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NFFN - Comité permanent

Finances nationales


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 31 mai 2023

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 18 h 49 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur complète du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à tous les sénateurs et sénatrices, et aussi à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent sur sencanada.ca.

[Français]

Je m’appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

J’aimerais maintenant demander aux sénateurs et aux sénatrices de se présenter.

Le sénateur Forest : Bienvenue à tous. Je m’appelle Éric Forest et je suis sénateur de la division sénatoriale du Golfe, au Québec.

Le sénateur Gignac : Clément Gignac, sénateur du Québec.

Le sénateur Loffreda : Bonsoir et bienvenue. Sénateur Tony Loffreda, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Moncion : Bonsoir. Lucie Moncion, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice Duncan : Bonsoir, et bienvenue. Mon nom est Pat Duncan, et je suis sénatrice du Yukon.

La sénatrice Pate : Je suis Kim Pate, et je vis ici, sur le territoire non cédé et non abandonné du peuple algonquin anishinabe.

La sénatrice Marshall : Je suis Elizabeth Marshall, de Terre‑Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

Le président : Merci, honorables sénateurs et sénatrices.

[Traduction]

Aujourd’hui, nous continuons notre étude sur la teneur du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023. Nous accueillons aujourd’hui des représentants de la Digital Asset Mining Coalition : Daniel Brock, conseiller politique, Coalition pour une exploitation minière responsable des actifs numériques; Tamara Rozansky, conseillère fiscale, Coalition pour une exploitation minière responsable des actifs numériques; du Mouvement Desjardins : Bernard Brun, vice-président, Relations gouvernementales; et André Huot, vice-président, Fiscalité; et, de l’Association canadienne des coopératives financières : Michael Hatch, vice-président, Relations gouvernementales; et Rachel Barry, responsable du plaidoyer national.

Bienvenue à tous les témoins, et merci d’avoir accepté notre invitation à comparaître devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales. Je crois savoir que chaque association fera une déclaration de cinq minutes avant que nous passions aux questions des sénateurs. Je vais maintenant donner la parole à M. Daniel Brock, de la Coalition pour une exploitation minière responsable des actifs numériques. Monsieur Brock, vous avez la parole.

Daniel Brock, conseiller politique, Coalition pour une exploitation minière responsable des actifs numériques, Digital Asset Mining Coalition : Merci, monsieur le président, et merci aux membres du comité de nous avoir invités ici à discuter avec vous aujourd’hui.

En plus d’être conseiller politique pour la coalition, je suis également associé dans le cabinet d’avocats canadien Fasken. Je suis accompagné de Tamara Rozansky, associée en fiscalité indirecte pour Deloitte Canada. Ensemble, nous conseillons une coalition de l’industrie représentant plus de 23 entreprises et organisations qui participent toutes à la croissance de l’écosystème des actifs numériques et de la chaîne de blocs du Canada.

La coalition a pris vie au printemps dernier, en réaction à la proposition législative surprise que le ministère des Finances a publiée en février 2022 et qui visait à hausser le coût d’exploitation de nos membres au Canada de 5 à 15 %. Si nous sommes ici devant vous aujourd’hui, c’est pour témoigner au sujet de cette proposition, telle qu’elle apparaît dans le projet de loi C-47.

En 2017, les Canadiens minaient probablement des cryptomonnaies à partir de leurs ordinateurs, dans leur sous-sol ou leur garage. De nos jours, presque tout le minage d’actifs numériques est fait par de grandes entreprises. Les entreprises utilisent un système informatique industriel pour vérifier et sécuriser les transactions effectuées sur une chaîne de blocs publique.

Au taux du marché d’aujourd’hui, les frais de transaction et les subventions pour l’ajout d’un seul bloc au réseau a une valeur de près de 200 000 $. Plus de 1 000 blocs s’ajoutent à la chaîne de blocs bitcoin chaque semaine. Cela représente plus de 200 millions de dollars en recette potentielle par semaine pour les entreprises de la coopérative de minage qui minent du bitcoin.

Cependant, il n’y a aucune grande coopérative de minage au Canada. Ce sont toutes des entreprises étrangères. Elles sont principalement établies aux États-Unis, en Asie et en Europe. Le rôle du Canada, dans cette industrie émergente, n’est pas de miner de la cryptomonnaie; plutôt, les Canadiens sont les fournisseurs de la puissance informatique à haut rendement grâce à laquelle le minage des cryptomonnaies est possible. Les entreprises canadiennes tirent parti du climat plus froid, de notre main-d’œuvre qualifiée et de notre surplus d’hydroélectricité pour produire et exporter une puissance informatique propre, comme si c’était un bien, comme du blé ou des métaux précieux. Les entreprises informatiques canadiennes sont rapidement en train de devenir des chefs de file de l’industrie pour ce qui est de fournir une puissance informatique propre, dont les entreprises des coopératives de minage internationales de la chaîne de blocs ont besoin.

Depuis 2018, le secteur de l’informatique à haut rendement a généré plus de 2 milliards de revenus pour le Canada. Il a investi 1,5 milliard de dollars dans les collectivités rurales et de ressources où les entreprises exercent leurs activités. Il a versé des millions de dollars en impôts des sociétés, en impôts fonciers et en impôts sur la masse salariale au Canada. Il a de plus créé 1 500 emplois de haute technologie bien rémunérés dans les collectivités. L’âge moyen des employés dans la plupart de ces entreprises est de moins de 35 ans.

Ce qui nous préoccupe le plus, par rapport à la proposition du ministère des Finances sur le minage des cryptoactifs, c’est que cela met en péril les bons résultats déjà obtenus ainsi que le potentiel de croissance future au Canada. Les modifications proposées à la taxe sur les produits et services soulèvent plusieurs problèmes, mais laissez-moi en souligner trois.

Premièrement, le paragraphe 188.2(1) qu’on propose d’ajouter à la Loi sur la taxe d’accise indique qu’une entreprise canadienne qui a) permet l’utilisation de ses ressources informatiques par les entreprises d’une coopérative de minage étrangères et non résidentes à des fins de minage des cryptoactifs; et b) obtient une part des produits du minage est réputée ne pas participer à ces « activités commerciales » et n’a pas droit aux crédits de taxe sur les intrants.

À l’inverse, toutes les autres entreprises qui permettent l’utilisation de leurs ressources informatiques par une personne non résidente ont droit aux crédits de taxe sur les intrants, peu importe comment la puissance informatique est utilisée ou comment ses frais sont calculés.

Deuxièmement, en refusant les crédits de taxe sur les intrants aux entreprises informatiques canadiennes, ces nouvelles règles vont nuire à leur compétitivité sur le marché international. La TPS a remplacé la vieille taxe de vente fédérale en 1991, justement pour éliminer les taxes de vente canadiennes en tant que coût des intrants pour les entreprises canadiennes. La TPS est censée à la fois encourager l’investissement au Canada et les exportations canadiennes et rendre nos biens et services plus compétitifs sur les marchés internationaux.

Le nouveau paragraphe 188.2(1) fait exactement l’inverse.

Troisièmement, cette proposition relative à la TPS nuit à la compétitivité des entreprises informatiques du Canada, dépendamment de la province où elles sont établies. Cette proposition encouragera les entreprises du Québec ou de Terre‑Neuve, par exemple, où la taxe de vente enchâssée sera de 15 %, à déplacer leurs activités en Alberta, où la taxe de vente sera seulement de 5 %, ou même tout bonnement à l’extérieur du Canada. La TPS ne devrait jamais mener à ce genre de déséquilibre concurrentiel pour les entreprises du Canada.

Donc, quelle est la solution?

Selon les intervenants du secteur, il y a une solution simple, qui serait cohérente avec une politique saine à l’égard de la TPS et qui intégrerait dans la loi le message que les représentants du ministère des Finances ont envoyé aux entreprises de la coalition lors de nos nombreuses réunions. En collaboration avec vos collègues du Comité des finances de la Chambre des communes, nous avons proposé un amendement au projet de loi C-47 qui ajouterait une exception claire et sans ambiguïté aux nouvelles règles. Lundi dernier, le comité permanent de la Chambre a examiné cet amendement, mais il l’a rejeté de peu, par six voix contre cinq.

Nous sommes reconnaissants de pouvoir participer à cet important processus législatif. Nous félicitons et remercions les membres du Comité permanent des finances d’avoir pris en considération nos préoccupations et l’amendement que nous avons proposé.

Nous ne sommes pas ici aujourd’hui pour demander à votre comité sénatorial de revoir l’amendement que nous avons proposé. Plutôt, dans le cadre de votre étude article par article du projet de loi C-47, nous demandons à votre comité de clarifier auprès des fonctionnaires du ministère des Finances comment les nouvelles règles de la TPS seront appliquées et ce qui est considéré comme du « partage » d’un paiement de cryptoactifs. Si la réponse est « cela dépend des modalités du contrat », alors s’il vous plaît, demandez en quoi les modalités contractuelles ou la méthode de calcul du paiement sont pertinentes.

Les demandes de crédits de taxe sur les intrants en suspens représentent environ 150 millions de dollars pour cette nouvelle industrie, qui dorment dans les coffres de l’ARC, l’Agence du revenu du Canada, depuis 2018. Ces fonds, et l’avenir de ce secteur au Canada, vont dépendre de ce que le ministère des Finances va répondre à votre comité.

Nous sommes impatients de répondre à vos questions et de discuter avec vous.

Le président : Merci, monsieur Brock.

[Français]

La parole est maintenant à M. Brun et M. Huot, du Mouvement Desjardins.

Bernard Brun, vice-président, Relations gouvernementales, Mouvement Desjardins : Merci beaucoup d’avoir invité le Mouvement Desjardins à comparaître devant le comité aujourd’hui. Je m’appelle Bernard Brun et je suis responsable des relations gouvernementales au Mouvement Desjardins. Je suis accompagné d’André Huot, vice-président, Fiscalité, pour vous parler d’un enjeu qui nous touche tout particulièrement.

Dans un premier temps, j’aimerais vous rappeler la place unique qu’occupe le Mouvement Desjardins dans l’écosystème financier du Canada. Avec environ 400 milliards de dollars d’actifs, le Mouvement Desjardins est le premier groupe financier coopératif au Canada, le premier en Amérique du Nord et le cinquième au monde.

Pour répondre aux besoins de 7,5 millions de membres et de clients, le Mouvement Desjardins offre une gamme complète de produits et services financiers au moyen de son vaste réseau de points de services, de plateformes virtuelles et de filiales présentes à l’échelle canadienne.

Nous exerçons nos activités dans l’ensemble des domaines financiers, dont les services aux particuliers et aux entreprises, la gestion de patrimoine, l’assurance de personnes, l’assurance de dommages, ainsi que la coopération internationale.

Dans le domaine des cartes de crédit, le Mouvement Desjardins est un joueur très important et occupe le quatrième rang au Canada en tant qu’émetteur de cartes de crédit, selon les données disponibles à la fin de 2022.

Pour l’exercice de 2022, nos résultats financiers nous ont d’ailleurs permis de contribuer et de redistribuer, à nos membres et à la collectivité, un montant de plus d’un demi-million de dollars, soit 518 millions de dollars, composé de ristournes, de commandites, de dons et de bourses d’études.

Notre position nous permet donc de porter un regard particulier et d’amener une perspective différente sur de nombreux aspects de la réflexion, notamment en matière de politique fiscale.

Comme vous le savez, le dernier budget fédéral comportait de nombreuses annonces, initiatives et propositions de mesures. L’une d’elles visait un amendement avec effet rétroactif à la Loi sur la taxe d’accise.

Aujourd’hui, nos propos porteront essentiellement sur cette proposition qui se trouve plus spécifiquement aux articles 114 à 116 du projet de loi C-47. Le caractère rétroactif de la mesure proposée est une surprise pour le Mouvement Desjardins et elle vient avec de grands impacts et des conséquences, non seulement sur le plan financier, mais également sur le plan de la prévisibilité des mesures gouvernementales.

Dans ce cas-ci, la rétroactivité ne nous semble aucunement justifiée et se fait au détriment d’un degré de certitude qui serait approprié, soit une composante essentielle à la stabilité de notre système financier.

Cette approche est d’autant plus surprenante, voire inquiétante, dans un contexte économique particulièrement difficile et volatile. La prévisibilité des mesures législatives prend une importance particulière en ce qui a trait à la stabilité du système financier.

Le Mouvement Desjardins reconnaît pleinement le droit du gouvernement de légiférer en la matière. En revanche, dans les circonstances actuelles — dont mon collègue parlera plus en détail —, le texte du projet de loi C-47, tel qu’il est formulé avec l’effet rétroactif, est, à notre avis, non seulement inadéquat, mais également nuisible au-delà de tout avantage escompté.

Sur ce, je cède la parole à mon collègue.

André Huot, vice-président, Fiscalité, Mouvement Desjardins : Bonsoir à tous.

L’application rétroactive d’une législation fiscale devrait se faire avec parcimonie et être uniquement une mesure de dernier recours, surtout lorsqu’un tribunal s’est prononcé antérieurement en faveur d’un contribuable sur une question en litige.

Dans le cas contraire, le rôle primordial joué par les tribunaux dans l’administration de notre système fiscal serait grandement diminué.

Malgré tous les efforts de rédaction déployés, nos lois fiscales contiennent parfois des zones d’ombre et d’ambiguïté. Même le meilleur texte de loi ne pourra jamais prévoir l’ensemble des situations applicables.

En ce sens, les lois demeurent imparfaites et sujettes à interprétation. Avant d’entreprendre des démarches longues et coûteuses pour contester les interprétations qui sont faites par les autorités fiscales, les contribuables doivent avoir une certaine certitude que les décisions des tribunaux seront reconnues et applicables pour les transactions passées faisant l’objet d’un litige. Les changements qui sont actuellement à l’étude se font au détriment de cette certitude raisonnable recherchée par les contribuables et prévue dans nos lois fiscales.

Après avoir épuisé les recours devant les tribunaux et en cas de désaccord, le ministère des Finances peut toujours modifier les lois fiscales. Si telle est son intention, il doit cependant s’assurer de le faire rapidement, ou à tout le moins annoncer son intention de le faire par voie de communiqué ou par annonce dans le cadre du dépôt des budgets.

En ce qui concerne les changements à l’étude aujourd’hui, l’Agence du revenu du Canada aurait pu également interjeter appel devant la Cour suprême, ce qu’elle n’a pas fait. Les changements législatifs auraient également pu être annoncés beaucoup plus tôt dans le cadre des budgets déposés en 2021 ou en 2022, sans nécessairement attendre 26 mois pour en informer les contribuables. Cela aurait permis de réduire, par le fait même, l’ampleur du débat sur la rétroactivité.

Malgré le fait que l’ARC peut, à l’occasion, contester des transactions dont les résultats fiscaux ne sont pas souhaitables, le ministère des Finances est parfois appelé en renfort de manière préventive, de façon à endiguer rapidement les problèmes soulevés, pour ainsi éviter des contestations qui peuvent s’avérer fastidieuses et coûteuses pour le gouvernement.

D’ailleurs, les budgets de 2015 et de 2018 contenaient des exemples de telles mesures. À l’époque, le gouvernement souhaitait envoyer un message clair d’application rapide et prospective pour annuler des effets indésirables du point de vue de la politique fiscale.

Dans la situation actuelle, nous n’avons aucun signe de la position du ministère des Finances en lien avec la nature taxable des services de compensation relatifs aux cartes de paiement entre le moment où le jugement a été rendu dans l’affaire ayant trait à la CIBC, en janvier 2021, et le moment du dépôt du budget, le 28 mars dernier.

Au contraire, dans les semaines précédant l’annonce du budget, nous étions même en discussion avec l’ARC sur des vérifications ayant trait à ce point lié à notre déclaration de 2020.

Même les grandes institutions comme la nôtre ont besoin d’un certain degré de prévisibilité pour évoluer dans un monde où les incertitudes sont grandissantes.

Merci de m’avoir écouté. Nous sommes disponibles pour répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président : La parole va maintenant à M. Hatch.

[Français]

Michael Hatch, vice-président, Relations gouvernementales, Association canadienne des coopératives financières : Merci aux sénatrices et aux sénateurs de nous avoir invités ce soir au sujet du projet de loi C-47.

[Traduction]

Mon nom est Michael Hatch, et je suis vice-président, Relations gouvernementales, de l’Association canadienne des coopératives financières, ou l’ACCF. Je suis accompagné de ma collègue, Rachel Barry, responsable du plaidoyer national.

L’ACCF, comme bon nombre d’entre vous le savent, représente 197 caisses de crédit et caisses populaires, à l’extérieur du Québec. Les caisses de crédit contribuent près de 7 milliards de dollars à l’économie canadienne en offrant des services de dépôt, de prêt et de gestion du patrimoine à plus de 6 millions de Canadiens. Collectivement, les caisses de crédit et les centres régionaux emploient près de 30 000 personnes et gèrent tout juste un peu moins de 300 milliards de dollars d’actifs sectoriels.

Comme vous le savez, les caisses de crédit sont des coopératives. En d’autres mots, cela veut dire que les gens qui font affaire avec des caisses de crédit en sont aussi les propriétaires. Puisque nous devons rendre des comptes à des membres plutôt qu’à des actionnaires, notre service à la clientèle est inégalé. Nous arrivons systématiquement en tête de tous les sondages sur la satisfaction à la clientèle dans le secteur des services financiers.

Je voudrais aussi souligner, pour les membres du comité qui représentent des régions rurales, que dans près de 400 collectivités du Canada, les caisses de crédit sont les seules à fournir des services financiers en personne aux ménages, aux consommateurs et aux petites entreprises.

L’ACCF s’est réjouie de voir dans le budget de 2023 une définition à jour de l’expression « caisse de crédit » dans la Loi de l’impôt sur le revenu. La définition actuelle était vieille de plus de 50 ans — 52 si je ne me trompe — et ne reflétait plus la réalité commerciale de nos membres en 2023. Même si cet amendement législatif précis ne fait pas partie du projet de loi C-47, et que nous sommes ici ce soir pour discuter de ce projet de loi, nous attendons avec impatience son inclusion dans la Loi d’exécution du budget de l’automne, et nous insistons pour que le ministre des Finances, le gouvernement et les membres de votre comité veillent à son inclusion dans la Loi d’exécution du budget no 2, en septembre ou octobre 2023.

Pour revenir à l’étude actuelle du comité sur le projet de loi C-47, nous avons été heureux de constater qu’il inclut des mesures de protection visant à renforcer le régime de traitement des plaintes des banques. En tant que sociétés socialement responsables, les caisses de crédit reçoivent relativement peu de plaintes, mais nous avons tout de même renforcé de manière proactive notre processus de traitement des plaintes au cours des dernières années.

Nous sommes très heureux du travail du gouvernement à cet égard. Nous croyons qu’il s’agit d’un élément important pour protéger les consommateurs.

Nous voudrions aussi nous faire l’écho des préoccupations des autres organisations, y compris le Mouvement Desjardins, qui est ici avec nous à la table, au sujet des articles 114 à 116. D’après ce que nous comprenons actuellement, ces articles modifient de façon rétroactive la Loi sur la taxe d’accise, alors que cela pourrait s’avérer préjudiciable pour les services financiers du Canada.

Si cet amendement suppose réellement une application rétroactive de l’impôt, alors cela va à l’encontre d’un pilier largement reconnu en fiscalité, c’est-à-dire que les modifications doivent être de nature prospective et non rétroactive.

Cet enjeu reflète aussi les problèmes généraux de notre système fiscal ainsi que la nécessité, selon nous, d’entreprendre un examen plus exhaustif du système. Comme vous le savez, le secteur financier a énormément évolué au fil des décennies afin de répondre aux besoins toujours changeants des consommateurs, mais le système fiscal qui y est relié, faut-il s’en surprendre, n’a pas suivi le rythme. Par exemple, il y a beaucoup de définitions qui sont obsolètes ou inutilement vagues. Le gouvernement a commencé à régler le problème, par exemple récemment en mettant à jour la définition de « caisse de crédit » dans la Loi de l’impôt sur le revenu, comme je l’ai dit, dans le budget de cette année, et c’est un bon pas vers l’avant.

Malgré tout, nous avons besoin d’une approche de la réforme fiscale beaucoup plus globale, dans notre secteur et au-delà, pour moderniser les lois sur la fiscalité de façon à ce qu’elles reflètent mieux notre monde en 2023.

Pour conclure, je dirais tout simplement que notre secteur est fort et qu’il représente une composante clé du système financier canadien. Dans un marché dominé par un petit nombre de grandes institutions, nous, les caisses de crédit ainsi que Desjardins au Québec, bien sûr, représentons le seul véritable compétiteur au Canada pour les consommateurs et les entreprises, surtout les petites entreprises, où nous détenons une très forte part du marché.

Nous vous remercions de nous avoir invités à discuter de ces questions et d’autres enjeux stratégiques importants avec votre comité. Nous espérons que nos commentaires seront utiles au gouvernement et à votre comité. Je répondrai avec plaisir à vos questions. Merci, monsieur le président.

Le président : Merci beaucoup aux témoins de leurs déclarations. À présent, honorables sénateurs et sénatrices, nous allons commencer le premier tour de cinq minutes. Au deuxième tour, vous aurez chacun et chacune trois minutes.

La sénatrice Marshall : Je vais d’abord m’adresser à M. Brun et à M. Huot. J’espère que j’ai bien prononcé vos noms. Nous avons beaucoup discuté de ces articles, les articles 114 à 116. Pouvez-vous nous donner un peu plus d’informations contextuelles? Je me demandais s’il y avait eu des consultations, ou si vous avez été surpris par cet amendement.

Un enjeu que les représentants du ministère des Finances nous ont signalé, quand ils nous expliquaient l’amendement, est que les institutions financières avaient de fait recueilli cet argent, et qu’elles avaient donc généré un excédent inattendu. Je pense que, de leur point de vue, les institutions financières avaient cet argent et que ce serait plutôt le ministère des Finances qui devrait l’avoir, plutôt que les institutions financières. Pouvez‑vous nous parler de cela?

Mon autre question : le gouvernement a prévu dans son budget 195 millions de dollars en revenus grâce à cet amendement. Pouvez-vous nous dire si cela représente un montant important qui aurait une incidence sur votre organisation, si vous êtes disposés à nous donner cette information?

[Français]

M. Huot : En réponse à votre première question, l’amendement proposé est une surprise totale. La décision qui a fait jurisprudence a été rendue en janvier 2021 par la Cour d’appel fédérale et il n’y a eu aucun signe de la part du ministère des Finances par rapport à des changements possibles ou à une application différente des conclusions en matière de jurisprudence.

Je suis membre d’associations de professionnels en fiscalité et en comptabilité. Je n’ai eu aucune indication à cet égard. Mes collègues, que l’on peut consulter fréquemment dans des cabinets comptables ou des cabinets d’avocats, n’ont pas eu d’indications non plus. Pour moi, c’est une surprise totale d’apprendre qu’il y aura un changement et qu’il sera rétroactif à partir de 1991.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Le ministère du Revenu croit qu’il va pouvoir percevoir 195 millions de dollars. Je serais curieuse de savoir exactement auprès de qui il va percevoir cet argent, et quel sera la montant. Quel sera l’impact financier pour les entreprises? Est-ce de l’information que vous pouvez nous donner?

M. Huot : Oui, je le peux. D’après ce que je comprends, ces 195 millions de dollars représentent les recettes de la TPS. Si on parle uniquement de la TPS, notre part, qui ferait partie de ces 195 millions de dollars — mais je n’en suis pas certain — représenterait 30 millions de dollars. Donc, l’impact pour nous relativement à la TPS serait de 30 millions de dollars.

La sénatrice Marshall : Vous pensez que vous aurez à verser 30 millions de dollars. Merci beaucoup.

Je vais maintenant m’adresser à l’Association canadienne des coopératives financières. Vous avez aussi mentionné les articles 114 à 116. Est-ce que cela vous touche directement, ou êtes-vous seulement préoccupé par le caractère rétroactif de l’amendement?

M. Hatch : Merci de votre question, sénatrice. C’est plutôt le deuxième cas. C’est davantage le principe de la rétroactivité. Nous n’avons pas encore déterminé si oui ou non cela va avoir une incidence sur le secteur des caisses de crédit à l’extérieur du Québec, parce que la plupart des autres caisses de crédit, à l’exception de Desjardins, n’offrent pas de cartes de crédit, et c’est de ce côté-là que les conséquences se feront le plus sentir. C’est possible qu’il y ait d’autres conséquences indirectes, mais, pour dire les choses franchement, nous venons tout juste d’être mis au courant de cette affaire, je crois que c’était quand l’Association des banquiers canadiens a abordé le sujet devant votre comité.

Nous sommes en train de consulter nos membres pour voir s’il y aura un quelconque impact à l’extérieur du Québec. Mais, je le répète, la notion de rétroactivité, tout simplement, est problématique en général.

La sénatrice Marshall : Vous disiez que vous attendiez avec impatience la mise à jour de la définition de « caisse de crédit », et, d’après ce que vous dites, je m’attends à la voir dans l’énoncé économique de l’automne. Donc, la section 33 ou la section 37 du projet de loi vous concernent-elles? Les caisses de crédit ont‑elles une assurance-dépôt pour garantir les dépôts?

M. Hatch : Oui, les dépôts sont entièrement garantis, à l’échelon provincial, dans tout le secteur des caisses de crédit au Canada, à différents niveaux selon la province, pour répondre à votre dernière question. Pour répondre à votre première question, la mise à jour de la définition est un enjeu distinct de celui que mes collègues de Desjardins ont soulevé ici. Cela fait des années que nous le demandons, parce que la définition actuelle, telle qu’elle existe aujourd’hui, date de 1971, et le secteur à cette époque était bien entendu très différent de ce qu’il est aujourd’hui. La définition n’englobe que les revenus des dépôts et des prêts provenant directement des membres, ce qui représentait probablement la majorité des recettes des caisses de crédit il y a 52 ans, mais depuis, nous avons dû continuer d’évoluer pour exister et diversifier nos sources de revenus, et bien évidemment, la loi sur l’impôt n’a pas évolué en parallèle. Donc, ce que fait l’Agence du revenu du Canada, l’ARC, c’est aller voir ces caisses de crédit pour leur dire, dans certains cas : d’accord, un instant, votre caisse de crédit a gagné des revenus en faisant des choses qui ne correspondent pas à cette définition vieille de 50 ans. Cela va avoir des conséquences fiscales défavorables pour vous.

Nous disons que cela n’a aucun sens. Si une caisse de crédit gagne un dollar quelque part, cela reste un revenu de caisse de crédit. Finalement, le ministère des Finances a convenu que nous avions raison, et nous nous attendons à ce que cela soit reflété dans le projet de loi d’exécution du budget de l’automne.

La sénatrice Marshall : Merci.

[Français]

Le sénateur Forest : Merci encore de votre présence parmi nous.

On entend clairement de votre part que vous n’avez jamais été consulté. Pourtant, des représentants du ministère des Finances nous ont dit sans équivoque qu’ils avaient mené des consultations à la suite du jugement de 2021. Ils ont dit que les banques avaient été consultées. Pour eux, le Mouvement Desjardins et le mouvement coopératif en général n’étaient pas... Je comprends que vous n’avez jamais été consultés.

Compte tenu de notre mandat, ma question est la suivante : en 2021, un juge de la Cour d’appel fédérale a tranché la question et affirmé que ce n’était pas taxable. Deux budgets plus tard, le gouvernement arrive... Il faut saluer sa créativité, parce que je me souviens que, en ce qui a trait à la taxe d’accise sur les petits producteurs d’alcool et les microbrasseries, c’était la première fois qu’on instaurait une taxe qui était automatiquement ajustée à l’inflation.

Avez-vous déjà vu une politique rétroactive appliquée au secteur financier depuis que vous faites partie de ce secteur d’activité économique? Est-ce la première fois que l’on voit une telle politique?

M. Brun : En ce qui concerne la consultation, comme responsables des relations gouvernementales ayant fait une vigie exhaustive de tout ce qui se passe, nous pouvons vous affirmer qu’il n’y a pas eu de consultation publique ni d’appel. Est-ce que cela s’est fait par l’entremise d’autres canaux? Mon collègue pourra justement vous dire si cela s’est fait d’une manière particulière. Qu’est-ce qui a été couvert? Ce n’est assurément pas le cas ici.

Je vous remercie d’avoir fait un petit rappel, à savoir que Desjardins n’est pas une banque. Nous ne sommes pas non plus membres de l’Association des banquiers canadiens. Parfois, il peut être facile de tout simplement s’adresser au gouvernement par le biais d’une large association. Je crois qu’il y a un effort particulier qui doit être fait. C’est pour cette raison que nous sommes là, que nous manifestons notre présence et que nous insistons pour faire partie de ces discussions. Justement, s’il y avait eu des discussions de cette nature, nous aurions voulu être au courant. À notre connaissance, il n’y en a eu aucune.

M. Huot : Au risque de me répéter, cela a été une surprise. Il n’y a pas eu de consultations. Je n’ai pas été informé. Aucun collègue fiscaliste dans mon réseau de contacts partout au Canada n’a mentionné qu’il avait été consulté sur cet amendement. Tous ceux que j’ai pu consulter m’ont dit que c’était effectivement une surprise.

Quant à savoir si cela se produit fréquemment, la bonne nouvelle, c’est non, heureusement, ce n’est pas fréquent. Je vous dirais même que, de façon générale, la fiscalité entourant les institutions financières est assez complexe et que le ministère des Finances travaille avec les associations de l’industrie avant d’établir certaines nouvelles règles. Il peut arriver que le ministère veuille contrer certaines planifications et peut-être qu’à ce moment-là il n’y ait pas de consultations, mais de façon générale, lorsque l’objectif est d’améliorer l’état des choses, il y a des consultations avec l’industrie.

Le sénateur Forest : Au-delà de l’impact financier de 30 millions de dollars, du climat d’incertitude et de la non‑prévisibilité que cela peut occasionner, pensez-vous qu’il peut y avoir d’autres impacts dans un secteur comme le vôtre, qui est tout de même fragile?

M. Huot : Au Mouvement Desjardins, on travaille dans l’intérêt de nos membres. Comme dans toute coopérative de crédit, les membres sont les propriétaires, et nous travaillons dans leur intérêt en faisant leurs déclarations de revenus de la meilleure façon qui soit, tout en respectant le cadre fiscal, la jurisprudence applicable et les interprétations qu’en fait l’Agence du revenu du Canada.

Donc, en 2021, quand je fais la déclaration de revenus de 2020, c’est de cette façon que je dois le considérer. Puisque la décision dans l’affaire de la CIBC existe, si je ne l’applique pas, je ne fais pas bien mon travail; je ne travaille pas dans l’intérêt du membre et du client Desjardins.

En fin de compte, un projet de loi qui s’applique de façon rétroactive crée beaucoup d’incertitude. Vous le savez probablement, en fiscalité, la certitude n’est pas toujours au rendez-vous. Comme je l’ai mentionné plus tôt, il y a des zones grises et de l’ambiguïté; ce sont des choses avec lesquelles on a l’habitude de travailler.

Cependant, lorsqu’on change les règles du jeu après que la partie est terminée, ce n’est pas prévisible et, selon moi, ce n’est pas quelque chose de souhaitable dans notre système fiscal.

Le sénateur Forest : Nous avons le mandat d’analyser différents projets de loi, et ma question est la suivante. J’ai cru comprendre que ce qui vous agace profondément, c’est la rétroactivité de l’application de la loi. Sans cette rétroactivité, j’en conclus que vous pourriez vivre avec la mesure, qui vous semble objective et équitable. Est-ce bien le cas?

M. Huot : La réponse simple est oui. Le ministère des Finances est là pour établir le niveau des recettes fiscales dont il a besoin et définir les règles pour les percevoir. On peut ne pas être d’accord, mais on ne serait pas ici aujourd’hui pour vous parler de ce sujet.

Le sénateur Forest : Le problème, c’est leur créativité à rebours.

Le sénateur Gignac : Bienvenue aux témoins en cette belle soirée d’été. Au moment de la présentation du budget de 2023, la ministre des Finances, dans le but de justifier cette mesure rétroactive, a affirmé qu’il a toujours été largement compris que les services fournis par les exploitants de réseaux de cartes de paiement sont exclus de la définition de « services financiers » aux fins de la TPS.

On a bien compris votre message, quand vous avez dit que, entre janvier 2021 et le dépôt du budget de 2023, vous n’aviez pas reçu de signal de la part du ministère des Finances indiquant que tout cela est compris depuis longtemps.

On sait que la Banque canadienne impériale de commerce a entrepris des poursuites, mais êtes-vous d’accord avec cette affirmation? Comment sont perçues les cartes de crédit sur le plan de la réglementation? Ce soir, nous parlons de fiscalité, mais est-ce que la carte de crédit est définie comme un service administratif sur le plan réglementaire?

Mes questions s’adressent aux représentants du Mouvement Desjardins.

M. Huot : Je ne pourrais pas vous dire si les services rendus par les Visa de ce monde du point de vue réglementaire sont considérés comme des services financiers. J’imagine que oui, parce que ce ne sont pas des services administratifs. Quant à la clarté de la définition des services financiers, c’est probablement une des zones les plus grises de la Loi sur la taxe d’accise. C’est une définition complexe, tellement complexe qu’il y a eu beaucoup de jurisprudence au cours des dernières années pour déterminer s’il s’agit d’un service financier ou non. Parfois, les contribuables ont gain de cause, parfois, c’est l’Agence du revenu du Canada.

À partir de 2018, c’était très clair que, à la suite du premier jugement dans la cause de la CIBC, tout cela n’était pas nécessairement aussi évident ou défini. D’ailleurs, la cour d’appel a confirmé que ce n’était pas une définition claire et a cassé la décision de première instance.

Donc, je ne suis pas d’accord pour dire que c’était connu depuis longtemps. On pourrait dire que c’était connu de longue date jusqu’en 2021, mais par la suite, je pense que la cour d’appel a été claire dans son message.

Le sénateur Gignac : La CIBC a entrepris des démarches pour contester la décision devant la Cour de l’impôt. Ensuite, en 2021, elle est allée devant la cour d’appel et a gagné. Est-ce que le Mouvement Desjardins a aussi décidé d’entreprendre des démarches et de contester l’interprétation qui a été faite auprès de l’Agence du revenu du Canada? À quel moment avez-vous entamé des procédures?

M. Huot : Nous avons fait des démarches pour tenter d’obtenir des remboursements, parce que l’on comprend que l’institution financière a payé des taxes. Nos démarches ont été entreprises d’abord en 2018, puis d’autres ont eu lieu en 2019, 2020 et 2021.

Le sénateur Gignac : Au terme du budget, le ministère des Finances dit qu’il va récupérer 200 millions de dollars. Selon vous, combien le Mouvement Desjardins a-t-il touché par le biais de cette décision? Peut-être que vous êtes en demande et que vous n’avez encore rien encaissé. Où en est-on du côté du Mouvement Desjardins?

M. Huot : On n’a encore rien encaissé en ce qui a trait à ces demandes. Les délais de traitement de l’ARC sont quand même assez longs et certaines particularités dans notre dossier font en sorte que le délai est encore plus long.

Le sénateur Gignac : Vous n’avez rien touché à ce jour?

M. Huot : Non.

Le sénateur Gignac : Peut-être que d’autres institutions ont touché quelque chose, mais vous, en cette belle soirée d’été à 30 degrés Celsius, vous dites que vous n’avez encore rien reçu. C’est ce que je comprends?

M. Huot : Non, on n’a rien reçu. Vous avez bien compris.

Le sénateur Gignac : Comment expliquez-vous la décision du ministère des Finances de ne pas aller devant la Cour suprême? Les procédures se sont arrêtées à la cour d’appel, et Revenu Canada a commencé à régler les dossiers des institutions financières. Y voyez-vous des raisons quelconques? C’est quand même surprenant que le ministère ne soit pas allé en Cour suprême.

M. Huot : Oui, c’est aussi une surprise pour nous, en raison des montants en cause et de la durée du litige. Il faut comprendre qu’il s’agit du droit d’en appeler et que cela ne signifie pas que la cour acceptera d’entendre l’appel. Pour moi, c’était aussi une surprise. J’imagine que les avocats du ministère de la Justice ont jugé que les chances n’étaient pas de leur côté ou que ce n’était pas suffisamment important pour aller devant la cour, mais ce n’est qu’une présomption. Je n’en ai aucune idée.

Le sénateur Gignac : Je comprends que nous faisons de la spéculation, mais si c’était si clair pour tous que c’était un service administratif, et non un service financier, je suis un peu surpris que le ministère des Finances ne soit pas allé devant la Cour suprême.

[Traduction]

Le sénateur Smith : Monsieur Brock et madame Rozansky, nous allons essayer de vous faire participer un peu, en vous bombardant rapidement de quelques questions, si vous le voulez bien.

Le gouvernement fédéral a proposé l’année dernière des modifications du traitement des cryptomonnaies. En juin de l’année dernière, l’industrie de la cryptomonnaie a soutenu que, si ces entreprises n’avaient pas accès aux crédits sur les intrants, alors les coûts de minage des actifs numériques allaient augmenter de 5 à 15. C’est ce que vous avez dit, aujourd’hui.

Voici mes questions : avez-vous des données à jour sur le coût de cette proposition de politique pour les mineurs de cryptomonnaie au Canada? Comment cette proposition de politique se compare-t-elle à ce qui se fait dans les autres pays qui ont des taxes similaires sur la valeur ajoutée au regard du minage des actifs numériques? Si ce projet de loi est adopté, quel effet aura-t-il sur l’investissement dans le domaine des cryptomonnaies au Canada? Va-t-il y avoir un exode à grande échelle des entreprises de cryptomonnaies vers d’autres pays? Quatrièmement, le gouvernement vous a-t-il consultés régulièrement d’une façon ou d’une autre? Est-ce que c’est assez?

M. Brock : À nous deux, nous devrions réussir à nous souvenir de tout.

Dans le désordre, la proposition qui a été présentée en février 2022 a eu comme conséquence de jeter un froid sur tout le secteur. Nous venions d’entrer dans une période de croissance et d’investissements importants au Canada. La Chine avait cessé ses activités, là-bas, et les entreprises cherchaient un endroit où, en particulier, il y avait un accès à de l’énergie propre. Le Canada était un endroit attrayant où réaliser ce genre d’activité informatique unique. Quand l’annonce a été faite, les projets d’investissements se sont arrêtés. Bitfarms est l’une des plus grandes entreprises du secteur, et elle est établie au Québec. Depuis le dépôt du projet de loi, elle a ouvert deux nouvelles installations informatiques, les deux à l’extérieur du Canada.

Il y avait un projet de 1 milliard de dollars en cours de développement à Terre-Neuve-et-Labrador, mais il a été interrompu, non seulement à cause de cette proposition fiscale, mais aussi à cause des problèmes d’accès à l’électricité à Terre‑Neuve-et-Labrador. Maintenant, le projet est en cours de développement au Texas.

En partie, ce projet de loi fiscal a véritablement créé de l’incertitude dans le secteur et refroidi le climat d’investissement pour l’avenir du secteur.

Ces entreprises reconnaissent que le minage de cryptoactifs et tout ce domaine suscitent de la controverse; les médias et les gens en parlent. Il y a de nombreuses questions tout à fait légitimes que les gouvernements se posent en matière de réglementation, mais ce secteur d’activités, tel qu’il a émergé au Canada, est très spécifiquement axé sur la puissance informatique. C’est ce qui est vendu à des entreprises à l’extérieur du Canada.

Même si les autres enjeux sont pertinents, c’est vraiment cette industrie qui est le moteur.

Je pense avoir répondu à l’une de vos questions.

Le sénateur Smith : Nous avons peu de temps, au premier tour, alors vous allez devoir vous dépêcher.

M. Brock : C’est aussi un problème dans d’autres pays. Je pense que ce projet de loi a quelque chose de nouveau et qu’il n’est pas cohérent avec ce qui se fait dans d’autres pays, parce qu’ils essaient de gérer tout cela dans l’optique de la valeur ajoutée.

Pour répondre à votre première question, les conséquences vont toucher le coût des intrants, la taxe sur les intrants. Au Québec, le coût de la taxe sur les intrants est de plus ou moins 15 %. Cela n’a pas changé depuis que cette annonce a été faite. La taxe de 15 % sur les intrants que paient les entreprises québécoises sera irrécupérable une fois que le projet de loi sera adopté. En Alberta, les coûts non recouvrables liés à la taxe sont de 5 %, et de zéro au Texas.

Le sénateur Smith : Il y aura donc un exode des entreprises?

M. Brock : C’est le Bloc québécois, avec l’appui des conservateurs, qui a déposé l’amendement devant le comité permanent. Les entreprises québécoises sont très préoccupées parce qu’elles se retrouvent en situation de désavantage concurrentiel. Ironiquement, ces entreprises utilisent de l’hydroélectricité propre dans le cadre de leurs activités, et on les incite à déménager ailleurs, où on utilise des combustibles fossiles.

Tamara Rozansky, conseillère fiscale, Coalition pour une exploitation minière responsable des actifs numériques, Digital Asset Mining Coalition : J’ajouterais uniquement que, comme l’a dit M. Brock, ces entreprises fournissent des services informatiques. Si elles partaient, cela reviendrait à fermer la porte à d’autres services informatiques à haute puissance, pour lesquels on construit de l’infrastructure. Il n’y a pas nécessairement que le minage des cryptomonnaies qui est en jeu, il y a aussi beaucoup d’autres choses, ChatGPT et l’intelligence artificielle, par exemple.

Le sénateur Smith : Si vous aviez le choix, que voudriez‑vous que le gouvernement fasse, exactement?

M. Brock : Nous voulions notre amendement, mais, je le redis, nous ne demandons pas à votre comité sénatorial de proposer un amendement au projet de loi C-47. Ce qui serait utile, présentement — et nous l’avons souvent demandé aux fonctionnaires du ministère des Finances —, ce serait d’expliquer clairement devant un comité comme le vôtre, aux fins du compte rendu, comment les règles doivent être appliquées. Ce qui a été dit, dans votre comité et dans d’autres, c’est que la plupart des industries seront exclues : « Il y a une exception de prévue, et la plupart d’entre vous sont exclues. » Pourtant, rien ne dit clairement qui est exclu ou pas.

S’il n’y a pas de clarté et si on ne sait pas quoi faire de la définition du « partage des paiements de minage », un concept qui, d’ailleurs, n’existe pas dans la Loi sur la taxe d’accise ni nulle part ailleurs, cela pose un énorme problème pour les entreprises.

Ce que nous craignons, c’est qu’on va demander à l’ARC de réaliser des audits, et que nous allons devoir attendre que les vérificateurs décident comment ils vont appliquer les dispositions nébuleuses de la loi.

Le sénateur Smith : Je commence à sentir la pression; mon patron me dit que le temps est écoulé.

Le président : Je vous inscris pour le deuxième tour, sénateur.

La sénatrice Duncan : Je vais céder mon temps pour que vous puissiez répondre à ces questions. La discussion est très intéressante, et mes collègues en savent plus que moi sur ce dossier.

Le président : Nous allons terminer le premier tour, puis nous ajouterons ce temps au deuxième tour. Merci.

[Français]

Sénateur Loffreda, parrain du projet de loi, la parole est à vous.

Le sénateur Loffreda : J’ai deux questions, dont une qui s’adresse aux représentants du Mouvement Desjardins.

[Traduction]

Ma première question s’adresse à M. Brock. Je reprends là où s’est arrêté le sénateur Smith. Je pense que l’un des principaux problèmes, c’est que le gouvernement ne comprend pas l’industrie. Même entre nous, au Sénat, quand nous en discutons, ce n’est pas facile de comprendre cette industrie. Le minage est fondé sur des incitatifs financiers, mais ses aspects financiers peuvent être complexes. C’est ce que nous constatons, dans les amendements qui sont proposés ici.

Serait-il juste de dire que les faiblesses actuelles qui ont été révélées par les amendements peuvent être attribuées au manque de compréhension et au manque de consultations de l’industrie? Que pouvons-nous faire pour corriger la situation? Le cas échéant, pourriez-vous nous donner, ce soir, de l’information supplémentaire qui permettrait de clarifier les particularités et les composantes précises de l’industrie des cryptomonnaies, pour nous éclairer quant à ses activités et pour répondre aux préoccupations?

Je suis certain que, si on améliore la compréhension de ces aspects, nous pourrons améliorer la compréhension à l’égard de l’industrie dans son ensemble et ainsi travailler pour résoudre les défis qui ont été cernés. C’est très difficile pour nous. Vous avez proposé un amendement, mais c’est à nous de l’approuver et même de dire au gouvernement de le consulter; mais, si nous ne comprenons pas, je ne vois pas comment nous pourrions faire cela.

M. Brock : Je sais que vous avez une autre question, alors j’essaierai d’être bref.

Le sénateur Loffreda : Je vais intervenir au deuxième tour.

[Français]

Ma question pour la deuxième ronde s’adressera aux représentants du Mouvement Desjardins; soyez prêts à répondre à ma question.

[Traduction]

M. Brock : Pour commencer...

Le sénateur Loffreda : Prenez tout votre temps. C’est important, alors prenez tout le temps dont vous avez besoin.

M. Brock : Nous avons énormément de respect pour les personnes qui travaillent à la Division de la politique fiscale et à la Division de la taxe de vente du ministère des Finances. Nous travaillons avec eux sur ce dossier.

Une partie du problème tient au fait que l’on a jusqu’ici mal compris les relations contractuelles dont dépend cette industrie, l’industrie canadienne. Pour répondre à la question du sénateur Smith, que vous avez à nouveau abordée, au sujet du genre de consultations auxquelles nous avons participé, ce projet de loi a été déposé en février 2022. À ce moment-là, les fonctionnaires du ministère des Finances n’avaient parlé à aucune entreprise canadienne de ce secteur d’activités, à notre connaissance. Je crois que ce qu’on pensait, c’est que personne ne savait clairement qui faisait vraiment partie de l’industrie et qui faisait quoi. Il n’y avait pas d’association sectorielle, et c’est pour cette raison que nous avons créé notre coalition. Il y avait malgré tout entre cinq et sept sociétés cotées en bourse dans le secteur. Ce n’est pas comme si les entreprises se cachaient ou quoi que ce soit du genre, mais il n’y a pas eu de consultations.

Nous pensons que le projet de loi, tel qu’il a été déposé, reflète ce malentendu.

Les fonctionnaires du ministère des Finances pensaient que ces entreprises au Canada minaient des bitcoins. En minant le bitcoin, elles participaient à une activité difficile à réglementer du point de vue de la TPS, et les fonctionnaires ont estimé que la solution raisonnable était d’exclure complètement l’industrie de la TPS, ce qui arrive très rarement et n’était arrivé dans aucun secteur de l’économie. C’était leur choix.

Ce n’est qu’après le dépôt et la création de la coalition qu’il y a eu des consultations. Il y a eu des réunions et une explication sur le fonctionnement de l’industrie et de l’industrie canadienne. Essentiellement, les entreprises canadiennes ayant cette puissance informatique la vendent à des entreprises identifiables qui ne résident pas au Canada. Il existe divers modes de paiement, mais elles sont effectivement rémunérées pour leurs services informatiques.

Les fonctionnaires du ministère des Finances disaient qu’ils ne savaient pas qui utilisait le réseau. On n’a pas pu déterminer le lieu de résidence des personnes qui utilisent le réseau. C’est là le problème. Étant donné que l’on ne peut pas déterminer le lieu de résidence des personnes qui utilisent le réseau, on ne peut pas identifier les bénéficiaires des services.

Mais nous connaissons les bénéficiaires des services fournis par le Canada. Ce sont les entreprises qui minent des bitcoins. Ces entreprises ne résident pas au Canada. En fait, certaines d’entre elles achètent des services informatiques canadiens et les vendent sur un marché secondaire à d’autres entreprises.

Du point de vue de la TPS, c’est très simple : il y a une offre, il y a un bénéficiaire identifiable, et celui-ci ne réside pas au Canada. Par conséquent, l’offre est assujettie à la TPS, mais le taux de la TPS est de zéro. Encore une fois, comme je le faisais remarquer tout à l’heure, c’est pour encourager les entreprises canadiennes à créer de la valeur, à favoriser l’exportation, à se développer et à être concurrentielles sur le marché international, à rapporter de l’argent au Canada et à payer l’impôt sur les sociétés et les autres taxes.

Ce que ce projet de loi fait, c’est qu’il transforme ces entreprises en consommateurs finaux au Canada et dit qu’on ne peut pas récupérer la TPS. Nous pensons que c’est une mauvaise politique en matière de TPS et que c’est certainement mauvais pour l’industrie. Compte tenu de l’avenir de cette industrie, nous en sommes qu’au début. Le type de puissance informatique utilisée aujourd’hui dans ce secteur sera probablement éclipsé par le type de puissance informatique qui sera exigée à l’échelle mondiale dans le monde numérique à venir.

Le Canada est particulièrement bien placé. Nous sommes peut‑être les mieux placés pour fournir au monde une puissance informatique propre, zéro émission. D’emblée, ce projet de loi dit : « Puisque nous ne vous comprenons pas, nous allons simplement vous retirer du système, et vous devez assumer les coûts de la taxe sur les intrants. » Nous pensons que c’est une erreur.

Le sénateur Loffreda : C’est un manque de compréhension. Pour dire les choses simplement — j’ai déjà entendu cela dans votre secteur —, c’est comme vendre à la Bourse de Toronto, mais la Bourse de Toronto compte des sociétés étrangères. Est-ce exact?

M. Brock : Oui. Si vous vendiez des services informatiques à la Bourse de Toronto ou à la Bourse de New York, qui est mieux, car ce serait un bénéficiaire étranger du service, ce projet de loi revient à dire : « Si vous ne pouvez pas identifier qui négocie sur la Bourse de New York et déterminer le lieu de résidence des personnes qui le font, nous ne vous autorisons pas à demander vos crédits de taxe sur les intrants. »

Cela n’a aucun sens. Cela n’arrivera pas. Vous fournissez simplement des services informatiques à une entité étrangère reconnue. C’est ce que fait cette industrie, mais dans un espace très nouveau et émergent, celui des registres distribués publiquement. Le bitcoin est aujourd’hui le plus utilisé. La plus grande partie de la valeur générée se trouve sur ce réseau. Nous en sommes qu’au début. Mais la comparaison est pertinente.

Le sénateur Loffreda : Cela affectera donc la croissance de ce secteur au Canada. Sur le plan de la concurrence, pourquoi le gouvernement du Canada n’a-t-il pas mené de consultations ni exploré les pratiques exemplaires dans le monde? Bien qu’il s’agisse d’un nouveau secteur, il est mondial à l’heure actuelle.

M. Brock : Je ne peux pas me prononcer sur ce que le ministère a fait ou non au chapitre des consultations avec ses homologues d’autres pays. Je ne peux pas en parler.

Comme je l’ai dit, notre compréhension de la façon dont ce secteur est réglementé, du point de vue fiscal, dans d’autres pays qui lèvent une taxe sur la valeur ajoutée, varie. Dans certains pays, les crédits de taxe sur les intrants sont autorisés; dans d’autres pays, ils ne le sont pas. Je pense qu’au Royaume-Uni, ils ne le sont pas.

Le sénateur Loffreda : Chaque pays est différent.

M. Brock : Le Royaume-Uni peut le faire. Le Royaume-Uni n’est pas un secteur de croissance pour les services informatiques. Il ne nuit pas à ses propres entreprises et à son économie en adoptant cette position.

Nous sommes une destination pour ce type d’infrastructure et ce type d’investissement. Tout ce que l’on fait, c’est nuire à notre compétitivité en ne les autorisant pas à demander un crédit de taxe sur les intrants, comme peuvent le faire toutes les autres entreprises au Canada.

Le sénateur Loffreda : Merci.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Huot. Dans un premier temps, puisque je suis membre de Desjardins, vous soulevez des inquiétudes chez moi.

Cela étant dit, je vais revenir sur le dossier de la rétroactivité de la mesure fiscale du budget sur les cartes. Une fonctionnaire que nous avons entendue au comité nous a répondu que les sommes d’argent en cause étaient peu importantes pour les institutions. J’imagine que, pour elle, 30 millions de dollars, ce n’est pas si important, mais vous nous dites que la taxe coûtera 30 millions de dollars avec la rétroactivité. Y aura-t-il des impacts sur les utilisateurs réels? Si oui, de quelle façon?

M. Huot : Je dirais que pour ce qui est du passé, il n’y aura pas d’incidence. Ces revenus ne sont pas comptabilisés, tout ce dont on parle aujourd’hui n’est pas comptabilisé, parce qu’il y a eu de l’incertitude quant à savoir si on allait recevoir ces montants. Il n’y aura pas d’incidence sur l’utilisateur. À l’avenir, il n’y aura pas de réductions de frais, parce que l’on vient de dire que c’est une fourniture taxable. On nous place comme dans le passé; il n’y aura pas d’économie à l’avenir pour les utilisateurs.

Le sénateur Dagenais : Vous avez mentionné à mes collègues que le dossier avait déjà été débattu devant les tribunaux. Dois-je donc comprendre que nous sommes devant une nouvelle possibilité de contestation de cette disposition de la loi? Avez-vous des options pour contester la loi? Je comprends que vous l’avez mentionné, mais j’aimerais y revenir.

M. Huot : À partir du moment où on a un article de loi dont l’application est rétroactive jusqu’à 1991, on n’a pas de moyens de contester. Je ne suis pas avocat. Je ne veux pas faire de droit. Je ne peux pas dire si, constitutionnellement parlant, la rétroactivité peut être contestée, mais fiscalement, je n’ai pas d’ouverture, donc si les articles proposés sont acceptés tels qu’ils sont proposés, c’est terminé. C’est la fin de l’histoire. Ce sera taxable pour l’avenir et il n’y aura aucun encaissement par aucun contribuable canadien pour le passé; même ceux qui ont obtenu des chèques devront les retourner en fonction du texte de loi qui est déposé.

Le sénateur Dagenais : Monsieur Brock, vous avez parlé de l’impact de la taxation sur les transactions pour les non-résidents. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi des non-résidents choisissent de faire des transactions de minage au Canada plutôt qu’ailleurs? Pourquoi pas dans leur pays de résidence? Quels sont les avantages? Pourquoi devraient-ils être traités différemment des résidents canadiens sur le plan de la taxation? Enfin, ont-ils des taxes à payer dans leur pays de résidence?

[Traduction]

M. Brock : C’est vrai. Je dirais que les entreprises qui s’occupent de l’extraction sont basées aux États-Unis, en Asie et en Europe. En ce qui concerne les raisons pour lesquelles elles ne sont pas basées au Canada, je ne comprends pas très bien qu’il n’y ait pas d’administrateurs de coopératives minières au Canada. Le secteur a évolué, bien sûr, et une poignée d’entreprises le font, et quel que soit l’endroit où elles se trouvent, elles tirent parti de la puissance informatique du monde entier. Elles prennent la puissance informatique du Texas, des États-Unis, de l’Amérique du Sud, de l’Europe, du Kazakhstan et aussi du Canada.

Ce qui attire ces entreprises au Canada — et bon nombre d’entre elles sont cotées en bourse —, c’est que le Canada est un pays très stable. C’est une entité politique très stable. La primauté du droit y est efficace, et il y a une culture de gouvernance solide. De plus, nous avons la chance de disposer d’une énergie propre abondante.

De plus en plus, les gens qui investissent dans ce réseau examinent les répercussions environnementales de l’extraction des actifs numériques. L’un des aspects de cette industrie en croissance qui lui attire des critiques, c’est le changement climatique et les répercussions des émissions de CO2 de ces services informatiques intensifs. Pour ceux qui cherchent une puissance informatique propre, le Canada est une possibilité qui se démarque.

Chaque bitcoin produit dans le réseau bitcoin grâce à la puissance canadienne est un bitcoin écologique. Il n’a pas produit de gaz à effet de serre. On ne peut pas dire la même chose de la puissance provenant du Texas ou d’autres pays.

Il n’y a pas vraiment de raison fiscale pour laquelle ils sont attirés par le Canada en tant que fournisseur de services informatiques, mais, de manière générale, puisque l’industrie mûrit et souhaite être mieux acceptée et se généraliser, le Canada est un pays attrayant pour faire des affaires.

[Français]

Mme Rozansky : La logique derrière une fourniture taxable exportée qui est détaxée ou taxable à 0 % s’explique ainsi : quand c’est amené dans un autre pays, il y a une obligation potentielle de cotiser aux impôts du pays concerné.

[Traduction]

Cela signifie qu’il y aura un risque de double imposition dans la situation donnée, parce qu’il y a maintenant une taxe enchâssée qui entre en jeu, et ensuite, le service est exporté et une autre taxe pourrait s’ajouter, ce qui est problématique du point de vue de la fiscalité internationale.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Pour donner suite aux questions du sénateur Smith, avez-vous l’impression que le gouvernement essaie de ralentir le développement des opérations de cryptomonnaies, compte tenu de l’incertitude que cette industrie comporte?

[Traduction]

M. Brock : C’est une question difficile, car les fonctionnaires du ministère des Finances nous ont dit : « Nous n’avons rien contre votre industrie. Cela n’a aucun rapport avec la cryptomonnaie. Nous essayons de trouver la bonne façon d’appliquer la Loi sur la taxe d’accise et la TPS, à votre industrie. » Mais c’est difficile de ne pas avoir l’impression d’être pointé du doigt lorsque toute notre industrie est retirée de la structure principale de la TPS et placée dans une partie obscure de la TPS, de la Loi sur la taxe d’accise, qui traite des gains de loterie et d’autres circonstances exceptionnelles.

Cela revient à dire : « On vous retire de la TPS. Votre activité n’est plus considérée comme une activité commerciale et vous ne pouvez pas demander les crédits de taxe sur les intrants. »

Les conséquences sont graves pour l’industrie. Compte tenu du débat et des discussions plus larges qui se tiennent au Canada et à l’étranger, il est difficile de ne pas avoir l’impression que cela fait partie des préoccupations du gouvernement quant à l’évolution de cette industrie. Nous avons, en fait, laissé entendre au ministère et à la ministre des Finances ainsi qu’au ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie qu’il est vraiment nécessaire pour le gouvernement d’avoir un cadre plus large, du point de vue de la réglementation, pour l’ensemble de l’industrie. Nous aimerions beaucoup cela. En fait, nous l’avons encouragé et nous l’avons suggéré.

Ce qui se passe ici, c’est qu’il s’agit d’une sorte de cas unique. C’est un faux pas, et c’est le premier pas dans ce qui devrait être une meilleure compréhension, une réévaluation des avantages potentiels de cette industrie pour l’économie.

La sénatrice Pate : Je remercie tous les témoins. Ma question est pour les représentants de la coalition. L’un des problèmes pour lesquels le Canada est également connu est le blanchiment d’argent. Cela ne figure pas dans le dernier rapport, mais, en juin 2015, le Comité sénatorial des banques a publié un rapport examinant l’utilisation accrue de la cryptomonnaie et des cryptoactifs, et il a reconnu que l’utilisation des cryptoactifs augmente le risque d’évasion fiscale et d’évitement fiscal, car il est difficile de suivre les transactions en cryptomonnaies, et les cryptomonnaies, comme le bitcoin, sont souvent anonymes, ou peut-être toujours anonymes? Vous pouvez me corriger si je me trompe.

La question de l’évitement fiscal est importante. Nous savons que, en 2021, par rapport aux moyennes d’avant la pandémie, l’évitement fiscal a presque doublé au Canada, ce qui a coûté quelque 30 milliards de dollars aux Canadiens. L’évitement fiscal nuit à l’économie en privant le pays des fonds nécessaires pour les services essentiels comme les soins de santé, l’éducation et les infrastructures, et place plutôt le fardeau sur les épaules de ceux qui ont le moins pour financer ces services.

Quels mécanismes suggérez-vous d’adopter pour lutter contre les pratiques d’évitement fiscal, particulièrement chez les utilisateurs et les entreprises de cryptomonnaies? La Digital Asset Mining Coalition, votre coalition, soutiendrait-elle l’adoption de ces mesures pour lutter contre l’évitement fiscal?

M. Brock : Dans un sens, votre question concerne la partie de l’industrie qui sort un peu du cadre de nos activités, mais je dirais ceci. Chaque entreprise de notre coalition serait favorable à l’élaboration de règles qui pallieraient les problèmes connexes que les gouvernements ont cernés quant à l’utilisation des cryptomonnaies. Que ce soit le blanchiment d’argent ou une autre activité criminelle, encore une fois, ces entreprises sont cotées en bourse. Elles ne veulent rien avoir à faire avec les activités criminelles. Elles ne veulent pas que le réseau ait quoi que ce soit à faire avec ce type d’activité.

Cette approche, une sorte d’approche réfléchie et globale de la réglementation, est une chose que les entreprises faisant partie de notre coalition accueilleraient favorablement, absolument.

L’autre chose en ce qui concerne le retrait de ces entreprises du système fiscal, et Mme Rozansky aussi pourrait en parler, mais, quand vous vous inscrivez à des fins fiscales et que vous demandez les crédits de taxe sur les intrants, tout est transparent. Le gouvernement sait exactement quelle est votre entreprise et ce que vous faites et les types de demandes que vous présentez pour votre entreprise.

En les retirant toutes de ce système fiscal et en décourageant les gens de présenter ces types de demandes de crédits de taxe sur les intrants... Je me demande simplement si l’on n’invite pas par inadvertance les gens à ne pas être transparents au sujet de leur entreprise. Si vous ne demandez pas de crédits de taxe sur les intrants, pourquoi être transparent sur les activités de votre entreprise et sur ce que vous faites?

J’aimerais croire que le fait de traiter cette industrie comme toute autre industrie aux fins de la TPS encouragerait et créerait plus de possibilités au chapitre de la surveillance et de la réglementation, plutôt que moins.

La sénatrice Pate : L’une des mesures que l’on a certainement examinées en ce qui concerne l’évitement fiscal est toute la question de la taxation minimale des profits fictifs. Comme vous le savez, les profits fictifs sont ce que les entreprises utilisent pour faire rapport à leurs actionnaires, et ce n’est souvent pas le même montant qu’elles déclarent à l’Agence du revenu du Canada. Les États-Unis ont récemment adopté une taxe minimale de 15 % sur les profits fictifs dans le cadre de leur loi sur la réduction de l’inflation, pour aider à régler les problèmes associés à l’évitement fiscal. Votre organisation soutiendrait-elle une telle mesure ici, au Canada?

M. Brock : Nous ne l’avons pas envisagée et nous n’en avons pas discuté en tant que coalition, je ne peux donc honnêtement pas vous dire quelle serait la position des entreprises sur une telle question.

L’adoption d’une surtaxe, effectivement, sur l’industrie aux États-Unis est une décision de politique publique que le gouvernement américain a prise pour s’adapter à leurs circonstances. D’une certaine façon, cela crée un avantage concurrentiel pour les entreprises canadiennes qui ne supporteront pas le même fardeau fiscal.

Encore une fois, cette industrie peut générer des milliards de dollars. Une industrie saine, une industrie de minage, au Canada, signifie que ces recettes reviennent au Canada. Les recettes générées profiteront aux impôts, à l’impôt sur les sociétés, aux taxes sur la masse salariale et aux impôts payés par les employés. Mon impression générale, c’est que le Canada doit stimuler la croissance de cette industrie pour augmenter sa contribution à l’économie canadienne, et non pas la diminuer.

En ce qui concerne votre question spécifique, je ne peux simplement pas donner de réponse, car la coalition ne l’a pas examinée.

La sénatrice Moncion : J’ai une question d’abord pour vous, monsieur Brock. Vous avez dit dans votre déclaration que, au lieu de demander un amendement, il faudrait demander aux fonctionnaires du ministère des Finances de préciser comment la TPS sera appliquée et à quels égards cela sera pertinent. Actuellement, compte tenu de la réponse qu’ils fournissent, où cela va-t-il nous mener? Vous aurez la réponse, mais où cela va‑t-il nous mener concernant ce projet de loi C-47?

M. Brock : Je vais laisser à Mme Rozansky le soin de vous donner les détails de ce que nous pourrions demander, mais cela permettrait de clarifier l’intention du ministère des Finances et du gouvernement en adoptant le projet de loi. Au final, il revient à l’Agence du revenu du Canada d’appliquer et de faire appliquer la loi, mais un énoncé clair de l’intention du gouvernement serait très utile pour l’industrie dans le cadre de son dialogue avec l’ARC sur la façon dont elle applique la loi.

Notre amendement aurait mis fin à cette question. Il aurait très clairement indiqué que les entreprises qui fournissent des services informatiques à des sociétés non résidentes sont identifiables. Elles seraient traitées comme toutes les autres entreprises. Nous n’avons pas réussi à faire adopter cet amendement par le comité permanent. Notre position de repli consiste, dans la mesure du possible, à demander aux fonctionnaires du ministère des Finances d’exprimer clairement leur intention, aux fins du compte rendu. Nous pensons que cela nous aiderait simplement dans ce que nous espérons être une collaboration continue avec l’Agence du revenu du Canada.

Voulez-vous parler des détails particuliers?

Mme Rozansky : Je serai heureuse de le faire. Très rapidement, en ce qui concerne le projet de loi proposé, il y a une exclusion dans ce projet de loi lorsqu’une personne particulière qui rend le service ne fait pas partie d’un groupe de minage. La difficulté réside dans le fait que la définition d’un groupe de minage parle de ceux qui — et j’ai la formulation exacte — « partagent des paiements de minage relativement aux activités de minage entre les membres du groupe ».

Nous voulons obtenir des éclaircissements de la part du ministère des Finances. Qu’entend-on par cette référence au « partage des paiements de minage »? Comme M. Brock l’avait mentionné précédemment, cela n’est défini nulle part ailleurs dans la loi. Il n’y a pas d’autres mentions de cela. Notre inquiétude, c’est que le mot « partage » puisse être interprété de façon assez large. L’exemple anecdotique que nous avons tendance à utiliser est le suivant : imaginez un courtier immobilier qui aide un vendeur à vendre sa maison. S’ils en tirent une commission, peut-on dire qu’ils partagent les revenus que le vendeur gagne pour cette maison? Cela n’a pas beaucoup de sens. Il s’agit en fait d’une commission et non d’un partage des revenus. Il s’agit simplement de payer en utilisant les revenus pour les services. Mais nous aimerions que le ministère des Finances s’engage à ce que ce soit le cas ici aussi.

M. Brock : Si je peux ajouter quelque chose, nous avons suivi ces audiences et les audiences du Comité sénatorial des banques, et les fonctionnaires du ministère des Finances ont comparu devant vous et devant d’autres comités et se sont fait poser des questions, et ils ont fourni un éventail de réponses. Nous les avons analysées très attentivement pour voir si nous pouvions en tirer des conclusions claires, mais cela n’a pas encore été le cas.

Il existe des règles établies pour le paiement dans cette industrie, la manière dont les paiements sont calculés. Il s’agit de termes définis. Nous aimerions que les fonctionnaires du ministère des Finances nous disent si cette forme de paiement, si une entreprise reçoit cette forme de paiement, est partagée. Si une entreprise reçoit cette forme de paiement, le partage-t-elle? C’est ce genre de clarté qui aidera les entreprises à comprendre quel est leur risque et comment elles devraient s’organiser dans l’avenir, si elles veulent vraiment pouvoir réclamer des crédits de taxe sur les intrants.

La sénatrice Moncion : Si je vous ai bien comprise, lorsqu’ils utilisent des entreprises qui ne sont pas au Canada, disons qu’ils vendent le service à une entreprise au Texas, ils ne peuvent pas facturer ou ils ne facturent pas de taxes à l’entreprise.

M. Brock : C’est exact.

La sénatrice Moncion : Et ce que ce projet de loi propose, c’est une taxe qui, si elle n’est pas facturée à l’entreprise américaine, devra être payée par l’entreprise canadienne qui procède au minage.

M. Brock : Ce n’est pas tout à fait cela. Le Canada perçoit la TPS sur ses exportations; c’est simplement qu’il ne perçoit rien. La taxe est de zéro. Donc, l’idée qu’une entreprise canadienne paie de l’impôt parce que l’entreprise étrangère n’en paie pas, ce n’est pas ainsi que la TPS est censée fonctionner.

La sénatrice Moncion : Non, mais lorsque vous parliez, vous disiez que le coût sera engagé par l’entreprise canadienne.

M. Brock : C’est exact. Autrement dit, l’entreprise canadienne ne sera pas en mesure de réclamer les crédits de taxe qu’elle a payés sur ses intrants. Habituellement, elle réclamerait les crédits de taxe payés sur ses intrants, et si elle vendait son service au Canada, elle facturerait la TPS pour ce service. Si vous exportez le service, la taxe est de zéro, et vous ne facturez pas la TPS. Et, comme je l’ai dit plus tôt, cela vise à créer une force concurrentielle pour une industrie canadienne.

La sénatrice Moncion : D’accord, j’ai compris.

Serez-vous touchés par le recouvrement de 195 millions de dollars? Les coopératives de crédit sont-elles touchées, parce que vous avez dit à un moment donné que vous ne vendiez pas de services ou de services de cartes de crédit.

M. Hatch : Jusqu’à ce soir, nous croyons comprendre que nous ne serons pas directement touchés par cette mesure, mais cela pourrait changer. Encore une fois, ce n’est que récemment que nous en avons pris connaissance. Nous essayons de recueillir des renseignements auprès de nos membres. Bien sûr, comme nous l’avons appris ce soir, Desjardins sera très concerné. Nous soutenons sa position, mais pour l’instant, nous ne savons pas encore s’il y aura ou non des répercussions sur l’ensemble du secteur dans le reste du Canada.

La sénatrice Moncion : Merci. Et à titre d’information, j’ai demandé pourquoi la définition ne figurait pas dans le projet de loi C-47 cette fois-ci, et on m’a répondu qu’elle y serait à l’automne, alors je garde un œil là-dessus.

M. Hatch : Merci.

Le président : Le sénateur Dagenais n’a pas utilisé les minutes de la sénatrice Duncan. Avant de passer au deuxième tour, sénatrice Duncan, souhaitez-vous poser une question?

La sénatrice Duncan : Merci à vous tous de votre patience et de votre présence aujourd’hui. J’aimerais poursuivre sur l’exploitation minière des actifs numériques. Je vous ai entendu expliquer que le Canada a une occasion en or sur le plan de la croissance, de l’emploi et, devrais-je dire, une occasion en or pour les endroits au Canada qui disposent d’une abondance d’énergie hydroélectrique propre ou d’énergie verte. Malheureusement, le Yukon n’en fait pas partie.

Cela dit, dans les renseignements que vous avez fournis, les opérations informatiques de haute performance se trouvent non pas dans les grands centres, mais plutôt à Christina Lake, en Colombie-Britannique, à Sherbrooke, au Québec, et à Drumheller, en Alberta. Nous n’avons pas besoin d’une réponse précise ce soir; vous pourriez la soumettre par écrit. Y a-t-il eu des incitatifs provinciaux ou municipaux offerts à ces entreprises informatiques de haute performance pour qu’elles s’établissent dans ces endroits particuliers? Se sont-elles vu offrir un tarif d’électricité plus avantageux? Parce que si nous ne regardons pas le silo de la TPS ou de l’ARC, lorsque nous adoptons une approche pangouvernementale... avez-vous reçu des fonds dans d’autres domaines?

M. Brock : Je pourrais obtenir plus de détails. Nous y reviendrons, et je solliciterai la coalition à ce sujet. Mais selon ce que je comprends, ces entreprises n’ont reçu aucun incitatif pour s’établir dans ces régions. En fait, elles vont dans ces régions et disent qu’elles paieront le prix fort pour leur électricité. Ce qu’elles recherchent, c’est une infrastructure. Au Canada, nous disposons d’un grand nombre d’infrastructures sous la forme d’installations qu’utilisaient des industries qui sont parties et qui sont en grande partie sous-utilisées ou mises en veilleuse. Mais elles sont reliées aux lignes de transmission. Elles y ont accès. Les installations ont été construites dans le but d’acheminer beaucoup d’électricité pour le secteur manufacturier ou d’autres activités.

Cette infrastructure de base est très attrayante pour ces entreprises, car elles peuvent se rendre dans un espace industriel assez éloigné, y installer leur centre informatique et tirer de l’énergie à partir d’un raccordement au réseau de transmission qui existe déjà.

Ce qui est attrayant là-dedans, ces régions éloignées... C’est pourquoi ces industries sont allées à Drumheller; à Christina Lake; à Wabush, à Terre-Neuve; à Sherbrooke, au Québec; et à Saint-André, au Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Duncan : Vous pourriez peut-être fournir un document écrit plus détaillé.

Le président : Monsieur Brock, vous avez mentionné Saint‑André, au Nouveau-Brunswick. C’est là où je vis, dans cette région.

M. Brock : Je ne savais pas que vous viviez à Saint-André. Je savais que vous étiez originaire du Nouveau-Brunswick. J’ai saisi le lien avec le Nouveau-Brunswick. En toute honnêteté, cela a en partie influencé ma décision de faire référence à Saint‑André.

Le président : C’est formidable. Honorables sénateurs et sénatrices, nous allons passer au deuxième tour.

La sénatrice Marshall : Ma question s’adresse à M. Brock, mais j’ai une question très rapide pour M. Hatch. À quel moment saurez-vous si vous serez touchés par les dispositions 114, 115 et 116? En avez-vous une idée?

M. Hatch : Nous procédons actuellement à la collecte de cette information. Nous avons parlé à certains de nos membres. Selon ce que nous avons entendu, les répercussions ne sont pas claires, mais il pourrait très bien y avoir un impact direct ou indirect. Ce n’est probablement pas un chiffre du même ordre que celui de Desjardins, mais on spécule en ce moment.

La sénatrice Marshall : Pourriez-vous nous tenir au courant une fois que cela sera établi?

M. Hatch : Oui.

La sénatrice Marshall : J’en viens à l’exploitation minière des actifs numériques, monsieur Brock. Nous parlons d’une industrie maintenant en croissance au Canada, et vous parliez des revenus et des 1 500 emplois. Mais les entreprises veulent une certitude. Vont-elles attendre que les vérificateurs de l’Agence du revenu du Canada se rendent sur place et prennent une décision? Pensez-vous qu’il est trop tard pour obtenir ces précisions, parce que vous avez déjà dit qu’une entreprise qui était établie à Terre-Neuve est déménagée au Texas, puis vous avez dit que deux autres entreprises étaient allées s’installer dans d’autres pays? Je veux dire, le gouvernement avance lentement. Pensez-vous qu’il est trop tard pour fournir des éclaircissements à l’industrie?

M. Brock : Non, pas selon ce que nous avons entendu de la part des fonctionnaires du ministère des Finances. Les entreprises ont pris les décisions qu’elles ont prises en matière d’investissement parce qu’elles pensaient, s’inquiétaient et ont été informées par des fiscalistes qu’elles seraient visées par ce projet de loi. Elles ont des demandes de crédit de taxe sur les intrants en suspens auprès de l’ARC, et vous avez cette nouvelle loi qui prétend apporter sa propre forme de clarté sur la manière dont l’industrie sera traitée.

Je ne pense pas qu’il soit trop tard. Si ces entreprises ont obtenu des précisions et que ces précisions étaient, en fait, que parce que vous vendez vos services informatiques à un destinataire identifiable qui est un non-résident, vous avez droit à votre crédit de taxe sur les intrants, cela réglerait l’incertitude du jour au lendemain. Donc, la question de l’incertitude fiscale créée par ce projet de loi pourrait être résolue.

Si nous obtenons cette clarté de la part du ministère des Finances... nous sommes actuellement en communication avec les fonctionnaires de l’ARC au sujet de la période précédant février 2022. Il s’agit de discussions constructives, et nous pensons que les fonctionnaires veulent faire les choses correctement. La clarté nous aidera à y parvenir. Si le ministère des Finances veut vraiment dire ce qu’il dit, à savoir que la majeure partie de cette industrie — sinon la totalité — sera exemptée de cette loi, l’industrie est là pour dire : « Nous avons besoin de plus de clarté à ce sujet; il ne suffit pas de laisser les choses ambiguës et de laisser les entreprises nager dans l’incertitude. »

C’est ce que nous avons essayé de faire en établissant le dialogue avec le comité et d’autres et en proposant l’amendement. C’est ce que nous espérons.

La sénatrice Marshall : Vous pensez que les entreprises vont attendre... elles n’attendront pas pour toujours, mais elles attendront assez longtemps...

M. Brock : Elles ne vont pas partir, mais elles ne prennent pas en ce moment de décisions en matière d’investissement pour croître. C’est un problème, la question fiscale en est un autre. Mais la collaboration avec les gouvernements provinciaux et les entreprises de services publics provinciaux est également un défi pour l’industrie. Nous pensons que, encore une fois, cela tient à une mauvaise compréhension au sujet du volet canadien de l’industrie.

La politique relative à l’électricité et l’élaboration d’une politique énergétique pour les réseaux de l’ensemble du Canada seront une question très importante à mesure que nous progressons vers l’électrification. Cette industrie a en fait des choses à offrir, de façon positive, aux gestionnaires de réseaux, parce que c’est une charge que l’on peut allumer et éteindre. Il s’agit d’ajouter une charge de base au réseau, et non pas une charge de pointe. Cette industrie a donc le potentiel d’accroître l’efficacité des opérateurs de réseau et de générer plus de revenus.

À Sherbrooke, au Québec, où Bitfarms exerce ses activités, l’entreprise est le plus gros client d’électricité de la ville. En février, il faisait -42 degrés Celsius à Sherbrooke ou quelque chose comme cela, et Bitfarms a reçu un appel de l’entreprise de services publics lui disant qu’elle devait couper l’alimentation de Bitfarms pendant 24 heures, ce qu’elle a fait. Le réseau a pu réaffecter cette énergie à d’autres utilisations plus importantes à ce moment-là.

Ce ne sont pas toutes les industries qui ont cette flexibilité en matière de consommation d’énergie. C’est le cas de cette industrie.

La sénatrice Marshall : Vous disiez que celle de Terre-Neuve, qui est ma province...

M. Brock : C’est exact.

La sénatrice Marshall : ... vous avez dit qu’une entreprise a déménagé parce qu’il y avait un problème concernant l’électricité.

M. Brock : C’est tout à fait vrai. L’entreprise en activité là‑bas avait une petite exploitation de six mégawatts, ce qui n’est pas une quantité d’énergie insignifiante, mais pour ce secteur, cela fait d’elle un petit acteur.

La sénatrice Marshall : Où était-elle située?

M. Brock : À Wabush. Ils avaient réuni un consortium d’investisseurs internationaux qui allaient avoir accès à environ 150 mégawatts d’énergie supplémentaire à partir du barrage. Le processus de consultation auprès du gouvernement provincial s’est avéré difficile, et l’attribution de ce type d’énergie a suscité des inquiétudes.

L’industrie doit faire face à d’autres problèmes, et elle s’y emploie activement, mais la question fiscale est une erreur involontaire, de notre point de vue.

La sénatrice Marshall : Mais celle de Terre-Neuve n’est pas déménagée dans une autre province; elle est déménagée dans un autre pays.

M. Brock : Dans un autre pays, oui.

La sénatrice Marshall : Merci.

[Français]

Le sénateur Forest : J’ai une question rapide pour M. Hatch. On sait que, pour Desjardins, l’impact est de 30 millions de dollars. Avez-vous été en mesure d’évaluer à quoi peut ressembler l’impact financier pour vos membres?

M. Hatch : On va bientôt savoir s’il y aura un impact, mais pour l’instant, on ne le sait pas; on est en train d’évaluer cela avec nos membres.

Le sénateur Forest : Merci. Allez-vous nous faire parvenir cette information?

M. Hatch : Oui, certainement.

Le sénateur Forest : Ma question s’adresse à M. Brock ou à Mme Barry. Le minage n’est pas très connu au sein de la population; ce que je trouve intéressant ce soir, c’est qu’à la base, c’est un service de calcul informatique qui sert à faire des échanges, notamment avec le bitcoin.

Avez-vous été en mesure d’explorer le potentiel de ce service exceptionnel, étant donné qu’il est plutôt énergivore? Au Canada, le climat est de notre côté; on a une stabilité politique et une capacité de production énergétique et on a donc une position très intéressante à l’échelle mondiale, étant donné ces trois facteurs. Avez-vous été en mesure d’évaluer le potentiel de ce secteur par rapport à des services qu’on ne connaît pas encore? Y a-t-il une réflexion à faire à ce sujet? Y a-t-il un effort à faire pour vulgariser ce potentiel? Je suis un peu surpris de vous entendre à ce sujet ce soir. Cela ouvre de nouveaux horizons.

[Traduction]

M. Brock : La coalition va probablement devenir une association industrielle plus officielle appelée conseil des entreprises d’actifs numériques, et cela se fera probablement à l’été. L’une des principales priorités du conseil des entreprises d’actifs numériques sera de commander une étude, probablement à Deloitte, KPMG ou EY, qui pourrait examiner les avantages économiques actuels de l’industrie au Canada, ainsi que les possibilités qu’elle présente.

À cet égard, nous parlons simplement de l’industrie telle qu’elle est aujourd’hui, c’est-à-dire la puissance informatique utilisée pour alimenter le réseau des bitcoins, qui, comme je l’ai dit plus tôt, est le réseau qui crée le plus de valeur. Mais il pourrait y avoir, et nous nous attendons à ce que ce soit le cas, d’autres réseaux qui deviennent très créateurs de valeur, si vous voulez, et cela ne concerne que la technologie de la chaîne de blocs.

Puis, au-delà de la chaîne de blocs, l’interface des technologies de la chaîne de blocs et de l’IA, qui vont toutes être extrêmement exigeantes en matière de puissance informatique pour qu’elles puissent fonctionner.

Il y a donc le potentiel de cette industrie, compte tenu de ce que nous en savons aujourd’hui — et il est important — mais l’inconnu, c’est le potentiel au-delà de l’industrie pour que le Canada devienne le principal fournisseur de puissance informatique de haute performance à l’échelle mondiale.

Il n’y a pas vraiment de réponse à la question de savoir quel est le plein potentiel, parce que personne ne sait vraiment où cela va nous mener, mais comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, la valeur qui, nous le savons, va être créée, compte tenu des aléas de l’évaluation du bitcoin — nous savons que cette valeur sera très importante, à mesure que ces blocs seront ajoutés à la chaîne de blocs. Ces revenus peuvent revenir au Canada par l’intermédiaire de cette industrie.

[Français]

Le sénateur Forest : Ce sont vraiment des hypothèses et des suppositions, mais est-ce que ce potentiel de développement est un levier financier plutôt qu’un secteur où il se créerait de l’emploi? Ce n’est pas vraiment un secteur qui demande une employabilité importante.

[Traduction]

M. Brock : Quand on y pense, cette industrie s’installe dans des lieux qui étaient des usines industrielles à fort taux d’emploi. Ces centres informatiques ne produisent pas les centaines d’emplois que l’entreprise forestière ou le fabricant de bâtons de hockey aurait pu utiliser dans l’usine, mais les emplois qu’ils créent sont des emplois de grande valeur, haut de gamme; il s’agit d’emplois de haute technologie.

Les 25 employés de haute technologie de Sherbrooke gagnent tous de 150 000 à 200 000 $. Cet emploi est important dans cette communauté.

Il ne s’agit pas seulement du potentiel de création d’emplois, et nous ne savons pas exactement combien d’emplois directs sont créés à mesure que cette industrie prend de l’expansion; il ne s’agit pas de l’industrie forestière ni d’autres secteurs manufacturiers, mais ce sont des emplois importants et des parties importantes des collectivités au Canada.

[Français]

Le sénateur Forest : Si on prend l’exemple de Rimouski, il y a un important centre de stockage de données de Telus. Comme la ville était en compétition avec d’autres villes, ce qui a fait la différence — au-delà du fait que Rimouski avait un maire fantastique —, c’est le climat, car la moyenne climatique est plus basse. On peut faire un lien semblable avec le centre de minage.

[Traduction]

M. Brock : Ces centres de minage préfèrent le climat froid. Il est important de pouvoir attirer le froid de l’extérieur pour refroidir les machines.

L’autre chose qui se produit dans cette industrie, c’est que la technologie pour refroidir les ordinateurs de haute performance est mise au point au Canada par ces entreprises. Il est donc peu coûteux d’attirer le froid de l’extérieur, mais il y a d’autres occasions également.

[Français]

Le sénateur Gignac : Permettez-moi un petit préambule pour les dizaines de milliers d’auditeurs qui nous regardent en ligne et les dizaines de milliers qui nous regarderont en différé.

On a ici des représentants du premier groupe financier corporatif qui représentent quand même 7,5 millions de Canadiens, avec des actifs de 400 milliards de dollars, et qui ont retourné un demi-milliard de dollars en ristournes, non pas à de gros actionnaires, mais à des Canadiens de la classe moyenne et, dans certains cas, des Canadiens moins fortunés. Ils sont ici ce soir malgré le fait qu’ils n’ont subi aucun impact jusqu’à maintenant. Ils n’ont rien touché à la suite de la décision de la cour d’appel qui donnait raison à la CIBC. Ils n’ont rien touché encore et ne toucheront rien non plus avec ce qui s’en vient. Ils tiennent à être ici ce soir parce qu’ils sont solidaires de l’Association des banquiers canadiens, qui sont des concurrents au mouvement coopératif. Ils sont solidaires de la position de leurs concurrents, qui, dans certains cas, ont touché des millions de dollars à la suite de la décision. Donc, j’aimerais saluer cela et mentionner que c’est fort méritoire.

J’aurais donc deux questions, si le temps me le permet.

Êtes-vous d’accord ou non avec l’Association du Barreau canadien, qui a dit que si ce projet de loi était adopté avec cette mesure de rétroactivité, cela affectera l’image du Canada en tant que pays démocratique fondé sur les règles de droit, si le gouvernement fédéral lui-même ne reconnaît pas les décisions de la cour? Des représentants de l’Association du Barreau canadien sont venus témoigner à notre comité. Ils ont tenu des propos sévères et ont dit que cela affecterait la réputation du Canada. Êtes-vous d’accord?

Monsieur Brun, je vous invite à répondre en premier.

M. Brun : Merci de votre question, sénateur.

Ce sont évidemment des questions très sensibles. Sur le plan des principes démocratiques, le respect du système judiciaire par l’exécutif est un élément primordial. Lorsqu’une décision judiciaire est prise par le gouvernement et que l’exécutif dit qu’il n’interjettera pas appel de cette décision, par un autre moyen, il va adopter une législation qui sera rétroactive, ce qui vient contrecarrer tout cela. Cela vient assurément affecter l’image et la crédibilité du Canada à cet égard.

J’ajouterais un autre point. On parle beaucoup de chiffres et d’argent, mais je crois que l’élément le plus important, c’est vraiment le principe.

Il y a eu récemment des turbulences un peu partout dans le secteur financier mondial. Cela nous a rappelé collectivement l’importance de la stabilité financière et d’une gestion de risque. Selon nous, la stabilité financière, c’est tout un ensemble de facteurs. Toutefois, une application qui ne serait pas rétroactive dans un contexte un peu arbitraire, c’est un élément qui est extrêmement important. Sinon, c’est justement cette crédibilité que l’on vient toucher. C’est dans ce contexte qu’on tenait à venir manifester fortement notre opposition à cette application rétroactive.

Le sénateur Gignac : Je partage votre point de vue, parce que le Canada, c’est un champion... Le Canada, c’est un pays démocratique fondé sur le respect des droits de la personne et des règles de droit. Toutefois, quand cela ne fait pas son affaire, tout à coup il décide de prendre de telles mesures. Je n’ai jamais vu cela.

Monsieur Huot, vous pourriez peut-être répondre à ma deuxième question. Je vous connais depuis des décennies, puisque j’ai déjà travaillé avec vous dans un passé lointain.

Vous avez vu toutes sortes de décisions de la cour, mais est-ce qu’on peut dire que c’est un précédent de voir une cour décider ultimement ce qui en est? Le gouvernement perd en appel et décide de ne pas contester la décision devant la Cour suprême. Puis, il attend 26 mois.... Avez-vous déjà vu cela dans une cause comme celle-là? Les témoins de l’Association des banquiers canadiens et de l’Association du Barreau canadien nous ont dit que c’était du jamais-vu.

Êtes-vous d’accord avec cette affirmation?

M. Huot : Je suis d’accord. C’est du jamais-vu, c’est un précédent. Je pratique en fiscalité depuis 30 ans et c’est la première fois que je vois une telle situation.

Le sénateur Gignac : C’est tout. Merci.

[Traduction]

Le sénateur Smith : Nous aimons garder M. Brock éveillé, parce qu’il ne s’est pas fait poser assez de questions.

Monsieur Brock, vous dites que les entreprises de minage canadiennes fournissent une puissance informatique à des entités étrangères identifiées. Les entités étrangères payent à l’entreprise canadienne une commission pour leurs services informatiques sous diverses formes, y compris le bitcoin.

M. Brock : Elles payent des frais. Elles payent des frais pour les services informatiques, oui.

Le sénateur Smith : La position du gouvernement est que l’entreprise de minage canadienne partage les revenus parce qu’elle s’est fait payer en bitcoins. Pouvez-vous confirmer qu’il s’agit du principal point de discorde sur lequel vous voulez des précisions?

M. Brock : C’est l’un des principaux points de discorde. Il semble que le ministère des Finances se préoccupe du fait que le mode de paiement de ces sociétés de minage soit le bitcoin. Les contrats qu’elles ont conclus peuvent leur permettre d’être payées en bitcoins ou en monnaie fiduciaire. Si la société minière souhaite être payée en monnaie fiduciaire plutôt qu’en bitcoins, elle le peut.

La raison pour laquelle les sociétés minières veulent être payées en bitcoins, c’est que les investisseurs dans ces sociétés minières veulent être investis dans cette technologie de la chaîne de blocs sans eux-mêmes devoir posséder des bitcoins. Les entreprises sont donc payées en bitcoins, elles possèdent leurs propres réserves de bitcoins, puis elles convertissent elles-mêmes leurs bitcoins en monnaie fiduciaire pour investir dans l’énergie et d’autres choses. Elles ne payent pas leur électricité en bitcoins. Elles les convertissent en monnaie canadienne et la payent en monnaie canadienne.

Le sénateur Smith : Cela justifie-t-il que le gouvernement prélève la TPS et la TVP?

M. Brock : Je ne pense pas que cela justifie quoi que ce soit. C’est un détail technique, mais il est important. Lorsque la société minière effectue son activité minière et place le bloc sur la chaîne de blocs, elle reçoit des frais de service de la part de la chaîne de blocs. Elle reçoit également l’incitatif du bloc, soit 6,25 bitcoins, qui sont versés dans un portefeuille numérique qui appartient entièrement à la société minière.

L’entreprise canadienne fournit la puissance informatique. Elle n’a rien à dire sur ce qui se trouve dans ce portefeuille. Il ne s’agit pas d’une coentreprise. Elle ne partage pas ces produits. Si la société minière faisait faillite demain, les entreprises canadiennes seraient au même niveau que tous les autres créanciers.

Le bitcoin qu’elles reçoivent provient d’un portefeuille différent. Oui, elles sont payées en bitcoins, mais ce n’est pas le bitcoin qui vient d’être extrait. Elles sont payées en d’autres bitcoins.

Encore une fois, tout cela n’a rien à voir. Le fait qu’elles soient payées en bitcoins extraits ou non ne devrait pas avoir d’importance. Elles savent à qui elles vendent leur service et elles savent qu’elles sont payées pour ce service.

Mme Rozansky : Ce qui est utilisé comme paiement ne devrait avoir aucune incidence sur le traitement du service sous‑jacent. Le bitcoin est un instrument financier qui ressemble beaucoup aux titres de créance, aux actions et ainsi de suite. Si les entreprises recevaient en guise de paiement l’une ou l’autre de ces choses, elles devraient être traitées de la même façon.

Le sénateur Smith : Si elles étaient payées en monnaie fiducie, cela dissiperait-il la préoccupation de Finances Canada?

M. Brock : Si elles étaient payées, pardon?

Le sénateur Smith : En monnaie fiducie.

Mme Rozansky : Je présume que vous voulez dire en monnaie fiduciaire.

Le sénateur Smith : Un jeune homme brillant vient de m’envoyer cela.

M. Brock : En monnaie fiduciaire? Encore une fois, je ne sais pas pourquoi nous imposerions cette exigence à l’entreprise. Pourquoi devrions-nous essayer de lui dire comment elle devrait être payée pour ses services? Cela n’aurait aucun sens.

Mme Rozansky : Encore une fois, c’est la précision que nous recherchons de la part du ministère des Finances. Nous ne savons pas ce que cela signifie de partager des paiements de minage.

M. Brock : Si le ministère des Finances disait que cela ferait une différence, cela ne ferait qu’exposer le fait qu’il ne s’agit pas d’une bonne politique en matière de TPS.

Le sénateur Smith : Vous avez fait valoir votre point de vue. Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Loffreda : Ma question s’adresse aux représentants du Mouvement Desjardins.

Je pense que nous avons bien couvert la question de plusieurs façons. Mon collègue le sénateur Gignac a parlé de vos résultats. Je vous félicite pour vos résultats et pour tout ce que vous faites pour nos communautés.

Je veux parler de l’industrie financière. Cette dernière affiche un chiffre d’affaires de 195 milliards de dollars, avec des bénéfices nets avoisinant les 60 milliards de dollars pour 2022.

Lors de votre présentation, vous avez mentionné à plusieurs reprises que les articles 114 à 116 pourraient avoir des conséquences sur la stabilité de notre système financier. Pourriez-vous donner des précisions à ce sujet?

Nous avons déjà abordé de nombreux aspects de cette question, mais pensez-vous réellement que les conséquences sur l’industrie seront majeures, compte tenu des chiffres que je viens de mentionner? Pensez-vous que notre économie sera affectée?

Nous comprenons que notre système judiciaire doit être indépendant, mais de hauts fonctionnaires du ministère des Finances ont dit que vous étiez au courant de tout et que ce n’était pas une nouvelle pour l’industrie. Ils sont surpris de tout ce qui s’est passé depuis.

Pouvez-vous parler davantage de cet aspect, surtout pour ce qui est du fait que votre déclaration sur la stabilité de notre système financier est assez audacieuse, assez majeure?

M. Brun : C’est une bonne question; cela nous permettra d’en discuter un peu plus et de clarifier certaines choses.

Il y a vraiment deux éléments à soulever. Il y a la question des montants — on parle de gros chiffres et ainsi de suite.

Selon nous, ce n’est pas vraiment une question de montants. On ne parle pas du tout d’affecter... Je pense qu’il faut mettre cela de côté. C’est vraiment la question de principe, c’est-à-dire qu’on arrive avec une mesure fiscale qui est tout simplement... Il y a une règle, il y a une contestation, il y a tout un débat qui se tient et qui passe par toutes les étapes et dans le circuit du milieu judiciaire. Vous nous dites qu’il y a une discordance manifeste entre la perception de certaines personnes au ministère des Finances et notre propre perception, puisque nous n’avons pas eu de signal indiquant que le gouvernement allait dans ce sens.

L’enjeu se trouve sur le plan du délai, soit l’application d’une mesure rétroactive et la décision d’un tribunal. Puis, on laisse échoir les délais d’appel et on attend deux cycles budgétaires complets.

Lorsque tout cela est cristallisé et que des décisions ont dû être prises par des fiscalistes et des équipes comptables au sein des institutions financières, quand on vient détricoter tout cela, ce n’est pas bon pour le système financier, qui a besoin d’une certaine prévisibilité et de certitude. Le Parlement est souverain; s’il décide d’appliquer des règles prospectives et de les imposer à l’avenir, cela ne fera peut‑être pas notre affaire, on ne sera peut‑être pas d’accord, mais on va vivre avec.

Lorsqu’on parle d’une application rétroactive, il faut quand même être très clair dans les intentions et il faut agir dans certains délais. Nos confrères voudront peut-être ajouter des éléments, du point de vue technique, sur toutes les incidences sur les calculs et sur le fait de détricoter. Ce n’est pas le meilleur signal qu’on envoie au système financier national et international, qui regarde ce qui se passe au Canada. On est fier de notre système financier et on pense justement que l’on devrait développer de meilleures normes à cet effet.

Le sénateur Loffreda : Si on ne propose aucun amendement, mais que le gouvernement fait la promesse d’appliquer l’amendement ou les règles de façon prospective seulement, serez-vous satisfait?

M. Brun : Certainement; si le gouvernement prend un engagement clair à cet effet, je crois qu’on vient clarifier une situation et régler un problème. Ce genre de truc ne doit pas arriver; on a besoin d’une certaine prévisibilité. Si le gouvernement décide de ne pas le faire comme cela, on le fera de manière prospective.

Le sénateur Dagenais : J’ai deux courtes questions pour M. Brock. D’abord, je voudrais revenir sur le déploiement des entreprises de minage des actifs numériques. Le système actuel de taxation fait en sorte que toutes les provinces ont des taxes qui s’ajoutent à la TPS, sauf l’Alberta. Doit-on comprendre que ceux qui investissent dans ce genre d’exploitation vont, de toute évidence, choisir de s’installer en Alberta pour des raisons d’imposition? De plus, si on se projette dans cinq ou dix ans, quel est le risque politique et économique d’accueillir ces exploitations si elles doivent expérimenter un crash ou des crashs de leur valeur, comme on l’a vu récemment?

[Traduction]

M. Brock : Je ne sais pas à quelles manigances vous faites allusion. C’est ce qui ressort de l’interprétation. Je pourrais peut‑être répondre à la première question, puis vous donner la parole.

Les répercussions pour une entreprise comme Bitfarms qui exerce ses activités au Québec et ne peut pas réclamer les crédits de taxe sur les intrants s’élèvent actuellement à environ 10 millions de dollars par année. Les répercussions négatives sur le fait qu’elle ne soit pas en mesure de réclamer ses crédits de taxe sur les intrants se chiffrent à environ 10 millions de dollars. Ce montant est grandement réduit ou a été réduit des deux tiers si elle devait s’installer en Alberta. Aucune des entreprises ne m’a dit, lors des diverses démarches et discussions avec les parlementaires, le Bloc québécois et d’autres, qu’elle allait déménager, mais ces entreprises sont cotées en bourse et ont l’obligation de maximiser l’investissement pour leurs actionnaires.

Le fait que la TPS crée de manière perverse un incitatif économique très tangible pour que ces entreprises déménagent des administrations où la TVH combinée est élevée vers d’autres administrations qui n’ont pas de taxe de vente ou qui n’ont pas de TPS ou de taxe de vente combinée... ces provinces ont tendance à être dans l’Ouest canadien, et les provinces où les taxes sont harmonisées ont tendance à être dans l’Est du Canada.

Mme Rozansky : Si je peux me permettre, il existe une règle particulière pour les institutions financières dans le projet de loi afin d’éviter ce transfert d’activités vers ces provinces à faible taux d’imposition. C’est le Règlement sur la méthode d’attribution applicable aux institutions financières désignées particulières, qui dit essentiellement qu’une institution financière assujettie à ces règles doit réattribuer son impôt irrécouvrable en fonction de l’endroit où ses activités se déroulent au Canada. Aucune règle similaire n’a été présentée pour ce projet de loi.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Les fournisseurs d’électricité accepteraient-ils d’être payés en cryptomonnaies?

[Traduction]

M. Brock : Pas à ma connaissance. Mon cabinet d’avocats n’est pas payé en cryptomonnaie, et je ne pense pas que le vôtre le soit, mais qui sait où cela ira. Je veux dire, même le point de vue de la Banque du Canada sur l’industrie est qu’il y a des raisons de s’inquiéter pour la stabilité financière, notre économie et la protection des consommateurs. Ces préoccupations sont légitimes. Mais la Banque a également déclaré qu’il existe de réelles possibilités de gains d’efficacité et d’innovation et que nous ne devrions pas faire abstraction de ce potentiel. La prudence est de mise, mais il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

La sénatrice Pate : Je vais revenir à vous, monsieur Brock. Ici aussi, devant le comité parlementaire, vous avez parlé du nombre d’emplois créés, en particulier pour les moins de 35 ans, des emplois bien rémunérés, des emplois de haute technologie. Des milliers de Canadiens ont subi des préjudices financiers en raison de la fraude liée aux cryptoactifs par le vol, les escroqueries, et cetera. Au Canada, entre 2017 et 2020, on estime que la fraude, c’est-à-dire la fraude par cryptomonnaie, a augmenté de 400 %. Les personnes qui n’ont pas de connaissances technologiques, comme moi, ainsi que celles qui ont un accès réduit à la technologie, contrairement à moi, y compris celles qui vivent dans la pauvreté, les anciens détenus et les personnes âgées, sont particulièrement susceptibles d’être victimes de ces pratiques abusives. Comme vous le savez — je présume que vous le savez — en 2022, les Canadiens ont perdu 308,6 millions de dollars à cause de fraudes en matière d’investissement, soit près du double de ce qu’ils ont perdu en 2021, et la plupart de ces pertes étaient attribuables à des escroqueries liées à la cryptomonnaie.

L’une des suggestions a été d’envisager de meilleures garanties et protections pour le public en lui donnant un meilleur accès à l’information. Ma question pour vous est la suivante : comment envisagez-vous d’aborder cette question et pourquoi, à votre avis, compte tenu de ces questions, le gouvernement devrait-il soutenir l’adoption de mesures fiscales plus souples pour l’industrie?

M. Brock : D’abord, je ne pense pas que je décrirais cela comme l’adoption de mesures fiscales plus souples pour l’industrie. Ce que l’industrie a demandé, c’est d’être traitée comme toutes les autres industries en ce qui concerne la TPS. La TPS ne fait pas de jugement de valeur quant à la nature de votre activité génératrice de revenus. Elle dit que si vous générez des revenus, vous payez la TPS et vous pouvez recouvrer la TPS sur vos intrants. Je dirais que c’est une distinction.

Vous mettez l’accent — à juste titre d’ailleurs — sur les questions liées à la protection des consommateurs qui font partie de cette nouvelle technologie émergente. Les entreprises de la coalition reconnaissent que c’est un enjeu qui a besoin d’attention et de réglementation. Certaines des solutions à ces problèmes se trouveront à même la technologie et l’industrie. Fait important, beaucoup des solutions à ces problèmes se trouveront avec une bonne réglementation et une bonne surveillance. Les commissions de sécurité d’un bout à l’autre du Canada jouent un rôle actif, en général, dans la partie de ce secteur qui touche les consommateurs.

Les plateformes elles-mêmes... Un membre de notre coalition, DMG Blockchain, établi à Christina Lake, en Colombie‑Britannique, a une filiale qui conçoit des logiciels à des fins de sécurité pour être en mesure de suivre les transferts et de recenser les mauvais acteurs sur le réseau. Aux États-Unis et ailleurs, les organismes de réglementation et les gouvernements se livrent une sorte de bataille permanente pour mettre au point les outils qui leur permettront de réglementer et de contrôler efficacement cette sphère d’activité.

Cela n’est pas unique à la chaîne de blocs. Les questions de la protection des consommateurs, surtout dans les domaines nouveaux et émergents, vont souvent de pair avec la croissance d’un domaine à ses premières étapes, lorsque même les organismes de réglementation et les gouvernements ne comprennent pas assez bien ce qui se passe pour être en mesure de protéger les Canadiens.

La sénatrice Pate : Dans ce cas, seriez-vous d’accord avec Vanessa Iafolla, de l’Université Wilfrid Laurier, qui a dit que ce domaine particulier était difficile parce qu’il est conçu pour être anonyme et que les transactions sont souvent particulièrement difficiles à suivre?

M. Brock : L’anonymat sur le réseau est ce qui attire les gens et les incite à l’utiliser, et il présente également ces défis du point de vue de l’application de la loi et de la réglementation. J’en conviens, c’est quelque chose qui exige une attention particulière, mais je ne sais pas si la solution est de retirer l’anonymat. Les gens ont droit à leur vie privée s’ils le souhaitent, mais ils n’ont pas pour autant le droit de se livrer à des activités illégales.

La sénatrice Pate : Si votre organisation s’est penchée sur des moyens pour réagir à ces questions, ce serait incroyablement utile si vous pouviez les communiquer au comité.

[Français]

La sénatrice Moncion : Quand on a rencontré les gens du ministère, ils nous ont dit que c’était une économie renversée qu’ils allaient chercher chez les institutions financières et que vous alliez récupérer ces sommes auprès de vos sociétaires, dans le cas des caisses, et de leurs clients, dans le cas des banques. Dans le cas des coopératives d’épargne, il s’agit aussi de vos sociétaires.

J’ai parlé à l’Association des banquiers canadiens ce matin et ils sont très embêtés par la question de la rétroactivité. Je ne suis pas sûre que ce que le sénateur Loffreda a proposé plus tôt corrigerait la situation. Je ne suis pas certaine que le gouvernement voudra nécessairement apporter ce changement maintenant, mais on verra.

Vous avez parlé de l’image du Canada par rapport aux éléments associés au droit. J’aimerais vous entendre au sujet de l’importance du principe de la stabilité du droit en droit canadien et de l’impact potentiel de la rétroactivité de la mesure proposée aux articles 114 et 116, qui a pour effet de modifier l’état antérieur du droit. Est-ce que ce précédent et le manque de prévisibilité pourraient affecter le consommateur? Si oui, comment?

M. Brun : Merci, sénatrice.

Ce sont de très bonnes questions. Lorsqu’on parle de stabilité financière, c’est important de voir que c’est un concept large formé d’un ensemble de facteurs. On a fait référence à toutes sortes de choses. Mes collègues d’un autre groupe de témoins qui ont comparu sur un sujet différent en ont également parlé. C’est un ensemble de composantes. Pour nous, la prévisibilité des règles est un élément important. Pourquoi? Parce que l’institution financière elle-même, qui fait affaire avec un grand nombre d’intervenants, de contreparties, de partenaires et de clients a besoin de cette prévisibilité pour les évaluer et estimer les coûts, pour évaluer les investissements et leur donner une cote de crédit et pour tout un ensemble de facteurs.

Pour nous, la rétroactivité n’est pas purement un problème en soi; le problème, c’est que cette rétroactivité existe, même s’il y a des décisions claires qui ont été prises par le système judiciaire, parce qu’il n’y a pas eu d’appel, parce qu’un délai est écoulé et que des cycles budgétaires sont passés et parce qu’il n’y a pas eu d’indications qui ont été données.

Dans un contexte comme celui-là, cela vient affecter cette cohérence et cette stabilité que l’on recherche dans le contexte canadien. Est-ce que cela vient affecter la situation à ce moment-là? Oui, cela vient mettre une tache sur la perspective que l’œil externe aura sur le système canadien. De plus, ce n’est surtout pas le temps de le faire actuellement, alors que le système financier et l’économie subissent des pressions accrues. On considère que cette mesure est très mal avisée. Ce n’est sûrement pas geste volontaire, mais il est mal avisé. On veut traiter un enjeu spécifique; très bien, faisons-le. C’est pourquoi on dit que la mesure devrait être prospective, et non rétroactive.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, avant de lever la séance, en tant que président, je pense que nous nous entendons tous pour dire, sans aucun doute, que nous avons un dénominateur commun, à savoir la recherche de transparence, de responsabilité, de fiabilité et de prévisibilité.

Chers témoins, vous avez été très instructifs. Vous avez été très enrichissants en communiquant les renseignements et en répondant aux questions. À mes yeux, je dirais que c’est aussi très instructif, surtout lorsque nous examinons un nouveau secteur émergent, celui de la coalition pour l’exploitation minière des actifs numériques, et je n’ai pas pu poser de question pour Saint-André.

M. Brock : Nous avons réussi à intégrer Saint-André dans le compte rendu.

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, notre prochaine réunion se tiendra le mardi 6 juin à 9 heures, afin de poursuivre l’étude de la teneur du projet de loi C-47.

(La séance est levée.)

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