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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES JURIDIQUES ET CONSTITUTIONNELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 2 mai 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd’hui, à 11 h 46 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial.

La sénatrice Mobina S. B. Jaffer (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je m’appelle Mobina Jaffer, sénatrice de la Colombie-Britannique et présidente de ce comité. J’inviterais mes collègues à se présenter en commençant à ma gauche.

Le sénateur Plett : Je m’appelle Don Plett. Je viens du Manitoba.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, division De Lorimier, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue. Marty Klyne, sénateur du territoire du Traité no 4 en Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Audette : Michèle Audette, Nitassinan, Québec.

[Traduction]

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta.

[Français]

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, Ontario.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Bonjour. Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan.

La présidente : Merci, honorables sénateurs. J’ai d’abord un rappel à vous faire au sujet des oreillettes.

Avant de commencer, j’aimerais rappeler à tous les sénateurs et aux autres participants les importantes mesures préventives suivantes.

Afin de prévenir les incidents perturbateurs — et potentiellement dangereux — de rétroaction sonore pendant notre réunion, qui pourraient causer des blessures, nous rappelons à tous les participants sur place de garder leurs oreillettes loin des microphones en tout temps.

Comme l’indique le communiqué que le Président a envoyé à tous les sénateurs le lundi 29 avril, les mesures suivantes ont été prises pour aider à prévenir les incidents acoustiques :

Toutes les oreillettes ont été remplacées par un modèle qui réduit considérablement la probabilité d’un incident acoustique. Les nouvelles oreillettes sont noires, alors que les anciennes étaient grises. Veuillez utiliser uniquement les oreillettes noires approuvées.

Par défaut, toutes les oreillettes inutilisées au début d’une réunion seront débranchées.

Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, veuillez la placer face vers le bas, au milieu de l’autocollant rond que vous voyez devant vous sur la table, à l’endroit indiqué.

Veuillez consulter la fiche sur la table pour connaître les lignes directrices sur la prévention des incidents acoustiques.

Assurez-vous d’être assis de manière à augmenter la distance entre les microphones. Les participants doivent brancher leurs oreillettes uniquement sur la console du microphone placée directement devant eux.

Ces mesures visent à nous permettre d’exercer nos activités sans interruption et de protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes. Je vous remercie tous de votre collaboration.

Honorables sénateurs, nous nous réunissons pour poursuivre notre étude du projet de loi S-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial.

Dans notre premier groupe de témoins, j’ai le plaisir d’accueillir Sarah Conley, coordonnatrice de la conservation à l’International Elephant Foundation et Heidi Riddle, vice-présidente du Asian Elephant Specialist Group, de même qu’Adam Felts, conservateur principal des soins des animaux et directeur du bien-être, responsable du programme SAFE Asian Elephant du Columbus Zoo and Aquarium, par vidéoconférence. Je vous souhaite la bienvenue à tous. Je vous remercie de vous être joints à nous et d’avoir pris le temps de venir témoigner aujourd’hui.

Honorables sénateurs, nous allons commencer par les déclarations préliminaires avant de passer aux questions. Nous allons donner la parole à Sarah Conley, puis à Heidi Riddle et Adam Felts.

Vous avez la parole, madame Conley. Je vous en prie.

Vous aurez cinq minutes chacun, quand vous serez prêts.

Sarah Conley, coordonnatrice de la conservation, International Elephant Foundation : Merci et bonjour. Je vous suis reconnaissante de me donner l’occasion de parler de cette question.

Je m’appelle Sarah Conley. J’ai près de 25 ans d’expérience dans le domaine des éléphants. Je suis la coordonnatrice de la conservation pour l’International Elephant Foundation, ou IEF. L’IEF est un organisme sans but lucratif qui appuie des projets de conservation des trois espèces d’éléphants. Nous sommes des chefs de file mondialement reconnus en matière de conservation durable et nous avons à cœur de bâtir un avenir propice au bien‑être des éléphants. En fait, cela fait partie de notre mission. À ce propos, nous souhaitons également féliciter le comité de se soucier de l’avenir des éléphants.

Dans un témoignage précédent, j’ai entendu l’affirmation selon laquelle il n’y a aucun avantage sur le plan de la conservation à garder des éléphants en captivité. Cette affirmation est fausse, leur contribution à la conservation comprenant généralement l’accès, l’inspiration et le soutien direct.

Le fait d’avoir des éléphants bien soignés, facilement accessibles aux scientifiques et aux chercheurs, a permis de faire de grands progrès dans la compréhension de maladies comme l’herpèsvirus endothéliotrope de l’éléphant, qui a un impact à la fois sur les éléphants en captivité et sur ceux dans la nature. Il suffit de penser aux essais dignes de mention concernant la réaction aux piments des éléphants dans les zoos, qui ont mené à l’utilisation des piments comme outil de gestion des conflits entre les humains et les éléphants, ou encore à l’avancement des connaissances sur les besoins physiologiques, afin de déterminer où et à quelle distance les sources d’eau artificielles devraient être placées dans les pays de l’aire de répartition.

Les études sur la procréation assistée sont également extrêmement importantes et le deviendront davantage à mesure que les populations déclineront et que les habitats seront détruits. Nous avons déjà vu cela dans les efforts visant à sauver des espèces comme le condor de la Californie, le putois d’Amérique et le rhinocéros blanc du Nord qui se sont fonctionnellement éteintes en 2023, parce que nous avons commencé trop tard la sauvegarde de ces espèces, principalement pour des raisons politiques.

Les éléphants en captivité servent de filet de sécurité génétique. Les habitats sont de plus en plus fractionnés et détruits, ce qui affecte le flux génétique et est à l’origine de l’encapsulation.

Si le pire devait arriver, comme ce fut le cas pour le rhinocéros blanc du Nord, il est essentiel d’avoir une police d’assurance génétique. S’il y avait eu un programme de reproduction comme celui d’African Lion Safari pour le rhinocéros blanc du Nord, il ne serait pas fonctionnellement éteint. Le dernier espoir réside plutôt dans les techniques de procréation assistée mises au point par les chercheurs et leurs partenaires pour les animaux en captivité. Garder des éléphants et des troupeaux reproducteurs en santé est littéralement une question de vie ou de mort pour une espèce en voie de disparition.

Les éléphants sont également une source d’inspiration. Pour les familles qui n’ont pas les moyens de se payer des voyages internationaux coûteux pour voir la faune dans son habitat en déclin, les zoos sont l’endroit où le public peut en apprendre davantage sur la compassion et les défis auxquels font face les éléphants dans la nature, où les dangers les guettent. Ce projet de loi pourrait entraîner la perte de cet apprentissage.

L’expérience de la rencontre avec un éléphant est source de compréhension à différents niveaux, par exemple, la compréhension de l’impact des êtres humains sur l’environnement, de la façon dont la croissance des populations humaines repousse les éléphants dans des espaces de plus en plus petits, des besoins des collectivités en matière de nourriture et de transport qui finissent par l’emporter sur les besoins des éléphants et de la faune.

L’élimination de cette occasion d’apprentissage ne fait qu’éloigner les citoyens de la nature, alors que ce que nous devons vraiment faire, c’est établir des liens plus étroits, du genre de ceux qui sont créés dans les zoos, qui offrent une atmosphère permettant aux gens d’en apprendre davantage sur l’environnement, de leur cour jusqu’à la savane africaine.

Nous vivons à l’ère de l’intelligence artificielle, de la réalité virtuelle et des spirales dans lesquelles nous entraînent YouTube et la technologie en général. Lorsque vous rencontrez un éléphant en personne, vous vous en souvenez pour le reste de votre vie. Y en a-t-il parmi vous qui se souviennent de ce qu’ils ont regardé sur YouTube la semaine dernière?

L’IEF a appuyé des centaines de projets sur le terrain depuis sa création. Le soutien direct permet de garder des troupes sur le terrain pour protéger les derniers tuskers du Kenya, aider les communautés qui bordent le parc national de Bardiya, au Népal à apprendre à vivre en toute sécurité aux côtés des éléphants, et aider les clubs de protection de la faune au Cambodge et en Ouganda à bâtir la prochaine génération de protecteurs de l’environnement.

Des membres du personnel des zoos, y compris de l’African Lion Safari, participent à des opérations visant à équiper les éléphants de colliers GPS, afin de suivre les déplacements des troupeaux, font de la consultation dans des ateliers en Inde pour réduire le nombre de collisions entre des trains et des éléphants et assurent le renforcement des capacités en contribuant à former des cornacs à Sumatra, afin d’améliorer le bien-être des éléphants en captivité là-bas, tout en les aidant à créer une organisation professionnelle nationale qui se concentre également sur l’amélioration de la conservation des éléphants sauvages.

L’accès, l’inspiration et le soutien direct dont les éléphants en captivité font profiter les populations d’éléphants du monde entier sont irremplaçables. La présence au Canada de l’un des plus grands contributeurs aux connaissances et à l’élevage modernes des éléphants devrait être source de fierté nationale, et non pas faire l’objet de menaces.

Nous devons établir et approfondir nos liens avec la nature, et non les éliminer. Merci.

La présidente : Merci.

Nous passons maintenant à Mme Heidi Riddle. Je vous en prie.

Heidi Riddle, vice-présidente, IUCN-SSC Asian Elephant Specialist Group : Merci.

[Français]

Mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, je suis un francophone originaire de la Suisse, mais je vais m’exprimer en anglais. Je répondrai volontiers à vos questions en français.

[Traduction]

Je m’appelle Heidi Riddle. Je soumets respectueusement ce commentaire en opposition au projet de loi S-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial.

Je suis la cofondatrice du Riddle’s Elephant and Wildlife Sanctuary aux États-Unis. Je suis vice-présidente du groupe de spécialistes des éléphants d’Asie, ou AsESG, qui relève de la Species Survival Commission de l’International Union for the Conservation of Nature, ou IUCN.

L’AsESG est un réseau mondial de spécialistes responsables de l’étude, du suivi, de la gestion et de la conservation des éléphants d’Asie dans les 13 pays de l’aire de répartition. L’AsESG fournit les meilleures données scientifiques disponibles sur l’abondance, la répartition et l’état démographique des populations d’éléphants d’Asie.

J’aimerais mentionner quelques faits. Il y a 10 fois moins d’éléphants d’Asie que d’éléphants d’Afrique. Les 13 pays de l’aire de répartition des éléphants d’Asie comptent des populations captives d’éléphants. Ce n’est pas le cas des 37 pays d’Afrique.

La grande majorité des éléphants d’Asie en captivité se trouvent dans des pays de leur aire de répartition et sont gérés par des camps forestiers, des zoos et des propriétaires privés. En Asie, des éléphants sont gardés en captivité depuis des milliers d’années.

En tant que gestionnaire professionnelle d’éléphants comptant plus de quatre décennies d’expérience dans ce domaine, je reconnais la valeur de l’exposition publique responsable des éléphants et d’autres animaux comme moyen essentiel d’accroître la sensibilisation du public et, au bout du compte, les préoccupations à l’égard de ces animaux sauvages, et je l’appuie.

Cette éducation et les efforts de conservation qui en découlent sont nécessaires pour assurer la survie future des éléphants sauvages là où des problèmes critiques d’habitat, sa dégradation et sa perte, ainsi que des conflits entre les humains et les éléphants et le braconnage pour l’ivoire, menacent la survie des populations d’éléphants sauvages en Afrique et en Asie.

De plus, il est très important de souligner que les établissements zoologiques du monde entier fournissent un soutien financier considérable pour le travail de conservation sur le terrain des espèces qu’ils exposent, par exemple, les éléphants.

En ce qui concerne le projet de loi S-15 proprement dit, j’aimerais soulever les graves préoccupations suivantes.

Dans l’énoncé du préambule du projet de loi, il est mentionné que la science établit que certains animaux, notamment les éléphants et les grands singes, ne doivent pas vivre en captivité en raison de la cruauté que cela représente. Cet énoncé est inexact. Il n’existe pas de preuve scientifique impartiale qui vient appuyer cela.

Cet énoncé est directement contredit par une phrase du paragraphe suivant qui dit que la captivité de ces animaux est justifiée dans certaines circonstances, notamment lorsqu’il s’agit de leur bien-être, d’un programme de recherche scientifique ou de conservation.

De plus, le libellé du projet de loi n’indique pas clairement comment cette approche particulière vise à répondre aux préoccupations sous-jacentes en matière de bien-être des animaux. Cette omission est révélatrice. En effet, on semble ignorer le fait que l’interdiction d’exposer des éléphants et des grands singes — deux espèces qui vivent longtemps — signifiera simplement qu’il faudra déplacer ces animaux du Canada vers des installations où ils seront captifs, qu’il s’agisse de zoos, de sanctuaires, de parcs safari ou d’autres pays.

Il existe déjà des règlements efficaces, ainsi qu’une surveillance des établissements qui exposent ces espèces particulières, qui est assurée par Aquariums et zoos accrédités du Canada.

Bref, ce projet de loi est inutile. Approuver l’interdiction d’exposer un nombre très restreint d’espèces sauvages populaires — en se concentrant sur les éléphants, et non pas sur d’autres gros ongulés, ainsi que sur les grands singes, et non pas tous les primates — ne contribuera pas au bien-être des éléphants ou des grands singes ni à la conservation de l’espèce.

Je vous remercie de votre attention.

La présidente : Merci beaucoup.

Nous allons maintenant passer au dernier témoin de ce groupe, M. Felts. Je vous en prie.

Adam Felts, conservateur principal des soins aux animaux et directeur du bien-être, responsable, SAFE Asian Elephant, Columbus Zoo and Aquarium : Bonjour, distingués membres du comité. Je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui du projet de loi S-15.

Je m’appelle Adam Felts et je suis conservateur principal des soins des animaux et directeur du bien-être des animaux au Columbus Zoo and Aquarium. Je suis également responsable du programme Saving Animals From Extinction, ou SAFE Asian Elephant de l’Association of Zoos & Aquariums, ou AZA.

Je travaille avec les éléphants depuis 25 ans. Mon expérience professionnelle m’a appris que les éléphants sont des animaux intelligents, adaptables et résilients. Ils peuvent s’épanouir en captivité et c’est ce qui se produit. Grâce à des soins professionnels et à une structure sociale, les éléphants qui vivent dans des environnements gérés inspirent et éduquent des millions de personnes qui visitent des établissements agréés chaque année. Nous savons que lorsque les gens font l’expérience de la rencontre d’éléphants, cela crée de l’empathie chez eux et une compréhension des défis auxquels ces animaux sont confrontés dans leur aire de répartition d’origine. Cela peut mener à un soutien de nos efforts de conservation essentiels et à un appui financier pour ces programmes.

Le zoo de Columbus et le programme SAFE pour les éléphants d’Asie sont des initiatives de conservation de premier plan pour les éléphants vivant en Asie, qui comportent un lien avec la visite d’éléphants dans notre zoo en Ohio. Le zoo de Columbus finance une initiative quinquennale de l’International Union for Conservation of Nature, ou IUCN, soit le Center for Species Survival de l’État d’Assam, dans le Nord-Est de l’Inde.

Nous venons de tenir un groupe de travail regroupant plusieurs pays sur les lignes directrices relatives aux conflits entre les éléphants et les humains, sous la direction du zoo de Columbus et du programme SAFE pour les éléphants d’Asie, afin d’aider les pays confrontés aux défis que posent les conflits entre éléphants et humains. Ce travail ne serait pas possible sans l’appui de nos millions de visiteurs.

Récemment, l’IUCN a publié un énoncé de position reconnaissant l’importante contribution des jardins botaniques, des aquariums et des zoos à la conservation des animaux sauvages, des champignons et des plantes. Tout d’abord, les zoos modernes accrédités sont des organismes de conservation qui travaillent à sauver les animaux de l’extinction. Nous sommes profondément engagés dans cette tâche, et notre succès dépend du soutien de notre collectivité et d’autres collectivités partout dans le monde qui collaborent avec des zoos accrédités ou qui cherchent des façons mutuellement avantageuses de coexister avec la faune.

Je me réjouis de votre préoccupation pour le bien-être des animaux et je la partage, mais je ne suis pas d’accord pour dire que la captivité des éléphants et des grands singes est fondamentalement cruelle. Ce n’est pas le cas. En fait, d’après mon expérience professionnelle, les éléphants qui se trouvent dans des situations de reproduction active sont en bonne santé et actifs et ils ont plus de chances de jouir d’un bien-être global positif. L’imposition d’une interdiction générale sur la reproduction des animaux sauvages va à l’encontre de l’objectif même du projet de loi, qui est de protéger le bien-être des animaux et d’assurer leur survie à long terme.

Les éléphants sont des animaux sociaux, et d’après des études scientifiques qui ont évalué le bien-être des éléphants dans les zoos, nous savons que ce bien-être s’améliore lorsqu’ils vivent dans des unités familiales avec leurs petits. Ils apprennent les uns des autres, ils partagent entre eux et ils grandissent ensemble. Chaque éléphant joue un rôle dans une structure sociale complexe qui repose sur l’élevage des petits ensemble, ce qui donne un troupeau sain et prospère.

L’élimination des occasions pour les éléphants de vivre et d’interagir comme ils le font naturellement va à l’encontre du bien-être positif des animaux.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup à vous trois pour vos exposés très intéressants.

Nous allons maintenant passer aux questions, en commençant par le parrain du projet de loi, le sénateur Klyne.

Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos témoins experts.

Ma première question s’adresse à Mme Conley, mais j’invite aussi les autres à y répondre si nous avons suffisamment de temps.

Je crois comprendre que le président de l’International Elephant Foundation est le directeur exécutif du zoo de Fort Worth, et que le vice-président est le gestionnaire des éléphants à l’African Lion Safari. En 2021, le zoo de Fort Worth aurait annulé l’achat prévu de deux éléphants auprès de l’African Lion Safari pour 1 million de dollars chacun, dans le cadre d’une vente qui aurait séparé deux couples mère-fille qui restent normalement ensemble pour la vie. Le comité a entendu le témoignage de M. Keith Lindsay, selon lequel cette séparation causerait un traumatisme à ces créatures qui sont conscientes de leur environnement, ainsi que très sociables et émotionnelles.

African Lion Safari a nié que la vente des mères et des filles séparément aurait un impact émotionnel négatif. L’International Elephant Foundation appuie-t-elle de telles transactions et croit‑elle qu’elles devraient avoir lieu à l’avenir?

Mme Conley : Je vous remercie de votre question, sénateur.

L’International Elephant Foundation n’a pas son mot à dire sur ce que notre conseil d’administration fait de ses propres troupeaux, mais nous sommes en faveur d’avoir des troupeaux reproducteurs en santé dans le plus grand nombre d’endroits possible comme filet de sécurité génétique. Si ce transfert génétique est dans l’intérêt de ces troupeaux et des espèces, c’est absolument la meilleure chose à faire. Je fais confiance aux professionnels des soins des animaux qui travaillent quotidiennement avec chacun de ces éléphants pour déterminer ce qui est dans leur intérêt.

Le sénateur Klyne : J’ai une question pour Mme Riddle.

Le comité a entendu le témoignage scientifique irréfutable de M. Bob Jacobs, selon lequel la captivité cause des lésions cérébrales aux éléphants en raison d’un environnement appauvri et d’un stress chronique. Pouvez-vous commenter ces constatations?

Mme Riddle : Oui, je dirais que ce ne sont pas des preuves scientifiques impartiales. On gère des éléphants en captivité en Asie depuis des milliers d’années, et il n’y a eu aucun problème là-bas.

De plus, dans les établissements du Nord global, comme nous l’appelons, les établissements zoologiques et autres, la reproduction qui a lieu dans des troupeaux multigénérationnels va, à mon avis, totalement à l’encontre de ces commentaires. Je n’appuie pas ces commentaires et je ne crois pas qu’ils soient fondés sur des données scientifiques.

Le sénateur Klyne : J’ai une autre question pour Mme Riddle.

Je crois comprendre que vous et le cofondateur du Riddle’s Elephant and Wildlife Sanctuary avez déjà travaillé avec le cirque Ringling Brothers. Est-ce exact, et fait-on usage de crochets à éléphant ou d’autres méthodes d’entraînement des éléphants de cirque à votre établissement?

Mme Riddle : Oui, nous avons travaillé pendant une courte période, il y a de nombreuses décennies, pour le cirque de Ringling Brothers, et, oui, nous avons eu recours à tous les différents types d’outils qui sont utilisés professionnellement dans des établissements partout dans le monde.

Le sénateur Klyne : Ma question s’adresse à tous les témoins. Quiconque veut répondre en premier est le bienvenu.

Dans une lettre de 20 spécialistes des éléphants soumise au comité, il est dit ceci :

À ce jour, il n’y a pas eu un seul cas de captivité d’éléphants ayant favorisé la conservation ou les populations sauvages. Au contraire, on continue de capturer des éléphants sauvages afin d’alimenter les populations en captivité qui ne seraient pas viables autrement.

Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Mme Riddle : Je vais répondre du point de vue des éléphants d’Asie. C’est absolument faux.

Les pays d’Asie où vivent des éléphants n’envoient pas d’éléphants à l’étranger. Je crois qu’en Amérique du Nord, il n’y a pas eu d’importation d’éléphants sauvages depuis des décennies. Ce genre de commentaire est donc de la désinformation.

En 2016, j’ai fait un examen, en compagnie d’un collègue qui a travaillé dans le domaine de l’application de la loi, sur le commerce des éléphants d’Asie vivants dans différents pays d’Asie. C’était pour la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, ou CITES. On pensait que des éléphants étaient capturés dans la nature et envoyés dans des pays comme la Thaïlande ou même le Népal pour être utilisés à des fins touristiques, mais nous n’avons trouvé aucune preuve qu’il s’agissait d’éléphants sauvages capturés. Il s’agissait principalement d’éléphants nés en captivité dans ces pays ou d’éléphants qui étaient déjà en captivité, mais qui ne travaillaient pas, et qui ont peut-être été envoyés dans d’autres pays pour travailler.

Pour ce qui est de la population d’éléphants d’Asie, cette affirmation est tout à fait inexacte et ne repose sur aucun fait.

Le sénateur Klyne : Merci. J’ai une autre question pour vous.

M. Keith Lindsay a dit au comité :

En ce qui concerne la conservation, malgré tout ce qu’on peut entendre...

La présidente : Sénateur Klyne, je vous inscris au deuxième tour.

Le sénateur Klyne : Merci.

Le sénateur Plett : Merci à vous trois d’être ici. Je vous serais très reconnaissant d’être concis dans vos réponses. Je serai peut-être ainsi en mesure de poser trois questions, mais ce sera difficile. Lorsque nous avons d’excellents groupes de témoins comme vous, nous avons beaucoup de questions.

Ma première question s’adresse à Mme Riddle, puisque vous faites partie de l’IUCN. Le nombre d’éléphants d’Asie a chuté dans la nature et, en fait, toutes les espèces sont menacées d’extinction. Par conséquent, votre organisme est d’avis qu’il est essentiel à la conservation des éléphants que le tiers de la population mondiale d’éléphants d’Asie vive en captivité.

Pouvez-vous nous dire très brièvement ce que vous en pensez?

Mme Riddle : Oui, c’est exact. La situation est très différente en Asie qu’en Afrique, en ce sens que les 13 pays faisant partie de l’aire de répartition des éléphants d’Asie ont des populations captives. La plupart de ces éléphants en captivité sont utilisés à des fins de conservation — par exemple, pour patrouiller dans des zones protégées ou pour aider à désamorcer des situations de conflit entre les humains et les éléphants en chassant les éléphants sauvages vers la forêt, ce genre de situations.

Des éléphants se retrouvent constamment en captivité, par exemple des jeunes éléphants pris au piège ou peut-être abandonnés pour une raison quelconque par leurs troupeaux, des choses du genre. Les éléphants en captivité en Asie ne seront jamais éliminés, et ils jouent un rôle important parce qu’il y a évidemment beaucoup d’intérêt à essayer de voir comment réintroduire les éléphants ayant vécu en captivité dans les populations sauvages. Certains pays y travaillent, mais la principale cause de la diminution de la population est le manque d’habitat. Il serait beaucoup plus important de consacrer des ressources à la préservation de l’habitat, à la protection de ces habitats, à l’application de la loi et à ce genre de choses. S’il n’y a plus d’éléphants à remettre dans ces zones, une fois qu’elles auront été protégées, il convient de se poser des questions. La conservation peut prendre fin très rapidement.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup.

Ma prochaine question s’adresse à vous trois. Vous savez évidemment qu’African Lion Safari est propriétaire de 76 % de tous les éléphants au Canada. Comme vous l’avez déjà laissé entendre, madame Riddle, aucun de ces éléphants n’a été capturé dans la nature, et presque tous sont nés dans cet établissement. J’ai visité cet endroit à plusieurs reprises. Je voulais que le comité fasse de même, mais on n’a pas semblé vouloir obtenir l’information qu’on aurait pu nous fournir, alors cela ne s’est pas fait.

J’y suis allé et j’ai été frappé par ce qui semblait être un lien très profond entre les éléphants et leurs gardiens. Vous êtes tous des experts. Qu’en pensez-vous? Les éléphants développent-ils un lien émotionnel particulier avec ceux qui s’occupent d’eux? Madame Conley, vous pourriez peut-être répondre à cette question.

Mme Conley : Merci, sénateur. Je dirais que les éléphants sont parmi les animaux les plus intelligents, sinon les plus intelligents, qui existent. Ils ressentent certainement un lien avec ceux qui s’occupent d’eux. C’est l’une des choses qui les rendent si souples pour ce qui est de pouvoir s’épanouir en captivité. Le fait qu’il soit possible de travailler avec les éléphants et de trouver des moyens de communiquer et de faire des choses absolument incroyables est ce qui a été à l’origine des plus de 5 000 ans d’histoire de l’élevage des éléphants par des humains. Nous avons tendance à aborder de façon anthropomorphique le lien entre les humains et les animaux, mais pour ce qui est des éléphants, on sait qu’ils développent un lien fort avec leurs gardiens.

Le sénateur Plett : Ma troisième question, et probablement ma dernière pour le premier tour, s’adresse à M. Felts.

Hier, nous avons entendu le professeur Beaulac, un constitutionnaliste. Il nous a dit que la constitutionnalité de ce projet de loi dépend entièrement de la question de savoir si le fait de tenir des éléphants et des grands singes en captivité respecte le seuil de la cruauté prévu dans le Code criminel. Selon lui, s’il n’y a pas de cruauté envers les animaux, ce n’est pas du ressort du gouvernement fédéral, et ce n’est pas lié à l’exigence de la moralité publique.

Êtes-vous d’accord avec le gouvernement?

Je cite le préambule du projet de loi : ... les éléphants et les grands singes ne doivent pas vivre en captivité en raison de la cruauté que cela représente...

M. Felts : Merci. Je ne suis pas du tout d’accord avec cette déclaration. Je travaille avec des éléphants depuis 25 ans un peu partout au pays et dans le monde, et j’ai moi-même constaté bien des choses. Je vous dirai que nous sommes experts des milieux gérés par des humains où vivent des éléphants. Nous appliquons des programmes de bien-être et nous évaluons constamment nos animaux. Je peux dire sans hésiter que les éléphants s’épanouissent dans ces milieux de reproduction. J’ai visité l’African Lion Safari, et c’est l’un des meilleurs programmes au monde, sinon le meilleur. Son excellence est due en grande partie au fait que ses programmes de reproduction prospèrent et que l’on s’y concentre sur le bien-être des éléphants, en créant notamment des unités familiales.

Le sénateur Dalphond : Merci. Bienvenue à nos témoins. Il est toujours agréable d’entendre des gens qui nous présentent des faits et des connaissances. Ma question s’adresse à Mme Riddle. Vous pouvez répondre en français. Je devrais la poser en français, mais j’ai la citation ici en anglais. C’est une citation de M. Keith Lindsay, qui travaille pour le Amboseli Trust for Elephants au Kenya. Vous connaissez probablement cette fiducie. Il a dit devant ce comité :

En ce qui concerne la conservation, malgré tout ce qu’on peut entendre, les expositions dans des zoos ne contribuent pas réellement à la conservation des éléphants. Le principe clé des lignes directrices de l’Union internationale pour la conservation de la nature en matière de conservation ex situ est que les animaux sauvages devraient être placés dans des sites ex situ éloignés de leur domaine vital principalement dans un but de reproduction en captivité en vue d’un relâchement dans la nature en temps voulu. Ce n’est absolument pas possible pour les éléphants d’Afrique et d’Asie dans les zoos...

... tout au moins en Amérique du Nord...

... et ce n’est pas la raison pour laquelle ils ont été retirés de leur milieu sauvage à l’origine, qui est plutôt l’exposition et le divertissement.

Je crois savoir que de nombreux zoos sont en train de changer leur image de marque en se consacrant davantage à la conservation et à la protection de l’environnement. Pensez-vous vraiment que l’importation d’éléphants d’Asie ou d’Afrique dans notre pays ne contribue pas à leur conservation?

Mme Riddle : Je ne suis pas d’accord, mais je comprends ce raisonnement. L’une des principales différences entre le groupe de spécialistes des éléphants d’Asie et le groupe de spécialistes des éléphants d’Afrique est le fait que les éléphants d’Afrique n’ont pas été capturés dans leur domaine vital traditionnel et domestiqués pendant des siècles comme l’ont été les éléphants d’Asie.

Il y a un certain nombre d’années, le groupe de spécialistes d’Afrique a déclaré que la captivité des éléphants ne contribuait aucunement à la conservation de leur espèce. Toutefois, cette déclaration est désormais contredite par le fait que, comme je l’ai dit dans ma déclaration préliminaire, des parcs zoologiques modernes partout au monde — pas seulement en Amérique du Nord, mais aussi en Europe, en Australasie et ailleurs — soutiennent la conservation d’espèces qu’ils exposent en appuyant financièrement des projets menés sur le terrain pour protéger ces espèces. On y voit là un lien direct.

L’International Elephant Foundation regroupe des zoos qui contribuent financièrement au soutien de tous les projets dont Mme Conley a parlé. Les zoos, l’Association des zoos et aquariums du Canada et SAFE, le sanctuaire pour animaux de ferme dont M. Felts a parlé, apportent aussi leur contribution financière et du soutien technique.

Il est complètement faux d’affirmer sans faire de différenciation que la captivité des éléphants ne contribue pas à leur conservation. À mon avis, cette façon de penser ne tient pas compte des progrès réalisés au cours de ces dernières décennies. Je travaille avec des éléphants depuis 44 ans, et ce domaine a complètement changé. Les gens qui s’en tiennent aux constatations faites il y a 40 ou 50 ans ne voient pas les progrès réalisés dans ce domaine. On a relié le monde des animaux en captivité à celui des animaux sauvages, qu’il s’agisse d’éléphants ou d’autres espèces. De nombreuses autres espèces bénéficient aussi de leur mise en captivité.

Cette contribution ne se concrétise pas seulement par le financement de projets sur le terrain, mais par le soutien de la recherche et de l’éducation. Elle apporte énormément de bienfaits. Je ne suis pas du tout d’accord avec M. Lindsay.

Le sénateur Dalphond : Hier, des témoins ont affirmé qu’en principe, on ne devrait pas garder d’éléphants et de grands singes dans des zoos, sauf dans certaines circonstances. Ils ont ajouté que ces exceptions sont décrites avec précision dans ce projet de loi. Êtes-vous d’accord avec eux?

Je cite par exemple le Dr Clément Lanthier, de l’Institut Wilder, qui affirme qu’en principe, nous devrions interdire cette captivité, sauf si elle répond à l’un des critères du projet de loi. Êtes-vous d’accord avec lui?

Mme Riddle : Eh bien, je crois qu’à l’heure actuelle, les quelques éléphants qui se trouvent encore au Canada — et ils sont très peu nombreux par rapport à la population mondiale — vivent dans des installations déjà accréditées par l’Association des zoos et aquariums du Canada, ou CAZA. Je crois qu’ils seront aussi protégés par les règlements que les provinces et le gouvernement fédéral établiront. C’est du moins le cas aux États‑Unis.

Tant que l’on améliorera ces normes de professionnalisme et qu’on les respectera, il n’y aura aucune raison d’interdire la captivité de ces éléphants. En fait, cela s’applique aussi aux grands singes et à d’autres espèces similaires. Cette interdiction risque d’envoyer ces animaux dans d’autres installations dont les normes de gestion sont moins élevées. Elle ne vise pas nécessairement le bien-être des animaux. Si vous leur enlevez l’occasion... si vous enlevez à une installation comme African Lion Safari la possibilité d’exposer des éléphants, cet organisme sera-t-il encore disposé à soutenir des projets de conservation? Probablement pas. Vous éliminerez une source de soutien aux projets de conservation en retirant ces animaux dont ils s’occupent bien.

Je ne pense pas que ce soit très utile. Le plus utile serait de trouver des façons d’améliorer la réglementation afin que ces établissements respectent des normes élevées de gestion des animaux dont ils s’occupent.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse aux trois témoins. Je ne sais pas qui est le mieux placé pour me répondre, donc je vais vous laisser aller.

Employer la méthode de contrôle de la fécondation, donc éviter que les animaux se reproduisent, qu’est-ce que cela impliquerait dans vos organisations et vos institutions? Doit-on les séparer, et donc réduire l’espace en les mettant plus en captivité, ou doit-on les castrer? Est-ce qu’on castre le mâle, mais pas la femelle, ou est-ce qu’on empêche la femelle d’avoir des ovules? Comment cela fonctionnerait-il? Cela me semble plus cruel que le reste. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela impliquerait?

Mme Riddle : Oui, je veux bien l’expliquer un peu. C’est vrai que pour que les animaux ne se reproduisent pas, il faudrait séparer les mâles et les femelles, donc il faudrait briser le cercle social. Il faudrait aussi développer des moyens, car c’est très difficile de castrer un éléphant. C’est très compliqué de faire cela et cela a donc un impact sur la santé de l’animal. C’est un problème, en effet.

On pourrait notamment développer des moyens où l’on tenterait de prévenir les grossesses chez les femelles, donc on pourrait garder les mâles et les femelles ensemble. Il y a un effet de société pour ces animaux, car ils sont très sociables. Si on ne veut pas de reproduction... Si on n’a que des groupes de mâles ou que des groupes de femelles, dans ce sens-là, il n’y a pas de reproduction.

Le sénateur Carignan : Donc, cela aurait un effet sur eux aussi?

Mme Riddle : Oui, tout à fait.

Le sénateur Carignan : Est-ce que ce serait pire que la captivité?

Mme Riddle : Oui, et ce ne serait pas forcément le mieux pour eux. Pour leur bien-être quotidien, ce n’est pas forcément la meilleure solution de les séparer comme cela. C’est toujours mieux d’avoir les mâles et les femelles ensemble dans des groupes beaucoup plus sociaux.

Le sénateur Carignan : Est-ce que les autres témoins aimeraient commenter?

[Traduction]

Mme Conley : Oui. L’International Elephant Foundation favorise le bien-être. Le comportement de reproduction naturel sain est l’un des meilleurs indices de bien-être chez les animaux. L’African Lion Safari en témoigne de façon extraordinaire. Les éléphants actifs qui sont gérés activement et qui reçoivent des soins personnalisés ont de meilleurs résultats de reproduction. Tout ce qui les priverait de cette capacité nuirait à leur bien-être. Comme Mme Riddle l’a expliqué, les méthodes de prévention de la reproduction, qu’il s’agisse de castration — qui peut être extrêmement dangereuse et causer des blessures aux éléphants mâles — ou de séparation, réduiront leur capacité de s’adonner à ces comportements naturels. Il est crucial d’encourager la reproduction autant que possible.

En retirant cette capacité à des animaux qui sont gérés d’une façon si admirable, comme ceux de l’African Lion Safari, vous ferez beaucoup de mal à ces éléphants.

[Français]

Le sénateur Carignan : Merci. Monsieur Felts, avez-vous également des commentaires à faire?

[Traduction]

M. Felts : Je suis d’accord avec Mme Riddle et avec Mme Conley. Les éléphants jouissent du plus grand bien-être quand ils vivent de façon naturelle au sein d’un troupeau. En mettant fin à cela, on leur enlève ce bien-être. Pour empêcher la reproduction, pour arrêter la reproduction à African Lion Safari, il faudra diviser des familles, séparer les animaux et les placer dans de plus petits espaces, ce qui est tout à fait contraire à leur bien-être, surtout dans le cas des éléphants.

La sénatrice Batters : Merci. Ma première question s’adresse à Mme Riddle. Dans le préambule du projet de loi S-15, on lit ceci :

Attendu que le Parlement est d’avis que la science établit que certains animaux, notamment les éléphants et les grands singes, ne doivent pas vivre en captivité en raison de la cruauté que cela représente;

C’est le libellé actuel. Êtes-vous d’accord avec ce préambule?

Mme Riddle : Non, je ne suis pas d’accord. Je ne pense pas qu’on ait commandé une étude de recherche scientifique indépendante et impartiale pour affirmer cela de façon concluante. Je ne suis donc pas du tout d’accord avec cette déclaration.

La sénatrice Batters : Merci.

Comment différencieriez-vous les conditions de captivité qui pourraient être considérées comme cruelles et celles qui sont adéquates et bénéfiques pour les éléphants et les grands singes?

Mme Riddle : Bien, comme je l’ai dit tout à l’heure, la plupart des parcs zoologiques, surtout en Amérique du Nord, en Europe et dans ce que nous appellerions les pays du Nord, ont remarqué que les différentes espèces ont des besoins différents. Au fil des ans, ils ont donc modifié leurs règlements sur la façon de gérer ces espèces et sur les meilleures conditions à leur fournir. Par exemple, il est crucial de maintenir les éléphants en unités sociales. Les parcs reconnaissent d’autres besoins cruciaux.

Ces affirmations ne tiennent pas compte d’une grande partie des améliorations que l’on a apportées. Je travaille dans ce domaine depuis très longtemps, alors j’ai vu les progrès réalisés. À mon avis, cette affirmation ignore complètement ces progrès. Le fait est qu’à l’heure actuelle, beaucoup moins de jardins zoologiques exposent des animaux comme les éléphants et les grands singes, parce qu’ils reconnaissent que certaines espèces ont des besoins spécialisés qui nécessitent plus de ressources.

Il semble très illogique de cibler les éléphants et les grands singes sans tenir compte des autres espèces qui ont elles aussi des besoins particuliers. Il serait plus raisonnable de se pencher sur l’amélioration des milieux de captivité de toutes les espèces, qu’elles soient considérées comme des espèces exotiques — non indigènes au Canada — ou comme des espèces indigènes à mettre en captivité. Le Canada a des espèces indigènes qu’il faut parfois mettre en captivité pour une raison ou une autre, mais elles ont tout autant de besoins particuliers que les éléphants et les grands singes, comme pour leurs déplacements et autres. Ces animaux ont besoin de vivre en groupes sociaux. Il faudra établir, pour les parcs, des règlements qui tiennent compte de toutes les espèces et non uniquement de quelques-unes.

La sénatrice Batters : Merci.

Je voudrais entendre les réponses des deux autres témoins à cette question. Certains critiques soutiennent que les éléphants des zoos canadiens ne sont pas adaptés à nos hivers rigoureux. Ils soutiennent qu’il faudrait les garder à l’intérieur et à l’abri pendant une grande partie de l’hiver. Selon votre expérience et vos observations, est-ce que cette affirmation est juste? Nous pourrions peut-être commencer par M. Felts.

M. Felts : Oui. En fait, African Lion Safari a publié des articles sur les répercussions qu’ont les climats septentrionaux sur les éléphants, particulièrement sur les éléphants de ce parc. Ces animaux sont très adaptables. Ils prospèrent dans des milieux très différents et tolèrent des températures beaucoup plus froides que ce que l’on croirait. Ils aiment jouer dans la neige. Ils aiment sortir. En hiver, nos éléphants à Columbus, en Ohio, passent presque tout leur temps dehors. Cette affirmation est tout à fait fausse. Nous pouvons garder des éléphants dans les climats du Nord, et je trouve que le parc African Lion Safari le fait très bien.

La sénatrice Batters : Madame Conley, voudriez-vous répondre à la même question, s’il vous plaît?

Mme Conley : Merci. Comme l’a dit M. Felts, les éléphants ont une excellente thermorégulation. Ils figurent parmi les animaux les plus adaptables à des climats divers. On l’a constaté dans plusieurs régions. Même si certaines personnes — disons, les gens qui s’opposent à des parcs comme l’African Lion Safari — prétendent le contraire, les résultats de recherche — comme les études menées sur African Lion Safari et sur d’autres parcs et qui remontent à près de 30 ans — ont démontré que les éléphants s’épanouissent merveilleusement dans ce milieu.

On ne peut pas se contenter de créer un habitat idéal et les y abandonner sans prendre soin d’eux. Dans ce cas, la neige leur fera du mal. Voilà pourquoi le parc African Lion Safari gère ses milieux de captivité. Voilà pourquoi son personnel assure le bien-être des animaux et répond aux besoins individuels de chaque éléphant. Il est illogique de penser que l’on devrait reproduire leurs habitats naturels dans des parcs zoologiques. Nous devrions plutôt nous réjouir de notre capacité de gérer avec succès le bien-être de ces troupeaux au Canada et de voir ces éléphants s’épanouir. Les températures froides du Canada n’y changent absolument rien.

La sénatrice Batters : Merci.

La sénatrice Clement : Je vous remercie pour votre témoignage. Je vous remercie aussi d’avoir pris si bon soin des animaux auprès desquels vous avez travaillé.

On nous a dit que, dans notre pays, les soins que prodiguent certains parcs ne sont pas adéquats et qu’il faut mettre fin à cela. De nombreux Canadiens nous disent que ces situations ne sont pas acceptables. Ils s’attendent à ce que les parlementaires légifèrent. Ce n’est peut-être pas la meilleure solution, mais cela fait partie de tout ce que nous faisons pour répondre au mécontentement des Canadiens. Je tenais à dire cela avant tout.

Je vais revenir à la définition de la cruauté. Vos organismes ont-ils établi une définition de la cruauté qui nous aiderait à mieux comprendre la situation? Un témoin nous a dit que la captivité, quand elle modifie le comportement d’un animal, peut être qualifiée de cruauté. Pourriez-vous nous dire quelle définition de la cruauté vos organismes appliquent?

Mme Conley pourrait commencer.

Mme Conley : Si, selon cette affirmation, un milieu de captivité qui modifie le comportement ou les choix d’un animal est nécessairement qualifié de cruauté, alors le fait de vivre dans ce monde est cruel. À l’heure actuelle, en Asie, un tiers de tous les éléphants vivent dans une forme ou une autre de soins gérés. Cela veut-il dire qu’un tiers de tous les éléphants d’Asie vivent dans des conditions cruelles? Cela signifie-t-il que les éléphants d’Afrique qui vivent dans des réserves et dans des parcs nationaux dont les frontières ont été créées par l’homme pour empêcher l’utilisation de leur habitat sont eux aussi traités de façon cruelle? Ces affirmations n’aident pas du tout à évaluer le bien-être et la gestion des éléphants. Le monde s’industrialise et prend de l’expansion, et les habitats sont perdus, détruits et fracturés. Les populations d’animaux sont confinées dans des aires minuscules. Il est vraiment naïf de penser qu’il existe des régions sauvages où les choix quotidiens des animaux ne sont pas assujettis aux décisions des humains.

L’affirmation selon laquelle toute interaction ou mesure humaine est inévitablement cruelle ne constitue pas une définition fonctionnelle qui aidera à déterminer ce qu’il convient de faire dans ce domaine. Nous devrions plutôt définir les meilleures conditions dans lesquelles les animaux s’épanouissent. On évaluera ces conditions en fonction de la capacité qu’auront les animaux de s’adonner à autant de comportements naturels que possible, comme la reproduction et l’activité physique qui les maintiennent en bonne santé. On veillera aussi à ce que les animaux reçoivent tous les soins médicaux et vétérinaires dont ils ont besoin.

Je ne suis pas du tout d’accord avec cette définition de la cruauté.

La sénatrice Clement : Votre organisme a-t-il adopté une définition?

Mme Conley : Je peux demander à notre conseil d’administration de vous l’envoyer.

La sénatrice Clement : Merci beaucoup.

Mme Riddle : Notre organisme n’a pas établi de définition précise de la cruauté, mais votre question est excellente.

À mon avis, les définitions de la cruauté dérivent d’un sentiment émotif. Toutefois, nous devrions certainement en discuter dans notre organisme afin de produire une meilleure définition sur laquelle tous nos membres puissent s’entendre. Qu’est-ce qui définit la cruauté dans une situation, quelle qu’elle soit? Cette définition ne s’appliquerait pas seulement aux populations d’éléphants captifs, mais potentiellement à celles d’éléphants sauvages. Qu’est-ce qui définit la cruauté? À quel point dépasse-t-on les bornes? Je pense que c’est une très bonne question, et je vais certainement la poser à notre groupe.

La sénatrice Clement : Merci. M. Felts a-t-il le temps de répondre?

M. Felts : Je suis d’accord, c’est une bonne question. Nous n’avons pas de définition de la cruauté, et il serait excellent d’examiner cela. Je suis d’accord avec Mme Riddle, ce mot dérive d’une attitude très émotive.

Les zoos agréés se distinguent des autres zoos — les bons zoos des mauvais zoos — par le fait qu’ils appliquent une approche scientifique pour valider le bien-être. Certains bons zoos accrédités ont des programmes de bien-être qui ne sont pas nécessairement... nous évaluons les comportements. Nous cherchons à comprendre ces comportements pour atténuer le malaise de l’animal. Nous le faisons aussi chez les éléphants. Nous voulons valider le bien-être, et pour cela, nous devons nous efforcer de maîtriser nos émotions.

Vous avez dit tout à l’heure que nous faisons cela parce que nous aimons les animaux et le travail que nous accomplissons. Je vous remercie de l’avoir dit. Nous nous efforçons continuellement de faire ce qu’il y a de mieux pour nos animaux. Dans notre profession, nous ne sommes jamais satisfaits, et c’est excellent. Nous cherchons continuellement à améliorer notre travail et nous écoutons toute l’information que l’on nous donne pour améliorer le soin des animaux. Votre question était excellente.

La sénatrice Clement : Merci.

La présidente : Honorables sénateurs, il ne nous reste que très peu de temps, alors je vais céder la parole au parrain et au critique du projet de loi. Tenez-vous-en à deux minutes chacun, je vous prie.

Le sénateur Klyne : J’ai une question pour Mme Conley. On pouvait lire ce qui suit dans un article publié en 2019 dans le New York Times :

Selon les résultats d’une enquête menée en 2012 par le Seattle Times, au cours de ces 50 dernières années, 390 éléphants sont morts dans des zoos agréés. La majorité de ces décès découlent de blessures et de maladies dues à la captivité.

Mais de loin le plus grand danger est le taux de natalité incroyablement bas des éléphants captifs. L’une des manifestations les plus troublantes de la psychose des éléphants de zoo est l’incidence élevée des mortinaissances et des troubles de la reproduction chez les femelles enceintes. Même à la suite d’un accouchement réussi, on constate souvent des cas non seulement de mortalité infantile, mais aussi de rejet du veau et d’infanticide, chose dont on n’a presque jamais été témoin au cours des milliers d’études sur les troupeaux d’éléphants sauvages.

L’article poursuit ainsi :

Essentiellement, pour chaque nouvelle naissance en captivité, deux éléphants meurent.

Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Mme Conley : Bien sûr. J’ai lu ces articles et entendu ces affirmations. Toutefois, cela n’a pas été formulé, disons, avec un esprit ouvert. Les auteurs ont tiré des données de différentes régions et les ont regroupées pour donner l’impression que les taux de mortalité étaient plus élevés et les taux de natalité moins élevés qu’en réalité.

Disons par exemple que, dans le cas des relations raciales aux États-Unis, on vous cite le nombre de lynchages de 1800 jusqu’à aujourd’hui. Vous trouverez que la quantité de lynchages est extrême. Mais si l’on vous cite le nombre de lynchages de 1990 à aujourd’hui, vous verrez que la société a beaucoup progressé.

Il en va de même pour la reproduction et les soins des éléphants gérés par des humains. La mort des éléphants et les autres circonstances néfastes sont entièrement situationnelles. Dans votre question, vous mentionnez les infanticides. Cela s’est produit dans bien des situations où les soins gérés par des gens et par des programmes n’étaient pas optimaux et ne visaient pas l’intérêt supérieur des éléphants. En ne surveillant pas le troupeau et en ne suivant pas un bon plan d’accouchement, on cause des catastrophes. Cela se produit dans la nature, mais nous n’en entendons pas parler parce que nous ne sommes pas présents à chaque naissance. Nous ne sommes pas là pour surveiller tous ces facteurs.

En regroupant les données de 50 ans de captivité des éléphants dans des parcs zoologiques afin de prétendre que c’est la réalité actuelle, on ne présente pas une image exacte et honnête des gains reproductifs et de la viabilité des éléphants dans les milieux de soins gérés par des humains.

Le sénateur Plett : Madame Riddle, l’une des premières questions que le parrain vous a posées portait sur votre association antérieure avec les frères Ringling. Certains des discours que nous avons entendus au Sénat à l’appui du projet de loi S-15 soulignaient que nous ne voulons pas que les gens importent des défenses d’éléphant, ce qui, bien sûr, n’a rien à voir avec ce projet de loi. Je trouve donc étrange que l’on avance ces arguments. Votre association antérieure avec les frères Ringling n’a aucun lien avec ce projet de loi.

Mme Riddle : Exactement.

Le sénateur Plett : Et bien sûr, ce projet de loi ne régit pas les numéros de cirque. Il régit les soins gérés par des humains.

Dites-moi, madame Riddle, si vous êtes en faveur de l’utilisation d’armes, de crochets ou de quoi que ce soit qui pourrait blesser un éléphant au cours des activités quotidiennes? Je ne parle pas de ce que les frères Ringling ont fait ou n’ont pas fait il y a 15 ou 20 ans. Combien de zoos qui ont des éléphants... je sais que l’African Lion Safari utilise ce qu’il appelle un guide et non un crochet. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Mme Riddle : Oh oui, avec plaisir. En fait, pendant près de 20 ans, j’étais la coordonnatrice législative de l’Elephant Managers Association. Cette association s’est penchée sur un très grand nombre de projets de loi présentés aux États-Unis pour interdire toutes sortes d’outils utilisés pour contrôler les éléphants : le guide, qu’on appelait autrefois le crochet à éléphants, donc essentiellement le même instrument avec un nom différent ainsi que les chaînes et toutes sortes d’autres outils. Nous avons toujours affirmé qu’il existe un certain nombre d’outils permettant de contrôler différentes espèces. Dans le cas des certaines espèces, comme les éléphants, on peut utiliser des outils que l’on ne peut pas utiliser avec d’autres espèces. Par exemple, on utilise des chaînes parce qu’une corde ne retiendra pas un éléphant. La chaîne retient un éléphant quand il le faut. Il est surtout crucial de bien former le personnel des installations qui gèrent, par exemple, des éléphants, à l’utilisation appropriée de ces outils.

Le sénateur Plett : J’ai une autre question à vous poser. Merci pour cette réponse. J’aimerais simplement que vous répondiez par oui ou par non à la question suivante : êtes-vous tous d’avis que les animaux dont les soins sont gérés par des humains devraient être placés dans des zoos ou dans des aquariums agréés plutôt que dans des zoos itinérants?

Mme Riddle : Oui, absolument. Les zoos accrédités ont fait d’énormes progrès sur le plan de la réglementation et de la façon de gérer les soins des animaux, alors je ne vois aucune raison de ne pas y placer ces animaux. Je pense que l’utilisation d’outils — pour rapidement compléter ma réponse — doit également être clairement expliquée afin que les outils soient utilisés de façon adéquate. Même une laisse mal utilisée peut blesser un chien. Je trouve qu’en réglementant certains outils et pas d’autres, on ne tient pas compte du contexte.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup.

La présidente : Je vous remercie tous les trois pour votre témoignage. Je sais que les sénateurs vous ont écoutés attentivement et qu’ils sont heureux que vous soyez venus.

Pour notre deuxième groupe de témoins, chers sénateurs, nous accueillons Catherine Doyle, directrice des sciences, de la recherche et des politiques publiques de la Performing Animal Welfare Society. Elle comparaît par vidéoconférence.

De l’Institut Jane Goodall du Canada, nous entendrons Rick Quinn, vétérinaire, ancien membre du Conseil.

De l’Edmonton Valley Zoo, nous avons Gary Dewar, directeur, Expériences artistiques, historiques et naturelles, Ville d’Edmonton et Marie-Josée Limoges, vétérinaire.

Bienvenue à tous. Nous allons commencer par Mme Doyle.

Catherine Doyle, directrice des sciences, de la recherche et des politiques publiques : Bonjour. Je vous remercie de m’avoir offert cette occasion de comparaître devant vous. Je suis la directrice des sciences, de la recherche et des politiques publiques de la Performing Animal Welfare Society, aussi connue sous le nom de PAWS. Depuis 40 ans, notre organisme dispense des soins à vie à des animaux sauvages qui ont été retirés de leur captivité dans des cirques, des zoos et des cages du commerce des animaux de compagnie exotiques. Dans notre sanctuaire accrédité de 2 300 acres situé dans le Nord de la Californie, nous offrons une résidence permanente aux éléphants, aux ours, aux grands chats et à d’autres animaux sauvages.

J’ai une maîtrise ès sciences en anthrozoologie et j’ai publié des articles examinés par des pairs ainsi que des chapitres de livres sur des sujets comme les sanctuaires pour animaux sauvages tirés de captivité, l’effet de la captivité sur les animaux sauvages et les éléphants en captivité.

PAWS est un membre fondateur de la Big Cat Sanctuary Alliance, dont je suis actuellement vice-présidente.

À titre de sanctuaire qui prend soin d’éléphants, PAWS appuie fermement le projet de loi S-15. Nous convenons que les éléphants ne devraient pas être gardés au Canada en raison de leurs besoins physiques, psychologiques et sociaux complexes et des conditions météorologiques.

Comme notre sanctuaire s’occupe aussi des gros chats, j’aimerais parler de la nécessité d’ajouter les gros chats non indigènes et leurs hybrides au projet de loi S-15. En fait, les caractéristiques biologiques de ces animaux les rendent profondément vulnérables en captivité s’ils sont privés de bien-être.

Les tigres, par exemple, représentent la plus grande espèce de chats au monde. Leurs territoires s’étendent de 7 à plus de 1 200 kilomètres carrés. Ils peuvent parcourir chaque jour de grandes distances allant de 5 à 30 kilomètres, et même jusqu’à 60 kilomètres dans certains cas. Le territoire des lions est encore plus vaste. Pourtant, on enferme la plupart du temps ces gros chats dans de petites cages qui ne constituent qu’une infime partie de leur domaine vital.

Les parcs zoologiques déterminent la grandeur des enclos des gros chats en fonction de l’espace et des ressources disponibles. Les associations fixent les normes des zoos en fonction des limites de leurs membres et non des besoins biologiques des animaux. Malheureusement, la taille des enclos cause de graves répercussions physiques et psychologiques aux gros chats.

Une étude sur les carnivores en cage a révélé que leurs modes de vie variés dans la nature, comme la taille de leur domaine vital et les distances qu’ils parcourent, sont des facteurs prédictifs de comportements stéréotypés, notamment un va-et-vient continuel et des taux élevés de mortalité infantile en captivité. Ces animaux présentent plus de signes de stress et de dysfonctionnement psychologiques en captivité, ce qui incite les auteurs à conclure que la captivité de carnivores qui ont de vastes domaines vitaux devrait être fondamentalement améliorée ou éliminée progressivement.

D’autres études démontrent que la captivité a entraîné des changements physiques chez les gros chats. Ils ont une densité osseuse inférieure à celle de leurs homologues sauvages, probablement parce que leurs mouvements sont restreints dans les petits espaces qu’ils occupent. Le crâne et les mandibules des lions et des tigres en captivité ont une forme différente de celle des lions et des tigres sauvages, probablement à cause de leur régime alimentaire.

Tout cela soulève des questions au sujet des revendications en matière de conservation faites par les établissements qui ont de grands félins. En fait, aucun gros félin exotique élevé au Canada ne sera jamais relâché dans la nature parce qu’il n’a pas les aptitudes essentielles à sa survie, et les différences physiques amenées par la captivité auraient une incidence sur sa survie. Et parce qu’ils sont habitués à la présence des humains, ces animaux ne sont pas aptes à la vie en liberté, car ils seraient vulnérables à cause du braconnage et des contacts avec les humains.

Les tigres en captivité, à l’exception de ceux qui font partie des programmes de plan de survie des espèces de l’Association of Zoos and Aquariums, sont surtout génériques, ce qui signifie qu’ils résultent de croisements entre différentes sous-espèces de tigres et qu’ils n’ont donc aucune valeur sur le plan de la conservation. Même chose pour les hybrides.

Les grands félins aux couleurs nouvelles, comme les lions blancs et les tigres blancs, ne servent pas non plus à la conservation. De plus, la consanguinité requise pour produire ces couleurs est fortement associée à des anomalies génétiques et est préjudiciable à la santé et au bien-être des animaux.

Alors que certaines espèces de félins, comme le guépard, se reproduisent mal en captivité, d’autres, comme les tigres et les lions, se reproduisent même dans les pires conditions, ce qui explique pourquoi il est si facile de produire ces animaux et de les exploiter ou de les garder comme des animaux de compagnie très dangereux. Dans ces cas, les gros félins souffrent à cause du manque d’espace, d’une mauvaise nutrition, d’environnements peu stimulants, d’une socialisation inadéquate, de l’élevage en consanguinité et du manque de soins vétérinaires.

PAWS a récemment accueilli un bébé tigre confisqué qui était atteint d’une maladie métabolique des os, une maladie très douloureuse causée par une mauvaise alimentation qui affaiblit les os et les fait se fracturer, se briser et même se fragmenter. Cette petite tigresse de 10 mois a subi de multiples fractures osseuses et a des difformités qui lui resteront à vie.

Les sanctuaires voient souvent ce problème et d’autres problèmes de santé graves chez les gros félins secourus. Il est tout à fait justifié d’ajouter les grands félins non autochtones et leurs hybrides aux espèces visées par le projet de loi S-15, et je vous demande respectueusement d’y réfléchir. Merci.

La présidente : Merci beaucoup, madame Doyle.

Nous passons maintenant au Dr Rick Quinn, de l’Institut Jane Goodall.

Rick Quinn, vétérinaire, ancien membre du conseil, Institut Jane Goodall du Canada : Honorables sénateurs et collègues, j’ai trois grands sujets à aborder.

Premièrement, en tant que vétérinaire qui a travaillé avec la faune au Canada, en Afrique et en Indonésie et qui est l’auteur d’un livre sur les grands singes, j’espère établir un lien entre le travail légitime de conservation et le bien-être des animaux en captivité au Canada, et les efforts internationaux de conservation de la faune.

Deuxièmement, ayant siégé au conseil d’administration de l’Institut Jane Goodall, je vais vous faire part des réflexions de Mme Goodall sur l’élaboration d’un projet de loi comme celui qui est à l’étude.

Enfin, à titre de spécialiste universitaire en médecine vétérinaire qui a formé des résidents, qui a encadré des étudiants diplômés et qui, à la faveur d’un projet de retraite, effectue actuellement des recherches à Cambridge sur la santé et la conservation de la faune, je suis bien placé pour faire une évaluation critique de la recherche en conservation.

Il ne reste pas plus de 300 gorilles de la rivière Cross. Ils habitent dans une minuscule zone le long de la frontière du Cameroun et du Nigéria. Il reste moins de 6 600 orangs-outangs de Sumatra dans la nature. Bien des gens prédisent que ce pourrait être la première espèce de grand singe à disparaître, peut-être dès 2050.

Honorables sénateurs, vous avez peut-être entendu parler des orangs-outangs de Sumatra au zoo de Toronto et du travail qui s’y fait grâce au programme de conservation de ces orangs‑outangs. J’ai travaillé aux côtés de son équipe de recherche en Indonésie. Vous avez peut-être entendu parler du groupe de gorilles des plaines de l’Ouest au zoo de Calgary et de l’engagement du zoo à financer la recherche sur les gorilles de la rivière Cross au Nigéria. Toronto, Calgary et d’autres grands zoos canadiens reproduisent des espèces canadiennes en voie de disparition afin de les réintroduire au Canada. Voilà ce qu’est la conservation. Ce sont des organisations de renom, et c’est un bel exemple de collaboration.

En novembre 2020, l’honorable sénateur Sinclair a présenté le projet de loi S-218, la Loi de Jane Goodall. L’honorable sénateur Klyne s’est inspiré de ce projet de loi pour présenter le projet de loi S-241 en mars 2022. À ce moment-là, Jane Goodall a demandé :

[...] que des personnes clés se réunissent et nouent un dialogue ouvert, où tous seraient entendus, les divers points de vue respectés, et la rétroaction intégrée dans le texte de loi et dans une solution qui convienne à toutes les parties clés.

Elle a demandé que les bons zoos soient reconnus pour leur contribution à la conservation.

Le projet de loi S-15 prévoit l’adoption de mesures visant à protéger les éléphants et les grands singes et la possibilité d’une élimination progressive de la présence d’éléphants captifs au Canada, conformément à la Loi de Jane Goodall. Le projet de loi S-15 protège les espèces sauvages en captivité en fonction des valeurs et des données scientifiques autochtones, ce qui englobe les préoccupations prioritaires liées aux éléphants.

L’Institut Jane Goodall du Canada appuie le projet de loi S-15 et reprend à son compte l’appel à un ensemble d’amendements qui ajouteraient les grands félins non indigènes et leurs hybrides au cadre actuel du projet de loi et à les faire bénéficier de la « clause Noé », dont vous avez entendu parler. Il s’agit d’un mécanisme permettant au gouverneur en conseil d’ajouter des espèces ultérieurement, en accordant peut-être la priorité à tous les ours, à tous les grands félins indigènes, à tous les primates non humains, aux grands serpents constricteurs, aux reptiles venimeux et aux crocodiles. J’appelle cet ensemble « Jane Lite ».

Toutes les recherches scientifiques créent des connaissances, mais toutes les recherches effectuées sur les espèces sauvages en captivité ne favorisent pas une véritable conservation et ne doivent pas être réalisées sous des climats mal adaptés ou douteux.

Jetons un coup d’œil critique à une étude sur la thermorégulation — les températures du corps et la façon dont les animaux gèrent le froid — chez les éléphants asiatiques au African Lion Safari en hiver. Tous les auteurs cités ont travaillé pour African Lion Safari ou y ont été associés. L’étude a été financée par African Lion Safari. L’approbation du comité d’examen institutionnel a été accordée par African Lion Safari. L’étude a paru en 2023, après un examen par les pairs dans une publication de l’industrie.

Peut-on dire qu’il s’agit de « la meilleure recherche évaluée par les pairs au monde sur la façon dont les éléphants affrontent le froid »? Et comment cela sert-il la conservation des éléphants? Pas vraiment, et il est trompeur de répéter ces affirmations outrancières.

Enfin, ce qui est en cause, ce sont plus de 30 grands singes et de 23 éléphants et les visiteurs de l’African Lion Safari — beaucoup plus. Les attitudes et les normes changent au gré de l’avancée de nos connaissances sur les animaux dont nous nous occupons. Dans certains cas, la captivité n’est tout simplement pas acceptable. Les pratiques — même les lois — qui étaient acceptables il y a des années sont inadéquates, voire nocives aujourd’hui. Je vous en prie, honorables sénateurs, prenez acte de l’évolution des besoins et des vœux de la société canadienne et protégez ce qui est important pour nous d’un océan à l’autre. Le projet de loi S-15 est la manifestation d’un Canada qui donne l’exemple, exactement comme le Sénat l’a fait avec la Loi visant à mettre fin à la captivité des baleines et des dauphins en 2019.

Je vous demande respectueusement, entre autres choses, de vous souvenir de trois choses : premièrement, la politique a une incidence sur les résultats partout; deuxièmement, « Jane Lite » est appuyée par tous les principaux intervenants engagés; troisièmement, la véritable science de la conservation est définie par une recherche qui fait avancer les choses.

Merci de m’avoir écouté.

La présidente : Merci beaucoup, docteur Quinn.

Nous allons maintenant entendre un témoin du zoo de la vallée d’Edmonton. Monsieur Dewar, je crois que c’est vous qui allez prendre la parole.

Gary Dewar, directeur, Expériences artistiques, historiques et naturelles, Ville d’Edmonton, Edmonton Valley Zoo : Bonjour. Je m’appelle Gary Dewar et je dirige l’équipe dévouée de professionnels du zoo de la vallée d’Edmonton. Je suis accompagné de la Dre M.J. Limoges, notre vétérinaire en résidence depuis 10 ans, qui est responsable de notre équipe de santé animale. Elle est titulaire d’une maîtrise en sciences vétérinaires et elle travaille au zoo depuis 25 ans. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître.

Le zoo d’Edmonton a ouvert ses portes en 1959 et continue de subir une transformation impressionnante, passant d’une installation inspirée d’un livre de contes et axée sur les enfants à un établissement zoologique progressiste qui met de plus en plus l’accent sur la conservation, la pédagogie, la recherche, la survie des espèces et la préservation de la biodiversité. Cette année, nous prévoyons accueillir 350 000 visiteurs.

Nos efforts de conservation consistent à mettre à l’honneur des animaux majestueux qui risquent de disparaître, à sensibiliser les visiteurs à leur sort et à susciter des mesures pour protéger tant les animaux que leurs habitats. Au cours des 25 dernières années, le zoo de la vallée d’Edmonton a placé la conservation de la faune au cœur de ses objectifs et de ses activités. Un nouveau plan directeur sera achevé en 2024, poursuivant notre transformation et établissant une orientation audacieuse pour les 15 prochaines années.

Le zoo de la vallée d’Edmonton est accrédité par AZAC, c’est‑à-dire Aquariums et zoos accrédités du Canada, et il est membre institutionnel de l’AMZA, l’Association mondiale des zoos et aquariums. L’accréditation AZAC est reconnue par de nombreux ordres de gouvernement au Canada comme la norme d’excellence en matière de soins et de sécurité des animaux, et appuie notre demande de permis annuelle auprès de l’Alberta.

Je tiens à donner des précisions sur les soins exceptionnels que Lucy, une éléphante d’Asie, reçoit à Edmonton. Lucy est devenue orpheline au Sri Lanka et, en 1977, elle est arrivée à Edmonton à l’âge de deux ans. Comme l’exige AZAC en raison du statut unique de Lucy, notre zoo organise un examen annuel indépendant et complet de sa santé. Des liens vers toutes ces évaluations se trouvent dans notre énoncé de position qui vous a été communiqué.

La vétérinaire résidente de notre zoo et la majorité des experts indépendants qui ont évalué Lucy conviennent que le meilleur endroit pour elle est Edmonton, où elle se sent bien, est calme et bien soignée. Les résultats ont été stables, et les données médicales qu’ils apportent permettent de conclure que le problème respiratoire de Lucy est une difficulté importante et que tout déplacement mettrait sa vie en danger.

Au début de 2021, le Dr Rick Quinn, de l’Institut Jane Goodall du Canada, a effectué un examen approfondi de l’histoire de Lucy et des évaluations médicales antérieures d’experts indépendants. L’institut a conclu que chaque vétérinaire participant aux évaluations de Lucy était bien qualifié pour donner son opinion, et il a convenu que Lucy devrait rester au zoo.

Le conseil municipal d’Edmonton appuie le zoo en investissant 36 millions de dollars dans le renouvellement et l’amélioration des infrastructures vieillissantes. Une partie de ces fonds permettra à Lucy d’avoir accès à plus d’espace, à des enrichissements supplémentaires et à beaucoup plus de confort à mesure qu’elle vieillit. Même si Lucy sera le dernier éléphant au zoo de la vallée d’Edmonton, il est important que d’autres établissements accrédités puissent héberger des éléphants pour poursuivre leurs travaux essentiels de recherche et de conservation.

Mes collègues d’AZAC se sont joints à vous lors de la séance que le comité sénatorial a tenue le 11 avril et ils ont donné leur appui à une loi sur le bien-être animal afin de mieux protéger le bien-être des animaux pris en charge par l’être humain, mais ils ont exprimé quelques préoccupations que le zoo de la vallée d’Edmonton reprend à son compte. Le préambule du projet de loi S-15 contient des affirmations sans fondement au sujet de l’opinion publique. L’affirmation voulant que la garde d’éléphants et de grands singes constitue de la cruauté n’est pas étayée par des preuves scientifiques solides. Au Canada, les espèces en voie de disparition, y compris les éléphants et les grands singes, sont déjà réglementées au niveau fédéral par Environnement et Changement climatique Canada, ou ECCC. Nous croyons que les exceptions évoquées pour la garde d’animaux sont raisonnables et correspondent tout à fait au programme d’agrément d’AZAC. Toutefois, l’approche de gestion et d’application à l’égard de ces exceptions n’est pas claire. En tant qu’établissement tenu de respecter les normes d’accréditation rigoureuses d’AZAC, je peux vous assurer que ces normes correspondent à des pratiques exemplaires et je demande respectueusement que les membres accrédités d’AZAC soient reconnus comme des organisations vouées au bien-être des animaux et soient exemptés des limites imposées par le projet de loi S-15.

Merci encore de m’avoir donné l’occasion de participer. Nous serons heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup à vous deux. Nous passons maintenant aux questions des sénateurs, en commençant par le parrain du projet de loi.

Le sénateur Klyne : Merci, monsieur le président. Ma première question s’adresse au Dr Quinn.

Docteur Quinn, Mary Lee Jensvold, de la Fondation Fauna, nous a dit que le projet de loi S-15 empêcherait l’importation de grands singes au Canada tant pour les zoos amateurs que comme animaux de compagnie. Pourquoi est-il important de protéger les grands singes dans ces situations?

Dr Quinn : Merci, sénateur Klyne.

J’ai entendu tous les exposés du comité et beaucoup d’autres discours aujourd’hui sur cette question, mais ce qui est important, c’est de reconnaître que, compte tenu du nombre limité d’installations et du nombre limité de grands singes, il peut sembler futile d’essayer de les protéger. Cela peut changer à tout moment. On peut faire venir des animaux. Un permis de la CITES ne signifie qu’une chose : l’espèce est en voie de disparition. Comme l’animal est sur la liste, il faut un permis, mais cela ne dit rien du bien-être de l’animal ni de la qualité de l’endroit où il va. Ce sont littéralement des formalités administratives, et elles n’empêchent pas que des animaux se retrouvent dans des situations déplorables.

Ce genre de problème existe-t-il sur le terrain en ce moment? Non. Les témoins que vous avez entendus hier soir et plus tôt ont clairement dit que les animaux sont dans un état satisfaisant. Mais il y a un an, par exemple, les orangs-outangs au zoo de Toronto étaient présentés à l’intérieur, dans des locaux. Ils sont maintenant abrités dans une excellente installation. C’est beau. J’y suis allé.

La situation peut donc évoluer, et je pense que tout cela a du mérite.

Le sénateur Klyne : Merci. Madame Doyle, deux zoos canadiens sur quatre qui ont des éléphants se sont engagés à éliminer progressivement leur présence en captivité, comme l’ont déjà fait Toronto et Calgary. En fait, le zoo de Granby s’est engagé à déplacer ses trois éléphants vers un sanctuaire.

Selon les évaluations individuelles de l’aptitude des éléphants à être déplacés et compte tenu du fait qu’il est important de garder les membres de la famille ensemble, considérez-vous que le déplacement des éléphants du Canada vers des sanctuaires sous des climats plus chauds sera une amélioration du sort des éléphants du Canada à l’avenir?

Mme Doyle : En un mot, oui, ce serait une amélioration que les éléphants du Canada soient amenés sous des climats plus chauds, c’est certain. En fait, ce qui est offert dans les sanctuaires, c’est beaucoup d’espace, de l’autonomie pour les animaux et la promotion des comportements naturels.

Il y a aussi la question de la gestion des éléphants. Aucune installation de l’AZA n’utiliserait de crochets à éléphant parce que c’est maintenant interdit. Au Elephant Sanctuary, au Tennessee, et à PAWS, nous avons recours à la méthode des contacts protégés, qui exclut l’utilisation de crochets. On pratique un entraînement fondé sur le renforcement positif. On utilise des récompenses alimentaires, et l’éléphant a le choix. Il peut quitter l’entraînement à tout moment. Il y a toujours une barrière de protection, bien sûr, entre le soignant et l’éléphant, qui sont tous les deux protégés.

Le sénateur Klyne : Merci. Monsieur Dewar, l’AZA s’est engagée à éliminer progressivement l’utilisation de crochets sur les éléphants, tandis que l’AZAC continue de permettre l’utilisation de ces instruments ou d’instruments du même genre. Que pensez-vous de cette divergence?

M. Dewar : Eh bien, comme l’a expliqué l’un des témoins du premier groupe, nous utilisons ce qu’on appelle des aides. On parlait de crochets auparavant. Ce que beaucoup de gens ont décrit est un instrument très différent. Ce que nous employons est un très petit instrument doté d’un crochet effilé à l’extrémité. Il ne cause ni souffrance ni préjudice. Notre éléphante est traitée dans le cadre d’un contact libre, contrairement à ce qui se passe dans les établissements de l’AZA. Nous ne sommes pas un établissement relevant de l’AZA.

Notre zoo emploie effectivement cet instrument, et notre personnel est formé à son utilisation. C’est un guide et un instrument d’entraînement, mais il ne sert jamais à infliger des blessures. Nous avons recours au renforcement positif, et notre programme est entièrement fondé sur le choix. Lucy a le choix de faire ce qu’elle veut quand elle le veut.

Le sénateur Klyne : Merci. Je comprends. D’autres zoos de l’AZAC ont eu des éléphants pendant un certain temps qui ont peut-être été approchés avec des crochets et qui, plus tard, ont probablement réagi à un autre instrument du même genre par conditionnement. Les animaux craindraient ce nouvel instrument à cause de la douleur subie à cause du crochet. Ne pensez-vous pas qu’il peut y avoir un certain conditionnement?

M. Dewar : L’utilisation de cette aide a évolué au fil du temps. Comme je l’ai dit, Lucy est dans notre zoo depuis 47 ans. Les pratiques exemplaires et le savoir acquis dans notre domaine ont changé depuis. Notre façon d’utiliser cet instrument et l’instrument lui-même ont changé radicalement. Je n’étais pas là à l’époque où il était peut-être utilisé autrement.

Je suppose que son utilisation était différente à l’époque et qu’il pourrait y avoir des effets résiduels sur la perception de l’animal, mais ce n’est plus le même instrument, et il n’est plus utilisé de la même façon.

Je ne peux pas dire grand-chose sur la réaction qu’aurait notre éléphante aujourd’hui, mais, chose sûre, nous employons une méthode intégralement fondée sur le renforcement positif. L’instrument est porté dans le dos. On ne le tient même pas à la main, et il n’est jamais employé pour menacer l’animal. Nous utilisons la méthode du renforcement positif pour entraîner et guider l’animal.

Le sénateur Plett : Mes questions, du moins les premières, s’adressent au Dr Quinn. Docteur Quinn, pourriez-vous me dire où, dans le projet de loi S-15, il est question de l’élimination progressive de la prise en charge d’éléphants par des êtres humains?

Dr Quinn : Je ne suis pas avocat, mais je crois comprendre par déduction que, si le projet de loi S-15 est adopté, compte tenu des règles sur l’empêchement de la reproduction et sur l’importation dans un but précis, les grands zoos y renonceraient, et c’est ce que je vois comme une élimination progressive.

Le sénateur Plett : Vous voyez cela comme une élimination progressive, mais pas pour les grands singes, alors que la situation est exactement la même que pour les éléphants.

Dr Quinn : Sauf votre respect, sénateur...

Le sénateur Plett : Non, vous avez répondu à la question. Permettez-moi de passer à la suivante.

Vous avez dit que l’étude sur la thermorégulation des éléphants effectuée par African Lion Safari a fait l’objet d’un examen par les pairs. C’est un institut où vous avez refusé de vous rendre, comme la plupart des membres du Comité pour une raison ou une autre. Ils ne veulent pas être perturbés par les faits.

Pourriez-vous nous dire si cette étude a réussi ou échoué à l’examen par les pairs?

Dr Quinn : Je suppose que, si elle a été publiée, c’est qu’elle a été acceptée. Je ne dis pas que...

Le sénateur Plett : Elle a donc été acceptée. Merci beaucoup.

Docteur Quinn, lorsque Mme Goodall est venue au Sénat, elle a expliqué comment on entraîne et utilise des rats pour détecter des mines antipersonnel. Ces rats sont gardés en captivité et sont en laisse quand ils cherchent des mines. Peut-on parler de traitement sans cruauté? Comment ne pas estimer qu’il s’agit de cruauté envers des animaux selon la vision du monde préconisée par l’Institut Jane Goodall?

Dr Quinn : Je pourrais en parler à un autre moment, mais je ne crois pas que cela ait grand-chose à voir avec le projet de loi S-15, et, sauf votre respect, je ne peux pas parler au nom de Jane Goodall.

Le sénateur Plett : Eh bien, voyez-vous, l’importation de défenses d’éléphant au Canada n’a rien à voir avec le projet de loi S-15 non plus. Je vous ai posé une question. Ne croyez-vous pas que ce traitement constituerait de la cruauté envers des animaux? C’est l’objet de ce projet de loi. Oui, monsieur, c’est exactement l’objet de ce projet de loi. Le préambule parle de cruauté envers les animaux. À votre avis, est-ce que le fait d’utiliser des rats en laisse pour chercher des mines antipersonnel constitue de la cruauté envers des animaux?

Dr Quinn : Madame la présidente, je ne peux pas répondre à cette question simplement par oui ou par non. Je ne sais pas trop comment continuer. Merci.

Le sénateur Plett : C’est tout à fait inacceptable, madame la présidente. Docteur Quinn, Mme Goodall est membre fondatrice du conseil d’administration du Nonhuman Rights Project, dont l’objectif est d’obtenir des droits juridiques pour les animaux. Elle y occupe encore les fonctions d’administratrice. Nonhuman Rights Projects est un organisme américain sans but lucratif de défense des droits des animaux qui cherche à changer le statut juridique d’au moins certains animaux, pour les faire passer de celui de biens à celui de personnes non humaines dans le but de garantir leur droit à la liberté et à l’intégrité physique. Aujourd’hui, nous parlons des éléphants et des grands singes. Où s’arrête ce programme? Docteur Quinn, pensez-vous que tous les animaux devraient avoir des droits comme personnes non humaines?

Dr Quinn : Madame la présidente, je ne vois pas le lien avec le projet de loi S-15 là non plus et je ne crois pas approprié de parler au nom de Mme Goodall et de répondre à cette question.

Le sénateur Plett : Vous êtes ici pour parler au nom de Mme Goodall, monsieur.

Dr Quinn : Non, et je vais répondre à cela. Je suis ici pour représenter le point de vue de l’Institut Jane Goodall du Canada sur le projet de loi S-15 et, comme je l’ai dit dans mon exposé, nous l’appuyons entièrement, tout comme Mme Goodall. Pas plus tard qu’il y a une semaine, nous en avons parlé en personne.

Le sénateur Plett : Madame la présidente, c’est la première fois qu’un témoin refuse ici de répondre à des questions directement liées à la cruauté envers les animaux, et vous autorisez le témoin...

La présidente : Oui, je l’y autorise.

Le sénateur Plett : Je n’ai donc plus de questions pour ce témoin, madame la présidente. Il est inacceptable que vous autorisiez...

La présidente : S’il dit qu’il ne peut pas répondre, je ne l’y contraindrai pas.

Le sénateur Plett : Il a refusé de répondre. [Difficultés techniques]

La présidente : Pas de problème.

Le sénateur Plett : J’ai demandé un avis.

La présidente : Allez-y, sénatrice Batters.

La sénatrice Batters : Merci. Tout d’abord, je dois dire, au sujet de votre présence ici au nom de l’Institut Jane Goodall du Canada, que, au moment de la planification de ces réunions, on nous avait dit qu’une personne de votre Institut ne pourrait pas témoigner avant certaines dates afin qu’on puisse l’inviter quand elle serait disponible, et je pensais que ce serait peut-être Jane Goodall elle-même, mais ce n’est pas le cas. C’est donc vous. L’ordre du jour indique que vous êtes un ancien membre du conseil d’administration, et vous nous dites aujourd’hui que vous ne pouvez et ne voulez pas parler au nom de Mme Goodall. C’est bien malheureux parce que c’est bien d’elle que nous voulions entendre parler à ce sujet.

Ma première question s’adresse au représentant de l’Edmonton Valley Zoo. Avez-vous des grands singes et des éléphants dans vos établissements? Dans l’affirmative, ne pensez-vous pas que le fait de les garder dans des zoos constitue de la cruauté envers ces animaux?

M. Dewar : Gary Dewar, directeur de l’Edmonton Valley Zoo. Nous n’avons pas de grands singes dans notre collection, mais nous avons une éléphante du nom de Lucy, dont j’ai déjà parlé.

Il est certain que les opinions à ce sujet sont fondées sur des émotions et de la désinformation. On a laissé entendre tout à l’heure qu’il n’existe pas de données scientifiques crédibles attestant que la captivité soit synonyme de cruauté. Nous sommes absolument opposés à l’idée que les éléphants ne devraient pas être confiés à des êtres humains ou que cela représente de la cruauté. L’idée que des éléphants ne s’épanouissent pas ou ne puissent le faire dans des zoos est, à mon avis, une perspective dépassée et biaisée.

Le fait que des éléphants soient confiés aux soins d’êtres humains est au cœur de nos efforts collectifs de conservation visant à protéger la reproduction des espèces et à favoriser la recherche et l’éducation. À l’heure actuelle, un tiers de l’ensemble des éléphants d’Asie est confié aux soins d’êtres humains. En perdant la possibilité que ces éléphants se reproduisent et contribuent à la diversité génétique de la population, on nuirait aux efforts de conservation à l’échelle mondiale.

Quelles que soient les circonstances, nous avons beaucoup à apprendre de tous les animaux vivants. Je le vois jour après jour en observant des gens qui entrent en relation avec Lucy, ici à l’Edmonton Valley Zoo. Quand ils la voient en chair et en os, ils sont plus sensibles à ce qu’elle représente.

Notre programme d’éducation, par exemple, qui rejoint des milliers d’élèves et de clients chaque année, met l’accent sur les raisons pour lesquelles l’espèce est en danger, sur la perte de son habitat et sur ce que les gens peuvent faire pour faciliter la conservation et la survie de l’espèce. Cela a donné lieu à des dons plus généreux à des organismes comme l’International Elephant Foundation, qui s’occupe de la protection des éléphants. Voilà ma réponse.

La sénatrice Batters : Je comprends.

Vous nous avez également dit, monsieur Dewar, que les instruments d’aujourd’hui sont très différents des crochets dont on nous a parlé. Pourriez-vous nous donner une idée de leur taille, de leur apparence et des différences? Beaucoup de gens ont essayé de confondre les deux et de brouiller les enjeux. J’aimerais donc savoir quelles sont les différences réelles entre les deux — la taille, le type, les caractéristiques précises —, si vous pouvez nous donner d’autres exemples.

M. Dewar : J’aimerais pouvoir le faire. Mais je n’ai pas de photos ici. Je ferai un suivi et vous donnerai des détails et des photos de l’instrument dont nous nous servons. On en a donné une fausse idée, c’est-à-dire que ce serait un instrument lourd, long de cinq pieds et se terminant par un gros crochet affûté. En fait, ce que nos gardiens utilisent mesure environ deux pieds de long, fait environ un demi-pouce d’épaisseur et est muni d’une petite extrémité effilée. Ils ne le tiennent pas dans la main quand ils l’utilisent. L’instrument est rentré à l’arrière de leur ceinture.

Ils se servent davantage de leurs mains pour guider ou aider Lucy, par exemple quand elle doit être déplacée à un certain endroit. Ils n’utilisent pas de crochet ou d’autre instrument. Ils utilisent le toucher : ils touchent certaines parties de son corps pour imprimer certains mouvements. Comme je l’ai dit, tout repose sur le renforcement positif. Elle a entièrement le choix quant à l’endroit et au moment où elle se déplace.

J’espère que cela vous éclaire. Mais je vous enverrai plus de détails et des photos.

La sénatrice Batters : Merci. En précisant aussi les dimensions.

Le sénateur Dalphond : Je remercie les témoins de leur présence parmi nous. Je vais essayer d’être moins agressif que les intervenants précédents, au nom desquels je présente des excuses.

Ma question s’adresse à Mme Doyle. Vous vous occupez d’un sanctuaire. On nous dit, par exemple, que les éléphants vivant dans un certain parc, ici en Ontario, peuvent profiter de 200 acres de terrain et qu’ils peuvent jouer dans la neige; apparemment, ils adorent jouer dans la neige. Cela étant, quel intérêt y aurait-il à les envoyer dans votre sanctuaire? Pourquoi seraient-ils mieux dans votre sanctuaire qu’avec African Lion Safari, par exemple?

Mme Doyle : Quand on parle de 200 acres pour des éléphants — personnellement, je n’ai pas visité l’établissement, mais je ne peux pas imaginer que les éléphants puissent en profiter pleinement. Les éléphants y sont bien sûr pour diverses raisons, par exemple pour qu’on puisse séparer les mâles des femelles et éviter la consanguinité, etc.

La différence tiendrait — et je crois que c’est très important — au mode de gestion. Nous offrons aussi beaucoup d’espace, les éléphants sont autonomes, et nous leur témoignons beaucoup de respect et reconnaissons leur dignité.

Mais je ne peux pas croire que, encore aujourd’hui, on défende l’utilisation du crochet. Vraiment pas. C’est un instrument archaïque. Je ne suis pas chez moi en ce moment, mais, si j’avais essayé d’emporter un crochet avec moi dans l’avion, il aurait fallu que je vérifie avant, parce que c’est considéré comme une arme. Sinon, je pourrais vous en montrer un maintenant.

Bien sûr, il y a une combinaison de méthodes. On se sert du renforcement positif, mais une étude montre la transition du contact libre à l’aide d’un crochet à un contact protégé. En fait, les gardiens dans cette situation continuent d’utiliser le crochet plus souvent que le renforcement positif.

Le sénateur Dalphond : Je suis désolé de vous interrompre, mais le temps file, et je n’en ai pas beaucoup.

Ce projet de loi est fondé sur l’idée que la captivité n’est pas le contexte le plus favorable pour les grands singes et les éléphants. Êtes-vous d’accord? Si oui, pourquoi?

Mme Doyle : On a beaucoup parlé de la question de la cruauté. Je suis anthrozoologue de formation, c’est-à-dire que j’examine les enjeux du point de vue des animaux. Dans notre sanctuaire, quand on voit un tigre ou un éléphant regarder par‑dessus la clôture ou l’enclos, on comprend qu’ils savent qu’il y a un monde au-delà. Ils savent que c’est un monde auquel ils n’ont pas accès. Le fait de limiter ainsi un animal et de le mettre en cage est vraiment de la cruauté par définition.

Au sanctuaire, la différence tient évidemment à la façon dont nous utilisons la captivité. Nous ne l’utilisons pas pour exposer des animaux ou en faire des ambassadeurs. Dans notre cas, il s’agit de protéger ces animaux, de leur offrir une vie plus digne et de leur permettre d’adopter des comportements plus naturels. C’est simplement la liberté d’être eux-mêmes et de se retrouver.

Le sénateur Dalphond : Docteur Quinn, je vais vous poser les mêmes questions, compte tenu de votre expérience. Estimez-vous que les animaux en captivité sont dans une situation où leur bien-être n’est pas compromis?

Dr Quinn : Merci de la question, sénateur.

Cela dépend. Vous trouverez des experts qui vous donneront telle opinion et d’autres, exactement l’opinion contraire. D’après mon expérience, quand c’est le cas, il faut revenir aux principes de base et au bon sens. Imaginez un mouton. Un mouton peut-il être heureux à brouter dans un champ clos? Oui, mais il ne serait pas difficile d’imaginer qu’un tigre, un puma ou un chimpanzé aurait des besoins complètement différents. Peut-on les garder en captivité?

Il doit y avoir de bonnes raisons, et, quand il y a lieu, il faut s’assurer que des normes, comme celles de mes collègues du zoo d’Edmonton, sont respectées et qu’on a à cœur de le faire. Il doit cependant y avoir une bonne raison, et cette raison devrait être, selon le cas, l’intérêt de l’animal — et je ne suis pas sûr que les gens se rendent compte que cela signifie que ces animaux ont des problèmes articulaires ou qu’il leur manque une défense ou quelque chose de ce genre et qu’ils ne peuvent pas se protéger dans la nature, ou qu’ils se trouvaient en mauvaise posture.

Est-ce qu’il arrive que ce soit absolument dans l’intérêt de l’animal? Évidemment, mais ce n’est pas toujours le cas.

Je sais que ce n’est pas facile de rédiger un projet de loi, mais, du point de vue du bien-être des animaux et comme vétérinaire comptant beaucoup trop d’années pour en admettre le nombre, je dois dire que c’est acceptable dans certains cas. Et que, dans d’autres, ce ne l’est absolument pas.

La présidente : Merci.

[Français]

Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse au Dr Quinn. Je lisais sur le Jane Goodall Institute et sur Mme Goodall. J’ai vu qu’elle a fait ses recherches au parc national de Gombe Stream, en Tanzanie. C’est un endroit que j’aimerais visiter. Je vois qu’on peut accéder au parc en payant 118 dollars américains. Il y a des campings dans le parc, on peut même demeurer dans le gîte de Jane Goodall. Cela coûte 35 $ la nuit par personne pour habiter dans la résidence de Mme Goodall.

N’est-ce pas un peu contradictoire? On peut prendre des photos, puis on dit, quand on prend une photo, de ne pas rester plus qu’une heure à côté du singe et cela va coûter 23 $. Si vous prenez une photo professionnelle, c’est 214 $, mais vous avez le droit de rester là deux heures trente minutes.

N’est-ce pas contradictoire de dire qu’au Canada, on ne pourrait pas payer un billet d’entrée dans une réserve ou un parc pour voir des singes, alors que l’endroit même où Mme Goodall a fait ses études est un parc où il faut payer et où on peut même camper?

[Traduction]

Dr Quinn : Je répondrai volontiers à votre question. Si elle porte effectivement sur le fait de payer pour loger quelque part, je peux vous assurer que Mme Goodall ne reçoit rien de ce revenu. Cet argent servirait à financer ses recherches, etc.

Si votre question porte sur l’accès, je dirais, malheureusement, que ce n’est probablement pas la population tanzanienne qui visitera l’établissement. Ce sont des Européens, des Nord-Américains, etc.

Pourquoi viennent-ils? Il y a de nombreuses raisons à cela. S’ils peuvent payer pour visiter — et je pense que c’est de cela que vous parlez —, pourquoi ne pourrait-on pas payer pour visiter le parc et le zoo Assiniboine ou le zoo de Granby?

Ce n’est pas tant l’expérience du visiteur qui compte, parce que les études révèlent que cela a très peu d’incidence à long terme sur le comportement de l’être humain et sur ce qu’il pense de la conservation au final. Ce n’est pas mon opinion personnelle, mais celle de personnes qui savent ce qu’elles font.

Deuxièmement, si on envisage la situation du point de vue de l’animal... et je n’ai pas visité le parc national de Gombe Stream, mais j’en ai visité d’autres dans la région, et il est impossible de faire des comparaisons. Cela dit, quoi que vous dépensiez, vous risquez de ne pas les voir du tout. Vous ne les verrez peut-être pas du tout, parce qu’ils peuvent se trouver n’importe où à tout moment et que vous n’aurez peut-être pas la chance de les observer. C’est donc un milieu naturel, et vous les verrez dans un contexte très différent.

Du point de vue du grand singe ou, en l’occurrence, du chimpanzé ou du babouin, à Gombe, les restrictions sont minimales, c’est certain.

[Français]

Le sénateur Carignan : Je comprends, j’ai fait le parc national Kruger et j’ai eu le Big 5. J’étais très content, mais je peux comprendre qu’on n’ait pas nécessairement tout.

Cependant, il semble, selon les commentaires des gens qui visitent le parc, qu’ils sont très proches des chimpanzés. Ils font des randonnées et ils restent tout près des chimpanzés. On est assez certain d’en voir et d’être près d’eux et cela ne semble pas être un grand enjeu.

[Traduction]

Dr Quinn : Eh bien, à vrai dire, peu importe le point de vue sur les grands singes ou sur l’écotourisme — et j’ai accompagné beaucoup de gens dans de nombreux endroits en Afrique —, il y a des distances à respecter si vous avez un rhume ou si vous êtes malade. On ne peut pas manger devant eux. On ne peut pas apporter de bâtons. Il y a des distances à respecter pour protéger les animaux. On se soucie davantage des animaux que des gens.

Il est triste que nous ne puissions pas, de nos jours, renoncer à l’idée de divertissement dans ce contexte et trouver un substitut pour vraiment les observer.

Lorsque j’étais en République centrafricaine, un groupe du WWF, le Fonds mondial pour la nature, était en train d’installer des systèmes de caméra au milieu de cet endroit étrange où vont tous ces éléphants, pour en faire un film IMAX afin que les gens — comme mes petits-enfants — puissent voir ces animaux sans avoir à les observer directement, et c’est tout aussi impressionnant.

La présidente : Merci, docteur Quinn.

La sénatrice Sorensen : Je vous suis reconnaissante de votre présence à tous ici, mais aussi du temps que vous nous accordez. Je respecte votre expertise et, par conséquent, la façon dont vous choisissez de répondre ou non aux questions.

Docteur Quinn, l’Institut Jane Goodall du Canada a demandé que l’on renforce ce projet de loi en y ajoutant les grands félins non indigènes et la « clause Noé » pour que le Cabinet fédéral puisse, par décret, protéger d’autres espèces comme les ours, les singes et les reptiles dangereux.

Pourriez-vous nous expliquer l’importance de ces modifications?

Dr Quinn : Merci. Je suis très content que vous posiez la question.

Au départ, nous étions très satisfaits — tout comme les membres de l’Institut Jane Goodall du Canada et Jane Goodall elle-même — de voir que le projet de loi couvrait plus de 800 espèces, et puis on est brusquement passé à deux espèces — deux espèces importantes, sans aucun doute —, mais, avec deux, il nous a semblé que c’était une occasion manquée.

Je le répète, en dehors de l’opinion des experts et de tout le monde, si on trouve un compromis et que le bon sens l’emporte, on comprend que toute cette démarche risque de produire un système qui donnera lieu instantanément à un énorme problème.

Quand l’Institut s’est réuni et a décidé de faciliter la création de liens, ce qui est ironique compte tenu de ce qui vient de se produire — nous sommes des bâtisseurs de ponts —, cela n’a posé aucun problème. C’était facile à vendre, si l’on peut dire.

Pourquoi ne pas mettre en place dès maintenant un mécanisme permettant de glisser d’autres espèces dans la même loi, car qui sait ce que les données scientifiques révéleront dans cinq ans? Ce serait logique.

Il s’agit d’améliorer la situation progressivement. Comment l’améliorer petit à petit?

Nous avons décidé ensemble — pas seulement l’Institut Jane Goodall du Canada, mais toutes les personnes qui souhaitaient être présentes — et d’autres qui ont été invitées et qui ont choisi d’y assister ou de faire des commentaires ou encore de s’organiser — de dresser cette liste, et c’est pourquoi nous sommes en faveur de cette solution.

La sénatrice Sorensen : Merci beaucoup.

Ma prochaine question s’adresse à M. Dewar.

Le projet de loi S-15 interdirait l’utilisation d’éléphants pour les promenades et les spectacles de divertissement. Mais l’AZAC s’oppose au projet de loi. À votre avis, l’utilisation d’éléphants pour les promenades et les spectacles de divertissement devrait‑elle rester légale au Canada?

D’autre part, pour en revenir au crochet, vous nous en avez donné une description — il faudrait vraiment que je voie cet instrument, et je suis désolée que personne n’en ait apporté —, mais ma question est la suivante : à quoi sert le petit bout effilé?

M. Dewar : Votre première question porte sur le divertissement. Je peux vous assurer que l’AZAC interdit les promenades à dos d’éléphant et les activités de cet ordre à des fins de divertissement. C’est interdit. Des changements ont été apportés au fil du temps, et c’est le cas dans notre institution. C’est la même chose à l’African Lion Safari. L’utilisation d’éléphants à des fins de divertissement est interdite.

Dans notre cas, je précise que Lucy est à la retraite. Il fut un temps où on l’amenait à des conférences sur les animaux, où les participants au programme — nos invités — avaient l’occasion d’assister à une démonstration et de discuter avec ses gardiens. Nous avons mis fin à cette pratique il y a quelques années, ce qui lui a donné plus de liberté. Son horaire lui appartient. Je l’ai déjà dit.

Pour en revenir à la question des aides, des guides ou de ce que vous appelez des crochets, comme je l’ai expliqué, les gardiens les portent sur eux. Ils ne se déplacent pas en l’ayant en main. Mon bureau surplombe une zone ouverte du zoo, et je vois les gardiens emmener Lucy faire de longues promenades tous les jours, 365 jours de l’année. Ils n’ont jamais de crochet en main. Ils portent l’instrument dans leur dos.

Il y a une petite partie effilée — je ferai un suivi. En fait, j’ai essayé d’en prendre un, mais on ne me l’enverra pas à temps, parce que je suis probablement à environ 200 mètres de là. J’aurais pu vous le montrer, mais je ferai un suivi.

Je vous assure qu’il n’est absolument pas utilisé comme certains voudraient vous le faire croire.

Le sénateur Tannas : Que pensent le Dr Quinn et d’autres témoins de l’idée d’inclure les grands félins dans ce projet de loi? Mon souci est qu’aucun plan n’a été dressé et qu’on ne sait pas ce qui se passera ou ce que seraient les conséquences pour les milliers d’animaux en cause si on ajoute les grands félins.

C’est évidemment un problème. J’ai soulevé la question hier auprès de responsables des grands zoos, et, en effet, quelqu’un devrait dresser un plan parce que tout le monde peut voir que la situation pourrait devenir catastrophique et alarmer et horrifier précisément ceux qui sont en faveur de ce projet de loi.

Pourquoi glisser, comme vous l’avez dit, cette disposition dans le projet de loi alors qu’il n’y a pas de plan? Quel que soit le plan, il doit être dressé par quelqu’un et non par le gouvernement. Le gouvernement n’y connaît rien. Il le financera peut-être. Il y faudra probablement des ressources financières.

Cela change tout en ce qui a trait au projet de loi, qui est un projet de loi à faible maintenance, je pense qu’il faut le reconnaître, compte tenu de tout. Le gouvernement n’a vraiment rien à faire. C’est très symbolique, et maintenant on parle d’ajouter les grands félins, ce qui pourrait être une catastrophe. Souhaitez-vous nous faire part de vos réflexions à ce sujet?

Dr Quinn : Avec plaisir. Mais je veux d’abord vous remercier de votre sensibilité et de vos réflexions au-delà de ce que permettrait le projet de loi S-15.

Je distinguerais deux enjeux. Premièrement, comment empêcher que le problème ne s’aggrave? Deuxièmement, comment régler un problème que nous avons laissé se créer? Je ne parle pas de « nous » dans cette salle. Les deux enjeux, pour moi, sont distincts, mais liés, et je ne laisserais pas l’un m’empêcher de régler l’autre.

Quant à l’imminence d’une catastrophe ou du pire scénario, sénateur, ce serait de maintenir le statu quo, qui équivaudrait pour nous à rentrer chez nous aujourd’hui sans rien faire.

Il faut effectivement songer à l’avenir, mais je crois que, si nous adoptons collectivement une loi, il pourrait y avoir un moyen de faciliter le déplacement de ces animaux — parce que, vous avez raison, on ne peut pas tous les installer au zoo de Toronto ou au zoo de Granby, par exemple. Il ne s’agit pas non plus de condamner les futures générations, parce qu’il faut s’occuper de la population qui est là.

Je n’ai donc pas de réponse. La question a été posée hier également, et je suis impressionné que vous pensiez à l’avenir, ce qui est une excellente chose. Si on peut envoyer le Mars Lander sur Mars, on peut sûrement trouver le moyen de s’occuper d’un nombre limité d’animaux qui, si nous ne faisons rien, resteront dans la même situation.

La présidente : Merci. Pour ma part, j’aimerais que vous terminiez ce que vous vouliez dire lorsque le sénateur Plett vous a posé des questions. Pourriez-vous terminer ce que vous vouliez dire sur les singes, si du moins vous vous en souvenez?

Dr Quinn : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer. Mais je ne leur rendrais pas justice. Quand j’ai finalement réussi à calmer mon rythme cardiaque, ma mémoire m’avait échappé.

La présidente : Je suis désolée.

Dr Quinn : Pas de problème, mais merci.

Mme Doyle : Puis-je ajouter quelque chose au sujet des grands félins? En fait, il y a un plan en raison de l’interdiction de reproduction. Cela veut dire que, au cours des 10 à 15 prochaines années, la population sera très petite si la reproduction est interdite à partir de maintenant. D’ici une vingtaine d’années, ce sera terminé.

Je ne sais pas combien de temps il me reste, mais nous avons aussi adopté le Big Cat Public Safety Act aux États-Unis, qui interdit la propriété privée de grands félins. Les anciens propriétaires bénéficient de droits acquis, mais ils doivent enregistrer leurs animaux. Ceux qui ne les ont pas enregistrés contreviennent à la loi et pourraient donc se les faire confisquer.

La présidente : Merci beaucoup. Je remercie tous les témoins d’être venus nous voir. Je vous suis vraiment reconnaissante du temps que vous nous avez accordé. Merci beaucoup.

Chers collègues, une dernière remarque. La semaine prochaine, nous procéderons à l’étude article par article de ce projet de loi. Si vous avez des amendements à proposer, veuillez communiquer avec le légiste. Je sais que vous le savez tous, mais assurez-vous de communiquer avec lui pour vous aider à formuler les amendements que vous souhaitez.

Merci beaucoup, chers collègues. À mercredi prochain.

(La séance est levée.)

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