Aller au contenu
NFFN - Comité permanent

Finances nationales


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 22 novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 18 h 47 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-233, Loi concernant l’élaboration d’un cadre national sur le revenu de base garanti suffisant, et le Budget supplémentaire des dépenses (B) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2024.

Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite à tous la bienvenue, ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le Canada qui nous regardent sur SenCanada.ca.

[Français]

Je m’appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité sénatorial permanent des finances nationales. J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter, en commençant par ma gauche.

Le sénateur Gignac : Clément Gignac, sénateur du Québec.

Le sénateur Loffreda : Sénateur Tony Loffreda, de Montréal, au Québec.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Bonsoir. Je m’appelle Yuen Pau Woo et je viens de la Colombie-Britannique.

[Français]

Le sénateur Cormier : Bonsoir. René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Kim Pate. Je vis en territoire non cédé des Algonquins anishinabes.

Le sénateur Smith : Larry Smith, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, de Montréal, au Québec.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, nous reprenons aujourd’hui l’étude du projet de loi S-233, Loi concernant l’élaboration d’un cadre national sur le revenu de base garanti suffisant, qui a été renvoyé au comité le 18 avril 2023 par le Sénat du Canada.

Ce soir, nous avons le plaisir d’accueillir, par vidéoconférence, David Green, professeur à la Vancouver School of Economics de l’Université de la Colombie-Britannique.

Au nom des sénateurs du Comité des finances nationales, je vous remercie d’avoir accepté notre invitation à comparaître.

Nous allons commencer par votre déclaration liminaire, puis nous passerons aux questions des sénateurs. Vous avez la parole, monsieur Green.

David Green, professeur, Vancouver School of Economics, Université de la Colombie-Britannique, à titre personnel : Merci beaucoup. Je suis heureux d’avoir l’occasion de m’adresser au comité. Je suis professeur à la Vancouver School of Economics de l’Université de la Colombie-Britannique, mais j’ai aussi présidé, ce qui est ici plus pertinent, un groupe chargé par le gouvernement de la Colombie-Britannique d’étudier le revenu de base comme possibilité de politique pour la province. Le groupe était composé de Lindsay Tedds et de Rhys Kesselman, tous deux professeurs, et de moi-même. On nous a donné un délai de deux ans pour nous acquitter d’un mandat qui consistait à examiner la possibilité que la Colombie-Britannique transforme son régime de transferts et de soutien selon le principe d’un revenu garanti ou réforme ce régime selon une autre formule. On nous a accordé des ressources considérables et donné accès à d’abondantes données administratives. Grâce à ce bagage, nous avons commandé plus d’une quarantaine de documents de recherche portant aussi bien sur les problèmes du régime de transferts en place que sur les affirmations formulées au sujet du revenu de base. Nous avons également eu des discussions approfondies avec les groupes touchés et lancé un sondage d’opinion unique en son genre. Nous avons effectué des simulations sur plus de 1 600 variantes des politiques de revenu de base, et nous avons eu de longues discussions avec des fonctionnaires de nombreux ministères de la Colombie-Britannique qui seraient touchés par le régime de revenu garanti et les réformes proposées comme solutions de rechange.

Le résultat de nos travaux est exposé dans un rapport de 500 pages qui, avec tous les documents de recherche, est disponible à l’adresse bcbasicincomepanel.ca et dans un livre que nous avons publié avec l’Institut de recherche en politiques publiques, l’IRPP. Nous croyons que notre travail constitue l’évaluation la plus approfondie du revenu de base jamais réalisée au Canada, voire dans le monde.

Nous avons situé notre enquête dans le contexte des politiques propres à faire évoluer le Canada vers une société plus juste. En fait, nous avons élaboré un nouveau cadre d’analyse des politiques axé sur cette question, en nous fondant sur l’objectif d’une société qui assure l’égalité dans le respect de soi et le respect social. J’estime que ceux qui préconisent le revenu garanti épousent ces objectifs. Je conviens également que, dans certaines circonstances, le revenu garanti fait partie de ce qui est nécessaire et qu’il appuierait ce qu’on appelle un revenu de base, mais le respect de soi et le respect social reposent aussi sur des milieux de travail respectueux, des possibilités d’épanouissement réelles, des collectivités compatissantes et des soutiens en matière de santé mentale. Je crains qu’un régime général de revenu de base ne reste à court de l’objectif, et ne tienne pas compte de l’interaction complexe avec l’instauration de ces autres conditions.

Je conviens également avec les apôtres du revenu de base que l’actuel régime fait problème à cause des niveaux de soutien, de sa complexité et de sa capacité de traiter avec assez de respect ceux qui sont dans le besoin. En fait, nous avons consacré beaucoup de temps dans notre rapport à décrire ces problèmes de façon détaillée. Le revenu de base donne l’impression d’être une solution simple et directe. Quoi de plus simple que d’envoyer de l’argent par l’intermédiaire du régime fiscal existant à ceux qui en ont besoin? Mais la solution ne semble plus si simple quand on s’interroge sur les moyens d’intégrer le revenu de base aux régimes existants.

Nous avons passé en revue tous les programmes de soutien proposés par tous les ordres de gouvernement en nous demandant si chacun pouvait être remplacé par le revenu de base. Dans presque tous les cas, la réponse a été négative. Par conséquent, l’instauration d’un revenu de base ferait apparaître de nouvelles interactions complexes, et même l’idée apparemment simple de l’offrir par l’entremise du régime fiscal n’est pas si simple. En effet, 8 % des Canadiens ne produisent pas de déclaration de revenus au cours d’une année donnée et, comme la cotisation est de fréquence annuelle, ceux qui accusent une perte de revenu ne pourront pas faire connaître leurs besoins en soutien par le truchement du régime fiscal avant un délai variant entre quatre et 16 mois. Pour régler ces problèmes, il faudrait créer un régime qui repère ceux qui ne font pas de déclaration et qui a une fréquence infra-annuelle. Autrement dit, il faudrait mettre en place un régime qui ressemblerait beaucoup aux régimes existants de soutien du revenu. Comme nous le montrons, le mur de l’aide sociale serait tout aussi haut voire plus dans le nouveau régime que dans le régime actuel d’imposition et de transferts.

Le revenu de base n’est pas un régime plus simple. C’est un autre régime complexe, mais c’est peut-être un meilleur régime complexe. Les recherches dont notre rapport rend compte ont évalué les affirmations qu’on fait au sujet du revenu de base dans un large éventail de domaines : un revenu de base réduirait les coûts des soins et améliorerait l’état de santé, il augmenterait l’activité entrepreneuriale, il permettrait aux travailleurs de quitter de mauvais emplois et ainsi de suite. Dans chaque cas, nous avons constaté qu’il pouvait effectivement avoir des effets positifs, mais qu’il y avait une politique de rechange qui lui était supérieure.

D’après notre évaluation, le revenu de base est une approche coûteuse qui donnera des résultats inférieurs dans notre évolution vers une économie plus juste. Soyons clairs : nous croyons qu’il faut dépenser de l’argent pour régler les problèmes de notre société. Nous convenons certainement que ces problèmes sont réels. Le fait est qu’il existe des façons plus efficaces de dépenser l’argent.

Voilà qui nous ramène à la question plus générale de l’objectif des politiques. S’il s’agit simplement d’un objectif numérique de réduction du nombre de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté, alors le revenu de base est une façon très directe de le faire. Mais s’il s’agit de créer une société plus juste, c’est beaucoup moins évident.

Disons que la pauvreté est beaucoup plus qu’un manque de revenu. C’est un manque de respect et d’intégration. Une approche axée sur l’argent favorise l’autonomie financière sans pour autant tenir compte du fait que l’autonomie véritable repose sur le soutien d’une collectivité, le respect de soi, la santé et le logement. Je crains qu’une approche aussi individualiste que le revenu de base ne fasse reposer sur les épaules des personnes vulnérables le fardeau de réparer nos régimes existants, affligés d’iniquités structurelles intrinsèques. Il privilégie délibérément une société plus individualiste plutôt qu’une société plus axée sur la collectivité.

Un exemple par excellence est le soutien aux jeunes qui, arrivés à un certain âge, doivent quitter les foyers d’accueil. C’est l’un des groupes les plus vulnérables de la société. Se contenter de leur donner un revenu de base en leur souhaitant bonne chance n’est évidemment pas une bonne approche. Nous préconisons une politique qui prévoit l’élimination progressive du revenu garanti, mais qui met l’accent sur l’établissement de soutiens communautaires et personnels. Ce n’est pas que ceux qui préconisent le revenu de base s’opposent à ces autres mesures de soutien; c’est plutôt qu’une approche générale du revenu de base suppose une coupure entre le revenu et les autres éléments. De la sorte, ce régime pourrait devenir une façon inefficace de dépenser l’argent pour créer une société plus juste.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de témoigner. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Green. Honorables sénateurs, chaque intervenant aura cinq minutes.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup de votre exposé. C’est très intéressant.

Quel a été le résultat? Vous avez fait beaucoup de recherches, à ce qu’il semble. Dans votre exposé, vous avez dit : « Telle ou telle proposition, mais... » Quelle est la conclusion, en somme? Vous avez fait des recherches pour faire des recherches, de sorte que nous avons maintenant tout un corpus, ou votre travail a-t-il abouti à des recommandations? Y a-t-il eu un projet pilote? Dites-nous le reste. Vous en êtes resté à la première partie.

M. Green : C’est exact; je n’ai fait que vous aguicher. On nous a demandé de voir si un revenu de base serait une bonne politique pour la Colombie-Britannique, mais aussi de voir s’il y avait lieu de réaliser un projet pilote pour approfondir l’étude.

On nous a donné un mandat plus large : « À défaut d’instaurer un revenu de base, quelle serait la solution? » Nous avons fait preuve d’une grande ouverture d’esprit en essayant de réunir un ensemble de données qui seraient utiles à d’autres chercheurs, même s’ils rejettent nos conclusions. Cela fait partie de ce que nous croyons avoir créé.

La sénatrice Marshall : Pensez-vous que le gouvernement devrait aller de l’avant et mettre en place un revenu de base, ou que le travail que vous avez fait ne vous a pas tout à fait convaincu?

M. Green : C’est la deuxième réponse. Nous en sommes venus à la conclusion que, dans la plupart des domaines de la politique que nous avons considérés — et nous en avons considéré beaucoup —, un revenu de base était souvent une solution utile, mais qu’il y avait de meilleures façons, plus directes et plus efficaces, de dépenser l’argent consacré à l’application des politiques. Au bout du compte, nous avons proposé une série de solutions de rechange plutôt qu’un revenu de base.

Je dois dire que, dans certains domaines, nous avons recommandé ce qu’on pourrait appeler un revenu de base ciblé — par exemple, pour les personnes handicapées —, mais, comme objectif de politique global, nous n’avons pas appuyé un revenu de base général, et nous avons également recommandé de ne pas lancer un projet pilote à ce sujet.

La sénatrice Marshall : D’accord. Avez-vous changé quoi que ce soit? Vous disiez qu’il y a un certain régime en place, et que ce régime complexe finirait par être remplacé par un régime différent et toujours complexe.

Vos recherches ont-elles été suivies de modifications? Ou avez-vous conclu que c’était très complexe et que, par conséquent, vous mainteniez le statu quo? Je pose la question parce que j’ai déjà été responsable du programme d’aide sociale à Terre-Neuve-et-Labrador. Je peux comprendre.

Qu’avez-vous fait? Avez-vous isolé un groupe pour mener un projet pilote?

M. Green : C’est une excellente question. Je suis heureux de connaître vos antécédents. Vous êtes donc au courant de tout ce dont je parle.

Nous n’avons pas mené de projet pilote. Notre étude devait contribuer à d’autres délibérations du genre de celles que vous connaissez sans doute. En fait, la Colombie-Britannique est en train de rénover son régime de soutien du revenu, et notre rapport l’a éclairé. Les autorités ont discuté avec nous à plusieurs reprises de la façon de procéder.

Voici un exemple utile. Vous n’ignorez pas qu’une grande partie des régimes de soutien du revenu et d’aide sociale dans les provinces canadiennes à l’heure actuelle se rapporte aux personnes handicapées. Nous avons recommandé une vaste série de modifications du régime qui en simplifieraient l’accès et le rendraient plus respectueux du prestataire, relèveraient les prestations pour arriver à un revenu de base permanent comparable au seuil de la pauvreté — car les prestations sont actuellement inférieures à ce seuil — et faciliteraient le travail. Des personnes handicapées nous ont dit qu’elles avaient l’impression que le régime les punissait lorsqu’elles essayaient de travailler ou même de faire du bénévolat. Nous avons essayé de trouver le moyen d’en arriver à un régime plus respectueux et plus digne, avec de meilleurs soutiens, et nous avions l’impression qu’un revenu de base à lui seul n’y parviendrait pas.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup. C’est très intéressant.

Le sénateur Gignac : Bienvenue au témoin. Merci d’être parmi nous. J’ai lu une partie de votre livre, que j’ai trouvé passionnant, monsieur Green. Vous avez parlé du revenu de base dans votre déclaration liminaire. Je me reporte à votre conclusion, à la page 218. Vous écrivez que le revenu de base pourrait simplifier le système de revenu et pourrait être plus facile d’accès que le système existant. Vous avez précisé que cela aurait un coût, et vous concluez en disant qu’un régime plus simple pourrait faire diminuer le nombre de programmes spécialisés qui répondent à des besoins particuliers, et que, à certains égards, certains prestataires seraient laissés pour compte.

Pourriez-vous me donner deux ou trois exemples de situations où l’instauration d’un revenu de base est pire que le maintien du programme actuel, ou encore de groupe qui serait touché? Vous semblez faire allusion à une situation particulière.

M. Green : Excellente question.

Un exemple qui me vient à l’esprit est l’un des problèmes qui nous préoccupent tous : ceux qui vivent dans la pauvreté. Le groupe le plus important qui affiche le taux de pauvreté le plus élevé est celui des adultes célibataires sans enfants parce qu’ils ne reçoivent pas l’Allocation canadienne pour enfants et qu’ils ne sont pas encore en mesure d’obtenir le Supplément de revenu garanti ou les prestations de la Sécurité de la vieillesse.

Voyons ce groupe de plus près : au premier rang vient un segment de 20 % formé de travailleurs qui ont une activité de plus de 40 semaines par année. Ils sont pauvres malgré leur travail. Une partie importante de ce groupe est constituée de femmes qui occupent des emplois dans le secteur des services dans les villes. Beaucoup sont racisées et immigrantes. Pour les membres de ce groupe, nous estimons qu’un revenu de base permettrait, comme vous l’avez dit, d’atteindre plus directement le seuil de la pauvreté. Mais ils n’en sont pas là. Ce que nous devons faire pour eux, c’est augmenter à la fois le salaire minimum et l’Allocation canadienne pour les travailleurs — ce sont des politiques déjà en place, de sorte qu’il est inutile d’en créer d’autres pour ce groupe — et resserrer l’application de la réglementation. Une grande partie de ce qui arrive à ce groupe, ce sont des problèmes de dignité au travail et de contrôle de leur horaire de travail — autant de problèmes que le revenu de base ne réglerait pas, à notre avis. Tous ces outils sont là, plus ou moins, mais il y a moyen de les utiliser beaucoup mieux pour aider directement ce groupe.

Le sénateur Gignac : Pour changer de sujet, votre témoignage arrive à point nommé, vu le rapport détaillé du groupe de travail de l’Île-du-Prince-Édouard évoqué par un collègue. Cela semble très intéressant. Vous avez dit que le recul de la pauvreté serait de 65 % chez les enfants et de 90 % chez les personnes vivant seules.

Je ne sais pas si vous avez eu le temps aujourd’hui de jeter un coup d’œil au rapport qui a été publié, mais est-il juste de dire que cette conclusion pourrait s’appliquer au reste du Canada — d’un océan à l’autre — si nous options pour un programme national, et qu’il y aurait une diminution importante de la pauvreté si nous avions un revenu national de base? Est-il juste de tirer cette conclusion en vous fondant sur ce rapport et sur votre propre expérience?

M. Green : J’ai pris connaissance du rapport, qui est l’œuvre d’un groupe de personnes qui m’inspirent le plus grand respect. Ce sont des chercheurs de haut niveau. Il est difficile de l’appliquer à l’ensemble du pays. Dépenser directement pour augmenter les revenus est clairement une façon de réduire la pauvreté financière, mais la pauvreté est plus complexe que cela. Cela fait partie de mon argument.

Quant à la transposition du modèle de l’Île-du-Prince-Édouard au niveau national, il est important de noter que dans le projet pilote proposé, 65 % des dépenses nécessaires pour offrir ce revenu de base seraient payées par le reste du Canada, et non par l’Île-du-Prince-Édouard. Autrement dit, vous auriez un modèle de financement où 65 % des fonds tombent du ciel. Si le programme s’applique au niveau national, cette manne disparaît. L’Île-du-Prince-Édouard est assez petite pour que ce soit possible chez elle sans incidence aucune sur les taux d’imposition fédéraux. Toutefois, si on transpose au niveau fédéral, il faudra modifier considérablement les taux d’imposition du fisc fédéral. Dans ce cas, les incitatifs et toute la structure fiscale seraient bouleversés. Le passage du niveau provincial au niveau national n’est donc pas évident, du moins à mon avis.

Le sénateur Gignac : À propos du rapport du directeur parlementaire du budget, le DPB, j’essaie simplement de comprendre la règle empirique. Il semble qu’il y ait des économies à réaliser dans les formalités et l’administration. Vu le grand nombre de programmes, il est possible d’épargner beaucoup d’argent en en fusionnant certains et en en éliminant d’autres. Cela semble représenter 10 % du coût total.

La règle empirique dit-elle qu’il y a des économies à réaliser dans les frais d’administration et que cela équivaut en fait à 10 % du coût du revenu de base?

M. Green : Bonne question. J’ignore d’où vient ce chiffre de 10 %. Je ne suis pas d’accord pour dire qu’on peut réaliser beaucoup d’économies exactement pour les raisons que je viens d’énoncer dans mon exposé : 8 % des Canadiens ne produisent pas de déclaration de revenus. Si on veut remplacer des régimes existants, comme celui du soutien du revenu, par exemple, en soulignant que les formalités administratives seront allégées grâce à l’abolition de ces régimes, il faudra mettre en place un régime différent pour rejoindre ceux qui ne font pas de déclaration. Je doute qu’il y ait beaucoup d’économies à réaliser.

Le sénateur Smith : Je suis heureux que vous soyez parmi nous ce soir, monsieur. Ma question fait suite à celle du sénateur Gignac.

Les détracteurs du programme national de revenu de base soutiennent que les problèmes de répartition des compétences au Canada pourraient constituer un obstacle majeur à sa mise en œuvre. Comme vous le savez, nous avons une pléthore de programmes de soutien social, dont vous avez commencé à parler, dans les provinces et les territoires. Comme le directeur parlementaire du budget l’a dit, il faudra réduire certains de ces programmes sociaux si on veut financer le nouveau programme.

Qu’en pensez-vous? Comment le gouvernement fédéral — qui a déjà du mal à mobiliser les provinces et les territoires — pourrait-il mettre en œuvre un programme national de revenu de base?

M. Green : C’est une excellente question. C’est un peu en dehors de mon champ de compétence. Je n’étudie pas le fédéralisme. Je conviens que ce serait difficile. D’un autre côté, si le gouvernement fédéral se présentait à la table avec beaucoup d’argent, comme dans l’exemple de l’Île-du-Prince-Édouard, en disant : « Nous allons prendre en charge vos programmes de soutien du revenu et d’aide sociale », je présume que la réaction serait favorable. Mais, comme vous le disiez, tout se joue dans les détails.

Comme je l’ai dit, Lindsay Tedds et son équipe ont passé en revue littéralement tous les programmes offerts aux Britanno-Colombiens dans notre cas, et nous avons constaté qu’il y avait peu de possibilités de retirer quoi que ce soit. Si tel est le cas, alors la complexité du projet dont vous parlez est plus grande que ce qu’il pourrait sembler à première vue.

Le sénateur Smith : Vous avez également participé à l’article d’opinion que vous avez cosigné et qui a été publié dans le Globe and Mail en mai dernier. Pour aller de l’avant, vous avez souligné que le recours au régime fiscal pour offrir les prestations constitue un problème complexe à surmonter si la majorité des Canadiens vulnérables ne produisent même pas de déclaration de revenus. Le gouvernement a annoncé à l’Agence du revenu du Canada un programme pilote de production automatique des déclarations de revenus. L’objectif est de veiller à ce que les Canadiens vulnérables ne soient pas privés des prestations dont ils ont grandement besoin.

Pensez-vous que cette mesure pourrait améliorer la réussite d’un éventuel programme de revenu de base?

M. Green : Oui, c’est possible. Pour être clair, ce serait probablement quelque chose d’utile pour tous nos programmes. Que vous décidiez d’opter pour un revenu de base ou non, cela semble être la plateforme souhaitable. Oui, je suis d’accord; ce serait un progrès.

La sénatrice Pate : Je vous remercie de vous être joint à nous et merci de tout le travail que vous faites dans ce dossier et dans les dossiers connexes.

J’ai été étonnée, à la lecture de votre ouvrage auquel le sénateur Gignac a fait allusion, car vous y comparez les approches différentes et actuelles du soutien du revenu à une maison et dites que nous continuons d’y ajouter des pièces et de faire des rénovations au fil des ans. Selon votre analogie, l’instauration d’un régime viable de revenu de base garanti reviendrait à démolir pour rien une maison parfaite pour la remplacer par une autre.

Au cours des 45 années d’expérience qui m’ont amenée à déposer le projet de loi, j’ai appris que ceux qui vivent dans la pauvreté et essaient d’avoir accès à des mesures de soutien du revenu tiennent un discours très différent. Pour eux, c’est plutôt comme une maison dont les fondations sont fissurées, dont les poutres sont pourries et dont le toit s’effondre. Ils ne reçoivent pas assez d’argent pour vivre et ils doivent composer avec des conditions rigides qu’ils ne peuvent pas respecter. Pourtant, ils voient les hommes et femmes politiques continuer d’utiliser les mêmes approches en construisant des annexes et en ajoutant des étages. La nouvelle pièce est belle, mais le reste de la maison s’effondre.

Vous avez fait une partie de ce travail pendant la pandémie. Je comprends les limites dont vous avez parlé. Vous n’avez pas pu mener toutes les consultations jusqu’au bout, notamment auprès des Autochtones. Quelles recherches a-t-on faites récemment sur les conséquences des mesures de soutien du revenu pour les autres types de soutien? Comme vous le savez probablement après avoir pris connaissance du projet de loi, nous ne proposons pas un modèle fondé uniquement sur le revenu. C’est un modèle qui permettrait de rationaliser la composante du revenu et de maintenir en place les éléments de soutien.

La plupart des études montrent que les avantages en aval de tels programmes sur le plan de la santé et du bien-être — et vous avez parlé du renforcement global d’une approche plus juste — semblent se concrétiser. En fait, c’est ce qui sous-tend ce que Terre-Neuve-et-Labrador, le Yukon et maintenant l’Île-du-Prince-Édouard proposent.

Je voudrais savoir comment vous voyez les choses et pourquoi vous ne pensez pas qu’une conjugaison des deux éléments serait avantageuse.

M. Green : Pour être clair, si vous aviez lu le reste du passage, vous auriez constaté que nous avons utilisé presque les mêmes mots que vous. Nous n’avons pas dit que c’était une maison parfaite; nous avons dit que c’était une maison dont les portes d’accès ouvrent mal. Nous n’avons pas utilisé l’analogie des fondations, mais elle semble tout à fait conforme à ce que nous pensons. Nous croyons que la maison doit être rénovée de fond en comble. Nous avons dit que, parfois, le revenu de base est présenté comme une forme de rationalisation : on fait tomber les murs et simplifie tout. Tout mon argumentaire — et c’est ce que j’essaie de dire ici — est qu’un revenu de base doit être intégré à la maison. Dès qu’on essaie de le faire, la maison devient plus compliquée plutôt que plus simple.

À notre avis, dans bien des cas, abattre les murs ne mène à aucune amélioration. Un revenu de base ne donnera rien de mieux. Je ne conteste pas qu’il puisse parfois donner de bons résultats, mais il arrive souvent qu’une autre solution en donne de meilleurs. C’est ce que nous essayons de faire valoir. Ce n’est pas que le système actuel soit excellent — une foule d’arguments montrent le contraire. Et la série de réformes que nous proposons n’atteint pas l’excellence non plus. On ne peut isoler le revenu de base des autres solutions. À mon avis, le projet de loi dit en somme qu’il faut instaurer le revenu de base en maintenant les autres éléments. C’est l’intégration des deux volets qui est le plus difficile. La question est de savoir comment assurer l’intégration et l’efficacité.

Vous savez pertinemment tout cela. Le projet de loi n’apporte pas la solution.

La sénatrice Pate : Le groupe d’experts de la Colombie-Britannique ne semble pas tenir compte du fait que le projet sur le revenu au Manitoba est le seul projet pilote où on a établi les avantages et les économies possibles pour la santé et le bien-être. Chose certaine, c’est un peu pourquoi Terre-Neuve-et-Labrador, le Yukon et l’Île-du-Prince-Édouard examinent les modèles comme celui-là. Le directeur parlementaire du budget a reconnu qu’il y aura probablement des économies en aval ou en amont.

C’est ce que nous observons dans les programmes de soutien du revenu et de transferts en Ontario et en Finlande, et je suis curieuse de savoir pourquoi nous n’avez pas pu conclure à la possibilité d’économies en matière de soins de santé.

M. Green : C’est une bonne question.

Il s’avère qu’il n’y a pas beaucoup d’études sur le montant exact des économies en matière de santé. Il existe des études sur les avantages des programmes de prestations monétaires pour la santé. Étant donné qu’un revenu de base n’est qu’une de ces catégories, vous obtiendriez les mêmes avantages qu’un programme de subventions salariales, dans une large mesure.

Quant aux économies sur le plan budgétaire, la principale étude qui existe actuellement est celle de Mme Forget sur l’expérience Mincome. J’ai publié un article dans une revue à comité de lecture qui montre qu’en fait, l’expérience de Mincome n’a pas permis de réaliser de telles économies. À propos de l’affirmation voulant qu’il doive y en avoir, il semble plausible qu’il y en ait, mais nous disons qu’il n’existe aucune preuve montrant qu’il y a effectivement des économies de cette nature en matière de soins de santé.

La sénatrice Pate : Je crois comprendre, pour réagir à la position que vous avez présentée, que Mme Forget a publié un article subséquent évalué par les pairs qui montrait qu’en fait, il y avait une diminution de 8 % des hospitalisations.

M. Green : En fait, mon étude était justement une critique de ce chiffre. Je peux l’expliquer rapidement, je crois. Dans le cadre de l’expérience Mincome, les habitants de la ville de Dauphin ont reçu un revenu de base. Mme Forget, et c’est tout à fait remarquable, a réuni toutes ces données sur les dépenses de santé, suivi les habitants de Dauphin au fil du temps — au moment où l’expérience Mincome a été mise en place, puis s’est terminée — et a comparé les données à celles d’autres villes du Manitoba.

L’analyse des données permet de conclure à mon avis que, effectivement, Dauphin avait un niveau de dépenses plus bas, mais qu’il était en fait sur une trajectoire décroissante avant même le projet Mincome et que la tendance à la baisse s’est maintenue après la mise en place de Mincome.

Autrement dit, la conclusion voulant que Dauphin ait eu des dépenses moins élevées s’inscrit dans la tendance qui était déjà en place. À mon sens, même si ce chiffre est publié dans une revue à comité de lecture, il ne tient pas la route. Je ne recommanderais certainement pas à quelque gouvernement que ce soit de fonder ses projections financières sur les économies de 8 % qui sont alléguées.

Le président : Merci, monsieur Green.

Le sénateur Loffreda : Merci d’être là.

L’inflation est actuellement une préoccupation majeure pour de nombreux Canadiens. Quelle devrait être l’influence sur l’inflation de la mise en œuvre d’un revenu de base garanti suffisant?

Je pose la question parce que ce régime pourrait entraîner l’injection de liquidités excédentaires dans l’économie. Par le passé, l’inflation était beaucoup plus facile à contrôler sous l’angle des liquidités excédentaires, de la rareté des ressources et des taux d’intérêt plus élevés. Aujourd’hui, d’autres facteurs interviennent, comme les enjeux géopolitiques, la transition énergétique et la réindustrialisation.

Cette préoccupation me semble conserver toute sa légitimité. Que pensez-vous de cette question et de cette préoccupation?

M. Green : C’est une question intéressante.

D’emblée, je dirai que cette préoccupation n’est pas au nombre de celles qui m’inciteraient à rejeter le revenu de base. La principale répercussion sur l’augmentation de la demande tiendrait au fait qu’on prend de l’argent à des contribuables qui ont tendance à consacrer moins d’argent à l’acquisition de biens et qu’on le donne à des gens qui dépensent chaque dollar pour s’en procurer. Cela entraînera une certaine hausse de la demande dans l’économie, mais je ne prédirais pas qu’elle sera très forte par rapport aux autres facteurs que vous avez énumérés — qui sont vraiment déterminants à l’heure actuelle — au point de transformer le marché. Je n’y vois pas un grand sujet d’inquiétude.

Le sénateur Loffreda : Vous ne pensez pas que cela apporterait suffisamment de liquidités excédentaires pour que ce soit une préoccupation majeure?

Nous sommes un pays de consommateurs. Avant la pandémie, le taux d’épargne au Canada était de 3 %. Toutes ces liquidités excédentaires sont réinjectées dans le système. Nous avons vu un peu cet effet avec la Prestation canadienne d’urgence, ou PCU, après la pandémie, avec un confinement suivi d’une réouverture. C’est évidemment un scénario différent.

Avez-vous examiné des études? J’ai lu des passages de votre livre. Y a-t-il des études dans le monde qui montrent autre chose?

M. Green : Je n’en connais pas. Une partie du problème vient du fait que la plupart des tentatives d’étude du revenu de base portent sur les répercussions au niveau individuel, et vous parlez de choses qui se produisent au niveau sociétal.

La seule chose que je dirais, c’est qu’il ne faut pas traiter la PCU comme un revenu de base — comme un exemple qui se rapproche en quoi que ce soit d’un revenu de base. C’était une mesure d’urgence. Pour les raisons que vous avez évoquées, des consommateurs ont été contraints de freiner leur consommation pendant un certain temps. On leur a ensuite accordé ces prestations, et la réouverture a débuté. Les vannes se sont ouvertes. À mon avis, il y a eu interaction avec les problèmes de la chaîne d’approvisionnement en même temps, et ce qui s’est passé est en grande partie attribuable à la conjugaison des deux facteurs.

J’espère que nous ne serons pas éternellement aux prises avec ces problèmes de chaîne d’approvisionnement. L’explosion des liquidités que nous avons constatée n’a rien à voir avec les conséquences d’un revenu de base.

Le sénateur Loffreda : Merci.

Quels effets un revenu de base garanti suffisant pourrait-il avoir sur la participation au marché du travail et la productivité?

M. Green : Bonne question. C’est une des grandes préoccupations, et nous avons étudié ce risque. De nombreuses études ont porté sur le revenu de base, et la conclusion générale est que cela ne changera pas beaucoup le taux de participation à la population active.

Il est intéressant de voir pourquoi il en est ainsi dans le contexte canadien. Il y a des effets qui font contrepoids. D’une part, pour ceux qui reçoivent un soutien du revenu, le revenu garanti tend à les aider dans une certaine mesure à entrer sur le marché du travail. Par contre, ceux qui travaillent déjà risquent de réduire leur offre de service pour avoir accès aux prestations, si bien que les deux effets s’annulent. Mais le résultat net est très proche de zéro selon presque toutes les études dont j’ai pris connaissance.

Le sénateur Loffreda : Je comprends ce que vous dites, et ce sont là les principales préoccupations. Comment se fait-il qu’aucun pays n’ait adopté le revenu garanti suffisant ou le revenu de base? Nous serions le premier pays au monde à le faire. Il y a eu des expériences : l’Ontario a mis fin à la sienne lorsque les gouvernements ont changé, mais ce n’est peut-être pas un bon exemple. Pourquoi aucun pays au monde n’a-t-il adopté un revenu de base garanti suffisant, étant donné qu’il y a tellement d’éléments positifs, qu’on ne s’inquiète pas de l’inflation, ni de la productivité du travail, ni de la participation au marché du travail? J’ai entendu parler de nombreux résultats positifs. Avez-vous étudié la question?

M. Green : Nous n’avons pas cherché à savoir pourquoi personne ne s’était engagé dans cette voie. Ce que nous disons — qui semble correspondre à ce que le gouvernement pensait au moment du dépôt de notre rapport —, est que nous ne voyons pas vraiment de grands avantages. Sur presque tous les points auxquels nous avons pu penser, il y avait une autre politique plus directe capable de faire le nécessaire à un coût un peu moins élevé. Peu importe le montant qu’on pense devoir dépenser, le revenu de base n’est pas le moyen le plus rentable d’atteindre l’objectif d’une société plus juste dans notre contexte.

C’est notre interprétation. D’autres auraient probablement des explications différentes, mais nous estimons que les résultats ne sont pas au rendez-vous parce que ce n’est pas le meilleur régime.

Le sénateur Loffreda : C’est peut-être pour cette raison que les autres pays n’ont pas opté pour le revenu de base non plus. Je vous remercie de ces réponses.

Le sénateur Woo : Merci, monsieur Green, du travail que vous avez fait dans le cadre de l’étude du British Columbia Expert Panel on Basic Income. J’ai lu votre rapport. Vous l’avez résumé assez bien, mais, bien sûr, rapidement.

Je retiens de votre résumé que vous et votre groupe avez rejeté le revenu de base pour deux grandes raisons. La première, c’est la complexité excessive que cela introduirait dans le système — une complexité dont on ne peut pas vraiment se débarrasser en raison de tous les autres soutiens jugés nécessaires et essentiels dans une société juste.

L’autre raison, sur laquelle vous êtes passé rapidement, c’est toute la notion de société juste. Pour cette idée de respect de soi et de respect social et de la nécessité d’une collectivité, par exemple, vous vous fondez sur une notion rawlsienne — c’est la théorie de la justice d’Elizabeth Anderson et de John Rawls. Il ne va pas de soi pour les adeptes de cette théorie de s’opposer au revenu de base. Nombreux sont les partisans de cette théorie qui sont en faveur.

Ma question est la suivante : si vous adoptez comme principe que le revenu de base contrevient à certaines lois fondamentales de réciprocité — c’est le terme que vous utilisez dans votre rapport —, y a-t-il un univers dans lequel cette position vous permettrait d’en arriver à soutenir le revenu de base?

Ce que j’essaie de dire, monsieur Green, c’est que, dans le cadre que vous avez établi — l’approche philosophique que vous avez adoptée —, il est essentiellement impossible de préconiser quelque forme de revenu de base. C’est peut-être pourquoi, de façon très cohérente, votre étude n’a pas porté sur certaines des questions que ma collègue, la sénatrice Pate, a posées, par exemple, sur les avantages en aval, la santé, la justice pénale, l’éducation et ainsi de suite.

M. Green : C’est intéressant. C’est une très bonne question. Je la diviserais en deux parties.

Premièrement, comme vous l’avez si bien dit, notre enquête — à certains égards — a été divisée en deux parties. L’une portait sur les avantages en aval. Une grande partie de ce travail n’a pas été fait par nous, par le groupe d’experts, mais par des chercheurs dont nous avons retenu les services. Ce n’est pas nous qui les avons embauchés; personne n’a été payé pour tout cela, mais les chercheurs ont eu accès à de bonnes données et ils ont étudié de nombreuses questions différentes.

Quant aux avantages en aval, presque aucune de ces études n’a adopté une position philosophique particulière, à dire vrai, et la plupart ont été réalisées par des économistes qui sont plutôt favorables à cette approche plus individualiste — plus rawlsienne — de la question. Je ne pense pas qu’il serait juste de rejeter les questions sur les avantages en aval en raison d’une position philosophique.

Sur le plan philosophique, il est peut-être juste de dire que nous avons adopté une position qui risque de compliquer la possibilité que le revenu de base franchisse la ligne, mais c’est en raison de notre idée d’une société juste — une société où nous nous soucions des interactions sociales. Par exemple, si je reviens à l’exemple que j’ai donné tout à l’heure au sujet des femmes qui travaillent à temps plein et qui vivent quand même dans la pauvreté, le revenu de base consisterait à verser un certain revenu en espérant que cela permette aux gens de quitter de mauvais emplois et que cela contraigne leurs employeurs à faire mieux.

À notre avis, une approche plus, disons, communautaire — au sens où tout le monde est dans le même bateau et que nous allons créer et appliquer des règlements — semble être plus apte à réaliser l’objectif direct d’un meilleur emploi pour ces gens et à créer une société que nous considérerions plus juste.

Le sénateur Woo : On peut être en désaccord sur le plan philosophique, mais je pense que vous êtes d’accord avec moi pour dire qu’on peut être rawlsien sans rejeter l’idée de revenu de base.

M. Green : Je suis d’accord.

Le sénateur Woo : Nous pouvons envisager différentes versions d’une société juste et en arriver à des conclusions différentes.

Je vais devoir relire votre rapport plus attentivement. Je ne suis pas certain d’être d’accord avec vous pour dire que votre groupe a effectivement examiné de très près les avantages en aval. Je me souviens surtout que le groupe d’experts était d’avis que certains de ces avantages étaient trop flous et imprécis pour être mesurés, par exemple en matière de justice, d’éducation et même de soins médicaux. Je n’en suis pas certain, mais vous avez effectivement cité des études. J’ai pourtant eu l’impression que le groupe d’experts pensait ceci : « Nous allons opter pour une société juste qui privilégie la réciprocité. Nous voulons un revenu de participation. Nous ne voulons pas de revenu de base. Les avantages à long terme n’ont donc rien à voir. »

Si je me trompe, dites-le-moi, mais, si je me souviens bien du rapport, on y examine très peu ce à quoi la plupart des partisans du revenu de base accordent de l’importance, à savoir les avantages à long terme pour la société, au-delà, disons, de la réduction de la pauvreté.

M. Green : Je suis très sensible à la profondeur de votre lecture. Je ne crois pas pour autant que ce que vous avez dit soit une interprétation juste de ce que nous avons écrit. Par exemple, en éducation, nous avons effectué une étude portant explicitement sur la création de capital humain et sur la formation et envisageant l’intégration d’un revenu de base à cette perspective. Nous avons effectué une autre étude sur l’éducation des enfants et son interaction avec un revenu de base. Ces sujets d’étude étaient tout à fait explicites.

Je dirais avec vous, en effet, que certaines de ces déclarations ont une portée plus vaste — un revenu de base favoriserait l’avènement d’une société où chacun pourrait poursuivre ses objectifs, autrement dit d’une société plus heureuse et plus juste —, et c’est précisément parce que nous essayons de nous en tenir à des normes empiriques. Nous avons eu de la difficulté à trouver des données empiriques. Ce qui s’en rapprochait le plus était les questions suivantes : y a-t-il plus de bénévolat quand les prestations sont plus élevées? Y a-t-il plus d’aidants naturels? Voyons-nous des changements sociaux positifs dans la société? Nous n’avons trouvé aucune preuve à cet égard.

Je ne dis pas que cela n’arriverait pas si tout le monde avait un revenu de base. Je dis que c’est cet aspect du projet dont nous sommes le moins sûrs, et nous avons essayé de l’exprimer aussi clairement que possible, mais c’est précisément parce que je n’ai connaissance d’aucune preuve à l’appui de cette affirmation.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Green, considérant qu’au Canada il y a un gouvernement fédéral et des provinces, dans quelle mesure l’harmonisation d’une telle politique de salaire minimum est-elle faisable et viable? Étant donné qu’on se retrouve devant une situation budgétaire problématique et un partage de responsabilités, est-ce logique dans une fédération comme le Canada?

[Traduction]

M. Green : C’est effectivement difficile. Ce serait particulièrement difficile pour le Québec. Il faudrait que les provinces s’entendent pour transférer certaines de ces responsabilités au gouvernement fédéral.

Le seul véritable moyen de faire fonctionner ce système à l’échelle nationale ou sur le plan financier serait d’envisager que les provinces ne s’occupent à peu près plus de l’aide sociale. La possibilité de conclure facilement cette entente est évidemment sujette à beaucoup de questions.

Je dois dire que, même dans ce cas, les choses ne sont pas si claires. La proposition de l’Île-du-Prince-Édouard était la suivante : « Comme nous ne pouvons pas assez rapidement circonscrire les gens au niveau infra-annuel, nous allons conserver le système d’aide sociale pour nous assurer de les retracer. Ce sera à échelle réduite, mais il existera encore. » C’est un autre exemple de la raison pour laquelle vous ne réaliserez pas de grandes économies avec un revenu de base, mais aussi un exemple de ce qui, comme vous le dites, compliquerait beaucoup les questions de fédéralisme fiscal.

[Français]

Le sénateur Dagenais : J’ai écouté votre présentation; il y a beaucoup de références dans vos études. Existe-t-il un État qui a autant de programmes d’aide que le Canada — vous avez mentionné le Québec —, où l’on a étudié la possibilité d’implanter un tel revenu de base? Si oui, comment cela s’est-il passé dans les États auxquels vous avez fait référence? Vous avez parlé du Québec, qui offre beaucoup de programmes d’aide.

[Traduction]

M. Green : Il existe des revenus de base, mais la plupart d’entre eux sont ciblés d’une façon ou d’une autre. Par exemple, l’Allocation canadienne pour enfants est un revenu de base. Comme on l’a dit tout à l’heure, il y a eu des projets pilotes de revenu de base. La plupart d’entre eux étaient très ciblés. La plupart ont fini par s’effondrer en raison de l’ingérence politique, et c’est pourquoi nous estimons que les preuves tirées de ces expériences sont faibles.

Nos études sur les répercussions sur la santé, par exemple, ont consisté en bonne partie à examiner les transferts monétaires en vigueur. Il existe des programmes de prestations et ils donnent effectivement de bons résultats dans certains domaines. Notre argument est que le revenu de base n’est pas nécessairement le meilleur moyen de fournir ces prestations. Par exemple, les programmes de subventions salariales semblent aussi offrir des avantages sur le plan de la santé et de l’éducation des enfants.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Est-ce que c’est nécessaire et abordable, ou est-ce que les services actuels répondent aux besoins de base des citoyens en situation de pauvreté?

[Traduction]

M. Green : Ma réponse irait dans le même sens que celle que j’ai donnée à la sénatrice Pate — nous estimons que non. Nos recommandations pour la Colombie-Britannique visaient, entre autres, à accroître les niveaux de soutien et à investir massivement dans divers autres types de soutien.

Nous ne disons pas que la situation actuelle est parfaite, absolument pas. Nous estimons que le moyen le plus efficace de l’améliorer n’est pas de créer un nouveau programme, mais de trouver une façon de réparer ce que nous avons déjà. Ce serait, à notre avis, une façon beaucoup plus directe d’aider les gens.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Ne craignez-vous pas qu’il y ait une contestation sociale importante si l’on adoptait un processus d’implantation national qui pourrait couper certains programmes pour les intégrer dans le revenu de base?

[Traduction]

M. Green : Je ne m’inquiéterais pas d’une contestation. Je craindrais plutôt un manque de soutien durable — c’est-à-dire qu’on tenterait de réaliser le projet et qu’un gouvernement ultérieur le démantèlerait plus ou moins.

Ce que nous essayons de faire valoir, c’est notamment un système susceptible d’obtenir un appui large qui durerait tout au long du cycle politique. Je crains un peu qu’un revenu de base ne puisse le faire.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Green.

[Traduction]

La sénatrice Galvez : Monsieur Green, j’ai parlé récemment de justice sociale. On parlait de la rupture du contrat social et du fait qu’aujourd’hui, les jeunes — les jeunes générations — ne s’attendent plus à obtenir les privilèges des générations plus âgées.

Le groupe d’experts de la Colombie-Britannique s’est demandé si un revenu de base garanti aurait un rôle dans la transformation de la société et de l’économie en réponse aux perturbations qui y ont cours. Quel genre de perturbations? Que se passe-t-il actuellement? Il s’agit de la crise de l’abordabilité, de la pandémie, des phénomènes météorologiques extrêmes, de la crise des opioïdes et des changements climatiques. Le groupe a conclu que le revenu de base pourrait offrir un niveau de protection minimal contre les perturbations dont je viens de parler dans l’ensemble de l’économie. Pourtant, vous ne l’appuyez pas.

Compte tenu des besoins actuels encore plus urgents — et vous venez de dire que rien ne va bien en ce moment —, ne faudrait-il pas continuer de s’interroger sur le rôle d’un revenu de base garanti national dans la stabilisation des crises sociales?

M. Green : Avec tout le respect que je vous dois, non, je ne suis pas d’accord. Le domaine qui se rapproche le plus de mon expertise est le marché du travail. Ce qui nous préoccupe entre autres — du point de vue des types de perturbations dont vous avez parlé, par exemple —, c’est l’atomisation du milieu de travail. Pour beaucoup de gens — et c’est souvent le cas des femmes —, nous avons constaté le phénomène pendant la pandémie de COVID-19, durant laquelle les femmes travaillant dans des foyers de soins n’étaient pas employées par ces derniers, leur employeur étant, par exemple, une agence centrale d’emploi qui les déplaçait d’une façon qui mettait leur santé en danger et compromettait leurs conditions de travail.

Compte tenu de la perturbation et de la précarité du marché du travail, il faut effectivement agir, mais agir directement. Le revenu de base n’est pas une réponse directe. Un revenu de base donnerait à ces gens un revenu qui leur permettrait, espère-t-on, de quitter un mauvais emploi, mais personne, à ma connaissance, ne propose de revenu de base au-dessus du seuil de la pauvreté. Ce ne serait pas suffisant pour permettre aux gens de quitter ces emplois et de discipliner ces marchés du travail.

À notre avis, plutôt que de donner suite à ce projet et d’ajouter une couche supplémentaire à l’ensemble du système, il vaudrait mieux s’attaquer directement aux problèmes. Parlons du salaire minimum, de l’augmentation de l’Allocation canadienne pour les travailleurs et, notamment, de la réglementation directe.

La sénatrice Galvez : Les paramètres et les critères orientant l’évaluation que vous avez faite devraient inclure le bien-être social et les déterminants de la santé — et pas seulement ceux qui sont liés au travail. Je suis professeur. Je parle avec mes étudiants. Certains aiment leur travail d’ingénieur, mais d’autres pensent parfois qu’ils aimeraient mieux être musiciens. Il est très difficile de faire une carrière de musicien ou de chanteur.

M. Green : Je comprends, je suis d’accord. Le marché du travail et le revenu sont des aspects qui nous inquiètent, mais je n’ai utilisé cela qu’à titre d’exemple. Une grande partie du rapport porte précisément sur ce qui nous préoccupe, c’est-à-dire les enjeux dont vous parlez : la nature du travail des gens et la nature de leurs relations sociales. Ce que nous disons, c’est qu’en donnant simplement un revenu aux gens, on ne changera rien.

Concernant la formation et le recyclage, les ouvrages spécialisés tendent à montrer que les programmes de formation dirigée visant les gens qui sont prêts à faire le saut sont généralement utiles. Les programmes généraux, y compris les programmes de revenu, ont tendance à ne pas susciter beaucoup de participation, et, quand c’est le cas, ils ont tendance à ne pas être efficaces.

Les résultats d’études sur les gens qui changent de carrière indiquent que le revenu de base n’est pas une solution. L’une de ces études aborde le sujet de façon très détaillée.

La sénatrice Galvez : Merci.

Le sénateur Cormier : Merci, monsieur Green. Mes questions feront suite à celles de la sénatrice Galvez. Parlons du secteur culturel.

Comme nous le savons tous, la plupart des artistes travaillent toute l’année, mais ils ne sont pas payés toute l’année. Ils font beaucoup de travail invisible. Ils font de la recherche, ils créent, ils produisent et ensuite, s’ils exécutent leurs projets, s’ils vendent leurs œuvres, ils seront payés.

En 2020, des artistes et des organismes artistiques représentant des dizaines de milliers d’artistes, d’écrivains, de techniciens et d’interprètes se sont rassemblés pour plaider en faveur d’un revenu de base dans le secteur des arts. Beaucoup d’artistes dont les créations nous rassemblent et enrichissent nos collectivités sont assujettis à des contrats précaires à court terme sans accès à des prestations, à des congés de maladie payés ou même à l’assurance-emploi, et bon nombre d’entre eux ont bénéficié de la PCU et du projet pilote de revenu de base de l’Ontario.

Dans le cas du revenu de base, les artistes nous invitent à imaginer le potentiel d’un revenu de base garanti sans réduire le soutien fédéral aux programmes artistiques et culturels destinés à soutenir la capacité créative remarquable des artistes, mais aussi à inspirer les collectivités.

La conclusion du comité de la Colombie-Britannique selon laquelle le revenu de base est trop individualiste semble contredire l’expérience des artistes pour qui un revenu de base garanti permet de contribuer de façon créative, d’enrichir leurs collectivités et, pour tout dire, de faire leur travail toute l’année.

Avant de conclure, le comité a-t-il parlé avec des artistes, notamment avec des artistes qui ont participé à un programme de revenu de base?

M. Green : En un mot, non, nous n’avons pas précisément parlé avec des artistes. Je suis d’accord avec tout ce que vous avez dit. Je suis très sensible aux arts. Cela fait partie intégrante de notre société. Il faudrait les appuyer plus largement. Mais créer un revenu de base général pour l’ensemble de l’économie et s’attendre à ce qu’il permette de concrétiser tous les objectifs — en pensant que cela va réduire la pauvreté, permettre aux gens de trouver de meilleurs emplois et améliorer la situation des artistes —, c’est tout demander à un seul outil stratégique. Compte tenu des objectifs que vous avez énoncés et avec lesquels je suis d’accord, je crois qu’il vaudrait mieux réfléchir au programme qui les rendrait possibles. Ce faisant, on demanderait, par exemple, aux gens comment créer une collectivité autonome fondée sur l’entraide. Je ne crois pas que ce soit possible en donnant de l’argent à tout le monde et en espérant qu’un certain nombre de personnes deviennent des artistes. Je pense qu’il y a une façon plus directe de s’y prendre.

Le sénateur Cormier : Je vais essayer d’aller plus loin parce qu’il est vrai qu’une partie du travail du secteur culturel est invisible. Il est invisible parce que les artistes font de la recherche et créent dans leur propre studio. Pendant ce temps-là, ils ne sont pas payés. En ce sens, ils ne contribuent pas à l’économie. Mais plus tard, ils produiront et exécuteront leurs projets.

Ne pensez-vous pas que cela pourrait être utile, par exemple, pour ce secteur — vous parliez de secteurs ciblés? La plupart du temps, les artistes dépendent de subventions, et de salaires quand ils travaillent, par exemple, comme artistes de scène. Mais il y a là une lacune qu’il est manifestement impossible de combler, et un revenu de base représenterait un bon salaire leur permettant de travailler.

Qu’en pensez-vous?

M. Green : Tout d’abord, permettez-moi de dire que vous êtes beaucoup plus expert en la matière que moi. Je ne connais pas très bien ce milieu. Je connais des artistes, mais je ne sais pas comment il faudrait les aider. Tout ce que je dis, c’est qu’un revenu de base général ne semble pas nécessairement être la solution. Je vois bien le problème, et je suis d’accord avec vous, mais il ne s’ensuit pas que le revenu de base général est la solution. Peut-être qu’il faudrait envisager un revenu de base ciblé. Est-ce qu’on veut créer une communauté d’artistes à qui on donnerait un programme de soutien destiné à faciliter la création de cette communauté? C’est un point de vue valable, mais je ne suis pas certain de comprendre pourquoi ce serait un argument en faveur d’un revenu de base général.

Le sénateur Cormier : Merci.

Le président : Monsieur Green, seriez-vous disposé à nous fournir une réponse écrite aux autres questions posées par les quatre sénateurs?

M. Green : Oui, avec plaisir.

Le président : Merci.

La sénatrice Marshall : Je reviens à vos propos, quand vous avez dit qu’il faudrait réparer ce que nous avons au lieu de créer un programme d’aide de base.

Je me suis toujours intéressée au principe selon lequel les gens qui reçoivent de l’aide financière voient cette aide réduite pour chaque dollar gagné afin qu’ils soient incités à participer au marché du travail. Auparavant, pour chaque dollar gagné, on perdait peut-être 50 ¢, jusqu’à concurrence d’un certain salaire.

Est-ce la meilleure formule pour soutenir les gens et les encourager à entrer sur le marché du travail? Avez-vous étudié cet aspect?

M. Green : Oui, cela faisait partie de ce que nous avons étudié. Une partie de l’enjeu est qu’on ne peut pas y échapper. Si vous voulez...

Le président : Professeur Green, je dois vous interrompre. Nous avions convenu d’obtenir la réponse par écrit par l’entremise de la greffière. Sommes-nous toujours d’accord?

M. Green : J’avais mal compris. Excusez-moi.

Le sénateur Smith : J’aimerais revenir sur la question de la sénatrice Marshall. Dans votre exposé préliminaire, j’ai été frappé par votre idée que le programme de revenu de base impose aux personnes vulnérables le fardeau de régler leurs propres problèmes.

Pourriez-vous préciser? Que faudrait-il faire? Peut-être pourriez-vous faire le lien avec l’état de vos recherches et de vos travaux. Quelles sont les prochaines étapes pour que nous puissions comprendre votre perspective? Merci.

La sénatrice Pate : Merci, monsieur Green. J’aimerais revenir sur une question que vous avez soulevée avec le sénateur Woo au sujet des coûts à long terme.

Une partie du problème tient au fait — et j’aimerais effectivement recevoir une réponse par écrit — que nous n’avons pas d’expérience du revenu de base et que nous n’avons pas pu calculer les coûts à long terme, entre autres parce que, comme vous l’avez souligné, il y a la nature politique de l’enjeu et il y a le fait que des programmes ont été supprimés. Vous connaissez probablement l’exemple de la Finlande, où l’on a examiné certaines des économies et des avantages en aval des programmes envisagés et où on a effectivement fait des économies, notamment du côté des coûts médicaux et du système de justice pénale, tout en instaurant une société plus juste. Est-ce tautologique à certains égards — en raison de nos cycles électoraux — que nous n’ayons pas eu de gouvernement disposé à agir en ce sens? C’est la première partie de la question.

Deuxièmement, il y a ce que le projet de loi ne dit pas : « Ne mettre en œuvre qu’un revenu de base. » Il est question de normes nationales. Il est question de beaucoup d’enjeux, et le remplacement de l’aide sociale ne réglerait pas le problème de la mère célibataire dont vous avez parlé. En fait, le projet de loi tente d’examiner un certain nombre de ces questions. J’aimerais savoir comment, selon vous, un processus simplifié pourrait englober toutes ces questions, dont les questions de sphère de compétence que nous avons soulevées.

Le sénateur Woo : J’ai beaucoup apprécié vos observations d’aujourd’hui, monsieur Green. J’ai trop de questions pour vous imposer ce fardeau. Mais je pourrais peut-être vous rencontrer à Vancouver, et nous pourrions avoir une conversation plus longue.

M. Green : Ce serait avec plaisir.

Le président : Monsieur Green, en terminant, avez-vous des commentaires à faire avant de passer à un autre exercice, à savoir nous fournir des réponses écrites, par l’entremise de la greffière, d’ici la fin de la journée du 23 décembre — sommes-nous d’accord là-dessus?

M. Green : Oui, certainement.

Le président : Monsieur Green, avez-vous quelque chose à ajouter en guise de conclusion?

M. Green : J’aimerais simplement dire que j’apprécie ces échanges. Je suis heureux de constater à quel point tout le monde ici s’intéresse à ces questions qui, je crois, nous tiennent tous à cœur. J’ai beaucoup de respect pour le principe d’un revenu de base. Mais je crois que ce n’est pas la solution la plus efficace. Cela dit, j’apprécie vraiment ces échanges, auxquels je suis heureux d’avoir participé.

Le président : Ce n’est pas le 23, mais le 6 décembre 2023.

Honorables sénateurs, nous allons passer immédiatement au prochain groupe de témoins, avec les représentants du Bureau du directeur parlementaire du budget.

[Français]

Nous commençons notre étude des dépenses prévues dans le Budget supplémentaire des dépenses (B) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2024, qui a été renvoyé à ce comité par le Sénat du Canada le 21 novembre 2023. Nous avons le grand plaisir de vous accueillir aujourd’hui, monsieur Giroux, comme toujours. Merci de vous joindre à nous. Lorsqu’on vous demande de venir témoigner, vous êtes toujours prêt et disponible pour le Comité sénatorial permanent des finances nationales.

[Traduction]

M. Giroux est accompagné de Jill Giswold, analyste principale, et de Kaitlyn Vanderwees, analyste. Bienvenue et merci beaucoup de votre présence parmi nous.

Monsieur Giroux, vos témoignages et vos observations nous aident toujours — au nom de tous les Canadiens — à nous concentrer sur nos quatre principaux objectifs communs, à savoir la transparence, la reddition de comptes, la fiabilité et la prévisibilité des budgets.

Cela dit, vous avez la parole. Vos observations seront suivies des questions des sénateurs.

[Français]

Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Merci, monsieur le président. Honorables sénateurs et sénatrices, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de l’invitation à comparaître devant vous aujourd’hui; c’est toujours un plaisir.

Nous sommes ravis d’être ici pour discuter de notre rapport sur le Budget supplémentaire des dépenses (B) de 2023-2024 qui a été publié le 16 novembre, soit il y a moins d’une semaine. Je suis accompagné de Jill Giswold et Kaitlyn Vanderwees, deux analystes qui ont participé à la rédaction de ce rapport.

Le Budget supplémentaire des dépenses (B) de 2023-2024 prévoit 24,6 milliards de dollars de dépenses supplémentaires.

De ce montant, l’approbation du Parlement est nécessaire pour 20,7 milliards de dollars. Les dépenses législatives pour lesquelles le gouvernement a déjà reçu l’approbation du Parlement par l’entremise d’autres projets de loi devraient augmenter de 3,9 milliards de dollars.

Près de 50 % des dépenses votées proposées dans ce Budget supplémentaire des dépenses concernent le portefeuille des affaires autochtones; une partie importante de ce montant est consacrée aux négociations et au règlement des revendications.

Quant à l’augmentation prévue des autorisations législatives, elle est en grande partie attribuable à un supplément de 2 milliards de dollars au Transfert canadien en matière de santé (TCS), qui est destiné aux provinces et aux territoires pour contribuer à réduire les arriérés et à répondre aux pressions immédiates, comme l’a annoncé le gouvernement en juin 2023.

[Traduction]

Environ 11 %, soit 2,8 milliards de dollars, des dépenses prévues dans ce Budget supplémentaire des dépenses concernent 74 mesures du budget de 2023. Cela porte à environ 10 milliards de dollars les dépenses proposées jusqu’ici pour les initiatives du budget de 2023 pour l’exercice en cours. En incluant ce Budget supplémentaire des dépenses, les autorisations proposées depuis le début de l’exercice 2023-2024 ont atteint un total de 480,5 milliards de dollars. Cela représente une augmentation de 37,2 milliards de dollars, ou 8,4 %, par rapport au dernier exercice.

Pour appuyer les parlementaires dans leur examen de la mise en œuvre du budget de 2023, nous avons préparé et publié des tableaux de suivi qui énumèrent toutes les initiatives budgétaires, les dépenses prévues et les autorisations législatives de financement correspondantes. Ces tableaux, affichés sur notre site Web, seront mis à jour tout au long de l’année à mesure que le gouvernement présentera son programme législatif.

Cela dit, nous serons heureux de répondre à vos questions au sujet de l’analyse des prévisions budgétaires ou d’autres études produites par le Bureau du directeur parlementaire du budget.

La sénatrice Marshall : Merci, monsieur Giroux. Merci de votre présence aujourd’hui, madame Giswold et madame Vanderwees.

J’utilise comme guide votre rapport sur le Budget supplémentaire des dépenses (B). Vous y parlez de la réticence du gouvernement à financer les mesures budgétaires — le Budget des dépenses et le Budget supplémentaire des dépenses. Vous dites qu’il le fait très lentement par rapport à l’année dernière.

Je remarque maintenant que le budget prévoyait un déficit de 40 milliards de dollars. Ce montant est confirmé.

Pourriez-vous me dire si on peut contrôler le résultat net en ralentissant la mise en œuvre des mesures de façon à atteindre ce résultat? Je suis méfiante de nature. J’ai été vérificatrice législative. Pourriez-vous me dire si ma réflexion est fondée ou si je suis dans l’erreur?

M. Giroux : Merci, sénatrice Marshall. Vous feriez une excellente sous-ministre des Finances, parce que c’est, à mon avis, exactement ce qui risque d’arriver si un gouvernement veut atteindre sa cible de réduction du déficit.

L’un des moyens d’y parvenir est de ralentir le rythme de mise en œuvre de certaines mesures précises pour réduire l’écart et pour réduire le déficit qu’il faudrait, sinon, enregistrer. C’est une tendance que nous avons observée récemment sous la forme d’une augmentation du pourcentage d’autorisations devenues caduques à la fin de l’exercice.

Il se situait généralement autour de 10 %, mais il est passé à près de 24 % en 2022-2023. On parle ici des autorisations budgétaires votées.

La sénatrice Marshall : Selon les chiffres que vous avez fournis — et je sais que le suivi des initiatives budgétaires dans le Budget des dépenses et le Budget supplémentaire des dépenses n’est pas une science et que les chiffres ne correspondent pas exactement —, quelle autre raison pourrait-elle expliquer la lenteur du gouvernement à présenter ces nouvelles mesures budgétaires? Le nombre d’employés de la fonction publique a considérablement augmenté, et il ne peut donc pas s’agir d’une pénurie de main-d’œuvre.

Que pourrait être une autre raison de financer au ralenti? D’après les chiffres que vous avez fournis, il semblerait qu’environ 6 milliards de dollars attendent toujours d’être utilisés. Voyez-vous d’autres explications?

M. Giroux : Je ne sais pas exactement ce qui se passe en l’occurrence au sujet des mesures prévues dans le budget de 2023, mais, de façon générale, il peut arriver, par exemple, que des mesures budgétaires ont été élaborées, mais qu’elles ne le soient pas entièrement. Il reste donc du travail à faire après le budget, et cela pourrait ralentir leur mise en œuvre. Il se peut aussi que des événements imprévus aient retardé la mise en œuvre des mesures prévues dans le budget. Il pourrait aussi s’agir de décisions prises par l’exécutif, qui aurait estimé que, pour atteindre certains objectifs, il faudrait ralentir le rythme de mise en œuvre.

La sénatrice Marshall : Je vais poser une question sur les services professionnels. Je regardais vos commentaires sur la réduction. Je sais que 500 millions de dollars, ce n’est pas beaucoup d’argent. Ce montant est réparti en 350 millions de dollars pour les services professionnels et 150 millions de dollars pour les déplacements.

Lorsque j’ai examiné les chiffres réels pour la réduction de 350 millions de dollars, je n’ai pas vraiment été impressionnée. Le gouvernement a pris les 20 milliards de dollars qu’il avait l’année dernière à ce moment-ci et il a donné un milliard de dollars de plus aux ministères. Ensuite, ils ont dit que sur ce milliard de dollars supplémentaires, ils allaient demander aux ministères d’économiser 350 millions de dollars. Donc, en réalité, les ministères ont 750 millions de dollars de plus que ce qu’ils avaient à la même période l’an dernier.

Je n’ai pas pu trouver les chiffres pour les déplacements. C’est 150 millions de dollars pour les déplacements. Je parlais à certains de vos collaborateurs de la façon dont il faut s’y prendre pour trouver cela.

Tout d’abord, avez-vous quelque chose à dire au sujet de la réduction de 350 millions de dollars? De plus, y a-t-il moyen de voir s’ils ont traité la réduction de 150 millions de dollars de la même façon, c’est-à-dire en donnant plus d’argent aux ministères et en leur disant de prendre leurs 150 millions de dollars sur ce montant supplémentaire?

M. Giroux : C’est une question intéressante. Si vous examinez les crédits votés en 2016-2017, ils étaient d’environ 103 milliards de dollars. L’an dernier, en 2022-2023, c’était 225 milliards de dollars. Ils ont plus que doublé en sept ans. Le taux d’inutilisation des crédits est passé de 10 % à 24 %. C’est de l’argent que les ministères ne peuvent pas dépenser. Il est passé de 10 à 54 milliards de dollars. On parle de 350 ou 500 millions de dollars, mais les fonds que les ministères n’ont pas utilisés — sans y être forcés — ont atteint 38 milliards de dollars en 2021-2022 et 54 milliards de dollars. C’est une déclaration de bonnes intentions, mais il s’agit de fonds qui n’auraient pas été utilisés de toute façon.

La sénatrice Marshall : C’est exact; cela n’exige aucun sacrifice de la part des ministères.

M. Giroux : J’aurais du mal à trouver quelqu’un qui souffre dans cette situation. Par exemple, CBC/Radio-Canada a subi une réduction de 127 000 $ sur un budget de 1,4 milliard de dollars. Ce n’est pas une réduction qui risque de faire mal. Ce n’est qu’un exemple qui me vient à l’esprit.

La sénatrice Marshall : Merci.

[Français]

Le sénateur Gignac : Monsieur Giroux, bienvenue et merci de vous joindre à nous malgré un si court préavis. C’est toujours apprécié. Je ne peux passer à côté de votre présence au lendemain de la présentation de l’énoncé économique pour vous poser ma première question à ce sujet. Je vais revenir sur le Budget supplémentaire des dépenses (B), l’objet de notre réunion, quand je poserai ma deuxième question.

Avez-vous été surpris par les chiffres du déficit hier? Les économistes s’attendaient tous à un ordre de grandeur de 45 à 46 milliards de dollars, qui était l’ordre de grandeur que vous aviez donné; on nous arrive pourtant avec 40 milliards de dollars. J’ai couvert les finances publiques pendant des années, pour ne pas dire des décennies. Parfois, il y a des écritures comptables ou des choses un peu spéciales. Avez-vous remarqué quelque chose d’inhabituel, ou est-ce seulement qu’on travaille peut-être avec des hypothèses économiques différentes?

M. Giroux : C’est un point intéressant. Le déficit pour l’année en cours nous a surpris. On s’attendait, en l’absence de nouvelles mesures, à un déficit d’environ 46 milliards de dollars, mais le gouvernement prévoit plutôt un déficit de 40 milliards de dollars. C’est attribuable en partie à un rythme de dépenses moins élevé. Les dépenses se font à un rythme un peu moins élevé, mais les revenus rentrent aussi un peu mieux que prévu. La combinaison de ces deux facteurs fait en sorte que le déficit pour l’année en cours est plus bas.

Par contre, ce qui ne nous a pas surpris, c’est une révision à la hausse des déficits pour les années subséquentes. On parle d’environ 10 milliards par année pour chacune des années subséquentes. On s’attendait un peu à cela. Par contre, le fait que les déficits sont à la hausse avant que des mesures importantes soient annoncées, comme un programme national d’assurance-médicaments ou encore le projet de loi C-22, visant à établir une prestation canadienne pour les personnes handicapées, suggère que si ces deux mesures vont de l’avant, soit les déficits augmenteront davantage, soit les taxes et les impôts devront augmenter.

Le sénateur Gignac : Je pensais à un point en particulier : je parle du montant de 5,2 milliards de dollars de dépenses moindres qui est attribuable à un recouvrement accéléré de la part de l’Agence du revenu du Canada. Ce sont 5 milliards de plus que prévu au printemps. D’ici votre prochaine rencontre ou votre prochaine publication, j’aimerais en savoir plus sur l’Agence du revenu du Canada, qui va tout d’un coup récolter 5 milliards de dollars de plus que prévu il y a cinq mois.

Ma prochaine question concerne le Budget supplémentaire des dépenses (B). On peut voir que 40 % des dépenses proposées dans le Budget supplémentaire des dépenses (B) sont destinées au portefeuille des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord. C’est quand même très important.

Or, c’est la première fois que je vois, dans un énoncé économique que l’on décortique, quel aurait été le déficit de l’an dernier si on n’avait pas fait tous ces investissements. On ne remet pas en question le bien-fondé de ce portefeuille, mais j’ai lu dans l’annexe que le déficit pour 2022-2023 aurait été de 9 milliards de dollars au lieu de 35 milliards de dollars. C’est quand même considérable.

Est-ce un horizon de cinq ans? Est-ce qu’on en serait à l’équilibre budgétaire si on faisait cet exercice-là? On dit maintenant que le passif est d’environ 76 milliards de dollars pour les investissements en matière de vérité et réconciliation. Est-ce que, dans vos futures analyses, vous pourriez nous éclairer sur l’impact de tout cela? J’essaie de savoir ce qui est récurrent et ce qui ne l’est pas. Cela nous aiderait à comprendre le déficit sous-jacent.

M. Giroux : Quand on a vu les comptes publics, on a vu une disposition additionnelle pour des éventualités ou des poursuites. Je pense que l’on parle de 20 milliards de dollars de plus, même si plusieurs dizaines de milliards de dollars ont été identifiés comme des dépenses pour des éventualités et des poursuites dans les comptes publics précédents. Cela nous a beaucoup étonnés.

On a fait une demande de renseignement auprès de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada et de Services aux Autochtones Canada. On a reçu l’information et on est en train de l’analyser. Cela nous permettra de savoir si ce sont principalement de nouvelles revendications ou une révision à la hausse de revendications existantes. Il est possible qu’il y ait une combinaison des deux. On est en train d’analyser ces questions et on pourra vous revenir sur la composition de ces réclamations, de ces passifs.

Est-ce qu’on serait plus proche d’un retour à l’équilibre budgétaire? Cela suggère que oui, mais cela dépend de ce que le gouvernement aurait fait s’il n’avait pas mis autant d’argent de côté pour résoudre les questions autochtones. Avec un retour à l’équilibre budgétaire, est-ce que le gouvernement se serait plus volontairement lancé dans des programmes qui n’ont pas encore été présentés? On ne pourra pas répondre à cette question avec certitude.

Le sénateur Smith : Merci d’être ici.

[Traduction]

Dans votre analyse, vous avez constaté qu’à ce jour, les dépenses totales du gouvernement ont dépassé de 37,2 milliards de dollars celles de 2022. Vous avez souligné que le Budget supplémentaire des dépenses ne montre pas que le gouvernement limite ses dépenses. De plus, l’énoncé économique de l’automne prévoit 20 milliards de dollars de nouvelles dépenses. Le service de la dette au Canada atteint des niveaux records.

Craignez-vous que le gouvernement manque bientôt de marge de manœuvre financière? De façon générale, quelles sont vos préoccupations au sujet de l’absence de restrictions budgétaires de la part du gouvernement fédéral dans la conjoncture économique actuelle?

M. Giroux : Lorsque nous avons publié notre Rapport sur la viabilité financière l’été dernier, nous avons indiqué qu’il restait une certaine marge de manœuvre financière au niveau fédéral. Cependant, compte tenu des coûts du service de la dette qui augmentent et des autres engagements qui n’ont pas encore été mis en œuvre ou pris en compte dans le cadre financier, la marge de manœuvre financière dont dispose le gouvernement pour résister à un autre choc économique est considérablement réduite.

Ce n’est pas encore un facteur d’inquiétude, mais cela dépend de ce que le gouvernement fera, le cas échéant, en ce qui concerne le projet de loi C-22 ou la prestation canadienne pour les personnes handicapées, ainsi que le régime national d’assurance-médicaments, les investissements ou les dépenses dans la défense nationale ou tout autre domaine de dépenses que le gouvernement pourrait vouloir cibler, particulièrement à la lumière des coûts du service de la dette qui ont fortement augmenté au cours des dernières années.

Le sénateur Smith : La ministre Freeland a discuté du concept des garde-fous budgétaires, qui a probablement commencé il y a environ un an et qui fait maintenant l’objet d’un réexamen.

Quel genre d’espace a-t-elle pour les garde-fous? Que pourraient-ils être, si vous deviez faire une suggestion éclairée ou une estimation?

M. Giroux : Eh bien, un bon garde-fou qui est largement répandu est la diminution du ratio de la dette au PIB avec un objectif précis défini dans le temps.

Notre problème — et nous l’avons déjà soulevé —, c’est que les garde-fous budgétaires ont évolué au fil du temps. Auparavant, les coûts du service de la dette représentaient une faible part des revenus. Maintenant, on parle plutôt d’une diminution du ratio de la dette au PIB, ce qui n’est pas le cas parce qu’il est à la hausse, alors il augmente. Puis, dans l’énoncé économique de l’automne, le gouvernement a présenté trois nouvelles mesures, dont l’une est un déficit de 1 % ou moins du PIB.

Ce qui est un peu préoccupant, c’est quand une cible budgétaire change avec le temps. Habituellement, comme une cible est censée faire office d’ancrage, elle doit guider vos décisions au fil du temps. Elle n’est pas censée changer, sinon ce n’est pas un point d’ancrage.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Bonsoir, monsieur Giroux. Le Budget supplémentaire des dépenses réclame 10 milliards de plus pour les affaires autochtones. Sommes-nous devant de nouvelles mesures qu’il était impossible de prévoir dans le Budget principal des dépenses du gouvernement? S’agit-il de nouvelles dépenses qui résultent d’éléments nouveaux et imprévisibles? En d’autres mots, est-ce une stratégie politique dans les écritures comptables ou un manque de prévision ou de vision?

M. Giroux : Il est difficile de répondre à cette question. On est devant deux phénomènes distincts. D’un côté, le gouvernement inscrit un montant déficitaire pour une année, qui vise à reconnaître sa responsabilité face à des réclamations. Par exemple, les revendications particulières ou globales affectent le déficit pour l’année où le gouvernement détermine qu’il a 70 % ou plus de risques de perdre en cour. Là, on voit les fonds ou l’argent que réclame le gouvernement pour payer les revendications négociées et les ententes auxquelles il en est arrivé.

Je ne crois pas qu’on soit en train de jouer avec les chiffres. C’est simplement, d’une part, une comptabilité d’exercice. Le déficit est affecté quand le gouvernement reconnaît qu’il a une responsabilité qu’il risque de perdre ou une revendication qui a été reconnue dans les années précédentes. Une fois que les négociations sont terminées, sur la somme de 10 milliards de dollars, un montant de 5 milliards de dollars est prévu pour une revendication spécifique et un montant de 1,6 milliard est prévu pour d’autres revendications. Il y a donc quelques détails, mais cela vient régler des revendications qui avaient été reconnues dans le déficit pour des années précédentes.

Le problème — et j’en discutais brièvement avec Mme Giswold —, c’est qu’on ne peut pas identifier avec précision l’année où cette revendication a été incluse dans le déficit ou dans la dette. Était-ce cette année, l’année dernière ou il y a cinq ans? Nous n’avons pas encore ces renseignements.

Le sénateur Dagenais : Dans un autre ordre d’idées, les mauvaises nouvelles au sujet du coût de la dette sont-elles alarmantes? Dans quelle mesure la dette du gouvernement aura-t-elle un impact sur les générations à venir? On parle de baisses possibles des taux d’intérêt. Toutefois, ils sont encore élevés et le coût de la dette n’est pas le même.

M. Giroux : Je ne dirais pas que c’est alarmant si on le prend dans un contexte historique. Les frais de service de la dette varient de 10 à 11 % des revenus fédéraux. C’est loin d’être faible, mais, historiquement, c’est beaucoup plus faible que ça l’a déjà été. Quand j’ai terminé l’université, les frais étaient entre 35 et 40 %, ce qui était vraiment inquiétant. Par contre, si on regarde maintenant ou pour les années à venir, on risque de dépenser davantage en frais d’intérêt que ce que le gouvernement fédéral transférera aux provinces et aux territoires en matière de santé. Ce montant représente donc un poste de dépense très, très important. Est-ce considérable au point d’étouffer les finances publiques? Non, mais c’est évidemment un poids qui nous ralentit ou qu’on traîne année après année.

Le sénateur Dagenais : Êtes-vous inquiet de l’état des finances publiques pour les payeurs d’impôt? Ces derniers doivent-ils s’inquiéter? Le gouvernement n’a pas un sou et il dépense l’argent que les contribuables lui donnent. Les contribuables doivent-ils s’inquiéter?

M. Giroux : S’inquiéter? Je dirais que non. Les contribuables peuvent-ils souhaiter que le gouvernement fasse des choix différents? Certainement. On peut poser la question à 100 personnes et on aura 100 réponses différentes sur les allocations de fonds fédéraux, les réductions d’impôts et les allocations dans certains secteurs ou d’autres. Suis-je inquiet de la viabilité des finances publiques? Je dois répondre que non. Personnellement, est-ce que je ferais ces choix? Je ne répondrai pas à cette question, parce que ce n’est pas mon rôle, mais je reconnais que certaines personnes ont des préférences différentes.

[Traduction]

La sénatrice Pate : Merci encore, monsieur Giroux, madame Giswold et madame Vanderwees, de vous être joints à nous.

Dans votre rapport sur le Budget supplémentaire des dépenses (B) de la semaine dernière, vous indiquez qu’environ 40 % du montant demandé — 10 milliards de dollars en tout — est destiné à Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, ou RCAANC, et à Services aux Autochtones Canada, ou SAC. Environ 8 des 10 milliards de dollars semblent servir à la négociation et au règlement des revendications en suspens. Vous avez souligné que la budgétisation des passifs éventuels liés aux revendications des Autochtones — lorsqu’il y a une probabilité de 70 % ou plus d’un passif pouvant être raisonnablement quantifié — a augmenté de 360 % depuis 2016-2017.

J’ai deux questions principales à ce sujet. Au-delà de l’évidence — les litiges —, comment expliquez-vous cette augmentation? Avez-vous une idée de ce que tous ces litiges en cours vont coûter?

De plus, y a-t-il des pratiques que vous suggéreriez aux parlementaires lorsqu’ils examinent les mesures législatives et budgétaires proposées qui nous permettraient de voir plus clairement les coûts futurs potentiels associés au non-respect des obligations envers les peuples autochtones?

M. Giroux : Il est très difficile de répondre à la dernière question.

J’ai travaillé au ministère des Finances pendant des années. J’étais dans le domaine de la politique sociale, et c’est une question que je n’ai pas été en mesure de bien saisir, parce qu’elle est très complexe. Cependant, je sais qu’il y a une équipe d’avocats et d’analystes très dévoués à RCAANC qui pourraient probablement être très bien placés pour vous expliquer le processus qu’ils appliquent. Ils ont peut-être même de meilleures suggestions que moi pour améliorer le processus.

En tant que parlementaires, je pense que l’information qui manque pour vous — et pour moi — est, comme je l’expliquais tout à l’heure, un lien entre le règlement de telle revendication particulière ou de telle revendication globale, et la comptabilisation du passif dans tel exercice budgétaire ou tel autre. Cette information existe peut-être, mais je ne l’ai pas.

La sénatrice Pate : Merci.

Y a-t-il des situations où le gouvernement a déjà mis des sommes de côté? Pour ce qui est de la réconciliation, ce qui me frappe, c’est qu’il ne s’agit pas seulement d’anticiper les litiges qui sont susceptibles de se produire, mais bien de voir comment les éviter. Savez-vous si des mesures économiques sont prises?

Lorsqu’on vous a interrogé au sujet de l’exemple des garde-fous, j’ai récemment vu un bateau qui était ancré, mais qui, en raison d’une situation climatique particulière, est allé s’échouer sur des rochers. Il me semble qu’une telle analogie ou métaphore pourrait s’appliquer dans ce cas lorsque nous parlons des revendications autochtones et de l’absence de planification.

M. Giroux : Ce n’est pas un domaine dans lequel je me sens très à l’aise de me prononcer, car les revendications particulières et les revendications globales sont très complexes. Il faut les examiner d’un point de vue historique. Or, comme je ne suis pas historien, je ne me sens pas assez compétent pour répondre à ce genre de question, malheureusement.

La sénatrice Galvez : Merci, monsieur Giroux, madame Giswold et madame Vanderwees.

J’ai l’impression que nous avons déjà discuté de la même situation, à savoir le fait que nous augmentons les budgets pour ces passifs et le coût des processus de base et de l’indemnisation des Autochtones. Nous ne semblons pas savoir comment faire des prévisions.

Les sénateurs Smith et Dagenais ont demandé si nous étions en danger, et nous ne le sommes pas, mais si nous ne pouvons rien prévoir, comment être sûr que nous ne le sommes pas?

Vous avez dit que vous avez comparé ces chiffres à l’époque où vous avez commencé, c’est-à-dire quand ils étaient à ce niveau-là. À cause de ce qui se passe ces jours-ci avec toutes les crises que nous traversons, pensez-vous qu’il pourrait y avoir, je ne veux pas dire « une bulle », mais on ne sait jamais. Est-ce possible?

M. Giroux : C’est possible. Si les taux d’intérêt continuaient d’augmenter, la situation serait différente. S’ils augmentaient de 300 points de base ou de 3 points de pourcentage, la situation serait très différente.

Quand je dis que je ne suis pas trop inquiet, c’est parce que je ne pense pas que ce soit un scénario très probable. Cela ne veut pas dire que c’est un scénario impossible, mais il est peu probable.

En ce qui concerne les revendications particulières et les passifs, il est un peu inquiétant de constater qu’ils ont tellement augmenté. Cela soulève la question de savoir si le gouvernement contrôle fermement ces revendications, si nous continuons à découvrir de nouvelles revendications, qui sont censées être fondées sur des faits historiques. À un moment donné, nous devrions avoir une assez bonne idée de l’ampleur des responsabilités du gouvernement à l’égard des peuples autochtones. Les choses auraient dû s’améliorer, et nous devrions cesser de faire face à ces revendications à mesure que nous corrigeons les erreurs du passé. Nous devrions avoir une très bonne compréhension et des connaissances approfondies à ce sujet.

Ma réponse n’était probablement pas très claire, ou je n’y ai pas suffisamment réfléchi, mais il est un peu déconcertant de voir ces passifs augmenter à ce point alors que nous avons eu tellement de temps pour nous y préparer.

La sénatrice Galvez : Je me souviens que vous aviez fortement recommandé que nous invitions les deux ministres à venir nous donner plus de précisions, mais nous ne l’avons pas fait.

Monsieur le président, pouvons-nous inviter les deux ministres à nous donner plus de précisions sur ce processus en cours? Nous devons avoir une idée de la façon dont cela...

Le président : J’en ai pris note et nous en ferons part au comité de direction.

La sénatrice Galvez : Je pense que c’est important.

Le président : Nous reviendrons au comité à ce sujet.

La sénatrice Galvez : Merci.

[Français]

Le sénateur Loffreda : Monsieur Giroux, merci d’être parmi nous.

[Traduction]

Dans le budget de 2023, le gouvernement a annoncé une réduction de 15 % ou de 500 millions de dollars des dépenses de consultation, de services professionnels et de déplacements au titre des dépenses discrétionnaires prévues pour 2023-2024. Nous avons déjà discuté de la façon dont cela se ferait, c’est-à-dire en gelant 350 millions de dollars en dépenses liées aux services professionnels et spéciaux et 150 millions de dollars en dépenses liées aux déplacements. Les dépenses au titre des services professionnels et spéciaux continuent d’augmenter malgré les fonds inutilisés; à la fin de l’année, les montants gelés demeureront inutilisés. Si l’on inclut le Budget supplémentaire des dépenses (B) pour 2023-2024, le total des crédits proposés pour les services professionnels et spéciaux atteint un niveau record de 21,6 milliards de dollars.

Pourquoi pensez-vous que, malgré le gel des dépenses de 500 millions de dollars pour les consultations et les déplacements, les dépenses prévues en 2023-2024 demeurent supérieures par rapport aux dépenses des années précédentes?

M. Giroux : Il est très surprenant — alors que le gouvernement a clairement exprimé son intention de réduire le recours aux services professionnels et spéciaux — de voir que les crédits ont augmenté de façon importante. Le processus qui consiste à octroyer des crédits, mais à en geler certaines parties, est un peu étrange. Je pense qu’il aurait été plus efficace de ne pas octroyer les crédits au départ, plutôt que de miser sur leur inutilisation.

Il est inhabituel que le gouvernement octroie ces crédits, qui pourraient être dépensés, lorsqu’il veut réduire les dépenses dans ce domaine. La présidente du Conseil du Trésor a peut-être une meilleure explication.

Le sénateur Loffreda : Quels sont les principaux domaines dans lesquels le gouvernement fait appel à des services de consultation et à des services professionnels? Avez-vous cette information?

M. Giroux : Pas de mémoire. Nous l’avions dans des rapports antérieurs. Madame Vanderwees, le savez-vous?

Kaitlyn Vanderwees, analyste, Bureau du directeur parlementaire du budget : Il y a plusieurs domaines. Plus récemment, la défense en a une grande partie, de même que la santé, bien que j’imagine qu’avec la fin de la pandémie, cela pourrait changer cette année. Nous n’avons pas ce niveau de précisions dans le budget des dépenses.

Le sénateur Loffreda : Quelles sont les principales raisons de la forte dépendance à l’égard des services de consultation et des services professionnels? Ne serait-il pas plus efficace d’embaucher du personnel spécialisé dans les domaines qui exigent le plus de consultations spéciales?

M. Giroux : Cela dépend. Ce serait une bonne question à poser à chaque ministre. Parmi les raisons souvent citées pour justifier le recours à des services professionnels et spéciaux externes, on dit que l’expertise n’existe pas dans la fonction publique fédérale, ou qu’elle est si spécialisée qu’il ne vaudrait pas la peine de garder cette expertise à l’interne. C’est une situation de cas par cas.

Le sénateur Loffreda : Lorsque nous examinons l’augmentation du nombre de fonctionnaires au fil des ans, puis l’augmentation du nombre de services de consultation, je me demande ce qui se passe. Nous augmentons considérablement le nombre de fonctionnaires. Les dépenses augmentent sensiblement, et les services professionnels aussi.

M. Giroux : Je sais que dans le secteur de la TI, c’est un problème. Même si le gouvernement avait la capacité de doubler son contingent de spécialistes en TI, il n’y en a pas sur le marché de l’emploi. C’est la raison pour laquelle ils ont recours à des services professionnels, parce que c’est la façon d’attirer ces professionnels.

Comme vous l’avez signalé — et j’ai soulevé cette question à plusieurs reprises —, la fonction publique est en croissance, mais il y a aussi une augmentation du recours aux services professionnels et spéciaux. L’un ne va pas nécessairement sans l’autre. Normalement, si on engage des dizaines de milliers de fonctionnaires, on pourrait penser qu’on aura moins besoin de services professionnels.

Le sénateur Loffreda : En ce qui concerne le personnel, dans votre rapport du DPB sur le Budget supplémentaire des dépenses, on souligne que les dépenses en personnel ont continué d’augmenter, totalisant 67,4 milliards de dollars. Selon La revue financière, les dépenses de personnel au cours des cinq premiers mois de 2023-2024 sont en hausse de 4,2 %. En juin, nous savons que le gouvernement a approuvé huit conventions collectives visant 138 000 employés de la fonction publique.

Croyez-vous que cela correspond à l’inflation et à une augmentation générale des coûts de main-d’œuvre? Est-ce justifié, compte tenu de la croissance de la population et de la demande accrue de services gouvernementaux qui en découle?

M. Giroux : Pour ce qui est des 4,2 %, nous avons publié un autre numéro de La revue financière depuis. C’est maintenant 4,1 %. Grosso modo, ce chiffre correspond à l’inflation et aux augmentations de salaire à mesure que les employés grimpent les échelons salariaux. C’est pour 2023-2024.

Si l’on regarde les deux dernières années, même si l’on fait une comparaison par habitant, le nombre de fonctionnaires a considérablement augmenté. La fonction publique a connu une croissance en termes absolus, mais aussi par habitant ou par millier de Canadiens.

Le sénateur Loffreda : Croyez-vous qu’un examen externe des méthodes de prestation de services pourrait être bénéfique pour maximiser l’utilisation des fonds publics par le gouvernement?

M. Giroux : Je pense qu’un de vos collègues — je crois que c’est le sénateur Colin Deacon — tient à améliorer les services numériques. Je pense que c’est une très bonne façon d’optimiser la prestation des services et de les rendre plus efficaces. Honnêtement, je suis surpris que le gouvernement ne se lance pas avec plus d’enthousiasme dans ce mouvement pour améliorer la prestation des services aux Canadiens, tout en rendant les services plus efficaces du point de vue du personnel.

[Français]

Le sénateur Cormier : Les grands esprits se rencontrent. Toutes les questions qu’a posées mon collègue le sénateur Loffreda sont exactement celles que je voulais poser.

Merci pour vos réponses et merci pour les questions.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Ma question porte sur un sujet dont plusieurs sénateurs ont parlé, soit Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada et tous les fonds demandés dans le Budget supplémentaire des dépenses (B). Ce qui me pose problème, entre autres, c’est d’essayer de trouver quels états financiers portent le fardeau de la revendication.

La somme de 5 milliards de dollars pour l’accord de règlement Restoule est une somme importante. Je ne la trouve pas dans les comptes publics de l’an dernier. Je ne la trouve nulle part. Quand le gouvernement parle de transparence, je n’en reviens pas. Si vous avez une dépense de cette ampleur — 5 milliards de dollars — qui est introuvable, il y a un problème.

Avez-vous des suggestions sur la façon dont nous pourrions trouver ces renseignements financiers? Je sais que le budget et les comptes publics ne sont pas harmonisés. Nous en avons parlé à maintes reprises. Il est très difficile de suivre les dépenses parce qu’il faut faire des va-et-vient entre les documents.

Avez-vous des suggestions ou savez-vous où ces 5 milliards de dollars sont inscrits dans les états financiers du gouvernement?

M. Giroux : C’est un très bon point, mais je ne sais pas. Je ne sais pas pour quelle année ce passif a été comptabilisé.

De façon générale, le gouvernement est réticent à divulguer le montant qu’il a mis de côté pour des revendications individuelles en particulier, de peur de trop dévoiler son jeu et de révéler le montant qu’il est prêt à payer. Si ce montant devenait public, il deviendrait facilement le plancher dans toute négociation de revendications particulières ou de toute autre revendication, que ce soit avec des entrepreneurs ou autres. Ces montants sont gardés secrets jusqu’à un certain point, même au Cabinet.

J’ai vu des documents du Cabinet. Lorsque les ministres en discutent, ils ont des mémoires au Cabinet, et les chiffres sont caviardés de « X ». Ensuite, on leur indique que « X » signifie plusieurs milliards, et « Y » s’entend de plusieurs milliers de personnes, afin que le secret soit maintenu. C’est pourquoi il est très difficile de déterminer en quelle année le passif a été comptabilisé dans les livres du gouvernement du Canada, car même les ministres reçoivent ces chiffres littéralement à la dernière minute.

La sénatrice Marshall : Même dans le document de l’énoncé économique et dans le budget, il y a des montants importants, et on ne peut pas dire à quoi ils servent. Le même problème existe dans les comptes publics. D’après les comptes publics qui viennent d’être publiés, il y a des montants de plusieurs milliards de dollars, et il n’y a aucun moyen de savoir ce qu’ils représentent.

M. Giroux : Oui, il faut leur faire confiance.

La sénatrice Marshall : C’est un problème de transparence.

M. Giroux : Les montants sont tous regroupés et on nous demande de croire sur parole que c’est tout ce que nous avons en termes de passif.

La sénatrice Marshall : Je ne connais pas la solution, mais c’est très frustrant.

Le sénateur Smith : Le sénateur Loffreda a posé une question au sujet des dépenses et des consultants, entre autres. Nous avons discuté à maintes reprises de l’incapacité des ministères à fournir des niveaux de service adéquats, mais aussi à atteindre leurs objectifs ministériels.

Selon votre examen des ministères fédéraux, constatez-vous une amélioration des niveaux de service? Obtient-on de meilleurs rendements avec constance? En outre, mesure-t-on et diffuse-t-on les résultats afin que nous puissions en prendre connaissance rapidement, et non cinq ans après le fait?

M. Giroux : Selon les derniers Rapports sur les résultats ministériels qui ont été déposés en même temps que le Budget supplémentaire des dépenses (B), il y a eu une amélioration. Je pense que les résultats sont passés de 52 % à 53 % des cibles qui ont été atteintes.

Le sénateur Smith : Comment qualifiez-vous ces chiffres?

M. Giroux : Ils sont fondés sur le nombre de cibles que le gouvernement a atteintes, selon ses propres indicateurs.

Le sénateur Smith : Comme les dépenses demeurent un problème, croyez-vous qu’il y aura un manque flagrant de compétences techniques ou d’expertise au sein des différents ministères? Les choses vont-elles s’améliorer? Comme le sénateur Loffreda l’a souligné, nous avons des fonctionnaires, les chiffres augmentent et les dépenses augmentent, mais où en est le service?

M. Giroux : C’est une très bonne question. Il y a un ralentissement économique. S’il y a une meilleure disponibilité et moins de pénuries de main-d’œuvre, cela pourrait aider le gouvernement à mettre la main sur des personnes qui sont mieux qualifiées pour occuper les emplois qui doivent être comblés au gouvernement, mais ce n’est manifestement pas le cas depuis plusieurs années.

Le sénateur Smith : Est-ce un problème de leadership?

M. Giroux : Je crois que oui. Je pense que c’est une question de leadership et de volonté. Je vais vraiment me faire beaucoup d’amis ce soir.

Le sénateur Smith : Merci. Je ne vous le fais pas dire, mais le fait est qu’il faut qu’il y ait suffisamment de personnes à des postes clés pour pouvoir exprimer la réalité de la situation afin qu’elle puisse être améliorée.

M. Giroux : Oui, il faut qu’il y ait une volonté d’atteindre des cibles significatives.

Le sénateur Smith : Merci.

Le président : Merci, monsieur Giroux, de votre franchise et de votre professionnalisme.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Vous savez, monsieur Giroux, vous suscitez tellement d’intérêt qu’on ne veut pas vous laisser partir.

J’ai une dernière question. Le Budget supplémentaire des dépenses, c’est une chose, mais l’Énoncé économique de l’automne de 2023, on ne peut pas l’ignorer dans nos échanges. À votre avis, y avait-il, il y a un an ou deux, des signes annonciateurs qui n’ont pas été perçus par le gouvernement et qui auraient dû provoquer un meilleur contrôle des dépenses? Doit-on considérer que c’est une surprise arrivée je ne sais où pour les gens au pouvoir? Je n’oserais pas nommer M. Trudeau et Mme Freeland, mais ont-ils eu une surprise qu’ils n’ont pas vue arriver dans leurs dépenses?

M. Giroux : Lorsqu’on gère le budget de l’État, on parle de presque 500 milliards de dollars; c’est impossible de prévoir absolument tout. Par contre, on peut voir la direction générale que prennent les choses, et c’était prévisible qu’il y aurait un ralentissement économique une fois que les subventions liées à la COVID prendraient fin. C’était prévisible également que les taux d’intérêt affecteraient le service de la dette, parce que les taux d’intérêt ont commencé à augmenter. Cela ne date pas d’hier ou de la semaine dernière, donc il y avait une certaine prévisibilité.

Était-ce possible de savoir jusqu’où ils monteraient? Je ne crois pas. Plusieurs personnes peuvent dire qu’elles l’avaient prévu, mais rétrospectivement, il y en a beaucoup qui avaient raison, mais pas tant, quand on regarde les traces historiques. Par contre, la direction générale était prévisible. C’était aussi prévisible qu’il y aurait un ralentissement. La nature et l’ampleur du ralentissement et l’ampleur de la hausse des taux d’intérêt, ce n’était pas tout à fait facilement prévisible, mais la direction générale l’était.

[Traduction]

Le sénateur Loffreda : J’ai une question d’ordre général. J’aimerais connaître votre opinion, compte tenu de l’énoncé économique de l’automne et de ce que nous examinons.

Les taux d’intérêt étant à leur plus haut niveau depuis 20 ans, le coût d’emprunt de tout cet argent est passé de 20,3 milliards de dollars en 2020-2021 à 46,5 milliards de dollars au cours du présent exercice. Les frais de service de la dette augmenteront encore dans les années à venir. Le remboursement de la dette devrait coûter au Trésor fédéral 60,7 milliards de dollars en 2028-2029, selon l’énoncé économique, ce qui signifie que les frais de service de la dette figurent maintenant parmi les postes budgétaires les plus coûteux du budget fédéral.

Il y a deux extrêmes et deux arguments que nous entendons tout le temps. Nous entendons l’argument selon lequel, pour mettre les choses en perspective, nous dépensons 28,9 milliards de dollars pour les Forces armées canadiennes. Un chiffre ne veut rien dire si vous ne le comparez pas aux tendances, ou si vous ne le comparez pas à un ratio ou à autre chose. Nous le savons tous les deux. Les 28,9 milliards de dollars représentent environ 18 milliards de dollars de moins que ce que le gouvernement enverra en paiements aux banquiers et aux détenteurs d’obligations. Ensuite, si on regarde cela d’un autre œil, et si on se compare au G7 et au G20, l’argument favorable est que nous sommes encore parmi les premiers de la classe.

Tous les arguments sont de nature partisane, soyons francs. Ce sont les arguments de ceux qui veulent prendre le pouvoir et de ceux qui sont au pouvoir et qui veulent le garder. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Il y a eu une pandémie. Nous avons vécu bien des choses. Nous avons maintenant ces chiffres sous les yeux.

Selon un argument de nature partisane, nous pourrions dire que par rapport aux chiffres antérieurs, les chiffres sont aujourd’hui plus élevés. Les taux d’intérêt sont plus élevés. Je ne pense pas que ce soit la faute de notre gouvernement s’il y a eu une crise de l’inflation mondiale et des problèmes de chaîne d’approvisionnement comme ceux que nous avons connus. J’aimerais connaître votre point de vue. La situation est-elle viable pour l’avenir? Comment nous comparons-nous, si vous avez ces chiffres devant vous, aux pays du G7 ou du G20, et quelle est notre performance. J’aimerais obtenir une opinion indépendante plutôt que les opinions de nature partisane que j’entends habituellement des deux côtés.

M. Giroux : Lorsque nous nous comparons aux pays du G7 pour ce qui est du ratio de la dette au PIB, nous sommes en tête de liste parce que, en grande partie, nous avons décidé de conserver un environnement budgétaire raisonnablement prudent pendant plusieurs années. Je ne parle pas nécessairement de ce qui s’est passé récemment, mais depuis les années 1990, nous avons apporté des changements structurels aux gouvernements, aux niveaux provincial, fédéral et ainsi de suite. Il y a donc de cela. Mais nous avons aussi décidé de rembourser certaines de nos obligations en matière de pensions, comme le Régime de pensions du Canada et le Régime de rentes du Québec. Cela est comptabilisé dans notre dette parce que la plupart des autres pays n’ont pas de coussin de cette nature. C’est une obligation qu’ils devront payer — une obligation qu’ils ont envers les futurs retraités et les retraités actuels —, alors que nous avons un coussin. En tenant compte de cela, nous sommes en tête de liste des pays du G7.

Si nous regardons le G20, qui comprend des pays comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande, nous ne sommes pas en si bonne posture. Certaines personnes estiment que de comparer le Canada aux pays du G7, c’est comme le comparer aux cancres ou aux derniers de la classe. Je pense que c’est exagéré et injuste. Mais si nous nous comparons à l’Australie — un pays de taille comparable doté d’un système parlementaire semblable —, je pense que nous devons nous améliorer parce que la situation financière y est meilleure.

Je ne pense pas que tout soit noir ou tout blanc. Il faut situer cela dans les nuances de gris.

Le sénateur Loffreda : Mais notre dette est-elle viable dans une perspective d’avenir? Êtes-vous inquiet à ce sujet?

M. Giroux : Oui, je pense que notre dette est viable. Comme je l’ai dit plus tôt, si le gouvernement présentait un projet de loi pour les personnes handicapées — qui serait très ambitieux et généreux — ainsi qu’un programme national d’assurance-médicaments, la dette serait presque insoutenable sans augmenter les impôts.

Le sénateur Loffreda : Merci.

[Français]

Le président : Comme toujours, vous avez bien répondu aux questions. On veut vous féliciter, vous et votre équipe de professionnels, car vous représentez sans doute ce qu’est le Canada, soit la qualité des services que l’on reçoit des gens qui travaillent pour les gouvernements, tant le gouvernement du pays que ceux des provinces, je dois l’admettre.

[Traduction]

Votre témoignage est toujours très instructif. Vous faites preuve d’un véritable professionnalisme envers tous les Canadiens.

Chers collègues, notre prochaine réunion aura lieu le mardi 28 novembre, à 9 heures, pour reprendre l’étude du projet de loi C-241 et du Budget supplémentaire des dépenses (B).

[Français]

Avant de conclure la réunion, j’aimerais remercier toute l’équipe de soutien de ce comité, ceux et celles qui sont en évidence dans la pièce ainsi que ceux et celles qui sont en arrière-plan. Merci pour votre travail d’équipe, qui nous permet de faire notre travail de parlementaires.

(La séance est levée.)

Haut de page