LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES FINANCES NATIONALES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 13 février 2024
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales se réunit aujourd’hui, à 9 h 1 (HE), avec vidéoconférence, afin d’étudier la teneur du projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023; et, à huis clos, pour l’examen du Budget principal des dépenses pour l’exercice se terminant le 31 mars 2024.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, je souhaite la bienvenue à tous les sénateurs et aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent sur sencanada.ca.
[Français]
Je m’appelle Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité sénatorial permanent des finances nationales. J’aimerais maintenant demander à mes collègues de se présenter, en commençant par ma gauche.
Le sénateur Forest : Bonjour. Éric Forest, de la division du Golfe, au Québec.
Le sénateur Gignac : Bonjour. Clément Gignac, du Québec
[Traduction]
La sénatrice MacAdam : Jane MacAdam, de l’Île-du-Prince-Édouard.
[Français]
La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.
Le sénateur Loffreda : Bonjour et bienvenue. Tony Loffreda, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Ross : Krista Ross, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Kingston : Joan Kingston, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Smith : Larry Smith, du Québec.
Le président : Merci, sénateurs.
Sénateurs, nous amorçons aujourd’hui notre étude de la teneur du projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.
[Français]
Nous avons, encore aujourd’hui, le plaisir et l’honneur d’accueillir Yves Giroux, directeur parlementaire du budget.
[Traduction]
Merci, monsieur Giroux, d’avoir accepté notre invitation. Encore une fois, je tiens à répéter que chaque fois que nous vous demandons de comparaître devant le Comité des finances nationales au Sénat, vous êtes toujours disposé à le faire.
Aujourd’hui, M. Giroux est accompagné de Mark Mahabir, avocat général et directeur général, Analyse budgétaire et des coûts, et de Diarra Sourang, directrice, Analyse économique. Bienvenue et merci d’avoir accepté cette invitation.
[Français]
Au nom du comité, je vous avise que c’est toujours enrichissant de recevoir votre témoignage, vos commentaires et vos rapports. Nous avons un dénominateur commun : la transparence, la reddition de comptes, la fiabilité et la prévisibilité pour tous les Canadiens d’un océan à l’autre.
[Traduction]
Nous allons maintenant entendre les commentaires de M. Giroux. La parole est à vous.
[Français]
Yves Giroux, directeur parlementaire du budget, Bureau du directeur parlementaire du budget : Merci. Honorables sénatrices et sénateurs, je vous remercie de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui. Nous sommes heureux d’être ici pour parler du projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.
Comme vous l’avez mentionné, monsieur le président, je suis accompagné aujourd’hui de Diarra Sourang, directrice, Analyse économique, et de Mark Mahabir, avocat général et directeur général, Analyse budgétaire et des coûts. Mon mandat comme directeur parlementaire du budget, tel qu’il est défini par la loi, est de fournir aux parlementaires des analyses indépendantes et non partisanes afin de les aider à remplir leur rôle constitutionnel, qui consiste à demander des comptes au gouvernement.
À cette fin, mon bureau a publié, le 13 avril dernier, une analyse du budget de 2023 et, plus récemment, le 7 décembre dernier, une analyse de l’Énoncé économique de l’automne 2023, publié par la ministre des Finances le 21 novembre 2023. En mars, nous publierons une mise à jour de nos perspectives économiques et financières.
Ces documents visent à fournir aux parlementaires des informations importantes sur des enjeux clés afin d’éclairer leurs discussions au sujet de la situation économique et financière du pays.
[Traduction]
Dans l’énoncé économique de l’automne, le gouvernement a annoncé des nouvelles dépenses de 23,6 milliards de dollars, qui ont été partiellement compensées par 2,9 milliards de dollars en mesures de réorientation et de réaffectation des dépenses. Sur une base nette, les nouvelles mesures ont réduit le solde budgétaire de 20,7 milliards de dollars, ou 3,4 milliards de dollars par année en moyenne de 2023-2024 à 2028-2029.
Hier, en réponse à une demande du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre, mon bureau a publié un aperçu des 500 millions de dollars annoncés dans les réductions des dépenses de consultation, de services professionnels et de voyages pour 2023-2024 proposées dans le budget de 2023. Toutefois, il n’y a toujours pas d’information disponible sur les économies prévues de 14,9 milliards de dollars restantes annoncées dans le budget de 2023 et les économies supplémentaires de 2,4 milliards annoncées dans l’énoncé économique de l’automne. En outre, il n’existe actuellement aucune information publique sur les dépenses de 3,6 milliards de dollars qui seront réaffectées pendant l’exercice en cours.
Dans une perspective plus large, depuis le budget de 2021, le gouvernement a prévu une nouvelle marge de manœuvre financière totale de 212,8 milliards de dollars. Essentiellement, toute cette marge de manœuvre financière a été absorbée par une augmentation des dépenses sur une base nette, et seulement un demi-milliard de dollars ont été utilisés pour réduire le déficit sur une base cumulative. De la nouvelle marge de manœuvre financière de près de 213 milliards de dollars, 188,8 milliards de dollars, ou 89 %, ont été utilisés pour financer de nouvelles mesures non liées à la COVID-19 de 2021-2022 à 2028-2029.
Je m’arrête ici afin d’avoir plus de temps pour répondre à toutes vos questions concernant notre analyse de l’énoncé économique de l’automne et du budget de 2023, le projet de loi C-59 ou tout autre travail effectué par mon bureau. Merci.
Le président : Merci, monsieur Giroux.
Nous passons maintenant aux questions. La première série de questions sera de cinq minutes pour chacun, et la deuxième, de trois minutes.
La sénatrice Marshall : Je vous remercie de votre présence, monsieur Giroux, et je souhaite également la bienvenue à vos fonctionnaires.
Mes questions portent sur l’énoncé économique de l’automne plutôt que sur le projet de loi. Dans votre déclaration liminaire, vous avez dit que les nouvelles initiatives auraient un coût net d’un peu plus de 20 milliards de dollars. Le gouvernement a indiqué dans sa stratégie qu’il emprunterait de nouveau cette année pour financer au moins certains de ces programmes supplémentaires.
Dans votre rapport Perspectives économiques et financières d’octobre — j’essayais de faire correspondre vos deux rapports —, vous projetez que les besoins d’emprunt jusqu’en 2028-2029 dépassent à peine 1,7 milliard de dollars, mais la limite actuelle est de 1,8 milliard en vertu de la Loi sur le pouvoir d’emprunt. Si l’on regarde votre nombre et celui du gouvernement, il semble qu’il n’y ait pas lieu d’augmenter le plafond d’emprunt. Je m’attends à ce que quelque chose soit présenté en mai, probablement, parce que c’est à ce moment que le rapport quadrimestriel sur l’autorisation d’emprunt devrait être déposé.
Cette limite est-elle encore réaliste en ce qui concerne les nouvelles dépenses supplémentaires de 20 milliards de dollars? Avez-vous fixé une nouvelle limite de 1,7 milliard de dollars, ou prévoyez-vous le faire? Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
M. Giroux : D’après ce que nous avons vu jusqu’à présent et ce que le gouvernement a indiqué au sujet de ses plans de dépenses à venir, la limite d’emprunt actuelle semble appropriée. Toutefois, nous ne savons pas exactement quelles sont les dépenses que le gouvernement entend engager. S’agira-t-il de nouvelles dépenses, d’éventuelles réductions des dépenses ou d’initiatives fiscales? Nous devrons voir ce que le gouvernement entend faire de son plan financier à l’avenir lorsque le prochain budget sera déposé.
La sénatrice Marshall : Mais, à l’heure actuelle, cela semble-t-il raisonnable ou réaliste?
M. Giroux : Cela semble suffisant, mais le gouvernement veut toujours se donner une marge de manœuvre au cas où il devrait emprunter à court terme pour gérer des événements imprévus.
La sénatrice Marshall : Lorsque l’on compare les chiffres de l’énoncé économique de l’automne à ceux du budget, on voit qu’ils changent, non pas de façon positive, mais bien négative. Pensez-vous que les chiffres de l’énoncé économique de l’automne sont réalistes ou raisonnables, surtout compte tenu du fait que, comme vous l’avez dit dans votre déclaration liminaire, vous ne pouvez trouver aucune information sur ces économies estimées importantes que le gouvernement prévoit? Elles sont incorporées dans les projections du gouvernement. Le gouvernement n’a pas atteint ses cibles par le passé. Compte tenu des préoccupations que vous avez exprimées, les atteindra-t-il à l’avenir?
M. Giroux : De façon générale, en ce qui concerne les dépenses gouvernementales, on a constaté que, lorsque l’on examine un budget ou un énoncé économique de l’automne, par le passé, le gouvernement présente une trajectoire pour les dépenses — qui est à la hausse, comme on s’y attend — et ensuite, lorsque le budget ou l’énoncé économique de l’automne suivant est déposé pour les mêmes années, les dépenses augmentent un peu. Même entre un budget et un énoncé économique de l’automne, le gouvernement révise ses objectifs de dépenses à la hausse, ce qui m’amène à l’exercice de réaffectation et d’économies. Peu de détails ont été donnés jusqu’à présent, même si tous les documents et propositions devaient être présentés au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et au groupe des ministres du Conseil du Trésor d’ici le début d’octobre. Nous nous attendons donc à ce que le prochain budget en dise plus sur la façon dont le gouvernement réduira les dépenses ou, plus probablement, réaffectera une partie de ces dépenses. Je crois personnellement que nous ne verrons pas de réduction des dépenses globales du gouvernement, mais plutôt de petites réductions dans certains domaines et des augmentations dans d’autres.
La sénatrice Marshall : Le gouvernement aurait pu afficher un déficit de 9 milliards l’an dernier. Il a réservé 26 milliards de dollars pour Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, ou RCAANC, ou pour Services aux Autochtones Canada, ou SAC. Avez-vous eu l’occasion de vous pencher là-dessus? J’ai passé pas mal de temps à essayer de trouver de l’information à ce sujet. Avez-vous déjà examiné cette question ou l’examinerez-vous?
M. Giroux : Nous avons examiné cette question, et vous parlez probablement des passifs éventuels ainsi que des montants réservés pour les services à l’enfance et à la famille. Nous avons constaté que l’argent supplémentaire réservé était principalement destiné à une révision à la hausse des passifs déterminés par les avocats du gouvernement en ce qui concerne les revendications des Premières Nations — les revendications particulières et les revendications territoriales.
La sénatrice Marshall : Pouvez-vous dire quel montant était destiné à SAC et à RCAANC respectivement?
M. Giroux : Je n’ai pas les chiffres exacts.
La sénatrice Marshall : Revenons aux projections financières du gouvernement. J’examinais précisément les recettes des sociétés d’État entreprises. Selon ces projections, ces recettes devraient augmenter de 3,7 milliards de dollars cette année à 9,8 milliards l’an prochain, puis à 19,6 milliards en 2028-2029. Cependant, quand on regarde les données sur les objectifs historiques sur 10 ans, on constate qu’elles atteignent — en fait, il s’agissait d’une dépense de 10 milliards de dollars il y a quelques années à cause des pertes de la Banque du Canada —, mais elles atteignent généralement environ 7 milliards de dollars. Avez-vous examiné ces 19,6 milliards de dollars? On parle ici de 20 milliards de dollars. Cela semble plutôt élevé, mais c’est ce que le gouvernement projette. Avez-vous examiné ce montant en particulier?
M. Giroux : Nous n’avons pas examiné ce montant en particulier, ou si nous l’avons fait, je n’ai pas d’explication détaillée. Il est toutefois attribuable en partie au fait que la Banque du Canada recommence à réaliser des bénéfices. Il peut aussi s’agir des prêts que divers organismes gouvernementaux ont consentis aux petites entreprises pendant la pandémie, et parce que ces prêts ont été financés par des emprunts au taux du gouvernement — qui est inférieur à ce qu’il offre aux entreprises —, on pourrait y voir un élément de profit. Toutefois, cela n’expliquerait pas l’augmentation significative. La banque serait probablement la composante principale.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci beaucoup de votre présence. Comme d’habitude, c’est toujours très instructif pour nous.
Ma première question concerne le projet de loi C-59, qui propose une taxe de 2 % sur le rachat d’actions afin de pousser les entreprises à investir plutôt qu’à enrichir leurs actionnaires. À première vue, cela semble une mesure progressive et très logique, mais on a quand même tardé à l’introduire. J’aimerais m’assurer qu’on ne se tire pas dans le pied comme on l’a fait avec la taxe sur les produits de luxe, par exemple les jets privés dans l’industrie aérospatiale. Que pensez-vous de cette taxe?
M. Giroux : C’est certain qu’une taxe, peu importe sa nature, a toujours des effets qui peuvent être contre-intuitifs ou contre-productifs. C’est une taxe qu’on n’a pas considérée et étudiée en détail, mais c’est évident que le design a toujours une importance capitale — donc s’il y a des seuils minimums en dessous desquels la taxe ne s’applique pas. Je ne pourrais pas vous répondre précisément sur la taxe, parce que ce n’est pas un élément qu’on a examiné en détail.
Le sénateur Forest : Donc, vous n’avez pas... Intuitivement, est-ce que cela peut jouer sur notre compétitivité?
M. Giroux : Il est certain que cela pourrait, à la marge, influencer les compagnies dans leur comportement, à savoir où elles décident de s’établir, ou encore où elles décident de déclarer des revenus. C’est toujours possible, avec des actifs intangibles comme des droits de propriété intellectuelle, de modifier les profits déclarés dans certaines administrations. Cela pourrait forcément avoir un impact sur les profits déclarés au Canada.
Le sénateur Forest : Selon vous, au lieu de faire des rachats d’actions, par exemple, si on émettait des dividendes, on pourrait contourner cette mesure d’imposition?
M. Giroux : Oui; cela pourrait être une façon de contourner l’imposition de cette taxe, en effet.
Le sénateur Forest : Merci.
Dans le projet de loi C-59, on prévoit également une prolongation de trois ans pour la réduction temporaire des taux d’imposition des sociétés pour les bénéfices de fabricants de technologies à zéro émission, que l’on appelle communément en anglais ZETM, de sorte que les taux réduits commenceront à être supprimés progressivement pour les années d’imposition qui commencent en 2032. Ils seront totalement supprimés pour les années d’imposition qui commencent après 2034, au lieu d’être supprimés progressivement de 2029 à 2031. Est-ce qu’on a une idée de ce que cette réduction peut coûter ou a coûté jusqu’à maintenant?
M. Giroux : On a estimé plusieurs des mesures fiscales liées à l’économie verte et à la transition vers une économie non carbonée ou décarbonée, mais malheureusement, on n’a pas estimé celle-ci. On en a évalué plusieurs, mais pas celle-là. Peut-être que le gouvernement a émis des estimations de coûts, mais nous ne l’avons pas fait de façon indépendante.
Le sénateur Forest : On n’a pas estimé l’impact jusqu’à maintenant?
M. Giroux : Non, pas encore.
Le sénateur Forest : Ma prochaine question me touche particulièrement, parce qu’elle concerne le projet de loi C-208, que j’avais parrainé et dont le but était de créer un environnement plus favorable pour les transferts d’entreprises dans des liens apparentés. La volonté du gouvernement a finalement permis d’assurer plus d’équité pour les transferts d’entreprises des PME. Je constate que le projet de loi C-59 revient sur cette question et impose de nouvelles conditions pour veiller à ce que seuls les véritables transferts intergénérationnels d’entreprises soient exclus de la règle contre le dépouillement de surplus de l’article 84.1 de la Loi de l’impôt sur le revenu.
On n’a pas vraiment eu accès au breffage des fonctionnaires sur le projet de loi C-59. Je me demande si vous avez compris les amendements apportés par le projet de loi C-59 aux transferts intergénérationnels des PME.
M. Giroux : C’est une question assez technique et spécifique dans un projet de loi qui contient environ 520 pages, donc je ne peux malheureusement pas vous éclairer là-dessus. Cependant, Mark Mahabir, qui est plus brillant que moi, peut le faire.
[Traduction]
Me Mark Mahabir, avocat général et directeur général, Analyse budgétaire et des coûts, Bureau du directeur parlementaire du budget : Merci de la question.
Nous avons fait une étude que nous avons publiée il y a cinq ans lorsque le projet de loi d’initiative parlementaire a été présenté pour la première fois. Les mesures supplémentaires présentées dans le projet de loi C-59 visent à s’assurer que l’évaluation de la société est faite correctement et que les actions sont détenues pendant le temps requis avant qu’elles ne soient transférées à l’enfant ou au petit-enfant.
[Français]
Le sénateur Forest : J’évoquais un peu plus tôt la notion de taxe sur les produits de luxe. On avait ressenti beaucoup d’appréhension en examinant le ratio coûts/bénéfices et l’impact que cela pourrait avoir. La conclusion, après quelques années, en examinant les revenus générés, c’est qu’on s’est complètement tiré dans le pied en l’occurrence pour ce qui est des coûts liés à l’employabilité et à l’activité économique.
Avez-vous fait la même analyse pour ce qui est de la taxe sur les produits de luxe?
M. Giroux : Nous n’avons pas fait de suivi pour voir s’il y a eu une réduction importante de l’activité économique résultant de l’introduction de la taxe sur les produits de luxe. On avait prédit un changement de comportement en ce qui a trait aux bateaux, aux avions et aux voitures ainsi qu’une réduction importante dans certaines catégories plutôt que d’autres — de l’ordre de 25 à 30 %, si je ne me trompe pas. Nous n’avons pas fait de suivi pour voir si ce résultat s’est effectivement produit, étant donné que la taxe est encore relativement jeune. C’est toutefois une question qui est certainement très intéressante.
Le sénateur Gignac : À mon tour de vous souhaiter la bienvenue, monsieur Giroux, ainsi qu’à votre équipe. Merci pour ce que vous faites.
Lorsque j’ai pris connaissance de votre rapport du début de décembre, qui faisait suite à l’énoncé économique, ce qui m’a le plus surpris, c’est le dernier paragraphe de vos faits saillants. Vous y avez d’ailleurs fait allusion dans votre déclaration liminaire. Vous avez dit que, depuis le budget de 2020-2021, le gouvernement a projeté une nouvelle marge financière de 212 milliards de dollars de dollars. Or, 89 ou 90 % de la marge de manœuvre additionnelle de 200 milliards de dollars générée durant la pandémie est allé aux dépenses. Ce fait m’a frappé.
Pourriez-vous, au cours des prochaines semaines, nous fournir une ventilation de cette proportion de 90 % de nouvelles dépenses qui ne sont pas liées à la COVID-19? Vous dites, dans votre document, que 290 milliards de dollars de nouvelles dépenses depuis le budget de 2020-2021 n’ont rien à voir avec la COVID. Vous pourrez faire une ventilation en trois ou quatre catégories que vous déterminerez ou que je pourrais vous suggérer.
J’aimerais savoir combien de dépenses supplémentaires ont été affectées, par exemple, aux transferts aux provinces et à de nouveaux programmes sociaux qui n’existaient pas à l’époque. Combien de dépenses supplémentaires ont-elles été utilisées pour augmenter le potentiel économique du Canada? Je parle de dépenses en infrastructure et en immobilisation. Pourriez-vous revenir au comité et fournir cette information, à moins que vous ayez déjà des indications que vous pouvez partager avec nous ce matin? C’est ma première question.
M. Giroux : La réponse sera assez claire. Oui, nous pouvons vous fournir ces données, car je crois que nous avons une bonne ventilation des dépenses — personne ne me corrige, alors je présume que c’est exact. Nous allons donc pouvoir vous revenir par écrit et fournir ces renseignements au comité.
Le sénateur Gignac : Merci. Cela me mène à ma seconde question et j’aimerais avoir votre réaction. Dans l’énoncé économique de l’automne, on a présenté de nouveaux ancrages budgétaires. On dit qu’à compter de l’exercice 2026-2027, le déficit devra se situer sous les 1 % du PIB. À la lumière de ce que vous voyez, cet objectif vous semble-t-il réaliste? Peut-on qualifier l’objectif budgétaire d’ancrage budgétaire, ou sommes-nous encore loin de la coupe aux lèvres? Il y a maintenant plus d’une décennie, on avait vraiment des ancrages budgétaires — par exemple, que la dette ne dépasse pas 30 % du PIB. Est-il préférable d’avoir un ancrage budgétaire sur le déficit ou sur le ratio dette/PIB? J’aimerais vous entendre à ce sujet.
M. Giroux : Il est important de savoir que les ancrages budgétaires servent à guider les décisions de l’ensemble du gouvernement. On parle des décisions sur le niveau des dépenses, le niveau de taxation et d’autres éléments.
Depuis plusieurs années, on constate un changement dans le choix d’ancrages budgétaires. Avant la pandémie, on a beaucoup parlé du ratio du service de la dette, qui était très bas. Quand il s’est mis à augmenter, le gouvernement a changé son ancrage budgétaire et a mis beaucoup d’importance sur un ratio décroissant de la dette par rapport au PIB. Lorsque ce ratio cesse de décroître et se met à augmenter légèrement, on modifie encore une fois l’objectif de la politique budgétaire, comme on l’a mentionné publiquement, qui est de réduire ce ratio à moyen terme. Comme vous l’avez mentionné, dans la mise à jour économique de l’automne, on parle d’un ratio dette/PIB décroissant avec un déficit sous les 1 %, mais dans plusieurs années.
Le problème avec ces ancrages budgétaires, c’est qu’on peut les changer. L’ancrage budgétaire est censé être un point qui nous guide vers un objectif; en soi, c’est un objectif. Toutefois, si on change l’objectif, il perd un peu de sa crédibilité.
La ministre des Finances parle aussi beaucoup des cotes de crédit assignées au Canada par de grandes agences de notation. Cela pose également un risque, car l’objectif du gouvernement repose alors entre les mains de quelques agences de notation.
On voit qu’il y a plusieurs ancrages budgétaires, et cela semble être un menu que le gouvernement choisit selon ce qui lui convient. Ce n’est pas nécessairement mauvais, mais, selon moi, cela réduit la crédibilité des prévisions économiques et budgétaires du gouvernement.
Le sénateur Gignac : J’ai une autre courte question. Je comprends que vous allez revoir vos perspectives économiques au début du mois de mars, comme vous l’avez mentionné dans vos remarques liminaires. Peut-on profiter de votre présence aujourd’hui, sans avoir de chiffres précis? L’automne dernier, vous avez révisé à la hausse les perspectives économiques. À la lumière de l’environnement économique, anticipez-vous une révision à la hausse par rapport aux perspectives du mois de décembre dernier, ou est-ce que ce sera l’inverse? Est-il prématuré de faire cette prédiction, ou avez-vous déjà une idée ou une impression?
M. Giroux : Il serait un peu prématuré de me prononcer. Pour me protéger de ces questions, mon équipe a refusé de me faire un breffage avant ma comparution. C’est prévu pour plus tard cette semaine. Ils m’ont donc bien protégé contre moi-même.
Le sénateur Smith : Bonjour, monsieur Giroux.
[Traduction]
Dans votre rapport sur l’énoncé économique de l’automne, selon le statu quo, sans mesures de dépenses supplémentaires et autres facteurs, vous estimez que le ratio de la dette fédérale au PIB en 2028-2029 serait inférieur aux niveaux de 2022-2023. Autrement dit, vous croyez qu’il y a une probabilité de 70 % que le gouvernement donne suite à ses engagements de réduire le ratio de la dette au PIB dans les quatre ou cinq prochaines années. Étant donné que votre rapport a été publié en décembre, croyez-vous que vous devriez revoir ces chiffres? Y a-t-il des préoccupations à l’horizon qui, selon vous, pourraient vous porter à douter que le gouvernement respecte ses objectifs financiers?
M. Giroux : Il y a toujours de nouveaux renseignements qui font surface après la publication de ces rapports, ce qui va de soi. L’un des éléments qui pourraient changer considérablement la donne serait de nouvelles dépenses, ce qui est tout à fait possible étant donné que le gouvernement a promis de déposer une loi concernant, notamment, l’assurance-médicaments. Il y a aussi des pressions, comme nous le savons tous, pour augmenter les dépenses en défense nationale. Ce sont deux exemples d’éléments majeurs qui pourraient modifier la probabilité que le gouvernement atteigne son objectif de placer le ratio de la dette au PIB sur une trajectoire descendante.
Le sénateur Smith : Le comportement passé est souvent un bon indicateur du comportement futur. Le gouvernement affiche des déficits depuis son arrivée au pouvoir en 2015. Il a abandonné depuis longtemps son projet d’équilibre budgétaire. Il a trouvé des « garde-fous » pendant la pandémie, qu’il a également abandonnés. Nous voici donc avec ces nouveaux ancrages que de nombreux économistes ont indiqué prendre avec un grain de sel compte tenu des antécédents du gouvernement. Je me demande si vous tenez compte du comportement passé du gouvernement lorsque vous modélisez vos intervalles de confiance.
M. Giroux : C’est très subjectif. Il serait risqué d’ajouter cet élément à nos intervalles de confiance. Nous examinons l’histoire passée et la façon dont les événements peuvent se dérouler dans un délai relativement court comme celui-là, mais nous n’ajoutons pas d’éléments subjectifs comme la propension du gouvernement à présenter de nouvelles mesures de dépenses. Cela serait très subjectif, dans une certaine mesure.
Le sénateur Smith : Y a-t-il certains ministères qui, selon vous, progressent mieux que d’autres? Comment évaluez-vous les relations avec divers ministères en ce qui a trait à certaines des mesures financières qu’ils essaient d’entreprendre et qui ne connaissent pas un grand succès? S’agit-il d’un problème systémique dans l’ensemble du gouvernement, ou y a-t-il des gens qui réussissent bien et d’autres qui réussissent moins bien?
M. Giroux : Il est difficile de répondre à cette question avec certitude. Certains ministères ont une certaine souplesse. Notamment, le ministère de la Défense nationale dispose d’un budget important, ce qui lui permet de réduire facilement les dépenses ou de freiner l’augmentation de ses dépenses en raison de l’ampleur de son budget. Un autre ministère, par exemple, est Emploi et Développement social Canada, ou EDSC, dont la fonction principale est d’émettre des chèques aux gens. Il n’a pas la même capacité.
L’orientation politique est un autre élément dont il faut tenir compte. Certains d’entre vous ont peut-être entendu le premier ministre dire qu’il n’est pas un fervent partisan de la réduction des dépenses. Il a dit cela dans un contexte précis, mais les hauts fonctionnaires pourraient être portés à croire que le chef du gouvernement n’est pas si convaincu qu’une réduction des dépenses s’impose. Ces types de signaux ont aussi beaucoup d’importance. Certains hauts fonctionnaires utilisent ces énoncés et les interprètent d’une certaine façon, ce qui fait en sorte qu’ils ne prennent pas toutes les mesures nécessaires pour gérer les dépenses de façon prudente, et ainsi stabiliser ou réduire les dépenses.
Le sénateur Smith : Merci.
La sénatrice Galvez : Bonjour et bonne année. Merci, monsieur Giroux, de votre visite aujourd’hui.
Mes collègues ont posé des questions sur les dépenses. J’aimerais vous poser des questions sur les recettes. Vous avez dit que vous avez revu à la baisse les 4,2 milliards de dollars en 2023-2024 en raison de redevances pétrolières et gazières extracôtières moins élevées que prévu qui ont été remises aux provinces. J’ai des problèmes avec cela parce que le secteur du pétrole et du gaz enregistre des profits records. Vous devrez me l’expliquer. Les provinces ont reçu un montant record de 38 milliards l’an dernier. Nous avons maintenant un nouvel oléoduc, et tout le monde augmente sa production. Pourquoi dites-vous que vous révisez les redevances à la baisse? Pouvez-vous nous dire comment les redevances au Canada se comparent à celles d’autres autres pays?
M. Giroux : Je crois savoir que pour le pétrole et le gaz, au moins sur la terre ferme, les redevances sont perçues par les provinces. Le gouvernement fédéral ne perçoit pas beaucoup de redevances sur le pétrole et le gaz à cause de la séparation constitutionnelle des recettes tirées de ces ressources. Il y a les redevances pétrolières et gazières extracôtières, qui sont un régime différent, mais des accords ont été conclus, notamment avec les provinces de l’Atlantique, pour que ces redevances soient partagées d’une certaine façon. Les gouvernements fédéral et provinciaux ont conclu de multiples accords sur la dépense ou le partage de ces redevances.
En ce qui concerne la comparaison entre les redevances versées au Canada et celles versées dans d’autres pays, je n’ai malheureusement aucune information à ce sujet. Cependant, nous pourrions faire des recherches et vous donner cette information si elle est facilement accessible.
La sénatrice Galvez : Oui, parce que j’ai lu que ces redevances sont très faibles non seulement pour le pétrole et le gaz, mais aussi pour les minéraux. Les redevances versées pour tout ce que nous extrayons ici au Canada sont très faibles.
Vous avez fait un rapport sur certaines recettes prévues si nous avions une taxe exceptionnelle sur les bénéfices des grands producteurs de pétrole. Vous me corrigerez si j’ai tort, mais j’ai lu quelque part que c’était environ 4,5 milliards de dollars par an. Ce ne sont pas des recettes négligeables. Si je regarde ce que nous dépensons chaque année dans la construction, c’est plus que cela, mais le montant correspondrait à ce qu’il nous en coûte par rapport à ces recettes.
M. Giroux : Je ne suis pas sûr de comprendre la question. Nous avons fait un exercice d’établissement des coûts à la demande, je crois, d’un député.
La sénatrice Galvez : Quelqu’un de l’autre endroit?
M. Giroux : C’est une bonne façon de le dire. L’exercice d’établissement des coûts portait sur le résultat possible si le gouvernement devait instaurer une taxe exceptionnelle sur les bénéfices des sociétés pétrolières et gazières. Je n’ai pas les chiffres exacts auxquels nous sommes arrivés, mais cela ressemble à ce que vous venez de mentionner.
La sénatrice Galvez : Donc ils ressemblent à ceux que j’ai mentionnés, d’accord.
Ma dernière question porte sur Norman Wells, aux Territoires du Nord-Ouest. J’ai rencontré des groupes autochtones et des maires de Norman Wells et d’autres communautés. Ils m’ont dit que pendant la dévolution des Territoires du Nord-Ouest, ces puits qui produisaient du gaz allaient être laissés à l’administration du nouveau gouvernement des Territoires du Nord-Ouest. Toutefois, le gouvernement fédéral n’a jamais approuvé cela, de sorte qu’il est demeuré responsable de la production de gaz de Norman Wells.
En poussant cette enquête et cette recherche sur cette question, il semble que ce gaz soit envoyé aux sables bitumineux pour l’extraction du sable pétrolier. Ai-je raison? Utilisons-nous de l’énergie plus propre pour produire de l’énergie plus sale? En même temps, nous éprouvons des difficultés à envoyer du diésel aux collectivités du Nord parce qu’il n’y a plus de possibilités de transport fluvial et de moins en moins de transport sur glace. Nous avons du gaz là-bas, et nous l’envoyons au Sud. Ce n’est pas efficace.
M. Giroux : Si c’est effectivement ce qui se passe, cela ne semble pas très efficace. Malheureusement, je ne connais pas Norman Wells et ses opérations.
La sénatrice Galvez : Oui, parce qu’il y a encore des redevances, et vous avez dit que le gouvernement fédéral n’est responsable que des redevances extracôtières. J’essaie de comprendre s’il y a des exceptions à cette règle.
M. Giroux : Je sais que les territoires ont un régime différent en ce qui a trait aux recettes tirées des ressources naturelles. C’est pourquoi des ententes sur le partage des recettes ont été négociées et signées avec certains d’entre eux, voire avec chacun d’eux. Un régime différent s’applique dans les territoires en ce qui concerne les recettes pétrolières et gazières ou les recettes tirées des ressources.
La sénatrice Galvez : Faisons-nous la transition vers une économie à faible émission de carbone aussi vite que nous le devrions?
M. Giroux : C’est une bonne question. Cela dépend de la personne à qui vous demandez.
La sénatrice Galvez : Je vous le demande.
M. Giroux : Je m’abstiendrai d’intervenir. Si nous étions au sud de la frontière, j’invoquerais le cinquième amendement.
La sénatrice Galvez : Merci.
Le sénateur Loffreda : Bienvenue, à votre équipe et à vous, monsieur Giroux. C’est toujours un plaisir de vous accueillir ici. Je suppose que c’est un cadeau de la Saint-Valentin à l’avance pour ce comité, alors je vous en remercie.
Sur une note plus sérieuse, le logement abordable est une priorité pour beaucoup. Je sais que lorsqu’un sujet est prioritaire, vous l’examinez toujours. Compte tenu de votre analyse, de votre recherche et de votre expérience, j’aimerais avoir votre avis sur ce qui suit : La loi sur le ministère du Logement, de l’Infrastructure et des Collectivités, à la section 11 de la partie 5, vise à créer un nouveau ministère du Logement, de l’Infrastructure et des Collectivités, dont l’objectif est de faire progresser l’infrastructure publique et les résultats en matière de logement. Je pense que nous pouvons tous comprendre les défis auxquels les Canadiens sont confrontés en ce qui concerne le logement abordable. En apparence, il semble s’agir d’une bonne politique. Partagez-vous cet optimisme? Est-ce une bonne décision qui aidera à simplifier les décisions et à accélérer le rythme des nouveaux projets de construction? D’après votre expérience, votre analyse et votre recherche, dans quelle mesure êtes-vous sûr que ce nouveau ministère réduira les formalités administratives? Je vous invite aussi à formuler tout autre commentaire que vous jugez approprié à ce sujet.
M. Giroux : C’est une question intéressante à laquelle je ne m’attendais pas, comme beaucoup de questions de vos collègues.
Je vous répondrai que je n’ai jamais été un grand adepte des changements à la structure ou à l’appareil gouvernemental seulement pour faire des changements. Je crois que si vous avez les bonnes personnes, avec la volonté de faire de la bonne politique — peu importe le programme, l’endroit où il est hébergé et le ministère qui en est responsable —, cela arrivera. La création d’un ministère qui se consacre à une seule question n’est pas nécessairement mauvaise, mais on peut le faire, peu importe où la responsabilité est hébergée, si je puis dire.
À deux ou trois reprises, nous avons examiné les multiples programmes de logement. Nous avons constaté qu’il existe une pléthore de programmes, une longue liste de programmes différents, qui ciblent une clientèle légèrement différente : le logement locatif, le logement abordable, les provinces et les territoires, ainsi que le logement autochtone. Il y a une longue liste de programmes, chacun d’entre eux ayant des critères d’admissibilité légèrement différents. Certains sont des prêts, d’autres des subventions, et d’autres sont à coûts partagés avec les provinces. Certains définissent l’abordabilité d’une manière et d’autres la définissent d’une autre, comme le loyer médian dans une ville. Le loyer médian à Vancouver ou à Toronto peut facilement être supérieur à 2 000 $, et si l’abordabilité est définie comme étant 80 % de ce montant, un appartement abordable peut être de 1 800 $. Je ne pense pas que cela soit très abordable, et quelqu’un qui travaille au salaire minimum ne le trouverait certainement pas abordable. La longue liste de programmes de logement soulève diverses questions, mais, à mon avis, le fait d’avoir un ministère responsable n’est probablement pas la solution miracle qui changera les choses. C’est ce que je pense.
Le sénateur Loffreda : Merci de ce commentaire.
Ce n’est pas la première fois que nous sommes confrontés à ce problème. Je sais que vous avez de nombreuses années d’expérience. Nous avions les mêmes problèmes dans les années 1980. Les taux d’intérêt élevés et le logement abordable étaient de graves problèmes. Un programme qui permettait aux gens d’investir dans les immeubles d’habitation à logements multiples et d’utiliser la classe d’amortissement pour créer des pertes en a sauvé beaucoup. Il y a l’offre et la demande, mais à ce stade, il y a aussi la demande et l’offre. Le coût de propriété, avec des frais d’intérêt élevés, a rendu la demande presque impossible. Nous avons besoin de logements abordables, mais il est difficile pour le consommateur, pour le Canadien moyen, de trouver un logement abordable.
À la lumière de votre expérience et des analyses que vous avez menées par le passé, est-ce que votre équipe et vous avez en tête des mesures incitatives qui pourraient être adoptées? Nous n’avons pas besoin d’une solution miracle. Je ne pense pas qu’il y en existe une. Si c’était le cas, nous l’aurions déjà, évidemment. Devrait-il y avoir plus d’incitatifs fiscaux pour le promoteur, pour la personne qui acquiert le bien ou le bien locatif? Ou est-ce que la propriété n’est-elle plus qu’un rêve du passé pour les Canadiens, et que nous devrions plutôt aspirer à des logements locatifs abordables?
M. Giroux : J’espère que le fait d’être propriétaire d’une maison ou d’un condominium ne soit pas chose du passé. Je ne pense pas que ce soit le cas. Il y a des experts dans ce domaine. Je ne suis pas un expert. D’après ce que j’ai entendu des experts du domaine, bien des choses doivent se produire pour résoudre la crise de l’abordabilité.
Les villes doivent être plus agiles dans l’octroi de permis de construction. C’est un problème que le gouvernement tente de régler. Ce n’est pas facile parce que les bureaucraties ont un moyen de justifier leur propre existence, parfois pour de bonnes raisons, mais parfois seulement pour le simple fait d’exister.
Les constructeurs et les promoteurs doivent être en mesure de construire plus facilement. Le coût des matériaux de construction est un obstacle, mais il en va de même de la pénurie de main‑d’œuvre que connaît le secteur. Dieu sait qu’il n’est pas facile de combler l’écart lorsqu’il y a pénurie de main-d’œuvre dans les métiers spécialisés.
Il doit y avoir des logements plus abordables, et ce n’est pas un problème facile à régler. Il s’agit d’un ensemble d’éléments des secteurs privé et public, mais des ordres provincial, municipal et fédéral du secteur public. Comme vous l’avez dit, il n’y a pas de solution miracle. Je ne suis pas un expert dans ce domaine. Si c’était le cas, j’aurais trouvé une solution à la crise du logement et je serais plus riche.
Le sénateur Loffreda : Il s’agit d’une situation difficile, et nous sommes tous à la recherche de réponses, évidemment. Comme nous l’avons dit, il n’y a pas de solution miracle. Nous pouvons apprendre du passé. Dans les années 1980, les incitatifs fiscaux ont été utiles. Peut-être devrions-nous en avoir davantage. Peut-être pourrions-nous nous pencher sur cette question à l’avenir. Même si la politique relève du gouvernement, nous pourrions peut-être analyser certains des incitatifs fiscaux qui ont rendu le logement plus abordable par le passé. Merci.
La sénatrice Kingston : Merci d’être ici ce matin.
Je vais aussi vous poser des questions sur le logement, mais d’un point de vue légèrement différent. Tout d’abord, le fonds Vers un chez-soi, qui aide à gérer le dossier des sans-abri pour les collectivités du pays, était géré à un moment donné par Emploi et Développement social Canada et a été transféré au ministère du Logement, de l’Infrastructure et des Collectivités édicté dans ce projet de loi. Pouvez-vous me dire pourquoi? Avez-vous une idée des raisons pour lesquelles cela a été fait en particulier? Je ne pense pas seulement à l’infrastructure matérielle; je pense à l’infrastructure sociale. Est-ce là une partie de la discussion et de la réflexion qui sous-tendent la création de cette loi?
M. Giroux : Je ne peux pas expliquer pourquoi le gouvernement a décidé de changer les choses. Il me dit rarement pourquoi il apporte des changements. Je viens de l’extérieur; il ne m’inclut pas dans le cercle. À la lumière des commentaires du public, la décision de transférer ce programme d’EDSC à l’entité nouvellement créée vise à garantir que tous les programmes liés au logement sont gérés de manière cohérente, dans l’espoir de rendre le programme plus transparent et plus intégré pour passer de l’itinérance au logement abordable. C’est ce que je comprends des commentaires du public.
Je pense qu’il est probablement logique de transférer ce fonds à ce nouveau ministère. Comme je l’ai dit à votre collègue, les structures ont un niveau d’importance, mais la volonté de faire la bonne chose et d’avoir des personnes compétentes responsables de ces programmes importe beaucoup plus que l’identité de la personne ou du ministère de qui il relève. Je pense qu’il est logique que ces programmes soient sous la même direction.
La sénatrice Kingston : La stratégie Vers un chez-soi parle du programme Logement d’abord, et Logement d’abord parle de soutien pour les gens — non seulement l’infrastructure dans laquelle ils ont besoin de vivre, mais aussi les soutiens dont ils ont besoin pour réussir dans leur logement. Infrastructure Canada recrute-t-il des personnes possédant l’expertise nécessaire pour réfléchir — lorsqu’elles décident de la façon dont leurs subventions seront structurées, par exemple — à ce qu’elles vont soutenir? Va-t-on appuyer ces mesures de soutien au logement pour les collectivités qui sont absolument nécessaires? Je pense à l’élaboration de politiques et aux 5 à 15 % de personnes qui sont sans-abri et qui ne réussiront pas sans ces soutiens. Pour que cela se produise, les ministères doivent travailler de concert. Avez‑vous vu Infrastructure Canada se pencher sur cette question, vouloir poursuivre les objectifs du programme Logement d’abord et donner aux collectivités les moyens d’aller de l’avant avec l’approche de ce programme?
M. Giroux : D’après mon expérience avec EDSC, qui était auparavant responsable de l’itinérance, ce ministère applique une bonne lentille sociale aux programmes. C’est probablement pour cette raison que les programmes de lutte contre l’itinérance sont offerts à EDSC depuis un certain nombre d’années, parce qu’il a cette perspective et qu’il est en contact avec les provinces et les territoires.
Étant donné que le programme est transféré d’EDSC à Infrastructure Canada, habituellement, le personnel est aussi transféré. J’espère — et je n’ai aucune raison de croire le contraire — que le personnel qui a géré Vers un chez-soi à EDSC sera aussi celui qui gérera cette initiative sous l’égide ministérielle d’Infrastructure Canada. Toutefois, je ne me suis pas penché sur cette question en particulier.
La sénatrice Kingston : Merci.
La sénatrice Ross : J’aimerais avoir une idée de la taxe sur les services numériques — les 3 % qui seront mis en œuvre et qui pourraient être rétroactifs. Je veux savoir quelle incidence cela aura, selon vous, sur les Canadiens, compte tenu des recettes qu’elle devrait générer.
M. Giroux : Heureusement, ma collègue, madame Sourang, a travaillé sur cette question. Elle pourra en parler beaucoup mieux que moi.
Diarra Sourang, directrice, Analyse économique, Bureau du directeur parlementaire du budget : Merci de votre question.
En ce qui concerne la taxe sur les services numériques, nous avons remarqué que l’une des répercussions pour les consommateurs canadiens est que les entreprises pourraient éventuellement augmenter les prix de leurs services. En général, nous constatons que chaque fois qu’une taxe est imposée sur un service ou un bien, les entreprises ont tendance à la transférer entièrement aux consommateurs. C’est un risque que nous avons signalé dans nos notes sur l’établissement des coûts, mais je dirais que ce sont surtout les entreprises qui subiraient les répercussions et que la taxe ne serait pas nécessairement transférée aux consommateurs. Encore une fois, comme nous l’avons indiqué dans le rapport, il existe des moyens pour les entreprises de réaffecter leurs bénéfices. Ce sont de grandes sociétés, ce qui signifie qu’elles ont plus de latitude que les petites entreprises quant à l’endroit où elles déclarent leurs revenus et à la façon dont elles les consolident pour qu’ils soient déclarés conformément à la loi sur la taxe sur les services numériques. Je dirais que les répercussions se feraient davantage sentir du côté des entreprises — donc les recettes — pour le gouvernement canadien. L’incidence sur le consommateur serait un peu moindre si nous examinons la question sous cet angle.
La sénatrice Ross : À titre de suivi, quelle incidence cela aurait-il, selon vous, sur le climat d’investissement au Canada si tous les autres pays n’en ont pas?
Mme Sourang : Eh bien, lorsque le Canada a décidé de ne plus participer aux consultations de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou l’OCDE, c’était un risque. Il a aussi décidé de le faire pour une raison, à savoir que les pourparlers étaient retardés et que le Canada voulait avoir sa propre loi. Cependant, ce n’est pas le seul pays qui a une telle taxe. Le Royaume-Uni a mis en œuvre avec succès une taxe de ce genre. Il a fait des examens de suivi, et cela ne semble pas avoir eu d’incidence sur le climat d’investissement au Royaume-Uni. Nous n’avons donc aucune raison de croire que ce sera le cas au Canada.
La sénatrice Ross : Merci.
La sénatrice MacAdam : Merci de votre présence.
Je me demande s’il existe des renseignements détaillés sur le cadre de tarification de la pollution indiquant le produit de la taxe sur le carbone reçu ainsi que les paiements de l’incitatif et les remboursements. J’ai remarqué dans l’énoncé économique de l’automne que le produit en 2023-2024 était prévu à 10,4 milliards de dollars et que le produit de la tarification de la pollution qui serait remis est de 11,2 milliards. Peut-être avez‑vous fait ce genre d’établissement de coûts et que vous pourriez donner des renseignements détaillés à ce sujet. Je me demande où on pourrait les trouver.
M. Giroux : Le gouvernement publie tous les trimestres — sinon plus souvent — des renseignements sur les produits qu’il perçoit et les remboursements qu’il verse aux Canadiens. Je pense qu’il le fait par administration. Nous aurons certainement des projections à jour dans les perspectives économiques et financières que nous publierons le mois prochain.
La sénatrice MacAdam : S’agit-il d’une ventilation détaillée? On présente évidemment les entreprises et les particuliers, mais indique-t-on aussi les types d’entreprises? Pouvez-vous voir ces données pour le secteur agricole ou l’agriculture, par exemple?
M. Giroux : Dans notre analyse, dans nos perspectives économiques et financières, non, ce sont les montants globaux. Je ne sais pas si le gouvernement donne des détails aussi précis. Je ne crois pas. Nous secouons tous la tête, donc probablement pas. Peut-être Statistique Canada publiera-t-il cette information plus tard une fois qu’il l’aura, mais à ma connaissance, elle n’est pas fournie publiquement pour le moment.
La sénatrice MacAdam : Merci.
Le président : Honorables sénateurs, nous passons maintenant à une deuxième série de questions de trois minutes chacun.
La sénatrice Marshall : Monsieur Giroux, plusieurs de mes collègues ont posé ce matin des questions sur les recettes. Les recettes de l’impôt sur le revenu des particuliers sont passées de 181 milliards de dollars en 2015 à 315 milliards de dollars l’an dernier. Il s’agissait d’une augmentation de 74 %. Cependant, l’impôt sur les sociétés est passé de 39 milliards de dollars à 93 milliards de dollars, mais cette augmentation a été de 141 % — presque le double de l’impôt sur le revenu des particuliers. Existe-t-il une ventilation des recettes selon la source des recettes? Un de mes collègues ici ce matin posait des questions sur la taxe de luxe qui a été imposée et sur la façon dont le gouvernement projetait un certain montant qu’il percevrait, mais nous ne savons pas s’il a effectivement perçu ce montant. Ces renseignements sont-ils disponibles? Je pensais avoir lu quelque part — peut-être que c’était dans les comptes publics — que l’augmentation des recettes fiscales était en partie attribuable au secteur des ressources, ce qui revient à une question posée par la sénatrice Galvez. Peut-on trouver une ventilation quelque part? J’aimerais savoir ce que le gouvernement a perçu auprès des banques, parce qu’il y a eu un certain nombre de nouvelles taxes imposées aux banques et aux institutions financières, et je pense qu’il y a une nouvelle taxe imposée aux banques. On nous présente les rentrées d’impôt sur le revenu des sociétés de façon globale, mais il n’y a pas de ventilation. À mon avis, il serait très utile d’avoir cette ventilation. Savez-vous si le public y a accès? Je ne l’ai pas trouvée. Êtes-vous en train d’en faire une? Peut-être que Statistique Canada serait mieux placé pour le faire. Je ne sais pas.
M. Giroux : Nous n’avons pas cette répartition en soi. Nous prenons le montant global de l’impôt sur le revenu des sociétés. J’ai entendu la même chose dans les discussions avec les provinces — notamment — et les fonctionnaires fédéraux. Peut‑être que Statistique Canada a la ventilation des bénéfices par secteur, à partir de laquelle nous pourrions déduire l’impôt sur le revenu des sociétés, mais il est toujours difficile de calculer l’impôt sur le revenu des sociétés parce qu’il y a des crédits rétroactifs et à terme que l’on peut appliquer — des pertes, notamment. Je ne suis au courant d’aucune source d’information accessible au public qui pourrait fournir ce type de ventilation.
La sénatrice Marshall : Cela relèverait-il de votre mandat, ou bien de celui de quelqu’un d’autre? Pourriez-vous l’obtenir si on vous le demandait?
M. Giroux : Oui, nous pourrions le faire. Nous pouvons demander ces renseignements au ministère des Finances Canada et à l’Agence du revenu du Canada si on nous le demande.
[Français]
Le sénateur Forest : Le 4 août 2023, le gouvernement fédéral a publié un avant-projet de loi visant l’instauration d’un régime d’impôt minimum pour les entreprises. Il s’agit d’un engagement envers l’OCDE et le G20 en vue de lutter contre l’érosion de la base d’imposition de transfert des bénéfices. Bien que la consultation ait pris fin à l’automne 2023, je comprends que les dispositions visant à s’assurer que les entreprises paient un minimum de 15 % d’impôt ne font pas partie du projet de loi C-59. Est-ce bien le cas?
M. Giroux : Oui, c’est bien le cas.
Le sénateur Forest : Selon vous, cette mesure visant à fixer un impôt minimum de 15 % vous semble-t-elle porteuse?
M. Giroux : Oui et non. C’est une mesure qui pourrait être porteuse dans la mesure où les autres sphères de compétence principales font la même chose. Si le Canada se retrouve à faire cavalier seul ou presque seul, il y a un risque important de fuite fiscale, surtout pour les grandes compagnies qui transféreraient une bonne partie de leurs profits à l’extérieur du pays pour profiter de taux de taxation plus faibles. C’est possible dans le cas de compagnies qui ont beaucoup d’actifs intangibles, de revenus non liés à des ventes de marchandises.
Le sénateur Forest : Comme c’est un engagement envers l’OCDE et le G20, j’avais l’impression que c’était une mesure qui était répartie ou en vigueur dans plusieurs autres sphères de compétence internationales.
M. Giroux : En effet, il y a un engagement international à faire. Lorsqu’on arrive à la mise en œuvre, c’est là qu’on voit qu’il y a beaucoup de retard ou beaucoup d’exceptions lorsque les plans sont mis en œuvre. Cela explique pourquoi il n’y a pas beaucoup d’incitatifs à être la première administration qui mettra en œuvre un tel impôt minimum avec du mordant, parce qu’il y a un risque de fuite fiscale.
Le sénateur Forest : D’accord, merci. Juste à titre d’information concernant la taxe de luxe, les HEC ont publié une étude fort intéressante qui montre qu’on a perdu plus d’un milliard de dollars simplement dans l’industrie aérospatiale depuis l’implantation de cette taxe de luxe.
M. Giroux : C’est un bon point qui souligne encore une fois l’importance de l’action concertée lorsqu’on met en œuvre un impôt minimum pour les grandes compagnies, parce qu’on risque de subir ce même type de phénomène.
Le sénateur Forest : On avait souligné à l’époque — avec insistance — l’importance d’évaluer le coût-bénéfice de certaines mesures, qui va au-delà d’une portée idéologique visant à faire plaisir à une certaine catégorie d’électeurs. Merci.
Le sénateur Gignac : Monsieur Giroux, je vais vous amener sur un autre sujet. Depuis un certain temps, l’immigration fait beaucoup parler. D’ailleurs, hier, à la Chambre des communes, il y a eu une motion qui a obtenu l’appui unanime des partis de l’opposition pour demander au gouvernement de réviser les cibles d’immigration, car il semble ne pas avoir tenu compte des étudiants étrangers, des travailleurs temporaires et des demandeurs d’asile, et tout ceci exacerbe la crise du logement. Sauf erreur, le 12 janvier dernier, vous avez publié un document qui s’intitule Dynamique des revenus des nouveaux immigrants au Canada. Il y avait des éléments très positifs par rapport au changement que l’on voit sur le plan de l’immigration. On constate également des incidences négatives sur la croissance de la productivité. Pouvez-vous nous résumer l’essentiel de votre étude?
M. Giroux : Monsieur le sénateur, je vois que vous et vos collègues aimez discuter de sujets qui ne sont pas controversés du tout, comme la taxe sur le carbone, l’immigration et le logement.
Pour en revenir à votre question, en effet, on a publié une étude sur le sujet. On a regardé la dynamique de l’immigration et surtout les revenus des immigrants, surtout dans une perspective historique, pour voir comment le revenu de travail des immigrants se compare à la moyenne canadienne. On a trouvé qu’il y a eu un très fort rattrapage pour ce qui est du revenu des immigrants, surtout depuis 2014-2015. Ils sont passés d’environ 58 % de la moyenne canadienne à près de 80 %. Il y a eu un très fort rattrapage en quelques années seulement.
On n’a pas encore fait d’étude approfondie pour voir quelle était la cause exacte de cela, mais on a considéré le fait que cela correspond à peu près à l’entrée en vigueur des programmes autorisant l’entrée d’immigrants qui ont déjà une expérience de travail ou d’étude au Canada. Cela montre bien que l’attachement ou une expérience préalable au pays, lorsqu’on accepte des immigrants ou des résidents permanents, facilite grandement leur intégration, du moins dans le marché du travail, de même que le fait d’avoir un réseau déjà établi au Canada.
En matière de productivité, le fait d’avoir une cohorte importante d’immigrants a un impact négatif sur la productivité. On le mentionne, mais ce n’est pas nécessairement péjoratif; c’est probablement l’effet temporaire de s’adapter à un nouveau pays, à de nouvelles façons de faire, de la nouvelle machinerie, du nouvel équipement, de nouvelles normes, de nouvelles lois, ce qui fait en sorte qu’il y a une baisse temporaire de la productivité. En deux minutes, c’est le résumé de notre étude.
Le sénateur Gignac : En 15 secondes, y a-t-il des disparités d’une province à l’autre? Vous avez fait une ventilation par province. Avez-vous des remarques à faire?
M. Giroux : Bien sûr. L’Ontario semble beaucoup bénéficier de l’immigration. C’est là qu’un contingent important d’immigrants s’établit. Il y a aussi la provenance des immigrants, le pays source. Les immigrants originaires de l’Inde et de la Chine semblent avoir profité davantage du rattrapage en matière de revenu comparativement à la moyenne canadienne.
Le sénateur Gignac : D’accord, merci.
[Traduction]
Le sénateur Smith : Dans l’énoncé économique de l’automne, monsieur Giroux, le gouvernement a réitéré son engagement, dans le cadre de ses examens des dépenses avec l’administration fédérale, à réorienter les dépenses et à éliminer les dépenses inutiles. Le gouvernement a relevé un peu moins de 2,5 milliards de dollars au cours des sept prochaines années. Compte tenu de l’état déjà inefficace de la fonction publique fédérale, où de nombreux ministères continuent de ne pas atteindre les cibles qu’ils se fixent eux-mêmes, un problème que vous avez souligné à plusieurs reprises, j’aimerais savoir si vous croyez que ces exercices risquent d’aggraver la situation.
Pendant la pandémie, les gens acceptaient toutes les mesures prises par le gouvernement. Il semblait positif d’appuyer les Canadiens. Comment nous réajustons-nous? On semble être à un point où, dans les prochaines années, il y aura une occasion d’intervenir et de trouver une solution. Comment nous réajustons-nous? Nous semblons être déséquilibrés. Est-ce que je me trompe?
M. Giroux : Je tenterai d’abord de répondre à votre première question. Y a-t-il un risque que les compressions des dépenses ne fassent qu’empirer les choses lorsqu’il s’agit de la prestation des services publics? Cela dépend de la façon dont on procède à un exercice de réaffectation ou de réduction des dépenses. Si vous demandez aux ministères de faire des compressions de 5 % ou 10 % et que vous les laissez faire, il se peut que certains d’entre eux fassent ce qu’on appelle le Carrousel, pour faire référence à la réduction des dépenses d’il y a quelques décennies, où la Gendarmerie royale du Canada a offert de réduire le Carrousel, qui était très populaire, pour éviter de réduire les services ou les dépenses qui étaient considérés comme inefficaces. Il s’agit d’un phénomène bien connu dans la fonction publique, soit d’offrir un carrousel. C’est pourquoi il faut avoir des paramètres clairs lorsqu’on lance un examen des dépenses ou un exercice de réduction des dépenses, afin de garantir que les éléments qui sont importants pour le gouvernement au pouvoir ne sont pas sacrifiés inutilement pour éviter de mauvais résultats.
Il y a des moyens d’améliorer ou, du moins, de maintenir les services tout en réduisant les dépenses en examinant la façon dont les choses sont faites plutôt que de faire les mêmes compressions redondantes. Les compressions des dépenses ne feraient-elles qu’empirer la prestation des services? Pas nécessairement. Elles pourraient mener à des améliorations des services si, par exemple, elles donnent l’occasion d’améliorer la prestation ou la gestion des services.
J’ai oublié le deuxième aspect de votre question.
Le sénateur Smith : Je me suis tellement emporté que je l’ai oublié aussi. Pourquoi ne donnons-nous pas maintenant la chance à quelqu’un d’autre d’intervenir? Vous faites un excellent travail.
Le sénateur Loffreda : Nous avons couvert de nombreux domaines ce matin, comme vous l’avez dit, dont certains auxquels vous ne vous attendiez pas, mais nous n’avons pas abordé la Loi sur la concurrence et la concurrence, qui est essentielle pour notre économie et pour nos consommateurs. Nous l’avons vu dans toutes les industries. Cela apaiserait de nombreuses préoccupations. Une concurrence accrue aiderait à atténuer ces inquiétudes, comme l’inflation, un domaine dans lequel le gouvernement tente de résoudre ces problèmes.
D’après votre expérience et votre analyse de recherche, vos réflexions sont toujours très utiles, comme je l’ai dit. La section 6 de la partie 5 du projet de loi C-59 vise à modifier la Loi sur la concurrence afin de renforcer le cadre d’application de la loi contre les abus de position dominante commis par les grandes entreprises et de permettre au commissaire de la concurrence de mener des examens et d’élargir son choix de comportements anticoncurrentiels. Je suis convaincu qu’il s’agit d’une bonne nouvelle pour la plupart des Canadiens, et je sais que vous connaissez bien la Loi sur la concurrence et l’importance d’avoir un environnement d’affaires équitable qui encourage l’innovation et la concurrence qui peuvent profiter aux Canadiens et rendre la vie plus abordable. À votre avis, quels sont les changements qui pourraient être nécessaires au‑delà de ce qui est proposé dans le projet de loi C-59 et qui pourraient aider à accroître la concurrence au Canada, ou quelles sont vos opinions générales sur ce qui a été proposé? Que pourrait-on faire de plus? Êtes-vous convaincu que nous résoudrons ces problèmes?
M. Giroux : Les dispositions du projet de loi C-59 concernant la Loi sur la concurrence semblent donner de meilleurs outils au chirurgien qui s’occupera du patient, et il donne donc plus d’outils au Bureau de la concurrence pour lutter contre l’abus et la domination d’un marché. Comme je l’ai dit, c’est un peu comme le chirurgien qui a de meilleurs outils pour opérer son patient.
Toutefois, cela ne permet toujours pas d’ouvrir certains secteurs à la concurrence, ce qui empêche le pouvoir de marché abusif qui pourrait mener à ces recours. Par exemple, certains secteurs sont protégés de la concurrence étrangère. Il y a de très bonnes raisons à cela, mais quand vous avez des monopoles internes ou des oligopoles, il y aura inévitablement des secteurs protégés de la concurrence où on se demandera s’ils abusent de leur position dominante sur le marché.
Il existe aussi des monopoles naturels tels que les géants numériques. Il est naturel d’avoir des monopoles parce que les gens veulent être sur Instagram ou Facebook ou autre, donc plus les gens fréquentent ces réseaux, plus ceux-ci deviennent gros parce que c’est là où l’on veut être.
Mais, par exemple, le secteur du transport aérien — je ne vise aucun secteur en particulier — en est un bon exemple, parce qu’il coûte très cher de développer une compagnie aérienne, du point de vue de l’investissement en capital, et qu’il est donc naturel, dans un petit pays comme le Canada, qu’il n’y ait pas autant d’acteurs nationaux. L’ouverture du secteur et de tout autre secteur à la concurrence rendrait probablement moins nécessaire d’avoir un Bureau de la concurrence fort parce qu’il y aurait naturellement plus de concurrence.
Je sais que le temps est limité, et le président me regarde sans doute pour me dire de conclure.
Le sénateur Loffreda : Il y a beaucoup de matière à discussion ici.
M. Giroux : Oui.
Le sénateur Loffreda : Merci beaucoup.
La sénatrice Kingston : Je veux revenir à ce dont je parlais tout à l’heure. Vous avez dit que le personnel est transféré, par exemple, d’Emploi et Développement social Canada à Infrastructure Canada, mais est-il intégré à la haute direction d’Infrastructure Canada? Voici où je veux en venir : lorsque vous parlez de la façon dont les choses sont faites, de la façon dont les subventions sont mises en place, est-ce que le ministère utilise une lentille sociale ou lui demande-t-on d’examiner le problème avec une lentille sociale, en pensant aux déterminants sociaux de la santé et à d’autres choses qui doivent se produire en termes de logement pour certaines personnes? J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Giroux : C’est une question intéressante, mais je n’ai pas examiné la structure organisationnelle du nouveau ministère quant à la façon dont il intégrera ou a intégré les programmes de lutte contre l’itinérance et l’ensemble des programmes dans le cadre du programme de lutte contre l’itinérance. C’est probablement tout ce que je peux dire. C’est une bonne question pour le sous-ministre de la nouvelle entité.
La sénatrice Kingston : Merci.
La sénatrice Ross : Dans certains de vos examens, vous avez parlé d’un réalignement des dépenses. Pouvez-vous me donner une idée de l’endroit où ce réalignement sera effectué? S’agit-il de ministères ou de programmes particuliers? Selon vous, où se produira-t-il?
M. Giroux : Cela dépend de l’endroit où le gouvernement veut orienter ses propres priorités. Il pourrait s’agir, par exemple, de mettre fin à des programmes complets, ce que l’on pourrait appeler un réalignement des programmes si, par exemple, on estime qu’un programme donné n’est plus nécessaire et on réaffecte ces ressources à d’autres domaines prioritaires, ou encore de cesser d’offrir certains services internes ou de les réduire. Cela dépend de ce que le gouvernement considère comme ses priorités changeantes. Il pourrait examiner les investissements ou les dépenses qu’il a faits ou qu’il s’est engagé à faire en 2015, mais qui ne sont plus jugés nécessaires. Cela dépend des décisions du gouvernement.
La sénatrice Ross : Aucune indication n’a été donnée quant à ce que cela pourrait être?
M. Giroux : Quand je dis que je n’ai aucun détail, j’inclus ce genre de détail très important. Je ne suis certainement pas au courant d’instructions ou de directives claires hormis la réduction des services professionnels et des déplacements, ce que le gouvernement a annoncé récemment et qui faisait l’objet de notre rapport au début de la semaine. Il n’y a pas d’indication claire.
La sénatrice Galvez : Nous avons parlé des dépenses et des recettes, et c’était très intéressant. J’aimerais parler des économies. Pour moi, les économies sont synonymes d’efficacité et de compétitivité accrue, ce qui est si important, comme le sénateur Loffreda l’a mentionné.
Vous avez rédigé un court rapport intéressant, intitulé Recentrer les dépenses gouvernementales en 2023-2024, dans lequel vous avez dit que vous vouliez voir si les 500 millions de dollars en services de consultation et autres services professionnels que le gouvernement projetait d’économiser avaient eu une incidence sur les services. Corrigez-moi si j’ai tort, mais vous dites que cela n’a eu aucune incidence. D’après les réponses que vous avez obtenues, cela n’a eu aucune incidence. Cela signifie que l’efficacité a été augmentée parce que des compressions ont été faites, mais les services n’en ont pas souffert.
Il y a eu beaucoup d’arguments dans l’autre chambre au sujet du recours aux experts-conseils externes. Dans ma vie professionnelle, j’ai vu que lorsque nous faisons appel à ces experts-conseils, nous pouvons parfois les placer dans un conflit d’intérêts. Les indicateurs ou les critères qui poussent à se débarrasser de l’expertise du gouvernement et à recourir à des services externes sont très importants. Nous pouvons le montrer parfois. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre approche et nous expliquer comment vous avez fait?
M. Giroux : Nous avons demandé aux ministères dans quels secteurs ils prévoyaient de faire des compressions et quelles seraient les répercussions sur les employés et les services. Dans les réponses que nous avons reçues, presque tout le monde a dit qu’il n’y avait aucune incidence sur les employés et aucune incidence sur les services parce qu’ils allaient réduire les déplacements et le recours aux services professionnels. Lorsqu’il était question de déterminer les secteurs et les programmes qui feront l’objet de ces compressions, une bonne partie des ministères ont dit : « C’est difficile à dire. Il s’agira de compressions générales ou dans des secteurs que nous n’avons pas encore déterminés. » Certains ministères ont dit : « Nous réduirons notre réserve interne. » Cela donne à penser que ces fonds auraient été inutilisés de toute façon parce que chaque année, les ministères ont de l’argent qu’ils sont autorisés à dépenser et qu’ils ne dépensent pas. Dans la fonction publique fédérale, on ne peut jamais dépenser plus que son allocation. Si vous gérez un grand ministère ou même un plus petit ministère, vous devez toujours vous donner une marge de manœuvre en cas d’événements imprévus ou d’un projet de loi présenté à la fin de l’année et qui est plus important que prévu, afin de ne pas dépasser votre crédit. Il reste toujours de l’argent sur la table à la fin de l’année pour éviter que chaque ministère ait des dépenses excessives.
Tout ce que j’essaie de dire, c’est que 500 millions de dollars ne représentent qu’une petite partie des fonds inutilisés chaque année, ce qui se serait produit de toute façon, et c’est pourquoi nous avons obtenu les réponses que nous avons obtenues : aucune incidence sur le service et aucune incidence sur les employés. Quand certains ministères ont dit, « Nous ne savons pas exactement quels secteurs seront touchés », c’est parce que cela faisait partie de leur coussin, et c’est le coussin qui est épargné de toute façon.
La sénatrice Galvez : Pouvons-nous en faire plus et plus fréquemment?
M. Giroux : Oh, oui.
La sénatrice Galvez : C’est donc une recommandation à l’intention du gouvernement.
M. Giroux : C’est très facile — 500 millions de dollars d’économies dans une grande institution comme le gouvernement fédéral, c’est comme demander à vous ou à moi d’économiser 50 $ par année. Si je vous demandais : « Qu’allez-vous couper? » Vous me répondriez, « Je l’ignore, mais voici 50 $ », et le tour est joué.
Une voix : C’est du café pendant 10 jours.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup.
Le président : Au directeur parlementaire du budget et à son équipe, merci beaucoup. Je vous rappelle de soumettre des réponses écrites à la greffière d’ici la fin de la journée, le mercredi 28 février 2024. Oui, nous avons un dénominateur commun avec le Comité sénatorial des finances, qui porte sur la transparence, la reddition de comptes, la fiabilité et la prévisibilité. Vous avez peut-être remarqué que j’écoutais très attentivement en tant que président, comme tous les autres sénateurs autour de la table, et lorsque vous avez parlé du Carrousel, vous nous avez certainement donné beaucoup de matière à réflexion ce matin. C’était très instructif. Nous ne sommes pas dans un carrousel, et vous nous avez donné beaucoup d’informations qui nous permettront de terminer notre rapport sur le projet de loi C-59. Merci, monsieur Giroux.
Honorables sénateurs, nous suspendrons la séance cinq minutes afin de nous préparer à une réunion à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)