LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 7 février 2024
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui à 18 h 49 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les prévisions budgétaires du gouvernement en général et d’autres questions financières.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je vous souhaite à tous la bienvenue, et je souhaite aussi la bienvenue à tous les Canadiens qui nous regardent sur sencanada.ca.
[Français]
Mon nom est Percy Mockler, je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité permanent des finances nationales. J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter, en commençant par ma gauche.
Le sénateur Forest : Éric Forest, de la division sénatoriale du Golfe, au Québec. Bienvenue.
[Traduction]
La sénatrice MacAdam : Jane MacAdam, de l’Île-du-Prince-Édouard.
Le sénateur Loffreda : Bienvenue. Sénateur Tony Loffreda, de Montréal, Québec.
La sénatrice Ross : Bonsoir à tous. Krista Ross, de Fredericton.
Le sénateur McNair : Bonsoir et bienvenue. John McNair, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Kingston : Bonsoir. Joan Kingston, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Pate : Bonsoir. Kim Pate. J’habite ici sur le territoire non cédé des Algonquins anishinabes.
La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le président : Je vous remercie, sénateurs.
Nous nous réunissons aujourd’hui pour entendre la vérificatrice générale du Canada, Mme Karen Hogan. Je vous remercie et je remercie votre équipe d’avoir accepté notre invitation. Nous avons hâte d’entendre votre témoignage, de même que vos réponses aux questions des sénateurs.
[Français]
Honorables sénateurs, Mme Karen Hogan est accompagnée de M. Jean Goulet, directeur principal, Mme Markirit Armutlu, directrice principale et de Mme Carey Agnew, directrice principale.
[Traduction]
Elle est accompagnée aussi d’Erin Jellinek, directrice. Je vous remercie tous d’avoir accepté notre invitation, et je vous remercie, madame la vérificatrice générale, d’avoir accepté de venir à un très court préavis.
Je vous invite donc à nous présenter votre déclaration liminaire, après quoi nous passerons aux questions.
[Français]
Madame Hogan, la parole est à vous.
[Traduction]
Karen Hogan, vérificatrice générale du Canada, Bureau du vérificateur général du Canada : Ma déclaration liminaire dure normalement cinq minutes, mais je vais vous demander d’être indulgent et de m’accorder plus de temps, car il est question de cinq rapports. Je vous remercie.
Je suis heureuse d’être ici aujourd’hui pour discuter de cinq rapports qui ont été déposés au Parlement le 19 octobre 2023. Je tiens à souligner que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Deux points ressortent de ces cinq rapports pour moi, soit les données et l’importance d’agir en temps opportun. Dans tous les rapports, nous avons relevé des cas où les données étaient faibles ou sous-utilisées et des cas où des mesures n’ont pas été prises rapidement, ce qui a eu une incidence sur la capacité de la fonction publique à répondre aux besoins des Canadiens.
Je vais d’abord parler de notre audit sur la résistance aux antimicrobiens, un sujet que mon bureau a examiné pour la dernière fois en 2015. Lorsqu’il est question de santé publique, la récente pandémie de COVID-19 nous a montré que le coût d’une mauvaise préparation se mesure en nombre de vies perdues. C’est pourquoi la résistance aux antimicrobiens est inquiétante.
Le taux de résistance aux antibiotiques de première ligne au Canada a été estimé à 26 % en 2018, et on s’attend qu’il atteigne 40 % d’ici 2050. Nous avons constaté que le gouvernement fédéral a fait trop peu d’efforts pour contrer ce problème.
Même si l’Agence de la santé publique du Canada a publié un plan d’action pancanadien sur la résistance aux antimicrobiens en juin 2023, il lui manque des éléments essentiels, comme des résultats attendus concrets, des échéanciers et des méthodes pour mesurer les progrès. Sans ces éléments, il est peu probable que ce plan réussisse.
Nous avons aussi constaté que l’Agence de la santé publique et Santé Canada ont été lents à mettre en œuvre des changements, comme des mesures incitatives économiques, qui pourraient améliorer l’accès des Canadiens aux antibiotiques de dernier recours. Seulement 2 des 13 nouveaux antibiotiques utilisés pour traiter les infections résistantes aux médicaments étaient disponibles au Canada, tandis que les 13 l’étaient aux États-Unis.
Pour lutter efficacement contre la résistance aux antimicrobiens, le Canada doit avoir un portrait d’ensemble de l’utilisation des antimicrobiens et de la résistance aux antimicrobiens à l’échelle du pays, ainsi qu’un plan robuste.
[Français]
Passons maintenant à nos deux prochains audits, qui sont étroitement liés. Le premier a permis d’examiner l’approche globale du gouvernement en ce qui concerne la modernisation des systèmes de technologie de l’information. Le deuxième a porté sur la modernisation de trois prestations, soit la pension de la Sécurité de la vieillesse, le Régime de pensions du Canada et le régime d’assurance-emploi.
Dans le cadre du premier audit, nous avons constaté qu’environ les deux tiers des quelque 7 500 applications logicielles en usage au gouvernement étaient en mauvais état. Ce chiffre comprend 562 applications essentielles pour la santé, la sûreté, la sécurité et le bien-être économique de la population canadienne.
Nous avons constaté que plusieurs facteurs avaient contribué à des retards et à l’augmentation des coûts, y compris un manque de surveillance et de leadership centralisés, une pénurie de personnes qualifiées pour exécuter les travaux requis et une approche de financement rigide. Plus ces systèmes tardent à être modernisés, plus il y a un risque qu’ils tombent en panne et que la population canadienne perde l’accès à des services essentiels.
Notre audit du programme de Modernisation du versement des prestations a fait écho à ces constatations. Les progrès relatifs à la modernisation des trois systèmes assurant le versement de prestations à la population canadienne ont été entravés par des retards, des augmentations de coûts et des problèmes de dotation. Le programme est à mi-parcours de son calendrier de 13 ans, et le versement de toutes les prestations est encore assuré au moyen de systèmes vieux de 20 à 60 ans.
Cet audit illustre aussi que le mécanisme de financement du gouvernement convient mal aux grands projets de technologies de l’information. Lorsque le programme a été lancé en 2017, Emploi et Développement social Canada avait estimé qu’il coûterait 1,75 milliard de dollars. Le montant a été révisé deux fois depuis, et il a atteint 2,5 milliards de dollars en avril 2022. Il changera probablement encore lorsque d’autres retards et difficultés surviendront. Ces révisions représentent une hausse de 43 % par rapport à 2017 et pourtant, aucune des trois prestations n’a encore migré vers la nouvelle plateforme.
[Traduction]
Nous avons constaté qu’Emploi et Développement social Canada avait modifié sa façon de traiter les retards et autres obstacles. Parexemple, le ministère a placé le programme de la Sécurité de la vieillesse en tête de liste de priorité en matière de migration, car il s’agit du plus vieux des trois systèmes et de celui qui risque le plus de tomber en panne.
Bien que la décision d’Emploi et Développement social Canada de procéder d’abord à la migration des systèmes donne à juste titre la priorité au maintien du versement des prestations, je suis préoccupée par le fait que de nouvelles difficultés et de nouveaux retards pourraient entraîner des raccourcis pour respecter les échéanciers ou le budget et limiter la transformation, comme dans le cas du système de paye Phénix. Cela aboutirait à un produit final qui ne répondrait pas aux besoins des Canadiens.
Notre prochain audit a examiné le traitement des demandes de résidence permanente. Nous avons constaté des retards, des arriérés et des inefficiences qui ont des répercussions sur la vie des personnes qui souhaitent s’établir en permanence au Canada, la plus grande étant l’incidence sur les personnes qui soumettent une demande dans le cadre des programmes pour les réfugiés.
Bien qu’en 2022, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a de façon générale réduit le temps de traitement des demandes et le nombre de dossiers accumulés, le ministère n’a pas respecté le délai fixé par ses normes de service pour le traitement des demandes dans les huit programmes que nous avons examinés.
Les personnes présentant une demande au titre des programmes pour les réfugiés ont attendu le plus longtemps, soit en moyenne près de trois ans. À la fin de 2022, environ 99 000 personnes réfugiées attendaient encore une décision concernant leur demande et, elles attendront probablement pendant des années.
Nous avons constaté que la plupart des retards et des arriérés étaient causés par les pratiques de travail du ministère. À titre d’exemple, le ministère ne traitait pas toujours les demandes selon l’ordre dans lequel elles étaient reçues, de sorte que les demandes plus anciennes continuaient de s’accumuler, et il ne tenait pas compte de la capacité de ses bureaux lorsqu’il transmettait les demandes à traiter.
[Français]
De plus, le ministère n’avait pas évalué si son outil automatisé d’évaluation de la recevabilité avait réduit le temps de traitement. Il n’avait pas non plus évalué ni éliminé les écarts non intentionnels dans les résultats.
Le ministère doit analyser son accumulation de demandes pour comprendre les causes profondes des écarts dans les résultats. Il doit aussi s’assurer que les outils qu’il met en œuvre ne contribuent pas à ces écarts, et il doit faire correspondre les charges de travail avec les ressources afin d’améliorer les temps de traitement.
Notre dernier audit a permis d’examiner les mesures prises par six organisations fédérales pour favoriser une culture organisationnelle inclusive et corriger les désavantages que connaissent les personnes racisées en milieu de travail. Nous avons constaté que les six organisations avaient toutes établi des plans d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion, mais qu’aucune d’entre elles ne mesurait ou ne rendait compte de manière exhaustive des progrès accomplis par rapport aux résultats attendus.
Même si les six organisations que nous avons auditées avaient mis leurs efforts à constituer un effectif représentatif de la société canadienne, il ne s’agit là que de la première étape. Elle ne suffit pas à propulser le changement requis pour créer un milieu de travail réellement inclusif. Pour qu’un tel changement se produise, les ministères doivent mobiliser activement les membres du personnel racisés, utiliser les données dont ils disposent pour éclairer la prise de décisions, et tenir les cadres de direction responsables de concrétiser le changement.
[Traduction]
Les enjeux que je soulève aujourd’hui ne sont pas nouveaux. Si la COVID-19 nous a appris quelque chose, c’est qu’une préparation adéquate et une intervention rapide coûtent moins cher et donnent de meilleurs résultats. Je l’ai dit en mars 2021 et je le répète aujourd’hui : il ne devrait pas falloir qu’une crise éclate pour que le gouvernement saisisse l’importance d’agir promptement.
Monsieur le président, je termine ainsi ma déclaration liminaire. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité. Je vous remercie.
[Français]
Le président : Merci beaucoup pour votre déclaration, madame Hogan. Votre présence parmi nous aujourd’hui permet à notre comité de se concentrer sur nos quatre grands principes communs : la transparence, la responsabilité; la fiabilité et la prévisibilité du budget.
Merci encore d’avoir pris le temps de témoigner.
[Traduction]
Avant de céder la parole à la sénatrice Marshall pour entamer la période de questions, et à titre de président du comité, j’aimerais souhaiter la bienvenue à deux nouvelles sénatrices qui sont maintenant des membres permanentes de notre comité. Je vous remercie sincèrement d’avoir choisi le comité des finances. Il ne fait aucun doute que tous les Canadiens, d’un océan à l’autre, trouvent votre expérience louable. Je salue donc la sénatrice Joan Kingston, du Nouveau-Brunswick, et la sénatrice Krista Ross, aussi du Nouveau-Brunswick.
Nous passons maintenant aux questions. Je mentionne aux sénateurs qu’ils disposent chacun d’un maximum de cinq minutes au premier tour, et d’un maximum de trois minutes au deuxième tour. Veuillez donc poser vos questions directement aux témoins, et je demande aux témoins de donner des réponses concises. Notre greffière surveillera le temps.
La sénatrice Marshall : Madame Hogan, je vous remercie et je remercie tous les membres de votre personnel d’être avec nous ce soir.
Mes questions portent sur les deux rapports sur les systèmes de technologie de l’information. J’ai trouvé ces deux rapports très inquiétants, car j’ai l’impression que le gouvernement n’accorde pas autant d’importance qu’il le devrait à ces systèmes. J’ai parlé de vos rapports à des représentants du Conseil du Trésor, de même que d’Emploi et Développement social Canada. Je pense même l’avoir fait avec Services partagés Canada pour essayer de comprendre ce qui se passe.
Lorsque des représentants d’Emploi et Développement social sont venus témoigner et que je leur ai parlé des problèmes soulevés dans votre rapport, leur réponse a été plutôt positive. Quel genre de suivi effectuez-vous après vos audits et vos rapports d’audit? Effectuez-vous un suivi, ou attendez-vous qu’un certain temps se soit écoulé avant d’y retourner? Ce que j’ai entendu ne concorde pas tout à fait avec ce qui se trouve dans votre rapport. Pourriez-vous m’aider à comprendre l’écart entre les deux versions et ce qui a pu se passer?
Mme Hogan : Je vous dirais que cela dépend. Dans certains cas, nous gardons un œil sur ce qui se passe, et dans d’autres, nous estimons qu’il est préférable de donner au gouvernement le temps de mettre en place un plan d’action.
Je dirais que dans ce cas, le gouvernement fait beaucoup de choses. Il consacre beaucoup d’argent et de temps à l’entretien de ses vieux systèmes. Dans le cas de la sécurité de la vieillesse et de l’assurance-emploi, la stabilité des systèmes étant essentielle, il est nécessaire qu’il le fasse, mais le ministère doit aussi décider s’il veut construire, ou acheter, un nouveau système. Les efforts sont concentrés sur le premier élément, sur l’entretien. Je dirais que c’est comme conduire une auto qui a 50 ans. On peut la conduire, mais elle coûte cher d’entretien et n’est sans doute pas toujours fiable, mais il faut décider à un moment donné s’il nous en faut une nouvelle.
La sénatrice Marshall : Quel est le problème au sein du gouvernement? Est-ce une question de leadership? Après avoir parlé au ministère, au Conseil du Trésor et à Services partagés, il semble que les systèmes et la conception des systèmes au sein du gouvernement soient une responsabilité qui est partagée entre différents groupes. Quand on parle à ces différents groupes, il est difficile de comprendre qui exactement assume la responsabilité. Prenons le Programme de modernisation du versement des prestations, qui coûtera 2,5 milliards de dollars. C’est très difficile de comprendre qui en est responsable. Est-ce le ministère, ou est-ce le Conseil du Trésor? Je me demande même s’ils savent exactement qui en est responsable.
Mme Hogan : Dans tous les grands projets comme celui-là, il doit y avoir un ministère central qui rend des comptes. Le terme employé dans la fonction publique pour le désigner est « propriétaire fonctionnel ». Dans le cas de la Modernisation du versement des prestations, vu la nature du programme, ce serait logiquement Emploi et Développement social Canada qui assumerait ce rôle. Dans d’autres cas, ce pourrait être un autre ministère.
Pourquoi n’a-t-on pas investi beaucoup de temps et d’argent dans les TI? Il existe selon moi trois raisons principales. La première est l’absence de surveillance et de leadership centralisés. C’est la fonction publique qui a elle-même décrété, il y a 24 ans, que le système de TI vieillissant était préoccupant. Pourtant, aucun plan n’est encore établi pour entamer la modernisation. La valeur totale en dollars qui devra être investie n’a même pas été déterminée. Il faut vraiment instaurer un leadership plus centralisé avec une composante de surveillance. Des mécanismes de contrôle ont été ajoutés, mais au Secrétariat du Conseil du Trésor, où travaille la dirigeante principale de l’information du Canada, 25 projets peuvent être suivis tout au plus. Or, il y a des milliers de projets.
La deuxième raison est le manque de personnel doté des compétences spécialisées nécessaires à la modernisation. La fonction publique compte du personnel en mesure de maintenir certains des vieux systèmes. Ces compétences sont essentielles pour opérer la transition, mais il faudrait en ajouter d’autres qui seraient liées à l’innovation et au changement.
La troisième raison est probablement la lenteur et la rigidité du processus de financement, qui l’empêchent de s’ajuster aux besoins à court, à moyen et à long terme. Ce processus n’a pas la souplesse nécessaire pour tenir compte que la valeur établie aujourd’hui des dollars à investir pour modifier un système aura diminué au moment de déployer les modifications en question dans 5 ou 10 ans. Le processus de financement devrait être adaptable.
La sénatrice Marshall : D’où viennent les 2,5 milliards de dollars? Habituellement, les budgets rattachés à un programme gouvernemental sont très faciles à trouver dans la documentation du programme en question. Par contre, on ne peut pas en dire autant du programme de modernisation à Emploi et Développement social Canada. Nous savons que le projet est estimé à 2,5 milliards de dollars, mais ce chiffre n’apparaît nulle part. Où est ce montant? A-t-il été morcelé? Est-il réparti entre plusieurs ministères? Comment faire pour recenser ces informations?
Mme Hogan : Il faudrait peut-être consulter une estimation du budget. M. Goulet pourrait ajouter quelque chose s’il le souhaite lorsque j’aurai terminé. Au stade du budget, les fonds ne sont pas tous octroyés la première année. Le versement des fonds au ministère s’échelonne sur une période donnée, mais la première étape est d’établir un budget réel.
La sénatrice Marshall : J’aimerais vérifier s’il me reste encore du temps. M’en reste-il, monsieur le président?
Le président : Vous pouvez poser une dernière question.
La sénatrice Marshall : Votre rapport renferme un rapport succinct sur les audits des états financiers, suivi d’une présentation de l’audit des états financiers consolidés. Vous soulignez dans le rapport succinct les problèmes liés à un certain nombre de systèmes qui génèrent les informations utilisées dans la préparation des Comptes publics du Canada. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Comme le contenu n’est pas très détaillé, je n’ai pas vraiment pu me faire une tête. Je suppose que ces problèmes vous préoccupent, car vous les avez indiqués dans le rapport succinct. Pourtant, lorsque je lis le texte, je ne perçois pas le même niveau de préoccupation.
Mme Hogan : Ce dont vous parlez, ce sont en fait les commentaires sur les audits financiers, que nous publions chaque année lors du dépôt des Comptes publics du Canada et qui renferment mes observations sur les états financiers, y compris sur le système Phénix.
Les préoccupations liées aux TI qui y sont consignées sont du même type que celles qui sont signalées dans nos audits des états financiers des ministères et des sociétés d’État. Elles ne portent habituellement pas sur des changements de systèmes tels que ceux que nous avons recommandés dans nos deux audits de performance. Elles traitent plutôt des problèmes que nous relevons lorsque nous regroupons les états financiers. Souvent, ce sont des problèmes liés, par exemple, au contrôle de l’accès ou encore aux utilisateurs qui ont accès à des informations financières dont ils n’ont pas besoin ou qui disposent d’un trop grand accès pour ce qu’exigent leurs tâches. Les recommandations en question visent en fait à améliorer les contrôles financiers lors de la préparation des états financiers. Elles n’appartiennent pas à la même catégorie que celles qui portent sur le remplacement des infrastructures de TI vieillissantes.
La sénatrice Marshall : Les préoccupations que vous avez soulevées concernant les informations utilisées pour générer les Comptes publics sont-elles de la même ampleur que les observations que vous avez formulées sur le système d’Emploi et Développement social Canada?
Mme Hogan : Les systèmes qui assurent le traitement des prestations de la Sécurité de la vieillesse et de l’assurance-emploi apparaissent dans les chiffres des Comptes publics du Canada. Ces systèmes sont encore fonctionnels, mais comme ils sont très âgés, ils risquent de tomber en panne. Plus ils sont vieux et plus le gouvernement attend pour les remplacer, plus le risque est élevé qu’ils flanchent et que les prestations ne soient pas versées aux Canadiens. Il y a une grande différence entre la préparation d’états financiers et la prestation de soutien au revenu pour les Canadiens qui en ont besoin.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci beaucoup de votre présence, qui nous donne l’occasion d’apprendre des choses fort intéressantes, mais qui sont aussi fort inquiétantes.
Je prenais connaissance, pendant votre intervention, qu’il y avait d’entrée de jeu 7 500 applications en usage actuellement qui sont en mauvais état, dont 562 essentielles pour la santé, la sûreté, la sécurité ou le bien-être économique. On pense entre autres à ce qui s’est passé avec Phénix ou aux ratés, particulièrement dans le domaine de l’immigration.
À la suite de votre rapport, êtes-vous en mesure de vérifier si des mesures ont été prises?
Ce qui me préoccupe beaucoup, c’est qu’on dirait qu’il n’y a pas de coordination. On dirait qu’on fait de la gestion à court terme et que personne ne prend vraiment en charge cet enjeu qui est capital pour la sécurité des Canadiens et des Canadiennes.
Mme Hogan : Oui, je dirais qu’il y a un manque de leadership central qui devrait être exercé par le Secrétariat du Conseil du Trésor.
On a mené un sondage auprès de plusieurs ministères lors de notre audit sur la modernisation des systèmes de technologie de l’information. Plusieurs ministères nous ont répondu qu’ils n’avaient pas assez d’argent pour moderniser leur système et ils font donc le choix de seulement continuer à exploiter les systèmes.
Le besoin d’une approche différente se fait vraiment sentir au sein du gouvernement, et cela débute par un leadership central pour s’assurer que tous les systèmes en mauvais état sont identifiés. La liste est incomplète en ce moment, parce qu’elle n’est pas à jour, et certains ministères ne fournissent pas l’information en temps opportun sur le coût qui s’y rattache. Il s’agit d’une information nécessaire pour moderniser tous les systèmes.
Ensuite, le gouvernement pourrait établir des priorités. C’est pour cette raison qu’une de nos recommandations était vraiment de prioriser les sommes limitées vers les systèmes les plus critiques afin de se doter d’un vrai plan.
J’avoue que cela me rend perplexe, car après 24 ans, il n’y a pas encore de plan.
Le sénateur Forest : Vous disiez plus tôt qu’il y avait certains plans d’action, mais qu’on ne faisait pas d’évaluation. Cela m’apparaît comme une notion d’indicateurs de performance et d’imputabilité qui n’est pas présente dans l’ensemble des fonctions du gouvernement.
Qui est vraiment imputable d’une situation critique pour le pays et en ce qui concerne certains plans d’action et objectifs qu’on se donne? Vous le notez dans plusieurs des rapports que vous avez produits, mais sentez-vous que cette notion d’imputabilité et d’indicateurs de performance est présente au sein des ministères et des organismes?
Mme Hogan : Honnêtement, je pense que cela dépend. C’est la réponse que je vous donnerais. La fonction publique est excellente pour rédiger des plans d’action, mais souvent, la mise en œuvre est tardive ou rate l’objectif.
Souvent, nous sommes concentrés sur le fait de faire quelque chose au lieu de s’assurer que les résultats sont atteints.
L’imputabilité, selon moi, doit être attribuée au sous-ministre de chacun des ministères. Ils doivent s’assurer que leurs plans d’action sont vraiment mis en œuvre et de déterminer leurs besoins.
Quand la réponse est qu’il y a eu un manque d’investissement pendant des décennies au chapitre des systèmes de technologie de l’information, il est certain qu’il faudra un leadership central pour régler le problème. C’est différent d’un enjeu dans un seul ministère; il y a vraiment un plus gros problème au sein du gouvernement quand il est question des systèmes d’information technologique.
Le sénateur Forest : En réalité, ce n’est pas « sexy » de vouloir actualiser nos systèmes informatiques; c’est clair que sur le plan politique, ce n’est peut-être pas la grande priorité.
Selon vous, qui devrait porter cette responsabilité de mettre son pied à terre et d’affirmer que nous sommes en train de fragiliser nos services publics, soit des services liés à la santé et à la sécurité? Est-ce que ce devrait être le Conseil privé? Selon vous, qui devrait assumer cette responsabilité?
Mme Hogan : C’est vrai que la tension entre le politique et la fonction publique, c’est difficile. Le politique a vraiment un champ de vision à court terme; habituellement d’une durée de quatre ans ou moins. C’est la responsabilité de la fonction publique de s’assurer de penser aux prochaines générations et d’avoir un aperçu à long terme.
Cela dépend encore des enjeux. S’il s’agit d’un enjeu lié à un seul ministère, c’est au sous-ministre de s’assurer qu’il a une bonne discussion avec son ministre. Quand cela devient plus large à l’échelle du gouvernement, le rôle pourrait être jumelé entre les organismes centraux, comme le Conseil du Trésor, et le représentant du ministère qui devrait parler au ministre responsable.
Il faut s’attendre à devoir investir dans ce qu’on ne voit pas si on veut s’assurer d’un bon fonctionnement pour les générations à venir.
Le sénateur Forest : Vous dites que nous sommes des spécialistes de l’élaboration des plans, mais qu’on ne semble pas très forts pour évaluer dans quelle mesure on pourra atteindre nos objectifs. On ne semble pas très forts non plus pour assurer un suivi de ces beaux plans. En fait, on élabore de beaux plans, mais c’est comme un rêve ou un souhait; on ne semble pas faire de suivi professionnel et serré des plans d’action qu’on réussit à se donner.
Mme Hogan : Je dirais encore que cela dépend. Pour ce qui est des audits sur la technologie de l’information, premièrement, il n’y a pas de plan; il faut avoir un plan de modernisation. Cela serait le premier pas dans la bonne direction.
Si je pense à notre audit sur l’inclusion dans la fonction publique, je dirais qu’il y a beaucoup de belles activités qui ont été réalisées, qui ont vraiment changé le visage de la fonction publique. Cependant, tout le monde était concentré sur les actions et non sur les résultats. Il y a aussi un manque lorsqu’il s’agit de vraiment se pencher sur les résultats pour voir si les fonctionnaires racisés se sentent vraiment valorisés et inclus dans la fonction publique, ou si on a juste changé le visage de la fonction publique.
Je dirais qu’il y a les deux, de bons plans et le fait d’avoir comme objectif les résultats.
[Traduction]
Le sénateur Loffreda : Merci de votre présence parmi nous aujourd’hui. Merci également pour les rapports d’audits et pour votre déclaration liminaire, même si ce que vous décrivez est préoccupant.
Je vais commencer par le premier sujet dont vous avez traité dans votre déclaration liminaire, soit l’audit sur la résistance aux antimicrobiens. Vous faites un constat percutant lorsque vous soulignez que le taux de résistance aux antibiotiques de première ligne au Canada estimé à 26 % en 2018 atteindra vraisemblablement 40 % d’ici 2050. Vous avez conclu que le gouvernement fédéral n’en avait pas fait assez pour régler le problème. Vous avez dit également que l’Agence de la santé publique du Canada avait publié le Plan d’action pancanadien sur la résistance aux antimicrobiens en juin 2023, mais que ce plan est incomplet. Les organismes concernés savent que si nous convainquions les pharmaceutiques à commercialiser de nouveaux médicaments au Canada, le problème serait réglé, mais qu’il faudrait pour cela mettre en place des mesures incitatives réglementaires et économiques. Avez-vous recensé les mesures incitatives essentielles qu’il faudrait prendre? Pourquoi ne sont‑elles pas encore en place? À quel moment le seront-elles? C’est très important pour les Canadiens. Vous terminez avec une autre déclaration massue en soulignant que ces enjeux ne sont pas nouveaux. Vous ajoutez que si la COVID-19 nous a appris quelque chose, c’est qu’une préparation adéquate et une intervention rapide coûtent moins cher et donnent de meilleurs résultats. Vous réitérez aujourd’hui ce que vous avez dit en mars 2021 : il ne devrait pas falloir qu’une crise éclate pour que le gouvernement saisisse l’importance d’agir promptement. Ce sont des déclarations très fortes. Pourriez-vous expliquer comment vous ferez le suivi? Quelles mesures économiques et réglementaires devraient être mises en œuvre? Doit-on adopter de nouvelles lois? Bref, j’aimerais savoir comment vous allez suivre l’évolution de ces enjeux.
Mme Hogan : C’est la deuxième fois que nous vérifions la résistance aux antimicrobiens; nous l’avions déjà fait en 2015. Bien que nous ayons constaté certains progrès, je dirais qu’ils sont modestes. L’Organisation mondiale de la santé classe la résistance aux antimicrobiens parmi les 20 principales crises de santé publique auxquelles le monde est confronté, si bien que nous avons tous fait une pause et retenu notre souffle pendant la pandémie, mais c’est quelque chose dont nous étions conscients avant. Des mesures plus efficaces sont nécessaires.
En ce qui concerne les incitatifs réglementaires et économiques que vous avez mentionnés, on savait déjà en 2015, et les ministères l’ont reconnu, qu’il fallait faire quelque chose. Pour ce qui est des mesures à prendre, ce n’est pas moi qui dis au gouvernement quelle politique ou quel cadre réglementaire doit être mis en place. Je ne peux que l’obliger à respecter ses plans et ses engagements et à vérifier ensuite s’il a agi en fonction de la nouvelle politique qu’il a mise en place.
L’accès à de nouveaux médicaments est important, car les virus évoluent en permanence. Veiller à ce que le Canada continue d’avoir accès aux médicaments nouveaux et émergents aiderait les personnes qui pourraient en avoir besoin pour survivre. La situation est préoccupante, car il existe des médicaments, mais ils ne sont pas disponibles au Canada.
J’encourage l’Agence de santé publique du Canada et Santé Canada à consacrer des ressources et un budget. Jusqu’à l’année dernière, tous les travaux réalisés sur la résistance aux antimicrobiens étaient financés par leur budget existant — il n’y avait pas de financement dédié —, et je pense que c’est en partie la raison pour laquelle nous avons vu très peu de progrès depuis notre audit précédent en 2015.
Le sénateur Loffreda : Pourquoi n’y a-t-il pas de financement dédié? Est-ce parce que c’est une question de perception? Le public ne le voit pas et n’y prête donc pas attention?
En ce qui concerne les États-Unis, vous avez déclaré que deux des 13 nouveaux antibiotiques utilisés pour lutter contre les infections résistantes aux médicaments sont disponibles au Canada, alors que les 13 médicaments sont disponibles aux États-Unis. Pourquoi y a-t-il une si grande différence?
J’aimerais vous laisser le temps de répondre à cette question, mais je vois que vous avez formulé des recommandations, comme le font les grands vérificateurs — et vous faites un excellent travail. Je vous en remercie. Le rapport est très perspicace. Je l’ai lu en détail. Vous faites des recommandations de 6.24 à 6.64. Pensez-vous que ces recommandations régleront le problème? Si elles ne sont pas mises en œuvre, quelles seront les conséquences pour notre gouvernement? Dans le secteur privé, d’où je viens, les conséquences sont énormes lorsqu’un audit est réalisé et que les recommandations ne sont pas mises en œuvre. Les personnes concernées doivent rendre des comptes et perdent leur emploi.
Mme Hogan : Vous avez posé de nombreuses questions.
Je commencerai par la différence d’accès. La différence entre le Canada et les États-Unis est que la plupart des fabricants de médicaments antiviraux se trouvent aux États-Unis et non pas au Canada. Le Canada a une capacité de fabrication très limitée. Pour garantir l’accès au Canada, comme vous l’avez mentionné, il faut des incitatifs économiques et réglementaires pour que les fabricants veuillent soutenir le Canada.
Je pense que nos recommandations vont certainement faire bouger les choses. Je m’attends à ce que les ministères agissent rapidement. Comme je l’ai mentionné précédemment, mon opinion sur le manque d’action est probablement liée à l’absence de budget. On ne peut pas vraiment s’attendre à ce que quelque chose progresse, même si l’on dispose d’un plan d’action, si l’on ne dispose pas des ressources nécessaires pour le faire avancer. Le budget de 2023 prévoyait un certain financement, et le temps nous dira si les ministères prennent les mesures auxquelles nous nous attendons.
Le sénateur Loffreda : Les budgets sont établis par le gouvernement. Ces dernières années, les dépenses ont augmenté de manière substantielle, et j’espère donc que cela sera pris en compte à l’avenir. Vous recommandez de donner la priorité à la santé et à la sécurité.
Mme Hogan : Le gouvernement a de nombreuses dépenses, et c’est pourquoi il doit avoir une vue d’ensemble de ce qu’il doit faire. Ensuite, chaque service doit contribuer à établir des priorités dans l’utilisation des fonds qu’il reçoit, de la meilleure manière possible. Tout le monde en est conscient, et des progrès doivent être réalisés.
Le sénateur Loffreda : Pour conclure, vous ne faites pas de recommandation ferme sur ce qui devrait être prioritaire; en tant que vérificatrice, vous ne faites que souligner les faiblesses, formuler des recommandations et assurer le suivi?
Mme Hogan : Il appartient à chaque sous-ministre de décider de la façon optimale d’utiliser son budget.
Le sénateur Loffreda : Son budget. Merci.
La sénatrice Pate : Merci à vous tous d’être ici, et je tiens à vous remercier spécialement de tout le travail que vous faites. Nous vous en sommes reconnaissants.
En examinant ce processus et en entendant parler plus particulièrement du Programme de modernisation du versement des prestations, on regarde la Sécurité de la vieillesse, y compris le Supplément de revenu garanti pour les aînés. Compte tenu du nombre de personnes qui pourraient être touchées si ce programme n’est pas modernisé, que pensez-vous qu’il se passera si on ne rationalise pas certaines de ces prestations? Je pose la question en tenant compte du fait qu’ils sont également en train de concevoir une autre prestation d’invalidité du Canada. Ils sont censés réformer le système de l’assurance-emploi, car il s’est avéré inadapté pendant la pandémie. Y a-t-il des recommandations internes que vous leur faites sur les éléments qui pourraient être rationalisés s’ils ne sont pas immédiatement apparents pour les ministères?
Mme Hogan : Je vais commencer par vous parler du nombre de personnes qui pourraient être touchées par cette mesure.
En 2022-2023, avec les trois prestations dont nous parlons, à savoir la Sécurité de la vieillesse, l’assurance-emploi et le Régime de pensions du Canada, 150 milliards de dollars ont été versés à plus de 10 millions de Canadiens, de sorte que nous parlons certainement d’une incidence beaucoup plus importante que lorsque nous aurions examiné le système de rémunération Phénix. C’est à une échelle beaucoup plus importante.
Comme je l’ai dit tout à l’heure, les systèmes sont assez vieux. Certains ont jusqu’à 60 ans. En fait, le système sur lequel fonctionne la Sécurité de la vieillesse a 60 ans. Comme je l’ai mentionné, beaucoup de temps et d’efforts sont consacrés à sa réparation et à son entretien, et il fonctionne. C’est pourquoi j’ai été ravie qu’on décide d’accorder la priorité à cette plateforme de prestations, parce que c’est la plus ancienne. C’est celle qui risque le plus de tomber en panne et qui aurait une incidence sur un grand nombre de Canadiens parmi les plus vulnérables.
On accorde la priorité à la stabilisation du système, ce qui est le cas aujourd’hui, mais c’est cette partie de la transition qui est prioritaire. Il y a un deuxième volet, qui consiste à moderniser le système de la Sécurité de la vieillesse. C’est ce que vous avez évoqué à propos des nouveaux systèmes ou de leur adaptation aux besoins des Canadiens. Je crains que cet aspect ne soit oublié parce qu’il faudrait beaucoup de temps et d’argent pour moderniser et stabiliser d’aussi vieux systèmes. J’espère que le gouvernement se souviendra des leçons tirées de Phénix, qu’il saura qu’il ne faut pas perdre de vue le résultat et qu’il veillera non seulement à stabiliser ses systèmes informatiques, mais aussi à en moderniser la prestation.
En ce qui concerne les éléments à moderniser — c’était probablement votre dernière question —, c’est vraiment au gouvernement de décider. La décision politique sur la manière de structurer la Sécurité de la vieillesse, la pension de retraite du RPC ou l’assurance-emploi revient au gouvernement qui détermine ce à quoi cela doit ressembler à court terme et pour les générations futures.
La sénatrice Pate : Je pense que j’ai essayé d’aborder la question un peu différemment pour la rendre plus ouverte, mais permettez-moi d’être très direct. On a beaucoup parlé du fait que nous avons rationalisé et modernisé le système de Revenu Canada. C’était le seul à pouvoir déployer des ressources, si j’ai bien compris, comme on nous l’a dit, de manière plus efficacement pendant la pandémie. Le gouvernement a déclaré qu’il donnait la priorité à la mise en ligne des personnes, en particulier celles qui pourraient être admissibles à des prestations mais ne le savent même pas et ne déclarent pas leurs impôts. À votre avis, le fait de moderniser ce système et d’y accorder la priorité serait-il un bon point de départ pour le gouvernement?
Mme Hogan : Faites-vous référence au système utilisé par l’Agence du revenu du Canada, comme Mon Compte, avec lequel nous interagissons tous lorsque nous remplissons nos déclarations d’impôts? Étant donné que ces deux systèmes ont des objectifs différents, il m’est difficile de dire si l’amélioration de Mon Compte pourrait contribuer à la mise en œuvre de programmes de soutien au revenu comme celui-ci. Mais je peux vous dire que le régime de réglementation entourant ces trois programmes est complexe, ce qui complique la tâche lorsqu’on essaie de moderniser le système informatique. Il y a beaucoup de règles et de règlements qui doivent être incorporés et pris en compte, et il faut y ajouter la protection des renseignements personnels et le bilinguisme. Il est complexe de mettre à jour certains de ces systèmes. Par conséquent, toute rationalisation de ce genre rendrait le projet moins coûteux et plus rapide, du moins nous l’espérons.
La sénatrice Pate : Je pensais moins au programme Mon Compte qu’au processus de centralisation d’une base de données ou d’un système qui pourrait alors fonctionner...
Mme Hogan : Lorsque nous avons examiné certains des programmes relatifs à la COVID, nous avons parlé d’identité numérique. Un contribuable aurait une seule identité et interagirait avec le gouvernement fédéral ou tous les niveaux de gouvernement avec cette identité. C’est ce qui se fait dans d’autres pays, et cela simplifierait grandement les interactions entre l’utilisateur et son gouvernement, ainsi que l’accès aux prestations. Il n’est peut-être pas nécessaire de s’adresser à de nombreux services, car les programmes sont cloisonnés en fonction du ministère auxquels ils appartiennent et de qui est responsable de leur mise en œuvre. Nous envisageons de réexaminer cette question, car nous pensons qu’il est important de faire progresser la modernisation du gouvernement.
Je pense que c’est l’Agence du revenu du Canada — je vais demander à Jean Goulet d’intervenir — qui étudie un programme visant à obtenir plus de renseignements en temps réel sur la rémunération et les salaires, et toute cette modernisation contribuerait à améliorer les programmes d’aide au revenu ou d’autres programmes qui pourraient être proposés par le gouvernement aux Canadiens.
Voulez-vous ajouter quelque chose à cela, monsieur Goulet?
Jean Goulet, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada : En ce qui concerne l’identification numérique, il s’agit d’un autre audit que nous avons lancé, afin d’examiner la manière dont le gouvernement s’y prend. Ce que nous constatons, c’est que chaque Canadien qui souhaite traiter avec le gouvernement doit s’adresser à chaque service ou même à chaque application, alors que nous avons besoin d’une approche centralisée pour réduire le nombre de mots de passe, par exemple. C’est l’un des moyens d’y parvenir. Le gouvernement s’oriente dans cette direction, et nous effectuons un audit à ce sujet pour voir à quelle vitesse et comment les choses vont se dérouler.
La sénatrice Pate : Quand cet audit est-il prévu?
Mme Hogan : À l’automne 2024.
La sénatrice Pate : Je l’attends avec impatience.
La sénatrice MacAdam : Merci d’être ici et merci du travail inestimable que vous faites pour le Parlement.
Je me demande si vous pouvez répondre à une question sur le commentaire des états financiers.
Mme Hogan : J’y répondrai certainement. Je ne peux pas garantir que j’aurai une bonne réponse à vous fournir, mais nous essaierons.
La sénatrice MacAdam : Nous semblons mettre l’accent sur les vérifications de gestion, mais j’avais une question à poser. Je vous en suis reconnaissante.
Dans votre commentaire sur les audits financiers de 2022-2023, vous avez exprimé des préoccupations concernant le processus du gouvernement pour relever et récupérer les trop‑perçus ou les paiements effectués à des bénéficiaires non admissibles de prestations liées à la COVID-19. Dans votre commentaire, vous faites référence à une vérification de gestion de 2022 dont le titre est les prestations liées à la COVID-19, dans lequel votre rapport estimait qu’au moins 27,4 milliards de dollars de paiements à des particuliers et à des entreprises devraient faire l’objet d’une enquête plus approfondie par l’entremise d’une vérification après paiement afin de confirmer leur admissibilité. Vous demandiez à l’ARC et à Emploi et Développement social Canada de mettre à jour les plans de vérification après paiement afin de relever les paiements de prestations non admissibles. Dans votre commentaire, vous signalez que votre bureau reste préoccupé par le fait que le gouvernement pourrait ne pas enquêter sur des montants importants de paiements effectués à des particuliers ou des entreprises non admissibles. Je me demande si vous pouvez nous en dire plus à ce sujet. Êtes-vous satisfait du travail de vérification après paiement qui a été effectué jusqu’à présent? Je pense qu’avec une telle somme d’argent, le travail de vérification après paiement prendra un certain temps. Je voulais simplement obtenir plus de renseignements sur cette question. Il est évident que vous êtes très préoccupée par cette question si elle figure dans votre commentaire.
Mme Hogan : Je continue d’être préoccupée par ce que je considère comme étant un manque de rigueur et de portée du travail post-paiement. Les plans établis par l’ARC et EDSC sont, à mon avis, insuffisants. C’est le travail après paiement que les services effectuent habituellement dans une situation très inhabituelle.
Dans bien des cas, si l’on examine le programme d’assurance-emploi, par exemple, il existe un processus rigoureux d’examen des candidats pour s’assurer qu’ils sont admissibles aux prestations, et il y a encore un certain niveau de travail de vérification après paiement pour confirmer l’admissibilité. Lorsque nous avons examiné les programmes relatifs à la COVID-19, nous avons constaté que la plupart d’entre eux ne comportaient que très peu de contrôles avant paiement. Le but était d’accélérer les paiements, ce qui est une pratique exemplaire en cas d’urgence. Mais lorsqu’on réduit le nombre de contrôles avant paiement, il faut vraiment mettre en place un plan rigoureux après paiement. Durant certains de nos premiers audits de la Prestation canadienne d’urgence et de la Subvention salariale d’urgence du Canada, ces plans n’avaient pas encore été établis. Lorsque nous nous sommes penchés sur l’audit portant précisément sur les prestations liées à la COVID-19, nous avons été en mesure d’examiner les plans. Nous avons estimé qu’ils n’étaient pas assez rigoureux. Le suivi ne traitait pas tous les contribuables de manière équitable.
Je soulèverais deux préoccupations à ce sujet. Si vous relevez, par exemple, 100 000 personnes susceptibles de ne pas être admissibles en raison de certains critères, vous devez effectuer un suivi auprès de l’ensemble des 100 000 personnes, et non pas auprès d’un sous-ensemble d’entre elles. C’est parfois ce que nous constatons : seulement un groupe d’entreprises ou de personnes fait l’objet d’un suivi alors qu’une population plus large pourrait ne pas remplir les critères d’admissibilité.
La deuxième est le temps que cela prend pour le faire. Je reconnais que cela prendra un certain temps, mais il y a un délai réglementaire où le gouvernement ne peut prendre qu’un certain nombre d’années pour informer un contribuable qu’il a peut-être reçu quelque chose par erreur. Ce délai approche à grands pas. Nous craignons que le gouvernement ne soit pas en mesure d’identifier les personnes qui ne sont pas admissibles.
Nous avons formulé de nombreuses recommandations, la première étant qu’ils devraient d’abord déterminer les entreprises et les personnes qui ne sont pas admissibles, puis décider s’ils comptent essayer de récupérer les sommes versées. Ils peuvent décider, pour de nombreuses raisons, de ne pas essayer de récupérer les sommes auprès de tout le monde, mais il faut commencer par déterminer combien de personnes et d’entreprises ont reçu des paiements alors qu’elles n’étaient pas admissibles.
La sénatrice MacAdam : Je vous remercie.
Le sénateur McNair : Merci, madame la vérificatrice générale, de votre présence ici ce soir, et merci à votre personnel. Nous vous en sommes reconnaissants, et c’est très instructif pour nous.
Vous parlez des programmes d’aide au revenu, de la Sécurité de la vieillesse, du Régime de pensions du Canada et de l’assurance-emploi, et ce soir, vous avez mentionné l’ampleur du problème, à savoir 150 milliards de dollars pour 10 millions de Canadiens. C’est énorme, et il y a un risque d’échec. Avez-vous l’impression que des leçons ont été tirées de Phénix et que nous sommes prêts à aller de l’avant avec, essentiellement, le sentiment d’urgence nécessaire pour éviter tout risque d’échec?
Mme Hogan : Nous avons évidemment cherché à déterminer si le gouvernement a tiré des leçons de la mise en œuvre de Phénix, un programme très important. Ce que nous avons constaté, c’est que des leçons ont assurément été tirées.
On cherche actuellement à obtenir des conseils externes indépendants. L’augmentation des coûts est partiellement liée aux services d’un tiers, dont le mandat est d’examiner le budget initial et de s’assurer qu’il intègre les pratiques exemplaires de l’industrie et qu’il est complet.
Nous constatons une meilleure surveillance, sans aucun doute. Le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada a exercé un contrôle sur ce projet. Cela fait partie des 25 projets qu’il examine. Il a notamment recommandé d’accorder la priorité à la stabilisation de la Sécurité de la vieillesse avant d’essayer de la moderniser. Cela a entraîné un certain changement d’approche. On peut constater que des leçons ont été tirées des conseils externes. Une meilleure surveillance par la haute direction a son importance.
Nous nous sommes aussi concentrés sur les informations que reçoivent les responsables de la supervision, car c’était une préoccupation durant la mise en œuvre de Phénix. Nous avons constaté que les informations étaient justes et meilleures que ce qu’on a vu dans le cas de Phénix. Elles étaient exactes à l’époque. Ce que je veux dire, c’est qu’il s’agit d’un projet en constante évolution.
C’est ma principale préoccupation, car l’une des plus importantes leçons de Phénix, c’est qu’il importe de ne pas perdre l’objectif de vue, qui était d’avoir un système de rémunération capable de payer les fonctionnaires avec exactitude et dans les délais. On a donné la priorité au budget en supprimant certaines fonctionnalités, ce qui a nui à la capacité de verser la paie avec exactitude et à temps.
J’espère, alors que la priorité est accordée à la stabilisation du système — ce qui est judicieux —, qu’on n’oubliera pas qu’il faut aussi le moderniser et, peut-être, en simplifier les éléments techniques pour améliorer l’accès et la convivialité pour les Canadiens, afin qu’ils puissent avoir accès à ces programmes. La plupart des Canadiens recevront, à un moment ou à un autre de leur vie, une prestation de l’un de ces trois programmes. On ne parle pas seulement d’aujourd’hui, mais aussi des générations futures.
Le sénateur McNair : Dans la même veine, je m’intéresse aux cinq vérifications que vous avez effectuées en octobre dernier. Quelle a été la réponse du gouvernement, en général, à votre égard? Est-ce positif? Avez-vous constaté que des mesures ont été prises à ce jour en réponse aux préoccupations que vous avez soulevées ou à vos recommandations?
Mme Hogan : Eh bien, je pourrais dire qu’il faudrait que je regarde toutes les personnes qui m’accompagnent pour savoir si des mesures ont été prises rapidement.
Je constate que la modernisation des TI et le programme de modernisation du versement des prestations font l’objet de beaucoup de discussions. Le dialogue est mieux que rien, mais encore une fois, ce que je veux faire valoir, c’est que s’il est formidable d’avoir un plan d’action, il reste à voir s’il sera mis en œuvre. Je dirais que c’est là où j’en suis par rapport à ces cinq vérifications.
Le point le plus important que je soulèverais porte sur l’inclusion en milieu de travail pour le personnel racisé. Nous avons fait des vérifications dans six ministères seulement, mais nos conclusions devraient vraiment être une sonnette d’alarme pour tout le monde. Chaque ministère de la fonction publique devrait examiner ce rapport et se demander ce qu’il fait à cet égard, s’il change vraiment le visage de la fonction publique ou s’il veille à ce que les gens se sentent inclus lorsqu’ils viennent travailler.
Je pense, pour tous ces points, que le temps nous le dira, mais dans tous les cas, il faut agir avec célérité et à long terme.
Le sénateur McNair : Vous avez mentionné l’inclusion en milieu de travail du personnel racisé, et votre message était on ne peut plus clair : ce message ne devrait pas seulement s’adresser aux six organisations. Comment avez-vous choisi ces six organisations? Y a-t-il une raison pour laquelle vous les avez choisies?
Mme Hogan : Nous nous sommes concentrés sur les organisations responsables de la sécurité et de l’administration de la justice, qui représentent environ 21 % des fonctionnaires de l’administration publique centrale. En choisissant un groupe d’organismes ayant un rôle ou fonctionnant dans un cadre semblable ou relevant d’un cadre similaire, nous pensions observer des pratiques exemplaires ou certaines activités communes. Nous avons plutôt constaté des résultats très disparates. Les résultats étaient très différents, et si vous remplaciez ces six organisations par six autres, les résultats seraient probablement précis.
Essayer d’atteindre les objectifs d’équité en matière d’emploi ne suffit pas. Il faut aussi réfléchir à la culture et à l’inclusivité de cette culture, responsabiliser des comptes à la haute direction afin qu’elle favorise les changements nécessaires pour changer la culture, pour que les gens se sentent inclus. Vient ensuite le besoin fondamental de données. Il faut pouvoir mesurer ce que l’on tente de changer pour savoir si le changement se concrétise.
La sénatrice Kingston : Merci à tous de votre présence.
Je vais revenir à la question des antimicrobiens, car c’est un sujet qui m’intéresse.
Au cours des 34 dernières années, l’industrie pharmaceutique a fait autant d’efforts que toute autre partie du système pour améliorer la longévité, sauver des vies, etc. À une certaine époque, j’ai travaillé en néonatalogie, et quand on regarde ce qui se passe, c’est d’une importance capitale.
Concernant les 13 nouveaux antibiotiques de dernier recours, vous avez indiqué qu’en 2020, nous accusions du retard par rapport à de nombreux autres pays. Lorsque vous parlez de cette question, cela inclut-il une variété de choses? Vous avez parlé de la résistance aux médicaments, ce qui est une catégorie distincte, à mon avis. Avez-vous examiné les antiviraux, les nouveaux antibiotiques et les antibiotiques pour les infections résistantes aux médicaments? Lesquels de ces 13 antibiotiques ne sont pas accessibles au Canada?
Mme Hogan : Madame Armutlu, il est possible que je vous demande d’intervenir pour donner des détails.
Je pense que j’examinerais la question sous l’angle inverse. Il existe des médicaments antimicrobiens, comme les antibiotiques ou les antifongiques, que tout le monde utilise. Si ces médicaments sont trop utilisés ou trop prescrits, ou encore s’ils sont présents dans l’alimentation des animaux destinés à la consommation, le corps développe une résistance et nous devons alors avoir recours à une autre série d’antimicrobiens.
Les 13 médicaments en question sont des antimicrobiens de dernier recours, des médicaments qu’il faut conserver et utiliser seulement lorsque tous les autres ne fonctionnent pas. Au pays, l’accès à ces nouveaux médicaments permet de fournir des soins de santé au fur et à mesure que les virus évoluent. Le gouvernement n’est pas vraiment axé sur l’amélioration de l’accès pour la population. Il a pris peu de mesures à cet égard, c’est-à-dire que contrairement à d’autres pays, il n’a pas modifié la réglementation ou mis en place des mesures incitatives pour ouvrir l’accès à ces médicaments.
Je vais demander à Mme Armutlu si elle souhaite ajouter quelque chose. Ensuite, je verrai si nous avons bien répondu à votre question.
Markirit Armutlu, directrice principale, Bureau du vérificateur général du Canada : Vous avez fait de l’excellent travail.
À la fin de la période d’audit, 29 antibiotiques de dernier recours étaient disponibles à l’échelle internationale, dont 13 antibiotiques mis au point au cours des 10 dernières années et donc considérés comme plus récents. Nous n’avons accès qu’à deux d’entre eux. D’après ce que nous savons, le budget de 2023 servira à améliorer l’accès. C’est ce qu’on nous a dit au cours de notre audit. Il y a donc une certaine initiative en ce sens.
La sénatrice Kingston : Cela sous-entend qu’il y a un plan. Lorsque vous dites qu’il n’y a aucune couverture, que voulez‑vous dire exactement? Pour moi, cela signifie qu’il n’y a pas de plan. De toute évidence, l’Agence de la santé publique du Canada participe à l’élaboration du plan et de la réglementation nécessaires pour que ces médicaments soient disponibles au Canada, mais lorsque vous dites qu’il n’y a pas de couverture, beaucoup de médicaments dont vous parlez sont utilisés dans le système de soins de courte durée, où la couverture individuelle n’est pas nécessaire.
Mme Armutlu : Parlons-nous de l’accès au marché?
La sénatrice Kingston : J’ai noté cela durant votre intervention. Je pensais que vous aviez dit qu’il n’y a pas de plan ni de couverture. Parliez-vous de la couverture pour les antibiotiques au sens financier du terme?
Mme Armutlu : Oui.
Mme Hogan : Il n’existe aucun budget dédié pour essayer d’obtenir l’accès à ces antibiotiques. Actuellement, l’Agence de la santé publique et Santé Canada puisent à même leur budget et consacrent des fonds à l’avancement de la recherche ou à la collecte d’informations. La mise en place d’incitatifs économiques ou la modification de la réglementation nécessite du financement dédié. Il faut donc affecter du personnel à cette tâche et offrir le financement nécessaire pour appuyer ces activités et obtenir des progrès.
La sénatrice Kingston : Je m’intéresse aux incitatifs économiques, car de toute évidence, il se développe des choses dans le monde entier. C’est ainsi que cela fonctionne pour les nouveaux médicaments. Selon vous, quelles mesures incitatives pourraient donner des résultats?
Mme Hogan : Encore une fois, ce n’est pas moi qui rédigerai la politique relative aux mesures incitatives économiques, mais si l’on regarde ce qui se fait dans d’autres pays, cela pourrait s’agir de mesures pour favoriser la fabrication au pays ou pour améliorer l’accès aux médicaments, même si notre marché n’est pas très grand. L’industrie est prête à servir le Canada même si la demande n’est pas très importante. Les sociétés pharmaceutiques auront besoin de mesures incitatives pour le faire. C’est ce que nous voyons dans d’autres pays.
La sénatrice Kingston : J’aimerais parler des médicaments orphelins une prochaine fois. Je vous remercie.
Mme Hogan : Je suis convaincue que vous pourriez nous aider à mieux comprendre la question des médicaments orphelins.
La sénatrice Ross : Je vous remercie beaucoup d’avoir préparé ces rapports et de les avoir présentés ici ce soir. Il était vraiment intéressant d’entendre ce que vous aviez à dire.
Vous avez mentionné les nombreux retards dans la mise en œuvre des projets de modernisation. Qu’avez-vous entendu à cet égard? Selon vous, qu’est-ce qui a causé la majorité de ces retards? Certains projets n’ont pu être terminés et d’autres ne sont même pas à mi-chemin.
Mme Hogan : Je vais demander à M. Goulet s’il veut intervenir à nouveau.
Pour commencer, le retard le plus important est lié au fait que le gouvernement a reconnu, il y a 24 ans, la nécessité d’élaborer un plan de modernisation de l’infrastructure de TI. Or, 24 ans plus tard, il n’y a toujours pas de plan. Je dirais que c’est ma principale préoccupation.
Le financement et les ressources disponibles sont limités. Il faut donc accorder la priorité aux systèmes névralgiques, lorsque possible. Les retards que nous avons constatés lors de notre examen de la modernisation du versement des prestations découlent de plusieurs facteurs, notamment le manque d’expertise et de ressources et, parfois, le manque de budget pour faire avancer les choses. Le manque d’expertise est préoccupant. D’autres retards sont prévisibles maintenant que le projet a été scindé pour commencer par la stabilisation avant de passer à la modernisation. Du point de vue de l’utilisateur, la modernisation s’impose. À choisir, les Canadiens préféreront la modernisation à la stabilité, mais l’approche adoptée par le gouvernement est la bonne. Les ministères chargés du projet seraient mieux placés pour répondre à la question. Il faudrait donc demander à Emploi et Développement social Canada pourquoi cela prend autant de temps.
La sénatrice Ross : Dans le cadre de votre travail, avez-vous relevé dans d’autres projets de TI des pratiques exemplaires qui pourraient être utiles, du moins pour orienter les travaux liés à ces programmes?
Mme Hogan : Je vais demander à M. Goulet s’il veut faire un commentaire. Lors de notre examen, nous avons cherché à savoir si des leçons ont été retenues de façon à éviter de reproduire les erreurs du passé. Nous étions ravis de voir des points positifs. M. Goulet est notre expert en TI. Je vais lui demander s’il veut parler d’une pratique exemplaire qu’il aurait observée.
M. Goulet : Nous n’avons pas vraiment examiné les pratiques exemplaires, mais nous avons évidemment examiné le cas de Phénix pour voir si les leçons étaient appliquées. Nous avons aussi fait des comparaisons avec des projets semblables réalisés dans le monde entier pour voir comment les choses évoluaient. Notre examen n’était donc pas axé sur les pratiques exemplaires. Il faut comprendre que les technologies de l’information sont très évolutives. On parle beaucoup de projets agiles ces derniers temps, de sorte qu’il est difficile de faire un examen pointu. Nous avons examiné ce qui se fait ailleurs dans le monde.
Nous avons notamment constaté, même à ce moment-ci, que les coûts et le calendrier du programme de modernisation du versement des prestations ont été sous-estimés comparativement à des projets similaires menés ailleurs. C’est l’une des choses que nous avons fait savoir.
Mme Hogan : Le gouvernement essaie de déterminer si le fait que les budgets initiaux ne sont peut-être pas aussi complets ou précis qu’ils le devraient découle fondamentalement du mécanisme de financement et, peut-être, des possibles répercussions associées à sa rigidité. Est-ce en raison d’un manque de compétences en innovation? Est-ce une question de complexité? Je pense qu’il y a de nombreuses raisons pour lesquelles le gouvernement doit revoir les mécanismes de financement des grands projets de TI et essayer quelque chose de différent.
M. Goulet : Permettez-moi d’ajouter que le mécanisme de financement est l’un des facteurs qui contribuent aux retards, car la préparation, la présentation et, enfin, l’approbation des présentations au Conseil du Trésor prennent beaucoup de temps.
La sénatrice Ross : J’ai été étonnée d’entendre, dans votre déclaration, que certains systèmes de TI sont vieux de 60 ans. Quels systèmes ont 60 ans?
Mme Hogan : Le système de la Sécurité de la vieillesse a 60 ans. Il est presque assez vieux pour recevoir des prestations de la Sécurité de la vieillesse. Il est programmé en COBOL. Donc, il est temps de le moderniser.
La sénatrice Ross : Wow. Je vous remercie.
Le président : Chers collègues, avant de passer au deuxième tour, j’aimerais saluer le sénateur Dalphond, qui s’est joint à nous. Je vous remercie de votre présence au Comité des finances.
La sénatrice Marshall : J’ai une question au sujet des Comptes publics du Canada. Nous avons beaucoup parlé de vos rapports. C’est une question que j’examine depuis un certain temps et à laquelle je n’ai pas pu obtenir de réponse. Elle concerne une note qui se trouve dans les Comptes publics. On y lit que l’an dernier, le gouvernement a comptabilisé une dépense de 26 milliards de dollars liée aux revendications autochtones. On dit que si ces dépenses n’avaient pas été comptabilisées, le déficit budgétaire aurait été de 9 milliards de dollars. Le déficit était en fait de 35 milliards de dollars parce qu’on a comptabilisé cette somme. J’ai demandé aux représentants de plusieurs ministères de m’expliquer ce que sont ces 26 milliards de dollars. Le ministère des Finances et le Conseil du Trésor n’ont pas pu m’aider. Ils m’ont renvoyé à Services aux Autochtones Canada et à Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, alors je leur ai posé la question. Très souvent, en comité, les représentants ministériels nous disent qu’ils n’ont pas l’information en main, et qu’ils nous la transmettront à une date ultérieure. Ce qu’ils ont envoyé était très insatisfaisant. On parle de 26 milliards de dollars, et la transparence est un enjeu.
Ma première question est la suivante : y a-t-il quelque part dans les 1 000 pages et plus des Comptes publics une ventilation de ces 26 milliards de dollars à un niveau inférieur?
Ma deuxième question est la suivante : quelle organisation ou quelle personne est la mieux placée pour témoigner devant le Comité des finances au sujet des Comptes publics? Nous nous sommes longuement attardés au budget et aux plans du gouvernement, mais lorsque l’on publie les Comptes publics, personne ne se soucie de ce que le gouvernement a réalisé.
Où peut-on trouver, dans les Comptes publics, une ventilation des 26 milliards de dollars? Avez-vous des suggestions que nous pourrions faire à notre comité directeur à ce sujet?
Mme Hogan : La réponse courte à votre question au sujet de la ventilation des 26 milliards de dollars dans les trois volumes des Comptes publics du Canada est non. Je suppose que l’on pourrait voir une légère ventilation dans la note sur le passif éventuel. Je ne me souviens pas du numéro de la note.
La sénatrice Marshall : Je vais me permettre un commentaire, parce que ces 26 milliards de dollars ne sont qu’un exemple de ce qui est problématique. J’ai aussi beaucoup de questions au sujet du passif éventuel. Il manque d’information. Il est très difficile, pour un membre du Comité des finances, de ne pas pouvoir obtenir de réponses à des questions au sujet d’un montant de 26 milliards de dollars ou de l’augmentation de 20 milliards de dollars relative au passif éventuel, et de ne pas avoir plus de détail sur le sujet.
Mme Hogan : Je peux vous assurer que mon bureau est au courant de ces détails. Nous voyons une ventilation plus détaillée.
Il faut d’abord comprendre la nature du passif éventuel. Un passif éventuel, surtout lorsqu’il s’agit de revendications autochtones, est habituellement lié à un litige en cours ou à une revendication faite par une collectivité contre la Couronne. Par la suite, Services aux Autochtones Canada et Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada évaluent la probabilité que le gouvernement du Canada doive payer et déterminent à quoi l’on pourrait s’attendre. Lorsqu’il est question de litiges, de poursuites et de passif éventuel, on obtient peu de détails sur les organisations visées par un examen des états financiers, puisqu’ils pourraient divulguer leur position et nuire au résultat. Par conséquent, il est peu probable que vous voyiez ce genre de détails.
Puisque notre temps est écoulé, je crois, je vais répondre très rapidement à votre question au sujet des personnes que vous pourriez inviter et des personnes au sein du gouvernement qui seraient les mieux placées pour parler des Comptes publics du Canada. Pour ce qui touche les services aux Autochtones, ce serait Services aux Autochtones Canada, mais pour ce qui concerne les Comptes publics en général, ce seraient le contrôleur général, le receveur général et le secrétaire du Conseil du Trésor ainsi que le sous-ministre des Finances. Ils sont tous signataires des états financiers du gouvernement du Canada, et ils devraient être en mesure de répondre aux questions sur les Comptes publics.
La sénatrice Marshall : Certaines de ces personnes témoignent devant le comité et ne sont pas en mesure de répondre aux questions ou décident de ne pas y répondre. Merci.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci encore de votre présence. Nous sommes en début d’année 2024. C’est peut-être en début d’année qu’on fait certains souhaits.
Par le passé, différents agents du Parlement — je pense en particulier au Commissariat à l’information et au directeur parlementaire du budget — ont proposé au gouvernement des suggestions pour modifier leurs propres lois constituantes. C’est toujours intéressant, car vous êtes les mieux placés pour nous éclairer, nous, les parlementaires, afin de créer l’environnement le plus favorable possible pour la réalisation de votre mandat.
Vous êtes au Bureau du vérificateur général depuis 2006 et vous avez été nommée vérificatrice générale en 2020. Est-ce que vous comptez éventuellement soumettre aux parlementaires des observations ou des recommandations législatives qui permettraient de consolider le rôle essentiel de votre bureau dans le système parlementaire canadien et faciliter l’environnement législatif qui vous permettrait de remplir — vous le faites très adéquatement, mais peut-être encore plus facilement — le mandat important qui vous est confié?
Mme Hogan : Merci de votre question. J’ai eu des discussions avec le Comité permanent des comptes publics sur la Loi sur le vérificateur général. C’est le comité auquel je me rapporte au quotidien.
J’aimerais absolument qu’on puisse moderniser la Loi sur le vérificateur général. Je vais vous donner quatre gros bassins de points que j’aimerais voir dans la modernisation de la loi. Le premier serait de clarifier l’accès de mon bureau à de l’information privilégiée. On n’a pas d’enjeux d’accès, habituellement, quand on complète nos audits, mais je pense qu’il est important — il est temps de clarifier le langage de l’accès dans la fonction publique.
Le deuxième serait lié à notre mandat auprès des sociétés d’État. J’aimerais clarifier qu’ils sont inclus ou qu’ils peuvent être inclus dans des audits de performance et non seulement des examens spéciaux et des audits financiers, mais j’aimerais aussi un peu de flexibilité quand il s’agit d’examens spéciaux.
En ce moment, une société d’État comme Postes Canada a le même examen spécial que le Musée canadien de la nature. Ces organisations sont de tailles très différentes, mais on doit faire exactement le même travail. Un peu de flexibilité pour mieux appuyer les besoins de ces sociétés d’État serait bienvenue.
Le troisième serait un système de financement indépendant des ministères que nous vérifions. En ce moment, notre financement vient du ministère des Finances. Nous sommes traités comme un ministère comme tous les autres ministères. Certains des agents parlementaires ont des systèmes de financement indépendants. Cela inclurait la reddition de comptes au sein du Comité permanent des comptes publics. On a quand même besoin de reddition de comptes.
Le dernier bassin d’éléments comprend des choses plus administratives, mais je vais en mentionner un qui me tient particulièrement à cœur. Il est important en français; on le comprend mieux en français qu’en anglais. Je suis la vérificatrice générale, mais notre loi est la Loi sur le vérificateur général. C’est masculin. Si vous lisez la loi, c’est: son bureau, « lui », ses décisions; c’est au masculin. J’aimerais voir un langage plus inclusif. On devrait réviser la loi et la moderniser.
Le sénateur Forest : Pour nous aider à vous aider — ce qui, en fin de compte, nous aide parce que nous avons accès à une meilleure information — est-ce qu’il vous serait possible de nous transmettre ces remarques par écrit?
Mme Hogan : Absolument. Je les ai déjà transmises au président du Comité permanent des comptes publics. Je pourrais vous acheminer cette lettre ou vous écrire votre propre lettre.
Le sénateur Forest : Puisque notre réunion est publique, nous comptons sur vous pour nous les transmettre.
Mme Hogan : Je vous remercie.
Le président : Vous pouvez envoyer votre correspondance à la greffière du comité et elle sera ensuite distribuée à tous les sénateurs.
[Traduction]
Le sénateur Loffreda : J’aimerais vous interroger sur l’audit d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Vous avez dit dans votre exposé avoir constaté que la plupart des retards et des arriérés étaient causés par les propres processus du ministère et que le ministère ne traitait pas toujours les demandes dans l’ordre où elles étaient reçues. Pourquoi en est-il ainsi? Y a-t-il une raison pour laquelle elles n’ont pas été traitées dans l’ordre où elles ont été reçues?
De plus, le ministère n’a pas déterminé si l’outil automatisé d’évaluation de l’admissibilité avait permis de réduire les délais de traitement ou s’il avait cerné et résolu des résultats différentiels imprévus. Fait-on toujours preuve de diligence raisonnable en ce qui a trait aux critères à respecter pour permettre aux réfugiés ou aux immigrants de venir au Canada? Je pose la question parce que nous observons beaucoup de tendances, disons, préoccupantes ces derniers temps au pays.
Mme Hogan : Il y a beaucoup de questions. Je vais commencer par la première.
Il y a de nombreuses raisons qui expliquent les longs délais d’attente et les retards. Certaines échappent au contrôle d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, et d’autres sont tout à fait sous leur contrôle. Par exemple, les niveaux d’immigration établis chaque année par le gouvernement sont en dehors du contrôle du ministère. Parfois, certains programmes commencent l’année avec un inventaire ou un arriéré de demandes qui dépasse le niveau qui sera accepté dans une certaine catégorie d’immigration. Cela échappe au contrôle du ministère.
Cependant, ce qui me préoccupe, c’est que le ministère ne faisait rien au sujet des éléments sur lesquels il avait un contrôle. Vous en avez mentionné quelques-unes. Le traitement des demandes selon l’ordre dans lequel elles sont reçues en est une. Pourquoi est-ce important? Selon la politique opérationnelle du ministère, il est important de respecter l’ordre dans le traitement afin que les anciennes demandes ne restent pas là alors que les nouvelles sont traitées rapidement. Je reconnais que ce n’est pas toujours possible. Si un élément d’information clé d’une demande est manquant et que l’on doit la retourner au demandeur, on ne peut pas cesser de traiter les autres demandes jusqu’à ce que celle-ci nous revienne. On doit passer au suivant. Ce n’est pas l’idéal, mais il faut toujours retourner aux demandes les plus anciennes et ne pas les oublier.
Je pense que ce qui est le plus préoccupant au sujet des processus de traitement des demandes, c’est l’endroit où les demandes sont envoyées. La dernière fois que nous avons vérifié les programmes de résidence permanente, le ministère s’était engagé à examiner la capacité de ses bureaux et à répartir le travail en conséquence, mais nous avons constaté qu’il ne le faisait pas. Les demandes sont envoyées à certains bureaux en fonction du pays de résidence du demandeur au moment où il fait sa demande. Je vais vous donner un exemple. Nous avons examiné deux bureaux : un à Rome et un en Tanzanie. Ils ont à peu près le même nombre d’employés, mais le bureau de Tanzanie reçoit cinq fois plus de demandes que le bureau de Rome, de sorte que l’arriéré augmente dans un bureau par rapport à l’autre. C’est simplement parce que les demandes relatives à un pays de résidence se rendent toujours au bureau de Rome et que celles relatives à d’autres pays de résidence se rendent toujours au bureau de Tanzanie. Le ministère doit donc examiner la capacité de ses ressources et mieux les affecter.
Vous avez parlé de l’outil automatisé. C’est l’une des améliorations qui ont été mises en place pour réduire les temps d’attente et accélérer le traitement des demandes, mais cet outil a eu une conséquence imprévue. L’intention était d’accélérer l’évaluation de l’admissibilité. Les demandes qui étaient évaluées par l’outil automatisé pouvaient être traitées rapidement, et les ressources ainsi libérées pouvaient se consacrer au traitement manuel d’autres demandes. Nous avons constaté que certains pays d’admissibilité n’étaient jamais approuvés automatiquement, mais que les ressources n’avaient pas encore été réaffectées pour équilibrer les temps d’attente. C’est cette conséquence imprévue et le manque d’analyse en fonction du pays de résidence ou du pays visé par la demande que nous avons soulignés, et nous avons formulé de nombreuses recommandations afin que le ministère puisse améliorer ce qui relève de son contrôle.
La sénatrice Pate : Le Service correctionnel du Canada était l’un des organismes vérifiés dans le cadre du rapport 5. En 2019, dans le cadre d’un audit sur le milieu de travail, vous avez indiqué que l’approche du SCC en matière de harcèlement, de discrimination et de violence en milieu de travail n’était pas suffisante pour promouvoir et maintenir des milieux de travail respectueux. Je paraphrase vos constatations. Le SCC savait que ces problèmes existaient en milieu de travail, mais il n’avait pas élaboré de stratégie globale pour y remédier. Il n’avait pas, notamment, trouvé un moyen de mesurer les progrès réalisés en matière de réduction du harcèlement, de la discrimination et de la violence en milieu de travail et d’en faire rapport.
Parmi les employés des services correctionnels interrogés, deux sur trois étaient d’avis que la culture organisationnelle était une préoccupation sérieuse ou importante. Compte tenu des conséquences d’une telle situation sur le personnel et du fait que plus du tiers des hommes et de la moitié des femmes dans les établissements fédéraux sont autochtones, et qu’une personne incarcérée sur dix est noire, quelles seraient les répercussions potentielles? Avez-vous également songé à l’incidence que cela a sur les prisonniers? Si les membres du personnel se traitent de cette façon entre eux, quelle incidence cela a-t-il sur les personnes sur lesquelles ils ont un contrôle quasi absolu?
De plus, pourriez-vous nous en dire plus sur les liens entre le rapport 5 et le rapport précédent, surtout en ce qui concerne les employés racisés?
Mme Hogan : Ce rapport n’était pas un suivi du rapport de 2019, alors nous n’avons pas vraiment examiné les mesures prises pour donner suite à ces recommandations. Nous avons examiné les mesures que la fonction publique fédérale avait prises en réponse à l’appel à l’action du greffier visant à créer une fonction publique plus inclusive.
J’aimerais également vous parler de l’audit que nous avons publié il y a quelques années sur le Service correctionnel du Canada dans lequel nous avons examiné les résultats pour les détenus. Nous avons constaté que ces résultats variaient en fonction de la race et de l’origine ethnique, et que certains des outils mis en place pour réduire ou éliminer ces différences ne fonctionnaient pas comme prévu.
Je pense que le Service correctionnel a beaucoup d’information à sa disposition pour tenter de changer sa culture. C’est pourquoi il était vraiment important de l’inclure dans notre audit sur la fonction publique inclusive afin de voir si toutes les activités et toutes les recommandations auxquelles il avait donné suite avaient une incidence réelle sur sa culture. Nous avons constaté que, comme certains autres ministères, il n’avait rien mis en place pour mesurer les résultats. Il se centrait — comme d’autres — sur les activités visant à atteindre les objectifs d’équité en matière d’emploi. Comme je l’ai dit précédemment, cela ne fait que changer le visage de la fonction publique et ne signifie pas que les gens se sentent plus inclus.
Le Service correctionnel du Canada a également ajouté une couche supplémentaire de complexité en ce sens qu’il veut non seulement atteindre les objectifs d’équité en matière d’emploi, mais il estime également que sa base d’employés devrait correspondre à la population de détenus, de sorte qu’à certains endroits, il faudrait beaucoup plus de représentation autochtone, beaucoup plus de représentation féminine, et ainsi de suite. Ce ne sont toutefois que des cibles, et on ne tient pas vraiment compte de la culture.
Dans le cadre de notre audit, nous avons parlé à des employés racisés. Nous avons tenu des rencontres confidentielles. C’est l’une des choses que devraient faire de nombreux ministères pour comprendre réellement l’expérience vécue par leurs employés racisés, ce qui permettrait d’éclairer certaines des mesures qu’ils prennent. Certaines de nos recommandations s’articulent autour de cela.
Ce n’est peut-être pas la réponse que vous souhaitiez entendre, mais le temps nous dira si des mesures concrètes ont été prises. Il a fallu des décennies à la fonction publique pour en arriver où elle est aujourd’hui. J’espère qu’il ne faudra pas encore des décennies pour changer la culture de la fonction publique afin que tout le monde se sente valorisé et bienvenu.
Le président : Madame Hogan, je prends toute la responsabilité : nous avons largement dépassé le temps que nous avions convenu de passer avec vous.
[Français]
Sénateur Dalphond, vous avez la parole pour mettre fin à la réunion.
Le sénateur Dalphond : Toutes mes excuses d’être en retard, j’étais à une autre réunion.
En lisant votre rapport, vos recommandations et le sommaire de la Bibliothèque du Parlement, je me suis demandé si les programmes de mesures spéciales en matière d’immigration comme le programme pour les Syriens, celui pour les Afghans et maintenant, le programme pour les Ukrainiens, sont venus avec des allocations de ressources additionnelles ou bien si on a dit au système qui était déjà un peu en retard qu’il fallait ajouter ces programmes urgents dans le système.
Mme Hogan : C’était l’une de nos constatations, c’est un des éléments hors du contrôle du ministère lorsqu’il y a déjà un plan pour le niveau d’immigration et que par la suite, on ajoute à la fonction publique une directive spéciale de prioriser un certain groupe.
Un effet domino fait en sorte que les ressources sont réallouées dans le but de répondre à ce besoin urgent et imminent. Par conséquent, les autres demandes attendent et tout cela contribue à l’allongement du délai de traitement des demandes et à l’accumulation de l’inventaire des éléments qui ne sont pas traités en temps opportun.
Le sénateur Dalphond : On sait que des programmes d’urgence, il y en a et il y en aura encore, parce qu’il y a beaucoup de problèmes dans le monde et il faut répondre à des crises humanitaires.
Est-ce qu’il faudrait prévoir des équipes ou des budgets spéciaux rattachés à ces genres de programmes? Parce qu’au bout du compte, c’est la réunification des familles qui tarde et les réfugiés qui attendent. Votre rapport fait même état de réfugiés qui attendent trois ans. Cela représente trois ans de coûts pour le système, car plus de la moitié des demandes seront refusées.
Cela représente aussi des coûts pour les provinces, qui doivent ensuite négocier avec le gouvernement fédéral. C’est comme si le système s’engluait lui-même. C’est comme si on s’enfonçait dans des sables mouvants.
Mme Hogan : Évidemment, si on ajoute une exigence ou une demande à un ministère sans lui fournir les sommes et les ressources nécessaires, il aura fort probablement de la difficulté à atteindre l’objectif ou alors d’autres programmes n’atteindront pas un résultat positif.
Prenons l’exemple du programme de la résistance aux antimicrobiens, pour lequel il n’y avait aucun budget alloué. On constate qu’il y a eu très peu de progrès depuis notre audit, en 2015.
Il est très difficile d’accumuler les demandes et de s’attendre à ce que la fonction publique fasse davantage avec les mêmes ressources ou avec moins de ressources. Nous devons reconnaître qu’au fil des années, les niveaux d’immigration augmentent, et qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada est en mesure d’atteindre ses objectifs. Toutefois, il y a un gros retard et beaucoup de demandeurs attendent très longtemps.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, il ne fait aucun doute que nous avons commencé l’année 2024 avec un excellent groupe de témoins du Bureau du vérificateur général. Madame Hogan, nous vous remercions pour votre présence.
[Français]
Madame Hogan, vous êtes un témoin exemplaire. Vous avez su répondre à toutes nos questions sans hésitation et sans que nous ayons à demander des réponses par écrit. Plusieurs ministères pourraient s’inspirer de votre comparution de ce soir pour répondre aux questions des membres de tout comité. Vous avez touché à la transparence et à l’imputabilité.
(La séance est levée.)