LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 13 décembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui à 15 h 30 [HE], avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-56, Loi modifiant la Loi sur la taxe d’accise et la Loi sur la concurrence; et, à huis clos, pour étudier le projet de loi C-56, Loi modifiant la Loi sur la taxe d’accise et la Loi sur la concurrence.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs ainsi qu’aux gens qui nous regardent des quatre coins du pays sur sencanada.ca.
[Français]
Je m’appelle Percy Mockler, je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je suis le président du Comité sénatorial des finances nationales. J’aimerais maintenant, honorables sénateurs et sénatrices, vous demander de vous présenter, en commençant par ma gauche.
Le sénateur Forest : Bienvenue. Je m’appelle Éric Forest, je suis un sénateur de la région du Golfe, au Québec, je suis le parrain du projet de loi C-56.
Le sénateur Gignac : Bonjour, je m’appelle Clément Gignac, je suis un sénateur du Québec.
Le sénateur Loffreda : Bonjour, sénateur Tony Loffreda, du Québec.
La sénatrice Galvez : Sénatrice Rosa Galvez, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Pate : Kim Pate. J’habite ici sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes.
La sénatrice Ross : Krista Ross. Je suis une sénatrice du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.
La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie, honorables sénateurs.
Aujourd’hui, nous entreprenons notre étude du projet de loi C-56, Loi modifiant la Loi sur la taxe d’accise et la Loi sur la concurrence, qui nous a été renvoyé au titre d’un ordre de renvoi, hier, le 12 décembre 2023 par le Sénat du Canada.
Aujourd’hui, honorables sénateurs, et Canadiens qui nous regardez, nous recevons des témoins pour parler du projet de loi. Je vais présenter les témoins qui feront des déclarations préliminaires et je demande aux autres témoins de bien vouloir se présenter s’ils sont appelés à répondre à une question.
Nous avons avec nous Keldon Bester, représentant du Canadian Anti-Monopoly Project.
[Français]
Du Bureau de la concurrence Canada, nous accueillons M. Matthew Boswell, commissaire de la concurrence.
[Traduction]
Nous avons M. Matthew Holmes, premier vice-président, Politique et relations gouvernementales, de la Chambre de commerce du Canada. Par vidéoconférence, nous avons M. Matthew Hatfield, directeur des campagnes à OpenMedia.
Je remercie tous les témoins d’avoir accepté notre invitation et, au nom de tous les sénateurs, je vous remercie spécialement de l’avoir accepté même si elle a été envoyée au cours des 12 dernières heures. Bienvenue à tout le monde.
Nous allons vous demander de faire une déclaration préliminaire de seulement 90 secondes. Nous allons commencer par M. Keldon Bester. Vous pouvez faire votre déclaration préliminaire.
Keldon Bester, représentant, Canadian Anti-Monopoly Project : Je remercie le comité de m’avoir invité à venir parler de cette importante question. Je m’appelle Keldon Bester, je suis directeur général du Canadian Anti-Monopoly Project, un groupe de réflexion canadien qui s’occupe des enjeux relatifs aux monopoles au Canada.
Nous vivons une période intéressante dans le secteur de la politique canadienne en matière de concurrence. Après près de 40 ans, le Canada entame une réforme significative de la législation à laquelle les Canadiens se fient pour la protection de la concurrence et de l’abordabilité dans les marchés de l’ensemble de l’économie.
Le projet de loi C-56 constitue une étape importante pour l’avenir de la concurrence au Canada et le Canadian Anti‑Monopoly Project est heureux de l’appuyer. Le projet de loi C-56 n’apporte pas de modifications radicales à la législation canadienne, mais vise plutôt à corriger ses problèmes de longue date et à la mettre à niveau face aux normes des pays étrangers qui entendent déjà faire progresser leurs législations respectives. En renforçant le cadre d’application de la législation canadienne sur les fusions, en élargissant les protections contre les abus de position dominante et en permettant une étude approfondie de la concurrence et des marchés, le projet de loi C-56 jette les bases d’une concurrence plus vigoureuse au sein de l’économie canadienne.
Le régime en place au cours des 40 dernières années a laissé moins de choix aux Canadiens et moins de concurrence dans d’importants secteurs de l’économie. Le projet de loi C-56 donne au comité l’occasion de changer la situation et de contribuer à l’amélioration de la concurrence pour les entreprises, les travailleurs et les consommateurs canadiens.
Je vous remercie de m’avoir accordé votre temps et je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci.
Matthew Boswell, commissaire de la concurrence, Bureau de la concurrence Canada : Bon après-midi, monsieur le président et honorables membres du comité.
[Français]
Mon nom est Matthew Boswell, je suis le commissaire du Bureau de la concurrence Canada. Mes collègues Jeanne Pratt et Anthony Durocher m’accompagnent aujourd’hui.
Le Bureau de la concurrence est un organisme indépendant d’application de la loi qui protège la concurrence et en fait la promotion au bénéfice des consommateurs et des entreprises du Canada.
[Traduction]
En mars cette année, nous avons présenté un mémoire public dans le cadre des consultations du gouvernement sur l’avenir de la politique en matière de concurrence au Canada et soumis plus de 50 recommandations au sujet de la modernisation et du renforcement de la Loi sur la concurrence au Canada. Nous sommes heureux que certaines de nos suggestions se retrouvent dans le projet de loi C-56.
À notre avis, ces modifications représentent une étape clé de la modernisation de la législation canadienne en matière de concurrence et des efforts pour s’assurer que le bureau soit mieux à même de protéger et promouvoir la concurrence partout au Canada. Une économie où il y a plus de concurrence profitera aux Canadiens et offrira plus de choix et d’abordabilité aux consommateurs et aux entreprises.
Vous pouvez avoir l’assurance que, si les modifications proposées sont adoptées, le bureau veillera à ce que son approche concernant leur mise en œuvre soit communiquée clairement et de façon transparente aux entreprises et aux intervenants.
Merci. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur.
[Français]
De la Chambre de commerce du Canada, nous accueillons M. Matthew Holmes, premier vice-président, Politique et relations gouvernementales. La parole est à vous.
Matthew Holmes, premier vice-président, Politique et relations gouvernementales, Chambre de commerce du Canada : Monsieur le président, sénateurs et sénatrices, merci.
[Traduction]
Je vous félicite en passant d’avoir réussi à réunir autant de Matthew aujourd’hui.
La Chambre de commerce du Canada salue les efforts du gouvernement en vue d’assurer la solidité de la législation canadienne en matière de concurrence et de favoriser la prospérité économique.
Si nous croyons en la nécessité d’améliorer la concurrence au Canada, nous sommes également très préoccupés par la façon dont les modifications ont été proposées à répétition, soit dans le cadre de projets de loi omnibus, de motions des voies et moyens ou de projets de loi portant sur plusieurs lois, comme c’est le cas avec le projet de loi C-56, sans que la communauté des entreprises et les universitaires spécialistes de ce pan particulier du droit aient réellement été consultés. Par conséquent, nous invitons le Sénat à étudier très attentivement les modifications proposées à la Loi sur la concurrence dans le projet de loi C-56.
Honorables sénateurs qui êtes réunis ici aujourd’hui, posez‑vous la question : quelle est l’urgence d’adopter le projet de loi? Les modifications proposées à la Loi sur la concurrence auront‑elles un effet sur les prix en épicerie à temps pour les célébrations de la nouvelle année? Peut-être qu’elles auront un effet d’ici 2030, peut-être pas. D’ailleurs, elles pourraient même avoir l’effet contraire et réduire la concurrence, notamment en raison de certains des éléments controversés qui font partie du projet de loi C-59. En vérité, nous ne le savons simplement pas malheureusement.
Bien honnêtement, je trouve presque absurde de venir vous parler des quelques modifications proposées dans le projet de loi C-56 alors que d’autres modifications sont proposées dans le projet de loi C-59, à l’étude à la Chambre. Qu’elle soit voulue ou non, cette approche manque de transparence et brouille le plan pour l’avenir de la législation en matière de concurrence au Canada. Cette approche amène plus de difficulté, de coûts et de risques pour les entreprises.
Je comprends que le gouvernement subit une pression considérable pour régler la crise de l’abordabilité avec laquelle les Canadiens sont présentement aux prises. Il doit montrer qu’il agit et convaincre les Canadiens qu’il a un plan. Malheureusement, à mon avis, le projet de loi C-56 ne fera rien pour régler les problèmes concrets que vivent les Canadiens en ce qui a trait à la politique en matière de concurrence. Nous avons également quelques idées concernant la partie qui porte sur le logement. Au mieux, le projet de loi favorisera les changements administratifs. Au pire, il risque d’élargir le mandat du Bureau de la concurrence et d’en faire une sorte de régulateur des prix, ce qui serait inapproprié et inquiétant.
Adopter ce projet de loi trop rapidement en raison d’un sentiment d’urgence non fondé risque d’entraîner des décisions qui pourraient avoir des impacts disproportionnés sur diverses entreprises, sur les consommateurs et sur l’économie en général. À notre avis, les modifications importantes et durables à la Loi sur la concurrence devraient faire l’objet de consultations robustes auprès des intervenants et être fondées sur un plan clair de l’objectif à atteindre.
Merci.
Le président : Mercik, monsieur Holmes.
Matthew Hatfield, directeur des campagnes, OpenMedia : Bon après-midi. Je m’appelle Matt Hatfield, directeur général d’OpenMedia, un organisme communautaire regroupant plus de 280 000 personnes au Canada, qui travaillent à s’assurer qu’Internet soit ouvert. Aujourd’hui, je vous parle depuis le territoire non cédé de la nation Tsawout et je suis avec vous aujourd’hui pour vous dire que le projet de loi C-56 représente une étape cruciale pour l’amélioration de la vie des Canadiens et qu’il faut l’adopter rapidement.
Ceux qui suivent les prévisions économiques savent que l’économie canadienne bat de l’aile. Une des principales raisons est que nous avons laissé l’économie être dominée par des oligopoles lourds qui, d’un côté, font des profits excessifs sur notre dos et, de l’autre, n’investissent pas assez dans les technologies et l’infrastructure qui devraient assurer notre avenir.
Nous ne sommes pas des économistes, mais les Canadiens ressentent de plein fouet les impacts de la situation. Chaque fois que nous devons appeler notre fournisseur de services cellulaires, que nous constatons une autre hausse de prix injustifiée à l’épicerie ou que nous essayons de parler à un humain sans nous faire harceler dans les plateformes en ligne, nous nous rappelons du message clair des oligopoles : « Nous n’avons pas besoin de vous. C’est vous qui êtes à notre service. Qui d’autre peut vous offrir ce dont vous avez besoin? »
Il faut que cela change. Pour que le système fonctionne, les Canadiens doivent avoir de nombreux choix pour les produits et services dont ils ont besoin. Le projet de loi C-56 ne corrigera pas tous les problèmes à lui seul, mais il constitue un pas dans la bonne direction. Depuis près de 40 ans, nous limitons la capacité du Bureau de la concurrence à faire quoi que ce soit pour favoriser la concurrence au Canada et nous constatons les effets partout autour de nous. Il est temps de le laisser agir.
Merci. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Hatfield.
Nous allons immédiatement passer aux questions. Pour la première série de questions, honorables sénateurs, nous aurons chacun cinq minutes. Je souligne que le sénateur Forest, qui est le parrain du projet de loi, sera le dernier à poser des questions.
La sénatrice Marshall : Monsieur Holmes, j’ai d’abord quelques questions pour vous. Vous avez parlé du manque de consultations. Je sais, après avoir examiné le projet de loi, que le gouvernement a publié ce qu’il a entendu lors de la longue période de consultation — on peut consulter ce contenu dans le site Web du gouvernement du Canada —, mais le projet de loi a été présenté dès le lendemain. J’imagine que la Chambre de commerce a présenté quelques observations pendant la période de consultations. Y a-t-il eu des consultations au sujet des modifications proposées dans le projet de loi C-56?
M. Holmes : Je vous remercie de votre question.
Non. Il n’y a pas eu de consultations auprès de nous ou de nos membres. C’est une tendance qui se répète dans ce dossier. Le budget de 2022 proposait un certain nombre de modifications à la Loi sur la concurrence, qui ont été présentées dans la loi d’exécution du budget. Nous avons été heureux de prendre part aux consultations élargies. Nous avons participé aux tables rondes au printemps ou à l’été. Nous avons présenté un mémoire dans le cadre du processus et nous avons été satisfaits de ce qui se trouvait dans le résumé des commentaires. C’est un élément important du processus.
Vous le savez bien, la présentation de projets de loi et l’adoption de mesures législatives de différentes sources, comme les projets de loi d’initiative parlementaire, est un processus très différent qui exige une analyse et un processus de consultation bien différents. Dire « nous l’avons publié dans le site Web quelque part dans le cadre d’un vaste examen de ce que n’importe quel Canadien pouvait présenter au sujet de ses attentes », ce n’est pas la même chose qu’un projet de loi.
La sénatrice Marshall : C’est ce que j’ai compris moi aussi.
Le faible investissement au Canada est une question qui concerne non seulement les gouvernements mais aussi l’ensemble des Canadiens. J’ai demandé aux cadres supérieurs du ministère s’ils envisagent les changements proposés sous cet angle. S’attendent-ils à ce que ces modifications incitent davantage les entreprises intéressées à investir au Canada ou, au contraire, les poussent à ne pas investir au Canada? Quel est votre point de vue à ce sujet?
M. Holmes : Je ne suis pas en mesure de dire quel genre d’analyse a été faite par les rédacteurs législatifs. Pour autant que je sache, il n’y en a pas eu, mais je n’en ai pas la certitude. Je m’adresserais aux personnes qui ont une meilleure idée de cela. Pour ce qui est de l’incidence de cette mesure législative, il est possible qu’elle nuise à l’investissement au Canada.
La sénatrice Marshall : C’est ce que vous avez dit plus tôt en indiquant que si certaines modifications étaient positives, d’autres pourraient engendrer des problèmes imprévus lors de leur application. Comme vous l’avez également mentionné, cette mesure législative a été examinée à toute vapeur. Et il en est de même au Sénat. Vous êtes le seul groupe avec lequel nous allons discuter de cette mesure législative, et nous subissons des pressions pour l’adopter.
Vous avez dit avoir des commentaires sur la proposition concernant le logement et les 4,5 milliards de dollars prévus. J’aimerais beaucoup entendre votre point de vue à cet égard.
M. Holmes : Oui. Nous voyons d’un bon œil les propositions en matière de logement. Nous considérons importantes les mesures liées à la TPS qui s’appliqueraient aux immeubles d’habitation locatifs neufs. Néanmoins, nous estimons que ces mesures pourraient être élargies et améliorées légèrement en ajoutant ce qui suit aux paragraphes a) et b) : « la construction a commencé le 13 septembre 2023 ou était en cours à cette date ». Cet ajout inclurait les projets actuellement en cours mais qui sont confrontés à la crise d’abordabilité et à la volatilité dans la chaîne d’approvisionnement qui ont nui à certains nouveaux projets de construction. Idéalement, nous souhaiterions que le remboursement de la TPS s’applique tant aux nouveaux immeubles qu’à ceux qui sont en construction au moment de l’entrée en vigueur de la mesure législative proposée.
La sénatrice Marshall : Ces projets de construction ne sont actuellement pas visés par le projet de loi.
M. Holmes : À l’heure actuelle non.
La sénatrice Marshall : Monsieur Boswell, je sais que le projet de loi réserve maintenant un rôle précis au ministre. Certaines personnes, dont moi, ont l’impression que votre organisme pourrait être politisé. Or, le Bureau de la concurrence est censé être indépendant — sur le site Web, il est présenté comme un organisme indépendant — mais maintenant, étant donné l’étroite collaboration entre le ministre et votre organisme, les gens ont l’impression que le Bureau de la concurrence pourrait presque être considéré comme relevant du ministère. Pourriez-vous parler de cette préoccupation?
M. Boswell : Merci de la question, madame la sénatrice.
En fait, le problème a été soulevé lors de l’étude du projet de loi C-56 par le comité de la Chambre des communes. À la suite des préoccupations dont j’avais fait part au sujet de la structure du pouvoir d’étude de marché dans la version précédente du projet de loi, le comité l’a amendé. Les amendements apportés dissipent efficacement les préoccupations que j’avais soulevées au comité de la Chambre en ce qui concerne l’apparence de politisation. Dorénavant, le commissaire a le pouvoir d’entreprendre des études de marché. Je dois consulter le ministre; mais je n’ai pas à obtenir son approbation. Le ministre peut ordonner au commissaire d’effectuer une étude de marché, mais il doit discuter avec lui de la faisabilité d’une telle étude et vérifier si le Bureau dispose des ressources nécessaires pour la faire. À titre de commissaire, je dispose d’une grande marge de manœuvre pour empêcher la tenue d’une étude de marché à des fins politiques qui serait contraire aux pratiques du Bureau depuis des années puisque nous effectuons des enquêtes fondées sur des données probantes, pour vraiment établir s’il y a des problèmes de concurrence et chercher à y remédier le cas échéant. Le comité de la Chambre a apporté des amendements très positifs et j’appuie le projet de loi dans sa forme actuelle.
La sénatrice Marshall : Le ministre Champagne, actuellement chargé du portefeuille, semble bien s’acquitter de sa tâche mais je suis préoccupée car nous avons vu passer d’autres ministres dont certains étaient meilleurs que d’autres. Je dois dire que j’apprécie vos observations mais que j’ai tout de même certaines préoccupations. Le projet de loi donne l’impression que le ministre s’ingère dans les affaires du Bureau de la concurrence et le politise. Je vous souhaite que tout aille pour le mieux après l’adoption du projet de loi, mais cette situation me préoccupe.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue aux témoins. J’ai le goût de saisir la balle de ma collègue au bond sur le fait de l’indépendance du ministère par rapport au ministre. On comprend que vous pouvez lancer vos propres enquêtes, cela nous rassure. Je partage aussi l’avis de ma collègue sénatrice à savoir que l’on connaît bien le présent ministre, mais qu’un jour, il peut y avoir des changements.
J’aimerais comprendre l’indépendance politique. Donc, le ministre peut mandater le commissaire pour lancer des enquêtes, mais faut-il un cadre ou des lignes directrices? Qu’est-ce qui encadrera les principaux domaines qui feront en sorte que vous accepterez une demande du ministre de lancer une enquête?
M. Boswell : Merci pour la question, sénateur.
[Traduction]
Le nouvel article 10.1 qui serait inscrit dans la Loi sur la concurrence prévoit diverses mesures de sauvegarde qui assurent la transparence du processus et créent un équilibre entre la participation du ministre et l’indépendance du commissaire. Nous avons recommandé ces mesures de sauvegarde dans le mémoire que nous avons présenté au gouvernement dans le cadre de la très vaste consultation sur l’avenir loi sur la concurrence au Canada.
Le sénateur Gignac : Pouvez-vous faire mention de deux ou trois de ces mesures de sauvegarde?
M. Boswell : Certainement.
Comme je l’ai indiqué, je n’ai qu’à consulter le ministre. Si j’établis qu’il est dans l’intérêt public de mener une enquête, je peux aller de l’avant. Je devrais alors publier le projet de mandat et inviter les Canadiens à présenter leurs observations sur ce projet. Le tout serait publié et transmis au ministre pour approbation du projet. Il est très clair que les Canadiens seraient au courant de toutes modifications substantielles apportées au projet de mandat après sa publication. Ces mesures assurent la transparence du processus.
Il faut également prendre en compte les délais impartis pour les enquêtes de marché, qui ne doivent pas dépasser 18 mois, condition que le Bureau a acceptées. Le milieu des affaires a exprimé des préoccupations au sujet des délais, parce qu’il y a 30 ou 40 ans, l’organisme prédécesseur du Bureau de la concurrence a entrepris une enquête qui s’est éternisée indûment. Le Bureau souscrit entièrement à cette condition. J’estime que l’imposition d’un délai pour les enquêtes ne nuit aucunement à notre indépendance. Cette condition n’a aucune incidence sur les résultats de notre enquête sur la concurrence dans un secteur en particulier. Elle exige simplement qu nous fassions notre travail dans les meilleurs délais. Je souscris à cette approche et à cette transparence pour la population canadienne.
[Français]
Le sénateur Gignac : Parmi les modifications à la Loi sur la concurrence, on trouve l’abrogation de certains articles, dont 90.1 et 96. Si ces articles avaient été abrogés l’an dernier à pareille date, la fusion de Rogers et Shaw aurait-elle été autorisée? La conclusion aurait-elle été différente?
[Traduction]
M. Boswell : Je vous remercie de cette question très intéressante.
Pour ce qui est de l’élimination de la défense fondée sur les gains d’efficience, mesure que le Bureau de la concurrence appuie fermement et préconise depuis de nombreuses années, le Canada fait figure d’exception à l’échelle internationale. Nous sommes littéralement le seul pays du monde à maintenir cette défense. Néanmoins, l’abrogation des articles dont vous avez fait mention n’aurait pas eu d’incidence parce que lors du procès concernant la fusion de Rogers et Shaw, les gains d’efficience présentés par Rogers dans la transaction initiale n’ont pas été pris en compte. Le tribunal a fondé sa décision sur différents facteurs que le public connaît. En ce qui concerne la fusion de Rogers et Shaw, l’abrogation de ces articles n’aurait pas fait de différence. Cependant, dans le passé, le recours à la défense fondée sur les gains d’efficience a été pris en compte et a donné lieu, au Canada, à des fusions dommageables.
[Français]
Le sénateur Gignac : Ma dernière question s’adresse à M. Bester.
[Traduction]
Lors de votre témoignage devant le Comité permanent des finances de l’autre endroit, vous avez déclaré que le Bureau de la concurrence avait beaucoup progressé en matière de communication aux Canadiens, notamment en ce qui concerne son fonctionnement. Or, cet aspect demeure passablement obscur, et nous sommes loin de la transparence qu’on trouve dans des pays comparables au Canada, notamment le Royaume-Uni. À votre avis, quelles sont les principales leçons que nous pouvons tirer du Royaume-Uni?
M. Bester : Merci beaucoup. C’est une question très pertinente.
Le Royaume-Uni, plus précisément le Competition & Markets Authority, le pendant du Bureau de la concurrence, annonce de façon nettement plus précise la tenue d’une enquête, sur une fusion ou un abus de position dominante. Cet organisme précise les étapes et le calendrier des mises à jour fournies au public. Par exemple, un citoyen du Royaume-Uni désireux de s’informer des enquêtes menées par le Competition & Markets Authority pourrait comprendre, à certaines exceptions près, sur quoi portent les enquêtes et quelle en est la progression. Quoi qu’il en soit, je félicite encore une fois le Bureau de la concurrence de faire des efforts, d’avoir adopté une attitude proactive en matière de communication et de fournir des explications sur certaines décisions. Cependant, encore aujourd’hui, les Canadiens ne trouvent pas, ou ne peuvent pas trouver, ce qui se passe au Bureau de la concurrence ou ce sur quoi cet organisme fait actuellement enquête. Des restrictions s’appliquent, particulièrement dans le cas d’enquêtes criminelles, mais le Royaume-Uni offre un modèle de cadre hautement transparent. J’estime qu’il serait avantageux pour les Canadiens de mieux comprendre ce que fait le Bureau de la concurrence.
Le sénateur Smith : Monsieur Holmes, ce projet de loi est resté en attente à l’autre endroit et, juste avant qu’il ne soit renvoyé au Sénat, le gouvernement en a considérablement élargi la portée en apportant des modifications à la Loi sur la concurrence. Votre organisme a exprimé des préoccupations au sujet de l’absence de consultations transparentes concernant ces changements mais, en général, ces préoccupations portent sur une tendance apparemment récurrente qui consiste à faire des changements à la Loi sur la concurrence sans consulter les parties prenantes. Pourriez-vous parler de certaines de ces préoccupations? Quel signal ce type d’approche du gouvernement à l’égard des mesures législatives envoie-t-il aux participants au marché, et quelle en est l’incidence?
M. Holmes : Merci de la question, sénateur.
Nos doléances ou nos préoccupations ne sont absolument pas dirigées contre le Bureau. Nous en avons plutôt contre la façon dont les changements nous sont présentés. Il est difficile d’avoir une vue d’ensemble de leur incidence ou de tout ce qui est proposé lorsque — de notre point de vue — ces changements sont présentés avec une intention négative ou de façon improvisée. Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas très positif.
Par ailleurs, nous félicitons le gouvernement de procéder à un examen exhaustif de la Loi sur la concurrence et à la préparation du rapport intitulé Ce que nous avons entendu . Ce sont deux indicateurs utiles pour nous. Cet examen et ce rapport sont axés sur un processus ouvert qui permet de faire des consultations.
Nous représentons plus de 200 000 entreprises et plus de 400 chambres de commerce locales d’un bout à l’autre du Canada. Il faut un certain temps pour entendre tous nos membres, analyser les enjeux et en faire part au gouvernement de façon productive, dans l’intérêt du Canada. Il faut du temps pour effectuer ce travail.
Nous estimons également qu’il est utile pour les législateurs de connaître nos objectifs. Ainsi, dans un cas comme celui-ci, alors qu’il semble y avoir urgence — situation qui semble se répéter dans cette ville en décembre et en juin —, nous aurions une idée de la nature de l’urgence et du but visé.
Pour ce qui est des détails de votre question, ce sont les éléments récemment ajoutés au projet de loi, qui ne figuraient pas dans la version initiale, qui nous font craindre une mesure de contrôle des prix. Nous sommes face à abus de position dominante qui est loin de favoriser des prix extrêmement bas. On peut constater que certaines entreprises abusent en pareille situation, mais on peut aussi voir les soldes du vendredi fou ou du lendemain de Noël, où il est pratique courante de couper les prix. Dans ce cas, on voit l’organisme de réglementation prendre position en disant qu’il ne faut pas pratiquer des prix trop bas, parce que, paradoxalement, cela pourrait contribuer à la réduflation sur le marché.
Par ailleurs, une nouvelle terminologie a été introduite concernant une fixation des prix excessive et déloyale. Le commissaire, ce qui est tout à son mérite, a déclaré publiquement ne pas être intéressé à agir comme agent de réglementation des prix et ne pas souhaiter que les Canadiens considèrent que c’est le rôle du Bureau. Nous appuyons cette position sans réserve. S’il est question dans la mesure législative de fixation de prix déloyaux et excessifs — ce que nous recommanderions de retirer —, le Bureau serait en position d’agir comme arbitre le cas échéant. Par conséquent, si le Bureau de la concurrence décide de ce qui est juste et de ce qui est excessif ou ne l’est pas, il est également en position de dire que certains prix sont trop bas. Le commissaire et ses collègues sont chargés de la tâche ingrate de trouver le juste milieu.
Le sénateur Smith : Monsieur Boswell, que pensez-vous de cette question? Non, je suis désolé.
Dans vos propos d’ouverture, vous avez mentionné que votre organisme a fait au gouvernement 50 recommandations sur la façon de moderniser la législation canadienne sur la concurrence. Vous avez précisé que certaines recommandations ont été acceptées mais d’autres non. Pouvez-vous indiquer quelques-unes des recommandations que vous aimeriez que le gouvernement retienne dans l’avenir pour moderniser les lois sur la concurrence?
M. Boswell : Oui. Merci beaucoup.
Je me ferais un plaisir de réagir aux commentaires de M. Holmes, mais je m’en tiendrai à votre question. Je sais qu’il y a des règles.
Oui. Certaines suggestions que nous estimons très importantes n’ont pas encore été retenues, mais je dois dire que le processus est amorcé depuis très longtemps. En 2022, le sénateur Wetston a entrepris une vaste consultation sur la réforme de la Loi sur la concurrence, initiative qui a pris naissance au Sénat. Le gouvernement a ensuite mené sa propre consultation.
Certaines questions très importantes n’ont pas encore été abordées. Voici l’une de ces questions : comment peut-on remédier à une fusion qui cause une diminution sensible de la concurrence? À l’heure actuelle au Canada, la loi dit qu’il suffit de retirer le qualificatif « sensible ». Bref, une fusion peut diminuer la concurrence mais pas de façon sensible. Nous estimons que cette solution est inappropriée et qu’elle ne correspond pas à ce qui se fait ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis, où la solution pour qu’une fusion aille de l’avant, consiste à ramener le niveau de concurrence à ce qu’il était avant la mise en branle de la fusion. Il s’agit d’un changement très important, particulièrement dans un contexte de concentration économique comme c’est le cas au Canada. Il y a quelques mois, nous avons publié une étude sur l’intensité concurrentielle qui révèle que la concentration augmente au Canada. La situation s’est considérablement aggravée au cours des trente dernières années, et c’est un problème auquel nous devons tous nous attaquer parce que notre pays, notamment son économie et ses politiques, nous tiennent vraiment à cœur.
Voilà une recommandation qui n’a pas encore été prise en compte. Il y en a d’autres, mais je vous donne uniquement la plus importante.
Le sénateur Smith : On sait depuis des années qu’il y a une très forte concentration des marchés. Cette tendance était déjà présente dans les années 1990 quand je travaillais pour John Labatt Ltée et Ogilvie Milling. Nous avons tenté de faire l’acquisition de la Maple Leaf Milling Company, mais M. Wetston, qui est plus tard devenu sénateur et avec qui j’ai fini par travailler, a dit non. J’ai dû réorienter un peu carrière quand la société Archer Daniels Midland nous a fait savoir qu’elle avait acheté la compagnie.
Je me demandais si vous pouviez en dire davantage au sujet de ces questions, notamment en ce qui concerne la durée, et ce qui, d’après vous, sera fait.
M. Boswell : Oui.
Le président : Vous pouvez revenir sur la question, monsieur Boswell, en donnant une réponse écrite dans quelques minutes disons, si vous avez le temps.
M. Boswell : Je vais simplement répondre sur mon téléphone pendant que nous continuons.
Le président : Nous avons des contraintes de temps.
La sénatrice Pate : Je pense que pendant le temps qui m’est alloué, vous avez le temps de nous en dire davantage à ce sujet.
J’ai une question pour vous deux. Je commence par vous, monsieur Boswell. Si vous aviez été la première personne consultée au sujet de ce projet de loi, quelles auraient été vos recommandations?
M. Boswell : Au sujet du projet de loi C-56?
La sénatrice Pate : Et la concurrence. Évidemment, vous connaissez les objectifs du projet de loi.
M. Boswell : Je dirais que c’est la recommandation faite durant l’étude par le comité de la Chambre de donner au commissaire, ou à la commissaire, la capacité d’entreprendre de son propre chef des études de marché. Comme je l’ai déjà dit, je me réjouis de ce changement.
De plus, je vois d’un bon œil les changements apportés à la disposition sur l’abus de position dominante, plus précisément à l’article 79 de la loi. Ces modifications ne règlent pas tout mais elles nous mettent sur la bonne voie pour rattraper nos pairs internationaux. À l’heure actuelle, les dispositions sur l’abus de position dominante, dans la loi canadienne, ne correspondent pas à celles de nos pairs internationaux. On peut affirmer que le test des trois critères est très complexe et qu’il est extrêmement difficile à appliquer pour évaluer s’il y a abus de position dominante.
Je vais répéter tout l’après-midi — si vous êtes disposés à l’entendre — que le but est de faire en sorte que la législation canadienne en matière de concurrence s’harmonise avec celle de nos principaux partenaires internationaux. Cet objectif n’est ni atypique, ni irrationnel ni trop radical. Il s’agit simplement d’une mise à niveau. Je ne suis pas d’accord avec ceux qui prétendent que cet ajustement va nuire aux investissements au Canada; nous essayons simplement d’harmoniser nos lois avec celles des États-Unis, de l’Union européenne, du Royaume-Uni, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Je ne vois pas pourquoi les investisseurs ne voudraient pas investir chez nous plutôt que dans ces pays qui ont une législation plus stricte en matière de concurrence.
Le président : Sénatrice Pate, je dois vous interrompre. Il vous restera encore trois minutes.
Chers collègues, nous devons aller voter. Nous suspendons immédiatement les travaux pour aller voter. Nous reprendrons ensuite la séance; les témoins nous attendrons.
(La séance est suspendue.)
(La séance reprend.)
Le président : La séance se poursuit. Sénatrice Pate, il vous reste trois minutes. Allez-y.
La sénatrice Pate : Monsieur Boswell, je ne sais pas si vous souhaitiez continuer mais, entretemps, un de nos collègues, que vous connaissez, a suggéré que je vous pose la questions suivante : Comment pouvons-nous rendre les entreprises plus axées sur le client, et y a-t-il des façons d’améliorer le projet de loi pour y arriver? Ce collègue s’est présenté à la réunion notamment pour vous saluer.
M. Boswell : Une concurrence vigoureuse, saine et loyale dans n’importe quel marché de libre économie offre notamment l’avantage fondamental de faire baisser les prix — ce que, avant d’entrer en fonction, l’actuel gouverneur de la Banque du Canada avait qualifié de facteur positif de désinflation — et aussi d’améliorer le service client. Comme l’a indiqué M. Hatfield d’OpenMedia dans son mot d’ouverture, lorsqu’il faut soutenir la concurrence pour obtenir des clients, on traite beaucoup mieux ceux-ci s’ils ont la possibilité d’aller voir l’entreprise d’en face ou de faire affaires avec une autre. Dans un contexte de forte concentration économique, où l’intensité concurrentielle décline depuis des décennies, ce qui est le cas dans de nombreux secteurs de l’économie canadienne, l’approche n’est pas axée sur le client. Il est grand temps d’accroître la concurrence dans notre économie parce que cela offrirait d’énormes avantages pour les consommateurs et les entreprises canadiennes ainsi que pour la croissance du PIB et de la productivité. Une concurrence accrue favorise également un meilleur service client parce que les entreprises doivent soutenir la concurrence pour fidéliser la clientèle.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup.
Est-ce que l’un d’entre vous souhaiterait ajouter quelque chose?
M. Bester : Lorsqu’il a été question de la défense fondée sur les gains d’efficience pour justifier des fusions, on a indiqué qu’un tel recours n’empêcherait pas nécessairement une situation comme celle de Rogers et Shaw. Il serait opportun de se pencher sur le fait que, pour évaluer les fusions, le Canada pourrait vraiment bénéficier de l’introduction de la notion de présomption structurelle, notamment les dispositions juridiques qui y sont liées. Il s’agit d’une désignation technique qui s’applique lorsqu’on présume qu’une fusion risque d’entraîner une position dominante dans un marché déjà concentré. Lorsqu’il n’y a que deux ou trois entreprises dans un marché, il devrait être beaucoup plus difficile de procéder à une fusion. Les entreprises intéressées par une fusion devraient être tenues de justifier pourquoi elles devraient être autorisées à faire l’acquisition d’entreprises concurrentes. À l’heure actuelle, la législation canadienne ne prévoit pas une telle inversion du fardeau de la preuve; elle fait plutôt le contraire. Il va sans dire que nous souhaiterions que la notion de présomption structurelle soit introduite dans la loi, pour protéger les Canadiens en cas de concentration de marché.
M. Hatfield : D’un point de vue de consommateur, ce que je trouve très emballant au sujet du projet de loi C-56 c’est que les études de marché peuvent permettre de cerner les lacunes dans notre économie et de prendre des mesures pour accroître la concurrence. Jusqu’ici, le Bureau de la concurrence ne pouvait intervenir que de temps à autre en cas de situation anticoncurrentielle. Il n’avait jamais la possibilité de vraiment stimuler la concurrence. Par conséquent, la concurrence a diminué au fil du temps. Il faut faire changer les choses.
La sénatrice Pate : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma première question porte sur la Loi sur la concurrence. Peut-être que M. Boswell serait le mieux placé pour répondre, mais j’invite les autres à compléter sa réponse. On a reçu le ministre Champagne plus tôt au Sénat, et je lui ai posé une question à laquelle il m’a donné une réponse que je voudrais valider auprès de vous.
Il m’a expliqué que le projet de loi C-56 donnerait le pouvoir à un propriétaire de centre commercial d’empêcher l’interdiction ou la signature d’une clause selon laquelle un autre épicier ne pourrait pas s’installer dans le même centre commercial. On voit cela souvent dans le domaine immobilier, j’en ai fait beaucoup dans un passé pas très lointain. C’est assez fréquent que dans un centre commercial, s’il y a déjà une épicerie, un « magasin du dollar », une tabagie, un restaurant en particulier, il y ait une clause au bail qui interdit d’en établir un autre.
Le ministre a dit assez clairement que le projet de loi ferait en sorte que cela ne serait plus permis. Cela m’a beaucoup surpris, mais étant donné qu’on était limité dans le temps, je n’ai pas pu approfondir ma question sur le sujet.
Pouvez-vous me dire quelle est la disposition du projet de loi C-56 qui interdirait cela? Cela pique ma curiosité. Veuillez me confirmer si c’est le cas, pour commencer, et dans l’affirmative, quelle est la disposition. Sinon, comment le ministre peut-il arriver à cette interprétation? C’est assez choquant.
M. Boswell : Merci, sénateur.
[Traduction]
Le ministre Champagne a parlé de la modification qui porte sur l’article 90.1 de la Loi sur la concurrence et de l’ajout d’une nouvelle disposition qui permet au Bureau de la concurrence d’appliquer la loi pour s’opposer à des accords verticaux entre parties, accords qui empêcheraient ou diminueraient la concurrence, même si les parties ne sont pas concurrentes. Il a beaucoup été question d’un scénario où le Bureau invoquerait la loi pour interdire l’introduction de clauses restrictives qui sont souvent utilisées — comme le ministre l’a signalé et comme on en a passablement parlé — par les grands épiciers lorsqu’ils ouvrent un magasin dans un centre d’achats et qu’ils concluent avec le propriétaire une entente excluant la présence d’autres détaillants en alimentation dans le centre. Il est facile de comprendre que de telles ententes nuisent à la concurrence. Or, elles sont très courantes partout au Canada. C’est ce qu’a révélé l’étude de marché sur le secteur de l’épicerie de détail. Les épiciers indépendants estiment que ces ententes constituent un des principaux facteurs qui les empêchent de concurrencer les grandes épiceries au Canada. La nouvelle disposition dans la Loi sur la concurrence donnerait au Bureau la capacité d’invoquer la loi pour interdire l’introduction de telles clauses restrictives, au cas par cas. Dans notre étude de marché sur le secteur de l’épicerie de détail, nous suggérons que les gouvernements provinciaux envisagent la possibilité de modifier les lois provinciales pour interdire ce genre de clauses restrictives.
Comme je le disais à la sénatrice Pate, il ne s’agit pas d’une mesure radicale. C’est ce que font des pays du monde entier. D’ailleurs, la Nouvelle-Zélande a mené une étude approfondie sur les épiceries et a constaté le même problème et elle a récemment adopté une loi qui interdit ce type de clauses restrictives qui entravent la concurrence. C’est tout ce que ces clauses sont censées faire. Elles creusent ce que le monde de la concurrence appelle « un fossé » entre l’entreprise et ses concurrents afin qu’ils ne puissent pas entrer sur le marché. Quand on pense à une ville moyenne où il y a...
[Français]
Le sénateur Carignan : Je comprends bien. J’aurais peut-être une question complémentaire. Le problème est le suivant : je suis juriste en droit immobilier. Qu’est-ce que je dis à mon client propriétaire d’un centre commercial? Est-ce que c’est permis ou non? Il y a beaucoup de clauses actuellement. Est-ce qu’elles vont devenir nulles? Entrons-nous dans le champ de compétence des provinces?
[Traduction]
M. Boswell : L’article n’entre pas en vigueur avant un an, ce qui donne aux gens le temps de mettre de l’ordre dans leurs affaires. Le Bureau de la concurrence aura ainsi le temps de fournir des conseils sur la manière dont il compte appliquer l’article, de sorte que le juriste local en droit immobilier dont vous parlez sache exactement comment le bureau abordera la question.
Le président : Merci, monsieur Boswell.
Le sénateur Loffreda : Je remercie les panélistes d’être ici.
Monsieur Boswell, vous avez dit que l’intensité concurrentielle diminue depuis des décennies. Je conviens que la concurrence a considérablement diminué au Canada ces 20 dernières années. Comme vous le savez, un rapport du Bureau de la concurrence publié en octobre 2023 sur l’état général de l’économie et de la concurrence confirme que l’intensité a diminué et que de nombreux facteurs contribuent à un manque de concurrence au Canada depuis l’an 2000.
Étant donné que je pense que le fait de savoir pourquoi il existe un manque de concurrence et où il se trouve nous permettra de mieux analyser le projet de loi, j’aimerais que vous nous en disiez davantage sur le sujet. Deux décennies, c’est long. Quels sont les facteurs qui ont mené à une telle diminution de la concurrence? Existe-t-il des secteurs où la concurrence est moindre ou où nous pouvons en faire plus? En ce qui concerne l’avenir, le projet de loi améliorera-t-il la situation au Canada et, le cas échéant, combien de temps cela prendra-t-il?
M. Boswell : C’est une très bonne question. Merci.
Dans le cadre de notre étude sur l’intensité concurrentielle, nous avons examiné divers indicateurs de la concurrence dans l’ensemble de l’économie, dans de multiples secteurs de l’économie, et avons tiré des conclusions très inquiétantes sur l’état de la concurrence dans l’ensemble de l’économie canadienne. La concentration industrielle s’accroît, en particulier dans les secteurs où elle est déjà élevée. Les taux d’entrée et de sortie diminuent, ce qui réduit le dynamisme des entreprises dans l’ensemble de l’économie canadienne. Les profits et les marges sont en hausse, en particulier dans les secteurs qui affichaient déjà des profits et des marges élevés, ce qui témoigne d’un manque de concurrence. De nombreux indicateurs de rendement et d’indicateurs structurels brossent un tableau épouvantable de la situation.
Pour être franc, monsieur, je dirais que cette situation est due au fait que, comme cela a été souligné dans le rapport de 2008 du Groupe Wilson, qui est un groupe d’experts, le Canada est un pays qui a passé des décennies à accorder peu d’importance à la concurrence dans l’organisation de ses affaires économiques, point final. C’est ce qui nous a menés au point où nous sommes. Depuis 1986, nous avons une Loi sur la concurrence faible, qui prévoit des politiques et des approches non conformes à celles du reste du monde et un organisme d’application de la loi faible. Avant la récente augmentation de notre budget, il était le même qu’il y a 20 ans et nous avions moins de personnel qu’il y a 20 ans dans une économie beaucoup plus grande et plus complexe.
Pour répondre brièvement à la question, pour diverses raisons, le gouvernement fédéral, voire tous les pouvoirs publics, a longtemps laissé la concurrence s’atrophier dans ce pays et nous en payons aujourd’hui le prix, ce qui suscite la colère des Canadiens.
Le sénateur Loffreda : Le projet de loi corrigera-t-il la situation? Je suis curieux. Vous travaillez dans ce secteur depuis si longtemps. Nous avons eu des gouvernements conservateurs et libéraux. Pourquoi la situation a-t-elle duré si longtemps? Est‑elle rectifiable?
M. Boswell : Je pense qu’elle est rectifiable.
Pour revenir à la première partie de votre question, le projet de loi C-56 est un pas important et positif dans la bonne direction. L’énoncé économique de l’automne et le projet de loi d’exécution contiennent d’autres mesures positives. Selon l’évaluation du Bureau de la concurrence, le problème ne se limite pas à la loi. Il est important de corriger la loi, mais nous devons dire, en tant que pays — c’est-à-dire les dirigeants de du Canada comme vous tous —, que nous avons besoin d’une approche pangouvernementale à tous les ordres de gouvernement au Canada pour nous attaquer au problème de concurrence. Cela augmentera la productivité, la croissance du PIB et tous les avantages que les consommateurs retirent d’une économie où la concurrence est florissante.
Je serai très bref. Je sais que je donne de longues réponses, mais l’Australie a adopté cette approche dans les années 1990. Une commission sur la productivité a réussi à augmenter leur PIB de 2,5 % en s’attaquant aux problèmes de concurrence dans leur économie. Il en a résulté une augmentation d’environ 5 000 à 7 000 dollars australiens par ménage. Les États-Unis en font autant en ce moment même. Il y a deux ans, le président Biden a émis un décret prévoyant une approche pangouvernementale pour s’attaquer au problème de concurrence dans l’économie américaine et il a fait de grands progrès. Il continue d’exercer des pressions. Il a mis en place un conseil de la concurrence à la Maison Blanche. Tous les principaux secrétaires de cabinet en sont membres et y travaillent en permanence. Le Bureau de la concurrence a préconisé l’adoption d’une telle approche. Nous avons besoin de ce genre d’efforts au Canada. C’est très important. Le projet de loi est un bon début, mais il reste du travail à faire.
Le sénateur Loffreda : C’est formidable d’entendre cela. Merci.
Existe-t-il d’autres normes nationales que nous n’adoptons pas et que vous mettriez en œuvre au Canada? Compte tenu de votre vaste expérience internationale, diriez-vous ceci : « Nous devrions mettre en œuvre cette mesure au Canada. Elle a aidé d’autres pays à prospérer sur le plan économique »?
M. Boswell : C’est tout à fait le cas de certains des changements apportés à la loi, y compris ce que M. Bester a souligné, à savoir les présomptions structurelles à l’égard des fusions. En Australie, il y a actuellement un débat animé sur la possibilité de modifier la loi en adoptant ce que les intervenants appellent un test de la satisfaction. Dans une telle situation, il incombe aux parties à la fusion de convaincre l’organisme d’application de la loi sur la concurrence ou les tribunaux que leur fusion ne nuira pas à la concurrence. C’est le genre de mentalité que nous observons dans le monde entier.
La grande majorité des fusions que le bureau examine ne posent pas de problème. En fait, elles sont bénéfiques et nous les approuvons en cinq ou sept jours après les avoir examinées rapidement. Ce sont les fusions problématiques, soit 5 à 10 % des fusions, qui nuisent gravement à l’économie canadienne. Une fois que ce préjudice structurel existe, il dure des années, des décennies et encore plus longtemps.
Le sénateur Loffreda : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Boswell, cela fait plus de six ans que vous enquêtez sur la fixation des prix du pain par les grands acteurs de l’alimentation. Cette histoire est vieille de 15 ans et remonte à 2007. Pensez-vous qu’autant d’années d’enquête sans résultat de la part de votre bureau font en sorte que vous avez encore de la crédibilité auprès des consommateurs canadiens?
Pouvez-vous nous dire ce qu’il y a dans le projet de loi qui vous permettra d’aller plus vite dans le futur? Pour revenir sur le pain, qu’est-ce qui a retardé votre processus dans la fixation des prix?
M. Boswell : Merci pour la question.
[Traduction]
Vous avez raison de dire que notre enquête criminelle sur la fixation des prix du pain est en cours. Vous vous souviendrez toutefois que, cet été, l’une des parties, Canada Bread, a plaidé coupable à quatre chefs d’accusation de complot criminel de fixation des prix en 2007 et 2011. L’entreprise a payé une amende de 50 millions de dollars, l’amende la plus élevée de l’histoire du Canada pour fixation des prix. De toute évidence, cette amende est le résultat de notre enquête. Avant cela, Loblaws et Weston ont demandé l’immunité au bureau et ont révélé la conspiration présumée. Nous menons une enquête. Il s’agit d’une enquête vaste et complexe. De toute évidence, il s’agit d’une priorité absolue pour le bureau.
En 2017, 2018 et 2019, nous avons exécuté 17 mandats de perquisition différents contre neuf entreprises et nous continuons à travailler sur ce que nous appelons un renvoi au Service des poursuites pénales du Canada. Nous sommes les enquêteurs et ils sont les procureurs. Nos renvois doivent satisfaire aux critères de la preuve au criminel, c’est-à-dire que nous devons leur présenter une affaire qu’ils peuvent porter devant les tribunaux et prouver hors de tout doute raisonnable. Cela représente un travail considérable. Je comprends que les gens s’inquiètent du fait que l’enquête se poursuit, mais il s’agit d’une enquête vaste et complexe. Grâce à l’amende de 50 millions de dollars et au plaidoyer de culpabilité de Canada Bread, nous avons fait un pas dans la bonne direction l’été dernier.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci, monsieur Boswell.
[Traduction]
La sénatrice Galvez : Ma première question s’adresse au Bureau de la concurrence. J’ai lu votre rapport sur la concurrence dans le secteur canadien de l’épicerie de détail. La conclusion est claire : le secteur canadien de l’épicerie de détail est un secteur à forte concentration. Je ne comprends pas pourquoi vous avez mis tant de temps à produire ce rapport, car vous auriez pu le faire il y a longtemps. Vous avez parlé de toutes les fusions qui sont axées sur quelques entreprises de 1986 à 2021.
Vous avez dit que le projet de loi constitue un pas dans la bonne direction, mais vous avez formulé quatre recommandations. La première consiste à créer une stratégie axée sur l’innovation des épiceries. Cette recommandation figure-t-elle dans le projet de loi? Non. La deuxième consiste à favoriser la croissance des épiciers indépendants. Cette recommandation figure-t-elle dans le projet de loi? Non. La troisième consiste à harmoniser les exigences d’affichage du prix unitaire. Étant donné que vous dites qu’il faut 20 ans pour le faire pour le pain, la réponse est non. La quatrième recommandation consiste à limiter l’utilisation des contrôles de propriété et vous affirmez maintenant qu’elle relève de la compétence provinciale.
D’une part, vous nous dites que la situation est mauvaise au Canada et que c’est le cas depuis des décennies. D’autre part, je constate une certaine inertie au sein de votre bureau. Pouvez‑vous nous expliquer ce qui vient en premier, l’œuf ou la poule?
M. Boswell : Je vous remercie de la question.
Le rôle du Bureau de la concurrence est d’appliquer la Loi sur la concurrence et de promouvoir la concurrence. En ce qui concerne la promotion de la concurrence, nous menons cette étude de marché sur le secteur de l’épicerie de détail pour comprendre certains des éléments du secteur canadien de l’épicerie de détail et les raisons pour lesquelles il y avait des problèmes. À l’issue de cette étude, nous formulons des recommandations à tous les ordres de gouvernement sur la manière dont ils peuvent aider à régler le problème.
Comme vous l’avez dit, la création d’une stratégie d’innovation visant à encourager différents types d’épiciers à entrer sur le marché, notamment plus d’épiciers en ligne, ne relève pas du bureau. Il s’agirait d’une politique gouvernementale, qu’elle soit fédérale, provinciale ou territoriale.
L’harmonisation des exigences d’affichage du prix unitaire n’est pas non plus du ressort du bureau. En fait, ce n’est pas quelque chose qui relève du gouvernement fédéral, mais plutôt de la compétence provinciale. Les provinces pourraient dire aux épiceries : « Voici ce que vous devez faire. Vous devez apposer un petit panneau en dessous. » — et certains magasins l’ont déjà fait. C’est déjà obligatoire au Québec, où l’on indique le prix pour 100 millilitres, et c’est la même chose. Lorsque nous parlons d’« harmonisation », nous parlons de collaboration entre toutes les provinces afin que tous les consommateurs du pays aient la même expérience. Le bureau ne peut pas faire cela.
Comme j’en ai fait part à l’autre sénateur, nous disons également que les gouvernements devraient envisager de supprimer les clauses restrictives ou la possibilité d’avoir des clauses restrictives. Le bureau ne peut pas faire cela. Les assemblées législatives provinciales doivent modifier leurs lois sur l’immobilier pour interdire ce type de clauses restrictives anticoncurrentielles dans les centres commerciaux de leur province.
La sénatrice Galvez : Les petites mesures que nous prenons dans le projet de loi se traduiront-elles par une réduction des prix en décembre et en janvier?
M. Boswell : Non, probablement pas. Elles améliorent l’environnement concurrentiel et la capacité du bureau à appliquer sérieusement la loi à certains égards. Les changements apportés à la disposition relative à l’abus de position dominante, qui touchent l’article 79 de la Loi sur la concurrence, la rendront plus conforme à d’autres lois dans le monde et donneront au bureau le pouvoir de poursuivre les grandes entreprises qui se comportent mal et nuisent à la concurrence au Canada. Il s’agit là d’une mesure très positive. Lorsque les lois sont sévères, les acteurs du marché modifient leur comportement parce qu’ils savent que l’organisme chargé de leur application dispose des outils nécessaires pour les poursuivre. Non, je ne vais donc pas dire ici que le projet de loi C-56 va changer radicalement le prix du panier d’épicerie avant les Fêtes ou avant la nouvelle année, mais c’est une étape très importante pour la concurrence au Canada, et c’est pourquoi nous jugeons qu’elle est positive.
La sénatrice Galvez : Monsieur Holmes, l’article 7.1 ajoute un alinéa k) qui se lit comme suit : « l’imposition directe ou indirecte de prix de vente excessifs et injustes. » J’entends dire que cela peut poser des problèmes parce qu’on ne peut pas baisser les prix, notamment à Noël ou à n’importe quel moment de l’année où les prix diminuent. Comment interprétez-vous l’alinéa? Faut-il le conserver ou le supprimer?
M. Holmes : Notre position est que nous aimerions que ce nouveau texte soit supprimé. Les prix élevés et une faible production sont déjà enchâssés dans le droit de la concurrence en tant qu’effet qui peut faire l’objet d’une ordonnance pour prouver que la fusion ou la conduite contestée viole la Loi sur la concurrence. Comme je l’ai dit plus tôt, nous estimons que l’application d’une telle disposition transformerait le Bureau de la concurrence en organisme de réglementation des prix, une responsabilité qu’il n’a manifestement pas demandée et qui pourrait nécessiter une série de compétences différentes et la création de nouvelles unités de réglementation, tant au sein du bureau qu’au sein des tribunaux.
La sénatrice Galvez : Pouvez-vous fournir un exemple concret?
M. Holmes : Le texte fait clairement mention de prix excessifs et injustes. Qui détermine cela et comment? Dans quel contexte au sein du marché?
Un prix exorbitant peut être un signal clair ou un effet clair d’un marché non concurrentiel — nous n’en discutons pas du tout —, mais il se peut que ce ne soit pas l’acteur lui-même qui soit responsable de cette situation dans ce contexte. Dans le contexte américain, il faut démontrer l’existence d’une position dominante et d’un effet concurrentiel. Il doit y avoir à la fois l’intention et l’effet sur les consommateurs. Dans le projet de loi C-56, nous supprimons essentiellement l’effet.
La sénatrice Galvez : Merci.
La sénatrice Ross : Ma question s’adresse à M. Holmes. Hier, lors de la séance d’information technique, des fonctionnaires nous ont dit que le gouvernement a entamé une consultation sérieuse il y a un an et que de nombreuses questions y ont été abordées. Si je comprends ce que vous dites, bien qu’une consultation ait été menée et que la Chambre de commerce du Canada et d’autres associations d’entreprises y aient participé, vous estimez que vous auriez aimé avoir davantage votre mot à dire sur les détails de l’amendement ou du projet de loi. À votre avis, quels sont les deux changements principaux que vous auriez faits ou que la Chambre de commerce aimerait voir par rapport à la version présentée?
M. Holmes : Je vous remercie de votre question, sénatrice.
Une consultation sérieuse a été menée et, comme je l’ai dit plus tôt, nous l’avons appuyée, nous y avons participé et nous avons été heureux de voir un document transparent qui incluait « Ce que nous avons entendu ». Ce document a été publié la veille de la présentation du nouveau projet de loi, qui est, encore une fois, un projet de loi fragmentaire. Nous voyons le gouvernement adopter le gradualisme, souvent à la dernière minute ou dans le cadre d’un projet de loi omnibus. Nous sommes préoccupés par ce processus; si nous voulons vraiment remanier ou renouveler notre Loi sur la concurrence au Canada, soyons audacieux et faisons-le. Ne nous attaquons pas petit à petit au problème en adoptant cette approche graduelle, ce qui serait inefficace et ne donnerait pas aux entreprises, aux consommateurs et aux décideurs une vision claire de ce que nous cherchons réellement à mettre en œuvre. Ce fait est vraiment à l’origine de cette préoccupation. En ce qui concerne les détails, nous avons toute une série de choses que nous aimerions changer.
Si nous ciblons les clauses restrictives dont il a été question pour les épiceries, avons-nous pleinement exploré nos pouvoirs en tant que gouvernement fédéral pour réaliser cet objectif particulier? D’autres compétences ont adopté une approche très ciblée pour lutter contre ce problème dans le secteur de l’épicerie de détail, pourquoi adoptons-nous donc une approche qui est tellement généralisée qu’elle touchera toutes sortes d’autres entreprises? Nous n’avons pas analysé la portée, l’intention ou les répercussions de cette mesure. C’est un élément.
Il y a l’augmentation des sanctions administratives pécuniaires. Ces sanctions ont maintenant été doublées et s’élèvent à 35 millions de dollars. Elles viennent d’être augmentées dans le budget de 2022. Quel est l’objectif de cette augmentation continuelle? Quel est le problème que nous réglons? Cela ne nous a pas été clairement communiqué.
En ce qui concerne les pouvoirs en matière d’études de marché, dont nous avons entendu parler un peu, nous sommes heureux de voir certains des changements apportés par la Chambre en fonction des suggestions du commissaire. Je pense qu’ils ont des éléments positifs parce qu’ils prévoient une certaine l’application régulière de la loi et des lignes directrices. Nous aimerions qu’ils soient renforcés et améliorés pour l’industrie afin qu’il y ait un sens clair d’application régulière de la loi dans la manière dont ces études de marché seront menées.
Nous avons d’autres préoccupations concernant la politisation. De nombreux membres de nombreux secteurs ne se prononcent pas sur cette question parce qu’ils estiment qu’elle est politisée. Ils ont l’impression qu’il y a tout un groupe de secteurs qui sont régulièrement convoqués devant des parlementaires et réprimandés. Ils sont mis dans le collimateur du public et c’est peut-être pour une bonne raison ou peut-être pas, mais c’est facilement politisé. C’est un environnement qui peut devenir très toxique pour les entreprises et nous sommes préoccupés par le fait que nous ne savons pas comment cette information peut être utilisée, communiquée ou fournie publiquement à l’avenir.
Nous avons également constaté une tendance à rechercher des renseignements exclusifs, des secrets commerciaux et des preuves contractuelles devant les comités de la Chambre et dans d’autres situations, ce qui donne à de nombreuses entreprises l’impression qu’elles ne peuvent pas faire des affaires avec le gouvernement du Canada. Il s’agit d’une tendance constante que nous observons. Étant donné les nouveaux pouvoirs en matière d’études de marché, d’obligation de fournir des renseignements et de divulgation de ces renseignements, comment seront-ils contrôlés? Par qui? Quels sont les paramètres? Quelles sont les règles? Quelles normes établissons-nous pour l’accès aux renseignements exclusifs qui pourraient être utilisés à mauvais escient par d’autres concurrents à l’avenir?
Le président : Je donne maintenant la parole au sénateur Forest, le parrain du projet de loi.
[Français]
Le sénateur Forest : Je vous remercie d’avoir accepté l’invitation dans un si court délai et je remercie également mes collègues qui ont posé des questions pertinentes.
J’aurais quelques questions complémentaires. Monsieur Boswell, dans le cadre de l’adoption du projet de loi, il y a toute la question des règlements qui l’accompagneront pour mettre en application les différentes clauses. Selon vous, quelle serait l’échéance? Croyez-vous qu’il y aura des consultations dans le cadre de l’élaboration de cette réglementation?
M. Boswell : Merci pour la question.
[Traduction]
En ce qui concerne la réaction du bureau si le projet de loi est adopté, nous avons une longue tradition qui nous tient à cœur, selon laquelle nous fournissons des projets de lignes directrices aux parties prenantes du Bureau de la concurrence, qu’il s’agisse de l’Association du Barreau canadien, d’entreprises ou de toute autre personne qui souhaite savoir comment nous appliquerons la loi avec les amendements apportés au projet de loi C-56. Nous le ferons rapidement. Si le projet de loi est adopté rapidement, un projet de lignes directrices sera publié dans un délai d’un mois et nous entendrons alors les commentaires de tous ceux qui veulent nous faire part de leur opinion sur ce que disent nos lignes directrices. Ensuite, nous les publierons. C’est ce que nous avons fait à maintes reprises pour chaque article de la loi que nous appliquons. Un règlement ne serait pas nécessairement requis, mais il y aurait des lignes directrices très claires et transparentes pour les entreprises et le milieu juridique, ainsi que pour tous les Canadiens qui souhaitent savoir comment nous appliquerons les modifications prévues par le projet de loi C-56.
[Français]
Le sénateur Forest : Donc, vous confirmez que dans le cadre de l’élaboration de ces lignes directrices, il devait y avoir une période de consultation.
[Traduction]
M. Boswell : Absolument. C’est ce que nous faisons pour toutes les lignes directrices d’application de la loi que nous publions. D’ailleurs, nous consultons en ce moment même le milieu des affaires, le milieu juridique et les Canadiens de partout au pays sur un projet de lignes directrices d’application de la loi.
[Français]
Le sénateur Forest : Monsieur Boswell, si j’interprète bien l’esprit et la lettre du projet de loi, le ministre peut vous demander de mener une enquête, mais il ne peut l’exiger. Est-ce que mon interprétation est juste?
[Traduction]
M. Boswell : Selon le libellé, le ministre peut m’ordonner de réaliser une étude sur un marché, mais qu’il doit également me consulter sur la faisabilité de cette étude en tenant compte de facteurs comme les coûts. À mon avis, il y aurait un dialogue à ce sujet. Je peux vous dire — certainement en mon nom, mais peut-être pas au nom des futurs commissaires — que le dialogue porterait également sur la question de savoir si c’est une bonne idée de réaliser l’enquête sur un marché suggérée par le ministre.
Lorsque nous réalisons des enquêtes sur un marché, ce que nous faisons depuis des années, nous n’avons pas le pouvoir de nous adresser aux tribunaux. Il est important de souligner que nous devons nous adresser aux tribunaux et obtenir une ordonnance pour obliger les entreprises à fournir des renseignements. Cela est clairement établi dans la loi. Je ne sais pas vraiment ce qui préoccupait M. Holmes.
Il y aurait un dialogue pour déterminer s’il s’agit du bon secteur dans lequel mener une enquête sur un marché. Le Bureau de la concurrence dispose d’une grande expertise en matière de concurrence et agit toujours dans l’intérêt public lorsqu’il évalue où il est préférable de mener une enquête sur un marché ou où elle est la plus avantageuse pour les Canadiens.
[Français]
Le sénateur Forest : J’aimerais poser quelques questions à M. Bester. Vous nous avez parlé de transparence. Vous avez dit qu’actuellement, il y avait un genre de boîte noire. Selon vous, est-ce que le projet de loi C-56 améliorera la transparence en ce qui concerne le Bureau de la concurrence et ses activités?
[Traduction]
M. Bester : Je vous remercie de la question.
Ce projet de loi n’aborde pas l’aspect de la transparence. C’est un aspect qui manque et qui est absent du projet de loi C-59 et qui pourrait être envisagé à l’avenir. Dans le cadre de son mandat actuel, le bureau a fait davantage pour communiquer clairement avec les Canadiens, mais comment pouvons-nous assurer aux gens qu’ils savent que l’organisme d’application de la loi travaille sur des questions importantes? Il s’agit là d’une tâche pour une future mesure législative.
[Français]
Le sénateur Forest : Je pense que nous sommes tous d’accord : la dernière mouture remonte à 37 ans, donc actuellement, nous avons une Loi sur la concurrence qui est désuète. L’objectif du projet de loi C-56 est de l’actualiser et d’amener la loi au niveau de celles de pays semblables.
Selon vous, est-ce que les craintes de l’industrie sont fondées, à savoir que cette loi serait excessivement dangereuse pour ce qui est de l’attractivité des entreprises au Canada ou de la concurrence au Canada, ou s’agit-il plutôt d’incompréhension ou d’un manque de consultation et d’information?
[Traduction]
M. Bester : Je vous remercie de la question.
Les modifications, en particulier celles sur l’abus de position dominante, mettent l’accent sur le fait que nous voulons une loi qui empêche les sociétés en position dominante de se comporter de manière anticoncurrentielle. Cela va dans le sens des propos de M. Boswell sur la nécessité de prendre la concurrence plus au sérieux. Pendant de nombreuses années, la loi prévoyait que la concurrence était une bonne chose, mais qu’il était possible d’y renoncer contre d’autres choses qui pouvaient être également bénéfiques. Le plus important, selon moi, c’est que, quand on examine nos pairs internationaux — et je pense à un pays comme l’Allemagne, qui a vraiment renforcé ses mesures contre l’abus de position dominante et qui a déclaré que certaines activités sont problématiques et qu’il faut adopter une approche plus stricte à leur égard —, on constate que ces modifications correspondent à ce type d’approche et, encore une fois, favorisent vraiment la concurrence.
Le président : Pour la deuxième série de questions, j’aurai besoin de votre appui inconditionnel, honorables sénateurs, car vous devrez poser une seule question ou deux brèves questions aux témoins. Les témoins sont priés de répondre dans un délai de 30 secondes.
La sénatrice Marshall : Monsieur Hatfield, avez-vous participé à la consultation publique? Répondez d’abord à cette question. Oui ou non?
M. Hatfield : Oui, nous l’avons fait.
La sénatrice Marshall : Vous l’avez fait. Avez-vous vu l’une des suggestions que vous avez faites lors de la consultation publique dans le projet de loi C-56? Y a-t-il des propositions que vous avez formulées pendant les consultations qui n’ont pas été incluses dans le projet de loi, mais que vous auriez aimé qui y figurent?
M. Hatfield : Cela fait partie intégrante d’un processus sain. Le projet de loi C-56 est un excellent début. Le projet de loi C-59 contient d’autres idées que nous voulons aussi voir intégrées. Il y a eu un va-et-vient entre ce qui relève des provinces et du fédéral. Tous les ordres de gouvernement doivent contribuer. L’adoption du projet de loi C-56 est l’élément le plus important pour nous permettre de commencer le travail.
La sénatrice Marshall : Mon temps de parole est écoulé. Merci.
[Français]
Le sénateur Gignac : J’aimerais revenir à la discussion. Il y a un élément ajouté à l’article 78, et c’est l’idée de l’imposition directe et indirecte de prix excessifs et injustifiés.
Ma question s’adresse à M. Boswell. Prenons un exemple concret : le domaine pharmaceutique. Nous avons le choix entre un médicament d’origine et un médicament générique. On pourrait prétendre que le prix des médicaments d’origine est excessif, mais est-ce bien important de le mentionner dans votre loi? Parce que je fais une distinction entre des prix excessifs et un manque de concurrence.
De plus, il y a des ententes conclues avec les provinces, selon lesquelles les compagnies pharmaceutiques sont installées à certains endroits parce qu’elles font de la recherche. Sur quelle science vous appuyez-vous pour dire que le prix sera excessif? Est-ce qu’il y a là un risque de conséquences inattendues?
Rapidement, j’aimerais connaître la réaction de M. Holmes aussi.
[Traduction]
M. Boswell : En ce qui concerne le prix des produits pharmaceutiques, c’est le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés qui assure très clairement la sécurité des Canadiens en matière de prix excessifs.
Ce que je tiens à souligner, et c’est le ministre Champagne qui l’a dit, c’est que l’alinéa 78(1)k) doit être lié au début de l’article 78, qui prévoit que les prix excessifs et injustes ne constituent un agissement anticoncurrentiel que lorsqu’ils visent à avoir un effet négatif visant l’exclusion, l’éviction ou la mise au pas d’un concurrent, ou à nuire à la concurrence. Il s’agit d’une notion très circonscrite.
Une fois de plus, avec tout le respect que je lui dois, je ne suis pas d’accord avec M. Holmes quand il dit que cette disposition nous fait courir un risque important de devenir un organisme de réglementation des prix. Elle ne fera pas du Bureau de la concurrence un organisme de réglementation des prix. Ce n’est pas ce que nous voulons, et ce n’est pas ce que cette disposition fera.
Le sénateur Gignac : Merci.
Monsieur Holmes, en 30 secondes, êtes-vous d’accord ou non avec ce qui a été dit?
M. Holmes : Dans un marché suffisamment concurrentiel, je souligne qu’un prix excessif pousserait les clients vers une solution de rechange. Nous considérons qu’un prix excessif est un effet ou un indicateur d’un marché non concurrentiel, et pas nécessairement d’un mauvais acteur.
Le sénateur Smith : Monsieur Holmes, le projet de loi C-56 supprimerait la défense fondée sur les gains en efficience, ce qui signifie que, même si les intervenants du marché pouvaient prouver qu’une fusion entraînerait des gains en efficience pour l’économie supérieurs à tout effet anticoncurrentiel potentiel et qu’ils le compenseraient, cela pourrait ne pas suffire pour que la fusion soit approuvée. Pourquoi le gouvernement supprimerait-il cette disposition de la Loi sur la concurrence, si ce n’est pour tenter de punir simplement certains acteurs qui retiennent l’attention du public? Concrètement, quel est l’argument plus large pour justifier ce changement?
M. Holmes : Je vous remercie de la question.
Je ne peux pas dire avec certitude quelle était l’intention des rédacteurs du projet de loi, mais je reconnais que nous sommes l’un des seuls, voire le seul, pays où la défense fondée sur les gains en efficience existe toujours. Là où nous voyons un avantage, c’est qu’il y a des cas où un gain en efficience peut avoir des avantages économiques. Les fusions peuvent entraîner des gains en efficience qui améliorent le marché concurrentiel en général, comme l’emploi, les investissements, l’innovation et la croissance économique. Toutefois, c’est difficile à prouver.
Au Canada, nous observons un déclin très prononcé et à long terme de la productivité. Ce que le commissaire Boswell nous a dit tout à l’heure — et c’est ce qui ressort du rapport qui a été publié en octobre dernier —, c’est que l’on craint que cette situation soit attribuable à un marché non concurrentiel. Quand je regarde ces chiffres, je constate un incroyable effet dissuasif et un obstacle pour les nouveaux venus sur le marché canadien. Nous ne stimulons pas l’économie et ne favorisons pas l’entrée de nouveaux venus sur le marché, qui prennent de l’expansion et qui deviennent des concurrents pour l’industrie canadienne. C’est une grande partie du problème au Canada. Nous ne sommes pas des innovateurs à l’heure actuelle. Nous ne sommes pas productifs. Nous ne favorisons pas la croissance.
Je ne pense pas qu’il y ait une bande de magnats maléfiques qui se cachent dans des pièces sombres et qui empêchent tout le monde de lancer de nouvelles entreprises. Au Canada, on a une forte tendance à surréglementer. Il y a également de nombreux problèmes de compétence, qui ont été reconnus. Il y a plusieurs autres problèmes entre le commerce intérieur et la façon dont les entreprises peuvent contribuer de manière significative au Canada.
[Français]
Le sénateur Carignan : Ma question s’adresse à M. Holmes et porte sur le crédit pour la taxe sur les produits et services ou TPS.
Je pense que c’est une proposition intéressante, parce qu’il y a des projets qui se réalisent et que la construction avance. Cependant, lorsque je parle aux gens du domaine immobilier, il semble que la construction ne commence pas pour d’autres raisons, principalement à cause de la simulation de crise des banques — le fait que les banques sont extrêmement craintives de prêter de l’argent et établissent des niveaux d’avancement de vente de condos ou de taux de location extrêmement élevés, ce qui fait que les promoteurs ne sont pas capables de réaliser les projets.
Je parlais à un représentant aujourd’hui qui me disait que son projet était vendu à 90 %, mais que la banque voulait prêter seulement pour 60 %. Donc, il est obligé d’aller en mezzanine. Compte tenu du taux de rentabilité et de l’évaluation des coûts, les gens ne veulent pas prendre de risques. Donc, le projet ne se réalise pas.
Mon point est le suivant : l’idée du crédit pour la TPS est peut‑être intéressante, mais on n’est pas capable de s’y rendre parce que le projet ne se réalise pas. Est-ce que c’est quelque chose que vous entendez dans votre milieu, parmi vos membres?
M. Holmes : Merci de votre question, monsieur le sénateur.
[Traduction]
La Chambre de commerce du Canada vient de créer le Conseil stratégique pour le logement et le développement, qui examine cette question.
Je dirais que le projet de loi C-56 est un début. Comme nous le savons tous, il s’agit d’une crise nationale. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour qu’il soit possible d’appliquer et de faire prévaloir les principes fondamentaux de la construction de logements et de maisons au Canada. C’est une économie très vertueuse, qu’une main-d’œuvre qualifiée peut intégrer, et nous pouvons construire des maisons et des logements.
Le remboursement de la TPS prévu dans le projet de loi C-56, dont j’ai parlé tout à l’heure, est un élément positif. Nous constatons — et nos membres nous l’ont dit — qu’il a un effet immédiat sur les nouvelles constructions. Nous aimerions que ce remboursement soit étendu aux constructions qui étaient en cours au moment de la présentation du projet de loi en apportant de petites modifications au libellé.
À l’avenir, le gouvernement pourrait aussi faire ce que d’autres administrations ont fait, soit établir un programme de roulement de la TPS pour les projets en cours de construction, qui incite les entités à réinvestir un montant équivalent à la TPS dans la construction de logements locatifs supplémentaires. Cela permet de créer un programme vertueux et continu.
Il existe un certain nombre de nouveaux modèles que nous pouvons envisager. J’espère que ce n’est que le début.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Je vais continuer avec M. Boswell.
Monsieur Boswell, avec votre équipe, combien d’enquêtes majeures avez-vous la capacité de mener de front? Combien peuvent mener, évidemment, au dépôt d’un rapport dans un délai raisonnable?
Est-ce que le gouvernement vous a fait des promesses à savoir que vous aurez plus de budget ou plus de personnel?
[Traduction]
M. Boswell : Pour clarifier, voulez-vous dire combien d’études de marché nous pouvons faire? Nous menons toutes sortes d’autres enquêtes qui portent sur divers aspects de la loi.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Enquête dans le même type de marché.
[Traduction]
M. Boswell : C’est une très bonne question.
Nous devons gérer nos ressources en fonction du nombre d’études de marché que nous pouvons réaliser. Nous n’en réalisons généralement qu’une à la fois, car l’essentiel de notre travail consiste à faire appliquer la loi. Nous devons appliquer la loi dans quatre domaines différents, et, à tout moment, il y a plus de 100 enquêtes en cours dans l’ensemble de l’organisme. Nous réalisons généralement une étude de marché à la fois. La dernière était l’Étude de marché sur le secteur de l’épicerie. Nous continuerons probablement sur cette voie, car nous sommes conscients que l’essentiel de notre travail consiste à faire de notre mieux pour appliquer la loi dans tout le pays, mais ces études de marché apportent beaucoup aux législateurs ou aux décideurs du pays lorsque nous les réalisons.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Est-ce que vous avez un peu plus de personnel, comme vous avez plus de travail?
[Traduction]
M. Boswell : Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous avons obtenu une augmentation budgétaire en 2021 et nous n’en avions pas obtenu depuis plus de 10 ans. En fait, nous avions moins de personnel qu’il y a 20 ans. Nous utilisons cette augmentation budgétaire dans l’ensemble de l’organisme, notamment dans la direction de M. Durocher, soit la Direction générale de la promotion de la concurrence, qui dirige les études de marché. Nous évaluerons la situation à mesure que nous avançons, mais il ne s’agit pas d’une situation où nous ne ferions plus que des études de marché et où nous cesserions d’appliquer la loi. Notre objectif principal est toujours d’appliquer la loi pour protéger la concurrence et les consommateurs.
La sénatrice Pate : Je ressens le besoin de vous poser une question, madame Pratt, étant donné que vous n’avez pas eu l’occasion de parler du tout, bien que, si vous voulez laisser quelqu’un d’autre y répondre, je vous laisse libre de le faire.
Selon des données de Statistique Canada, une personne sur cinq au Canada est actuellement en situation d’insécurité alimentaire, et, parmi ces gens, les personnes sous le seuil de pauvreté, les enfants, les mères seules, les Autochtones et les personnes racisées sont surreprésentés. Avez-vous des données à nous fournir sur l’incidence que les mesures sur la concurrence prévues dans le projet de loi C-56 devraient avoir sur l’insécurité alimentaire?
Jeanne Pratt, sous-commissaire principal, Direction générale des fusions et des pratiques monopolistiques, Bureau de la concurrence Canada : Comme nous l’avons dit, le projet de loi ne fera pas baisser les prix tout de suite. Il nous permettra d’avoir des lois plus strictes pour gérer non seulement les épiceries, mais aussi l’ensemble de la filière. Nous tenons compte de tous les intrants alimentaires, des semences aux engrais, en passant par la chaîne d’approvisionnement. Le fait de disposer de lois plus strictes sur les fusions nous permettra de traiter l’ensemble de la chaîne en cas de fusions anticoncurrentielles.
En ce qui concerne le lien direct avec l’insécurité alimentaire, je ne peux pas vous donner de statistiques qui confirment que nous serons la solution miracle à ce problème.
La sénatrice Pate : Merci.
La sénatrice Galvez : Récemment, vous avez été interrogé sur l’achat de HSBC par RBC. Vous avez déclaré que vous approuviez la fusion, qui semblait limiter la concurrence. Quand j’ai examiné la série de fusions dans le secteur de l’alimentation, je n’ai observé aucune opposition. Ces fusions ont commencé en 1986. Vous avez réalisé votre étude en 2021. Vous avez eu de nombreuses occasions de vous opposer à ces fusions. Quand donnez-vous votre avis et quand ne le faites-vous pas?
M. Boswell : C’est une très bonne question. Je serai bref parce que je sais que nous manquons de temps.
En ce qui concerne la fusion RBC-HSBC, quand on propose une fusion bancaire, il incombe à la ministre des Finances de prendre une décision à cet égard. En tant que commissaire de la concurrence, mon travail consiste à fournir un rapport à la ministre des Finances après avoir examiné en profondeur la fusion. Il est important de préciser que nous n’avons pas approuvé la fusion. Nous avons fourni un rapport indiquant que la fusion n’allait pas restreindre de façon substantielle la concurrence, ce qui est le critère que nous devons appliquer. C’est le critère que nous appliquons tous les jours. Nous sommes des créatures de la loi : nous devons la respecter. Nous avons fourni ce rapport, mais nous avons également soulevé certaines préoccupations dans le secteur bancaire, en général, que la ministre pourrait vouloir prendre en considération lors de l’évaluation de la fusion RBC-HSBC, à savoir que le système bancaire est déjà très concentré, qu’il existe des obstacles importants pour y entrer et qu’il pourrait y avoir une activité coordonnée et d’autres choses de ce genre. Voilà notre travail. Nous avons fourni le rapport, mais c’est à la ministre des Finances de prendre la décision.
En ce qui concerne les fusions d’épiceries, au fil des ans, nous sommes intervenus dans ces fusions pour exiger que des épiceries dans divers marchés locaux soient vendues. C’est ce que nous avons fait lors de l’acquisition de Safeway par Sobey’s dans l’Ouest canadien. Nous avons exigé la vente d’environ 30 magasins différents dans l’Ouest canadien. Ces magasins ont été vendus à des épiciers indépendants, ce qui a renforcé les épiciers indépendants dans l’Ouest canadien. Ce fut la même chose quand Loblaws a acheté Provigo au Québec : nous avons exigé des cessions. Nous avons également exigé la cession de la marque Loeb. C’est la même chose quand Loblaws a acheté Shoppers Drug Mart. Nous avons exigé que l’entreprise vende un certain nombre de magasins et de pharmacies.
Dans le cadre de ce travail, nous sommes limités par la loi. Nous ne pouvons faire que ce qui est conforme aux règles de la Loi sur la concurrence. Voilà pourquoi nous voulons que les règles soient plus strictes en ce qui concerne les fusions. Les fusions constituent la première ligne de défense au Canada. Nous faisons notre travail. Nous devons respecter la loi, mais nous avons besoin de lois plus strictes.
Le sénateur Loffreda : Il y a beaucoup plus d’entrepreneurs canadiens et de Canadiens à l’étranger qui investissent au Canada qu’il n’y a de Canadiens au Canada et d’étrangers qui le font. Si on examine ces chiffres, on constate que le déficit est énorme. Le projet de loi permettrait-il de combler cet écart en attirant davantage d’investissements réalisés par des étrangers, ainsi que des Canadiens vivant au Canada?
M. Boswell : Le projet de loi C-56 renforcera et améliorera la Loi sur la concurrence. Il renforcera notre pouvoir d’appliquer la loi contre les abus de position dominante. Il renforcera notre capacité à dire non aux fusions anticoncurrentielles et nuisibles qui font accroître la concentration dans l’économie.
Encore une fois, cela ne se fera pas du jour au lendemain. Toutefois, grâce à ces deux éléments et à notre travail d’application de la loi, nous pouvons contribuer à rendre l’économie plus concurrentielle et à créer un marché plus contestable, dans lequel davantage de petites et moyennes entreprises peuvent tenter d’entrer sans craindre de faire l’objet de l’abus de position dominante d’une grande société.
Quand les Canadiens n’ont pas à composer constamment avec une concentration excessive et de grandes sociétés qui se comportent mal, et plus nous rendons l’économie concurrentielle — c’est-à-dire qu’il règne une concurrence saine et loyale dans toute l’économie —, plus ils sont susceptibles d’investir dans la création ou le développement d’une entreprise au Canada. Voilà mon hypothèse.
Le sénateur Loffreda : C’est une bonne hypothèse. J’ai tendance à l’appuyer. Merci.
La sénatrice Ross : Ma question s’adresse à M. Boswell et elle porte sur les clauses restrictives dans les baux et l’incidence qu’elles pourraient avoir sur les très petites entreprises qui auraient pu les considérer comme un incitatif à signer un bail en sachant qu’elles pourraient avoir l’occasion de développer leurs activités dans un environnement où elles ne livreraient pas concurrence à des magasins à grande surface ou autre chose. Quelle serait l’échéance pour mettre en œuvre une telle mesure? Comment composerions-nous avec les obligations contractuelles d’un bail? Seraient-elles simplement annulées? Je ne sais pas exactement comment cela fonctionnerait. Aidez-moi à comprendre.
M. Boswell : Oui, merci.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, il s’agit d’une question à deux volets. Il y a l’inclusion de cet article dans la Loi sur la concurrence, qui n’entrera pas en vigueur avant un an, et nous donnerons des directives sur la façon dont nous appliquerons cet article, notamment à savoir si nous exercerons un pouvoir discrétionnaire en matière d’application de la loi pour certaines de ces questions. En ce qui concerne les accords, nous devrons toujours prouver qu’ils empêchent ou limitent la concurrence sur le marché. Nous serons très attentifs à cet élément quand nous appliquerons cette nouvelle disposition dans le cas des clauses restrictives. L’autre volet concerne ce que les gouvernements provinciaux pourraient faire. Comme nous l’avons indiqué dans notre étude de marché sur le secteur de l’épicerie, les provinces devraient peut-être envisager de limiter les clauses restrictives aux grands épiciers afin d’exclure les épiciers indépendants, mais pas l’inverse, afin de favoriser la concurrence.
Il est facile d’imaginer une petite ville dotée d’un réseau de transport en commun qui ne dessert qu’un seul centre commercial. Imaginez qu’un grand épicier s’installe dans ce centre commercial, qu’il impose une clause restrictive afin qu’aucun autre épicier ne puisse s’y installer et qu’il devienne le seul épicier accessible par transport en commun. Ainsi, les gens les plus vulnérables qui ont besoin du transport en commun sont obligés de se rendre uniquement à cette épicerie. Comme vous pouvez le constater, cette situation est non seulement nuisible à la concurrence, mais elle est aussi injuste. Nous pensons qu’il faut s’attaquer à ce problème.
Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur le président, de me faire l’honneur de me permettre de poser une question dans le cadre de l’étude du comité.
Monsieur Boswell, j’ai posé une question à la ministre sur l’abrogation de la défense fondée sur les gains en efficience, et sa réponse a été une source d’ambiguïté juridique. Dans le cadre de l’examen d’une fusion, cette disposition est-elle ambiguë sur le plan juridique quand vous devez appliquer la loi pour trouver des gains en efficience favorables à la concurrence? J’ai l’impression que non, mais je ne suis pas chargé d’appliquer la loi et je ne suis pas un avocat, alors mon opinion n’a pas d’importance. Par conséquent, j’aimerais vraiment connaître la vôtre. Merci, monsieur.
M. Boswell : Votre impression est juste, monsieur : les gains en efficience favorables à la concurrence découlant d’une fusion pourraient absolument être pris en compte quand nous évaluons si une fusion réduirait ou empêcherait substantiellement la concurrence. L’alinéa 93h) permet au tribunal et, bien sûr, au bureau, de tenir compte de tout autre facteur pertinent à la concurrence dans un marché qui est ou serait touché par la fusion réalisée ou proposée. Tous nos collègues du monde entier examinent les gains en efficience dans le cadre de l’examen des fusions afin de déterminer s’il existe des gains en efficience qui seront favorables à la concurrence ou qui la stimuleront. Certes, nous examinerions absolument cet élément, et, si les gains en efficience sont favorables à la concurrence, la fusion pourrait avoir lieu. Cependant, pour l’instant, ces gains peuvent l’emporter sur les effets anticoncurrentiels, ce qui peut nuire aux Canadiens.
Le sénateur C. Deacon : Vous ne voyez aucun problème ni manque de clarté.
M. Boswell : Absolument aucun.
Le président : Honorables sénateurs, avant de suspendre la séance, en tant que président, je tiens à dire quelque chose aux témoins au nom du Comité des finances et de tous les membres présents autour de la table.
[Français]
Merci beaucoup. Vous avez fait un travail exceptionnel. Vous avez donné beaucoup d’informations.
[Traduction]
En tant que président, je tiens également à souligner la présence des sénateurs Dalphond et Deacon, qui ne sont pas membres du comité, mais qui ont participé à la réunion pour étudier le projet de loi C-56. Sénatrice Ross, vous êtes ici pour la deuxième fois, alors je vous remercie de nouveau.
Cela dit, je dirai aux témoins que nous avons un dénominateur commun. Les finances et le budget concernent la transparence, la reddition de comptes, la prévisibilité et la fiabilité. Vous avez démontré que vous êtes très informés sur le projet de loi C-56.
Avant de suspendre la séance, honorables sénateurs, j’aimerais demander au vice-président du comité, le sénateur Forest, qui est également le parrain du projet de loi, s’il veut faire des observations en conclusion.
[Français]
Le sénateur Forest : Je voudrais remercier les témoins, les collègues, tout le personnel. Ils ont pu gérer la situation si rapidement que la greffière et nos analystes ont pu convoquer cette réunion. On progresse actuellement sur des enjeux majeurs au Canada. Quand on regarde la fréquentation des banques alimentaires, le nombre de sans-abri, lorsque l’on sait qu’un marché équilibré nécessite 3 % d’inoccupation — je pense par exemple à une ville comme la mienne, Rimouski, où ce taux est à 0,008 %. Il n’y a pas d’inoccupation, ce sont donc des enjeux majeurs. Je vous remercie.
On y arrivera en collaborant et en conjuguant nos efforts. Vous avez posé un premier geste, aujourd’hui, qui va en ce sens. Merci infiniment.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous allons suspendre la séance pendant deux minutes, puis nous poursuivrons à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)