LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 28 mars 2022
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour son étude sur l’immigration francophone en milieu minoritaire.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Avant de commencer, je rappelle aux sénateurs ainsi qu’aux témoins qu’ils sont priés de mettre leur micro en sourdine en tout temps, sauf lorsque le président leur donne la parole.
Si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment en matière d’interprétation, veuillez en informer le président ou la greffière, et nous ferons le nécessaire pour régler le problème.
[Français]
Les participants doivent être conscients du fait qu’ils participent à cette réunion dans une zone privée et qu’ils doivent être attentifs à leur environnement.
Nous allons maintenant commencer officiellement notre réunion. Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
J’aimerais vous présenter les membres du comité qui participent à cette réunion : la sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick, vice-présidente du comité, la sénatrice Raymonde Gagné, du Manitoba, membre du comité directeur, le sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec, membre du comité directeur, la sénatrice Bernadette Clement et la sénatrice Lucie Moncion, de l’Ontario, la sénatrice Marie-Françoise Mégie et le sénateur Pierre Dalphond, du Québec, et le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
Je souhaite à tous la bienvenue, ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent. Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je vous parle font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple anishinabe algonquin.
Aujourd’hui, nous lançons nos audiences à la suite de l’ordre de renvoi que le Sénat nous a confié le 10 février dernier, en vue d’entreprendre une étude sur l’immigration francophone en milieu minoritaire.
Pour en discuter, nous recevons des chercheurs experts de cette question. Pour le premier groupe de témoins, nous recevons Jean-Pierre Corbeil, professeur associé au Département de sociologie de l’Université Laval. Je tiens à ajouter que M. Corbeil est l’ancien responsable du programme de la statistique linguistique de Statistique Canada. Nous accueillons également Christophe Traisnel, professeur de science politique à la Faculté des arts et des sciences sociales de l’Université de Moncton, ainsi que Leyla Sall, professeur de sociologie au Département de sociologie et de criminologie de l’Université de Moncton.
Merci, messieurs, d’avoir accepté cette invitation et bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre vos remarques liminaires, qui seront suivies d’une période de questions des sénateurs et des sénatrices. Si vous le voulez bien, la parole est à vous. Nous allons commencer par M. Corbeil.
Jean-Pierre Corbeil, professeur associé, Département de sociologie, Université Laval, à titre personnel : Merci, monsieur le président.
Bonjour, mesdames et messieurs les membres du comité. Je tiens à vous remercier de m’avoir invité à comparaître devant vous afin de nourrir votre réflexion et vos travaux sur les enjeux et les défis liés à l’immigration francophone en milieu minoritaire au Canada.
J’aborderai trois points principaux dans mon allocution. Dans un premier temps, je partagerai des éléments de réflexion quant à l’importance de prendre en compte la capacité inégale des communautés de langue officielle en situation minoritaire à attirer et à retenir les immigrants et les migrants, en général, dans toute discussion sur l’établissement de cibles en immigration. Une telle réflexion exige, me semble-t-il, un nécessaire recadrage de la discussion sur l’établissement de cibles, pour s’éloigner d’une cible nationale et prendre davantage en considération les réalités locales et régionales variées des communautés de langue officielle partout au pays.
Dans un deuxième temps, je souhaite aborder brièvement l’enjeu des critères de définition de l’immigration francophone au pays.
Finalement, je conclurai en soulignant certains défis et enjeux qui pointent à l’horizon dans le contexte de l’étude du projet de loi C-13 sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles et du rôle attendu de l’immigration pour la préservation de la vitalité de la langue française au Canada.
D’entrée de jeu, il est important de rappeler que les enjeux démographiques, socioéconomiques et géolinguistiques ne sont pas du tout les mêmes dans les communautés qui peinent à attirer des immigrants et dans celles où le principal défi est de les intégrer. Certaines communautés accueillent en effet très peu de migrants interprovinciaux ou internationaux, ou pas du tout, alors que d’autres communautés voient leur population croître principalement en raison de l’apport de la migration internationale ou interprovinciale.
À titre d’exemple, mentionnons la ville de Toronto, où plus de 45 % de la population de langue française est immigrante, et celles de North Bay et de Moncton, où la part de la population francophone née à l’étranger représente moins de 1 % et moins de 4 % respectivement. En d’autres termes, lors du dernier recensement, environ 40 % de l’ensemble des francophones à l’extérieur du Québec vivaient dans une communauté où 80 % ou plus des francophones sont nés dans leur province de résidence, alors que ces mêmes communautés accueillaient à peine plus de 4 % de l’ensemble des immigrants de langue française à l’extérieur du Québec. Dans l’optique où le comité souhaite examiner les facteurs qui aident ou qui nuisent à l’établissement d’immigrants d’expression française dans les communautés en situation minoritaire et au maintien de leur poids démographique, il me semble que ces considérations doivent être prises en compte.
Tout comme la politique québécoise en immigration tend à favoriser la sélection d’immigrants qui ont une connaissance du français à l’arrivée, il me semble qu’il y aurait lieu de réfléchir à d’autres critères de définition de l’immigration de langue française susceptible de s’établir dans les communautés de langue française en situation minoritaire.
Lors du recensement de 2016, notons que 26 200 immigrants arrivés au pays au cours des cinq années précédentes avaient le français comme première langue officielle parlée, alors que près de 53 000 immigrants récents pouvaient soutenir une conversation en français, soit le double. De même, pour toutes les périodes d’immigration confondues, on dénombrait un total de 130 000 immigrants ayant le français comme première langue officielle parlée au Canada hors Québec, alors que près de 388 000 immigrants pouvaient soutenir une conversation en français, soit trois fois plus environ. Je souligne ce point, car il me semble que si l’objectif est de réfléchir à diverses façons de contribuer à la vitalité de milieux et d’espaces francophones dans les communautés de langue officielle en situation minoritaire, il y aurait lieu de considérer le rôle que peuvent y jouer ceux qui, même s’ils n’ont pas le français comme langue maternelle ou comme première langue officielle parlée, sont tout aussi à l’aise en français qu’en anglais.
En terminant, et c’est mon troisième point, il me semble important de souligner brièvement quelques défis et enjeux relatifs à l’immigration francophone qui pointent à l’horizon. Alors que depuis 2003 la cible de 4,4 % d’immigrants francophones à l’extérieur du Québec n’a jamais été atteinte, il faut bien reconnaître que, avec l’annonce récente de niveaux d’immigration pancanadiens annuels d’environ 450 000 pour les années 2023 et 2024, le maintien, voire l’accroissement du poids démographique de l’immigration de langue française au pays méritera une attention de tous les instants et une réelle volonté politique en ce sens. De tels niveaux d’immigration signifient qu’il faudrait accueillir environ 17 000 immigrants de langue française à l’extérieur du Québec pour atteindre une cible de 4,4 %, alors que, au cours des cinq dernières années, moins de 6 000 immigrants en moyenne y ont été admis.
Finalement, il me faut souligner que la partie 1 du projet de loi C-13 dit que le gouvernement, et je cite :
[…] s’est engagé à protéger et à promouvoir le français, reconnaissant que cette langue est en situation minoritaire au Canada et en Amérique du Nord en raison de l’usage prédominant de l’anglais;
Or, considérant les droits et responsabilités du Québec en vertu de l’entente Canada-Québec de 1991 touchant le nombre d’immigrants à destination du Québec, l’annonce d’un niveau national annuel de 450 000 immigrants devrait absolument prendre en considération tant les besoins des communautés de langue officielle en situation minoritaire à l’extérieur du Québec que les besoins du Québec. Un réel dialogue entre le Québec et le gouvernement fédéral me semble donc incontournable si le gouvernement fédéral est sérieux dans son engagement de protéger le français partout au Canada. À défaut de quoi, et en supposant que les niveaux d’immigration du Québec demeurent stables, cela signifierait que la part québécoise de l’immigration au Canada irait en diminuant, ce qui contribuerait sans aucun doute à accélérer la baisse du poids démographique du Québec au sein de la fédération et, conséquemment, de la francophonie au Québec.
Je vous remercie. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Corbeil. Nous passons maintenant à M. Traisnel.
Christophe Traisnel, professeur de science politique, Faculté des arts et des sciences sociales, Université de Moncton, à titre personnel : Bonjour, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs. Je tiens tout d’abord à souligner que je suis très honoré aujourd’hui de pouvoir m’exprimer en tant que témoin au sein du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
L’objectif de mon intervention sera de vous faire part, dans leurs grandes lignes, des recherches que j’ai pu mener avec mes équipes dans le domaine de l’immigration francophone au Canada. Je le ferai en mettant en évidence la situation particulière de l’immigration francophone en dehors des grands centres, objet particulier de mes recherches, et notamment dans les trois territoires et l’Acadie de l’Atlantique.
C’est peut-être là une première idée qu’il faut évoquer d’emblée : le caractère profondément contrasté des communautés concernées, des possibilités et des contraintes entourant les acteurs locaux dans la mise sur pied des dispositifs d’accueil comme dans le recrutement, la promotion, l’installation et l’insertion des nouveaux arrivants francophones.
Le Canada est un grand pays, et pour que l’immigration puisse représenter une possibilité de plein épanouissement pour les francophonies minoritaires, il est important de considérer ces grands contrastes. L’expérience migratoire et l’accueil ne seront pas les mêmes pour un francophone à Toronto, à Moncton, à Caraquet ou à Whitehorse.
La seconde idée s’inscrit dans la suite de la précédente : les immigrants eux-mêmes ont des profils profondément contrastés. Chaque individu s’inscrit en effet dans une démarche migratoire et un projet migratoire bien à lui, en fonction d’une certaine idée, bien à lui également, d’un Canada parfois assez facilement enchanté, et qu’il devra apprendre à désenchanter au regard des réalités rencontrées sur place.
L’accès à une information juste et précise avant le départ est donc essentiel. On n’immigre pas pour les mêmes raisons à Vancouver, Québec, Iqaluit ou Grande-Anse.
L’immigration francophone — c’est là la troisième idée —, c’est aussi la mise en contact de politiques publiques, de dispositifs institutionnels et d’habilitations communautaires. C’est un enjeu sur lequel s’entrecroisent les perspectives fédérales, provinciales, régionales, municipales, communautaires et individuelles avec trois types d’aspirations : le projet migratoire de l’individu avec l’enjeu de la réussite individuelle ou familiale; les planifications économiques des gouvernements avec un enjeu de développement économique; les préoccupations vitalitaires des communautés francophones et acadiennes, avec l’enjeu du poids démographique, du vieillissement de la population et des dynamiques communautaires.
Or, ces trois aspirations ne convergent pas toujours. Ce n’est pas parce qu’on est un immigrant francophone qu’on voudra nécessairement inscrire ses enfants dans une école francophone, et il faut comprendre pourquoi.
Le principal défi, dans le dossier de l’immigration francophone, est de faire converger les expériences individuelles des immigrants eux-mêmes, les volontés politiques des décideurs publics et les espoirs communautaires des francophonies minoritaires autour d’une cause commune : réussir la rencontre entre les nouveaux arrivants francophones et les sociétés d’accueil.
Tout l’enjeu est alors de penser l’ensemble des dispositifs en fonction de la réussite de cette rencontre. Cette réussite ne dépend pas que de l’immigrant. Elle dépend aussi de la société qui l’accueille et de la communauté qui le considère, à juste titre, comme une chance.
Trois autres idées sont à considérer, et je ne ferai que les mentionner.
En 20 ans, les choses ont beaucoup changé au Canada dans ces domaines. Le dossier de l’immigration a donné naissance à ce qu’il est désormais possible d’appeler une « gouvernance en immigration francophone » à renforcer, en mobilisant immigrants, secteur communautaire, décideurs et aussi chercheurs, souvent associés à ces réflexions. La convergence est à l’œuvre.
Il y a une autre idée; pour le moment, il convient de constater que le profil linguistique des immigrants qui choisissent la région de l’Atlantique ne reflète pas l’équilibre linguistique actuel de la région. Les cibles, pourtant modestes, ne sont pas atteintes et la situation est globalement la même ailleurs au Canada.
Pour ce qui est de l’avant-dernière idée, l’immigration, pour le nouvel arrivant, n’est toujours pas un « long fleuve tranquille », et son parcours est semé d’obstacles, notamment administratifs. Plusieurs solutions sont proposées par la recherche et les acteurs communautaires qui connaissent désormais très bien le terrain. Il faut donc les associer étroitement aux prises de décision.
Enfin, voici la dernière idée : l’un des principaux défis est la rétention des nouveaux arrivants francophones, particulièrement dans les régions éloignées des grands centres. Cette rétention doit être considérée en fonction de la culture de mobilité propre aux immigrants. Mieux vaut aménager la mobilité et accompagner l’immigrant dans la poursuite de son expérience migratoire ailleurs plutôt que le garder à tout prix.
En effet, il faut aussi considérer localement son bien-être, et c’est peut-être par là que passe sa rétention. Cela passe ultimement par des services publics de qualité et une communauté réellement ouverte aux diverses diversités. Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Traisnel. Monsieur Sall, la parole est à vous.
Leyla Sall, professeur de sociologie, Département de sociologie et de criminologie, Université de Moncton, à titre personnel : Bonjour, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs. Je suis tout aussi honoré que mes collègues de comparaître devant vous. Le terme « comparution » m’a fait rigoler un peu, parce que je suis Sénégalais d’origine et, pour nous, le terme « comparaître » signifie comparaître devant un tribunal; ma femme avait donc peur lorsque je lui ai dit que je devais comparaître devant le Sénat.
Le président : Je vous rassure, monsieur.
M. Sall : Merci beaucoup.
Cela dit, l’immigration francophone dans les communautés francophones en situation minoritaire, c’est une ambition. Cela représente une ambition : celle d’élargir ces communautés minoritaires confrontées à des défis démographiques et linguistiques et évoluant au sein ou aux côtés d’une anglophonie dominante au Canada.
Il y a, bien sûr, des défis à l’accueil et à l’intégration des immigrants au sein des communautés francophones en situation minoritaire. Ces défis sont attribuables en partie aux caractéristiques sociales, et aussi aux trajectoires sociétales de ces communautés.
Je m’explique. Les communautés francophones en situation minoritaire, qui sont issues de la grande famille canadienne-française, ont été habituées à évoluer selon la logique de la distinction, c’est-à-dire qu’on veut se distinguer de l’anglophonie dominante et préserver nos spécificités pour ne pas être avalé par l’anglophonie dominante.
Aussi, ce sont des communautés qui ont réussi à bâtir un modèle de cohésion sociale basé sur l’homogénéité ethnoraciale; tout d’un coup, dans les années 2000, on leur a demandé de s’ouvrir à la diversité et de devenir des communautés d’accueil en situation minoritaire, des communautés d’accueil d’immigrants.
Imaginez des communautés qui étaient habituées à avoir une certaine spécificité, une certaine homogénéité, un modèle de cohésion sociale basé sur l’homogénéité qui se transforment tout d’un coup en communauté d’accueil d’immigrants. Cela pose des défis, notamment en matière d’accueil de la diversité.
Ce sont des communautés caractérisées par une incomplétude institutionnelle pluridimensionnelle. D’une part, elles sont devenues des communautés d’accueil d’immigrants, mais elles n’ont pas tous les pouvoirs en matière d’immigration. C’est la raison pour laquelle il y a des communautés, notamment la communauté acadienne, qui parlent de plus en plus de dualité en matière d’immigration. On voudrait avoir plus de pouvoirs pour accueillir des immigrants.
Quand je parle d’incomplétude institutionnelle, c’est lié au fait que si l’on considère le français comme une institution, c’est évident qu’il y a une incomplétude institutionnelle parce que le marché du travail fonctionne largement en anglais, et cela représente donc un défi d’accueillir et de retenir ces immigrants.
Comme le disait mon collègue tout à l’heure, le défi de la rétention est lié en grande partie au fait que le marché du travail fonctionne souvent en anglais. Retenir ces immigrants, c’est les retenir physiquement, bien sûr, mais aussi les retenir de manière symbolique. Imaginez un immigrant qui arrive au pays et qui est recruté par des employeurs anglophones. Il va finir par plus ou moins s’angliciser et ne pas développer de sentiment d’appartenance, mais ses enfants vont aussi finir par s’angliciser, parce que la valeur symbolique de l’anglais est assez élevée parmi les immigrants.
Bien sûr, il y a des défis, mais les communautés francophones en situation minoritaire ont aussi certains atouts; ce n’est pas le cas de toutes, mais certaines ont des atouts.
Il y a des facteurs qui favorisent effectivement la rétention et l’intégration. Parmi ces facteurs, on peut citer le dynamisme économique; c’est évidemment l’emploi qui est le nerf de la guerre. C’est l’emploi qui fait que les gens restent à 90 % dans ces communautés. Il y a aussi la présence d’institutions d’enseignement postsecondaire francophones, ce qui devrait inciter le gouvernement fédéral à augmenter leur financement dans ces communautés. Il y a enfin le fait que ce sont des milieux considérés par les immigrants comme étant sécuritaires.
J’ai souvent accordé des entrevues à des immigrants qui arrivaient d’Europe, et ce qu’ils disaient, entre autres, c’est qu’ils restaient ici parce qu’ils se sentaient en sécurité pour y élever leurs enfants.
Le logement abordable est aussi un facteur de rétention. On perd de plus en plus ce facteur de rétention, parce que le logement devient de plus en plus rare. Il y a également la reconnaissance des diplômes qui est difficile. Les immigrants citent aussi la lutte antiraciste, parce que les francophonies minoritaires sont devenues des francophonies plurielles, mais on n’a pas mis en place des politiques antiracistes sérieuses.
Je donne l’exemple de l’Acadie, que je connais assez bien. La Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, qui s’intéresse beaucoup à l’immigration et qui coordonne plus ou moins tout cela, a 10 commandements pour lutter contre le racisme. Cependant, ces 10 commandements se limitent souvent à des conseils lors d’interactions entre Acadiens, Canadiens et immigrants. Il n’y a donc pas de politique visant à lutter contre le racisme en milieu de travail.
J’aimerais inviter les sénateurs à revoir la politique d’équité en matière d’emploi, parce que c’est cette politique qui va assurer la rétention. Les immigrants se plaignent souvent du fait qu’ils sont compétents, mais qu’ils ne sont pas recrutés à cause de la politique d’équité en matière d’emploi au Canada, qui n’a pas de mordant. Ce sont des facteurs qui avantagent plus ou moins ou qui nuisent à la situation.
La fermeture de secteurs du marché du travail francophone joue aussi un grand rôle dans le fait que, souvent, les immigrants, même quand ils sont recrutés, ne restent pas dans ces communautés. Par exemple, on sait qu’en Acadie et dans les francophonies minoritaires, les deux secteurs du marché du travail francophone qui disposent d’emplois de qualité pour les immigrants sont l’éducation et la santé.
Malheureusement, ce que l’on voit, c’est que lorsque ces immigrants arrivent, même s’ils sont spécialisés en éducation ou en santé, on ne les recrute pas dans leur domaine. Ou alors, si on les recrute dans le domaine de la santé, c’est pour occuper des postes d’auxiliaires infirmiers ou pour travailler dans des foyers de soins pour personnes âgées, alors qu’ils sont qualifiés pour être médecins, infirmiers, etc.
Le président : Monsieur Sall, je dois vous demander de conclure. Je suis certain que les questions des sénateurs et sénatrices vous permettront d’apporter d’autres précisions.
M. Sall : La conclusion, c’est qu’il faudrait aider ces communautés à bâtir un nouveau modèle de cohésion sociale basé sur l’inclusion et la diversité. Je pourrai y revenir lors de la période des questions. Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup à vous trois, messieurs. Nous allons maintenant passer à la période des questions. J’invite les sénatrices et sénateurs présents de façon virtuelle à utiliser la fonction « lever la main » dans Zoom. Pour les sénateurs et sénatrices présents dans la salle, vous pouvez signifier votre intention à la greffière. N’hésitez surtout pas à attirer notre attention si vous n’êtes pas inclus dans la liste.
Étant donné que je suis conscient du temps qui est à notre disposition et du vif intérêt soulevé par les propos de nos témoins, je propose donc que cinq minutes soient accordées à chacun pour un premier tour de table, y compris pour la question et la réponse.
Je vous demande de dire à qui s’adresse votre question, si possible. Si les témoins peuvent aussi adhérer à cette idée de conclure à l’intérieur de cinq minutes, on pourra être en mesure de faire un deuxième tour de table, si l’occasion se présente.
Je cède donc la parole à la vice-présidente du comité, la sénatrice Poirier.
La sénatrice Poirier : Je vous remercie tous trois pour vos présentations. Comme ma question touche un sujet que j’ai déjà abordé avec M. Corbeil, je vais lui adresser ma première question, qui est assez large. Comme on le sait, la cible de 4,4 % n’a clairement pas été atteinte. Peu importe le chiffre qu’on établit comme cible, il faut avoir des mécanismes en place pour être en mesure d’atteindre ces cibles. Il y a un manque sur le plan des mécanismes et des programmes.
Quels mécanismes ou programmes doivent être mis en place pour améliorer l’immigration francophone? Que doit faire le gouvernement fédéral pour améliorer l’immigration francophone?
Monsieur Corbeil, je vous pose la question, mais si les deux autres témoins ont quelque chose à ajouter, ils pourront le faire si le temps le permet. Merci.
M. Corbeil : Merci, sénatrice. Très brièvement, je vous dirais qu’au départ, on doit s’en tenir au fait qu’il n’y a pas d’enjeux de bassins francophones à l’extérieur du Canada. Au fil des ans, plusieurs études effectuées entre autres par l’Organisation internationale de la Francophonie et l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone ont démontré que le taux de croissance de la francophonie en Afrique est vraiment impressionnant. Selon les données rendues disponibles au cours des dernières semaines, il y aurait plus de 320 millions de francophones dans le monde, et la plus forte croissance se trouve en Afrique.
Or, ce que l’on constate, c’est que, chez les migrants africains, très peu se dirigent vers le Canada, même si les immigrants récents à l’extérieur du Québec, c’est-à-dire ceux qui sont arrivés au cours des cinq dernières années, proviennent principalement de pays africains. Donc, l’enjeu principal, selon moi, est d’essayer de comprendre pourquoi ces immigrants semblent préférer l’Europe, par exemple, ou semblent préférer les États‑Unis plutôt que le Canada.
Il y a une question de reconnaissance des acquis. Il semble que, finalement, on n’arrive pas à atteindre ou à accueillir un nombre suffisant d’immigrants. Je crois qu’il faut comprendre pourquoi, depuis 15 ans, le gouvernement n’a pas atteint ces cibles et savoir quels ont été les bons coups et les moins bons coups. Nous n’avons pas cette information-là. On n’a que de très peu d’information à ce sujet.
Il y a donc lieu d’essayer de comprendre comment se fait le lien entre le Canada et les immigrants africains, par exemple. Comment se fait-il que l’on ne parvienne pas à attirer plus d’immigrants qui, pourtant, sont par ailleurs fortement scolarisés?
La sénatrice Poirier : Est-ce que les autres témoins ont quelque chose à ajouter?
M. Sall : Ce n’est pas parce que les immigrants africains préfèrent l’Europe qu’ils y vont. Le Canada a une très bonne image pour ce qui est des pays africains. Le problème se pose davantage sur le plan des procédures d’immigration. Si je prends le cas des étudiants internationaux, ils vont souvent en Europe. Pourquoi? Parce que c’est moins cher, par exemple, les inscriptions sont moins coûteuses. Ils ont des parents là-bas, mais en même temps, les inscriptions sont moins chères.
D’ailleurs, l’une des recommandations que je ferais serait de faire en sorte que les coûts d’inscription dans les universités canadiennes soient moins élevés pour les étudiants internationaux francophones. L’Université d’Ottawa a fait un pas en ce sens, ce qui attire chez elle beaucoup d’étudiants internationaux francophones. Les autres universités doivent suivre, et pour cela, il faut mettre en place un système de bourses pour pouvoir atténuer les coûts à ce niveau.
Pour ce qui est des immigrants qualifiés, eux aussi veulent venir au Canada. Le problème, c’est qu’en Afrique, il n’y a que deux ambassades qui peuvent étudier leur dossier, soit l’ambassade de Dakar et celle de Nairobi. Vous comprenez que les procédures sont compliquées dans un continent où il n’y a que deux ambassades canadiennes qui peuvent traiter les dossiers.
De plus, il arrive souvent que leurs diplômes ne sont pas reconnus, ce qui est une autre raison pour laquelle ils ont du mal à immigrer au Canada.
Enfin, jusqu’à présent, n’oubliez pas que l’Europe occidentale a été très favorisée en matière de publicité et en matière d’attraction d’immigrants francophones. Ça commence pour l’Afrique, mais le rythme est encore trop lent à mon goût.
Le président : Brièvement, monsieur Traisnel, vouliez-vous intervenir?
M. Traisnel : Très rapidement. Je souscris complètement à ce qu’ont dit mes collègues.
Sur le plan des bassins, il y a peut-être aussi un effort à faire dans le raffinement des rapports qu’on entretient justement avec ces fameux bassins, tout simplement en raisonnant en matière de réseaux, et donc en introduisant une dimension assez qualitative. Quand on demande aux gens la raison qui les a amenés au pays, on s’aperçoit qu’il y a un certain nombre de profils qui s’intéressent plus particulièrement au Canada. Il y a peut-être un effort à faire sur le plan de la promotion des communautés francophones à l’égard d’un certain nombre de catégories de personnes qui seraient les plus à même de s’intéresser à Destination Canada, pour reprendre le nom d’un salon qui a lieu tous les ans à Paris.
Un autre bassin prometteur que l’on qualifie comme tel, ce sont les étudiants internationaux, simplement parce qu’on s’aperçoit qu’ils cochent plusieurs cases importantes. Tout à l’heure, je parlais de convergence des volontés et des intentions politiques avec les intérêts des immigrants. Là, on est exactement dans ce type d’objectifs, puisqu’on se trouve face à des personnes qui répondent aux besoins du marché du travail canadien et qui veulent souvent s’installer au pays, puisqu’ils sont des étudiants internationaux qui sont, par ailleurs, francophones.
La sénatrice Poirier : Merci. Mon temps de parole est écoulé, mais j’aimerais m’inscrire pour la deuxième ronde.
Le sénateur Dagenais : Merci à nos invités. Ma question s’adresse à M. Corbeil.
La semaine dernière, la ministre Petitpas Taylor a dit à notre comité que le projet de loi sur les langues officielles offre à tous les Canadiens la possibilité d’apprendre le français. J’avoue avoir de sérieux doutes quant à cette affirmation, compte tenu de la grandeur du pays et de l’absence quasi totale du français dans plusieurs de ses régions. Pouvez-vous nous éclairer sur l’existence d’analyses qui traitent de l’impact des réseaux sociaux sur l’intérêt ou le désintérêt des Canadiens et des immigrants face à l’apprentissage et à l’usage du français?
M. Corbeil : Je vous remercie pour votre question, sénateur Dagenais.
C’est une question assez complexe. Nous avons peu d’information pour l’instant sur l’influence des réseaux sociaux. Peut-être que mes collègues ont une meilleure connaissance de ce sujet-là.
Ce que l’on constate, à tout le moins, c’est qu’en général, la majorité des immigrants qui arrivent au Canada... Je dis bien au Canada, à l’extérieur du Québec, puisque le Québec tend à favoriser des immigrants qui ont une connaissance du français ou une capacité à apprendre le français. Donc, il ne s’agit pas de tous les immigrants en ce moment, mais environ 60 à 65 % des immigrants au moment de leur arrivée.
C’est un défi très important, parce qu’il faut comprendre que la plupart des immigrants arrivent au Canada à l’âge adulte, habituellement au-delà de 25 à 30 ans. Il est plus difficile, à cet âge, d’apprendre une des langues officielles, puisque que la majorité de ces immigrants connaissent au moins l’anglais, et le français est potentiellement un défi de plus.
Il y a un réel défi. Peut-être est-ce sur le plan des priorités. Au milieu des années 1980, à peine 30 % des immigrants qui se présentaient au Québec avaient une connaissance du français; dans les années 2010, on en était à plus de deux immigrants sur trois. Pourquoi, à l’extérieur du Québec, n’arrive-t-on pas à accueillir ou à sélectionner davantage d’immigrants qui ont une connaissance des deux langues officielles? Voilà un défi. Il devrait peut-être y avoir des points additionnels accordés non pas à la connaissance d’au moins une langue officielle, mais des deux langues officielles. Cela favoriserait sans doute en grande partie ce phénomène. Pour ce qui est des réseaux sociaux, je n’ai malheureusement pas de réponse à votre question.
Le sénateur Dagenais : Ma prochaine question est la suivante, monsieur Corbeil : croyez-vous que le projet de loi sur les langues officielles fait davantage que protéger les droits fondamentaux et constitutionnels des minorités francophones à l’extérieur du Québec? Ce projet de loi contient-il des éléments pour valoriser l’usage du français à l’extérieur des communautés francophones reconnues? Plus précisément, y a-t-il de l’intérêt pour ce qui est de parler français à l’extérieur de cercles francophones connus?
M. Corbeil : Encore une fois, c’est une très grande question. Il faut bien comprendre — et c’est un phénomène intéressant — que, selon nos dernières données publiées l’automne dernier, il y a un demi-million de jeunes francophones qui fréquentent un programme d’immersion en français au Canada. Il y a un réel engouement. Le gouvernement fédéral contribue à susciter un intérêt pour l’apprentissage des deux langues officielles.
L’enjeu, c’est la rétention, et ce sera toujours l’enjeu principal. Dès que ces jeunes quittent l’école secondaire, ils croient qu’ils n’auront pas d’autres occasions d’utiliser leur langue seconde. Or, je pense qu’il y a nécessairement un coup de barre extrêmement important à donner, non seulement pour sensibiliser les jeunes à l’importance de l’utilisation des deux langues officielles, mais aussi pour mettre en œuvre tous les moyens possibles pour favoriser la rétention chez ces jeunes-là et pour créer des espaces francophones où immigrants et non-immigrants pourront utiliser ces langues.
La sénatrice Gagné : Bienvenue aux invités et aux témoins.
Lors de la comparution du commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge — en février, je crois —, je lui ai demandé pourquoi les gouvernements successifs n’arrivaient pas à atteindre leurs cibles en matière d’immigration francophone hors Québec. Il a mentionné que l’immigration comprend plusieurs acteurs et intervenants, non seulement sur le plan fédéral, mais aussi dans les provinces et les communautés. Vous y avez également fait allusion dans vos présentations.
Qui devrait être le chef d’orchestre? Plusieurs cibles sont également fixées par les provinces, surtout en fonction du développement économique. Les provinces ont quand même un mot assez important à dire dans la décision de faire venir des acteurs économiques. Comment cela devrait-il s’organiser? Qui devrait être le chef d’orchestre? De plus, si vous êtes en mesure de faire des commentaires sur le projet de loi C-13, comment parvient-on à établir la base organisationnelle de la politique en matière d’immigration francophone?
Je pose la question à quiconque voudrait commenter.
Le président : Monsieur Sall?
M. Sall : Merci beaucoup. C’est une question très large et très pertinente.
Ce serait prétentieux de dire que c’est telle institution ou tel acteur qui devrait être le chef d’orchestre. Ce que je connais, c’est une responsabilité partagée entre le gouvernement fédéral et les organismes francophones en matière d’immigration francophone à l’extérieur du Québec. Je m’explique : chaque fois, ce sont les mêmes organismes qui reviennent pour dire qu’on n’a pas atteint la cible en matière d’immigration francophone. Cela dit, ce sont aussi des organismes qui ne font pas grand-chose pour favoriser l’intégration des immigrants dans le marché du travail francophone.
Si je prends le cas de l’Acadie, que je connais bien, la cible que l’on veut atteindre est, si je me souviens bien, de 33 % d’immigrants francophones pour maintenir l’équilibre démographique entre les deux communautés de langue officielle. En même temps, on sait qu’il y a un marché du travail francophone avec des emplois de qualité. Chaque fois, on nous dit, par exemple, dans le domaine de l’éducation primaire et secondaire, qu’il y a des pénuries d’enseignants. Pourtant, je vois souvent des immigrants en entrevue et ils me disent : « Non, j’ai eu un emploi, mais dans le district anglophone pour enseigner le français comme langue seconde. » Entre-temps, dans les réseaux francophones, on me dit tout le temps qu’il manque d’enseignants francophones. Il serait bien d’avoir une responsabilité partagée où l’on dirait à la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick : si vous voulez avoir vos 33 % d’immigrants francophones, prouvez-nous que vous pouvez recruter au moins 33 % d’immigrants enseignants, car il y a des pénuries de personnel francophone chaque fois, aussi bien sur le plan de la santé que de l’éducation. Je prône cette responsabilité partagée. On ne doit plus dire au gouvernement fédéral qu’il a échoué dans l’atteinte les cibles alors que, en même temps, les organismes ne font pas grand-chose pour promouvoir le recrutement et la rétention d’immigrants sur le marché du travail francophone.
M. Traisnel : La question est très intéressante. Elle est d’autant plus intéressante qu’il s’agit de voir le Canada tel qu’il est.
Quand on parle de chef d’orchestre, le seul qui peut être chef d’orchestre en matière d’atteinte des cibles — et au-delà même des capacités d’action des organismes communautaires et des francophonies en situation minoritaire —, c’est la gouvernance gouvernante, c’est-à-dire l’État fédéral. Les communautés en situation minoritaire — Leyla Sall a parlé d’incomplétude institutionnelle et je suis tout à fait d’accord avec lui — n’ont pas cette capacité de décision en matière d’immigration.
Il y a des choses qui vont dans le bon sens en ce moment, tout simplement parce qu’on assiste à une convergence progressive des bonnes volontés en matière de recrutement d’immigrants francophones à l’extérieur, mais les organismes communautaires sont relativement démunis par rapport à leur capacité d’agir sur un certain nombre d’éléments et sur la prise de décisions publique. Encore une fois, c’est bel et bien la gouvernance gouvernante qui décide au Canada.
La sénatrice Mégie : Bonjour aux témoins et merci de vos témoignages. J’entends beaucoup parler de 33 % d’immigrants enseignants francophones. Donc, je vois qu’on choisit davantage ceux qui vont enseigner le français, parce que l’enseignement est à la base de tout, mais pourquoi ne pourrait-on pas choisir dans d’autres secteurs d’activité, dans des secteurs où les gens vont travailler dans cette langue, afin qu’ils puissent peut-être instituer tranquillement le français comme langue de travail? Je ne sais pas si vous avez déjà réfléchi à cela par rapport à la présence francophone chez vous.
M. Sall : Trente-trois pour cent, c’est juste un exemple que j’ai donné dans le domaine de l’éducation, mais bien entendu, cela peut être étendu à d’autres domaines. Tout à l’heure, dans mon allocution, je parlais de revoir la politique d’équité en matière d’emploi parce que, comme je le disais tout à l’heure, le nerf de la guerre, c’est l’emploi. En fait, l’emploi de qualité, c’est ce qui permet de retenir les immigrants francophones dans nos communautés. Or, quand on regarde la politique d’équité en matière d’emploi, elle ne s’applique pas aux petites entreprises. Pourtant, c’est l’épine dorsale de l’économie canadienne.
La sénatrice Mégie : Voilà.
M. Sall : Donc, il faut que cette politique-là s’applique, il faut qu’on trouve les moyens de l’appliquer dans les petites entreprises. L’autre suggestion que je voulais faire a trait à la mise en place de contrats aidés. Pourquoi le gouvernement fédéral ne mettrait-il pas en place, pour encourager la rétention de ces immigrants dans les communautés francophones en situation minoritaire, des espèces de contrats aidés? Cela signifie que si un employeur recrute un immigrant francophone, la moitié du salaire serait payée par le gouvernement au moins pour une année ou deux, en attendant que cet immigrant développe de l’expérience et puisse avoir des assises en matière d’expérience professionnelle canadienne. Cela favoriserait assurément la rétention dans ces communautés. Souvent, ce que l’on reproche à ces immigrants, c’est qu’ils n’ont pas d’expérience de travail canadienne.
La sénatrice Mégie : Merci. Je voulais ajouter une sous-question. Est-ce que, dans la Loi sur les langues officielles, il y aurait une disposition qui pourrait nous servir pour aller de l’avant avec l’intégration dans le milieu du travail des immigrants francophones?
M. Sall : Il n’y en a pas actuellement. Il devrait assurément y en avoir, parce que quand on parle de la responsabilité du gouvernement fédéral, qui doit prendre des mesures positives pour favoriser la vitalité des communautés francophones en situation minoritaire, c’est sûr qu’on peut inclure beaucoup de choses dans la vitalité, y compris la rétention par le travail.
M. Corbeil : Oui, on parlait de gouvernance tout à l’heure. Je pense que ce qui semble être assez fondamental c’est l’enjeu de la sensibilisation des employeurs. Le gouvernement fédéral — qui, en principe, a la responsabilité et qui devrait assumer la gouvernance — ne peut pas mener ce dossier seul, d’où l’importance d’établir un excellent partenariat avec les communautés elles-mêmes et de sensibiliser les employeurs à l’importance de recruter des immigrants. On le sait, il y a des pénuries de main-d’œuvre partout au pays. Le cas du Nouveau-Brunswick est assez unique, dans la mesure où l’on sait que, pour l’ensemble de la population du Nouveau-Brunswick, les francophones représentent environ 23 % de la population francophone à l’extérieur du Québec. Le Nouveau-Brunswick reçoit à peine 4 % de l’ensemble de l’immigration qui s’établit à l’extérieur du Québec.
Ce fossé énorme qui existe en ce moment a des racines qui touchent le marché du travail et les questions de développement économique. Les immigrants, comme on l’a déjà mentionné, tendent à s’établir là où il y a du travail et une infrastructure économique solide et attirante. Il y a un travail important à faire en partenariat avec les communautés et les employeurs.
Le sénateur Dalphond : Je remercie nos trois témoins; c’est vraiment très intéressant. Je comprends qu’il y a deux défis, soit le recrutement et la rétention. Est-ce qu’il y a des études qui ont montré que des étudiants francophones qui viennent étudier au Canada, que ce soit à Moncton, au Québec ou ailleurs, cherchent à rester au Canada par la suite dans une plus grande proportion que les étudiants qui utilisent une autre langue, comme les anglophones, ou bien est-ce que ce sont des phénomènes semblables?
Est-ce qu’il y a beaucoup de mobilité? Une fois qu’on a des gens qui sont établis ici, est-ce qu’on peut les retenir dans leur communauté locale ou si après un certain temps ils se déplacent? Par exemple, ceux qui sont allés à Toronto vont-ils y rester ou se déplacer vers Montréal pour travailler en français? Est-ce qu’il y a une espèce de mobilité interprovinciale? Les gens vont-ils généralement dans les grands centres et y restent-ils ou alors, après quelques années, des aspirations familiales les motivent-ils à aller dans un autre milieu francophone où le français est majoritaire?
M. Corbeil : Merci de votre excellente question. C’est un enjeu extrêmement important. Je sais qu’il y a des études qui ont été effectuées sur la migration et la mobilité. Je sais que vous allez interroger mes collègues de Statistique Canada plus tard. On dispose effectivement de beaucoup de données sur la migration interprovinciale. Il y a la base de données sur les immigrants au Canada qui nous permet chaque année de savoir où se sont déplacés les immigrants. Il y a aussi de l’information sur le suivi des étudiants, une fois qu’ils ont terminé leur diplôme d’études postsecondaires, qui nous apprend où ils se dirigent. Je ne connais pas beaucoup d’études sur les immigrants de langue française à cet égard, mais les données existent.
M. Traisnel : Je sais qu’il y a une étude qui s’en vient. Il sera très intéressant d’en voir les résultats, mais il faudra attendre un peu.
De plus en plus, les communautés locales s’intéressent à ce nouveau bassin que semblent constituer les étudiants internationaux francophones. On le remarque, par exemple, à Moncton, où des programmes ont été établis par le Centre d’accueil et d’accompagnement francophone des immigrants du sud-est du Nouveau-Brunswick, donc le CAFI, et l’Université de Moncton. Des programmes ont été mis en place pour permettre aux étudiants internationaux qui s’y intéressent d’explorer le marché du travail en collaboration avec cet organisme communautaire. Des initiatives commencent à se développer et il y a des programmes qui commencent à se monter. C’est un indice de l’intérêt des communautés locales, effectivement.
M. Sall : Quand même, si on compare, on se console, parce que si je compare le Moncton du début des années 2010 à maintenant, il y a des progrès qui ont été réalisés.
Avant, même pour obtenir la résidence permanente, la transition était extrêmement difficile pour l’étudiant international. Il fallait qu’il ait un emploi dans son domaine ou dans un domaine connexe. Maintenant, ce n’est plus le cas, parce que même avec un emploi dans un centre d’appel, un étudiant international peut devenir un résident permanent. C’est donc comme cela qu’on a retenu pas mal d’étudiants internationaux qui s’en allaient tous vers le Québec ou l’Ontario, mais surtout vers le Québec. La proximité avec le Québec peut jouer contre la rétention des étudiants ou d’autres immigrants francophones. Quelqu’un qui habite au Nouveau-Brunswick, que ce soit un étudiant international ou un immigrant d’expression française, est plus tenté à se diriger vers le Québec que quelqu’un qui vit à Vancouver. Les coûts de déplacement, la proximité et les réseaux sont déjà là. Il y a donc eu pas mal de progrès.
Par contre, ici aussi, comme le disait M. Corbeil, on a affaire à de petits nombres. On ne recrute pas assez d’étudiants internationaux et d’immigrants d’expression française. Même s’il y a de la rétention, c’est comme une goutte d’eau dans l’océan.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Clement : Merci aux témoins de leurs excellentes présentations.
Je viens de Cornwall, en Ontario. C’est une communauté de 50 000 personnes et 25 % des habitants sont francophones. Le défi est d’attirer, mais surtout de retenir les gens.
J’assistais à un gala Juste pour rire la fin de semaine dernière à Cornwall et il y avait un jeune comédien d’origine marocaine qui faisait de très bonnes blagues sur l’expérience immigrante. Il décrivait la confusion qui règne lorsque les nouveaux Canadiens arrivent en région : qui fait quoi? Où doit-on aller pour avoir de l’aide et savoir comment s’installer?
Quel est le rôle de la municipalité, et comment peut-on améliorer la collaboration entre les différents ordres de gouvernement?
M. Traisnel : En fait, la question est vraiment pertinente.
Les municipalités ont un rôle stratégique à jouer, tout simplement parce qu’elles sont le premier ordre de gouvernement. Ce sont les premières institutions qui sont découvertes par ceux qui débarquent au pays. Les nouveaux arrivants, quand ils arrivent... Je parlais tout à l’heure d’une expérience assez difficile quand on est un nouvel arrivant, tout simplement parce qu’on arrive au Canada avec une image enchantée du pays. On ne peut pas reprocher cela aux immigrants et aux immigrantes, tout simplement parce que c’est cela qui les motive, les mobilise et les incite à se rendre au pays lorsqu’ils choisissent le Canada. Les réfugiés, c’est une tout autre question, bien sûr. Lorsqu’ils font ce choix, il y a un processus de désenchantement parce qu’ils sont confrontés à une réalité locale, à des démarches ou à des tracasseries administratives et à des embûches de toutes sortes.
M. Sall a parlé du logement tout à l’heure. On pourrait démultiplier ces embûches qui n’ont pas été prévues au départ. La municipalité est souvent celle qui est la plus proche de l’expérience migratoire, donc elle a effectivement un rôle crucial à jouer. Je dirais qu’avec le développement des partenariats locaux en immigration, par exemple, on s’aperçoit qu’elles prennent de plus en plus leur place dans le processus.
C’est la même chose pour les communautés francophones en situation minoritaire. Elles aussi sont sur le terrain. Grâce aux réseaux en immigration francophone et à toute une série d’initiatives, on essaie de plus en plus de coordonner les multiples décisions qui sont prises en matière d’accueil, d’installation et de consolidation de cette installation et de cette rétention.
Tout à l’heure, je disais que les services publics sont aussi des facteurs de rétention. C’est quelque chose qu’on oublie trop souvent. Bien sûr, l’emploi est le facteur numéro un de la rétention, avec le revenu, mais il y a aussi le bien-être de la famille qui nous accompagne. Si vous êtes heureux dans votre emploi, mais que votre conjoint ou conjointe ne l’est pas et que vos enfants ne sont pas heureux dans leur école ou sont frustrés parce qu’ils n’ont pas accès à un certain nombre d’activités parascolaires, cela a une influence sur l’usure de votre projet migratoire et cela vous incite à partir. Il faut être très attentif à la qualité des offres de services publics.
La sénatrice Clement : Merci.
Le président : Merci. Quelqu’un d’autre veut répondre à cette question?
M. Sall : Je souscris tout à fait à ce qu’a dit mon collègue. Il y a deux services publics qui sont névralgiques, soit le logement et le transport. Les immigrants sont très sensibles à cela. Ils le seront d’autant plus que maintenant, avec l’inflation que l’on vit au Canada, ce sera un facteur décisif pour le choix du lieu d’établissement.
Il y a une autre particularité dont je vais parler, qui découle de mon expérience personnelle. J’ai d’abord été immigrant au Québec et je vivais à Carleton-sur-Mer, où j’avais un emploi au cégep, un bon emploi de qualité. Tout le monde est beau, tout le monde est gentil. Cependant, ce qui m’a fait quitter cet endroit, c’est que je n’avais pas de lieu de culte, pas de mosquée. Vous voyez que, parfois, il y a des services auxquels ne pensent pas les municipalités et qui sont des facteurs décisifs de rétention des immigrants. Par exemple, la disponibilité d’un lieu de culte a été pour moi un facteur décisif pour ce qui est d’aller à Moncton puisque là-bas, au moins... Quand je suis arrivé à Moncton, j’ai trouvé une mosquée et cela a été un facteur décisif dans le fait que j’y suis resté. Donc, les municipalités jouent assurément un grand rôle, parce qu’on parle d’immigration et du gouvernement fédéral, mais c’est seulement sur papier. C’est la municipalité qui est l’agent numéro un en matière de rétention.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Moncion : Dans le projet de loi C-13, on indique que le gouvernement va mettre en place une politique en matière d’immigration francophone. Dans cette politique, on parle d’instaurer des objectifs, des cibles et des indicateurs. Au‑delà de ces éléments qui sont très faciles, qu’est-ce que vous recommanderiez que l’on retrouve dans cette politique, en plus de ces fameuses cibles?
M. Corbeil : Très rapidement, je pense que l’élément principal à considérer est qu’il ne faut pas voir l’immigration comme un silo. C’est peut-être un des enjeux et un danger auxquels on est souvent confronté. Comme si, finalement, la question de l’immigration francophone n’était qu’une question d’immigration. En fait, la question de l’immigration francophone est un moteur important de croissance et de vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire dans l’ensemble du pays. Il me semble qu’on a tendance à considérer la dimension immigrante un peu à part de l’évolution et de l’avenir de ces communautés. Au-delà d’une cible, il faut considérer l’immigration comme une richesse pour l’avenir de ces communautés et faire en sorte que ce ne soit pas seulement Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada qui en ait la responsabilité. Il doit y avoir une meilleure collaboration et un meilleur partenariat entre tous les ministères visés par le projet de loi sur les langues officielles. À cet égard, sans une bonne intégration et sans une meilleure réflexion sur les mécanismes d’intégration des immigrants au sein de ces communautés, je crois que le tout est un peu voué à l’échec si on ne se limite qu’à une cible pour croire que cela sauvera les communautés francophones dans l’avenir.
Le président : Merci beaucoup.
M. Traisnel : Il y aurait beaucoup de choses à dire, mais je dirai deux choses : la première a tout à voir avec l’accès à l’information. Cela peut paraître paradoxal, mais l’information qui est produite est souvent méconnue de la part des immigrants, notamment lorsqu’ils préparent leur projet migratoire. Il y aurait vraiment un sacré effort à faire.
Il y a un deuxième élément : il faut se sortir d’une approche exclusivement comptable à travers ces cibles. Les cibles sont des moyens, pas des fins. Il nous faut un moyen d’accéder à des communautés francophones peut-être plus marquées par la diversité, peut-être plus inclusives, peut-être plus ouvertes, qui permettraient justement d’avoir une francophonie beaucoup plus dynamique.
Cela passe évidemment par des liens étroits, et parfois problématiques, entre les identités telles qu’elles existent, notamment l’identité acadienne, la nation acadienne, le peuple acadien, qui existe bel et bien, mais il faut déterminer comment inclure les immigrants, comment ouvrir cette identité acadienne à la diversité. Voilà l’enjeu auquel sont confrontées les communautés francophones en situation minoritaire.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Traisnel.
Le sénateur Mockler : J’aimerais vous féliciter, monsieur le président, pour votre travail, parce que les enjeux dont il est question ici sont très importants et que nous disposons de peu de temps. Peut-être que vous aurez l’occasion de demander aux témoins de comparaître de nouveau devant notre comité.
J’aimerais parler de quelques dossiers qui font partie des mêmes débats qu’autrefois, lorsque je siégeais à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick. J’ai déjà été responsable de dossiers qui touchaient la francophonie et l’immigration. Il y a sans doute eu des améliorations depuis ce temps.
Il est vrai que le Québec joue un rôle important en matière de langues officielles, notamment pour le peuple de l’Acadie et les populations hors Québec, que ce soit en Ontario ou dans l’Ouest canadien.
Depuis quelque temps, je suis de très près la ministre Sonia LeBel, qui dit que le gouvernement du Québec a une longue tradition de collaboration avec plusieurs partenaires, notamment avec les provinces de l’Atlantique. C’est grâce au rôle que joue le Québec à l’intérieur du Canada que nous pouvons discuter ce soir dans la langue de Molière.
J’ai quelques questions à poser aux trois témoins. S’ils ne peuvent pas répondre à mes questions, peut-être pourrions-nous tenir un autre débat lors d’une prochaine réunion.
Y aurait-il lieu de mettre à jour l’Accord Canada-Québec relatif à l’immigration et à l’admission temporaire des étrangers de 1991 pour favoriser l’immigration francophone dans notre pays?
Cela dit, quelles sont les répercussions de cet accord sur le développement et l’épanouissement des communautés francophones à l’extérieur du Québec, d’un océan à l’autre? Ensuite, comment peut-on réconcilier les objectifs du Québec quant au maintien de son caractère francophone et les objectifs du Canada quant au maintien du poids démographique des francophones hors Québec?
J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.
M. Corbeil : Je vais y aller rapidement. C’est une question complexe qui demande beaucoup de temps. Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est qu’il y a un dialogue nécessaire. En ce moment, je ne crois pas que le Québec souhaite aller vers une discussion plus approfondie sur un arrimage entre les objectifs en matière d’immigration au Québec et les objectifs en matière d’immigration à l’extérieur du Québec.
Or, il y a un problème avec une telle attitude, si je peux m’exprimer ainsi, dans la mesure où il y a quand même une immigration. Il faut savoir que les immigrants francophones à l’extérieur du Québec ressortent gagnants des échanges avec le Québec, c’est-à-dire qu’il y a plus d’immigrants de langue française qui quittent le Québec pour aller vers l’extérieur du Québec que l’inverse. Donc, visiblement, pour toutes sortes de raisons, le Québec, en ce moment, préfère maintenir une cible de 52 000 ou 53 000 immigrants environ, parce qu’il considère qu’il y a des enjeux à l’égard du français et de l’intégration des immigrants au fait français au Québec. Dans la mesure où l’on a vu une annonce — comme je l’ai dit plus tôt — relative à une cible de 450 000 immigrants à l’extérieur du Québec, en l’absence de dialogue plus solide et sérieux entre le Québec et les communautés francophones à l’extérieur du Québec pour ce qui est d’arrimer deux perspectives en matière d’immigration, je crois que cela pose un réel problème.
En ce moment, il est clair que le seul avantage qu’en retire le Canada à l’extérieur du Québec, c’est que des immigrants de langue française quittent le Québec pour aller s’établir en Outaouais et ailleurs, notamment à Toronto, parce que les perspectives d’emplois y sont peut-être meilleures.
M. Traisnel : En ce qui concerne la dernière question du sénateur, qui est tout à fait pertinente — et Jean-Pierre Corbeil a tout à fait raison —, il faut que le Québec établisse un dialogue un peu plus systématique. Il y a quand même des initiatives qui se font avec les communautés francophones en situation minoritaire. Toutefois, dans le cadre de nos recherches, nous sommes allés interroger des immigrants francophones qui avaient décidé de quitter l’Acadie. Nous voulions voir quelles étaient les raisons expliquant leur départ de l’Acadie. Nous nous sommes aperçus qu’ils poursuivent parfois leur mobilité. Il y a peut-être là un terrain d’entente possible entre le Québec et les francophonies hors Québec, dans la mesure où l’enjeu de la rétention est inextricablement lié à la poursuite de la mobilité. Il y a peut-être des Québécois qui auront envie de tenter leur chance sur le plan professionnel à l’extérieur du Québec, dans nos communautés et, à l’inverse, des personnes qui se sentiraient peut-être mal à l’aise de le faire, parce que leur niveau d’anglais n’est pas suffisant pour pouvoir ensuite aller vers le Québec.
Il y a une espèce de va-et-vient qui pourrait être tout à fait profitable au Québec, comme pour les francophones en situation minoritaire.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Traisnel.
Monsieur Sall, vous pouvez faire une dernière courte intervention.
M. Sall : C’est difficile de conclure des accords avec le Québec dans le domaine de l’immigration, parce que les provinces aussi sont en compétition pour attirer des immigrants. Donc, tout cela est structuré de telle sorte que l’immigration est un champ de compétences partagé entre les provinces et le gouvernement fédéral. Je ne vois pas à quel niveau on pourrait dire qu’on va échanger des immigrants entre le Québec et le Nouveau-Brunswick, parce qu’une fois que les immigrants sont des résidents permanents, ils peuvent aller s’établir là où ils veulent. Cela me semble un peu irréaliste de ce point de vue.
Le président : Merci beaucoup, messieurs Traisnel, Corbeil et Sall.
Nous arrivons à la fin de la première heure de la réunion. Nous aurions pu continuer longtemps. Je pense que vous avez mis en relief la complexité, l’amplitude et la diversité des enjeux qui touchent la question de l’immigration francophone en situation minoritaire. Nous avons beaucoup parlé de la région de l’Atlantique, mais je crois que cela s’applique à l’ensemble du pays.
Je veux vous remercier de votre généreuse contribution à ce débat. Vous nous donnez beaucoup de matière à réflexion pour cette étude qui s’amorce. Je crois que nous aurons des échanges très fructueux.
Nous allons faire la transition tout en douceur, sans interruption, pour le prochain groupe de témoins de Statistique Canada.
Pour la deuxième partie de notre réunion, nous recevons des fonctionnaires de Statistique Canada, qui nous parleront également d’immigration francophone en situation minoritaire vue avec la lentille de Statistique Canada.
Nous recevons Laurent Martel, directeur du Centre de démographie, et Éric Caron Malenfant, directeur adjoint du Centre de démographie.
Bienvenue, messieurs. Je vous remercie d’avoir pris le temps de nous rencontrer aujourd’hui. À la suite de vos interventions, il y aura une période de questions des sénateurs et des sénatrices.
Monsieur Martel, la parole est à vous.
Laurent Martel, directeur, Centre de démographie, Statistique Canada : Merci, monsieur le président.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous sommes heureux de comparaître devant vous et nous vous remercions de nous donner l’occasion de contribuer à vos travaux sur le rôle de l’immigration pour l’avenir des communautés francophones en situation minoritaire.
Je m’appelle Laurent Martel. Je suis démographe et directeur du Centre de démographie à Statistique Canada. Je suis accompagné de mon collègue Éric Caron Malenfant, que vous voyez également à l’écran. Nous sommes tous les deux responsables du programme de la statistique linguistique à Statistique Canada.
À titre d’agence statistique nationale, Statistique Canada recueille de l’information sur une base continue sur les populations immigrantes et les groupes linguistiques du pays, comme sur d’autres populations.
Le recensement en particulier nous fournit, tous les cinq ans, une image instantanée et détaillée des langues et de l’immigration, et ce — et c’est très important — à divers échelons géographiques; il joue, à cet égard, un rôle central et offre une base factuelle à de nombreuses politiques publiques.
D’ailleurs, Statistique Canada publiera le 17 août prochain un portrait à jour de la diversité linguistique à l’aide des nouvelles données du recensement de 2021. Le 26 octobre, on diffusera les données sur l’immigration et, le 30 novembre, les résultats sur les langues de travail ainsi que les toutes premières données sur les enfants admissibles à l’instruction dans la langue officielle minoritaire, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Ces données seront la première pièce importante d’un écosystème de données sur ces enfants, que Statistique Canada entend mettre sur pied au cours des prochains mois et qui inclura aussi les données de la nouvelle enquête sur la population de langue officielle en situation minoritaire, dont la collecte débutera très bientôt.
En fonction des recensements antérieurs à celui de 2021 et d’autres sources de données, on a pu établir de façon claire qu’entre 2001 et 2016, le poids de la population d’expression française au Canada hors Québec, mesurée avec le critère de la première langue officielle parlée, était à la baisse. Ce n’est pas que la population ait diminué en nombre absolu. Il est bien important de souligner cette nuance, car elle a augmenté en nombre absolu, mais elle a augmenté moins rapidement que le reste de la population, d’où cette baisse du pourcentage de la population qu’elle représente.
À ce stade-ci de mon intervention, il est très important de préciser que ce constat vaut pour l’ensemble du Canada hors Québec, mais que, à des échelles régionales, la situation peut être fort différente. Ici, je fais un parallèle avec la séance précédente, car ces propos ont été repris par MM. Corbeil et Traisnel.
Avant de parler du rôle spécifique de l’immigration, il convient d’évoquer rapidement les raisons expliquant la baisse du poids démographique de la population de langue française hors Québec : a) les composantes naturelles du renouvellement de la population que sont les naissances et les décès sont, dans l’ensemble, défavorables au maintien du poids démographique de la population de langue française du Canada hors Québec; b) les transitions linguistiques survenant entre les parents et les enfants et au cours de la vie des individus sont par ailleurs généralement favorables à l’anglais, ce qui exerce, là encore, une pression à la baisse sur la proportion des communautés francophones minoritaires.
Dans ce contexte, il apparaît évident que les migrations jouent un rôle de plus en plus grand dans la dynamique démographique des populations francophones minoritaires du Canada. C’est également le cas de l’ensemble de la population du Canada, où l’accroissement naturel est à la baisse; la croissance démographique du pays entier repose donc de plus en plus sur l’immigration.
Par migrations, on entend à la fois l’immigration internationale, mais aussi les échanges migratoires entre les régions du pays, par exemple les échanges migratoires entre le Québec et les autres régions hors Québec.
De 2006 à 2016, nos données indiquent que la population de langue française hors Québec a, dans l’ensemble, enregistré des gains dans ses échanges migratoires avec le Québec. Cela a été mentionné dans la séance précédente. Autrement dit, les migrations internes ont été un facteur positif au cours de cette période. Pour illustrer l’importance de ces échanges migratoires avec le Québec au fil du temps, mentionnons le fait qu’environ une personne d’expression française sur cinq au Canada hors Québec est née au Québec, selon le recensement de 2016.
La proportion d’immigrants internationaux au sein de cette population était elle aussi en hausse, ce qui est le signe d’une contribution positive de l’immigration à ces communautés francophones hors Québec. Elle est passée de 9 % à 13 % entre 2001 et 2016.
Si l’on prend en compte à la fois l’effet des migrations internes et des migrations internationales, c’est donc environ une personne de langue française sur trois qui, au Canada hors Québec, provenait soit du Québec, soit de l’étranger. L’apport des migrations ne permet toutefois pas de combler les déficits observés ailleurs, en tenant compte des deux phénomènes que j’ai mentionnés au début de mon intervention, notamment au chapitre de l’accroissement naturel, ce qui explique la baisse progressive du poids démographique de la population francophone à l’extérieur du Québec.
Je le répète et cela va de soi, le jeu de ces composantes se présente différemment d’une région à l’autre du pays. On a constaté par exemple que la transmission du français est plus élevée dans le Nord du Nouveau-Brunswick et en Ontario que dans les autres provinces. Nous savons également que l’immigration de la langue française est prépondérante dans certaines grandes villes, comme Toronto.
Fort de ces constats, que nous réserve l’avenir? Si je pouvais vous le dire, je serais probablement très riche. Riche, je le suis d’une certaine façon à titre de démographe, puisque ma boîte à outils de démographe comprend les projections démographiques, qui est un outil très utile pour entrevoir les trajectoires des populations, tester divers scénarios d’évolution future et donc éclairer les décisions d’aujourd’hui.
En 2017, Statistique Canada a diffusé des projections sur les groupes linguistiques du pays, réalisées au moyen d’un puissant modèle permettant de produire des projections détaillées, tout en tenant compte de nombreux facteurs d’évolution, y compris les transferts linguistiques d’une génération à l’autre et au cours de la vie.
Nous avons pu créer de multiples scénarios, parfois théoriques, pour comprendre par exemple les répercussions d’un seul facteur d’évolution sur les tendances futures.
Ces projections complexes utilisaient comme point de départ l’Enquête nationale auprès des ménages, réalisée en 2011, et permettaient de faire des projections sur les populations jusqu’en 2036.
Grâce à cet exercice de projections, nous avons appris plusieurs choses. En voici quelques-unes en guise de conclusion.
Si les tendances actuelles en matière de niveau et de composition de l’immigration observées au moment d’effectuer ces projections se maintenaient, on assisterait à la poursuite de la baisse du poids démographique de la population de langue française du Canada hors Québec. C’est très clair.
Autre constat : une hausse, comme celle que l’on a observée récemment, ou une baisse de l’immigration pourrait, toutes choses étant égales par ailleurs, faire croître ou diminuer cette population en nombre absolu, mais n’aurait que peu d’influence sur le cours ou la trajectoire future de son poids démographique, surtout si la composition de l’immigration ne change pas de façon importante. Une hausse de l’immigration, sans modifier sa composition, ferait également croître tous les autres groupes linguistiques présents au pays.
Nous avons réalisé une simulation où l’on modifiait non pas le nombre, mais la composition de l’immigration, dans le but de maintenir, dans chaque province et territoire, le poids de la population d’expression française à son niveau de 2016, qui était alors d’un peu moins de 4 %. Dans l’ensemble du Canada, la proportion d’immigrants de langue française requise pour atteindre cet objectif serait supérieure à 4 %. Cette immigration doit donc aussi être en mesure de compenser les effets d’autres composantes, comme l’accroissement naturel ou les transferts linguistiques, qui sont souvent défavorables au maintien de cette proportion de la population d’expression française, comme je l’ai évoqué au début de mon intervention.
Les résultats montrent également une situation contrastée selon la province ou le territoire; nos simulations indiquent que c’est en Ontario, en Alberta et en Colombie-Britannique que l’on devrait augmenter le moins cette proportion d’immigrants francophones, et que c’est au Manitoba et à l’Île-du-Prince-Édouard qu’il faudrait l’augmenter le plus.
Je termine en disant que d’autres scénarios ont été élaborés et ont permis, par exemple, d’isoler l’effet d’un seul facteur sur l’évolution future de ce poids démographique. On a montré, par exemple, que des échanges migratoires favorables avec le Québec pourraient ralentir la baisse projetée, mais sans complètement la freiner. De plus, une transmission plus élevée du français des parents aux enfants aurait évidemment un effet démographique positif et semblable à celui que je viens d’évoquer avec les migrations internes.
En conclusion, il apparaît très clairement que, sur la base de nos projections démographiques, l’immigration francophone hors Québec pourrait maintenir le poids démographique de la population de langue française hors Québec, si la proportion d’immigrants francophones était supérieure au poids démographique de cette population francophone vivant à l’extérieur du Québec.
Gardons encore une fois à l’esprit qu’il faut considérer les variations régionales; c’est très important. Une mise à jour de ces projections serait très utile, notamment pour tenir compte des nouvelles données du recensement de 2021 qui seront très bientôt disponibles, ainsi que pour tenir compte, par exemple, du nouveau plan d’immigration récemment publié en février par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, qui a annoncé pour 2024 une hausse relativement importante des niveaux d’immigration au Canada.
Je vous remercie de votre attention. Éric et moi serons heureux de répondre à vos questions dans les prochaines minutes.
Le président : Messieurs Martel et Caron Malenfant, merci beaucoup pour cette présentation.
Nous allons passer à la période des questions. Encore une fois, nous allons suivre la même consigne des cinq minutes pour les questions et les réponses pour un premier tour de table.
La sénatrice Poirier : Merci à nos témoins d’être avec nous. Je n’ai qu’une question qui porte sur la recherche et la collecte de données.
Selon votre expérience, le gouvernement doit-il améliorer sa collecte de données concernant l’immigration francophone, afin de mieux proposer des politiques d’immigration francophone?
Si oui, quelles données seraient utiles, selon vous, pour augmenter l’immigration francophone dans les communautés francophones en situation minoritaire?
M. Martel : Je vous remercie de cette question intéressante, madame la sénatrice.
Jean-Pierre Corbeil, dans la première partie de la réunion du comité, l’a évoqué également. Il y a déjà quand même beaucoup de données disponibles actuellement, notamment grâce au recensement. Nous avons évidemment les variables « traditionnelles » présentes dans le recensement depuis un certain nombre de cycles, par exemple la langue maternelle, les langues le plus souvent parlées à la maison et la connaissance des langues officielles.
On a ajouté des éléments à cet éventail que j’ai évoqué au début de ma présentation, soit la langue d’instruction, pour répondre à un besoin de recueillir des données sur les enfants admissibles à l’instruction dans la langue de la minorité.
Il y a des données qui sont ajoutées même au moment où l’on se parle. Nous avons également la nouvelle enquête post-censitaire sur les langues qui est sur le point de recueillir des données.
Je pense donc qu’il y a quand même une masse importante d’informations. Nous avons également quelques données administratives, par exemple, sur les enfants qui fréquentent des écoles de la minorité à travers le Canada. On recueille ces données avec Statistique Canada à l’échelle des provinces et des territoires, sans parler de la fameuse base de données sur les immigrants du Canada qu’a évoquée Jean-Pierre Corbeil durant la première partie de cette séance.
Il y a déjà beaucoup de données qui existent actuellement. Nous avons enrichi cet ensemble de données en 2021 et bientôt en 2022. Ce serait ma réponse; je pense qu’il y a déjà quand même beaucoup de choses qu’on peut faire avec ces données.
Vous avez évoqué, par exemple, la migration interne des francophones. On peut déjà en faire une bonne approximation avec les données sur la mobilité contenues dans le recensement. On demande aux Canadiens : « Où viviez-vous il y a un an? » et « Où viviez-vous il y a cinq ans? » En exploitant ces questions contenues dans le recensement, on peut connaître beaucoup de choses sur la mobilité des Canadiens, notamment celle des immigrants et des immigrants francophones.
Je vais m’arrêter ici. Peut-être qu’Éric veut ajouter un élément de réponse?
Éric Caron Malenfant, directeur adjoint, Centre de démographie, Statistique Canada : Non; cela couvre très bien les sources de données actuelles et à venir.
La sénatrice Poirier : Si vous pensez que les données que vous avez sont suffisantes pour répondre aux besoins, pour quelles raisons ne pouvons-nous pas atteindre les cibles recherchées pour l’immigration?
Nous n’avons pas atteint les cibles attendues; nous ne sommes même pas à 4 %. Les données sont là pour répondre, mais en même temps tout cela ne répond pas à nos besoins.
M. Martel : Une des choses que Statistique Canada a mise de l’avant et qui est utile dans la prise de décisions, c’est ce à quoi j’ai fait référence dans mon allocution et qui a trait aux projections démographiques.
À titre de démographe, évidemment, je peux vous parler de l’utilité des projets démographiques, parce qu’à la lumière de ces projections, on est capable aujourd’hui de tester de multiples scénarios d’évolution et de jouer sur un ou plusieurs facteurs à la fois. On est capable de comprendre l’effet isolé d’un facteur pour voir la trajectoire des populations à l’avenir.
Statistique Canada a mis tout récemment à la disposition des décideurs publics de nouveaux outils en matière de projections qui vont permettre d’éclairer les débats, et peut-être surtout de prendre des décisions plus éclairées pour l’avenir de ces communautés.
La sénatrice Poirier : Est-ce qu’il me reste un tout petit peu de temps?
Le président : Oui, un tout petit peu. Allez-y.
La sénatrice Poirier : Ma question porte sur la dernière cible de 4,4 %; selon vous, quels sont les facteurs, sur le plan fédéral ou provincial, qui ont mené à cet échec?
Est-ce qu’on devrait rectifier le tir? La cible était-elle erronée dès le départ?
M. Martel : C’est aussi une question très pertinente.
Ma réponse à cette question serait de vous dire que, encore une fois grâce à nos projections, on pourrait par exemple tester, au sein de l’immigration, différents niveaux de composition d’immigration francophone au sein de notre immigration canadienne, surtout compte tenu des nouveaux niveaux que le ministère de l’Immigration a annoncés récemment. Nous pouvons facilement, à l’aide des outils dont nous disposons actuellement et que nous n’avions pas il y a une dizaine ou une quinzaine d’années, tester différents niveaux et arriver à bien comprendre le seuil minimum, par exemple, qui maintiendrait le poids démographique de certaines communautés francophones à l’extérieur du Québec, tout en gardant d’ailleurs une approche régionale. On serait même capable de cibler une proportion pour certaines régions par rapport à d’autres.
C’est dans ce sens que je pense que nos nouveaux outils nous permettront d’enrichir les décisions que vous prendrez prochainement.
La sénatrice Poirier : Merci beaucoup.
Le président : Avant de passer la parole au sénateur Dagenais, j’ai une petite question qui est peut-être complémentaire à celle-là.
Monsieur Martel, est-ce que vos données vous permettent d’identifier les différentes catégories d’immigrants que nous recevons au Canada? En d’autres mots, les immigrants économiques, les étudiants étrangers, les travailleurs temporaires?
Êtes-vous en mesure d’avoir des données spécifiques par rapport à ces différentes catégories?
M. Martel : C’est une question extrêmement pertinente, compte tenu des différentes catégories d’immigrants au Canada. Il y a quatre grandes catégories, mais on peut aller encore plus dans les détails.
Éric, je vais me fier à toi aussi, pour ne pas induire les sénatrices et les sénateurs en erreur.
Au recensement, nous n’avons pas de données sur la catégorie d’immigrants. Cependant, Statistique Canada, à certaines conditions, établit des couplages d’enregistrement avec des bases de données administratives, par exemple, qui nous permettent effectivement d’enrichir nos sources de données, par exemple sur la catégorie d’immigration à laquelle appartient un immigrant canadien qui s’est établi au pays.
Ce que je peux vous dire également, c’est que, dans notre moteur de projections démographiques détaillées dont j’évoquais l’existence au cours de ma présentation, nous avons inclus justement les catégories d’immigrants. Nous serions même capables, si certains le souhaitaient, d’élaborer différents scénarios ayant trait, par exemple, à la proportion d’immigrants économiques ou à la proportion d’immigrants qui sont admis au Canada sous le thème de la réunification familiale, d’inclure ces données dans nos projections et de voir ce que ça peut donner à l’avenir.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Martel. Si on donnait plus de moyens à Statistique Canada, seriez-vous capables de creuser davantage sur le profil des immigrants qui utilisent réellement le français en milieu familial et en milieu de travail?
M. Martel : C’est une bonne question. Je pense que nous avons les données requises pour le faire. Je pense que ce serait possible sur la base des données existantes. Cependant, de là à intégrer cela dans des modèles de projection... Il faut voir quelles sont les composantes nécessaires à la projection de ce genre de variable. Il y a souvent des variables sous-jacentes qu’il faut projeter également, mais je pense que nous pourrions faire des travaux en ce sens. Je vais laisser M. Caron Malenfant compléter ma réponse.
M. Caron Malenfant : Oui, je pourrais ajouter que, dans le recensement, on a beaucoup d’information sur les langues parlées à la maison et les langues utilisées au travail également. On peut distinguer immigrants et non-immigrants, selon la région et les diverses caractéristiques qui sont recueillies dans le recensement. On pose la question sur la langue qui est la plus souvent parlée à la maison et sur les autres langues qui sont parlées à la maison. Au travail, on pose une question sur la langue utilisée le plus souvent au travail et aussi sur les autres langues qui sont utilisées au travail.
Comme on connaît le statut d’un immigrant, son âge, sa profession et l’industrie dont il fait partie, il est possible, avec le recensement, d’obtenir des profils très détaillés de la population immigrante selon diverses caractéristiques linguistiques. On a également des données sur la langue maternelle et la connaissance des langues. Est-ce que les gens connaissent le français, connaissent l’anglais ou les deux langues? Le recensement est une source de données permettant d’obtenir de l’information sur ce type de profil.
Le sénateur Dagenais : J’y vais avec ma prochaine question. Les recherches que vous faites nous donnent-elles de l’information sur le nombre de francophones canadiens et immigrants qui ont mis leur langue de côté pour avoir accès à des emplois, et surtout à des emplois supérieurs dans les grandes entreprises du pays?
M. Martel : Je sais qu’on a fait des travaux tout récemment sur la relation entre la langue d’instruction et la langue de travail. Il y a des études qui seront bientôt publiées. Monsieur Caron Malenfant, je ne sais pas si vous voulez aller dans cette direction-là.
M. Caron Malenfant : Je pense que le recensement est la source de données permettant de recueillir ce genre d’information. Sans dire que les gens ont mis leur langue de côté, on peut voir si les personnes qui utilisent le français à la maison, qui habitent à l’extérieur du Québec et qui ont le français comme langue maternelle, utilisent leur langue au travail. Est-ce qu’ils utilisent une autre langue ou est-ce qu’ils utilisent le français et l’anglais ensemble?
La grande majorité des gens vont utiliser le français ou l’anglais au travail. On sait qu’il y a une hausse importante du nombre de personnes qui ont une langue autre que le français ou l’anglais comme langue maternelle ou langue parlée à la maison. Cela dit, au travail les langues officielles demeurent des langues de convergence. Donc, il y a beaucoup de gens qui parlent une langue autre que le français ou l’anglais et qui n’utilisent pas leur langue maternelle au travail, mais qui vont utiliser le français ou l’anglais. Donc, le recensement nous permet de connaître ces divers profils au sein de la population.
Le sénateur Dagenais : Savez-vous dans quelle proportion un francophone qui obtient un emploi pour lequel le bilinguisme est requis travaille en anglais durant sa journée de travail? Ce serait nécessaire de le savoir pour mesurer le véritable besoin de parler en anglais, j’imagine?
M. Caron Malenfant : Je ne connais pas la proportion.
M. Martel : Moi non plus.
M. Caron Malenfant : Si je comprends bien, on parle du nombre de personnes qui utilisent le français en général et du temps qu’elles passent dans une journée à utiliser une autre langue, c’est bien ça? Qui utilisent l’anglais?
Le sénateur Dagenais : Oui.
M. Caron Malenfant : Je ne crois pas que l’on connaît le nombre d’heures passées au travail dans une autre langue. Cela dit, nous aurons bientôt de nouvelles données au moyen de l’enquête sur la situation des populations en situation de langue minoritaire francophone à l’extérieur du Québec, et anglophone au Québec, où l’on va recueillir davantage d’information sur la situation en milieu de travail. On va aller au-delà des questions du recensement sur la langue utilisée le plus souvent et les langues parlées régulièrement qui sont déjà posées dans le recensement. On va aussi poser des questions supplémentaires sur le contexte dans lequel ces langues sont utilisées, et avec qui elles le sont. Est-ce qu’on utilise une langue pour accomplir des tâches ou pour parler avec des collègues? Il y aura de l’information disponible dans la nouvelle enquête qui se fait sur le terrain en 2022 à propos des situations au travail qui nous permettront d’en apprendre davantage. Le recensement nous permet d’en apprendre beaucoup, car on peut savoir quelle langue est parlée le plus souvent et lesquelles sont utilisées régulièrement au travail.
Le président : Merci à MM. Martel et Caron Malenfant.
La sénatrice Gagné : Bienvenue, messieurs Martel et Caron Malenfant. Je voulais tout simplement vous poser une question, et veuillez m’excuser si vous en avez déjà parlé dans le cadre de votre présentation : comment est-ce qu’on définit un immigrant d’expression française?
M. Martel : C’est une bonne question. Je répondrais qu’un immigrant d’expression française est une personne née à l’étranger. On parle d’expression française parce qu’on utilise la variable de la première langue officielle parlée, qui est souvent la plus pertinente lorsqu’on parle des immigrants, parce qu’ils peuvent avoir une langue maternelle tierce, autre que le français et l’anglais, mais aussi connaître une des deux langues officielles du Canada. Je pense que le critère de la première langue parlée est un critère intéressant lorsqu’on s’intéresse à l’immigration francophone.
La sénatrice Gagné : Est-ce que la définition utilisée par le gouvernement fédéral a évolué au fil du temps?
M. Caron Malenfant : En fait, il y a plusieurs façons de définir la population d’expression française. Comme le disait M. Martel, on utilise souvent le critère de la première langue officielle parlée. Les critères de la première langue officielle parlée sont restés les mêmes au cours des dernières années. On peut définir la population selon la connaissance des langues officielles; c’est donc la population qui connaît le français ou qui a le français comme langue maternelle. On a aussi des séries de données continues au sujet de ces populations. Ici, on parle des données de Statistique Canada qui proviennent du recensement de la population. Il n’y a pas de définition officielle de ce que c’est un immigrant francophone, mais on a plusieurs outils qui permettent aux divers utilisateurs de créer leur propre définition. Chez Statistique Canada, on utilise souvent la première langue officielle parlée.
La sénatrice Gagné : Quand il s’agit d’établir une cible, est-ce qu’on utilise toujours la même définition qui a eu un impact sur l’atteinte de la cible de 4 %, ou pas nécessairement?
M. Caron Malenfant : Quand on a fait des projections de simulation pour déterminer le nombre d’immigrants de plus qui seraient requis par province pour maintenir le poids démographique de la population de langue française dans chacune des provinces, c’est la première langue officielle parlée qui a été utilisée. Cela aurait pu être fait à partir d’autres critères, mais la cible du ministère de l’Immigration a été établie sur la base de la première langue officielle parlée. La cible de 4,4 %, c’était la proportion de personnes qui avaient le français comme première langue officielle parlée au recensement de 2001. Donc, dans les projections, on a utilisé le même critère.
La sénatrice Gagné : Seriez-vous en mesure de faire des commentaires sur la transmission du français aux enfants de couples d’immigrants d’expression française à l’extérieur du Québec, et comment cette transmission peut-elle se comparer aux enfants de parents francophones?
M. Caron Malenfant : C’est une très bonne question; il faudrait vérifier pour les immigrants d’expression française. Pour la population française, ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a une transmission, par l’intermédiaire de la population de langue française à l’extérieur du Québec. De façon générale, c’est quelque chose qui a été évoqué par Laurent Martel lors de son allocution d’ouverture. Il y a une transmission incomplète du français à l’extérieur du Québec.
En fait, on peut dire que, par le biais de la transmission intergénérationnelle, il y a certains transferts vers l’anglais qui sont beaucoup liés à l’exogamie et au fait que, dans certaines situations, les deux conjoints parlent une langue différente et vont utiliser l’anglais, par exemple, avec leurs enfants. C’est un facteur qui joue de façon importante, si l’on veut, dans la baisse du poids démographique de la population de langue française.
Dans les projections, lorsqu’on a fait une simulation pour voir ce qui arriverait si on favorisait une meilleure transmission du français, on voyait que le poids démographique baissait plus lentement.
Comme le mentionnait M. Martel, c’est très différent d’un endroit à l’autre et c’est lié à la concentration géographique des populations francophones dans certaines régions. La transmission du français va se faire davantage dans les régions où il y a une plus grande concentration de francophones, par exemple dans le Nord du Nouveau-Brunswick, comme le disait M. Martel, ou certaines régions de l’Ontario, tandis qu’à certains endroits la transmission se fait moins vers le français et davantage vers l’anglais.
La sénatrice Gagné : Ce serait donc le comparatif qu’il serait intéressant de connaître.
M. Caron Malenfant : Avec les immigrants, oui, c’est quelque chose qu’on pourrait examiner, effectivement.
Le président : Merci de vos réponses.
La sénatrice Mégie : Je m’adresse à M. Martel.
Vous avez dit dans votre discours qu’une hausse de l’immigration, sans modifier sa composition, ferait également croître les autres groupes linguistiques. Est-ce que cela signifie que ça ne favoriserait pas du tout l’immigration francophone et que l’on raterait notre objectif?
Si c’est ce que cela signifie, quelle devrait être la composition qu’on devrait privilégier?
M. Martel : En fait, nos projections nous ont montré qu’avec une hausse de l’immigration, sans changer sa composition, donc sans changer par exemple le nombre d’immigrants francophones, la situation ne changerait pas réellement. On continuerait d’assister à la baisse du poids démographique des populations de langue française à l’extérieur du Québec. L’immigration contribuerait également et davantage, en fait, aux autres groupes linguistiques, par exemple, les populations de langue tierce ou les immigrants anglophones. Les autres populations continuent de croître plus rapidement que la population de langue française à l’extérieur du Québec, donc la situation ne changerait pas.
Il faut effectuer un changement dans la composition de l’immigration, donc cette fameuse proportion d’immigrants francophones, qui devra changer à l’avenir si l’on veut maintenir le poids des communautés francophones à l’extérieur du Québec. Ce qu’on a constaté également, c’est que cette proportion devra être supérieure à la proportion que représentent les francophones hors Québec. Pourquoi? Parce qu’il faut compenser les autres effets qui ont des effets négatifs sur le maintien de ce poids démographique.
Donc, il ne s’agit pas simplement de viser l’atteinte du même poids démographique pour les francophones hors Québec; il faut viser une cible plus élevée permettant de contrecarrer les autres effets négatifs.
Je ne sais pas si Éric veut ajouter des précisions.
M. Caron Malenfant : Je vais ajouter une précision pour faire le lien avec un autre élément qui a été mentionné dans l’introduction.
Une hausse de l’immigration, même si sa composition ne changeait pas, comme le mentionne M. Martel, ne permettrait pas de freiner la baisse du poids démographique de la population d’expression française à l’extérieur du Québec. Cependant, une hausse de l’immigration ferait augmenter le nombre de personnes de langue française à l’extérieur du Québec. Il y a une distinction à faire entre le nombre et la proportion. Si l’on augmentait l’immigration et que l’augmentation était proportionnelle pour chacune des langues, le nombre de personnes d’expression française à l’extérieur du Québec serait plus élevé. C’est ce que montraient les projections : en augmentant ou en diminuant l’immigration, on augmentait ou on baissait le nombre, mais cela avait assez peu d’effets sur le poids démographique, sur le pourcentage que la population de langue française représente à l’extérieur du Québec.
La sénatrice Mégie : Sur le plan du recensement, on sait qu’en 2011, le gouvernement conservateur a annoncé que le formulaire long du recensement serait désormais rempli sur une base volontaire. Par la suite, les formulaires sont devenus plus courts. Pensez-vous que cela aurait un effet sur vos projections démographiques?
Est-ce que la pandémie a eu des effets sur vos projections? Si oui, lesquels?
M. Martel : Merci, madame la sénatrice, ce sont de bonnes questions et je peux commencer à y répondre.
Pour ce qui est du recensement devant être rempli sur une base volontaire en 2011, qui est devenu le questionnaire long du recensement, puis l’Enquête nationale auprès des ménages, je l’ai évoqué dans ma présentation. En fait, nos premières projections linguistiques diffusées par Statistique Canada en 2017 avaient, comme point de départ, l’Enquête nationale auprès des ménages. Pour ce qui est des projections, cette décision n’a pas eu d’impact. Nous avons pu, avec beaucoup de succès, utiliser l’Enquête nationale auprès des ménages pour faire des projections sur les grands groupes linguistiques en présence au Canada, y compris les personnes de langue française vivant à l’extérieur du Québec.
D’autre part, pour ce qui est de la pandémie, évidemment, il faut comprendre qu’un recensement est une photo instantanée de la population à un moment bien précis, soit le jour du recensement, qui était le 11 mai 2021. Nous voyons, avec cette photo instantanée, le résultat de la pandémie pour ce qui est de certains aspects. Pour d’autres, ces conséquences seront à plus long terme. Je pense par exemple aux effets de la pandémie sur la fécondité des couples canadiens. Il y aura un certain délai avant que nous voyions l’effet de la pandémie sur la fécondité des couples au Canada. Le recensement peut parfois capter des effets de la pandémie, mais moins dans d’autres situations. Lorsque nous pouvons parler des effets de la pandémie grâce aux données du recensement de 2021, nous le faisons, et on l’a fait en février dernier lorsque nous avons présenté les chiffres sur la croissance démographique.
Cela dit, est-ce que la pandémie aura des impacts sur les projections démographiques? Bien sûr que, dans la réalisation de nos séries de projections, nous prendrons en compte les effets de la pandémie. Lorsqu’on parle de faire des projections sur la fécondité, sur l’immigration interne des Canadiens, la pandémie a pu effectivement avoir des effets. Nous en tiendrons compte lorsque nous élaborerons nos scénarios d’évolution future, bien évidemment.
Le président : Merci beaucoup de vos réponses.
La sénatrice Clement : Merci pour vos présentations.
Les sénatrices Gagné et Poirier ont posé mes questions, mais j’en ai une autre.
Est-ce que, selon vos données, il y a des régions en particulier qui ont mieux fait pour ce qui est d’augmenter ou de moins réduire leur population francophone? Si oui, est-ce que ces données pourraient nous donner des indices sur les raisons pour lesquelles elles ont mieux fait?
M. Martel : C’est une très bonne question également. Je vais commencer à répondre et je vais laisser Éric donner des précisions.
La réponse est oui, je sais qu’il y a des régions qui ont mieux fait que d’autres. D’ailleurs, dans certaines régions du Canada, le poids démographique des francophones hors Québec n’a pas diminué. Voilà donc la preuve qu’il y a eu des situations très contrastées. C’est un des messages que j’ai voulu vous transmettre aujourd’hui, soit l’importance de prendre les variations régionales en considération. Je pense que d’autres intervenants, plus tôt dans la séance, ont fait la même chose que moi.
Par exemple, il y a des endroits comme la grande région métropolitaine de Toronto, qui reçoit chaque année un flux d’immigrants relativement important, puisqu’un grand nombre d’immigrants canadiens choisissent de s’établir dans cette région. Il est évident que la communauté francophone qui vit à Toronto est alimentée par ces flux annuels d’immigrants dont un certain nombre, même s’ils sont peu nombreux, connaissent le français. Cela contribue forcément à alimenter la population francophone qui vit à Toronto. La situation est probablement très différente dans le Nord de l’Ontario pour les communautés francophones qui reçoivent beaucoup moins d’immigrants chaque année, et très peu d’immigrants francophones.
Éric veut peut-être ajouter quelque chose à ce début de réponse.
M. Caron Malenfant : C’est exactement le cas. On voit des différences importantes d’une région à l’autre. Une de nos simulations permettait de voir clairement de combien il fallait augmenter l’immigration pour maintenir le poids démographique.
Certaines régions ont été exclues, soit Terre-Neuve-et-Labrador, de même que les territoires, puisque la projection du poids démographique n’était pas à la baisse dans ces régions. Ce fait est lié au phénomène migratoire dans ces régions. On voyait aussi que la situation est très différente d’une région à l’autre. Comme M. Martel vient de le mentionner, Toronto reçoit beaucoup d’immigrants. En fait, l’Ontario, l’Alberta et la Colombie-Britannique reçoivent beaucoup d’immigrants. Dans ces régions, la hausse nécessaire, dans la simulation que nous avons faite et qui visait à maintenir le poids démographique, était moins importante qu’ailleurs. On voit donc d’importantes différences et le phénomène migratoire y joue une bonne part, bien que ce ne soit pas le seul facteur.
La sénatrice Clement : Je suis moins intéressée par la situation à Toronto. Je suis de Cornwall, en Ontario, et je m’intéresse davantage à la dynamique des petits centres, qui ont plus de difficulté à attirer et à retenir les immigrants francophones.
Vos données régionales contribuent-elles à former la politique du gouvernement, qui a été annoncée au mois de février 2022?
M. Martel : Statistique Canada collabore très étroitement avec un grand nombre de ministères fédéraux pour les soutenir dans leur prise de décisions. Nous contribuons aux travaux d’IRCC dans l’élaboration des plans d’immigration en fournissant des données, et parfois même des résultats de projections démographiques, par exemple sur la diversité ethnoculturelle de la population canadienne. On élabore des scénarios en utilisant différents nombres d’immigrants pour évaluer les impacts de différents niveaux d’immigration sur la population canadienne à différents égards. Je dirais donc que ce sont des choses que fait Statistique Canada tous les jours.
J’ajouterais que, pour les petits centres urbains, on a assisté, au cours des dernières années, à une distribution un peu différente, et qui est en évolution, de nos immigrants sur le territoire canadien. Il y a 20 ans, beaucoup d’immigrants se dirigeaient vers les trois plus grands centres urbains du Canada, soit Toronto, Montréal et Vancouver. Depuis une dizaine d’années, le phénomène s’est un peu diversifié. L’attraction qu’exercent les régions sur nos immigrants n’est pas sans lien avec la vitalité économique ni avec l’existence de communautés immigrantes sur place, qui peuvent être une source d’intégration importante pour les nouveaux immigrants. Ce sont des facteurs qui jouent un rôle important dans la capacité des petits centres urbains d’attirer des immigrants, y compris des immigrants francophones.
Encore une fois, Éric veut peut-être ajouter quelque chose à cette réponse.
M. Caron Malenfant : Je n’ai pas beaucoup d’éléments à ajouter, sinon pour dire qu’on a, encore une fois avec le recensement, de l’information sur chacune des régions. On peut arriver, à l’échelle régionale, à des données extrêmement détaillées du point de vue linguistique pour faire un suivi de la situation.
La sénatrice Clement : Merci beaucoup.
Le sénateur Dalphond : Merci à nos invités. J’ai deux questions.
Vos instruments permettent-ils de mesurer l’utilisation du français à la maison en milieu minoritaire pour les immigrants francophones dont la langue maternelle est le français? Le taux d’utilisation est-il comparable à l’utilisation d’une langue maternelle autre pour les immigrants d’autres langues? Autrement dit, assiste-t-on au même phénomène de transfert linguistique vers l’anglais?
M. Martel : Je ne suis pas sûr d’avoir vu d’études à ce sujet. Éric, j’aurais besoin de toi pour répondre à cette question précise sur l’utilisation du français à la maison. Je ne me rappelle pas avoir vu d’études récentes à ce sujet.
M. Caron Malenfant : Vous parlez du taux d’utilisation du français à la maison par les personnes de langue tierce?
Le sénateur Dalphond : En fait, je parle des gens dont la langue maternelle était le français, qui immigrent au Canada en situation minoritaire, donc hors Québec. Assiste-t-on au même transfert linguistique vers l’anglais, comme c’est le cas pour les gens qui arrivent et parlent, par exemple, l’italien ou l’allemand?
M. Caron Malenfant : C’est une très bonne question. Sous toute réserve — et on pourra vérifier et faire un suivi avec vous —, les immigrants dont la langue maternelle est le français qui s’établissent dans une région hors Québec effectuent un certain nombre de transferts. Il y a des pertes au profit de l’anglais. On remarque un nombre relativement important de personnes qui utilisent l’anglais à la maison. Est-ce comparable ou est-ce la même chose pour les personnes de langue maternelle tierce? C’est une bonne question. On pourra vous fournir les données et faire le suivi avec vous. Cette information figure au recensement de la population. Toutefois, on voit des pertes nettes pour les immigrants de langue française. Il y a des transferts vers l’anglais bien davantage que l’inverse.
Le sénateur Dalphond : Ma deuxième question concerne le choix de la langue d’enseignement. Les immigrants dont la langue maternelle est le français, donc les francophones qui arrivent au Canada, choisissent-ils, dans la même proportion que les francophones de souche, d’envoyer leurs enfants à l’école française en situation minoritaire, ou choisissent-ils plus souvent de les envoyer à l’école anglaise?
M. Martel : Éric, connais-tu la réponse? Cette question est assez précise. Je ne sais pas si on a fait des études ou publié des chiffres à ce sujet récemment.
M. Caron Malenfant : Je crois que cela nous ramène à la question des enfants admissibles à l’instruction en français, au primaire et au secondaire, dans la langue officielle minoritaire. Avec le recensement de 2021 en novembre, on diffusera de l’information qui va justement permettre de voir, pour l’ensemble de la population, dans quelle mesure les gens ont fréquenté des programmes de langue française à l’extérieur du Québec. On aura de l’information aussi sur les programmes d’immersion. L’enquête sur les populations de langue française en situation minoritaire nous permettra également d’avoir une mesure d’autres dimensions pour l’enseignement postsecondaire, par exemple, pour savoir quelle langue on choisit lorsque vient le temps pour les gens de choisir une université.
Il y a donc cette dimension, mais tout dépend, à l’échelle locale, de la présence ou de l’absence d’institutions de langue française, donc d’écoles primaires et secondaires. Tout dépend du lieu de l’établissement des immigrants, à savoir s’ils ont ou non des possibilités. C’est la même chose pour l’enseignement postsecondaire et universitaire. Souvent, les personnes vont changer de ville pour fréquenter une institution d’enseignement postsecondaire. Nous aurons davantage d’information sur tous ces parcours très bientôt, avec la nouvelle enquête sur les minorités de langue officielle. Il va sans dire que certains optent pour l’école française. Pour ce qui est des proportions, nous devrions obtenir ces données très bientôt.
Le sénateur Mockler : Monsieur Martel, monsieur Caron Malenfant, je tiens à vous féliciter de votre travail tout à fait pertinent pour le développement social et économique de nos communautés. Pour ce qui est des projections démographiques, j’aimerais parler des partenaires qui nous permettent de collaborer quand on se penche sur les projections démographiques.
J’aurais deux questions. D’abord, selon votre expérience, le gouvernement fédéral devrait-il accroître ou revoir sa collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux dans le secteur de l’immigration? Comment cet exercice devrait-il se faire?
Deuxièmement, quelle forme concrète doit prendre l’engagement du gouvernement fédéral à appuyer l’immigration comme secteur clé de développement des communautés, par rapport à ce même aspect qui figure au projet de loi C-13?
M. Martel : Merci, sénateur, pour ces très bonnes questions. Elles sont complexes.
Pour ce qui est des collaborations avec les provinces et les territoires, je dirais que, dans l’exercice de son mandat, Statistique Canada collabore déjà de façon très étroite avec plusieurs provinces et territoires, et même avec des entités municipales. Cela inclut les domaines de projections démographiques et d’estimations démographiques. Celles-ci sont basées sur un partenariat entre Statistique Canada et les provinces et territoires. Nous sommes en contact avec eux sur une base quotidienne.
Parfois, nous utilisons des données des provinces et des territoires dans l’exercice de nos propres estimations, de nos projections démographiques. Personnellement, pour mon travail au Centre de démographie, les provinces et les territoires sont un partenaire clé. Il y en a d’autres, et nous avons chaque année des réunions fédérales, provinciales et territoriales pour faire le point sur les travaux et sur la collaboration futurs entre Statistique Canada et les provinces et territoires. Dans le domaine de la statistique, les projections linguistiques diffusées en 2017 avaient fait l’objet de nombreuses consultations avec nos partenaires externes et, dans certains cas, avec d’autres provinces et territoires. Ce sont des choses qui se font régulièrement.
Quant à votre deuxième question, je devrai avoir recours à M. Caron Malenfant. Vous parliez, je crois, de l’engagement et du rôle de l’immigration comme un secteur clé. Ce que je dirais à ce propos, c’est que, actuellement, la croissance démographique canadienne est soutenue, mais repose en grande partie sur l’immigration. Nous avons d’importants défis à relever en ce qui a trait au renouvellement de la main-d’œuvre et des pénuries de main-d’œuvre. De plus en plus, l’immigration apparaît comme l’une des façons de gérer ces défis à l’échelle canadienne. L’importance de l’immigration pour la vitalité et le maintien du poids démographique des populations de langue française à l’extérieur du Québec devient cruciale, parce que les autres facteurs de croissance sont de moindre importance aujourd’hui, comme l’accroissement naturel, où l’on observe des tendances négatives pour les autres facteurs, comme les différents types de transitions linguistiques. Oui, l’immigration devient assurément un facteur très important sur le plan des tendances démographiques, avec ce que cela implique.
Je dis souvent que l’immigration est encore très concentrée dans certaines régions du Canada. On pourrait dire qu’il y a des gagnants et des perdants, entre guillemets, de l’immigration, parce que certaines régions n’en bénéficient que très peu actuellement, et ce, pour toutes sortes de raisons. Monsieur Caron Malenfant, voulez-vous ajouter quelque chose à ma réponse?
Le président : Je vous invite à être bref, car nous devrons conclure notre réunion bientôt.
M. Caron Malenfant : Je n’ai rien à ajouter.
Le président : Sénateur Mockler, il faudra garder votre question pour une autre réunion.
Merci beaucoup, messieurs Martel et Caron Malenfant, pour vos présentations et vos réponses pertinentes. Cela montre bien le rôle important que joue Statistique Canada dans le cadre de notre étude, d’une part, et pour ce qui est de nous aider à cheminer vers une immigration francophone plus importante au pays, d’autre part.
Merci beaucoup d’avoir été avec nous. Merci de vos questions et de votre engagement, chers collègues, et merci aussi au personnel. Je rappelle aux membres du sous-comité qu’ils devront se rebrancher sur Teams pour notre réunion. Il faut quitter le mode Zoom et se brancher sur Teams. Merci beaucoup, et à la semaine prochaine.
(La séance est levée.)