LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 25 avril 2022
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 3 (HE), avec vidéoconférence, pour mener l’étude sur l’immigration francophone en milieu minoritaire.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Avant de commencer, je vous rappelle, ainsi qu’aux témoins, que vous êtes priés de mettre votre micro en sourdine en tout temps, à moins d’être reconnus par le président.
En cas de difficultés techniques, notamment en matière d’interprétation, veuillez le signaler au président ou à la greffière et nous nous efforcerons de résoudre le problème.
Les participants doivent savoir qu’ils doivent participer dans une zone privée et être attentifs à leur environnement.
Nous allons maintenant commencer officiellement notre réunion.
Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
J’aimerais vous présenter les membres du comité qui participent à cette réunion : la sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick, vice-présidente du comité; la sénatrice Raymonde Gagné, du Manitoba, membre du comité directeur; le sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec, membre du comité directeur; la sénatrice Bernadette Clement, de l’Ontario; la sénatrice Lucie Moncion, de l’Ontario; la sénatrice Marie-Françoise Mégie, du Québec; le sénateur Pierre Dalphond, du Québec, et le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Je vous souhaite la bienvenue à tous, ainsi qu’aux téléspectateurs partout au pays qui nous regardent peut-être. Je tiens à souligner que je participe à cette réunion depuis le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe.
[Français]
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’immigration francophone en milieu minoritaire.
Dans un premier temps, nous recevons les représentants de deux organisations. Tout d’abord, de la Société de la francophonie manitobaine, nous accueillons Mme Bintou Sacko, qui dirige Accueil francophone, une initiative de la Société de la francophonie manitobaine facilitant l’établissement des nouveaux arrivants francophones au Manitoba. Ensuite, de la Société nationale de l’Acadie, nous recevons M. Martin Théberge et Mme Véronique Mallet, qui sont respectivement président et directrice générale.
Merci à tous d’avoir accepté notre invitation et bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre vos remarques préliminaires qui seront suivies d’une période de questions des sénateurs et des sénatrices.
Nous allons commencer avec Mme Sacko. La parole est à vous. Merci.
Bintou Sacko, directrice, Accueil francophone, Société de la francophonie manitobaine : Merci beaucoup. J’aimerais d’abord remercier le comité de m’avoir invitée à comparaître aujourd’hui.
Chers membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, je prends la parole à titre de directrice de l’Accueil francophone du Manitoba de la Société de la francophonie manitobaine ou SFM.
À titre d’organisme porte-parole de la communauté francophone du Manitoba, la SFM se soucie de l’avancement de tous les domaines d’activités dans la communauté avec l’aide de son réseau de collaborateurs et de partenaires. Le dossier de l’immigration fait partie des priorités de l’agrandissement de l’espace francophone du Manitoba. J’aimerais m’exprimer aujourd’hui sur deux grandes thématiques : la cible d’immigrants d’expression française qui s’établissent à l’extérieur du Québec et les moyens de renforcer le secteur et d’assurer l’atteinte des objectifs fixés par le gouvernement en la matière.
En ce qui concerne le premier point, soit la cible d’immigrants d’expression française qui s’établissent à l’extérieur du Québec, nous avons constaté que, depuis 2003, le gouvernement du Canada a déployé des moyens pour atteindre la cible de 4,4 % pour répondre à la décroissance démographique des communautés francophones hors Québec, mais sans beaucoup de succès. Il y a eu des succès ici et là, bien entendu, mais on n’a pas atteint la cible. Après plusieurs années d’efforts, il est évident que d’autres moyens doivent être adoptés par le gouvernement fédéral afin d’atteindre notre objectif et aussi de pallier l’incidence liée au retard pour la cible non atteinte pour les communautés francophones hors Québec.
Au gouvernement du Canada, on suggère bien qu’on doit avoir une politique claire en matière d’immigration avec des stratégies bien précises en ce qui concerne les communautés francophones hors Québec. Parmi ces initiatives ou ces politiques, on pourrait proposer l’accroissement du nombre d’immigrants et de réfugiés d’expression française en provenance de pays francophones, notamment d’Afrique; on pourrait mettre en œuvre des mesures pour faciliter l’obtention de visas et la venue d’étudiants internationaux en levant les barrières systémiques qui bloquent et qui mettent fin à cette obligation de démontrer qu’ils retourneront dans leur pays d’origine après leurs études, ce qui est aussi une raison de refus de visa pour la plupart des étudiants internationaux. On pourrait aussi augmenter les capacités de traitement des demandes d’immigration en provenance de pays sources francophones, notamment en Afrique subsaharienne. On pourrait finalement offrir un appui aux communautés francophones hors Québec pour qu’elles puissent avoir la capacité de faire plus de promotion à l’étranger et de renforcer leurs services d’accueil et d’établissement. Voilà qui résume ma réflexion sur la question des cibles à atteindre.
Pour ce qui est du deuxième point, il faudrait déterminer les moyens de renforcer l’appui de ce secteur et d’assurer l’atteinte des objectifs fixés par le gouvernement fédéral en la matière. IRCC, communément appelée Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, collabore directement avec les communautés francophones et acadienne dans le dossier de l’immigration et s’organisent avec elles pour appuyer le secteur de l’établissement francophone en matière d’immigration. Cette collaboration est d’autant plus importante, car elle tient bien compte des besoins particuliers des communautés et cadre avec leurs plans stratégiques communautaires globaux.
Depuis 2003, la structure de l’Accueil francophone a été mise sur pied par la Société de la francophonie manitobaine pour gérer le dossier de l’immigration francophone et coordonner les activités liées directement à l’établissement et à l’intégration des nouveaux arrivants francophones. De cette date à maintenant, l’Accueil francophone participe à la plupart des initiatives, consultations et stratégies sur la question de l’immigration francophone hors Québec, sur les plans national, provincial et communautaire.
De 2010 à 2019, plus que 4 800 immigrants sont arrivés au Manitoba avec la capacité de communiquer en français. De 2020 à 2021, malgré les restrictions de voyage liées à la pandémie, l’Accueil francophone a accueilli 301 immigrants, dont 109 réfugiés. L’année précédente, l’accueil a connu une année record de 666 immigrants, dont 254 réfugiés.
Le renforcement de ce secteur se fera en mettant en place des mesures particulières. La question du financement est prioritaire, un financement adapté au secteur de l’établissement francophone. À défaut d’un financement, les structures d’Accueil francophone connaissent actuellement des difficultés sur le plan organisationnel, et n’arrivent ni à développer des programmes bien adaptés ni à s’orienter sur la rétention des employés dans le secteur, en raison des salaires qui sont extrêmement bas.
Pour ce qui est du soutien du « par et pour » dans l’offre de services d’établissement afin de parfaire le parcours de l’immigrant francophone, l’idée de parcours a été développée par les réseaux d’immigration francophone et permet aux nouveaux arrivants d’accéder à tous les services dont ils ont besoin en français pour réussir une meilleure intégration. Actuellement, ce parcours est fragmenté à cause des difficultés d’accès à certains services en français. On suggère aussi une entente ou une stratégie d’engagement de la province, notamment la province du Manitoba, pour l’établissement et l’intégration des nouveaux arrivants francophones comprenant des stratégies très précises.
Je vous remercie, chers membres du comité. Je serai ouverte à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, madame Sacko. La parole est maintenant aux représentants de la Société nationale de l’Acadie, M. Théberge et Mme Mallet. La parole est à vous.
Martin Théberge, président, Société nationale de l’Acadie : Monsieur le président, sénatrices et sénateurs, bonjour.
C’est un grand plaisir pour nous de comparaître devant vous pour traiter de la question de l’immigration francophone.
La baisse de la natalité, l’exode, le vieillissement de la population et surtout l’assimilation linguistique, rendent essentiel un accroissement de notre population issue de l’immigration. Malgré l’urgence, l’apport de l’immigration reste bien en dessous de nos besoins. Les immigrants francophones représentent 15 % des immigrants au Nouveau-Brunswick, et moins de 4 % dans les provinces de l’Île-du-Prince-Édouard, de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et Labrador. Ces taux ne reflètent aucunement le poids démographique de la population francophone du Nouveau-Brunswick, qui est de 32 %, ni celui des trois autres provinces, qui est de 11,9 %.
La cible d’immigration d’expression française en milieu minoritaire a été adoptée en 2003 afin de freiner la baisse du poids démographique de cette population qui était alors de 4,4 %. Depuis, notre poids démographique n’a cessé de diminuer et l’immigration francophone n’a jamais dépassé les 2 %. Notons que les provinces atlantiques n’ont elles non plus jamais pu atteindre leur propre cible dans le domaine.
Malgré la mise en place de services spécialisés, l’accroissement des activités de promotion à l’international, une meilleure sensibilisation des communautés d’accueil, plus de concertation; malgré des programmes fédéraux positifs comme Entrée express et le Programme des candidats des provinces, l’immigration francophone n’augmente pas. Pourquoi? Hors du Canada, la francophonie canadienne se résume trop souvent au Québec, ce qui nous nuit beaucoup.
La SNA est d’avis qu’IRCC ne peut pas mener ses actions en matière d’immigration francophone en vase clos. Le Programme de diplomatie ouverte, qui permettait à la SNA de mener des activités de promotion à l’international, a été éliminé. C’est par ses relations diplomatiques que l’Acadie réussit, par exemple, à maintenir un consulat général de France dans les provinces atlantiques — un outil incontournable dans l’attraction des immigrants européens. D’autres activités de promotion que mène la SNA vont aussi en ce sens, comme le jumelage entre collectivités, la mobilité jeunesse et la promotion des artistes.
Il est essentiel que le gouvernement fédéral envisage la question de l’immigration francophone dans une perspective plus large de relations internationales et développe une stratégie de diplomatie pour accompagner sa nouvelle politique d’immigration francophone. Un tel programme reconnaîtrait ainsi la capacité à mener des actions à l’international comme source de développement et d’épanouissement, en plus de donner le pouvoir à notre peuple d’attirer et d’intégrer un plus grand nombre d’immigrants en Acadie.
Les étudiants internationaux représentent une catégorie immigrante qualifiée et formée au Canada. En Atlantique, on estime qu’ils représentent environ un tiers de l’immigration francophone. Ils pourraient être beaucoup plus nombreux, mais leurs demandes de permis d’études sont très souvent refusées. Les chanceux qui obtiennent leur permis voient souvent leur demande de résidence permanente refusée. Notons que presque toutes les catégories d’immigrants font face à la même expérience.
La reconnaissance des titres de compétence est un des principaux facteurs à l’intégration économique. Plus du tiers des immigrants interrogés en Atlantique révélaient qu’ils ne travaillaient pas tout à fait, voire pas du tout, dans leur domaine de compétence. Dans les provinces atlantiques, on ne peut pas s’intégrer pleinement sans maîtriser la langue anglaise. Or, plus du quart des immigrants francophones reçus entre 2011 et 2016 ne connaissaient pas assez bien l’anglais pour soutenir une conversation.
Dans notre région, il y a une pénurie d’emplois en français. Cela dit, à Terre-Neuve-et-Labrador, par exemple, 98 % des emplois disponibles pour les immigrants francophones exigent la maîtrise de l’anglais. Notons que les études sur le sujet indiquent que le fait de devenir bilingue ne nuit pas à l’usage du français par ces immigrants.
Malgré beaucoup d’efforts, nos communautés ne comprennent pas encore assez l’impact positif de l’immigration. Cela conduit parfois à des expériences douloureuses qui peuvent provoquer le départ vers les grandes villes et de plus gros bassins multiculturels.
Malgré la grande qualité des services offerts aux immigrants en Acadie, malgré un important réseau d’intervenants et une plus grande concertation au sein du Comité atlantique en immigration francophone mené par la SNA, il existe une telle panoplie de services offerts aux immigrants en matière d’accueil et d’établissement que certaines possibilités ne sont pas utilisées à leur plein potentiel.
Pour aborder tous ces défis, il existe une manière efficace de traiter certaines questions qui est propre à l’Acadie : le « par et pour ». Cela signifie que plus les problèmes sont traités sur le terrain, plus les solutions sont pensées et mises en œuvre par les principaux acteurs, au plus près de la réalité, plus les problèmes sont susceptibles de se régler. De plus, notre mémoire propose les pistes de solution suivantes : que le gouvernement fédéral se penche immédiatement sur les raisons qui mènent au refus des demandes des étudiants étrangers francophones et vise à accroître le nombre de demandes acceptées; qu’il trouve le plus rapidement possible des manières de faciliter la résidence permanente des immigrants francophones en milieu minoritaire; qu’il agisse immédiatement avec les associations professionnelles pour faciliter la reconnaissance des diplômes et de l’expérience professionnelle des immigrants francophones; qu’il développe « par, pour et avec » l’Acadie une stratégie diplomatique en matière de francophonie, arrimée aux stratégies de promotion de l’immigration francophone; finalement, qu’IRCC aide ses partenaires communautaires de l’Atlantique à faciliter l’accès à des cours d’anglais pour les immigrants francophones.
Je vous remercie de votre attention. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Théberge. Je remercie les deux organismes de leur déclaration.
Nous allons passer à la période des questions. J’invite les sénatrices et sénateurs à utiliser la fonction « main levée » pour demander la parole. Les sénateurs présents dans la salle peuvent signaler leur intention à la greffière. N’hésitez surtout pas à attirer notre attention si nous ne vous confirmons pas avoir été inclus dans la liste.
Chers collègues, en étant conscient du temps à notre disposition et de l’intérêt soulevé par les propos de nos témoins, je propose que cinq minutes soient accordées à chacun pour un premier tour de table, incluant la question et la réponse des témoins. Nous ferons un deuxième tour de table, si le temps nous le permet.
Nous allons commencer avec la vice-présidente du comité, la sénatrice Rose-May Poirier.
La sénatrice Poirier : Merci à tous nos témoins d’être ici ce soir.
Ma première question s’adresse à M. Théberge. On sait que la cible de 4 % n’a jamais été atteinte. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cette cible n’a pas été atteinte?
Il semble qu’au Nouveau-Brunswick, la cible n’est que de 2 %. Êtes-vous en mesure de préciser les raisons pour lesquelles cela n’a pas été atteint? Quel genre d’effet l’échec de l’atteinte de cet objectif peut-il avoir sur la communauté acadienne?
M. Théberge : Merci de votre question, sénatrice Poirier. Je vais débuter, et je laisserai la parole à Mme Mallet pour compléter.
Je crois que, d’une part, on agit en silo : on traite l’immigration comme un élément et on ne regarde pas ce qu’il y a autour. On ne regarde pas l’élément culturel et la diplomatie. Il faut arrêter de la traiter en silo, d’une part.
D’autre part, il nous faut des programmes élaborés en fonction des francophones, pas des programmes canadiens qui sont conçus trop souvent en anglais et ensuite adaptés aux communautés acadiennes et francophones. Il faut de réelles initiatives qui sont par et pour la communauté acadienne, pour être capable d’attirer des gens et pouvoir développer des programmes adaptés à notre communauté. Cela a un impact à long et à court termes sur nos communautés. C’est la vitalité de nos communautés qui en dépend.
Je vais laisser ma collègue poursuivre.
Véronique Mallet, directrice générale, Société nationale de l’Acadie : J’appuie ce qu’a dit M. Théberge au début de son intervention au sujet des actions prises en vase clos de la part d’IRCC.
La Société nationale de l’Acadie a été très active pour faire la promotion de l’Acadie et la promotion de l’immigration francophone dans notre région. Ce qu’on remarque, c’est à quel point notre région n’est simplement pas connue sur la scène internationale. Le Québec a fait un excellent travail de promotion et pour se faire connaître, alors qu’il est très difficile pour nos régions de se faire connaître. Le fait que l’Acadie soit très peu connue à l’extérieur des frontières canadiennes fait en sorte qu’il est très difficile de faire la promotion de l’immigration chez nous et d’attirer les immigrants.
Ensuite, il y a la question de la rétention. Pour moi, cette question revient au point de vue de la connexion avec les immigrants. Lorsqu’on recrute des immigrants provenant de grandes villes, il est certain que notre région ne compte pas de grandes villes comme ils peuvent y être habitués. Il faut être en mesure d’aller chercher des gens qui recherchent le mode vie qu’on a à offrir. Ce match n’est pas tout à fait atteint, à ce moment-ci.
La sénatrice Poirier : Monsieur Théberge, vous avez terminé votre présentation avec quelques points qui pourraient constituer une solution pour aider l’immigration dans nos régions. Avez-vous déjà été contacté par le gouvernement pour donner votre opinion sur la façon de régler les problèmes existants et la façon de le faire? Le gouvernement a-t-il eu recours à votre expertise quant à la question d’augmenter l’immigration de 2 % à 4,4 %, qui n’a jamais été réalisée? Souvent, ceux qui sont sur le terrain connaissent les problèmes et savent comment les résoudre. Avez-vous été consulté sur cet aspect?
M. Théberge : Puisque mon historique à la Société nationale de l’Acadie remonte au 3 octobre, c’est assez récent. Je peux vous dire que, depuis cette date, la réponse est non.
Je vais demander à ma collègue de poursuivre.
Mme Mallet : Nous avons comparu il y a une semaine ou deux devant le comité de la Chambre des communes sur la même question.
Sinon, nous devons être plus aptes à vouloir donner notre opinion lorsqu’on vient la chercher. On fait énormément d’efforts pour bien faire connaître la réalité de nos régions, mais on est plus généreux en matière d’information que ce qui nous est demandé.
La sénatrice Poirier : Ma prochaine question s’adresse aux deux témoins, mais l’autre témoin peut répondre aussi. Selon vous, que doit contenir la nouvelle politique en matière d’immigration francophone promise par le gouvernement fédéral? Selon vous, est-ce que la francophonie canadienne hors Québec est suffisamment connue par le reste du Canada?
M. Théberge : En Acadie, nous sommes très mal connus et on essaie de le devenir par l’entremise de nos efforts diplomatiques. C’est la deuxième partie de la réponse : il faut arrêter de penser en silo et permettre des programmes comme la diplomatie ouverte, qui existait dans le passé, et qui nous permettait de faire notre propre promotion et de mieux nous faire connaître comme terre d’accueil.
Mme Sacko : Je pense que je n’aurais pas grand-chose à ajouter aux propos de M. Théberge.
Je l’ai mentionné comme solution : il s’agit de permettre aux communautés francophones hors Québec de faire leur propre promotion, parce qu’il y a des stratégies et orientations particulières qui peuvent être prises en compte, ou des éléments précis qui pourraient être abordés lors de ces promotions hors du pays, justement en traitant des particularités et des spécificités des communautés francophones.
La sénatrice Poirier : Merci.
Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à Mme Sacko.
Lorsqu’on regarde l’ensemble des efforts des 20 dernières années pour favoriser l’immigration francophone dans votre province, il y a eu un protocole d’entente sur le parrainage de réfugiés, en 2002; ensuite, il y a eu un accord avec le gouvernement canadien sur l’immigration, en 2003; par la suite, il y a eu une stratégie provinciale pour attirer des immigrants francophones, en 2006. Je crois que tout le monde s’entend pour dire que les cibles n’ont pas toujours été atteintes. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné? Croyez-vous sincèrement que la réforme de la Loi sur les langues officielles qui nous est proposée actuellement va réellement changer les choses?
Mme Sacko : Je vous remercie, sénateur Dagenais. Je vais tenter de répondre à votre question.
Effectivement, toutes les stratégies mises en place au fil du temps ont porté des fruits, mais pas nécessairement atteint les objectifs.
Pour ce qui a manqué, deux choses me viennent en tête. J’ai parlé tout à l’heure de stratégies de promotion. Je pense que nous devons élargir le bassin. Jusqu’à présent, les stratégies se sont beaucoup orientées sur l’Europe et les pays du Maghreb. Il y a l’Afrique subsaharienne, où la francophonie est assez dispersée. Nous devons porter un regard sur ces bassins et adopter des stratégies bien ciblées et orientées vers des bassins où on peut recruter le plus de francophones possible.
Deuxièmement, j’ai parlé de ressources financières. C’est très important. Il peut y avoir d’excellentes idées de programmes pour développer des communautés, mais il faut avoir des ressources pour pouvoir mettre en place ces initiatives.
Ce sont les deux choses qui ont peut-être fait défaut et qui ont fait en sorte qu’on n’a pas pu faire beaucoup d’efforts pour arriver à atteindre ces cibles.
Le sénateur Dagenais : Ma deuxième question est pour M. Théberge.
Vous mentionnez dans votre mémoire que plusieurs immigrants ne travaillent pas dans leur champ de compétence une fois qu’ils sont intégrés. Au-delà des programmes souvent bien écrits et paraissant très bons sur le plan politique, pouvez-vous nous parler des difficultés administratives qui font que certaines choses sont difficiles à réaliser? Croyez-vous que les cibles fixées dans les provinces, et maintenant par Ottawa, sont atteignables au moyen de ce qui est en place actuellement?
M. Théberge : Le grand problème, si on parle de la reconnaissance des compétences, est que cela repose dans les ordres professionnels et ainsi de suite. Le gouvernement doit agir sur ce plan et travailler avec eux pour trouver un terrain d’entente afin qu’on puisse reconnaître ou travailler avec les ordres professionnels d’ailleurs, ou reconnaître les études faites ailleurs pour les gens qui s’intègrent. Je ne suis pas le seul à être monté dans un taxi conduit par un docteur après avoir atterri à l’aéroport de Toronto. Il s’agit à mon avis d’une aberration, et on doit travailler à changer cela.
On a un projet en cours à la Société nationale de l’Acadie, où on fait une étude de faisabilité pour faciliter la reconnaissance des titres de compétence en éducation et en comptabilité. On commence par cela, question de bien la connaître. Je serai heureux de vous présenter les constats et les résultats lorsqu’on en aura.
Pour ce qui est des cibles, manifestement, il faut les accroître. D’ailleurs, je me permets de faire un clin d’œil aux constats de la FCFA et aux données qu’elle a produites il y a quelques semaines. Nous sommes tout à fait d’accord avec ses conclusions pour ce qui est des cibles. Tout est possible, à condition de faire le travail nécessaire et que les circonstances soient favorables pour réussir. Il faut travailler avec les communautés, les institutions en place, les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral. Une cible accrue est non seulement possible, elle est nécessaire, à mon avis.
Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.
Mme Mallet : J’aimerais ajouter quelque chose aux propos de M. Théberge sur la reconnaissance des compétences. À ce sujet, nous agissons à titre de liaison avec les gouvernements étrangers. Par exemple, nous collaborons actuellement avec le gouvernement français, par l’entremise du consulat général de France dans les provinces atlantiques, pour arriver idéalement à la signature d’une entente bilatérale sur la reconnaissance des compétences en éducation. Nous arrivons à accomplir ce travail grâce au consulat et au fait qu’il comprend bien la réalité de la région. Ainsi, nous ne sommes pas obligés de passer par l’ambassade de France à Ottawa, qui, elle, ne comprendrait pas nécessairement la réalité de notre région. On en revient donc à la question de la diplomatie, soulevée un peu plus tôt, et à la nécessité de travailler avec les gouvernements étrangers pour arriver à des ententes bilatérales ou multilatérales.
La sénatrice Mégie : Ma question pourrait s’adresser à M. Théberge ou Mme Sacko. J’ai entendu de la part de plusieurs d’entre vous, même dans les entrevues avant votre présentation, qu’il y avait seulement un bureau en Afrique pour faire le recrutement des francophones dans ce bassin de population, et qu’il était plutôt orienté vers la France ou vers le Sahel.
À quel niveau pensez-vous agir pour pouvoir élargir votre présence ou la présence des recruteurs dans ce grand bassin? Je pense que dans ce bassin, il y aurait des francophones à faire venir, mais savez-vous à quel niveau on devrait agir? Je ne pense pas que la Loi sur les langues officielles va pouvoir agir. Ce sera quelque chose de plus administratif. Avez-vous une petite idée à savoir par quel moyen cela pourrait être fait?
M. Théberge : Je me lancerai encore une fois sur la question de la diplomatie. La Société nationale de l’Acadie effectue des déplacements. Nous sommes sur le point de partir pour une mission en Louisiane. L’automne dernier, nous étions en France. Nous y arrivons, tant bien que mal, en mettant sur pied des projets visant à générer des revenus connexes. Ainsi, avec le temps, on réussit à mener ce genre de mission.
Par le passé, le programme de diplomatie ouverte nous permettait d’agir de façon plus active à l’échelle internationale. Il permettait aussi de se faire connaître, de faire valoir l’Acadie comme terre d’accueil et les provinces atlantiques comme un lieu économique, d’éducation, où on peut agir en tant que francophones. Malheureusement, ce programme n’existe plus et on a du mal à faire ce genre de promotion. Nous n’avons pas de financement pour le faire. Il est de plus en plus difficile de créer des ententes multilatérales, comme Mme Mallet le mentionnait plus tôt. Or, il faudrait un programme ou une stratégie de diplomatie alignés à une stratégie d’immigration, car nous ne voulons pas traiter l’immigration en vase clos.
La sénatrice Mégie : Est-ce par manque de budget que cette stratégie diplomatique est tombée ou y a-t-il d’autres causes, comme un conflit d’intérêts avec le Québec ou quelque chose du genre qui pourrait être responsable de cela?
M. Théberge : Je ne sais pas si Mme Mallet aurait la réponse exacte à votre question. Tout ce que nous savons, c’est que ce programme a été aboli par le gouvernement il y a une dizaine d’années.
Mme Mallet : Il y a plus d’une dizaine d’années; on parle plutôt d’environ 15 ans. Si je ne me trompe pas, la dernière mission découlant de ce programme a eu lieu en 2006. À mon avis, il s’agissait d’une volonté politique de mettre fin à ce programme. Aujourd’hui, la capacité du peuple acadien à maintenir ces relations tient à bien peu, compte tenu de l’abolition du programme. Ce programme avait de réelles retombées. Maintenant, le travail se fait, tant bien que mal, avec des moyens bien inférieurs à ceux qu’on avait par le passé.
M. Théberge : Il faut garder à l’esprit qu’on a le droit de faire de la promotion, mais pas du recrutement. Même en se déplaçant et même en effectuant ce genre de missions, nos capacités sont très limitées; on les atteint rapidement et l’impact est réduit.
Mme Mallet : J’aimerais ajouter quelque chose aux propos de M. Théberge. Nous avons la capacité de faire de la promotion et ce mandat nous est donné par IRCC. Toutefois, nous n’avons pas la capacité de nous déplacer, car IRCC n’octroie pas de fonds pour les déplacements. Nous pouvons faire de la promotion en achetant de la publicité. Or, notre région est déjà mal connue et nous vivons un peu dans l’ombre du Québec. On ne sera donc pas plus connus en achetant davantage de publicité.
Mme Sacko : J’ajouterais qu’il serait bien de multiplier les activités de promotion. Par exemple, Destination Canada est une activité de promotion qui se déroule de façon virtuelle depuis la pandémie. En présentiel, elle avait lieu en Europe seulement et plus particulièrement en France. Les gens devaient se déplacer du Maghreb pour prendre part à cette activité. Cette stratégie a été bien soutenue, grâce à la participation, en grande partie, de la province, et Immigration Canada était aussi présent. Par contre, l’activité se déroulait uniquement en Europe.
Ouvrir des initiatives comme Destination Canada en Afrique et faire en sorte que les gens n’aient pas à demander un visa pour y participer aiderait un peu le programme.
On peut également parler de la charge de travail dans les ambassades. Certaines ambassades couvrent 13 pays africains. Le traitement des dossiers requiert énormément d’énergie. Cela fait en sorte que le système rejette systématiquement les demandes, ce qui décourage les candidats qui déploient beaucoup d’efforts pour ouvrir des dossiers, en plus des ressources financières nécessaires pour faire des demandes d’immigration. En un clin d’œil, ils perdent tout et les demandes sont rejetées.
Il faudrait considérer la mise sur pied de programmes passerelles qui permettraient d’alléger les critères afin que les gens puissent facilement déposer leur demande en vue d’obtenir un statut de résident permanent pour venir au Canada.
Ce sont les éléments que je tenais à ajouter aux propos de Mme Mallet et de M. Théberge.
La sénatrice Gagné : Bienvenue et merci beaucoup d’être là, madame Mallet, monsieur Théberge et madame Sacko.
Madame Sacko, je suis toujours bien contente de vous revoir. J’aimerais revenir sur quelques données statistiques. L’Accueil francophone du Manitoba facilite l’accueil et l’établissement des nouveaux arrivants francophones chez nous depuis 2003. Vous comptez un bon nombre d’années d’expérience à votre actif. Vous avez réussi à retenir plusieurs immigrants au Manitoba. Les statistiques sont assez impressionnantes. Le taux de rétention des immigrants qui utilisent les services de l’Accueil francophone du Manitoba s’élève à environ 80 % depuis sa création. C’est quand même impressionnant! C’est un facteur à considérer. Il ne s’agit pas seulement de faire venir les gens; les retenir pose un tout autre défi.
Quels facteurs socioéconomiques, culturels, linguistiques ou politiques favorisent l’établissement d’immigrants d’expression française dans les communautés francophones en situation minoritaire? À votre avis, qu’est-ce qui explique le fait que l’Accueil francophone du Manitoba ait pu retenir autant d’immigrants?
Mme Sacko : Merci beaucoup pour cette question. Sénatrice Gagné, c’est toujours un plaisir de vous voir.
Un des facteurs qui a favorisé l’ouverture ou la rétention des immigrants qui s’établissent ici au Manitoba, c’est la façon dont les services sont offerts. Alors, une initiative tellement importante que l’Accueil francophone a mise sur pied est d’aller accueillir les clients lors de leur arrivée à l’aéroport. À partir de ce moment, il y a un contact physique qui est créé avec le client. On a développé des partenariats stratégiques avec le Réseau Compassion qui nous a fourni des logements de transition dans le quartier francophone au cœur de Saint-Boniface. Cela leur permet non seulement, pendant leur période de transition, d’habiter dans le quartier francophone — donc de développer un réseau avec tous les services offerts au sein de cette communauté —, mais aussi d’avoir accès à toutes les ressources francophones pour les accompagner dans leur intégration. Si on pousse même plus loin, lors de la recherche de logements que nous faisons, nous concentrons nos recherches soit à l’intérieur de la communauté francophone ou à proximité de celle-ci pour qu’ils n’aient pas à chercher des services ailleurs et qu’ils puissent toujours revenir dans la communauté.
Notre stratégie est toujours fondée sur l’agrandissement de l’espace francophone. De plus, lorsque les familles arrivent, on les met directement en contact avec la division scolaire franco-manitobaine; lorsque les enfants fréquentent l’école en français, cela maintient le lien entre les parents et la communauté francophone.
Donc, il y a différentes stratégies que nous avons développées qui ont permis à ces gens de rester connectés avec la communauté francophone et de découvrir les ressources que la communauté a à leur offrir pour qu’ils puissent rester ici.
Ils sont à l’aise que cela se passe en français, car c’est leur langue maternelle. Quand ils n’ont pas cela, des fois, cela peut les repousser.
Ce sont les facteurs qui me viennent en tête et qui ont vraiment favorisé la rétention des immigrants grâce au service d’établissement aux francophones.
La sénatrice Gagné : J’aimerais maintenant entendre M. Théberge ou Mme Mallet en ce qui concerne les facteurs qui peuvent soit appuyer ou nuire à la rétention.
M. Théberge : Tout d’abord, je dirais que, malheureusement, les provinces atlantiques sont parmi les pires au Canada en ce qui concerne la rétention. Il y a deux facteurs. Le premier est de nature économique, c’est-à-dire se trouver un emploi. Si on ne réussit pas à se trouver un emploi, il est très difficile de rester. Le deuxième est le facteur linguistique. Dans nos provinces, si on ne parle pas anglais, on a de la difficulté à se créer un réseau. À Terre-Neuve-et-Labrador, même s’il y a des emplois en français, 98 % de ceux-ci exigent que l’on parle anglais. Donc, il y a aussi un lien entre la langue et l’intégration économique.
Ce sont là deux facteurs importants qui, malheureusement, font en sorte que les immigrants qui arrivent dans nos provinces partent, par exemple, à Montréal ou à Toronto, car il y a un plus grand bassin de population et également une communauté multiculturelle.
La sénatrice Moncion : Ma première question concerne les cibles et les stratégies pour le Manitoba. Vous avez parlé de plusieurs facteurs, mais vous n’avez pas parlé de ciblage par rapport à l’emploi. Vous semblez avoir un très bon programme d’accompagnement pour les immigrants. Pourriez-vous nous parler du ciblage que vous faites par rapport à la pénurie d’emplois et des occasions qui peuvent se présenter du côté de l’emploi?
Mme Sacko : Du côté de l’emploi, toujours dans le parcours de l’immigrant francophone qui arrive ici, nous avons des structures mises en place pour les accompagner. Ce n’est pas à l’intérieur de l’Accueil francophone, c’est à l’extérieur, mais grâce au référencement, on a des structures mises en place pour accompagner les immigrants afin qu’ils puissent s’intégrer.
L’anglais peut parfois être une barrière, mais il y a quand même une certaine sensibilisation et un accompagnement qui se font dès le départ avec le client qui lui permet de comprendre que les emplois qu’il obtient au départ sont des emplois de débutant : ils commencent plus bas avec des emplois qui ne sont peut-être pas à leur niveau pour ensuite remonter la pente tranquillement. Alors, on n’a pas de cible précise pour ce qui est de l’intégration, mais la plupart des personnes, en moyenne dans les trois mois suivant leur arrivée, arrivent à décrocher quelque chose dans leur domaine, et ce, malgré la pénurie.
Souvent, parmi les immigrants économiques, certains parlent déjà anglais. Ils savent qu’ils arrivent dans une province anglophone, ils ont fait une certaine préparation avant de venir. Le problème peut se poser du côté des réfugiés. Là aussi, il y a un soutien qui est offert. Ce n’est pas la majorité, mais il y a une minorité qui arrive avec un niveau très bas d’anglais. Cependant, il existe des programmes qui leur permettent d’avoir un accompagnement ou une formation linguistique et des ressources offertes par l’entremise du programme de réinstallation pour qu’ils puissent se mettre à niveau et ainsi accéder à un emploi qui peut leur permettre de survivre.
Alors, il y a un programme d’accompagnement très développé, comme vous l’avez mentionné, qui tient compte des particularités de chaque client et qui nous donne une bonne idée, une fois que l’évaluation des besoins est faite, pour tracer un parcours qui permet au client d’avancer de façon très aisée dans ce parcours.
La sénatrice Moncion : Merci. Du côté du Nouveau-Brunswick, j’aurais une question à deux volets. Le premier est en lien avec le témoignage d’une personne immigrante qui a quitté le Québec à cause des accès très limités du point de vue de la spiritualité et de la religion. Le deuxième volet concerne les partenariats avec les universités et les établissements d’enseignement francophones pour le recrutement. Il y a des endroits où il y a des programmes financés par le gouvernement fédéral pour qu’il y ait des bureaux de recrutement dans certains pays d’Afrique. Les niveaux de succès sont quand même élevés dans d’autres provinces. Pourriez-vous nous parler de ces avenues?
M. Théberge : Je suis désolé, je n’ai pas vraiment la réponse à votre question. Peut-être que ma collègue, Mme Mallet, a plus d’informations à ce sujet.
Mme Mallet : Je tiens à préciser qu’on parle au nom de la région de l’Atlantique en entier; peut-être que votre question sera d’intérêt pour nos collègues de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick qui comparaîtront ensuite.
Ce qu’on sait, c’est que l’ambassade qui traite les dossiers africains est très surchargée; il y a un sérieux manque de personnel pour le traitement de ces dossiers. On nous fournit très peu d’information sur le traitement des dossiers au sein de cette ambassade, mais ce sont les informations qu’on a. Cela crée d’importants arrérages dans le traitement des dossiers.
La sénatrice Moncion : Dans chacune de vos provinces, il y a des universités qui font du recrutement. Celles-ci se financent en partie grâce aux étudiants étrangers. Il y a toute une avenue de ce côté pour du recrutement, de la rétention et des programmes à mettre en place avec du financement qui viendrait de programmes du gouvernement fédéral.
M. Théberge : Comme je l’ai mentionné d’entrée de jeu, on sait qu’effectivement, les étudiants internationaux sont une clientèle importante pour nos universités et on sait qu’environ le tiers de l’immigration francophone est issue de ces étudiants internationaux.
Par contre, ce qu’on sait pour l’avoir découvert dans le cadre de nos recherches, c’est qu’il y a un grand nombre d’étudiants qui voient leur demande de visa pour les études refusée. Même une fois qu’ils sont formés chez nous, il y a un très grand nombre de ces étudiants qui voient ensuite leur demande de résidence permanente refusée.
Ils viennent chez nous, on les forme et ensuite on leur dit « non, tu n’as pas le droit de rester chez nous ». Il y a là un travail qui me semble inutile et aberrant. Selon moi, il y a une piste très claire à cet endroit qu’il faudrait explorer davantage afin d’augmenter le taux de succès des étudiants internationaux. Lorsque je parle de taux de succès, je parle autant de la demande de visa d’étude que la demande de résidence permanente, une fois les études complétées.
Le sénateur Dalphond : Ma question donne suite à la réponse que viennent de donner M. Théberge et les deux témoins, que je remercie pour leurs présentations très claires. Ils ont soulevé les deux mêmes problématiques concernant les étudiants étrangers et le refus de demande de résidence permanente subséquente.
Avez-vous des données probantes indiquant que c’est la même chose pour les étudiants qui vont dans les universités anglophones, ou est-ce une situation qui est propre aux étudiants francophones et à ceux qui demandent ensuite la résidence au Canada, car leurs dossiers sont traités différemment dans des bureaux différents? Y a-t-il un manque de ressources?
Avez-vous des données ou indices qui expliquent s’il s’agit d’un phénomène systémique, peu importe les étudiants et peu importe leur langue, ou est-ce quelque chose de particulier aux francophones?
Mme Sacko : Je pourrais me prononcer. Ce n’est pas parce qu’il y a des données précises ou une comparaison ou étude qu’on a faites auprès des étudiants anglophones qui arrivent, mais on s’est un peu penché sur le taux de rétention par pays de responsabilité des ambassades. Par exemple, on a vu que le taux d’accord de visa dans les pays d’Europe ou du Maghreb est beaucoup plus élevé que le taux d’obtention de visa des étudiants qui postulent en Afrique subsaharienne. Je n’ai pas les données devant moi, mais ce sont des données qu’on pourrait sortir et vous communiquer ensuite.
Je pense que cet aspect avait été pointé du doigt, pour qu’on analyse les raisons pour lesquelles le taux d’accord de visa est de 25 % dans les ambassades qui couvrent les pays de l’Afrique subsaharienne, et qu’il est de 90 % dans les ambassades qui représentent plutôt les pays européens et maghrébins. Qu’est-ce qui explique cette disparité ou ce grand écart?
Par contre, comparativement aux étudiants anglophones et à leur taux d’accord, je n’ai pas précisément l’information.
M. Théberge : De notre côté, on n’a pas de statistiques non plus. C’était d’ailleurs dans les médias récemment, des témoignages d’étudiants internationaux qui se sont fait dire par des fonctionnaires qui traitaient leur dossier que le parcours d’étude en francophonie hors Québec n’était pas légitime.
Si vous permettez, monsieur le sénateur, je crois qu’il y a là un problème sur lequel il faudrait se pencher davantage.
Le sénateur Dalphond : Merci des réponses, mais la réponse à ma question est que « cela prend plus d’études », alors vous n’avez pas de réponse précise?
Mme Sacko : C’est cela.
Le sénateur Dalphond : Je remercie beaucoup la Société de la francophonie manitobaine qui a fait une comparaison entre les étudiants subsahariens et ceux du nord de l’Afrique et puis de l’Europe. Celle-ci semble indiquer que le taux de succès n’est pas traité aux mêmes endroits, si je comprends bien. Donc, on va essayer de pousser plus loin la question.
Le sénateur Mockler : Je voudrais aussi dire merci aux témoins d’avoir pris au sérieux l’immigration, surtout dans l’Organisation internationale de la Francophonie, le monde de la francophonie.
Mes questions s’adressent aux témoins des deux associations. On a constaté qu’on prend beaucoup de temps à écouter et discuter pour aller chercher de l’information sur le projet de loi C-13.
J’ai eu l’occasion ce matin de discuter avec des gens qui ont porté à mon attention — encore une fois — qu’on constate dans le projet de loi C-13 qu’il n’y a pas de mécanisme officiel de consultation des provinces et territoires, contrairement à ce qui a été proposé par le gouvernement provincial. Il a été demandé de manière constante, par les provinces et territoires dans le cadre du Conseil des ministres sur la francophonie canadienne d’être consulté.
Pourriez-vous commenter la raison pour laquelle on ne prend pas le temps de vous consulter?
Mme Sacko : Il y a quand même des stratégies en place. Plus particulièrement au sujet de cette loi, il y a des consultations — j’ose dire ou je ne sais pas si c’est dans ce sens là — qui se font au niveau de certains ministères.
J’ai parlé de consultations qui ont été menées par IRCC à l’époque sur la stratégie de l’immigration francophone — je pense que c’était en 2017 — une série de consultations qui ont été menées de long en large pour connaître les priorités des communautés francophones en matière d’immigration francophone. Je pense que l’année dernière aussi, le Commissariat aux langues officielles a mené quelques consultations dans les communautés, auxquelles j’ai assisté, afin de parler du dossier de l’immigration francophone et de ses besoins. Maintenant, si la loi prévoit des consultations, à mon avis, il y en a quelques-unes qui se font déjà. À savoir si cela se concrétise et comment, les résultats de ces consultations, je pense que c’est là qu’on se situe.
J’espère que cela répond un peu à vos questions.
M. Théberge : À mon avis, il y a deux éléments à mentionner. Lorsqu’on parle de consultations, que ce soit au niveau des provinces ou de la communauté, cela démontre encore une fois le défi que je mentionnais d’entrée de jeu : le fait qu’on traite trop souvent en vase clos ou en silo. On ne reconnaît pas la perméabilité de l’enjeu de l’immigration, puis on ne reconnaît pas que cela a des impacts ailleurs ou que d’autres enjeux ont des impacts sur l’immigration.
L’autre élément qui me semble important de soulever, sur l’enjeu de la consultation, est la question de la redevabilité. Il faut que l’on consulte, oui, mais après, on a chacun notre rôle à jouer. Nous, en tant qu’organisme communautaire, on doit ensuite remplir des formulaires et dire ce qu’on a fait avec l’argent. Elle est où, la redevabilité de nos provinces, et comment sait-on combien d’argent est attribué aux provinces et est ensuite réellement attribué à l’immigration francophone dans chacune des provinces? À mon avis, il y a aussi là un enjeu ou un défi à explorer.
Le sénateur Mockler : Nous avons l’opportunité ici de faire avancer l’immigration à l’intérieur du projet de loi C-13.
Concernant la manière dont vous recevez de l’information du gouvernement par rapport à ce que vous recommandez, je vous ai écouté attentivement et j’ai lu les recommandations que vous proposez, monsieur Théberge, avec l’association. Dans l’esprit du projet de loi C-13, de quelle manière peut-on influencer davantage l’immigration afin qu’elle soit partie prenante de l’est à l’ouest et du sud au nord?
M. Théberge : À mon avis, lorsqu’on parle d’obligation de consultation dans la Loi sur les langues officielles, il s’agit effectivement d’une mesure. Une autre mesure serait l’obligation de mettre en pratique le « par, pour et avec » — les gens qui savent comment tout cela se passe sur le terrain, les gens qui accueillent les immigrants, les aident à se trouver un emploi ou à obtenir leur carte d’assurance-maladie.
Je nous invite — je dis bien nous — collectivement, à faire attention parce qu’il y a la loi, mais il y a tout le règlement qui suit la loi, sur la manière dont on y travaille. On doit aussi agir sur ce plan. On doit travailler ensemble, avoir des stratégies en matière d’immigration qui sont citées dans d’autres stratégies, et vice-versa. Je mentionnerai encore une fois une stratégie de diplomatie, par exemple, pour la promotion.
Il faut donc s’assurer que la Loi sur les langues officielles soit une loi multitentaculaire, si je puis dire, et qu’elle ait un impact sur l’immigration et vice-versa; que la Loi sur les langues officielles ait un impact sur l’éducation et vice-versa. Bien sûr, je pourrais continuer jusqu’à demain matin à nommer tous les dossiers, mais vous comprendrez qu’il faut cesser de penser en silo. Il faut élargir, il faut être redevable, consulter et aussi s’assurer que le règlement donnera suite à tout cela.
Mme Sacko : Je renchérirais rapidement en disant qu’il serait bien d’élaborer une entente, une stratégie pour engager les provinces dans l’établissement du dossier de l’immigration francophone. Une réalité est que certaines provinces n’ont même pas de ministère qui traite ce dossier. Quelle est la redevabilité des provinces quant au dossier de l’immigration francophone? Quel est l’engagement envers les communautés francophones, par exemple ici, au Manitoba?
Comme M. Théberge l’a mentionné, l’éducation est aussi la clé. Certains secteurs de l’éducation doivent être soutenus, par exemple l’Université de Saint-Boniface qui joue un rôle très important et qui constitue le cœur de la francophonie, où il y a une opportunité d’aider sur le plan de l’immigration francophone.
Les divisions scolaires déploient aussi énormément d’efforts. Le fait d’obtenir l’engagement des provinces envers ces établissements est également une question de redevabilité quant aux priorités qui sont définies pour les provinces afin de s’assurer que nous sommes sur la bonne voie.
Le président : Madame Sacko, monsieur Théberge et madame Mallet, merci beaucoup pour vos témoignages. On constate qu’en matière d’immigration, il y a énormément d’acteurs, mais vous êtes sur le terrain et vos témoignages sont très pertinents et importants dans le cadre de notre étude sur l’immigration francophone.
Nous allons terminer notre premier panel ainsi. Chers témoins du premier panel, vous pouvez maintenant éteindre vos caméras et demeurer en ligne si vous le souhaitez.
Nous sommes prêts à poursuivre avec notre deuxième panel. Nous recevrons l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario, qui est représentée aujourd’hui par son président, M. Carol Jolin et par son directeur général, M. Peter Hominuk. Nous accueillons également la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, représentée par son président, Alexandre Cédric Doucet et par Ali Chaisson, directeur général. Je vous souhaite la bienvenue au Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Comme à l’habitude, on vous donne la parole et une période de questions suivra. Monsieur Jolin, la parole est à vous.
Carol Jolin, président, Assemblée de la francophonie de l’Ontario : Bonjour à toutes et à tous. J’aimerais d’abord vous remercier d’avoir invité l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario, l’AFO, à venir témoigner dans le cadre de votre étude. Je suis accompagné du directeur général de l’AFO, M. Peter Hominuk.
En tant qu’organisme rassembleur et porte-parole, nous représentons près de 744 000 Franco-Ontariennes et Franco-Ontariens. Nous sommes heureux que vous meniez une étude sur l’immigration francophone dans les communautés minoritaires, car le gouvernement fédéral, de par son pouvoir de sélection, de promotion et sa présence à l’étranger, a un rôle crucial à jouer.
Comme vous le savez, l’immigration francophone est un ingrédient essentiel à la vitalité des communautés francophones en situation minoritaire, et c’est le cas en Ontario. L’immigration est l’une de nos priorités en matière de politique publique. Sans l’immigration francophone, nos communautés sont appelées à disparaître.
L’AFO travaille tant à l’échelle provinciale que fédérale pour améliorer et accélérer l’immigration francophone en Ontario. Si bien qu’il existe maintenant un plan d’action fédéral-provincial territorial à cette fin. Il y a désormais un accueil francophone à l’aéroport Pearson à Toronto. Des améliorations ont été apportées pour les francophones au programme Entrée Express. Enfin, le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté a désigné trois communautés accueillantes dans notre province, soit Hawkesbury, Hamilton et Sudbury.
Toutefois, il reste encore beaucoup de travail à faire. La cible d’immigration francophone au Canada n’est toujours pas atteinte, et ce, près de 20 ans après son instauration. Les reculs importants de la dernière année nous laissent songeurs quant à la capacité du gouvernement fédéral d’atteindre sa cible en 2023, comme prévu. C’est un problème de plus en plus important pour la communauté franco-ontarienne, en particulier pour la main-d’œuvre francophone et bilingue. Bien que le contexte pandémique explique en partie un recul de l’immigration au Canada en 2021, l’AFO souhaite que le gouvernement fédéral agisse non seulement pour atteindre rapidement les cibles fixées, mais également pour les dépasser. Par exemple, le gouvernement pourrait améliorer le système d’octroi de permis pour les étudiants internationaux, ouvrir davantage de bureaux de visa en Afrique subsaharienne, ou encore augmenter le nombre d’immigrants que la province peut sélectionner au moyen du Programme ontarien des candidats à l’immigration.
Permettez-moi de préciser ce point. Même si le gouvernement du Canada parvenait à atteindre la cible fédérale, ce ne serait pas suffisant pour permettre aux francophones de conserver leur poids démographique. Une étude réalisée par le Commissariat aux langues officielles l’an dernier a révélé que, loin de soutenir la croissance de nos communautés francophones, les objectifs actuels en matière d’immigration n’ont fait que ralentir le déclin démographique. Il serait bénéfique pour nos populations minoritaires de voir le gouvernement augmenter ses cibles afin de, minimalement, retrouver le poids démographique de 2001.
L’AFO croit que l’accueil et la rétention d’étudiants francophones sont l’une des solutions pour renforcer la présence francophone en Ontario. L’Université de Hearst et l’Université de l’Ontario français sont des histoires à succès en matière de recrutement d’étudiants internationaux. La population franco-ontarienne de Hearst s’est d’ailleurs grandement enrichie grâce au travail de recrutement de l’établissement. L’inclusion d’étudiants permet un continuum d’apprentissage et d’appui canadien qui prépare bien les jeunes pour une vie stable et participative au sein de nos communautés. Malheureusement, ces derniers mois, nos établissements postsecondaires francophones ont témoigné qu’il y a un nombre important de refus de permis d’études d’étudiants francophones internationaux, surtout pour ceux en provenance de l’Afrique.
À un moment où l’on voit la mise en œuvre et la transformation d’universités francophones en Ontario et que nous sommes aux prises avec une importante pénurie de main-d’œuvre francophone et bilingue, ces refus massifs d’étudiants sont contre-productifs par rapport à ce que le gouvernement du Canada tente d’accomplir. Nos universités sont des outils puissants de recrutement en matière d’immigration francophone et les gouvernements doivent les appuyer en ce sens. La pénurie de main-d’œuvre francophone, accentuée par la pandémie des dernières années, est réelle en Ontario. L’immigration francophone est un outil essentiel pour y remédier.
Avant de terminer, j’aimerais d’ailleurs faire une autre suggestion. La province de l’Ontario sélectionne plus de 5 % d’immigrantes et d’immigrants francophones par année au moyen du Programme ontarien des candidats à l’immigration. L’AFO souhaite que le gouvernement fédéral donne au gouvernement de l’Ontario le pouvoir de sélectionner davantage d’immigrants à l’aide de ce programme. En retour, la province devrait s’engager à continuer d’atteindre sa cible de candidats francophones tous les ans.
Je remercie les membres du comité pour leur écoute et leur considération. Je me tiens à votre disposition pour d’éventuelles questions.
Merci, monsieur le président.
Le président : Merci, monsieur Jolin.
Alexandre Cédric Doucet, président, Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick : Merci, monsieur le président. Chers membres du comité, mesdames et messieurs, bonsoir.
Je m’appelle Alexandre Cédric Doucet et je suis le président de la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB), l’organisme porte-parole des Acadiens partout dans la province du Nouveau-Brunswick. Je suis accompagné ce soir par M. Ali Chaisson, directeur général de l’organisme.
Je vous remercie sincèrement d’avoir invité la SANB à comparaître devant votre comité dans le cadre de son étude sur l’immigration francophone au Canada et au Québec. L’immigration est un domaine d’intervention particulièrement important pour la nation acadienne du Nouveau-Brunswick. Dans notre province, en particulier, où le français constitue la langue maternelle d’environ un tiers de la population, les politiques et les programmes en matière d’immigration ont un rôle essentiel à jouer dans le maintien du poids démographique de la communauté francophone, une communauté protégée par l’article 16.1 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Parlons de cet article. Mon argumentaire s’appuie principalement sur les protections constitutionnelles conférées par l’article 16.1 de la charte à la communauté linguistique française du Nouveau-Brunswick en ce qui a trait à l’immigration. La problématique factuelle est la suivante : une baisse du poids démographique de la communauté linguistique française du Nouveau-Brunswick menace la vitalité de celle-ci depuis maintenant plusieurs années. Cette baisse s’explique notamment par le vieillissement de la population, le faible taux de natalité et l’exode d’une partie de la population vers des centres urbains en dehors de la province. Les politiques et les programmes en matière d’immigration ont donc un rôle essentiel à jouer dans le maintien du poids démographique de la communauté linguistique française du Nouveau-Brunswick, province où le français constitue la langue maternelle d’un tiers de la population. Pourtant, selon le recensement de 2016, seuls environ 14 % des nouveaux arrivants au Nouveau-Brunswick indiquaient que la langue officielle de leur choix était le français. En 2018, seuls 19 % des résidents permanents du Nouveau-Brunswick sont francophones.
On peut donc dire que la communauté linguistique française du Nouveau-Brunswick n’a pas autant profité de l’immigration que sa communauté linguistique anglophone. Cette réalité érode l’équilibre linguistique unique au Nouveau-Brunswick. Il est donc particulièrement important de pouvoir adéquatement accueillir et intégrer les nouveaux arrivants francophones et francophiles dans la communauté linguistique française de notre province. D’ailleurs, au cours des prochaines années, selon les projections établies au moyen du scénario de référence, il faudrait que la province puisse profiter d’un quota minimum d’au moins 15 % du pourcentage de la cible d’immigrants francophones pour pouvoir maintenir une croissance de sa population acadienne et francophone, et donc éviter le déclin. Actuellement, la cible du gouvernement fédéral en matière d’immigration francophone hors Québec de 4,4 % est carrément assimilatrice dans le contexte néo-brunswickois.
Il va sans dire que les politiques fédérales en matière d’immigration ne peuvent favoriser l’épanouissement des minorités francophones sans tenir compte de la composition et de la spécificité linguistique et constitutionnelle des provinces. Le Nouveau-Brunswick requiert un appui fédéral permanent en matière d’immigration, taillé sur mesure, qui permet le maintien et le développement de cette population. Il en est ainsi, car chaque fois que le pourcentage de nouveaux arrivants francophones est moindre que le pourcentage de francophones habitant la province, l’équilibre linguistique au Nouveau-Brunswick est troublé. Cela va à l’encontre du principe d’égalité de statut entre les deux communautés de langues officielles de la province.
Bien que je n’aurai pas le temps d’exposer de fond en comble l’ensemble de notre argumentaire dans le cadre de la présente allocution, il y a plusieurs arguments juridiques qui peuvent être invoqués pour soutenir que les droits de la communauté linguistique française du Nouveau-Brunswick, protégés à l’article 16.1 de la charte, ont pour effet de garantir ce qui suit : une immigration francophone ou francophile au Nouveau-Brunswick qui permet d’assurer la pérennité de la communauté ainsi que son développement; des centres d’accueil et d’accompagnement pour les nouveaux arrivants francophones adéquatement financés pour assurer une intégration suffisante au sein de la communauté linguistique française; des centres d’accueil et d’accompagnement qui offrent des services en français, qui sont distincts des centres offrant des services en anglais et qui sont suffisamment financés pour que les services en français soient de qualité égale à ceux offerts en anglais.
En gardant cela en tête, nous encourageons fortement le Comité sénatorial permanent des langues officielles à recommander au gouvernement du Canada de négocier avec le Nouveau-Brunswick un accord qui respecte la spécificité linguistique et constitutionnelle de la seule province officiellement bilingue du pays. À cet égard, il doit, notamment, consulter le gouvernement du Nouveau-Brunswick ainsi que les représentants appropriés des communautés linguistiques française et anglaise de cette province, et négocier avec eux l’adoption d’un accord quinquennal sur l’appui à fournir aux établissements d’enseignement et aux institutions culturelles distinctes de ces communautés pour assurer leur protection et leur promotion. Cet accord quinquennal devrait porter sur les domaines de l’éducation primaire et secondaire, la petite enfance, l’éducation postsecondaire, la santé, et bien sûr, l’immigration.
En somme, comme nous l’avons vu dans la récente décision concernant le processus de nomination d’une lieutenante-gouverneure unilingue anglophone, le Nouveau-Brunswick détient une spécificité linguistique et constitutionnelle tout à fait particulière au pays. Cette réalité ne peut plus être occultée par nos décideurs, tant au palier fédéral que provincial : elle doit plutôt se refléter dans l’ensemble des sphères de la société, y compris l’immigration.
J’en appelle à votre courage et à votre responsabilité en tant que femmes et hommes d’État. Le futur du Canada et de l’Acadie, c’est maintenant qu’il se dessine. Nous sommes véritablement à la croisée des chemins. À vous de décider quelle direction prendra le grand projet canadien, et son itération distincte à l’intérieur de nos communautés linguistiques en situation minoritaire.
Merci et bonsoir. Je suis à votre disposition si vous avez des questions et des commentaires.
Le président : Merci beaucoup, messieurs Doucet et Jolin, de vos présentations. Nous allons passer à la période des questions et je vous rappelle que nous accordons cinq minutes pour la question et la réponse; j’invite à la fois les collègues et les témoins à être succincts dans leurs interventions.
La sénatrice Poirier : Merci à nos témoins d’être avec nous, nous vous en sommes reconnaissants. Ma première question est pour M. Doucet. J’aimerais comprendre ce qui se passe sur le terrain. Vous avez parlé lors de votre présentation de 14 % des nouveaux immigrants, une certaine année, qui étaient francophones et d’un autre chiffre pour une autre année. Quelle est la situation en Acadie? Quels sont les plus grands obstacles qui se présentent dans nos communautés acadiennes actuellement? De ce taux de pourcentage d’immigrants, combien restent chez nous actuellement? Est-ce qu’on garde ceux qu’on va chercher?
M. Doucet : Tant et aussi longtemps que le pourcentage d’immigration de langue française est au-dessous du poids démographique de la communauté linguistique française, à 33 %, c’est une cible assimilatrice; à la SANB, ainsi que dans plusieurs organismes de la société civile, nous avons toujours dit que dès la seconde où l’immigration est centralisée au fédéral et non décentralisée vers les provinces avec des spécificités linguistiques comme au Québec, cela ne nous aidera pas. Lorsqu’on se penche sur la spécificité linguistique du Nouveau-Brunswick, qui est la seule province bilingue au Canada, nous devrions, en Acadie et au Nouveau-Brunswick, comme État provincial, posséder beaucoup plus de pouvoirs en matière d’immigration. Cela améliorerait toute la situation de l’immigration, puisqu’on détiendrait plus de pouvoir et plus d’argent.
La sénatrice Poirier : Est-ce qu’on les garde, en ce qui a trait à la rétention?
M. Doucet : Je n’ai pas les chiffres devant moi pour savoir si la rétention se passe bien. Souvent, on entend dire que les immigrants viennent ici et s’en vont dans les grandes villes comme Toronto, Montréal et Québec, par exemple. C’est un classique. Lorsque l’État provincial aura gagné beaucoup plus de pouvoir en matière d’immigration, il pourra assurer non seulement le recrutement, mais aussi la rétention de l’ensemble de ses immigrants.
La sénatrice Poirier : On a également entendu parler de certaines provinces, comme Terre-Neuve-et-Labrador, où les immigrants francophones doivent connaître la langue anglaise pour être acceptés par la province. Avez-vous des commentaires à cet effet? Est-ce que ce phénomène existe également au Nouveau-Brunswick?
M. Doucet : Je vais laisser la parole au directeur général de la SANB, qui est aussi originaire de Terre-Neuve-et-Labrador.
Ali Chaisson, directeur général, Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick : Pouvez-vous répéter brièvement votre question?
La sénatrice Poirier : D’accord.
Nous avons entendu des commentaires au sujet de certains critères qui peuvent représenter un enjeu pour les francophones minoritaires. Dans certaines provinces, comme Terre-Neuve-et-Labrador, les immigrants francophones doivent être bilingues pour être acceptés. En tant qu’immigrants, ils doivent parler l’anglais et le français.
Est-ce un critère qui doit être respecté aussi au Nouveau-Brunswick, c’est-à-dire que les immigrants francophones doivent absolument maîtriser l’anglais?
M. Chaisson : C’est une question très vaste qui a beaucoup de conséquences, bonnes et mauvaises. Il est certain qu’il y a toujours un danger de vendre de faux espoirs aux immigrants. Je crois que la seule province à l’extérieur du Québec où un immigrant pourrait passer sa vie en français sans avoir à utiliser l’anglais est probablement dans le nord du Nouveau-Brunswick. Il y a trois ans, nous avons publié un livre blanc sur l’immigration, et les entrevues que nous avons effectuées auprès d’un grand nombre d’immigrants nous ont clairement démontré que la question du bilinguisme est une question intrinsèque à leur capacité d’intégration. C’est sûr que dans le Nord du Nouveau-Brunswick, c’est peut-être moins important, mais si on commande des pièces d’un fournisseur dans le Sud du Nouveau-Brunswick, on doit parler anglais. L’intégration professionnelle, surtout dans le secteur privé, est associée à ce problème.
Cela fait longtemps que nous constatons le problème au Nouveau-Brunswick en ce qui concerne la formation linguistique, à savoir que notre offre de formation en anglais n’est pas proportionnelle aux services qui sont offerts en anglais. Un immigrant qui ne parle pas français peut certainement mieux s’intégrer, mais l’inverse n’est pas forcément vrai. Si nous voulons vraiment miser sur la rétention des immigrants, la formation linguistique, surtout du point de vue professionnel, pourrait permettre à ces gens de fonctionner dans une deuxième langue. Cela devient donc une priorité importante.
La sénatrice Poirier : Merci.
La sénatrice Gagné : Merci aux témoins d’être parmi nous ce soir.
Vous avez tous les deux fait allusion au fait que vos provinces ont un rôle à jouer en matière d’immigration. Je sais très bien que le Programme des candidats des provinces est l’un des principaux mécanismes par l’entremise duquel les provinces désignent les personnes qui immigreront sur leur territoire. Une évaluation réalisée par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada reconnaît que ce programme n’apporte qu’une contribution limitée en matière d’immigration francophone.
Vous avez aussi fait allusion aux ententes signées entre le gouvernement fédéral et la province. Êtes-vous en mesure de nous dire si les ententes de vos provinces comportent des clauses linguistiques qui engagent les gouvernements à favoriser l’immigration francophone?
Que suggérez-vous pour améliorer la collaboration entre IRCC et les ministères provinciaux responsables du dossier de l’immigration?
M. Jolin pourrait peut-être répondre à la question en premier.
M. Jolin : Beaucoup de choses ont été dites et je suis entièrement d’accord avec ce qu’ont dit mes collègues jusqu’ici.
Du côté de l’Ontario, la province peut choisir des immigrants, et c’est grâce au programme qu’en 2020, l’Ontario avait pu choisir 8 350 immigrants. D’après les chiffres que nous avons, l’Ontario, de 2018 à 2020, s’est assurée grâce à ce programme d’avoir de 5,4 % à 7 % d’immigrants francophones. L’Ontario demande de pouvoir choisir plus d’immigrants dans le cadre de ce programme. On a demandé jusqu’à 13 000 immigrants. De notre côté, nous devons travailler avec la province pour qu’elle continue son travail, soit de viser une cible au-delà du 5 %. C’est ce dont nous avons besoin parce que notre poids démographique ne cesse de diminuer de 0,2 % à chaque recensement. Donc, il y a du travail qui doit être fait à cet égard. Ce programme fonctionne bien pour nous, c’est pourquoi nous aimerions qu’on puisse permettre à la province de choisir plus d’immigrants. C’est donc un point important. Les deux paliers de gouvernement ont un rôle de coordination extrêmement important à jouer.
En 2017, nous avons publié un livre blanc sur l’immigration francophone. Dans le cadre de ces ententes, nous aimerions que la communauté soit engagée parce que nous avons beaucoup à apporter sur le terrain. Nous pouvons travailler pour amener le point de vue de la communauté. Nous espérons que nous pourrons synchroniser davantage le travail qui est fait entre les deux paliers de gouvernement. Initialement, notre livre blanc parlait plus d’incohérence que de cohérence du travail qui était fait. Nous avons beaucoup de pain sur la planche pour améliorer la collaboration entre les deux paliers de gouvernement.
Le président : Monsieur Doucet, voulez-vous ajouter un commentaire?
M. Doucet : Oui. Je vous remercie de la question.
Pour ce qui est de l’entente entre le fédéral et le Nouveau-Brunswick, je ne pense pas qu’il y ait l’inclusion d’une clause linguistique, puisque cela fait deux ou trois fois que le Nouveau-Brunswick repousse sa cible en matière d’immigration francophone, qui est fixée à 33 % depuis plusieurs années.
En tant que parlementaires, vous devez vous rappeler que l’article 95 de la Loi constitutionnelle de 1867 donne un pouvoir au fédéral et au provincial sur le plan de l’immigration. Donc, c’est un champ de compétences partagé. Le Nouveau-Brunswick est la seule province officiellement bilingue. Le rôle géopolitique que joue le Québec depuis plusieurs années auprès du fédéral lui permet d’avoir davantage de pouvoirs et de fonds en matière d’immigration, entre autres. En 1978, ils ont signé l’Entente Couture-Cullen, qui leur accorde davantage de fonds et de pouvoirs, ce qui leur permet de mieux gérer l’immigration que toute autre province au Canada. Le Nouveau-Brunswick aimerait voir cela.
M. Jolin a parlé de la contribution des communautés. Un mémoire très important a été publié sur cette question par un ancien sénateur, M. Jean-Maurice Simard, qui est malheureusement décédé. Dans son mémoire de plus de 200 pages, il dit que les langues officielles ne sont pas un champ de compétence et que cela relève du gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral a donc un rôle à jouer pour défendre la langue française. Puisqu’il s’agit d’un champ de compétences fédéral, le gouvernement peut signer des ententes directement avec des institutions. Lorsqu’on parle d’immigration, le gouvernement fédéral, avec son pouvoir de dépenser, pourrait signer des ententes directement avec des établissements comme l’Université de Moncton, les associations multiculturelles du Nouveau-Brunswick, la SANB, l’Association francophone des municipalités du Nouveau-Brunswick, qui sont directement sur le terrain, ce qui leur permet de recruter et de retenir des immigrants francophones.
Il y a des concepts extrêmement importants à explorer. Ce sont des leviers collectifs et juridiques dont vous disposez en tant que parlementaires. Je vous invite à faire ressortir cet aspect dans votre prochain mémoire.
Le président : Je vais en profiter pour poser une question avant de donner la parole au sénateur Dagenais.
Monsieur Doucet, le Nouveau-Brunswick a sa Loi sur les langues officielles, qui est l’instrument par lequel il remplit ses responsabilités constitutionnelles en vertu de l’article 16.1.
Quand vous parlez d’immigration francophone, quelle est la responsabilité concrète de la province pour réaliser cette obligation constitutionnelle et comment le Nouveau-Brunswick peut-il atteindre les cibles souhaitées?
M. Doucet : En 1993, lors de l’enchâssement de l’article 16.1, ce n’est pas seulement l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick qui a voté, mais aussi le Parlement canadien. Le fardeau ne repose pas seulement sur la province du Nouveau-Brunswick qui est, soyons honnêtes, assez favorable. Le gouvernement du Canada a aussi la responsabilité de mettre en œuvre l’article 16.1. Oui, le Nouveau-Brunswick a une responsabilité, mais la responsabilité est aussi celle du gouvernement fédéral.
Le président : Merci, monsieur Doucet.
Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Jolin. Corrigez-moi si je me trompe, mais il me semble que l’Ontario a plus de succès que les autres provinces sur le plan du recrutement des immigrants francophones. Pouvez-vous nous dire si le choix de l’Ontario est davantage lié à la langue ou aux plus grandes possibilités d’emploi offertes? Évidemment, l’Ontario est la plus grosse province du pays. Faites-vous un suivi sur le niveau de satisfaction par rapport aux services en français que reçoivent les immigrants, ou ceux-ci vont-ils vers l’anglais, car cela peut être plus rapide pour eux?
M. Jolin : Du côté des communautés, il a été mentionné que le pôle d’attraction [Difficultés techniques] énormément d’immigration qui vient ici, car il y a des communautés déjà installées. C’est certain qu’on a un gouvernement qui est orienté vers l’économie, qui veut créer des emplois et qui veut avoir des gens qui peuvent occuper les emplois disponibles. Cela nous sert dans les deux sens, parce qu’on a de très bonnes capacités d’accueil.
Comme je l’ai mentionné, on a trois villes accueillantes. Ce qu’on essaie de faire à travers cela, c’est d’amener les gens ailleurs que dans les deux grands pôles de Toronto et d’Ottawa. Il y a des communautés qui sont prêtes à accueillir les gens. Il y a des communautés, des écoles, des infrastructures, des organisations communautaires, et cetera. Je crois que quelque 70 % de l’immigration francophone hors Québec va en Ontario. Par contre, si on regarde la quantité de gens qu’on reçoit au moyen de l’immigration, on est toujours bien en dessous de la cible de l’Ontario, qui est de 5 %. Selon les dernières statistiques, nous recevons 1,97 % des immigrants. D’un recensement à l’autre, on perd du poids démographique, c’est pourquoi on est entièrement d’accord avec l’objectif que s’est donné la Fédération des communautés francophones et acadienne, en partant à 12 % à compter de 2023 et en augmentant ce pourcentage jusqu’à ce qu’on retourne au poids démographique de 2001. Sans cela, il sera extrêmement difficile pour les communautés de continuer à fonctionner.
Cela dit, on a plusieurs communautés très francophones. Par exemple, dans l’Ouest, il y a Sudbury. Vers le nord, on a des communautés de bon volume de francophonie. Ce qu’on voit présentement, c’est qu’il y a un déplacement de la francophonie de l’Est. L’Est de l’Ontario a toujours été le bastion de la francophonie en Ontario, en pourcentage. Ce qu’on voit, c’est que cela change lentement, mais graduellement. D’ici sept ou huit ans, ce sera le Grand Toronto et le Centre-Sud-Ouest qui sera le plus gros bastion de francophonie en Ontario. Cela en dit beaucoup, si l’on tient compte du fait que nous sommes actuellement 744 000 Franco-Ontariennes et Franco-Ontariens et 1,5 million de personnes parlant le français. Donc oui, on reçoit beaucoup de monde, mais par rapport à l’immigration qui arrive de toutes parts en Ontario, on est bien en deçà de nos cibles et il faut travailler pour les atteindre.
Le sénateur Dagenais : Vous avez parlé des gouvernements. On sait que le premier ministre Ford, actuellement, est en campagne électorale, et qu’il a adhéré à la proposition du gouvernement fédéral de diminuer les frais de garde d’enfants. Dans quelle mesure les 13,2 milliards de dollars que l’Ontario va recevoir seront-ils utilisés pour des services de garde en français? Est-ce que cela sera proportionnel au poids démographique des francophones?
M. Jolin : C’est certainement l’objectif qu’on s’est donné, de s’assurer que le pourcentage de l’argent qui sera distribué justement pour la garde d’enfants aura une lentille francophone et que les francophones auront leur part des garderies francophones. Évidemment, c’est un objectif de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO). On travaille très étroitement avec le ministère des Affaires francophones. Je crois que nous avons une bonne écoute.
Notre principal obstacle, je crois, sera la question de la pénurie de personnel. Partout en Ontario, que ce soit chez les anglophones ou les francophones, dans toutes les sphères, autant dans le secteur privé que gouvernemental et les organismes sans but lucratif, la pénurie de personnel frappe très durement. C’est pourquoi on a absolument besoin de l’immigration francophone pour pourvoir ces postes, car ce n’est pas ce qui manque en Ontario français. Donc, en ce sens, on va suivre attentivement le déroulement, on va suivre le cheminement de l’argent et on va travailler avec le gouvernement pour s’assurer que les francophones auront leur part dans les garderies.
Le président : Merci, monsieur Jolin.
La sénatrice Clement : Bonsoir aux témoins, et merci pour vos présentations et vos réponses.
Mon chez-moi, c’est Cornwall, dans l’Est de l’Ontario. Nous étions pas mal déçus lorsque le gouvernement a ciblé d’autres endroits comme des zones spéciales d’immigration, dont Hawkesbury, mais on a continué et on a foncé pour faire notre chemin au niveau communautaire, pour être une communauté accueillante et attirer des immigrants.
La critique est que les nouveaux Canadiens trouvent cela compliqué et qu’il y a un manque de clarté. Où va-t-on pour avoir de l’aide? Comment se sentir accueilli si on va cogner à une porte et une autre?
J’ai deux questions pour les témoins qui veulent y répondre. Premièrement, dans le cadre du projet d’accueil Pearson, est-il possible d’élargir ce concept à d’autres aéroports ou d’autres places d’accueil? Cela aide beaucoup, pour que les gens aient un sens d’appartenance à une communauté.
Deuxièmement, est-ce que les universités et les collèges sont des partenaires à part entière des gouvernements pour ce qui est d’attirer les étudiants? Est-ce que, encore une fois, on travaille en silo, et les universités auront leur propre projet d’attraction pour les étudiants internationaux? Pouvez-vous commenter cela?
M. Jolin : Merci pour la question. Je suis au courant de tout le travail que vous avez fait en matière d’immigration, à Cornwall, pour attirer les familles et les intégrer.
La sénatrice Clement : Merci, monsieur Jolin.
M. Jolin : J’ai été impressionné par ces initiatives.
Pearson a été lancé comme un projet-pilote. Il reçoit 200 personnes par mois qui aident de toutes sorties de façons. Pour moi, c’est un succès. Il est certain que j’aimerais voir un tel programme à Ottawa, par exemple, pour qu’on puisse justement avoir ce type de réception et d’accueil pour aiguiller les gens au bon endroit.
Au niveau communautaire, il y a énormément de travail à faire. On a des organismes qui se spécialisent dans l’accueil pour aider les gens lorsqu’ils arrivent. On a trois organismes de réseau d’immigration francophone en Ontario. On en a un pour le Sud-Ouest, un pour le Nord et un pour l’Est. Une partie de leur mandat consiste à travailler avec les organismes pour favoriser l’accueil. Il reste encore du travail à faire. La recherche liée à la pandémie n’a pas aidé, car plusieurs bénévoles travaillaient avec ces organisations pour aider l’accueil. Ils dirigeaient les gens au bon endroit à leur arrivée et les aidaient à s’intégrer dans la communauté. J’ai hâte de sortir de la pandémie et que ce dossier puisse enfin reprendre du poil de la bête.
À ma connaissance, et M. Hominuk me corrigera si je me trompe, je ne crois pas que le gouvernement soit engagé auprès des collèges et des universités pour ce qui est des stratégies de recrutement. On procède plutôt chacun pour soi. Que l’on pense à l’Université de l’Ontario français, quand elle a été lancée à Toronto, ou à l’Université de Hearst et à son programme de recrutement international, qui depuis des années connaît beaucoup de succès, je ne crois pas qu’il y ait une collaboration à cet effet.
Peter, pouvez-vous me corriger?
Peter Hominuk, directeur général, Assemblée de la francophonie de l’Ontario : À ma connaissance, les informations que vous avez données sont exactes.
La sénatrice Clement : Merci.
La sénatrice Moncion : J’aimerais revenir à votre réponse et aux partenariats qui sont très importants pour le recrutement de personnes qui viennent étudier dans les universités francophones canadiennes. Vous avez parlé de l’Université de Hearst, qui connaît beaucoup de succès. Vous avez aussi mentionné l’Université de l’Ontario français. La Cité collégiale a également un programme. D’ailleurs, elle vient de recevoir une subvention assez importante pour continuer d’avoir un bureau d’accueil au Maroc. C’est pourquoi Julien a ajouté ce volet, où vous venez de mentionner le fait qu’il n’existe pas de financement du gouvernement qui a été approuvé à cette fin. Je crois toutefois qu’au moyen du programme de 80 millions de dollars, le gouvernement fédéral a mis de côté du financement pour les nouveaux projets. La Cité collégiale semble donc avoir du succès.
Cela me ramène à ma question, et j’aimerais entendre une réponse des deux côtés. Quel genre d’initiatives existe-t-il dans les universités et collèges au Nouveau-Brunswick? J’aimerais aussi que vous nous parliez des taux de succès. Mme Bourgeois nous disait, il n’y a pas si longtemps, qu’entre 1 300 et 1 400 étudiants venaient des pays d’Afrique. Pour l’Université de Hearst, cela représente 70 % de la clientèle. Il y a aussi des défis associés à toutes ces initiatives pour l’intégration et la rétention. J’aimerais vous entendre, des deux côtés, à ce sujet.
M. Jolin : L’Université de Hearst a un programme orienté vers les étudiants internationaux. Selon son expérience, ce qui attire, c’est un milieu très francophone. Deuxième élément : à la suite de mes discussions avec le recteur, il y a des possibilités d’emplois pour les jeunes pendant qu’ils sont à l’université. On remarque que le taux de diplomation est très élevé, on parle de 85 % à 90 %. On a déterminé que pratiquement 100 % des étudiants qui ont fréquenté l’Université de Hearst demeurent en Ontario et 50 % demeurent à Hearst. Cet élément est extrêmement important pour une communauté qui cherche du personnel qualifié. À la longue, on s’aperçoit qu’une personne viendra, suivront son frère, puis sa sœur, et il y a comme un pipeline francophone qui s’organise avec l’Afrique. L’université a toutefois fait beaucoup d’efforts pour arriver à ces résultats.
C’est un travail qui se fait aussi à travers le Web, car ce n’est pas tout le monde qui peut se payer un bureau au Maroc, par exemple. En ce sens, si on veut faire du recrutement d’étudiants, il faut se donner les moyens. Je sais qu’un bureau de visa se trouve à Dakar pour les étudiants et qu’il dessert environ 12 ou 13 pays, et certaines personnes doivent traverser 6 pays pour obtenir un visa. Il faut être drôlement résilient et décidé pour entreprendre ce genre de démarche dans le but d’obtenir un visa. Je me pose toutefois des questions sur l’information qu’on donne à ces personnes, une fois qu’elles sont rendues là. Lorsque ces personnes cochent la case qui dit qu’elles désirent rester au Canada et qu’on leur dit que c’est un élément de refus, je me demande comment on les conseille quand ils remplissent les documents pour venir étudier au Canada.
Si on veut se donner les moyens et être sérieux en ce qui concerne l’immigration francophone, il faut être présent, ce qui veut dire avoir des bureaux sur place. Il faut aussi se doter d’infrastructures permettant de traiter les demandes dans des délais raisonnables. Vendredi dernier, alors que je donnais une entrevue, un journaliste m’apprenait que 11 000 demandes d’immigration francophone avaient franchi une première étape en Ontario et se trouvaient en attente pour poursuivre le processus. Évidemment, ce ne sont pas toutes les demandes qui seront acceptées. Toutefois, il faut accélérer le processus pour amener ces personnes ici.
J’ai été étonné d’entendre que de jeunes étudiants se font refuser le statut de résident permanent alors qu’ils ont été formés ici et qu’ils ont fait leur stage ici. Les employeurs veulent les engager et on leur dit qu’ils ne peuvent pas rester. Le processus est contradictoire, il y a une déconnexion. Il y a quelque chose qui nous échappe. Alors que ces jeunes viennent faire leur formation ici, notre objectif est de les garder, justement parce qu’ils sont formés ici.
Les boîtes qui traitent ces demandes devraient être mieux informées. On parle de gens qualifiés qui veulent être ici et contribuer. Il y a un surplus d’emplois, et du point de vue économique, il est bon d’offrir ces emplois à des jeunes. Il vaut la peine d’investir à l’étranger pour ouvrir des bureaux de visa et engager du personnel pour traiter les demandes, car ces candidats viendront pourvoir des postes que personne ne veut occuper en ce moment. Voilà ce qui engendre la croissance économique.
La sénatrice Moncion : J’aurais aimé entendre les témoins de la SANB à ce sujet.
M. Doucet : Je vais céder la parole à M. Chaisson.
M. Chaisson : Merci. Je trouve la discussion très intéressante. Je ne veux pas paraphraser les commentaires de mon collègue de l’Ontario, M. Jolin. La SANB a produit un livre blanc sur l’immigration francophone et un organigramme. Toute personne raisonnable et sensée, en regardant ce graphique, en arrivera à la conclusion que cette structure est conçue pour faire en sorte que les choses ne fonctionnent pas.
Il y a une expression que l’on utilise souvent en Acadie, c’est qu’on aimerait « faire société ». Il y a le projet de société acadienne qui est fondé avant tout sur des notions d’humanité. Pour reprendre l’expression de mon collègue, il y a une déconnexion. On instrumentalise nos immigrants, et en même temps, on ne prend pas en considération le fait que ces personnes sont des êtres humains qui ont des aspirations et des rêves. On dirait que les politiques d’immigration au Canada, qu’il s’agisse du gouvernement fédéral ou des provinces, ne tiennent pas compte du processus visant à « faire société ».
Il est ironique de voir que dans la plupart des consulats et des ambassades du Canada à l’étranger, la capacité linguistique en français est généralement médiocre. Le chef cuisinier à Sydney, en Australie, qui vient de perdre son emploi et qui aimerait venir cuisiner à Saint-Boniface, chez les Franco-Manitobains, va se heurter à certains problèmes. Si les gens du consulat ou de l’ambassade du Canada en Australie ne prennent pas le temps de bien diriger ces candidats parce qu’ils ne parlent pas français, le processus sera défavorable du début à la fin.
Pour revenir à l’aéroport Pearson, il s’agissait d’un projet pilote, et cette expérience mérite d’être répétée dans la plupart des aéroports où il y a un taux élevé d’agences d’immigration, à Halifax, entre autres, qui reçoit des vols directement d’Europe. Donc oui, c’est manifestement important que ce projet pilote soit répété.
Je tiens à vous rassurer et à confirmer une chose : tant et aussi longtemps qu’il y a des formules de financement d’immigration à IRCC basées sur les modèles de réussite, les régions éloignées ne pourront jamais améliorer leur situation face à l’immigration. Les régions qui ont connu les avantages de l’immigration, en l’occurrence les régions autour de Montréal, Toronto et Vancouver, se portent très bien, et vont continuer à bien se porter. Comme le disait M. Jolin, leur situation va continuer de s’améliorer.
Par contre, pour les régions qui n’ont pas connu les fruits de l’immigration, les modèles de financement font en sorte qu’elles ne peuvent réduire l’écart qui existe, et c’est encore plus difficile en région rurale.
Je pense qu’il y a un sérieux travail de rattrapage à faire, mais à l’intérieur des politiques publiques que véhicule IRCC. Il est temps que ces politiques publiques traitent cette notion de société équitable et s’adaptent à réduire l’écart qui existe dans certaines régions. Si certaines régions ont la chance de recevoir du financement pour ouvrir des bureaux de recrutement à l’étranger, tant mieux pour elles, à condition que les autres régions reçoivent de l’argent pour les aider à soutenir leurs centres d’accueil qui, pour le moment, n’arrivent pas à répondre aux besoins. Il y a un écart qu’il faut réduire.
Le président : Merci pour ces commentaires et ces réflexions.
Le sénateur Mockler : Merci, monsieur le président. Les commentaires des témoins ont suscité beaucoup d’intérêt. Je suis certain que vous suivez tous ces dossiers de très près, surtout dans l’esprit de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Je m’en voudrais de passer sous silence le fait que la SANB est reconnue pour défendre les droits linguistiques au Nouveau-Brunswick. Messieurs Doucet et Chaisson, je vous félicite. On a besoin de gens comme vous pour faire respecter l’esprit de la loi et de la constitution.
Monsieur Doucet, vous avez touché un peu à la question d’une décision prise par la juge DeWare concernant la nomination de la nouvelle lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick. Pour vous comme pour nous tous, il ne faut pas créer d’insécurité au sujet de nos approches en matière d’immigration, surtout dans l’esprit de la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Si le gouvernement fédéral porte en appel la décision de la juge DeWare ou décide de faire un renvoi en Cour suprême, quel impact cela pourrait-il avoir sur la spécificité linguistique constitutionnelle du Nouveau-Brunswick, et sur l’immigration dans son ensemble?
M. Doucet : Je pense que vous vous souviendrez d’une situation semblable qui s’est produite dans l’histoire du Nouveau-Brunswick dans le contexte des droits linguistiques.
En 2002, le gouvernement provincial de Bernard Lord venait de perdre à la Cour d’appel dans l’affaire Charlebois. La Cour d’appel avait statué que la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick n’était plus constitutionnelle, ne s’alignait pas avec la Charte canadienne des droits et libertés de 1982. À ce moment-là, le gouvernement Lord avait deux choix : envoyer l’affaire à la Cour suprême ou moderniser la loi — la changer complètement.
Dans la situation présente, je pense que le gouvernement fédéral fait face au même débat : renvoyer la question à la Cour suprême ou à la Cour d’appel, ou contester une décision extrêmement claire, écrite par une juge anglophone qui parle très bien français, et qui vient de dire que les droits de la communauté linguistique du Nouveau-Brunswick ont été violés de A à Z en raison de la nomination d’une lieutenante-gouverneure unilingue anglophone.
Je pense que la décision politique doit être d’amender le projet de loi C-13 afin d’y inclure une disposition indiquant que les prochains lieutenants-gouverneurs à être nommés auront l’obligation d’être bilingues. C’est clair pour nous.
Évidemment, avoir une interprétation de la Cour d’appel et de la Cour suprême contraire à l’article 16.1 serait néfaste pour la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick. Dans le contexte de l’immigration, l’article 16.1 est un levier extrêmement important, tant pour le gouvernement provincial que pour les deux communautés linguistiques. On se rappellera que l’article 16.1 découle de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick qui a été adoptée à la suite du travail acharné de M. Jean-Maurice Simard et de M. Richard Hatfield, et cette loi découle de la Convention d’orientation nationale des Acadiens du Nouveau-Brunswick (CONA) qui s’est tenue en 1979, à Edmundston, lors d’un vote historique des délégués acadiens visant la création d’une province acadienne.
L’article 16.1 est donc une disposition qui vise à rassembler les deux communautés linguistiques officielles du Nouveau-Brunswick. Si le gouvernement fédéral en appelle de cette décision, c’est comme s’il venait contester cette harmonie sociale qui émane de l’article 16 1.
Le sénateur Mockler : Monsieur Doucet, le projet de loi C-13, déposé le 1er mars dernier par la ministre des Langues officielles, touche l’immigration francophone. Si le projet de loi est adopté dans son état actuel, quel pourrait être l’impact positif pour la minorité linguistique du Nouveau-Brunswick et celle des autres provinces?
M. Doucet : Une des demandes principales de la SANB et de plusieurs organismes lors des multiples consultations tenues ces dernières années sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles était justement la reconnaissance de la spécificité linguistique du Nouveau-Brunswick, donc une harmonisation avec la Charte canadienne des droits et libertés.
Si le projet de loi est adopté tel quel, l’article 45.1 stipule que gouvernement fédéral a l’obligation de reconnaître l’importance de la collaboration entre les gouvernements et doit appuyer le statut des deux langues officielles ainsi que le statut des deux communautés linguistiques officielles.
Si on arrime cela avec le nouvel alinéa qui se trouve dans l’interprétation de la loi, il est mentionné que les droits linguistiques doivent être interprétés en fonction de leur caractère réparateur. Lorsque j’entends « caractère réparateur », je vois un signe de dollar. Le Nouveau-Brunswick a les outils pour avoir plus de pouvoirs et de financement en matière d’immigration, comme le Québec le fait depuis les années 1970. Nous avons une opportunité historique incroyable, en Acadie—Nouveau-Brunswick, pour gérer nous-mêmes l’immigration.
Le président : Merci beaucoup. Monsieur Doucet, en conclusion, il y a de nombreux organismes qui revendiquent des clauses linguistiques dans les ententes entre le fédéral et les provinces. J’aimerais vous entendre à ce sujet.
Quand vous pensez au Nouveau-Brunswick, aux éléments que vous venez de mentionner, quelle est, d’après vous, l’importance d’inclure des clauses linguistiques dans le projet de loi C-13?
M. Doucet : C’est évidemment très important. Cependant, il ne faut pas oublier que nous avons un gouvernement minoritaire. Rien n’assure l’adoption du projet de loi tel qu’il est libellé.
Sincèrement, une de nos craintes, au SANB, est que les ministères aient déjà commencé leurs consultations au sujet du Plan d’action pour les langues officielles.
Toutefois, tant et aussi longtemps que le projet de loi n’aura pas reçu la sanction royale, les ministères ne tiendront pas de consultations si les libellés ne sont pas encore adoptés. Je pense donc qu’en ce qui concerne les clauses linguistiques, elles pourraient être incluses dans les règlements plutôt que dans le projet de loi. Il est donc évident qu’elles sont essentielles, mais elles ne seront pas perdues si elles ne figurent pas dans le projet de loi C-13.
Le président : Au nom des membres du comité, je vous remercie de vos témoignages. Vous êtes des acteurs très importants pour la francophonie.
Cela met fin à la réunion d’aujourd’hui. Je vous remercie, je vous souhaite une bonne soirée et à bientôt.
(La séance est levée.)