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OLLO - Comité permanent

Langues officielles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 2 mai 2022

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier l’immigration francophone en milieu minoritaire.

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour. Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis président du Comité sénatorial des langues officielles. J’aimerais vous présenter les membres du comité qui participent à cette réunion : la sénatrice Raymonde Gagné, du Manitoba, membre du comité directeur; le sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec, membre du comité; la sénatrice Bernadette Clement, de l’Ontario; la sénatrice Lucie Moncion, de l’Ontario; la sénatrice Marie-Françoise Mégie, du Québec. Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues.

[Traduction]

Je veux également souhaiter la bienvenue à tous les citoyens qui nous regardent des quatre coins du pays. Sachez que j’assiste à la présente séance depuis le territoire traditionnel non cédé de la nation algonguine anishinabe.

[Français]

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur l’immigration francophone en milieu minoritaire. Dans un premier temps, nous recevons les représentants de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, soit sa présidente, Liane Roy, et son directeur général, Alain Dupuis. La fédération vient de produire une importante étude sur l’immigration francophone.

Merci d’avoir accepté notre invitation et bienvenue parmi nous, madame Roy et monsieur Dupuis.

Nous sommes prêts à entendre vos remarques préliminaires, qui seront suivies d’une période de questions avec les sénateurs et sénatrices. La parole est à vous, madame Roy.

Liane Roy, présidente, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : Merci, monsieur le président. Je vous adresse la parole à partir de Moncton, au Nouveau-Brunswick, qui fait partie des territoires traditionnels du peuple mi’kmaq. En tant que fière Acadienne, je suis reconnaissante de toute l’aide apportée par les Mi’kmaq au peuple acadien au cours de son histoire.

Je vous remercie de cette occasion de comparaître dans le cadre de votre étude sur l’immigration francophone en situation minoritaire. Comme vous le savez, le gouvernement fédéral s’est fixé pour cible, en 2003, que 4,4 % des immigrants et immigrantes admis chaque année ailleurs qu’au Québec soient d’expression française. Cette cible devait être atteinte en 2008, mais l’échéancier a été révisé à 2023.

Historiquement, le gouvernement n’a jamais réussi à progresser vers cette cible. Les résultats annuels ont rarement dépassé 2 %. Pour 2021, ils étaient à 1,95 %. À Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), on rappelle que l’échéance de la cible n’est pas arrivée, mais les communautés étaient en droit de s’attendre à au moins du progrès vers l’atteinte de ladite cible. Au lieu de cela, nous avons eu une décennie de stagnation. Même si la cible de 4,4 % était atteinte l’an prochain, les impacts de cette décennie perdue sont bien tangibles. Le poids démographique des communautés francophones et acadienne a chuté de 4,4 % en 2001 à 3,8 % en 2016. Si la tendance se maintient, il sera de 3,1 % en 2036.

Le commissaire aux langues officielles a chiffré à 76 000 le nombre d’immigrants et d’immigrantes d’expression française qui auraient pu s’établir dans nos communautés, au cours des 15 dernières années, si la cible avait été atteinte dès 2008. Nous sommes dans le domaine des torts qui demandent réparation. C’est pourquoi nous avons demandé que le gouvernement se donne les moyens d’atteindre dès 2024 une cible de 12 %, qui devra augmenter pour atteindre 20 % en 2036.

Ces chiffres, nous ne les avons pas inventés. Ils proviennent d’une importante étude démographique réalisée pour le compte de la FCFA par la firme Sociopol. Cette étude utilise les données de Statistique Canada, ainsi que le modèle Demosim. Cela nous a permis d’explorer divers scénarios. En deçà de 10 %, nous sommes à peine dans le maintien des niveaux actuels. Le modèle progressif que nous proposons, en revanche, permet de rétablir à 4,4 %, d’ici 2036, le poids démographique de nos communautés.

Cet objectif, d’ailleurs, est un objectif du gouvernement lui‑même. Il a été exprimé deux fois : dans le Plan d’action pour les langues officielles de 2018-2023, puis dans le document de réforme des langues officielles publié en février 2021. Certes, ce chiffre étonne. Plusieurs ont demandé comment nous espérions atteindre une cible de 12 % alors qu’au fil des ans, le gouvernement n’a pas réussi à atteindre la cible actuelle. La réponse est bien simple : en mettant enfin en place les mesures spécifiques en matière d’immigration francophone que nous réclamons depuis des années.

La bonne volonté ne manque pas à IRCC; cependant, il leur manque des outils, car ce n’est pas uniquement en apportant des ajustements à des programmes généraux d’immigration, comme Entrée express, qu’on atteindra nos objectifs. On ne fait pas de l’immigration en milieu minoritaire comme on en fait en milieu majoritaire. Il faut une politique en matière d’immigration francophone qui comportera des programmes et mesures spécifiques, faits pour des réalités spécifiques.

Voici donc nos recommandations. Premièrement, que le gouvernement du Canada se dote d’une politique en immigration francophone holistique, qui comprendra des leviers taillés sur mesure pour la francophonie canadienne, y compris un financement bonifié pour permettre aux communautés francophones de participer directement à sa mise en œuvre.

Deuxièmement, que le gouvernement crée un programme économique distinct pour l’immigration francophone hors Québec, taillé sur mesure pour les besoins de main-d’œuvre des communautés francophones et acadienne, qui permettra aux communautés de participer au recrutement et à la sélection des immigrants d’expression française.

Troisièmement, que le gouvernement crée des volets francophones spécifiques pour la catégorie du parrainage familial, les réfugiés et le Programme des candidats des provinces.

Quatrièmement, vous êtes sûrement au courant des problèmes de refus de visas qu’éprouvent plusieurs étudiants et étudiantes francophones, en particulier en Afrique subsaharienne, lorsqu’ils souhaitent venir étudier en français dans nos communautés. Certains des critères qui leur sont imposés — comme de démontrer qu’ils retourneront dans leur pays une fois leurs études terminées — viennent en contradiction avec les objectifs du Canada en matière d’immigration francophone.

Nous recommandons donc la levée de ces critères et, de façon plus générale, une augmentation substantielle de la capacité de traitement de demandes de visa et d’immigration dans les pays de la Francophonie, en particulier en Afrique.

D’autre part, l’an dernier, IRCC a mis en place, pour une période de six mois, une passerelle permettant aux résidents et résidentes temporaires de faire la transition à la résidence permanente. Devant le succès de cette initiative pendant la pandémie, nous recommandons que cette passerelle devienne permanente pour les candidats et candidates francophones.

Enfin, nous recommandons que le gouvernement fournisse un appui supplémentaire aux communautés francophones et acadienne pour qu’elles puissent s’engager pleinement à toutes les étapes du continuum d’immigration : de la promotion à l’international à la mobilisation des employeurs pour le recrutement, au Service prédépart aux immigrants, au renforcement des services d’établissement et de réinstallation en français, jusqu’à l’aménagement de communautés accueillantes et inclusives pour assurer le succès des personnes qui s’y établissent.

Voilà maintenant 20 ans que les communautés francophones et acadienne travaillent d’arrache-pied pour relever le défi de l’immigration. Nous avons démontré que nous avons le savoir-faire et l’expertise requis pour créer la francophonie de l’avenir, une francophonie diversifiée et plurielle.

Cependant, cette francophonie existera seulement si le gouvernement adopte cette cible de réparation et de croissance et se donne véritablement les moyens de l’atteindre.

Je vous remercie, et je suis prête à répondre à vos questions avec l’aide du directeur général de la FCFA, Alain Dupuis.

Le président : Merci beaucoup, madame Roy, de votre déclaration d’ouverture.

Nous allons passer à la période des questions. Chers collègues, étant donné le temps à notre disposition, je propose, comme d’habitude, que nous ayons, par sénateur, cinq minutes par question. Nous aurons certainement l’occasion de faire un deuxième tour de table.

La sénatrice Gagné : Bonsoir, madame Roy et monsieur Dupuis. Je suis contente de vous revoir au Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je suis très consciente que l’immigration comprend plusieurs intervenants, non seulement le gouvernement fédéral, mais aussi les provinces et les communautés. Seriez-vous en mesure d’analyser la contribution des provinces en matière d’immigration francophone en situation minoritaire?

Je suis bien consciente que le Programme des candidats des provinces est l’un des principaux mécanismes au moyen desquels les provinces désignent les personnes qui immigreront sur leur territoire. Une évaluation publiée par IRCC en 2017 — je ne sais pas s’ils ont fait d’autres études depuis — a reconnu que ce programme n’apporte qu’une contribution très limitée en matière d’immigration francophone. Dans votre étude et dans le cadre de vos consultations, est-ce que vous avez décelé des problèmes particuliers, qui font en sorte qu’il y a quand même un manque à gagner dans le Programme des candidats des provinces?

Mme Roy : Merci beaucoup pour cette question. Je vais commencer à y répondre, puis je vais céder la parole à Alain, qui a probablement des chiffres beaucoup plus précis que les miens.

Comme vous le savez, les provinces et les territoires se penchent sur l’immigration francophone depuis un certain temps. Si vous vous en souvenez, en 2018, avec la coordination du Conseil des ministres sur la francophonie canadienne, les provinces et territoires s’étaient dotés d’un plan d’action — je pense qu’il contenait 10 piliers — pour travailler de plus près, tous ensemble, dans le but d’augmenter l’immigration francophone.

Il y a eu beaucoup de changements dans les différents gouvernements provinciaux et territoriaux depuis ce temps. Ce plan d’action n’a pas été mis en place, mais je pense que l’ensemble des provinces, d’après ce qu’on entend de la part de nos membres, s’intéressent toujours énormément à l’immigration francophone. Dans l’étude que nous venons de lancer au début d’avril, nous avons examiné les questions démographiques et d’immigration francophone par province.

Je vais laisser Alain vous donner ces chiffres, qui vous donneront un aperçu du résultat des programmes, surtout celui des candidats des provinces. Ces résultats ne surprendront personne, mais il y a là une analyse intéressante pour ce qui est des provinces qui s’en servent le plus.

Alain Dupuis, directeur général, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : Bonjour, sénatrice Gagné. En effet, quelques provinces et territoires se sont dotés de cibles. Le Nouveau-Brunswick a une cible de 33 %; le Manitoba, de 17 %; l’Ontario, de 5 %. Terre-Neuve-Labrador et les Territoires du Nord-Ouest ont des cibles en chiffres absolus, je crois. Il est très clair que cela a un impact sur les objectifs nationaux en immigration francophone. À peu près 23 ou 24 % de l’immigration dépend des immigrants francophones sélectionnés par les provinces et les territoires, et ce chiffre est en croissance. Dans les prochaines années, les provinces pourraient demander encore plus de contrôle sur les immigrants économiques qu’ils choisissent. Il est très important pour nous que ces cibles provinciales soient bel et bien mises en œuvre et qu’il y ait un certain nombre d’obligations entourant le nombre de certificats de désignation accordés aux provinces. Si on augmente le nombre de certificats de désignation pour les provinces et les territoires, il faut que cette mesure soit associée directement aux objectifs en immigration francophone. Présentement, l’Ontario seulement a dépassé la cible que le gouvernement s’était lui-même donnée.

Il est clair qu’il faut voir l’immigration francophone comme un tout. Si on se donne des cibles plus ambitieuses pour l’immigration francophone au pays, il faudra décliner ces chiffres par province et territoire pour s’assurer que l’ensemble du pays bénéficie d’un rattrapage et d’une croissance en francophonie, mais surtout, si les provinces et les territoires ont un plus grand pouvoir de sélection, que cela vient avec des obligations par rapport aux certificats de désignation. Le gouvernement fédéral pourrait ajouter certains critères, ou s’il veut accorder un certain nombre de certificats de plus, il pourrait le faire, à condition qu’on sélectionne des candidats d’expression française.

Il est clair qu’il faut revoir le plan fédéral-provincial de 2018. Il y avait de beaux objectifs, mais pas nécessairement de suivi, comme on l’aurait souhaité. Plusieurs gouvernements ont aussi changé depuis la création de ce plan. Il est temps de le revoir à la hausse pour atteindre les cibles de rattrapage et de croissance.

La sénatrice Mégie : Merci aux témoins d’être avec nous aujourd’hui. Je voulais vous poser une question que j’ai déjà posée à la présidente du Conseil du Trésor. Je pense que Mme Roy l’a abordée aussi, en nous demandant si nous étions au courant du fait qu’il y a un système chez nous qui refuse systématiquement les étudiants de l’Afrique du Nord. Cependant, quand j’ai posé la question à Mme Fortier, la réponse était que son ministère allait examiner cela. Ce n’était pas de l’étonnement. Elle le savait et elle a dit : « On va regarder cela, on est conscient du problème. » Avez-vous eu connaissance, depuis ces trois derniers mois, d’une rectification ou d’une tentative de rectification de ce problème?

M. Dupuis : Pour ma part, j’ai entendu ce qui suit par rapport au système Chinook : le ministre qui a comparu devant le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration a dit qu’il n’y a aucune intelligence artificielle dans ce système de classement. C’est essentiellement un tableau Excel qui ne fait pas de sélection automatisée. Selon les dires du ministre, le problème ne se trouve pas dans le système de classement.

Cependant, à notre avis, le problème réside surtout dans les critères attribués pour traiter les demandes de visa étudiant. Comme notre présidente l’a mentionné, le fait de devoir prouver qu’on va retourner dans son pays après l’obtention de son diplôme a un effet important sur les bassins francophones. De plus, il faut prouver qu’on a les fonds disponibles dans un compte bancaire pour assurer sa subsistance pendant une période donnée. Il semble qu’IRCC est incapable de valider ces informations. Dans plusieurs pays d’Afrique, il n’y a pas nécessairement de partenariats avec les institutions financières des pays de la Francophonie, ce qui fait en sorte que plusieurs demandes sont refusées sur la base qu’on n’a pas les moyens financiers de venir étudier au Canada.

La sénatrice Mégie : Merci. Pourrais-je poser une autre question au deuxième tour ou est-ce que je peux la poser maintenant?

Le président : Vous avez du temps, sénatrice.

La sénatrice Mégie : Merci, monsieur le président. Je voulais vous amener sur un autre terrain, celui de la reconnaissance des acquis. On sait que ce dossier est de compétence provinciale. Auriez-vous le temps de vous pencher là-dessus, ou y a-t-il un autre organisme partenaire qui pourrait avoir des idées sur ce que sont les meilleures pratiques en comparant ce qui se fait dans les différentes provinces et dans les territoires?

Mme Roy : Oui, tout à fait, madame la sénatrice. Comme vous le savez, la reconnaissance des acquis est un dossier très complexe. On peut dire que ce dossier est de compétence provinciale, mais il y a aussi les associations professionnelles, les ordres professionnels et les établissements postsecondaires qui sont impliqués dans ce dossier. Certains de nos partenaires ont mené des projets pilotes, surtout en ce qui a trait aux pénuries de main-d’œuvre dans le domaine de l’enseignement, notamment chez les enseignants et les éducatrices à la petite enfance. Il y a des pénuries un peu partout au Canada.

La Société nationale de l’Acadie dans l’Atlantique et l’Agence de promotion économique du Canada atlantique ont examiné ces questions pour déterminer les meilleures pratiques, pour voir comment on peut avoir un meilleur système pour la reconnaissance des titres et des diplômes. Ces deux organismes ont eu assez de succès avec un premier projet pilote et avec l’aide financière de l’APECA, et ils ont voulu aller voir s’ils ne pouvaient pas étendre l’utilisation de leur guide destiné aux enseignants et aux enseignantes aux éducatrices à la petite enfance. Je n’ai pas les résultats de ces études, mais je sais qu’on a fait beaucoup de travail à l’échelle des quatre provinces de l’Atlantique. On est aussi allé voir ce qui se passait dans les autres provinces et territoires du côté francophone.

M. Dupuis : J’ajouterais qu’il est très important que le gouvernement fédéral s’implique dans le dossier de la reconnaissance des titres et des compétences, qui dépasse largement l’enjeu de la francophonie. C’est un enjeu pour l’ensemble des immigrants qui choisissent le Canada. Donc, nous aimerions qu’il y ait une meilleure coordination de la part d’Emploi et Développement social Canada et des autres ministères fédéraux. Ceux-ci peuvent amener à la table d’autres professionnels et partenaires provinciaux et créer des systèmes beaucoup plus arrimés. D’ailleurs, il y a un engagement dans le livre blanc de la ministre Joly de février 2021 en vue de créer un corridor d’immigration francophone pour les enseignants qui jouent un rôle au sein d’Emploi et Développement social Canada, pour assurer la coordination et un arrimage dans le domaine de l’enseignement. Je pense que c’est un modèle qu’il faudra absolument regarder au cours des prochaines années, parce que la croissance du pays passe par l’immigration. Cette question est trop fondamentale pour que le gouvernement fédéral n’ait pas un rôle de premier plan à jouer dans la coordination à l’échelle nationale.

La sénatrice Mégie : Merci beaucoup.

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à Mme Roy.

Par le passé, vous avez fait partie de la haute fonction publique comme sous-ministre adjointe au ministère de l’Éducation postsecondaire, de la Formation et du Travail du Nouveau-Brunswick.

Quand on lit les projets de loi sur la langue française et qu’on entend les engagements des politiciens, tant provinciaux que fédéraux, on peut dire tout de même que c’est généralement assez clair. Quand on entend les revendications des groupes francophones, les avenues à emprunter pour sauver la langue française au pays, là aussi, cela me semble assez clair. Avec le point de vue politique privilégié que vous avez, qu’est-ce qui freine les actions, et pourquoi les cibles ne sont-elles pas nécessairement atteintes?

Mme Roy : Merci beaucoup, monsieur le sénateur, de cette question. Je pense que c’est parce qu’on essaie de créer les mêmes programmes pour les francophones et les anglophones. Si on veut vraiment atteindre nos cibles, surtout en matière d’immigration francophone, il faut avoir des programmes spécifiques pour les communautés francophones et acadienne. Dans ma déclaration d’ouverture, j’ai fait quelques recommandations sur ce qui pourrait être fait pour trouver une solution à cette question.

Premièrement, il faudrait avoir une politique en immigration francophone qui serait holistique, qui examinerait l’ensemble des acteurs et l’ensemble des programmes, pour déterminer quel genre de volet francophone on peut inclure. Dans nos associations, on fait souvent référence à « du », « par » et « pour », c’est-à-dire par les francophones et pour les francophones.

C’est important de reconnaître qu’on ne fait pas de l’immigration francophone comme on fait de l’immigration en général. Nos communautés sont parfois plus petites, et il y a quand même une grande pénurie d’emplois dans plusieurs régions, pour ne pas dire partout au Canada. Pour nous, cette politique d’immigration francophone, avec les nouvelles cibles que nous proposons, doit être envisagée avec un objectif réparateur, un objectif de croissance et un objectif de renforcement des capacités des communautés. Selon nous, une politique devrait prévoir la création d’un programme d’immigration économique francophone distinct.

Ce programme devrait prévoir un rôle pour les communautés dans la sélection des immigrants et immigrantes, la création d’un volet francophone pour la catégorie du parrainage familial et une collaboration accrue avec l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, afin d’augmenter l’appui du gouvernement du Canada à la réinstallation des réfugiés en situation d’urgence provenant des pays francophones d’Afrique. La mise sur pied d’un volet consacré aux francophones dans le cadre du Programme des candidats des provinces permettrait notamment d’assurer une croissance équitable de la francophonie dans toutes les régions du pays.

On a d’autres suggestions, notamment la création d’une passerelle permanente entre la résidence temporaire et la résidence permanente, des mesures pour faciliter la venue d’étudiants internationaux francophones, la levée de certaines barrières pour les permis d’étude et les visas étudiants. Puisque nous avons une pénurie de main-d’œuvre, voilà la meilleure manière d’y faire face : en accueillant plus d’étudiants internationaux qui peuvent combler ces pénuries en étant formés dans nos établissements ici, au Canada. Il y a un autre enjeu, et c’est qu’il faut que le gouvernement du Canada ait une capacité accrue de traitement des demandes d’immigration dans les pays sources francophones, notamment en Afrique.

Ce sont là des exemples de ce qui pourrait être fait et de ce que pourrait contenir une politique d’immigration francophone. J’espère que j’ai bien compris votre question.

Le sénateur Dagenais : Oui, tout à fait.

On parle aussi beaucoup de l’immigration comme d’une solution pour rétablir le poids démographique des francophones. On sait que les immigrants arrivent ici avec des enfants qui ont déjà des connaissances en français grâce à l’enseignement qu’ils ont reçu.

Aujourd’hui, dans quelle mesure le système d’éducation en français dans les provinces est-il à la hauteur pour stimuler ou encourager les enfants d’immigrants à poursuivre leurs études en français?

Mme Roy : Je pense que nous sommes en mesure d’accueillir des enfants dans nos écoles un peu partout au Canada. Même si certaines provinces fonctionnent différemment, nous voyons que certaines commissions scolaires et certains districts scolaires ont mis en place des programmes spécifiques pour accueillir les élèves qui arrivent avec leur famille un peu partout au Canada. Il y a des programmes de francisation pour ceux qui n’ont peut-être pas toutes les aptitudes requises en français. Plusieurs provinces et ministères de l’Éducation au pays ont mis en place des programmes spécifiques pour accueillir des enfants qui arrivent d’ailleurs avec leurs parents.

Je vais donner la chance à M. Dupuis d’intervenir afin qu’il apporte des précisions pour répondre à la question du sénateur.

M. Dupuis : Je pense qu’il faut mettre en place un plan d’action avec des cibles prévisibles d’année en année. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé une nouvelle cible de 12 % en matière d’immigration francophone à partir de 2024, qui pourrait ensuite croître légèrement de 8 000 personnes de plus d’année en année, jusqu’à ce qu’on atteigne une cible de 20 %.

Si on se donne un plan pluriannuel pour la croissance de la francophonie, pour le rattrapage du poids démographique, cela permettra aux écoles et aux conseils scolaires de mieux planifier l’offre. Il y a actuellement 740 écoles de langue française au pays et près d’une trentaine de conseils et de commissions scolaires de langue française. Je pense que nous sommes bien préparés. C’est l’une des questions que j’ai posées justement la semaine dernière à la table sur l’éducation, qui regroupe les 13 provinces et territoires et le gouvernement fédéral.

Les conseils scolaires des communautés nous confirment qu’ils ont une capacité accrue d’accueillir et d’intégrer des immigrants. Cependant, il faudra aussi des ressources supplémentaires pour nous assurer que les travailleurs en établissement ont accès à un programme pour les écoles de langue française — en effet, l’école est la porte d’entrée pour le reste de la communauté — et nous assurer que toutes nos approches sont arrimées avec les organismes et les autres services offerts dans la communauté francophone.

La sénatrice Moncion : Bonjour à vous deux et merci des informations que vous nous avez fournies.

Ma question est peut-être simple ou compliquée, je ne saurais le dire. Monsieur Dupuis, vous avez mentionné que l’Ontario a atteint la cible de 5 %, alors que les autres provinces ne l’ont pas atteinte. À quoi attribue-t-on le succès de l’Ontario par rapport aux autres provinces?

M. Dupuis : L’Ontario a mis sur pied un programme spécifique pour les travailleurs francophones et bilingues qui a été justement bien promu par la province, semble-t-il. Ce programme a permis à la province de remplir et même de dépasser ses certificats de désignation pour la francophonie.

Il y a certainement des pistes intéressantes à emprunter là, car ce programme n’était pas seulement axé sur des personnes qui parlaient français, mais aussi sur des personnes qui avaient des compétences bilingues et dans des domaines d’emploi recherchés. Tout cela est vu comme un modèle à reproduire ailleurs, selon ce que je comprends de notre étude. Le programme a été mis en place il y a environ cinq ans, si je ne fais pas erreur.

La sénatrice Moncion : Par rapport aux autres provinces, le gouvernement fédéral, si on veut, sert de porte d’entrée pour la réception des demandes et pour ce qui est de la répartition des personnes qui vont un peu partout au Canada. Pourriez-vous nous parler de cette répartition, si vous la connaissez, et quelles sont les embûches de ce côté?

M. Dupuis : L’Ontario demeure la province qui accueille le plus grand nombre d’immigrants d’expression française depuis les cinq dernières années. Sur un total de 27 000 immigrants d’expression française à l’extérieur du Québec, il y en a 15 900 qui ont choisi l’Ontario. Toronto, la grande région de Toronto, et la ville d’Ottawa sont les deux villes qui accueillent la grande majorité des immigrants d’expression française. Ensuite, il y a le Nouveau-Brunswick qui, au cours des cinq dernières années, a accueilli environ 2 500 immigrants d’expression française, puis l’Alberta, avec 2 700 et la Colombie-Britannique, avec 2 930. On remarque aussi que l’Ouest canadien augmente sa part d’immigration francophone d’année en année.

La sénatrice Moncion : Vous avez parlé de financement bonifié, puis vous avez indiqué comment ce financement bonifié serait utilisé.

À l’heure actuelle, il n’y a pas de financement bonifié. Je vais prendre l’exemple du Nord de l’Ontario, où on commence tranquillement à voir des programmes d’accompagnement pour les gens qui veulent s’y établir. Je le dis afin qu’on le constate : il y a de l’immigration vers le Nord de l’Ontario, et c’est remarquable. Je veux le dire parce qu’au-delà de Toronto, on ne voit pas tellement de gens racisés, et ces gens semblent bien s’adapter.

Qu’est-ce qui fait que certaines de ces communautés ont des fonds pour recevoir ces gens et que d’autres n’en ont pas?

Mme Roy : Merci pour la question, madame la sénatrice.

Il y a un programme qui a été développé et qui s’appelle les Communautés francophones accueillantes. Le programme était financé comme partie d’un projet pilote, et 14 communautés d’un peu partout au Canada ont été sélectionnées pour examiner justement comment faire pour attirer les gens, comment les accueillir, comment contribuer à l’établissement des familles et des personnes. Le programme a donné de très bons résultats.

Dans les initiatives qui pourraient être élargies, nous proposons de créer de vrais programmes, pas juste des projets pilotes, et celui-là en est un. Comme je vous le disais, il a donné de très bons résultats partout au Canada. Vous parlez de l’Ontario, mais je suis au Nouveau-Brunswick. On a vu une communauté du nord-ouest du Nouveau-Brunswick accueillir des immigrants. Il y a 14 communautés comme cela partout au Canada.

M. Dupuis a peut-être des statistiques plus récentes qui démontrent justement ce que vous dites, madame la sénatrice. Ces programmes fonctionnent très bien, et on aimerait les voir grandir et s’établir partout au Canada, justement parce que cela fonctionne très bien.

M. Dupuis : Je pense qu’il y a eu quand même de beaux progrès dans les cinq dernières années. Nous sommes passés de 40 à 75 organismes qui offrent maintenant des services d’établissement en français en milieu minoritaire; c’est un progrès notable. Cela dit, nous sommes en rattrapage, et il faut voir le secteur de l’établissement francophone avec une vingtaine ou une trentaine d’années de retard, si on le compare aux gros services d’établissement en anglais, qui ont une expertise et des dizaines, voire des centaines d’employés parfois. Souvent, les services d’établissement sont offerts par des employés au sein d’organismes qui offrent également d’autres services.

Évidemment, il faut aussi spécialiser les services pour répondre aux besoins plus spécifiques des femmes, des jeunes et des communautés LGBTQ2+. Il faut s’assurer d’avoir des services de réétablissement, car on a seulement quatre services désignés pour accueillir des réfugiés en français à l’extérieur du Québec actuellement. Il en faut plus, et il en faut dans les grands centres de la francophonie également. Il faut aussi penser à offrir des services aux résidents temporaires qui viennent ici comme travailleurs ou comme étudiants internationaux et qui ne peuvent pas recevoir des services d’établissement financiers par IRCC. Ce sont souvent les provinces qui doivent s’occuper de cela, ou les établissements postsecondaires ou les employeurs. Il faut réellement bonifier cette offre de service sur le terrain pour les personnes immigrantes.

Deuxièmement, il faut aussi permettre aux communautés de jouer un rôle dans la promotion de nos communautés à l’étranger. Présentement, il y a des activités de promotion, mais nos organismes ne peuvent pas être financés par le gouvernement fédéral pour aller à l’étranger faire la promotion de nos communautés et de nos emplois en français. Certains le font de leur propre initiative, comme les organismes qui vont à Destination Canada, par exemple, mais ce n’est pas systématique et cela ne fait pas partie d’une stratégie globale de promotion ou de recrutement dans les pays sources de la Francophonie.

Ensuite, il faut mobiliser tous les acteurs de la société francophone pour qu’ils puissent jouer un rôle dans l’immigration francophone. On parle donc des employeurs, des organismes, des écoles, des services de santé; il faut créer cet écosystème. Il y a encore énormément d’écarts. Il nous faudra des investissements très importants dans le prochain Plan d’action pour les langues officielles afin de combler ces écarts, tant au début du processus — promotion, recrutement et sélection — que dans l’offre de services offerts sur le terrain dans chaque région.

Il faut réfléchir également aux façons de régionaliser l’immigration francophone. Comme je le disais, Toronto reçoit 30 % de l’immigration francophone, Ottawa, 22 %, Vancouver, 8,8 %, Moncton, 6,1 %, et Winnipeg, 6,1 %. Ce sont encore les grands centres qui accueillent les immigrants; il faut donc s’assurer qu’ils connaissent les régions et que celles-ci peuvent offrir des possibilités économiques intéressantes pour les familles et les personnes qui choisissent le Canada.

La sénatrice Clement : Merci aux témoins. Vous répétez constamment que nous sommes en rattrapage; c’est le refrain, c’est remarquable.

Madame Roy, pouvez-vous me redire le nombre de personnes que l’on n’a pas reçues au Canada parce que nous échouons systématiquement à atteindre nos cibles?

Mme Roy : Merci, madame la sénatrice, pour cette question.

Le commissaire aux langues officielles a déposé une étude à la fin de novembre 2021, et le chiffre était de 76 000. Il y a donc 76 000 personnes qu’on aurait pu aller chercher pour qu’elles s’établissent dans nos communautés.

De plus, 76 000 personnes, cela équivaut à peu près à la population francophone de la Colombie-Britannique. Pour nous, c’est quand même majeur, puisqu’on parle de gens qui s’établissent au pays.

La sénatrice Clement : C’est remarquable.

Plus tôt, en répondant au sénateur Dagenais, vous avez parlé d’une politique spécifique et du rôle des communautés, et M. Dupuis vient lui aussi d’en parler. C’est vraiment une question de partenariat; il faut parler des partenariats entre le gouvernement fédéral, les provinces, les communautés et les municipalités. Quels ont été les obstacles? Ce n’est pas nouveau, tout cela; le partenariat, c’est vieux comme l’an 40. Qu’est-ce qui ne fonctionne pas, et qu’est-ce que vous recommandez spécifiquement?

Mme Roy : On recommande une politique d’immigration francophone; là, il faut faire un petit clin d’œil au projet de loi C-13, qui vient d’être déposé et qui parle d’une politique en immigration francophone. Il faut s’assurer que cette politique est bien comprise et qu’elle est holistique; on doit y préciser qui doit faire quoi et quel genre de programmes on doit créer pour respecter l’approche « par et pour », soit par les francophones et pour les francophones, comme je le disais tout à l’heure.

C’est important de s’assurer que l’on peut développer cette politique en consultant les communautés et en allant voir ce qu’il est nécessaire de faire.

Vous avez parlé de partenariats. Dans une de mes réponses un peu plus tôt, j’ai parlé du programme des Communautés francophones accueillantes. C’est un beau programme qui a donné naissance à plusieurs partenariats, pour ce qui est des mini-communautés où nous avons expérimenté des projets. C’est la même chose que l’on voudrait voir dans l’ensemble du territoire canadien. Nous avons besoin d’une politique holistique, mais aussi très englobante pour l’ensemble des partenaires et des gens.

On doit considérer l’immigration comme un projet de société; c’est important pour l’ensemble du Canada, mais aussi pour nos communautés francophones et acadiennes.

M. Dupuis : J’ajouterais que la majorité des programmes actuels sont conçus pour atteindre des objectifs globaux. Cependant, souvent, ils ne sont pas taillés sur mesure pour répondre, par exemple, aux pénuries de main-d’œuvre spécifiques aux communautés francophones.

Par conséquent, lorsque le ministre dépose son plan annuel par niveaux au Parlement, il y a toutes les déclinaisons pour les différents types de programmes : le programme des travailleurs, les gens d’affaires, les regroupements familiaux, les personnes réfugiées et réinstallées et le Programme des candidats des provinces. Tout cela est chiffré, pour déterminer quelle est la cible annuelle pour chacun de ces programmes.

Ensuite, le ministère adapte ses stratégies pour répondre à ces objectifs annuels. L’immigration francophone est mentionnée, mais comme une note en bas de page. Le pourcentage de 4,4 % n’est associé à aucun de ces programmes de façon spécifique. Nous espérons donc que l’ensemble des programmes nous permettront d’atteindre un objectif chiffré, sans pour autant ajouter une lentille francophone à l’ensemble de ces programmes.

C’est pour cela que l’on demande, par exemple, une politique d’immigration économique francophone. On pourrait adopter le Programme pilote d’immigration dans les communautés rurales et du Nord, qui donne un rôle aux communautés; ce programme permet de mettre sur pied des comités avec des employeurs de la région et des acteurs qui connaissent les besoins de la région et jouent un rôle dans la sélection des candidats. Ils déterminent, par exemple, si, pour une année, on a besoin de tel type de profil, dans tel type d’industrie. Ensuite, la communauté fait des recommandations à IRCC sur les candidatures qu’il faut sélectionner.

C’est un beau modèle qui pourrait fonctionner sur le plan national pour la francophonie canadienne. Faisons collaborer des comités avec les communautés qui comptent des employeurs francophones et bilingues cherchant différents profils, et adaptons les critères pour faire venir des gens qui répondent aux besoins des différentes régions du pays.

C’est un beau modèle, et c’est un projet pilote qui pourrait très bien servir d’exemple pour un programme économique francophone.

La sénatrice Clement : Merci.

Le président : À mon tour de vous poser quelques questions qui feront suite à celles de la sénatrice Clement.

On entend constamment parler des problèmes systémiques liés à la gestion de l’immigration au Canada, en ce qui a trait au nombre de partenaires et aux façons dont ces partenaires travaillent ensemble.

Votre rapport, qui est assez éloquent, inclut des recommandations en lien avec une politique sur l’immigration francophone, et votre dernière recommandation concerne la mise en place d’un bureau responsable de réformer l’approche du gouvernement fédéral en matière d’immigration francophone sur le plan de la promotion et du recrutement. Vous êtes d’avis que, à l’intérieur même d’IRCC, il y a de la place pour une restructuration; je voudrais vous entendre davantage à ce sujet.

De plus, la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada coordonne les Réseaux en immigration francophone, la Table nationale de concertation communautaire en immigration francophone et le volet communautaire d’IRCC. De plus, vous êtes responsable de la Semaine nationale de l’immigration francophone. Vous faites donc beaucoup de travail. On parle de rapprochements entre le ministère et les communautés; pouvez-vous nous dire comment ce bureau viendrait améliorer les initiatives que les communautés peuvent entreprendre et comment le partenariat pourrait mieux s’établir?

Mme Roy : Je vais laisser Alain répondre, mais je vais commencer par la manière dont le ministère est structuré pour répondre à l’immigration francophone. Le volet de l’immigration francophone se retrouve sous une des directions qui s’occupent de l’établissement; cela fait en sorte que la vision et la vue d’ensemble de l’immigration francophone sont restreintes, parce que l’on considère l’immigration par rapport à cette direction.

Pour nous, c’est déjà une partie du problème; personne, au sein du ministère, n’est responsable de l’immigration francophone dans son ensemble. C’est pour cette raison qu’on recommande de créer ce bureau ou cette manière de fonctionner : pour faciliter les partenariats et pour avoir une vue plus globale de l’immigration francophone, et pas seulement associée à une direction particulière.

Je vais maintenant laisser Alain compléter ma réponse.

M. Dupuis : Absolument. Il ne faut pas voir ce dossier comme un dossier en silo; c’est un dossier qui doit être transversal dans l’ensemble du ministère. Par exemple, un sous‑ministre ou une sous-ministre adjointe pourrait être responsable du dossier de l’immigration francophone exclusivement, pendant un certain nombre d’années, le temps de mettre en place cette nouvelle politique, de la mettre en œuvre et de la faire connaître à l’ensemble des collègues et des directions au sein du ministère. IRCC est un gros ministère qui compte des bureaux à l’étranger, et nous croyons que l’immigration est un dossier assez important pour justifier qu’un haut dirigeant du ministère soit en exclusivement responsable.

Dans ma province natale, l’Ontario, on l’a fait pour l’éducation en langue française au sein du ministère de l’Éducation. On a tout centralisé et on a nommé un sous-ministre adjoint responsable. Il y a quelques années, on a aussi nommé un sous-ministre adjoint pour la santé en français au sein du ministère de la Santé.

Il est clair que quelqu’un doit être responsable à tous les échelons pour atteindre certains objectifs, surtout des objectifs beaucoup plus ambitieux, comme la cible de 12 % proposée pour 2024.

Le président : Les cibles sont d’ailleurs le sujet de l’une des recommandations de votre rapport, soit celle qui est liée à la progression des cibles, pour nous mener à une cible de 20 % en 2036.

Vous avez abondamment parlé de la question du rattrapage et de la croissance, et Mme Roy a parlé tout à l’heure du projet de loi C-13. Où devraient être inscrits ces objectifs et ces cibles? Doivent-ils être inscrits dans la politique uniquement? Qu’est-ce qui devrait apparaître dans la loi comme telle, pour que la loi prenne acte de cette notion de rattrapage et de croissance?

Mme Roy : Je vous remercie de cette question, qui nous intéresse beaucoup et qui est liée au projet de loi C-13. Pour ce qui est du contenu du projet de loi par rapport à la politique d’immigration francophone, nous croyons qu’il est important de savoir comment cette politique sera inscrite et quel langage sera utilisé. C’est vrai qu’on parle de la politique en immigration francophone et que c’est déjà beaucoup plus que ce que contient la loi actuelle. On en est très heureux, mais on parle d’objectifs, de cibles et de reddition de comptes.

Là où nous trouvons que ce n’est peut-être pas assez fort, c’est quand le projet de loi parle de « contribuer » au poids démographique. Nous aimerions voir un verbe beaucoup plus fort, comme « rétablir » et « augmenter » le poids démographique. En effet, le fait qu’on parle de « contribuer » nous donne l’impression que l’immigration est un moyen parmi tant d’autres, quand on sait qu’il y a des recherches scientifiques qui montrent qu’au Canada, surtout au Canada français, c’est l’immigration qui va affecter ou contribuer, en fait, qui va augmenter le poids démographique, parce que c’est ce qui a déjà été démontré. Pour nous, c’est très important que ce soit encore plus percutant dans le projet de loi. Quand on parle de la partie liée au rétablissement et à l’augmentation du poids démographique, on voudrait voir un mot beaucoup plus fort que « contribuer ».

Le président : Monsieur Dupuis, aviez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?

M. Dupuis : Non.

Le président : Avant de poursuivre avec la sénatrice Gagné, je vais poser ma dernière question. J’ai posé la question aux représentants de Statistique Canada quand ils sont venus témoigner au sujet des différentes catégories d’immigrants, soit les immigrants économiques, les étudiants étrangers, les travailleurs temporaires, les réfugiés et les nouveaux arrivants. Les représentants de Statistique Canada n’ont pas été en mesure de nous donner des chiffres au sujet des différentes catégories, par exemple, combien d’immigrants ou de personnes on reçoit dans ces différentes catégories. À votre point de vue, y a-t-il un exercice de priorisation et d’identification stratégique sur les immigrants que l’on devrait recevoir en fonction des régions, en fonction des besoins? Qu’est-ce que vous pouvez nous dire à ce sujet?

M. Dupuis : En ce moment, parmi les immigrants d’expression française, 40 % sont de la catégorie du programme des travailleurs qualifiés, soit la catégorie économique, et 29 % sont dans la catégorie économique, mais ils sont choisis par les provinces. C’est quand même plus de plus 70 % des immigrants francophones qui sont dans une catégorie économique. Pour ce qui est du regroupement familial, c’est environ 15 % et pour les réfugiés réinstallés, on parle d’environ 13 %.

Pour nous, cela montre que les francophones viennent surtout par l’entremise des programmes économiques, mais c’est très important d’avoir une politique en immigration francophone qui touche toutes les catégories, en particulier à cause de l’importance des immigrants économiques. Évidemment, il y a une pénurie de main-d’œuvre importante dans nos communautés. On pense à l’enseignement, à la petite enfance, à tous les organismes communautaires qui peinent à recruter, aux soins et aux services aux aînés. Les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux veulent également une main-d’œuvre qualifiée bilingue. C’est donc assez important d’avoir ce volet économique, mais pas exclusivement. Les réunifications familiales sont aussi très importantes, et l’on pourrait augmenter l’apport de réfugiés francophones qui passent par le programme du HCR. Plusieurs pays, qui sont malheureusement situés en Afrique subsaharienne, sont désignés par le HCR comme des zones de crise nécessitant des réinstallations. Le Canada pourrait développer une expertise dans ce domaine en faisant venir des réfugiés d’expression française.

Le président : Merci beaucoup. Pour le deuxième tour, la parole est à vous, sénatrice Gagné.

La sénatrice Gagné : En somme, les questions que vous avez posées étaient des questions que je voulais moi-même poser. C’était par rapport au projet de loi C-13, dont nous ferons l’étude approfondie en temps et lieu. Toujours dans le contexte du projet de loi C-13 — je l’ai avec moi, mais j’ai du mal à retrouver le paragraphe exact. On reconnaît le caractère réparateur de la loi. Compte tenu de cela, est-ce que, selon vous, le projet de loi encadre assez bien les mesures positives à prendre pour assurer l’épanouissement et le développement des communautés? Ce que je comprends, c’est que vous aimeriez le rendre obligatoire et que vous souhaitez que ce ne soit pas nécessairement une mesure qui contribue, comme vous dites. Je pense qu’on parle plutôt d’une mesure positive qui peut notamment comprendre toute mesure et ensuite, on cerne les institutions et les secteurs d’activité, comme la santé, la justice, l’emploi, l’immigration, etc.

Je vous suggérerais de retenir cette question. On pourrait peut-être en discuter plus longuement à un autre moment, parce qu’il reste environ quatre minutes.

Le président : Allez-y, si vous voulez répondre.

M. Dupuis : Très rapidement, oui, le caractère réparateur sera un principe d’interprétation de la loi, mais l’article sur l’immigration francophone parle de maintien ou d’augmentation, et le maintien n’est pas réparateur. Le maintien, c’est le fait de maintenir à 3,6 % ce que l’on représente approximativement. Les communautés veulent faire un rattrapage qui tient compte du retard des 20 dernières années, et il faut que ce soit clair pour ce qui est du libellé sur l’immigration francophone.

La sénatrice Gagné : Merci de la précision.

Le président : J’aimerais vous poser une question en relation avec un événement qui a eu lieu en fin de semaine. J’étais dans ma région et on a organisé un événement de solidarité pour les Ukrainiens, qui sont donc des réfugiés chez nous, notamment dans ma province natale du Nouveau-Brunswick. J’ai été très impressionné et ému de la qualité des personnes qui sont chez nous et qui ont envie de contribuer au développement de notre société. Certaines de ces personnes ne parlent au départ ni anglais ni français. Est-il possible d’inclure, dans nos stratégies d’immigration francophone, l’idée d’identifier des personnes qui viennent dans notre pays et qui ne parlent ni anglais ni français, mais qui pourraient s’intégrer aux communautés francophones? Qu’est-ce que vous en pensez?

Mme Roy : Je vous remercie de cette question. Je pense que les personnes immigrantes qui ne parlent ni français ni anglais doivent être au fait des possibilités qu’offre la francophonie. Vous avez parlé des Ukrainiens. On sait qu’il y a environ 300 000 Ukrainiens qui parlent français, parce que l’Ukraine fait partie de l’Organisation internationale de la Francophonie comme pays observateur. Donc, on ne pense pas tout de suite automatiquement à cela.

Donc, on doit pouvoir expliquer ou démontrer aux personnes immigrantes qu’elles peuvent choisir d’apprendre l’anglais ou le français. Présentement, le gouvernement fédéral n’offre pas un accès gratuit à l’apprentissage des deux langues; c’est soit l’une, soit l’autre. Il n’offre donc pas cet apprentissage de façon généralisée, ce qui nuit un peu à notre capacité d’intégrer des allophones. Pour nous, les communautés offrent des possibilités de vie enrichies. On pense que c’est important de les accueillir, de s’ouvrir à ces gens-là, parce que nos communautés peuvent être enrichies par leur diversité culturelle et offrir la possibilité de s’impliquer dans la vie communautaire.

Là encore, l’infrastructure actuelle ne facilite pas l’intégration des immigrants allophones qui ont des besoins particuliers. Du côté professionnel aussi, un des points importants dans l’accueil des gens, des allophones, c’est qu’on sait que le multilinguisme ouvre de nombreuses portes professionnelles et qu’il s’agit d’un appui pour renforcer les capacités linguistiques, soit en anglais ou en français. C’est important pour nous d’avoir des infrastructures, mais on est très ouvert — on l’a fait pour les Afghans —, donc on y réfléchit pour déterminer comment on peut mieux le faire. Selon nous, dans la politique d’immigration francophone, il devrait y avoir une section, un chapitre qui touche aux allophones. Monsieur Dupuis, voulez-vous ajouter quelque chose?

Le président : Merci beaucoup, madame la présidente et monsieur le directeur général. Merci de vos interventions et merci d’avoir répondu à nos questions avec tant d’aplomb; on sent votre enthousiasme, mais surtout votre engagement. La Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada est déterminante, en fait, dans les stratégies d’immigration francophone. Merci beaucoup de vos contributions. Je suis certain que nous aurons l’occasion de nous reparler lorsque le projet de loi C-13 sera étudié autour de cette table.

Mme Roy : Merci de votre intérêt.

Le président : Nous en sommes au deuxième groupe de témoins de notre séance. Nous accueillons deux témoins : d’abord, du Réseau de développement économique et d’employabilité (RDÉE Canada), Mme Roukya Abdi Aden, gestionnaire, Concertation nationale en développement économique et en employabilité. Bienvenue parmi nous, madame. Nous accueillons également M. Martin Normand, directeur de la recherche stratégique et des relations internationales de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne. Merci d’être parmi nous. Nous allons tout de suite entendre vos déclarations, en commençant par Mme Abdi Aden. Madame, la parole est à vous.

Roukya Abdi Aden, gestionnaire, Concertation nationale en développement économique et en employabilité, Réseau de développement économique et d’employabilité : Merci, monsieur le président. J’aimerais tout d’abord remercier les membres du comité de nous donner cette occasion de vous faire part de quelques constats et enjeux reliés à l’immigration économique au sein des communautés francophones et acadienne.

D’emblée, je peux vous dire que RDÉE Canada et son réseau confirment que l’immigration francophone revêt une importance capitale pour la reprise et la croissance économiques, pour le développement et le renforcement de nos communautés.

Comme hier et comme aujourd’hui encore, nous faisons face à une réalité qui nous bouscule et qui ne nous laisse pas d’autre choix que celui d’agir au plus vite en tant que nation. Cette réalité est la suivante : presque 100 % de la croissance de la population canadienne sera attribuable à l’immigration au cours des prochaines années.

En effet, comme moi, je suis sûre que la plupart des personnes présentes aujourd’hui sont au fait des premiers résultats du recensement de 2021, résultats qui ont été publiés la semaine dernière. Ces résultats ont confirmé une tendance lourde qui s’est installée depuis quelques années, à savoir une population vieillissante combinée à un bas taux de natalité. Ces deux données font en sorte que le Canada n’a pas et n’aura pas assez de main-d’œuvre sur place pour faire fonctionner le pays, redémarrer son économie et la faire croître.

Cette réalité est aussi très présente sur le terrain et est vécue par de nombreuses entreprises canadiennes que notre réseau dessert et accompagne. En effet, on observe des besoins de main‑d’œuvre et des pénuries dans presque tous les secteurs économiques, y compris des secteurs névralgiques dans les communautés francophones. M. Dupuis et Mme Roy les ont mentionnés : il s’agit de l’éducation, de la petite enfance et de la santé.

La pandémie de COVID-19 n’a fait qu’accentuer ces défis de main-d’œuvre qui subsistent depuis plusieurs années. J’ai participé, jeudi et vendredi derniers, à une rencontre qui portait sur la main-d’œuvre dans le secteur du tourisme. C’est le même constat. Il n’y aura pas une réelle reprise dans ce secteur tant que la pénurie de main-d’œuvre persistera. Aujourd’hui, la majorité des barrières sanitaires ont été levées au pays, mais la plupart des entreprises touristiques, que ce soit des hôtels ou des restaurants, ne peuvent fonctionner au maximum de leur capacité, faute de personnel. Sur le terrain, les employeurs s’attendent à ce qu’on leur ramène des employés devant la porte dans des autobus remplis de personne qui viennent d’ailleurs. Le tourisme n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

Par ailleurs, j’aimerais vous parler de quelques défis. Je ne parlerai pas des défis liés à l’établissement et à l’intégration des immigrants francophones en tant que tels, mais plutôt de certains défis liés au recrutement et à la sélection des immigrants en général et des immigrants francophones.

Parmi ces défis, il y a le fait qu’il existe un manque d’arrimage entre les besoins réels de la main-d’œuvre au pays et les profils des candidats sélectionnés. Comme vous le savez, notre système d’immigration est très sélectif; il va chercher des personnes hautement qualifiées, mais qui ne répondent pas toujours aux besoins du marché du travail. Qu’est-ce que cela crée comme situation sur le terrain? Des employeurs qui n’ont toujours personne à embaucher et des immigrants déçus, sous-employés ou au chômage.

Un autre défi majeur qui touche le recrutement est la difficulté pour les employeurs canadiens de naviguer à travers le système d’immigration. Nous avons travaillé avec une caisse populaire dans le Nord de l’Ontario, et je peux vous dire qu’il leur a fallu deux mois, seulement pour remplir le formulaire en ligne, à cause des difficultés qu’ils ont éprouvées. De plus, ils ne recevaient aucune réponse lorsqu’ils essayaient de voir comment s’en sortir. À cela s’ajoutent les délais dans le traitement des demandes, qui sont devenus extrêmement longs en raison de la pandémie. En effet, un employeur qui fait une demande aujourd’hui doit attendre presque 12 mois pour que l’employé sélectionné arrive au Canada.

Je dois cependant reconnaître qu’il y a eu des progrès. Plusieurs mesures ont été mises en place au cours des dernières années pour favoriser l’immigration francophone. Toutefois, force est de constater que ces mesures sont insuffisantes et qu’il faudrait des mesures plus draconiennes pour renverser la vapeur. En 2002, le commissaire aux langues officielles a publié une étude qui indiquait que l’immigration au Canada défavorisait la francophonie. Pour utiliser une métaphore, à ce moment-là, on parlait d’un feu qui a commencé à prendre dans la forêt. Vingt ans plus tard, le feu est réellement là et il a pris une bonne partie de la forêt. Comme on dit, aux grands maux, les grands remèdes, et c’est ce qu’il faudrait faire aujourd’hui.

Je conclurai donc avec ces quelques priorités d’action. Il est crucial de veiller à l’augmentation et à la stabilisation de la cible en immigration francophone telle qu’elle a été proposée par la FCFA. Il est crucial de veiller au renforcement économique et de soutenir l’entrepreneuriat chez les immigrants francophones. Il est important de porter une attention particulière à la régionalisation de l’immigration, et ce, afin de lutter contre les asymétries sur le plan de la répartition géographique des immigrants francophones en contexte minoritaire. Il est important d’aligner pleinement les politiques, les programmes et les services en matière de lutte contre la pénurie de main‑d’œuvre avec des politiques et des services destinés aux immigrants francophones. Il est crucial d’avoir une vision à long terme pour le renforcement démographique de nos communautés. RDÉE Canada a déposé un mémoire qui propose aussi sept recommandations qui sont basées sur ces priorités.

Je vous remercie de votre attention et je suis disposée à répondre à toutes vos questions.

Le président : Merci, madame. Nous allons maintenant donner la parole à M. Normand et nous passerons à la période des questions par la suite. Monsieur Normand, la parole est à vous.

Martin Normand, directeur, Recherche stratégique et relations internationales, Association des collèges et universités de la francophonie canadienne : Merci, monsieur le président. L’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC) regroupe les 22 établissements d’enseignement postsecondaire francophones ou bilingues situés dans huit provinces canadiennes. Notre plan stratégique prévoit le développement d’initiatives structurantes favorisant le recrutement et la formation d’une clientèle internationale. Pour ce faire, notre action s’articule autour de trois volets : le positionnement de notre réseau d’établissements sur les marchés et auprès de partenaires potentiels; la participation à des activités de recrutement; la sensibilisation des institutions fédérales.

Mon allocution d’aujourd’hui puise dans ces trois volets pour vous parler de trois grands défis que doivent affronter nos établissements membres.

Premièrement, notre réseau d’établissements doit composer avec un taux de refus très élevé des demandes de permis d’études d’étudiants internationaux francophones, principalement ceux qui proviennent de pays africains. Le taux de refus d’un permis d’études à des candidats francophones provenant de pays africains oscille autour de 80 % dans la plupart de nos établissements.

L’une des raisons fréquemment données par le gouvernement canadien pour rejeter des demandes de permis d’études est que la personne qui a fait la demande n’a pas réussi à convaincre un agent qu’elle a l’intention de quitter le Canada à la fin de ses études. L’utilisation répétée de cette raison pour refuser des permis d’études n’est pas du tout cohérente avec l’ambition du Canada de retenir au pays la clientèle internationale, et cela nuit à ses efforts en vue d’atteindre la cible en matière d’immigration francophone.

Toutefois, un autre facteur doit être ajouté à cet enjeu : le fait que les établissements francophones hors Québec sont méconnus au sein de l’appareil public. Des établissements nous ont rapporté que des demandes de permis d’études ont déjà été refusées parce que l’agent évaluant le dossier ne considérait pas que le fait de vouloir étudier en français à l’extérieur du Québec constituait un parcours légitime, ou encore parce que des candidats ont été encouragés à revoir leur choix d’établissement. Nous poursuivons le travail afin de mieux faire connaître notre réseau d’établissements, notamment auprès du personnel d’IRCC et d’Affaires mondiales Canada, tant au Canada qu’à l’étranger.

Deuxièmement, les établissements offrent de nombreux services à la clientèle internationale pour l’appuyer dans son parcours scolaire. Il s’agit donc d’une contribution importante des établissements visant à retenir les membres de cette clientèle jusqu’à la fin de leur parcours d’étude.

Les barrières systémiques auxquelles les étudiants internationaux doivent faire face sont nombreuses. C’est pourquoi plusieurs établissements agissent déjà pour faciliter la création de liens entre la clientèle internationale et les communautés, ce qui représente l’une des clés d’une intégration éventuelle réussie. Pour que le souhait de retenir cette clientèle au Canada se concrétise, il faut imaginer une approche systémique qui conçoit le parcours des étudiants internationaux francophones comme un projet de société où des liens se créent entre les établissements d’enseignement, les organismes de services communautaires, les employeurs et l’ensemble de la communauté.

Troisièmement, il y a de bonnes raisons d’investir dans ces efforts. Plus de 90 % des étudiants internationaux qui ont répondu à une enquête que nous avons commandée ont l’intention de chercher un emploi au Canada après avoir terminé leur programme d’études, et 62 % d’entre eux ont affirmé que l’appui reçu par leur établissement tout au long de leurs études a contribué à leur décision de rester au Canada.

Il s’agit là d’un bassin important de candidatures potentielles à la résidence permanente qui peut contribuer à tendre vers la cible en matière d’immigration francophone, mais encore faut-il que les interventions gouvernementales prennent ce bassin en compte.

Les établissements postsecondaires consacrent beaucoup de ressources à faire en sorte que leurs diplômés disposent des compétences requises pour rester au Canada et pour combler des besoins criants en main-d’œuvre. Il ne faut pas que ces efforts soient vains si les délais de traitement, par exemple, nuisent aux projets des diplômés de rester au Canada.

Les établissements postsecondaires en contexte francophone minoritaire consacrent beaucoup de temps et d’efforts à recruter, accueillir, former, retenir et accompagner la clientèle étudiante, mais les établissements font toujours face à des défis et à des risques qui relèvent des instances gouvernementales fédérales. Ces instances doivent être encouragées à adopter diverses mesures positives visant à appuyer les établissements postsecondaires dans leurs efforts en vue de contribuer directement au recrutement d’étudiants internationaux et à l’accroissement de l’immigration francophone.

C’est pourquoi nous formulons deux recommandations aujourd’hui.

Premièrement, que le Bureau du Conseil privé, avec Affaires mondiales Canada, IRCC et d’autres ministères concernés par la question, voit à la mise en place d’une approche cohérente et systémique afin d’assurer l’égalité réelle dans le traitement, par le gouvernement canadien, des demandes d’étudiants internationaux qui veulent étudier en français dans les établissements postsecondaires en contexte francophone minoritaire.

Deuxièmement, qu’une politique fédérale en matière d’immigration francophone, telle que prévue dans le projet de loi C-13, soit pangouvernementale et qu’elle traite des enjeux relatifs au parcours de la clientèle internationale des établissements postsecondaires en contexte francophone minoritaire.

Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Normand.

Nous allons passer à la période des questions.

Le sénateur Dagenais : Ma question s’adresse à M. Normand.

On a souvent entendu parler des immigrants qui arrivent au Canada avec des diplômes, mais qui vont souvent occuper des emplois qui n’ont rien à voir avec leurs qualifications primaires. Ils ont parfois même de la difficulté à faire reconnaître leurs compétences. Cela est probablement de nature à rebuter certaines personnes à venir chez nous. Dans quelle mesure les institutions d’enseignement pourraient-elles agir pour faciliter et surtout accélérer leur intégration au marché du travail dans leurs champs de compétences?

M. Normand : En fait, la question de la requalification ou de l’évaluation du profil de compétence des immigrants ne relève pas de nos établissements. Là où ils peuvent agir, c’est en imaginant, par exemple, des programmes de requalification, des microcertifications et des programmes complémentaires. Par exemple, une fois qu’un immigrant fait évaluer son dossier par un ordre professionnel et que certains besoins de formation complémentaire sont identifiés, nos établissements veulent agir pour offrir les formations complémentaires requises. C’est un premier volet dans lequel les établissements peuvent agir.

L’autre possibilité est que, en faisant bien connaître notre réseau d’établissements à l’étranger et en facilitant l’arrivée des candidats potentiels au Canada, tout un bassin d’étudiants internationaux se formerait au Canada. Ces étudiants pourraient avoir, à la suite de l’obtention de leur diplôme, accès au marché du travail canadien pour combler les besoins en main-d’œuvre.

Ce sont les deux rôles principaux que nos établissements pourraient jouer.

Le sénateur Dagenais : Si on veut faire des comparaisons, avez-vous des chiffres sur le nombre d’enfants d’immigrants francophones qui font des études collégiales et universitaires en français? Est-ce un chiffre supérieur ou inférieur aux enfants francophones d’ici? Est-ce que vous avez fait un suivi sur la capacité des emplois dans leurs secteurs de diplomation?

M. Normand : Je n’ai pas ces chiffres. Il faudrait faire des analyses supplémentaires et comparatives qu’on n’a pas faites jusqu’à présent.

On sait, par contre, qu’il y a des besoins en main-d’œuvre un peu partout. Mme Abdi Aden en a parlé aussi; elle est bien au fait du dossier avec son travail au RDÉE. Il y a des postes sur le marché du travail pour des personnes qualifiées qui sortent de nos établissements, il n’y a pas aucun doute là-dessus.

Le président : Merci de votre réponse, monsieur Normand.

La sénatrice Mégie : Ma première question s’adresse à Mme Abdi Aden.

Comment expliquez-vous l’écart entre la sélection des immigrants surqualifiés et les besoins réels de notre société sur le plan de la main-d’œuvre? Si on prend toujours les immigrants surqualifiés et qu’on n’essaie pas de trouver ceux qui pourraient être arrimés avec nos besoins en main-d’œuvre, je ne sais pas si cela peut fonctionner pour ce qui est du recrutement et de la rétention de ces immigrants.

Mme Abdi Aden : Comme vous le savez, on a un système d’immigration qui accorde beaucoup de points pour les diplômes et beaucoup moins pour l’expérience de travail. Par exemple, une personne qui a une maîtrise ou une licence va obtenir des points pour sa maîtrise, son doctorat ou la formation qu’elle a suivie, alors que sur le terrain, on peut avoir besoin de quelqu’un seulement pour un poste de chef cuisinier ou de conducteur de camion. Les besoins sont tellement variés sur le terrain que cela fait en sorte que la personne qu’on a recrutée chez elle parce qu’elle était diplômée voudra moins travailler. On trouve souvent des immigrants qui revoient leurs attentes à la baisse quand ils tentent de trouver une première expérience de travail. Je dirais que c’est là où réside le défi.

Si on veut un système d’immigration qui répond aux besoins du marché, il faut s’assurer de sélectionner les immigrants, non pas parce qu’ils ont coché : « Je suis jeune, j’ai obtenu des points pour le nombre d’années d’expérience dans tel domaine ou tel diplôme », mais plutôt un système qui va prendre en considération que la formation que ces gens ont suivie peut répondre aux besoins sur le terrain, mais peut aussi être transférable. Quelqu’un qui a un doctorat ou qui a été sélectionné parce qu’il était médecin ou ingénieur ne va pas toujours accepter les postes proposés sur le terrain, à moins de renoncer à ce qu’il a appris.

Comme je l’ai dit, cela crée énormément de frustration chez les candidats, car on leur dit : « Voici les postes affichés que vous pouvez occuper actuellement, peu importe la formation que vous avez suivie ou votre diplôme. » En immigration, on va cocher des cases qui vont faire en sorte que l’immigrant va venir au pays, mais le terrain va demander des types de profils qui ne sont pas forcément associés à ces gens qualifiés.

Vous connaissez toute la question de la reconnaissance des acquis, puisque vous l’avez posée. Je vous donne un exemple simple. En février, on a organisé un salon d’emploi virtuel pour faire du recrutement. Il y a une pénurie dans la francophonie en matière de petite enfance : il y a presque 2 500 postes vacants actuellement. La pandémie a dû renforcer cette pénurie; ces chiffres datent de 2019. Dans le domaine de l’éducation aussi, juste en Ontario, il y a plus de 10 000 postes qui attendent d’être pourvus dans la francophonie. Pour ce qui est de ce salon de recrutement à l’international dans des pays francophones, 12 000 personnes se sont inscrites; 4 000 personnes ont été sélectionnées parce qu’elles avaient le bon profil pour les postes recherchés, mais je ne suis pas convaincue — je n’ai pas encore les résultats — qu’elles vont venir au pays et que les employeurs qui se sont présentés pourront embaucher ces personnes directement, car il y a tout un processus de reconnaissance des acquis par lequel on doit passer.

Je vous ai parlé de la question des délais de traitement qui ont empiré durant la pandémie. Je parlais tout à l’heure d’une caisse populaire dans le Nord de l’Ontario qui a dit : « J’ai besoin de 90 employés, mais je ne peux pas attendre un an pour recevoir ces personnes. J’ai besoin de ces gens tout de suite, au cours des deux prochains mois. » Ils ont pris deux mois seulement pour remplir les formulaires et entrer dans le système la demande qu’ils voulaient formuler. On peut observer ces défis sur le terrain actuellement par rapport à la question du recrutement.

La sénatrice Mégie : Je voulais avoir des précisions sur l’incongruité de certains éléments. Quelqu’un peut cocher une case pour dire qu’il a une maîtrise, un doctorat et tout ça, mais après cela, le diplôme n’est pas reconnu. C’est un cul-de-sac. Est-ce qu’il y a un organisme ou quelqu’un qui pourrait parler à un organisme pour voir comment on pourrait planifier ou réorganiser les choses pour qu’il n’y ait plus cette incongruité? Je le sais, parce que je suis une médecin immigrante francophone, donc je sais comment ça fonctionne. Ce que vous avez dit ne m’étonne pas. Est-ce qu’il y a quelqu’un qui peut réparer cela?

Mme Abdi Aden : Ça fait 20 ans que je suis au Canada et que j’entends cette question. Il faut un mouvement de la part des ordres professionnels. Il faut qu’ils bougent eux aussi. Je sais que le gouvernement fait des efforts. Je ne sais pas si vous venez du Québec, mais savez-vous qu’il y a quelques années, le Québec a conclu une entente avec la France pour pallier certaines barrières qui existaient? Pourtant, malgré cela, ces barrières persistent. J’ai entendu parler d’un médecin français qui avait travaillé 20 ans en France et qui avait sa propre clinique, après avoir passé la première barrière de reconnaissance des acquis, devait faire un stage. Il fallait qu’il aille dans le système et il avait du mal à trouver un professionnel de la santé qui pouvait le prendre sous son aile, parce qu’il n’y en a pas assez. Il attendait encore de trouver un endroit où il pouvait faire un stage pour être capable de faire balancer la situation. Je sais que c’est un défi. On peut considérer la situation actuelle comme étant soit une possibilité, soit une façon de s’enfoncer encore plus. On a des problèmes de pénurie dans presque tous les secteurs. Vous avez vu notre système de santé, qui a été énormément mis à mal avec la pandémie et qui a besoin de se relever. On ne peut pas, seulement avec la population au Canada, former toutes les personnes dont on a besoin; il faut des gens qui viennent de l’extérieur.

Si on ne fait pas les efforts nécessaires, le système continuera de s’écrouler encore plus. Il y a des besoins partout. Il faut un geste de la part des employeurs. Les employeurs au Canada s’attendent à ce qu’on leur amène les personnes devant la porte. Eux-mêmes ne font pas nécessairement des efforts. Ils s’attendent à ce que les choses arrivent comme ça. Donc, je pense que comme nation, on a un travail à faire aujourd’hui. Soit on utilise le contexte actuel pour dire qu’on va faire les choses autrement, soit on continue comme on le fait et on va encore parler des défis dont on parle depuis quelques années dans 10 ans.

La sénatrice Gagné : Merci beaucoup. C’était intéressant, ce discours autour des ordres professionnels. Comme j’ai travaillé dans une université pendant plusieurs années, je peux vous dire qu’on en parlait il y a 20 ans et qu’on en parle encore aujourd’hui. J’espère qu’on n’en parlera pas encore dans 10 ans. C’est un problème complexe, mais il faut s’y attaquer. Sinon, on ne pourra pas atteindre nos cibles. Le document de réforme des langues officielles annonçait un corridor d’immigration francophone. Je me suis demandé si ce corridor a été établi depuis qu’on a annoncé sa mise sur pied. Je sais que l’ACUFC a dit l’an dernier qu’elle voulait être partie prenante à la réalisation du nouveau corridor en immigration francophone, qui visait à soutenir la formation et le recrutement d’enseignants francophones et de professeurs de français. Je me demande si vous avez été consultés à ce sujet et s’il y avait d’autres secteurs — on a parlé du secteur de la santé — qui pourraient assurer une formation complémentaire qui pourrait être considérée dans le cadre de ce corridor.

M. Normand : Merci, madame la sénatrice. En effet, ce corridor d’immigration francophone en éducation figurait dans le document de réforme. On a aussi entendu qu’il y a de l’appétit pour un corridor dans le domaine de la santé. Depuis l’annonce, rien n’a bougé sur ce plan. On a fait des démarches et on a discuté de ce corridor, car on a intérêt à participer à des initiatives qui permettraient de faire l’implantation de ce corridor. Jusqu’à présent, nous n’avons pas été consultés sur sa mise en place.

Mme Abdi Aden : Je vous ai parlé tout à l’heure d’un semblant de corridor. Il y a eu un salon de recrutement en éducation à la petite enfance avec l’ambassade du Canada à Paris et d’autres missions pour essayer de recruter des enseignants de français pour les écoles francophones, mais aussi pour les écoles d’immersion ainsi que pour des écoles de langues en français. La demande est là. Je peux vous dire que si demain on ouvre le Canada à certains candidats francophones, on ne manquera pas de demandes et de profils. Il y a eu 12 000 personnes qui se sont inscrites pour le salon et qui provenaient de différents pays de la francophonie, et 4 000 ont été sélectionnées. On a pu voir les profils demandés.

Le problème qui se pose, c’est qu’une fois qu’on a mis en contact les employeurs et les candidats, il y a une question de reconnaissance des acquis et de traitement des demandes. Si un employeur veut recruter une personne formée en petite enfance, il faut s’attendre à des délais. Il y a des semblants d’actions qui ont été mises en place, mais y a-t-il à proprement parler un corridor qui sera pris en considération? Il ne suffit pas d’organiser un salon de l’emploi pour faire des annonces sur les employeurs au Canada et les besoins en postes, ainsi que pour recruter les candidats et essayer de les agencer à des postes; il faut régler d’autres défis qui vont se présenter en cours de route et s’assurer que tout soit prêt afin de concrétiser les choses et de faire venir des gens capables de travailler dans nos écoles, dans nos garderies, mais aussi dans le système de l’immersion, car il y a beaucoup de besoins aussi dans les écoles d’immersion.

La sénatrice Moncion : Je voudrais parler des différentes professions. Ce protectionnisme existe présentement au Canada entre provinces. Si on parle du domaine de l’éducation, par exemple, je ne sais pas si c’est encore comme ça aujourd’hui, mais les compétences que l’on exigeait pour enseigner au Québec étaient différentes de celles qu’on demandait en Ontario. Il y avait continuellement un combat entre les deux provinces pour savoir si les professeurs qui travaillaient dans une province avaient des compétences reconnues dans l’autre, et vice versa.

Si ce cadre interprovincial de reconnaissance d’acquis existe, j’imagine le problème, quand on va recruter des gens à l’échelle internationale, doit être encore pire, puisqu’il n’y a pas de reconnaissance des acquis comme telle. Cela signifie que même si on faisait du recrutement à l’étranger, ces gens arrivent ici et se heurtent à un mur de protectionnisme. J’aimerais vous entendre sur le cadre de l’immigration, mais aussi sur la complexité du travail par rapport à cet enjeu qui existe dans les collèges et les universités.

M. Normand : En effet, il y a de grands problèmes liés à la mobilité et aux ordres professionnels. C’est un dossier que l’ACUFC étudie depuis des années. Par exemple, il peut y avoir une absence de formation en français dans des domaines spécifiques dans une province. Un étudiant peut décider d’aller dans une autre province et ne plus pouvoir pratiquer son métier dans sa province d’origine, parce que sa formation dans la province voisine n’est pas reconnue par sa province. Ce sont de grands défis avec lesquels nos établissements doivent composer et avec lesquels les milieux de stage doivent composer aussi. Cela peut représenter un défi de faire faire un stage à des étudiants dans un contexte comme celui-là. On sait aussi que, la plupart du temps, un étudiant va pratiquer son métier là où il y a des stages et là où il a réalisé son dernier stage.

S’il doit être mobile et exercer son métier à l’extérieur de sa province, il y a de fortes probabilités qu’il y reste et qu’il ne revienne pas dans sa province. Cela occasionne beaucoup de difficultés pour le recrutement et le maintien d’une main‑d’œuvre qualifiée dans les provinces et les territoires.

Ajoutez à cela la reconnaissance d’acquis obtenus à l’étranger et la possibilité qu’une personne doive suivre une formation complémentaire une fois arrivée au Canada pour pratiquer son métier, cela peut être nécessaire malgré tout dans certains cas. À ce moment-là, si une personne veut s’installer dans une province en particulier, elle doit suivre une formation complémentaire dans une autre province et elle peut se heurter encore au même obstacle. La question des ordres professionnels doit faire partie de la discussion pour ce qui est de la reconnaissance des acquis. Nos établissements veulent être présents quand des discussions auront lieu, parce que cela aura un impact sur leur recrutement et sur la rétention des étudiants, ainsi que sur la prestation des programmes de formation.

Mme Abdi Aden : Je tiens à reconnaître l’existence de ce défi. Quand on apprend à travailler à l’international, on doit dire aux gens quelle est la réalité qui les attend.

Pour cela, en février, on avait préparé un guide pour ceux qui veulent exercer la profession d’enseignant, mais il fallait le faire par provinces et territoires. Imaginez quelqu’un qui veut immigrer ici et qui se dit : « Très bien, si je veux aller dans telle province, il faut cela, et je peux aller dans l’autre province. » Quel casse-tête cela doit-il représenter pour une personne qui n’habite pas au Canada et qui veut y immigrer! Elle se demande : « Mais comment est-ce que cela fonctionne dans ce pays, chaque province et territoire a ses propres règles? Je ne suis peut-être pas sûr de l’endroit où je veux aller exactement, il y a peut-être trois provinces qui m’intéressent, mais il y a trois différents éléments à considérer. » Je vous laisse avec ça.

La sénatrice Moncion : Souvent, ils ne connaissent pas la composition de notre pays, alors ils ne comprennent pas ces fameuses barrières entre les provinces.

Ma prochaine question touche le recrutement ciblé. Je sais que certaines entreprises peuvent — et ce, même en médecine — aller chercher des spécialistes reconnus mondialement, les amener au Canada et les parrainer, afin d’éviter qu’ils passent par toute la panoplie de remises en question de leurs compétences et pour qu’ils puissent occuper des postes importants ici au Canada. On le voit souvent dans le milieu scientifique. Je vais faire attention à ma question à cause de ce que vous disiez tantôt en tant que rectrice. Même pour aller chercher des professeurs qui ont des compétences spécifiques pour venir au Canada, on est capable, comme employeur, de parrainer certaines de ces personnes.

Vous parliez des caisses populaires, qui ne sont pas nécessairement des milieux de grand prestige, mais on sait que les employeurs peuvent aller chercher eux-mêmes des gens et les parrainer. Quel genre d’attrait a ce genre de système pour les employeurs, et comment en fait-on la promotion, que ce soit sur le plan des universités ou du développement économique?

Mme Abdi Aden : Je peux vous dire que quand on est une grande entreprise ou qu’on est assez bien nanti, on peut le faire. Il y a des exemples; je sais que certaines grandes entreprises vont dans des pays faire leur propre recrutement, et qu’elles font abstraction de certaines choses. Cependant, la réalité canadienne est que beaucoup de nos employeurs sont de petites ou moyennes entreprises. Je peux vous dire que, sur le terrain, il y en a qui préfèrent fermer leurs portes plutôt que de se lancer dans une mission de recrutement international, tellement cela leur fait peur. Ils se disent qu’ils n’ont pas les moyens ou qu’ils n’ont pas le temps, et ils ne veulent pas faire toutes ces démarches.

Il y a donc le fait que seules les entreprises qui ont les moyens ou qui ont les ressources nécessaires pour entreprendre ce genre de chose peuvent le faire, et je pense que rien n’est impossible. Dans les prochaines années, ce ne sera pas seulement les ordres de gouvernement, mais aussi les employeurs et tout le monde qui devra bouger et faire un pas. Quand on est dans le besoin, on n’est pas dans le luxe et on ne doit pas demander beaucoup de choses. Soit on ferme boutique et on ne peut plus continuer, soit on fait certains efforts pour être en mesure d’atteindre les objectifs et les cibles qu’on s’est fixés.

Il se peut qu’on se heurte à certaines situations et à une entreprise qui est gérée par une personne qui a peut-être besoin d’une ou deux personnes. Elle n’est peut-être pas prête à faire tous les efforts requis pour aller recruter à l’international, à faire toutes les démarches et même à faire abstraction de certains éléments.

Je peux vous dire que tout est possible; quand on est dans le besoin, tout est possible. Il est important de signaler tout cela, je pense qu’il y a beaucoup de sensibilisation à faire, et aussi énormément de promotion. Il faut aussi se servir de certains témoignages d’entreprises qui ont fait cet exercice pour montrer aux autres que c’est possible de le faire. « Il faut le faire et si c’est nécessaire, vous pouvez le faire aussi. »

M. Normand : Vous parlez de recrutement ciblé. Évidemment, nos établissements font du recrutement d’un autre ordre et s’adressent à la clientèle internationale, mais je vous rappelle le taux de refus des permis d’études sur le plan du recrutement ciblé.

Nous, ce qu’on a appris de la part de certains de nos établissements, c’est que, en raison des efforts que cela représente, certains établissements ont cessé de faire du recrutement, notamment dans certains pays africains. En effet, ils y investissaient temps et ressources en pure perte, sachant d’avance que 100 % des demandes de permis d’études de certains pays sont refusées. Dans un contexte où l’on cherche à créer des bassins pour accroître éventuellement la promotion de l’immigration francophone au Canada, et quand on sait que les établissements cessent de faire du recrutement dans certains bassins, cela devrait encourager l’appareil fédéral à trouver des façons de corriger ce problème important.

La sénatrice Clement : Il y a tellement de choses à dire ici. Madame Aden, j’aime quand vous dites que c’est « le temps des grands remèdes ».

Je veux juste faire un commentaire sur les ordres professionnels, juste pour faire un suivi aux questions de la sénatrice Moncion. C’est vrai que c’est un milieu fermé, mais je me demande également s’il n’y a pas un racisme systémique à l’intérieur de ces ordres professionnels. Je me demande qui gère ces places. Est-ce que ce sont des gens qui reflètent vraiment les expériences vécues? Je me pose la question, parce que je pense qu’il faut aller plus loin que dire que c’est compliqué. Il y a un problème quelque part, et on devrait vraiment avoir plus de conversations à ce sujet.

Madame Abdi Aden, vous avez parlé de l’entrepreneuriat chez les immigrants; pouvez-vous aller plus loin dans votre pensée? On a parlé des employeurs, de petits employeurs, mais vous avez mentionné plus spécifiquement l’entrepreneuriat.

Mme Abdi Aden : Oui, absolument. Comme on dit, il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Le Canada est un pays où... Oui, il y a le marché du travail traditionnel, mais on a aussi beaucoup d’entreprises au Canada. Il y a des gens qui préfèrent monter leur entreprise plutôt que de travailler pour quelqu’un. De plus, économiquement, le Canada est dans une situation où beaucoup de nos entreprises et les personnes qui les gèrent sont proches de la retraite. Je parle toujours d’entrepreneuriat, puis je dis qu’il faut expliquer aux immigrants qu’on n’est pas toujours obligé de travailler pour quelqu’un et qu’on peut être son propre patron. Il y a plusieurs possibilités qui s’offrent à eux. Ils peuvent créer leur propre entreprise; on peut leur montrer les occasions d’affaires, leur dire qu’il y a des entreprises dans notre région qui ont besoin d’être reprises et leur demander si cela les intéresse.

Nous organisons depuis deux ans ce qu’on appelle des concours d’entrepreneuriat avec des immigrants. Pendant trois jours de travail, on leur expose toute la question de l’entrepreneuriat pour qu’ils cheminent avec leur idée d’entreprise. On essaie de cultiver cela aussi et on essaie de faire naître cette voie chez les immigrants.

Vous savez, en 2019, avant la pandémie, la BDC avait publié un rapport indiquant que beaucoup d’immigrants préfèrent se lancer en affaires, parce qu’ils avaient peut-être une entreprise chez eux ou qu’ils ont un esprit entrepreneurial.

Je pense qu’il est important d’offrir cette possibilité et de soutenir l’entrepreneuriat des immigrants francophones pour reprendre des entreprises. Plusieurs petites entreprises francophones vont fermer dans quelques années. On pourrait leur proposer cette possibilité. Évidemment, plusieurs défis sont liés à l’entrepreneuriat et on essaie de trouver des solutions. À mon avis, c’est une voie qu’il faut présenter aux immigrants avant même qu’ils arrivent au Canada et peut-être même une fois qu’ils sont ici. Il faut leur ouvrir ces portes, car certaines personnes seraient sûrement prêtes à poursuivre dans cette voie.

La sénatrice Clement : Monsieur Normand, vous avez mentionné que des agents considèrent que nos institutions postsecondaires francophones ne sont pas légitimes ou sont moins bien perçues. Y a-t-il eu des plaintes formelles qui ont été déposées? Que doit-on faire à ce sujet? C’est un scandale d’entendre de telles choses. Il y a aussi le refus des demandes qui viennent de pays africains. Encore une fois, ces demandes font‑elles l’objet de plaintes ou d’actions? Ces deux questions me semblent urgentes. Que faire?

M. Normand : Une de nos recommandations vise le Bureau du Conseil privé. On a parlé rapidement, avec le groupe de témoins précédent et la FCFA, du système Chinook, qui a beaucoup fait parler dans la presse au cours des derniers mois. On sent qu’il y a une modification depuis l’implantation de ce système il y a deux ou trois ans. Dans nos établissements, le problème du taux de refus des permis d’études est identifié depuis au moins 15 ans. Plusieurs instances gouvernementales ont été interpellées à cet effet, dont IRCC en premier lieu. Affaires mondiales Canada joue un rôle dans le recrutement international, notamment en supervisant la marque ÉduCanada, qui est utilisée pour faire la promotion des établissements postsecondaires à l’échelle internationale. Après une quinzaine d’années de plaintes auprès de ces instances, nous croyons qu’il faut s’adresser ailleurs, à des échelons supérieurs, et lancer un message du haut de l’appareil public pour dire qu’il faut régler ce problème rapidement. Nos établissements nous le disent. Sur le plan des actions à l’échelle internationale, la question du taux de refus des permis d’études des étudiants africains est leur priorité.

Les données sont limitées pour bien comprendre ce phénomène, parce que les établissements ne sont pas mis au courant des refus des demandes de permis d’études. La seule façon pour eux de savoir qu’il y a un problème, c’est si la personne à qui ils ont fait une offre d’admission ne s’inscrit pas et ne se trouve pas sur les bancs d’école en septembre. C’est comme cela qu’ils savent qu’un permis d’études a été refusé, à moins que l’étudiant fasse une démarche auprès de l’établissement pour essayer de comprendre les raisons du refus.

La sénatrice Clement : Il n’existe aucun réseau de communication entourant ce processus?

M. Normand : Non. Les établissements ne sont pas mis au courant des décisions rendues par les agents d’IRCC. Il y a aussi un manque d’accès aux données. On peut avoir des données brutes, mais c’est difficile. Nos pistes reposent sur des témoignages qui peuvent être anecdotiques. Toutefois, ces témoignages s’additionnent. Ils ont des répercussions sur le terrain. C’est à la fois la réputation du Canada comme destination internationale et la réputation de nos établissements qui sont mises à mal quand les étudiants sur le terrain envoient le message qu’il est difficile d’aller étudier en français hors Québec.

La sénatrice Clement : Merci.

Le président : Je vais à mon tour vous poser une question qui fait suite à celle de la sénatrice Clement. Elle concerne l’accompagnement des immigrants, que ce soit les étudiants étrangers ou les immigrants économiques. Je me questionne souvent sur la dimension et les enjeux culturels d’intégration et d’accompagnement, par exemple, des immigrants et des étudiants étrangers. J’ai constaté, dans certains milieux universitaires, que l’on assiste à une espèce de ghettoïsation de certaines populations immigrantes ou étudiantes qui se regroupent entre elles et qui n’ont pas vraiment de relations approfondies, établies et constantes avec la population locale.

À votre avis, quels facteurs contribueraient à favoriser une meilleure intégration et un meilleur accompagnement?

Je suis issu du secteur des arts et de la culture. En pensant à cette politique d’immigration francophone que le gouvernement fédéral entend mettre en place, je me demande si on doit tenir compte de ce secteur en particulier, qui est une passerelle culturelle, dans nos stratégies d’accompagnement et de rétention des étudiants étrangers ou des immigrants économiques. Vous pouvez répondre l’un et l’autre.

M. Normand : Je commencerai en disant que c’est la raison pour laquelle nous réclamons une politique en immigration francophone qui serait pangouvernementale. Une politique d’immigration francophone ne doit pas se cantonner à IRCC. Plusieurs acteurs doivent agir en matière d’immigration francophone. Dans le cas des établissements, le champ d’action va du recrutement à l’étranger à l’accompagnement vers la demande de résidence permanente. Nos établissements ont amélioré les services qu’ils offrent aux étudiants internationaux. Il n’y a pas très longtemps que l’on voit une clientèle internationale dans nos établissements, qui sont plus petits et sont parfois situés en milieu rural ou éloigné. On n’y voit pas une aussi longue tradition d’accueil des étudiants internationaux que pour les grands établissements anglophones. Les services continuent de se développer. Toutefois, il doit se faire un meilleur maillage avec les communautés. D’ailleurs, la FCFA y a fait allusion un peu plus tôt. Comme les étudiants sont considérés comme des résidents temporaires, il y a certains services dans les communautés auxquels les étudiants n’ont pas accès. En améliorant le maillage entre les établissements, les services d’accompagnement des étudiants internationaux et les communautés, on sera en mesure de faciliter leur intégration, mais aussi de les raccrocher et les convaincre de rester au Canada et dans les communautés francophones à la fin de leurs études.

Mme Abdi Aden : Je rejoins tout à fait ce que M. Normand a dit. En matière d’immigration, il est essentiel d’avoir un volet d’intégration culturelle. Il faut également favoriser une communauté diversifiée. On parle d’une communauté diversifiée inclusive. Il faut être capable de favoriser le dialogue entre ceux qui viennent au pays et ceux qui les accueillent. Je pense que c’est là un élément essentiel. On pourrait devenir un exemple de façon générale par rapport à tout le pays.

Donc, oui, c’est un point important de l’immigration francophone.

Le président : Ma deuxième question, je devrais peut-être la poser au ministre Fraser. Sur cet enjeu des demandes, si je comprends bien, les étudiants étrangers font des demandes de résidence permanente après leurs études. Cela représente un motif de refus pour l’obtention d’un permis d’études. S’ils ne confirment pas qu’ils veulent retourner dans leur pays, ils risquent de ne pas obtenir de permis d’études. Est-ce en partie en raison des ententes bilatérales entre nos pays respectifs? En d’autres mots, on accueille des personnes de pays d’Afrique pour qu’elles viennent poursuivre leurs études ici. Le pays d’où ces personnes sont originaires souhaite que l’étudiant retourne dans son pays avec une expertise. À votre avis, est-ce l’un des facteurs qui fait en sorte qu’IRCC refuse des permis d’études?

M. Normand : Merci de la question, monsieur le sénateur. Ce qu’on entend de la part d’IRCC, notamment, c’est la question de la double intention. C’est ce qui ressort du discours d’IRCC. On veut éviter que, dans certains cas, des étudiants et des étudiantes potentiels déposent des dossiers auprès d’établissements et que, après quelques mois de fréquentation, ces étudiants utilisent le prétexte qu’ils sont maintenant au Canada pour demander la résidence permanente avant la fin de leurs études. Voilà un des enjeux qui inquiète. Évidemment, nos établissements sont vigilants à cet égard et ont des processus rigoureux quand vient le temps de présenter des offres d’admission aux étudiants internationaux. C’est pourquoi nous nous inquiétons, dans le contexte où nos établissements et notre association mènent des activités de recrutement à l’international, du fait que l’on fasse la promotion de la possibilité de rester au Canada après la fin des études.

Je donne une série de webinaires à l’étranger organisés par les bureaux d’IRCC dans les ambassades canadiennes. À la fin de ma présentation, j’explique qu’il est possible de demander un permis de travail après avoir obtenu un diplôme et de faire éventuellement une demande de résidence permanente. Après quoi, IRCC explique le processus pour obtenir la résidence permanente. Dans un contexte où tant nos établissements qu’IRCC font la promotion de la possibilité de rester au Canada dans les activités de recrutement, il est normal que certains d’entre eux remplissent leur demande de permis d’études en laissant transparaître leur espoir de rester au Canada et qu’ils s’attendent à pouvoir le faire.

Voilà où cela devient un problème de cohérence, et un enjeu plus global qui dépasse IRCC. C’est vraiment à l’égard de l’organisation de ce système et dans la conception que l’on a de la contribution des étudiants étrangers à l’écosystème canadien qu’il faut agir.

La sénatrice Moncion : Votre question allait justement dans le même sens où j’allais. Les collèges et les universités, qu’ils soient anglophones ou francophones, font beaucoup de recrutement à l’international parce que cela leur permet de rentabiliser leurs opérations et plus ça va, plus on voit certains établissements se financer grâce à des gens qui viennent de l’extérieur. Que faites-vous pour aider ces personnes à rester au Canada? Dans vos processus de recrutement, vous dites que vous utilisez cet aspect de vente pour inviter les gens à venir étudier au Canada. Vous leur dites aussi qu’ils pourront possiblement rester au Canada, alors que, quand ils présentent une demande pour venir étudier ici par l’entremise du programme Chinook... Quand on regarde l’information et que l’on constate que 80 % des demandes sont refusées dès la présentation de la demande, on se rend compte que vous réussissez quand même à aller chercher des étudiants. Vous réussissez quand même à rentabiliser vos établissements, donc il y a un lien qui ne se fait pas pour ce qui est de la rétention et pour ce qui est de trouver des manières de les garder ici par la suite.

M. Normand : Merci, madame la sénatrice. Je vous dirais que plusieurs de nos établissements offrent des services pour accompagner les étudiants qui vont faire leur demande, d’abord la demande de permis de travail après l’obtention de leur diplôme et peut-être éventuellement une demande pour la résidence permanente. Il y a une partie de ce travail qui se fait à l’extérieur de nos établissements. En effet, une fois diplômés, les étudiants ne sont plus du ressort de nos établissements, alors nous n’avons pas toujours des données précises. Par contre, ce que notre étude a démontré, comme je vous le disais d’entrée de jeu, c’est que plus de 60 % des étudiants qui sont restés au Canada à la fin de leurs études ont donné, comme raison principale de leur choix de rester au Canada, les services qu’ils ont reçus dans nos établissements.

C’est pour cette raison qu’il faut que nos établissements soient forts et agiles et qu’ils aient les capacités requises pour offrir les services auxquels la clientèle internationale s’attend pour être en mesure de la retenir. Si nos établissements ne peuvent le faire, d’autres disposent de beaucoup plus de ressources et ont une plus grande marge de manœuvre pour attirer, retenir et accueillir cette clientèle étrangère. Vous l’avez dit, dans certains cas la clientèle étrangère vient remplir les coffres des établissements qui sont à la recherche de revenus autonomes. Quand nos établissements francophones ne sont pas capables de compétitionner au même niveau que les établissements anglophones, il y a un fossé qui se creuse. Veut-on vraiment un système d’enseignement postsecondaire qui doit reposer sur les revenus provenant de la clientèle étrangère pour survivre? C’est un débat beaucoup plus large que celui que l’on tient aujourd’hui, mais il fait partie de la réflexion sur la structure de revenus de nos établissements. C’est peut-être injuste, d’une certaine façon, de faire reposer le poids de la survie de nos établissements sur une clientèle étrangère.

La sénatrice Moncion : Je suis tout à fait d’accord avec vous. On sait qu’il y a des collèges et des universités francophones au Canada. Dernièrement, à Ottawa, une somme assez importante a été octroyée à la Cité collégiale pour qu’elle continue son recrutement à l’étranger. Ces programmes ou ces initiatives ont quand même un certain succès. Est-ce qu’il existe un lien entre ces programmes de recrutement et IRCC, où l’on peut aller chercher de l’information sur la Cité collégiale, par exemple, au sujet des finissants, pour qu’IRCC utilise ces informations pour aider les gens qui font une demande de résidence permanente, ou s’agit-il de processus parallèles, et il n’y a pas de vases communicants?

M. Normand : Je ne peux pas vous dire précisément si ce type de relation entre les établissements existe, mais je peux vous dire que ce sont des systèmes qui fonctionnent en parallèle. Il n’y a pas de doute. Il y a peu de liens entre les établissements et IRCC; il existe des projets pilotes, des initiatives et des communications, mais les processus d’obtention de la résidence permanente... D’ailleurs, une fois que les étudiants sont diplômés, ils ne sont plus dans nos établissements et aucun lien naturel ne s’établit. C’est la raison pour laquelle il faudrait imaginer des processus plus transparents où il y a un échange des données de part et d’autre, pour que les établissements connaissent mieux les motifs de refus et puissent ajuster leur message ou même leur formation pour qu’en fin de compte, les étudiants diplômés disposent de tout ce dont ils ont besoin pour en être mesure d’obtenir leur résidence permanente.

Le président : Merci beaucoup. Je vais poser une dernière question, puisqu’on a encore quelques minutes, à Mme Abdi Aden. Vous avez une plateforme qui s’appelle Connexion internationale de Montréal, dans laquelle se trouve un guide. Vous faites aussi des tournées d’ambassades pour permettre aux employeurs de faire du recrutement. J’ai lu quelque part que les employeurs souhaitent avoir un accès direct aux banques de candidatures. Pouvez-vous nous dire comment une politique en immigration francophone... Comment le gouvernement fédéral peut-il, par l’entremise de cette politique, vous aider à améliorer les initiatives que vous avez mises en place? Pourriez-vous nous parler brièvement de cette initiative, si elle a du succès, et nous dire comment une politique pourrait vous aider à améliorer le rendement de vos programmes?

Mme Abdi Aden : Ce que je peux vous dire, c’est que la politique peut aider à faire les choses différemment, comme le disaient mes collègues de la FCFA qui m’ont précédée. Actuellement, on travaille dans un système qui a été établi d’une manière telle qu’il faut rentrer dans ce cadre. Or, le cadre ne fonctionne pas toujours selon nos besoins. Il faut faire autrement. Vous savez, quand on est une minorité, il faut être innovateur, il faut inventer, il faut essayer différentes choses. Nous avons un beau programme que nous utilisons souvent dans les tournées de liaison. Je précise que la FCFA a organisé par le passé des tournées de liaison jusqu’en 2019. Nous avons pris la relève en 2020.

L’un des programmes que nous utilisons souvent, c’est le programme Mobilité francophone, qui accorde une dispense de l’exigence relative à l’étude d’impact sur le marché du travail. On essaie de leur vendre le fait que le processus sera beaucoup plus rapide, mais à cause de la pandémie, je peux vous dire que ce n’est plus aussi rapide qu’avant. Une politique d’immigration nous permettrait justement de faire autrement et d’être en mesure de bâtir sur mesure. On voudrait faire des tournées ciblées dans certains pays pour faire du recrutement. Les employeurs ne peuvent pas tous voyager. Ce ne sont pas toutes de grosses entreprises.

Il y a également des besoins dans les régions où il y a de petites entreprises. Si on est capable de faire des recrutements ciblés dans certains pays, en ayant les moyens, bien évidemment, de faire ce recrutement pour les employeurs... Comme je le disais tout à l’heure aussi, c’est un continuum; si on met en place une activité, il faut s’assurer qu’elle aboutit. On ne peut pas faire du recrutement à l’international, trouver le bon candidat, faire la présélection et aider ces employés. Certains sont prêts à faire du recrutement sur place, mais il faut s’assurer que, une fois qu’ils ont sélectionné le candidat, le système leur permet de le faire venir au pays assez rapidement. Une politique d’immigration nous permettrait justement de faire autre chose, de proposer d’autres façons de faire et d’être en mesure de viser des résultats très clairs. C’est quelque chose que nous faisons actuellement, mais avec des demi-mesures, et nous n’obtenons pas toujours des résultats qui sont souvent évidents.

Le président : Très bien, merci beaucoup. Votre message est très clair, madame Abdi Aden. Merci beaucoup de vos contributions, madame Abdi Aden et monsieur Normand, et du travail que vous effectuez sur le terrain pour faire en sorte que le Canada puisse effectivement être de plus en plus efficace en matière d’immigration francophone.

Merci aux sénateurs d’avoir posé leurs questions. Nous allons conclure cette séance avec cette dernière intervention. Merci beaucoup et à bientôt.

(La séance est levée.)

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