LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 18 septembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 18 h 45 (HE), pour étudier la pratique consistant à inclure des questions non financières dans les projets de loi exécutant les dispositions des budgets et des énoncés économiques.
Le sénateur Claude Carignan (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Avant de commencer, je voudrais demander à tous les sénateurs et aux autres participants qui sont ici en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son.
Veuillez tenir votre oreillette éloignée de tous les microphones à tout moment. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet. Merci à tous de votre coopération.
Je suis Claude Carignan, sénateur du Québec et président du Comité sénatorial permanent des finances nationales. J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter, en commençant par ma gauche.
Le sénateur Forest : Éric Forest, de la division du Golfe, au Québec.
La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.
Le sénateur Gignac : Clément Gignac, du Québec.
Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, division De Lorimier, au Québec.
[Traduction]
La sénatrice MacAdam : Jane MacAdam, de l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice Kingston : Joan Kingston, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.
[Français]
Le président : Merci aux sénateurs et sénatrices. Aujourd’hui, nous commençons notre étude sur la pratique consistant à inclure des questions non financières dans les projets de loi exécutant les dispositions des budgets et des énoncés économiques. Nous avons le plaisir d’accueillir parmi nous aujourd’hui le sénateur Scott Tannas. Il est à l’origine de cette étude et de cette demande du Sénat qui nous a été renvoyée. Merci, sénateur Tannas.
Nous allons commencer par des remarques d’introduction, puis nous allons procéder à une période de questions.
La parole est à vous, sénateur Tannas.
[Traduction]
L’hon. Scott Tannas : Merci beaucoup, monsieur le président, et merci aux membres du comité de m’avoir invité.
Comme on l’a dit, j’ai mobilisé mes collègues qui occupent un rôle de leadership et nous nous sommes entendus sur le fait que nous devions faire quelque chose dans ce dossier. Ils ont contribué à la rédaction de la résolution qui vous est présentée. Nous comprenons tous que nous sommes confrontés à un problème. Je pense qu’il s’agit d’un problème croissant auquel nous devons nous attaquer.
Il semblerait que c’est dans les années 1990 que les lois d’exécution du budget sont devenues monnaie courante. Plutôt que d’avoir un document budgétaire et d’adopter différents projets de loi par la suite pour faire ce qui s’imposait au cas par cas, on a commencé à recourir aux projets de loi omnibus qui rassemblaient tous les éléments qui se trouvaient dans le document budgétaire.
Avant 2001, au début des années 1990, la loi d’exécution du budget n’était ni longue ni complexe. Par exemple, celle de 1994 comptait 24 pages. M. Harper — qui n’était pas premier ministre à l’époque — avait fait un rappel au Règlement à cause du nombre du page qu’elle contenait — 24 —, ce qu’il trouvait inacceptable.
Entre 1995 et 2000, les lois d’exécution du budget sont devenues plus volumineuses, mais en moyenne, elles ne faisaient que 54 pages. Entre 2001 et 2008, elles pouvaient faire près de 140 pages. Aujourd’hui, nous avons des lois d’exécution du budget qui sont des « omnibudgets ». La dernière, celle de 2024, comptait 660 pages. Elle incluait également 44 mesures législatives qui s’ajoutaient aux questions de nature financière propres à ce budget.
Nous reconnaissons tous... et je me souviens de m’être retrouvé dans cette même pièce alors que nous étudiions la dernière loi d’exécution du budget. Nous discutions de la possibilité d’aborder, par voie d’amendement, l’un des points qui n’avait rien à voir avec les budgets ou l’argent; il s’agissait d’une mesure que le gouvernement souhaitait adopter et qui aurait normalement dû figurer dans un autre projet de loi. Nous avons parlé de ce que j’appelle le « bouclier »; la convention constitutionnelle qui veut que le Sénat n’amende pas les projets de loi sur les finances. Ce bouclier est maintenant brandi comme une épée : nous sommes pressés par le temps et par cette convention qui dit que nous ne pouvons pas toucher à un document budgétaire. Cependant, les questions qui nous préoccupent à juste titre et que nous avons le devoir constitutionnel de traiter ne sont pas des questions de nature financière, mais on les introduit dans la loi d’exécution du budget pour les mettre à l’abri — intentionnellement ou non — et nous empêcher de faire notre travail.
Selon moi, de nombreuses preuves indiquent que l’on utilise cette procédure à outrance. Chose surprenante, en 2000 et au printemps, deux ministres de la Couronne ont admis qu’ils utilisaient cette procédure comme un raccourci pour éviter l’exercice d’examen fastidieux à la Chambre des communes sous un gouvernement minoritaire. Le ministre de la Justice et le ministre des Finances nous ont dit que c’était leur objectif. Or, ils s’attendaient à ce que nous nous ajustions pour respecter la convention constitutionnelle — le bouclier — même pour des questions qui n’avaient rien à voir avec le budget.
Les raccourcis ont été utilisés pour des questions qui touchent le Code criminel, ce à quoi le Comité des affaires juridiques s’oppose. Nous sommes nombreux à avoir des préoccupations à ce sujet.
L’élément le plus troublant qui m’a incité à vouloir faire quelque chose concerne non pas la loi d’exécution du budget de l’année dernière, mais celle de l’année précédente. Un article traitait précisément de la Loi sur la protection des renseignements personnels. On y soustrayait les partis politiques fédéraux à l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Cet élément était enfoui à la dernière page de... je ne me souviens plus si la loi d’exécution du budget faisait 800 pages. Elle était très volumineuse. Il était plutôt ironique, d’ailleurs, que cet élément soit présenté en dernier, au bas de la liste.
Nous en avons parlé à ce moment-là. Nous étions plusieurs à nous offusquer de la situation et nous avions atteint un certain consensus sur le fait que nous devions agir. C’était il y a un an et demi. L’un de nos sénateurs, qui était relativement nouveau, mais qui était un vétéran du gouvernement — de fait, il a été greffier au Conseil privé —, le sénateur Shugart, nous a conseillé de prendre des mesures, en essayant d’inviter le gouvernement à collaborer avec nous.
Nous avons tenté le coup, mais cela n’a pas fonctionné. Lorsque nous en sommes arrivés là, le gouvernement a déclaré — par l’entremise du sénateur Gold — qu’il n’était pas disposé à s’attaquer à cette question. Je pense qu’il est juste de dire qu’il pensait que c’était notre problème et que nous seuls devions nous en occuper.
C’est ce qui nous a amenés à l’étape suivante : comment devrions-nous régler ce problème? Nous devrions le faire en vous demandant à tous d’étudier la question et de nous aider à déterminer la marche à suivre.
Nous avons maintenant des preuves évidentes de dérapages. On a emprunté des raccourcis pour éviter l’examen qui s’impose et le processus législatif normal à la Chambre des communes pour ensuite nous forcer à l’ignorer de ce côté-ci en vertu de la convention constitutionnelle. Cela ne peut pas durer. Nous devons trouver une solution, faute de quoi nous pourrions tout aussi bien dire au gouvernement de ne pas se donner la peine de nous envoyer quoi que ce soit. Nous adopterons ses mesures et lui enverrons notre sceau d’approbation qu’il pourra apposer par procuration à la Chambre des communes.
Je plaisante, mais il est démoralisant que nous continuions à essayer d’honorer la convention du Sénat qui consiste à ne pas toucher aux mesures financières du gouvernement issues de projets de loi sur les finances. Nous honorons cette convention au point de porter atteinte au respect que nous accordons à l’autre endroit.
Nous avons eu une lueur d’espoir l’année dernière. Lors d’une étude que nous menions sur une question non liée aux finances, nous avons tiré la sonnette d’alarme à l’étape de l’étude préalable, assez tôt dans le processus, et le gouvernement a modifié le programme alors que le projet de loi était à l’étude à la Chambre des communes. Je pense que nous devrions nous inspirer de cette situation. L’un des leviers sur lesquels vous pourriez peut-être vous concentrer est le fait que l’alerte précoce semble avoir un certain effet. Il convient de mentionner qu’en 2024, le gouvernement s’est efforcé de revenir sur au moins l’une des questions non financières contenues dans la loi d’exécution du budget qui nous posait problème.
Je vais m’arrêter là. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Le président : Je vous remercie, monsieur le sénateur Tannas. Nous allons commencer la série de questions.
La sénatrice Marshall : Merci beaucoup de votre présence et de votre motion.
Vous nous avez donné, dans votre déclaration préliminaire, des renseignements de nature générale et une idée des recherches que vous avez effectuées pour préparer votre motion. Pourriez-vous nous donner plus d’informations? Je me demande si vous avez examiné la situation dans d’autres pays. Je sais que la motion le prévoit, mais j’aimerais savoir si vous avez examiné ce qui se fait en Australie ou en Grande-Bretagne. Cela m’intéresse.
Vous avez séparé les éléments non financiers des projets de loi omnibus des éléments financiers. Avez-vous examiné la situation au cours des dernières années? Êtes-vous en mesure de nous dire quels pourcentages ces éléments représentaient ces dernières années? Ces projets de loi étaient-ils composés à 50 % de questions financières et à 50 % de questions non financières? Le savez-vous? Voilà deux questions. S’il reste du temps, je vous en poserai d’autres.
Le sénateur Tannas : Bien sûr. Nous avons fait appel à la Bibliothèque du Parlement, qui nous a remis une excellente étude que vous pouvez obtenir, si vous ne l’avez pas déjà. Elle a été effectuée par Jaquelin Coulson et Erin Virgint du service de recherche et d’éducation. Elle date du 23 février 2024 et s’intitule Financial Legislation in Select Jurisdictions. C’est un bon document. Il contient de nombreuses données qui, selon moi, seront utiles.
Nous ne sommes pas les seuls à être aux prises avec ce problème.
La sénatrice Marshall : Oui. C’est là où je voulais en venir. Sommes-nous les seuls à avoir ce problème? Si ce n’est pas le cas, y a-t-il d’autres pays qui ont pris des mesures pour le régler?
Le sénateur Tannas : Oui.
La sénatrice Marshall : Qu’ont-ils fait?
Le sénateur Tannas : La constitution de l’Australie stipule que les questions qui ne sont pas de nature financière ne peuvent se retrouver dans un projet de loi d’exécution du budget.
La sénatrice Marshall : Cette disposition existe en raison de leurs projets de loi omnibus?
Le sénateur Tannas : Cette disposition figure à l’article 54 de la Commonwealth of Australia Constitution Act. Je ne sais pas quand elle a été adoptée. Les éléments non budgétaires ne peuvent tout simplement pas être ajoutés à des fins d’efficience, et ceux que le Sénat juge comme étant incompatibles avec cette règle peuvent être retirés du projet de loi.
Il s’agit de ce que l’on qualifie de dispositions greffées; d’éléments qui sont greffés à un projet de loi sur les finances. C’est le terme que la Chambre des lords emploie au Royaume-Uni. Cela renvoie au même problème. Au Royaume-Uni, les activités entourant les projets de loi sur les finances de la Chambre des lords font l’objet de limites très claires. Des limites plus claires que celles que nous avons, peut-être pas en pratique, mais certainement dans les pouvoirs constitutionnels dont nous disposons. Ils ont des règlements semblables au sujet des dispositions greffées, comme ils les appellent.
Chaque pays s’est penché sur la question. Manifestement, ils sont en avance sur nous.
La sénatrice Marshall : Y a-t-il des balises?
Le sénateur Tannas : Il y en a quelques-unes. Certaines sont coulées dans le béton et d’autres sont assurées par les activités et la position adoptée par la Chambre haute au Royaume-Uni et en Australie. Je crois comprendre que vous allez accueillir des experts qui se sont penchés de près sur ce qui se fait dans les autres pays. Ils devraient être en mesure de vous donner une explication assez complète pour chaque cas. Je pense que c’est possiblement dans ces domaines que se trouvent les solutions.
La sénatrice Marshall : Revenons à la question du manque de temps soulevée par le comité. Je ne dis pas que c’est la solution, mais pensez-vous que les projets de loi omnibus seraient plus acceptables si nous avions plus de temps pour les examiner? Même en retirant les questions de nature financière, nous n’avons toujours pas assez de temps. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?
Le sénateur Tannas : En Australie, le Sénat doit avoir reçu les projets de loi avant une date limite si l’on veut qu’ils soient examinés avant la fin de la session parlementaire.
La sénatrice Marshall : Cela est utile.
Le sénateur Tannas : Oui. Nous en avons parlé. Dans le passé, des leaders du gouvernement — et je l’ai mentionné dans mon discours — pouvaient participer aux réunions du Cabinet et pouvaient dire à leurs collègues qui y siégeaient quelle était la date butoir pour recevoir un projet de loi. Si le projet de loi n’était pas soumis au Sénat à cette date, le gouvernement ne pouvait pas revenir à la charge et le forcer à faire quelque chose. Cela lui a valu un grand respect. Nous n’avons plus cette représentation au Cabinet. Ce précédent a été créé il y a un certain temps, et nous devons peut-être en parler aux gouvernements au pouvoir pour leur dire que nous pensons que c’est...
La sénatrice Marshall : Les projets de loi deviennent de plus en plus volumineux.
Le sénateur Tannas : Oui.
La sénatrice Marshall : D’accord, c’est excellent.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci, sénateur Tannas, de cette réflexion qui est plus que pertinente. Il y a deux problèmes fondamentaux dans cette question, notamment le fait que l’on soit aux prises avec des projets de loi qui sont tellement volumineux qu’on n’arrive pas à les étudier comme on souhaiterait le faire. En ce qui concerne l’autre élément, ce qui est plus vicieux, c’est que nous sommes muselés, étant donné que c’est souvent un projet de loi de mise en œuvre. Or, on n’est pas en mesure d’étudier correctement les questions qui ne sont pas d’ordre financier et de prendre une décision en fonction des intérêts fondamentaux des Canadiens et des Canadiennes.
Ma première question est la suivante. Plusieurs personnes, dont le professeur Adam Dodek, soulignent avec justesse qu’il n’existe aucune contrainte légale qui nous empêcherait de mettre fin à la pratique des projets de loi omnibus. Vous avez mentionné un peu plus tôt qu’en 2024, on a avisé le Parlement qu’il y avait un projet de loi qui pouvait être retiré. Ne croyez-vous pas que les parlementaires ont le pouvoir de s’opposer à cette pratique et de dire que si on leur soumet d’autres pièces législatives dans un projet de loi de mise en œuvre du budget, ils n’étudieront pas ce projet de loi? Est-ce qu’on pourrait faire cela?
[Traduction]
Le sénateur Tannas : Oui, je pense que nous avons la possibilité de proposer que l’on retire certains éléments d’un projet de loi pour qu’ils soient examinés séparément. Je ne sais pas si « permission » est le mot juste. Dans un tel cas, nous pourrions nous adresser à la Chambre des communes pour lui dire que nous avons les projets de loi 1 et 1A. Cela dit, elle pourrait dire qu’elle ne veut pas que nous l’étudiions de cette façon. Elle pourrait rejeter notre initiative.
Si la situation est déraisonnable, procéder de la sorte risquerait, selon moi, d’entraîner une confrontation alors que nous essayons de faire notre travail. Je préférerais que nous essayions de trouver des moyens de remanier la convention et de faire part de notre intention à la Chambre des communes, plutôt que de se contenter de réagir. C’est mon point de vue. Cela dit, à ma connaissance, cette approche a déjà été employée. Nous pouvons le faire et voir comment la Chambre des communes et le gouvernement y réagiraient.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci. Effectivement, une situation négociée est toujours préférable à une confrontation. Vous dites que l’Angleterre et l’Australie ont trouvé des solutions pour mieux équilibrer le projet de loi de mise en œuvre. Selon votre expérience, pourrions-nous nous inspirer de ces solutions pour en arriver à rétablir un équilibre dans le cadre d’un projet de loi omnibus?
[Traduction]
Le sénateur Tannas : Je le pense. Je pense que les deux pays — qui reposent tous deux sur le modèle de Westminster — nous offrent des pistes de solutions pour y parvenir. Certaines sont fondées sur des règles, d’autres sur les comportements. Je parie qu’il nous faudra à la fois apporter des changements à nos propres règles et à nos comportements.
Le fait est que nous nous mettons des bâtons dans les roues en nous soumettant à cette convention d’une manière qui n’est pas celle qui était prévue. C’est nous qui agissons ainsi; personne d’autre ne le fait.
Si nous décidions d’examiner tous les éléments de ce projet de loi omnibus, de les étudier comme il se doit en prenant le temps nécessaire pour le faire, le gouvernement nous dirait certainement qu’il doit adopter le budget et que nous ne pouvons pas retarder le processus. Ce serait notre solution de dernier recours. Si nous disons que nous souhaitons scinder ce projet de loi et qu’il nous dit qu’il ne veut pas que nous le fassions, nous pourrions toujours lui répondre qu’il recevra son projet de loi lorsque nous aurons examiné tous les détails en bonne et due forme. C’est ce qui se passera. Si cela nous prend six mois, ce sera six mois.
Il existe de nombreuses façons d’encourager ce comportement, mais la première étape consiste à avoir le courage d’agir ainsi alors qu’il est évident qu’on abuse de nous et qu’on nous empêche de faire notre travail.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue à notre collègue. C’est un sujet que j’ai particulièrement à cœur comme membre du Comité sénatorial permanent des finances nationales, étant donné qu’on a eu quelques frustrations dans les dernières années, comme vous l’avez fort bien décrit, avec des projets de loi d’exécution du budget qui contenaient plusieurs éléments qui n’avaient rien à voir avec la politique économique ou financière du gouvernement. En tant qu’institution de second examen attentif, cela nous pose problème.
Pour creuser davantage, y a-t-il des experts que vous pourriez nous suggérer d’inviter? On commence notre étude aujourd’hui et vous êtes notre premier témoin, mais pourrait-on en identifier d’autres? Je pense à Louis Massicotte au Québec, qui est professeur au Département de science politique de l’Université Laval et qui a écrit des articles là-dessus. Pouvez-vous nous en parler un peu? Avez-vous des noms d’experts? Avez-vous eu la chance de discuter avec M. Massicotte?
[Traduction]
Le sénateur Tannas : Après la réunion, je vous enverrai une liste de personnes que je connais ou que des membres de mon personnel ont recensées. Cela vous aidera.
[Français]
Le sénateur Gignac : Ce n’est pas quelque chose de nouveau de la part d’un gouvernement; le précédent l’avait fait également. Pour avoir suivi les finances publiques dans une ancienne vie en tant qu’économiste à la Banque Nationale et dans d’autres institutions financières, j’ai vu des projets de loi omnibus. En toute transparence, je dois admettre que comme ancien ministre provincial au gouvernement du Québec, j’ai vu des projets de loi que le ministre des Finances a bien voulu inclure dans son budget pour en faciliter l’adoption. On sait comment cela fonctionne. Au Québec, il n’y a pas de sénat. Ce sont des négociations qui ont lieu entre les différents partis politiques. Il n’y a pas l’institution que l’on a ici. Notre travail se fait ici.
Parlez-moi des études préalables. Si je comprends bien, on pourrait à tout le moins souhaiter que les projets de loi d’exécution du budget soient systématiquement analysés de façon préalable. Est-ce que je comprends que ce n’est pas automatique au Sénat, ou est-ce que j’ai compris d’une réponse à une question que j’ai posée aujourd’hui? Faut-il que les leaders des quatre groupes s’entendent pour qu’on puisse faire une étude préalable? Pouvez-vous nous expliquer comment cela fonctionne?
[Traduction]
Le sénateur Tannas : Un élément clé de la solution serait d’entamer une étude préalable rigoureuse dès la réception d’un document budgétaire, avant même l’examen de la loi d’exécution du budget. Lors de sa campagne électorale en 2015, le gouvernement Trudeau a promis qu’il y aurait une loi ou une pratique — je ne m’en souviens pas — qui ferait en sorte que tout ce qui figurerait dans la loi d’exécution du budget serait inclus dans le budget. Cependant, il ne nous a pas dit qu’il insérerait dans le budget une série de déclarations d’une phrase qui n’ont rien à voir avec le budget. Elles s’y trouvent et nous pouvons les trouver. Le comité pourrait peut-être procéder à un tri préliminaire des éléments figurant à l’annexe du document budgétaire. Cela nous aiderait à cerner les domaines qui posent problème ou qui revêtent un intérêt. Peut-être pourrions-nous alors demander à des fonctionnaires de venir nous expliquer le plan. Il me semble que, souvent, les éléments les plus problématiques — ceux qui, selon moi, sont excessifs — sont ceux qui ne font qu’une seule phrase dans le document budgétaire.
Il y a peut-être un moyen de faire une sorte de travail exploratoire. Nous pourrions avoir dans ce document un avant-goût de ce qui nous attend avant de recevoir la Loi d’exécution du budget et de nous lancer dans notre étude. Comme sénateur, je militerai toujours pour la tenue d’études préalables le plus tôt possible. Ces études pourraient devenir une convention au même titre que la priorité que nous accordons au budget.
Le sénateur Gignac : Ce serait une convention, et non pas une règle du Sénat.
Le sénateur Tannas : Oui. Ce serait de l’ordre du comportement.
Le sénateur Smith : Sénateur Tannas, j’aimerais récapituler les observations que vous avez faites depuis le début. J’aurai une autre question ensuite.
Vous avez dit très clairement que l’objet de la motion n’est pas d’éliminer les projets de loi omnibus, mais plutôt de mettre en place un processus qui permettrait de les étudier efficacement — la raison pour laquelle nous sommes réunis aujourd’hui. J’aimerais donc savoir ce que vous pensez des justifications que fournit le gouvernement pour inclure une multitude d’éléments non financiers chaque année dans le projet de loi sur le budget. Vous avez déjà réfuté quelques-unes de ces justifications. Pendant une des réunions que j’ai eues avec la ministre des Finances — pendant deux réunions en fait —, celle-ci a fait valoir plusieurs fois que le contenu du projet de loi sur le budget était entièrement tiré du document budgétaire du gouvernement. Voilà pour la justification.
Si vous m’accordez encore deux secondes, j’aurais un autre point. Vous avez peut-être remarqué qu’en Australie, des dates butoirs sont établies lorsque le gouvernement veut que des mesures législatives soient étudiées et débattues. Le directeur parlementaire du budget au Canada a réclamé plusieurs fois une date fixe plus hâtive pour le dépôt du budget. Cet échéancier permettrait de mieux faire concorder le processus d’approvisionnement avec le budget en plus de donner au Parlement davantage de temps pour étudier la loi d’exécution du budget. Le Sénat appuie les demandes du DPB, mais le gouvernement n’est pas réceptif. Vous avez également mentionné que le gouvernement avait opposé une fin de non-recevoir à certaines résolutions du Sénat sur le sujet.
Avez-vous des suggestions pour nous aider à rallier le gouvernement? Jusqu’où devrons-nous aller pour le convaincre?
Le sénateur Tannas : En Australie, des dates limites sont établies pour les projets de loi. Ils fixent une date pour le dépôt du texte pour que l’étude se termine au plus tard à la fin de la session. Parmi nos usages au Parlement, il y a cette possibilité pour le gouvernement de nous obliger à siéger tout l’été. En théorie, ils peuvent le faire, mais je pense qu’il leur faudrait un vote majoritaire au Sénat. Nous pourrions tester cette hypothèse s’ils disaient : « Très bien. Vous avez cette règle, mais nous allons tout simplement laisser la session se poursuivre. » Nous pourrions alors ajourner le Sénat au besoin.
Nous disposons de tous les mécanismes voulus pour établir une date butoir. En Australie, il y en a une. Les projets de loi doivent être déposés et publiés avant la fin de la session. Pour éviter que le projet de loi soit interrompu — advenant que quelque chose arrive et que la mesure doive être adoptée avant la fin de la session —, il faut une majorité écrasante pour changer les choses. C’est quelque chose du genre.
Comme pour bien d’autres choses, je trouve que les Australiens ont une conception très pragmatique du processus législatif. Je me suis dit : pourquoi ne pas adjoindre cette règle à nos outils? Nous serions tous au même diapason et nous nous efforcerions tous d’atteindre le même but.
Le sénateur Smith : Le représentant du gouvernement a-t-il déjà fait partie du Cabinet? Ce n’est plus le cas, n’est-ce pas?
Le sénateur Tannas : Oui.
Le sénateur Smith : Pourquoi le représentant — l’équivalent de Marc Gold — ne ferait-il pas partie du petit groupe de personnes qui composent le Cabinet? Ce poste serait pour nous une courroie de transmission. Nous pourrions demander au représentant du gouvernement de s’organiser pour que certaines règles que nous avons soient présentées au gouvernement.
Il faut continuer d’insister vu tout le temps que cela pourrait prendre pour mettre ce processus en place ou pour réinstaurer la relation nécessaire à la nomination du représentant du gouvernement au Cabinet. Qu’en pensez-vous?
Le sénateur Tannas : C’est le premier ministre qui décide de nommer ou non des sénateurs parmi les membres du Cabinet. Le Sénat ne peut pas imposer qui que ce soit. Il faudrait donc la collaboration du premier ministre pour nommer au sein du Cabinet le leader du gouvernement au Sénat.
Cette tradition qui existe depuis des décennies a été modifiée récemment.
Le sénateur Smith : Cette proposition serait-elle utile?
Le sénateur Tannas : La situation actuelle révèle peut-être la nécessité de réinstaurer la tradition.
Le sénateur Smith : Exactement. Comment nous y prenons-nous?
Le sénateur Tannas : Nous pourrions simplement adopter une résolution qui demanderait au gouvernement d’inclure au sein du Cabinet le leader du gouvernement au Sénat, ou qui l’encouragerait à le faire. Nous pourrions entreprendre une démarche comme celle-là, mais la décision appartiendrait au premier ministre et au gouvernement.
La sénatrice Galvez : Merci, sénateur Tannas.
Vous pouvez être certain que nous sommes tous très frustrés en ce moment par le processus que suivent les lois d’exécution du budget et par le cycle budgétaire en général. Nous avons toujours l’impression de faire nos études à toute vapeur. C’est comme cela depuis huit ans que je siège au Sénat.
Comme l’a dit mon collègue, rien dans les lois et la Constitution et rien dans nos processus au Sénat ne vont empêcher le renvoi de projets de loi omnibus au Sénat. La seule chose que nous pouvons changer, c’est la manière de les étudier. Tant mieux si nous avons des outils. Ce serait fantastique si nous pouvions établir une date butoir.
Une autre solution, au stade de l’étude préalable, serait de répartir les sujets dans différents comités, mais cela nécessite, comme vous l’avez dit, la collaboration entre les leaders parce que ce sont ces derniers qui décident.
J’étais très frustrée lorsque j’ai appris du jour au lendemain que le dossier de la taxe sur le carbone, que nous devions étudier comme convenu, n’allait plus être renvoyé au comité des finances nationales — ou que le comité avait renoncé à l’étudier — et que le dossier allait être assigné au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Cette volte-face m’a vraiment frustrée.
Normalement, le Comité sénatorial permanent des finances nationales devrait examiner les dépenses et les revenus.
Nous avons en effet les outils, mais parfois la politique intervient et vient brouiller la logique et le pragmatisme, qui sont l’apanage des Australiens, comme vous le dites, et qui nous manquent. Il faut développer notre pragmatisme et notre efficacité.
Ma question porte sur la façon de déterminer si un dossier est lié ou non aux finances. Cette détermination est mise en doute. Il y aura toujours moyen de démontrer que quelque chose influe indirectement sur l’économie. Il n’y a ensuite qu’un pas à faire pour que la chose soit considérée de nature financière.
Selon vous, qui décidera que tel ou tel dossier est lié aux finances ou non?
Le sénateur Tannas : C’est au comité des finances nationales de déterminer que le lien est tiré par les cheveux. Il peut décider que le lien n’existe pas, même s’il est accessoire, puisque tout finit toujours par revenir à l’argent.
À mon avis, le comité doit prendre en main le dossier. Vous allez certes étudier la question, mais vous allez aussi piloter les réformes qui s’imposeront. Il faut que le comité ait les coudées franches de même que la confiance du Sénat. Il faut enfin qu’un certain nombre de sénateurs s’accordent sur la nécessité de faire cesser le statu quo.
J’irais même un peu plus loin. Nous travaillons dans le long terme, n’est-ce pas? Le sénateur Wells aime la métaphore selon laquelle le Sénat est une longue vague comparativement à la vaguelette de la Chambre des communes. Une partie de notre tâche est peut-être d’expliquer au gouvernement ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas.
Certains gouvernements sont naturellement doués pour la gestion fiscale. Ils en font un point d’honneur. Toutefois, certains autres sont des cancres. Ils ont d’autres priorités et d’autres forces. C’est peut-être le rôle du Sénat à ce moment-là de contribuer à former le gouvernement, quitte à être dur avec lui au début, et de lui rappeler les principes de la responsabilité fiscale. Nous avons peut-être manqué le bateau.
C’est du passé maintenant, mais je pense que si un comité doit prendre les choses en main, c’est le comité des finances nationales. Vous devriez même vous mêler de l’assignation des différentes parties des textes. Je ne suis pas certain que ce soient les leaders qui devraient s’en occuper. Il revient au comité des finances de prendre les commandes et de décider ce qu’il veut déléguer ou ne pas déléguer. Les lois d’exécution du budget, par exemple, devraient atterrir chez vous avant d’être confiées à d’autres comités.
Le sénateur Dalphond : Merci, cher collègue, de venir témoigner. Nous échangeons nos points de vue sur le sujet depuis bon nombre d’années. Toutefois, nous n’avons pas encore trouvé de solution. Nous avons exprimé nos préoccupations à plusieurs reprises.
Un des problèmes à mon avis, c’est le caractère protéiforme des projets de loi omnibus. Il y a ceux qui mettent de l’ordre en abrogeant 25 parties dans diverses autres mesures. Par exemple, le projet de loi omnibus qui a remplacé le nom de la Cour suprême d’une province par la cour supérieure en modifiant 35 projets de loi ne nous pose pas vraiment problème.
La chose la plus préoccupante pour la plupart d’entre nous est la portion de la loi d’exécution du budget qui regroupe les parties 4, 5 ou 6, qui sont appelées « dispositions diverses ». Comme je l’ai dit à la ministre des Finances lorsqu’elle a témoigné devant le comité, je lis toujours le budget, mais je commence ma lecture par les dispositions diverses, car c’est la seule partie que je comprends. Je laisse le reste au sénateur Gignac, à la sénatrice Marshall et aux autres spécialistes — comme vous — qui ont travaillé sur des audits ou qui ont occupé un poste de vérificateur général.
Pour ma part, je regarde ces dispositions, dont le libellé est juridique, mais qui touchent seulement à des choses étrangères au budget. C’est cela qui me dérange et qui est devenu démesuré.
On a étudié entre autres la possibilité de retirer ces parties du budget pour en faire un projet de loi distinct, mais deux anciens présidents du Sénat — je pense que vous étiez sénateur lorsqu’au moins une des décisions a été rendue — ont statué que les deux projets de loi devaient obtenir chacun une recommandation royale parce qu’ils faisaient partie d’un projet de loi sur les finances. Après ce refus de la part de la présidence, la Chambre des communes et le Sénat ont voté pour infirmer la décision.
En fin de compte, la règle énonce que les mesures budgétaires doivent s’accompagner d’une recommandation royale. Je ne sais pas dans quelle mesure nous pouvons nous prévaloir de cette option, mais c’est une avenue à explorer.
Parmi les autres options, vous avez parlé d’un vote majoritaire spécial au Sénat qui s’appliquerait à l’ensemble de la question budgétaire. À mon avis, cette option est intéressante. Par contre, comme la Constitution dit que les décisions au Sénat sont prises par la majorité, il faudrait modifier la Constitution. Cela se trouve aussi dans notre projet de loi. Nous n’avons pas besoin de l’assentiment des provinces. C’est un enjeu interne, mais ce serait toutefois un obstacle énorme que de changer la Constitution.
Quelle est l’autre option? Pourriez-vous donner d’autres détails sur la façon de fonctionner en Australie? Après avoir vérifié du côté de la Nouvelle-Zélande, j’ai constaté que ce pays avait aussi un projet de loi omnibus, qui est décrié par certains. L’Angleterre en a un. Ils l’appellent l’arbre de Noël parce qu’il est rempli de choses, comme un sapin décoré de lumières.
Aux États-Unis, le budget renferme toutes sortes de choses. La politique du compromis permet de maintenir une ouverture. Les ententes qui se concluent sont reprises dans le projet de loi.
Vous avez dit que l’Australie était un modèle intéressant. J’aimerais en apprendre davantage.
Le sénateur Tannas : Je vais vous laisser faire vos recherches. Ce que j’ai dit se fonde sur la documentation dont nous disposons. J’espère que vous trouverez le temps d’en discuter avec des Australiens et des Britanniques qui travaillent dans des systèmes plus efficaces.
Une chose dont je suis à peu près certain — vous pourrez contre-vérifier —, c’est que le temps est notre arme principale. Nous pouvons leur dire que nous rejetons la pression des échéanciers. S’ils nous envoient un projet de loi de 800 pages comportant 45 éléments qui n’ont rien à voir avec le budget, disons-leur que nous ne pouvons pas l’adopter rapidement. S’ils insistent pour que nous ne scindions pas le projet de loi, prenons notre temps. C’est le seul levier que nous avons. Grâce aux assises relativement solides que nous avons, nous pourrions proposer de nouvelles conventions qui permettraient d’agir autrement.
Le sénateur Dalphond : Il y a ce qu’ils appellent la convention occulte du Sénat, qui se fonde sur les études préalables. Le gouvernement mène une étude préalable au Sénat parallèlement à la deuxième lecture à la Chambre des communes. Le projet de loi est ensuite débattu pendant quelques semaines. Le Sénat amorce par la suite une étude préalable et envoie un rapport à la Chambre pour présenter les dispositions qui suscitent des préoccupations ou pour proposer des modifications.
Ce processus est semblable à ce qui a été fait avec les deux parties sur l’immigration — 66 et 67 ou à moins que ce soit 46 et 47 — du projet de loi C-69. Il y avait deux chapitres, dont un a été éliminé par la Chambre. Ils ont dit que le Sénat, tout comme les autres groupes, avait suggéré de l’abandonner. Le chapitre a donc été abrogé.
Nous avions recommandé de laisser tomber le deuxième chapitre également. Ils ont dit qu’ils allaient plutôt l’améliorer. Ils sont revenus avec des dispositions sur l’application régulière de la loi qui visaient les immigrants détenus dans les prisons fédérales et considérés comme dangereux. Ces immigrants ont des droits désormais, ce qui était selon moi une amélioration.
L’étape des études préalables oblige le gouvernement à passer en revue les dispositions et à nous donner du temps pour faire le travail, mais comme le budget est déposé tardivement, je ne sais pas si cette avenue mérite d’être explorée.
La sénatrice MacAdam : Je vais revenir aux commentaires du sénateur Shugart que vous avez mentionnés dans votre déclaration liminaire. Le sénateur suggérait de dialoguer avec les collègues de l’autre endroit.
Je me demande si le succès observé en Australie et au Royaume-Uni découle de la coopération avec l’autre endroit — ou son équivalent là-bas — ou si ce succès est obtenu par la confrontation. Le savez-vous? Leur mode opératoire semble porter ses fruits. Leur situation est-elle plus favorable que la nôtre?
Le sénateur Tannas : C’est une excellente question. Je ne le sais pas. Ce que je sais, par contre, c’est que nous avons suivi les conseils du sénateur Shugart. Nous avons obtenu une réponse. On nous a dit que c’était à nous de régler le problème; qu’on ne pouvait contribuer en rien. Ils n’étaient pas prêts à être entraînés ou à accepter notre règlement.
Après réflexion, je ne leur en veux pas. Je ne crois pas qu’un autre gouvernement aurait réagi différemment. Il nous revient de décider de ce que nous voulons faire et de la façon dont nous voulons le faire en fonction des attentes du public à notre égard, mais surtout en fonction des attentes constitutionnelles relatives à notre travail.
La sénatrice MacAdam : Étant donné tous les commentaires que nous avons entendus, les frustrations, les obstacles et les antécédents, avez-vous des suggestions sur la façon dont le comité pourrait établir la portée de cette étude, délibérer, arriver à un consensus et préparer de bonnes recommandations? Je sais que c’est ce que nous allons devoir faire.
Puisque vous êtes ici, que vous êtes passionné et que vous avez tous ces renseignements en main, quelles sont vos suggestions?
Combien de temps ce type d’étude devrait-il durer, selon vous, étant donné les enjeux auxquels nous faisons face, afin qu’elle soit réalisée de manière appropriée et de nous assurer de protéger la crédibilité non seulement du comité, mais bien du Sénat dans son ensemble?
À mon avis, il faudra beaucoup de temps. J’aimerais vous entendre à ce sujet.
Le sénateur Tannas : Je m’inquiète — et je l’ai dit publiquement — parce qu’il est de plus en plus probable que nous ayons affaire à un nouveau gouvernement dans l’avenir. Disons que ce sera le cas.
La dynamique politique est telle que ce serait très malheureux, et l’on pourrait facilement penser que c’est parce que les sénateurs d’une telle couleur traitent avec un gouvernement d’une autre couleur. Ce serait malheureux s’il s’agissait de la première fois que nous décidons d’exercer notre autorité avec un nouveau gouvernement. Je crois qu’il faut éviter ce piège.
Bien que cela m’attriste, je crois qu’il faut tenir compte du temps et établir certaines balises pour les mesures que nous allons tenter de prendre. Elles ne fonctionneront peut-être pas. Nous devrons peut-être tout de même faire face à des contraintes de temps.
Nous devons tenter de prendre certaines mesures pour le cycle budgétaire à venir, en supposant que nous allons nous rendre jusque-là. C’est mon opinion.
Étant donné votre sagesse, vous déterminerez peut-être qu’il faudra bien faire les choses et prendre le temps qu’il faut en ce sens. Au bout du compte, ce sera peut-être la bonne décision. Je m’en remets à vous. Vous êtes les mieux placés pour prendre une décision.
La sénatrice Kingston : J’aimerais, pour commencer, vous demander de nous expliquer ce que vous entendez par une majorité qualifiée. Est-ce que l’on parle des trois tiers?
Le sénateur Tannas : Je ne sais pas exactement ce qu’est la majorité qualifiée en Australie, mais c’est ce qui est exigé dans le règlement : il faut une majorité qualifiée pour dépasser la date limite. Je ne le sais pas, honnêtement.
La sénatrice Kingston : Est-ce qu’il s’agit de 50 % plus un?
Le sénateur Tannas : Exactement, oui.
La sénatrice Kingston : Ce qui me frappe dans ce que vous dites, la sénatrice MacAdam et vous, c’est qu’il a fallu beaucoup de temps pour se rendre là. Vous avez parlé de 27 pages dans les années 1990 et de près de 800 pages aujourd’hui. Mais seulement 44 pages du budget, du volet financier... et nous savons qu’il n’y en a pas tant puisque, comme vous l’avez dit, certaines ne comptent qu’une seule phrase... Bien sûr, il faut en tenir compte également, tout cela est différent. Il faut du temps du début à la fin et il faut aussi du temps pour y revenir.
Ce que j’ai constaté, c’est que l’on nous envoie des projets de loi, mais que nous savons longtemps à l’avance — comme vous l’avez dit, en quelque sorte —, à la deuxième lecture, nous savons ce qui se passe à l’autre endroit, et il me semble que nous devrions commencer à parler des sujets qui devront faire l’objet d’études approfondies à l’avance. C’est ce qui était fait avant. Il y avait plus d’études préalables. Est-ce que je me trompe? Est-ce seulement mon impression? Je ne le sais pas.
Le sénateur Tannas : Je n’ai pas l’impression qu’il y en a plus ou moins.
La sénatrice Kingston : D’accord. Il me semble que nous agissons comme si nous ne savions pas ce qui se passait à l’autre endroit jusqu’à ce que les projets de loi nous soient renvoyés, ce qui n’est pas logique, à mon avis, puisque nous savons habituellement ce qui s’y passe.
Le sénateur Tannas : Vous vous souviendrez peut-être qu’en comité, au cours des derniers mois du printemps, une partie de la loi d’exécution du budget portant sur la Loi sur la concurrence avait été modifiée radicalement à la dernière minute, et nous n’avions pas pu y toucher. Nous n’avions pas pu examiner les changements, même s’il y avait eu une levée de boucliers parmi ceux qui en seraient affectés. Ils ont été complètement pris au dépourvu.
Oui, je crois que nous pouvons éviter de tels problèmes en réalisant une étude préalable, mais au bout du compte, nous ne savons pas ce que nous allons obtenir. Il ne faut pas oublier que nous avons un gouvernement minoritaire à la Chambre et que parfois, il fait des compromis afin de passer à autre chose, n’est-ce pas? Nous nous retrouvons donc avec ces surprises, et c’est nous qui devons songer aux conséquences imprévues de ces choix. Il est donc d’autant plus important que nous puissions dire, par exemple : « Attendez; tout cela peut être adopté, mais nous devons revoir cette partie. » Ensuite, si l’on nous répond que c’est tout ou rien, alors nous pouvons dire que nous allons prendre plus de temps et nous centrer là-dessus avant de tout renvoyer.
Nous avons des façons de répondre lorsque nous sommes face à un partenaire déraisonnable. Nous devons seulement avoir le cran de le faire en temps opportun, lorsqu’il s’agit de la bonne chose à faire. Nous retirons nos chapeaux de partisans, même si je préférerais ne pas utiliser ce mot. Mais c’est ce que nous faisons. Nous oublions que nous devons quelque chose à un quelconque parti ou à une personne au gouvernement ou dans l’opposition — sans égard aux allégeances — et nous faisons notre travail, même si cela déçoit nos amis. S’ils ne sont pas raisonnables, nous avons le devoir de l’être et de faire notre travail.
La sénatrice Kingston : Ce n’est qu’une observation, mais il est difficile de changer la façon dont fonctionne habituellement le Cabinet. C’est une observation, en quelque sorte. Je ne suis pas certaine qu’il s’agit réellement d’une solution.
Le sénateur Tannas : Les membres du Cabinet sont informés au sujet des projets de loi. Ils sont présents lorsque les idées naissent et s’ils font leur travail, ils cibleront les problèmes.
Vous savez quoi? Je propose que nous posions des questions aux sénateurs Carignan, Gold et Carstairs sur le sujet. Nous pourrions prendre une heure pour discuter des leaders du Cabinet et des autres leaders afin de déterminer s’il y a une différence entre les deux. Ce que je vous dis, ce sont des ouï-dire. À mon avis, toutefois, nous devrions étudier la question.
[Français]
Le président : Je vais quand même intervenir. Nous avions une heure et nous allons prendre quelques minutes, si cela ne vous dérange pas, sénateur Tannas. J’ai beaucoup de sujets à traiter.
Le premier est le suivant, pour terminer sur celui-là. Je peux vous dire, pour avoir fait partie du Cabinet, que cela a une influence. Ce n’est pas seulement une personne; c’est le leader du gouvernement au Sénat qui parle au nom du Sénat et dit : « Chez nous, attention, on va avoir tel enjeu ou tel problème. » C’est beaucoup plus qu’un individu qui parle, parce qu’on parle à l’échelle de la Chambre. Donc, l’écoute est très différente, et je dois dire que de l’autre côté, ils ne comprennent pas les règles du Sénat. J’avais beau leur expliquer, même au Cabinet du premier ministre, la procédure au Sénat est un mystère. J’avoue moi-même que c’est un peu complexe.
Pour ce qui est de la question de la double majorité, j’ai déjà vérifié ce point-là et ce serait inconstitutionnel. L’article 36 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique dit que le Sénat prend ses décisions à la majorité, alors on ne pourrait pas utiliser la double majorité.
Quant à la question des amendements, vous faites une interprétation un peu stricte de la convention, parce que j’ai une recherche dans mon bureau — je suis tombé dessus par hasard au mois de juin dernier — et j’ai constaté qu’on a plusieurs historiques d’amendements à un projet de loi budgétaire. Le dernier qui me vient en tête, c’est lorsque j’étais leader de l’opposition. On a extrait du projet de loi du budget toute une section ayant trait à la protection des consommateurs et aux banques. C’est même Peter Harder qui était leader du gouvernement à ce moment-là; il a présenté la motion avec moi et cela a été retiré. C’est le dernier exemple qui me vient en tête, mais il y en a plusieurs autres. André Pratte l’a même mentionné dans son livre : on avait les votes nécessaires pour faire ce qu’il fallait.
Tout cela montre bien qu’on a quand même amendé les budgets précédemment et que cela se fait. Donc, on peut présenter des amendements et faire des études préalables. S’il y a 8 ou 10 sujets à l’intérieur d’un projet de loi omnibus, on peut scinder le projet de loi et en confier des parties aux comités du Sénat; il faut la volonté du Sénat pour qu’ils fassent ces études. On peut diviser un projet de loi au moyen d’une motion de division.
Ne trouvez-vous pas que faire une interprétation très serrée de la convention en soutenant qu’on ne pourrait pas amender un projet de loi budgétaire crée un faux carcan qui est peut-être théorique, puis qu’aujourd’hui, avec les amendements qui ont été effectués précédemment, cette règle est moins stricte que vous semblez l’affirmer?
[Traduction]
Le sénateur Tannas : Je suis d’accord avec vous. Je crois que nous avons tous les pouvoirs nécessaires. Les comportements représentent 90 % de notre problème. Nous nous mettons de la pression et nous permettons à d’autres de nous mettre de la pression.
Or, comme vous venez de le dire, nous avons le pouvoir de faire ce qu’il faut et d’avoir recours à certaines mesures de façon responsable. Il ne faut pas hésiter à user de ce pouvoir lorsqu’on abuse de nous, lorsqu’une personne nous cite des conventions alors qu’elle tente de faire passer quelque chose de malhonnête.
Je crois qu’il est bon de regarder ce que font d’autres organes élus, notamment la Chambre des lords. En Australie, ces membres sont élus. Ils ont leurs propres pouvoirs, leur propre constitution, etc.
Je crois que notre problème réside dans nos propres comportements et dans la façon dont nous percevons le comité, qui devrait être celui qui a le pouvoir de décider si quelque chose est bon ou non.
Ce que je dirais, c’est que, ces derniers temps — et je ne veux manquer de respect envers personne, ici —, nous avons laissé passer certaines choses, alors que nous aurions dû adopter un ton plus ferme et ne pas les accepter. Vous êtes très respectés et j’espère que cette étude vous permettra de songer à la façon dont vous allez vous attaquer à ce problème grandissant, afin que nous puissions faire notre travail.
La sénatrice Marshall : Lorsque j’ai vu la motion au départ, j’ai su qu’il s’agirait d’une étude imposante, mais après l’heure qui vient de s’écouler, je réalise qu’il s’agit d’une étude très imposante, surtout si elle doit être menée à terme pour trouver des solutions.
Je pense au comité des finances. Nous sommes surchargés de travail. Nous avons beaucoup de réunions supplémentaires, et pas seulement au sujet du projet de loi d’exécution du budget. Le projet de loi sur la mise à jour financière comptait également 500 pages. Nous avions deux gros projets de loi, et la mise à jour financière n’a pas été scindée. Nous avons reçu la totalité des 600 pages.
Nous devons songer à la façon dont nous intégrons cette étude à notre travail régulier. Je tenais simplement à le souligner.
Mais j’ai une question. Je ne sais pas si je vais trop dans les détails, mais au départ, nous avons parlé des garde-fous, qu’ont certaines administrations. Vous avez dit que l’Australie établissait une date limite et que si le projet de loi n’était pas déposé avant cette date, l’étude n’était pas faite.
Quel moyen utilise l’Australie pour établir cette règle? Utilise-t-elle des lois, est-ce un règlement du Sénat ou est-ce une politique? Il faut un mécanisme qui sera contraignant.
Je ne sais pas si vous êtes allé aussi loin dans les détails. Cela pourrait être un gros problème.
Le sénateur Tannas : Je crois que vous pouvez trouver ces renseignements à la bibliothèque.
[Français]
Le sénateur Forest : Vous l’avez dit plus tôt, même quand le Sénat et la Chambre des communes étaient sous le même toit dans l’édifice du Centre, il y avait une incompréhension assez importante. Je trouve que maintenant, le Sénat et la Chambre des communes sont deux solitudes. Cela me fait penser un peu au Canada. On ne se rencontre plus, on ne se voit plus, on ne se parle plus et cela contribue à empirer la situation.
Je crois qu’il y a deux voies. On pourrait opter pour une vaste étude, mais, à mon avis, on n’est pas le comité le mieux outillé pour le faire. Je songe notamment au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration. L’autre élément qui fait partie de notre réalité, c’est une élection à court terme. Une grande étude, cela veut dire qu’on tente un dialogue à court terme en se disant qu’on ne fera pas une grande étude, mais qu’on va essayer d’établir un dialogue avec les gouvernements. On a un choix stratégique et politique à faire rapidement, car le gouvernement actuel a une courte espérance de vie.
Le président : C’est justement cela. Il y aura une discussion avec lui, mais l’autre gouvernement qui sera là ne sera pas d’accord avec lui.
Le sénateur Forest : Au moins, on aura tenté quelque chose et il sera peut-être d’accord.
Le président : Aviez-vous une question ou était-ce seulement un commentaire?
Le sénateur Forest : Est-ce qu’on privilégie une grande étude, et on verra qui va la faire et comment, ou alors on privilégie un contact rapide pour avoir au moins amorcé une démarche sous le système actuel?
[Traduction]
Le sénateur Tannas : C’est peut-être aussi simple que de dire que nous allons être agressifs dans le cadre de l’étude préalable. Nous devons cibler les domaines nécessitant une étude plus approfondie et réagir rapidement afin que le gouvernement puisse scinder les projets de loi et nous laisser y travailler afin que nous puissions miser sur la coopération pour le prochain cycle budgétaire.
Si nous arrivons à coopérer, alors nous n’aurons peut-être pas besoin d’aller plus loin. Nous aurons peut-être un partenaire qui ne cherche pas à profiter de nous. Nous l’avons laissé profiter de nous, et il en a fait une habitude.
Je ne crois pas que les gouvernements du pays soient de mauvaise foi. Je crois que nous sommes tout aussi responsables du problème que les gouvernements de la Chambre des communes. Nous devons changer nos comportements, en toute bonne foi, assurer une bonne communication, prendre des mesures et voir où cela nous mène. Pourquoi pas?
Le sénateur Gignac : J’aimerais avoir des précisions sur ce que vous avez en tête. Est-ce que je peux vous faire part d’une idée, à vous et à mes collègues?
Nous savons que les gouvernements aiment les projets de loi omnibus, surtout les gouvernements minoritaires, pour des raisons évidentes, parce qu’ils permettent d’accélérer les choses. Pourquoi ne pas user de notre discrétion, dans le cadre de l’étude préalable du Sénat, afin de préciser que tous les éléments économiques et financiers sont acceptés, mais que le reste est refusé?
Ainsi, le Sénat enverrait au ministre le signal qu’il se met en situation de risque s’il ajoute trop d’éléments, parce que nous sommes responsables de réaliser un second examen objectif et que nous n’allons pas laisser tomber cette responsabilité pour accélérer les choses, alors que ce sont des questions complexes.
J’aimerais entendre vos commentaires sur l’idée voulant que tous les éléments économiques et financiers fassent l’objet d’une étude préalable automatique par le Sénat et que nous refusions de faire le reste. Que pensez-vous de cette idée?
Le sénateur Tannas : Au bout du compte, s’ils veulent nous renvoyer deux projets de loi omnibus — l’un pour le budget, que nous ne pouvons pas toucher et qui doit être adopté selon un certain délai précis, et l’autre qui compte toutes sortes d’éléments —, nous pouvons prendre notre temps. Nous pouvons faire des amendements et prendre les mesures nécessaires.
Le sénateur Gignac : Si le gouvernement ne veut pas séparer le projet de loi, est-ce que nous pouvons réaliser une étude préalable uniquement sur les éléments que nous voulons analyser, soit les éléments financiers ou économiques? Est-ce que nous pouvons faire cela? Je crois que oui. La décision nous revient.
Le sénateur Tannas : Nous avons la possibilité de séparer un projet de loi et de le renvoyer devant la Chambre des communes, qui peut décider de ne pas l’accepter. C’est ce que je comprends. Dans le cadre de l’étude préalable, nous devrions pouvoir dire : « Pourquoi ne placeriez-vous pas ces éléments dans un projet de loi distinct, afin que nous puissions prendre notre temps pour les examiner? Si vous insistez pour que tout reste ensemble, nous allons devoir prendre le temps nécessaire pour examiner chacun des éléments du projet de loi. »
Si nous pouvons commencer par nos comportements et être proactifs, être un peu plus fermes et bien communiquer nos intentions, alors le problème sera peut-être réglé. Ce serait bien.
La sénatrice MacAdam : J’aimerais simplement proposer que le comité tienne une réunion à huis clos pour discuter d’une approche initiale relative à cet examen.
Le président : C’est une bonne idée.
[Français]
Cela conclut la réunion d’aujourd’hui. Je voudrais rappeler aux sénateurs et sénatrices que notre prochaine rencontre aura lieu le 24 septembre, à 9 heures, pour reprendre notre étude sur le Budget principal des dépenses pour l’exercice se terminant le 31 mars.
Je veux remercier tout le monde, et je m’en voudrais de ne pas remercier tout particulièrement notre greffière, Mme Aubé. C’est officiellement sa dernière réunion avec nous. Heureusement, nous pourrons la retrouver à d’autres comités. J’ai vu qu’on travaillera ensemble dès mardi au Comité mixte spécial sur la déclaration de situation de crise, donc on ne perd pas ses compétences, son savoir-faire et son doigté.
Merci beaucoup, Mireille. J’avais entendu beaucoup de bonnes choses à votre sujet avant d’occuper le poste de président et, depuis que nous travaillons ensemble, j’ai constaté que c’était tout à votre honneur et bien mérité. Je vous souhaite la meilleure des chances.
Notre nouvelle greffière est ici. Comme on dit : le roi est mort, vive le roi! Nous aurons une personne très compétente pour prendre la relève, donc merci beaucoup.
(La séance est levée.)