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OLLO - Comité permanent

Langues officielles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 16 juin 2022

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 18 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Avant de commencer, je rappelle aux sénateurs ainsi qu’aux témoins qu’ils sont priés de mettre leur micro en sourdine en tout temps, à moins que le président leur donne la parole.

[Traduction]

Si vous avez des difficultés techniques, notamment pour ce qui est de l’interprétation, veuillez en informer le président ou la greffière et nous nous efforcerons de régler le problème. Les participants devraient savoir qu’ils doivent se trouver dans un endroit privé et être attentifs à leur environnement.

[Français]

Nous allons maintenant commencer officiellement notre réunion, chers collègues. Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis actuellement président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.

J’aimerais vous présenter les membres du comité qui participent à cette réunion : la sénatrice Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick, vice-présidente du comité; la sénatrice Raymonde Gagné, du Manitoba, membre du comité directeur; le sénateur Jean-Guy Dagenais, du Québec, membre du comité directeur; la sénatrice Bernadette Clement, de l’Ontario; le sénateur Tony Loffreda, du Québec; la sénatrice Julie Miville-Dechêne, du Québec; la sénatrice Diane Bellemare, du Québec; le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Je vous souhaite la bienvenue à tous, ainsi qu’aux personnes qui nous regardent dans tout le pays. Je participe à cette réunion depuis le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe.

[Français]

Aujourd’hui, nous commençons l’étude de la teneur du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois. Il s’agit d’une étude préalable du projet de loi avant qu’il ne soit renvoyé au Sénat par la Chambre des communes.

[Traduction]

Pour la première partie de notre réunion, nous accueillons des représentants de l’ETCOF, qui est une association d’employeurs sous réglementation fédérale du secteur des transports et des communications. Nous accueillons le président de cette association, Reno Vaillancourt, ainsi que son président et chef de la direction, M. Derrick Hynes. L’ETCOF a présenté un mémoire au comité. Il a été distribué plus tôt cette semaine.

Messieurs, bienvenue au comité et merci d’être présents. Monsieur Vaillancourt, vous avez la parole.

[Français]

Reno Vaillancourt, président du conseil, ETCOF : Bonsoir. Je m’appelle Reno Vaillancourt et je suis actuellement président du conseil d’administration de l’ETCOF, qui est l’association des employeurs des transports et des communications sous juridiction fédérale, mieux connue sous le nom de FETCO.

Je suis accompagné de notre président et chef de la direction, M. Derrick Hynes. Nous sommes très heureux de donner nos commentaires sur le projet de loi C-13. Nous serons brefs, mais nous serons très heureux de répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir au sujet de notre présentation.

En commençant, permettez-moi de prendre quelques instants pour décrire notre groupe. Nous sommes un regroupement d’employeurs qui existe depuis plus de 30 ans. Nos membres sont généralement de grands employeurs du secteur fédéral qui comptent plus de 500 000 employés. L’association regroupe notamment des compagnies aériennes, de transport ferroviaire ou maritime et de télécommunications, pour ne nommer que celles‑là. FETCO, comme vous vous en doutez, est la principale voix des employeurs qui sont régis par le gouvernement fédéral.

Il est également important de noter que FETCO a une riche histoire de dialogue avec le gouvernement du Canada dans une relation tripartite qui inclut également nos partenaires du mouvement syndical. Ce dialogue doit être maintenu dans le contexte actuel.

Les membres de FETCO appuient la protection et la promotion des deux langues officielles du Canada, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Québec, et ce, surtout dans les régions à forte présence francophone. Nos membres appuient ces concepts, et ce, tant dans les communications avec les consommateurs que dans les milieux de travail. De nombreux membres de FETCO qui ont d’ailleurs une présence importante au Québec ont volontairement accepté de se soumettre à la Charte québécoise de la langue française pour leurs activités dans la province.

Comme je le mentionnais précédemment, FETCO est généralement d’accord avec le projet de loi C-13, qui vise principalement les obligations linguistiques de ses entreprises et qui vise à assurer une plus grande protection de la langue française.

Nous estimons que le projet de loi C-13, tel qu’il est actuellement rédigé, établit un équilibre très raisonnable entre la protection de la langue française et la reconnaissance des défis particuliers auxquels font face de nombreux employeurs de juridiction fédérale, dont plusieurs ont des activités au-delà des frontières provinciales et internationales.

Nos membres perçoivent les éléments suivants comme des points forts du projet de loi. Entre autres, le projet de loi permet de relever le niveau d’utilisation des deux langues officielles du Canada dans le monde du travail ainsi que pour les consommateurs. Il favorise également une plus grande utilisation du français dans certains milieux de travail dans des régions à forte présence francophone à l’extérieur du Québec. Il permet, dans des circonstances exceptionnelles, des dérogations en raison de droits acquis, notamment là où il est impossible de s’attendre à ce que des travailleurs anglophones deviennent parfaitement bilingues. Il énonce de manière explicite les droits des employés, y compris les processus de plainte et l’obligation d’un comité d’assurer le respect de la loi sur le lieu de travail. Il permet également aux employeurs qui sont volontairement soumis à la Charte de la langue française du Québec de se soustraire aux obligations prévues dans le projet de loi C-13, qui sont des obligations qui se rejoignent dans le milieu de travail.

Cependant, le projet de loi actuel présente certains problèmes qui doivent être résolus avant l’entrée en vigueur de la loi. Entre autres, le projet de loi confère des pouvoirs d’enquête étendus au commissaire aux langues officielles. Nous estimons qu’il faut préciser davantage l’étendue de ces pouvoirs et mieux comprendre ses liens avec le Conseil canadien des relations industrielles.

Le projet de loi prévoit une procédure de plainte complexe et confuse. Par conséquent, il semble possible que certains employés tentent de porter plainte à de multiples instances au sujet d’un même problème ou d’un problème semblable. Cette procédure devra être définie de façon plus stricte et plus précise.

Il y a également beaucoup d’éléments qui demeurent sans réponse. Nous devons attendre que la réglementation soit développée pour obtenir ces réponses. Par exemple, comment définir une région à forte prédominance francophone? La loi prévoit que le gouverneur en conseil peut utiliser les critères qu’il estime appropriés pour arriver à cette définition. Combien d’employés dans une entreprise devront être capables de parler en français dans les régions à forte présence francophone? Quels seront les critères pour déterminer si un employé est supervisé en français? On est incapable de le déterminer pour le moment. Il y a donc beaucoup d’incertitude et assurément des coûts importants pour les employeurs. Il sera important de consulter et de maintenir la relation tripartite qui existe déjà. Nous sommes d’avis qu’une consultation approfondie impliquant toutes les parties prenantes sera nécessaire afin de déterminer la portée la plus appropriée des règlements.

Même si le projet de loi ne s’appliquera que dans deux ans dans sa forme actuelle aux entreprises à l’extérieur du Québec, les entreprises doivent participer au processus de changement afin de faciliter une bonne intégration.

Merci de nous avoir accordé ces quelques minutes et merci de votre disponibilité. Bien entendu, nous demeurons disponibles pour répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup de votre témoignage, monsieur Vaillancourt.

Nous allons passer à la période des questions et réponses. Je rappelle à mes collègues d’utiliser la fonction « lever la main » s’ils souhaitent prendre la parole. Nous avons convenu que vous aviez cinq minutes par question, y compris la réponse des témoins. Nous pourrons fonctionner dans ce cadre, si cela vous convient.

La sénatrice Poirier : Merci aux témoins d’être avec nous ce soir.

Ma première question porte sur une observation contenue dans le mémoire que vous avez soumis au comité. Vous en avez également parlé dans votre présentation. Je cite : « Le projet de loi prévoit une procédure de plainte des employés ouverte et confuse. »

Vous estimez que la procédure de plainte devrait être définie de manière plus stricte. Selon vous, que serait une procédure de plainte adéquate et sans confusion? Auriez-vous un amendement à proposer à cet effet?

M. Vaillancourt : Effectivement, on pourrait vous proposer un amendement. Un des exemples que l’on peut vous donner a trait aux pouvoirs du commissaire, qui peut procéder à une enquête. À un certain moment, la loi indique qu’il peut renvoyer cette plainte au Conseil canadien des relations industrielles. On ne dit pas dans quel délai ni de quelle façon. En temps normal, lorsqu’une plainte est déposée au Conseil canadien des relations industrielles, le Code canadien du travail prévoit déjà un mécanisme de délai strict à respecter.

Si l’on donne trop de latitude au commissaire, dans quelle mesure et dans quel délai ces plaintes pourront-elles être déposées au conseil? C’est uniquement dans un souci d’uniformité et d’application des différentes lois. Donc, une proposition qui pourrait être faite serait de déterminer quelle serait la nature des délais lorsque le commissaire décide de mettre fin à son enquête et de la référer à un autre organisme administratif, comme le conseil.

La sénatrice Poirier : Ma deuxième question porte sur le règlement qui devrait être adopté à la suite de l’adoption du projet de loi C-13. Le règlement devrait notamment définir le concept important du seuil d’employés pour les entreprises assujetties à la loi pour une région à forte présence francophone. Selon vous, quel devrait être le nombre minimum d’employés au sein d’une entreprise, et est-ce que le gouvernement devrait avoir une définition large d’une région à forte présence francophone?

M. Vaillancourt : Je pense que la définition devrait avoir une portée libérale. Est-ce que cela implique une définition trop large? Je suis de ceux qui croient qu’on doit être le plus précis possible. Je crois que chaque région peut avoir une portée différente, et c’est la même chose pour le nombre d’employés dans chaque entreprise. Je crois que la nature des activités de l’entreprise sera un facteur déterminant dans le nombre d’employés qu’elle devra compter et qui devront parler français.

Par exemple, on parle du nombre de clients anglophones par rapport aux francophones et du taux de la population francophone par rapport à la population totale de la région. Je pense que ces critères pourraient déterminer le nombre d’employés par entreprise. Je pense que chaque entreprise pourrait avoir un nombre différent d’employés. C’est pourquoi il est important d’insister sur le processus de consultation et d’impliquer les employeurs. En effet, selon qu’un employeur se trouve dans une région à prédominance francophone ou non, certains employeurs pourront dire qu’ils sont désavantagés par rapport à d’autres employeurs qui se trouvent à l’extérieur d’une zone à prédominance francophone, qui n’ont pas à assumer les coûts qui doivent être engagés pour respecter la nouvelle législation.

La sénatrice Poirier : Avez-vous été consultés par le gouvernement auparavant pour le projet de loi C-32?

M. Vaillancourt : Pour le projet de loi C-32, on n’a pas expressément fait partie du processus, mais je peux laisser la parole à Derrick Hynes, qui a été plus impliqué à ce niveau.

[Traduction]

Derrick Hynes, président et chef de la direction, ETCOF : Un groupe d’experts a été mis sur pied pour effectuer une analyse avant le dépôt du projet de loi C-32, le prédécesseur du projet de loi C-13. Quelques consultations ont été entreprises à ce moment-là.

Pour revenir à votre question, qui est à mon avis l’origine de ceci, nous estimons qu’il s’agit de l’une des forces fondamentales de ce projet de loi, le processus de consultation qui répondra à bon nombre de ces questions. Nous sommes heureux qu’il ait lieu après l’adoption du projet de loi, afin que nous puissions tenir une conversation pleinement informée avec tous les intervenants au sujet de certaines de ces définitions et de la façon dont ce projet de loi sera mis en œuvre, en particulier dans les régions autres que le Québec. À ce stade, nous ne savons pas quelles devraient être ces définitions, mais nous souhaitons participer pleinement à cette consultation.

La sénatrice Poirier : Merci.

[Français]

La sénatrice Gagné : Bienvenue aux témoins.

Je voulais tout simplement revoir avec vous le fait que, à toutes fins utiles, il y a eu deux régimes distincts pour les entreprises privées de compétence fédérale. Le premier relève de la nouvelle Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale, et l’autre de la Charte de la langue française.

Selon vous, est-ce que cela comporte des risques du point de vue de la mise en œuvre de ces dispositions ou de leur interprétation?

M. Vaillancourt : Merci pour votre question, sénatrice Gagné.

Effectivement, je crois que cela comporte des risques sur le plan constitutionnel. Par contre, je sais qu’il y a des employeurs dans la province de Québec, même de juridiction fédérale, qui acceptent volontairement de se soumettre à cette législation. C’est d’ailleurs un élément qui préoccupe beaucoup les employeurs, parce que nous n’en sommes pas sûrs, mais nous nous doutons que ces questions constitutionnelles feront l’objet de débats importants. La crainte est que les employeurs — comme les employés, car rappelons-nous que l’objectif est de respecter et de protéger la langue française —, qui sont la partie prenante qui aura l’obligation de mettre en œuvre ces nouvelles dispositions dans les milieux de travail, seront un peu tenus en otage en raison de ces débats constitutionnels qui peuvent souvent durer plusieurs années.

Nous sommes tous conscients du contexte économique dans lequel nous nous trouvons en ce moment. On espère que tout cela va changer, mais ces débats constitutionnels, qui auront sûrement lieu, provoqueront beaucoup d’incertitude dans le monde du travail.

La sénatrice Gagné : Est-ce que vous croyez que le fait que les entreprises peuvent se soustraire de la nouvelle Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale au Québec, mais pas dans les régions à forte présence francophone, va créer des défis assez importants?

M. Vaillancourt : Lorsque je regarde les deux lois — surtout dans la province de Québec, parce que la Charte de la langue française n’a pas de portée extraterritoriale à l’extérieur du Québec et que notre analyse est, somme toute, limitée au monde du travail —, les obligations énoncées dans le projet de loi C-13 ressemblent beaucoup aux obligations qui figurent maintenant dans le projet de loi no 96.

Personnellement, je crois qu’il y aura des changements, et bien entendu, des ajustements à faire, mais les employeurs auront l’option de décider. Je pense que sera potentiellement un problème administratif, pour les différents ordres de gouvernement, d’administrer deux régimes au Québec, mais pour les employeurs, une fois que le choix sera fait, je pense que les obligations seront très semblables d’une loi à l’autre.

La sénatrice Gagné : Les entreprises pourraient-elles être incitées à quitter les régions pour s’exclure des obligations linguistiques?

M. Vaillancourt : C’est une excellente question, sénatrice Gagné.

Je suis incapable de répondre à cette question, car il y a encore trop d’incertitudes sur le plan de la réglementation. Par contre, je dois dire que j’entends les mêmes craintes et préoccupations auxquelles vous faites référence; il y a beaucoup d’incertitude. Il y a beaucoup d’incertitude qui plane en ce moment, et j’ai effectivement entendu, tout comme vous, des commentaires à cet effet.

Tant que la réglementation n’est pas établie, tant pour la charte que pour le projet de loi C-13, c’est difficile de croire que ce que vous venez d’évoquer pourrait se produire. J’aimerais croire que, lorsque ces lois seront mises en œuvre et adoptées, ce ne sera pas l’objectif. L’objectif premier est la protection de la langue française, et je suis d’avis que l’on prendra les mesures nécessaires pour éviter que les situations comme celles-ci se produisent.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vais continuer un peu dans la même veine que ma collègue la sénatrice Gagné.

C’est sans doute en raison de ma propre ignorance, mais je croyais que les mesures présentes dans la Charte de la langue française étaient plus favorables à l’usage du français dans les entreprises que le projet de loi C-13, dans la mesure où la langue de travail au Québec est le français, sauf si on peut justifier, pour toutes sortes de raisons, qu’on a besoin de l’anglais, alors que le projet de loi C-13 permet aux gens, selon la langue qu’ils parlent, de l’utiliser au travail.

C’était ma question. D’abord, est-ce que j’ai tort? Corrigez‑moi si j’ai tort. J’aurai une autre question par la suite.

M. Vaillancourt : Je vous remercie de votre question, sénatrice Miville-Dechêne. Je vous donne mon interprétation à la suite de l’analyse que nous en avons faite. Comme je vous le mentionnais, on parle du milieu de travail. Tout ce qui se passe à l’extérieur du milieu de travail, est-ce plus ou moins contraignant? Je ne suis pas la bonne personne pour répondre à cette question. Quand je me penche sur le projet de loi C-13, je constate qu’on donne le droit aux employés de faire leur travail et d’être supervisés en français. On retrouve la même chose dans le projet de loi no 96.

Pour ce qui est du droit de recevoir toute communication et toute documentation de l’employeur de compétence fédérale en français, on donne une liste et on fait la même chose dans le projet de loi no 96. Pour ce qui est du droit d’utiliser des instruments de travail et des systèmes informatiques d’usage courant en français, je vous dirais, sur ce point, que le projet de loi C-13 est plus précis que le projet de loi no 96. Donc, je ne suis pas nécessairement d’avis que le projet de loi no 96 va plus loin. Je pense que les obligations en matière de protection de la langue française et le droit de travailler en français sont équivalents d’une loi à l’autre. C’est clair qu’il y a des distinctions, mais je ne suis pas en mesure de vous faire une analyse exhaustive. J’ai fait une analyse et ce sont mes conclusions.

La sénatrice Miville-Dechêne : Bien sûr, vos conclusions sont tout à fait valables. À la lumière de cela, est-ce que vous prévoyez un exode? Pensez-vous que les compagnies régies par la charte pourraient vouloir être régies par le projet de loi C-13, ou vice-versa? Que disent vos membres?

M. Vaillancourt : Nos membres sont dans le néant. C’est un problème avec lequel nous devons composer. Je vous rappelle une question constitutionnelle : est-ce que le Québec a le droit d’aller aussi loin ou non? Lorsque les deux lois seront en vigueur et lorsqu’il y aura des contradictions d’une loi à l’autre, laquelle s’appliquera? Je crois qu’il s’agit là de la confusion qui cause le degré d’incertitude que nous connaissons en ce moment. Le fait de dire qu’il n’y a pas de crainte de la part des employeurs et qu’ils prévoient qu’il sera difficile d’embaucher des travailleurs étrangers est erroné; je crois que cette crainte existe. Je l’ai entendue. Je ne crois pas, au moment où l’on se parle, à moins qu’il y ait des changements ou que la réglementation le dicte autrement, que l’exode pourrait se produire. Y a-t-il des gens qui iront ailleurs? Sûrement, mais pas uniquement pour ces raisons. Souvent, lorsqu’on quitte un endroit, il y a d’autres raisons qui s’ajoutent, et on utilise ces...

La sénatrice Miville-Dechêne : Ces prétextes.

M. Vaillancourt : Merci, oui, mais il y aura, selon moi, un degré d’incertitude que les deux ordres de gouvernement auront tout intérêt à clarifier le plus rapidement possible.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup pour ces réponses, monsieur Vaillancourt.

La sénatrice Bellemare : Je voudrais vous amener sur un terrain un peu différent, mais qui est lié à ce dont on vient de discuter sur le dialogue social. Vous avez dit, dans vos observations préliminaires, que vous favorisez beaucoup le dialogue social à l’intérieur des entreprises pour atteindre certains objectifs. Je comprends très bien que ce soit très utile en matière de santé et de sécurité au travail, dans la formation de la main-d’œuvre, ainsi que pour bien d’autres secteurs. J’aimerais entendre vos commentaires sur le domaine des compétences linguistiques : comment envisagez-vous l’établissement de tables de concertation, ou autre chose à l’intérieur de l’entreprise, quand il existe à la fois des employés qui parlent français et d’autres qui parlent anglais?

C’est bien différent des rencontres entre employeur et employés pour la santé et sécurité au travail, qui touchent tout le monde. On a un sujet qui pourrait diviser. J’aimerais vous entendre là-dessus : est-ce qu’on peut penser que c’est un outil, et comment le voyez-vous pour ce qui est de la promotion des langues officielles en milieu de travail?

M. Vaillancourt : Je vous remercie de votre question, sénatrice Bellemare. Effectivement, c’est un questionnement que nous avons sur les échanges à l’intérieur même des entreprises, alors que souvent, les entreprises de compétence fédérale traitent avec des employés d’une autre province. On fait aussi affaire avec des syndicats qui sont dans d’autres provinces et maintenant, il y a des syndicats qui devront se soumettre également aux exigences de cette loi et qui devront également trouver des solutions aux enjeux que vous soulevez. Je pense que si l’on entretient un dialogue et qu’on est capable de maintenir de bonnes relations, lorsqu’on poursuivra ces échanges avec nos partenaires syndicaux ou même à l’interne ou avec d’autres ordres de gouvernement, cela se passera bien, parce que tout le monde sera soumis aux mêmes obligations.

Cela posera-t-il des défis à l’interne lorsqu’il y aura des discussions sur différents sujets entre des gens autour d’une même table qui parlent en anglais, d’autres qui parlent en français et d’autres qui sont bilingues? Il s’agit d’enjeux qui existent déjà dans les entreprises. La majorité des employeurs et des syndicats — même si je ne peux pas me prononcer pour les syndicats — trouvent de bonnes façons de communiquer avec eux. La traduction simultanée est un outil que nous utilisons énormément chez les employeurs et les syndicats. Ce qui est intéressant avec la pandémie, lorsqu’on voit les différents outils de communication qui sont à notre disposition, c’est que certains offrent cette traduction simultanée. Je ne l’ai pas encore expérimentée personnellement. D’autres l’ont fait; ce n’est pas parfait, mais ce sont des outils qui pourront servir pour faciliter les échanges entre les différents intervenants.

La sénatrice Bellemare : J’ai toujours été une fervente défenseure de l’importance de la formation en milieu de travail. Pensez-vous que la promotion des langues officielles en milieu de travail pourrait se faire par l’entremise d’une incitation très forte à offrir des cours de langues officielles aux employés, plutôt qu’une obligation? C’est en vous entendant parler que cela m’est venu à l’esprit. Voilà une façon de promouvoir les langues officielles partout au Canada et d’éviter les écueils. On pourrait utiliser le développement des compétences en milieu de travail quand il est question d’entreprises où il existe des obligations, parce qu’elles sont dans des régions à prédominance francophone.

M. Vaillancourt : C’est un excellent point et cela m’amène spontanément à parler d’une situation comme celle-là, pour l’avoir vécue dans nos activités. Lorsqu’il s’agit de cours imposés, d’une formation, surtout pour les langues, la personne doit vouloir apprendre ces langues. À mon avis, ce n’est pas farfelu de penser que des cours pourraient être offerts, mais le fait de les rendre obligatoires pourrait créer d’autres enjeux. Je pense d’ailleurs que la majorité des entreprises offrent cette option et offrent beaucoup de cours en français pour faciliter les échanges entre les employés, surtout les employeurs qui ont des activités à l’extérieur du Québec et qui font des affaires en anglais à certaines occasions.

Cette option de formation existe déjà; elle est beaucoup utilisée. Je pense que le fait de la rendre obligatoire amènerait un irritant additionnel qui pourrait nuire plutôt qu’aider.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Dagenais : Je vais vous amener sur un terrain d’ordre financier. Pourriez-vous nous donner des informations ou des précisions sur les coûts de ces mesures pour les entreprises, et qui paiera pour cela?

Je me souviens qu’à la Gendarmerie royale du Canada, il y avait une prime au bilinguisme. Vous avez parlé des syndicats tout à l’heure; peut-être que certains syndicats diront que, dans certains territoires, les travailleurs seront obligés de travailler dans les deux langues. On pourrait donc demander une prime au bilinguisme. Avez-vous évalué les coûts qui pourraient en découler? Évidemment, tout cela reste une hypothèse.

M. Vaillancourt : Je vous remercie de la question, sénateur Dagenais. Je n’ai pas de réponse précise à vous donner en ce qui concerne les coûts, parce que beaucoup de ces coûts sont associés au temps de travail des employés, à la formation et à la sensibilisation. Plusieurs de ces coûts seront également associés aux systèmes technologiques, pour s’assurer que les outils sont disponibles en anglais. Il y a un gros travail de débroussaillage à faire pour bien comprendre.

Comme je le mentionnais tout à l’heure, la majeure partie des entreprises qui se soumettent à la Charte de la langue française du Québec, par exemple, respectent déjà certaines exigences. Pour celles-là, les coûts devraient être plus limités. Qui devrait assumer ces coûts? Vous m’ouvrez la porte; je dirais que c’est le gouvernement qui devrait fournir des mécanismes de subventions pour nous aider à assumer ces coûts.

Par expérience, lorsqu’il y a des changements législatifs, la facture est généralement assumée par les employeurs. Y aura-t-il des idées créatives, comme des primes au bilinguisme? Je suis convaincu que ce genre de discussion aura lieu à l’avenir.

Cependant, pour le moment, je peux vous dire que la question des coûts est très présente. Il y a eu énormément de changements sur le plan législatif pour les entreprises de juridiction fédérale depuis les 24 ou 36 derniers mois qui ont exigé beaucoup de temps, d’énergie et de coûts pour les employeurs. Donc, lorsqu’on adopte de nouvelles lois, même si on les appuie et même si l’on est d’accord avec ces concepts, ce sont des coûts qui s’ajoutent à d’autres changements.

De plus, dans le contexte actuel de la pandémie, lorsqu’on essaie de reprendre le contrôle et que l’on doit ajouter des ressources qui sont déjà difficiles à trouver pour répondre aux exigences de ces nouvelles lois, cela devient contraignant.

Le sénateur Dagenais : Je vais vous parler — et vous l’avez mentionné plus tôt — de l’application territoriale. C’est quand même une définition qui est plutôt difficile à établir, même pour nous, et probablement aussi pour les entrepreneurs nationaux.

Le gouvernement vous a-t-il fourni une définition et une carte du pays, définissant ce qu’est en réalité un territoire à forte présence francophone? Si oui, trouvez-vous cela assez clair pour appliquer cette définition? Le gouvernement vous a-t-il demandé votre opinion sur les territoires? Croyez-vous que l’adoption est réalisable sans qu’il y ait accrochage avec les francophones des différentes régions du Canada? Autrement dit, au Canada, où trouve-t-on la plus forte prédominance francophone, à part au Québec?

M. Vaillancourt : Je peux répondre à votre question, puis je céderai la parole à mon collègue M. Hynes.

La réponse simple est non. Nous n’avons pas été consultés sur ce que pourraient être ces régions à forte présence francophone. On souhaite l’être, car on veut faire partie de la discussion. On croit que lorsque ces régions seront identifiées, cela deviendra beaucoup plus simple d’identifier les employeurs qui se trouvent dans ces régions. Par la suite, on pourra entreprendre un dialogue avec les employeurs et les syndicats de ces régions et voir ce qui serait acceptable. Voilà pourquoi il est important d’avoir et de maintenir le processus de consultation dont nous avons parlé.

Cependant, pour le moment, je dois dire que nous devrons attendre la réglementation pour être en mesure de bien répondre à cette question.

Le sénateur Dagenais : Vous mentionnez souvent le besoin de discuter avec le gouvernement. Je vais vous poser une question directe : à quand remonte votre dernière communication avec le bureau de la ministre? Est-ce vous qui avez organisé cette rencontre, ou est-ce plutôt la ministre qui vous a approchés?

M. Vaillancourt : Cela remonte à moins de deux semaines. On leur parle assez régulièrement et d’ailleurs, on a une excellente relation. Par contre, est-ce parfait? Aimerions-nous être consultés plus que nous le sommes en ce moment? Évidemment. Y a-t-il des changements législatifs qui ont été adoptés sans que nous soyons consultés? Absolument, et c’est ce genre de chose que l’on veut éviter. C’est pour cela que nous insistons sur la nécessité de tenir des consultations.

Tant les regroupements d’employeurs que les regroupements syndicaux doivent être invités à la table, car cela devient beaucoup plus compliqué lorsque ces gens ne se sont pas assis ensemble pour en discuter. Malheureusement, trop souvent par le passé, des changements législatifs ont été adoptés sans tenir de telles consultations.

[Traduction]

Le président : Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Hynes?

M. Hynes : Oui, nous n’avons pas tenu beaucoup de consultations sur ce projet de loi. Nous en concluons que l’une des forces de ce projet de loi est qu’il exige un processus de consultation élargi pour l’élaboration des règlements.

Pour revenir à la question du coût, à l’heure actuelle, nous ne savons pas vraiment ce qu’il en sera et comment se fera le déploiement à l’extérieur du Québec. Comme l’a souligné M. Vaillancourt, beaucoup de nos membres, dans le cadre de leurs opérations basées au Québec, ont déjà adopté volontairement la Charte. Le changement sera peut-être progressif. Nous ne nous attendons pas à ce que des changements généralisés soient apportés au sein de nos organisations au Québec.

En dehors du Québec, nous sommes dans l’inconnu. Le texte de loi exige une consultation approfondie pour déterminer ce qu’il en sera, et nous serions très heureux de participer à cette consultation. La ministre des Langues officielles — l’actuelle et la précédente — a parfois fait appel à nous au cours de l’élaboration de ce projet de loi, mais nous étions bien conscients, au moment de sa rédaction, que d’autres discussions importantes suivraient. Nous voulons y prendre part.

Pour revenir au commentaire de la sénatrice Bellemare de tout à l’heure, ces conversations se dérouleront sur une base tripartite, ce que nous soutenons pleinement, avec la participation des partenaires, pour discuter de ce à quoi cela ressemblera, en particulier dans les régions autres que le Québec.

Le président : Notre temps est presque écoulé. Il nous reste six minutes. J’aimerais que les sénateurs Loffreda et Clement posent leurs questions. Je sais que la sénatrice Poirier voulait poser une question supplémentaire si elle en avait le temps. Si vous pouviez être concis dans vos questions et vos réponses, ce serait formidable. Nous apprécions votre générosité.

[Français]

Le sénateur Loffreda : Merci aux témoins d’être avec nous ce soir.

Monsieur Vaillancourt, vous avez dit que vos membres étaient d’accord avec le projet de loi C-13. Est-ce que l’accord de la communauté des affaires et de vos membres à l’extérieur du Québec est aussi fort que celui de vos membres qui sont au Québec? De plus, pourriez-vous nous parler des risques de l’application de ce projet de loi? Vous avez parlé d’incertitude et de coûts. Je voudrais que vous nous parliez rapidement des facteurs atténuants concernant ces risques.

Vous avez fait une petite comparaison avec le projet de loi no 96 au Québec — j’en ai parlé aujourd’hui au Sénat. Le projet de loi no 96 inquiète beaucoup la communauté des affaires. Voyez‑vous une inquiétude semblable en ce qui a trait au projet de loi à l’extérieur du Québec?

M. Vaillancourt : Je vous remercie de la question, sénateur Loffreda.

En ce qui concerne les risques pour les membres qui sont à l’extérieur du Québec, il est clair que le projet de loi C-13 amène une nervosité accrue parce qu’ils n’ont pas l’habitude de devoir respecter les dispositions de la Charte de la langue française.

Donc, effectivement, on sent un degré de risque plus élevé à ce point de vue. Lorsque la réglementation sera mieux définie et que les concepts de « région à forte présence francophone », par exemple, seront précisés, nous avons espoir que cette inquiétude ou cette incertitude vont diminuer.

Le facteur atténuant, pour reprendre votre expression, sénateur, c’est vraiment la consultation et la discussion. Lorsqu’on regarde le délai de deux ans qui est accordé par la loi pour les régions à forte présence francophone à l’extérieur du Québec, si nous sommes en mesure, en tenant compte des délais, de consulter nos membres et de bien comprendre la réglementation qui entrera en vigueur, ce devrait être gérable.

Comme je le mentionnais précédemment, pour ce qui est du milieu de travail, les exigences du projet de loi C-13 sont, en somme, très semblables à celles du projet de loi no 96. Je crois que les incertitudes que nous avons sur le projet de loi no 96 au Québec sont les mêmes que celles que l’on verra à l’extérieur du Québec. Selon moi, tout dépendra de la façon dont sera définie la notion de « région à forte présence francophone ».

Le président : Merci de votre réponse. Merci de vos questions, sénateur Loffreda.

La sénatrice Clement : Merci aux deux témoins. Je veux revenir sur la question des finances.

Nous avons récemment reçu au comité M. Yves Giroux, directeur parlementaire du budget. Êtes-vous au courant des analyses que M. Giroux a faites? Selon moi, l’impact financier mérite une discussion.

On parle beaucoup de la crise du logement et de la crise en matière de main-d’œuvre. Croyez-vous que le projet de loi C-13 pourrait être problématique en ce qui touche la crise de la main‑d’œuvre? Est-ce que cela pourrait demander des investissements de la part du gouvernement fédéral pour aller à l’encontre de cela?

M. Vaillancourt : Merci, sénatrice Clement. Pour ce qui est de l’impact financier, pour être très honnête, je ne suis pas au courant. Bien entendu, si ce sont des documents publics, ce sont des documents auxquels nous nous référerons. Nous sommes curieux de voir les études qui ont été faites à ce sujet.

Pour ce qui est de la crise de la main-d’œuvre que nous connaissons — et toutes les autres crises, l’inflation, la récession, qui est le sujet de l’heure, la crise du logement —, je pense que cela peut effectivement avoir un impact.

Vous n’aimerez certainement pas ma réponse, mais selon ma compréhension de ce que j’ai lu, je pense — je souhaite — que nos craintes seront atténuées lorsqu’on adoptera la réglementation.

Par exemple, juste pour la question de définir ce qu’est une région à forte présence francophone : si on est trop strict ou trop libéral, si on décide d’un trop grand nombre de régions à prédominance francophone alors qu’il n’y a peut-être pas tant de francophones dans ces régions, certaines obligations prévues dans la loi s’appliquent. Je crois que cela pourrait créer une pression sur l’entreprise, parce que la région à prédominance francophone aura été mal définie. Cependant, si la région a été bien définie, cela veut dire qu’on a une population francophone dans cette région qui devrait être suffisante pour répondre aux besoins en matière de main-d’œuvre.

C’est pour cette raison que je vous dis qu’il manque encore beaucoup de morceaux au casse-tête pour être en mesure de vraiment comprendre les enjeux. Je pense qu’il est légitime de croire qu’il y aura des enjeux; leur ampleur reste à déterminer.

La sénatrice Clement : Merci.

Le président : Avant de terminer cette partie de la réunion, j’aurais une question. À votre avis, quel sera l’impact de la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale au Québec sur les communautés anglophones minoritaires du Québec?

Quel impact croyez-vous que la loi aura sur les entreprises situées au Québec?

M. Vaillancourt : Honnêtement, pour ce qui est du Québec, je crois que les impacts seront limités, sauf pour les entreprises qui ne sont pas soumises à la Charte de la langue française. La majorité des entreprises, comme je l’ai mentionné, le sont. C’est pour cette raison que je ne crois pas qu’il y aura un impact au Québec, surtout que le projet de loi C-13 donnera au Québec la possibilité de privilégier une loi par rapport à l’autre.

De plus, comme je le mentionnais, les obligations des deux lois sont très semblables. Je ne crois donc pas que cela apportera un fardeau additionnel.

Le président : Merci beaucoup de vos réponses.

[Traduction]

Merci à vous deux pour votre présentation et pour les réponses claires que vous avez apportées aux questions de nos collègues.

[Français]

Nous avons terminé cette partie de notre rencontre. Monsieur Hynes, monsieur Vaillancourt, j’aimerais vous remercier au nom de mes collègues.

Chers collègues, pour cette deuxième partie de notre réunion, nous accueillons Mme Liane Roy, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, et M. Alain Dupuis, directeur général. Bienvenue à vous deux. Vous êtes des habitués de notre comité, et nous sommes heureux de vous accueillir ce soir pour entendre vos points de vue sur la partie 2 du projet de loi C-13, la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale.

Nous allons écouter vos commentaires, réflexions et témoignages et nous passerons ensuite à la période des questions.

Madame Roy, la parole est à vous.

Liane Roy, présidente, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : Monsieur le président, honorables sénatrices et sénateurs, bonsoir.

Je veux vous remercier d’avoir invité la FCFA à comparaître aujourd’hui. Je tiens à souligner que je vous adresse la parole à partir de Moncton, au Nouveau-Brunswick, qui fait partie des territoires non cédés du peuple mi’kmaq.

Avant de passer à la question de l’usage du français au sein des entreprises fédérales, permettez-moi quelques remarques générales sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Comme vous le savez, cette modernisation est une priorité absolue pour la FCFA depuis maintenant cinq ans. Nous y avons consacré beaucoup d’efforts.

Les raisons pour lesquelles cette modernisation est urgente ont été illustrées de nouveau, la semaine dernière, par le rapport annuel du commissaire aux langues officielles. Les entorses au français demeurent nombreuses, et le commissaire lui-même admet que ses pouvoirs pour y remédier sont nettement insuffisants.

Chaque jour, le coût social de la non-modernisation de la Loi sur les langues officielles augmente. Chaque jour que la loi n’est pas structurée de manière à assurer le respect du statut du français autant que celui de l’anglais, une perception se renforce, soit que l’une de nos langues officielles est plus normale que l’autre. C’est à cette anglonormativité qu’il faut s’attaquer.

Cette entrée en matière me permet d’aborder le sujet des entreprises fédérales. Vous savez comme moi que deux de ces entreprises, Air Canada et le CN, ont fait la manchette au cours des derniers mois. Malheureusement, l’impression qui se dégage de cette couverture, c’est l’idée qu’il va tout à fait de soi que l’anglais est la langue de travail, même au Québec.

La racine du problème auquel doit s’attaquer la partie 2 du projet de loi C-13, la question à laquelle elle doit répondre, est la suivante : devrait-on, dans un pays comme le Canada, pouvoir s’attendre à recevoir des services et à travailler en français dans une entreprise fédérale, peu importe la région où l’on se trouve?

Pour la FCFA, la réponse est oui. Rendre le français normal dans l’espace public ne requiert rien de moins.

Bien que la partie 2 du projet de loi vise à appuyer le français dans des « régions à forte présence francophone » à l’extérieur du Québec, nos propositions au comité d’experts, formulées en avril 2021, reposent plutôt sur le principe de l’équité dans l’accès aux services et sur l’impératif de la promotion du français partout au Canada.

Concrètement, nous avons recommandé que le droit de recevoir des services et de travailler en français dans les entreprises à charte fédérale se déploie progressivement, partout au pays. Nous avons proposé une approche à trois niveaux.

Dans un premier temps, toutes les entreprises privées à charte fédérale devraient offrir des services automatisés en français partout au pays. Par ailleurs, la loi devrait reconnaître un droit d’accès à des services en personne et un droit de travailler en français au Québec et au Nouveau-Brunswick.

Dans un second temps, on devrait étendre l’accès aux services bilingues en personne dans les régions désignées, conformément à la partie IV de la Loi sur les langues officielles, de même que le droit de travailler en français dans les régions bilingues de l’Ontario où les fonctionnaires fédéraux ont déjà ce droit.

Enfin, six ans après l’adoption de la loi, des services en personne en français et le droit de travailler en français devraient être reconnus dans toutes les régions comportant des bureaux fédéraux désignés bilingues.

Quand on parle de toutes les régions, cela ne comprend pas toutes les succursales. À cet égard, notre approche est pragmatique. Nous ne demandons pas un bilinguisme mur à mur. Le droit de travailler et de recevoir des services en français pourrait se concrétiser par la désignation, par exemple, d’un bureau spécifique dans une région donnée.

Les répercussions d’une telle mesure seront révolutionnaires. Elle permettra aux jeunes qui ont étudié en français de continuer à l’utiliser et leur fournira des occasions d’emplois. Elle permettra aux travailleurs et travailleuses de maintenir leurs compétences linguistiques en français. Surtout, elle contribuera à la normalité et à la légitimité de l’usage du français dans l’espace public.

Voilà donc nos recommandations pour le déploiement du droit de travailler en français dans les entreprises à charte fédérale : une approche holistique qui combine l’accès aux services et l’usage du français en milieu de travail.

J’aimerais prendre les dernières minutes du temps qui nous est imparti pour faire un survol des amendements que nous proposons au projet de loi C-13.

Le premier vise à mieux camper le rôle du Conseil du Trésor comme agence centrale chargée de coordonner la mise en œuvre de toute la loi. À cet effet, notre demande de modification élimine le rôle de coordination concurrentiel de Patrimoine canadien.

Le deuxième amendement a trait à l’importance d’inclure des dispositions linguistiques fortes dans les ententes de transfert de fonds, tout en autorisant le gouvernement fédéral à transiger directement avec nos communautés si une province ou un territoire s’avère réfractaire.

La troisième modification vise à préciser l’objectif de la politique en matière d’immigration francophone. Cet objectif doit être le rétablissement du poids démographique de nos communautés, clairement et sans ambiguïté.

La quatrième modification modifie le libellé de la partie VII pour faire référence aux mesures « nécessaires » plutôt qu’aux mesures que les institutions fédérales estiment indiquées.

Enfin, même si le projet de loi C-13 confère au commissaire aux langues officielles des pouvoirs d’ordonnance et de sanctions, la portée en est limitée. Le commissaire devrait pouvoir, au minimum, émettre des ordonnances quant aux obligations des institutions fédérales en vertu de la partie VII.

Ces modifications feront en sorte que la Loi sur les langues officielles deviendra véritablement une loi forte, moderne et respectée.

Je vous remercie et je suis prête à répondre à vos questions avec M. Alain Dupuis, directeur général de la FCFA.

Le président : Merci beaucoup, madame Roy. Nous allons passer à la période des questions. Nous allons suivre la consigne de cinq minutes par question, y compris la réponse.

Nous allons d’abord commencer avec la vice-présidente du comité, la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : Merci aux deux témoins d’être avec nous ce soir.

Ma première question porte sur le document que vous avez envoyé concernant la partie 2 du projet de loi C-13, la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale.

Le modèle que vous avez proposé concerne les entreprises privées fédérales à l’extérieur du Québec. Pouvez-vous m’expliquer comment vous en êtes venus à ce modèle et pourquoi il est préférable à celui qui est proposé par le gouvernement?

Mme Roy : Merci de cette question, madame la sénatrice Poirier.

Comme vous l’avez vu, c’est une approche par étape qui fera progresser le français dans l’ensemble des provinces et des territoires du pays. Ce que l’on préconise, c’est un modèle qui s’applique partout; on souhaite que les deux langues soient traitées équitablement et qu’il y ait un arrimage avec ce qui se fait déjà dans les ministères fédéraux.

On trouvait que c’était plus simple que de commencer un nouveau système dans d’autres régions.

Pour nous, ce modèle est issu d’une mûre réflexion; on voulait essayer justement de trouver un modèle qui répond aux besoins de l’ensemble de nos communautés dans toutes les régions du pays.

Cela ne veut pas dire que ce modèle s’applique partout, en tout temps. Comme je l’ai dit dans mon texte, il peut y avoir des endroits désignés. Par exemple, si on prend une banque quelconque, on pourrait avoir une succursale à Vancouver désignée bilingue où l’on pourrait se faire servir et travailler en français. Il y a une manière d’accommoder l’ensemble de la population dans nos différentes communautés et dans les provinces et territoires.

La sénatrice Poirier : Avez-vous des amendements pour appuyer votre modèle dans le projet de loi C-13? Selon vous, serait-il préférable de simplement retirer la partie 2 du projet de loi C-13, comme vous le suggérez?

Mme Roy : Nos amendements touchent la partie 1 du projet de loi C-13. On a proposé des libellés pour six amendements dans la partie 1 du projet de loi C-13. On ne propose pas d’amendement spécifique à la partie 2.

Mon collègue M. Dupuis veut peut-être ajouter des commentaires à cette réponse.

Alain Dupuis, directeur général, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : La limite que l’on voit par rapport à la partie 2 du projet de loi, c’est cette idée de forte présence francophone et la manière dont on va définir ce concept.

Il est clair que la définition viendra après des consultations et qu’elle figurera dans un règlement d’application.

Peut-être que c’est à vous, honorables sénateurs, de déterminer si une modification au libellé est nécessaire; est-ce qu’une forte présence francophone permet de tenir compte des besoins de la francophonie dans la grande région de Toronto, où il y a 100 000 francophones qui ont le français comme première langue? Est‑ce que c’est une région à forte présence francophone? À notre avis, ce serait suffisant pour justifier qu’il y ait, dans certaines entreprises, des succursales ou des bureaux désignés bilingues pour offrir des services et pour que les francophones qui travaillent dans une entreprise puissent travailler dans leur langue. Pour nous, cela ne nécessite peut-être pas une modification au projet de loi tel quel, ou peut-être devrait-on donner une meilleure définition de ce que l’on veut dire par « forte présence francophone ».

Une chose est certaine : lorsqu’on a comparu devant le comité d’experts qui devait donner des informations à la ministre Joly sur la première version du projet de loi, on a souligné qu’il y avait énormément d’inquiétudes sur le fait qu’on allait créer une série de droits pour certains francophones qui habitent déjà dans des régions à prédominance francophone et qu’il n’y aurait pas de progression du français dans les entreprises fédérales ailleurs au pays. Cela dépendra vraiment de la façon dont on définira cette forte présence francophone. On pense que cette définition devrait se baser sur le même type de définition et le même type de catégorisation que pour les services français au sein des ministères fédéraux.

Par exemple, il y a un règlement dans la partie IV qui s’applique aux services au public qui stipule que, à partir de 2023, un bureau fédéral devra être désigné bilingue s’il y a une école située à moins de 25 kilomètres de ce bureau du gouvernement fédéral.

Donc, ce bureau devra offrir des services en français. On pense que c’est une désignation qui a du sens et qui se base sur l’endroit où habitent les populations. Cela ne veut pas nécessairement dire que, dans une grande ville comme Vancouver, comme le disait Mme Roy, on devra s’assurer que tous les bureaux d’une entreprise fédérale offrent des services en français ou permettent aux employés de travailler dans leur langue. Il y a sûrement suffisamment de francophones à Vancouver pour justifier une offre de services et accommoder des travailleurs qui voudraient travailler dans leur langue.

La sénatrice Gagné : Madame Roy, monsieur Dupuis, bienvenue au comité encore une fois.

Monsieur Dupuis, vous avez répondu à une question que je me posais sur la définition qu’il faudrait donner aux régions à forte présence francophone. À votre avis, qui devrait être consulté pour fixer la réglementation liée aux entreprises privées de compétence fédérale?

M. Dupuis : Je crois que les communautés francophones devraient être consultées, de même que toutes les associations membres de la FCFA qui œuvrent sur le terrain. L’idée est de s’assurer que, pour les citoyens canadiens, peu importe où ils habitent, il devient normal de demander un service en français. Présentement, nos communautés ont tendance à dire que le français se vit dans les établissements de la minorité et dans nos organisations et qu’il se vit parfois lorsqu’on fait affaire avec les gouvernements. Toutefois, le français se vit très peu dans l’espace public et très peu lorsqu’on va dans un commerce comme une banque ou une entreprise de transport, par exemple. Il n’y a pas d’attente et c’est bien dommage, parce que cela fait en sorte que notre langue ne vit pas dans l’espace public. Pour les citoyens, on en est là. Si on veut léguer le français à la prochaine génération, on aimerait que le français se voie et s’entende, et qu’il y ait aussi des occasions de travailler dans cette langue partout au Canada.

Les programmes d’immersion française, par exemple, sont plus populaires que jamais. Toutefois, on entend dire que, après avoir terminé leurs études, les jeunes Canadiens qui ont appris le français ont très peu d’occasions de parler cette langue et encore moins de travailler dans cette langue. La société civile devrait certainement être consultée, tout comme les employés qui travaillent au sein de ces entreprises. On peut penser, entre autres, aux chefs de ces entreprises et aux syndicats. Pour nous, il est important de donner la voix aux communautés et aux travailleurs qui ne jouissent pas présentement de ce droit et qui, un jour, je l’espère, pourront aspirer à travailler dans leur langue dans ce pays.

La sénatrice Gagné : À la partie 2 du projet de loi, on parle des critères visant à définir l’expression « région à forte présence francophone ». On indique que, lorsque le gouvernement prend un règlement, le gouverneur en conseil peut tenir compte de tout critère qu’il estime approprié, notamment le nombre de francophones dans une région par rapport à la population totale de la région, ainsi que l’épanouissement et la spécificité des minorités francophones. À votre avis, que veut dire cet énoncé?

Mme Roy : Selon nous, la spécificité des francophones devrait viser les francophones qui vivent justement en situation minoritaire et, comme mon collègue vient de le dire, qui ont le droit de vivre en français, de travailler en français, d’écouter et d’entendre du français dans les lieux publics et les espaces publics. Selon moi, c’est ce que devrait signifier le fait d’avoir accès à des services en français. C’est pouvoir travailler dans sa langue un peu partout au Canada, et pas juste dans certaines régions.

La sénatrice Miville-Dechêne : Bienvenue à vous deux, que je connais. J’ai eu la chance de discuter avec vous des amendements que vous proposez. Je comprends donc votre requête.

Je veux toutefois vous ramener à un sujet un peu différent, qui est celui des nombreux amendements que le gouvernement du Québec aimerait apporter à ce projet de loi. J’aimerais vous entendre sur l’esprit de ces amendements. Après tout, vous représentez les francophones qui ne vivent pas au Québec. Or, dans les amendements, la Charte de la langue française revient très souvent. On la mentionne à de nombreuses reprises. Dans le préambule, on dit également reconnaître que l’existence d’un foyer francophone majoritaire dans un Québec où l’avenir du français est assuré est un objectif légitime et une prémisse fondamentale du régime fédéral des langues officielles. Le gouvernement du Québec semble tenté de faire valoir plusieurs éléments pour changer cette loi. J’aimerais savoir comment vous réagissez face à ce fait, car leur vision aura sans doute un impact sur la place que vous occupez dans cette loi.

Mme Roy : Effectivement. Je vais répondre sur ce qui pourrait toucher les communautés francophones et acadienne à l’extérieur du Québec et laisser aux Québécois et aux témoins du Québec répondre à votre question pour ce qui touche spécifiquement le Québec.

Pour nous, il est important que les communautés et les gens qui vivent à l’extérieur du Québec soient entendus et puissent vivre et s’épanouir en français. Nous n’avons pas poussé en profondeur nos analyses par rapport aux amendements. C’est ce que nous sommes en train de faire, étant donné que nous venons tout juste de les recevoir. Nous avons concentré notre énergie à travailler sur le libellé des amendements que l’on souhaite voir apporter à la partie 1 du projet de loi C-13. Pour nous, ce sont ces amendements qui sont importants.

Avec les amendements que propose le Québec, si nous pouvions obtenir ce que nous recommandons dans nos six amendements, cela nous conviendrait. Là où les choses risquent d’être plus délicates, c’est si l’on joue l’un contre l’autre pour ce qui est des résultats qu’il faut atteindre.

Ce qui est important pour nous, comme on l’a mentionné, ce sont les six amendements. Nous voulons qu’un organisme central ou une agence soit responsable de la mise en œuvre de la loi et que des droits linguistiques soient inclus dans les dispositions linguistiques. Qu’il s’agisse de dispositions linguistiques francophones ou tout simplement de dispositions linguistiques nous est égal. Il faut surtout que le résultat final reflète ce que nous recommandons et voulons voir dans ces amendements.

Alain, voudrais-tu apporter des précisions?

M. Dupuis : Je ne commenterai pas l’ensemble des propositions du gouvernement du Québec. Toutefois, certains éléments nécessitent un droit de regard des provinces et des territoires sur les règlements qui pourraient être pris en vertu de la Loi sur les langues officielles. Je parle de règlements qui touchent les mesures positives dans la partie VII, des règlements qui touchent le sujet que vous étudiez aujourd’hui, l’application d’une politique en matière d’immigration francophone et la révision de la loi.

Certains de ces éléments proposés par le gouvernement du Québec nous inquiètent. On ne voudrait pas que l’ensemble des provinces aient un droit de regard sur l’ensemble des règlements qui découlent d’une loi fédérale. Nous savons que le gouvernement fédéral a des obligations envers les minorités francophones. Nous trouvons normal que les choses se fassent en collaboration avec les provinces et les territoires. Toutefois, nous ne sommes pas d’accord que ces règlements soient pris avec des conditions issues des provinces et des territoires. Dans certaines juridictions, on a plus de difficulté à obtenir des services dans notre langue. Bien souvent, le fédéral est le seul ordre de gouvernement qui appuie nos communautés dans leur développement social, culturel et économique.

La sénatrice Bellemare : Merci d’être avec nous. Je suis nouvelle au comité et je remplace un membre qui est absent. Je n’ai donc pas la même connaissance de ces dossiers que les collègues qui vous ont déjà posé des questions.

Ma question concerne les moyens d’atteindre les objectifs. Dans la partie 2, que nous avons étudiée aujourd’hui, il est question d’assurer le droit de travailler en français et d’être supervisé en français. Avez-vous réfléchi aux moyens qui pourraient être pris parallèlement à l’adoption d’une loi qui accorde ces droits? Les choses ne se font pas en un clin d’œil. Le droit de travailler en français dans un milieu même majoritairement francophone dépend de la façon dont on le définit.

Si on veut que ces droits s’étendent partout, il faut également réfléchir aux moyens que l’on peut déployer pour assurer en même temps que les droits que l’on accorde puissent se matérialiser, et ce, sans créer de conflit. Avez-vous réfléchi à ce sujet? J’aimerais vous entendre.

Mme Roy : Merci, madame la sénatrice. Oui, effectivement, c’est pour cette raison que nous avons proposé une approche par étape. On voulait demeurer pragmatique et on était conscient des coûts et de tout ce qu’il faut pour mettre en œuvre des services de ce genre. C’est la raison pour laquelle on a pensé que le premier niveau pouvait traiter de l’obligation d’offrir des services automatisés en français dans l’ensemble des entreprises privées à charte fédérale. Ce sont des modèles qui existent déjà, et ce n’est donc pas très coûteux à mettre en place. Donc, pour le premier niveau, on pourrait avoir le droit de travailler en français dans les entreprises privées à charte fédérale au Québec et au Nouveau-Brunswick. Cela existe déjà. Ce n’était pas trop coûteux pour un premier niveau.

Pour le deuxième niveau, trois ans après l’adoption de la Loi sur les langues officielles modernisée, on pourrait traiter de l’obligation d’offrir des services en français en personne dans les régions qui comptent des bureaux fédéraux désignés bilingues, selon les critères de règlement de la partie IV de la loi. Ce sont des éléments qui existent déjà, mais on veut les bonifier.

La sénatrice Bellemare : Ce sont des entreprises publiques; ce ne sont pas des entreprises privées.

Mme Roy : Non, mais il y a un modèle qui existe pour les ministères et les entreprises. Il y aurait un élargissement du droit de travailler en français dans les entreprises privées à charte bilingue où les employés fédéraux peuvent déjà travailler en français, conformément à la partie V de la loi, donc le Nord de l’Ontario, l’Est de l’Ontario et la capitale fédérale. On avait déjà réfléchi à ce modèle par étape, qui donnait le temps de mettre en œuvre les différents niveaux de services.

Pour le troisième niveau, c’est six ans après l’adoption de la loi.

La sénatrice Bellemare : En d’autres mots, vous dites : « Ayons un plan par étape et laissons aux individus, aux organisations et aux entreprises le choix des moyens », sans réfléchir à des moyens plus spécifiques pour donner de la formation et développer des compétences linguistiques, parce que ça implique tout cela aussi. L’idée, c’est d’avoir un plan par étape pour assurer ce droit.

M. Dupuis : Je pense qu’il est clair qu’on est en train de développer quelque chose de nouveau. Il faudra que le fédéral développe une série d’outils, de pratiques prometteuses et peut-être un centre d’excellence pour le français dans les entreprises fédérales et dans les zones où le français est une langue minoritaire.

On ne peut pas juste dire qu’il y a de nouvelles obligations et que le fédéral ne s’implique pas dans la mise en œuvre, la formation et la disponibilité des ressources pour développer des outils d’accompagnement. Le fédéral pourrait très bien devenir un leader et soutenir le secteur privé dans la mise en œuvre de milieux de travail et de services en français.

La sénatrice Bellemare : Je comprends mieux.

Le sénateur Loffreda : Merci à Mme Roy et à M. Dupuis d’être avec nous ce soir. Voyez-vous un danger dans le traitement des minorités linguistiques, partout au pays, causé par le projet de loi no 96, qui fait en sorte que la minorité linguistique du Québec a l’impression que ses droits sont fortement réduits?

Le projet de loi C-13, que nous étudions, devrait-il s’appliquer de manière uniforme aux communautés francophones en situation minoritaire et aux communautés anglophones du Québec? Sinon, pourquoi?

Mme Roy : Merci pour la question, monsieur le sénateur. Évidemment, notre mandat nous force à vous répondre pour ce qui touche spécifiquement les communautés francophones et acadienne à l’extérieur du Québec. Pour ce qui est des anglophones ou des francophones du Québec, on préfère les laisser répondre aux questions qui touchent spécifiquement le Québec.

Au moyen du projet de loi no 96, on dit qu’on souhaite un plus grand rapprochement et on souhaite aussi que, lorsque des décisions sont prises, l’ensemble des ministères aient le réflexe de penser à comment cela peut affecter les communautés francophones et acadienne à l’extérieur du Québec. C’est nouveau dans le projet de loi no 96. Pour nous, ce sont des éléments qui sont importants.

Dans le préambule, on parle d’un plus grand rapprochement avec nos communautés, ce qui semble souhaitable pour que le français se développe et a une bonne vitalité. Pour les questions qui touchent tout ce qui va se faire au Québec, j’aime mieux laisser répondre des témoins qui viennent du Québec.

Le sénateur Loffreda : J’aimerais avoir votre opinion. Sentez-vous un danger pour les minorités partout au Canada à cause du projet de loi no 96, ou pensez-vous qu’il n’aura pas d’effet?

Mme Roy : Nous avons comparu au sujet du projet de loi no 96 et justement, il y a certains éléments de la loi qui nous préoccupent. Je vais laisser Alain, poursuivre parce que je vais perdre ma voix.

M. Dupuis : En général, c’est sûr que c’est important pour nous que les provinces et territoires soient engagés à appuyer leur minorité francophone. L’utilisation de la clause dérogatoire par les provinces et les territoires nous préoccupe, parce que nous avons des droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Plus on utilise cette clause dérogatoire, plus on voit un effritement non seulement des droits des minorités linguistiques, mais d’autres groupes minoritaires au pays. Bien sûr, nous sommes solidaires avec l’ensemble des groupes minoritaires pour ce qui est de ces droits fondamentaux.

Pour atteindre l’égalité réelle, faut-il parfois en faire plus pour le français? Oui. Le français à l’extérieur du Québec n’est pas suffisamment traité comme une langue officielle. Il est traité comme une langue minoritaire parmi d’autres. C’est clair qu’il y a beaucoup de travail à faire pour s’assurer que les minorités francophones puissent vivre en français au quotidien et pour cela, il faut parfois en faire plus pour le français au Canada.

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux témoins, que j’ai vus il n’y a pas si longtemps. Ma question est d’ordre financier. Pouvez-vous nous dire le degré d’inquiétude qui existe dans les entreprises de votre région face aux nouvelles obligations, et trouvez-vous que le projet de loi offre des garanties financières suffisantes pour aider les entreprises à mettre en place les nouvelles obligations qui découleront de l’adoption du projet de loi C-13?

M. Dupuis : On n’a pas beaucoup entendu parler des entreprises fédérales dans nos régions. C’est sûr qu’il y aurait des coûts pour mettre en place ces nouvelles obligations. Le gouvernement fédéral devrait-il appuyer les entreprises dans cette transition? Je pense que ce serait normal qu’il le fasse.

Le sénateur Dagenais : Est-ce que vous estimez que la définition dans le projet de loi qui parle de « régions à forte présence francophone » est assez claire pour protéger les petites communautés francophones?

Quant aux entreprises, seront-elles en mesure de gérer tout cela à la lumière du contenu du projet de loi à l’étude, qui, je vous rappelle, n’est pas encore adopté? Selon vous, est-ce que la définition de « forte présence francophone » est suffisamment claire?

M. Dupuis : Je pense que le projet de loi n’est pas très clair sur ce qu’est une région à forte présence francophone. Le gouvernement n’a pas nécessairement voulu définir cette notion. Lorsque nous avons comparu devant le comité d’experts en avril 2021, nous aurions souhaité que les recommandations de ce comité soient rendues publiques avant le dépôt du projet de loi.

Nous ne sommes pas au courant de ce qu’a étudié le comité d’experts, mais il a formulé des recommandations à la ministre Joly quant à ce que cela pourrait vouloir dire. Je présume qu’après l’adoption de la loi il y aura un autre processus de règlement d’application des nouvelles mesures et que nous serons appelés à témoigner et à faire valoir nos observations par rapport à tout cela.

Chose certaine, il y a une certaine inquiétude au sein des communautés francophones et acadienne; un francophone qui habite dans une région où le français se porte bien aura le droit de travailler en français et de recevoir des services, alors que les francophones qui habitent ailleurs au pays auront des droits différents. C’est une source d’inquiétude et c’est la raison pour laquelle nous proposons un modèle moins territorial qui pourrait s’appliquer partout où il y a des populations francophones suffisantes. C’est justement le modèle utilisé pour désigner les bureaux fédéraux bilingues.

Il y a des bureaux fédéraux bilingues dans des régions comme l’Alberta et la Colombie-Britannique, parce qu’il y a une masse importante de francophones dans certaines villes. Donc, pourquoi ne pas se fier à un modèle intéressant qui permet d’assurer un accès plus équitable à des services et, surtout, un droit de travailler dans la langue de son choix ailleurs au pays? Ce serait vraiment un gain pour le français. La seule façon d’arriver à faire en sorte que le français soit une langue normale, c’est de pouvoir la parler partout au pays, pas seulement dans des zones où on la parle déjà beaucoup.

Le sénateur Dagenais : Je sais que vous ne voulez pas trop commenter le projet de loi no 96, malgré le fait que vous en ayez pris connaissance. Est-ce que la loi sur la langue au Québec est plus claire que le projet de loi C-13 que nous étudions?

M. Dupuis : Malheureusement, nous n’avons pas étudié les deux projets de loi côte à côte pour voir quel régime était le plus généreux. Cependant, nous avons entendu la ministre Petitpas Taylor dire que les obligations contenues dans son projet de loi ressemblent beaucoup à celles que contient le projet de loi no 96. Laissons les gouvernements et les juristes débattre de ce qui est plus clair. Pour le moment, nous n’avons malheureusement pas fait cette analyse.

Le sénateur Dagenais : Merci beaucoup.

La sénatrice Clement : Est-ce que vous avez pris note de l’analyse des coûts du projet de loi C-13 qui a été préparée par le Bureau du directeur parlementaire du budget? De plus, j’aimerais demander à M. Dupuis d’en dire un peu plus sur son commentaire concernant les centres d’excellence ou le genre d’investissement que le gouvernement fédéral devrait mettre en place. Si nous allons de l’avant avec le projet de loi C-13, quel type d’investissement sera nécessaire pour que ce projet de loi soit un succès?

M. Dupuis : Nous avons pris connaissance du rapport auquel vous faites référence sur les coûts associés. Ce n’est pas une surprise pour nous d’apprendre qu’il y aura des coûts supplémentaires associés à l’implantation d’une série de nouveaux droits au sein des entreprises privées. Il est évident qu’il faudra de nouveaux règlements et qu’il faudra suivre leur évolution. S’il y a des droits, c’est que les citoyens pourront se plaindre au commissaire aux langues officielles. Le commissaire devra faire enquête et un mécanisme de conformité sera développé.

Pour nous, ces coûts sont normaux. Si nous voulons faire des gains et faire progresser le français dans le secteur privé, il est logique que des coûts soient indiqués dans ce rapport. Ce que nous trouvons rassurant dans le rapport, c’est que les autres mesures du projet de loi C-13 ne semblent pas perçues comme exagérées ou comme des coûts faramineux pour l’État fédéral. C’est vraiment une continuité avec ce que le gouvernement fédéral fait déjà pour les langues officielles.

Quant à votre deuxième question, voulez-vous que j’en dise un peu plus? Je crois que le fédéral joue un rôle d’accompagnement des entreprises. On ne peut pas mettre en place une structure de conformité et de nouveaux droits sans qu’il y ait véritablement des ressources pour développer de meilleures pratiques. Il a fallu 50 ans pour que l’État fédéral mette en place un bilinguisme officiel, et encore, en lisant les rapports du commissaire, on constate qu’il y a des manquements, malgré toutes les ressources qui ont été mises en place pour l’enseignement des langues et la conformité.

Bref, il est évident que nous allons de l’avant avec une nouvelle étape du développement et de la promotion du français au pays, et cela exigera des outils et un accompagnement conséquent de la part du gouvernement fédéral.

Je n’ai pas d’idée particulière par rapport à un centre d’excellence, mais je crois qu’il faudra y réfléchir et surtout développer des outils si nous voulons que ces droits soient réels et qu’on n’ait pas seulement à se plaindre. Il ne faut pas que tout repose sur les citoyens qui ont des droits et qui doivent déposer des plaintes et que, finalement, il n’y ait pas de ressources pour assurer que ces droits puissent être exercés dans les faits.

La sénatrice Clement : Merci, monsieur Dupuis.

Le président : Je vous remercie de votre réponse. Je vais poser une question à mon tour et, compte tenu du temps qu’il nous reste, j’accorderai la dernière question à la vice-présidente, la sénatrice Poirier.

Je vous remercie de vos réponses claires. J’ai bien compris que vous ne voulez pas intervenir dans le champ de compétence du Québec. Toutefois, ma question a trait à votre modèle. Si votre modèle se fonde sur celui qui est en vigueur dans les institutions fédérales, est-ce à dire qu’au Québec les employés d’entreprises privées de compétence fédérale devraient être tenus d’offrir des services en anglais ou de travailler en anglais dans certaines régions, comme c’est le cas dans certaines institutions fédérales au Québec?

Comprenez-vous le sens de ma question? Est-ce qu’il faudrait avoir une équation égale à l’intérieur des entreprises privées qui sont situées au Québec par rapport à celles qui sont à l’extérieur du Québec?

Mme Roy : Merci, monsieur le sénateur. Il est clair que nous sommes vraiment préoccupés par le fait de faire progresser le français. Nous avons mis de l’avant notre modèle surtout pour nos communautés francophones et acadienne. Je vais laisser Alain continuer.

M. Dupuis : Je pense encore qu’il incombe aux intervenants du Québec de se prononcer là-dessus. Il est clair qu’au Québec il y a une forte pression publique pour que le français soit davantage respecté au sein des entreprises fédérales en sol québécois. Je verrais mal que l’on souhaite aller à l’encontre de cela. Pour nous, il est clair qu’il faut un modèle qui fera progresser le français vers l’égalité réelle.

Le président : Je comprends que votre principale préoccupation est de faire progresser le français. Je vous remercie de cette réponse. Madame la sénatrice Poirier, vous avez la dernière question.

La sénatrice Poirier : Ma question porte sur l’un des amendements proposés, qui est d’avoir le Conseil du Trésor comme agence centrale de l’application la loi. Comme vous, je suis d’opinion que le Conseil du Trésor doit être l’agence centrale d’application de la loi.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur la raison pour laquelle le Conseil du Trésor devrait être l’agence centrale pour l’application de la Loi sur les langues officielles? Et selon vous, est-ce que la réussite du projet de loi C-13 dépend grandement du fait d’avoir le Conseil du Trésor comme agence centrale pour l’application des changements contenus dans le projet de loi?

Mme Roy : Je vous remercie de la question, car c’est très important pour nous. Pour ce qui est de la mise en œuvre de la loi, nous avons suggéré le Conseil du Trésor, parce qu’il en gère déjà certaines parties. Nous recommandons qu’il soit responsable de l’ensemble de la mise en œuvre de la loi, de toute la loi.

Cela ferait en sorte que nous aurions véritablement une agence centrale pour la mise en œuvre, la coordination et la reddition de comptes par rapport à la loi. Pour nous, c’est effectivement un aspect très important du projet de loi C-13.

Le président : Malheureusement, c’est tout le temps que nous avons, sénatrice Bellemare. Je vous remercie. Cela montre votre intérêt pour notre comité et pour le travail que nous faisons. Malheureusement, j’essaie de respecter le temps qui nous est imparti pour les réunions.

Madame Roy et monsieur Dupuis, je vous remercie très sincèrement encore une fois de votre générosité et de vos réponses à des questions de toutes sortes. Merci pour le travail que vous faites pour les communautés francophones et acadienne du Canada. Votre contribution à ce comité est fort importante.

Merci aux sénateurs et aux sénatrices qui ont accepté de se joindre à nous ce soir. Vos questions et vos commentaires ont également contribué à notre réflexion. Nous attendons le projet de loi avec impatience, pour passer de l’étude préliminaire à l’étape de l’étude du projet de loi. Merci aux interprètes et à notre personnel administratif. Bonne fin de soirée à vous.

(La séance est levée.)

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