-vous approfondir ces commentaires?
M. Lindsay : Pour les raisons que nous avons déjà mentionnées dans nos discussions, mais aussi dans cette lettre, rien ne justifie de maintenir les éléphants dans les conditions présentes dans les zoos qui, comme nous l’avons dit, sont conçus pour l’exposition et non pour la biologie ou la vie des éléphants. Dans ces cas, la priorité n’est pas de maintenir les éléphants dans de bonnes conditions, mais de permettre au public de les voir pour percevoir des droits d’entrée.
Si on agit dans l’intérêt des éléphants, il faut mettre un terme à l’élevage, afin qu’il n’y ait plus de jeunes animaux placés dans cette situation pour le reste de leurs nombreuses décennies de vie. Il existe des sanctuaires parfaitement adaptés. Les responsables des sanctuaires eux-mêmes admettent — et cela témoigne de leur compassion — que les environnements des sanctuaires, même s’ils sont nettement plus vastes, plus variés et plus compatissants à l’égard des éléphants, ne sont toujours pas suffisants pour offrir une vie décente aux éléphants. Cependant, ils sont préférables à n’importe quel zoo. Les éléphants devraient pouvoir vivre leur vie dans ces conditions plutôt que d’être contraints de rester dans les conditions inadéquates que l’on trouve dans les zoos.
La présidente : Je vous remercie. Monsieur Jacobs et docteur Schmidt-Burbach, le temps imparti au parrain du projet de loi est écoulé, mais si vous avez une courte intervention, je vous permettrai de répondre.
Non? D’accord, c’est parfait. Je vous remercie. La parole est maintenant au porte-parole du projet de loi, le sénateur Plett.
Le sénateur Plett : Mes premières questions s’adresseront à M. Lindsay, mais si les autres témoins souhaitent intervenir très brièvement, je les invite à le faire.
Monsieur Lindsay, je trouve un peu étrange que vous alliez jusqu’à laisser entendre que les intervenants de l’African Lion Safari n’ont aucune idée de ce dont ils parlent. Il s’agit d’une institution de renommée mondiale, soutenue par l’Association of Zoos and Aquariums, ou l’AZA, et Aquariums et zoos accrédités du Canada, ou AZAC, mais vous laissez entendre qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent.
Je vais d’abord vous poser une question très courte. Monsieur Lindsay, avez-vous déjà, oui ou non, visité l’African Lion Safari?
M. Lindsay : Non.
Le sénateur Plett : Je vous remercie. Et pourtant, vous savez que ses représentants ne savent pas de quoi ils parlent.
M. Lindsay : C’est à cause de ce qu’ils disent.
Le sénateur Plett : Je vous remercie. Vous avez répondu à la question.
Je suis certain que tous nos témoins savent que les éléphants d’Afrique et les éléphants d’Asie sont classés comme espèces en voie de disparition dans la Liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature. L’éléphant d’Afrique est menacé en raison du braconnage et de la perte d’habitat, tandis que l’éléphant d’Asie est menacé en raison du braconnage, du commerce illégal, de la perte et de la fragmentation des habitats, ainsi que des conflits entre les êtres humains et les éléphants. Je n’ai pas remarqué qu’il y avait des zoos et des parcs fauniques sur cette liste, mais pourtant, d’après vos déclarations, il semblerait que vous pensez qu’ils devraient s’y trouver.
Croyez-vous que les zoos et les parcs fauniques contribuent au fait que les éléphants sont menacés?
M. Lindsay : Ils y contribuent dans la mesure où des animaux sont prélevés dans la nature. Cela contribue à l’appauvrissement des populations sauvages.
Je dirais également que les zoos dans les pays tempérés, où les gens peuvent aller voir ces animaux sans avoir à se rendre dans l’aire de répartition naturelle, représentent en fait le contraire de la conservation. En effet, on sort les animaux de leur écosystème pour les placer dans un milieu non naturel pour eux et où les gens peuvent les voir en ayant l’impression qu’ils sont très bien parce qu’ils sont dans un zoo. Je pense que cela contribue à une certaine complaisance à l’égard de la situation des éléphants plutôt que de contribuer à leur conservation.
Le sénateur Plett : Je vous remercie. Bien entendu, le parc African Lion Safari ne prend pas ses éléphants des milieux naturels, car depuis 1991, 27 éléphants sont nés dans le parc, et il n’y a eu aucun infanticide ou mort-né. Le parc affiche un très bon bilan et ne fait pas venir ses éléphants d’Afrique ou d’Asie.
J’ai une question complémentaire à poser. Après l’avoir posée, je serais heureux que le Dr Schmidt-Burbach réponde à la question précédente et à celle-ci aussi.
Dans le projet de loi S-15, on prétend que la science établit que certains animaux — en particulier les éléphants et les grands singes — ne devraient pas être gardés en captivité parce que c’est cruel. Vous y avez d’ailleurs fait allusion. Cette affirmation n’est pas nuancée par les conditions de captivité, les soins prodigués aux animaux ou la taille de leur habitat. En fait, il existe des habitats qui s’étendent sur 20 000 kilomètres carrés.
Êtes-vous d’accord avec cette affirmation, quelle que soit la taille, qu’il s’agisse de 20 000 kilomètres carrés ou de 200 acres?
Dr Schmidt-Burbach : Plus l’habitat pour les éléphants est vaste, plus ils ont la possibilité d’explorer différents habitats, différents milieux géographiques et différents climats. En outre, ils peuvent interagir avec différents individus dans l’environnement social. Ainsi, dans la nature, un habitat plus vaste va de pair avec un meilleur accès à différents comportements, différentes possibilités de socialisation, etc. Dans ces cas, un habitat plus vaste est préférable à un habitat plus petit.
Le sénateur Plett : Je vais vous poser une autre question. Il existe de nombreuses réserves fauniques dans le monde qui détiennent des éléphants en captivité, par exemple le Parc national des éléphants d’Addo, en Afrique du Sud et le Lewa Wildlife Conservancy, au Kenya, pour n’en citer que deux. Ces deux parcs sont clôturés pour protéger leur faune — y compris les éléphants — du braconnage et des conflits avec les collectivités locales. Selon le projet de loi S-15 et le sénateur Klyne, il s’agit d’un acte de cruauté. Êtes-vous d’accord pour dire qu’il est cruel de garder des éléphants dans ces parcs?
J’aimerais entendre la réponse du Dr Schmidt-Burbach et de M. Lindsay.
Dr Schmidt-Burbach : Tout d’abord, je pense que le projet de loi S-15 concerne les zoos canadiens qui se trouvent dans un climat qui ne convient absolument pas aux éléphants d’Asie et aux éléphants d’Afrique. Donc cette question de l’échelle…
Le sénateur Plett : Je suis désolé, mais vous ne répondez pas à ma question. Vous avez déjà fait votre déclaration. Je vous pose maintenant une question. Pensez-vous qu’il est cruel de garder un éléphant dans une réserve faunique au Kenya ou dans un parc international en Afrique du Sud?
Dr Schmidt-Burbach : Cela dépend de la raison, et j’y ai fait allusion dans ma déclaration. Il faut qu’il y ait…
Le sénateur Plett : Je vous remercie. Monsieur Lindsay?
M. Lindsay : Tout d’abord, je ne sais pas d’où vous tenez vos renseignements, car le Parc national des éléphants d’Addo fait des dizaines, voire des centaines de kilomètres carrés, et il ne s’agit donc pas d’une aire exiguë.
Le sénateur Plett : Quelle est la taille d’une aire exiguë?
M. Lindsay : Des centaines de kilomètres carrés...
Le sénateur Plett : Quelle est la taille d’une aire exiguë?
M. Lindsay : Des centaines de kilomètres carrés représentent une superficie plus grande que celle de n’importe quel zoo.
Le sénateur Plett : Nous savons donc que ce ne l’est pas, mais qu’est-ce qui l’est?
M. Lindsay : Si vous me laissez terminer... Le Lewa Wildlife Conservancy dont vous avez parlé n’est pas clôturé. Je ne sais pas où vous avez obtenu ces renseignements, mais ce parc est ouvert à la nature, et il est adjacent à une vaste zone d’habitat d’éléphants en liberté complète.
Je suis désolé, mais vous ne dites rien…
Le sénateur Plett : Je vous remercie. Puis-je être inscrit à la deuxième série de questions, s’il vous plaît? Je vous remercie, monsieur.
La sénatrice Batters : Ma première question s’adresse au représentant de l’organisme Protection mondiale des animaux. Sur votre site Web, on peut lire que: « ... les zoos peuvent jouer un rôle vital dans la conservation des espèces sauvages menacées... » et on préconise de concentrer les efforts sur les espèces à risque immédiat d’extinction.
De plus, l’African Lion Safari au Canada a démontré par ses programmes de conservation un impact positif important sur la préservation des éléphants d’Asie, contribuant ainsi activement à leur survie en Amérique du Nord. Or, le projet de loi S-15 pourrait pénaliser des initiatives comme celle de l’African Lion Safari, qui sont essentielles aux efforts de conservation. Compte tenu de la position déclarée de votre organisme selon laquelle les zoos jouent un rôle essentiel dans la conservation des espèces menacées, appuyez-vous le maintien de programmes de conservation comme celui de l’African Lion Safari, qui s’est avéré efficace pour préserver des populations d’éléphants d’Asie à l’extérieur de leur habitat naturel?
Dr Schmidt-Burbach : Non, je n’appuie pas leur maintien. Je ne crois pas que les efforts de conservation déployés par l’African Lion Safari aident de quelque façon que ce soit les éléphants sauvages dans leur habitat naturel. Notre organisme et nos politiques reflètent ou respectent le fait que les zoos peuvent jouer un rôle de conservation si les animaux menacés sont élevés pour être relâchés dans la nature ou si les zoos accueillent des animaux confisqués dans le cadre du commerce illégal d’espèces sauvages. Ce n’est toutefois pas le cas de l’African Lion Safari, où les éléphants sont élevés dans le seul but de maintenir des populations captives, sans aucun avantage pour leur habitat naturel et leurs écosystèmes.
Par ailleurs, la conservation ne consiste pas seulement à préserver le nombre d’individus d’une espèce. Elle doit aussi préserver l’espèce dans son habitat naturel, afin qu’elle puisse jouer son rôle naturel dans son écosystème et profiter à toutes les espèces de ce système.
Cela ne va pas de soi pour les activités menées par l’African Lion Safari ou dans tout autre zoo canadien.
La sénatrice Batters : Merci.
Ma deuxième question s’adresse à vous trois. J’aimerais une réponse très rapide de la part de chacun. Selon vous, le fait de maintenir des animaux en captivité dans des établissements qui adhèrent aux normes de protection des animaux constitue-t-il nécessairement un acte de cruauté envers les animaux?
M. Lindsay : Comme je l’ai indiqué, les normes applicables aux éléphants sont fixées par les zoos eux-mêmes et ne sont pas fondées sur la biologie des éléphants et leurs besoins; elles sont basées sur ce que les zoos peuvent se permettre de fournir.
Les normes des zoos canadiens et américains sont de 500 mètres carrés par individu dans les enclos extérieurs. Il ne s’agit pas d’une norme de soins, mais d’une norme basée sur ce que le zoo peut se permettre.
Donc, non, ce n’est pas du tout adéquat.
La sénatrice Batters : Votre réponse est donc que les normes nord-américaines que vous venez de décrire constituent bien une forme de cruauté envers les animaux.
M. Lindsay : Absolument.
La sénatrice Batters : Passons au Dr Schmidt-Burbach, s’il vous plaît.
Dr Schmidt-Burbach : Tout environnement de captivité est un compromis par rapport au bien-être des animaux sauvages. Tout dépend de la raison pour laquelle ces animaux sauvages sont maintenus en captivité.
La sénatrice Batters : Y a-t-il une limite de taille pour ce que vous considérez comme de la captivité ou la taille est-elle illimitée?
Dr Schmidt-Burbach : L’environnement doit être aussi grand que possible. Chaque sanctuaire s’efforce de reproduire, aussi bien que possible, l’habitat des animaux, ce qui implique qu’il soit aussi grand, riche et diversifié que possible.
La sénatrice Batters : D’accord. Mais avez-vous une limite de taille particulière à l’esprit pour déterminer ce que vous considérez comme de la captivité ou non?
Dr Schmidt-Burbach : Non, je ne pense pas à une limite de taille particulière. Cela dépend. Dans les zoos d’Amérique du Nord, la taille des environnements est beaucoup plus petite que n’importe quel type d’habitat sauvage. Toute taille prévue dans les zoos nord-américains est clairement de la captivité.
La sénatrice Batters : Je vois.
Monsieur Jacobs, le fait de maintenir des animaux en captivité dans des établissements qui adhèrent aux normes de protection des animaux constitue-t-il nécessairement un acte de cruauté envers les animaux?
M. Jacobs : Cela dépend de votre définition de la « cruauté ». Cela dépend également de l’animal dont on parle.
La sénatrice Batters : Alors, référons-nous au projet de loi. Le projet de loi S-15 contient le mot « cruauté ». Considérez-vous que le simple fait qu’un animal se trouve en captivité est suffisant pour constituer de la cruauté?
M. Jacobs : Oui. Je pense que ces environnements sont appauvris, insuffisants et qu’ils entraînent des lésions cérébrales. Je considère cela comme de la cruauté.
La présidente : Je vous inscris pour un deuxième tour, sénatrice Batters.
Messieurs Lindsay, Schmidt-Burbach et Jacobs, vous n’avez pas pu achever vos phrases tout à l’heure. Voulez-vous terminer ce que vous disiez? Je vais utiliser mon temps de parole pour vous permettre de compléter vos réponses si vous le souhaitez, mais rien ne vous y oblige.
M. Lindsay : Je ne comprends pas très bien ce que vous voulez dire. Demandez-vous si nous avons quelque chose à ajouter à nos déclarations précédentes?
La présidente : Non. Le sénateur Plett vous posait des questions. Il en avait beaucoup, alors il a pris beaucoup de temps, et vous aviez encore quelque chose à préciser. Je vous demande donc d’expliquer de quoi il s’agit.
M. Lindsay : Je vois. En fait, le...
La présidente : Si vous vous en souvenez plus tard, ce n’est pas grave.
M. Lindsay : Je reviendrai simplement sur le fait que les soi‑disant normes pour les zoos en Amérique du Nord, comme je l’ai dit, n’ont rien à voir avec la biologie des animaux. Il s’agit d’animaux de grande taille, très complexes sur le plan cognitif et social, qui ont évolué, se sont adaptés et sont habitués à vivre dans des territoires de centaines de kilomètres carrés d’habitats riches et variés, à passer les trois quarts de la journée à se nourrir d’un grand nombre d’espèces végétales différentes et à parcourir une moyenne de 10 kilomètres par jour. C’est la superficie moyenne couverte par jour de toutes les populations d’éléphants étudiées. Il ne s’agit pas seulement de déplacements localisés, comme l’ont suggéré certaines études menées par des zoos, mais de déplacements allant de 2 ou 3 à plus de 30 kilomètres par jour.
Si on prend un animal comme ça et qu’on essaie de le placer dans un espace confiné, même s’il s’agit de 10 ou 100 acres, c’est loin d’être suffisant pour lui donner le genre de vie qu’il aurait. Inévitablement, il souffre, et inévitablement, c’est inhumain et cela devrait être éliminé.
La présidente : Merci.
Monsieur Jacobs, voulez-vous ajouter quelque chose? Non? Docteur Schmidt-Burbach, et vous?
Dr Schmidt-Burbach : Non, merci.
La présidente : Merci.
Le sénateur Dalphond : Je remercie les témoins. Il est toujours très intéressant d’entendre des personnes qui connaissent bien les animaux dont nous parlons.
Monsieur Jacobs, je crois que vous avez mentionné dans votre bref mémoire qu’il y a deux sanctuaires d’éléphants aux États‑Unis. Pourriez-vous me les décrire? Sont-ils situés dans le nord ou dans une région plus chaude du pays? Quelle est leur taille et qu’offrent-ils aux éléphants? Vous dites que les éléphants sont quand même en captivité, je suppose, mais quelle est la taille des sanctuaires? Combien de kilomètres les éléphants peuvent-ils parcourir, par exemple?
M. Jacobs : L’un se trouve dans le nord de la Californie, et c’est le sanctuaire de la Performing Animal Welfare Society, ou PAWS. L’autre se trouve au Tennessee. J’ai visité le sanctuaire de la PAWS, mais pas celui du Tennessee.
Je ne connais pas la taille de ces sanctuaires, mais je sais que les éléphants s’y déplacent librement dans les limites de l’espace disponible. Et oui, les sanctuaires sont une forme de captivité. Ils ne sont pas idéaux. Ils sont cependant meilleurs que les zoos. La principale différence est que les zoos sont conçus principalement pour les humains, alors que les sanctuaires sont conçus pour les animaux qui s’y trouvent. Voilà, je pense, la principale différence.
M. Lindsay ou le Dr Schmidt-Burbach connaissent peut-être la taille de ces endroits.
Le sénateur Dalphond : Mais dans ces sanctuaires, les éléphants sont-ils confinés à l’intérieur pour la nuit? Certaines personnes tentent de comparer ces sanctuaires à l’African Lion Safari, qui s’étend sur 200 acres. Ils contestent donc l’idée qu’ils sont en captivité. Je comprends que pendant l’hiver, ils ne peuvent pas dormir dehors; ils doivent retourner — je ne dirais pas « cage » — dans la même pièce pour dormir.
Est-ce la même chose dans ces sanctuaires?
M. Lindsay : Puis-je répondre?
Le sénateur Dalphond : Oui, s’il vous plaît.
M. Lindsay : Il existe en fait trois sanctuaires en Amérique du Nord. Il y en a un troisième en Georgie. Les hivers n’y sont pas froids du tout. Le sanctuaire de la PAWS, dans le nord de la Californie, est plus frais en hiver, mais il ne neige pas. Dans le Tennessee, je pense que les conditions sont plus fraîches, mais il ne s’agit pas d’un état du nord ou du Canada.
Certes, au sanctuaire du Tennessee et à l’Elephant Refuge North America, EARNA, en Georgie, les éléphants sont autorisés à entrer dans les granges et à en sortir à leur guise. Ils ont la liberté et l’autonomie de choisir. Les granges sont chauffées et sèches, et s’ils veulent y entrer pour échapper aux conditions extérieures, ils le peuvent; cependant, ils n’y sont pas rassemblés le soir.
C’est intéressant. J’ai lu certains témoignages précédents. Le African Lion Safari a déclaré que l’utilisation des 200 acres dépendait du temps de travail du personnel. Cela signifie que tous les jours, les éléphants sont ramenés dans les étables. Même dans cette situation, ils ne peuvent pas choisir d’entrer ou de sortir. En hiver, ils ne peuvent certainement pas passer beaucoup de temps à l’extérieur. On a parlé du fait qu’ils sortent — on a mentionné des éléphanteaux qui jouent dans la neige —, mais ils ne passent certainement pas plus de quelques heures dans les conditions glaciales de l’hiver. Cela signifie qu’ils sont confinés dans leur stalle à l’intérieur d’une étable une grande partie de la journée, et probablement — même en été — pendant la nuit.
Dr Schmidt-Burbach : Mis à part le fait que l’habitat et les conditions de vie des éléphants sont nettement meilleurs dans ces sanctuaires, la grande différence est qu’aucun de ces sanctuaires ne fait l’élevage de ses éléphants. C’est une grande différence entre les sanctuaires et les zoos. Les sanctuaires acceptent que leur captivité soit un compromis, mais ils n’augmentent pas la population en captivité. Ils veulent être une solution pour la population en captivité qui existe et qui a besoin de soins. L’élevage d’éléphants dans des conditions qui compromettent leur bien-être et n’ont aucune valeur pour la conservation des éléphants dans leur habitat ne peut vraiment pas être une solution.
La sénatrice Simons : J’aimerais reprendre là où le sénateur Dalphond a conclu ses remarques. L’un des problèmes, c’est qu’il est facile de dire que nous n’aurions pas dû avoir d’éléphants, mais nous les avons. Je ne sais pas s’il existe aux États-Unis un sanctuaire suffisamment grand pour accueillir deux dizaines d’éléphants. Je ne sais pas non plus combien de ces sanctuaires sont inspectés et accrédités. Celui du Tennessee, si je ne m’abuse, est accrédité par l’AZA, mais je ne suis pas certaine pour les autres. Si quelqu’un déclare qu’il est un sanctuaire pour éléphants, qui établit les lignes directrices pour cela? De toute évidence, il y a un argument convaincant pour dire que nous n’aurions jamais dû avoir d’éléphants, mais nous en avons. Je ne suis pas certaine que de les envoyer dans une forme de captivité un peu meilleure aux États-Unis nous absout moralement des décisions que nous avons prises. Dans la pratique, que pouvons-nous faire de ces dizaines d’éléphants?
M. Lindsay : Dans un premier temps, il faut les empêcher de se reproduire. Ils pourraient rester à l’African Lion Safari tant qu’ils ne se reproduisent pas. En ce qui concerne les zoos, l’African Lion Safari est une meilleure option. Il semble disposer d’une plus grande zone d’habitat et d’une alimentation relativement naturelle, au moins pendant une partie de la journée. Tout d’abord, ils doivent cesser de se reproduire. Ces éléphants peuvent continuer à être mis en exposition et vivre leur vie, mais leur nombre n’augmentera plus.
Les sanctuaires peuvent accueillir une partie des éléphants. Il y a trois sanctuaires et il y a de la place pour quelques éléphants supplémentaires. Toutefois, ils doivent cesser de se reproduire. Le nombre d’animaux diminuera alors progressivement.
La sénatrice Simons : Nous nous retrouvons donc avec une série de mauvais choix. Si nous laissons les éléphants mourir naturellement, leur population diminuera de plus en plus, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un ou deux éléphants solitaires qui seront aussi seuls que la pauvre Lucy au zoo d’Edmonton Valley. Si on les répartit parmi les sanctuaires pour éléphants, on divise l’unité familiale.
Bien que je respecte l’expertise que vous avez tous offerte, je ne sais pas si c’est aussi simple. Je ne peux pas remuer mon nez et faire en sorte que les éléphants retournent dans leur habitat naturel.
Dr Schmidt-Burbach : C’est certainement une question délicate et un problème qui comporte des dilemmes éthiques, mais nous devons séparer la question. Devrions-nous élever plus d’éléphants et aggraver le dilemme de ce qu’il faut faire avec ces éléphants en captivité, soit augmenter leur nombre? Ou devrions-nous limiter leur nombre et dire que c’est la dernière génération en captivité et que nous tenterons, sur une base individuelle ou socialement, de trouver les meilleures solutions pour chacun de ces sous-groupes? Certains de ces éléphants n’auront pas l’occasion d’aller dans un sanctuaire, et encore moins de retourner dans leur habitat naturel. Malheureusement, c’est le prix à payer quand on a des éléphants en captivité dans un habitat non naturel en ce moment.
Si nous mettons fin à la reproduction, au moins il y a une fin. Nous devons en arriver là. Dans mon organisation, nous traitons de questions qui concernent parfois 20 000 ou 30 000 animaux dans des industries auxquelles nous essayons de mettre fin. Il n’y a aucune solution de sanctuaire pour ces animaux. La seule possibilité d’aller de l’avant, c’est de modifier les politiques pour empêcher l’augmentation de cette population. Ensuite, nous essayons de trouver les meilleures solutions pour le plus grand nombre d’animaux possible. C’est l’essentiel.
La sénatrice Simons : Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Carignan : J’aimerais revenir sur la question des éléphants, particulièrement dans les sanctuaires.
J’ai vu de la neige et des périodes de neige dans le sanctuaire au Tennessee et j’ai vu des éléphants qui semblaient, selon les reportages que j’ai vus, s’amuser grandement. Ils ne semblaient pas du tout incommodés.
Est-ce que vous avez étudié l’effet de la neige ou d’une période plus froide sur les éléphants de façon spécifique? Je dis cela parce que dans les vidéos que j’ai vues, particulièrement sur YouTube, j’étais assez impressionné de voir les éléphants s’amuser.
[Traduction]
M. Lindsay : On peut filmer des éléphants qui s’amusent dans la neige pendant quelques minutes, voire une heure, mais ils ne passent pas 24 heures dans la neige. Je sais qu’il ne neige pas souvent au Tennessee, mais quand il neige, les éléphants choisissent d’aller dans les étables. Les étables sont chauffées et les éléphants évitent le froid.
Le sénateur Carignan : Je veux clarifier ma question.
[Français]
Est-ce que vous avez étudié de façon spécifique les effets de la neige et des températures froides sur les éléphants dans le sanctuaire au Tennessee?
[Traduction]
M. Lindsay : J’ai vu quelques articles. J’en ai vu un aujourd’hui qui était une étude comparative d’un système enzymatique qui réagit aux conditions froides. C’était une étude comparative qui se penchait sur une série d’espèces, y compris des espèces adaptées au froid comme les pingouins et des espèces adaptées à la chaleur comme les éléphants. Chez les pingouins, le système enzymatique ne se mettait en marche que lorsque la température était nettement inférieure à zéro.
Chez les éléphants, le système enzymatique, qui réagit au froid et qui crée une restriction, était de plus de six degrés...
Le sénateur Carignan : Pardonnez-moi, monsieur. Je ne sais pas si c’est l’interprétation, mais ma question ne portait pas sur les pingouins. Elle portait sur les éléphants.
M. Lindsay : Oui, mais je parle d’une étude comparative entre espèces.
Le sénateur Carignan : Avez-vous étudié précisément ces éléphants au sanctuaire du Tennessee après les épisodes de neige et de froid?
M. Lindsay : Je ne les ai pas étudiés au Tennessee, mais je sais ce qu’ils font quand il fait froid. Ils se réfugient à l’intérieur lorsqu’il fait froid.
Le sénateur Carignan : Je vous remercie.
La sénatrice Clement : Merci à tous les témoins de leur travail et carrière — c’est impressionnant.
J’ai été élevée par des parents enseignants qui pensaient qu’ils devaient nous emmener dans des zoos, alors je suis souvent allée dans des zoos et des safaris. Cela me rendait triste.
Monsieur Jacobs, j’ai trouvé intéressant que vous disiez que nos cerveaux, qu’ils soient humains ou animaux, sont tous très semblables. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?
De plus, je soutiens cette mesure législative, soit dit en passant. Toutefois, je regrette qu’elle ne prévoie rien de plus, à savoir que l’on peut ajouter des espèces sauvages. C’est ce qu’on appelle la « clause Noah », qui permet au pouvoir exécutif d’ajouter les grands félins, par exemple. Monsieur Jacobs, vous avez parlé plus précisément des grands félins. Que pensez-vous de l’ajout de ce type de pouvoir dans cette mesure législative? Que pensez-vous de l’ajout des grands félins à cette liste d’espèces sauvages? Que pensez-vous de ce que je viens de dire?
M. Jacobs : Ce que j’ai dit à propos des éléphants s’applique également, à tout le moins, aux grands carnivores, y compris les grands félins. Des études ont été menées sur les grands carnivores en captivité. Mme Marino en parlera demain, je crois. Je serais favorable à l’ajout des grands félins et des grands carnivores à cette liste.
La question est, bien sûr, de savoir jusqu’où on peut aller dans le maintien en captivité des animaux. Je me souviens des paroles d’une personne qui a dit que les seuls animaux qui ne souffrent pas en captivité sont ceux qui ne savent pas qu’ils sont en captivité. Il y a probablement une part de vérité dans cette déclaration.
La sénatrice Clement : Merci.
La sénatrice Pate : Merci à nos témoins.
Ma question fait suite à celle de la sénatrice Clement. Je me rappelle aussi lorsque nous sommes passés des cages dans les zoos à des habitats soi-disant plus naturels. Lorsque vous avez décrit l’incidence, la sénatrice Simons s’est penchée et a dit, « Cela me rappelle la ségrégation de personnes. » Votre description de l’incidence sur les animaux est étrangement familière.
Ma question à vous tous concerne un récent article de presse indiquant que des crochets à éléphant ont été ou sont utilisés à l’African Lion Safari en Ontario, et que l’AZAC — l’organisme d’accréditation canadien — n’a pas interdit les crochets à éléphant, contrairement à l’association américaine.
Je comprends que ces instruments peuvent susciter de la douleur ou de la crainte. Je crois savoir que l’African Lion Safari a dit au comité qu’il n’utilisait pas de crochets à éléphant, mais des objets appelés des guides. Toutefois, Zoocheck Canada a déclaré que ces termes étaient interchangeables. Des photos prises l’année dernière semblaient montrer l’utilisation de ces instruments.
Chacun de vous peut-il nous expliquer la différence entre les crochets à éléphant et les guides, leur utilisation et leur incidence sur les animaux en captivité, et plus particulièrement les éléphants?
M. Lindsay : Tout est une question de marque, n’est-ce pas? Si vous appelez l’instrument un crochet à éléphant, cela semble grave, et si vous l’appelez un guide, c’est comme si c’était correct.
D’après ce que j’ai compris, le crochet à éléphant est basé sur l’outil utilisé en Asie par les cornacs. C’est ce qu’on appelle un ankush. C’est la même chose. C’est comme un tisonnier avec une extrémité pointue et un crochet rond. Le crochet sert à tirer sur les oreilles de l’éléphant. L’extrémité pointue sert à piquer l’éléphant avec un objet pointu et tranchant.
Je crois savoir que les « guides » utilisés à l’African Lion Safari n’ont pas de crochet, mais ils ont toujours l’extrémité pointue et sont toujours en métal.
C’est un renforcement des traitements cruels qui ont été réservés aux animaux au cours d’une période antérieure. Le simple fait que le gardien tienne le crochet à éléphant suffit à rappeler à l’animal qui est en charge. On peut ne pas voir le crochet être brandi de manière cruelle, mais le fait qu’il soit là signifie qu’il y a une réponse conditionnée. Les éléphants obéissent aux ordres parce qu’ils savent qu’il y aura une conséquence s’ils ne le font pas. C’est ce que j’en comprends. Il n’y a pas de différence entre un crochet à éléphant et un guide.
La présidente : Sénateur Cotter, le temps est écoulé. Je vais vous accorder trois minutes.
Le sénateur Cotter : C’est une question simple. L’une des questions qui se posent ici est de savoir dans quelle mesure les zoos encouragent les jeunes à s’engager en faveur de la conservation. Ils n’ont pas la réaction décrite par la sénatrice Clement, mais vous, l’un de vos collègues ou peut-être moi — si nous rencontrions un animal en captivité — pourrions être inspirés par les animaux, par le soutien aux initiatives de conservation en général. Je ne sais pas si c’est légitime.
J’aimerais connaître votre avis sur la valeur de cette dimension, de l’exposition à des animaux que les gens ne verraient pas autrement, à moins d’être suffisamment riches ou d’être des chercheurs et de pouvoir se rendre en Afrique pour voir les animaux.
Dr Schmidt-Burbach : Je peux commencer par cela. Premièrement, si je me réfère à ma propre enfance et aux enfants de mes amis notamment, l’expérience la plus enrichissante dans un zoo est généralement celle du zoo pour enfants, où ils peuvent interagir avec les animaux d’élevage et les animaux domestiqués. Ils se soucient moins de l’animal en voie de disparition dans une cage ou un petit enclos.
Par ailleurs, certaines études ont examiné l’effet d’une visite dans un zoo et ont cherché à savoir si les visiteurs ont changé leur comportement par après et s’ils devenaient plus actifs pour adopter des comportements durables ou soutenir la conservation. Les différentes études — il y en a plusieurs — concluent que les visites de zoos ne mènent pas à un véritable changement de comportement durable.
Une autre étude réalisée au Royaume-Uni s’est penchée sur 1 000 personnes et a conclu ceci :
[...] on a trouvé très peu de preuves, dans les zoos que nous avons échantillonnés, de l’effet mesurable d’une seule visite informelle sur les connaissances des adultes en matière de conservation, sur leurs préoccupations ou sur leur capacité de faire quelque chose d’utile.
Il s’agit d’un mythe très surfait que l’on entend souvent, à savoir que les visites de zoos inculquent un sens de la conservation. En fait, la plupart des visiteurs pensent que les zoos contribuent davantage à la conservation qu’ils ne le font en réalité. Une autre étude s’est penchée sur le décalage entre ce que les visiteurs croyaient qu’un zoo ferait pour la conservation et le peu d’initiatives qui deviennent des projets de conservation.
Le sénateur Cotter : Merci.
Le sénateur Plett : Madame la présidente, lorsque j’ai posé ma question tout à l’heure, M. Lindsay a réfuté une remarque que j’ai faite.
La présidente : Allez-y, posez-la.
Le sénateur Plett : Je ne vais pas la poser, mais j’aimerais la lire pour qu’elle soit consignée aux fins du compte rendu.
Il a dit qu’il ne savait pas où j’avais obtenu mes renseignements, mais que les installations d’Addo n’étaient pas clôturées. Je vais lire un extrait de leur site Web :
[...] en 1954, Graham Armstrong, le directeur du parc à l’époque, a créé une clôture à l’épreuve des éléphants, construite à l’aide de rails de tramway et de câbles de levage, et une zone de 2 270 hectares a été clôturée. Le parc comptait alors 22 éléphants. Cette clôture Armstrong, qui porte le nom de son concepteur, est encore utilisée aujourd’hui dans le parc.
M. Lindsay a déclaré que ce j’avais dit n’était pas vrai. Je veux que le compte rendu montre que ce qu’il a dit est incorrect et que ce que j’ai dit est vrai.
La présidente : Je me dois — juste un instant, monsieur Lindsay — de répondre à cela.
Le sénateur Plett : Non, aucune réponse n’est requise. Le temps est écoulé. J’ai lu quelque chose aux fins du compte rendu.
Une voix : En 1954. Laissez-le répondre.
Le sénateur Plett : Dirigez-vous la séance?
La présidente : Monsieur Lindsay, veuillez répondre.
Une voix : Mais vous oui.
Le sénateur Plett : Ce n’est pas le cas.
M. Lindsay : Si vous me permettez de répondre, je n’ai pas dit que les installations d’Addo n’étaient pas clôturées. J’ai dit qu’il s’agissait d’une zone clôturée de plusieurs centaines de kilomètres carrés. J’ai dit que le sanctuaire Lewa Wildlife Conservancy n’était pas clôturé. Donc, si vous voulez rectifier les faits, vous pouvez le faire. Le sanctuaire Lewa n’est pas clôturé. Addo l’est.
La présidente : Je vous remercie.
M. Lindsay : C’est ce que j’ai dit.
Le sénateur Plett : C’est différent de ce qui avait été dit.
La présidente : Merci, monsieur Lindsay.
M. Lindsay : Ce n’est pas différent.
La présidente : Sénateurs, nous n’avons plus de temps. Monsieur Lindsay, docteur Schmidt-Burbach et monsieur Jacobs, merci beaucoup de nous avoir consacré autant de temps. Vous avez vraiment enrichi nos discussions, alors merci de votre présence.
Pour notre deuxième groupe de témoins, veuillez vous joindre à moi pour accueillir le Dr Christopher Stremme, vétérinaire principal à l’Université Syiah Kuala, la Dre Imke Lueders, vétérinaire de zoo et de la faune et chercheure en conservation, Allwetterzoo Münster, et, à titre personnel, Dr Dennis Schmitt, professeur émérite, College of Agriculture, Université Missouri State.
Je demanderais au Dr Christopher Stremme de commencer. Vous disposez de cinq minutes.
Dr Christopher Stremme, vétérinaire principal, Université Syiah Kuala : Merci beaucoup, et bonsoir.
En plus d’être vétérinaire, je suis un ancien gardien d’éléphants. Je suis membre du groupe de spécialistes des éléphants d’Asie de l’UICN et je travaille avec des éléphants depuis 1992. J’enseigne la médecine des éléphants à l’Université Siyah Kuala à Banda Aceh, en Indonésie, et j’ai passé 20 ans à travailler dans des programmes de protection et de conservation des éléphants d’Asie sauvages et captifs dans plusieurs pays asiatiques, tels que l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, la Thaïlande, le Myanmar, l’Inde et la Chine.
En ce qui concerne le projet de loi, je dois en fait m’opposer à la déclaration du préambule au deuxième paragraphe, qui se lit comme suit:
[...] la science établit que certains animaux, notamment les éléphants et les grands singes, ne doivent pas vivre en captivité en raison de la cruauté que cela représente.
En fait, aucune preuve scientifique indépendante et impartiale n’est disponible pour justifier une telle déclaration générale à propos des singes et des éléphants en captivité. Une déclaration aussi générale que celle faite dans le deuxième paragraphe du préambule est même contredite par le troisième paragraphe, qui se lit comme suit:
[...] la captivité de ces animaux est justifiée dans certaines circonstances, notamment lorsqu’il s’agit de leur bien-être, d’un programme de recherche scientifique ou de conservation.
Le projet de loi reconnaît donc que les besoins en matière de bien-être des animaux en captivité peuvent être satisfaits.
En fait, quand les éléphants et les singes se trouvent dans des installations modernes qui sont dirigées et exploitées par un personnel qualifié, comme des gestionnaires, des zoologistes, des gardiens d’animaux et des vétérinaires, elles peuvent être des lieux de bien-être pour eux et ne pas leur causer de souffrance. En outre, la gestion de ces populations d’animaux en captivité peut appuyer et servir la conservation de ces espèces en éduquant et en sensibilisant le public. Les populations ex situ viables peuvent servir de réserve génétique et de ressources pour augmenter le nombre d’individus au sein de populations diminuées ou disparues dans des habitats revitalisés. Troisièmement cela peut permettre de recueillir des fonds pour financer des programmes de conservation in situ pour ces espèces.
Dans le premier paragraphe du préambule, on dit :
que le Parlement reconnaît l’évolution de l’opinion publique sur la captivité de certaines espèces animales non domestiques.
Si cela signifie que le grand public s’oppose largement à la présence de singes et d’éléphants dans des installations pour animaux sauvages en captivité, cette affirmation est contredite par le fait que des millions de personnes vont visiter des installations de ce genre au Canada où l’on s’occupe de certaines de ces espèces. Il semble donc que cela soit l’opinion bien orchestrée d’une minorité et non l’opinion d’une majorité de la population.
Imposer une interdiction générale sur la reproduction et la captivité va, en fait, à l’encontre de l’objectif d’améliorer le bien-être des animaux. Tous les aspects de la reproduction, comme l’interaction entre les mâles et les femelles, l’accouplement, la grossesse, la mise bas, l’élevage de la progéniture et les divers types d’interactions entre les animaux d’âges différents, font partie des éléments les plus fondamentaux des comportements naturels des animaux et sont importants pour leur bien-être émotionnel et social.
En conclusion, ce projet de loi ne contribue pas vraiment à améliorer le bien-être des animaux. Il se contredit et propose plusieurs mesures qui n’amélioreront pas leur bien-être, et au contraire, lui nuiront. Je suis tout à fait favorable à l’amélioration du bien-être des animaux en captivité; pour ce faire, il faut rehausser les normes et les exigences. Imposer des interdictions généralisées ne contribue pas à l’amélioration de leur bien-être.
Je vous remercie de votre attention.
La présidente : Je vous remercie. Nous passons maintenant à notre témoin suivante, la Dre Imke Lueders. Vous disposez de cinq minutes.
Dre Imke Lueders, vétérinaire de zoo, vétérinaire de la faune et chercheure en conservation, Allwetterzoo Münster : Bonsoir. Je suis une vétérinaire allemande. Je suis certifiée par l’European College of Zoological Medicine. Je travaille depuis près de 20 ans en médecine vétérinaire dans les zoos. Dans le cadre de mon travail, j’ai parcouru le monde et travaillé avec des éléphants sauvages et en captivité partout sur la planète, et j’ai participé à plusieurs projets de recherche. J’agis également comme conseillère vétérinaire auprès de l’Elephant Taxon Advisory Group de l’European Association of Zoos and Aquaria. J’ai également agi comme conseillère en matière de reproduction des grands singes.
Je soutiens toujours sans réserve l’objectif qui consiste à améliorer le bien-être des animaux en captivité, mais le projet de loi S-15 vise simplement à interdire les éléphants et les grands singes au Canada, et il ne contient rien pour améliorer le bien‑être des animaux existants. Interdire les éléphants en captivité semble une réponse très simpliste à une question extrêmement complexe. Comment ce projet de loi peut-il améliorer le sort de deux espèces non domestiques choisies de façon aléatoire, alors que ces espèces se trouvent actuellement gardées au Canada uniquement dans des installations accréditées?
Je pense que les Canadiens devraient être fiers de ce qui a déjà été accompli et poursuivre leurs efforts pour être des chefs de file dans les soins donnés aux animaux non domestiques. Au lieu de vouloir criminaliser des installations qui existent depuis longtemps, le Canada devrait donner l’exemple et continuer de les améliorer.
Par exemple — et nous avons déjà parlé de ces installations à plusieurs reprises —, le programme exceptionnel sur les éléphants de l’African Lion Safari est réputé dans le monde entier. Plusieurs experts et de nombreux leaders en matière de conservation et de recherche sur les soins aux éléphants se sont rendus sur place. L’African Lion Safari joue un rôle de premier plan pour soutenir la recherche, la conservation et la reproduction des éléphants et constitue un véritable puits de science. Nous devrions soutenir les spécialistes qui y travaillent afin que ces installations puissent servir de source d’inspiration à d’autres.
J’ai voyagé dans le monde entier et j’ai vu des programmes sur les éléphants qui sont excellents, moyens, passables et mauvais. L’un des meilleurs qu’il m’ait été donné de voir se trouve au Canada.
D’après mon expérience, les éléphants et les grands singes, en raison de leur nature sociale et de leurs grandes capacités cognitives, s’adaptent très bien aux conditions de captivité et font beaucoup mieux qu’un grand nombre d’autres espèces qui intéressent moins le public. Il faut que les éléphants en captivité puissent se reproduire pour demeurer en santé et continuer à socialiser. Leur santé génétique passe aussi par l’échange d’individus. Dans le cadre des efforts internationaux de reproduction pour préserver les populations d’éléphants, l’importation et l’exportation sont importantes.
De nos jours, bien sûr, cela ne s’applique qu’aux individus élevés en captivité. Aucun individu n’est prélevé dans la nature dans le cadre des programmes.
Le programme européen pour les espèces menacées d’extinction qui porte sur les éléphants d’Asie, par exemple, est devenu autosuffisant depuis que j’ai commencé ma carrière, ce qui met en évidence les réalisations des établissements zoologiques.
De nombreuses personnes qui s’opposent à la reproduction des éléphants en captivité n’ont jamais visité l’une des nombreuses et excellentes installations qui existent. J’ai souvent constaté que c’est le manque de connaissances qui mène à de fausses idées, et, bien sûr, à une opposition. Faire des efforts pour comprendre une situation prend du temps, et les situations complexes nécessitent des ressources pour le faire. Malheureusement, ce projet de loi montre que, de nos jours, nous évitons de faire ce travail et préférons interdire d’emblée.
La population mondiale s’accroît, et les habitats de la faune sauvage rétrécissent. Je suis fermement convaincue que nous avons besoin d’éléphants en captivité dans les zoos occidentaux aujourd’hui, et ce sera encore plus le cas dans l’avenir. Le niveau élevé de savoir en matière de soins quotidiens sera perdu si nous cessons de faire ces efforts.
Sur le site Web de la Zoo Science Library, on trouve les initiatives de recherche qui sont menées un peu partout dans le monde et leurs résultats.
Finalement, je crois qu’on fait fausse route en culpabilisant les gens d’aller admirer et côtoyer ces créatures fascinantes. Ériger leur captivité en acte criminel ne fait que favoriser la séparation entre l’homme et la nature. Je vous remercie.
La présidente : Je vous remercie, docteure Lueders. Nous passons au Dr Schmitt.
Dr Dennis Schmitt, professeur émérite, College of Agriculture, Université Missouri State, à titre personnel : Je vous remercie de votre invitation. Je suis aussi vétérinaire et je suis certifié en reproduction vétérinaire. Je travaille avec les éléphants depuis 1983. Je suis membre du Groupe de spécialistes de l’éléphant d’Asie de l’Union internationale pour la conservation de la nature. Je suis co-conseiller pour le North American Taxon Advisory Group for elephants, où je joue un rôle de conseiller en matière de soins vétérinaires et de reproduction depuis 1987.
Le projet de loi S-15 interdit la reproduction et le déplacement d’éléphants et de grands singes au Canada au nom de leur bien-être. Mon expérience porte sur les éléphants, alors je vais me concentrer sur eux.
Ce projet de loi vise à améliorer le bien-être des éléphants en captivité au Canada, mais en fait, il le perturbe, et il criminalise leur déplacement ou leur reproduction sans un permis spécial, permis qui peut être retiré à tout moment.
Le projet de loi laisse entendre que les éléphants en liberté parcourent quotidiennement de longues distances et que, par conséquent, les éléphants en captivité doivent disposer d’habitats qui leur permettent d’en faire autant pour assurer leur bien-être. Un résumé de plusieurs articles évalués par des pairs brosse toutefois un tableau différent sur les distances parcourues par les éléphants en liberté.
En effet, la distance parcourue quotidiennement par les éléphants repose principalement, entre autres variables, sur la disponibilité du fourrage et de l’eau. Les éléphants d’Afrique qui vivent dans les savanes parcourent de grandes distances, comme leur environnement le nécessite, car les points d’eau et de fourrage sont très éloignés les uns des autres. Dans les parcs nationaux, où l’eau et le fourrage sont abondants, ils parcourent très peu de kilomètres par jour. Quant aux éléphants d’Asie — comme l’a démontré une étude sur cinq troupeaux de Bornéo —, ils peuvent ne parcourir que trois kilomètres par jour en moyenne, quatre au maximum. Cela invalide donc l’affirmation selon laquelle les éléphants doivent parcourir de longues distances pour leur bien-être.
De plus, le projet de loi propose d’interdire la reproduction, alors que cela brime un aspect inné du comportement et du bien‑être des éléphants. La reproduction d’une espèce menacée d’extinction est essentielle pour l’avenir de cette espèce, tant en captivité qu’en liberté. Le nombre total d’éléphants d’Asie et d’éléphants d’Afrique est différent, de même que leur pourcentage en captivité. Selon les estimations du Fonds mondial pour la nature, la population totale des éléphants d’Afrique s’élève à environ 415 000 individus, dont moins de 1 % sont en captivité, et celle des éléphants d’Asie à entre 40 000 et 50 000 individus, dont un tiers est actuellement en captivité, principalement dans les pays concernés.
L’interdiction de la reproduction chez les éléphantes capables de se reproduire aura pour conséquence, avec le temps, qu’un grand pourcentage d’entre elles vont développer des pathologies de l’appareil reproducteur qui peuvent nuire à leur santé générale. La plupart des éléphantes d’Asie développent des léiomyomes utérins, appelés fibromes chez l’humain. La croissance de fibromes multiples peut faire en sorte que leur utérus pèse de 400 à 500 livres et provoquer des hémorragies intermittentes dues à la nécrose des tumeurs. Du côté des éléphantes d’Afrique, la plupart qui sont dans leur cycle et ne se reproduisent pas développent des kystes dans l’endomètre de l’utérus.
En revanche, j’ai vu des éléphantes d’Asie continuer à se reproduire jusqu’à l’âge mûr. En Inde, en procédant à des échographies sur plus de 100 éléphantes dans des camps gouvernementaux, j’ai été surpris de constater que l’une d’elles avait 62 ans et était enceinte de son treizième petit. En interdisant la reproduction au Canada, on empêcherait les interactions sociales observées chez les troupeaux d’élevage.
J’ai fourni des services à plusieurs zoos où se trouvaient des éléphants au Canada, et je tiens à mentionner que le programme de l’African Lion Safari sur les éléphants d’Asie est une réussite en Amérique du Nord. La qualité de vie offerte à ces éléphants est un exemple à imiter pour les autres programmes sur les éléphants.
Je vous remercie de l’attention que vous porterez à mes préoccupations concernant le projet de loi.
La présidente : Je vous remercie tous les trois de vos déclarations liminaires. Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par le parrain du projet de loi, puis le porte-parole et ensuite les autres sénateurs.
Le sénateur Klyne : Docteur Schmitt, vous êtes l’auteur d’une publication intitulée View from the big top: why elephants belong in North American circuses. Pouvez-vous nous dire pourquoi, selon vous, les éléphants ont leur place dans les cirques plutôt que d’être dans la nature ou des sanctuaires?
Dr Schmitt : Il est évident que les éléphants peuvent s’épanouir dans différents environnements. L’un des éléments que les cirques peuvent leur offrir est un environnement inédit, puisqu’ils se déplacent d’un endroit à l’autre. On peut prendre bien soin des éléphants. Les cirques permettent aux gens de voir le lien qui existe entre les éléphants et ceux qui en prennent soin. Beaucoup de gens ne peuvent pas aller dans les zoos, et il n’y a pas beaucoup d’éléphants dans les zoos en Amérique du Nord.
Le sénateur Klyne : Vous avez été vétérinaire en chef au Ringling Bros. and Barnum & Bailey Center for Elephant Conservation en Floride. La réponse que vous avez donnée est-elle votre point de vue ou votre perspective en tant que vétérinaire?
Dr Schmitt : Oui, et pas seulement à la Ringling Bros., mais dans plusieurs installations.
Le sénateur Klyne : Vous avez été vétérinaire à divers endroits, y compris au Ringling Bros. and Barnum & Bailey Circus. Le projet de loi S-15 interdirait l’utilisation d’éléphants dans des spectacles à des fins de divertissement. Je crois savoir que les activités de ce cirque ont pris fin en 2016. Selon vous, les éléphants devraient-ils être utilisés dans les cirques au Canada et aux États-Unis? Êtes-vous en faveur d’une interdiction des parades et des spectacles d’éléphants à des fins de divertissement?
Dr Schmitt : C’est une question complexe, et cela dépend des situations. Tout comme certains zoos sont meilleurs que d’autres, certains cirques offrent de meilleurs soins et de meilleures possibilités que d’autres. Le public le constate en voyant les personnes qui s’occupent des animaux. C’est exactement comme ce projet de loi : la réponse n’est pas facile.
Le sénateur Klyne : Je vous remercie. Docteure Lueders, dans votre déclaration, pour laquelle je vous remercie, vous avez mentionné que vous aviez vu un zoo au Canada et que vous aviez été très impressionnée. Pourriez-vous nous dire de quel zoo il s’agissait?
Dre Lueders : Oui. Au Canada, j’ai surtout travaillé et me suis beaucoup familiarisée avec l’African Lion Safari.
Le sénateur Klyne : Je vous remercie.
La présidente : Je vous remercie, sénateur Klyne.
Le sénateur Plett : Brièvement, madame la présidente, avant de poser une question, j’aimerais revenir sur ce que M. Lindsay a dit plus tôt lorsqu’il a réfuté à nouveau mes propos au sujet des clôtures. Il a dit qu’il parlait de la Lewa Wildlife Conservancy. Sur le site Web de cet organisme, on peut lire :
La clôture extérieure fait 142 km de long, 7 pieds de haut, et comporte 12 fils sous tension et de terre en alternance...
On en dit plus, mais je vais m’arrêter ici. Je le mentionne à l’intention du greffier aux fins du compte rendu parce que, à deux reprises, M. Lindsay a dit que j’avais de mauvaises informations et que je ne savais pas de quoi je parlais. À deux reprises, j’ai prouvé qu’il avait tort. J’espère qu’il nous regarde. Je le mentionne aux fins du compte rendu. Ces deux sanctuaires sont clôturés.
Ma question s’adresse à nos trois témoins, que je remercie sincèrement d’être avec nous. Si vous le pouvez, soyez brefs, car j’ai quelques questions. Vous avez tous signé une lettre envoyée au sénateur Klyne le 23 novembre 2023 pour réfuter les affirmations de personnes se présentant comme d’éminents spécialistes internationaux des éléphants, qui soutenaient que les éléphants ne devraient pas être en captivité. Dans votre lettre, vous dites essentiellement :
Malheureusement, la plupart, sinon la totalité, des affirmations contenues dans leur lettre sont intentionnellement trompeuses et ne bénéficient pas d’un fondement scientifique suffisant et actuel.
C’est une affirmation assez ferme. Pourriez-vous nous expliquer un peu plus en détail comment vous pouvez être aussi catégorique à ce sujet?
Dr Stremme : Je vous remercie. Bien sûr, comme je travaille avec les éléphants, je suis au courant d’un certain nombre d’études qui arrivent à la conclusion — certaines d’entre elles ont été mentionnées par le Dr Schmidt-Burbach — que les éléphants souffrent en captivité.
Toutes ces études sont menées par des organismes ou des personnes qui les réalisent dans un certain but politique. En fait, il ne s’agit pas d’évaluations scientifiques impartiales et neutres. Elles sont généralement lancées ou menées par des personnes qui produisent des publications d’apparence scientifique qui appuient leurs opinions et leurs objectifs, mais ce n’est pas vraiment ce qu’il faut faire en science. En science, il faut procéder à des évaluations pour voir les résultats que l’on va obtenir, et non pas produire des documents dans le but d’obtenir certains résultats.
Le sénateur Plett : Je vous remercie. Rapidement, docteure Lueders, et ensuite je vais poser une autre question au Dr Schmitt parce que les réponses pourraient être similaires.
Dre Lueders : Ma plus grande inquiétude ou mon plus gros problème est que la plupart des spécialistes des éléphants viennent d’Afrique du Sud ou de pays africains et qu’ils ne sont jamais allés dans un zoo occidental. C’est ce que je veux dire quand je parle d’idées fausses et de manque de compréhension de ce qui se passe réellement sans avoir pris le temps de voir les éléphants et leur comportement.
En ce qui concerne la cruauté qu’ils pointent toujours du doigt, je ne la vois pas. Je pense que c’est parce que nous avons travaillé dans des environnements différents.
On a mentionné beaucoup de choses ici, notamment que les éléphants ne devraient pas se reproduire. Cela montre que ces chercheurs n’avaient aucune idée de ce dont ils parlaient; leur reproduction est intimement liée à leur santé et à leur bien-être. Cette affirmation est erronée.
En outre, en ce qui concerne l’affirmation selon laquelle les éléphants souffrent en captivité en raison du manque d’espace. D’après mon expérience, leur cerveau et leur capacité d’interagir avec les humains et de s’adapter à différents environnements font en sorte qu’il est possible de les garder en captivité bien plus facilement que toute autre espèce sauvage.
Le sénateur Plett : Je vous remercie beaucoup. Je vous remercie de vos commentaires sur l’African Lion Safari. J’exerce des pressions pour que le comité aille le visiter. J’y suis allé plusieurs fois, mais je n’arrive pas à convaincre les membres du comité de faire ce qu’il faut et de se rendre sur place, afin que nous puissions disposer des bons renseignements à son sujet.
Dans votre lettre du 23 novembre, vous avez également déclaré que sans les populations d’éléphants dans les zoos, il serait beaucoup plus difficile de soutenir et de conserver les populations sauvages. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet et aider les membres du comité à comprendre le lien essentiel entre les éléphants en captivité et les populations d’éléphants sauvages? Je vais peut-être commencer par le Dr Schmitt. Je ne sais pas combien de temps il me reste.
La présidente : Votre temps est écoulé, mais je vais vous accorder une minute de plus.
Le sénateur Plett : Peut-être que M. Schmitt nous donnera une brève réponse.
Dr Schmitt : L’importance accordée aux éléphants au cours des dernières années a entraîné une augmentation des sommes d’argent versées à un organisme appelé l’International Elephant Foundation, dont je suis un membre fondateur. En 25 ans, plus de 20 millions de dollars ont été consacrés au bien-être et aux soins des éléphants d’Afrique et d’Asie, qu’ils soient en liberté ou en captivité. Environ 90 % de ces fonds sont destinés aux éléphants en liberté et aux collectivités qui les entourent.
Dr Stremme : Si vous me le permettez, j’aimerais dire quelque chose à ce sujet. Je dirige un programme de conservation des éléphants sauvages à Sumatra, en Indonésie, dans le parc national de Way Kambas, où vivent plus de 10 % des derniers éléphants de Sumatra. Nous bénéficions d’un soutien important de la part de différents zoos, notamment par l’intermédiaire de la International Elephant Foundation, qui reçoit également des fonds de l’African Lion Safari. Sans ces fonds amassés par les zoos, nous ne pourrions pas gérer ce programme comme nous le faisons à l’heure actuelle. Merci.
Le sénateur Plett : Merci beaucoup.
La présidente : Nous passons maintenant à la sénatrice Batters, la vice-présidente du comité.
La sénatrice Batters : Ma première question s’adresse aux trois témoins. Je vous demanderais de bien vouloir fournir une réponse assez brève. Le ministère canadien de l’Environnement et du Changement climatique a souligné que le projet de loi S-15 s’inspire de consultations auprès d’experts vétérinaires qui travaillent également dans le milieu zoologique. Ces experts ont examiné les données et la littérature scientifique disponibles et ils estiment qu’elles révèlent que la captivité des éléphants et des grands singes atteint un seuil de cruauté, après la prise en compte de nombreux facteurs biologiques et écologiques et d’indicateurs de bien-être. Cette conclusion est la raison principale pour laquelle ce projet de loi a été proposé.
À titre de vétérinaires, êtes-vous d’accord avec les conclusions des vétérinaires consultés selon lesquelles le fait de maintenir des éléphants en captivité constitue une forme de cruauté? Que pensez-vous du bien-être de ces animaux en captivité? Nous pourrions peut-être commencer par la Dre Lueders.
Dre Lueders : Non, je ne suis pas du tout d’accord avec ces conclusions. C’est pour cette raison que je travaille depuis de nombreuses années à l’African Lion Safari et dans de nombreux autres établissements. Je constate que ces éléphants s’épanouissent. Ils ont leur famille et développent un lien d’attachement avec leurs gardiens. Je crois fermement que ces animaux ont une bonne qualité de vie. Il est évident qu’il y a toujours de bons et de mauvais zoos. On peut toujours faire mieux. Cependant, je pense que le milieu des zoos dans son ensemble s’est beaucoup amélioré au cours des 20 dernières années. Je ne partage pas l’idée selon laquelle le fait de maintenir un animal en captivité constitue une forme de cruauté, car il faudrait alors repenser tout notre système de relations entre les humains et les animaux.
Dr Schmitt : Non. D’ailleurs, lorsque l’on a fait venir des éléphants d’Asie — on ne le fait plus —, il s’agissait d’éléphants en captivité provenant de camps gouvernementaux qui s’étaient reproduits avec des éléphants sauvages. Des éléphants sauvages étaient amenés dans ces camps pour se reproduire avec eux. Ces éléphants n’ont pas été capturés dans la nature. Les éléphants que l’on a amenés en Amérique du Nord étaient des éléphants en captivité.
Dr Stremme : Comme je l’ai déjà dit, je ne suis pas du tout d’accord avec cet énoncé général. Bien sûr, comme l’a dit la Dre Lueders, il peut y avoir des cas de cruauté si les conditions de captivité ne sont pas acceptables, mais je ne suis pas du tout d’accord avec l’affirmation générale selon laquelle le fait de garder des éléphants et des singes en captivité constitue automatiquement une forme de cruauté.
De nombreux zoos — dont certains au Canada — veillent très bien au bien-être des animaux, et les éléphants qui s’y trouvent ne souffrent pas. L’on répond très bien à leurs besoins en matière de bien-être.
La sénatrice Batters : Je vous remercie.
Ma deuxième question s’adresse à M. Schmitt. Le projet de loi S-15 fait valoir que pour que leur bien-être soit assuré, les éléphants doivent être en mesure de parcourir de grands espaces quotidiennement. Cet argument se fonde sur l’idée que les éléphants en liberté parcourent de grandes distances tous les jours. Mais dans votre déclaration liminaire, vous avez affirmé que la distance parcourue par les éléphants varie considérablement en fonction de la disponibilité de la nourriture et de l’eau, et que certains éléphants dans la nature — dans des environnements où ces ressources sont abondantes — ne parcourent que très peu de kilomètres chaque jour.
Les éléphants d’Asie à l’African Lion Safari disposent d’un terrain de 200 acres. À mes yeux — et j’habite en Saskatchewan —, c’est un énorme terrain. Docteur Schmitt, cet espace est-il assez vaste, selon vous, pour assurer le bien-être des éléphants d’Asie? Pensez-vous qu’il soit raisonnable de dire que la captivité de ces éléphants est une forme de cruauté?
Dr Schmitt : Je suis allé plusieurs fois à l’African Lion Safari. Récemment, j’ai interagi avec ces éléphants à l’extérieur, et ils ne sont certainement pas victimes de cruauté. Ils sont surveillés. En réalité, dans une perspective plus large, je suis d’accord pour dire qu’il n’y a pas de cruauté. À l’African Lion Safari, les animaux ont beaucoup de liberté. Il est vrai qu’il y a des cas où ils n’en ont pas beaucoup, mais c’est pour leur propre bien-être, car ils pourraient ne pas prendre les meilleures décisions. Ce n’est pas de la cruauté que de limiter leurs choix.
La sénatrice Batters : Merci. Et êtes-vous d’avis qu’un terrain de 200 acres est assez grand?
Dr Schmitt : Oui, sénatrice.
La présidente : Je vous remercie.
Le sénateur Dalphond : Je tiens d’abord à remercier les témoins. Je sais que l’un d’entre eux est en Allemagne et qu’il est donc assez tard dans la soirée là-bas. Un autre est en Indonésie, et je vois, sur l’horloge derrière lui, qu’il est presque cinq heures du matin. Nous vous sommes donc reconnaissants de votre présence parmi nous aujourd’hui. Merci.
Ma question s’adresse à l’ensemble des témoins. Vous semblez favorables au modèle employé par l’African Lion Safari. Je suppose que vous savez qu’en 2021, cet établissement a tenté de vendre deux éléphants d’Asie à un zoo du Texas pour la somme de 1 million de dollars chacun. Cette transaction aurait séparé deux jeunes femelles de leurs mères, alors qu’elles restent normalement ensemble pour la vie. Êtes-vous d’accord avec ce type de transaction? Pensez-vous que ces décisions sont dans l’intérêt des animaux?
Dre Lueders : Il faut toujours examiner le contexte de la situation. Bien sûr, l’idéal serait que les mères et les petits restent ensemble. C’est ce que stipulent certaines politiques et nous estimons que c’est ce qu’il y a de mieux, car cette façon de faire reproduit ce qui se passe dans la nature. Cependant, des données révèlent que dans certains cas, lorsque des bébés naissent, les jeunes femelles et leurs mères ne s’entendront pas à long terme. À l’African Lion Safari, les naissances sont fréquentes. Cela signifie que parfois, lorsque des bébés naissent, une mère — du moins, je l’ai vu dans un cas — pourrait ne plus être très contente d’avoir sa fille à ses côtés. Parfois, d’autres membres de la famille n’acceptent pas la présence d’une femelle, ce qui perturbe l’ensemble du groupe. Dans cette situation — et c’est ainsi dans tous les zoos du monde —, l’on décidera de retirer certains animaux. Il faut évaluer les situations au cas par cas.
Le sénateur Dalphond : Je vous remercie. Je ne veux pas vous interrompre, mais mon temps est limité. Je comprends, d’après votre réponse, que le principe général est d’éviter de les séparer, mais dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu’il y a de mauvaises relations entre certains membres du groupe, cela pourrait être la bonne chose à faire.
Avez-vous participé à la décision, en 2021, d’envoyer ces deux jeunes éléphants au Texas?
Dre Lueders : Non, je n’ai pas pris part à cette décision.
Le sénateur Dalphond : Vous n’avez pas été consultée. On ne vous a pas demandé s’il s’agissait d’une situation exceptionnelle.
Dre Lueders : Non, je n’étais pas là à l’époque, et je n’ai pas pris part à la décision. Je ne peux pas vraiment en dire plus.
Dr Stremme : Je travaille beaucoup avec les éléphants sauvages et — comme je l’ai dit — je gère un programme de conservation en Indonésie. La plupart du temps, les femelles restent presque toute leur vie dans le même groupe que leur mère, mais ce n’est pas toujours le cas. Dans la nature, il arrive aussi que les groupes se séparent à mesure que le troupeau se reproduit et s’agrandit. Parfois, les femelles peuvent se séparer du groupe de leur mère. Ce n’est pas tout à fait contre nature. Plus souvent, elles resteront avec le groupe de leur mère, mais ce n’est pas toujours ce qui se passe.
Dans la nature, il arrive aussi que les mères meurent et que les femelles d’une même famille soient séparées. Il n’est donc pas complètement anormal que, dans certains cas, dans un environnement de captivité, les jeunes éléphants qui sont déjà fertiles — j’ai cru comprendre que ces éléphants avaient 8 et 15 ans; ces jeunes femelles étaient donc déjà fertiles — soient séparés de leur mère et du troupeau de leur mère.
Le sénateur Dalphond : Très bien. Vous êtes donc d’accord avec vos collègues. Normalement, il ne faut pas les séparer.
Avez-vous pris part à la décision de vendre ces éléphants au cirque du Texas?
Dr Stremme : Non, pas du tout. Je n’ai rien à voir avec l’African Lion Safari. J’ai visité cet établissement, mais je ne suis pas un consultant. Je n’ai pas participé à cette décision.
Le sénateur Dalphond : Si l’on ne retire un éléphant d’un groupe que pour qu’il se reproduise dans un autre zoo, et non pas parce qu’il pose problème en raison de mauvaises relations, pensez-vous que c’est une bonne décision?
Dr Stremme : Selon moi, ce peut être une décision acceptable. Si la population dans votre établissement est en croissance, et que votre objectif — que j’approuve — est de maintenir une population en captivité viable à des fins de reproduction, vous devez, bien sûr, échanger des individus entre les établissements. Il s’agit de créer une population en âge de reproduction aussi populeuse que possible entre les différents établissements, pour garantir la meilleure variété génétique. Dans ces cas, j’encouragerais vivement l’échange d’animaux entre les différents établissements.
Il faut décider quel animal sera échangé et comment il faudra procéder à son échange selon la situation : échangera-t-on un seul animal, de petits groupes ou des mères avec leurs petits? Ces décisions dépendront aussi des caractéristiques des individus.
Dre Lueders : J’ajouterais qu’à l’époque, ces deux femelles n’étaient qu’avec leur père. Il n’y avait pas d’autre mâle reproducteur. À un certain moment, ces animaux doivent se reproduire pour rester en bonne santé et se développer. Je pense que cet élément — s’il n’y a pas d’autre mâle que leur propre père — peut également jouer un rôle dans la décision d’échanger des femelles.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je m’interroge sur la relation entre l’éléphant et l’humain, et j’essaie de faire un parallèle avec les chevaux. Les questions du sénateur Dalphond pourraient également être posées lorsqu’on parle de chevaux. Je lis que l’éléphant est un animal qui peut être domestiqué même par lui‑même. Je suis allé au parc Kruger...
[Traduction]
Dr Stremme : Je suis désolé. Je n’entends pas l’interprétation.
La présidente : Sénateur Carignan, me permettez-vous de passer à un autre sénateur? Nous reviendrons à vous. Nous voulons nous assurer que nos témoins peuvent entendre l’interprétation. Est-ce que cela vous va? Très bien, merci.
La sénatrice Simons : Certains d’entre vous ont parlé d’une réserve génétique. Vous avez dit que le fait d’avoir des éléphants en captivité contribuait à la conservation, car cela donnait une réserve génétique dans laquelle l’on pourrait puiser en cas de besoin. Dans quelle mesure est-ce pratique, surtout — comme vous l’avez indiqué — à l’African Lion Safari, où il n’y a pas assez de mâles sans lien de parenté avec les femelles pour constituer une population reproductrice légitime? Pourriez-vous expliquer un peu plus en détail comment le fait de maintenir ces espèces en captivité favorise leur conservation? Ce type de réserve génétique est-il réellement utile?
Dre Lueders : L’African Lion Safari n’est pas reconnu étant comme le seul lieu destiné à la reproduction d’éléphants. Tout est lié par l’entremise du Species Survival Plan Program en Amérique du Nord. C’est pour cette raison qu’il est essentiel d’échanger des animaux avec les États-Unis. Ils participent tous, en quelque sorte, au plan de reproduction. L’African Lion Safari, par exemple, a envoyé deux éléphants mâles en Europe, et ils ont tous deux été des mâles reproducteurs très performants dans les zoos européens. Ils ont très bien soutenu la croissance de la population d’éléphants en Europe, qui, comme je l’ai mentionné plus tôt, est maintenant viable. Nous pouvons maintenant dire qu’il y a suffisamment de naissances chaque année pour compenser les décès, et que la population peut survivre sans que d’autres importations d’éléphants soient requises.
Au sein de ce bassin d’éléphants que nous échangeons à des fins de reproduction, il existe une variété génétique suffisante pour préserver l’espèce en cas de disparition totale. Par exemple, nous pourrions retirer des animaux d’une population sauvage, dans le cadre de programmes de reproduction, pour ensuite les renvoyer dans leur habitat naturel. Mais pour l’instant, il n’est pas réaliste de renvoyer les éléphants dans leur habitat naturel, car parmi tous ces pays, aucun ne veut recevoir plus d’éléphants — c’est l’autre histoire triste —, en raison de la perte d’habitats.
La sénatrice Simons : Cela m’amène à deux questions. Tout d’abord, quelle est la probabilité que cette population disparaisse complètement? Le Botswana s’est emporté l’autre jour et a menacé d’envoyer un groupe d’éléphants en Allemagne et en Grande-Bretagne si ces pays ne cessaient de faire des commentaires sur leurs lois relatives à la gestion des animaux. Dans quelle mesure la disparition de l’espèce est-elle réaliste?
Ma deuxième question est plus technique. Peut-on assurer la reproduction des éléphants à l’aide d’échantillons de sperme congelé et de dons d’ovules? L’on utilise ces méthodes assez souvent avec les chevaux, les chiens et le bétail.
Dre Lueders : Je ne peux pas prédire la probabilité de leur disparition, mais elle n’est pas irréaliste, étant donné la croissance actuelle de la population et les autres menaces, en particulier pour les éléphants d’Asie; je parle des éléphants d’Asie en ce moment. Nous ne pouvons tout simplement pas prévoir ce qui arrivera dans l’avenir. La fragmentation est un problème. Il est toujours bon de savoir ce qui se passe maintenant et de ne pas intervenir trop tard, comme dans le cas des rhinocéros blancs du Nord, où il ne reste plus que deux animaux. Nous ne voulons pas nous retrouver dans une situation où nous essaierons de faire quelque chose alors qu’il sera déjà bien trop tard.
Pour répondre à votre deuxième question, l’on a utilisé le sperme congelé chez les éléphants d’Afrique pour fertiliser les femelles. C’est donc un excellent moyen d’assurer la reproduction de l’espèce. Cette technique n’a pas encore donné des résultats positifs chez les éléphants d’Asie : ce procédé n’a pas donné lieu à des naissances d’éléphanteaux.
La sénatrice Simons : Vraiment? C’est intéressant. Je me demande pourquoi les résultats n’ont pas été les mêmes.
Dr Schmitt : Je peux répondre à cette question. Les membranes et la morphologie du sperme ne sont pas les mêmes pour les éléphants d’Asie et les éléphants d’Afrique. C’est la réponse simple.
La sénatrice Simons : Maintenant je comprends.
La sénatrice Pate : Ma question s’adresse à chacun d’entre vous.
Il semble que vos gagne-pain dépendent du maintien des animaux — en particulier des éléphants — en captivité. Si ce n’est pas le cas, veuillez nous en informer. Ce serait bien de le savoir.
J’aimerais savoir si l’une de vos organisations a utilisé des crochets à éléphant pour dresser ou élever des animaux. L’utilisation de ces crochets est interdite par l’association américaine, mais pas par l’association canadienne. D’après ce que nous avons compris, ils ont été employés par Ringling Bros. et Barnum & Bailey. Si vous les avez utilisés, que pouvez-vous nous dire sur l’utilisation de ces armes, ou de ces instruments — quel que soit le nom que vous leur donnez —, pour le dressage ou l’élevage d’éléphants?
Dr Stremme : Mon gagne-pain ne dépend pas des éléphants en captivité. Je travaille avec des éléphants — sauvages et en captivité — parce que j’en ai décidé ainsi. Je gagnerais probablement mieux ma vie en travaillant comme vétérinaire spécialiste du bétail en Allemagne que comme vétérinaire auprès des éléphants en Asie du Sud-Est.
Je suis moi-même un ancien gardien d’éléphants. J’ai travaillé avec des éléphants et j’ai utilisé des outils de gestion tels qu’un crochet à éléphant ou un guide. Le nom n’a pas d’importance, il s’agit du même outil. S’il est utilisé correctement, il n’est pas cruel. C’est un outil de gestion. C’est la même chose avec un marteau : on peut tuer quelqu’un avec un marteau — en le frappant à la tête —, ou on peut construire quelque chose. Il en va de même pour la laisse d’un chien : on peut l’utiliser pour guider un chien, ou pour le battre à mort.
La même chose s’applique à d’autres outils de gestion et à d’autres animaux que nous avons en captivité, comme les chevaux, par exemple. La question n’est donc pas de savoir s’il s’agit d’un bon ou d’un mauvais outil, mais plutôt de savoir comment cet outil est utilisé, et quels types de stratégies de gestion et de dressage sont appliqués.
Pour avoir travaillé en Asie pendant plusieurs années avec des éléphants en captivité dans de nombreux contextes différents, je dois avouer que la tradition asiatique que j’ai perpétuée en apprivoisant et en dressant les éléphants que j’ai capturés à l’état sauvage est en partie basée sur des pratiques plutôt brutales. Ces pratiques n’ont jamais été remises en question en Asie. En fait, dans les pays asiatiques, nous avons bénéficié des méthodes de dressage et de traitement modernes, plus respectueuses du bien‑être de l’animal, qui ont été mises au point dans les zoos européens et américains au fil des 50 dernières années, alors que les responsables s’efforçaient d’aller au-delà des traditions en se demandant comment mieux s’adapter au comportement de l’animal.
Nous avons également reçu des formateurs, notamment de l’African Lion Safari, qui ont visité les installations où je travaille ici en Indonésie et ont formé les cornacs à l’emploi de méthodes plus propices au mieux-être des éléphants. On peut ainsi nettement améliorer la manière dont on traite ces animaux, et en particulier les éléphanteaux nés en captivité.
Dr Schmitt : J’ajouterais aux commentaires du Dr Stremme que c’est la façon dont vous utilisez l’outil qui compte. L’exemple du marteau m’a rappelé ce pays asiatique où j’ai constaté que l’on se servait de marteaux pour guider les éléphants et travailler avec eux. Il y avait plus d’abcès que partout ailleurs sur les éléphants à cause de cette utilisation inappropriée d’un marteau.
On n’associe pas nécessairement l’utilisation de pinces à une forme de cruauté, mais j’étais dans un zoo occidental où l’on se vantait de ne pas utiliser de crochet ou de guide pour plutôt se servir de pinces et pincer la peau des éléphants. C’était bien plus cruel. La pression qui pourrait être exercée — ils ne frappent pas les éléphants avec leurs guides. Ils s’en servent simplement comme d’un repère. Tout dépend de la manière dont on l’utilise, de l’usage qu’on en fait et de l’environnement dans lequel on s’en sert.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je m’interroge sur la relation entre l’éléphant et l’humain, et j’essaie de faire la comparaison avec la relation entre le cheval et l’humain. Je vois beaucoup de similitudes entre le cheval et l’éléphant pour ce qui est du transport de personnes et du travail. Par le passé, on a même utilisé les éléphants dans des guerres, comme on l’a fait pour les chevaux. L’éléphant est un animal qui semble se domestiquer assez bien. J’ai même lu un article de Limor Raviv qui parlait d’autodomestication des éléphants et du fait que cet animal se rapproche beaucoup du cheval.
J’aimerais vous entendre sur cet aspect, à savoir comment l’éléphant se rapproche du cheval. Autrement dit, fait-on le procès de la captivité de l’éléphant alors que pour le cheval, c’est la même chose et il n’est pas plus traumatisé que l’éléphant?
La présidente : À qui s’adresse votre question?
Le sénateur Carignan : Au groupe au complet.
[Traduction]
Dre Lueders : Je dirais oui et non. On peut parler d’une relation de longue date avec l’être humain, tant pour les éléphants que pour les chevaux. C’est difficile à dire, mais les éléphants sont plus intelligents. Leurs capacités cognitives sont tellement plus élevées qu’il est beaucoup plus facile de travailler avec eux et de leur apprendre des choses. Le lien est beaucoup plus fort une fois que l’éléphant a saisi le sens de la communication.
Si vous avez l’occasion d’aller à l’African Lion Safari, vous serez étonné de voir que ces éléphants peuvent se promener sur ces 200 hectares et que l’on appelle chacun d’eux à voix très basse par son nom. Ils savent exactement quand venir et quoi faire. Ils ont appris plus de 50 commandes différentes et peuvent réagir sans tarder. C’est très impressionnant pour moi.
Il va de soi que nous entraînons des chevaux et créons des liens avec eux. Mais avec un éléphant, c’est une relation plus intense.
[Français]
Le sénateur Carignan : En fait, le but de ma question était de vous demander si l’éléphant ne souffre pas plus, par exemple, de la présence humaine qu’un cheval.
[Traduction]
Dre Lueders : Non. À mon avis, les éléphants ne souffrent pas de la présence des humains. Je n’ai jamais vu d’éléphants fuir les humains dans les zoos. Ils viennent toujours voir ce qui se passe. Ils veulent être avec les gens et interagir avec eux.
Dr Stremme : Dans le programme de conservation que je gère en Indonésie, nous employons également des éléphants captifs dressés pour effectuer des patrouilles forestières à l’intérieur du parc national. Ces éléphants ont tissé des liens très serrés avec leurs gardiens.
Chaque jour, à certaines heures, ces éléphants sont laissés en liberté pour brouter dans le parc national. Ils pourraient s’en aller et ne pas revenir, mais ils ne le font pas. Ils reviennent toujours au camp parce qu’ils ont pris l’habitude de vivre avec les gens et avec ceux qui s’occupent d’eux comme s’ils faisaient partie de leur famille. Ils entretiennent des liens affectifs très étroits.
J’ai moi-même plusieurs années d’expérience en tant que gardien d’éléphants. Chaque jour, le matin, nous entrions dans l’écurie des éléphants. Ils s’excitaient comme s’ils voyaient arriver un compagnon de troupeau, en barrissant pour nous accueillir, comme le font les chiens lorsque leur maître rentre à la maison. Lorsqu’elle est bien gérée, c’est une relation qui peut être très positive.
La présidente : Merci.
Chers collègues, si vous voulez bien m’accorder encore deux minutes, j’en donnerais une au sénateur Klyne et une au sénateur Plett pour leurs dernières questions.
Le sénateur Klyne : Merci, madame la présidente.
Ma question pourrait s’adresser à la Dre Lueders, ou à toute autre personne qui souhaite intervenir.
Si ce comité en arrive à la conclusion que les éléphants souffrent généralement lorsqu’ils sont en captivité dans les zoos, plutôt que dans un sanctuaire ou en pleine nature, pensez-vous qu’il soit justifié de les garder en Amérique du Nord afin que les gens puissent les voir, ou pour faire des échanges avec l’Europe en vue de la reproduction, ou pour des promenades et des spectacles à des fins de divertissement, y compris les tours que l’on présente au cirque?
La présidente : Pouvez-vous nous dire à qui vous posez la question?
Le sénateur Klyne : Disons à la Dre Lueders.
Dre Lueders : Oui. Cela permet de montrer aux gens ce que ces animaux sont capables de réaliser, plutôt que de les laisser simplement dans un enclos à ne rien faire. En organisant des tours et des spectacles pour faire étalage de leurs talents, on peut montrer à quel point ces éléphants sont intelligents et fragiles à la fois. Je pense également que les gens devraient faire l’effort nécessaire pour admirer les éléphants de cette manière. Je crois fermement que, pour cette raison, il est justifié de les garder en captivité.
La présidente : Merci.
Le sénateur Plett : Docteur Schmitt, vous avez déjà abordé certaines de ces questions. Vous avez indiqué que vous êtes membre du Groupe de spécialistes de l’éléphant d’Asie au sein de l’UICN. Pouvez-vous dire à ce comité quelle est la position de l’UICN concernant les éléphants gardés en captivité et nous exposer les raisons pour lesquelles nous devrions travailler dans le sens de cette prise de position?
Dr Schmitt : Je suis membre du Groupe de spécialistes de l’éléphant d’Asie. Je ne fais pas partie du Groupe de spécialistes de l’éléphant d’Afrique, qui a une opinion très différente à ce sujet.
Le Groupe de spécialistes de l’éléphant d’Asie reconnaît qu’un tiers des éléphants d’Asie vivent actuellement en captivité, ce qui nous amène à devoir conseiller les différents pays quant aux moyens à prendre pour assurer la conservation de ces éléphants-là aussi.
Le sénateur Plett : Je vous remercie, docteur Schmitt. Je remercie également les autres témoins d’avoir été des nôtres aujourd’hui.
La présidente : Merci à vous trois pour vos exposés et la patience dont vous avez fait montre en répondant à nos questions.
Sénateurs, merci de nous avoir permis de poursuivre pendant quelques minutes de plus.
(La séance est levée.)