LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 24 octobre 2022
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 16 h 4 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
J’invite maintenant les membres du comité à se présenter, en commençant par ma droite.
Le sénateur Loffreda : Merci aux témoins d’être parmi nous. Tony Loffreda, de Montréal, au Québec.
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le président : Merci, chers collègues.
Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues, ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le pays qui nous écoutent.
Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je vous parle font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.
[Traduction]
Chers collègues, nous reprenons notre examen du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois. Le titre abrégé de ce projet de loi est « Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada ».
Comme vous le savez, cette réunion comporte trois parties.
[Français]
Avant de donner la parole aux témoins, je demande aux témoins et aux membres du comité de s’abstenir de se pencher trop près des microphones ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils prennent la parole. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir des conséquences négatives sur le personnel du comité. Comme vous le savez, nous tenons beaucoup à nos interprètes et, pour assurer leur sécurité, nous devons nous assurer que tout fonctionne adéquatement.
Pour notre premier groupe de témoins, nous recevons M. Michel Doucet, professeur émérite de la Faculté de droit de l’Université de Moncton, qui a reçu récemment l’Ordre du Canada. Il se joint à nous par vidéoconférence. Maître Doucet, bienvenue parmi nous.
Nous recevons également, du cabinet Juristes Power Law, Me Mark Power, avocat, et Me Darius Bossé, avocat. Bienvenue parmi nous.
Nous allons donc commencer par entendre Me Doucet et nous poursuivrons avec Me Power, puis nous passerons à une période de questions et de réponses. La parole est à vous, maître Doucet.
Michel Doucet, professeur émérite, Faculté de droit, Université de Moncton, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Bonjour à tous les sénateurs et sénatrices.
Je tiens tout d’abord à remercier les membres du comité de m’avoir invité à faire une présentation cet après-midi sur un sujet qui me tient à cœur et auquel j’ai consacré une très grande partie de ma vie adulte et professionnelle.
Ceux et celles qui me connaissent savent l’intérêt que je porte à la protection des droits linguistiques au Canada en général et au Nouveau-Brunswick en particulier.
La Loi sur les langues officielles du Canada et celle du Nouveau-Brunswick jouent un rôle important dans le développement et l’épanouissement des communautés linguistiques minoritaires, notamment des communautés de langue française qui se trouvent en situation minoritaire non seulement dans leurs provinces, à l’exception évidemment du Québec, mais aussi à l’échelle du pays et du continent. Ces communautés ont besoin que les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, prennent conscience de leur fragilité et de la nécessité de les soutenir activement si nous voulons assurer leur pérennité.
Il va donc de soi que la reconnaissance de droits à une communauté linguistique minoritaire s’accompagne d’une obligation essentielle : elle doit favoriser l’atteinte d’une égalité réelle. Cette communauté doit pouvoir revendiquer, dans certaines circonstances, un traitement différent de celui de la majorité afin que ses besoins particuliers soient pris en considération. Or, la notion d’égalité réelle est souvent mal comprise. On tend souvent à concevoir les droits linguistiques comme représentant une réponse à une simple demande d’accommodement. Dans une telle interprétation, ces droits se limiteraient au droit de communiquer avec les pouvoirs publics et de recevoir des services dans la langue officielle de son choix. Cette vision a pour effet d’instrumentaliser les droits linguistiques; elle fait fi de la nécessité de la sécurité linguistique du groupe, qui est l’un des motifs fondamentaux de la reconnaissance de ces droits.
L’objet principal des droits linguistiques est de favoriser l’épanouissement et le développement non seulement du locuteur pris isolément, mais aussi de la communauté entière qui regroupe l’ensemble de ces locuteurs. Si tel n’était pas le cas, nous pourrions nous interroger à bon droit sur la nécessité de reconnaître ces droits. En effet, puisque, en règle générale, les membres de la communauté minoritaire pris individuellement peuvent s’exprimer dans la langue de la majorité, à quoi les droits linguistiques serviraient-ils, sinon à être de simples outils d’accommodement pour les seuls cas isolés où une personne ne serait pas capable de parler la langue de la majorité? En conséquence, les droits linguistiques doivent servir nécessairement à favoriser tant la primauté de la progression des communautés minoritaires de langue officielle vers l’égalité réelle que leur essor soutenu et leur plein épanouissement dans l’harmonie politique et sociale.
Je suis conscient que cette reconnaissance ne suffit pas, à elle seule, à changer les mentalités. Le texte de loi ne peut assurer à lui seul non plus la survie d’une communauté linguistique. Ce rôle déterminant appartient plutôt aux membres de la communauté linguistique minoritaire. C’est à eux qu’il revient d’assumer cette responsabilité. C’est à eux qu’il incombe de veiller au respect de ces droits.
J’aurai l’occasion tout à l’heure de répondre à vos questions concernant le projet de loi C-13. Auparavant, je tiens à vous dire que je considère ce projet de loi comme un pas dans la bonne direction. Oui, il pourrait aller plus loin sur certaines questions, mais comme le dit si bien Montesquieu, « le mieux est le mortel ennemi du bien ».
Je vais maintenant me permettre de faire certains commentaires sur le projet de loi. La loi devrait effectivement reconnaître la diversité des régimes linguistiques provinciaux et territoriaux qui contribuent à la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. Par exemple, dans le cas du Nouveau-Brunswick, la loi doit reconnaître cette spécificité linguistique particulière que j’ai personnellement défendue jusqu’à la Cour suprême du Canada contre la GRC, pour s’assurer qu’elle offre des services dans les deux langues officielles sur l’ensemble du territoire.
La loi doit également servir à préciser les obligations juridiques relatives aux langues officielles qui s’appliquent en tout temps aux institutions fédérales, notamment lors des situations d’urgence comme celle que nous venons de vivre durant la pandémie.
Il est bien de voir dans le projet de loi que l’on prévoit que l’article 16 s’applique à la Cour suprême du Canada. Il faut toutefois aller plus loin et s’assurer que cette reconnaissance soit inscrite dans la Loi sur la Cour suprême.
La loi prévoit aussi que le gouvernement fédéral doit s’engager à protéger et à promouvoir le français, langue qui se trouve actuellement en situation de vulnérabilité au Canada.
En ce qui concerne les pouvoirs accrus du commissaire aux langues officielles, je vois d’un très bon œil les accords de conformité et les sanctions administratives; encore faut-il que le commissaire utilise ces nouveaux pouvoirs qui lui seront conférés.
En ce qui concerne la gouvernance, certains intervenants ont proposé d’éliminer le dédoublement de responsabilités entre le Conseil du Trésor et le ministre du Patrimoine canadien, en confiant au Conseil du Trésor l’élaboration et la coordination générale des principes et des programmes d’application de la loi. Je n’ai personnellement rien contre ces propositions. Je tiens toutefois à rappeler que le Conseil du Trésor est déjà responsable de la question de la langue de travail et de la formation linguistique. Or, les cas récents ont démontré qu’il ne s’était pas nécessairement bien acquitté de cette tâche. Le fait de confier la gouvernance au Conseil du Trésor ne garantit donc rien en soi.
Il faut aussi préciser les pouvoirs qui constituent des mesures positives prévues dans la partie VII de la loi. Je reviendrai sur la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale, notamment en ce qui concerne le Nouveau-Brunswick.
Enfin, mon expérience m’a appris que même avec la plus belle loi qui soit, si le leadership et l’engagement politique sont absents, celle-ci n’apportera que peu de changements concrets. Le leadership sur ces questions doit venir non seulement des ministres, mais surtout du premier ministre, et il doit se transmettre sans compromis à la fonction publique et à la société canadienne.
Il est évident qu’on ne peut pas tout prévoir dans une loi et que la réglementation jouera un rôle important dans sa mise en œuvre. Je suis conscient qu’il y a encore beaucoup de choses à préciser, mais je crois qu’il faut laisser le gouvernement développer sa réglementation plutôt que d’élargir le cadre de la loi pour chercher à inclure tout ce qui nous vient à l’esprit.
Après plusieurs mois de débats à l’intérieur et à l’extérieur des comités parlementaires, il est temps de passer à l’adoption du projet de loi de modification de la Loi sur les langues officielles. Je crois que le temps est venu d’adopter le projet de loi et d’aller de l’avant dès maintenant, bien que l’on sache que la loi n’est pas parfaite. Il faut aller de l’avant, sans quoi on risque de se retrouver avec une loi qui ne contient aucune modification.
Le débat sur les langues officielles au pays n’est pas terminé. Cependant, si on veut une loi parfaite, le projet de loi C-13 risque de ne jamais voir le jour. Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup, maître Doucet. Nous aurons l’occasion de poser des questions après les présentations de Me Power et de Me Bossé.
La parole est à vous, maîtres Power et Bossé.
Me Mark Power, avocat, Juristes Power Law : Je m’appelle Mark Power. Je suis avocat à Ottawa. Je comparais avec mon collègue Me Darius Bossé. Je tiens à remercier également et à souligner la contribution de Me Chris Casimiro et de deux stagiaires, Malorie Kanaan et Alex-Ann Rousseau.
Le contexte est important et j’aimerais mentionner rapidement une chose ou deux à ce sujet. Avant 1969, le français et l’anglais ne bénéficiaient d’aucune protection statutaire. Outre dans la Constitution, le français n’était pas protégé. Cette situation a changé avec Trudeau père en 1969.
On a passé les années 1970 à dénoncer la loi de 1969, parce que la coordination ne fonctionnait pas. Les institutions fédérales ne se parlaient pas entre elles et n’atteignaient pas les objectifs. En 1988, on a réécrit la loi, sous Brian Mulroney et Lucien Bouchard avant qu’il quitte la scène fédérale. En 1988, l’objectif principal était de confier une bonne partie de la loi à une agence centrale. En 2005, le regretté sénateur Jean-Robert Gauthier a pris une petite partie de la loi, soit la partie VII, et l’a rendue justiciable devant les tribunaux, qui ont confié la coordination de celle-ci au ministre du Patrimoine canadien.
En 2017, votre comité a lancé une étude d’envergure. Justin Trudeau a souligné votre contribution et s’est engagé à réécrire la loi en 2018. Le livre blanc de la ministre Joly a été publié en 2021, le projet de loi C-32 a été déposé à l’aube des élections et maintenant, nous avons le projet de loi C-13. C’est tout un contexte. Vous en êtes peut-être même étourdis.
Pour vous aider à comprendre, digérer et analyser le tout dans le cadre de votre étude préalable, vous avez reçu un cartable avec quelques onglets. Le cartable a également été distribué sous forme numérique et il contient des signets électroniques.
Le document le plus important après la table des matières se trouve à l’onglet 1. Dans la colonne de gauche de cet onglet se trouve un document de cinq pages. Ce sont des modifications concrètes et pratiques qui ne permettront pas au projet de loi C-13 de devenir une loi parfaite, mais qui lui permettraient d’atteindre les objectifs avoués et, au moins, de fonctionner.
À l’onglet 2, on voit le projet de loi C-13 inséré dans la loi actuelle. Nous avons pensé que ce pourrait être un outil de travail intéressant pour votre étude préalable.
À l’onglet 3, vous trouverez des propositions de modifications et des libellés concrets qui, selon ce qu’en décideront vos collègues de la Chambre des communes, pourraient peut-être servir de terreau fertile à des modifications potentielles que pourrait proposer votre comité.
L’onglet 5 contient vos recommandations. Ce comité, depuis au moins 2019, a produit une liste de recommandations concrètes qui doivent figurer dans un projet de loi. Or, la plupart de ces recommandations importantes ne figurent pas dans le projet de loi C-13, malgré le travail de longue haleine que vos collègues et prédécesseurs ont fait.
Pour ce qui est de l’onglet 6, vos collègues de la Chambre des communes ont fait la même chose. Certains d’entre eux sont devenus ministres depuis ce temps. Pourtant, en 2019, la Chambre des communes, elle aussi, recommandait des modifications concrètes à la Loi sur les langues officielles, lesquelles ne figurent pas dans le projet de loi C-13.
À l’onglet 7 du cartable, le commissaire aux langues officielles suggère plusieurs modifications qui, encore une fois, ne mèneraient pas à une loi parfaite, mais à une bonne loi qui fonctionnerait.
De quoi parle-t-on concrètement? On parle d’un Conseil du Trésor qui doit s’occuper de la coordination, de la vigie et de la mise en œuvre de la loi. Il ne s’agit pas d’un Conseil du Trésor qui signerait des chèques. Le Conseil du Trésor aurait l’obligation d’intervenir au besoin, non pas par rapport à une partie de la loi, mais par rapport à l’ensemble de la loi. Ce serait un Conseil du Trésor qui ne pourrait pas déléguer ses responsabilités.
On parle de clauses linguistiques. Les ententes fédérales-provinciales doivent être encadrées, surtout si on est sur le point de se serrer la ceinture sur le plan des fonds publics. Si le gouvernement du Canada dépense de l’argent, il faut que nous sachions où va cet argent et il faut que cet argent soit bien dépensé. Or, le projet de loi C-13 ne dit rien à ce sujet.
En ce qui concerne l’immigration francophone, le projet de loi C-13 exige l’adoption d’une politique, mais on en a une depuis des décennies et elle ne fonctionne pas. Il faut modifier le projet de loi C-13 pour que la politique d’immigration rétablisse le pouvoir démographique des francophones et des Acadiens plutôt que de rester lettre morte.
En ce qui concerne la partie VII, il faudrait adopter des mesures positives nécessaires, et pas seulement celles que certaines personnes dans la fonction publique jugent indiquées. Il faudrait un cadre de consultation au moins aussi bon que celui du projet de loi C-11, que vous connaissez beaucoup plus que moi.
Quand le gouvernement du Canada cède des biens immobiliers excédentaires, il devrait penser aux commissions scolaires francophones avant de les mettre sur le marché; il n’y a aucune obligation prévue à ce sujet en ce moment. D’ailleurs, le gouvernement du Canada recule en la matière; c’est gênant et cela mérite d’être corrigé.
Le lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick devrait être bilingue dès sa nomination, et la personne qui succédera à la gouverneure générale du Canada devrait être bilingue et, souhaitons-le, capable de maîtriser d’autres langues au moment de sa nomination. Les sous-ministres du gouvernement fédéral devraient également être bilingues dès leur nomination.
Enfin, il faudrait désormais que la Constitution du Canada existe en français et en anglais. Je me reprends : elle existe. Pouvons-nous donner force de loi à la version française? Ces modifications sont prêtes, le texte existe et il a été préparé par des légistes. Le projet de loi C-13 est un pas dans la bonne direction, mais le projet de loi C-13 actuel ne fera pas en sorte que nos enfants et nos petits-enfants parleront français, et il doit être amélioré. Merci de votre attention.
Le président : Merci beaucoup pour cette présentation et pour la documentation que vous nous avez fournie.
Nous allons commencer la période des questions et des réponses. Chers collègues, nous y consacrerons environ cinq minutes. Prenons le temps de poser les questions adéquates à ces témoins importants.
Le sénateur Loffreda : Merci aux témoins d’être avec nous. Premièrement, j’aimerais féliciter M. Doucet pour son admission à l’Ordre du Canada. Bravo! Ma première question s’adresse à M. Doucet. Me Power et Me Bossé pourront également commenter s’ils le désirent.
Monsieur Doucet, lorsque vous avez comparu devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes, vous avez affirmé qu’il fallait prévoir que l’article 16 de la loi devrait s’appliquer à la Cour suprême du Canada. Vous avez précisé que cette simple modification ne serait pas suffisante pour assurer en tout temps qu’un juge de la Cour suprême soit en mesure de comprendre les avocats dans les deux langues officielles.
Pourriez-vous prendre quelques instants pour donner plus d’information à ce sujet? Vous croyez que cette disposition n’aurait pas les effets escomptés; comment pourrions-nous donc remédier à cette situation?
M. Doucet : Je ne dis pas qu’elle n’aurait pas les effets escomptés. La modification proposée à l’article 16 est un pas dans la bonne direction et envoie le message que les juges nommés à la Cour suprême doivent être bilingues.
Ce n’est pas complet; si on se limite à cela, rien n’empêche la Cour suprême, qui peut parfois siéger avec cinq juges, d’avoir sept juges bilingues et deux juges unilingues anglophones. Lorsque les plaidoiries se feraient en français, on aurait un banc de juges francophones, c’est-à-dire sept juges au lieu des neuf juges.
Il faudrait également modifier la Loi sur la Cour suprême et s’assurer effectivement que tous les juges nommés à la Cour suprême sont capables d’entendre les causes dans les deux langues officielles pour compléter ce changement qu’on avait déjà commencé à l’article 16. Ma crainte, c’est que l’on se retrouve dans une situation où l’article 16 permettrait de faire un accommodement plutôt que d’assurer un traitement égal des juristes francophones qui comparaîtraient devant la cour. Cela n’empêcherait pas de nommer des juges unilingues anglophones.
Le sénateur Loffreda : Merci.
Me Power : Je suis généralement d’accord avec les propos de mon collègue. J’ajouterais qu’à l’onglet 15 du cartable, vous trouverez la demande de la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law qui, en plus de saluer le bilinguisme à la Cour suprême du Canada, rappelle que la plupart des Canadiens et des Canadiennes interagissent avec des juges de première instance, peut-être parfois avec des juges de cour d’appel, mais très rarement avec des juges de la Cour suprême du Canada.
C’est extrêmement important également d’évaluer les compétences linguistiques des gens qui veulent devenir juges de procès et de cour d’appel. Il est important qu’un juge bilingue de Sudbury soit remplacé par un juge bilingue, tout comme à Winnipeg. La demande qui figure à l’onglet 15 va dans ce sens-là. À la toute dernière page de cet onglet, vous retrouverez la recommandation de ce comité, qui est de faire exactement cela. Le libellé qui permettrait de faire cela dans le projet de loi C-13 se trouve dans la lettre de la FAJEF à la page 3.
Le sénateur Loffreda : Merci de nous avoir fourni cette documentation — ce sera une lecture très intéressante — et merci de la précision.
Ma prochaine question concerne la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Devant le comité de la Chambre des communes, Me Janice Naymark a soulevé un point très intéressant au sujet de la référence à la Charte de la langue française du Québec dans le projet de loi C-13.
Elle est d’avis que cette référence brouille la limite entre les sphères de compétence fédérale et provinciale et avance que, en intégrant des références à la Charte de la langue française du Québec dans la Loi sur les langues officielles, le gouvernement fédéral appuie indirectement le projet de loi no 96 du Québec. Ce faisant, il la rend légitime de manière implicite.
Lors de la réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles du 3 octobre dernier, l’ancien juge à la Cour suprême Michel Bastarache a dit s’opposer à une référence à une loi provinciale dans une loi fédérale, alors que le professeur Benoît Pelletier était d’avis que la mention de la Charte de la langue française légitimait la loi. Avez-vous une opinion sur cet énoncé? Êtes-vous d’accord pour dire que, en invoquant la Charte de la langue française dans un texte législatif fédéral, on rend la loi québécoise légitime? Devrait-on éviter une telle approche, comme le suggère Me Bastarache?
M. Doucet : Je vais laisser mes collègues de Juristes Power Law répondre à la question.
Me Darius Bossé, avocat, Juristes Power Law : Nous ne nous sommes pas penchés sur cette question. J’aurais tout de même quelques observations à faire à ce sujet.
Dans l’article où le projet de loi propose de renvoyer à la Charte de la langue française, on fait référence à d’autres textes; ces autres textes sont des textes constitutionnels. Il est plutôt anormal que la Charte de la langue française soit la seule loi à laquelle on fait référence dans cette section. Les autres textes proviennent de la Constitution du Canada.
Je sais que le doyen Robert Leckey comparaîtra plus tard aujourd’hui et je crois qu’il s’est penché sur cette question.
M. Doucet : Je vais faire miens les commentaires de Me Bossé.
La sénatrice Mégie : On entend beaucoup parler des minorités francophones et anglophones et on en parle à tous les niveaux. Juridiquement, y aurait-il une définition claire pour chacune de ces expressions?
Me Bossé : Étant donné que le projet de loi C-13 introduit le fait que le français est minoritaire en Amérique du Nord, il y a des organismes qui craignent qu’il y ait de la confusion entre les communautés d’expression française en situation minoritaire à l’extérieur du Québec et les Québécois francophones. À l’onglet 3 du cartable, le cinquième paquet de notes, qui s’intitule « L’expression minorité francophone », propose d’insérer dans le projet de loi C-13, qui modifie la Loi sur les langues officielles, une définition des minorités francophones qui aurait pour effet d’assurer qu’il n’y ait jamais de confusion entre les Québécois francophones et les communautés d’expression française en situation minoritaire.
La sénatrice Mégie : Si on fait ce que l’on propose de le faire ici, est-ce que cela éviterait de tout mélanger, quand on est au Québec, car quand on dit « les minorités », on pense tout de suite aux minorités anglophones?
Me Bossé : Je vous invite à consulter le cinquième paquet de notes, à l’onglet 3.
La sénatrice Mégie : Je suis toujours à l’onglet 3, au cinquième paquet de notes.
Me Bossé : Dépliez-le. Vous verrez que ce qui est proposé dans la troisième colonne vise justement à apporter cette clarté. Il n’y aurait pas de confusion si une telle définition était ajoutée au projet de loi C-13.
La sénatrice Mégie : Merci.
M. Doucet : Personnellement, je ne suis pas favorable à une définition exacte de ce qu’est une communauté minoritaire francophone. Je crois que, dans le projet de loi, lorsqu’on parle de la vulnérabilité du français en Amérique du Nord, on parle du français de façon générale. Je suis impliqué dans ces dossiers depuis une cinquantaine d’années, et on sait déjà qu’il y a une définition sociologique, historique et politique de ce que sont les communautés francophones à l’extérieur du Québec; on s’y reconnaît facilement. Ma crainte, avec une définition, est qu’elle ne serait pas suffisamment englobante.
Pour moi, être francophone au Nouveau-Brunswick ne signifie pas de faire remonter son héritage à la déportation et d’être Acadien. Un nouvel arrivant qui veut défendre la place du français au Nouveau-Brunswick fait également partie de la communauté francophone. Je ne vois pas de conflit, d’ailleurs, entre la définition de « francophone hors Québec » et celle de francophone au Québec. On vit les mêmes défis en Amérique du Nord. Sur ce plan, je m’en remets plutôt à la définition sociologique, politique et historique et à l’identification que les personnes font, selon laquelle elles appartiennent à une communauté.
La sénatrice Mégie : Merci.
Le président : Vous vouliez commenter de nouveau, maître Power?
Me Power : Je suis d’accord avec ce que M. Doucet vient de dire par rapport à l’inclusivité de la communauté francophone. La question, comme je la comprends, madame la sénatrice Mégie, est différente et l’effet du projet de loi C-13, si on ne fignole pas cette définition, pourrait être très surprenant en raison du fait qu’on reconnaît enfin que le statut du français est minoritaire au Québec, et pas seulement ailleurs au Canada.
Le président : Merci beaucoup pour ces commentaires.
La sénatrice Moncion : Bonsoir et bienvenue à cette réunion où l’on parle encore une fois du projet de loi C-13. Le gouvernement a transformé la discrétion du Conseil du Trésor en obligation. Toutefois, le projet de loi C-13 accorde au Conseil du Trésor un pouvoir de déléguer ses pouvoirs et confie à Patrimoine canadien la tâche de mettre en œuvre certaines parties de la loi.
Si je comprends bien vos commentaires, vous aimeriez que le Conseil du Trésor ait encore plus de pouvoir en matière de mise en œuvre du projet de loi C-13. La professeure Cardinal, lors de sa comparution, a fait valoir que ce serait catastrophique et difficile à mettre en place par les fonctionnaires. J’aimerais vous entendre sur les vues divergentes qui ont été présentées ici, la vôtre et celle de Mme Cardinal.
Me Power : Dans le cartable, à l’onglet 9, vous trouverez un extrait très pointu du débat des années 1980 sur cette question précise. Le débat est fascinant. Il se tient entre Lucien Bouchard et le sénateur De Bané, qui discutent de la manière de coordonner la loi. Cette loi remontait à 1969 et on ne prévoyait aucune coordination dans le texte de loi.
À l’onglet 9, à la troisième page au bas, on retrouve le sénateur De Bané relayant les propos de nul autre que Gérard Pelletier. Ce dernier disait à l’époque qu’il fallait que ce soit le Conseil du Trésor, qu’il ne fallait pas prendre de chance et qu’en fin de compte, le gouvernement avait conclu que le Conseil du Trésor devait être habilité à jouer ce rôle de coordination s’il le souhaitait — c’est ce qu’on voit en ce moment dans la loi. À l’époque, le sénateur De Bané disait ceci, et je cite :
Permettez-moi de vous dire que personnellement, je suis très pessimiste au sujet de l’impulsion que le secrétariat d’État pourra avoir avec un article aussi dilué [...]
[...] je vous prédis, tout ce qu’il va vous causer, c’est des frustrations.
Madame la sénatrice Moncion, le commissaire aux langues officielles du Canada rend rapport après rapport après rapport depuis des décennies. On a enfin sonné l’alarme à l’échelle du Canada : le français est en perte de vitesse. Il faut absolument que le gouvernement du Canada dépense correctement les fonds et atteigne les fins visées. Cela ne veut pas dire que c’est l’agence centrale qui irait rencontrer les francophones ou les Acadiens sur le terrain; bien sûr que non.
Une suggestion qui a été faite en ce sens par certains de mes collègues devant ce comité induirait ce dernier en erreur, sûrement de bonne foi. Ce n’est pas la question. Voici la question : quand une institution fédérale ne fait pas son travail ou n’atteint pas les objectifs, est-ce que quelqu’un devrait pouvoir intervenir? Faut-il se croiser les bras et aller devant les tribunaux? Une agence centrale devrait pouvoir intervenir au besoin pour corriger le tir, en amont du travail du commissaire aux langues officielles et bien en amont de la Cour fédérale. Ce pourrait être des gens comme Me Bossé et moi ou comme Me Doucet, dont la carrière est éloquente à ce sujet.
La sénatrice Moncion : Merci. Monsieur Doucet, auriez-vous des commentaires sur le même sujet?
M. Doucet : Comme je l’ai dit tout à l’heure dans ma présentation, je ne m’oppose pas à ce que l’on décide effectivement de redonner la gouvernance de la loi au Conseil du Trésor. Je crois que c’est une idée véhiculée depuis de nombreuses années. Peut-être que, d’un point de vue réaliste et à cause de mon expérience, j’ai appris que, quel que soit l’organisme à qui l’on donne la gouvernance de la loi, s’il n’y a pas de mesures concrètes et précises mises en place pour s’assurer qu’il fasse son travail et s’il n’y a pas de leadership politique non plus, cela ne changera rien.
Ultimement, on ne fera que transmettre à un autre ce que d’autres organismes ont fait au préalable, des organismes qui n’ont pas mis en œuvre les obligations qu’ils avaient. La loi peut prévoir ces obligations. On pourra encore faire des plaintes au commissariat ou se retrouver devant les tribunaux, mais ce qui est important, à mon avis, c’est qu’on trouve un moyen de s’assurer que l’organisme qui assurera cette gouvernance le fait sérieusement. Ce pouvoir viendra surtout du leadership politique qui devrait être exercé.
Le président : Je vais vous laisser répondre, maître Power. Je veux juste ajouter une question complémentaire. Certains témoins ont prétendu que Patrimoine canadien était le mieux habilité pour faire ce travail à cause de ses compétences. Certains disent carrément que le ministère le plus compétent ou l’instance gouvernementale la plus compétente pour faire le travail est le ministère du Patrimoine canadien, qui connaît bien les besoins des communautés, par exemple.
Je voudrais donc avoir votre commentaire, maître Power. Pourriez-vous ajouter votre commentaire à la réflexion qui se tient sur les compétences, les habiletés et la force des connaissances de Patrimoine canadien par rapport au Conseil du Trésor?
Me Power : Je commence avec la première partie. Évidemment, je suis d’accord avec Me Doucet pour dire que le leadership politique est important; c’est peut-être même une condition nécessaire, tout comme l’encadrement législatif. Par contre, madame la sénatrice Moncion, ce qu’il y a de fascinant ici, c’est que le leadership politique a été démontré. Dans le cartable qui est devant vous, à l’onglet 13, on retrouve l’extrait le plus pertinent du livre blanc du gouvernement du Canada, soit une expression du leadership politique.
Au verso, on voit une promesse politique concrète, noir sur blanc, avec une seule agence centrale responsable de l’ensemble de la loi. À quelles fins? Dans la colonne de gauche à mi-chemin, sénatrice Moncion. Il s’agit de confier le rôle stratégique de la coordination, pas l’envoi de chèques, mais la coordination horizontale à un seul ministre. Le projet de loi C-13 ne fait pas cela. Parlons d’engagement politique. Je m’attends à ce que le gouvernement du Canada, quand il promet quelque chose, le fasse. L’écart est énorme entre le projet de loi C-13 et le discours tenu par ce gouvernement. Je veux croire que c’est une erreur. Si le comité de la Chambre ne corrige pas le tir, je vous recommande de le faire quand ce projet de loi arrivera chez vous.
Le président : Madame la sénatrice, je vous donne la parole encore une fois si vous avez une deuxième question, car j’ai pris un peu de votre temps de parole; allez-y.
La sénatrice Moncion : Je vais y revenir, parce que j’ai une autre question pour le deuxième tour.
Le président : Merci à tous de vos réponses et de vos questions.
Le sénateur Mockler : De prime abord, vous nous avez préparé toute une brique qui comporte beaucoup d’information.
Si vous me donnez quelques secondes, monsieur le président, j’aimerais remercier Me Doucet de son leadership partout au pays, et surtout au Nouveau-Brunswick avec l’Acadie. Je l’ai rencontré dans les années 1980 et je peux vous dire qu’il n’a pas changé. Il a toujours participé au débat. Félicitations, maître Doucet, surtout pour avoir reçu l’Ordre du Canada.
J’ai plusieurs questions. Je vais vous donner un peu de contexte, puis je poserai une question. Le français, langue menacée, approches différenciées : dès le départ du processus de modernisation de la Loi sur les langues officielles, le gouvernement du Canada a publié un livre blanc intitulé — et je sais que vous le savez — Vers une égalité réelle des langues officielles au Canada. On peut y lire ce qui suit :
Le discours du Trône de septembre 2020 reconnaît le statut de langue minoritaire du français au Canada et en Amérique du Nord. Le gouvernement s’y engage à protéger le français à l’extérieur du Québec, mais aussi au Québec, dans le plein respect des droits de sa minorité d’expression anglaise.
On comprend aussi que les langues ne sont pas égales et que c’est sans doute le français qui est menacé au Canada et au Québec. D’ailleurs, comme vous le savez, la Cour suprême l’a reconnu à plusieurs reprises au cours des dernières années.
Ma question s’adresse aux trois avocats : êtes-vous d’accord pour dire que le statut de la langue française est précaire au Canada et au Québec? Ne croyez-vous pas que la loi devrait refléter une approche différenciée entre les deux langues officielles du Canada?
M. Doucet : Effectivement, je crois que le projet de loi reconnaît une réalité sociologique que l’on constate déjà depuis très longtemps : la langue qui est en situation de vulnérabilité, au Canada, dans toutes les provinces canadiennes et en Amérique du Nord — peut-être même au Québec, mais au Québec, la situation est différente —, c’est le français.
Il y a des tendances lourdes sur les parlants français qui font en sorte — on le voit au Nouveau-Brunswick avec le dernier recensement — que ces communautés sont davantage fragilisées. Je suis heureux que l’on reconnaisse enfin cette réalité sociologique dans un projet de loi. Maintenant, est-ce qu’on devrait avoir une approche différenciée? Je crois que la réalité québécoise, la réalité des anglophones québécois et la réalité des francophones hors Québec, bien qu’il y ait certaines similitudes, sont bien différentes.
Effectivement, on a déjà plaidé, pour ce qui est de l’article 23 de la Charte, en faveur de l’adoption d’une approche asymétrique sur le plan de son interprétation, parce que les communautés francophones hors Québec vivent une situation de vulnérabilité beaucoup plus grande. On pourrait, à l’intérieur même de la Loi sur les langues officielles — à moins qu’on adopte une loi pour mieux protéger le français au Canada, comme celle qui a existé à l’époque au Nunavut — adopter une approche différenciée pour reconnaître cette situation de vulnérabilité des communautés francophones à l’extérieur du Québec.
Souvent, les gens nous disent que la réalité des anglophones québécois et des francophones à l’extérieur du Québec est semblable, mais elle est bien différente sur le plan de la recherche et de la pérennité de la survie. Je suis l’un de ceux qui seraient favorables à cette approche fondée sur l’égalité réelle, une approche asymétrique qui reconnaît la situation des communautés francophones. Je suis heureux de voir que la loi reconnaît enfin cette situation, mais encore une fois, il faut voir ce que cela veut dire dans le concret. On peut avoir la plus belle loi qui comprend tous les éléments, mais si elle n’est pas mise en œuvre, cela ne donnera rien en fin de compte.
Me Power : Bien sûr, bien des défis sont différents. À mon sens, il faut saluer le réalisme de la loi. Je suis à l’onglet 3 du cartable, le quatrième paquet de notes, la septième partie. Donc, au quatrième paquet, à la deuxième colonne, ce que l’on prévoit dans le projet de loi C-13, c’est d’ajouter un nouvel engagement, celui qui est relatif à la protection et à la promotion du français en Amérique du Nord, partout au Canada, y compris au Québec.
C’est dommage qu’on en soit là. C’est notre situation. Si on tourne la page, par contre, selon le projet de loi C-13, les institutions fédérales devront prendre des mesures positives, mais quelles mesures positives? Des mesures positives que la fonction publique jugera indiquées, apparemment.
Non. Il est essentiel pour l’avenir du français au Canada et au Québec — et il est même dans l’intérêt des anglophones québécois — que le gouvernement du Canada doive prendre les mesures nécessaires, pas juste celles qu’il estime indiquées. Un seul mot aura un impact majeur sur le plan juridique et aura un effet domino au sein de la fonction publique. C’est bien de reconnaître la différence, mais il faut ensuite passer aux gestes, car le changement affecterait ou aiderait tant les anglophones que les francophones.
Le sénateur Mockler : Ma question s’adresse encore aux trois juristes. Le livre blanc dit ce qui suit :
L’existence d’un foyer francophone majoritaire dans un Québec où l’avenir du français est assuré est non seulement un objectif légitime, mais aussi une prémisse fondamentale du régime fédéral des langues officielles.
Cela dit, la loi reconnaît que des minorités francophones ou anglophones sont présentes dans chaque province et territoire et que la minorité anglophone du Québec et la minorité francophone des autres provinces et territoires ont des besoins différents.
Je veux féliciter Me Doucet quand il parle de leadership et d’engagement politique. J’ai siégé à d’autres assemblées et je peux vous dire que de l’engagement politique et du leadership, il en faut si on veut protéger et promouvoir la langue française. C’est la même chose pour les anglophones qui sont en situation minoritaire — comme dans ma circonscription lorsque j’étais au Nouveau-Brunswick, comme dans la région de la ville d’Edmunston, que je connais très bien et que Me Bossé connaît encore mieux que moi.
Le gouvernement du Québec réclame que la Charte québécoise de la langue française — communément appelée la loi 101 — s’applique aux entreprises de compétence fédérale au Québec. Cette demande non partisane est appuyée par tous les partis représentés à l’Assemblée nationale et par six anciens premiers ministres du Québec. Que pensez-vous de cela?
Me Power : J’ai deux remarques à faire. La première, c’est qu’il est dommage que le gouvernement fédéral ait, pendant trop longtemps, omis d’occuper ce champ et de légiférer sur la langue pour les entreprises de compétence fédérale. On peut donc comprendre l’impatience de plusieurs francophones acadiens et de la majorité francophone au Québec.
Ma deuxième remarque est que oui, bien sûr, on le sait tous : les anglophones québécois ont des défis, les francophones et les Acadiens également. Ils sont différents, mais nous avons tous des défis. Selon moi, sénateur Mockler, cela souligne l’importance de consulter et de bien consulter. Le projet de loi C-13 fait du bien parce qu’il impose désormais une obligation de consultation — l’onglet 4, quatrième paquet, paragraphe 9 — mais contrairement au projet de loi C-11, il ne va pas en détail. Il laisse presque entièrement les modalités de cette consultation à la discrétion de la fonction publique.
Je ne suis pas assez intelligent pour comprendre pourquoi le Parlement fédéral va en grand détail dans le projet de loi C-11 sur la façon de consulter les francophones, les Acadiens, les anglophones québécois, et aussi la majorité francophone, et pourquoi on s’en tient à une seule petite phrase dans le projet de loi C-13. Si l’on consulte correctement, on pourra mieux comprendre la différence et mieux répondre aux différents besoins.
M. Doucet : Vous me permettrez de regarder cela d’un autre côté, sénateur Mockler. On parle beaucoup du Québec. On parle toujours du Québec lorsqu’on parle de la Loi sur les langues officielles. Je vais regarder la question sous l’angle de l’autre partie de ce projet de loi, qui dit que dans certaines régions à prédominance francophone à l’extérieur du Québec, on appliquerait la même politique, c’est-à-dire une politique de bilinguisme au sein des institutions fédérales présentes.
Vous me permettrez de dire que, si on fait cela au Nouveau-Brunswick, je préférerais qu’on ne le fasse pas du tout. Au Nouveau-Brunswick, si on applique uniquement ces dispositions-là dans les régions majoritairement francophones, cela inclurait la péninsule acadienne et peut-être même une partie de la région du Madawaska, qui offre déjà des services dans sa langue. Cela restera purement symbolique.
Si l’on croit sincèrement à la spécificité des provinces, on doit appliquer une disposition comme celle-là à l’ensemble du territoire au Nouveau-Brunswick. Si l’on reconnaît l’égalité des deux communautés linguistiques, que ce soit un francophone à Moncton ou à Caraquet, les francophones comme les anglophones devraient avoir les mêmes droits.
Je crois qu’il y a suffisamment de gens qui parlent de la situation au Québec et, malheureusement, il n’y a pas suffisamment de personnes qui parlent de la situation des communautés francophones à l’extérieur du Québec. Pour moi, ce serait très dangereux d’appliquer uniquement une disposition comme celle-là dans des régions à prédominance francophone. À ce moment-là, peut-être qu’on se retrouverait avec des entreprises de compétence fédérale qui ne pourraient plus s’établir dans ces régions et qui iraient dans des régions à prédominance anglophone.
On revient un peu à cette approche, c’est-à-dire à ce que j’avais contesté devant les tribunaux par rapport à la GRC, qui continuait d’appliquer ces dispositions au Nouveau-Brunswick comme si elle était dans une autre province, alors qu’elle devait offrir des services sur l’ensemble du territoire.
Dans le contexte de la révision de cette loi, je crois qu’il faut parler de la situation des communautés francophones à l’extérieur du Québec et pas simplement à l’intérieur du Québec. Je sais que nous sommes supposément des experts, et certaines personnes du Québec viendront en parler, mais il faut également examiner les conséquences de ce projet de loi sur les communautés francophones à l’extérieur du Québec.
Le président : Merci, monsieur Doucet.
Avez-vous des commentaires à faire, maître Power?
Me Power : Pour appuyer ce que Me Doucet vient d’expliquer, à l’onglet 5, on trouve les recommandations de votre comité en 2019. À la page 43, à la recommandation no 16, votre comité recommandait exactement ce dont Me Doucet vient de parler, ce que le projet de loi ne fait pas, à ma connaissance.
Le président : Merci beaucoup. À mon tour de vous poser quelques questions.
Vous avez tous les trois abordé des enjeux communs. J’aimerais entendre ce que vous avez à dire au sujet des clauses linguistiques. Nous avons entendu beaucoup de témoins nous parler de l’importance des clauses linguistiques, de la nécessité de les inclure dans les ententes fédérales, provinciales et territoriales. Nous avons entendu peu de commentaires à propos du contenu de ces clauses linguistiques.
Quels critères devrait-on prendre en compte pour définir ces clauses, et quel type de mesures faudrait-il prévoir en cas de non-respect de ces clauses? J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet, afin de mieux saisir les enjeux qui touchent l’inclusion de clauses linguistiques dans les ententes provinciales et fédérales. Qui peut prendre la parole à ce sujet? Maître Bossé d’abord?
Me Bossé : Essentiellement, l’enjeu est que le gouvernement fédéral verse beaucoup d’argent aux provinces. Or, ce financement ne se rend pas nécessairement là où il est destiné, et il n’est pas nécessairement consacré aux services ou il n’est pas versé conformément aux obligations du gouvernement fédéral d’appuyer nos communautés et d’en faire la promotion.
Je pense que la meilleure façon de voir comment on pourrait imaginer une obligation d’inclure des clauses linguistiques, c’est d’examiner la disposition proposée à l’onglet 3, dans le deuxième paquet du document, à la page 2. Les organismes ont créé une disposition qui codifie en partie certains des jugements prononcés par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Fédération des francophones de la Colombie-Britannique c. Canada (Emploi et Développement social).
D’abord, cette disposition crée une obligation pour les institutions fédérales de négocier des clauses linguistiques. Que signifie une « clause linguistique »? Parfois, les clauses linguistiques sont bonnes, parfois non. Les organismes ont demandé une disposition, soit un deuxième paragraphe, pour prévoir le contenu minimal d’une clause linguistique. On y voit, par exemple, une exigence de consulter les minorités afin de comprendre leurs besoins; il faudrait que l’affectation des fonds, par l’entremise de l’entente fédérale-provinciale, réponde aux besoins décelés au cours de la consultation et que le gouvernement fédéral se garde un droit d’intervenir si l’organisme qui reçoit des fonds ne les dépense pas de la bonne façon.
Malheureusement, en droit, un tiers bénéficiaire à un contrat n’a pas vraiment le droit de forcer l’exécution du contrat. C’est aux deux parties d’assurer le respect du contrat. Une clause prévoirait donc que le gouvernement fédéral doit maintenir son droit d’intervenir auprès de la province pour exiger qu’elle respecte les clauses. Cela va dans ce sens et cela codifie ce que la Cour d’appel fédérale a effectivement dit dans le recours de la FFCB.
Il y a aussi le fait que les provinces ne sont pas obligées de signer une entente. C’est vrai : les provinces sont souveraines dans leurs champs de compétence. Par contre, cela n’empêche pas que le Parlement, qui est aussi souverain, peut imposer une obligation au gouvernement fédéral, en cas d’échec des négociations en vue d’une entente fédérale-provinciale, de dégager ces fonds directement dans les communautés auprès des organismes.
Le gouvernement fédéral a un pouvoir constitutionnel de dépenser. Il peut tout à fait attacher des conditions à ces transferts de fonds. Le procureur général du Canada l’a admis devant la Cour d’appel fédérale dans le recours de la FFCB. C’est accepté en droit canadien. Cela ne pose pas problème.
Le président : Merci, maître Bossé.
Maître Doucet, voulez-vous ajouter un commentaire?
M. Doucet : J’aimerais simplement ajouter que je suis tout à fait d’accord avec ce que Me Bossé vient de dire. J’ajouterais tout simplement que c’est aberrant qu’en 2022, on soit en train de discuter de l’obligation de rendre des comptes de la part des provinces lorsqu’elles reçoivent des sommes qui sont destinées aux communautés francophones en situation minoritaire, et qu’on parle encore de la question des clauses linguistiques. Il y a déjà presque 50 ans qu’on en parle.
Sur ce plan, je serais très déçu si cela ne faisait pas partie des obligations qui sont imposées au gouvernement fédéral; celui-ci doit s’assurer effectivement que, lorsque des sommes sont destinées aux communautés francophones en situation minoritaire, il y ait une consultation avec ces communautés, comme le disait Me Bossé, qu’il y ait également une obligation imposée aux provinces de rendre des comptes et une obligation du gouvernement fédéral de s’assurer que les fonds sont effectivement dépensés pour les objectifs que l’on s’était donnés. Je trouve cela triste qu’en 2022, on soit encore là à en discuter. Cela aurait dû être fait il y a déjà plusieurs années.
Le président : Merci, maître Bossé.
Me Power : Je suis tout à fait d’accord avec ce que Me Doucet vient de dire. À l’onglet 6, vous retrouverez la recommandation du comité de la Chambre des communes qui va exactement dans ce sens. Donc, à la page 3, on dit qu’il faut inclure des clauses linguistiques dans tout accord entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires. C’est parce que la Chambre des communes veut que cela se fasse que vous retrouvez dans votre cartable le libellé concret de ce que pourrait être cet article qui impose des clauses linguistiques.
Le président : J’aimerais vous entendre sur la question des consultations. Là aussi, nous venons tout juste d’en parler.
Dans le projet de loi C-11, qui vise à modifier la Loi sur la radiodiffusion, il y a effectivement un certain nombre de critères très précis associés à l’importance de consulter les communautés linguistiques francophones en situation minoritaire. Cela est lié directement au CRTC. Certains prétendent que ces critères ne peuvent pas être systématiquement transférés au projet de loi C-13, d’une part, parce que les différents ministères fonctionnent différemment. Il y a une certaine discrétion accordée aux différents ministères pour consulter les populations.
J’aimerais vous entendre à ce sujet. Quels seraient les principaux critères que vous entrevoyez? Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui disent qu’il faut laisser de la latitude aux différents ministères?
Me Bossé : Le degré de précision qui est recommandé pour le projet de loi C-13, c’est exactement le même que celui du projet de loi C-11, qui vise à moderniser la Loi sur la radiodiffusion et que vous connaissez bien. Ces critères, ce degré de précision, ce n’est pas inventé. C’est la Cour suprême du Canada qui, dans la décision relative à la nation haïda, explique ce que représente une consultation effective, ou en anglais meaningful consultation. La Cour suprême du Canada énonce les critères et la marche à suivre pour consulter une partie. Quand les institutions fédérales ou les gens disent que c’est impossible de satisfaire à ce critère, c’est parce qu’ils ne réussissent pas à respecter leurs propres obligations constitutionnelles de consulter les peuples autochtones.
Je n’y crois tout simplement pas. Je pense que c’est plutôt un manque de volonté de faire une consultation ou de faire une consultation aussi rigoureuse qu’elle devrait l’être. Je ne crois pas qu’il est impossible de se conformer aux normes énoncées par la Cour suprême en matière de consultation effective.
Me Power : La disposition imposant cet encadrement à la consultation pourrait entrer en vigueur un ou deux ans plus tard, pour permettre à la fonction publique de développer des outils nécessaires si elle n’arrive pas déjà à s’acquitter de ses propres obligations envers les peuples autochtones.
M. Doucet : Je ne ferai que répéter ce que Me Bossé a dit tout à l’heure. Ce n’est pas sorcier de faire de la consultation. Il y a quand même déjà des principes qui sont là et si on ne le fait pas, il y a peut-être une certaine mauvaise foi si on ne se rend pas à la consultation.
Le président : J’aurais une dernière question avant de passer la parole à la sénatrice Moncion.
En ce qui concerne les nouveaux pouvoirs du commissaire aux langues officielles, faudrait-il étendre le pouvoir d’ordonnance à la partie VII? Ce que j’essaie de savoir, brièvement, c’est jusqu’où on devrait étendre les pouvoirs du commissaire aux langues officielles. Par exemple, les sanctions administratives pécuniaires devraient-elles être étendues à d’autres parties de la Loi sur les langues officielles et à d’autres secteurs que celui des transports?
Les nouveaux pouvoirs du commissaire aux langues officielles sont-ils bien définis? On compte beaucoup, d’après les témoins, sur ces nouveaux pouvoirs pour s’assurer du respect de la loi et des obligations des institutions fédérales. Que pouvez-vous nous dire sur ces nouveaux pouvoirs pour mieux comprendre jusqu’où on doit aller dans l’attribution de pouvoirs accrus pour le commissaire aux langues officielles?
M. Doucet : Je vais répondre d’abord; je sais que mes collègues auront certainement des choses à ajouter.
Je suis favorable à un élargissement des pouvoirs du commissaire aux langues officielles. Évidemment, j’aimerais voir les ententes de conformité et les sanctions administratives élargies pour qu’elles s’appliquent à d’autres parties de la Loi sur les langues officielles, que ce soit à la partie VII ou ailleurs. Je crois qu’il faut effectivement qu’il y ait des outils pour redonner confiance aux Canadiens et aux Canadiennes en leur commissaire aux langues officielles.
Actuellement, avec les pouvoirs qu’a le commissaire aux langues officielles pour ce qui est de faire des rapports, j’entends trop souvent les gens dire que cela ne donne rien de faire des plaintes, puisque le commissaire ne fait que des recommandations et qu’en fin de compte, elles ne sont pas nécessairement suivies par les institutions, qui continuent à répéter les mêmes erreurs ou les mêmes manquements à la loi.
J’y ai toujours été favorable. Dans la loi actuelle, un pouvoir a été donné au commissaire aux langues officielles pour qu’il puisse intenter des poursuites. On sait que ce pouvoir n’a pas été utilisé de façon systématique par le commissaire. On a souvent reproché au Commissariat aux langues officielles de ne pas le faire assez souvent. Il intervenait dans des dossiers, mais ne prenait pas le leadership.
Si on donne de nouveaux pouvoirs au commissaire, je veux m’assurer également qu’il les utilisera à bon escient. Je suis favorable au fait de lui donner plus de pouvoirs pour assurer que les institutions se conforment aux obligations prévues dans la loi.
Me Power : Il n’y a pas vraiment de raison pour laquelle les pouvoirs d’ordonnance du commissaire aux langues officielles ne pourraient pas être étendus à la partie VII également.
Cependant, en ce qui concerne la portée de ces pouvoirs, je pense qu’il faut en déférer à l’entité qui gère ces pouvoirs et ces obligations.
J’aimerais porter à votre attention le fait que, dans ses recommandations qui figurent à l’onglet 7, le commissaire demande d’élargir le pouvoir d’octroyer des sanctions administratives pécuniaires. Je pense que le commissaire aux langues officielles sait ce qu’il peut ou ce qu’il devrait pouvoir faire et qu’on devrait donner un certain poids à cette recommandation.
Le président : Merci.
M. Doucet : Je suis d’accord avec Me Bossé pour dire qu’il y a effectivement un problème en ce qui concerne les sanctions administratives pécuniaires. On ne peut pas demander au Commissariat aux langues officielles d’être à la fois l’administrateur de la loi et le juge qui impose les pouvoirs pécuniaires. Peut-être que si l’on va dans cette direction, il faudra bien encadrer le pouvoir pécuniaire du commissaire ou créer une autre structure, comme on l’avait déjà proposé dans les années 1990, soit quelque chose qui serait semblable au Tribunal canadien des droits de la personne. Cependant, je ne crois pas qu’on aille jusque-là en ce qui concerne la révision de la loi.
Le président : Si je comprends bien, pour ce qui est des pouvoirs accrus du commissaire aux langues officielles, il y a toute une panoplie d’actions possibles avant d’arriver aux sanctions administratives pécuniaires; il y a des ententes de conformité et une espèce de médiation possible entre les parties et tout.
Par le passé, certains témoins nous ont parlé d’un certain cynisme par rapport à l’efficacité des sanctions administratives pécuniaires. Par exemple, une entreprise comme Air Canada qui se voit attribuer une sanction administrative pécuniaire de 25 000 $, est-ce vraiment dissuasif? Quels sont les outils dont disposera le commissaire aux langues officielles qui seront les plus utiles pour lui permettre d’assurer la conformité de la loi?
M. Doucet : Ce que je préfère dans les pouvoirs accordés, ce sont les ordonnances de conformité. Le pouvoir des sanctions administratives pécuniaires, je suis d’accord avec vous pour dire que c’est à un autre niveau; 25 000 $ pour Air Canada, je ne crois pas que cela changera quelque chose. Cependant, des ordonnances de conformité bien utilisées pourraient permettre au commissaire aux langues officielles de jouer un rôle plus important pour assurer un suivi des recommandations.
Bien que je fasse de la médiation en matière de relations de travail — et j’en ai fait également lorsque j’étais au Tribunal canadien des droits de la personne —, je ne suis pas un fervent défenseur de la médiation lorsqu’on a une institution fédérale d’un côté et de l’autre, un simple citoyen. Le déséquilibre entre les deux fait en sorte que cela prend des arbitres très astucieux pour rétablir cet équilibre; je l’ai vu et cela ne fonctionne pas nécessairement bien en ce qui concerne le Tribunal canadien des droits de la personne. Cela fonctionne lorsque les deux parties sont sur un pied d’égalité. La médiation m’inquiète un peu et j’aime mieux voir le commissaire aux langues officielles jouer un rôle en ce qui concerne l’éducation et les ordonnances de conformité.
Me Power : Ce qui est proposé dans le projet de loi C-13 à ce chapitre-ci est imparfait; c’est mieux que rien, mais imparfait.
Si on était au magasin général, si on cherchait la perfection, on aurait un tribunal canadien des langues officielles. C’est ce qui a été proposé il y a plusieurs années et qui a été délaissé pour faire preuve d’un peu plus de pragmatisme. Ce qui est proposé mènera-t-il à une amélioration de la situation? Oui. Est-ce parfait? Non.
Le président : J’aurais une dernière sous-question avant de céder la parole à la sénatrice Moncion.
La sénatrice Moncion : Elles sont longues, vos questions.
Le président : Vous avez raison. Cela devrait-il s’étendre à d’autres secteurs que celui du transport?
M. Doucet : Oui.
La sénatrice Moncion : Je voudrais revenir à ce que vous avez dit tout à l’heure au sujet du document qui se trouve à l’onglet 13. Vous avez mentionné au point nº 2, dans les propositions législatives — vous avez seulement mentionné la deuxième —, et je cite :
[...] confier le rôle stratégique de la coordination horizontale à un seul ministre afin d’assurer une gouvernance et une mise en œuvre efficace.
Dans le paragraphe juste au-dessus, on parle de, et je cite :
[...] renforcer et élargir les pouvoirs conférés au Conseil du Trésor, notamment celui de surveiller le respect de la partie VII de la loi, le cas échéant, en accordant au Secrétariat du Conseil du Trésor les ressources nécessaires pour assumer le rôle d’organisme central chargé de veiller à la conformité des institutions fédérales et en examinant les cas où les dispositions permissives seraient rendues obligatoires.
Si je comprends bien, de la façon que le projet de loi C-13 a été rédigé, il semble faire cette distinction à l’intérieur de la loi; je voudrais vous entendre là-dessus et peut-être que vous pourrez me corriger en fonction de ce qui avait été l’engagement du gouvernement et de la réponse qu’il a donnée dans le projet de loi C-13.
Cela fait un bon moment qu’on discute du rôle du Secrétariat du Conseil du Trésor et du rôle de Patrimoine canadien, et il semble avoir été précisé dans le projet de loi C-13; j’aimerais vous entendre là-dessus.
Me Power : L’article 2.1 du projet de loi C-13 ferait en sorte que deux institutions fédérales devraient se coordonner pour veiller à une meilleure mise en œuvre de la loi. Ce que les 50 dernières années nous ont enseigné, c’est qu’il faut qu’une institution fédérale en soit responsable.
Vos prédécesseurs ont réalisé que, pour assurer l’avenir du français, il fallait une agence centrale, en l’occurrence le Conseil du Trésor. Ce qui est peut-être nouveau comme contribution, sénatrice Moncion, et qui pourrait aider le comité dans son travail se trouve à l’onglet 12.
À l’onglet 12, Me Bossé et moi avons reproduit les extraits des quatre derniers plans d’action, y compris celui qui est en vigueur. La plus grande partie du premier plan d’action, le fameux plan de Dion, était consacrée à la coordination horizontale, non pas par Patrimoine canadien, mais par M. Dion en sa capacité de ministre des Affaires intergouvernementales et président du Conseil privé à l’époque. C’est lui qui coordonnait Patrimoine canadien, et non l’inverse. C’était, de loin, le facteur le plus important.
Dans le deuxième plan d’action, le premier de M. Harper, une seule page porte sur la coordination.
Dans le troisième plan d’action, soit la deuxième feuille de route, on a une demi-page sur la coordination; enfin, le plan d’action en vigueur en ce moment ne parle pas du tout de coordination.
Cette question doit être réglée. Il ne suffit pas d’engager plus de fonds, il faut que cela fonctionne. Ne réinventons pas la roue. Fions-nous sur des personnes comme M. Gérard Pelletier et vos prédécesseurs, dont Lucien Bouchard, et confions à une agence centrale le devoir de veiller au respect de toute la loi sans pouvoir de déléguer. Par rapport à cette idée de confier toute la loi à une agence centrale, je tiens à souligner qu’il est tout de même ironique que l’article 2.1 du projet de loi C-13 propose de confier à Patrimoine canadien, un simple ministère, la coordination de toute la loi.
Il est possible de confier toute la loi à une agence centrale. Il faut faire plus que susciter et encourager la coordination. Il faut quelqu’un qui, au besoin, peut contraindre la conduite. Patrimoine canadien ne peut le faire d’un point de vue juridique. Le Conseil du Trésor le fait depuis plus de 100 ans.
M. Doucet : Je me permets de faire un petit commentaire. Ce que vient de dire Me Power confirme ce que j’ai dit plus tôt. Il a parlé de Gérard Pelletier, de Lucien Bouchard, du ministre Dion et de leur leadership. Il a parfaitement raison. Oui, on peut confier le mandat au Conseil du Trésor. Toutefois, ce qui compte, c’est la personne qui sera là. Je ne suis pas convaincu que tous les ministres responsables ou tous les fonctionnaires du Conseil du Trésor connaissent si bien la Loi sur les langues officielles et sa mise en œuvre.
Encore une fois, tout à l’heure, on a démontré que c’est la personne, qu’elle soit à Patrimoine canadien, au Conseil du Trésor ou au ministère de la Francophonie internationale, comme ce fut le cas du ministre Dion, qui donne ultimement le ton à la mise en œuvre de la loi.
Le président : Notre grand défi, en tant que législateurs, est de savoir comment inscrire cette question de leadership dans la loi.
M. Doucet : On ne peut pas le faire.
Le sénateur Loffreda : J’ai une dernière question rapide. En ce qui concerne les minorités linguistiques au pays, faudrait-il inclure une clause d’interprétation pour garantir la protection des droits des communautés anglophones du Québec?
Me Power : Oui.
Me Bossé : La loi le fait déjà. Elle reconnaît des droits à ces communautés. C’est ce que le gouvernement dit. Il veut continuer de protéger le français tout en protégeant les communautés anglophones. Donc, je ne vois pas pourquoi on ne le ferait pas.
M. Doucet : Ma réponse est oui également. Cela figure dans la loi, comme le disait Me Bossé. Toutefois, il faut reconnaître également que les communautés francophones hors Québec se trouvent dans une situation de vulnérabilité différente de celle des anglophones du Québec. C’est pourquoi, dans ce contexte, il faut donner un appui accru à ces communautés pour qu’elles puissent assurer leur pérennité.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Loffreda : Merci.
Me Power : Vous avez demandé comment inscrire le leadership dans une loi. En 1988, on l’a fait avec la partie VIII de la Loi sur les langues officielles. Elle est là, devant vous. Le problème est que ce leadership est optionnel et partiel. Or, on demande que le leadership soit mandatoire et total.
Le sénateur Mockler : Certains disent de nous dépêcher d’adopter le projet de loi immédiatement et disent que la réglementation des gouvernements suivra. Que pensez-vous de cette idée?
Me Bossé : Lorsque la loi a été adoptée en 1988, elle a été complètement refondue. Le législateur prévoit, pour presque chaque partie de la loi, une disposition invitant le gouvernement à réglementer la mise en œuvre de cette partie. Malheureusement, un seul règlement a été adopté. La partie VII n’a jamais fait l’objet d’un règlement. Sauf la partie IV, les autres parties n’ont jamais fait l’objet d’un règlement. Y aura-t-il un règlement? Peut-être que non. Cela relève de l’exécutif. Une fois que le Parlement délègue sa capacité de légiférer à la réglementation, il perd ce pouvoir.
M. Doucet : Je suis de ceux qui croient qu’il faut aller de l’avant et adopter un projet de loi le plus rapidement possible dans ce cas-ci. Je crains qu’en cherchant la perfection on risque de se retrouver avec pratiquement rien en fin de compte.
Il y a un aspect de la loi sur lequel on doit se pencher, et c’est la possibilité d’une révision aux cinq ans. C’est ce que l’on demande aujourd’hui et que l’on n’obtient pas : on pourrait voir à la mise en œuvre et y revenir, tout en se préparant à la prochaine révision pour réclamer des modifications. Si on cherche à créer une loi parfaite qui corrigera tous les problèmes, on risque de se retrouver avec rien du tout. Pour les communautés francophones hors Québec, l’heure est grave. Elles font face à d’énormes défis. Il faut absolument adopter cette loi et leur donner des outils. La loi ne sera pas parfaite et elle pourra être améliorée. Toutefois, nous pourrons y revenir et apporter ces améliorations. Il ne faudrait pas commettre l’erreur du Nouveau-Brunswick, qui a simplement prévu une date de révision et attendre, comme on le fait actuellement, que notre premier ministre exprime sa réaction à la loi. Il faudrait prévoir une révision et la réaction du gouvernement à la révision à la même date que doit se faire cette révision.
Le président : Sur ce, malheureusement, nous devons conclure. Maître Power, maître Doucet, maître Bossé, merci beaucoup de vos contributions exemplaires à cette discussion. Merci pour la documentation que vous nous avez transmise. Elle nous sera sûrement utile. Nous sommes à l’étape de l’étude préalable. Nous attendons, comme beaucoup de gens, que le projet de loi arrive au Sénat. Il est manifeste que vos interventions, vos réflexions, vos points de vue et votre documentation nous aideront à approfondir notre capacité à étudier adéquatement le projet de loi C-13 quand il sera devant cette Chambre. Merci beaucoup.
Chers collègues, nous accueillons maintenant Marguerite Tölgyesi, présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française. Bienvenue parmi nous et merci d’avoir accepté cette invitation de comparaître devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles. Nous allons vous permettre de faire votre intervention, qui sera suivie d’une période de questions et de réponses avec mes collègues qui sont ici à Ottawa. La parole est à vous.
Marguerite Tölgyesi, présidente, Fédération de la jeunesse canadienne-française : Merci, monsieur le président, et merci beaucoup de l’invitation; c’est la première fois que je comparais devant un comité parlementaire, donc c’est très excitant pour moi.
En tant que présidente de la Fédération de la jeunesse canadienne-française, c’est avec grand plaisir que je suis parmi vous aujourd’hui pour présenter notre position en ce qui a trait au projet de loi C-13. Je tiens à préciser que les terres sur lesquelles je me trouve font partie du territoire traditionnel des Premières Nations Kwanlin Dün et du Conseil des Ta’an Kwäch’än, au Yukon.
La FJCF est un organisme national géré par et pour les jeunes d’expression française au Canada, qui célébrera bientôt ses 50 ans. Nos membres sont des organismes jeunesse basés dans neuf provinces et deux territoires, qui représentent les intérêts des jeunes d’expression française de 14 à 25 ans. Notre expertise, c’est le vécu des jeunes et c’est sous cet angle que nous avons analysé le projet de loi C-13 et que nous avons publié un mémoire contenant nos recommandations en mai 2021.
Le fait de m’exprimer en français devant vous aujourd’hui est un privilège, un privilège qui ne devrait pas en être un. C’est pourquoi, à la FJCF, nous soutenons le projet de loi C-13, qui a été déposé dans un contexte particulier de pandémie qui a limité notamment les occasions de parler en français pour les jeunes. Je vous invite à consulter l’étude de l’impact de la COVID-19 de la Stratégie nationale pour la sécurité linguistique, afin de comprendre les multiples impacts d’un tel contexte sur les jeunes d’expression française.
Lors du dépôt de cette loi, nous étions satisfaits que le gouvernement ait été à l’écoute des besoins de nos communautés en ajoutant des éléments clés au projet de loi. Cependant, pour donner la possibilité à la francophonie canadienne de s’épanouir, il est nécessaire d’y apporter certaines modifications afin que la loi puisse suivre et guider les futures générations de personnes d’expression française.
Pour cela, nous appuyons les modifications proposées par la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, dont la FJCF est membre. Sachant que vous avez pris connaissance du document les répertoriant, je vais prendre le temps que vous m’accordez aujourd’hui pour mettre en lumière l’importance de prendre en compte l’avis des jeunes d’expression française.
Le « par et pour les jeunes » a fait ses preuves. Le développement des connaissances, la construction identitaire et l’engagement sont au cœur de cette philosophie. Je suis fière d’être aujourd’hui un exemple de cette vision. L’essence du « par et pour les jeunes » réside dans la consultation. Consulter les jeunes leur permet de se sentir écoutés et de prendre une part active dans l’amélioration des politiques publiques qui les concernent.
Il est ainsi primordial que le gouvernement du Canada reconnaisse le « par et pour les jeunes » pour mettre en place de vraies mesures positives pour appuyer le développement des communautés francophones partout au pays. Je pense notamment à l’amélioration de l’accès à des services de qualité en français, pour répondre aux enjeux spécifiques liés à la santé mentale et à l’éducation postsecondaire en français. De plus, la vitalité des communautés francophones en situation minoritaire passe notamment par l’immigration francophone. La prochaine loi doit avoir des politiques ambitieuses pour renverser le déclin du poids démographique de nos communautés.
Bien que le réseau jeunesse soit encore aujourd’hui aux premières loges pour défendre les droits linguistiques, force est de constater que le gouvernement se doit de jouer un rôle plus proactif. La francophonie canadienne, ce n’est pas seulement un enjeu politique. Pour nous, c’est également un mode de vie et une culture. Collaborons pour développer les possibilités et faire rayonner les communautés et les jeunes d’expression française dans tout le pays.
Merci beaucoup. Si vous avez des questions, je suis prête à y répondre.
Le président : Merci beaucoup de votre intervention. Nous allons passer à la période des questions et des réponses. La parole est à vous, sénatrice Mégie.
La sénatrice Mégie : Merci à la représentante de la Fédération de la jeunesse canadienne-française d’être avec nous. Vous avez parlé de votre mémoire qui a été déposé le 31 mai 2021. Comment votre mémoire a-t-il été reçu autour de vous?
Mme Tölgyesi : Autour de nous, dans la sphère politique?
La sénatrice Mégie : Surtout dans la sphère politique, parce que c’est là que se travaille le projet de loi C-13.
Mme Tölgyesi : Notre mémoire et les recommandations qu’il contient sont fortement basés sur les recommandations de la Fédération des communautés francophones et acadienne, dont nous sommes membres, comme je l’ai dit plus tôt. Il a été assez bien reçu, je dois dire.
Évidemment, il y a un jeu politique en place et nous souhaitons fortement que nos mémoires soient pris en compte au-delà des disparités politiques. Notre mémoire a été bien reçu, nous avons eu des commentaires très positifs. La fédération a assurément fait ses preuves à Ottawa.
La sénatrice Mégie : J’ai vu beaucoup de bonnes propositions concernant l’immigration francophone, par exemple. J’ai bien aimé que vous proposiez de réviser tous les 10 ans la Loi sur les langues officielles, pour que cela ne prenne pas encore 50 ans. Après votre lecture du projet de loi C-13, retrouvez-vous ces propositions? Il y en a plusieurs, comme les mesures positives et un accès universel à l’apprentissage de la langue officielle seconde pour tous. J’en ai cité quelques-unes sur les huit que vous avez proposées. Lesquelles retrouvez-vous dans le projet de loi C-13?
Mme Tölgyesi : Oui, il y en a plusieurs qui ont été mentionnées. Il y a aussi l’augmentation des pouvoirs du commissaire aux langues officielles. Cependant, d’autres n’ont pas été mentionnées, comme le concept d’agence centrale, dont les témoins qui ont fait une présentation avant moi ont parlé un peu plus techniquement.
Sinon, en général, on veut une voix plus forte, qui aura un impact direct dans nos communautés sur le terrain plutôt que dans la sphère politique.
La sénatrice Mégie : Merci.
Le président : Je vous remercie pour vos réponses.
Le sénateur Loffreda : Je remercie la Fédération de la jeunesse canadienne-française d’être avec nous. J’ai une question pour vous. Dans un communiqué de la Fédération de la jeunesse canadienne-française, en mars dernier, alors que le gouvernement venait de déposer le projet de loi C-13, votre organisation a accueilli favorablement le projet de loi en indiquant que le gouvernement était à l’écoute des besoins de vos communautés.
Toutefois, vous avez aussi affirmé ceci, et je cite :
[…] des précisions supplémentaires seront requises afin que tous les besoins de la jeunesse d’expression française et des communautés francophones en contexte minoritaire soient bien reflétés par ce nouveau projet de loi et que ces nouvelles mesures aient les impacts souhaités sur le terrain.
Pouvez-vous préciser votre pensée à ce sujet? J’aimerais que vous poussiez cette pensée un peu plus loin. D’abord, que vouliez-vous dire par « tous les besoins de la jeunesse d’expression française »? Ensuite, quels impacts souhaitez-vous voir sur le terrain?
Mme Tölgyesi : Certainement. Évidemment, le fait de voir un projet de loi visant à moderniser la Loi sur les langues officielles amène beaucoup d’optimisme.
Nous avons des besoins particuliers en tant que jeunes d’expression française en situation minoritaire qui doivent être appuyés par ce projet de loi, particulièrement en ce qui concerne les clauses linguistiques dans différents services et domaines.
Je peux vous donner un exemple. J’habite au Yukon, et tout notre financement provient du gouvernement fédéral. Quand le gouvernement du territoire obtient de l’argent pour des services en français dans un contexte minoritaire, il n’a pas été nécessairement utilisé à cette fin par le passé. Les jeunes ont été les grands perdants de cette situation. Plutôt que de financer une école francophone pour les jeunes en situation minoritaire, l’argent est peut-être allé à des services en immersion. Si les fonds vont dans les infrastructures, on peut perdre directement là-dedans, et cela a un effet direct sur les jeunes.
De plus, il y a l’idée selon laquelle si on n’a pas d’agence centrale ou de clauses linguistiques, il n’y a pas nécessairement de reddition de comptes de la part des gouvernements provinciaux et territoriaux auprès du gouvernement fédéral. Ce sont des choses qui nous affectent dans le domaine de l’éducation en général, mais aussi récemment, soit depuis la pandémie, en matière de santé mentale, c’est-à-dire qu’on n’a pas les mêmes besoins que les jeunes anglophones. On doit comprendre que se faire servir en français, surtout dans des situations où nous sommes vulnérables, comme dans le domaine de la santé, est absolument nécessaire. Désirez-vous que je donne plus de détails à ce sujet?
Le sénateur Loffreda : Non, c’est bien. Surtout, comme vous dites, dans le domaine de la santé.
Mme Tölgyesi : Je suis désolée; je ne peux pas donner d’exemples plus concrets ou techniques, comme les témoins précédents l’ont fait. J’apprécie vos questions.
Le sénateur Loffreda : Merci.
La sénatrice Moncion : Merci d’être avec nous aujourd’hui, madame Tölgyesi, en direct du Yukon. Je suis contente de voir qu’il y a des jeunes au Yukon qui parlent aussi bien français et qui sont prêts à défendre la langue et tous les services qui y sont associés.
Vous êtes à la tête de la Stratégie nationale pour la sécurité linguistique. Pourriez-vous nous indiquer en quoi le projet de loi C-13 est lié à la Stratégie nationale pour la sécurité linguistique?
Mme Tölgyesi : Oui, certainement. Pour ceux qui ne le savent pas, la Stratégie nationale pour la sécurité linguistique est une stratégie intergénérationnelle et multisectorielle que la fédération a mise de l’avant pour répondre à un problème d’insécurité linguistique. Cette insécurité se produit lorsqu’on ne se sent pas à l’aise d’utiliser sa langue pour une quelconque raison. Par exemple, on peut penser que notre français est moins bon que celui du voisin ou qu’on va se faire corriger; en milieu de travail, on va se sentir incapable de communiquer en français ou dans une autre langue. En général, c’est un peu ce sentiment-là qu’on essaie de décrire.
Le projet de loi C-13 pourrait avoir un effet sur la sécurité linguistique des jeunes, dans le domaine de l’éducation plus particulièrement, mais aussi dans le domaine de la culture en général.
Donc, une loi qui met de l’avant une francophonie canadienne unie et forte aura un effet direct sur la façon dont les jeunes voient cette langue et leur rapport général avec la langue. Donc, si par exemple je suis un jeune issu d’un couple exogame qui ne parle que l’anglais à la maison, mais que j’étudie en français à l’école, je n’ai pas nécessairement d’autres occasions de vivre en français ailleurs qu’à l’école. Mon attachement à la langue française sera institutionnel, donc je ne me verrai pas nécessairement représenté dans cette langue.
Une loi modernisée faisant preuve d’un leadership fort offrira à ces jeunes des occasions de vivre en français à l’extérieur. Par exemple, on pourra financer des institutions postsecondaires qui leur offriront des milieux de vie où ils apprendront à se connaître et à vivre des expériences fortes. Cela pourrait avoir un effet direct là-dessus. On parle beaucoup de construction à la fédération, et si on n’a pas une loi modernisée qui fait preuve de leadership dans ce domaine, cela prouve aux jeunes que la langue n’est pas nécessairement une valeur, en fin de compte. C’est un peu dans cette optique que la Stratégie nationale pour la sécurité linguistique et la modernisation de la loi entrent en jeu.
La sénatrice Moncion : Merci beaucoup. Vous avez parlé de reddition de comptes et des fonds qui étaient destinés à des projets francophones, mais vous n’étiez pas certaine que ces sommes se rendaient jusqu’à vous. Pourriez-vous nous parler un peu plus de la manière dont vous voyez la reddition de comptes entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial?
Mme Tölgyesi : Oui, certainement. Je vois cela comme un reçu pour expliquer ce qu’on a fait. Dans ma tête, c’est une vision un peu enfantine, mais c’est, selon moi, une promesse que l’on fait, et on tient finalement parole envers ces communautés. C’est un peu la façon dont le gouvernement fédéral protège les minorités dans les provinces et les territoires. On l’a vu en Alberta et en Ontario plus particulièrement; il y a certains gouvernements provinciaux qui ont fait des coupes importantes dans les services aux francophones en situation minoritaire.
À mon avis, la reddition de comptes doit avoir lieu pour nous protéger davantage sur le terrain, et cela montre un leadership du gouvernement fédéral, particulièrement envers ces communautés. Cela aurait l’air de quoi? Je pense que les juristes pourraient mieux vous le dire que moi, malheureusement, mais je crois fortement que c’est un besoin pour les communautés en général et pour les jeunes aussi.
La sénatrice Moncion : L’une des choses que vous pourriez exiger, vous qui êtes plus jeune et qui voulez voir la couleur de cet argent, c’est peut-être de demander que, lorsque des sommes sont octroyées aux gouvernements provinciaux, vous en soyez informés, à tout le moins pour savoir qu’il y a des fonds qui arrivent. Si vous aviez cette information-là, vous pourriez probablement suivre cet argent et voir à quoi il sert. Cela pourrait être une suggestion à faire au gouvernement fédéral. Qu’en pensez-vous?
Mme Tölgyesi : Certainement. Ce serait bien de suivre cet argent pour nos organismes. Ils pourraient éventuellement savoir à quelle enveloppe ils doivent présenter leur demande. C’est une très bonne recommandation. Merci.
La sénatrice Moncion : C’est ce qu’on appelle « suivre l’argent ». Quand on le suit, on sait ordinairement à quoi il a servi et c’est souvent les questions que l’on se pose, surtout lorsqu’il s’agit des services aux francophones. Merci beaucoup.
Le président : Merci. C’est maintenant le tour du sénateur Mockler et ensuite, je poserai des questions.
Le sénateur Mockler : Madame, je viens de voir aussi en regardant l’historique de Whitehorse et du Yukon que vous avez présentement le Centre scolaire secondaire communautaire Paul-Émile-Mercier...
Mme Tölgyesi : Oui, je pense qu’il a ouvert il y a deux ans, presque trois.
Le sénateur Mockler : Ce centre est à Whitehorse, au même endroit que l’École francophone Émilie-Tremblay du Yukon?
Mme Tölgyesi : Oui, elle se trouve dans la même ville, en effet; l’École Émilie-Tremblay est une école primaire et le CSSC Mercier est une école secondaire.
Le sénateur Mockler : Est-ce que vous avez une décision à prendre avec l’expérience que vous avez eue à Whitehorse et au Yukon... On peut regarder la Colombie-Britannique aussi, je le dis avec beaucoup de politesse, on voit l’intérêt qu’ils portent à la question et les grands dossiers qu’ils ont dû défendre pour faire avancer la langue française. Si je vous demande ce soir quels sont les trois plus grands défis du Yukon pour ce qui est de la définition de la langue française et de ses attributs lorsque des gens de l’extérieur qui viennent s’installer à Whitehorse? Je sais qu’il y en a beaucoup qui viennent du Nouveau-Brunswick et de l’Atlantique. Quels seraient les trois plus grands défis pour votre communauté au Yukon?
Mme Tölgyesi : C’est une très bonne question. Je dirais que le premier est l’infrastructure. Pour vous donner un peu de contexte, j’ai obtenu mon diplôme en 2015. C’est à ce moment-là qu’on parlait de construire la nouvelle école. On m’avait dit que j’y finirais mes études secondaires, mais malheureusement, cela n’a pas été le cas. Par contre, mon petit frère, qui a six ans de moins que moi, a eu cette chance. C’est un centre communautaire et scolaire. Donc, c’est absolument magnifique; il y a des salles de danse et des cuisines industrielles. C’est un très beau projet. Malheureusement, le projet a été conçu pour les chiffres de 2015, c’est-à-dire ma cohorte, et on s’entend pour dire que s’il n’y avait pas eu d’infrastructure, il y aurait eu un grand exode de jeunes étudiants francophones qui seraient allés vers l’immersion.
L’école est déjà en train d’exploser. Au primaire, c’est encore pire. Il y a énormément de jeunes Franco-Yukonnais en ce moment, donc on manque de places pour tous ces étudiants. C’est dommage. En fait, ce n’est pas dommage, c’est génial pour notre communauté, mais on aura besoin de beaucoup plus d’investissements dans les infrastructures. L’école primaire a déjà deux classes mobiles, soit quatre salles de classe qui se trouvent à l’extérieur. Il faut dire qu’au Yukon, entrer dans l’école à -40 degrés Celsius, c’est moins pratique pour les jeunes.
Les infrastructures vont main dans la main avec le loyer et le financement. On a plusieurs organismes communautaires qui partagent un espace en ce moment, mais nous aurions besoin de plus de place, bien sûr. À Whitehorse, les loyers sont absolument exorbitants, donc c’est plus difficile.
Je dirais ensuite que l’immigration est un autre défi particulier. C’est positif que les gens veuillent s’installer ici; on est une terre d’accueil. Mes propres parents ont immigré d’une autre province, mais beaucoup de gens ne viennent pas du Yukon et se sont installés ici. Pour des immigrants internationaux, le fait de venir s’installer au Yukon coûte extrêmement cher. Pourtant, on a une pénurie de main-d’œuvre francophone, alors il faut aller à l’extérieur du pays et même des autres provinces pour recruter des travailleurs. Ensuite, où ces gens-là pourront-ils s’installer? Il faut du financement pour payer des loyers abordables. Je connais plusieurs familles qui sont arrivées récemment qui doivent malheureusement se partager des chambres à environ quatre personnes, parce que le coût de la vie au Yukon est très élevé en général. Voilà, ce sont les grands secteurs dans la francophonie yukonnaise où il y a des défis.
Le sénateur Mockler : Si je récapitule, il s’agit donc des infrastructures, de l’immigration et aussi du suivi de l’argent?
Mme Tölgyesi : Le coût de la vie en général, je dirais.
Le sénateur Mockler : Avec ces organismes communautaires et l’expérience que vous avez, c’est vrai qu’on voit vos écoles déborder et qu’elles ont besoin de nouvelles infrastructures. Trouvez-vous que le projet de loi C-13 a suffisamment de mordant pour régler les problèmes du Yukon? Si vous ne pouvez pas répondre immédiatement, j’aimerais vous demander de nous faire part de votre réponse par écrit.
Mme Tölgyesi : C’est une très bonne question.
Honnêtement, je l’ai beaucoup étudiée par rapport aux jeunes, mais je l’ai moins étudiée par rapport à ma situation nordique. Je dois vous avouer que certainement, la loi a plus de mordant qu’elle en avait auparavant, mais l’idée est qu’elle garde son mordant et qu’elle renforce nos communautés. Je veux me sentir protégée par cette loi dans notre territoire. Pour avoir plus de mordant, du vrai mordant avec de gros crocs, j’ajouterais des clauses linguistiques et une agence centrale. Je peux vous revenir par courriel avec plus de détails si vous le voulez.
Le président : Merci. À mon tour de vous poser quelques questions; d’abord, une question sur les enjeux liés aux hautes technologies et aux médias sociaux. Je fais référence au commissaire aux langues officielles; il dit et suggère que la Loi sur les langues officielles doit rester actuelle dans le contexte de l’évolution des technologies. Il suggère, et je paraphrase un peu ce qu’il dit, mais il affirme que, dans les services avec le public, on parle d’un projet de loi, des imprimés et des publications, mais il faudrait aussi tenir compte des nouvelles technologies et possiblement des médias sociaux. On n’a pas beaucoup entendu parler des nouvelles technologies dans le contexte du projet de loi C-13. Je présume que votre génération utilise beaucoup les nouvelles technologies et est très présente sur les médias sociaux. Est-ce que, à votre avis, le projet de loi C-13 est suffisamment précis sur la façon dont il peut favoriser la promotion et l’utilisation des deux langues officielles sur les médias sociaux?
Mme Tölgyesi : Oui, c’est une très bonne question. Je dirais que je suis d’accord avec la publication du Commissariat aux langues officielles. Notre génération est sur les médias sociaux et c’est un fait, nous consommons énormément de contenu. On ne consomme pas toujours du contenu en français, parce qu’il n’est pas nécessairement accessible ou pertinent à notre situation. On s’entend que si l’on souhaite consommer du contenu en français, ce contenu est issu des médias québécois ou français. On ne se sent pas nécessairement représenté dans les médias et la loi pourrait avoir un effet là-dessus. Je dirais aussi que c’est une question d’accessibilité.
Particulièrement au Yukon, je suis très chanceuse de ne pas avoir eu de problème de connexion, parce qu’il neige depuis ce matin. La loi a assurément un rôle à jouer à cet égard. Pour rester à jour par rapport aux médias sociaux et aux nouvelles technologies, la loi doit être révisée beaucoup plus souvent que tous les 50 ans. Évidemment, il y a 50 ans, il n’y avait pas d’ordinateur ou d’Internet. C’est mon point de vue sur la question.
Le président : D’accord. Si je comprends bien — je pense notamment à la partie IV de la loi, qui touche les communications et les services —, la question de l’accessibilité dans une langue adéquate et accessible est un élément important pour vous.
J’aimerais aussi entendre ce que vous avez à dire sur la question des consultations. Vous avez parlé du concept du « par et pour ». On sait que la loi stipule que le gouvernement fédéral a la responsabilité de consulter les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Certaines questions se posent sur le type de critères et sur la façon de définir cette consultation.
À votre avis, est-ce que le concept « par et pour » devrait faire intrinsèquement partie des critères qui devraient être considérés pour consulter la population?
Mme Tölgyesi : Oui, certainement. Je pense que vous le faites en ce moment en m’ayant invitée à comparaître devant votre comité. Le concept du « par et pour », c’est une philosophie selon laquelle on se connaît soi-même et on connaît les besoins de notre communauté. Je pense que c’est la réalité pour les différentes communautés francophones partout au Canada et pour les minorités linguistiques en général.
Le concept du « par et pour », c’est un bon angle de consultation et un bon esprit dans lequel on peut travailler. Toutefois, les consultations devraient se faire plus en profondeur. On peut facilement consulter, mais parfois cela rentre par une oreille pour en ressortir par l’autre. Je n’ai pas de critères qui me viennent en tête, mais il faut tenir une consultation plus en profondeur, une consultation ouverte. Il ne faut pas tenir une consultation superficielle ou d’image, finalement.
Le président : Dans la loi, il y a des secteurs d’intervention stratégique qui sont identifiés. On ne parle pas spécifiquement de la jeunesse, à moins que je ne me trompe.
J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. Vous allez peut-être savoir d’où je viens avec ma question. J’imagine que la contribution des arts et de la culture dans la vie en français dans les milieux minoritaires a une importance pour vous comme pour beaucoup d’autres personnes. Jugez-vous pertinent que ce secteur d’intervention soit bien ciblé? Est-il suffisamment précis, à votre avis? Est-ce qu’il tient compte de la façon dont le secteur artistique et culturel peut contribuer au maintien et à l’épanouissement de la langue française, notamment dans votre cas? Y a-t-il un élément qui manque dans la loi actuelle, notamment en ce qui concerne la jeunesse?
Mme Tölgyesi : Je pense que vous parlez à la mauvaise personne si vous voulez que je donne une réponse objective à propos de la jeunesse. C’est sûr que la jeunesse doit faire partie du projet de loi. On a des besoins vraiment particuliers, compte tenu de notre tranche d’âge. La tranche d’âge des 14 à 25 ans est très vaste. Il y a divers besoins à l’intérieur de cette tranche d’âge.
En ce qui concerne la culture et les arts, je crois assurément que cela devrait être approfondi. Ce sont des occasions qui nous permettent de créer un attachement, des retrouvailles et une identité culturelle à une langue. C’est de là que viennent l’attachement et l’engagement. C’est un déclic qui se produit. Les jeunes vivent des expériences. On l’a vu récemment lorsqu’on a fait une étude d’impact sur le concept du « par et pour » les jeunes. Cette étude comportait plusieurs volets. Il y a eu des sondages, des entrevues personnelles et des profils. C’est vraiment intéressant de voir qu’un déclic s’est produit chez certaines personnes par l’entremise des arts, de la culture, des événements et des occasions de rencontres dans la langue française. C’est ce qui les a poussés à participer à leur communauté, à travailler en français ou à faire des études postsecondaires en français. À mon avis, cet aspect devrait absolument être revu en profondeur. Les jeunes ont assurément leur mot à dire à ce sujet.
Le président : Merci beaucoup, madame Tölgyesi.
La sénatrice Moncion : Ma question touche un des commentaires que vous avez fait tout à l’heure au sujet des clauses linguistiques. Vous avez fait référence aux clauses linguistiques qui devraient se trouver dans le projet de loi C-13 et à la question de l’agence centrale.
J’aimerais entendre vos commentaires sur l’intégration des clauses linguistiques dans les ententes fédérales, provinciales et territoriales. À quoi vous attendez-vous de ces clauses?
Mme Tölgyesi : En fait, je m’attends à ce que les provinces et les territoires rendent des comptes au gouvernement fédéral et aux communautés qu’ils servent.
Comme je l’ai mentionné plus tôt, ces clauses linguistiques sont un peu notre bouée de sauvetage par rapport aux mouvements politiques dans les provinces et les territoires. J’imagine un genre de système de reddition de comptes qui est réel et respecté, ce qui n’a pas toujours été le cas. C’est vraiment pour nous protéger en tant que jeunes et pour protéger la langue française en général. On l’a vu sur le plan démographique, on n’en est pas encore là. Plusieurs choses ont eu un effet à cet égard. Je pense que le fait d’avoir des clauses linguistiques et une agence centrale qui gérerait la loi nous protégerait. De plus, cela montrerait un leadership fort de la part du gouvernement et un attachement à la langue française.
La sénatrice Moncion : Si une majorité de provinces ou de territoires refusent d’inclure de telles clauses linguistiques dans les ententes, qu’est-ce qu’on devrait faire?
Mme Tölgyesi : Je vais assurément comparaître devant leur comité. Je ne connais pas suffisamment la politique pour vous donner une réponse, malheureusement. À mon avis, si les provinces et les territoires refusent d’inclure des clauses linguistiques, c’est qu’ils ne comprennent pas la valeur ajoutée des communautés francophones minoritaires.
La sénatrice Moncion : C’est une excellente réponse. Merci beaucoup.
Le sénateur Mockler : Premièrement, je veux vous féliciter de la réponse que vous avez donnée à la sénatrice Moncion. Ma question va un peu dans le même sens. Vous avez participé à des consultations partout au pays.
Quelle région du Canada a été la plus présente dans vos recommandations lors des discussions sur le projet de loi C-13?
Mme Tölgyesi : Parlez-vous du point de vue de notre mémoire?
Le sénateur Mockler : Oui, je parle de votre mémoire.
Mme Tölgyesi : Quelle région a été la plus présente durant les consultations? Honnêtement, nous avons des représentants de partout, en fait. Je pense qu’il y a seulement le Québec et le Nunavut qui ne sont pas encore membres, mais ils ont demandé un statut d’observateur. Le Nouveau-Brunswick est toujours un joueur très présent, de même que le Manitoba et l’Alberta. Je vous avoue que notre réseau a subi un dur coup pendant la pandémie. La situation a été lourde de conséquences pour les employés qui ne pouvaient pas rencontrer les jeunes et pour les jeunes qui ne pouvaient pas se voir en personne.
En ce qui a trait au projet de loi C-13, il y a toujours un désir ardent de participation. Si vous jetez un coup d’œil sur les conséquences du concept du « par et pour », vous constaterez que cela dure depuis des générations. C’est vraiment beau de voir cela. Toutes les régions ont été consultées et nous avons tous travaillé ensemble.
Le sénateur Mockler : J’ai une dernière question au sujet de l’agence centrale. J’ai déjà assumé une responsabilité ministérielle en matière de langues officielles au Nouveau-Brunswick. Certaines personnes nous disent que l’agence centrale devrait relever du Conseil du Trésor, d’autres nous disent qu’elle devrait relever de Patrimoine canadien. D’autres personnes nous ont même dit qu’elle devrait relever du Conseil privé ou du bureau du premier ministre lui-même, comme cela se fait dans certaines provinces, comme au Nouveau-Brunswick.
Qu’en pensez-vous?
Mme Tölgyesi : La Fédération de la jeunesse canadienne-francaise a appuyé la FCFA, c’est-à-dire qu’on préférerait que l’agence centrale relève du Conseil du Trésor. Je pense que la ministre Mona Fortier est très bien outillée pour mener à bien cette initiative.
Quand on pense à une agence centrale, il fait vraiment avoir un bras horizontal en matière linguistique pour ne pas que le sujet soit délaissé dans les différents ministères. Je ne sais pas si cela répond à votre question.
Le sénateur Mockler : Oui, merci beaucoup.
Le sénateur Loffreda : J’aimerais connaître votre opinion sur les dispositions portant sur le renforcement des possibilités d’apprentissage de qualité dans la langue de la minorité. Quand on parle du cycle d’études, de la petite enfance aux études universitaires, les dispositions sont-elles suffisamment claires? Est-ce soutenable? Voyez-vous des possibilités d’y arriver un jour? Parlez-nous de vos attentes à cet égard.
Mme Tölgyesi : Par rapport au continuum en éducation en général?
Le sénateur Loffreda : Oui. Les dispositions que nous avons dans le projet de loi sont-elles suffisamment claires? Est-ce que vous vous attendez à quelque chose de plus précis ou à des dispositions plus rigoureuses?
Mme Tölgyesi : Assurément à des dispositions plus rigoureuses.
Je sors d’une conférence sur le continuum en éducation; c’est drôle que vous me posiez cette question. J’ai entendu quelqu’un mentionner que, dans le continuum en éducation, on est aussi fort que notre plus faible joueur. Alors, que ce soit pendant la petite enfance, au primaire, au secondaire ou au postsecondaire, s’il y en a un qui est moins fort que les autres, tout le monde est plus faible à cause de cela.
J’envisage personnellement un continuum assez fort qui peut offrir une éducation de qualité, et surtout une offre de services aussi grande que du côté de la langue majoritaire.
Par exemple, actuellement, au secondaire, ils doivent utiliser des classes qui étaient faites pour des cours optionnels qu’ils doivent transformer en classes régulières, parce qu’ils n’ont pas assez de place pour aménager ces cours plus agréables qui permettent vraiment à un élève de s’épanouir, comme au secondaire.
C’est particulièrement vrai au postsecondaire. On a vécu plusieurs défis par rapport à l’enseignement postsecondaire en français en situation minoritaire, particulièrement dans l’Ouest et encore plus dans le Nord. Imaginez-vous qu’on n’a pas vraiment d’options en ce moment, à part le Collège nordique francophone des Territoires du Nord-Ouest.
J’ai complété mon baccalauréat à distance et je fais actuellement ma maîtrise en ligne avec l’Université de Saint-Boniface. Mes deux sœurs ont dû aller en Alberta pour étudier et j’ai aussi une cousine qui est à Moncton pour étudier. Il faut des sous pour étudier en français parce que, souvent, il faut se déplacer assez loin. Moncton, ce n’est pas la porte à côté non plus. Il y a aussi des gens qui ne peuvent pas étudier en français dans le programme qui les intéresse parce qu’il n’est pas offert.
Je pense particulièrement à mon conjoint; il étudie en menuiserie et, malheureusement, l’examen du Sceau rouge est offert en anglais seulement dans l’Ouest. Il y a un réel manque dans l’offre de services de qualité égale par rapport à ce qui est offert en anglais dans le secteur de l’éducation postsecondaire. J’estime que la loi devrait être plus rigoureuse en matière d’éducation dans la langue officielle du français.
Est-ce que cela répond à votre question?
Le sénateur Loffreda : Oui, très bien. Merci beaucoup.
Le président : Madame Tölgyesi, merci énormément pour votre témoignage et vos réponses claires. Si c’est votre première comparution devant un comité, je dois vous dire que vous avez performé de façon exceptionnelle.
Aussi, vous entendre nous donne espoir. En fait, on parle beaucoup du déclin du français et il existe; on parle parfois des défis de l’engagement de la jeunesse, mais ce n’est certainement pas votre cas, et je crois que ce n’est pas le cas de beaucoup de jeunes. Les jeunes sont très engagés et vous en avez fait la démonstration concrète.
Je vous remercie énormément, ainsi que votre organisme, du travail que vous faites partout au Canada pour assurer que la jeunesse canadienne-française trouve sa place. Vos propos nous aideront énormément dans le cadre de l’étude préalable et de l’étude du projet de loi C-13.
Nous vous souhaitons bonne chance dans votre maîtrise, et saluez bien les membres de votre fédération. Merci beaucoup d’avoir comparu devant nous aujourd’hui.
[Traduction]
Notre troisième panel de témoins, que nous allons entendre par vidéoconférence, est composé de Robert Leckey, doyen et titulaire de la chaire Samuel Gale, à la Faculté de droit de l’Université McGill; de Dan Lamoureux, président de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec; de Russell Copeman, directeur général de cette même association; et de John Buck, président-directeur général de la Corporation d’employabilité et de développement économique communautaire. Je vous souhaite la bienvenue à tous les trois.
Vous avez la parole, monsieur Leckey.
Robert Leckey, doyen et titulaire de la chaire Samuel Gale, Faculté de droit, Université McGill, à titre personnel : Merci beaucoup. En fait, c’est à titre de professeur que je vais vous parler des aspects constitutionnels du projet de loi C-13, mais rassurez-vous, il n’y aura pas d’examen à la fin de mon exposé. Ce projet de loi représente un changement radical de la politique fédérale.
[Français]
Soulignons la chronologie des choses. En avril 2021, j’ai comparu devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes. J’ai alors offert mes réflexions sur le livre blanc. J’ai constaté que le traitement différent des langues officielles et la reconnaissance des dynamiques linguistiques provinciales représentaient un changement radical dans la politique fédérale.
[Traduction]
En mai 2021, le Québec a présenté le projet de loi 96, et le mois suivant, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-32. Il y a tout lieu de penser que le projet de loi fédéral était, pour l’essentiel, déjà formulé au moment de la présentation du projet de loi 96. Même à l’époque, personne ne savait quelle version du projet de loi 96 serait finalement adoptée. L’adoption de ce projet de loi en mai 2022 a tellement modifié le paysage constitutionnel qu’il serait peut-être nécessaire que vous repensiez les réformes fédérales proposées.
[Français]
Le projet de loi C-13 ajouterait à la Loi sur les langues officielles des mentions de la Charte de la langue française. Ces mentions viendraient approuver celle-ci, car elles présupposent que les objectifs et les moyens favorisés par la loi provinciale sont compatibles avec ceux de la loi fédérale et les responsabilités constitutionnelles du gouvernement du Canada. Toutefois, cette prémisse n’est pas solide.
[Traduction]
Arrimer la Loi sur les langues officielles à la Charte québécoise de la langue française et, partant, au projet de loi 96 qui la modifie, soulève quatre points.
Premièrement, il y a la disposition de dérogation. Le projet de loi 96 invoque la disposition de dérogation de la Charte canadienne et de la Charte québécoise d’une façon générale et préemptive. De plus, elle ajoute cette dérogation à la Charte de la langue française. Québec laisse donc entendre que la protection du français n’est pas compatible avec les droits et libertés fondamentaux et qu’elle y est même opposée. Êtes-vous sûrs de vouloir avaliser cette approche? De plus, les cours d’appel de l’Ontario et du Québec sont en train d’examiner la question de savoir si un recours aussi large à la disposition de dérogation est constitutionnel. Ces discussions vont bien au-delà des questions de langue. Acceptez-vous que le Parlement s’immisce implicitement dans un débat constitutionnel beaucoup plus vaste? Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles est-il informé de cet aspect de votre travail?
[Français]
Parlons du rapport entre les politiques provinciales et fédérales en matière linguistique. Comme je l’ai dit au comité de la Chambre, il y a une tension inhérente entre les priorités fédérales et provinciales en matière de langues. Les provinces tendent à favoriser les intérêts de leurs majorités linguistiques, conformément à l’autonomie que leur garantit notre système fédéral. Par contre, la politique fédérale tend, à juste titre, à se préoccuper davantage de la protection des minorités linguistiques au sein de la fédération. Le projet de loi no 96 accentue cette tension. N’oublions pas qu’elle a été perçue comme étant antagoniste envers les non-francophones de la province, soit les anglophones, les immigrants et les locuteurs de langues autochtones.
Parlons des garanties linguistiques prévues dans la Constitution du Canada. Certaines dispositions du projet de loi no 96 semblent contrevenir à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 ainsi qu’à l’indépendance judiciaire. D’ailleurs, des contestations constitutionnelles sont déjà entamées. Est-ce cohérent pour la Loi fédérale sur les langues officielles de cautionner une loi provinciale qui semble enfreindre des droits linguistiques enchâssés dans la Constitution du Canada?
[Traduction]
Le quatrième et dernier point concerne les prétendus amendements que le Québec propose à la Loi constitutionnelle de 1867. Le projet de loi 96 prétend ajouter dans la Loi constitutionnelle que les Québécois forment une nation dont le français est la seule langue officielle. La semaine dernière, Justice Canada n’avait toujours pas incorporé ces ajouts dans sa version en ligne, mais le Québec distribue déjà des versions modifiées. Il est permis de penser que ces prétendus amendements seront contestés devant les tribunaux. N’oubliez pas que pour nous, avocats, chaque mot employé a une signification. Il se peut donc que les tribunaux décident que ces amendements modifient, peut-être de façon fondamentale, la façon dont la jurisprudence en matière de langues officielles s’applique au Québec. Avez-vous bien étudié cette possibilité et ses conséquences à long terme? Je vous exhorte à bien examiner toutes les implications du projet de loi 96, aussi bien les objectifs énoncés que les moyens utilisés, sur la politique fédérale en matière de langues officielles.
Le président : Merci, monsieur Leckey.
Dan Lamoureux, président, Association des commissions scolaires anglophones du Québec : Merci beaucoup. Le Canada a raison d’être fier de son bilinguisme officiel. Notre pays prône depuis longtemps la dualité de nos deux langues officielles et le respect de notre histoire, de notre patrimoine et de notre culture. La minorité de langue anglaise qui vit au Québec doit bénéficier de la même protection et du même soutien que ceux qui sont offerts, sur la base de principes constitutionnels et législatifs, aux minorités de langue française qui vivent dans le reste du Canada.
[Français]
L’Association des commissions scolaires anglophones du Québec représente les neuf commissions scolaires anglophones de la province. Notre réseau est composé de plus de 300 écoles et centres pour adultes, avec un effectif scolaire d’environ 100 000 personnes. Il couvre tout le territoire géographique du Québec, à l’exception du Grand Nord.
[Traduction]
Notre commission scolaire et notre communauté sont fières de ce qu’elles ont bâti ensemble dans des conditions parfois très difficiles. À cause de lois linguistiques restrictives, la communauté anglophone du Québec a diminué de 60 % depuis la fin des années 1970. Les réductions budgétaires ont mis à mal notre système. Plus des deux tiers de nos écoles ont moins de 200 élèves, d’où la difficulté d’offrir une gamme complète de services dans chaque établissement. Il est évident qu’il faut soutenir davantage, au Québec, le système d’éducation de la communauté linguistique minoritaire.
Même si nous vivons dans un océan anglophone en Amérique du Nord, nous sommes une minorité vulnérable caractérisée par une population vieillissante et un exode important de ses jeunes. La présence de centaines de millions d’anglophones sur le continent ne garantit pas à notre communauté un niveau approprié de services gouvernementaux et institutionnels en langue anglaise.
Nous comprenons l’importance de la langue française au Québec et, bien sûr, au Canada, et nous estimons qu’elle a besoin d’être promue et protégée. Nous consacrons des ressources importantes à la formation de jeunes Canadiens parfaitement bilingues. Nous avons besoin du financement du gouvernement québécois pour renforcer le système scolaire dans la langue minoritaire, mais pas en remplacement de l’obligation provinciale d’offrir des services éducatifs à tous les Québécois qui reçoivent nos services.
Russell Copeman, directeur général, Association des commissions scolaires anglophones du Québec : Depuis 2018, un certain nombre de lois adoptées par l’Assemblée nationale du Québec ont eu un impact négatif sur la communauté anglophone. Le projet de loi 40, qui abolit les commissions scolaires, empiète sur le droit constitutionnel de notre communauté de contrôler et gérer son système d’éducation. Le projet de loi 21, la Loi québécoise sur la laïcité, va à l’encontre des valeurs d’ouverture et de tolérance que nous enseignons dans nos écoles. Plus récemment, le projet de loi 96, qui modifie la Charte de la langue française, contient un certain nombre de dispositions qui limitent les droits que la charte confère à tous les Québécois et limitent l’offre de services gouvernementaux en langue anglaise. La légalité de ces dispositions est actuellement contestée devant les tribunaux.
Le Parlement et le gouvernement du Canada doivent tenir compte de ce contexte politique particulier lorsqu’ils examinent des questions concernant la minorité anglophone au Québec.
[Français]
Nous craignons que l’approche asymétrique et territoriale des langues officielles, tant dans le préambule du projet de loi C-13 que dans plusieurs de ses dispositions, ne représente une érosion potentielle des droits des Québécois d’expression anglaise et du soutien financier du gouvernement du Canada à leur endroit. Une référence explicite dans le projet de loi C-13 au régime linguistique du Québec, à savoir la Charte de la langue française, est particulièrement problématique et a été exacerbée par les modifications à la Charte de la langue française prévues dans le projet de loi no 96, y compris l’utilisation générale et préemptive des clauses dérogatoires.
Bien que l’éducation soit de compétence provinciale et territoriale, comme vous le savez bien, le Parlement du Canada et le gouvernement du Canada ont des rôles et des responsabilités à jouer dans l’éducation dans la langue de la minorité partout au pays.
[Traduction]
Le protocole d’accords fédéraux-provinciaux-territoriaux qui servent à financer l’éducation pour les minorités de langue officielle ainsi que l’apprentissage de la seconde langue sont des instruments qui permettent de transférer des fonds importants aux provinces et aux territoires pour les aider à financer l’éducation francophone parmi les minorités francophones et l’éducation anglophone parmi les minorités anglophones au Québec, sans oublier les cours de langue seconde.
Les gouvernements québécois qui se sont succédé ont refusé de signer ce protocole national, préférant négocier des accords bilatéraux avec le gouvernement du Canada qui ne mentionnent d’ailleurs nullement, contrairement au protocole national, l’obligation du gouvernement québécois de consulter les minorités anglophones quant à l’utilisation qui est faite des fonds fédéraux.
Dans ce contexte particulier, il ne serait pas du tout souhaitable de donner davantage de responsabilités au gouvernement du Québec en ce qui concerne l’utilisation des fonds fédéraux destinés à soutenir l’éducation en langue anglaise au Québec. En fait, le projet de loi C-13 devrait contenir des garanties absolues quant à l’utilisation des fonds fédéraux destinés à la communauté anglophone québécoise, y compris à l’instruction en langue anglaise. S’agissant de la défense des droits des communautés de langue officielle en situation minoritaire en général, le budget du Programme de contestation judiciaire, heureusement entériné dans le projet de loi C-13, devrait être considérablement bonifié afin de rehausser les plafonds des aides financières accordées, qui sont terriblement insuffisantes.
Sénateurs, nous vous remercions de nous avoir invités à participer à votre examen du projet de loi C-13. L’Association des commissions scolaires anglophones du Québec vous soumettra, en annexe de ce témoignage, des commentaires plus détaillés sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Merci.
Le président : Merci beaucoup de votre exposé. Vous avez la parole, monsieur Buck. Bienvenue à notre comité.
[Français]
John Buck, président-directeur général, Corporation d’employabilité et de développement économique communautaire : Merci, monsieur le président. C’est un plaisir et un privilège de comparaître devant votre comité aujourd’hui.
[Traduction]
Tout comme M. Copeman et M. Lamoureux, je déposerai, après mon exposé, le mémoire que nous avons préparé.
Je vais d’abord vous dire qui nous sommes, à la CEDEC, et ce que nous faisons. Ensuite, je discuterai avec votre comité de la modification de la Loi sur les langues officielles et je parlerai des opportunités qu’offre le contexte social, politique et économique actuel, aussi bien que des pièges à éviter. J’aimerais aussi m’attarder sur les pressions politiques sans précédent qui s’exercent aujourd’hui sur la communauté anglophone du Québec. Je dirai pour commencer que la CEDEC appuie, de façon générale, les objectifs du projet de loi, mais qu’elle a de graves réserves quant à certaines dispositions et qu’elle se propose donc de faire un certain nombre de recommandations pour en améliorer le texte.
[Français]
Qui sommes-nous et que faisons-nous?
Nous sommes des développeurs de l’économie et du marché du travail. Notre travail est axé sur un modèle unique et novateur de développement économique collaboratif. Nous tirons parti de la collaboration entre les communautés majoritaires et minoritaires dans le développement de l’économie et du marché du travail. Nous impliquons les secteurs public et privé et la société civile de la communauté dans la cocréation d’avantages économiques tangibles pour les individus et les communautés.
Notre travail implique la création d’emplois, l’expansion des entreprises et la création de nouvelles entreprises, le développement du commerce intérieur et international, l’attraction des investissements, l’exploitation de la technologie, de la transformation numérique et de l’intelligence artificielle, ainsi que l’augmentation des recettes fiscales pour les municipalités.
La CEDEC soutient de façon générale l’orientation de l’ébauche de projets de loi sur les langues officielles. La CEDEC a de profondes préoccupations et réserves quant à certains aspects de la législation proposée. Je me concentrerai sur ces quelques points dans ma brève présentation d’aujourd’hui.
[Traduction]
S’agissant de la modification de la Loi sur les langues officielles, on parle beaucoup, dans le contexte social, politique et économique actuel, du soutien des Canadiens aux institutions démocratiques, notamment au niveau fédéral. Il y a à peine quelques semaines, on pouvait ainsi lire, en une d’un article d’Andrew Coyne, « Le gouvernement constitutionnel [...] est remis en cause ». On sait qu’un gouvernement pro-souverainiste en Alberta a l’intention de déposer une loi sur la souveraineté; qu’un document du gouvernement de la Saskatchewan recommande des mesures musclées pour compenser les préjudices économiques causés par le gouvernement fédéral; qu’un gouvernement caquiste a été réélu au Québec; et que la ministre des Finances a annoncé, pas plus tard que la semaine dernière, un ralentissement inévitable de l’économie. Il ne s’agit pas là de tensions normales entre le fédéral, les provinces et les territoires, mais plutôt de quelque chose qui est omniprésent, qui est solidement enraciné et qui interpelle un grand nombre de Canadiens. Nous avons clairement la possibilité de faire de la modification de la Loi sur les langues officielles un instrument de renouveau de la nation; mais en revanche, toute erreur risque d’être contre-productive, dans le contexte actuel.
Il convient de parler des pressions politiques sans précédent qui s’exercent actuellement sur la communauté anglophone au Québec. Celle-ci n’est pas homogène et elle ne fait pas partie d’une élite privilégiée. La communauté anglophone du Québec est plurielle, confiante, bilingue et résiliente, c’est un acteur et un contributeur important de la société québécoise. Dire que la communauté anglophone du Québec constitue une menace pour la langue française ou pour la société québécoise est une vision dépassée, qui ne reflète plus du tout la réalité.
Les pressions politiques sont sans précédent. Les collègues qui témoignent avec moi aujourd’hui en ont abordé quelques-unes. Le projet de loi 40, comme l’ont dit M. Lamoureux et M. Copeman, parle de la suppression des commissions scolaires; M. Leckey a dit, au sujet du projet de loi 96, qu’il restreint l’utilisation des langues autres que le français; et le gouvernement provincial prend des mesures qui contribuent, entre autres, à limiter l’accès à des services de santé en anglais. La communauté anglophone du Québec est mise devant le fait accompli. Bon nombre de décideurs, au gouvernement et dans le secteur public, croient que tout investissement dans la communauté anglophone du Québec est une menace pour la société québécoise et la langue française, et que cela limite l’épanouissement des minorités en langues officielles dans d’autres régions du pays. Bref, l’aide financière que le gouvernement fédéral verse à la communauté anglophone du Québec souffre d’un grave déséquilibre.
Pour la communauté anglophone du Québec, la nouvelle Loi sur les langues officielles devrait stipuler explicitement que le gouvernement du Canada a pour responsabilité de promouvoir, de soutenir et de défendre les droits de toutes les communautés de langue officielle en situation minoritaire au Canada, sans aucune exception, surtout lorsqu’un gouvernement provincial ou territorial restreint les droits linguistiques d’une communauté; de mettre en place des politiques et des programmes justes et équitables et d’offrir une aide financière aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, partout au Canada; de faire en sorte que la Loi sur les langues officielles et les lois connexes stipulent expressément que, dans les entreprises privées de compétence fédérale, les droits linguistiques s’appliquent également et sans exception aux anglophones et aux francophones; d’inscrire, dans la Loi sur les langues officielles et les lois connexes, que le développement du marché du travail et de l’économie est l’un des moteurs de la stratégie adoptée par le gouvernement du Canada pour renforcer le développement et la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire; et, conformément à ce qui précède, d’adopter une stratégie de développement du marché du travail et de l’économie de concert avec ces communautés, afin d’intégrer et de coordonner les politiques, les programmes et les aides financières offerts par l’ensemble du gouvernement fédéral.
De plus, le gouvernement fédéral devrait adopter un modèle de développement du marché du travail et de l’économie de concert avec les communautés de langue officielle en situation minoritaire, dans les secteurs public, privé et civil. Il devrait également, pour la communauté anglophone du Québec, créer un fonds quinquennal de développement coopératif d’au moins 15 millions de dollars par période de cinq ans, et intégrer le développement de la petite enfance et le développement de la littératie à sa stratégie de développement coopératif de l’économie et du marché du travail.
Je vous remercie. C’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Buck. Nous allons commencer la période de questions et réponses avec le sénateur Loffreda. Vous avez la parole, sénateur.
Le sénateur Loffreda : Je remercie tous les panélistes d’être avec nous ce soir. J’ai une question à poser à chacun d’entre eux, et je vais commencer par le professeur Leckey. Je vous remercie de comparaître devant notre comité.
J’aimerais revenir sur ce que vous avez dit au sujet du projet de loi 96 et du projet de loi C-13, à supposer qu’il soit adopté. J’en ai déjà parlé lors de réunions précédentes. Devrait-on supprimer toute référence à la Charte de la langue française dans le projet de loi C-13? Quels amendements proposez-vous d’y apporter? Quel est votre avis là-dessus?
Vous avez soulevé un grand nombre de questions juridiques, et j’aimerais bien que vous reveniez là-dessus un peu plus longuement.
M. Leckey : Volontiers, sénateur Loffreda. Je vous remercie de votre question. Je n’irai peut-être pas aussi loin que vous l’aimeriez, car je suis plutôt ici à titre de professeur dont l’objectif est d’essayer d’éclairer les choix que vous devrez faire plutôt que de vous dicter exactement ce que vous devriez faire.
Le sénateur Loffreda : Tout commentaire est susceptible d’éclairer nos choix.
M. Leckey : Ce qui est curieux au sujet du projet de loi C-13, c’est qu’il fasse mention de la Charte de la langue française. Il le fait à deux reprises, lorsqu’il est question de normes linguistiques constitutionnelles et lorsqu’il est question de la loi provinciale, en l’occurrence la Charte de la langue française. Cela donne un poids plus grand à la Charte de la langue française puisque c’est comme si elle faisait partie de la Constitution. Et à cela vous semblez donner votre approbation implicite et celle du Parlement.
Nous devons nous poser la question suivante : que sommes-nous en train d’approuver si nous approuvons la Charte de la langue française dans le contexte actuel, après l’adoption du projet de loi 96? Je suis sûr que tout le monde ici reconnaît que l’Assemblée nationale du Québec a la prérogative de promouvoir le français. Mais la Charte de la langue française, dans sa forme actuelle, c’est-à-dire depuis mai 2022, permet de déroger à tous les droits de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte québécoise des droits et libertés auxquels il est possible de déroger. C’est ce que la Charte de la langue française signifie désormais.
Vous devez donc vous demander, me semble-t-il, si vous voulez vraiment avaliser cela quand vous mentionnez la charte dans le projet de loi C-13. Et si là n’est pas votre intention — je ne suis pas rédacteur juridique —, si l’inclusion de cette mention vous met mal à l’aise, vous devriez peut-être y réfléchir à deux fois.
Le sénateur Loffreda : Merci. J’aimerais maintenant m’adresser à M. Buck. J’aimerais savoir dans quelle mesure vous collaborez avec d’autres organisations hors Québec qui ont, plus ou moins, le même mandat que vous en ce qui concerne les francophones se retrouvant en situation minoritaire? Avez-vous eu l’occasion de discuter avec elles de toutes ces questions?
M. Buck : Merci, sénateur. Nous avons la chance, à la CEDEC, de faire partie d’un réseau composé d’organisations comme la nôtre qui sont implantées dans chaque province; par exemple, ici en Ontario, il y a la Société économique de l’Ontario et, au Manitoba, le Conseil de développement économique des municipalités bilingues. Il y en a aussi bien sûr au Nouveau-Brunswick, sénateur Mockler, et je pourrais vous donner la liste complète. Nous entretenons des relations en ce sens que nous travaillons de la même façon et utilisons le même genre de programmes et de ressources.
Nous avons donc des points communs et nous nous efforçons de coordonner nos efforts dans la conduite de la plupart des dossiers économiques, partout au Canada. En fait, je crois que nous sommes le seul réseau à pouvoir le faire.
Pour ce qui est de nos collègues francophones du reste du pays, nous sommes ravis de ce qui est proposé ici et nous approuvons une grande partie des dispositions du projet de loi. En revanche, nous estimons que ce n’est pas équitable pour la minorité anglophone du Québec.
Comme je l’ai dit tout à l’heure dans ma déclaration liminaire, les anglophones sont souvent mal compris au Québec. Et ce qui me surprend le plus, c’est que selon les indicateurs économiques, les Québécois anglophones comptent parmi les deux communautés de langue officielle en situation minoritaire qui sont les plus défavorisées au Canada. En effet, un grand nombre d’anglophones se situent en dessous du seuil de faible revenu. S’agissant du revenu médian, les anglophones se situent en dessous du niveau de la majorité. Quand on voit cela, on se rend compte que les anglophones sont sous-performants.
Nous collaborons avec nos homologues partout au Canada, mais j’espère vraiment qu’avec une nouvelle Loi sur les langues officielles, nous réussirons à combler l’écart existant.
Le sénateur Loffreda : Pourquoi sont-ils sous-performants? Je suppose que la perception ne correspond pas toujours à la réalité, même si je dis souvent le contraire. Vous avez dit que la minorité anglophone était généralement mal comprise au Québec. Quelles en sont les raisons? Comment corriger cela?
M. Buck : Je vais vous répondre dans le contexte de la Loi sur les langues officielles. Les analyses montrent qu’il n’y a pas eu suffisamment d’investissement dans le développement économique pour les anglophones. Les objectifs politiques de la Loi sur les langues officielles ont toujours contribué, et nous le constatons tous les jours, à créer un fossé entre les minorités anglophones au Québec et les minorités francophones hors Québec, car la minorité anglophone du Québec n’a pas bénéficié du même niveau d’investissement. Nous estimons qu’il est impératif de corriger cette situation si l’on veut combler le fossé qui existe actuellement.
Le sénateur Loffreda : J’aimerais maintenant m’adresser à M. Copeman. Pensez-vous que le gouvernement fédéral ait vraiment le pouvoir de le faire? Je ne voudrais pas trop jouer au politicien, mais au Québec, ils disent souvent : « personne ne va nous dire quoi faire et comment nous gouverner ». Alors que pouvons-nous faire, au niveau fédéral, pour corriger ces dysfonctionnements dont vous avez parlé?
M. Copeman : Sénateur, si le Canada signe ce protocole bilatéral, il a le droit de se montrer plus ferme en ce qui concerne la transparence, la reddition de comptes, et les consultations à mener. C’est un domaine où il y a une énorme différence entre le protocole fédéral et l’accord bilatéral avec le Québec, lequel n’est assorti d’aucune obligation de consulter la minorité anglophone du Québec au sujet de la répartition des fonds fédéraux en matière d’éducation.
Le gouvernement du Canada pourrait peut-être changer d’attitude car au final, comme l’a dit Me Power tout à l’heure, c’est lui qui a le pouvoir de dépenser. S’il n’arrive pas à s’entendre avec le gouvernement du Québec sur les principes qu’il veut voir appliquer dans ce protocole bilatéral, il pourrait peut-être envisager de financer directement les commissions scolaires pour l’instruction dans la langue minoritaire.
Le sénateur Loffreda : Merci. Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Buck?
M. Buck : Je dirai que, étant donné l’espace économique dans lequel nous évoluons, nous avons beaucoup de chance de pouvoir travailler directement avec le gouvernement fédéral. Ce n’est donc pas un problème de compétence constitutionnelle. Dans certains des rapports que votre comité a publiés, notamment celui de 2013, on peut lire que la vitalité d’une communauté est directement liée à sa vitalité économique.
Les questions relevant par exemple de la justice et de l’éducation peuvent se régler par le renforcement de cette vitalité, ce qui est tout à fait possible lorsqu’on investit dans le développement économique d’une communauté de langue officielle en situation minoritaire.
Le sénateur Loffreda : J’ai une dernière question.
Le président : Dans ce cas, nous entamons le second tour de questions.
[Français]
La sénatrice Mégie : J’ai une brève question.
Monsieur Buck, je vous ai entendu parler du traitement non équitable que les anglophones subissent, si l’on se base sur les différents critères socioéconomiques, le financement et tout cela. Pourtant, vous avez quand même un financement, inéquitable ou pas.
Êtes-vous en mesure de suivre les fonds fédéraux qui devraient vous revenir? Sinon, pourquoi?
M. Buck : Merci pour la question, sénatrice Mégie; c’est une bonne question.
Je pense que, quand on regarde le Plan d’action pour les langues officielles, on inclut les investissements qui existent. Donc, on inclut, par exemple, l’investissement de 85 millions de dollars pendant cinq ans dans le Fonds d’habitation du Québec et l’investissement en développement économique qui vient d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada par le biais des agences régionales économiques, et qui est de 30,5 millions de dollars pour une période de cinq ans, dont 10,2 millions pour les anglophones du Québec. On regarde aussi le total; ce sont vraiment des investissements majeurs en développement économique qui sont faits grâce à notre Plan d’action pour les langues officielles.
Si on regarde le total, pour l’investissement du gouvernement fédéral au Québec, par exemple, on ne connaît pas le montant exact, pour les raisons que mon collègue M. Copeman vient de donner.
Dans plusieurs cas, on ne voit pas beaucoup de transparence sur le plan de l’investissement fédéral et de l’argent acheminé au gouvernement du Québec.
La sénatrice Mégie : La question de la reddition de comptes, on en entend aussi beaucoup parler pour ce qui est des communautés francophones à l’extérieur du Québec. C’est pourquoi je voulais vérifier si vous viviez la même chose.
M. Copeman : C’est exactement la même situation en ce qui concerne le Programme des langues officielles en enseignement (PLOE). Suivre la trace de cet argent est difficile. Il faut vraiment creuser. Parfois, on se fie uniquement aux représentations du gouvernement du Québec. Je vous invite à tenter de trouver l’entente bilatérale sur Internet. Pour ma part, je n’arrive pas à la trouver. Sur environ 65 millions de dollars que le gouvernement du Canada verse au gouvernement du Québec pour le Programme des langues officielles en enseignement, 58 % sont retenus par le Conseil du Trésor et vont directement au Fonds consolidé du revenu du gouvernement du Québec. On parle de 58 % qui disparaissent dans le Fonds consolidé du gouvernement du Québec. Or, seulement 13 % vont au ministère de l’Éducation pour appuyer l’enseignement dans la langue de la minorité.
C’est une tâche ardue que de suivre tout cet argent. Quand on apprend où vont ces sommes, on se rend compte que 58 % vont directement au Fonds consolidé du revenu du gouvernement du Québec, ce qui ne va pas nécessairement améliorer l’enseignement de la langue de la minorité anglophone au Québec.
Le président : Merci pour vos commentaires, monsieur Copeman et monsieur Buck.
La sénatrice Gagné : Bienvenue à tous les témoins. Je vais prendre une approche plus pragmatique. Nous avons un projet de loi qui indique que la Charte de la langue française du Québec dispose que le français est la langue officielle du Québec. Cette mention figure quand même dans le préambule.
[Traduction]
Le projet de loi dispose que :
[...] [le gouvernement du Canada] reconnaît que chaque province et territoire a adopté des lois, des politiques ou des programmes qui garantissent des services en français ou qui reconnaissent la contribution des minorités francophones ou anglophones à la société canadienne [...]
[Français]
On voit plusieurs références aux deux communautés linguistiques. Dans l’hypothèse où l’on garderait cette disposition affirmant que la Charte de la langue française du Québec dispose que le français est la langue officielle du Québec, comme on l’indique dans le préambule, quel autre changement pourrait-on proposer pour rassurer les communautés anglophones sur le fait qu’elles font partie de la société canadienne, qu’elles forment une minorité et qu’elles sont protégées par la Constitution?
[Traduction]
M. Buck : Je vous reporte aux notes que je vous ai distribuées tout à l’heure, où on peut lire que la Loi sur les langues officielles stipule explicitement que le gouvernement du Canada doit promouvoir, encourager et défendre les droits de toutes les communautés de langue officielle en situation minoritaire, partout au Canada, sans aucune exception, surtout lorsqu’un gouvernement provincial ou territorial décide de restreindre les droits linguistiques d’une communauté de langue officielle, et qu’il doit offrir à toutes les communautés des programmes et une aide financière justes et équitables.
[Français]
Donc, je crois que si l’on pouvait inclure ces phrases dans la loi, cela nous aiderait énormément.
La sénatrice Gagné : Est-ce que d’autres témoins aimeraient répondre à la question?
M. Copeman : Madame la sénatrice, j’ai été député à l’Assemblée nationale du Québec il y a 14 ans. J’ai perdu un peu l’habitude de rédiger des projets de loi ou d’y apporter des modifications. Je vous dirais toutefois que, à la limite, il faudrait s’assurer au minimum que rien dans le projet de loi C-13 n’affectera le degré de financement et de soutien qui doit être offert à la communauté minoritaire de langue anglaise au Québec.
Est-ce que cela nécessite une clause interprétative? Nous sommes d’accord pour dire que les principes doivent être les mêmes. Les moyens, bien souvent, ne sont pas les mêmes, et nous le comprenons. La situation n’est pas la même pour les anglophones du Québec que pour les francophones hors Québec. Le président Lamoureux et moi revenons tout juste du colloque annuel de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones qui s’est tenu à Whitehorse, au Yukon. Nous travaillons avec les francophones hors Québec pour l’avancement du droit de contrôler et de gérer nos systèmes scolaires en vertu de l’article 23. Il faut au minimum s’assurer que, même par inadvertance, rien dans le projet de loi C-13 ne peut être utilisé par le gouvernement du Canada pour justifier la diminution de l’aide à notre communauté.
La sénatrice Gagné : Ce que j’entends, c’est qu’il y a certainement place à l’amélioration.
J’aimerais revenir à la question des clauses linguistiques. Dans les ententes fédérales-provinciales et territoriales, l’inclusion de clauses linguistiques est-elle importante pour vous? Sur le plan de l’éducation, on voit quand même que des ententes ont été signées. On a toutefois de la difficulté à suivre l’argent qui a été versé. Je crois que c’est également le cas pour d’autres communautés francophones en situation minoritaire, du moins c’est ce qu’on nous a rapporté. Le fait que des clauses linguistiques soient inscrites dans la loi pourrait renforcer cette obligation d’assurer le transfert aux communautés de langue officielle en situation minoritaire, n’est-ce pas?
M. Copeman : Oui, effectivement, des clauses linguistiques pourraient aider. Par contre, le Québec a refusé sciemment, depuis des décennies, de signer le protocole fédéral-provincial-territorial. Il insiste sur une entente bilatérale. Il ne faut pas que cette entente bilatérale soit moindre que ce que contient le protocole fédéral-provincial-territorial. La communauté linguistique minoritaire au Québec, c’est-à-dire la communauté anglophone, a droit au même degré de transparence, de reddition de comptes et de consultation que les communautés francophones dans les autres provinces.
La sénatrice Gagné : D’accord. Merci.
La sénatrice Moncion : Ma première question s’adresse au professeur Leckey. Le projet de loi C-13, dans sa forme actuelle, permet-il de réconcilier les principes d’égalité, de statut et d’usage des deux langues officielles et l’égalité réelle?
M. Leckey : Je ne veux pas vous donner une réponse incomplète. D’abord, le fait que le projet de loi C-13 vienne appuyer une loi provinciale qui semble brimer les garanties linguistiques de la Constitution constitue un problème pour ceux et celles qui ont à cœur la Constitution et l’égalité linguistique réelle.
Il y a une difficulté avec cela. Je comprends l’ambition fédérale, mais le fait de se rapprocher autant de la Charte de la langue française dans sa mouture actuelle à la suite du projet de loi no 96 est problématique. Le rapport de force, dans la loi provinciale, n’est plus compatible avec l’égalité réelle des communautés linguistiques.
Quant à la notion selon laquelle le projet de loi C-13 essaie de soutenir davantage la minorité francophone, là encore, on peut soulever des questions. Je pense qu’il y a une tendance à dire : « Vous voyez, l’anglais semble très bien se porter en Amérique du Nord, il y a des millions d’Américains qui le parlent. »
Cela dit, parfois on perd de vue le souci fédéral, voire la responsabilité constitutionnelle fédérale, de veiller à ce que l’administration de la justice au Québec, à ce que les cours de la province de Québec fonctionnent dans les deux langues officielles. C’est une garantie prévue à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867. Je pense aussi à l’égalité qui serait atteinte au moyen d’une réelle administration de la justice au Québec dans les deux langues. Je ne crois pas que cette réalité-là est assurée non plus. Il existe certaines faiblesses. Tout en comprenant d’où vient l’instinct qui motive le dépôt du projet de loi C-13, je pense que — du côté québécois, en tout cas — il y a des motifs à craindre que l’équilibre ne soit pas atteint.
La sénatrice Moncion : Donc, ce que vous dites, c’est que la loi n’est pas égale et qu’il n’y a pas d’égalité de statut dans la mouture actuelle, ou qu’il y a des risques d’inégalité?
M. Leckey : Il y a des risques. Le juste équilibre entre les garanties de la Charte et la Loi constitutionnelle de 1867, le régime fédéral et la tension inhérente au sein d’une fédération entre les lois provinciales et fédérales... Il faut veiller davantage sur certains risques.
La sénatrice Moncion : À moins que les autres témoins aient quelque chose à ajouter sur ce sujet, ma prochaine question s’adresse à M. Buck.
La CEDEC s’inquiétait de l’absence de mentions ayant trait au développement économique et avait noté un déséquilibre dans l’appui offert par le gouvernement aux communautés anglophones et francophones en situation minoritaire dans ce secteur. Je voudrais vous entendre sur ces inégalités entre les communautés, surtout en ce qui concerne le développement économique.
M. Buck : Merci pour la question. C’est important d’appuyer nos collègues francophones à l’extérieur du Québec quand on parle d’investissement et d’argent au Canada. Nous sommes satisfaits de l’investissement qui va directement à nos collègues francophones à l’extérieur du Québec. C’est très important.
Quand on regarde les chiffres et la population, la communauté anglophone au Québec représente à peu près 50 % des communautés en situation linguistique minoritaire au Canada. Si on regarde l’investissement, surtout sur le plan du développement économique — donc l’investissement que je connais le mieux —, le Fonds d’habitation du Québec, par exemple, est quelque chose qui nous finance à un degré assez important. Le montant investi pour une période de cinq ans est de 85 millions de dollars. Au Québec, on parle de 11,2 millions de dollars ou 11,3 millions de dollars. On voit immédiatement qu’il y a une différence assez importante.
Si on regarde le fonds d’investissement de développement économique, il y a un montant de 30,5 millions de dollars prévu pour cinq ans; au Québec, on parle de 10,2 millions de dollars. C’est à peu près un tiers, mais la population représente à peu près 50 % de la population en situation linguistique minoritaire. Juste avec ces chiffres-là, on peut voir que des décisions assez importantes ont été prises.
La sénatrice Moncion : Merci. C’est plus clair. Ma dernière question s’adresse aux conseils scolaires. Vous avez mentionné que 65 millions de dollars sont transférés au gouvernement du Québec pour l’éducation des anglophones. Vous avez parlé de 58 % de retenues qui vont au Fonds consolidé du revenu du Québec. J’aimerais que vous m’expliquiez cette situation. D’où viennent vos chiffres, et comment pouvez-vous corroborer ces 58 %?
M. Copeman : En fait, 65 millions de dollars sont transférés au gouvernement du Québec. Cela inclut, par ailleurs, 8 millions de dollars par année pour l’enseignement de l’anglais langue seconde. Alors, ces 12 % — pardon, ces 8 millions de dollars — ne sont pas destinés aux commissions scolaires anglophones, mais plutôt au ministère de l’Éducation pour l’enseignement de l’anglais langue seconde, c’est-à-dire qu’ils vont dans les écoles de langue française.
Pour corroborer ces chiffres, je les ai tirés d’une présentation du ministère de l’Éducation qui, par ailleurs, n’a pas été rendue publique, mais qui touche précisément les sommes totales envoyées par le gouvernement fédéral.
Le Programme de langues officielles en enseignement, selon moi, fonctionne beaucoup plus comme un programme de péréquation, un programme d’aide pour l’enseignement en langue anglaise au Québec, c’est-à-dire que l’argent est transféré au gouvernement du Québec. Comme je l’ai dit, à moins que le gouvernement du Québec essaie de contredire ses propres chiffres, 58 % de ces sommes sont retenues par le Conseil du Trésor, 12 % vont à l’enseignement de l’anglais de langue seconde, 20 % au ministère de l’Éducation pour appuyer l’éducation en langue anglaise et langue seconde française — cela veut dire l’immersion française et autre — et 8 % à l’enseignement supérieur pour aider l’enseignement en anglais de la langue minoritaire aux niveaux collégial et universitaire.
Cela dit, est-ce que je peux le prouver dans un document? Non, parce que, effectivement, ces sommes ne sont pas rendues publiques.
La sénatrice Moncion : Je vous remercie de l’explication. Je ne vous demandais pas cela pour remettre votre témoignage en question. Votre explication sur ce que vous vivez dans les commissions scolaires par rapport aux montants qui doivent être transférés pour vos programmes est un reflet exact de la situation qui existe au Canada du côté francophone et des écoles d’immersion et autres. L’explication est claire. Merci beaucoup.
M. Copeman : Tout à fait, sénatrice. Il y a une exception, et j’insiste beaucoup là-dessus : minimalement, au moins dans le protocole fédéral-provincial-territorial signé par neuf provinces et trois territoires, il y a certains mécanismes plus robustes de transparence, de reddition de comptes et de consultation que vous ne verriez pas, si jamais vous pouviez mettre la main sur l’entente bilatérale entre le Canada et le Québec.
Le président : Merci.
La sénatrice Bellemare : Merci à nos invités d’être ici ce soir. Je ne suis pas membre permanente du Comité sénatorial permanent des langues officielles, mais je suis Québécoise et je tenais à souligner que, selon ma perspective, le fait d’être un francophone hors Québec est très différent du fait d’être un anglophone au Québec. L’égalité réelle des deux langues officielles, à sa face même, n’est pas là.
Quand on entend le président d’une grande compagnie comme Air Canada se vanter de pouvoir vivre au Québec, à Montréal, sans jamais être obligé de parler français, je ne sais pas si on pourrait entendre dire l’inverse.
Le président d’une grande compagnie à l’extérieur du Québec pourrait-il dire aux gens où il habite : « Je suis capable de tout faire en parlant seulement le français »? Je ne pense pas que l’égalité soit réelle. C’est un petit commentaire que je voulais donner, parce que je trouve que l’utilisation de ce concept, pour les budgets, par exemple... Je ne suis pas certaine que l’égalité réelle se mesure, proportionnellement, à l’égalité des budgets. Peut-être que les anglophones du Québec sont une grande minorité canadienne, mais il n’en demeure pas moins qu’au Québec, on doit toujours défendre le fait français en Amérique du Nord. Dans un contexte d’immigration ou autre, ce fait français doit être protégé. En fait, c’était plus un commentaire qu’une question, mais j’accepte les réactions.
Le président : Voulez-vous réagir ou commenter, messieurs?
M. Copeman : Madame la sénatrice, je suis un Anglo-Québécois de troisième génération qui a fait carrière à l’Assemblée nationale du Québec pendant 14 ans et qui a été conseiller municipal à la Ville de Montréal pendant quatre ans. Je me considère comme un francophile et je crois à la protection et à la promotion de la langue française. Je sais que c’est reçu de manière assez sceptique quand on plaide que la communauté anglophone se sent fragilisée ou vulnérable. Tout ce que je peux vous dire, c’est que malgré le fait que l’on vit dans une marée d’anglais en Amérique du Nord, je ne reçois pas mes services de santé du gouvernement de l’État de New York ou du Manitoba, mais du gouvernement du Québec. Mes enfants ne reçoivent pas de services en éducation de l’État du Vermont ni de l’Ontario, mais du gouvernement du Québec.
Les cours et l’administration de la justice, qui sont essentiellement entre les mains du gouvernement du Québec, font en sorte que nous sommes obligés, surtout depuis l’adoption du projet de loi no 40, qui abolit les commissions scolaires, ainsi que du projet de loi no 96, de nous battre pour nos droits, afin de contrer une diminution des services dans notre langue.
Personne ne suggère de déshabiller Paul pour habiller Pierre, mais notre situation est fragile, et ce, particulièrement depuis quatre ans. Notre système d’éducation a vu une diminution de 60 % de ses effectifs scolaires. Il y avait 250 000 élèves dans nos écoles anglophones vers la fin des années 1970 et aujourd’hui, il y a 100 000 élèves. Les francophones hors Québec gèrent la croissance et nous gérons la décroissance. Cela vient avec son lot de défis et cela mérite l’appui du gouvernement du Canada.
M. Lamoureux : Merci de cette question. Personnellement, j’étais surpris qu’une personne qui habite à Saint-Lambert, sur la Rive-Sud de Montréal, ne puisse pas parler en français. Malheureusement, je ne suis pas d’accord avec ce qui s’est passé, mais j’aimerais mentionner aussi que, il y a 55 ou 60 ans, les parents de Saint-Lambert étaient à leur école, la St. Lambert Elementary School, et ils ont commencé le programme d’immersion que nous avons aujourd’hui.
Comme toutes les commissions scolaires, partout au Québec, on veut que nos enfants soient bilingues, capables de travailler et de rester au Québec, parce qu’on veut garder les choses en famille. Pour cela, on dit que c’est merveilleux. Les gens qui veulent rester ici aiment le Québec et aiment la langue française. Malheureusement, il y a des gens qui sont ignorants. Aussi, toutes nos commissions scolaires essaient [Difficultés techniques] en français.
Le président : Merci de ces commentaires.
Le sénateur Mockler : Je voudrais également dire merci aux témoins de ce soir, parce que j’ai entendu des commentaires qui méritent sans doute beaucoup d’attention.
Si je regarde chacun de vous, que ce soit M. Leckey, M. Lamoureux, M. Copeman et même M. Buck, pouvez-vous me dire ce que le projet de loi C-13 devrait faire pour vous particulièrement pour améliorer la situation? Vous l’avez dit, vous êtes allé à Whitehorse pour observer et soutenir les francophones en situation minoritaire. Dans le cadre du projet de loi C-13, y a-t-il des éléments ou des articles dont vous êtes satisfaits, ou est-ce que vous dénoncez tout le projet de loi C-13?
M. Leckey : J’aimerais indiquer que ma position n’est pas que je m’oppose au projet de loi C-13. Mon objectif était simplement de soulever des questions que je croyais pertinentes pour vous et vos collègues du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je pense que les ramifications du projet de loi C-13 outrepassent de loin les questions linguistiques. Je ne veux pas vous laisser avec l’idée que je m’oppose au projet de loi.
M. Copeman : L’Association des commissions scolaires anglophones du Québec ne s’oppose pas au projet de loi C-13. Nous voyons des lacunes importantes dans le projet de loi. Nous en avons signalé plusieurs. Il faut, quant à nous, corriger ces lacunes. Je vous ai entendu, sénateur Mockler, demander plus tôt cet après-midi s’il ne faudrait pas se dépêcher. Il y a des avancées importantes dans le projet de loi C-13, absolument. La Fédération nationale des conseils scolaires francophones (FNCSF) veut que le projet de loi soit adopté, mais, au cours de mes 14 ans d’expérience comme législateur — ce n’est pas autant que vous, sénateur Mockler —, j’ai rarement vu un projet de loi amélioré quand on va vite.
M. Leckey : Si vous me le permettez, je serai bref; j’ai coupé certaines de mes notes, étant donné les contraintes de temps. Ce n’est pas chaque année qu’on modifie la Loi sur les langues officielles; ce n’est pas un journal ni la liste d’épicerie de la semaine. Il faut donc adopter une loi qui pourra durer pendant des décennies. Là encore, si on croit qu’il y a des lacunes, il faut se pencher sur ces lacunes. On ne peut pas se dépêcher et dire qu’on corrigera les lacunes ensuite. Il faut le faire maintenant. Certains diraient qu’il s’agit d’une loi quasi constitutionnelle et que c’est l’un des piliers du régime fédéral. Prenez le temps qu’il faut pour vous sentir à l’aise avec tout son contenu.
Le sénateur Mockler : Sans doute, lorsqu’on parle des anglophones et des francophones et de la Loi sur les langues officielles, je pense qu’on vient de loin. Il y a eu beaucoup d’améliorations, mais il y a encore des défis. Comme vous, monsieur Copeman, je crois qu’il faut regarder vers l’avenir en tenant compte de notre expérience du passé. Ce soir, je vous pose une question. Je respecte aussi les autres témoins, mais si vous aviez à énumérer au gouvernement les trois plus grandes lacunes qui, à votre avis, ne se trouvent pas à l’intérieur du projet de loi C-13, quelles seraient ces trois grandes lacunes pour la communauté anglophone du Québec?
M. Copeman : Je vais essayer d’être bref, même si c’est difficile pour un ancien politicien.
Il faut s’assurer que les notions asymétriques et territoriales des régimes linguistiques ne portent pas préjudice à la communauté anglophone du Québec. Je ne sais pas exactement comment le faire — je crois que vous êtes mieux placés que moi pour le savoir en tant que parlementaires. C’est un problème réel qui existe, à mon avis, dans la législation.
La référence à la Charte de la langue française est problématique pour des raisons qui ont déjà été bien expliquées, par le professeur Leckey et d’autres, dans le contexte politique actuel.
Enfin — Me Power et Me Bossé en ont d’ailleurs parlé cet après-midi —, je pense que cela prendrait des mesures plus robustes sur le plan des consultations, pour mener de réelles consultations avec les communautés officielles en situation minoritaire.
Le sénateur Mockler : J’ai posé cette question à tous les témoins présents dans ce groupe : croyez-vous que vous avez été suffisamment consultés ou que vous ne l’avez pas été?
M. Copeman : Sénateur, notre organisation a été consultée par Patrimoine canadien. Il y va de la notion de consultation effective, donc je pense qu’il y a des améliorations à faire.
Deuxièmement, il y a une partie de ces consultations qui dépendent du gouvernement du Québec, conformément à cette entente bilatérale. Il y a des lacunes importantes. Quant à nous, le gouvernement du Canada et le Parlement du Canada devraient utiliser leurs pouvoirs pour inclure des obligations de consultation plus robustes dans les ententes sur l’enseignement en langue minoritaire partout au pays, particulièrement au Québec. Celui-ci refuse — et je le dis pour la troisième fois — de signer ce protocole d’entente tripartite et veut négocier une entente bilatérale au rabais, à notre avis, en ce qui concerne les mesures de consultation pour les communautés d’expression anglaise au Québec.
Le président : Merci, monsieur le sénateur.
J’aimerais vous entendre, monsieur Copeman, sur cette question de consultation. Vous parliez de consultation effective, et en fait, on essaie de comprendre concrètement les critères qui devraient être inclus dans ces consultations. Qu’est-ce qui devrait être pris en compte?
Cet enjeu des consultations revient constamment depuis qu’on étudie ce projet de loi, mais j’aimerais mieux comprendre comment on pourrait renforcer la consultation. Où cela s’inscrit-il dans le projet de loi C-13? Est-ce que cela s’inscrit dans le contexte des clauses linguistiques ou ailleurs? J’aimerais que vous soyez un peu plus précis sur cette question, si possible.
M. Copeman : Sénateur, je connais moins bien les détails, mais je sais qu’il existe déjà une jurisprudence des cours fédérales sur ce qu’est une consultation effective. On l’a vécu, je pense, bien largement en raison des litiges avec les communautés autochtones qui se sont produits par rapport à d’autres lois fédérales.
Il s’agit de ne pas ramener le tout vers le bas, mais d’inclure cette notion de consultation effective dans le projet de loi C-13 en s’inspirant d’autres lois fédérales et de décisions des cours fédérales ayant trait tout particulièrement aux peuples autochtones.
M. Leckey : Je serai bref.
Si on accepte vraiment le fait que l’adoption du projet de loi no 96 au printemps dernier a changé la donne, parce qu’il y a eu beaucoup de discussions dans la province et beaucoup de manifestations, et si on accepte que tout cela change le paysage constitutionnel, alors il faut aussi se demander s’il faut reprendre ou prolonger les consultations qui ont précédé ces développements.
Évidemment, il y a sans doute des consultations qui ont précédé la publication du livre blanc, le dépôt du projet de loi. Cependant, selon la perspective du Québec et de certains groupes minoritaires, le paysage n’est plus ce qu’il était avant les développements du printemps dernier. Il ne faut pas perdre cela de vue non plus, compte tenu des références au paysage québécois figurant dans le projet de loi C-13 dont nous avons parlé plus tôt.
Le président : Merci beaucoup.
[Traduction]
J’aimerais vous poser une deuxième question, monsieur Lamoureux et monsieur Copeman. Aux termes de l’article 21 du projet de loi C-13, le gouvernement fédéral s’engage à contribuer à l’estimation du nombre d’enfants dont les parents sont titulaires du droit prévu à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, à savoir le droit à l’instruction dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province ou d’un territoire.
Dans son mémoire, le commissaire aux langues officielles dit que :
Contrairement à certains engagements du gouvernement énoncés dans le projet de loi, celui concernant le dénombrement ne donne pas à des institutions fédérales l’obligation corollaire de prendre des mesures positives pour le mettre en œuvre. C’est au ministre du Patrimoine canadien que revient l’obligation d’établir un « processus », et ce, pour qu’ensuite le gouvernement fédéral mette en œuvre l’engagement.
L’obligation du ministre du Patrimoine canadien n’est pas assez contraignante ni assez précise, pour mener à des résultats concrets.
Êtes-vous d’accord avec le commissaire, sinon, pouvez-vous nous expliquer pourquoi?
M. Copeman : Sénateur, l’inclusion dans le recensement du Canada de données sur ce qu’on appelle les titulaires de droits est une bonne chose.
À ce propos, les questions posées par Statistique Canada se limitent aux titulaires de droits tels qu’ils sont définis à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Paradoxalement, il y a deux catégories de titulaires de droits qui sont plus larges que celles qui sont définies par les critères du projet de loi 101 — celle des détenteurs de certificats temporaires et celle des gens qui sont ici pour des raisons bien précises. Par conséquent, le nombre de titulaires de droits qui sera annoncé risque d’être légèrement inférieur au nombre réel de titulaires de droits à l’enseignement en anglais dans la province.
Il n’en reste pas moins que c’est une très bonne chose et que, oui, nous partageons les réserves du commissaire aux langues officielles en ce qui concerne l’obligation de se fonder sur les données du recensement pour dénombrer les titulaires de droits au Québec — c’est-à-dire les gens qui ont le droit d’envoyer leurs enfants dans une école anglaise.
Le président : Merci de votre réponse.
[Français]
Il reste environ six minutes à notre séance.
[Traduction]
Le sénateur Loffreda : Je serai bref.
D’abord et avant tout, je dirai que la langue française a besoin d’être protégée. Je suis d’accord avec le sénateur Bellemare pour dire que notre pays n’est pas vraiment bilingue, il faut le reconnaître. Les francophones hors Québec n’ont pas les mêmes droits et privilèges que la minorité anglophone au Québec.
En revanche, la référence au projet de loi 96 et au projet de loi C-13 me préoccupe énormément. Comment peut-on protéger la langue française sans restreindre les droits de la minorité anglophone au Québec?
Si je décide d’émigrer dans un pays et que je ne parle ni anglais ni français, mais que ces droits existent… Les gens sont obligés de dire à leurs clients qu’aux termes du projet de loi 96, ils ne peuvent plus communiquer avec eux en anglais. J’ai même entendu dire, le week-end dernier, que des employés du gouvernement se font dire qu’ils n’ont pas le droit de parler anglais entre eux.
Cela provoque une fracture entre les Québécois et entre les Canadiens. Parler plusieurs langues est pourtant un atout incroyable.
Que peut-on faire? Comme quelqu’un l’a fait remarquer devant notre comité, la minorité anglophone au Québec représente la moitié de la minorité linguistique au Canada. Les anglophones du Québec ont contribué au développement de cette province. Ce n’est donc pas le même problème.
J’aimerais bien que la minorité francophone hors Québec ait les mêmes droits que nous, Québécois anglophones. J’ai été trop gâté. J’ai grandi au Québec, j’y ai été très heureux et je lui en suis très reconnaissant. Ceux qui ne parlent pas français, c’est tant pis pour eux. Beaucoup de mes amis sont des Canadiens français. C’est un enrichissement permanent d’avoir des amis issus de toutes les communautés. Quand les Canadiens vont-ils le comprendre? Pourquoi chercher à diviser les Québécois et les Canadiens?
Pour en revenir au projet de loi C-13 — et Benoît Pelletier l’a parfaitement dit —, le gouvernement québécois fait une erreur stratégique en s’opposant à ce texte. Je pense que c’est parce qu’il ne le veut pas. Si les francophones hors Québec ne sont pas traités de la même façon, c’est peut-être parce que le gouvernement du Québec ne donne pas son appui à des projets de loi comme celui-ci.
Ma question est la suivante : dans quelle mesure pouvons-nous exprimer dans le projet de loi C-13 tout ce que je viens de dire?
M. Buck : Sénateur Loffreda, je vous remercie de me poser une question aussi facile! Non, je plaisante, elle n’est pas facile du tout. Je vais m’en remettre bien humblement à mes collègues qui sont ici.
J’aimerais toutefois vous dire — et, en fait, cela répond à une question que le sénateur Mockler a posée tout à l’heure au sujet des amendements possibles — que, comme l’ont dit mes collègues de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec, nous appuyons l’orientation générale de ce projet de loi et, notamment, sans aucune réserve, la nécessité de protéger la langue française. C’est fondamental.
S’agissant des domaines de compétence du gouvernement fédéral et des entreprises de compétence fédérale, une clause importante du projet de loi C-13 dispose qu’il est nécessaire de promouvoir le français, y compris dans la province du Québec. Il n’est pas fait mention de la nécessité de protéger la langue anglaise sur ce même territoire.
Nous estimons que ce projet de loi devrait respecter le principe de l’équité et encourager la promotion du français partout au Canada et au Québec, et qu’il devrait faire référence à la minorité anglophone de façon adéquate. Cela contribuerait grandement, nous semble-t-il, à régler pas mal de choses, y compris le fait — même si c’est anecdotique — que les grandes banques et les grandes sociétés de transport se sont déjà adaptées au nouvel environnement et qu’elles obligent leurs employés à utiliser le français au travail.
En revanche, les petites entreprises de compétence fédérale — et elles sont nombreuses à travailler avec nous, surtout en dehors de Montréal —, sont en train de se demander si elles sont vraiment obligées de rester au Québec. Autrement dit, soit elles vont décider d’appliquer la loi et rester au Québec, soit elles vont aller s’installer ailleurs.
S’agissant des employés et des cadres moyens qui occupent un poste au gouvernement fédéral ou dans une organisation de compétence fédérale, ils sont dorénavant obligés de répondre à leurs collègues en français. Ce n’était peut-être pas nécessairement le cas avant. Par conséquent, il ne leur sera peut-être plus possible de continuer à occuper le même emploi et ils seront peut-être obligés d’aller s’installer ailleurs.
La question que vous avez posée est très importante et très complexe. Une solution acceptable serait de s’assurer que, dans les entreprises de compétence fédérale, la minorité anglophone du Québec a les mêmes privilèges que les francophones hors Québec.
M. Copeman : Sénateur, avec votre permission, j’aimerais vous dire, sur un ton peut-être plus philosophique, qu’à mon avis, on ne réussira pas à promouvoir et à protéger une langue — ce que je suis convaincu qu’il faut faire au Québec — en restreignant les droits de la minorité linguistique et son accès aux services. Or, c’est précisément ce que fait le projet de loi 96, et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes nombreux à penser que le projet de loi C-13 ne devrait pas contenir une référence explicite à la Charte de la langue française.
Le sénateur Loffreda : Je suis d’accord avec vous là-dessus. Merci.
Le président : J’aimerais remercier les témoins de leurs interventions, et mes collègues, de leurs questions. Nous avons eu une discussion très intéressante, qui va nous être très utile pour notre examen du projet de loi C-13. Je vous remercie de vos témoignages et de votre participation.
(La séance est levée.)