LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 31 octobre 2022
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 16 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois; et à huis clos, pour l’étude d’un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis président du Comité sénatorial des langues officielles. J’invite maintenant les membres du comité à se présenter, en commençant par ma gauche.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le président : Je tiens à vous souhaiter à tous la bienvenue, ainsi qu’aux téléspectateurs des quatre coins du pays qui nous regardent peut-être. Je tiens à souligner que je participe à cette réunion depuis le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude de la teneur du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français dans les entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois. Le titre abrégé proposé pour ce projet de loi est « Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada ».
[Français]
Pour la première partie de notre réunion aujourd’hui, nous recevons, par vidéoconférence, des représentants de l’Alliance de la Fonction publique du Canada : M. Alexandre Silas, vice-président exécutif régional, et Mme Rosane Doré Lefebvre, agente des communications. De plus, nous avons parmi nous dans la salle M. Daniel-Robert Gooch, président et directeur général de l’Association des administrations portuaires canadiennes.
Nous vous souhaitons la bienvenue.
Rosane Doré Lefebvre, agente des communications, Alliance de la Fonction publique du Canada : Bonjour aux membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Au nom de l’AFPC, nous tenons à vous remercier de l’invitation à témoigner sur le projet de loi. Je m’appelle Rosane Doré Lefebvre et je suis agente des communications à l’Alliance de la Fonction publique du Canada.
Aujourd’hui, je vais livrer le témoignage de l’AFPC au nom de M. Alexandre Silas, vice-président exécutif régional pour la région de la capitale nationale. L’Alliance de la Fonction publique du Canada représente plus de 230 000 travailleuses et travailleurs partout au pays et dans le monde.
Nos membres travaillent notamment dans le domaine de la sécurité et dans des agences et ministères fédéraux, des sociétés de la Couronne, des universités, des casinos, des agences de services communautaires, des communautés autochtones, des aéroports et j’en passe. En plus de notre siège social à Ottawa, l’AFPC compte 23 bureaux régionaux.
Nous représentons des membres qui utilisent le français au travail — ou souhaitent l’utiliser — sur une base quotidienne, et ce, d’un bout à l’autre du pays. Je ne parle pas seulement de francophones, mais aussi de personnes bilingues qui souhaitent converser dans leur deuxième langue, ou encore de ce que j’appellerais des francophiles, soit des personnes qui ne parlent pas nécessairement le français, mais qui souhaitent également que leur milieu de travail soit ouvert et inclusif aux langues officielles parlées par leurs collègues.
Tout d’abord, il est important de reconnaître que toutes les travailleuses et tous les travailleurs ont le droit de parler et de travailler dans la langue officielle de leur choix au sein de la fonction publique fédérale. Bien que cela soit vrai sur papier, malheureusement, l’amélioration du bilinguisme dans la fonction publique ne semble tout simplement pas être une priorité pour les différents gouvernements fédéraux qui se sont succédé.
L’AFPC croit sincèrement que le gouvernement fédéral a la possibilité d’en faire plus pour promouvoir et protéger les langues officielles dans nos institutions; il doit seulement avoir la volonté de le faire.
La pandémie a rendu ces iniquités encore plus évidentes; la plupart des personnes travaillaient à domicile et ne se côtoyaient plus que virtuellement. Cette période a rendu plus difficile le travail de nos membres en langue française.
Des informations envoyées aux employés seulement en anglais, des réunions de travail sans interprétation ou des gestionnaires ne pouvant communiquer efficacement dans leur deuxième langue ne sont que quelques exemples de barrières linguistiques importantes évoquées par nos membres durant la pandémie.
Le bilinguisme devrait être reconnu comme une compétence de qualité supérieure. Si nous voulons créer une fonction publique fédérale dynamique, diversifiée et bilingue, nous devons instaurer une atmosphère où les employés sont à la fois capables et encouragés à travailler dans la langue de leur choix.
Il est du devoir du gouvernement fédéral de fournir les outils nécessaires pour y arriver. La fonction publique canadienne devrait être un endroit de prédilection où le bilinguisme est encouragé et soutenu par l’employeur. On se doit d’être honnête avec ce que nos membres constatent actuellement sur le terrain : les politiques linguistiques implantées dans la fonction publique fédérale ne fonctionnent tout simplement pas.
Le projet de loi C-13 du gouvernement fédéral — première réforme majeure de la Loi sur les langues officielles depuis plus de 30 ans — est un pas dans la bonne direction. Cependant, le projet de loi manque de mordant pour protéger la langue française au Canada et promouvoir le bilinguisme dans l’ensemble de la fonction publique fédérale.
Nous sommes heureux de voir que le gouvernement souhaite prendre des mesures pour soutenir et protéger le bilinguisme dans la fonction publique fédérale. Le moment est bien choisi, car l’AFPC est actuellement à la table de négociations pour plus de 165 000 membres qui travaillent pour le Conseil du Trésor. Nous y proposons plusieurs mesures visant à améliorer le bilinguisme dans la fonction publique fédérale, en plus de nouvelles dispositions pour les travailleuses et travailleurs autochtones qui, dans l’exercice de leurs fonctions, s’expriment à l’oral ou à l’écrit dans une langue autochtone.
L’amélioration de la prime au bilinguisme est l’une de nos revendications à la table de négociations. Cette prime n’a pas été mise à jour depuis 1977 et est restée à 800 $ pendant près de 50 ans. Malgré nos demandes répétées en vue de pousser le gouvernement à revoir sa politique à maintes reprises, celui-ci refuse toujours de bouger. Pire encore, dans un rapport de 2019, le gouvernement a même proposé d’éliminer la prime au bilinguisme. De notre point de vue, cela est complètement inacceptable.
Si le gouvernement veut vraiment appuyer les langues officielles, l’AFPC croit qu’il faut augmenter la prime au bilinguisme pour reconnaître la valeur du travail effectué dans les deux langues officielles et offrir plus de formation linguistique pour encourager les travailleurs anglophones et francophones à développer leur langue seconde.
L’AFPC propose également une allocation pour les langues autochtones pour les travailleuses et travailleurs fédéraux qui parlent une langue autochtone, afin d’attirer et de retenir plus de travailleurs autochtones et de reconnaître leurs expériences de vie.
Les données recueillies auprès des ministères par le Comité mixte sur les langues autochtones du Conseil du Trésor et de l’AFPC ont permis d’identifier plus de 450 travailleuses et travailleurs fédéraux qui utilisent une langue autochtone en milieu de travail dans l’exercice de leurs fonctions. Ceux-ci méritent d’être reconnus pour la valeur qu’ils apportent à la fonction publique fédérale.
Le Parlement a pris des mesures législatives afin de faire progresser la reconnaissance des langues autochtones; le gouvernement fédéral, en tant qu’employeur, devrait montrer l’exemple et reconnaître officiellement la contribution de son personnel qui utilise des langues autochtones dans l’exercice de leurs fonctions.
Si le gouvernement veut vraiment renforcer les deux langues officielles, il a l’obligation de rendre la formation linguistique accessible gratuitement aux travailleurs. Il faut davantage de formation linguistique pour encourager les travailleuses et travailleurs anglophones et francophones à développer leur langue seconde.
Nous demandons également que le Conseil du Trésor cesse d’engager des sous-traitants pour offrir la formation linguistique et mise plutôt sur la création de son propre programme de formation, composé de travailleurs de la fonction publique fédérale qui se concentreront sur les demandes spécifiques de la fonction publique fédérale. Il en va de même pour les services de traduction. Ceux-ci ne devraient jamais être envoyés en sous-traitance. L’AFPC espère que le gouvernement reviendra sur sa décision et acceptera nos demandes en matière linguistique à la table de négociations. Il est encore temps de faire le bon choix.
Nous souhaitons aussi que les membres du comité profitent de cette occasion pour renforcer les deux langues officielles dans la fonction publique, car, tel qu’il est présenté, le projet de loi n’a pas beaucoup de mordant pour nos membres.
Enfin, tout ce que l’on demande ici, c’est que le français et l’anglais soient sur un pied d’égalité dans la fonction publique fédérale. Il n’est pas normal qu’un employé reçoive des documents en anglais d’abord et en français ensuite. Il n’est pas normal non plus qu’un gestionnaire ne soit pas capable de s’exprimer dans la langue du choix de ses employés. Il n’est pas normal que la formation linguistique ne soit pas adaptée spécifiquement à la fonction publique fédérale. Il n’est pas normal qu’on n’encourage ni ne valorise le bilinguisme dans nos institutions. On peut toutefois se donner les moyens d’y arriver.
Je vous remercie de votre temps. Je serai maintenant heureuse de répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, madame Doré Lefebvre.
Monsieur Gooch, la parole est à vous. Bienvenue parmi nous.
[Traduction]
Daniel-Robert Gooch, président et directeur général, Association des administrations portuaires canadiennes : Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de me donner l’occasion de vous rencontrer aujourd’hui au sujet des modifications de la Loi sur les langues officielles (LLO) proposées dans le projet de loi C-13.
[Français]
Je m’appelle Daniel-Robert Gooch. Je suis président et directeur général de l’Association des administrations portuaires canadiennes. Nous représentons les 17 administrations portuaires canadiennes qui transportent la majeure partie du fret international du Canada et qui fonctionnent sans lien de dépendance avec le gouvernement pour gérer les terres portuaires fédérales. Les administrations portuaires du Canada soutiennent la protection des langues officielles du Canada et font preuve de diligence pour s’acquitter de leurs obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles. Toutefois, la façon dont les questions relatives aux langues officielles sont déjà traitées aujourd’hui, en vertu de la loi actuelle, suscite certaines préoccupations.
[Traduction]
Comme les administrations portuaires du Canada sont chargées d’exploiter les biens portuaires fédéraux sans lien de dépendance avec le gouvernement, on s’attend à ce qu’elles fonctionnent de façon autonome et indépendante les unes des autres. Bien que toutes les administrations portuaires travaillent à promouvoir et à faciliter le commerce du Canada, cela se fait principalement à un niveau localisé dans les limites de la compétence régionale de chaque administration portuaire. Leurs niveaux de ressources varient considérablement, et certaines d’entre elles n’ont qu’une poignée d’employés. Elles exercent également leurs activités dans de nombreuses régions du pays où il peut être difficile de trouver du personnel capable de travailler dans la langue de la minorité.
Les préoccupations que nous avons au sujet du projet de loi C-13 sont directement liées à ces facteurs, pour lesquels l’approche « universelle » en ce qui concerne les exigences perçues en matière de langues officielles en vertu de la version actuelle de la Loi maritime du Canada soulève des préoccupations au sujet du projet de loi C-13. En particulier, la conformité à la LLO est plus lourde pour les administrations portuaires que pour d’autres institutions fédérales qui sont plus grandes et dont la portée est nationale — un fardeau que le projet de loi C-13 exacerberait. De plus, les autorités portuaires subissent déjà des pressions visant à accroître la transparence et à améliorer l’harmonisation avec les communautés locales grâce à une meilleure communication locale, des pressions qui seront de plus en plus difficiles à concilier avec un risque de non-respect des exigences de la LLO et une exposition accrue à des plaintes vexatoires.
Bien que certaines plaintes relatives aux langues officielles soient bel et bien fondées et nécessitent des mesures correctives, au cours des dernières années, nos membres ont fait face à des plaintes de nature vexatoire de plus en plus nombreuses qui, à notre avis, ne protègent pas les valeurs défendues par la LLO. Par exemple, nos administrations portuaires s’efforcent de mener, auprès de la communauté, de vastes consultations sur les grands projets susceptibles d’avoir des répercussions sur la communauté, comme les projets d’infrastructure et de construction.
Les administrations portuaires du Canada (APC) et le gouvernement du Canada partagent l’objectif d’accroître le nombre de consultations. Nos membres ont déployé de grands efforts pour améliorer cette consultation depuis la création des APC. Nous croyons comprendre que c’est une tendance que le ministre des Transports, M. Alghabra, aimerait voir se poursuivre, et une consultation accrue des communautés et des groupes autochtones pourrait être prescrite dans les amendements à la Loi maritime du Canada, que nous attendons bientôt.
Mais la façon dont le commissaire aux langues officielles interprète les obligations des APC en vertu de la LLO menace de contredire les changements qu’on propose d’apporter à la loi. Les efforts de nos ports membres sont régulièrement détournés par des plaintes déposées par des habitants d’autres provinces qui ont démarré une entreprise spécialisée en examinant les sites Web des ports pour trouver des documents de consultation très locaux dont les éléments ne sont fournis que dans la langue de la communauté. Même si ces initiatives ont une portée entièrement locale, les plaignants gagnent des milliers de dollars simplement en recherchant ces documents en ligne depuis des lieux situés à des milliers de kilomètres de là. Ce n’était certainement pas l’intention de la Loi sur les langues officielles ni celle du gouvernement fédéral lorsqu’il a créé les APC, il y a plus de 20 ans.
Ces plaintes ne proviennent pas des utilisateurs du port ni des résidants, mais leur traitement se poursuit et elles continuent de faire l’objet d’une enquête menée par le commissaire aux langues officielles, sans que les responsables tiennent compte de la nature, de l’exactitude ou de la véracité de la plainte. Nos membres doivent répondre à ces enquêtes qui détournent certaines de leurs ressources humaines et financières, des ressources qui autrement seraient consacrées à la communication et à la collaboration avec les utilisateurs et les intervenants qui habitent réellement au sein de la communauté.
Compte tenu de la situation actuelle, les administrations portuaires craignent que l’élargissement des pouvoirs de la LLO proposé dans le projet de loi C-13, y compris les sanctions administratives pécuniaires, n’exacerbe la situation.
Les administrations portuaires du Canada ne bénéficient pas des ressources illimitées du gouvernement fédéral avec lequel elles doivent rivaliser pour recruter des employés bilingues dans tout le pays. Dans de nombreuses régions, il est difficile pour nos membres de recruter des employés bilingues, et les différentes pratiques sur le plan opérationnel et les distinctions locales ne devraient pas exposer les administrations portuaires à des pénalités déraisonnables.
De plus, contrairement aux administrations aéroportuaires, qui partagent de nombreuses caractéristiques avec nos membres, notamment en ce qui concerne les obligations en matière de langues officielles, les administrations portuaires sont assujetties à la partie VII de la Loi sur les langues officielles, laquelle énonce les objectifs du gouvernement visant non seulement à protéger, mais aussi à renforcer les droits des minorités linguistiques et à favoriser la pleine reconnaissance des deux langues. Bien qu’il s’agisse d’objectifs louables, il est difficile de les concilier avec le mandat des APC, qui consiste à exploiter les biens portuaires sans lien de dépendance avec le gouvernement afin de soutenir le commerce et la compétitivité du Canada, comme le souligne la Loi maritime du Canada.
Nous soutenons que cette partie VII de la LLO ne devrait pas s’appliquer aux APC de la même façon qu’elle ne s’applique pas aux administrations aéroportuaires du Canada. Les administrations portuaires pourraient être exposées à des risques supplémentaires si cette question n’est pas réglée et si le projet de loi C-13 est adopté dans sa forme actuelle. Il est crucial pour l’économie canadienne que les ports du Canada puissent fonctionner efficacement. Pour ce faire, tout en évitant des pénalités financières inutiles et tout en respectant leurs obligations en vertu de la LLO, il est essentiel que la loi soit claire et cohérente. Merci.
Le président : Je vous remercie beaucoup de vos déclarations préliminaires.
[Français]
Nous allons maintenant passer à la période des questions. Auparavant, j’aimerais demander aux membres du comité et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou de retirer leur oreillette. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité qui se trouve dans la salle.
Chers collègues, conscient du temps qui est à notre disposition, je propose que cinq minutes soient accordées à chacun pour un premier tour de table, y compris pour la question et la réponse des témoins.
La sénatrice Gagné : Bienvenue aux témoins. Ma première question s’adresse à Mme Doré Lefebvre.
Selon vous, à quel degré de leadership le bât blesse-t-il dans le système, compte tenu du fait que le problème lié à la langue de travail perdure depuis des décennies?
Mme Doré Lefebvre : Merci beaucoup pour la question, sénatrice Gagné.
Nous le répétons depuis longtemps : il y a un problème dans la fonction publique fédérale en ce qui a trait au bilinguisme. Est-ce seulement attribuable aux politiques implantées? Est-ce en raison du fait que chaque agence ou ministère fonctionne différemment? La façon dont les choses fonctionnent au sein des agences et ministères n’est pas uniforme. Selon nos membres, dans certains ministères il est plus facile de communiquer en français ou en anglais de façon bilingue que dans d’autres. Par exemple, au Conseil du Trésor, il est malheureusement plus difficile de communiquer en français. Ce n’est pas nous qui le disons, ce sont directement nos membres.
Je ne veux blâmer personne en particulier, mais il y a beaucoup de gestionnaires unilingues anglophones qui sont à la tête de différentes équipes, et nous reconnaissons qu’il y a là un problème.
À cet égard, nous proposons qu’il y ait davantage de formation linguistique adaptée spécifiquement à la fonction publique et nous proposons de sensibiliser les gestionnaires. C’est triste à dire, mais certains se trouvent chanceux lorsqu’ils se retrouvent avec un gestionnaire francophone ou bilingue. Nous devons donc nous pencher là-dessus, mais il faut aussi comprendre que nous avons une structure particulière au gouvernement fédéral.
La sénatrice Gagné : Croyez-vous que, d’une façon ou d’une autre, ce soit par l’entremise du cadre législatif ou d’un règlement ou autre, nous devrions préciser les exigences de bilinguisme des hauts fonctionnaires et prévoir des exigences de bilinguisme pour la nomination au poste de sous-ministre?
Mme Doré Lefebvre : Selon nous, c’est très important que des gestionnaires soient capables de communiquer dans les deux langues officielles avec leur équipe. Quelqu’un peut être bilingue, mais être plus à l’aise dans la langue officielle de son choix. L’AFPC croit qu’il faut mettre l’accent sur la promotion de ce bilinguisme; il faut créer plus d’occasions de formation et vraiment prioriser la formation pour les gestionnaires.
Comme je l’ai mentionné, le bilinguisme des gestionnaires et des hauts fonctionnaires laisse franchement à désirer, mais, avec la réorganisation des agences et des ministères, il se peut que l’on assiste à des cas où un employé francophone de Sherbrooke est supervisé par un gestionnaire unilingue anglophone, par exemple. Il faut absolument trouver des mesures pour que les communications soient plus efficaces, que les gens n’attendent pas d’avoir la traduction pour comprendre ce qui est écrit dans un document et qu’il y ait le même accès en français et en anglais.
La sénatrice Gagné : Ma prochaine question s’adresse à M. Gooch.
Je sais que l’Association des administrations portuaires canadiennes a déjà parlé de défis en ce qui a trait au recrutement de personnel bilingue dans certaines régions. Êtes-vous en mesure de quantifier l’étendue de cette pénurie? Est-ce que c’est possible de nous dire à quel point la situation est problématique et dans quelles régions il est plus difficile de recruter du personnel bilingue?
M. Gooch : Je ne dispose malheureusement pas de données, mais on parle de villes comme Nanaimo, Port Alberni et Prince Rupert, en Colombie-Britannique. Il est difficile de trouver des employés bilingues, mais il faut aussi se rappeler que les ports sont en concurrence avec le gouvernement fédéral qui, lui aussi, recherche des employés bilingues. C’est donc difficile pour les ports qui sont situés dans des villes comme celles-là.
Nous avons aussi des ports sur la côte Est, à Halifax et à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador; ce n’est pas toujours facile de trouver des employés bilingues.
La sénatrice Gagné : Savez-vous s’il existe de telles statistiques ou des études pour savoir comment mesurer cette pénurie?
M. Gooch : J’imagine qu’il existe des statistiques sur le nombre de personnes bilingues dans les villes, mais je n’ai malheureusement pas de données sur le nombre d’employés.
La sénatrice Mégie : Ma première question s’adresse à Mme Doré Lefebvre.
Vous avez dit que le gouvernement refusait de donner de la formation linguistique aux employés; est-ce parce qu’il a déjà évalué le coût de cette formation? Deuxièmement, y a-t-il d’autres raisons liées au refus d’offrir cette formation? D’après tout ce que vous nous avez dit, c’est très important. Troisièmement, qu’en est-il du personnel temporaire et des stagiaires non syndiqués, pour ce qui est de l’accès à cette formation?
Mme Doré Lefebvre : Merci beaucoup de cette question, sénatrice Mégie. Vous touchez à des points qui sont extrêmement importants, dont l’accès à la formation, ainsi que la formation pour les employés temporaires. J’aimerais tellement que l’on ait un représentant de l’employeur ici en ce moment pour pouvoir répondre plus spécifiquement à ces questions, à savoir pourquoi nous n’avons pas un accès plus important à de la formation pour la fonction publique fédérale. Ce serait vraiment une question à leur poser.
Cependant, sur le terrain, nous avons constaté — et nos membres aussi — qu’il y a très peu de formation linguistique. Il faut en faire davantage pour encourager les travailleuses et les travailleurs francophones et anglophones à développer leur langue seconde.
Il y a de la formation linguistique, mais une grande partie de cette formation se fait en sous-traitance. Nous demandons que le Conseil du Trésor cesse de faire de la sous-traitance pour la formation linguistique des travailleuses et des travailleurs de la fonction publique et s’attarde plutôt à créer son propre programme de formation, composé de travailleurs de la fonction publique qui pourront se concentrer spécifiquement sur les demandes de la fonction publique fédérale. Nous avons un jargon particulier et des demandes particulières à gérer, et c’est important d’avoir des personnes qui comprennent très bien comment cela fonctionne. Si on expérimente un trop gros roulement ou si la formation est faite à l’externe et qu’elle est privatisée, cela fonctionne beaucoup moins bien.
La sénatrice Mégie : Monsieur Gooch, pensez-vous que le projet de loi C-13 est assez ambitieux en ce qui a trait aux politiques d’immigration du gouvernement? Vous avez parlé du manque de main-d’œuvre; est-ce que cela pourrait être utile, et faudrait-il établir des normes de bilinguisme pour ces travailleurs issus de l’immigration?
M. Gooch : Honnêtement, nous n’avons pas examiné le projet de loi quant à cet aspect. Cependant, je dirais que ce n’est pas uniquement un problème de disponibilité des employés.
[Traduction]
Quand vous examinez les plaintes, vous constatez que ce ne sont pas des types de plaintes qui seraient nécessairement repérées par des employés bilingues. Prenons l’exemple d’une administration portuaire qui souhaite consulter une communauté au sujet d’une question très locale, comme ce qu’il faut faire d’un terrain, la possibilité de le transformer en parc et, le cas échéant, la nécessité d’y installer des grues. Elle consulte les habitants de cette collectivité et présente 30 pages de documents. S’il y a deux mots qui n’ont pas été traduits à la page 17, ou s’il y a 15 annexes et que l’une d’entre elles est une image accompagnée d’indications en anglais, mais pas en français, ces genres de lacunes sont mises de l’avant par des personnes qui ne participent pas à la consultation — elles n’habitent pas dans la collectivité; elles se trouvent à l’autre bout du pays — et qui tirent profit de la situation.
Nous ne croyons tout simplement pas que cela soit dans l’esprit de ce que sont censés être la Loi sur les langues officielles, le projet de loi C-13 et certainement la Loi maritime du Canada. Voilà donc le sujet de préoccupation de nos administrations portuaires.
[Français]
La sénatrice Mégie : Avez-vous quantifié le nombre de plaintes reçues, et savez-vous quels ports sont le plus couramment visés par ces plaintes?
M. Gooch : C’est une très bonne question; malheureusement, je ne dispose pas de données complètes sur le nombre. Je sais que cela touche plusieurs membres de l’association en Colombie-Britannique et sur la côte Est du pays en particulier, mais je ne connais pas ce nombre.
La sénatrice Mégie : Les chiffres sont-ils écrits quelque part? Vous pourriez alors les faire parvenir aux membres du comité par le biais de la greffière.
M. Gooch : Je pourrais faire un sondage afin de savoir si nous pouvons trouver ces données et vous les acheminer. Toutefois, même si je ne connais pas le nombre, je sais que le problème a augmenté depuis les cinq ou six dernières années; c’est clair.
La sénatrice Mégie : D’accord. Merci beaucoup.
La sénatrice Moncion : Je voudrais revenir à la réponse précédente.
Vous avez parlé de gens qui en profitent pour trouver certaines coquilles dans vos documents pour gagner de l’argent. Comment font-ils pour profiter de cette situation?
[Traduction]
M. Gooch : Ils s’assoient devant leur ordinateur et parcourent des sites Web, en essayant de trouver des exemples de renseignements qui ne sont pas en français, ou pas entièrement en français. J’ai entendu des histoires où seulement deux mots n’avaient pas été traduits et où le commissaire aux langues officielles a tout de même pris en compte la plainte. J’ai également entendu des histoires où ces personnes ne sont pas allées porter plainte; elles ont visité les bureaux des administrations portuaires et ont déclaré ce qui suit : « Nous avons trouvé cet exemple de non-respect. Donnez-nous de l’argent, et nous nous abstiendrons de porter plainte. »
La sénatrice Moncion : Vous versez des fonds pour cela?
M. Gooch : Les administrations portuaires doivent décider de la manière dont elles traiteront chaque cas, mais, oui, en général, elles finissent par verser des fonds pour cela.
La sénatrice Moncion : Mais cela va à l’encontre de la loi?
M. Gooch : Je ne suis pas un expert en droit, mais il est certain que ce comportement ne semble pas acceptable.
La sénatrice Moncion : Nous pourrions avoir une autre discussion à ce sujet, mais il ne semble pas judicieux de payer des maîtres chanteurs. C’est illégal, et je crois qu’on devrait éviter de verser de l’argent pour récompenser des comportements de ce genre ou des gens qui souhaitent réaliser des profits.
[Français]
Ma prochaine question s’adresse aux représentants de l’Alliance de la Fonction publique du Canada. Lors de votre comparution du 22 septembre dernier, vous avez dit que si le gouvernement veut renforcer les deux langues officielles, il doit rendre la formation linguistique accessible gratuitement pour les travailleurs. On sait que plusieurs travailleurs suivent une formation linguistique; ils réussissent les tests, ils reçoivent la prime de bilinguisme, mais ils n’utilisent pas la langue au travail, parce qu’ils disent que c’est trop difficile. Pourtant, ils viennent de bénéficier de sommes additionnelles, sans toutefois faire l’effort d’utiliser la langue.
Comment pensez-vous que la formation linguistique qui est offerte gratuitement aux employés leur permettrait de s’exprimer davantage en français?
Mme Doré Lefebvre : Merci beaucoup de la question, sénatrice Moncion.
La formation fait partie de notre boîte à outils pour rendre la fonction publique fédérale plus bilingue, mais aussi pour s’assurer que les gens sont à l’aise de travailler dans les deux langues. De toute évidence, si l’on travaille à un endroit où les gens ne sont pas portés à travailler dans les deux langues officielles ou si les activités ou les outils mis à la disposition des travailleurs ne les amènent pas à pratiquer les deux langues, cela peut être plus difficile, en effet, pour certains membres de travailler dans l’une ou l’autre des langues officielles. Il faut créer une atmosphère de travail où les deux langues sont acceptées et encouragées.
Il faut comprendre que, pour plusieurs régions, c’est une réalité qui touche davantage les francophones, qui sont obligés de parler en anglais en tout temps ou d’utiliser leur deuxième langue, qui est l’anglais, dans le cadre de leurs fonctions. Pourtant, ils ont souvent été engagés pour un poste bilingue. Cela peut parfois être décourageant. Ils vont vers l’anglais pour faciliter les choses. Si les gestionnaires s’assuraient d’utiliser et de valoriser les deux langues, que ce soit lors de réunions bilingues ou en adoptant d’autres mesures, ce serait plus facile pour ces gens-là et plus favorable pour les deux langues officielles.
La sénatrice Moncion : Je suis d’accord avec vous. Même à mon bureau, nous travaillons exclusivement en français. Je sais que le bureau du juge en chef de la Cour suprême travaille désormais complètement en français. Dès qu’un gestionnaire francophone est en poste, l’équipe qui travaille pour cette personne est très souvent bilingue et, dans ces circonstances, on voit des bureaux où les travailleurs sont capables de s’exprimer plus souvent en français qu’en anglais.
Ma deuxième question touche la prime de bilinguisme. Vous avez parlé de la prime de 800 $, qui existe depuis des années et qui n’a jamais été majorée. Cela nous amène à nous demander si cette prime est encore nécessaire, puisqu’elle est donnée à tout le monde. Les francophones obtiennent cette prime automatiquement, à moins qu’ils aient de la difficulté à parler anglais, mais pour les anglophones, c’est à peu près sûr qu’ils l’obtiendront. S’ils réussissent les tests de compétences une seule fois, ils voient une prime de bilinguisme ajoutée à leur salaire, ce qui fait qu’à un moment donné, la prime de bilinguisme ne sert plus vraiment à grand-chose. Même si on augmentait le montant des primes, je ne suis pas certaine que cela comporterait les mêmes avantages qu’autrefois.
Je voudrais entendre ce que vous avez à dire à ce sujet.
Mme Doré Lefebvre : Du côté de nos membres, c’est tout le contraire. La prime au bilinguisme est l’un des outils importants pour le bilinguisme dans la fonction publique fédérale.
Il y a peut-être une façon de mieux utiliser ce bilinguisme, mais je ne pense pas que le problème relève nécessairement de la prime au bilinguisme. Il faut plutôt se poser cette question : et maintenant, si je peux m’exprimer ainsi, qu’est-ce que les gestionnaires peuvent faire avec cette force de main-d’œuvre qui est bilingue?
Du côté de l’AFPC, on pense que la prime valorise les employés francophones bilingues et, du même fait, encourage les anglophones unilingues à apprendre le français et à l’utiliser dans le cadre de leurs fonctions. Toutefois, on doit l’utiliser comme un outil pour avoir une fonction publique fédérale plus bilingue qu’elle ne l’est aujourd’hui.
La sénatrice Moncion : Merci, madame Doré Lefevbre.
Le sénateur Dalphond : Est-ce que je dois comprendre, d’après la question de la sénatrice Moncion, que lorsqu’on se qualifie pour une prime au bilinguisme, il peut s’écouler une période de 15 ans avant que l’on vérifie si on a encore l’habileté linguistique en question?
Mme Doré Lefebvre : La question s’adresse-t-elle à moi?
Le sénateur Dalphond : Oui.
Mme Doré Lefebvre : Merci beaucoup de la question, sénateur Dalphond.
Je n’ai pas les détails précis sur la suite des choses après l’obtention de la prime au bilinguisme. Il faudrait que je fasse un suivi et que je vous revienne à ce sujet. Je pourrais donner plus de détails en ce qui concerne la suite des choses après qu’on reçoit le fameux sceau de la prime au bilinguisme. Par contre, avec la prime au bilinguisme, il y a tout le côté monétaire qui a été oublié. La prime au bilinguisme est indexée au coût de la vie. Le montant serait d’environ 3 000 $ par année pour les employés, ce qui serait peut-être davantage un incitatif pour les unilingues à...
Le sénateur Dalphond : Je suis d’accord pour ce qui est d’une augmentation. Je veux savoir si la prime au bilinguisme est un droit acquis, même si on ne l’utilise pas par la suite et si l’on perd les capacités linguistiques qui avaient été évaluées. Pouvez-vous vérifier cela?
Mme Doré Lefebvre : Je vais vous revenir plus tard sur cette question.
Le sénateur Dalphond : Merci, madame Doré Lefevbre.
Ma deuxième question s’adresse à M. Gooch. Au chapitre 7 de votre mémoire, vous dites que l’assujettissement des autorités portuaires fait que ces exigences supplémentaires officielles les désavantageront comparativement à d’autres institutions semblables du secteur. Quelles sont les autres institutions semblables du secteur des ports qui ne sont pas régies par la loi?
M. Gooch : Je ne suis pas certain d’avoir compris toute la question.
[Traduction]
Le sénateur Dalphond : Dans votre mémoire, vous avez fait allusion au fait que cela vous rend non compétitif par rapport à d’autres institutions qui exercent leurs activités dans des secteurs comparables ou semblables. Quels sont les secteurs comparables aux ports?
M. Gooch : Les administrations aéroportuaires exploitent également des biens fédéraux sans lien de dépendance avec le gouvernement. Dans leurs cas, il s’agit d’institutions complètement privées, mais à la plupart des autres égards, elles sont semblables aux administrations portuaires. Toutefois, elles ne sont pas assujetties à la partie VII, qui traite de la responsabilité de promouvoir le bilinguisme officiel, ce qui est logique pour le gouvernement fédéral, mais pas nécessairement pour une entreprise lorsqu’il s’agit de le promouvoir dans la communauté.
Je ne sais pas si cela fait partie de la partie VII, mais une autre raison pour laquelle il y a un étrange déséquilibre, c’est que les administrations portuaires, tout comme les administrations aéroportuaires, sont considérées comme des sièges sociaux. En ce qui concerne leurs communications avec le public, les exigences sont en fait plus strictes pour une administration portuaire que pour un bureau du gouvernement du Canada situé au bout de la rue, dans une collectivité comme Vancouver ou Prince Rupert. Transports Canada a moins d’exigences en matière de langues officielles à respecter pour ses bureaux de la Colombie-Britannique qu’une administration portuaire, car le bureau de l’administration portuaire est considéré comme un siège social.
Le sénateur Dalphond : Qu’est-ce que cela signifie dans la réalité? Si vous recevez une lettre en français, vous devez y répondre en français?
M. Gooch : C’est plutôt une question d’envergure et de portée des communications avec le public.
Le sénateur Dalphond : Faites-vous de la publicité en Colombie-Britannique, alors? De quoi parlez-vous précisément, car si vous gérez un port où des passagers débarquent des navires, je suppose qu’il serait normal d’offrir des services dans les deux langues officielles pour les accueillir, les faire passer par les douanes et les diriger là où ils trouveront leurs bagages ou un taxi. Vous opposez-vous à cette obligation?
M. Gooch : Non, ce n’est pas vraiment le cœur du problème. Je pense que les services aux voyageurs sont bien compris et seront offerts dans les deux langues officielles. L’orientation des voyageurs constitue une part minime des activités portuaires. Cela ne concerne même pas vraiment les relations d’un port avec ses utilisateurs. Ce sont les communications de nature très locales qui soulèvent des préoccupations.
Les ports possèdent des terrains au sein de la communauté et occupent une superficie considérable. Un port peut consulter une banlieue locale, par exemple, au sujet de travaux de construction qu’il souhaite réaliser dans la région et qui auront des répercussions sur les gens qui y vivent ou qui pourraient y conduire. Ces travaux ne toucheront pas un quidam assis devant un ordinateur au Nouveau-Brunswick quand le port se trouve en Colombie-Britannique. Voilà ce qui préoccupe réellement les autorités portuaires. C’est l’impression qu’avec les exigences actuelles, l’intention était certainement que les autorités portuaires puissent communiquer avec leurs utilisateurs, y compris les passagers, en utilisant les deux langues officielles. Nous ne pensons pas que l’intention était autre. Certaines activités très localisées...
Le sénateur Dalphond : Si un porte-conteneurs arrivant de Montréal arrête en Colombie-Britannique sur sa route vers la Chine, pensez-vous que les clients n’ont pas le droit de recevoir de l’information à propos du conteneur ou de quelque chose qui se passe dans le port? N’ont-ils pas le droit de recevoir de l’information en français?
M. Gooch : Nous ne parlons pas des services à la clientèle, monsieur, mais des consultations locales et des documents de nature très locale qui concernent des consultations sur l’expansion, les projets de construction et le réaménagement de terrains. C’est à cet égard que le principal problème se pose. Cela ne concerne pas les communications dans le cade des activités du port, mais les communications très localisées.
Le sénateur Dalphond : Pouvez-vous fournir des données sur la fréquence à laquelle vos membres doivent consulter la communauté parce qu’ils veulent agrandir ou transformer le port? Je suppose que cela n’arrive pas toutes les semaines. Pouvez-vous nous fournir des données à ce sujet?
Ma dernière question est la suivante : dans votre mémoire, vous dites que les membres de l’association ne peuvent pas entreprendre de procédures juridiques dans la langue de leur choix. Qu’entendez-vous par là? Qu’ils doivent déposer leurs poursuites dans les deux langues?
M. Gooch : Oui. Je pense que conformément à la partie VII, le port doit présenter sa réponse dans la langue du plaignant. C’est quelque peu différent pour les autorités aéroportuaires, qui peuvent le faire dans l’une ou l’autre des deux langues. Je dirai que c’est là une préoccupation qui figure en bas de la liste. En ce qui concerne votre question sur...
Le sénateur Dalphond : Vous avez fait référence au fait que les ports ne peuvent pas entreprendre de procédure dans la langue de leur choix. Ce n’est donc pas pour répondre à quelqu’un qui poursuit l’autorité portuaire, mais quand cette dernière entreprend des procédures? À quoi faites-vous référence ici? Quel est le réel problème? Est-ce parce que des procédures doivent être intentées au tribunal local dans les deux langues officielles et que ce tribunal n’utilise peut-être qu’une seule langue?
M. Gooch : Non. Selon ce que je comprends, cela concerne les procédures intentées par les ports. Je devrai trouver plus de détails à ce sujet, pour être honnête avec vous. Comme je l’ai indiqué, ce n’est pas un des problèmes principaux. L’un des problèmes, c’est qu’il existe une différence entre les autorités portuaires...
Le sénateur Dalphond : Je me demande si vous pourriez fournir plus d’informations sur ce à quoi vous faites référence.
M. Gooch : Je me ferai plaisir de donner suite à cette question. En ce qui concerne votre autre question sur les données relatives aux consultations, je ne peux vous en dire davantage. Les ports consultent continuellement les communautés qu’ils servent et communiquent quotidiennement avec le public. Les communications sont constantes entre les ports et le grand public et varient considérablement en fréquence d’un port à l’autre, en fonction de la taille et des activités.
Le sénateur Dalphond : Je vous prierais de nous fournir plus d’informations sur tout ce paragraphe, qui se trouve à la page 2, avant la conclusion de votre mémoire. Je vous remercie.
Le président : Si vous me permettez d’intervenir, cela concerne davantage la partie III que la partie VII. La partie III de la loi porte sur l’administration de la justice. Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Clement : Merci aux deux témoins. Ma question s’adresse à Mme Doré Lefebvre. Vous avez parlé des langues autochtones. J’aimerais vous entendre davantage là-dessus, pour savoir si vous voyez justement des défis pour mieux reconnaître les langues autochtones et les travailleurs qui parlent une langue autochtone.
J’ai un commentaire à faire auparavant concernant la prime au bilinguisme, et j’aimerais aussi vous entendre là-dessus. Je la reçois encore, car je pratique encore à la clinique d’aide juridique à temps partiel. Au provincial, le tarif est le même, soit 800 $. Je me demande si les provinces suivent l’exemple du fédéral et si l’on accorde une plus grande importance au rôle du gouvernement fédéral et à son leadership dans ce domaine. Je peux vous dire que je gagne les 800 $ et que je plaide en français. J’utilise le français à un niveau très élevé, mais tout le monde reçoit le même montant. Cela se fait depuis 1940. Si vous pouviez faire un commentaire sur le lien entre le fédéral et les provinces quant à ce taux, puis parler des langues autochtones, j’aimerais avoir plus de détails.
Mme Doré Lefebvre : Merci beaucoup, sénatrice Clement. Vous touchez à deux points importants, selon nous. Pour la prime au bilinguisme, en effet, je pense que dans tout programme où le fédéral montre l’exemple, cela arrive souvent et on le constate : les provinces vont suivre. On a un bon exemple de cela, soit la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. Les provinces commencent à emboîter le pas d’un bout à l’autre du pays. Cela se fait tranquillement, cela vient de commencer, mais on voit qu’il y a une différence sur le terrain. Aussi, il y a une différence sur le terrain en ce qui a trait aux conventions collectives. Pour les droits liés à la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, même quand c’est un employeur provincial, il va commencer à suivre ce qui se fait au fédéral. Votre point à cet effet est excellent.
Quant à la prime de bilinguisme, si le fédéral fait quelque chose, il y a de grandes chances que les provinces et les territoires suivent. En ce qui a trait au montant, à la qualité du français, etc., je vais continuer à marteler le fait que la formation linguistique qui est faite à l’interne, et non par un tiers, est d’autant plus importante. La valorisation de l’apport des gestionnaires et des sous-ministres pour que les endroits soient sains et sécuritaires, pour que les gens puissent travailler dans les deux langues officielles, est d’autant plus importante. Il y a aussi du travail à faire là-dessus.
En ce qui concerne l’allocation pour les langues autochtones, au Comité national mixte, nous avons fait une étude et nous avons conclu qu’il y a 450 travailleuses et travailleurs autochtones qui utilisaient leur langue dans le cadre de leurs fonctions, que ce soit à l’oral ou à l’écrit. Cela fait partie intégrante de leur travail de fonctionner dans ces langues pour servir la population canadienne dans une langue autochtone. C’est pour cela que dans le cadre de nos négociations actuelles avec le Conseil du Trésor, nous proposons qu’il y ait une allocation pour les travailleurs qui parlent leur langue autochtone, non seulement pour reconnaître leurs expériences, mais aussi pour attirer et retenir plus de travailleurs autochtones au sein de la fonction publique fédérale. En 2022, nous sommes rendus là, et il s’agit d’une façon progressiste et tangible pour le gouvernement de reconnaître l’importance des langues autochtones au Canada.
Cela profiterait à tous les Canadiens et toutes les Canadiennes à travers le pays. On sait qu’un effectif diversifié avec une forte représentation autochtone signifie une fonction publique plus forte et mieux adaptée. C’est un autre des outils de la boîte à outils. C’est une proposition qui vise à démanteler le racisme dans la fonction publique fédérale. Cela fait partie de cette boîte à outils par laquelle on demande plus de formations obligatoires sur le racisme systémique, le harcèlement et la discrimination. Si les gens se voient davantage dans la fonction publique fédérale, cela va aider les choses de ce côté.
La sénatrice Clement : Merci.
Le président : Merci pour vos réponses. Avant de donner la parole pour le deuxième tour, je vais poser quelques questions. Ma première question s’adresse à Mme Doré Lefebvre.
Ce problème de défi du bilinguisme — et je parlerais aussi de la notion de la dualité linguistique à l’intérieur du gouvernement fédéral — est un enjeu majeur depuis des années. Vous avez parlé de la nécessité pour les gestionnaires de maîtriser les deux langues. Vous parlez de choses qui ont plus à voir avec des mesures administratives. Avez-vous réfléchi aux mesures législatives contenues dans le projet de loi C-13 qui existent déjà et qui pourraient être améliorées pour favoriser la notion de la dualité linguistique au sein de l’appareil gouvernemental?
Mme Doré Lefebvre : C’est une excellente question, sénateur Cormier. J’ai beaucoup suivi vos travaux sur la dualité linguistique. J’ai travaillé longtemps en français en Saskatchewan et en Alberta. C’est un sujet dont nous discutions énormément entre collègues. C’est un cadeau d’avoir une belle dualité linguistique; c’est tellement important pour nos communautés minoritaires, qu’elles soient francophones ou anglophones, et on doit s’y attarder avec un projet de loi.
Il faudrait que je vous revienne avec des détails plus précis sur d’autres aspects du projet de loi sur lesquels on pourrait s’attarder. Mettre la barre plus haut en matière de protection des droits pour la minorité linguistique à travers le pays va aider l’appareil fédéral. Je songe notamment aux zones pour mes collègues du reste du pays, des zones où l’on demande à ce que le bilinguisme ne soit pas nécessairement — je ne veux pas dire pas important, et je vais essayer de peser mes mots —, mais peut-être moins nécessaire, comme en Colombie-Britannique ou parfois en Alberta, par exemple.
Ces zones sont basées sur des données assez désuètes. Elles datent de plusieurs décennies. Il faut revoir ce système pour aider la fonction publique fédérale. J’aimerais que le projet de loi s’y attaque pour donner plus mordant à nos communautés, car il y a énormément de francophones et de personnes bilingues qui y travaillent, y résident et y vivent, qui sont fières de vivre dans deux langues, mais qui sont à d’autres endroits au pays qui ne sont pas des poches de bilinguisme.
Le président : Certains témoins nous ont dit qu’il serait important qu’il y ait des prises de règlements, non seulement pour la partie IV, mais pour la partie qui touche la langue de travail, la partie V. Croyez-vous qu’une exigence de prise de règlements à la partie V, qui touche la langue de travail, aiderait les problématiques que vous soulevez?
Mme Doré Lefebvre : Pouvez-vous préciser? Je connais la partie V.
Le président : La partie V touche la question de la langue de travail et la partie VI touche la participation des deux composantes linguistiques du pays et la possibilité de travailler et d’accéder à des postes dans la fonction publique. Il n’y a pas de règlement associé à ces parties de la loi à l’heure actuelle. Est-ce que vous jugez que ce serait une mesure positive, qu’une prise de règlement serait importante à ce sujet-là? Des choses sont déterminées dans la loi, mais après cela, cela doit se retrouver quelque part pour que ce soit concret. Des témoins ont suggéré de faire cela par le passé.
Mme Doré Lefebvre : C’est assez intéressant. Je devrai vous revenir plus en détail à ce sujet. Vous avez mentionné quelque chose d’important et il est très important de le rappeler. Lorsque cette loi sera mise en œuvre, peu importe ce qu’elle contiendra, il faudra s’assurer que ces politiques linguistiques sont bien implantées sur le terrain. Elles ne le sont pas nécessairement actuellement dans la fonction publique. Il faudra trouver une façon de bien implanter cela. De quelle façon, et par qui? Je dirais qu’il faut que ce soit fait par les membres de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, bien entendu. Cependant, je crois que cela ira au-delà d’un règlement, au-delà de la loi, lorsqu’il sera temps d’implanter ces politiques.
Le président : Monsieur Gooch, je suis assez troublé par la remarque que vous avez faite sur la question des administrations portuaires qui donnent de l’argent aux gens qui se plaignent du non-respect de la Loi sur les langues officielles. Ces faits devraient être vérifiés. C’est assez troublant que des administrations portuaires doivent utiliser ces techniques illégales.
Vous avez parlé de consultations locales et vous rencontrez des défis locaux, puisque vous devez traduire des documents et que vous devez livrer des communications dans les deux langues. Pouvez-vous départager les activités où vous devez utiliser les deux langues officielles sans que cela pose problème et les consultations locales qui semblent vous poser problème? Quelle est la nature des activités où ces problèmes se font sentir? Vous avez parlé de consultations locales, mais par rapport à vos autres activités, y a-t-il des défis dans le fait de respecter la Loi sur les langues officielles et de répondre aux exigences en matière de langues officielles?
[Traduction]
M. Gooch : La situation est parfois difficile. Nos ports ne remettent pas en question le fait qu’ils soient assujettis à la Loi sur les langues officielles et ils cherchent à s’y conformer de leur mieux. C’est quand les activités sont de nature très locale que les plus gros problèmes se posent. Il peut y avoir une réunion au cours de laquelle tout le monde parle anglais, tous les documents sont fournis en anglais, aucune demande n’a été faite pour fournir quoi que ce soit en français, et le port s’est efforcé de traduire le plus de documents possible, mais un mois ou six mois plus tard, quelqu’un trouve sur un site Web quelque chose qui n’a pas été traduit adéquatement et saisit le port d’une plainte. Dans de rares circonstances — ce n’est pas très courant, mais c’est arrivé dans plus d’un port —, des citoyens ont affirmé qu’ils pensaient que nous violions la Loi sur les langues officielles et que si nous leur donnions de l’argent, ils retireraient leur plainte.
Ce n’est pas la majorité des cas dont nous parlons. La plupart des gens passent par le processus de plaintes. Cependant, c’est la manière dont ces situations sont gérées et le caractère délicat de la chose qui suscitent des préoccupations. Les autorités portuaires ne pensent pas que l’intention était d’appliquer les obligations en matière de langues officielles qu’elles doivent respecter en vertu de la Loi maritime du Canada et de la Loi sur les langues officielles à l’exemple d’un document où deux mots n’ont pas été traduits par inadvertance et dont on juge qu’il constitue une violation passible d’une sanction financière.
[Français]
Le président : Donc, cela impliquerait un amendement à la Loi maritime du Canada? Êtes-vous en communication avec le ministre des Transports sur cette question? Si mes renseignements sont justes, il y a possiblement des amendements à venir, n’est-ce pas?
[Traduction]
M. Gooch : En effet. La semaine dernière, nous avons comparu devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes, qui m’a demandé comment nous modifierions la loi. Je ne sais pas si nous recommanderions de la modifier, car nous ne sommes pas certains que ce soit nécessairement là que le problème devrait être corrigé.
Je dirais que vous soulevez un point intéressant. C’est la Loi maritime du Canada qui énonce l’exigence voulant que les autorités portuaires soient assujetties à la Loi sur les langues officielles. C’est du ministre des Transports et de la Loi maritime du Canada que devrait venir l’éclaircissement.
Nous savons que des amendements sont en élaboration pour modifier la Loi maritime du Canada. Le ministre s’est engagé à la modifier d’ici la fin de l’année civile. Nous avons rencontré le cabinet du ministre et lui avons remis nos suggestions écrites sur l’endroit approprié pour clarifier les obligations. C’est tout ce que nous voulons. Nous souhaitons que les obligations soient clarifiées de manière raisonnable et cohérente avec ce que le gouvernement voulait accomplir quand il les a établies.
Pour le moment, nous ne nous attendons pas à ce que la question se règle dans la Loi maritime du Canada. Rien ne nous indique que le problème sera résolu dans les amendements qui sont élaborés pour modifier cette loi, avec tout ce que nous comprenons de nos échanges avec le ministère et le cabinet du ministre.
[Français]
Le président : Merci beaucoup pour vos réponses. Il nous reste une trentaine de minutes, et nous poursuivons avec le sénateur Mockler.
[Traduction]
Le sénateur Mockler : Monsieur Gooch, je commencerai par vous. Je suis troublé par le fait que vous dites que nous donnons de l’argent aux gens pour qu’ils retirent leur plainte. Pouvez-vous m’expliquer cela et me donner un exemple concret de cette affaire fort préoccupante que vous nous révélez aujourd’hui?
M. Gooch : Je sais que cela est survenu quelques fois dans plus d’un port. Selon ce que je comprends, c’est arrivé avant mon entrée à l’Association des administrations portuaires canadiennes; je ne suis donc pas au fait des détails. Je crois comprendre que c’était un genre de plainte semblable à celui que reçoit le Commissariat aux langues officielles.
Je conviens avec vous qu’il est troublant que des gens agissent ainsi. Cela s’est produit dans plus d’un port; je ne sais donc pas exactement comment ils ont géré la situation. Ils l’ont probablement fait de manières différentes.
Nous nous préoccupons tout autant des plaintes déposées auprès du Commissariat aux langues officielles. Les plaintes sont semblables, mais les plaignants ont choisi de passer par le processus prévu à cette fin.
Le sénateur Mockler : Je vous pose la question de nouveau : donnez-moi un exemple au lieu de dire juste « je pense ». Pouvez-vous me parler d’un cas? Vous vous adressez au Comité sénatorial permanent des langues officielles.
M. Gooch : J’ai parlé de certains cas dans le cadre desquels quelques mots non traduits ont été relevés dans un document de 30 pages et où la plainte a été jugée légitime.
Nous connaissons au moins un cas où les médias sociaux étaient concernés et dans le cadre duquel le Commissariat aux langues officielles a demandé que l’organisation visée traduise les informations publiées depuis plusieurs années sur les médias sociaux, y compris des avis très ponctuels, comme « En raison d’un engorgement, nous vous demandons de ne pas vous présenter à l’entrée B1 dans les deux prochains jours. »
Le commissariat voulait que le port traduise tous ces messages. Il est difficile de comprendre à quoi cela a servi.
Vous avez parlé du cas de personnes qui demandent de l’agent pour retirer leur plainte, et c’est une situation préoccupante, mais le principal problème actuellement vient de la manière dont les plaintes officielles sont gérées par le commissaire aux langues officielles.
Le sénateur Mockler : Je suis parlementaire depuis une trentaine d’années, et je peux vous dire que les informations que vous avez fournies et que ce que vous nous dites maintenant est fort troublant, si c’est le cas. Par l’entremise du président, je voudrais obtenir plus d’informations sur ce que vous venez de dire.
Avez-vous lu le projet de loi C-13?
M. Gooch : Je ne l’ai pas lu en entier, non.
Le sénateur Mockler : Avez-vous lu la partie VII?
M. Gooch : Cela fait un bout de temps.
Le sénateur Mockler : D’accord. Je vous remercie, monsieur. Pour faire la lumière sur cette affaire, je pense qu’il importe d’obtenir les faits sur ce que vous avez dit.
[Français]
Madame Doré Lefebvre, étant donné votre longue expérience et votre leadership, j’aimerais connaître votre avis sur la question suivante. Le projet de loi C-13 devrait-il préciser les exigences de bilinguisme des hauts fonctionnaires et faire de même pour les nominations aux postes de sous-ministre à travers le Canada?
Mme Doré Lefebvre : Je vous remercie de votre question, sénateur Mockler. Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous avons des problèmes en ce qui a trait aux gestionnaires unilingues anglophones dans la fonction publique.
D’abord, je crois que nos mesures concrètes doivent s’atteler en ce moment à régler le problème à la base. Le problème est bien présent et il faudra du temps pour faire bouger les choses. Pour nous, le plus important, c’est que les gestionnaires soient sensibilisés au fait que le bilinguisme au sein de la fonction publique est quelque chose de très important. Le projet de loi C-13, par le biais du leadership des parlementaires et du gouvernement fédéral, doit montrer que le bilinguisme constitue une force et qu’il doit être bien implanté au sein de la fonction publique canadienne.
Nous avons ici l’occasion d’utiliser le projet de loi C-13 comme levier pour commencer, pour ensuite nous concentrer à rendre les équipes à l’aise de converser dans les deux langues officielles. Il faudra voir à ce que cette possibilité soit bien présente et à ce que le bilinguisme soit pris au sérieux dans la fonction publique.
Pour ce qui est d’avoir des gestionnaires bilingues d’un bout à l’autre du pays, j’aimerais sincèrement que ce soit chose possible. Malheureusement, j’ignore si ce le sera avec le projet de loi C-13. Toutefois, je crois qu’on peut fournir les outils nécessaires pour rendre tout cela plus agréable pour les francophones, les francophiles et les personnes bilingues.
La sénatrice Gagné : Ma question s’adresse à M. Gooch. J’aimerais mieux comprendre le rôle des différents ports à travers le Canada, savoir à quelle loi ils sont assujettis et de quel ministère ils relèvent.
Si je comprends bien, certains ports sont sous la responsabilité de Transports Canada et d’autres de Pêches et Océans Canada? Est-ce que c’est bien le cas?
[Traduction]
M. Gooch : L’Association des administrations portuaires canadiennes représente 17 autorités portuaires canadiennes, qui relèvent toutes du ministre des Transports. Les actifs appartiennent au gouvernement du Canada, mais les organisations qui les exploitent sont indépendantes du gouvernement.
C’est légèrement différent des autorités aéroportuaires, avec lesquelles j’ai acquis une certaine expérience dans mon rôle précédent. Les autorités aéroportuaires sont en fait des entreprises indépendantes. Elles sont considérées comme des entreprises gouvernementales, mais comme les autorités aéroportuaires, il leur incombe de réunir des fonds pour financer leurs activités. Elles fonctionnent essentiellement comme des entreprises indépendantes, vu la manière dont elles réunissent des fonds et gèrent leurs activités quotidiennes, et sont très indépendantes du gouvernement. Elles relèvent toutefois du ministre des Transports et sont principalement régies par la Loi maritime du Canada.
[Français]
La sénatrice Gagné : Est-ce qu’il y a des ports qui sont exploités par une municipalité?
[Traduction]
M. Gooch : Il y en a, mais ils ne sont pas membres de mon organisation actuellement.
[Français]
La sénatrice Gagné : Je comprends donc que vous aimeriez quand même qu’il y ait une meilleure cohérence entre les différents cadres législatifs pour ce qui est des obligations linguistiques entre la Loi sur les langues officielles et la Loi maritime du Canada?
[Traduction]
M. Gooch : La Loi sur les langues officielles constitue le cadre qui régit la manière dont les obligations en matière de langues officielles sont gérées par le commissaire aux langues officielles. C’est la Loi maritime du Canada qui stipule que les ports sont assujettis à ces obligations et à d’autres dispositions. Le problème, c’est que cette loi est suffisamment vague pour que l’interprétation de la portée des obligations se soit élargie au fil des ans. Ces obligations ont peut-être été étroitement circonscrites par le passé, mais elles sont de plus en plus largement interprétées à mesure que le temps passe, particulièrement depuis cinq ou sept ans.
Je crois comprendre que le commissaire aux langues officielles interprète ces obligations de manière beaucoup plus agressive en ce qui concerne les ports.
[Français]
La sénatrice Gagné : Ma dernière question est la suivante : suggérez-vous que les pouvoirs du commissaire aux langues officielles devraient être plus restreints face aux différentes administrations portuaires?
[Traduction]
M. Gooch : Je suppose que je dirais que les ports admettent qu’ils ont des obligations en vertu de la Loi sur les langues officielles et qu’ils cherchent à les honorer de leur mieux. Je dirais qu’ils ont redoublé d’efforts ces dernières années, étant donné que le nombre de plaintes a augmenté. La volonté est là. Le problème, c’est que le commissaire a la discrétion et la latitude de déterminer si, par exemple, une personne profite peut-être de la situation et de décider de ne pas accueillir la plainte, mais il n’utilise pas cette discrétion et cette latitude.
Dans ce contexte, quand nous voyons un projet de loi qui propose d’accroître les pouvoirs du commissariat, cela nous fait sourciller. Nous nous sommes fait un plaisir de présenter un mémoire au comité, parce que nous voulions nous assurer que vous soyez au courant de ce problème, mais il semble que ce soit un point qu’il faudrait probablement éclaircir avec le ministre des Transports et dans la Loi maritime du Canada plutôt que dans la Loi sur les langues officielles elle-même. Nous admettons que la loi existe pour d’excellentes raisons. Mon collègue qui fait partie du groupe de témoins parle de la fonction publique, où les préoccupations sont absolument valables. Nous avons en quelque sorte l’impression d’être pris dans un cadre qui n’a pas été nécessairement conçu pour cette situation.
[Français]
La sénatrice Gagné : Merci pour cette précision.
[Traduction]
La sénatrice Moncion : Vous avez parlé des plaintes que reçoit le commissaire aux langues officielles. C’est juste une question, parce que les autorités portuaires n’étaient pas sur notre radar quand nous avons examiné le rapport. Vous nous apprenez donc quelque chose de nouveau. C’est nouveau pour moi, par exemple, car c’est surtout d’Air Canada que nous entendons parler. Nous n’avons jamais entendu de doléances à propos des autorités portuaires.
Je crois comprendre que l’augmentation des pouvoirs que pourrait avoir le commissaire vous préoccupe. Quel genre de modifications voudriez-vous faire apporter ou que nous proposeriez-vous de modifier dans le projet de loi C-13 à cet égard?
M. Gooch : Comme je l’ai indiqué, je ne suis pas certain qu’il faille modifier le projet de loi. En fait, si nous comparaissons et présentons un mémoire, c’est pour exprimer nos préoccupations, notamment parce que dans les années à venir, si le projet de loi est adopté et si les relations entre le commissaire aux langues officielles et les ports continuent de suivre la tendance actuelle, nous voulons avoir signalé au gouvernement du Canada où se trouvent les problèmes. C’est probablement dans la Loi maritime du Canada que des éclaircissements doivent être apportés.
Nous ne demanderions pas de modifier la loi en entier pour résoudre ce qui est, de fait, un problème très circonscrit, puisque les autorités portuaires et aéroportuaires... Il n’y a pas beaucoup d’organisations qui se retrouvent nécessairement à devoir fonctionner indépendamment du gouvernement et à être responsables de leur propre viabilité financière, tout en étant assujetties à la Loi sur les langues officielles. Nous formons un tout petit club.
La sénatrice Moncion : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à Mme Doré Lefebvre. Certains témoins nous ont dit que la loi devait être révisée tous les 5 ans ou tous les 10 ans pour que cela ne soit plus après 50 ans. Avez-vous pensé que, pour cette révision, il faudrait des ministères qui seraient responsables de cela, ou pensez-vous que l’on devrait former un comité mixte parlementaire, ce qui permettrait d’avoir des témoignages rendus publics à cet effet? Avez-vous réfléchi là-dessus?
Mme Doré Lefebvre : Merci beaucoup pour la question, sénatrice Mégie. En ce qui a trait à qui devrait s’occuper de la révision de la Loi sur les langues officielles, que ce soit en créant un comité mixte ou que ce soit fait d’une autre façon, non, nous n’y avons pas réfléchi. Pour nous, ce qui est vraiment important, ce sont les résultats.
Je peux vous dire par expérience que c’est toujours plus important d’avoir quelque chose de non partisan, pour avoir la meilleure qualité de travail au bout du compte, mais la structure dépend de ce que les parlementaires décideront. J’ai entièrement foi en notre système parlementaire et je vous laisserai être juge de ce qui est le mieux pour nous.
Par contre, il y avait une autre partie à votre question et je l’ai oubliée.
La sénatrice Mégie : Non, je pense que je vous avais juste parlé de ce que les témoins disaient au sujet d’une révision tous les cinq ans ou tous les dix ans, et j’en profitais pour vous demander si vous y aviez pensé.
Mme Doré Lefebvre : Une révision, je pense que vous l’avez vue avec la prime au bilinguisme... En fait, l’entrée d’une disposition sur les langues officielles au sein de la fonction publique fédérale s’est faite dans les années 1970 et on la révise en ce moment. Il s’est passé bien des choses pendant ce temps. Je crois que si on veut être plus à jour, on devra faire une révision plus souvent que tous les 50 ans. Vous avez totalement raison.
Le gouvernement fédéral consulte les membres de la fonction publique sur une base régulière pour savoir comment les choses se passent au travail, et les langues officielles font partie des questions relayées à nos membres dans cet exercice. Si on fait cet effort aussi souvent pour les membres de la fonction publique fédérale, je crois que, pour les langues officielles, non seulement pour les membres de la fonction publique fédérale, mais aussi pour les gens des communautés minoritaires partout au pays, ce serait extrêmement important que cela se fasse plus souvent.
La sénatrice Mégie : Merci, madame Doré Lefebvre.
Le sénateur Dalphond : Ma question s’adresse encore une fois à M. Gooch. Il y a 17 membres au sein de l’Association des administrations portuaires canadiennes. Je regarde sur votre site Web et je vois qu’il y en a cinq au Québec : le port de Montréal, le port de Québec, le port de Sept-Îles, le port de Saguenay et le port de Trois-Rivières. Je vois aussi que cela comprend le port de Thunder Bay. Je vois que cela comprend les ports de Belledune et de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. Donc, une majorité des ports sont situés dans des zones où il y a beaucoup de francophones.
Est-ce que les ports francophones demandent de n’être plus assujettis à l’obligation de consulter et de produire des documents en anglais dans le cadre de leurs consultations publiques?
M. Gooch : Je ne crois pas que nos ports au Québec aient reçu des plaintes; du moins, pas comme les ports de la Colombie-Britannique. À ma connaissance, je ne crois pas que ce soit un problème avec les ports au Québec.
Le sénateur Dalphond : Ils mènent des consultations publiques, lorsqu’il y en a, dans les deux langues?
M. Gooch : Je crois que les documents produits le sont dans les deux langues. Si le problème ne se pose pas, je ne connais pas très bien la situation. À ma connaissance, les documents sur leurs sites Web sont dans les deux langues officielles. Comme ils reçoivent moins de plaintes, je crois qu’il n’y a pas de problème.
Le sénateur Dalphond : Vous avez fait référence au port de Nanaimo, au port d’Alberni et au port de Prince Rupert. Ce sont ces autorités portuaires qui ont des difficultés?
M. Gooch : Il y en a aussi en Ontario. Le nombre de plaintes varie. Je sais que le port de St. John’s, à Terre-Neuve, a eu aussi des problèmes. Je ne connais pas le nombre de plaintes par port, par année, mais je sais que les ports de la Colombie-Britannique reçoivent la plupart des plaintes.
Le sénateur Dalphond : Dans votre témoignage, vous avez dit que ces plaintes venaient de l’Est. Vous voulez dire du Québec et du Nouveau-Brunswick?
M. Gooch : Il y a plus d’une source de plaintes. Il y a des plaintes au Québec et d’autres peut-être au Nouveau-Brunswick. Notre association ne reçoit pas les plaintes, alors on ne connaît pas les détails. Je connais les exemples qui nous sont donnés pour expliquer le problème.
Le sénateur Dalphond : Merci.
Le président : En terminant, j’aurais une question pour Mme Doré Lefebvre.
Certaines régions sont désignées bilingues en fonction de la langue de travail. À votre avis, ces régions devraient-elles être révisées? En guise de question complémentaire, compte tenu du travail hybride et du travail à distance, la détermination de régions bilingues est-elle toujours nécessaire pour s’assurer que vos membres peuvent travailler dans les deux langues officielles ou dans la langue officielle de leur choix? Avez-vous un point de vue sur cette question?
Mme Doré Lefebvre : Merci beaucoup pour la question, sénateur Cormier. Elle est très pertinente. J’ai déjà hâte de m’attaquer à votre question complémentaire à ce sujet.
Nous concevons que dans certaines régions le bilinguisme soit moins présent. Il serait toutefois important de bien comprendre le paysage linguistique actuel et de disposer du personnel adéquat en place. Il faudrait revoir le système actuel de zones désignées. Une mise à jour est plus que requise. Comme je l’ai mentionné plus tôt, la dernière remonte aux années 1970.
Votre question complémentaire au sujet du travail hybride est très intéressante, parce que le travail hybride est une nouveauté. Il faudra voir comment les choses évolueront au cours des prochaines années au gouvernement fédéral. En ce moment, le gouvernement crée des zones de travail à différents endroits. Il sera très intéressant de voir comment les choses se dérouleront au cours des prochaines années.
Pour ce qui est de la deuxième partie de votre question complémentaire, il est non seulement question de travail hybride, mais bien de services à la population. L’Alberta est la deuxième province en importance, après l’Ontario, pour ce qui est de l’immigration francophone. On y retrouve plus de 200 000 personnes qui sont francophones ou bilingues. Or, cette réalité ne se reflète pas nécessairement dans les services aux francophones.
Lorsqu’on cherche à désigner une région, même avec le travail hybride, il faut d’abord déterminer à qui l’on s’adresse. Même si la personne est à l’aise dans les deux langues officielles, il est toujours préférable de se faire servir dans sa propre langue et il est toujours plus facile de communiquer dans sa langue. On peut penser notamment aux consultations médicales, mais si j’ai un problème avec le service d’immigration ou pour un passeport, il sera toujours plus facile pour moi, en tant que francophone, de m’exprimer en français, même si je peux le faire aussi bien en anglais. Il faudra prendre ce facteur en considération.
Le président : Vous avez dit que le Conseil du Trésor était l’un des endroits où il était plus difficile de parler dans la langue de son choix. Ce fait est plutôt troublant, car le Conseil du Trésor a une responsabilité en matière de langue de travail. À votre avis, le Conseil du Trésor est-il bien outillé pour assurer le bilinguisme et la dualité linguistique de façon adéquate au sein de l’appareil gouvernemental? Le Conseil du Trésor est-il suffisamment équipé pour remplir ses obligations et les accroître? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet, en conclusion?
Mme Doré Lefebvre : J’aimerais bien entendre un représentant du Conseil du Trésor répondre à cette question pour savoir exactement ce qui se passe.
Je vous dirais simplement que, en ce moment, tout dépend de chaque ministère et de chaque agence, et c’est ce qui est triste. Il y a beaucoup de travail à faire au sein du Conseil du Trésor pour implanter un meilleur bilinguisme, et c’est ce que nos membres nous demandent. Bien souvent, c’est l’anglais d’abord et le français ensuite. Au Conseil du Trésor, on parle du français comme étant la langue de la traduction. Il est vraiment embêtant que nos membres n’aient pas accès à la documentation en même temps que les anglophones. Je pourrais en parler longuement, mais je vais m’arrêter ici.
Le président : Madame Doré Lefebvre, merci de votre témoignage et de vos réponses. Ils vont éclairer les conclusions de notre étude préalable.
Monsieur Gooch, merci beaucoup de votre témoignage et de vos réponses. Pour reprendre la demande du sénateur Mockler, je crois qu’il serait très pertinent pour le comité de recevoir des exemples concrets pour étayer les faits que vous avez évoqués. Ce serait très important dans le contexte de cette étude préalable et pour le comité.
Sur ce, nous allons suspendre la séance brièvement et nous reprendrons ensuite à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)