LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 7 février 2023
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les prévisions budgétaires du gouvernement en général et d’autres questions financières; et à huis clos, pour étudier le Budget principal des dépenses pour l’exercice se terminant le 31 mars 2023.
Le sénateur Éric Forest (vice-président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le vice-président : Bienvenue aux sénateurs et aux sénatrices ainsi qu’à tous les Canadiens qui nous regardent sur le site sencanada.ca.
[Traduction]
Je m’appelle Éric Forest, sénateur de la province du Québec et vice-président du Comité sénatorial des finances nationales.
[Français]
J’aimerais vous aviser que notre président a subi une intervention chirurgicale aux yeux à la mi-janvier. Je tenterai de le remplacer, avec plus d’efforts que de talent, mais rassurez-vous, je ferai de mon mieux.
[Traduction]
Vous avez une belle occasion de pratiquer votre français, puisque je m’exprimerai dans cette langue.
Je voudrais maintenant faire le tour de la table et demander à mes collègues de se présenter.
La sénatrice Pate : Merci. Je m’appelle Kim Pate, et je vis ici sur le territoire non cédé de la nation algonquine anishinabe.
[Français]
La sénatrice Galvez : Bonjour. Rosa Galvez, sénatrice indépendante du Québec.
Le sénateur Gignac : Clément Gignac, sénateur du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Duncan : Bonjour. Je m’appelle Patricia Duncan, sénatrice du Yukon. Je vous remercie.
La sénatrice Bovey : Je m’appelle Patricia Bovey, sénatrice du Manitoba.
Le sénateur Boehm : Peter Boehm, de l’Ontario.
Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.
[Français]
Le sénateur Cardozo : Bonjour. Je m’appelle Andrew Cardozo et je suis un sénateur de l’Ontario
[Traduction]
Le sénateur Dagenais : Je m’appelle Jean-Guy Dagenais et je viens du Québec.
[Français]
Le vice-président : Merci. Nous sommes accompagnés ce matin, comme toujours — ce qui m’aidera à faire mon travail et à tenir une bonne réunion —, de Mireille K. Aubé, greffière du comité, de Sylvain Fleury, analyste, et de Shaowei Pu. Nous sommes entre bonnes mains.
En vertu de notre ordre de renvoi général, nous avons le plaisir, comme toujours, d’accueillir M. Yves Giroux, directeur parlementaire du budget. M. Giroux est accompagné de Jason Jacques, directeur général, Analyse budgétaire et des coûts et dirigeant principal des finances.
Nous vous souhaitons la bienvenue et nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation. Il est toujours enrichissant de vous recevoir. Monsieur Giroux, votre témoignage nous aide toujours — et nous vous en remercions, au nom de tous les Canadiens et Canadiennes — à mettre l’accent sur les quatre grands principes de notre comité, qui sont la transparence, la responsabilité, la fiabilité et la prévisibilité.
[Traduction]
Nous entendrons maintenant votre allocution d’ouverture.
[Français]
Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Merci. Pour faire suite à vos remarques d’ouverture, je serai heureux de profiter de cette occasion pour pratiquer mon français.
Honorables sénateurs et sénatrices, nous vous remercions de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd’hui. Nous sommes heureux de pouvoir discuter avec vous de nos analyses dans le contexte de votre étude sur toute question concernant les prévisions budgétaires du gouvernement en général et d’autres questions financières.
Je suis accompagné aujourd’hui de Jason Jacques, directeur général, Analyse budgétaire et des coûts. Il est aussi celui qui garde les finances du bureau en ordre en tant que dirigeant principal des finances.
La loi confère au directeur parlementaire du budget le mandat de fournir des analyses indépendantes et non partisanes afin d’aider les parlementaires à remplir leur rôle constitutionnel, qui consiste à demander des comptes au gouvernement. Conformément à ce mandat, mon bureau publie, en temps utile, les analyses du Budget principal des dépenses et des budgets supplémentaires des dépenses du gouvernement. Il examine, dans ses rapports, les autorisations budgétaires demandées pour effectuer les dépenses annoncées dans le budget fédéral et ailleurs, en mettant en relief les problèmes notables et les renseignements manquants, afin d’aider les parlementaires et les membres de votre comité à étudier les projets de loi de crédits du gouvernement.
Les rapports financiers ne sont toujours pas présentés en temps opportun pour que les parlementaires et le public puissent examiner les projets de dépenses du gouvernement. Cette année, les Comptes publics du Canada ont été déposés le 27 octobre, soit sept mois après la clôture de l’exercice. Le Canada ne respecte toujours pas la norme de pratique avancée, qui est énoncée dans les directives du Fonds monétaire international, en matière de production de rapports financiers. Selon cette norme, les gouvernements devraient publier leurs états financiers annuels dans un délai de six mois. Les parlementaires pourraient envisager de demander que le gouvernement publie les comptes publics et les Rapports sur les résultats ministériels dans un délai maximal de six mois après la clôture de l’exercice.
[Traduction]
Une fois que le Budget supplémentaire des dépenses (C) 2022-2023 aura été déposé, nous travaillerons avec diligence pour vous en remettre notre analyse le plus rapidement possible.
En plus de son travail sur le budget, mon bureau continuera de préparer des rapports et des analyses sur l’état des finances et de l’économie du pays. Le mois prochain, mon bureau prévoit publier ses Perspectives économiques et financières, un rapport qui fournit des prévisions de référence pour aider les parlementaires à évaluer les résultats économiques et financiers potentiels d’après les paramètres de stratégie actuels. Nos dernières perspectives ont été publiées en octobre.
Notre prochain rapport présentera des prévisions mises à jour afin de tenir compte de la hausse des taux d’intérêt et d’autres développements récents. Mon bureau compte également publier une estimation indépendante du coût du programme des F-35.
Bien que la date de publication de notre analyse dépende du genre de renseignements fournis par la Défense nationale et du moment auquel le ministère nous les remet, nous prévoyons publier notre rapport au printemps.
M. Jacques et moi-même répondrons avec plaisir à vos questions sur notre analyse du budget ou d’autres travaux du directeur parlementaire du budget. Je vous remercie.
Le vice-président : Nous vous remercions beaucoup de votre allocution.
[Français]
Nous allons maintenant passer à la période des questions. J’aimerais rappeler aux sénateurs qu’ils disposent d’un maximum de cinq minutes pour la première ronde de questions. Si le temps le permet, vous disposerez d’un maximum de trois minutes pour la deuxième ronde de questions. Je vous demande de poser vos questions directement à M. Giroux, et je demande à M. Giroux de répondre de façon succincte. La greffière m’avisera lorsque le temps sera écoulé.
Je rappelle aux sénateurs que la réunion se poursuivra à huis clos dès 10 h 30. Nous commençons cette période de questions avec le sénateur Gignac.
Le sénateur Gignac : Bienvenue, monsieur Giroux, et bienvenue à votre collègue. Merci de vous rendre disponible. Comme toujours, c’est un plaisir de vous retrouver.
J’ai deux questions. La première est de nature macroéconomique. Un budget sera présenté au cours des prochaines semaines. Vous avez l’habitude de mettre à jour votre scénario macroéconomique, qui est non partisan. C’est une source d’inspiration pour le comité, car il lui permet de voir si les hypothèses que la ministre va retenir tiennent la route. J’aimerais savoir à quel moment vous comptez déposer votre rapport. Doit-on prévoir des changements importants?
Je me souviens que la dernière fois que vous avez comparu devant le comité, vous étiez relativement optimiste à l’idée que l’on pouvait éviter une récession. Or, je remarque qu’hier, la Banque du Canada a publié un sondage des participants qui a montré que la majorité des économistes de Bay Street sont un peu plus nerveux et prévoient même une croissance négative pour cette année. Peut-être pourriez-vous préciser votre pensée? Par la suite, j’aurai une seconde question.
M. Giroux : Je vous remercie de votre question, sénateur. Je me souviens que, lors de notre dernière discussion au sujet des prévisions économiques, certains membres du comité avaient qualifié nos prévisions d’« optimistes ». Pour le moment, nous n’avons pas terminé notre analyse des prochaines prévisions économiques et budgétaires, mais si tout va comme prévu, nous les publierons dans la première semaine de mars.
Je n’ai pas encore les résultats préliminaires. Cependant, au cours des dernières semaines, nous avons vu certains indicateurs économiques qui laissent supposer qu’un atterrissage en douceur est encore possible et qu’une récession n’est pas inévitable. Il est donc encore possible de l’éviter.
D’ailleurs, le Fonds monétaire international prévoit que la plupart des économies de l’Union européenne éviteront une récession, à l’exception notable du Royaume-Uni. Cela nous porte à croire qu’il est toujours possible d’éviter une récession, malgré le fait que plusieurs économistes du secteur privé en anticipent une. Je vous donnerai plus de détails une fois que mes collègues et moi aurons terminé le travail nécessaire sur l’exposé de nos prévisions économiques et budgétaires.
Le sénateur Gignac : Selon les « règles du pouce » que vous avez publiées récemment, vous avez révisé le PIB à la baisse de 1 %. Chaque point de pourcentage du PIB révisé à la baisse représente de 5 à 7 milliards de dollars d’impact sur le déficit. Est-ce bien le cas?
M. Giroux : Oui.
Le sénateur Gignac : Voici ma seconde question. Il y aura aujourd’hui une rencontre entre les premiers ministres provinciaux et le premier ministre fédéral pour discuter des transferts en santé. Nous ne possédons pas de boule de cristal. Nous ne sommes pas non plus dans le secret des dieux pour savoir quelle sera l’offre qui sera présentée.
Cependant, j’aimerais comprendre comment le Comité sénatorial permanent des finances nationales pourrait être interpellé pour réviser l’offre qui sera faite aux provinces. Lorsque nous devons autoriser des crédits, nous le faisons, mais lorsque ce sont des lois de crédits qui sont déjà adoptées, il n’est pas nécessaire de le faire.
Or, d’après les rumeurs qui circulent, si je comprends bien, il y aurait deux volets. Le premier volet serait automatique en vertu des transferts en santé, et on n’aurait pas besoin de se prononcer, parce que la loi a déjà été adoptée. Le second volet porterait sur des négociations à la pièce avec chaque province. Dans ce cas, est-ce que les parlementaires auront à se prononcer, ou tout cela est-il prévu par une loi quelconque?
J’essaie de démêler les choses. Est-ce que les parlementaires devront se prononcer s’il y a des ententes bilatérales?
M. Giroux : Je dirais que peu importe la façon dont les transferts de fonds additionnels iront aux provinces, les parlementaires auront à se prononcer. Il y a deux scénarios possibles. Le premier, c’est une modification législative à la loi qui gouverne les transferts en matière de santé, les transferts étant déjà prévus par voie législative.
Cependant, si le gouvernement décide de les bonifier en modifiant cette loi, il s’agit d’une modification législative qui serait à considérer par les parlementaires. Cela peut aussi faire partie d’un projet de loi omnibus sur le budget ou encore, il peut s’agir d’une modification législative unique, donc d’un projet de loi. De plus, comme vous l’avez mentionné, si ce sont des ententes à la pièce, ces ententes pourraient augmenter les versements aux provinces par le biais de différents véhicules.
On a vu par le passé des fiducies dont les montants sont versés à la fin de l’année financière et dont les débours sont effectués au fil des ans. Cela exige aussi une modification législative. Il peut aussi y avoir une augmentation législative au crédit parlementaire voté à chacune des années, ce qui, encore une fois, exige de la transparence ou une révision par les parlementaires. Cela nous ramène au principe de base selon lequel aucune somme ne peut être déboursée sans l’approbation du Parlement, peu importe le véhicule utilisé.
Le sénateur Gignac : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Smith : Monsieur Giroux, en 2017, le gouvernement a apporté des réformes au processus budgétaire en modifiant le Règlement de la Chambre des communes. Comme vous le savez, ce règlement a expiré à la fin de la 42e législature.
D’après votre expérience, pensez-vous que le processus de réforme temporaire en matière de budget a accru la transparence? Le gouvernement devrait-il envisager de le rétablir?
M. Giroux : Les modifications apportées au Règlement ont contribué à améliorer la transparence en permettant de déposer le Budget principal des dépenses plus tard qu’il ne l’est normalement, ce qui, en théorie, aurait pu permettre d’y intégrer plus de postes budgétaires. Cependant, nous avons constaté que les budgets étaient toujours déposés plus tard et que les postes budgétaires ne figuraient pas tous dans le Budget supplémentaire des dépenses. Les réformes auraient pu contribuer à améliorer la transparence et faciliter votre travail de parlementaires, mais comme le gouvernement a décidé de déposer ses budgets plus tard, la mesure n’a pas eu l’effet escompté, soit celui d’inclure la plupart, voire la totalité, des postes budgétaires dans le Budget principal des dépenses pour que vous, à titre de parlementaires, puissiez plus facilement faire des rapprochements entre les deux documents.
Je pense que le gouvernement a encore amplement la possibilité de modifier le processus budgétaire pour que votre tâche ne soit peut-être pas plus facile, mais moins difficile parce que le budget est déposé suffisamment tôt pour que les fonctionnaires puissent inclure la plupart des postes budgétaires dans le Budget principal des dépenses. Vous pourriez ainsi examiner le budget et le Budget principal des dépenses et voir où et comment les initiatives du budget sont financées dans le Budget principal des dépenses.
À l’heure actuelle, le processus est complètement chamboulé. Nous pouvons voir le Budget principal des dépenses, mais il n’inclut pas les postes budgétaires.
Le sénateur Smith : Comment proposeriez-vous d’instaurer la discipline nécessaire alors? Existe-t-il une baguette magique à cette fin? Si c’est le cas, quelle est cette solution magique?
M. Giroux : Je ne pense pas que ce soit une affaire de magie. Il faut faire preuve de discipline et respecter les délais. On pourrait y parvenir en imposant, pour le budget, une période de dépôt fixe qui viendrait suffisamment tôt dans le processus pour que les fonctionnaires du ministère des Finances et du Secrétariat du Conseil du Trésor aient le temps d’inclure les postes budgétaires dans le Budget principal des dépenses.
Par exemple, le gouvernement pourrait présenter un budget en février et déposer le Budget principal des dépenses — je ne sais pas, il pourrait parler aux fonctionnaires du Secrétariat du Conseil du Trésor — le 1er avril. Cela permettrait d’inclure des initiatives du budget dans le Budget principal des dépenses pour que lorsqu’il est déposé et renvoyé à votre comité aux fins d’examen, vous voyiez que les postes budgétaires du budget se trouvent dans le Budget principal des dépenses. Ce dernier donnerait un portrait plus juste des plans de dépenses du gouvernement au lieu de présenter des informations parcellaires et très incomplètes.
Le sénateur Smith : Je ne veux pas critiquer le gouvernement et les hautes instances, mais qui ou quel groupe devrait prendre l’initiative pour que cela fonctionne? Est-ce la ministre des Finances? Qui prendrait l’initiative? C’est une discipline et un processus d’importance. Je ne cherche pas à cibler qui que ce soit au gouvernement, mais qui prendrait l’initiative?
M. Giroux : La ministre des Finances et le premier ministre ont la prérogative de fixer la date du dépôt du budget, alors que le Budget principal des dépenses relève de la présidente du Conseil du Trésor. Ce sont les trois principaux acteurs.
Le sénateur Smith : Les résultats ministériels, dont vous avez parlé, constituent le moyen par lequel le gouvernement tente d’obtenir des comptes des ministères et des organismes. Comme vous le savez pertinemment et comme vous l’avez indiqué dans vos rapports sur les budgets depuis plusieurs années, ces rapports sont souvent incomplets, en retard ou inexistants, comme vous l’avez souligné plus tôt. Dans les cas où ils sont publiés, on constate que de nombreux ministères ratent régulièrement leurs objectifs.
À votre avis, existe-t-il un autre moyen d’obtenir des résultats plus efficacement et plus rapidement?
M. Giroux : On peut le faire de bien des manières. Tout d’abord, les objectifs figurant dans les rapports sur les résultats ministériels sont établis en grande partie par les fonctionnaires eux-mêmes responsables de l’exécution des programmes, c’est-à-dire les sous-ministres adjoints, puis ils sont approuvés par les sous-ministres et les ministres. D’après mon expérience, toutefois, les ministres — et le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada — ne sont pas bien équipés pour remettre en question les objectifs établis par leurs propres fonctionnaires. Au bout du compte, donc, ce sont les fonctionnaires responsables de l’exécution des programmes qui établissent leurs propres objectifs, et ils fixent habituellement la barre pas trop haut pour que la tâche ne semble pas trop facile sans qu’elle soit trop difficile non plus. Les objectifs sont assez faciles à atteindre la plupart du temps. Pourtant, de leur propre aveu, les fonctionnaires n’atteignent pas leurs objectifs dans bien des cas.
Il y a un système qui ne fonctionne pas. Les personnes qui peuvent remettre les évaluations ou les objectifs en question ne sont pas très bien équipées ou n’ont pas les outils ou la volonté pour les remettre en question et veiller à ce que les objectifs soient suffisamment ambitieux pour avoir une incidence notable. Voilà où le bât blesse, à mon humble opinion.
Le sénateur Smith : Dans le cours normal des choses, donc, il y aurait des personnes chargées d’améliorer le système, d’éduquer les gens ou d’établir un processus pour atteindre les résultats nécessaires. Ici encore, les hautes instances gouvernementales et les ministères ont une occasion d’intervenir et d’élaborer des plans simples dans le cadre du processus. Tout est une question d’exécution. La réussite dépend de l’exécution et de la qualité des employés dont on dispose.
Le gouvernement est-il en mesure d’agir? Je ne prétends pas que la fonction publique n’est pas compétente. Ce n’est pas ce que je veux dire. Ce que je veux, c’est savoir comment on peut améliorer le système.
M. Giroux : Il est certainement possible d’améliorer les choses. Je serais curieux de voir ce que Passeport Canada dira sur ses réalisations dans son prochain Rapport sur les résultats ministériels. Je ne serais pas étonné que dans son prochain rapport, le ministère étale ses succès malgré le cafouillage observé au cours des derniers mois.
Je pense qu’on peut certainement renforcer le leadership pour améliorer la prestation de services à la population.
[Français]
Le sénateur Boehm : Bienvenue, monsieur Giroux et monsieur Jacques.
[Traduction]
Je vais poursuivre dans la même veine que mon collègue, le sénateur Gignac. Dans un récent numéro, l’Economist a fait référence à une « poly-crise » ou à une « poly-reprise », car une grande incertitude règne parmi les économistes, qui hésitent à dire si nous connaîtrons un atterrissage en douceur, une récession, ou une récession suivie d’un atterrissage en douceur ou l’inverse. On qualifie souvent l’économie de « science lugubre », et il semble qu’elle le soit avec toute cette incertitude.
La croissance est très lente. Les taux d’emploi augmentent. L’économie américaine se porte fort bien et celle de la Chine semble se rétablir avec l’assouplissement du confinement imposé en raison de la COVID. Les choses semblent bouger là-bas, mais une guerre est encore en cours et il y a des difficultés. Si l’économie ralentit aux États-Unis, cela aura évidemment des répercussions sur nous.
Aux jours les plus sombres de la pandémie de COVID, un certain nombre d’entre nous avons formé le Groupe d’action sénatorial pour la prospérité. Nous avons préparé un rapport. Nous avons beaucoup misé sur une rencontre avec vous et avec d’autres acteurs afin d’examiner divers éléments. C’est une question de points d’ancrage fiscaux ou au moins de garde-fous. Avec l’augmentation du ratio dette-PIB et d’après certaines de vos estimations antérieures, même une hausse de 1 % des taux d’intérêt pourrait alourdir de 10 milliards de dollars les frais de la dette publique. Comment envisagez-vous les développements futurs et qu’est-ce que le gouvernement devrait faire au regard de toutes les dépenses qui se profilent à l’horizon?
Je pense notamment aux discussions d’aujourd’hui en matière de santé.
M. Giroux : C’est une question qui mérite probablement une séance entière. Je m’efforcerai d’être bref.
Le gouvernement a décidé d’utiliser le ratio dette-PIB dégressif comme point d’ancrage fiscal. Cependant, il est soumis à des pressions considérables sur le plan social, bien entendu, devant également augmenter les dépenses ou les transferts dans les secteurs de la santé et de la défense, pour ne nommer que deux domaines importants. Il pourrait lui être difficile de maintenir le ratio dette-PIB à la baisse ou d’au moins le réduire à un rythme plus lent que prévu.
Cela pourrait également avoir pour effet d’accroître le ratio d’endettement, qui augmentera probablement si le gouvernement tient ses nombreuses promesses et est sous pression.
Je pense que le gouvernement devrait faire des choix clairs pour veiller à ce que le ratio dette-PIB continue de diminuer, car, comme certains l’ont fait remarquer, le ratio d’endettement ne constitue pas le meilleur point d’ancrage fiscal. Le ratio d’endettement correspond à la part des revenus réservée au service de la dette, et le dénominateur de ce ratio, ce sont les revenus fiscaux.
Il est donc assez facile — assez facile — et possible de faire baisser le ratio d’endettement en augmentant simplement les taux d’intérêt, mais cela ne donne pas un bon portrait de l’économie et du poids que le gouvernement impose à l’économie.
Je pense que pour que les finances restent viables, il faudrait chercher en priorité à réduire le ratio dette-PIB pour que les finances publiques soient prêtes à affronter la prochaine crise, quelle qu’elle soit et peut importe quand elle survient.
Le sénateur Boehm : Je vous remercie.
Pensez-vous que le gouvernement — et je dis « les gouvernements », en fait, afin d’inclure les gouvernements provinciaux — pourraient envisager de nouvelles sources de revenus? Certains se demandent s’il faudrait augmenter la TPS pour accroître les revenus, même si cette solution est impopulaire sur le plan politique. Avez-vous réfléchi à cette possibilité?
M. Giroux : C’est une décision stratégique que les gouvernements devront prendre. Le gouvernement fédéral a déjà pris des décisions semblables, par exemple, en annonçant une taxe sur le rachat d’actions quand des sociétés rachètent leurs propres actions. Nous avons estimé que cette mesure pourrait générer quelque 3 milliards de dollars sur cinq ans, si je ne me trompe. C’est une solution. Il y a aussi la taxe sur les articles de luxe.
Si les gouvernements voulaient augmenter les taxes, ils pourraient le faire. La taxe de vente est une possibilité, mais il y en a d’autres, comme l’application plus rigoureuse et plus ciblée des taxes actuelles, de la Loi sur l’impôt sur le revenu et la Loi sur la taxe d’accise.
Nous avons entendu dans les médias que l’ARC juge qu’il ne vaut pas la peine de chercher à récupérer les 15 milliards de dollars qui auraient été versés en trop, ce qui est quelque peu déconcertant vu le déficit qu’accuse le gouvernement. Je pense qu’il conviendrait de mieux appliquer les lois actuelles, mais les gouvernements ont également la possibilité d’augmenter les taxes s’ils veulent générer plus de revenus. Cela ne va toutefois pas sans quelques inconvénients, bien entendu.
Le sénateur Boehm : Je vous remercie.
La sénatrice Duncan : Je vous remercie de nouveau, monsieur Giroux et monsieur Jacques, de témoigner devant nous. Je suis ravie de vous revoir.
Les lettres de mandat ministérielles parlent d’une « approche pangouvernementale », un terme qu’on entend souvent.
Lors de la première séance que nous avons tenue sur la question l’an dernier avec la vérificatrice générale, cette dernière a comparu devant nous et a notamment soulevé la préoccupation suivante :
[...] nos audits ont également montré que le gouvernement doit agir pour résoudre les problèmes persistants et connus, tels que le manque de collaboration entre les ministères [...]
À titre de parlementaires et de membres du comité, nous peinons à obliger le gouvernement à rendre des comptes aux Canadiens en respectant les valeurs de prévisibilité, de responsabilité, de transparence et d’ouverture. En examinant les documents qui nous sont fournis et qui sont du domaine public, je vois par exemple que l’alinéa b) prévoit un certain nombre de postes finançant le même programme. Il est difficile de veiller à ce que les fonds publics soient dépensés dans des programmes semblables et pourtant légèrement différents. Cela brouille les cartes pour les bénéficiaires de fonds publics alors qu’ils cherchent à savoir à qui s’adresser pour présenter une demande de projet, puisque bien des choses dépendent de la demande. Il peut y avoir de nombreux doublons. Il faut toutefois admettre qu’une solution unique ne peut convenir à tous au pays.
Votre bureau a-t-il effectué dans le passé — ou pourrait-il réaliser dans l’avenir — une analyse pour déterminer combien l’absence de collaboration entre les ministères coûte au gouvernement fédéral?
M. Giroux : Vous avez d’excellentes idées de rapports pour mon bureau, sénatrice. Ici encore, c’est un sujet auquel nous pourrions accorder une séance entière.
Par le passé, nous avons signalé la présence de doublons. Par exemple, des Budgets supplémentaires des dépenses prévoyaient un montant substantiel pour les tests rapides dans deux projets de loi ou lois de crédits différents, si je ne m’abuse. Nous avons souligné ce problème à l’intention des parlementaires. Nous pourrions réaliser des économies en éliminant les doublons, mais comme le gouvernement fédéral est une entreprise qui brasse plus de 400 milliards de dollars par année, la tâche pourrait s’avérer titanesque.
La sénatrice Duncan : Prenons un exemple d’actualité aujourd’hui : le financement des soins de santé. Le Canada est la 14e province à la table en ce qui concerne le financement des soins de santé et la responsabilité fiduciaire des Premières Nations et des Inuits. Serait-il possible pour votre bureau ou pour vous de procéder à un examen pour déterminer où ce financement est adéquat dans les provinces, où il n’est pas entièrement dépensé et où il y a des manques dans les fonds que le gouvernement fédéral verse dans le domaine de la santé des Premières Nations en comparaison des provinces?
M. Giroux : Ce serait certainement possible. La qualité de ce travail dépendrait toutefois beaucoup de l’information que nous obtiendrions ou que Services aux Autochtones et les provinces seraient disposés à nous remettre. Dans le cadre de ce travail, il serait difficile d’obtenir les renseignements pertinents des divers ordres de gouvernement. Je suis certain que ces renseignements existent. Si ce n’est pas le cas, ce serait un échec lamentable de la part des ministères, mais je suis certain qu’ils existent. Il n’y en a peut-être pas autant que nous le voudrions, mais il existe certainement une importante somme de données pour entreprendre ce genre de travail.
La sénatrice Duncan : Qui pourrait demander cette étude? Les Premières Nations pourraient-elles la réclamer elles-mêmes?
M. Giroux : Un comité de la Chambre ou du Sénat pourrait la demander.
La sénatrice Duncan : Je vous remercie beaucoup.
[Français]
Le vice-président : Vous êtes concise; il vous reste encore un peu de temps, sénatrice Duncan, mais on attendra la deuxième ronde.
Le sénateur Dagenais : Monsieur Giroux, c’est toujours un plaisir de vous recevoir. Ma première question concerne la Banque du Canada. Après avoir avancé, à de très faible taux d’intérêt, des milliards de dollars au gouvernement pour faire face à la crise économique provoquée par la pandémie, la banque a fait son premier déficit en 88 ans. On parle d’un déficit d’environ 520 millions de dollars dans le rouge, alors que la Banque du Canada a toujours présenté des bilans positifs. J’imagine qu’il faudra des années pour combler le déficit.
Comment interprétez-vous l’impact de cette situation sur les finances du gouvernement? Est-ce que le gouvernement devra agir pour que la situation de la banque redevienne normale? Si oui, quel sera le coût?
M. Giroux : C’est une très bonne question. C’est une situation à laquelle d’autres pays ont été confrontés, des pays dont les banques centrales sont intervenues de la même manière que la Banque du Canada. Par exemple, la Banque centrale de l’Australie est intervenue massivement pour acheter des obligations gouvernementales. Le fait que la banque encourt des déficits est une situation sans précédent, évidemment, mais c’était hautement prévisible.
La Banque du Canada nous vend des billets de banque sur lesquels c’est écrit « 20 $ », « 50 $ », ou « 100 $ », mais le coût de production est minime; il est de quelques cents par billet. C’est en bonne partie la source de ses revenus et de ses profits, en plus des opérations sur les marchés de change. Ce qui s’est passé durant les dernières années, c’est que la banque a acheté massivement des obligations des gouvernements alors que les taux d’intérêt étaient très bas. La Banque du Canada a fait cela pour maintenir la liquidité des marchés financiers et pour s’assurer que les taux d’intérêt restent bas pendant une période de crise. Avec la remontée des taux d’intérêt, la Banque du Canada se retrouve avec des obligations qui rapportent de 1 % à 1,5 %, mais elle doit elle-même payer un intérêt de 4,5 % sur les dépôts que font les institutions financières. Elle reçoit donc peu de revenus, mais elle paie beaucoup d’intérêt, ce qui génère des déficits.
Au fur et à mesure que les obligations qu’elle détient seront remboursées ou viendront à échéance, les choses vont s’équilibrer. Puisque la Banque du Canada est incluse dans le périmètre comptable du gouvernement du Canada, lorsqu’il y a des profits à la banque, cela favorise le gouvernement. C’est le cas depuis la création de la Banque du Canada. Lorsqu’il y a des déficits à la banque, cela affecte négativement le déficit du gouvernement.
Cela dit, c’est une situation temporaire. Le gouvernement peut modifier la loi pour permettre à la Banque du Canada d’avoir des déficits et pour les effacer au fur et à mesure que la banque retournera à une situation de profit, ce qui devrait être le cas si la banque n’est pas appelée à intervenir encore une fois sur les marchés financiers en raison d’une crise, par exemple. Cela devrait se résorber au fil des prochaines années. Ce n’est pas quelque chose qui m’inquiète comme directeur parlementaire du budget. C’est une conséquence logique des interventions massives de la banque et cela ne reflète pas du tout une mauvaise gestion de la Banque du Canada. C’est malheureusement la conséquence de gestes qui étaient nécessaires à l’époque.
Le sénateur Dagenais : J’aimerais discuter de l’immigration et des demandeurs d’asile. Ils engendrent des dépenses substantielles pour le gouvernement, qui continue de dire qu’on va en accueillir davantage. D’ailleurs, je pense que c’est le maire de la Ville de New York qui a décidé de payer le taxi et l’autobus aux demandeurs d’asile pour qu’ils arrivent plus vite au Canada. Il faut s’attendre à en avoir de plus en plus.
Dans ces dépenses, il faut aussi tenir compte des attentes de remboursement des provinces, car elles doivent être remboursées, surtout le Québec à cause du chemin Roxham. À l’heure actuelle, le gouvernement fédéral n’est pas pressé d’effectuer ces remboursements. Avec les documents que vous recevez, avez-vous une vision financière des dépenses du gouvernement pour traiter les dossiers d’immigration?
M. Giroux : Il y a deux aspects à ma réponse à ce sujet. Vous parlez probablement des migrants qui entrent au pays par le chemin Roxham.
Le sénateur Dagenais : Le trou béant dans la frontière, effectivement.
M. Giroux : En 2018 ou 2019, on a fait une étude sur les coûts pour les provinces, quand c’était également un problème. Je ne me rappelle pas les chiffres, mais on avait estimé les coûts engendrés pour les provinces. À cette époque, c’était surtout le Québec et, dans une moindre mesure, le Manitoba. On n’a pas mis cette étude à jour, mais on peut supposer que les coûts sont sensiblement les mêmes.
L’autre aspect de ma réponse, c’est qu’on est dans un processus visant à estimer combien de demandes Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada reçoit ou combien il en coûte pour traiter certains types de demandes d’immigration. Pour l’instant, on a mis l’accent sur les catégories économiques, et pas sur les réfugiés. Est-ce que les retards — qui semblent systématiques à ce ministère — sont attribuables à un manque de ressources ou à un manque de productivité?
Cependant, lorsqu’on fait des demandes de renseignement au ministère, on nous dit que les coûts engendrés avant la pandémie — pour avoir une idée de la situation prépandémique et savoir combien cela coûtait à l’époque pour traiter les demandes d’immigration pour les catégories économiques —, on nous dit que c’est un secret du Cabinet. On va tenter d’avoir un peu plus de renseignements à cet égard, parce que cela ne devrait pas être un secret, mais on fait face à des réticences dans certains ministères pour ce qui est de partager des renseignements qui devraient être assez faciles à obtenir.
Le sénateur Dagenais : Je suis juste surpris par le mot « secret ».
M. Giroux : Moi aussi.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : Je trouve toujours nos rencontres instructives et intéressantes.
Je veux poursuivre sur le sujet abordé par la sénatrice Duncan, en examinant la question sous un autre angle. Je crois comprendre que sa question portait sur les dépenses en double entre les ministères.
À mon avis, il pourrait y avoir moins de dépenses s’il y avait davantage de collaboration. De trop nombreux ministères sont compartimentés, alors que le travail effectué dans un ministère pourrait avoir une incidence positive sur celui fait dans un autre. Je parlerai particulièrement de Patrimoine canadien.
Les recherches que j’ai menées au fil des ans ont prouvé que les gens qui fréquentent des organismes artistiques vivent deux ans de plus, coûtent moins cher au système de santé, obtiennent leur congé de l’hôpital plus rapidement après une chirurgie non urgente, s’absentent moins du travail, et la liste des avantages ne s’arrête pas là. Nous savons en outre que la participation des jeunes à des programmes extra-scolaires offerts par des organismes créatifs, qu’il s’agisse de théâtre, de danse ou d’une autre forme d’art, a un effet bénéfique substantiel sur les taux de criminalité et réduit les taux de récidive chez ces jeunes. Je pourrais énumérer encore d’autres avantages. Je m’intéresse à la question depuis toujours. Je peux continuer et donner de nombreux autres exemples.
Quand s’intéressera-t-on à l’approche holistique du gouvernement à l’égard d’activités qui, en fait, pourraient réduire les besoins et des crises dans la société?
M. Giroux : C’est une excellente question, sénatrice, mais je n’ai pas de réponse facile. Je ferais toutefois remarquer que dans les rapports sur les résultats ministériels ou les plans ministériels, l’accent est souvent mis sur les sommes dépensées et les fonctionnaires embauchés. Les résultats sont souvent présentés en fonction des millions ou des centaines de millions dépensés. Nous savons qu’il est très souvent nécessaire d’embaucher des fonctionnaires ou de dépenser de l’argent pour exécuter les programmes, mais les choses ne s’arrêtent pas là. Les ministères ont encore du travail à faire pour réfléchir à ce qu’ils veulent accomplir. Veulent-ils dépenser ou obtenir des résultats grâce à ces dépenses? Quand les fonctionnaires, les sous-ministres et les ministres réfléchissent à propos des programmes, c’est un excellent point de départ.
Nous voyons encore le gouvernement annoncer qu’il investira des millions pour faire ceci ou cela, mais quel sera le résultat?
Je vais revenir à la question des passeports. Le gouvernement a engagé plusieurs centaines de fonctionnaires. D’accord, mais les gens veulent savoir quand ils obtiendront leur foutu passeport. C’est le résultat que nous voulons obtenir.
C’est une chose de s’intéresser aux mesures, mais les résultats ne sont toujours pas au centre des préoccupations des gens quand ils réfléchissent aux programmes du gouvernement.
La sénatrice Bovey : À votre avis, quel rôle pouvez-vous jouer à titre de directeur parlementaire du budget pour aider ou encourager les ministères à évaluer les résultats? Les résultats sont primordiaux. Si j’ai pu le constater bien avant d’être nommée au Sénat, je ne comprends pas pourquoi cela échappe aux ministères compartimentés.
M. Giroux : Je peux vous fournir de l’information et une analyse pour que vous réclamiez des comptes du gouvernement. Je peux témoigner devant des comités comme le vôtre et dire ce que je pense et perdre ainsi les deux ou trois amis qu’il me reste encore à la fonction publique, même si je pense les avoir perdus il y a longtemps. Je peux vous aider à réclamer des comptes au gouvernement, mais je ne peux agir seul. Il faut avoir la volonté de recevoir ces informations et d’agir en conséquence.
La sénatrice Bovey : Si les gens décident de sortir de leurs compartiments, je pense qu’il est possible de réaliser des économies sociétales et monétaires.
La sénatrice Pate : Je vous remercie beaucoup, monsieur Giroux et monsieur Jacques, d’accomplir tout ce travail et de toujours témoigner devant vous afin de nous prodiguer des conseils extrêmement utiles.
Votre bureau effectue l’analyse indépendante de l’état des finances nationales, des budgets du gouvernement et de l’économie canadienne. Pour que ce soit possible, comme vous l’avez indiqué, vous devez recevoir des renseignements justes et à jour de la part des nombreux ministères et organismes gouvernementaux.
Avez-vous suffisamment de ressources pour le faire? De plus — je pense que vous avez déjà répondu à cette question, mais je voudrais vous offrir l’occasion de nous en dire plus —, recevez-vous les renseignements dont vous avez besoin en temps opportun avec tous les détails nécessaires, ou devez-vous réclamer d’autres renseignements et de meilleures données pour effectuer des enquêtes plus exhaustives et publier des rapports plus complets sur les finances nationales, pas seulement pour nous, mais également pour rendre l’information publique à l’intention de tous les parlementaires et de la population?
M. Giroux : Merci. Les ressources dont je dispose sont suffisantes pour m’acquitter de ma mission. Pourrais-je faire plus avec plus de ressources? Peut-être, mais j’estime que le bureau a la taille idéale pour à la fois répondre à la plupart des demandes et posséder l’agilité nécessaire pour le faire en temps voulu. Les ressources sont optimales.
La qualité de l’accès à l’information varie selon le ministère. Certains offrent une excellente collaboration, comme les Finances et la Défense nationale, mais d’autres fournissent l’information beaucoup plus difficilement.
À une question du sénateur Dagenais, j’ai répondu qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada avait prétexté le secret des coûts de traitement des demandes d’immigration par le passé, des coûts que j’estime devoir être publics. Ce n’est pas une donnée confidentielle du Cabinet. Ce n’est pas parce que le Cabinet discute d’une question qu’il faut la tenir pour secrète alors que, par ailleurs, elle est publiquement accessible.
Parfois, des ministères font preuve de résistance. Par exemple, pendant l’étude sur le projet de loi C-13 sur les langues officielles, nous avons reçu trois lettres de sous-ministres qui nous priaient de bien vouloir cesser de courir après les renseignements que nous leur demandions, l’information n’étant pas publique. Le tapage que nous avons fait ensuite nous a valu des appels des mêmes, qui nous demandaient de les appeler avant de faire du bruit. Je leur ai répondu qu’après m’avoir écrit que je n’avais pas accès à cette information, ils voulaient maintenant que je les appelle pour leur demander s’ils voulaient que je parte. Il subsiste donc des foyers de non-excellence.
Enfin, je termine sur l’Agence du revenu du Canada, auprès de qui nous avons voulu nous renseigner, en novembre, sur les sociétés de placement immobilier. Rien de bien compliqué, d’après moi, mais, chaque fois, nous obtenons des renseignements incomplets. Le commissaire du revenu doit soumettre les renseignements agrégés d’ordre fiscal à un contrôle de sécurité avant de nous les envoyer. Venant d’une agence qui a affirmé au comité de la Chambre qu’il n’était pas rentable d’enquêter sur un éventuel excédent de dépenses de 15 milliards de dollars dans des mesures de secours contre la pandémie, mais qui prétend bien employer son temps à examiner minutieusement nos demandes d’information, c’est révélateur des priorités de certaines institutions.
La sénatrice Pate : Ça nous oriente sur une piste, mais de quelles autres données auriez-vous besoin, en quoi pourrions-nous vous être utiles? Que pourrait recommander notre comité pour vous aider à mieux suivre et obtenir l’information dont vous avez besoin pour nous informer en retour et nous brosser un tableau plus complet de la situation financière du pays?
M. Giroux : Pour exaucer quelques-uns de mes souhaits, m’offrir d’avance des cadeaux de Noël, j’opterais peut-être pour des modifications de certaines lois pour que l’Agence du revenu cesse de prétexter la protection des renseignements confidentiels du contribuable. Par exemple, l’information que nous avons demandée sur les sociétés de placement immobilier ne concerne pas une de ces sociétés en particulier.
Par exemple, quand nous avons voulu connaître la proportion de ces sociétés qui étaient basées à l’étranger, pas leurs noms, elle a prétexté, pour retarder la communication des renseignements demandés, que nous pourrions en deviner les noms. Des ministères invoquent souvent le prétexte du secret du Cabinet, mais le fait de déposer et de citer un article du Globe and Mail pendant une réunion du Cabinet n’en fait pas un secret. Ce n’est pas un motif pour en empêcher la communication.
Je ne crois pas que ça soit attribuable aux échelons supérieurs, mais, dans certains ministères, à certains niveaux de la hiérarchie, on ne comprend toujours pas. Des modifications de certaines lois nous feraient accéder à des renseignements, même s’ils pouvaient être des renseignements confidentiels de contribuables ou du Cabinet. Je rêve encore et je le raconte à une oreille peut-être généreuse.
[Français]
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup, monsieur Giroux et monsieur Jacques, d’être avec nous aujourd’hui et de répondre à nos questions.
[Traduction]
J’ai deux questions, et cinq minutes à ma disposition. Répartissez donc les réponses à votre gré. Il faut notamment tenir compte du cycle financier et de la modification des lois sur les finances de l’État, d’une part, et de la situation économique et des perspectives économiques, d’autre part.
Conformément à votre rôle et à votre mandat de promotion de la transparence financière, vous avez recommandé d’envisager de modifier la Loi sur la gestion des finances publiques, en proposant notamment de déplacer la date obligatoire de publication des comptes publics de trois mois, de décembre à septembre; d’exiger la publication des documents correspondants qui en résultent au plus tard le 30 septembre; puis en préconisant une troisième mesure.
Pour faire suite à la question de la sénatrice Pate — vous demandiez des cadeaux —, qu’arrive-t-il aux modifications que vous avez préconisées? Si elles n’ont pas abouti, comment faire pour que la demande en ce sens soit plus impérative? Aujourd’hui, vous avez usé de termes frappants, comme « système détraqué », « processus sens dessus dessous » qui semblent signaler la nécessité d’intervenir. C’est ma première question.
La deuxième est sur la situation économique. Nous discutons d’indicateurs de rendement, mais, pour fixer un objectif à ces indicateurs, il faut aussi connaître les causes. Actuellement, l’inflation et la récession nous inquiètent. Certains rejettent les mesures prises par la Banque du Canada. Les perspectives économiques mondiales incriminent notamment le coût de la vie et la rupture des chaînes d’approvisionnement. Mais il faut ajouter aussi les catastrophes naturelles, l’inadaptation au changement climatique ou le fait de ne pas l’atténuer et l’érosion du tissu social, particulièrement en ce qui concerne la santé publique. Le Canada devrait établir une liste de priorités. Plutôt que venir discuter ici de tous les sujets à la fois, nous pourrions privilégier une maîtrise plus efficace de la récession et de l’inflation, ici même, dans notre pays. Merci.
M. Giroux : Merci. Je regrette mes rudes propos, mais, comme je n’ai lancé aucun juron, je considère que je m’en tire pas mal.
M. Jacques répondra à votre première question.
Jason Jacques, directeur général, Analyse budgétaire et des coûts et dirigeant principal des finances, Bureau du directeur parlementaire du budget : Au mieux de mes connaissances, aucun projet de modification législative n’a été déposé. Malgré sa grande perspicacité, M. Giroux n’est ni un député élu ni un sénateur nommé, ce qui l’empêche de déposer un projet de loi sur ces questions.
À nos yeux, et pour revenir à une observation du sénateur Smith, le système manque nettement de discipline en ce qui concerne la date et le dépôt des comptes publics. L’automne dernier, le directeur des services comptables de la fonction publique a dit qu’il était tout à fait possible d’en devancer la date du dépôt. Il avait déjà déterminé la possibilité de le faire fin septembre, début octobre, mais, cette fois-là encore, les comptes ont été déposés six semaines plus tard. Le gouvernement et la fonction publique, actuellement, sont simplement passés à autre chose. Voilà qui est révélateur de la nécessité d’une discipline imposée de l’extérieur. Ce sera soit des modifications législatives déposées par quelqu’un, puis débattues, soit des modifications d’ordres permanents. Sinon, M. Giroux ne l’aurait pas recommandé.
M. Giroux : En réponse à votre deuxième question, sur la situation économique et une fiche d’information sur les priorités souhaitables, le gouvernement dispose déjà des moyens pour expliquer ses priorités. Le discours du Trône est habituellement l’énoncé de ses priorités, non seulement pour la croissance économique, mais, également, pour la cohésion sociale et les problèmes qu’il estime importants. Les prévisions budgétaires sont également le document où il précise ce qu’il fera pour agir sur ces priorités.
Des prévisions budgétaires axées sur des domaines précis exposent les priorités du gouvernement. L’absence d’éléments particuliers dans ces documents, le discours du Trône et le budget, signifie que le gouvernement ne les considère pas comme des priorités. C’est une bonne idée que le gouvernement fasse le point sur ses progrès dans l’atteinte de ces priorités. Le rapport sur les résultats ministériels devrait coller à ces priorités, mais je ne crois pas que les ministères établissent de manière brillante le rapport entre tel indicateur et le discours du Trône ou le budget, qui sont des priorités du gouvernement.
Ma réponse est peut-être touffue et incomplète, mais il faut comprendre que le sujet est très complexe.
[Français]
Le sénateur Cardozo : Merci, monsieur Giroux et monsieur Jacques, de votre présence ici.
[Traduction]
Permettez que je donne suite aux questions du sénateur Gignac et de certains de ses collègues sur l’accord en matière de santé. Que prendrez-vous en considération, compte tenu des sommes considérables actuellement distribuées? Quels indices d’optimisation des ressources examinez-vous? Que devrions-nous examiner?
M. Giroux : Je me concentrerais d’abord sur les chiffres et leur incidence importante, le cas échéant, sur le profil d’évolution financière, le déficit de l’État, l’augmentation des surplus, la durée de l’accord et le versement conditionnel de la totalité ou de certaines de ces sommes aux provinces. Nous observerons toutes les conditions ou modalités de versement de l’argent, que ce soit sous le régime de lois, selon une formulation juridique, ou des mécanismes moins transparents, qui exigent moins de reddition de comptes, par exemple des fiducies, comme ça s’est vu dans le passé. Nous ne négligerons pas non plus l’instrument de mise en œuvre, les répercussions financières et les conditions qui couperaient le financement à des provinces.
Le sénateur Cardozo : Votre façon de faire est-elle de déterminer s’il est satisfait à ces conditions, vu que les dépenses seront celles des provinces?
M. Giroux : Pas habituellement. L’exercice relèverait davantage du vérificateur général et de ses homologues des provinces. Vu la singularité de l’accord sur la santé, nous pourrions examiner cet aspect, selon la nature des conditions. Elles pourraient être rigoureuses ou n’être que des déclarations d’intention. En cas d’accord, il faudra voir en quoi consistent ces conditions et examiner le détail des clauses.
Le sénateur Cardozo : Puisque vous évoquez le Bureau du vérificateur général, en quoi la responsabilité de votre bureau se distingue-t-elle de la sienne?
M. Giroux : On me pose souvent cette excellente question. Habituellement le vérificateur général audite dans le passé. L’argent a-t-il bien été dépensé, conformément aux règles, aux règlements et aux conditions énoncées? C’est rétrospectif.
Notre bureau regarde vers l’avenir. Combien telle chose coûtera-t-elle? Quel sera l’impact sur l’économie, un ministère, un groupe donné. Voilà pourquoi nous avons tendance à être prospectifs.
Le sénateur Cardozo : Je ne veux pas proférer d’impolitesse, mais vous êtes des chiens de garde. Qui est votre chien de garde? Qui vérifie la justesse de vos analyses ou examine le degré de précision de vos projections?
M. Giroux : Il n’y a pas de mal. Tout ce que nous faisons, tout notre travail est publié sur notre site Web, et nous le déposons dans les deux Chambres. Ils sont nombreux ceux qui, comme vous l’imaginez, peuvent, quand un de nos rapports ne leur donne pas satisfaction, le scruter en tous sens, à la recherche d’erreurs et d’incohérences. On nous en a déjà signalé. Nous les corrigeons.
Notre travail étant public, il peut servir à des fins de surveillance, à inspirer des questions des parlementaires, qui ne s’en privent pas, habituellement, pour nous contester, particulièrement à la Chambre des communes où les opinions peuvent se faire beaucoup plus partisanes, et les esprits, parfois, s’échauffer.
Le sénateur Cardozo : À l’opposé de la courtoisie de notre comité.
M. Giroux : Exactement, dans la Chambre du second examen objectif.
Le sénateur Cardozo : En effet.
Le gouvernement a soulevé la possibilité d’augmenter les taux d’immigration. Le sénateur Dagenais a relevé certains problèmes posés par le chemin Roxham et les réfugiés.
L’immigration fait-elle l’objet d’une analyse de rentabilité? Si nous l’augmentons, notamment pour des motifs économiques, avez-vous produit une telle analyse de sa rentabilité?
M. Giroux : Nous ne l’avons pas encore faite, mais nous l’envisageons, vu l’intention avouée d’augmenter sensiblement le taux d’immigration, les admissions, particulièrement d’immigrants de la catégorie économique.
L’opération est semée d’embûches. Il est très difficile d’évaluer les avantages de l’immigration accrue, qui comporte des paramètres mesurables, par exemple les impôts versés et l’apport au marché du travail, mais, également, un bon nombre d’incorporels, comme la vitalité, la diversité sociale et l’économie, et des avantages démographiques.
Il est difficile d’en évaluer complètement les avantages. C’est ce que j’essaie de dire.
[Français]
Le vice-président : Avant de passer à la deuxième ronde, j’aurais une question pour M. Giroux.
Si on prend l’exemple du Budget supplémentaire des dépenses (C) de l’an dernier, il a été adopté le 31 mars, soit la même journée que la fin de l’année fiscale. Étant donné les prévisions dans ce budget supplémentaire, les dépenses sont-elles déjà engagées, en supposant que nous les adopterons? Je me souviens que lors du Sommet du G7, on voulait acheter des véhicules. Pour faire ces achats, il faut placer des commandes. On place donc des commandes avant que les crédits soient adoptés? J’éprouve un certain malaise pour ce qui est du cycle budgétaire. Pour reprendre les arguments du sénateur Smith et de la sénatrice Galvez, il n’est pas normal que l’on engage des dépenses qui ne seront adoptées qu’à la dernière journée du budget.
M. Giroux : C’est une bonne question. Cela me ramène à un proverbe que disait souvent un de mes anciens patrons : si ce n’était pas de la dernière minute, rien ne serait jamais fait. Je vais laisser mon collègue Jason, qui tient les cordons de la bourse à notre bureau, répondre à votre question.
M. Jacques : Merci beaucoup pour la question. L’an dernier, l’argent a été dépensé avant que le Sénat donne son approbation au projet de loi. Cette situation est normale au gouvernement du Canada, où l’argent est retiré d’une poche pour le mettre dans une autre poche, avec l’idée qu’il pourrait y avoir une gestion de la trésorerie.
M. Giroux : C’est essentiellement de la gestion du risque de la part des ministères, qui ont effectivement déjà engagé les dépenses en espérant qu’elles seront approuvées par les législateurs. Si jamais elles ne l’étaient pas, ils se retrouveraient avec de gros problèmes.
Le vice-président : Ce ne serait pas normal dans toute autre administration. Dans mon ancienne vie, si j’avais géré la ville de cette façon, j’aurais eu de sérieux problèmes.
J’ai une dernière question très courte. Lorsqu’on élabore le Budget principal des dépenses, la direction de chaque ministère reçoit-elle des objectifs? À titre d’exemple, on pourrait dire que, cette année, on veut limiter l’augmentation à 1 % ou 2 % ou au coût de la vie. Des objectifs sont-ils transmis aux gestionnaires?
M. Giroux : Tout dépend du gouvernement en place, de ses directives et de ses priorités. Un ministre ou un gouvernement peut dire à ses fonctionnaires qu’on va se limiter à 1 % ou 0 %. Cela peut aussi varier d’un secteur à l’autre, mais, en général, c’est déterminé par le budget. Tout dépend des priorités du gouvernement.
Le vice-président : Nous allons entamer la deuxième ronde. Je vous invite à poser vos questions de façon succincte, et il en va de même pour vos réponses. Vous disposez de trois minutes. Il nous reste 25 minutes avant de passer à huis clos. Je compte donc sur votre diligence. Nous amorcerons cette deuxième ronde de questions avec le sénateur Gignac.
Le sénateur Gignac : Monsieur Giroux, nous savons que vous êtes indépendant en raison de votre statut. Habituellement, dans la préparation d’un budget, la ministre des Finances vous rencontre-t-elle ou le fait-elle plutôt par la suite?
M. Giroux : Ni l’un ni l’autre. Je n’ai aucun apport dans le budget. J’ai croisé la ministre des Finances une fois, quand nos témoignages se succédaient à un comité de la Chambre des communes.
Le sénateur Gignac : Il va sans dire que votre neutralité nous rassure.
Avec votre expérience, vous avez couvert plusieurs budgets. Dans la préparation des budgets, il est arrivé que certains ministres soient étiquetés comme étant très prudents; ils faisaient des réserves et utilisaient des scénarios économiques en deçà du consensus. Comment caractérisez-vous la façon dont la ministre travaille? Est-ce teinté de prudence ou a-t-on vu des changements avec le temps? À titre de comparaison pour mes collègues et moi, si je regarde les données du dernier énoncé économique de l’automne, on n’y retrouve pas les réserves de prudence qu’on a déjà vues avec les ministres des Finances précédents. Or, avec toute cette incertitude économique, recommanderiez-vous que la ministre réintroduise des réserves de prudence?
M. Giroux : Vous soulevez un bon point. Avant la mise à jour économique, on a entendu souvent de la part du gouvernement et de la ministre des Finances et vice-première ministre qu’ils se gardaient des munitions pour faire face à un ralentissement économique. Toutefois, j’ai dit publiquement, après l’énoncé économique, que le gouvernement ne s’était pas gardé beaucoup de munitions en ayant dépensé plus de la moitié de la marge de manœuvre dans un énoncé économique.
La façon de procéder dans la préparation du budget est-elle prudente? La réponse claire, c’est non. Le budget ne prévoit pas de réserves pour parer aux éventualités. Le gouvernement répondrait qu’il est prudent, parce qu’il présente un scénario pessimiste. Cependant, le fait de mentionner qu’un scénario pourrait être pire ne signifie pas qu’on fait preuve de prudence. Le gouvernement dépense facilement la marge de manœuvre générée par une activité économique et des rentrées fiscales plus élevées que prévu dans un énoncé économique. Il ne reste donc plus grand-chose dans le budget pour faire face à des dépenses imprévues ou à d’autres pressions, comme les requêtes des provinces pour des transferts en santé, l’aide substantielle à l’Ukraine ou l’augmentation des dépenses en matière de défense. On ne fait pas preuve de prudence dans les prévisions économiques et budgétaires.
Le sénateur Gignac : Vous seriez donc favorable au fait de revenir aux pratiques précédentes, où les gouvernements et les ministres des Finances disposaient de réserves pour assurer un équilibre financier?
M. Giroux : Ce serait une bonne pratique, mais le fait que le gouvernement ne le fait pas indique qu’il est satisfait d’avoir des déficits plus élevés que ce que l’on voyait avant la pandémie.
[Traduction]
Le sénateur Smith : Monsieur Giroux, en ce qui concerne l’urgence dans les ministères, nous avons discuté de plusieurs d’entre eux et de la discipline. Ça n’arrête pas de m’étonner. Le public est-il au courant? Le canal de communication est-il bloqué? Ici aussi, on ne manque pas d’excellents fonctionnaires. Là n’est pas la question. Elle concerne la coordination entre certains ministères et certains groupes. Vous avez parlé de discipline.
Comment instiller un sentiment positif d’urgence pour, de manière constructive, essayer d’améliorer le rendement des principaux ministères. Envisage-t-on de réunir le premier ministre, les ministres influents et des hauts fonctionnaires à la même table pour, après examen des avantages et des inconvénients, convenir de la nécessité de prendre des mesures pour élaborer un plan d’action? Le fait-on?
M. Giroux : Je l’ignore. Vous vous demandez si le public est au courant. Quelqu’un qui, récemment, aurait demandé un passeport, l’assurance‑emploi, la sécurité de la vieillesse, etc., saurait peut-être très bien que le niveau de service fourni aux Canadiens n’est pas celui qu’on attendrait d’une fonction publique figurant parmi les plus réputées au monde.
Le sénateur Smith : Vous avez tout de suite mentionné trois ou quatre domaines. Si vous en avez cinq, quels sont les deux dans lesquels il faut agir immédiatement?
M. Giroux : Je pense à l’assurance-emploi. Nous avons rarement vu un taux de chômage aussi faible, mais les demandeurs doivent pourtant attendre des semaines avant d’obtenir leurs chèques. Il faut vraiment brasser les choses ou apporter un changement au ministère.
Il y a également les passeports. La situation semble s’être améliorée, mais ce n’est toujours pas parfait. En ce qui a trait aux demandes d’accès à l’information, toute personne qui en présente une n’a d’autre choix que d’attendre le temps qu’il faudra.
Il y a des exemples d’excellence, mais aussi des exemples de, comment dire, nonchalance dans la fonction publique. On est débordé ou il y a quelque chose qui cloche. À défaut d’être dans la fonction publique, je ne peux malheureusement pas cerner les changements à apporter.
La sénatrice Pate : Vous avez parlé plus tôt de certains de vos rapports à venir, et je suis curieuse de savoir quels sont les autres rapports que vous avez mis à part celui sur les F-35 et les rapports habituels sur le programme financier du gouvernement.
Je suis également curieuse de savoir, à la lumière de ce que vous avez dit à propos du gouvernement qui se cache souvent derrière les lois sur la protection des renseignements personnels, si vous avez une idée de la façon dont nous pouvons obtenir un portrait plus complet, notamment quant à la façon dont les populations difficiles à joindre, en particulier les plus pauvres, sont desservies. Comment pouvons-nous évaluer cela? Vous avez dit que le gouvernement ne cherche pas à récupérer les milliards de dollars qui ont été payés en trop selon lui. Nous sommes nombreux à être moins préoccupés par les gens pauvres, mais nous ne sommes certainement pas du même avis pour ce qui est des entreprises qui en profitent massivement, ainsi que les provinces qui profitent d’une manne financière en récupérant des ressources auprès des personnes les plus pauvres au pays.
Avez-vous des recommandations concernant ce que nous pouvons faire pour vous aider à accomplir votre travail ainsi que d’autres amendements législatifs à proposer? Et encore une fois, quels sont les rapports que vous envisagez de produire mis à part ceux qui ont déjà été mentionnés?
M. Giroux : Merci, madame la sénatrice. J’ai parlé du rapport sur les F-35. Nous allons nous pencher là-dessus. Nous allons également examiner le système d’immigration, pour déterminer si le ministère a les ressources nécessaires pour s’occuper du volet économique. Nous ne savons pas à quel point nous allons réussir, puisque nous n’avons reçu qu’une partie de l’information, mais nous ferons de notre mieux avec ce que nous pouvons obtenir.
Nous allons faire notre rapport habituel sur les perspectives économiques et financières, examiner le Budget principal des dépenses et les budgets supplémentaires ainsi que préparer nos notes sur le budget. Il ne s’agit là que de quelques faits saillants. Nous allons voir quelles autres initiatives le gouvernement met en place.
À propos des modifications législatives possibles, je pense qu’accorder à mon bureau un accès aux renseignements fiscaux globaux contribuerait probablement à lever une partie du voile sur le secret et la lourdeur des processus que l’Agence du revenu du Canada doit habituellement suivre avant de faire parvenir l’information. Cela nous aiderait probablement à déterminer si on peut en faire plus pour lutter contre l’évasion fiscale, surtout lorsqu’il s’agit de particuliers fortunés et de multinationales, qui ne payent parfois que très peu d’impôts par rapport aux revenus qu’ils déclarent, ou qu’ils génèrent puisque ce n’est pas nécessairement déclaré.
[Français]
Le vice-président : J’invite maintenant la sénatrice Bovey à poser ses questions.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : Je n’ai pas de questions. Merci.
La sénatrice Duncan : Monsieur Giroux, monsieur Jacques, merci encore de comparaître devant nous.
Je veux revenir sur la question de la collaboration et de la coopération. Lorsqu’on reçoit les documents financiers, on voit qu’il y a des choses évidentes pour quiconque prend le temps de les lire. Pour donner un exemple tiré du Budget supplémentaire des dépenses (B), il y a des fonds pour les activités policières des Premières Nations et des Inuits, un poste distinct pour un programme policier des Premières Nations et des Inuits, et ensuite des transferts du ministère de la Sécurité publique à la Gendarmerie royale du Canada pour les services policiers communautaires des Premières Nations.
Encore une fois, il n’y a pas de solution qui convient à tout le monde au pays, ce qui signifie qu’il pourrait y avoir des raisons très logiques et importantes qui expliquent ces trois postes distincts pour financer différents programmes. Cela dit, lorsque des postes budgétaires évidents comme ceux-ci semblent être similaires, font-ils l’objet d’un examen par votre ministère? Vous sautent-ils aux yeux et font-ils l’objet d’une enquête en ce qui a trait à la coopération et à la collaboration?
M. Giroux : Ce n’est habituellement pas quelque chose que nous faisons à moins que les sommes soient nouvelles et importantes. Nous avons déjà signalé une situation dans laquelle il y avait deux mesures législatives distinctes pour financer le dépistage rapide. Il était question de centaines de millions, voire de milliards de dollars. Mais si nous nous penchions sur des domaines précis, comme les services policiers des Premières Nations, il faudrait peut-être prévoir des ressources importantes, utiliser un grand nombre d’analystes.
S’il n’y a pas de demande pour examiner tel ou tel domaine, c’est une chose à laquelle nous pourrions consacrer la majorité de notre temps, compte tenu de l’ampleur des activités gouvernementales et du nombre de domaines dans lesquels de nombreux ministères semblent intervenir en même temps.
La sénatrice Duncan : Cela m’a peut-être échappé dans nos échanges aujourd’hui, mais y a-t-il un moyen pour nous de recommander au gouvernement une collaboration et une coopération interministérielles? Mis à part les lettres de mandat pangouvernemental, comment pouvons-nous nous assurer que l’argent est dépensé dans le cadre d’une approche pangouvernementale? Avez-vous quelque chose à nous recommander?
M. Giroux : La façon facile serait de convoquer les fonctionnaires concernés dans ces ministères afin de leur demander comment ils collaborent. Je crois sincèrement que pour la plupart des domaines dans lesquels plusieurs ministères interviennent, on observerait qu’il y a un certain degré de collaboration interministérielle. Est-ce que ce serait optimal? Je ne suis pas convaincu.
Pour s’assurer d’obtenir des résultats optimaux, tiennent-ils pleinement compte du fait que tel ministère ou d’autres ministères interviennent également dans le même domaine? Je ne suis pas convaincu, car je n’ai pas étudié la question.
La sénatrice Duncan : Merci.
La sénatrice Galvez : Je suis devenue membre du comité il n’y a pas longtemps, et je ne sais pas si c’est une impression ou si c’est vrai, mais j’aimerais avoir votre avis.
La plupart du temps, nous nous concentrons sur les dépenses. Nous parlons souvent des dépenses dans le cycle budgétaire. Nous parlons toutefois rarement du PIB, des recettes, de l’évitement ou de l’évasion fiscale, de la réduction des subventions ou des redevances, ou de l’imposition des sociétés. Vous parlez de responsabilité et de viabilité budgétaires dans les finances publiques. Comment pouvons-nous en arriver là alors que nous nous concentrons uniquement sur les dépenses, que nous examinons peu les recettes?
Je suis certaine que vous consultez d’autres pays. Je parle à des parlementaires de nombreux autres pays, et ils n’ont pas le même système. Ils examinent les dépenses et les recettes à différentes occasions. Avez-vous des observations ou une opinion là-dessus?
M. Giroux : Je dirais, madame la sénatrice, que vous montrez bien qu’il n’est pas nécessaire d’être membre d’un comité depuis longtemps pour poser des questions pertinentes. Il est facile de se concentrer sur les dépenses, mais les recettes sont l’autre élément de l’équation. Il est sain de les examiner également pour demander des comptes au gouvernement et pour déterminer ce qu’il fait en vue de maximiser ses recettes au moyen des lois existantes, ainsi que pour poser des questions visant à savoir s’il y a d’autres sources de revenus qui pourraient donner des résultats sur le plan budgétaire ou économique et social.
C’est une question très pertinente, car les gouvernements, en général, se servent de plus en plus du régime fiscal depuis, je dirais, 20 ou 30 ans. Ils s’en servent pour atteindre des objectifs sociaux et économiques, pas seulement comme façon de générer des recettes. Les recettes servent également de plus en plus à atteindre des objectifs stratégiques.
C’est une question vraiment pertinente pour les comités et les parlementaires dans le cadre d’une étude.
La sénatrice Galvez : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Giroux, le fait qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada donne une classification secrète aux dépenses qu’il fait pour l’accueil des immigrants soulève instantanément des doutes dans ma tête; comptez sur moi pour continuer de creuser pour essayer d’obtenir plus d’information.
En ce qui a trait à la somme très discutable de 100 millions de dollars pour des contrats octroyés depuis 2015 à la firme McKinsey, avez-vous fait des demandes d’information et reçu des réponses pour savoir si cette information est classée secrète? Avez-vous l’intention de faire une analyse plus détaillée de ces contrats?
M. Giroux : Je n’ai pas posé de questions sur les rapports ou les contrats octroyés à la firme McKinsey. Je n’ai pas demandé à voir les contrats. Un comité de la Chambre des communes fait déjà un travail à ce sujet, donc pour éviter de dédoubler le travail, je n’ai pas posé ces questions. Je n’ai pas non plus reçu de demande pour avoir accès à ces contrats ou pour étudier la question. Si jamais un comité me demande de me pencher moi aussi sur ce sujet, je vais le faire. Cependant, pour l’instant, cela ne fait pas partie de mes plans, puisqu’il y a déjà beaucoup d’attention qui est consacrée à ce sujet.
Le sénateur Dagenais : J’ai une dernière question. Comme le sénateur Forest le mentionnait, souvent, l’argent est dépensé avant que nous ayons procédé à l’étude du budget; l’argent se dépense et l’étude a lieu après. Force est d’admettre que, parfois, l’exercice a été futile et illogique, parce qu’on dépense l’argent et que, après cela, on dit : « On voudrait que vous procédiez à l’étude de l’argent que nous avons dépensé », mais c’est déjà décidé. Eu égard aux délais pour ce qui est de déposer les documents pour ouvrir le dossier, est-ce qu’on fait les choses de cette façon volontairement ou est-ce plutôt en raison d’un manque de rigueur des fonctionnaires?
M. Giroux : C’est une bonne question. Selon moi, lorsqu’on demande l’autorisation de dépenser au Parlement, on devrait se garder une petite gêne et le faire avant la fin de l’année financière. On ne devrait pas attendre au 31 mars pour avoir les autorisations de dépenser de l’argent qu’on a déjà dépensé. Je comprends que, dans certaines situations, il y a une question de gestion de risque, des questions de santé ou des impératifs qui font en sorte qu’on doit dépenser l’argent rapidement. Cependant, cela ne devrait pas être une façon de faire régulière. C’est une bizarrerie du système d’allocation des crédits budgétaires qui fait en sorte qu’on peut se retrouver dans l’étrange situation où les crédits budgétaires — les derniers — sont déposés à la fin de février et sont finalement approuvés à la toute dernière minute. Idéalement, cela ne devrait pas se passer de cette façon.
[Traduction]
Le sénateur Cardozo : Je veux vous poser une question dans la même veine que les propos du sénateur Smith. Vous avez dit plus tôt que certains ministères et certains organismes sont meilleurs que d’autres. Qu’est-ce qui les rend meilleurs? Est-ce à cause d’administrateurs généraux particulièrement entêtés qui s’en fichent, ou est-ce plutôt attribuable à la culture de l’organisme?
M. Giroux : Je dirais que c’est probablement attribuable à la culture de l’organisme et à un manque de connaissances concernant le mandat du bureau. Nous envoyons une demande de renseignements au ministre, qui se retrouve ensuite entre les mains des sous-ministres, et même si notre demande cite l’article de la Loi sur le Parlement du Canada qui nous permet d’obtenir gratuitement et en temps opportun de l’information et qui nous donne le mandat d’étudier des choses précises, on nous traite comme une entité ordinaire externe. Lorsque l’information est accessible au public, oui, nous allons l’obtenir, autrement, n’y pensez même pas.
Je dirais qu’il y a une culture de nonchalance, où on ne prend pas le temps de vérifier s’il s’agit d’une entité parlementaire ou non. Si l’information est facilement accessible, on nous la transmet, autrement, c’est un secret. Il y aurait lieu de brasser les choses.
Le sénateur Cardozo : Les gens dans le système ne comprennent-ils vraiment pas le rôle du directeur parlementaire du budget?
M. Giroux : Je pense que c’est encore le cas à certains endroits dans le système même si le bureau existe depuis plus de 15 ans.
Le sénateur Cardozo : Pour donner suite aux propos du sénateur Smith, je pense qu’un comité sénatorial serait probablement mieux placé pour faire valoir ce point qu’un comité de la Chambre, tout simplement parce que dans un contexte de gouvernement minoritaire, les partis de l’opposition pourraient dire rapidement quelque chose du genre, et ce n’est pas moins légitime parce que c’est ainsi que la Chambre est composée. Je pense qu’il serait possible pour un comité sénatorial de faire cette demande en adoptant l’approche non partisane dont vous avez parlé plus tôt.
M. Giroux : Je dirais que ce n’est pas une question de culture, mais plutôt, dans certains cas, une aversion aiguë au risque. L’Agence du revenu du Canada est un bon exemple d’organisme qui veut éviter de divulguer quoi que ce soit qui pourrait lui nuire. Elle adopte une approche extrême en ayant le [Difficultés techniques] de tout ce qui se retrouve entre mes mains, ce qui est excessif selon moi, mais elle voit les choses autrement.
Le sénateur Cardozo : Merci beaucoup pour votre témoignage. Je le trouve très intéressant.
[Français]
Le vice-président : Je vais en profiter pour poser une dernière question au sujet de notre Loi sur l’impôt. À l’origine, lorsqu’elle a obtenu la sanction royale, elle devait être en vigueur pour une période ponctuelle. Depuis de nombreuses années, la loi a fait l’objet d’une addition de modifications et de nouvelles réglementations afin d’aller chercher d’autres champs d’imposition.
Selon moi, un système fiscal doit avoir trois qualités : il doit être équitable, c’est-à-dire qu’on doit s’assurer que chacun peut fournir un effort à la hauteur de ses ressources et de ses moyens; il doit être efficient, c’est-à-dire qu’il doit nous permettre d’assurer le service public que l’on souhaite offrir; il doit aussi aujourd’hui — et on le voit avec le problème de pénurie de main-d’œuvre — être un peu attractif. Sur une échelle mondiale, nous sommes dans une économie de plus en plus globale et il faut que notre système fiscal puisse être compétitif par rapport à nos voisins et à nos concurrents.
Ne serait-il pas temps de faire un grand chantier pour réviser le système fiscal?
M. Giroux : C’est une très bonne question. C’est une entreprise que j’accueillerais avec un grand enthousiasme si jamais un comité ou le gouvernement décidait de simplifier grandement le système fiscal, afin que des gens qui sont moyennement au fait des choses puissent notamment remplir eux-mêmes leur déclaration de revenus sans avoir peur de faire une grosse erreur. C’est la même chose pour les entreprises et les organismes à but non lucratif, qui ont aussi des obligations en matière fiscale. Une simplification en profondeur du système fiscal serait probablement une excellente idée.
Le vice-président : Mesdames et messieurs les sénateurs et les sénatrices, nous en sommes maintenant à la fin de notre séance publique. Je remercie MM. Giroux et Jacques. C’est toujours agréable de vous recevoir. Cela nous permet d’alimenter notre réflexion afin de poursuivre notre travail et d’atteindre les objectifs que s’est donnés le comité. Merci beaucoup.
Nous allons maintenant suspendre la séance pour passer à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)