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NFFN - Comité permanent

Finances nationales


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 17 octobre 2023

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence pour étudier le projet de loi S-233, Loi concernant l’élaboration d’un cadre national sur le revenu de base garanti suffisant.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à tous les sénateurs et sénatrices et aussi à tous les Canadiens qui nous regardent sur sencanada.ca.

[Français]

Je m’appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité sénatorial permanent des finances nationales.

J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter.

Le sénateur Forest : Bienvenue, Éric Forest, sénateur de la région du Golfe, au Québec.

Le sénateur Gignac : Bonjour. Clément Gignac, sénateur du Québec.

[Traduction]

La sénatrice MacAdam : Jane MacAdam, de l’Île-du-Prince-Édouard.

[Français]

Le sénateur Loffreda : Bonjour et bienvenue. Sénateur Tony Loffreda, de Montréal, au Québec.

[Traduction]

La sénatrice White : Judy White, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Woo : Bonjour. Je suis Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate, et je vis sur le territoire non cédé de la nation algonquine anishinabe.

Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.

[Traduction]

Le président : Merci, mesdames et messieurs.

Nous commençons aujourd’hui notre étude du projet de loi S-233 concernant l’élaboration d’un cadre national sur le revenu de base garanti suffisant, qui a été renvoyé à ce comité par le Sénat du Canada, le 18 avril 2023. Sa marraine, la sénatrice Pate, siège à notre comité.

Honorables sénateurs et sénatrices, nous avons le plaisir d’accueillir Yves Giroux, directeur parlementaire du budget. Il est accompagné de Nasreddine Ammar, conseiller-analyste. Bienvenue et merci d’avoir accepté notre invitation à témoigner devant le Comité des finances. C’est toujours enrichissant de vous recevoir, monsieur Giroux. Votre témoignage et vos observations aident les Canadiens à comprendre le processus budgétaire. Nous avons des dénominateurs communs, soit la transparence, la responsabilité et la prévisibilité. Cela dit, on m’informe que vous avez des observations à nous communiquer.

[Français]

Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Merci de nous avoir invités à comparaître devant vous afin de discuter du projet de loi S-233, Loi concernant l’élaboration d’un cadre national sur le revenu de base garanti suffisant.

Comme vous l’avez mentionné, je suis accompagné de Nasreddine Ammar, conseiller-analyste, qui a rédigé plusieurs de nos rapports concernant le revenu de base garanti.

Tout d’abord, permettez-moi de vous fournir un peu de contexte. En novembre 2017, afin de soutenir les discussions parlementaires sur la stratégie de réduction de la pauvreté du gouvernement, notre bureau a publié un rapport dans lequel il a répertorié 75 initiatives du gouvernement fédéral destinées aux personnes à faible revenu et à d’autres groupes vulnérables. L’ensemble de ces initiatives représentait un total global de 57 milliards de dollars réparti parmi environ 55 programmes, dont le Supplément de revenu garanti, et une vingtaine de dépenses fiscales, comme l’Allocation canadienne pour enfants et le crédit pour la TPS/TVH.

Il y a un point important à soulever : les programmes et dépenses fiscales mentionnés plus tôt ne partagent ni les mêmes objectifs ni la même structure et ne ciblent pas les mêmes populations. Créés de manière indépendante, ils ont été élaborés pour régler divers problèmes spécifiques.

Je vais maintenant poursuivre ma présentation en anglais.

[Traduction]

En 2017, l’Ontario a lancé un projet pilote de revenu de base dans plusieurs régions, dont Hamilton et Thunder Bay.

En avril 2018, nous avons publié notre première estimation du coût de l’établissement d’un revenu de base national garanti sur le modèle ontarien. Pour l’exercice 2018-2019, nous avons estimé ce coût brut à 76 milliards de dollars, un montant qui passerait à 79,5 milliards de dollars en 2022-2023. Après avoir soustrait l’aide fédérale déjà accordée aux personnes à faible revenu, nous avons évalué le coût net de l’instauration d’un revenu national de base garanti à 44 milliards de dollars.

En juillet 2020, nous avons répondu à une demande de votre collègue, le sénateur Woo, de réévaluer le coût post-COVID-19 d’un programme de revenu de base garanti en utilisant les paramètres du projet pilote mis en place en Ontario. Cette demande a été formulée après l’instauration de la Prestation canadienne d’urgence, qui a propulsé le débat sur le revenu de base universel sous les projecteurs. Le DPB a présenté trois estimations fondées sur des scénarios d’élimination graduelle de la prestation à raison de 50 ¢, 25 ¢ et 15 ¢ pour chaque dollar de revenu d’emploi. Ce rapport présentait également la répartition provinciale du coût d’un RBG. À l’époque, nous avions estimé que le coût total brut se situait entre 47,5 et 98,1 milliards de dollars, selon les trois scénarios, pour la période de six mois comprise entre octobre 2020 et mars 2021. Comme le sénateur Woo l’avait demandé, le DPB a aussi dressé une liste des programmes fédéraux et provinciaux dont l’élimination pourrait financer le RBG.

Pour compléter l’analyse, plusieurs parlementaires nous ont demandé d’évaluer l’effet d’un tel programme de transfert gouvernemental sur la répartition du revenu et les taux de pauvreté, de mesurer son incidence budgétaire et d’estimer l’effet de sa mise en œuvre sur les comportements. Un autre rapport publié en avril 2021 révélait qu’un RBG aurait un effet progressif sur le revenu disponible des ménages et pourrait réduire les taux de pauvreté de près de la moitié selon la mesure du panier de consommation, ou la MPG. Nous avons estimé que le coût annuel d’une RBG passerait de 85 milliards de dollars en 2021-2022 à 93 milliards de dollars en 2025-2026. Ces chiffres prennent en compte les paiements supplémentaires de prestations d’invalidité et les effets comportementaux.

Cela dit, nous nous ferons un plaisir de répondre à toute question que vous pourriez avoir sur nos travaux portant sur le revenu de base garanti ou sur d’autres travaux du DPB. Je vous remercie de votre attention.

[Français]

Le président : Merci, monsieur Giroux.

[Traduction]

Honorables sénateurs et sénatrices, nous allons passer à la période de questions. Nous vous accorderons au plus cinq minutes chacun, car nous ne disposons que d’une heure.

La sénatrice Marshall : Merci, monsieur Giroux, de votre présence.

J’ai pris connaissance de votre rapport d’avril 2021 et des coûts du programme. Je sais que plusieurs projets pilotes ont été lancés au Canada, mais il semble que le gouvernement recule pour une raison ou une autre. Vous venez de publier votre mise à jour budgétaire vendredi dernier, qui révèle que le gouvernement est confronté à de graves difficultés financières. Ce programme a un coût, et je pense que le chiffre figurant dans votre rapport de 2021 pour cette année-là aurait été légèrement supérieur à 80 milliards de dollars. C’est ce que j’ai retenu de votre rapport. Avez-vous des commentaires sur la question de savoir si le gouvernement peut se permettre de mettre en œuvre ce programme? Je vois dans votre rapport qu’une partie de ce programme serait financée par les contribuables qui ne peuvent pas réclamer l’exemption de base. J’aimerais savoir si le gouvernement a les moyens de mettre en œuvre ce programme et si les Canadiens seraient prêts à accepter les niveaux d’imposition plus élevés nécessaires pour le financer.

M. Giroux : C’est probablement la question la plus importante qui se pose lorsqu’on envisage un revenu de base garanti.

Au cours de l’été, nous avons publié notre rapport sur la viabilité financière qui révélait que le gouvernement pourrait soit augmenter les dépenses, soit réduire les impôts, soit combiner les deux, à hauteur d’environ 1,7 ou 1,8 % du PIB, soit environ 40 milliards de dollars, sans compromettre sa viabilité financière. Cela donne à penser qu’un revenu de base garanti devrait remplacer certains programmes, y compris certains avantages fiscaux, comme vous l’avez souligné. Dans cette optique, il faudrait examiner si un revenu de base garanti pourrait être entièrement ou au moins partiellement financé en réduisant l’exemption personnelle de base, l’aide sociale provinciale et d’autres crédits d’impôt, notamment le crédit pour la TPS, afin de déterminer si un tel programme serait viable ou abordable sans risquer ou mettre en péril la viabilité financière du gouvernement fédéral.

Cependant, comme d’autres l’ont déjà mentionné, de nombreux paramètres doivent être pris en compte dans la conception d’un RBG. Il serait certainement possible de concevoir un RBG moins coûteux. Nous en avons calculé le coût à l’aide d’une série d’hypothèses et de paramètres, mais dans l’état actuel des choses, il ne serait viable que si une série de programmes et d’avantages fiscaux étaient éliminés.

La sénatrice Marshall : Nous parlons du gouvernement fédéral, mais vous avez aussi travaillé sur la viabilité financière des différentes provinces, et votre rapport montre explicitement que les gouvernements provinciaux devraient également renoncer à des recettes fiscales, ce qui est très important. Dans quelle mesure pensez-vous que les gouvernements provinciaux seraient réceptifs à l’idée de renoncer à une partie de ces recettes fiscales provinciales?

M. Giroux : Cela dépendrait de la conception d’un tel programme de revenu de base garanti. Par exemple, si le gouvernement fédéral devait supporter la plupart des coûts, je pense que les provinces pourraient être disposées à accepter un revenu de base garanti, car il rendrait très probablement superflues la plupart des dépenses d’aide sociale à l’échelle provinciale, et il rendrait également moins nécessaire une série de crédits d’impôt provinciaux, mais un revenu de base garanti nécessiterait de longues négociations avec les provinces et les territoires.

La sénatrice Marshall : Dans le rapport de 2021, le résumé de la figure 1 illustre les cinq premiers quintiles ainsi que les chiffres moyens. Pourrions-nous obtenir un cadre? Il s’agit d’un chiffre moyen, mais avec une moyenne, le chiffre réel pourrait être bas ou très élevé. Pourriez-vous communiquer à la greffière la fourchette pour chacun des quintiles?

Nasreddine Ammar, conseiller-analyste, Bureau du directeur parlementaire du budget : C’est possible, oui.

La sénatrice Marshall : Ce serait apprécié. Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Forest : Merci d’être ici aujourd’hui pour traiter de cette question fort importante, et surtout pour les analyses et les études que vous avez réalisées au fil des ans.

Vous prétendez que ce pourrait être un régime à coût nul si on retirait certains programmes en ce qui concerne les crédits d’impôt. Comme nous le savons, 10 % des Canadiens et des Canadiennes ne remplissent pas de déclarations de revenus. Certains le font volontairement, pour tenter d’échapper à l’impôt, alors que d’autres font partie d’une grande majorité qui se trouve parmi les populations les plus fragilisées au Canada. Selon vos estimations, les coûts du programme incluraient-ils cette population fragilisée?

M. Giroux : Il est difficile de tenir compte des gens qui ne remplissent pas de déclarations de revenus. Pour estimer les coûts d’un revenu minimum garanti, on s’est basé sur un modèle de simulation fourni par Statistique Canada qui se fie en bonne partie aux déclarations de revenus. Il y a des recoupements avec certaines autres bases de données, mais il est assez clair que cela exclut les gens qui, année après année, ne remplissent pas de déclarations de revenus, même si c’était tout à leur avantage de le faire dans bien des cas. Les estimations tentent de tenir compte du fait qu’un segment de la population ne remplit pas de déclarations de revenus, mais ce n’est pas une compensation parfaite.

Le sénateur Forest : Cette proportion de 10 % de la population canadienne représente quand même une masse importante de citoyens et de citoyennes qui sont parmi les plus fragilisés dans certains cas.

On veut implanter un programme de revenu de base pratiquement à coût nul en éliminant beaucoup de programmes qui ont des impacts. A-t-on mesuré les impacts sur la classe moyenne, qui aujourd’hui est durement touchée par l’inflation?

M. Giroux : On a mesuré l’impact par quintile de revenus et on en est arrivé à la conclusion suivante : l’élimination de certains crédits d’impôt, dont le montant personnel de base et le montant pour les travailleurs — une liste figure à l’annexe A-1 du rapport de 2021 — ferait en sorte que les gens qui se trouvent dans le troisième, quatrième et cinquième quintile de revenus sont ceux qui subiraient une baisse de revenu net, de revenu disponible, en raison de l’élimination de certains de ces crédits d’impôt et avantages fiscaux.

On estime qu’environ 40 % de la population serait gagnante, mais que 60 % de la population serait perdante. Évidemment, si on veut créer un programme de cette ampleur à coût nul, il faut nécessairement des perdants. Or, les perdants se trouveraient en majorité dans les 60 % de revenu supérieur, ce qui inclut, selon moi, une bonne partie de la classe moyenne.

Le sénateur Forest : L’un des arguments qu’on entend souvent, c’est qu’un tel programme serait un désincitatif à l’emploi et que les gens seraient moins motivés. Avec la situation actuelle de l’emploi, énormément d’entreprises et de commerces cherchent désespérément des employés. Comment avez-vous mesuré l’effet désincitatif à l’emploi? Pouvez-vous nous expliquer un peu les conclusions que vous en avez tiré?

M. Giroux : Il y a de la littérature qui a mesuré les désincitatifs à l’emploi des taux marginaux effectifs qui s’accroissent, soit les taux d’impôt et de réduction de certaines prestations auxquelles les gens font face dans certaines tranches de revenus. La littérature explique quels sont les impacts si on compte accroître ou diminuer ces désincitatifs. En se basant sur les expériences et les études qui ont été menées, on arrive à la conclusion qu’il y aurait une baisse d’environ 1,5 % du nombre total d’heures travaillées, étant donné que, dans certains cas, les prestations agiraient comme un désincitatif à l’emploi, surtout dans la tranche de revenus la plus basse.

Le sénateur Gignac : Bienvenue aux témoins. C’est toujours un plaisir de vous retrouver, monsieur Giroux.

Le Québec est reconnu comme une société assez progressive et parmi les plus égalitaires de l’OCDE. Si on prend le coefficient de Gini, que vous connaissez bien et qui mesure les inégalités entre les classes de revenus, le Québec est plus près de la Suède, de la Finlande et de la Norvège et on y retrouve l’un des coefficients les plus faibles au Canada, ce qui est bon signe.

En 2016, le gouvernement du Québec a établi un comité d’experts pour analyser la possibilité d’un revenu minimum garanti. Vous l’avez peut-être lu. Dans son rapport, le comité en venait à la conclusion qu’en fait, les formes absolues ou complètes de revenu minimum garanti soulevaient d’importants problèmes d’équité, d’incitation au travail et d’acceptabilité sociale.

Avez-vous pris connaissance de ce rapport? Pouvez-vous nous guider un peu plus là-dessus? Si le Québec a analysé la question et qu’un comité d’experts suggère qu’il serait peut-être préférable de bonifier les programmes existants plutôt que se lancer là-dedans, je serais curieux d’entendre votre réaction à ce sujet.

M. Giroux : Le comité d’experts est arrivé à la conclusion qu’il y avait désincitatif au travail, ce qui n’est pas incohérent avec nos propres conclusions, pour répondre à la question du sénateur Forest. Nous arrivons également à la conclusion qu’il y aurait désincitatif au travail. La question plus sensible et plus difficile à quantifier est celle de l’acceptabilité sociale. Cela fait probablement référence au fait qu’il y aurait une perception selon laquelle les gens seraient payés à ne rien faire.

L’idée d’un revenu minimum garanti est de garantir un certain revenu, ce qui est déjà le cas, par exemple, avec les programmes d’aide sociale ou la Sécurité de la vieillesse pour certaines tranches de la population. Toutefois, c’est une question de décisions sur le plan politique sur lesquelles je ne peux pas faire de commentaires. Par contre, je crois que M. Ammar avait un commentaire à ajouter au sujet des incitatifs au travail.

M. Ammar : Pour répondre à la question du sénateur Forest, c’est vrai qu’on a estimé quels seraient les effets sur la participation au travail. Toutefois, ces effets sont très sensibles pour ce qui est des paramètres qu’on utilise, comme l’a dit M. Giroux. Il ne faut pas non plus oublier que les plus récents rapports datent de 2021. On sait bien qu’il y a eu des changements économiques énormes jusqu’à présent à cause de l’inflation et d’autres changements structurels. Tout cela peut également jouer un rôle dans l’analyse d’un revenu minimum garanti et avoir un effet sur la participation au travail.

En fait, je trouve que la participation au travail est une question très importante et je pense qu’on a besoin de travailler davantage là-dessus, surtout que les études utilisées ont été menées à partir de données qui, en général, sont issues d’autres politiques qui ne sont pas nécessairement liées au revenu de base garanti.

Le sénateur Gignac : Je voulais revenir sur la discussion que vous avez eue avec ma collègue la sénatrice Marshall. Nous sommes tous d’accord avec la sénatrice Pate pour dire que l’objectif est de réduire la pauvreté. Il n’y a aucun doute là‑dessus. Il y a l’approche du revenu de base garanti et il y a aussi d’autres approches. On l’a vu durant la pandémie avec l’adoption de mesures ciblées et plus récemment avec le remboursement pour l’épicerie de Mme Chrystia Freeland.

Dans votre rapport sur la viabilité financière, vous avez dit que le gouvernement avait une marge de manœuvre d’environ 45 milliards de dollars, soit 1,6 % du PIB, mais, depuis, les taux d’intérêt ont beaucoup augmenté.

Aujourd’hui, dans un contexte où les taux d’intérêt sont plus élevés que ce que vous aviez comme hypothèse à l’époque, et avec le régime d’assurance-médicaments qui, semble-t-il, entrera bientôt en vigueur, le Canada aurait-il les moyens de se payer ce revenu de base garanti? Ne serait-il pas préférable d’adopter des mesures ciblées, comme l’avaient mentionné les auteurs de l’étude du Québec?

M. Giroux : C’est sûr que si l’on considère les autres pressions qui s’exercent sur les finances publiques, comme le régime d’assurance-médicaments et le régime d’assurance dentaire, qui risquent d’être étendus, les pressions en matière de défense nationale... Si l’on ajoute le revenu de base garanti, des choix devront être faits : on devra soit mettre en œuvre l’ensemble de ces mesures et augmenter les impôts et les taxes, soit retarder ou diminuer quelque peu l’ampleur de certains de ces programmes, si on veut tous les mettre en œuvre. On devra peut-être choisir certaines mesures. On ne peut pas mettre en œuvre tous ces programmes sans augmenter les impôts tout en s’assurant d’avoir une viabilité financière à long terme.

Le sénateur Gignac : Merci.

Le sénateur Smith : Merci d’être parmi nous aujourd’hui, monsieur Giroux.

[Traduction]

Le versement d’un revenu de base garanti aux personnes âgées de 17 ans aurait des effets importants sur les comportements. Dans votre rapport de 2020 sur le sujet, vous n’avez pas pris en compte ces effets comportementaux potentiels dans l’estimation du coût du programme de RBG. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait?

M. Giroux : Nous ne les avons pas pris en compte dans les premiers rapports parce que nous disposions de peu d’information à l’époque et que nous n’avions pas beaucoup de temps pour le faire. On nous a demandé d’estimer le coût. Nous avons pris ces éléments en considération dans notre rapport de 2021, puisque nous avons eu un peu plus de temps pour examiner la documentation spécialisée qui portait sur les effets tant incitatifs que dissuasifs d’un revenu de base garanti.

Comme M. Ammar l’a souligné plus tôt, c’était en 2021. Les choses ont changé. Le tissu économique a un peu changé, les marchés du travail ont changé. La mise à jour de ces études pourrait aboutir à des chiffres légèrement différents par rapport aux effets dissuasifs à l’égard du travail.

M. Ammar : Lorsque nous avons rédigé le premier rapport, la demande portait sur le coût brut du revenu de base. Pour évaluer le comportement, nous devons dresser la liste des programmes qui seront remplacés par le revenu de base et recalculer le taux effectif marginal d’imposition. Sur cette base, nous calculons l’effet sur le comportement. Nous ne l’avons pas fait dans le premier rapport. Nous nous sommes contentés d’estimer les coûts bruts. Nous n’avons pas dressé la liste des programmes et nous n’avons pas estimé l’effet sur le comportement. Lorsque le sénateur Woo a demandé le coût d’un revenu de base pendant la COVID et les programmes susceptibles d’être remplacés pour financer le revenu de base, cela nous a aidés à évaluer l’effet du RBG sur le comportement.

Le sénateur Smith : De nombreux programmes d’aide liés à la COVID-19, comme la PCU, comportaient des critères d’admissibilité, notamment le fait d’avoir présenté une déclaration de revenus au cours des années précédentes. La plupart de ces programmes ne comportaient pas de mécanismes de lutte contre la fraude en amont. En conséquence, des centaines de millions de dollars d’aide liée à la pandémie ont été versés à des personnes qui n’y avaient pas droit. Avez-vous évalué le risque de fraude ou d’autres risques dans tous les programmes de RGB que vous avez examinés?

M. Giroux : La PCU n’est probablement pas le meilleur comparateur, car il y avait un sentiment d’urgence à envoyer l’argent le plus rapidement possible. On nous a dit que les contrôles seraient faits plus tard. Nous pouvons débattre de la question de savoir si c’était suffisant ou non. Je dirais que non. Pour le RBG, cependant, je ne pense pas qu’il y ait le même sentiment d’urgence. Je pense que le gouvernement pourrait instaurer des garde-fous et des mesures de vérification qui seraient un peu plus rigoureux que la quasi-absence de ces garde‑fous.

Le sénateur Smith : Auriez-vous des garde-fous à nous suggérer pour l’instant?

M. Giroux : Se baser sur le régime fiscal serait probablement une bonne approche, mais il revient au gouvernement de se prononcer sur la conception.

Le sénateur Smith : Je vous remercie.

Le président : La sénatrice Pate, la marraine du projet de loi, a la parole.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup aux témoins de votre présence et de votre travail.

Pour mémoire, je pense que vous avez dit clairement que vous avez estimé les coûts bruts. Dans votre dernière réponse, vous avez dit qu’il vous faudrait déterminer les coûts nets réels. Il vous faudrait examiner les mesures de compensation. Cela fait clairement partie de vos observations.

En ce qui concerne les économies de coûts — je comprends qu’en tant que directeur parlementaire du budget, vous pouvez parler de l’effet d’une politique, sans forcément la recommander — avez-vous comparé différentes définitions de l’unité de prestation? Au-delà de l’individu ou de la famille nucléaire, avez-vous estimé le coût de l’effet, par exemple, de la réduction de la pauvreté si la famille de recensement est utilisée comme résultat? Pour revenir à la question que le sénateur Smith vient de poser, la famille de recensement pourrait inclure les enfants adultes qui habitent chez leurs parents pour permettre une certaine compensation. Certains économistes ont suggéré que l’inclusion des enfants adultes habitant chez leurs parents dans la même famille pourrait aboutir à une réduction de 40 % des coûts nets avec pratiquement le même effet sur la réduction de la pauvreté. Avez-vous des raisons de mettre en doute cette conclusion?

M. Giroux : Nous avons pris en compte l’individu et la famille conformément à notre définition habituelle de la famille. Nous n’avons pas examiné les différentes permutations possibles. Cependant, d’après ce que vous avez dit, je n’ai aucune raison de douter de l’exactitude de ces chiffres. Par exemple, si vous incluez les enfants adultes — comme c’est le cas dans mon ménage, j’ai un enfant adulte qui étudie encore — cela pourrait bien aboutir à des chiffres légèrement ou nettement différents.

La sénatrice Pate : Cela pourrait être l’un des garde-fous dont vous avez parlé et qui n’existaient pas avec la PCU.

M. Giroux : Oui, peut-être bien.

La sénatrice Pate : Cela a conduit à la perpétuation de certains stéréotypes sur les enfants adultes parasites.

M. Giroux : Oui. Il y a un nombre infini de permutations dans la conception d’un tel programme : les taux de récupération, l’administration, les enjeux liés à la conception, la définition de l’unité familiale, les individus par rapport à la famille de recensement ou aux ménages. Oui, il y a de nombreux enjeux liés à la conception.

La sénatrice Pate : Dans le rapport de 2021, vous avez dit que les coûts nets s’élevaient en fin de compte à environ 3 milliards de dollars. Après avoir pris en compte plusieurs permutations, vous avez mentionné dans votre témoignage de ce matin qu’il s’agissait plutôt de 44 milliards de dollars. Toutefois, si vous prenez en compte un certain nombre de programmes existants, le coût estimatif est nettement réduit.

Je crois comprendre que vous n’avez pas été en mesure d’examiner les coûts en aval dans d’autres domaines, par exemple les systèmes de justice pénale, d’hébergement et de soins de santé. J’aimerais que vous précisiez si le DPB a chiffré de telles économies en aval dans d’autres études. Sinon, pourriez-vous expliquer pourquoi et nous préciser si vous pensez que de telles économies sont possibles et la meilleure façon dont nous pourrions favoriser leur calcul?

M. Giroux : C’est une question qui revient souvent quand nous produisons nos rapports : avez-vous pris en compte les économies ou les effets en aval? La réponse est que nous ne le faisons généralement pas parce que nous sommes un bureau du budget et qu’on nous demande donc d’évaluer le coût d’une mesure ou les revenus qu’elle génère plutôt que l’effet en aval.

Dans le cas d’un programme comme un revenu de base garanti, il est évident qu’il y aura des répercussions sur les personnes qui toucheront un revenu sûr, surtout celles qui se situent au bas de l’échelle. Nous n’avons pas estimé les avantages pour ces personnes, la population bénéficiaire, par exemple en ce qui concerne l’amélioration de la santé physique ou mentale ou l’augmentation de l’accessibilité au logement pour ces personnes. Nous ne l’avons pas fait, faute de ressources et de temps.

La sénatrice Pate : En ce qui concerne l’utilisation des meilleures données disponibles, il est certain que l’université de la Colombie-Britannique, l’université de la Saskatchewan, le Réseau canadien pour le revenu garanti et d’autres ont étudié plusieurs modèles différents. Seriez-vous étonné d’apprendre qu’ils ont estimé les économies réalisées par ces systèmes — soit la santé, la justice pénale et d’autres — à environ 26 milliards de dollars? Cela représenterait un rendement de 1,06 $ pour chaque dollar dépensé pour verser un revenu de base garanti suffisant.

M. Giroux : C’est tout à fait possible. Cela ne semble pas disproportionné ou incohérent avec ce que nous avons constaté.

La sénatrice Pate : Merci beaucoup.

Le sénateur Woo : Merci aux témoins.

J’ai quelques questions sur les estimations que vous avez produites. Si je me souviens bien, vous n’avez pas éliminé la totalité du montant de base dans le calcul du coût net. Il a été préservé de sorte qu’en cas de réduction supplémentaire ou de réduction du montant de base, le coût net serait encore moins élevé, n’est-ce pas?

M. Giroux : Oui, c’est exact.

Le sénateur Woo : Deuxièmement, je crois que vous n’avez pas éliminé la prestation d’invalidité. Encore une fois, ce montant est préservé pour les personnes qui se soucient véritablement et à juste titre des besoins spéciaux des personnes handicapées. Ce montant a été protégé dans les estimations que vous avez produites. Est-ce exact également?

M. Giroux : Je pense que oui. Certains suppléments, certains avantages fiscaux ou crédits d’impôt plus ciblés ont été éliminés.

M. Ammar : En ce qui concerne les montants de base, nous avons éliminé la totalité de la partie fédérale des montants de base.

Le sénateur Woo : En ce qui concerne l’effet redistributif du calcul du revenu de base, vous avez déjà mentionné que le fardeau, pour ainsi dire, repose principalement sur les troisième et quatrième quintiles. Étonnamment, le cinquième quintile n’est pas tellement touché. Je crois que l’effet moyen sur les troisième et quatrième quintiles n’est que de 2 % du revenu. Est-ce exact?

M. Giroux : Oui.

Le sénateur Woo : Il s’agit donc d’une redistribution mineure, de sorte que les personnes à revenu moyen et élevé, essentiellement, se partagent le fardeau de cette générosité afin de réduire considérablement la pauvreté et, je dirais, d’assurer la sécurité du revenu.

Permettez-moi de vous interroger sur les aspects comportementaux. Vous avez examiné la documentation sur l’effet d’un revenu de base sur l’effort de travail. Examinez-vous les élasticités à court terme et à plus long terme, si je puis m’exprimer ainsi? Existe-t-il des données fiables sur la question de savoir si, à long terme, ces types de transferts d’argent réduisent l’effet sur une période plus longue? J’ai des raisons de penser que ce n’est pas le cas, mais j’aimerais connaître votre point de vue.

M. Giroux : Nous avons surtout examiné les effets à court terme, car c’est généralement ce à quoi les gens ont tendance à réagir, le changement à court terme de leur effort de travail ou de leurs incitations à travailler en réponse à la réception de transferts en espèces du gouvernement ou à l’absence de transferts en espèces. Il s’agirait de l’effet sur un an ou deux peut-être.

Le sénateur Woo : Avez-vous des raisons de croire que les élasticités à long terme seraient différentes?

M. Giroux : Il n’y a aucune raison de croire qu’elles seraient différentes. Ce sont les déterminants de la santé qui pourraient changer à long terme, qui pourraient mener à une meilleure adaptation au marché du travail, mais nous n’avons pas examiné ces éléments.

Le sénateur Woo : Si je peux conclure mes questions sur la modalité probable de la prestation d’un revenu de base, c’est‑à‑dire par l’entremise du régime fiscal, vous avez déjà dit, et mes collègues l’ont souligné, qu’un trop grand nombre de Canadiens ne paient pas d’impôts, et qu’il faudrait donc les intégrer au régime. Bien sûr, l’ARC expérimente la déclaration automatique, ce qui contribuera à relever ce défi. N’est-il pas vrai que le fait qu’un si grand nombre de personnes ne remplissent pas de déclaration les désavantage déjà parce qu’elles ne tirent pas profit de ces crédits d’impôt non remboursables, de sorte que même l’effort de les intégrer au régime, que nous ayons ou non un revenu de base, serait bénéfique pour cette population?

M. Giroux : C’est évident, bien que ce ne sont pas toutes les personnes qui ne produisent pas de déclaration de revenus qui auraient avantage à le faire. Je connais des fonctionnaires qui ne produisent pas de déclaration de revenus parce qu’ils savent qu’ils n’ont pas d’impôt à payer. Ils s’attendent à un remboursement d’impôt modeste et ne prennent donc pas la peine de remplir une déclaration. Ainsi, ceux qui ne produisent pas de déclaration de revenus n’auraient pas tous un grand avantage à le faire. Cependant, il est vrai qu’en veillant à ce que les personnes qui touchent des prestations gouvernementales produisent une déclaration, on permettrait à quelques centaines de milliers de personnes de toucher des prestations auxquelles elles ont droit, mais qu’elles ne touchent pas parce qu’elles n’ont pas produit de déclaration.

Le sénateur Woo : C’est une question vraiment intéressante. Vous pourrez peut-être un jour nous aider à comprendre la répartition des non-déclarants et combien d’entre eux se trouvent dans des situations où ils sont probablement très pauvres et incapables de produire eux-mêmes une déclaration de revenus, et qui en tireraient des avantages, par opposition au groupe de fonctionnaires trop paresseux pour produire leur déclaration de revenus parce qu’ils ont l’impression qu’ils ne recevront rien en retour. Je vous remercie.

Le président : Sur cette question, monsieur Giroux, pourriez‑vous nous faire un suivi par écrit, s’il vous plaît?

M. Giroux : Nous le ferons.

Le sénateur Loffreda : Je remercie MM. Giroux et Ammar de leur présence.

L’énorme avantage d’un revenu de base garanti suffisant serait de réduire les taux de pauvreté de moitié. Voici ma question : pourquoi ce chiffre n’est-il pas supérieur à la moitié? Que pensez-vous du rapport coût-avantages d’un tel programme sur l’ensemble de l’économie? Avez-vous analysé son effet sur l’économie? Quel en serait l’effet pour la majorité des Canadiens? Il est évident que l’effet sur l’économie touchera la majorité des Canadiens. Sans entrer dans les détails, nous savons pourquoi on met en doute sa pertinence à certains niveaux.

M. Giroux : En ce qui concerne la première question, pourquoi la réduction de la pauvreté ne dépasse-t-elle pas la moitié, c’est à cause de la conception même du revenu de base garanti. Les paramètres que nous avons utilisés établissent la prestation à 75 %, je crois, du revenu faible et modéré, le RFM. De par sa conception, il est fixé à un taux qui garderait une partie de la population sous le seuil de pauvreté. Sa conception même est telle qu’elle ne réduira pas la pauvreté à zéro.

Le sénateur Loffreda : Avant de répondre aux autres questions, ne voudriez-vous pas qu’un programme de revenu de base garanti suffisant réduise les taux de pauvreté de plus de la moitié? Nous n’avons pas examiné les chiffres, et le coût pour la société n’est pas théorique. Ne voudriez-vous pas que ce soit l’un des objectifs?

M. Giroux : Cela pourrait certainement être l’un des objectifs, mais cela se traduirait par un coût encore plus élevé et un effet dissuasif à l’égard du travail potentiellement plus important. Il s’agit d’une décision stratégique, et on nous a fourni des paramètres afin d’estimer le coût du programme. C’est ce que nous avons utilisé, mais nous pourrions faire le même exercice avec un revenu de base garanti plus élevé. Le coût serait plus élevé et nous obtiendrions des chiffres légèrement différents par rapport aux effets incitatifs et dissuasifs à l’égard du travail.

Le sénateur Loffreda : Qu’en est-il de l’impact sur l’économie et la majorité des Canadiens?

M. Giroux : Nous n’avons pas estimé l’impact sur l’économie comme telle, mais si un segment ou une majorité de la population réduit son propre revenu disponible, les troisième, quatrième et cinquième quintiles souffriraient ou subiraient une réduction de leur revenu disponible, ce qui réduirait leur consommation et leurs investissements. Par ailleurs, la consommation des deux premiers quintiles augmenterait, mais il est probable que l’impact découlerait surtout de l’effet dissuasif à l’égard du travail. Nous n’avons pas estimé l’impact sur l’économie, mais nous pouvons supposer qu’il pourrait être légèrement négatif en raison d’une réduction de l’effort de travail due à l’instauration d’un revenu de base garanti.

M. Ammar : Nous avons une estimation de l’impact sur le nombre de ménages qui seraient touchés, mais aussi sur la masse salariale, et il y a une différence entre ces deux éléments. Nous avons constaté qu’il y aurait un effet négatif d’environ 1,5 % sur le nombre d’heures de travail, mais la réduction de la masse salariale serait moins grande, peut-être de 0,5 ou 0,6, parce que cet effet dissuasif serait probablement observé pour les bas salaires. Si l’on fait le lien avec l’impact sur l’économie, on peut supposer qu’il ne sera pas très important par rapport à la consommation ou d’autres aspects.

Le sénateur Loffreda : Vous avez mentionné à quelques reprises l’effet dissuasif à l’égard du travail, et si cela crée une pénurie de main-d’œuvre, nous savons que l’excès de liquidités et la pénurie de main-d’œuvre conduisent à l’inflation. Nous l’avons vu dans la PCU dans une certaine mesure. Cela ne risque-t-il pas de nuire aux mêmes personnes que nous essayons d’aider? L’inflation aide ceux qui ont des actifs. Ceux qui n’en ont pas sont pénalisés; cela devient une mesure punitive. Qu’avez-vous à dire à ce sujet?

M. Giroux : Oui, si le programme devait augmenter encore l’inflation, cela pourrait avoir un impact marginal sur les souffrances inflationnistes de ces personnes, mais nous n’avons pas examiné cet élément en détail. Cela dépendrait de la réaction des autorités monétaires à l’instauration d’un tel programme ainsi que des conditions macroéconomiques. Il est donc très difficile de le déterminer avec un haut degré de certitude sans intégrer ces éléments dans un modèle de simulation économique.

La sénatrice MacAdam : Je vous remercie pour votre travail sur ce sujet.

J’ai deux ou trois questions à vous poser. Dans votre rapport du 7 avril 2021, vous dites que les coûts bruts d’un régime de RBG se situent entre 85 et 93,3 milliards de dollars sur la période de cinq ans se terminant en 2025-2026. Cela comprend les coûts liés à l’invalidité et les coûts comportementaux, n’est‑ce pas?

M. Giroux : Oui.

La sénatrice MacAdam : Merci.

Dans les différents rapports que vous avez produits, il est question de compensations qui pourraient servir à financer le revenu de base garanti. L’une d’entre elles que vous avez mentionnées dans votre rapport d’avril 2021 est l’annulation complète de l’exemption personnelle de base fédérale et une réduction de 44 % de l’exemption personnelle de base provinciale. Dans un rapport antérieur, en juillet 2020, le tableau B-1 présentait les économies potentielles de différents crédits, y compris les montants personnels de base, et le calcul s’élevait à 46,4 milliards de dollars pour une période de six mois, je crois. J’aimerais que vous m’expliquiez un peu ce calcul. Je me demande quelle part de ces 46,4 milliards de dollars correspond à l’annulation des exemptions personnelles de base par rapport aux compensations des crédits d’impôt concernant les programmes mis en place pour les Canadiens à faible revenu. Avez-vous des chiffres équivalents pour la période de cinq ans se terminant en 2025-2026? Avez-vous mis à jour ces 46,4 milliards de dollars?

M. Giroux : Je peux répondre à cette dernière question. Nous n’avons pas encore mis à jour ces chiffres, de sorte que les derniers calculs et estimations que nous avons effectués figurent dans le rapport d’avril 2021.

En ce qui concerne la part des coûts bruts qui serait compensée par l’annulation des exemptions personnelles de base et d’autres crédits provinciaux équivalents, il nous faudrait vous communiquer plus tard les chiffres précis. Nous avons dressé la liste de toutes les compensations possibles pour réduire le coût net, mais je n’ai pas sous la main les postes précis et leur contribution à la compensation.

M. Ammar : Oui, c’est exact. Nous n’avons pas de chiffres exacts, mais ce n’est pas si simple, en fait. Tout ce transfert de programmes est lié. Il y a une corrélation. Si vous en annulez un, cela aura une incidence sur d’autres programmes. Même l’ordre d’annulation a son importance. Si vous annulez un programme avant l’autre, il y aura une incidence sur le transfert de l’autre programme. Il n’est pas vraiment possible d’estimer la part exacte, car elle dépend de nombreux facteurs. On peut avoir une idée de l’approximation de ces parts par rapport au fonds pour le revenu de base.

La sénatrice MacAdam : Alors, l’annulation de l’exemption personnelle de base est-elle comprise dans ces 46,4 milliards de dollars? Cela figure dans le tableau B-1 de votre rapport de juillet 2020.

M. Ammar : C’est le rapport dans lequel la COVID est prise en compte. Dans ce rapport, nous n’avons pas vraiment essayé de déterminer le montant exact qui serait nécessaire pour financer le RBG. Nous avons déterminé le programme qui pourrait être utilisé pour financer le programme. C’est vraiment dans le prochain rapport que nous précisons quels seront les programmes et le taux d’annulation nécessaires pour financer le programme lui-même.

La sénatrice MacAdam : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bienvenue, monsieur Giroux. Depuis quelques années, on voit à quel point le gouvernement fédéral enregistre des échecs dans ses services à la population. C’est souvent à cause de la lourdeur de l’appareil. Je suis inquiet de toutes les transformations que les programmes vont entraîner dans les services, surtout si on veut être fiscalement logique.

Avec un budget estimé à environ 93 milliards de dollars par année et compte tenu du champ de compétence provincial en cause, ne serait-il pas plus astucieux pour le gouvernement de lancer un chantier fédéral-provincial afin de connaître la capacité, la volonté et les attentes des provinces face aux changements dans les programmes qu’une telle politique pourrait entraîner? Sommes-nous en train de créer des attentes chez les moins bien nantis? J’oserais dire que la classe politique n’a pas fait tous ses devoirs.

M. Giroux : Nous ne nous sommes pas prononcés sur la mécanique et sur les questions de champs de compétence lorsque nous nous sommes penchés sur les estimations de coûts d’un revenu minimum garanti. Il est cependant clair, lorsqu’on considère la mise en œuvre d’un programme tel que celui-ci, qui remplacerait en bonne partie l’aide sociale et certains autres programmes fédéraux et provinciaux, que ce serait un immense avantage d’avoir une coordination très étroite entre le gouvernement fédéral et les provinces, si le but est effectivement d’avoir un revenu minimum garanti universel.

Comme vous l’avez mentionné, ce sont des discussions qui impliqueraient 14 champs de compétence, soit le gouvernement fédéral, les dix provinces et les trois territoires. Si on veut réduire le coût net en éliminant certains avantages fiscaux ou certains programmes qui existent déjà, il faudrait avoir une franche discussion et établir une étroite collaboration entre le gouvernement fédéral et les provinces. Nous ne nous sommes pas prononcés là-dessus. On a estimé les coûts et les répercussions sur le marché du travail, mais évidemment, on ne s’est pas prononcé sur la mécanique, l’administration ou la meilleure façon d’arriver à cet objectif.

Le sénateur Dagenais : Avez-vous une idée des ressources humaines requises pour gérer un tel programme pour le gouvernement fédéral? Ne serait-il pas plus logique de transférer les fonds aux provinces? Elles pourraient agir de façon plus ciblée.

M. Giroux : C’est possible. Cela dépendrait en bonne partie du concept choisi par le gouvernement fédéral ou par les provinces. Il est possible que la meilleure option soit celle de transférer les fonds pour que les provinces administrent le programme selon des normes fédérales. C’est la raison pour laquelle on a souvent indiqué dans nos rapports le coût par province, pour donner une idée si on choisissait cette voie — un transfert aux provinces, par exemple —, mais je ne pourrais pas me prononcer sur la meilleure approche, étant donné que cela dépend du choix de concept de programme et de questions politiques.

Le sénateur Dagenais : La création d’un programme de revenu garanti a-t-elle plus de chance de réduire la pauvreté au pays qu’une panoplie de programmes ciblés dont certains existent déjà à l’heure actuelle?

M. Giroux : Il est difficile de répondre à cette question, mais en général, je dirais que le fait d’avoir un programme qui englobe l’ensemble de ce qui se fait déjà et qui est un peu éparpillé aurait plus de chance de réduire la pauvreté que de petits programmes par-ci par-là — dont les interactions sont souvent oubliées ou mal comprises —, qui peuvent parfois se nuire les uns les autres et qui ont tous besoin de critères particuliers et d’administrateurs spécifiques. Le fait d’avoir un programme plus cohérent a donc une meilleure chance d’être plus efficace que si l’on a plusieurs petits programmes qui ciblent des clientèles légèrement différentes.

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Giroux.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, afin d’utiliser au mieux le temps dont nous disposons avec le premier groupe de témoins au cours de la deuxième série de questions, je vous demanderais de poser une question chacun. Nous demanderons au DPB de nous envoyer les réponses par écrit. Ainsi, nous accorderons le maximum de temps au premier groupe. Il y a un consensus parmi les membres pour procéder ainsi.

La sénatrice Marshall : Monsieur Giroux, dans votre rapport, vous dites que 6 millions de Canadiens bénéficieront du programme et que 16 millions subiront une perte nette ou une réduction nette du revenu disponible.

Nous avons un régime fiscal progressif. Dans la figure 1 de votre rapport d’avril 2021, dans le quatrième quintile, le revenu disponible moyen des ménages est réduit de 1 900 $, mais dans le cinquième quintile, la réduction n’est que de 1 600 $. Il me semble que les chiffres devraient être inversés. J’aimerais avoir une explication à ce sujet. Si vous pouviez me faire parvenir des renseignements à ce sujet, ce serait utile.

[Français]

Le sénateur Forest : J’ai une question importante qui va dans le sens suivant : à la suite de ce qu’on a tenté de faire en 2021, soit de bien évaluer l’impact du revenu de base garanti, il reste une prochaine étape, soit celle de mesurer l’impact d’un revenu minimum garanti sur la pauvreté, la consommation des services de santé et d’autres services sociaux. Tout est dans l’enjeu et dans l’équation sur le plan des investissements que nous faisons par rapport au revenu de base garanti, comparativement aux répercussions positives de la non-consommation ou d’une consommation moindre de nos services sociaux. Comment mesurer le tout pour avoir une équation crédible, qui donne l’ensemble des effets positifs d’un tel programme?

[Traduction]

Le sénateur Gignac : Si la chose est possible, je vous demanderais d’actualiser votre rapport sur la viabilité financière, compte tenu du nouveau contexte des taux d’intérêt et du fait que le gouvernement veut intégrer le régime universel d’assurance-médicaments et les soins dentaires. Dans les deux cas, vous avez publié des estimations. Je voudrais savoir si le coût s’élève toujours à 45 milliards de dollars environ.

Le président : En terminant, honorables sénateurs et sénatrices, je vais demander à la marraine du projet de loi si elle a des questions à poser.

La sénatrice Pate : Merci encore de votre présence.

Pour faire suite à certaines questions de mes collègues et à toute la question du financement de la dette et l’effet potentiel sur l’inflation, je vous demanderais d’approfondir un peu plus les modèles qui pourraient être envisagés par rapport au financement de la dette, y compris votre propre calcul des coûts, qui — vous semblez en convenir et vous l’avez répété — n’aggraverait pas l’inflation, et d’examiner certains exemples, notamment l’aide au loyer de la SCHL, qui a fonctionné au Manitoba pendant plusieurs années et qui a été considérée comme une forme de transfert d’argent. Il n’y a pas eu d’effet inflationniste sur les loyers.

De même, en ce qui concerne les effets incitatifs potentiels à l’égard du travail, pourriez-vous préciser ce point en ce qui concerne certaines modélisations? Vous avez clairement dit que l’effet est négligeable. Monsieur Ammar, j’aimerais que vous vous étendiez sur ce point — de nombreuses personnes qui ont reçu une aide financière utilisent ces ressources pour prendre le temps de trouver d’autres types de formation ou pour prendre soin d’autres personnes — et que vous nous disiez si vous avez étudié le coût de ces mesures.

Enfin, en ce qui concerne la recension des écrits de 2020 sur les mesures analogues à un revenu de base garanti suffisant, on y conclut qu’une recherche détaillée n’a révélé aucune preuve d’une réduction importante de l’offre de main-d’œuvre. Au contraire, elle a révélé que l’offre de main-d’œuvre a augmenté globalement parmi les adultes, les hommes, les femmes, les jeunes et les personnes âgées. Si quoi que ce soit contredit ces conclusions, veuillez nous en faire part. De même, si vous pouviez nous fournir des renseignements supplémentaires à l’appui de ces conclusions, cela nous serait utile.

Je vous remercie.

Le président : Cela conclut la discussion avec ce groupe de témoins. Monsieur Giroux, je tiens à réitérer que nous avons des dénominateurs communs, en l’occurrence la transparence, la responsabilité, la fiabilité et la prévisibilité.

Nous avons demandé et convenu que les réponses écrites soient envoyées par l’entremise de la greffière avant la fin de la journée du mardi 31 octobre 2023.

En terminant, avez-vous d’autres commentaires à formuler à l’intention des sénateurs, monsieur Giroux?

M. Giroux : Oui. Je dois dire que c’est toujours un plaisir de témoigner devant vous, mais ce dernier tour me rend toujours nerveux parce que vous nous donnez beaucoup de devoirs, à moi et à mon équipe. C’est probablement les cinq pires minutes de ce témoignage.

Le président : Cela dit, nous nous reverrons demain soir.

Honorables sénateurs et sénatrices, nous accueillons maintenant l’ancienne première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne. Bienvenue, madame la première ministre. Nous accueillons aussi Evelyn Forget, professeure, Sciences de la santé communautaire à l’Université du Manitoba, et Jiaying Zhao, professeure agrégée à l’université de la Colombie-Britannique. C’est mon côté acadien du Nouveau-Brunswick. Bienvenue et merci d’avoir accepté notre invitation à témoigner devant le Comité sénatorial des finances nationales.

[Français]

Nous commencerons avec les remarques préliminaires de l’ancienne première ministre, Mme Wynne, suivie de Mme Forget et enfin de Mme Zhao.

[Traduction]

Kathleen Wynne, ancienne première ministre de l’Ontario, à titre personnel : Merci beaucoup. Je vous remercie tous de m’avoir invitée à prendre la parole à l’appui du projet de loi S-233.

L’idée d’un revenu de base garanti pour les Canadiens qui ont le plus besoin d’aide n’est pas nouvelle. Je pense que tous les sénateurs le reconnaissent. Il existe déjà une série de programmes qui offrent cette garantie à certains groupes de notre société, mais pas tous. En Ontario, le supplément du Régime de revenu annuel garanti s’ajoute aux prestations de la Sécurité de la vieillesse pour les personnes âgées dans le besoin. La Prestation ontarienne pour enfants et l’Allocation canadienne pour enfants garantissent un supplément aux familles avec enfants. La Prestation canadienne pour les personnes handicapées, qui doit être instaurée, complétera les aides provinciales. Ces programmes sont déjà en place, et nous en constatons les avantages manifestes.

Lorsque je suis devenue première ministre de l’Ontario en 2013, notre gouvernement était sur le point de recevoir un rapport de Munir Sheikh et Frances Lankin, l’une de vos collègues. Ils avaient procédé à un examen de notre programme d’aide sociale parce que nous cherchions des moyens d’améliorer un système qui ne fonctionnait pas comme il le devrait. La tâche consistait à recommander des changements pour rendre le système plus rationnel, plus digne et plus favorable à la fois aux personnes qui pouvaient entrer sur le marché du travail — par exemple, pour permettre aux prestataires de posséder plus d’actifs et de gagner plus d’argent sans perdre leurs prestations — et aux personnes qui ne pouvaient pas entrer sur le marché du travail. Toutefois, on n’avait pas demandé aux auteurs de se prononcer sur le caractère suffisant des programmes d’aide sociale, autrement dit, sur le montant des sommes reçues.

Je craignais de plus en plus que nos efforts se résument à une approche progressive en périphérie d’un système qui avait déjà démontré qu’il n’avait pas réussi à sortir les gens de la pauvreté. J’avais été impressionnée par le travail réalisé au Manitoba dans le cadre du projet pilote Mincome dans les années 1970. Mme Forget en parlera peut-être davantage. En tant que membres du comité pour la réduction de la pauvreté de notre gouvernement, nous avons été chargés de contribuer à l’élaboration de notre cadre législatif sur la réduction de la pauvreté. En tant que première ministre, je cherchais à améliorer concrètement la vie des gens grâce à un programme gouvernemental qui favoriserait l’intégration dans la collectivité, y compris les stages professionnels, ainsi que la persévérance scolaire et qui contribuerait éventuellement à l’amélioration des résultats en matière de santé. Il s’agissait là de bienfaits anecdotiques découlant du projet Mincome.

Après avoir écouté le directeur parlementaire du budget, il est tellement évident que nous ne prenons pas en compte les économies découlant de ces prestations. Je ne pense pas que nous puissions évaluer l’impact d’un revenu de base garanti si nous ne comprenons pas que des économies découlent des améliorations des conditions de vie. C’est exactement le genre de résultats que nous commencions à observer grâce au projet pilote de revenu de base de l’Ontario avant qu’il ne soit annulé par l’actuel gouvernement Ford en Ontario. Bien que le gouvernement actuel ait promis de maintenir le projet pilote pour une durée de trois ans, il n’a pas été maintenu et nous n’avons pas obtenu les données probantes que nous attendions.

Lors de la mise en place du projet pilote de revenu de base en Ontario, j’ai fait appel à votre ancien collègue Hugh Segal pour nous aider. Nous avons utilisé le rapport que M. Segal avait produit comme point de départ pour le projet pilote de l’Ontario et, lors de la conception du projet pilote, nous avons pris soin d’associer des montants réels au programme afin que les chercheurs soient en mesure de tirer des conclusions concrètes sur le coût du modèle. Nous avions prévu en tout 50 millions de dollars sur trois ans pour aider 4 000 personnes, plus les coûts de mise en place, d’évaluation et de maintien des prestations de santé pour les bénéficiaires de l’aide sociale.

Il me semblait que les suppléments existants, que j’ai déjà énumérés, nous prouvaient qu’un tel système pouvait fonctionner et changer nettement la vie des gens, alors que les programmes d’aide sociale en place pour les Ontariens âgés de 18 à 64 ans étaient souvent des pièges humiliants, inadéquats et inefficaces qui les empêchaient de sortir de la pauvreté intergénérationnelle.

En même temps, nous devions composer avec les réalités — et c’est toujours le cas — de la technologie qui déplace les travailleurs dans tous les secteurs d’emploi : l’industrie, le commerce et les services. En tant que société, nous avons décidé de ne pas institutionnaliser les gens, mais nous n’avons pas mis en place les aides nécessaires au sein de la collectivité. Au quotidien, des villes et des villages de tout le pays nous informent que les crises de l’itinérance et de l’insécurité alimentaire ne semblent pas s’atténuer.

En ce moment même, le gouvernement canadien a l’occasion de mettre en place des mesures d’aide intergouvernementales pour les Canadiens les plus vulnérables. J’ai toujours espéré que le gouvernement canadien travaille avec nous et avec d’autres administrations infranationales qui ont manifesté leur intérêt pour tester la mise en œuvre d’un revenu garanti suffisant à titre de stratégie nationale. Cela peut se faire maintenant. Nous savons en fait que le coût de l’absence de mise en place de ces aides est visible pour nous. Il est visible pour nous tous sur le plan social par rapport aux résultats en matière de santé et à la réalité de l’inégalité croissante des revenus. Le gouvernement canadien a aujourd’hui l’occasion de proposer une transition vers une meilleure façon de faire.

Je vais à nouveau évoquer Hugh Segal, car je sais que beaucoup d’entre nous pensent à lui. Il aurait aimé être ici pour participer à cette discussion. Dans son livre, Bootstraps Need Boots, il dit :

Autrement dit, ma propre expérience me montre que la pauvreté est cause d’une grande partie des dysfonctionnements auxquels nos sociétés doivent remédier. Pas besoin d’être un génie pour comprendre que l’on vit mieux lorsque l’on se trouve à 70 % du seuil de pauvreté qu’à 45 %, ou qu’un revenu de base conçu de manière à encourager à travailler sera plus utile pour une société dynamique en pleine croissance qu’un régime social qui en décourage.

Je vois à l’écran des personnes dans la salle du comité qui ont bénéficié du revenu de base, qui ont repris le travail et qui ont réintégré la collectivité de façon positive. Il me semble que nous avons une occasion à présent de regarder tout de ce qu’un programme de ce type pourrait offrir aux citoyens de ce pays.

Je vous remercie. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le président : Je vous remercie.

Je vais maintenant donner la parole à Mme Forget.

Evelyn Forget, professeure, Sciences de la santé communautaire, Université du Manitoba, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invitée à m’exprimer devant vous aujourd’hui.

Le projet de loi que nous examinons concerne précisément les adultes en âge de travailler, c’est-à-dire les personnes âgées de 18 à 64 ans. Il est difficile de parler de ce groupe, et bien des gens se demandent s’il ne vaudrait pas mieux mettre en place de bons programmes de formation et prendre de bonnes mesures visant le marché du travail qui mènent à de meilleurs salaires et à de meilleures conditions de travail que de prendre le risque d’instaurer un revenu de base qui pourrait décourager de travailler. Nous savons que les meilleures données empiriques laissent supposer qu’un revenu de base bien conçu ne réduira pas sensiblement le nombre d’heures travaillées. Certains pensent que le nombre d’heures travaillées augmentera ou que des personnes trouveront de meilleurs emplois. Nous venons de voir que le directeur parlementaire du budget estime que le nombre d’heures travaillées ne baissera que de 1,5 % au plus.

À mon avis, cependant, il nous faut à la fois de meilleures politiques relatives au marché du travail et un revenu de base. Tout le monde ne peut pas occuper un emploi régulier qui paie suffisamment pour permettre de vivre au-dessus du seuil de pauvreté. Certaines personnes sont handicapées et reçoivent des prestations d’invalidité, mais beaucoup de personnes handicapées n’ont pas droit à ces prestations, notamment celles atteintes de formes d’invalidités récurrentes et surtout de problèmes de santé mentale. D’autres personnes n’ont pas les compétences professionnelles qui leur permettraient de subvenir à leurs besoins. Il est possible de recycler certaines de ces personnes, mais de toute évidence, pas toutes. Il arrive qu’il n’y ait pas d’emplois parce que la Banque du Canada a adopté certaines politiques ou parce qu’il n’y a pas de transport pour se rendre aux emplois existants. D’autres personnes ont des responsabilités ou des limites personnelles qui rendent impossible un emploi régulier rémunéré. Certaines personnes vivent avec des traumatismes personnels et générationnels tellement dévastateurs qu’elles doivent beaucoup travailler sur elles-mêmes avant d’être prêtes à travailler pour quelqu’un d’autre. Le 4 octobre, j’étais au Musée canadien pour les droits de la personne à un événement organisé au nom des femmes autochtones disparues et assassinées, et cela m’a rappelé, une fois de plus, combien de Canadiens vivent avec un revenu qui se situe entre 6 000 $ et 10 000 $ par an pendant la majeure partie de leur vie. Peu de personnes qui vivent à la rue depuis un moment peuvent espérer suivre un cours de formation de courte durée et devenir employables au point de trouver un emploi qui leur permette de gagner un salaire suffisant pour subvenir à leurs besoins.

À voir ce genre de données, on se demande s’il ne vaudrait pas mieux des programmes sociaux qui répondent aux besoins particuliers de groupes marginalisés qu’un revenu de base. Encore une fois, la réponse est que nous avons besoin à la fois de programmes sociaux particuliers et d’un revenu de base. Nous avons besoin de traitements pour les personnes qui consomment des substances. Nous avons besoin de politiques de réduction des méfaits et de services de santé mentale. Nous avons besoin de toutes sortes de soutiens. Mais il est difficile pour les gens de profiter de ces politiques quand ils ont le ventre vide et n’ont pas de toit sur la tête, d’endroit où être à l’abri du froid.

Je vis à Winnipeg, qui compte la plus forte population urbaine autochtone du Canada. Bon nombre des programmes sociaux absolument essentiels que nous avons en place peinent à être considérés comme autre chose qu’une ingérence coloniale. La population n’est guère confiante, et contraindre des personnes à s’inscrire à un programme de formation ou à un programme de traitement de la toxicomanie afin de répondre à leurs besoins les plus élémentaires est à la fois inefficace et humiliant. La stabilité qu’un revenu de base apporte dans la vie des personnes leur permet de profiter de ces programmes sociaux comme elles l’entendent pour avancer dans leur propre vie.

Je pense que beaucoup de personnes reconnaissent qu’un programme de revenu de base peut être avantageux, mais qu’elles se demandent si nous avons les moyens de nous permettre un tel programme. Elles se demandent si c’est le bon moment pour parler d’un revenu de base. Il y a des années, j’ai examiné le projet Mincome mené au Manitoba au milieu des années 1970. Ce projet a pris fin comme prévu en 1978. Les résultats étaient très positifs. Les chercheurs voulaient le poursuivre, mais on leur a dit d’archiver les données parce que les temps étaient difficiles. À la fin des années 1970, les taux d’intérêt étaient élevés, tout comme l’inflation. Ce n’était pas le bon moment. Quelques années plus tard, la commission Macdonald, qui a remis son rapport en 1984, a recommandé un revenu garanti. Nous avons conclu l’ALENA, mais le revenu garanti a été mis de côté parce qu’une fois de plus, en 1984, les temps étaient difficiles. Ce n’était pas le bon moment pour parler d’un revenu garanti.

Je dirai que les temps sont toujours difficiles. L’économie est toujours en crise, quand nous ne sommes pas au bord d’une crise économique ou tout juste sortis d’une autre. Nous avons une occasion de regarder plus loin que l’avenir immédiat et de planifier sur le long terme afin de transformer la vie des gens et la société dans laquelle nous vivons. Nous devons surtout nous rappeler que c’est toujours pour les personnes qui ont le moins que les périodes difficiles sont le plus difficiles. Nous avons besoin d’un revenu de base. Je vous demande instamment d’examiner soigneusement le projet de loi et de parler avec un large éventail de personnes qui peuvent aider à mettre sur pied un projet bien conçu pour un revenu de base qui change vraiment la donne dans le genre de société dans lequel nous vivons.

Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie.

Madame Zhao, vous avez la parole.

Jiaying Zhao, professeure agrégée, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir invitée aujourd’hui.

En tant que spécialiste des sciences cognitives, j’étudie le comportement humain dans des situations de pénurie. Mon travail montre l’impôt cognitif préjudiciable de la pauvreté. Il montre aussi que, lorsque nous vivons dans la pauvreté, nos performances cognitives diminuent et que nous perdons l’équivalent de 13 points de quotient intellectuel. Cela revient à vieillir de 15 ans, à passer de 45 à 60 ans.

Le travail de mes collègues montre également que la pauvreté rend les travailleurs moins productifs et plus susceptibles de commettre des erreurs au travail. En fait, de plus en plus d’études montrent le piège psychologique que représente la pauvreté, à savoir que la pauvreté affaiblit les capacités cérébrales, ce qui fait qu’il devient plus difficile de lui échapper.

Donner aux gens de l’argent est un des moyens les plus efficaces et les plus économiques de réduire la pauvreté. Le revenu de base fournit non seulement des ressources financières essentielles à des personnes à faible revenu, mais il leur apporte aussi une liberté et de la dignité.

Mon équipe à l’Université de la Colombie-Britannique et les Foundations for Social Change ont publié dernièrement dans les actes de la National Academy of Sciences un article revu par des pairs où nous expliquons qu’en donnant 7 500 $ à des personnes sans abri à Vancouver, en Colombie-Britannique, on a amélioré leurs fonctions cognitives et leur bien-être dans les trois mois qui ont suivi le transfert d’espèces. En une année, le sans-abrisme des bénéficiaires de cette mesure a diminué de 99 jours et le fait qu’ils dépendent moins des services sociaux a fait économiser 8 277 $ par personne par an. Il s’agit d’une économie nette de 777 $ par personne par an.

Nous avons également constaté que le transfert d’espèces n’entraînait pas d’augmentation des dépenses d’alcool, de drogues et de cigarettes. En fait, il a réduit la gravité de la consommation de substances de 99 % chez nos bénéficiaires. L’argent a principalement servi à acheter de la nourriture et des biens durables et à payer un loyer et le transport. Les participants nous ont dit que ce transfert d’espèces leur a donné une paix d’esprit, de sorte qu’ils pouvaient réellement réfléchir et prendre de bonnes décisions pour eux-mêmes et leur famille.

Notre étude n’est pas la première à démontrer les avantages des transferts d’espèces. En fait, des centaines de transferts d’espèces dans le monde donnent le même type de résultats, c’est-à-dire une amélioration du bien-être, de l’état de santé, des fonctions cognitives et de la sécurité alimentaire. Dans certains cas, ils ont entraîné une baisse du taux de criminalité et de la consommation d’alcool et de substances.

Nous élargissons actuellement l’étude sur les transferts d’espèces en Colombie-Britannique afin qu’elle puisse profiter à plus de personnes et d’en faire sortir davantage du sans-abrisme. Nous voulons étendre le projet pour qu’il profite à plus de personnes à faible revenu et pour démontrer que cette mesure peut donner des résultats dans d’autres régions de la province.

Il n’a jamais été aussi nécessaire de relever le seuil de revenu, car plus de personnes se trouvent déplacées par la hausse du coût de la vie et les catastrophes environnementales qui frappent le Canada. Il ressort d’un récent sondage national que la moitié des Canadiens sont pessimistes au sujet de leurs finances personnelles. Un quart des ménages à faible revenu ne parviennent pas à faire face à des dépenses mensuelles. Il en découle un énorme stress mental qui accroît le risque de sombrer dans une grande pauvreté, ce qui ne fera que nous coûter plus.

Le projet de loi S-233 vise à fournir à tous les Canadiens un revenu de base garanti suffisant. Cette mesure peut non seulement réduire les difficultés financières, mais aussi libérer l’immense potentiel humain qui est actuellement prisonnier de la pauvreté. Un revenu de base suffisant peut aider les Canadiens à être des membres plus productifs de la société et générer des économies nettes pour le gouvernement à long terme. Il s’agit d’un véritable investissement dans les Canadiens.

C’est dans cette optique que nous cherchons activement à concevoir un projet de revenu de base garanti suffisant à Prince George, en Colombie-Britannique, avec le soutien du maire Simon Yu, de dirigeants autochtones et d’intervenants de la province.

En conclusion, je recommande vivement au gouvernement de faire l’essai d’un revenu de base garanti suffisant comme stratégie nationale pour réduire le coût économique, social et humain de la pauvreté.

Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie.

Honorables sénatrices et sénateurs, nous passons maintenant aux questions et la première série sera de cinq minutes chacun.

La sénatrice Marshall : Je commencerai par vous, madame Wynne, en raison de votre expérience. Votre témoignage m’intéresse beaucoup. Pouvez-vous clarifier deux ou trois points pour moi? Est-ce qu’il s’agissait de 50 millions de dollars pour chacun des trois exercices ou de 50 millions de dollars au total?

Mme Wynne : Il s’agissait du montant total, madame la sénatrice.

La sénatrice Marshall : Et le tout était financé par la province, sans rien de fédéral ou de municipal?

Mme Wynne : Il n’y avait aucun financement fédéral.

La sénatrice Marshall : Il s’agissait uniquement de fonds provinciaux?

Mme Wynne : Oui.

La sénatrice Marshall : Y a-t-il eu une évaluation du programme ou une évaluation intérimaire du programme? Il semble que cela manque dans de nombreux cas.

Mme Wynne : Nous l’avions espéré, madame la sénatrice. Aux élections de 2018, le parti d’opposition d’alors a déclaré qu’il maintiendrait le projet pilote. Toutefois, dès que le gouvernement Ford a été élu, il l’a annulé dans la première année.

Pour moi, ce qui est très dommage, c’est que nous n’avons pas les données. Evelyn Forget a participé à la conception, et nous espérions avoir les données qui nous permettraient d’aller de l’avant et de concevoir un programme qui marcherait pour l’Ontario. Je suis désolée de dire que nous n’avons pas les données statistiques. En revanche, nous avons des données empiriques, madame la sénatrice.

La sénatrice Marshall : J’y venais dans ma question suivante.

Mme Wynne : Certainement. Pendant que j’étais encore première ministre, j’ai rendu visite à des personnes qui recevaient le revenu de base. Après l’annulation du programme, j’ai fait partie de la conversation avec des personnes qui avaient vécu l’expérience. Nous avons constaté exactement ce que mentionnaient les deux autres témoins. Nous avons découvert que les personnes étaient plus motivées et plus capables d’intégrer le milieu de travail. Par exemple, j’ai rencontré un homme qui a pu de nouveau utiliser sa voiture et reprendre le travail. Il avait dû arrêter de travailler pour s’occuper de sa mère. Il avait sombré dans la pauvreté et n’arrivait pas à s’en sortir. Le projet pilote lui a permis de réintégrer le monde du travail. J’ai rencontré des jeunes qui ont pu s’acheter quelques vêtements afin de pouvoir poser leur candidature à des emplois et aussi de retourner à l’école.

Tout cela est anecdotique, mais nous avons vu le mouvement, la sécurité et le calme qui découlait du fait d’avoir un petit peu d’argent en plus. Nous parlons de 17 000 $ par an. Chaque bénéficiaire n’a pas reçu beaucoup d’argent, mais suffisamment pour avoir moins de problèmes à se nourrir, à s’habiller pour le travail et à avoir un moyen de transport pour aller travailler.

La sénatrice Marshall : Je vous remercie.

Cette question est pour vous tous. Elle concerne l’idée que le revenu de base garanti n’incite pas à travailler. Est-ce que l’on craint qu’une aide financière supplémentaire entraîne pour ses bénéficiaires la perte d’autres prestations? Je pense à la carte pour les médicaments. Une fois que l’on arrive à un certain niveau de revenu, cette carte, qui est très importante pour les bénéficiaires d’une aide financière, est supprimée. Pouvez-vous parler de la crainte d’un effet dissuasif par rapport au travail?

Mme Wynne : Nous avons rencontré ce problème quand nous avons lancé l’appel parce qu’il s’agissait d’un accès aléatoire à des personnes dans toute la province. Nous avons constaté qu’il y avait peu d’intéressés parmi les personnes qui s’inquiétaient justement de perdre leur carte pour les médicaments. Nous avons vraiment dû nous attacher à adapter le programme. Lorsque vous écoutez le directeur parlementaire du budget, il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte. Nous ne voulons surtout pas créer un système dans lequel les gens s’en sortent plus mal qu’avant. En fait, nous avons dû adapter le programme pour y intégrer certaines de ces prestations.

Mme Forget : C’est également ce que je pense. Personne ne voit le revenu de base comme un programme ajouté à tous les autres. Les programmes existants comportent déjà quantité de contradictions. Le revenu de base nous donne une occasion de faire le ménage dans beaucoup de ces programmes et de nous assurer qu’ils fonctionnent ensemble. Il s’agit d’un bien plus vaste projet.

Mme Zhao : Pour ce qui est de ne pas inciter à travailler, les données empiriques disent le contraire. Le revenu de base fait augmenter l’emploi dans certains groupes démographiques. Dans un projet en cours à Denver, le revenu de base a fait augmenter de moitié l’emploi à plein temps. C’est ce que disent les données.

[Français]

Le sénateur Forest : Merci infiniment de votre présence ici. Ma première question s’adresse à Mme Forget.

Lorsqu’on analyse ce qui s’est passé après la pandémie, on s’aperçoit que le gouvernement fédéral n’a pas de lien direct pour être vraiment en mesure d’identifier les ayants droit des différents programmes. À preuve, et cela me préoccupe beaucoup, il y a 10 % des Canadiens et Canadiennes qui ne font pas de déclarations de revenus. Ces gens qui passent à travers les mailles de notre filet social sont, à mon avis, les plus fragilisés et les plus dépourvus de notre société.

Selon vous, à la lumière de vos observations lors du déploiement de la Prestation canadienne d’urgence — puisque l’argent s’est tout de même rendu grâce à la diligence de notre fonction publique —, quels seraient les avantages d’un revenu de base garanti?

[Traduction]

Mme Forget : Vous demandez ce qu’il en est des personnes qui ne présentent pas de déclaration de revenus et des conséquences pour l’exécution d’un programme. Premièrement, je dirai qu’il n’est pas nécessaire de mettre en œuvre le revenu de base dans le cadre du régime fiscal. C’est une option, mais il existe d’autres façons de verser un revenu de base. Par exemple, s’il y avait une coopération entre les provinces et le gouvernement fédéral, il existe beaucoup de mécanismes provinciaux auxquels on peut faire appel pour verser un revenu de base. Cela fait partie de la conception d’un projet. Comment nous y prenons-nous?

En ce qui concerne la déclaration de revenus, il me semble que beaucoup de gens n’en font pas parce que cela n’en vaut pas la peine pour eux. Il est vrai que nombre de personnes marginalisées ne perçoivent pas les prestations auxquelles elles auraient droit parce qu’elles ne présentent pas de déclaration de revenus, mais beaucoup d’efforts sont déployés dans tout le pays pour que plus présentent des déclarations de revenus. Par exemple, une décision politique a été prise dans de nombreuses réserves de ne rien avoir à faire avec le régime fiscal, et ce pour toutes sortes de raisons. Quand l’Allocation canadienne pour enfants a été sensiblement augmentée en 2016, beaucoup a été fait pour que les familles reçoivent cette allocation bonifiée versée dans le cadre du régime fiscal. Il y a eu un effort concerté pour s’assurer que les personnes qui devraient présenter une déclaration de revenus le fassent, pour s’assurer que l’information était disponible, mais l’Agence du revenu du Canada a également créé une attestation de revenus simple d’une page. Je ne me souviens pas du numéro de tête, mais ce formulaire est devenu très pratique et très facile à obtenir pour que les personnes présentent des déclarations de revenus dans ces circonstances.

Je pense que nous devons beaucoup réfléchir à ce que nous pouvons faire pour améliorer ce système, si nous voulons utiliser le régime fiscal pour verser des prestations. Cela peut faire partie intégrante de la conception d’un revenu de base et de la réflexion sur la meilleure solution pour le verser aux bénéficiaires.

[Français]

Le sénateur Forest : Madame Wynne, votre projet pilote qui, malheureusement, n’a pas été évalué, je suis curieux de savoir à qui il s’adressait. Comment les 4 000 personnes ont-elles été sélectionnées? Est-ce que c’était dans une collectivité bien précise? Est-ce que c’étaient des gens que vous aviez identifiés en tenant compte de leur situation financière ou sociale? Comment avez-vous identifié ces 4 000 personnes?

Avec l’expérience que vous avez... On sait que le Canada est une fédération et que les provinces contrôlent plusieurs leviers du développement social, dont la main-d’œuvre, l’aide sociale, les crédits d’impôt et ainsi de suite. S’il y avait une intervention en faveur d’un revenu de base garanti, comment cela serait-il accepté dans l’ensemble des provinces?

Mme Wynne : Merci, monsieur le sénateur. Je n’ai pas l’interprétation, donc je ne peux pas être certaine d’avoir bien compris la question.

[Traduction]

Je pense que vous me demandez si nous pouvons, en tant que fédération, demander aux provinces de participer — c’était la question subsidiaire — et si les provinces veulent participer. La première partie de la question portait sur les 4 000 personnes qui ont pris part au projet. Pouvez-vous me donner la suite?

Le sénateur Forest : Pourquoi n’avez-vous pas pu choisir 4 000 personnes pour votre expérience?

Mme Wynne : Pourquoi nous n’avions pas les 4 000 personnes au début?

[Français]

Le sénateur Forest : Oui.

[Traduction]

Mme Wynne : C’était très déroutant pour nous au début du processus, et nous avons dû mieux informer les collectivités auxquelles nous nous intéressions. Les personnes avaient besoin de plus de renseignements. Elles ne comprenaient pas bien ce que nous essayions de faire. Comme la sénatrice l’a mentionné tout à l’heure, certains craignaient de perdre d’autres prestations, même si ces 4 000 participants ne recevaient pas tous des prestations d’aide sociale. Certains travaillaient ou ne recevaient aucun soutien. Nous avons dû mieux les informer. Un des problèmes, monsieur le sénateur, était qu’il n’y avait pas beaucoup de temps pour les informer. Il faudra du temps pour expliquer aux gens la raison d’être de tout cadre créé si le projet de loi est adopté.

Ensuite, pour ce qui est de la fédération, je crois qu’un programme national serait acceptable pour les provinces, selon les paramètres, car toutes les provinces font face à des problèmes de pauvreté.

Le président : Je vous remercie, madame Wynne.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bienvenue, madame Wynne. Comme j’ai été moi-même impliqué dans la politique active pendant quelques années avec le premier ministre Charest, que vous connaissez bien, je tiens à vous remercier de vos services publics, particulièrement en raison des sacrifices que cela nécessite sur le plan familial.

[Traduction]

Je ferai de mon mieux pour poser ma question en anglais.

En Finlande, contrairement à l’Ontario, un projet pilote de revenu de base est en place depuis deux ans, et nous avons le bilan de ces deux années. Le bien-être des bénéficiaires s’est amélioré et ils sont plus heureux, mais il n’y a pas vraiment eu d’effet sur le taux d’activité des participants au projet pilote. Avez-vous analysé l’expérience finlandaise? Contrairement à l’Ontario, le projet pilote n’a pas été annulé à cause d’élections et d’un changement de gouvernement. Qu’en pensez-vous?

Mme Wynne : Je n’ai fait aucune analyse. Peut-être que la Mme Forget et Mme Zhao peuvent en parler. Je sais que la Finlande est un chef de file en matière de création de filet de sécurité sociale. Nous avons certainement tiré des leçons du système éducatif finlandais. Je pense que l’amélioration de la qualité de vie dans l’ensemble de la collectivité est un enseignement vraiment important à retenir. Nous en avons eu un aperçu avec le projet Mincome, et c’est pourquoi nous avons créé en Ontario un site dit de saturation, mais le principe était que si des personnes qui s’en sortaient le plus mal dans notre société s’en sortent mieux, alors tout le monde se porte mieux, et je crois qu’il s’agit pour nous d’une leçon importante à retenir.

Le sénateur Gignac : Le Québec est une société progressiste et nous avons parlé au groupe de témoins précédent du fait que le gouvernement Couillard a mis en place un groupe d’experts qui est arrivé à la conclusion que ce revenu de base recueillerait une faible adhésion sociale parce que beaucoup de gens dans les tranches de revenus moyennes et supérieures verraient leurs impôts augmenter, que l’incitation à travailler était très faible et qu’il y avait un problème d’équité, car certaines personnes handicapées gagneraient moins avec le revenu de base. Voulez‑vous réagir à l’analyse que cet expert québécois a faite de ce projet en 2017?

Mme Wynne : Tout dépend de la conception du programme. Si un modèle donné présente des difficultés, nous devons examiner le problème que nous essayons de régler, puis adapter le programme. Il me semble que ce projet de loi prend en compte tous ces paramètres et crée un cadre qui fonctionnerait dans tout le pays.

Le sénateur Gignac : Donc, au lieu de créer un programme national, serait-il mieux, selon vous, que le gouvernement fédéral propose un programme pilote à une province ou à un territoire intéressé, plutôt que d’essayer de le proposer à toutes les provinces et tous les territoires en même temps? Quelle mesure élémentaire proposez-vous en l’espèce?

Mme Wynne : J’espérais, quand nous avons mené notre projet pilote en Ontario, que nous bénéficierions de la coopération du gouvernement fédéral, mais ça n’a pas été le cas. Les deux modèles pourraient fonctionner, mais je suis convaincue que c’est une conversation nationale à présent. Les problèmes liés à la pauvreté, au sans-abrisme et à l’insécurité alimentaire ne se limitent pas à une province, monsieur le sénateur. Nous devons, en fait, avoir une conversation nationale, et ce projet de loi nous en donne l’occasion.

Le sénateur Gignac : Je vous remercie.

Le sénateur Smith : Madame Zhao, les bénéficiaires dans votre étude représentaient un tiers de la population de sans-abri de Vancouver. Il a été souligné qu’il s’agissait de consommateurs modérés de substances et de personnes présentant des symptômes psychiatriques légers. Avez-vous étudié une partie plus importante de la population à risque afin d’avoir une étude complète? Je pense aux personnes qui consomment plus de substances et à celles qui présentent des problèmes psychiatriques, etc. Avez-vous fait plus de recherche pour essayer d’inclure ce groupe, ce qui vous donnerait peut-être plus de crédibilité quand vous parlez à des personnes réfractaires à l’idée de mettre en œuvre ce type de programme?

Mme Zhao : C’est une bonne question.

Nous avons pris des consommateurs modérés, mais pas de gros consommateurs de substances. Beaucoup de nos participants ont actuellement une dépendance active, des problèmes de toxicomanie. Nous élargissons le projet pour voir comment le transfert d’espèces se généraliserait à l’ensemble de la population, mais nous n’avons pas encore inclus de personnes souffrant de graves problèmes de santé mentale ou de toxicomanie.

Je pense que vous posez la question afin de comprendre les risques potentiels que pose le transfert d’espèces à des personnes présentant de gros problèmes de toxicomanie ou de graves symptômes de santé mentale. Je répondrai qu’il est peu probable que ce transfert d’espèces augmente les risques liés à l’argent pour ces personnes parce qu’elles ont déjà accès à des fonds dans les programmes sociaux actuels. Recevoir un revenu de base de 7 500 $ n’entraînera pas d’augmentation des surdoses parce qu’il suffit de 10 $ ou même moins pour en provoquer une. Cela ne dépend pas du montant d’argent que les personnes reçoivent.

Ensuite, les programmes de revenu de base déjà menés dans le monde montrent que le revenu de base réduit en fait la dépendance à l’alcool et aux substances dans le temps. Ces données viennent de la nation cherokee en Caroline du Nord. En 11 ans, le revenu de base a, en fait, réduit la consommation d’alcool et de substances dans cette communauté. Ce qui en dit long sur l’autre côté de l’équation, à savoir que les personnes ne consomment pas parce qu’elles sont pauvres ou sans abri, mais le contraire. Voilà ma réponse.

Le sénateur Smith : Madame Forget, selon ce que nous pouvons constater, nombreux sont ceux qui veulent faire quelque chose de bien à travers ce programme, ou cet éventuel programme. Je me pose une question très simple. Comment faire pour mobiliser tous ceux que le problème préoccupe un peu partout au pays et qui ont des idées fantastiques? Comment faire pour mobiliser et organiser ce groupe? Je sais que c’est ce que la sénatrice Pate essaie de faire avec ce projet de loi. Comment faire pour mobiliser tous les leaders du pays afin qu’ils puissent s’organiser et faire en sorte que personne ne puisse leur dire non?

Mme Forget : C’est probablement la question la plus difficile à laquelle il peut m’être demandé de répondre. À mon avis, une des principales imperfections de ce système vient de la cohabitation de centaines de programmes à l’échelle du pays, et je n’exagère pas. Certains se limitent à des transferts de fonds, d’autres offrent une combinaison de services et de transferts, et d’autres offrent seulement des services. Chaque programme fonctionne plus ou moins en vase clos. Chacun de son côté pense avoir la réponse au problème à régler.

Or, il devient de plus en plus évident dans l’ensemble du réseau que les problèmes sont tous interreliés. Si nous voulons nous attaquer à la question des femmes autochtones disparues et assassinées, nous n’avons pas le choix de prendre en considération tout un éventail d’enjeux qui ont un impact sur la vie des gens. Si nous voulons nous attaquer aux problèmes de dépendance ou de toxicomanie, nous n’avons pas le choix d’inclure la pauvreté, l’itinérance et tout ce qui s’y rattache.

Nous avons réalisé notamment que l’argent est au cœur du problème de pauvreté. En donnant de l’argent aux personnes touchées, on leur donne un pouvoir de décision. Autrement dit, l’argent simplifie vraiment les choses pour les personnes qui sont laissées pour compte, qui ne répondent pas aux critères des programmes. L’argent leur permet de décider pour elles-mêmes, de soumettre des demandes aux programmes voulus et d’en bénéficier au maximum. Je suis convaincue que le revenu de base est essentiel. Comment nous assurer que ce revenu de base est accessible? Je pense que les choses avancent, mais les progrès sont beaucoup trop lents à mon goût.

La sénatrice Pate : Je remercie nos témoins. Merci de vous dévouer corps et âme à cet enjeu et à bien d’autres.

Je vais poursuivre dans la même voie que le sénateur Smith. Ma question s’adresse à vous toutes, et j’aimerais entendre vos réponses dans le même ordre que celui de vos exposés, en commençant par l’ancienne première ministre Wynne, qui sera suivie de Mme Zhao et de Mme Forget. Pourquoi maintenant, et comment aider les gens à faire face à la crise actuelle? Vous avez évoqué les crises environnementales et financières. Vous avez évoqué l’itinérance et la pauvreté. Vous avez parlé de l’étude de modèles par étape, qui vont des allocations pour enfants aux suppléments de revenu garanti, auxquels s’ajoutent maintenant les prestations d’invalidité. Le Québec et la Colombie-Britannique ont déjà dit non à la mesure globale, mais se sont montrés intéressés par une formule par étape. Qu’attendons‑nous? À tour de rôle, pouvez-vous développer davantage votre pensée? Comment se fait-il que l’enquête sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, celle sur la situation de la femme… Toutes ces instances préconisent ce type d’approche, mais les gouvernements restent de marbre. Je vous adresse la question en premier, madame Wynne, en sachant très bien que ce n’était pas votre cas quand vous étiez première ministre.

Mme Wynne : Qu’est-ce qui nous empêche d’aller de l’avant? Mme Forget a dit quelque chose de très intéressant. Les temps sont toujours difficiles. Je me rappelle l’époque où l’Ontario a annoncé que le salaire minimum passerait à 14 $. Quatre ans plus tôt, les entreprises avaient dit que ce n’était pas le bon moment. Elles ont dit la même chose quatre ans plus tard, en 2017, alors que l’économie avait pris du mieux. Il y aura toujours des voix pour dire que c’est une mesure trop coûteuse, que nous n’avons pas les moyens et que ce n’est pas le bon moment.

Je crois que certains des problèmes dont nous avons parlé et que vous venez d’évoquer atteignent une proportion critique. Nous avons essayé différentes approches qui n’ont rien donné. L’heure est venue de prendre une mesure qui fonctionne vraiment, qui consiste à donner de l’argent aux personnes touchées. Mmes Zhao et Forget ont toutes les deux expliqué ce qui a été fait dans le cadre d’autres programmes. Nous l’avons constaté en Ontario. L’heure est venue de recourir à des mesures éprouvées pour bâtir un programme qui apportera une aide réelle.

Mme Forget : Une des choses qui me frappent actuellement est le nombre de programmes sociaux qui n’arrivent plus à répondre aux demandes trop nombreuses. Ils sont à bout de ressources. Je siège au conseil d’un service communautaire de planification financière. Nous perdons nos conseillers les uns après les autres. Nous les épuisons parce qu’ils doivent régler des problèmes beaucoup plus complexes que ceux auxquels ils sont habitués. C’est la réalité chez nous. C’est la réalité dans les banques alimentaires. C’est la réalité dans tous les organismes que je pourrais nommer. Nous sommes au bord d’une crise et il faut prendre des décisions si nous voulons avancer.

Je suis un peu historienne. Je travaille dans le secteur de la santé depuis longtemps. Chaque fois que le sujet du revenu de base revient sur le tapis, je ne peux pas m’empêcher de penser à certaines luttes qui ont mené à la naissance des régimes d’assurance-maladie au fil du temps. Les crises peuvent servir de catalyseur du progrès.

Nous devons aussi nous projeter au-delà du prochain cycle électoral. Il faut cesser de réfléchir à courte vue, de nous dire que les temps sont trop difficiles et de pelleter par en avant en espérant que quelqu’un d’autre s’attaquera au problème dans cinq ans et que le gouvernement suivant cherchera des réponses. Les problèmes reviennent sans cesse. Nous avons besoin d’une perspective à plus long terme, et nous devons commencer à réfléchir à ce qui pourrait changer dans notre société si nous instaurons un programme de revenu de base maintenant.

Mme Zhao : Le problème de l’itinérance est urgent. Nous avons une crise au Canada. Selon le dernier recensement mené à Vancouver, la population des sans-abri a fait un bond de 32 %, alors que la population totale de la ville a augmenté de 3 % seulement. Les mesures actuelles ne fonctionnent pas, tant s’en faut, et nous devons changer notre fusil d’épaule.

Le revenu de base représente un investissement sensé pour lutter efficacement contre l’itinérance et la pauvreté. La principale objection dont j’ai eu connaissance concerne les hausses d’impôt. Des gens refusent qu’on utilise l’argent de leurs impôts pour venir en aide aux pauvres. Ils se trompent. En instaurant le cadre sur le revenu de base, à peine 5 % des contribuables les mieux rémunérés seraient touchés. La grande majorité des Canadiens ne verront aucune répercussion sur leurs impôts. C’est la première chose. La seconde est que l’accès à un revenu de base, dans les faits, va se traduire par des baisses d’impôt. C’est une mesure globalement efficiente, qui nous coûtera moins que ce que nous coûte la pauvreté actuellement.

Le sénateur Woo : Merci, mesdames Wynne, Zhao et Forget.

Des analystes, et des économistes notamment, ont étudié la question et ils ont probablement les mêmes préoccupations que vous à l’égard de la pauvreté, de l’itinérance et des personnes déplacées pour différentes raisons. Ils seraient peut-être d’accord avec vos conclusions sur les effets positifs des transferts de fonds, mais il se peut aussi qu’ils préconisent plutôt une approche ciblée que le revenu universel de base. Essentiellement, c’est l’hypothèse avancée dans les études menées au Québec et en Colombie-Britannique. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous préconisez l’universalité? Il existe différentes façons d’envisager la question. Pourquoi ne pas adopter une approche plus ciblée, trouver tous ceux qui ont des besoins dans le Downtown Eastside et leur verser de l’argent, à eux et à personne d’autre? Nous pourrions commencer par entendre la réponse de Mme Zhao, et celles de Mme Forget et de l’ancienne première ministre Wynne ensuite.

Mme Zhao : L’approche ciblée est aussi inefficace qu’elle est inefficiente. Elle nous coûte plus cher à long terme, puisque c’est déjà ce que nous faisons. Ce que nous constatons, c’est qu’elle ne réduit ni la pauvreté ni l’itinérance. Le revenu de base est une mesure plus efficace, plus efficiente à long terme. C’est ma réponse brève. Je cède la parole à Mme Forget pour qu’elle vous donne des explications plus détaillées.

Mme Forget : Je suis tout à fait d’accord. Ce n’est pas une mesure efficiente contre ces problèmes. Plus les programmes sont ciblés, plus on introduit des lacunes dans le système. Et plus il y a de lacunes, plus les risques augmentent que des personnes soient laissées pour compte, qu’elles ne remplissent pas exactement les critères. Le revenu de base représente une approche plus universelle et garantit à tous un accès à certaines mesures d’aide. C’est une première réponse.

Je suis économiste et je comprends les critiques. Si le problème est mineur, une approche ciblée pourrait sans doute faire l’affaire. Malheureusement, le problème dont nous parlons aujourd’hui n’a rien de mineur. Nous faisons face à une multitude de problèmes interreliés, et je ne pense pas que les approches ciblées fonctionnent dans ce genre de contexte. Nous avons besoin d’un remède beaucoup plus fort. Nous avons besoin de moyens plus efficaces d’intégrer les mesures existantes.

Mme Wynne : Je ne fais pas de recherche, contrairement aux deux professeures qui témoignent aujourd’hui. En Ontario, nous avons opté pour un programme dans le cadre duquel nous avons circonscrit la population admissible. Je suppose que ma réponse, sénateur Woo, est qu’il existe différents modèles. Il existe différents modèles à l’intérieur du cadre du revenu universel. Je crois que c’est exactement pour cette raison que le projet de loi est si important. Il faut examiner tous les modèles et, de concert avec des gens comme Mme Forget et Mme Zhao, réfléchir à un programme qui ne créera pas d’exception, mais qui inclura toutes les personnes qu’il faut inclure.

Le sénateur Woo : Je crois comprendre ce que vous voulez dire. Dans le cas d’un programme universel, il peut y avoir des pertes si des personnes en bénéficient sans en avoir vraiment besoin, mais elles sont moins importantes que celles d’un programme ciblé. Un programme universel serait donc plus avantageux. Je comprends.

Le projet de loi ne réclame pas vraiment l’accès à un revenu de base ou à un revenu de base garanti suffisant. Il vise la mise en place d’un cadre national. À votre avis, quels devraient être les éléments de ce cadre? Concrètement, quels devraient être les éléments de ce cadre pour qu’il nous permette d’aller de l’avant, même si c’est de manière progressive? Madame Zhao, voulez‑vous commencer?

Mme Zhao : Je crois qu’un tel cadre doit définir les principes, les conditions, les paramètres des exigences, prévoir qui sera admissible au programme, de même que les coûts et les avantages. Il faut établir ces principes de base concernant le revenu de base. C’est essentiel. Comme les modalités de mise en œuvre varieront selon la province ou le territoire, il faut que la cadre définisse bien les principes.

Mme Forget : Ce matin, le directeur parlementaire du budget a expliqué les nombreux paramètres du revenu de base. À mon avis, l’étude qui devra être menée sera l’occasion idéale pour réunir des gens de nombreux secteurs. C’est une occasion unique de réunir des représentants des provinces, du fédéral et des organismes sans but lucratif afin qu’ils déterminent ensemble ces paramètres.

J’ai quelques favoris parmi ces paramètres, si j’ose dire. J’ai l’impression que nous avons manqué d’imagination dans notre approche du revenu de base. Notamment, je trouve très important de réfléchir à la définition de la famille et aux incidences des différentes définitions, au groupe de prestataires et à la mise en œuvre du programme. Il est important que tous ces facteurs, les taux de réimposition et ce genre de choses soient…

Le sénateur Woo : Est-ce que cela pourrait comprendre une incitation à élaborer des projets pilotes à l’échelon des provinces, des municipalités et des régions?

Mme Forget : Nous avons 13 administrations.

Le président : Pouvez-vous nous transmettre la suite de votre réponse par écrit par l’entremise de la greffière? Merci d’avoir posé cette question, sénateur Woo.

Le sénateur Loffreda : Je remercie les témoins de participer à nos travaux ce matin.

Je conviens que la pauvreté est une anomalie à laquelle notre société doit s’attaquer, et que c’est une réalité très préoccupante à la grandeur du pays. Le revenu de base garanti suffisant suscite des réserves qui ne se limitent pas à la hausse des impôts et des coûts. D’aucuns craignent également qu’il dissuade les gens de travailler et qu’il aggrave la pénurie de ressources et l’inflation, et que ceux que nous voulons aider se retrouvent encore plus démunis. Madame Forget, vous avez dit que loin de décourager le travail, le revenu de base garanti suffisant ferait augmenter le nombre d’heures travaillées. J’aimerais beaucoup vous entendre davantage à ce propos, ainsi que sur les conclusions déterminantes auxquelles vous êtes arrivée. J’inviterais aussi les autres témoins à nous faire part de leurs constatations et de leurs conclusions à cet égard.

Mme Forget : La question de l’effet dissuasif sur le travail est très intéressante. À mon avis, le revenu de base a très peu d’incidence sur le nombre d’heures travaillées. Je crois que c’est ce qui sera établi. Il y a quelque temps, une question a été posée concernant la Finlande, ou l’expérience finlandaise. L’hypothèse de départ était que les personnes touchant un revenu de base travailleraient plus d’heures que les autres. Ce n’est pas ce qui a été constaté. Ce qui est ressorti de l’expérience, c’est qu’il n’y avait absolument aucune différence entre le groupe témoin et le groupe expérimental.

Je me suis entretenue avec le directeur de ce programme, Olli Kangas, et il m’a dit quelque chose de très intéressant. Vers la fin du programme, il a observé une différence qui ne touchait pas au nombre d’heures travaillées, mais plutôt au genre d’emplois que les personnes du groupe expérimental avaient trouvés comparativement à celles du groupe témoin. Dans le groupe témoin, les personnes qui travaillaient avaient gardé les emplois temporaires, comme la distribution de circulaires, qu’ils occupaient avant le début du projet. Dans le groupe témoin, certaines personnes ont accédé à des emplois dignes de ce nom, qu’elles ont conservés au fil du temps et qui leur donnaient de meilleures perspectives de vie. Ce n’est pas quelque chose qui transparaît dans les statistiques, entre autres parce que le projet n’a pas duré assez longtemps.

C’est ce genre d’effets à long terme que j’aimerais voir. Je ne sais pas si c’est ce qui va se passer. Je ne vois rien qui permet de conclure que le revenu de base encourage ou décourage le travail. Je doute fort que vous constatiez une grande différence entre les deux. Si vous instaurez un programme de revenu de base, les gens ne se mettront pas à fuir le marché du travail. Ce n’est jamais arrivé, dans aucune des expériences qui ont été menées. Il n’y a pas eu d’exode quand des mesures analogues au revenu de base ont été mises en place. Quand nous avons instauré l’Allocation canadienne pour enfants, les mères ont travaillé davantage, pas moins. Je ne pense vraiment pas qu’il y aura une véritable différence.

Dans mon exposé, je voulais dire notamment que d’aucuns croient que la participation au marché du travail pourrait augmenter, alors que d’autres croient qu’il y aura l’effet inverse. Mon avis est qu’il n’y aura pas de différence et qu’aucune donnée probante ne permet de décréter qu’il pourrait y avoir une différence notable. Le directeur parlementaire du budget a utilisé à juste titre une première baisse estimée de 1,5 % du nombre d’heures travaillées dans son rapport. C’est très minime. Selon moi, ce choix était tout à fait pertinent.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La sénatrice MacAdam : Je remercie les témoins.

Dans tous les rapports sur les coûts du revenu de base garanti, le directeur parlementaire du budget s’est fondé sur la mesure du faible revenu pour estimer le nombre et le pourcentage de Canadiens à faible revenu. Je crois que c’est ce qui a servi de base au calcul des versements aux participants au projet pilote ontarien. D’autres mesures sont souvent mentionnées, comme le seuil de faible revenu et les mesures de la pauvreté fondées sur un panier de consommation. Selon vous, laquelle de ces mesures serait la mieux adaptée pour l’élaboration d’un programme de revenu de base garanti suffisant, et pourquoi? Je m’adresse à toutes les témoins.

Mme Forget : C’est un des paramètres qui pourront être déterminés durant la conception du projet. Personnellement, je n’ai pas de mesure de préférence. Ce que nous voulons, c’est une amélioration au fil du temps. Suivant la disponibilité des données et d’autres facteurs, il existe différentes manières d’aborder un problème. C’est ce que je peux dire de plus précis à ce sujet.

Mme Zhao : Je vais revenir au problème soulevé par le sénateur Woo. Je pense que c’est exactement ce que ce cadre doit établir. Quels seront les indicateurs utilisés, et est-ce que les provinces devront rendre des comptes au Parlement au fil du temps?

Je suis d’accord avec Mme Forget quand elle affirme qu’il ne faut pas se limiter à un indicateur parce que ce serait inefficace à long terme. Je préconise plutôt le recours à plusieurs indicateurs qui permettront d’évaluer la productivité, le bien-être et les économies de coûts dans ces domaines.

Mme Wynne : J’abonde dans le sens de mes collègues.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à Mme Wynne. Madame Wynne, comme vous avez été première ministre de l’Ontario, vous n’ignorez certainement pas les difficultés qu’il faudra traverser pour obtenir un accord de toutes les provinces vis-à-vis d’un tel programme. Les champs de compétence provinciaux sont assez peu négociables, vous le savez, vous êtes bien placée pour le savoir, puisque vous avez occupé le poste de première ministre.

Le sénateur Forest en a parlé, mais j’aimerais y revenir. Comme je l’ai demandé au directeur parlementaire du budget, croyez-vous qu’on devrait commencer par s’entendre avec les provinces sur ce qu’elles veulent ou sur ce qu’elles sont prêtes à abandonner comme programmes provinciaux avant de nous lancer dans un programme fédéral de revenu minimum garanti? Il faut essayer d’éviter des discussions qui ne vont mener nulle part et être plus concret. Si vous me dites oui, combien de mois ou d’années pensez-vous qu’il faudra pour en venir à de tels accords?

[Traduction]

Mme Wynne : Est-ce que vous me demandez combien de temps il faudrait pour obtenir l’accord des provinces et si elles seront disposées à collaborer avec le gouvernement fédéral?

Le sénateur Dagenais : Oui, c’est ce que je vous ai demandé. Je pense que vous êtes bien placée pour comprendre les tenants et les aboutissants des accords entre les provinces et le fédéral.

Mme Wynne : Oui, tout à fait.

Je ne peux pas vous dire combien de temps il faudra au juste. Je ne sais pas comment les choses évolueront, mais je sais que ce cadre exigera des discussions. Comment obtiendrons-nous l’adhésion des provinces? Qu’obtiendront-elles en contrepartie?

J’espère que le Conseil de la fédération, auquel siège le premier ministre, réussira à obtenir un consensus. J’en ai moi‑même fait partie et je sais que les membres sont tout à fait capables d’avoir des discussions non partisanes. Si le gouvernement fédéral veut lancer une discussion sur la lutte à la pauvreté dans le cadre d’un programme de revenu de base, je crois qu’il y aura une volonté d’y participer. Je suis optimiste, même si je ne suis pas tout à fait certaine, quant à la possibilité que cette discussion ait lieu dès maintenant.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Croyez-vous que le gouvernement fédéral est le mieux placé et le mieux équipé pour gérer un potentiel programme de revenu de base garanti?

[Traduction]

Mme Wynne : Vous me demandez si le fédéral est l’échelon approprié, n’est-ce pas? Oui, tout à fait. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous faisons face à des crises d’envergure nationale. Il est primordial d’avoir un débat national, de reconnaître que la situation ne concerne pas seulement une province ou une région en particulier. Les gens font face à des problèmes semblables un peu partout au pays, et toutes les provinces doivent prendre part aux discussions. Donc, pour répondre à votre question, je crois en effet que le gouvernement fédéral peut jouer un rôle de catalyseur dans ce débat.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, c’est ici que se terminent nos échanges avec le second groupe de témoins.

Je vous remercie d’avoir fait bénéficier le comité des finances de vos réflexions, de vos idées et de vos perspectives. Je rappelle aux témoins qui ont accepté de transmettre des réponses par écrit à la greffière de le faire, dans la mesure du possible, d’ici au jeudi 31 octobre, avant la fin de la journée.

Avant de terminer, le vice-président a demandé la parole pour une question ou une observation.

[Français]

Le sénateur Forest : Je pense qu’on a une seule réunion sur le sujet. Je me posais la question suivante : étant donné qu’il est impossible de faire le tour de la question, est-ce qu’il y aura un moment où, étant donné que le comité a un ordre de renvoi qui vient du Sénat, on pourrait recommander de créer un projet‑pilote, afin de mesurer l’impact positif ou négatif? Prévoyez‑vous que cela pourrait avoir lieu au début de la prochaine réunion, ou alors pourrait-on envoyer des suggestions à nos analystes pour qu’on puisse avoir, minimalement, un rapport à déposer au Sénat?

Le président : Je peux vous assurer, sénateur Forest, que ce sera le premier sujet qui sera abordé à notre prochaine réunion avec le comité directeur.

Le sénateur Forest : Vous avez toute ma confiance.

[Traduction]

Le président : Je remercie les membres de notre équipe de soutien, autant ceux qui sont à l’avant-scène que ceux qui travaillent dans l’ombre. Merci de votre excellent travail et de votre contribution. Vous faites en sorte que notre travail de sénateur soit éclairant en rendant l’information accessible au public et à l’ensemble des Canadiens.

(La séance est levée.)

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