LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 21 novembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier l’immigration francophone en milieu minoritaire.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle René Cormier. Je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je suis président du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité qui sont ici aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma droite.
La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.
La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, du Québec.
La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.
La sénatrice Gagné : Raymonde Gagné, du Manitoba.
[Traduction]
Le président : Merci. Je souhaite la bienvenue à chacune de vous, ainsi qu’aux téléspectateurs de l’ensemble du pays qui nous regardent peut-être. J’aimerais souligner que nous participons à cette réunion depuis le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe.
Aujourd’hui, nous reprenons notre étude sur l’immigration francophone en milieu minoritaire.
[Français]
Pour la première partie de notre réunion, nous recevons, par vidéoconférence, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge. Il est accompagné de trois de ses fonctionnaires : Me Pascale Giguère, avocate générale, M. Pierre Leduc, commissaire adjoint, Direction générale des politiques et communications, et M. Martin Labelle, directeur des enquêtes, Direction générale de l’assurance de la conformité.
Bienvenue à vous tous. Merci encore une fois d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes prêts à entendre vos remarques liminaires, qui seront suivies d’une période de questions des sénateurs et des sénatrices. La parole est à vous, monsieur Théberge.
Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Merci, monsieur le président. Honorables sénateurs et sénatrices, bonsoir. Je tiens d’abord à souligner que je m’adresse à vous depuis Winnipeg, le territoire du Traité n° 1, territoire traditionnel des peuples anishinabe, cri, oji-cri, dakota et déné, ainsi que la patrie de la nation métisse.
C’est avec grand plaisir que je me joins à vous aujourd’hui pour vous présenter mon rapport annuel de 2021-2022 et pour discuter d’une question particulièrement préoccupante: l’immigration francophone en contexte minoritaire.
Tout d’abord, parlons de mon dernier rapport annuel: en 2021-2022, le Commissariat aux langues officielles a reçu un nombre record de 5 049 plaintes recevables, soit une augmentation de 189 % par rapport à l’année précédente. La tendance est claire : le volume de plaintes ne cesse d’augmenter depuis les cinq dernières années.
Je tiens à préciser que près de 75 % des plaintes que nous avons reçues en 2021-2022 ont été déposées à la suite d’événements liés au manque de maîtrise des deux langues officielles chez de hauts dirigeants, et que près de la moitié de ces plaintes portent sur un événement précis lié à Air Canada.
[Traduction]
Je l’ai dit à maintes reprises : la maîtrise des deux langues officielles est une compétence indispensable pour tout chef de file, particulièrement les chefs de file des institutions fédérales qui sont assujetties à la Loi sur les langues officielles. Le visage bilingue d’une organisation dépend en grande partie du bilinguisme des personnes qui occupent les postes à ses échelons les plus élevés. Nos chefs de file doivent donner l’exemple et être en mesure de représenter l’ensemble de la population canadienne dans les deux langues officielles.
C’est pourquoi, dans mon rapport, je recommande à l’un des comités parlementaires des langues officielles de se pencher sur les obligations linguistiques relatives à la dotation des postes de la haute direction dans la fonction publique fédérale, ainsi que sur les nominations par le gouverneur en conseil, afin de déterminer si la connaissance des deux langues officielles doit être un critère d’embauche pour ce type de postes et afin de trouver une solution à long terme à l’effritement des droits linguistiques au sein de la fonction publique fédérale.
[Français]
Je recommande également à la ministre des Langues officielles de veiller à ce que les institutions fédérales soient bien informées de leurs obligations au titre de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, et qu’elles les mettent en œuvre à la lumière du jugement du 28 janvier 2022 de la Cour d’appel fédérale dans le recours de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB).
Avec cette décision, la Cour d’appel fédérale a enfin reconnu, de façon non équivoque, la pleine portée des obligations prévues à la partie VII de la loi. Je m’attends à ce que le gouvernement fédéral assume le leadership dont les institutions fédérales ont besoin afin de les guider dans la mise en œuvre de leurs obligations.
Je suis toutefois conscient de la décision de la FFCB de porter la cause en appel devant la Cour suprême du Canada. L’appel concerne spécifiquement la section de la décision portant sur la partie IV, et la FFCB cherche également à obtenir quelques changements au projet de loi C-13. Il va sans dire que je continuerai de suivre l’évolution de ce dossier avec intérêt.
[Traduction]
Abordons maintenant la seconde raison pour laquelle je m’entretiens avec vous aujourd’hui. Depuis plus d’une décennie, l’immigration francophone en milieu minoritaire est une priorité pour mes prédécesseurs et moi. Les données sur la langue du Recensement de 2021 qui ont été publiées récemment ont accentué l’urgence d’agir.
Bien que le nombre de personnes ayant une connaissance du français au Canada soit plus élevé que jamais et que la population francophone soit de plus en plus diversifiée, la diminution du poids démographique de la population d’expression française en milieu minoritaire par rapport à celle d’expression anglaise demeure une grande préoccupation.
Comme vous le savez, le commissariat a publié en novembre 2021 une étude sur la cible de 4,4 % d’immigration d’expression française au sein des communautés francophones en situation minoritaire. Cette cible, adoptée il y a déjà près de 20 ans, n’a jamais été atteinte par le gouvernement fédéral. De plus, notre étude démontre que même si cette cible de 4,4 % avait été atteinte de façon constante chaque année depuis son échéance initiale en 2008, cela n’aurait pas suffi à maintenir — et encore moins à accroître — le poids démographique de la population d’expression française à l’extérieur du Québec, ce qui était l’objectif de la cible.
[Français]
J’ai été déçu d’apprendre que le gouvernement fédéral ne s’est toujours pas engagé à revoir sa cible d’immigration francophone en milieu minoritaire, malgré divers rapports et études l’exhortant à la hausser. C’était d’ailleurs l’une des recommandations de mon étude. Les experts ont été clairs : avec une cible annuelle de 4,4 %, le poids démographique des communautés francophones à l’extérieur du Québec continuera de décliner.
Il est temps de faire mieux et d’en faire plus. Nous sommes plusieurs à avoir dénoncé la situation au cours des derniers mois; nous nous serions attendus à ce que des décisions suivent sans délai. Nous avons besoin d’un nouvel objectif clair et d’une cible d’immigration francophone beaucoup plus ambitieuse. Cette cible doit combler le manque à gagner en matière d’admissions de résidents permanents d’expression française en milieu minoritaire et assurer un avenir prospère pour nos communautés francophones.
[Traduction]
Bien que mon étude porte principalement sur l’admission d’immigrants francophones, j’aimerais ajouter que nous devons aussi porter une attention particulière à la rétention et à l’intégration des nouveaux arrivants dans les communautés, afin d’assurer le maintien du poids démographique des francophones à l’extérieur du Québec. C’est bien de les accueillir au pays, mais nous devons également veiller à ce qu’ils puissent s’épanouir au sein de la société canadienne.
Soyons clairs. Nous devons rajuster le tir pour garantir la pérennité et l’avenir de la francophonie partout au pays, et la solution passe en partie par l’immigration. Le gouvernement doit s’engager à atteindre une cible plus ambitieuse et à prendre en considération tous les changements qui doivent être apportés aux différentes étapes du continuum de l’immigration francophone.
Cela dit, sur une note plus positive, j’aimerais souligner l’ouverture du nouveau Centre d’innovation en immigration francophone à Dieppe, au Nouveau-Brunswick, qui vise à aider à accroître le nombre d’immigrants francophones qui viennent s’établir au Canada.
[Français]
Par ailleurs, la modernisation de la Loi sur les langues officielles est aussi un levier dont le gouvernement dispose pour garantir un avenir stable et dynamique pour les langues officielles au Canada. Le projet de loi C-13 a le potentiel de transformer le régime linguistique du pays en faisant de la Loi sur les langues officielles — le pilier sur lequel il repose — une loi qui permettra à nos langues officielles de progresser et qui défendra réellement les droits linguistiques de la population canadienne.
Même si tout n’est pas gagné, je demeure optimiste face à l’avenir. En effet, il est rassurant de savoir que l’appui du public à l’égard de nos deux langues officielles résiste à l’épreuve du temps, comme le montrent les résultats du sondage d’envergure réalisé en 2021 pour le compte du commissariat.
[Traduction]
Toutefois, nous ne devons rien tenir pour acquis. L’appui de la population canadienne doit se refléter dans des politiques et des initiatives robustes dans tous les secteurs de la société pour que nos deux langues officielles rayonnent dans l’ensemble du pays.
[Français]
Je vous remercie de votre attention et c’est avec plaisir que je répondrai à vos questions dans la langue officielle de votre choix.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le commissaire, de cette présentation. Nous allons maintenant passer à la période des questions.
Avant de passer aux questions, j’aimerais demander aux membres présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près de leur microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité qui se trouve dans la salle. Conscient du temps que nous avons à notre disposition, je propose que, comme d’habitude, cinq minutes soient accordées à chacun pour un premier tour de table, y compris la question et la réponse.
La sénatrice Gagné : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le commissaire, ainsi qu’aux membres de votre équipe. C’est toujours un plaisir de vous recevoir au comité.
Monsieur le commissaire, puisque votre rapport contenait une recommandation liée à la question de la décision rendue en janvier 2022 par la Cour d’appel fédérale, je vais vous poser une question à ce sujet. En pratique, la décision de la Cour d’appel fédérale a confirmé l’interprétation de la partie VII que vous avez avancée en tant que commissaire et qui permet aussi au commissaire aux langues officielles de retrouver ses pleins pouvoirs d’enquête, en vertu de cette partie de la Loi sur les langues officielles.
Le projet de loi C-13 comporte de nombreuses modifications à la partie VII. Des témoins ont indiqué que des modifications contenues dans le projet de loi ne respectent pas la totalité de cette décision. Vous en faites aussi mention dans votre mémoire au Comité des langues officielles. D’après vous, quels éléments sont-ils absents du projet de loi, et pourquoi vous semble-t-il important de modifier certaines dispositions de la partie VII?
M. Théberge : Merci pour la question. Lorsqu’on parle de la partie VII, il faut se rappeler que c’est la partie de la loi qui touche de plus près le développement et l’épanouissement des communautés linguistiques en situation minoritaire. Ce qui est proposé à l’heure actuelle dans le projet de loi C-13 est certainement une amélioration par rapport au projet de loi C-32. Par contre, dans le projet de loi, on laisse beaucoup de latitude aux institutions fédérales pour la mise en œuvre, c’est-à-dire qu’on n’a pas élaboré de règlement pour préciser les modalités de l’application.
À titre d’exemple, lorsqu’on parle de préparer des mesures positives, il faut se demander quand et comment. Je crois qu’on donne beaucoup de latitude aux institutions fédérales. Il est également important de mentionner que, dans la décision de la Cour fédérale, on utilise le mot « agir ». Il n’est pas suffisant de préparer des mesures positives; on doit passer à l’action.
Un autre élément important dans la décision de la Cour d’appel est la question des études d’impact. Lorsqu’on développe des politiques et des programmes, il est extrêmement important de savoir si l’impact sera positif ou négatif sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Actuellement, dans le projet de loi C-13, on retrouve un langage encore assez ambigu par rapport à la mise en œuvre. Dans notre mémoire, on suggère certains libellés. Il est aussi important que... Trop souvent, on ne consulte pas suffisamment les communautés elles-mêmes pour connaître leurs besoins réels. Je pense qu’on doit donner des précisions sur un mécanisme de consultation dans le projet de loi C-13 pour éviter des situations très souvent... Je songe à un exemple typique, soit les terrains en surplus.
Par exemple, on connaît les besoins des communautés en matière d’infrastructures scolaires. Souvent, les consultations n’ont pas lieu et les terrains disparaissent. Comme je le mentionnais, c’est aussi en grande partie attribuable au fait que les institutions fédérales ne sont pas nécessairement conscientes de leurs obligations en ce qui a trait à la partie VII. On a un nouvel environnement juridique par rapport à la partie VII. Je me demande à quel point les institutions fédérales sont conscientes de leurs nouvelles obligations à la suite de cette décision. Il serait important de reprendre certains éléments de la décision dont je parlais plus tôt : des mesures positives, des études d’impact et des consultations qui font partie de la loi — il faut que cela figure dans la loi ou dans un règlement, peu importe.
La sénatrice Gagné : Je voulais vérifier si, selon vous, ce serait plutôt dans le cadre des règlements qu’on devrait développer plus en détail toute la question des études d’impact et définir davantage ce qu’on entend par « mesures positives ».
M. Théberge : Effectivement, c’est dans le règlement qu’on va préciser les détails de la mise en œuvre et le comment. Il faut éviter que cela devienne une liste d’épicerie dans le projet de loi. Il est important que l’on se penche sur le règlement pour élaborer des critères de mise en œuvre.
La sénatrice Gagné : Le Conseil du Trésor a émis une directive par rapport à la vente des terrains du gouvernement fédéral. Cela faisait suite à une situation qui s’est présentée au Manitoba. J’imagine qu’il y avait peut-être d’autres cas, mais je sais qu’au Manitoba, après avoir manqué d’informer la division scolaire franco-manitobaine d’un terrain à vendre, on a changé d’approche et émis une directive. Dois-je comprendre que cette directive devrait finalement se retrouver dans le règlement?
M. Théberge : Nous devons certainement être plus clairs dans le règlement au sujet des attentes des institutions fédérales.
La situation que vous mentionnez n’est pas unique au Manitoba : la même chose est arrivée en Colombie-Britannique et ailleurs. De fait, dans certaines situations, il y a un conflit entre le devoir de consulter les communautés francophones et les communautés autochtones. Il y a donc quand même un défi.
La sénatrice Gagné : Merci.
La sénatrice Mégie : Bonjour, monsieur Théberge. Merci d’être avec nous. Je viens de vous entendre dire ou de vous demander si la maîtrise des deux langues ne serait pas un critère d’embauche. Je me pose la question que je vous repose : est-ce que le fait d’imposer le bilinguisme comme critère d’embauche ne pourrait pas affecter les primes au bilinguisme que l’on offre aux employés? Est-ce que cela pourrait ne pas faire l’unanimité ou créer de la controverse? Qu’en pensez-vous?
M. Théberge : De mémoire, la prime au bilinguisme existe depuis toujours. Cela s’applique à tous ceux et celles qui ont certaines compétences. Je ne vois pas comment la prime au bilinguisme peut avoir un impact sur le fait de s’assurer que les gens maîtrisent les deux langues officielles pour occuper un poste.
Je pense que j’ai fait une distinction : dans ma présentation, je parlais de la haute fonction publique, mais aussi des nominations du gouverneur en conseil. Ce n’est pas nécessairement la même chose, mais c’est important de se rappeler que, pour la haute gestion dans la fonction publique fédérale, il n’est pas nécessaire d’être bilingue. Cela mène une situation où l’on voit que les leaders d’une institution ne sont pas en mesure de donner l’exemple à l’ensemble de leur organisation. On nous donne toutes sortes de raisons pour cela. Il est clair que lorsque le leader d’une organisation n’est pas en mesure de fonctionner dans les deux langues officielles, cela envoie un message très fort auprès de l’ensemble de l’organisation.
Je crois que la prime au bilinguisme existe depuis longtemps et qu’elle va continuer d’exister, parce que cela fait partie des ententes collectives. Toutefois, ce n’est pas à cet aspect que je m’intéressais, mais plutôt à la gestion.
La sénatrice Mégie : Merci, monsieur Théberge.
Dans vos différents rapports, dont ceux de 2002, 2014 et 2021, je constate le nombre d’années qui séparent ces rapports, leur contenu et leurs titres, tout particulièrement. Comment qualifiez‑vous les réponses du gouvernement à vos études? En effet, plus on avance, plus on constate qu’il n’y a pas grand‑chose qui a changé. Qu’en pensez-vous?
M. Théberge : C’est une excellente question.
Dans le cadre des études que nous avons réalisées au cours des dernières années, nous avons essayé de mesurer les conséquences. L’étude que nous avons réalisée sur les langues officielles en situation d’urgence a eu une influence. Nous avons rencontré l’ensemble des responsables des organisations qui ont mis en œuvre des mesures d’urgence partout au pays. Cela fera partie du projet de loi C-13. Nous faisons référence spécifiquement aux mesures d’urgence dans le projet de loi C-13. Notre rapport sur l’Institut linguistique a mené à la création d’un groupe de travail au Secrétariat du Conseil du Trésor, qui s’est penché sur les façons de créer de meilleures conditions pour assurer l’épanouissement des deux langues officielles en milieu de travail.
L’étude sur l’immigration que nous avons menée récemment a retenu l’attention de plusieurs intervenants. Nous assumons plusieurs rôles au commissariat, mais l’un de ces rôles est d’éduquer et de faire en sorte que nous avons les données probantes sur lesquelles les gens peuvent se baser pour prendre des décisions.
Avec le temps, ces études ont changé. Lorsque j’étais un jeune professeur, je comptais beaucoup sur une revue qui s’appelait Langues et société, qui était publiée par le commissaire aux langues officielles. Cette revue traitait d’études très importantes sur les communautés. Cibler des enjeux et aider à les éclairer fait partie de notre rôle d’éducateurs et de promoteurs. Par la suite, nous souhaitons que ces études aient une influence sur les législateurs. Dans le cadre de notre rapport sur les langues officielles en situation d’urgence, nous pouvons voir précisément que la question a retenu l’attention des législateurs.
La sénatrice Mégie : Merci beaucoup, monsieur Théberge.
La sénatrice Moncion : Bienvenue à vous et à votre équipe, monsieur le commissaire.
Ma question porte sur le racisme à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et sur ses répercussions sur l’immigration francophone. La présence du racisme au sein d’IRCC a récemment été admise par le gouvernement fédéral dans sa réponse au rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de l’autre endroit, intitulé Traitement différentiel dans le recrutement et les taux d’acceptation des étudiants étrangers au Québec et dans le reste du Canada. Ce rapport fait état de plusieurs situations de racisme dans le traitement des demandes, ce qui expliquerait en partie un taux de refus plus élevé pour les ressortissants africains francophones. Sachant que cela affecte démesurément l’immigration francophone, quel rôle le commissariat aux langues officielles peut-il jouer pour se pencher sur ce problème systémique au sein d’IRCC?
Par la suite, j’aurai une autre question à vous poser.
M. Théberge : Le rôle du commissaire relativement à cette situation est lié à l’étude que nous avons réalisée, soit de s’assurer qu’on élabore pour l’avenir une politique d’immigration francophone séparée de la politique actuelle, qui est actuellement une politique anglophone et francophone en même temps. Ce que l’on voit actuellement, c’est que l’on veut tout simplement apporter des changements au processus d’immigration qui existe actuellement. La seule façon d’éviter certains des problèmes systémiques comme ceux que vous avez mentionnés, c’est d’avoir une politique holistique qui traite de la question de l’immigration francophone séparément de l’immigration anglophone.
Il arrive souvent qu’on utilise les mêmes ressources pour faire le travail. Par exemple, en Afrique, un bureau situé à Dakar traite pratiquement toutes les demandes de visas des étudiants. Si nous réduisons le nombre de points de service, cela soulève un problème d’accessibilité et d’équité. Nous devons certainement augmenter les points de service et nous pourrions le faire si nous avions une politique séparée.
J’ai toujours de la difficulté avec une politique qui domine. Actuellement, la stratégie d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada est tout simplement d’apporter certains correctifs, notamment en mettant l’accent sur le système Entrée express ou l’entrée directe des étudiants immigrants, mais la réalité est que l’engrenage n’est pas en place pour soutenir réellement l’immigration francophone. L’engrenage est là pour soutenir l’immigration dans un sens plus large, mais il n’y a pas un nombre suffisant d’effectifs en place. Si on veut éviter la situation que vous venez de mentionner, il faut absolument mettre en place un programme d’immigration séparé pour l’immigration francophone.
Il faut comprendre que l’immigration francophone se perd dans l’engrenage. On n’a pas les ressources ou un nombre suffisant de personnes en place et on n’a pas les mécanismes requis dans les régions où se trouvent les francophones. Je pense que c’est la première chose à faire. Si on veut recruter des francophones, il faut aller là où ils sont. Si on a un nombre minime de points de service, cela aura sûrement des répercussions sur la sélection des candidats et sur tout le continuum de l’immigration. Je pense qu’il est important de penser au continuum de l’immigration, et pas uniquement à la sélection.
Il faut aussi penser à l’accueil, à l’intégration, aux étudiants internationaux, aux travailleurs temporaires, aux résidents permanents, et il faut aussi parler de rétention. On peut attirer des immigrants dans nos communautés, mais est-ce qu’on peut les retenir? Est-ce qu’on a les infrastructures et les services en place pour les retenir? Plusieurs témoins ont comparu devant divers comités et ils ont dit que nous ne sommes pas nécessairement équipés dans nos communautés pour bien accueillir et recevoir les immigrants.
La réponse à votre question était très longue, mais on doit se doter d’une politique séparée. On parle beaucoup de dualité linguistique, mais j’aimerais aussi voir cette dualité en immigration.
La sénatrice Moncion : Je vous remercie de cette longue réponse. Cela a plus à voir avec la question du biais associé aux personnes qui prennent les décisions, lorsqu’il s’agit d’accepter ou de refuser des candidats. L’un des problèmes que l’on semble avoir, c’est justement ce fameux biais.
Comment fait-on, à l’intérieur d’une politique, pour diminuer les conséquences de ce biais sur l’acceptation des demandes en immigration francophone qui viennent des pays d’Afrique?
M. Théberge : L’un des éléments importants serait de se pencher sur le système Chinook, ce qui fait partie de la réponse du ministère. On nous a dit qu’on allait vérifier s’il y avait un biais dans le fameux algorithme. Beaucoup des décisions sont prises par ce logiciel.
L’autre élément important, c’est la question de l’éducation et de la sensibilisation à l’interne de l’appareil d’IRCC. Très souvent, si on identifie une question de racisme systémique, par exemple, il y a de l’éducation qui doit se faire au sein de cette institution. Il faut d’abord reconnaître quelque chose : si on accepte un nombre limité d’immigrants francophones comparativement aux autres immigrants, il faut qu’IRCC se regarde dans le miroir et que ce ministère se demande pourquoi l’on fait face à cette situation qui a été soulignée par un très grand nombre d’intervenants.
La sénatrice Moncion : Merci.
Le président : Avant de céder la parole au sénateur Mockler, j’ai une question complémentaire à vous poser, monsieur Théberge, qui fait suite à la question de la sénatrice Moncion.
Une chose que l’on entend, et pas forcément autour de cette table, c’est que les candidats potentiels à l’immigration francophone dans les pays d’Afrique, notamment, ne sont pas toujours bien outillés pour remplir leur demande.
Dans le cadre de cette politique, devrait-il y avoir, à votre avis, une initiative qui permettrait d’accompagner les candidats? Je crois que certaines demandes qui sont refusées sont aussi liées aux défis auxquels sont confrontés des candidats potentiels, notamment quant à la façon de remplir adéquatement une demande et quant au processus à suivre.
Quand j’ai assisté à une présentation à Bruxelles, je me suis rendu compte que ce n’est certainement pas évident pour quelqu’un qui veut immigrer au Canada de comprendre comment faire et de procéder adéquatement.
Qu’auriez-vous à dire par rapport à cela?
M. Théberge : Je crois qu’on doit se doter d’un processus qui est le plus convivial possible. Est-ce que c’est un processus qui est simple, facile à comprendre, ou est-ce que c’est très bureaucratique?
Je ne suis pas nécessairement au courant des cas particuliers, mais il est clair que lorsqu’on remplit des formulaires, on n’a pas nécessairement tous les outils requis pour donner les informations recherchées.
Je crois que si on est à la recherche de candidats et de candidates, il est important de leur donner le soutien nécessaire pour bien remplir le formulaire et bien faire leur demande.
Le sénateur Mockler : Je veux saluer M. Théberge et son équipe. Sans pour autant qualifier quoi que ce soit, je dirais que vous nous manquez au Nouveau-Brunswick.
Pour obtenir un peu plus de précisions, monsieur Théberge, j’aimerais savoir deux choses.
Lorsqu’on regarde le nombre de plaintes et la méthodologie utilisée pour trouver des solutions à ces plaintes — et y répondre dans un délai raisonnable et raisonné —, à quoi attribuez-vous le nombre record de plaintes reçues par votre bureau en 2021-2022?
M. Théberge : Deux événements expliquent 75 % des plaintes, soit le discours unilingue du PDG d’Air Canada et la nomination d’une gouverneure générale unilingue en août. Ces deux plaintes sont différentes : l’une touche spécifiquement la partie IV et l’autre, la partie VII.
Si on retire ces deux plaintes de l’ensemble des plaintes, on constate que la tendance est toujours en augmentation. Le nombre de plaintes, peu importe les événements... J’admets que l’on reçoit rarement 2 800 plaintes par événement, mais la tendance, c’est que les plaintes augmentent.
Encore cette année, les plaintes ont augmenté. Pourquoi? Je pense que les Canadiens et les Canadiennes sont de plus en plus conscients de leurs droits linguistiques. D’autre part, je dirais que, depuis quelques années, le dossier des langues officielles est très présent dans les médias et chez les gens. Ce sont parfois des événements qui sont plus locaux que fédéraux qui ont un impact sur leur perception des langues officielles.
Depuis un certain nombre d’années, il y a beaucoup d’événements dans le monde des langues officielles, et cela encourage les gens à prendre conscience de leurs droits lorsqu’ils ne sont pas respectés.
Le sénateur Mockler : Monsieur Théberge, lorsqu’on regarde les statistiques du passé à la lumière du projet de loi C-13, l’enjeu des obligations linguistiques dans la dotation des postes de la haute gestion de la fonction publique fédérale et des nominations du gouverneur en conseil devrait-il faire partie des amendements au projet de loi C-13?
Est-ce que la prise de nouveaux règlements réglerait la question fondamentale, qui est d’encourager la haute fonction publique à être plus bilingue?
M. Théberge : Pour répondre à cette question, je dirais que je crois qu’il revient au législateur de déterminer s’il ou elle veut inclure ce genre de directive dans un règlement.
Actuellement, il y a deux projets de loi, le projet de loi S-220 et le projet de loi S-229, qui font leur chemin et qui traitent de cette question, surtout par rapport à certains types de postes.
Ce qui est important, c’est se rappeler que le bilinguisme et la dualité linguistique sont des valeurs canadiennes fondamentales. Je m’attends à ce que les institutions fédérales et les dirigeants de ces institutions soient en mesure de respecter non seulement la lettre de la loi, mais aussi l’esprit de la loi.
Je crois qu’on va voir quel sera le cheminement de ces projets de loi. Cependant, si jamais on inclut ce genre de directive ou d’élément dans un projet de loi, je vais certainement m’assurer qu’ils sont respectés.
Le sénateur Mockler : Pouvez-vous nous donner plus d’information ou commenter la raison pour laquelle vous avez demandé au comité parlementaire d’étudier cet enjeu, plutôt que de vous adresser aux ministres responsables de cette application?
M. Théberge : Votre rôle comme comité, c’est de vous pencher souvent sur des enjeux. Ici, l’enjeu touche tout l’appareil fédéral et même au-delà; l’enjeu est plus large qu’un simple ministre et touche tout l’appareil fédéral.
Je crois qu’un comité a les outils à sa disposition pour mener le genre d’étude qui peut alimenter la discussion, faire venir les bons témoins, utiliser des analystes et brosser un portrait, alors que le ministre va plutôt se pencher sur son ministère et que cela deviendra une étude à la pièce. Lorsqu’on a une étude qui provient d’un comité parlementaire, on peut voir l’ensemble de la problématique.
Le sénateur Mockler : J’aimerais avoir vos commentaires sur cet enjeu, monsieur le commissaire.
Les institutions fédérales devraient-elles faire rapport spécifiquement sur leurs réalisations dans les bilans annuels qu’elles fourniraient au Secrétariat du Conseil du Trésor et à Patrimoine canadien, comme elles l’ont fait pour l’égalité réelle? De cette façon, les Canadiens et les Canadiennes de partout au pays auraient accès à ce bilan et on pourrait voir qui fait quoi.
M. Théberge : Je crois que le rôle du Conseil du Trésor est extrêmement important par rapport à ceci. Effectivement, l’un des rôles du Conseil du Trésor, c’est justement la reddition de comptes et la responsabilité. C’est important qu’il développe les outils nécessaires et les moyens de communiquer avec les Canadiens et les Canadiennes pour leur donner l’heure juste.
Le sénateur Mockler : Est-ce que vous avez des commentaires à faire sur Patrimoine canadien?
M. Théberge : Patrimoine canadien a toujours joué un rôle auprès des communautés de langue officielle en situation minoritaire. Patrimoine canadien publie déjà chaque année un bilan des activités en matière de langues officielles. On doit reconnaître que Patrimoine canadien et son prédécesseur ont toujours été les intervenants privilégiés par le gouvernement pour intervenir et travailler avec les communautés de langue officielle en situation minoritaire. On sait très bien quelles sont les activités de Patrimoine canadien.
Le président : Vos questions sont inspirantes, donc je vais poser une question complémentaire.
Je me permettrai de faire le commentaire suivant : je trouve que cette question du bilinguisme de la haute fonction publique, monsieur le commissaire, est un enjeu récurrent et qu’on a de la difficulté à mesurer les résultats et à comprendre comment cela évolue à l’intérieur de l’appareil gouvernemental. De plus, tout cela a une incidence sur la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles et le respect des droits linguistiques au Canada.
Est-ce que, à votre avis — et je crois que la question a été posée par le sénateur Mockler —, cela devrait faire partie d’amendements au projet de loi C-13? Où devraient se trouver ces obligations pour que le gouvernement fédéral soit vraiment comptable, responsable et actif dans sa manière d’assurer le bilinguisme de la haute fonction publique?
Ma question complémentaire est la suivante : dans le projet de loi C-13, on prévoit une responsabilité pour le gouvernement de faire la promotion des langues officielles sur le plan international, dans l’image du Canada à l’international. Jugez‑vous qu’à ce titre, les hauts fonctionnaires, que ce soit les ambassadeurs, les ambassadrices ou ceux qui occupent de hautes fonctions dans les ambassades, devraient obligatoirement être bilingues au moment de leur nomination?
M. Théberge : Je vais répondre en deux temps.
Premièrement, je pense que si les législateurs jugeaient bon d’inclure dans un projet de loi le critère du bilinguisme chez les hauts fonctionnaires, ce serait un pas important.
Comme vous dites, on en parle depuis longtemps. Il y a toujours eu une résistance de la part de l’appareil fédéral pour ce qui est de ce genre de poste, parce qu’on disait toujours que c’est difficile de recruter des gens qui sont déjà bilingues et ainsi de suite.
L’expérience nous prouve qu’on a un très grand bassin de personnes bilingues au pays. Il ne s’agit pas seulement de quelques personnes, mais d’un très grand bassin.
Pour ce qui est de votre deuxième question, pouvez-vous la répéter, s’il vous plaît?
Le président : Je vais vous la répéter. En fait, en ce moment, il y a une réflexion qui se fait dans un autre comité sur l’importance du bilinguisme pour les gens qui travaillent à l’international. J’ai entendu un commentaire qui disait, par exemple, qu’il faudrait peut-être réduire les critères de bilinguisme dans certains pays où la langue chinoise est parlée en priorité et ainsi de suite. C’était le sens de ma deuxième question.
Est-ce qu’on devrait s’assurer des obligations de bilinguisme auprès des hauts fonctionnaires, des ambassadeurs et des ambassadrices?
M. Théberge : Je suis très conscient des commentaires qui ont émané de ce comité par rapport au bilinguisme. Je pense que, si on veut réellement que les langues officielles rayonnent à l’international, il faut que les personnes qui font partie du corps diplomatique, comme les ambassadeurs et les ambassadrices, soient en mesure de communiquer dans les deux langues officielles. Le Sommet de la Francophonie a lieu cette semaine et il touche une centaine de pays; le bilinguisme touche une bonne partie des pays.
Je pense que c’était beaucoup plus le cas par le passé que ce l’est aujourd’hui. Pour une raison ou pour une autre, on semble diminuer l’importance du rôle d’Affaires mondiales Canada dans la promotion des langues officielles à l’international. Dans le projet de loi C-13, on le mentionne spécifiquement; je pense qu’il est extrêmement important qu’on fasse la promotion des langues officielles à l’international.
La sénatrice Clement : Bonjour, monsieur Théberge, et bonjour à vos collègues.
J’aimerais faire un suivi sur les commentaires que vous avez faits en réponse à la sénatrice Moncion, qui découlent également des commentaires que vous avez faits dans votre allocution d’aujourd’hui sur la rétention et l’épanouissement des immigrants francophones dans les communautés.
Je vais vous parler de Cornwall, qui est ma communauté. Je dois vous dire qu’il y a un manque de cohérence entre les différents ordres de gouvernement, surtout à l’échelle municipale.
Je suis en train de regarder les témoignages qui sont faits à l’enquête sur les mesures d’urgence et je trouve qu’il y a vraiment un manque de communication entre les différents ordres de gouvernement, particulièrement entre le fédéral et le municipal.
L’intégration et la rétention, cela se vit en communauté. Quand j’ai rencontré des immigrants francophones, il y a quelques semaines à Cornwall, j’ai constaté que pour eux, IRCC et le processus menant au statut de réfugié ou de demandeur d’asile, c’est tout un processus de paperasse. Cependant, ce n’est pas là que se fait l’intégration; elle se fait en communauté. Je suis très contente d’entendre qu’il y a un centre d’innovation au Nouveau-Brunswick. Cela ne se fait pas partout.
Quelles pistes de solutions voyez-vous en ce qui a trait à la façon d’éliminer ce manque de cohérence et d’inclure les municipalités et les communautés plus directement?
M. Théberge : Vous avez tout à fait raison lorsque vous parlez de l’importance des municipalités. Les municipalités — vous le savez mieux que moi —, c’est l’ordre de gouvernement qui est le plus près des citoyens et des citoyennes. Lorsqu’on accueille des immigrants dans notre communauté, dans notre municipalité, il revient à cette municipalité d’offrir des services. Actuellement, ce que je vois dans le cadre du processus d’immigration, c’est qu’il y a plusieurs joueurs, plusieurs acteurs et plusieurs intervenants. Certains font partie de l’appareil fédéral, d’autres sont des consultants, d’autres sont des organismes financés en partie par le fédéral, la province ou même la municipalité.
Je me demande souvent si ces organismes d’accueil ont les ressources nécessaires pour bien accueillir ces personnes.
J’ai récemment coprésidé une conférence sur l’immigration, la diversité et l’inclusion. Le point que l’on soulevait à répétition était le logement, pour déterminer où l’on va loger ces gens, et l’employabilité. Est-ce qu’on a l’infrastructure nécessaire en place pour les accueillir? Si on n’a pas d’emplois, ces gens iront là où il y a des emplois.
Cela m’amène à la question suivante : les emplois sont-ils disponibles en français ou seulement en anglais? Cela aura un impact sur le choix de la langue, surtout s’ils ont le choix entre le français et l’anglais.
Les municipalités sont au cœur de tous ces éléments. Aussi, il faut s’assurer que les ressources sont à la bonne place. C’est extrêmement important que ces organismes soient bien financés pour bien faire le travail d’accueil.
Je ne suis pas un spécialiste de l’immigration, mais l’autre point, c’est qu’il faut bien connaître les besoins réels des immigrants lorsqu’ils arrivent dans votre communauté. Une fois qu’on sait cela, il faut se demander si la communauté a les moyens et les outils requis pour répondre à ces besoins.
J’ai déjà participé à un groupe témoin en immigration. Une dame m’a alors dit : « Vous savez, monsieur Théberge, nous, on n’est pas ici pour sauver la francophonie; on est ici pour gagner notre vie. » L’immigration, c’est un projet de vie personnel, donc pour faire un lien avec ce que vous dites, il faut se demander comment nous pouvons agencer le projet de vie de ces personnes et les ressources pour nous assurer que cela puisse se réaliser dans nos communautés.
La sénatrice Clement : J’aimerais poser une question complémentaire.
Vous avez dit que vous êtes optimiste; je ne sais pas si vous êtes optimiste de nature, mais vous avez dit dans votre allocution d’aujourd’hui être optimiste. Vous avez lié cela au résultat du sondage de 2021. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur la raison de votre optimisme? Pourquoi êtes-vous optimiste en voyant les résultats de ce sondage?
M. Théberge : Être optimiste fait partie de la description de tâches pour avoir un emploi au Commissariat aux langues officielles.
Pour revenir au sondage réalisé par Environics en 2021, c’est un sondage semblable à celui qui a été effectué en 2016. On a constaté qu’environ 87 % des Canadiens, tous âges confondus et peu importe où ils sont, appuient les objectifs de la Loi sur les langues officielles.
On a aussi posé toute une série de questions sur l’importance du bilinguisme chez le premier ministre, par exemple. Pour la plupart des Canadiens et des Canadiennes, il faut que le premier ministre soit bilingue. On parlait aussi des hauts fonctionnaires et des ministres. Chez la population, la question du bilinguisme est devenue normalisée.
On doit se demander quelle sorte d’activités nous pouvons réaliser pour appuyer cela. Il y a par exemple les programmes d’immersion, comme le programme de français langue seconde. L’autre élément, c’est évidemment d’appuyer nos communautés.
Aussi, le sondage a montré qu’il y avait un appui très fort des communautés de langue officielle en situation minoritaire. On voit le lien et on ne voit pas de contradiction entre la diversité et les langues officielles. Je pense que c’est Richard Nixon qui avait parlé de la minorité silencieuse; je crois que le sondage montre ce que l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes pensent. Il est important de s’assurer de mettre des programmes en place pour appuyer cette conception du bilinguisme, que ce soit les écoles d’immersion, les écoles francophones, un réseau d’enseignement postsecondaire pour les communautés et ainsi de suite.
Je pense que les Canadiens et les Canadiennes ont très bien assimilé le concept des langues officielles et du bilinguisme. C’est pour cette raison que je suis optimiste. Je suis toujours optimiste quand je me rends dans une communauté.
On parle du fait qu’il y a des files d’attente pour les écoles d’immersion et que les nouveaux arrivants souhaitent souvent inscrire leurs enfants dans les écoles d’immersion, ce qui m’indique qu’ils ont bien capté le concept du bilinguisme et des deux langues officielles. Je participe à beaucoup de serments de citoyenneté et on voit que c’est un concept ou un principe qui semble très bien assimilé par ces personnes.
Le président : Merci. Avant de passer au deuxième tour, je voudrais à mon tour vous poser quelques questions. Sur l’immigration francophone, dans le mémoire que vous avez déposé devant notre comité, vous préconisez notamment que les objectifs, les cibles et les indicateurs de la politique en matière d’immigration francophone soient effectivement liés à l’objectif de maintien et d’accroissement du poids démographique des minorités. Si ma mémoire est bonne, vous ne parlez pas du rétablissement du poids démographique. Je crois que vous n’utilisez pas ce terme.
Êtes-vous en faveur de la notion de « cible réparatrice », comme le propose la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada?
M. Théberge : Je pense qu’on utilise le mot « réparatrice » ou « amélioration », peu importe. Il est clair qu’il faut essayer de rétablir le poids démographique entre les deux communautés. Pour ce faire, il est évident que la cible de 4,4 % est insuffisante, et si l’on maintient ces 4,4 % avec les nouvelles cibles d’immigration que s’est données le gouvernement fédéral il y a quelques semaines, l’écart continuera de se creuser. À un moment donné, cela aura des conséquences très négatives sur les communautés en matière d’accès à des services, d’infrastructure, etc. Il faut avoir une cible ambitieuse. La FCFA et d’autres démographes proposent des cibles. Une chose est claire : l’objectif de 4,4 % n’est pas suffisant.
Le président : Merci. J’aimerais vous entendre sur la question des administrations portuaires et aéroportuaires.
On a entendu dire qu’il y avait des différences sur les exigences. À votre avis, est-ce qu’il faudrait harmoniser les dispositions législatives qui sont applicables aux administrations portuaires et aéroportuaires? On a compris qu’il y avait des différences et des demandes en vue d’harmoniser tout cela. Qu’en pensez-vous?
M. Théberge : Je pense que tout ce qui touche ce que j’appellerais le « public voyageur » devrait être harmonisé. Notre choix de mode de transport ne devrait pas avoir un impact sur nos droits linguistiques. Si on prend un traversier, un train ou un avion, je pense que les droits doivent s’appliquer à tous ceux et celles qui font partie de ce que j’appelle le « public voyageur ».
Par exemple, en ce qui a trait aux administrations aéroportuaires, la décision à St. John’s a été portée en appel, et elle définit clairement qui est le « public voyageur » et qui en fait partie.
Le président : Que pensez-vous des commentaires selon lesquels le projet de loi C-13 devrait prévoir des dispositions pour protéger les entreprises privées de compétence fédérale ou les institutions fédérales contre les litiges vexatoires?
M. Théberge : Je pense qu’il faut s’entendre sur la définition de « litige vexatoire ». Si on se trouve devant un tribunal, c’est toujours conflictuel. Il faut laisser aux tribunaux décider ce qui est vexatoire ou non.
Le président : D’accord, merci. Nous passons au deuxième tour.
La sénatrice Gagné : J’ai une petite question par rapport à l’augmentation des plaintes reçues par votre bureau pendant l’année qui vient de s’écouler. Je sais que c’est lié à deux sujets particuliers. Est-ce que vous avez quand même les ressources humaines et financières requises pour assurer le traitement des plaintes dans les délais prescrits?
M. Théberge : Je dirais que le commissariat n’a pas été structuré pour répondre à un volume de plaintes comme c’était le cas l’année dernière. Pendant plusieurs années, il y avait un certain rythme, 400, 500 ou 600 plaintes par année, et maintenant c’est le double et on est près du triple.
Je pense que si on veut vraiment être en mesure de traiter toutes ces plaintes dans un délai raisonnable, on doit se pencher sur la question des ressources, qui n’ont pas changé depuis au moins 10, 11 ou 12 ans. C’est aussi important de faire le lien avec le projet de loi C-13, parce que, dans le projet de loi C-13, il s’agit d’un nouveau régime linguistique. On accorde au commissaire de nouveaux pouvoirs qui exigeront des expertises qui n’existent pas à l’heure actuelle au sein du commissariat.
Sur la question des plaintes, je dis souvent au personnel qu’enquêter sur une plainte à la fois ne résoudra pas d’enjeux systémiques. De plus, je pense que ce qui est proposé dans le projet de loi C-13 en matière de mécanismes de conformité nous permettra d’aborder certaines thématiques dans une perspective systémique. Cette année, nous n’atteindrons pas 5 800 plaintes, mais il y aura tout de même vers un nombre important de plaintes. Bien sûr, cela crée une pression sur l’ensemble du personnel, mais on fait aussi deux choses en même temps. On se prépare pour le projet de loi C-13 et on s’occupe du quotidien. Il est clair que dorénavant, il faudra nous pencher sur les besoins réels du commissariat en matière de ressources, pour qu’il remplisse bien son nouveau mandat.
La sénatrice Gagné : Merci. Vous avez commencé à aborder le sujet de mon autre question : avez-vous déjà fait une évaluation des ressources nécessaires dans le cadre du projet de loi C-13, si on adopte le projet de loi tel qu’il est proposé?
M. Théberge : Effectivement, on a commencé par une analyse juridique de tous les pouvoirs du commissariat et des répercussions que cela occasionnera. Par exemple, dans le projet de loi, on parle de médiation. Nous ne faisons pas de médiation à l’heure actuelle au commissariat. Il faudra donc établir une unité de médiation. Actuellement, on ne conclut pas d’ententes de conformité et on n’émet pas d’ordonnances. Il faudra avoir du personnel pour le faire.
L’autre élément qui figure dans le projet de loi, c’est que nous devons faire la promotion de la loi. Le projet de loi dit clairement qu’on doit faire la promotion de la loi, surtout de la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale (LUF) auprès des entreprises privées à charte fédérale. Oui, nous nous penchons là-dessus. Je suis très conscient des commentaires des derniers mois de Mme Freeland sur les ressources limitées du gouvernement. On va essayer de montrer que c’est une nouvelle loi qui comporte de nouvelles obligations et, pour ce faire, on a manifestement besoin de nouvelles ressources.
La sénatrice Gagné : Compte tenu des commentaires de la ministre Freeland, c’est une inquiétude que vous partagez avec les autres organismes francophones, compte tenu des objectifs que l’on trouve dans le projet de loi C-13 et dans le plan d’action.
Le président : J’abonde dans le même sens. Le commissariat a un rôle extrêmement important à jouer et il aura un rôle accru à jouer, donc nous espérons que vous serez doté des bonnes ressources pour faire votre travail.
Je vais vous demander d’être très succincts, puisque nous devons terminer à 18 h 15... Nous avons donc un peu de temps.
La sénatrice Moncion : Je suis contente d’avoir plus de temps, parce que je vais demander au commissaire d’être créatif dans la prochaine réponse.
Dans la première question que je vous ai posée, vous avez déjà abordé le sujet des nouvelles politiques en matière d’immigration. Je voudrais vous entendre sur certaines particularités qui feraient partie de cette nouvelle politique. Je voudrais savoir si vous voyez la nécessité, par exemple, qu’il y ait des éléments spécifiques par rapport au Nouveau-Brunswick, au Québec, à l’Ontario, sur le plan du poids démographique, comment régler la question ou comment l’aborder dans cette politique.
Faudrait-il considérer de fixer des niveaux ou des quotas, si cette politique faisait mention de pays sources où l’on irait chercher notre immigration? Vous avez quand même donné quelques exemples tout à l’heure, mais je voudrais vous entendre davantage sur les particularités par rapport à la politique.
M. Théberge : Vous avez un excellent point par rapport aux cibles provinciales. L’immigration est une compétence partagée. Par exemple, les provinces jouent un rôle extrêmement important dans la détermination du nombre d’immigrants qu’elles sont prêtes à accueillir.
Lorsqu’on parle d’une cible de 4,4 % d’immigration francophone, on parle de l’ensemble du pays. Si la cible était de 12 %, ce serait toujours pour l’ensemble du pays. Il est clair qu’on a des réalités différentes au Nouveau-Brunswick par rapport au Manitoba ou au Yukon. Nous devons effectivement négocier des ententes entre les provinces et le gouvernement fédéral. Par exemple, au Nouveau-Brunswick, il faut presque automatiquement que de 32 à 33 % des immigrants soient francophones, car l’année dernière, ce chiffre était à 19 %. Il s’agit là d’un recul. Je crois qu’en Ontario, on avait déjà fixé une cible de 5 %. Est-ce qu’on l’a atteinte? Je ne sais pas. Au Manitoba, on a déjà fixé une cible de 7 %. Il y a un rôle important de négociation à jouer entre les provinces et le gouvernement fédéral, et c’est là qu’on doit s’assurer de plaider auprès des provinces pour qu’elles demandent le bon nombre d’immigrants francophones.
Le Québec est peut-être la province qui a le plus d’autonomie en matière d’immigration. Le gouvernement fédéral fixe toujours la cible de façon générale, qu’elle soit de 350, 400 ou 500. Par la suite, une négociation se fait entre les deux ordres de gouvernement. Au Québec, durant la dernière campagne électorale, on a beaucoup parlé des différents seuils d’immigration, d’un seuil très bas à un seuil très élevé. Aujourd’hui, j’ai lu un article qui disait que dans un nombre d’années X, le Québec représenterait 18 % de la population canadienne. Je crois qu’il y a des décisions à prendre au Québec, pour le Québec et par le Québec.
Nous devons également prendre des décisions dans chaque province et chaque territoire en fonction des besoins démographiques des communautés francophones. Si, en Ontario, ce chiffre est 2 %, il s’agit d’un recul important. Si, au Nouveau-Brunswick, c’est 19 %, même là, il s’agit d’un recul. Si, au Manitoba, c’est 2 ou 3 %, c’est un recul. Il faut comprendre le rôle des provinces. Elles négocient avec le gouvernement fédéral. Donc, c’est peut-être la première chose qu’il faut reconnaître : il faut différencier les cibles en fonction des communautés. Pour moi, c’est évident.
La sénatrice Moncion : Est-ce que le gouvernement devrait ralentir l’immigration anglophone pour favoriser un rattrapage de l’immigration francophone?
M. Théberge : Un sondage est sorti la semaine dernière et il disait qu’environ 75 % des Canadiens appuient les seuils d’immigration proposés par le gouvernement fédéral. Il reste à savoir qui a commandité le sondage, mais c’est une tout autre question.
Il est important de reconnaître qu’il y a un appui assez important en faveur de l’immigration au Canada qui répond à des besoins démographiques, économiques et humanitaires. Le Canada est reconnu pour accueillir un nombre important de réfugiés. Je crois que les besoins démographiques actuels sont en grande partie attribuables au vieillissement de la population et à la pénurie de main-d’œuvre. Je pense que cela ne milite pas en faveur de la réduction de l’immigration. Par contre, là où j’ai certainement un problème, c’est que ces nouvelles cibles sont lancées sans que l’on se penche réellement sur l’immigration francophone. On dit tout simplement qu’on va maintenir la cible à 4,4 %, qu’on va continuer de faire ce que l’on faisait auparavant et qu’on va bonifier des éléments.
La seule façon d’atteindre la cible de 4,4 %, ou peu importe le chiffre, c’est de se doter d’une politique séparée. À l’heure actuelle, ce que j’entends de la part du gouvernement — il l’a dit clairement il y a quelques semaines —, c’est : « Voici nos cibles pour 2022-2023, et on va de l’avant. » À ma connaissance, ils n’ont pas apporté de changements.
Le président : J’ai une question complémentaire. On entend certains dire qu’en matière d’immigration francophone, on devrait aussi cibler les pays où la langue parlée n’est ni l’anglais ni le français. Qu’en pensez-vous? On entend dire, dans divers forums, qu’en matière de politique d’immigration francophone, il faudrait aussi cibler des pays où on est en mesure d’accueillir des gens qui ne parlent ni français ni anglais et les intégrer à la langue française.
M. Théberge : La seule façon de réussir cette approche, c’est d’avoir des programmes de formation de très haute qualité en place. Lorsque j’ai parlé plus tôt des services d’accueil dans nos communautés, je ne suis pas convaincu qu’on ait actuellement des programmes en place pour faire cela.
Le président : Merci de votre réponse.
Le sénateur Mockler : Monsieur Théberge, je vous ai écouté attentivement lorsque vous avez évoqué certaines thématiques dans le plan systémique. On nous demande, dans le contexte du projet de loi C-13, comment réconcilier la vision des communautés francophones en situation minoritaire avec celle des communautés anglophones du Québec. Avec votre expérience, êtes-vous d’accord avec le Quebec Community Groups Network, qui prône le retrait du projet de loi C-13 dans sa forme actuelle?
M. Théberge : Non; je crois que le projet de loi C-13 est très prometteur pour l’avenir des langues officielles au Canada. À ce point du processus, je crois que nous devrions aller de l’avant.
Le sénateur Mockler : Monsieur Théberge, avec votre expérience, est-ce que vous et votre équipe êtes d’accord avec la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, qui veut accélérer l’adoption du projet de loi C-13 en mettant fin au débat?
M. Théberge : Comme je l’ai dit au comité de la Chambre des communes, nous avons consulté tout le monde. Tout le monde a écrit des rapports. Tous les intervenants se sont prononcés. De plus, il y a une disposition dans le projet de loi qui dit que, d’ici 10 ans, on peut le réexaminer. Je crois que le moment est venu de passer à l’action.
Le sénateur Mockler : Vous n’êtes pas parlementaire, mais vous avez conseillé plusieurs parlementaires. De quelle manière les parlementaires pourraient-ils apaiser les craintes par rapport au projet de loi C-13?
M. Théberge : Il y a deux volets au projet de loi C-13 : il y a la promotion et la [Difficultés techniques] du français, d’une part, et d’autre part, on y reconnaît de façon très spécifique l’importance des deux communautés de langue officielle au Canada. Donc, le projet de loi est divisé en deux : il y a le volet sur les langues officielles, qui traite de la partie I jusqu’à la partie XII, et la LUF; c’est différent. Dans notre mémoire, nous proposons la codification du concept d’égalité réelle dans la LUF; nous croyons que cela répondrait à bien des craintes qu’ont les gens.
Le président : Toujours dans la même ligne de réflexion, est‑ce qu’il y a des craintes dans les communautés anglophones du Québec par rapport à la perte de leurs droits? Cette crainte est‑elle légitime, et de quelle manière est‑elle inscrite dans le projet de loi C-13? Est-ce qu’il y a une perte de droits pour les communautés anglophones en situation minoritaire?
M. Théberge : Il y a une approche asymétrique dans le projet de loi par laquelle on prône la promotion et la protection du français, mais pas nécessairement au détriment de l’anglais. Comme je l’ai dit plus tôt, on mentionne clairement dans le projet de loi le statut égal du français et de l’anglais. On le dit très clairement. Là où l’on accorde des droits particuliers à une communauté, c’est dans la LUF. Nous nous sommes prononcés en affirmant qu’on pouvait codifier le concept d’égalité réelle. Rien n’empêche de faire la promotion du français et, en même temps, de protéger les droits linguistiques des deux communautés.
On peut faire les deux en même temps. Je crois que le projet de loi C-13 tente de faire cela, en ce sens que c’était déjà une loi avec le projet de loi C-32, mais qu’on a maintenant divisé cela en deux. Je peux comprendre les préoccupations des communautés d’expression anglaise au Québec et j’en ai parlé à plusieurs reprises. Vous m’avez posé la question il y a longtemps et j’avais dit que le législateur devait être créatif pour trouver une solution.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Mégie : Monsieur Théberge, par rapport à la proposition de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, en vue d’instaurer le poste de sous‑ministre adjoint responsable de l’immigration francophone, pensez-vous que c’est pertinent, compte tenu de tout ce que nous venons de dire ensemble, soit qu’il faut continuer, il faut bonifier et se donner des politiques? Est-ce que cela ne serait pas une façon d’aider tout ce mécanisme à se mettre en place?
M. Théberge : Certainement. Il faudrait une direction ou une division ayant pour mandat l’immigration francophone avec à sa tête un sous-ministre adjoint responsable de l’immigration francophone — parce que vous savez, dans plusieurs gouvernements fédéraux, il y a des sous-ministres adjoints responsables de l’éducation francophone. Là où il n’y a pas ce genre de poste, on constate un impact sur les programmes et l’éducation. Il est extrêmement important que, dans la structure et l’appareil fédéral, on reconnaisse l’importance de l’immigration francophone en lui accordant les ressources nécessaires.
La sénatrice Mégie : Merci.
Le sénateur Mockler : Monsieur Théberge, je ne veux certainement pas être le dernier à poser une question ou, comme on le dirait à Tout le monde en parle, la « question qui tue ». Avec la grande expérience que vous avez partout au pays et dans nos communautés, tant du côté anglophone que francophone — et je pourrais inclure autochtone —, pouvez-vous me dire quel mécanisme serait le meilleur pour administrer le projet de loi C-13 : Patrimoine canadien ou le Conseil du Trésor?
M. Théberge : Selon moi, ce serait le Conseil du Trésor. Le Conseil du Trésor est une agence centrale qui a une influence sur l’ensemble de l’appareil fédéral, tandis que Patrimoine canadien est un ministère qui a un mandat particulier. En passant, rien n’empêche Patrimoine canadien de continuer à travailler dans le domaine des langues officielles. Ce que je vois avec le Conseil du Trésor, c’est une institution qui est en mesure de surveiller l’ensemble des activités en matière de langues officielles, de développer les politiques pour tout l’appareil fédéral et d’assurer la mise en œuvre pour l’ensemble du gouvernement fédéral. Patrimoine canadien peut certainement encore travailler avec les communautés, comme ce ministère l’a toujours fait.
Je crois qu’il faut un maître d’œuvre au sein de l’appareil fédéral qui peut parler à tous les ministères et à toutes les institutions. Je crois que ce doit être une agence centrale comme le Conseil du Trésor. Par le passé, c’était le Conseil privé; cela dépend, mais je crois que cette idée d’une gouvernance et d’une structure... On peut avoir le meilleur projet de loi, mais si on n’a pas de structure pour assurer sa mise en œuvre, on n’obtiendra pas les résultats souhaités.
Le sénateur Mockler : Monsieur Théberge, qu’en penseriez‑vous si on confiait la responsabilité directement au bureau du premier ministre?
M. Théberge : Honnêtement, je n’ai jamais pensé à cela, donc il serait difficile pour moi de faire un commentaire à ce sujet.
Au Nouveau-Brunswick, cela revient au premier ministre, mais je n’ai aucun commentaire à formuler.
Le président : Merci de votre question, sénateur Mockler, et merci de cette référence au Nouveau-Brunswick, monsieur le commissaire. Nous en sommes presque à la fin.
J’aimerais vous entendre sur le modèle de maturité des langues officielles. Est-ce que cet outil a permis d’assurer une meilleure conformité? Pouvez-vous nous donner des exemples, en fait? Comment cet instrument a-t-il été efficace?
M. Théberge : Pendant les quelques secondes qu’il me reste, je dirais que le modèle de maturité n’est pas un outil pour mesurer la conformité, mais pour mesurer l’état des processus et des procédures en place pour assurer la mise en œuvre. Est-ce qu’on a mis en place l’engrenage requis pour faire notre travail? Élections Canada a participé à ce processus qui a mené à la création d’un plan d’action. Jusqu’à maintenant, une quarantaine d’institutions fédérales ont participé à ce processus de diagnostic au sein de leur processus administratif.
Je terminerai en disant que, très souvent, dans les institutions fédérales, les langues officielles se retrouvent chez quelques individus qui les maîtrisent très bien. Par contre, une fois que ces individus partent, la mémoire corporative s’en va. Le modèle de maturité est là pour assurer que vous avez des processus et des procédures documentées en place en matière de langues officielles.
Le président : Merci beaucoup de cette précision et merci d’avoir comparu devant nous aujourd’hui. Votre participation est toujours très riche et elle nous aide à faire notre travail et à approfondir les enjeux en matière de langues officielles et, dans ce cas-ci, les enjeux liés à l’immigration francophone. Merci beaucoup, monsieur Théberge, monsieur Leduc, monsieur Labelle et madame Giguère. Merci de votre travail au sein du commissariat. Vous appuyez sûrement beaucoup le commissaire, à notre bénéfice à tous et à toutes.
Nous allons suspendre la séance, le temps d’accueillir nos prochains témoins. Merci encore une fois, monsieur Théberge.
Nous reprenons maintenant nos travaux. Nous avons devant nous les représentants de quatre établissements d’enseignement postsecondaire chargés du recrutement d’étudiants étrangers pour leurs institutions respectives.
Du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick, nous accueillons M. Juan Manuel Toro Lara, directeur, Gestion intégrée des inscriptions. De l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, nous accueillons M. Luc Tardif, directeur du recrutement international et des écoles d’immersion, Bureau de recrutement.
De l’Université de Hearst, en Ontario, nous accueillons Mme Samantha Losier, conseillère au bureau international. Enfin, de l’Université de Saint-Boniface, au Manitoba, nous accueillons M. Christian Perron, directeur du recrutement et services aux étudiant·e·s.
Bienvenue à tous, et merci d’avoir accepté notre invitation. Nous allons commencer les témoignages par le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick. Monsieur Toro Lara, vous avez la parole.
Juan Manuel Toro Lara, directeur, Gestion intégrée des inscriptions, Collège communautaire du Nouveau-Brunswick : Bonjour, honorables membres du Sénat. Je m’appelle Juan Manuel Toro Lara, directeur de la gestion intégrée des inscriptions au CCNB, le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick. C’est pour moi un grand plaisir de m’adresser à vous aujourd’hui afin de vous présenter rapidement, durant mon allocution, des exemples concrets de la façon dont le CCNB contribue à l’immigration francophone au Nouveau-Brunswick.
Le CCNB offre environ 80 programmes dans 16 familles de programmes dans toutes les régions francophones du Nouveau-Brunswick, par le biais de ses cinq campus situés à Bathurst, Campbellton, Edmundston, Dieppe et dans la Péninsule acadienne.
Depuis la fondation du CCNB en 1970, nous assurons une contribution complète à l’épanouissement des communautés francophones de la province.
Avant 2015, la proportion de la population étudiante internationale du CCNB était faible et principalement installée dans l’agglomération de Dieppe, la plus importante région du Nouveau-Brunswick. Dès 2015, la population étudiante internationale du CCNB a commencé à s’installer ailleurs dans les différentes régions francophones de la province.
Au cours des 10 dernières années et plus particulièrement depuis 2015, le CCNB vit une véritable diversification au sein de son effectif étudiant. L’établissement a réussi à diversifier non seulement l’origine géographique de sa population étudiante, mais également leurs destinations au Nouveau-Brunswick. Le CNBB travaille également à diversifier la clientèle étudiante afin de répondre aux besoins d’une nouvelle clientèle qui se diversifie notamment par l’arrivée de réfugiés et de nombreux immigrants qui ont besoin de cours de langue et de formations d’appoint afin d’améliorer leur intégration professionnelle.
Au cours des dernières années, c’est grâce à une gestion rigoureuse de l’effectif étudiant que le CCNB a contribué de manière très importante à la redynamisation des communautés francophones de la province.
Durant l’année en cours, nous avons 2 103 étudiants au total, dont 1 144 sont originaires de 30 pays, principalement du continent africain. Pour l’année collégiale en cours, l’effectif étudiant international correspond à 44,8 % de l’effectif étudiant total du CNBB.
La présence de nos étudiants internationaux dans les régions se caractérise par leur contribution immédiate à l’économie, notamment en raison des emplois que les étudiants occupent à temps partiel durant les études et évidemment des emplois qu’ils occupent à la fin de leur programme.
Le Plan stratégique de 2022-2027 du CCNB comporte des éléments importants sur le plan du recrutement : l’accueil, l’intégration et la rétention des diplômés internationaux au Nouveau-Brunswick. Par ailleurs, le plan de 2022-2027 comporte un résultat sur les plans de l’équité, de la diversité et de l’inclusion qui nous permettra de bonifier la formation avec des acquis d’apprentissage liés à la construction identitaire francophone parmi les compétences sociales évaluées. Le but est de permettre aux étudiants de développer, en plus des compétences techniques associées à leur programme, des compétences douces associées à une intégration réussie dans les communautés francophones. Le CCNB estime que ces actions concrètes viendront renforcer la préparation de la population étudiante internationale et aura un impact positif sur leur rétention.
La population étudiante internationale constitue un bassin de recrutement véritablement prometteur pour l’immigration francophone. Les diplômés internationaux sont des candidats idéaux à l’immigration, car ils ont reçu une formation canadienne durant laquelle ils ont réussi à bâtir des liens communautaires. Accroître les efforts en matière de formation des étudiants internationaux et des nouveaux arrivants est également une façon de réduire le fardeau de la reconnaissance professionnelle des immigrants, surtout dans les professions et les métiers réglementés.
La contribution du CCNB se mesure par des résultats concrets dont nous sommes particulièrement fiers. En juin 2022, environ 300 diplômés internationaux ont fait une demande de permis de travail post-diplôme. Cela représente un bassin de recrutement idéal pour des immigrants francophones au Nouveau-Brunswick. Ces 300 diplômés équivalent à environ 91 % du total de nos diplômés internationaux et à environ 31 % de tous les diplômés du CCNB. Tout cela est possible grâce à un grand encadrement que l’établissement assure par le biais de nos enseignants et de nos services d’appui qui ont contribué à l’économie locale, ce qui a un impact non négligeable.
De plus, dans le cadre d’une entente avec IRCC, le CCNB assure la formation linguistique en français et en anglais pour des réfugiés et des immigrants dans les provinces atlantiques. Par ailleurs, cette année, le CCNB a été mandaté par le gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick pour assurer le développement des compétences linguistiques en anglais pour la population étudiante internationale. Cela peut, selon nous, avoir un impact majeur sur la rétention de l’emploi dans la région francophone de la province où les étudiants seront exposés à l’anglais.
Comme vous pouvez le constater, le CCNB est un partenaire de choix pour soutenir les efforts du gouvernement en matière d’immigration francophone. Le travail de planification, de gestion et d’offre de services est mené depuis plusieurs années en étroite collaboration avec le gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick et le gouvernement fédéral. Nous sommes très reconnaissants de l’appui que nous avons reçu, mais nous sommes aussi conscients qu’il y a beaucoup de travail à faire.
Je termine en disant que, malgré les bons résultats de notre établissement, nous avons encore de nombreux défis et que nous aimerions avoir la possibilité de travailler ensemble, notamment avec la collaboration d’IRCC, pour attirer des candidats de bonne foi, reconnaître les réalités régionales francophones dans le développement des politiques, reconnaître l’impact des établissements d’enseignement postsecondaire à l’immigration francophone et reconnaître le manque de consultation sur le plan de l’alignement des initiatives ciblant la population étudiante internationale.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Toro Lara. Nous poursuivons maintenant avec M. Luc Tardif, directeur du recrutement international et des écoles d’immersion, Bureau de recrutement de l’Université Sainte-Anne. Monsieur Tardif, la parole est à vous.
Luc Tardif, directeur du recrutement international et des écoles d’immersion, Bureau de recrutement, Université Sainte-Anne : Bonsoir à tous les sénateurs et à toutes les sénatrices. Bonsoir à mes collègues, que je vois habituellement un peu partout sur la route. Je suis bien triste de les voir seulement en format virtuel.
L’Université Sainte-Anne est la seule institution postsecondaire d’expression française en Nouvelle-Écosse, et ce, depuis 1890. Le visage de notre université a bien changé depuis sa fondation et la venue de plusieurs étudiants et étudiantes internationaux a aidé cette petite institution acadienne extrêmement importante pour les francophones et francophiles de notre province à grandir et à s’ouvrir sur le monde.
Cet influx de nouveaux cerveaux provenant de tous les coins de la Francophonie mondiale, mais en très grande majorité du continent africain, a eu pour effet de diversifier notre corps étudiant et la population de notre communauté rurale. C’est en partie grâce à cela que notre université compte aujourd’hui 620 étudiantes et étudiants, dont environ 30 % sont des étudiants internationaux. C’est le plus grand nombre depuis sa création il y a 132 ans. Ce nombre peut sembler anodin pour les plus grandes communautés à très grande majorité francophone, mais dans nos communautés acadiennes où les jeunes ont tendance à partir vers les centres urbains, c’en est tout autrement.
Si je suis ici aujourd’hui, c’est toutefois pour parler des difficultés que nous avons à amener de nouvelles recrues chez nous chaque année. Il y a évidemment plusieurs facteurs qui expliquent cette situation, dont certains ne sont pas la responsabilité de notre université ou du gouvernement du Canada, mais, selon nos observations, il y a tout de même des changements qui devraient être apportés et qui pourraient grandement aider les institutions francophones du Canada à attirer davantage d’étudiantes et étudiants étrangers.
Le défi le plus important est, vous vous en doutez bien, l’émission de visas. Il est important de savoir que nous ne nous attendons pas à ce que le Canada se mette tout à coup à accepter toutes les demandes de permis d’études en provenance de l’Afrique. Cependant, comment pouvons-nous refuser des visas à des étudiantes et des étudiants sous le seul prétexte qu’ils veulent venir étudier au Canada dans le simple but d’immigrer, alors que nous sommes manifestement à la recherche d’immigrantes et d’immigrants qualifiés?
Pourquoi refuse-t-on presque systématiquement un permis d’études à celles et ceux qui ont fait des études de premier et deuxième cycle universitaire et qui veulent venir faire une formation professionnelle de niveau collégial au Canada? C’est pourtant quelque chose que les Canadiennes et les Canadiens font sans problème. Pourquoi les Africaines et les Africains ne pourraient-ils pas, eux aussi, changer d’idée? Avec la pénurie de main-d’œuvre à laquelle fait face le Canada, il me semble que nous avons là une partie de la solution.
Je m’en voudrais aussi de ne pas mentionner que les visas de 16 pays sont traités dans un seul et même centre de traitement de visas, à Dakar, au Sénégal. Vous imaginez probablement les délais que cela cause, et ces délais causent, à leur tour, du découragement et des désistements parmi nos éventuelles recrues.
Il ne faudrait pas non plus oublier que les institutions francophones hors Québec doivent constamment se battre pour exister aux yeux des agentes et des agents d’immigration. Il est très fréquent que l’on questionne une étudiante ou un étudiant sur les raisons pour lesquelles ils ont choisi une de ces institutions au lieu d’aller au Québec. Cette situation s’améliore chaque année, parce que nous nous faisons connaître grâce à notre présence à des salons au Maghreb ou en Afrique subsaharienne, mais lorsqu’il y a un changement de garde dans les ambassades, tout est refaire.
J’ai l’impression qu’une plus grande collaboration entre les universités canadiennes et les bureaux de visas partout dans le monde apaiserait une partie des frustrations créées par cette situation, parce que si nous connaissions l’état des dossiers de nos étudiants, dans certains cas, nous pourrions comprendre la logique derrière les décisions qui ont été prises. Sans ces collaborations, tout ce qu’on voit, c’est qu’il est beaucoup, beaucoup plus facile pour les personnes originaires de la Chine, de l’Inde ou d’ailleurs d’obtenir un visa que pour les personnes de l’Afrique. Le problème, c’est que les étudiantes et les étudiants en provenance de ces pays ont tendance à aller étudier dans les universités anglophones.
Il est vrai qu’il est assez facile d’obtenir un visa étudiant en France, mais à cause des ententes conclues entre la France et le Québec, la très grande majorité de ces étudiantes et étudiants se dirige vers les universités québécoises.
Je suis conscient de ne pas être en train de vous apprendre quelque chose de nouveau en vous parlant de ces problèmes; nous répétons les mêmes choses depuis des années. Cependant, chaque refus a un impact très important sur notre université, sur notre communauté et sur la vie de ces personnes qui voient leur rêve s’envoler.
C’est pourquoi nous nous attendons à un système plus transparent et plus logique, mais surtout plus juste.
Le Canada cherche des immigrantes et des immigrants francophones qualifiés; nous sommes l’une des institutions francophones qui peuvent aider notre pays à arriver à ses fins en les qualifiant chez nous. Tout ce que nous demandons, c’est qu’on nous donne la chance de le faire pour nous assurer de continuer d’évoluer, de nous diversifier et de contribuer à la vitalité de nos communautés francophones, en Acadie et partout ailleurs au Canada.
Je vous remercie beaucoup.
Le président : Merci, monsieur Tardif.
Nous donnons maintenant la parole à Mme Samantha Losier, conseillère au bureau international de l’Université de Hearst, en Ontario.
Samantha Losier, conseillère au bureau international, Université de Hearst : Bonjour et merci. Depuis sa fondation en 1953, l’Université de Hearst est un établissement postsecondaire par les francophones et pour les francophones. Elle formait et forme toujours les cerveaux qui animent et font rayonner le Nord de l’Ontario. Ce faisant, l’Université de Hearst assure la présence et la qualité du français dans la région.
Le visage de la francophonie change. Le rapport intitulé La langue française dans le monde, publié par Gallimard et l’Organisation internationale de la Francophonie, indiquait que, en 2022, près de 50 % des francophones habitent le continent africain.
Bien avant la publication de ces données, le milieu de l’éducation en Ontario et dans la francophonie canadienne parlait d’internationalisation de sa clientèle. Pour le secteur postsecondaire, c’était une stratégie dans le but de créer de l’ouverture et, comme le dirait Hélène Tremblay, de faire découvrir l’humanité à l’humanité.
De façon concrète, le recrutement international a permis à l’Université de Hearst d’aller à la rencontre de gens exceptionnels issus de l’immigration. Certains d’entre eux rêvent d’appeler le Canada leur chez-soi. De façon collatérale, l’influx d’étudiants internationaux est devenu un mécanisme qui nous permettra de maintenir le français dans nos régions pour les générations à venir.
Je laisse les témoignages de mes collègues mettre en évidence l’avenir et l’importance du français. Au cours des précieuses minutes que vous m’accordez, je me permettrai de vous raconter l’histoire d’une petite université qui contribue au recrutement, à l’accueil, à l’accompagnement et à l’épanouissement de francophones nouvellement arrivés au pays.
Elles et ils deviennent rapidement nos collègues, nos voisines et voisins, nos amis, nos conjointes et conjoints, les bénévoles de nos organismes, bref, les membres de nos communautés.
Depuis déjà près de 10 ans, l’Université de Hearst accompagne sa population étudiante, et ce, bien avant son arrivée. Les connaissances que nous avons acquises sont le résultat d’expériences, de conversations, de leçons et d’un bagage de compétences qui assurent l’amélioration constante du soutien personnalisé offert à notre population étudiante. Ce travail, il faut le dire, nous le pilotons de notre propre chef. Les fonds, les précieuses connaissances, les services en établissement demeurent inaccessibles pour nos étudiants issus de l’international. Pourquoi? En raison de leur statut temporaire, ils n’y sont pas admissibles.
L’accompagnement de cette clientèle issue des pays de l’Afrique francophone n’est pas sans défis, des défis que nous sommes nombreux à souligner et à condamner sans relâche.
Si je suis aujourd’hui conseillère réglementée en immigration pour les étudiants étrangers (CRIEE), c’est parce que l’Université de Hearst a estimé avoir une obligation envers ses étudiants et a voulu les aider à naviguer dans les eaux vaseuses et turbulentes de l’immigration, dès l’obtention d’un permis d’études qui, malheureusement, demeure inatteignable pour beaucoup de jeunes rêveurs.
Les lignes directrices de l’immigration peuvent s’apprendre par cœur, mais sur le terrain, les règles du jeu demeurent une énigme. Mes collègues ont bien souligné les inégalités et les biais dans l’émission des permis d’études devant ce comité et bien d’autres; des études ont été menées, des rapports ont été rédigés et des recommandations ont été formulées.
Les outils qui servent à automatiser le processus d’évaluation se font peu à peu connaître. Par exemple, il y a Chinook, qui extrapole les données de milliers de formulaires IMM 1294 pour les organiser sous forme de tableau Excel, ce qui permet d’accélérer le traitement sans réseau. En tant que CRIEE, je m’engage à outiller les demandeurs pour préparer les formulaires PDF, ainsi que les dossiers financiers et les lettres de motivation, sans même être certaine qu’ils seront ouverts et consultés dans leur totalité.
Si, comme par miracle, un étudiant arrive à décrocher un permis d’études, il devra affronter rapidement un nouvel obstacle. Statistiquement, le parcours d’étudiant à résident permanent passe par plusieurs permis d’études et de travail. Chaque statut a ses règlements et ses conditions. Plus de 60 voies peuvent mener à la résidence permanente. Les étapes demeurent précaires et onéreuses, mais surtout mystérieuses. Il ne faut surtout pas mettre son pied à côté de la ligne. La menace d’expulsion est toujours une préoccupation de premier plan des résidents temporaires. La méconnaissance, l’inattention, la maladie et les imprévus peuvent rapidement mettre fin à ce rêve.
J’espère que vous aurez compris que vous trouverez en nous une aide qui sera porteuse. L’immigration n’est pas dans notre mandat, mais elle est devenue une partie importante, voire incontournable, de notre travail, pas seulement pour combler nos propres besoins, mais aussi ceux de nos collectivités. Nous cheminons avec nos étudiants jusqu’à l’obtention du diplôme et à l’intégration sur le marché du travail.
Nos partenaires communautaires francophones prennent le relais. Par exemple, la caisse populaire, qui embauche un grand nombre de nos étudiants, peut témoigner de leur rayonnement.
Bref, nous livrons humblement, mais sur un plateau d’argent quand même, une grande quantité de futurs travailleurs qualifiés, des résidents permanents potentiels qui permettront au gouvernement fédéral d’atteindre ses précieuses cibles. Ces cibles nous sont précieuses aussi.
Merci de nous donner l’occasion de partager notre expérience avec vous. J’espère vous avoir convaincus que l’Université de Hearst et le secteur postsecondaire sont un partenaire stratégique, un leader qui accompagne ces aspirants Canadiens. En quelques années, nous formons des personnes compétentes, créatives, ambitieuses, impliquées, mais, surtout, acclimatées dans tous les sens du mot.
Merci.
Le président : Merci beaucoup, madame Losier.
Nous souhaitons maintenant la bienvenue à M. Christian Perron, directeur, Recrutement et services aux étudiants·e·s, Université de Saint-Boniface.
La parole est à vous.
Christian Perron, directeur, Recrutement et services aux étudiants·e·s, Université de Saint-Boniface : Bonsoir. Depuis 2012, je dirige le recrutement et les services aux étudiants·e·s à l’Université de Saint-Boniface. Je prends la parole à partir de Saint-Boniface, à Winnipeg, le territoire visé par le Traité n° 1.
L’Université de Saint-Boniface (USB) est la seule université francophone de l’Ouest canadien. Elle offre une éducation collégiale et universitaire, avec 30 programmes au total.
Aujourd’hui, sur un peu plus de 1 300 étudiants, les étudiants internationaux représentent près de 15 % de la population étudiante globale. Ces étudiants proviennent de plus de 20 pays différents, mais surtout de l’Afrique francophone.
L’USB offre des services d’accueil, d’orientation et de suivi continu par l’entremise de son bureau international. Comme établissement de la minorité, l’USB n’a pas les ressources requises pour opérationnaliser un service de transition vers l’emploi. Prenez note que les frais de scolarité et le facteur de majoration sont parmi les plus bas au pays.
Je souhaite que mon allocution d’aujourd’hui puisse vous sensibiliser aux principaux enjeux qui ont un effet sur la contribution de l’USB à l’immigration francophone au Manitoba : le premier enjeu est le taux élevé de refus des demandes de permis d’études, et le deuxième est l’image de marque de l’éducation internationale du Canada à l’étranger.
Premièrement, au cours des cinq dernières années, l’USB a reçu en moyenne 900 demandes d’admission par année. Cela se traduit par 400 admissions officielles et, ensuite, 85 nouvelles inscriptions par année, soit un taux de conversion d’un peu plus de 20 %.
Selon nous, ce faible taux de conversion de l’admission officielle à l’inscription est attribuable au taux de refus très élevé des demandes de permis d’études.
Je fais référence, à votre convenance, bien sûr, à l’allocution livrée le 2 mai 2022 à ce comité, je crois, par M. Martin Normand, de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne. En résumé, M. Normand a parlé des défis liés au taux élevé de refus, de la méconnaissance des établissements postsecondaires de la francophonie canadienne dans les ambassades, du manque de ressources en vue de soutenir le parcours scolaire des étudiants internationaux pour favoriser la rétention et, en dernier lieu, du manque de ressources pour faciliter la transition d’un diplômé international vers l’emploi. Ces obstacles sont tout à fait d’actualité pour l’USB.
Deuxièmement, pour un établissement de la taille de l’USB, qui a des ressources très limitées et n’a aucune économie d’échelle, il est primordial de pouvoir compter sur une image de marque forte et des événements de recrutement phares pour le Canada, notamment pour la francophonie canadienne, à la hauteur des aspirations de notre pays sur le plan de l’éducation internationale, et par conséquent sur celui de l’immigration.
Au cours des dernières années, les salons ÉduCanada se sont faits de plus en plus rares et ont été remplacés par d’autres options souvent très coûteuses dont nous ignorons parfois l’origine, la qualité et parfois même la légitimité. L’USB n’a souvent pas le luxe de participer à plus d’un salon dans chacun de ces marchés. Pour nous, il ne s’agit pas de choisir un salon, mais de choisir le bon salon.
Enfin, je signale que l’USB investit beaucoup de ressources et consacre beaucoup d’efforts à préparer ses activités, recruter, accueillir, orienter, suivre, former, retenir, loger et accompagner les étudiants internationaux, mais qu’elle doit surmonter des obstacles et faire face à des risques qui relèvent, dans ce cas-ci, des instances fédérales.
Le taux de refus et l’existence d’événements phares sont des enjeux clés pour l’Université de Saint-Boniface.
Au nom de l’USB, je recommande que l’on adopte des mesures pour appuyer les établissements postsecondaires en situation minoritaire dans leurs efforts en vue de contribuer directement au recrutement d’étudiants internationaux et à l’accroissement de l’immigration francophone. L’harmonisation des messages sur l’éducation internationale et l’immigration serait notamment un atout.
En terminant, je remercie les membres du comité de leur attention et j’envoie de chaleureuses salutations en provenance du Manitoba à la sénatrice Gagné.
Le président : Elle les a bien reçues.
Merci à vous quatre de vos présentations très instructives. Passons maintenant à la période des questions.
La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse aux quatre témoins et est directement liée à l’apport financier associé aux étudiants étrangers. Ces étudiants étrangers viennent chercher une éducation importante au Canada, mais ils ont aussi un rôle à jouer dans la rentabilité des institutions postsecondaires dans vos milieux et dans l’apport des étudiants francophones. J’aimerais avoir votre avis sur leur poids financier par rapport aux opérations de vos universités respectives.
Le président : La question s’adresse à nos quatre témoins. Qui aimerait commencer? Allez-y, monsieur Perron.
M. Perron : Les frais de scolarité et la majoration sont parmi les plus bas au pays. La majoration à l’Université de Saint-Boniface, pour la plupart des cours, est un facteur de deux, c’est‑à-dire qu’un étudiant international va payer deux fois ce que paie un étudiant canadien. À la base, les frais de scolarité sont les mêmes que ceux des Canadiens et la majoration à l’Université de Saint-Boniface est affectée à 100 % aux activités d’internationalisation.
Essentiellement, les revenus majorés nous permettent d’avoir un bureau international, des orienteurs pour les étudiants internationaux, du soutien en santé mentale, etc. Pour nous, le bénéfice net est négligeable, car les revenus sont égaux aux dépenses directes et indirectes associées à l’internationalisation.
Le président : Y a-t-il un autre témoin qui aimerait répondre?
M. Toro Lara : Pour le Collège communautaire du Nouveau-Brunswick, les étudiants internationaux paient environ deux fois les montants payés par les étudiants canadiens. Avec l’augmentation importante de la clientèle étudiante internationale, cela a généré des revenus qui nous ont permis de développer de nouveaux services de soutien; le CCNB offre notamment des services de soutien à la résidence permanente aux diplômés internationaux. C’est un des services gratuits qui sont offerts aux étudiants internationaux.
M. Tardif : À l’Université Sainte-Anne, les étudiants internationaux paient environ 2 000 $ de plus que les étudiants canadiens. On a une sorte de système de bourses qui fait en sorte qu’on ne facture pas beaucoup plus de frais aux étudiants canadiens. Je n’ai pas de chiffres à donner, mais je ne peux pas cacher le fait que le recrutement international nous permet de continuer d’exister. Les Canadiens ont de moins en moins d’enfants et les communautés acadiennes de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, où l’on va chercher la majorité de nos étudiants, ont tendance à s’exiler vers les grands centres.
Évidemment, cela nous aide financièrement, pas nécessairement par personne, mais dans les nombres totaux.
Mme Losier : J’aurais tendance à aller dans le même sens que M. Tardif. On veut nous faire dire que la survie de nos établissements dépend de l’arrivée des étudiants internationaux et qu’on accorde un poids plus important à leurs frais de scolarité justement pour faire vivre nos établissements.
À l’Université de Hearst, on parle d’une différence d’environ 1 600 $ par année. De plus, bien que cela soit vrai, je suis dans une drôle de position, parce que les étudiants internationaux représentent jusqu’à 75% ou 80 % de notre population étudiante; c’est un nombre important. C’est en grande partie attribuable à la réalité de nos régions, à cause de l’exode des jeunes et des familles.
Si l’immigration est importante pour le gouvernement dans son ensemble, les cibles sont là, mais ce n’est pas seulement l’Université de Hearst qui dépend de l’influx de ces nouveaux étudiants pour assurer sa survie. Ce sont aussi nos employeurs et nos communautés. Bien que ce soit vrai qu’ils représentent une partie importante, je n’aime pas dire que c’est la raison pour laquelle ils sont là. J’aime mieux me concentrer sur notre stratégie d’internationalisation, les bienfaits que cela apporte sur l’ouverture, cette dimension holistique d’avoir des interactions entre des gens de Hearst et des gens du Cameroun, quand on mange de la poutine et des ndolés. Je préfère mettre l’accent là‑dessus que sur la dimension financière.
La sénatrice Moncion : Je vous remercie de vos réponses. Ce n’est pas toujours l’aspect que l’on présente lorsqu’on parle du financement des universités. Je pense que c’est l’aspect le plus important lorsque vous nous parlez de l’apport des étudiants étrangers à la vitalité de vos communautés. Cela faisait partie de vos remarques liminaires.
Lorsque vous parlez de l’intégration de ces personnes, pourriez-vous nous parler de l’aide gouvernementale que vous recevez pour l’intégration de ces personnes dans vos communautés?
Mme Losier : J’aimerais répondre en premier, puisque j’en ai parlé dans mon discours. Depuis mon arrivée à l’Université de Hearst en 2015, je suis debout pour revendiquer ces services en établissement pour nos résidents temporaires. Donc, s’il y a des services en établissement qui existent à l’Université de Hearst, c’est parce qu’on les a créés, qu’on les finance avec nos budgets et qu’on a créé un bureau international en formant trois personnes qui ont la désignation de CRIEE. C’est notre université qui crée ces services.
Il y a des partenaires communautaires qui existent et qui ont le mandat de servir les résidents permanents avec de très beaux programmes linguistiques et des services en établissement. Nous cherchons toujours la façon de collaborer avec eux et de rendre leurs services accessibles à nos étudiants, bien qu’ils ne soient pas actuellement des résidents permanents, mais en sachant que c’est un objectif à long terme.
On cherche à travailler avec les réseaux de soutien en immigration francophone et les services en établissement, bien qu’on ne fasse pas expressément partie de leur financement; il y a toujours moyen de trouver des façons de collaborer. Afin de satisfaire leurs bailleurs de fonds, ils doivent montrer qu’ils ont un certain nombre de résidents permanents. Dans la mesure où il n’y a pas un grand nombre de résidents permanents dans nos communautés actuellement, ce sont nos étudiants qui deviendront ces résidents permanents.
On ne peut pas s’attendre à mettre miraculeusement une personne sous contrat au bout de trois, quatre ou cinq ans quand l’université a fait tout le travail. On cherche à les intégrer dans la boucle pour fidéliser en quelque sorte ces futurs clients avec des séances d’information, des activités ou des ateliers. C’est notre façon de collaborer avec eux.
M. Toro Lara : Au Collège communautaire du Nouveau-Brunswick (CCNB), on a misé sur les services offerts à la population étudiante internationale plutôt que de se faire représenter par des intermédiaires à l’étranger.
La façon de fonctionner et nos modèles d’affaires sont grandement appuyés par le gouvernement provincial, qui nous aide financièrement à soutenir des services d’établissement que nous avons créés avec leur aide. Malheureusement, Samantha l’a mentionné clairement, les étudiants internationaux sont hors du radar des services d’établissement d’IRCC, qui réserve tous les services aux résidents permanents seulement. On croit également qu’un appui financier du gouvernement fédéral pour offrir des services directs à la population étudiante internationale pourrait avoir un impact sur les étudiants qui sont ici, mais pourrait aussi assurer une promotion positive de nos établissements à l’international.
Le président : Merci. Quelqu’un d’autre veut-il répondre?
M. Perron : À Saint-Boniface, je ne peux pas dire qu’on a des services d’établissement offerts directement par l’université; on ne reçoit pas de financement supplémentaire pour ce genre d’activités, mais on interagit beaucoup avec nos partenaires communautaires, notamment l’Accueil francophone, qui a pour mission d’offrir des services d’établissement à la population immigrante francophone au Manitoba.
M. Tardif : Mes commentaires ressemblent quelque peu à ceux de mes collègues. Il y a peut-être une initiative supplémentaire qui existe aussi au Nouveau-Brunswick, soit le programme Étudier pour m’y établir du Nouveau-Brunswick et le programme Étudier pour m’y établirMC Nouvelle-Écosse, qui est provincial, que nous faisons avec EduNova. Des ateliers sont offerts à nos étudiants. Malheureusement, en Nouvelle-Écosse, ces ateliers sont offerts presque uniquement en anglais. Ces ateliers se tiennent vers la fin du parcours des étudiants et on les forme en anglais, donc ils sont plus en mesure d’y avoir accès en anglais, mais on aimerait bien que cela puisse exister aussi en français.
Le président : Monsieur Tardif, vous avez parlé du programme Study and Stay?
M. Tardif : Oui, il s’agit du programme Étudier pour m’y établir. Je n’aime pas le nom en français.
Le président : Merci.
La sénatrice Gagné : Merci et bienvenue à Mme Losier et à MM. Toro Lara, Tardif et Perron. Bonjour, Christian.
Êtes-vous en mesure de suivre le cheminement de vos diplômés? Le cas échéant, je voudrais savoir quel est le pourcentage d’étudiants internationaux qui font la transition vers la résidence permanente.
M. Perron : En ce moment, on n’a pas vraiment la possibilité de suivre nos étudiants internationaux après qu’ils ont obtenu leur diplôme. Au cours des 18 mois à venir, l’Université de Saint-Boniface vivra une transformation numérique, et nous avons espoir que nos nouveaux systèmes nous permettront de le faire par l’entremise de notre réseau des diplômés.
Cependant, pour des données en matière de résidence permanente, on peut se fier uniquement à ce que la province nous transmet. Chaque année, la province communique avec nous et nous demandons des données à la province. Nous savons que 60 % de nos diplômés déposent une demande de résidence permanente par l’entremise du Programme des candidats du Manitoba. Y en a-t-il d’autres qui passent par l’engrenage fédéral? C’est possible, mais je l’ignore.
Mme Losier : À l’Université de Hearst, c’est un peu la même chose. On est sur le point de se doter de très beaux systèmes informatisés, mais jusqu’à présent, étant donné notre petit test, on se connaît tous par nos prénoms.
L’information que je pourrais vous transmettre est très qualitative. Je peux vous dire que Simone est sur le point d’obtenir sa résidence permanente, que Diara vient de se faire embaucher par la municipalité de Moonbeam , qu’Étienne est très content de son travail à la caisse populaire. De plus, il s’agit de nos premières cohortes de personnes qui ont justement fait ce cheminement d’étudiant, d’un permis de travail postdiplôme à un statut de résident permanent. Les premières personnes étaient sur le point de demander la résidence permanente au début et pendant la pandémie. Tout récemment, plusieurs étudiants ont pu accélérer le traitement de leur demande grâce aux politiques temporaires qui permettaient d’accélérer l’accès à la résidence permanente pour les nouveaux diplômés et les travailleurs essentiels d’expression francophone et d’expression anglophone dans le domaine de la santé. Plusieurs personnes ont pu accélérer le traitement de leur demande de résidence permanente. Je n’ai pas non plus de chiffres, mais c’est avec plaisir que je pourrai vous parler de nos étudiants et de leur parcours.
M. Toro Lara : Au CCNB, 90 % des diplômés de l’année en cours et de l’an dernier ont fait des demandes de permis de travail postdiplôme et ont reçu l’appui de nos consultants en immigration pour des questions de résidence permanente. Dans le Plan stratégique de 2022-2027, on a fixé la cible à 70 % pour les taux de rétention au Nouveau-Brunswick cinq ans après la fin du programme, et à 75 % pour la première année après la fin du programme. On a conclu une entente avec l’Université du Nouveau-Brunswick (UNB) pour mesurer les taux de rétention.
M. Tardif : À l’Université Sainte-Anne, nous vivons sensiblement la même situation que celle de mes collègues Christian et Samantha, c’est-à-dire qu’on n’a pas de chiffres exacts. Je peux dire, de façon sûre et certaine, que beaucoup plus de la moitié de nos étudiants finissent par obtenir un permis de travail postdiplôme par la suite. Est-ce 75 % ou 92 %, je n’en ai aucune idée; je n’ai pas de chiffres à donner à cet effet.
La sénatrice Gagné : Dans le projet de loi C-13, il y a un article qui traite d’une politique en matière d’immigration; cette politique sera élaborée davantage après l’adoption du projet de loi.
Croyez-vous que, par la suite, lorsqu’on sera en mesure d’étoffer la politique, il serait important d’inclure des éléments liés à l’immigration d’étudiants internationaux après qu’ils ont obtenu leur diplôme?
M. Toro Lara : Assurément, ce serait bénéfique à la fois pour notre recrutement en tant qu’établissement postsecondaire, mais aussi pour la transition et la résidence permanente. Je crois qu’une question importante à considérer serait la double intention de nos étudiants internationaux; cette double intention, selon nos observations et nos échanges avec les étudiants, est ce qui fait en sorte qu’il y a un grand nombre de nos étudiants internationaux qui sont refusés au moment de faire une demande de permis d’études.
Le président : Quelqu’un d’autre veut-il répondre?
Mme Losier : J’abonderais dans le même sens. On sait que la double intention est là. Si on accueille des gens de l’Afrique francophone, on sait qu’un grand nombre d’entre eux veulent rester, bien que certains d’entre eux ne le souhaitent pas.
Je pense que plus il y aura de programmes qui pourront servir de passerelle vers la résidence permanente et pour faciliter ce trajet, mieux ce sera. Par exemple, j’ai le privilège de siéger au comité de sélection pour le Programme pilote d’immigration dans les communautés rurales et du Nord, que nous sommes chanceux d’avoir dans notre région et qui vient d’élargir ses frontières à l’extérieur de la communauté de Timmins pour rejoindre l’ensemble des campus de l’Université de Hearst. Si l’on pouvait avoir une telle voie d’accès pour des francophones ou de nouveaux diplômés d’établissements francophones, ce serait très intéressant pour eux.
M. Perron : À mon avis, c’est sûr qu’il y aurait un avantage si l’on harmonisait les stratégies d’éducation internationale et d’immigration et s’il y avait un élément de tout cela dans une politique ou une loi.
Cependant, comme mes collègues l’ont dit, il peut y avoir un certain malaise à recruter en fonction de l’immigration, alors que nous savons déjà que certains étudiants sont refusés sous prétexte qu’ils ne peuvent pas prouver qu’ils retourneront dans leur pays.
L’harmonisation de l’éducation internationale en matière d’immigration aiderait et ouvrirait la porte à des collaborations avec des délégués commerciaux et avec les salons d’ÉduCanada, ou à une autre option pour travailler de façon plus cohérente.
La sénatrice Mégie : Dans vos discours, chacun d’entre vous a mentionné un certain nombre de chiffres, de diplômes et de diplômés qui ont fait une demande. Cet aspect n’est pas clair pour moi. Pouvez-vous préciser si c’est dans le cas d’une demande de visa ou d’une demande de permis de travail?
J’aurai d’autres questions à poser par la suite.
M. Tardif : Dans la majorité des cas, on parlait de demandes de visas pour étudiants.
La sénatrice Mégie : Est-ce votre organisation qui s’occupe de cela? On parlait plus tôt d’un bureau à Dakar qui s’occupe de l’obtention des visas.
Êtes-vous au courant du processus menant à l’obtention des visas, tout en sachant que, avec l’algorithme Chinook, beaucoup de demandes sont bloquées? Est-ce votre organisation qui gère tout cela?
M. Perron : Au début de mon allocution, j’ai parlé du taux de conversion entre les admissions officielles et l’inscription, et j’ai dit que notre taux de conversion était d’environ 20 %. Je l’ai mentionné parce que je suis bel et bien conscient que, dans nos marchés, particulièrement en ce qui concerne l’Afrique francophone, le taux de refus est en effet de 80 %. Nous croyons qu’il y a un certain lien avec tout cela. En effet, je parlais des demandes de permis d’études.
La sénatrice Mégie : D’accord. Merci.
Mme Losier : Je vais mettre mon petit chapeau de CRIEE, de conseillère réglementée en immigration pour les étudiants étrangers, parce qu’on utilise souvent les mots « visa », « permis d’études » et « permis de travail » de façon interchangeable, alors que, concrètement, ce n’est pas la même chose. Le visa, c’est la vignette dans le passeport qui autorise l’accès au sol canadien et le permis d’études ou le permis de travail, c’est le statut qui permet d’étudier ou de travailler au Canada.
À l’Université de Hearst, par exemple, si je suis conseillère en immigration, c’est pour aider les gens à préparer leur demande de permis d’études, qui est ensuite traitée dans un bureau de visa, souvent à partir des ambassades. Comme M. Tardif l’a mentionné, il y a l’ambassade du Canada à Dakar qui traite les demandes de permis d’études pour 16 pays de l’Afrique francophone. Ce sont les agents d’IRCC qui ouvrent les documents, analysent les informations et se penchent sur la recevabilité de la demande.
Une fois que les étudiants sont sur place, nous les appuyons en leur donnant de l’information sur le nombre d’heures qu’ils peuvent travailler et sur la façon de maintenir le statut d’étudiant à temps plein, afin de continuer d’assurer leur admissibilité pour leur permis de travail une fois qu’ils ont obtenu leur diplôme. Par la suite, nous les aidons à remplir leur demande pour obtenir un permis de travail après avoir obtenu leur diplôme. Nous allons aussi leur fournir des présentations d’IRCC ou de l’aide par l’entremise de consultants en immigration pour les éclairer sur les étapes à venir vers la résidence permanente.
Ainsi, les gens savent à quoi s’attendre. Dès la première année où ils obtiennent leur permis de travail après leurs études, ils peuvent tout de suite commencer à chercher un travail correspondant à leurs compétences, à accumuler le nombre d’heures nécessaires et à préparer leur profil dans Entrée express, s’ils utilisent cet outil.
La sénatrice Mégie : Cela éclaircit certaines choses.
En plus du phénomène de la double intention, je viens d’entendre une proposition pour une piste de solution, soit l’harmonisation de l’éducation et des programmes.
Y a-t-il d’autres éléments que vous pourriez ajouter ou d’autres recommandations que vous pourriez faire pour améliorer le bilan et l’accessibilité aux études des étudiants étrangers francophones?
M. Toro Lara : Je peux essayer de répondre à votre question.
Il y a une question de conformité qui est examinée de près par IRCC chaque année. Chaque établissement d’enseignement postsecondaire doit soumettre des rapports de conformité. Il s’agit tout simplement d’un indicateur sur lequel se base IRCC pour savoir quels étudiants ont été acceptés dans tel établissement, quels étudiants sont inscrits et quels étudiants sont toujours inscrits. Dans bien des cas, le taux de conformité est très élevé et, parfois, il est inconnu par l’établissement lui-même.
Nous croyons qu’une collaboration accrue avec IRCC pour échanger ce genre d’information, soit le taux d’approbation des demandes de permis d’études, pourrait être très bénéfique. Cela pourrait avoir une influence majeure sur l’augmentation de la clientèle des étudiants internationaux qui présentent une demande de bonne foi. Comme mes collègues l’ont mentionné, au Collège communautaire du Nouveau-Brunswick, nous prônons une augmentation des candidats de bonne foi, mais pas nécessairement une augmentation systémique des taux d’approbation de tous les étudiants internationaux.
La sénatrice Mégie : Avez-vous d’autres points à ajouter?
Mme Losier : J’adore le point que vient de soulever mon collègue, soit le fait que nous ne voulons pas seulement augmenter le nombre de candidats. Il est dans notre intérêt d’avoir des étudiants de bonne foi, mais il faut aussi qu’ils aient la capacité financière de venir au Canada. Nous avons parlé de la double intention et de la bonne foi. L’autre élément qui provoque beaucoup de refus, c’est la capacité financière et l’incapacité à prouver sa capacité financière. Il faut comprendre que les comptes bancaires à l’étranger ne fonctionnent pas comme les comptes bancaires ici, c’est-à-dire que les gens ne sont pas nécessairement payés de façon bimensuelle, comme le font les employeurs au Canada. Ils n’utilisent pas de cartes de débit pour montrer les transactions normales de leur compte. Lorsqu’il est difficile de prouver sa capacité financière, la décision relève du pouvoir discrétionnaire de l’agent. C’est lui qui décide si une personne a la capacité de financer ou non des études au Canada ou si elle a un lien crédible avec celui ou celle qui se porte garant et ainsi de suite.
Une solution que je trouve intéressante, c’est le Volet direct pour les études, qui a commencé dans cinq pays et s’étend désormais à d’autres pays, notamment des pays de l’Afrique francophone où les étapes à franchir sont beaucoup plus exigeantes, mais où les taux d’acceptation sont légèrement plus élevés. Maintenant, on voit plus en plus de refus dans le Volet direct pour les études. C’est peut-être un programme imparfait, mais je crois que nous sommes sur la bonne voie.
Si un candidat n’est pas capable de brosser un portrait de son bilan financier, avec des lettres de son employeur, des relevés bancaires, etc., on lui demande de bloquer de l’argent dans un compte canadien, qu’on va lui remettre pendant sa première année d’études. C’est un programme sur lequel on pourrait revenir et sur lequel on pourrait pousser davantage la réflexion. À mon avis, il s’agit d’un point de départ concret.
M. Perron : J’aimerais apporter quelques éléments d’information.
Saviez-vous que beaucoup de collectes de données se font, mais qu’il y a peu de partage de données? Deux fois par année, nous sommes tenus de remettre un rapport de conformité à IRCC qui contient de nombreuses informations sur le statut des individus qui fréquentent nos établissements postsecondaires, et ce, chaque année jusqu’à l’obtention de leur diplôme. Jusqu’à présent, cela demande beaucoup de travail, mais nous n’avons pas encore compris à quoi vont servir ces informations.
Le président : Merci beaucoup de ces informations fort pertinentes.
Le sénateur Dalphond : Je lisais sur le site de Radio-Canada un article écrit par le journaliste Louis Blouin, qui couvre le Sommet de la Francophonie qui a lieu actuellement en Tunisie. Il a dit que le Canada était très critiqué par les autres pays à cause de ses politiques de refus systémique des Africains qui veulent venir étudier au Canada. Il a écrit que le Canada était sévèrement critiqué en raison de son refus massif d’accorder des permis d’études aux ressortissants africains, car Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada leur reproche, la plupart du temps, d’avoir l’intention de rester au Canada à la fin de leur formation. J’entends les représentants des universités dire qu’ils mettent sur pied des programmes qui visent à inciter les étudiants à rester au Canada à la fin de leur formation.
Je crois que M. Perron et la sénatrice Mégie ont fait allusion à cette question un peu plus tôt. On a parlé du manque d’harmonisation et je crois qu’il y a une contradiction entre les deux politiques. Le besoin d’harmonisation des politiques en matière d’immigration, d’une part, et le besoin de rétention, d’autre part, sont contradictoires. Cela dit, le premier ministre a dit, en réponse à cela et à ces critiques, y compris un article publié dans Le Monde, qu’il fallait que cela change et qu’il avait demandé au ministre Fraser de faire le nécessaire.
Ce dernier aurait dit qu’il travaillait là-dessus depuis le mois de septembre.
Ma question s’adresse aux représentants des universités francophones hors Québec. Est-ce que, depuis septembre, vous avez été contactés par le ministère de l’Immigration ou le cabinet du ministre Fraser pour savoir comment vous pourriez participer à une harmonisation des politiques?
M. Perron : Pas à ma connaissance.
Le sénateur Dalphond : Oui, notamment par l’Association des collèges et universités?
Le président : L’Association des collèges et universités, par exemple, mais avez-vous été contactés et consultés individuellement à ce sujet?
M. Toro Lara : Nous avons été invités à un échange informel, mais pas nécessairement à ce niveau-là.
Mme Losier : On vous parle aujourd’hui. On espère que cela va continuer dans la bonne direction.
Le sénateur Dalphond : Est-ce que je dois comprendre que, sur le terrain, les bonnes intentions ne se sont pas traduites jusqu’à maintenant par des réalités ou des programmes concrets?
Mme Losier : Si je peux me permettre, quand on parle à IRCC et qu’on nous explique la double intention, on veut permettre à une personne qui souhaite devenir résident permanent de le faire, mais en même temps, IRCC veut être certain que si une personne n’arrive pas à cheminer pour une quelconque raison, elle aura suffisamment de raisons de quitter le Canada et de retourner dans son pays. C’est difficile à dire, car même si on veut accompagner les bonnes personnes qui respectent les critères d’admissibilité et les exigences pour continuer à cheminer, on ne veut pas non plus contribuer à faire augmenter le nombre de personnes sans statut au Canada.
Ils se sont protégés en formulant cette nuance par rapport à la double intention. Ce n’est pas qu’on ne veut pas qu’ils restent; c’est qu’on ne veut pas qu’ils restent au pays illégalement.
M. Toro Lara : La lecture du contexte actuel et les mesures qui suivent sont asymétriques si l’on compare la réalité des étudiants internationaux francophones par rapport à celle des étudiants internationaux anglophones. Le poids de la clientèle étudiante internationale anglophone a un impact majeur sur les politiques publiques, au détriment des communautés francophones tout court.
Lorsqu’on me dit qu’on va augmenter les taux d’approbation, je regarde cela en éprouvant de l’inquiétude pour les communautés francophones en situation minoritaire. Oui, c’est bien d’augmenter les taux d’approbation, mais dans les régions francophones, nous avons des réalités différentes de celles de grandes villes comme Toronto, Montréal et Vancouver.
Pour ne pas parler trop en profondeur, on peut juste parler de logement et de transport en commun. Donc, l’augmentation du taux d’approbation ne peut pas être harmonisée sans qu’on adopte des mesures concrètes pour d’autres phénomènes qui existent seulement dans les régions francophones.
Le président : J’ai une sous-question avant de passer la parole à la sénatrice Clement. Y a-t-il des cas de gens qui font des demandes de permis d’études et qui, en fin de compte, ne se retrouvent pas directement dans vos établissements postsecondaires et cherchent avant tout à immigrer? Y a-t-il de nombreux cas comme cela? Dans nos discussions sur la question des enjeux en matière d’immigration, cette question arrive comme un facteur qui fait en sorte que les critères d’acceptation sont renforcés, parce qu’il y a des gens qui se présentent dans les établissements et qui n’y restent pas. L’objectif est d’immigrer. Pouvez-vous nous parler de ces situations?
M. Tardif : Oui. C’est difficile de donner des chiffres. Comme je l’ai dit dans mon allocation, on n’a pas de lien avec les ambassades ou les bureaux de visa. Cela signifie qu’on ne connaît pas exactement le nombre de personnes. Je ne peux pas savoir à 100 % si une personne à qui j’ai envoyé une offre d’admission a fait une demande de visa.
Cela dit, on sait, de façon sûre et certaine, que certains étudiants obtiennent une lettre d’un établissement canadien, font le processus de demande de permis d’études, arrivent au Canada et ne se présentent jamais à l’institution mentionnée. Le nombre exact est difficile à déterminer. Consciemment, je sais qu’il y a en a au moins un ou deux par année. Par contre, selon ce que j’entends de la part d’amis qui travaillent en immigration, Sainte-Anne en a plus que cela, mais je n’ai pas ce qu’il faut pour connaître le nombre exact. C’est le cas également pour mes collègues ailleurs au Canada.
M. Perron : Le Manitoba se distingue au Canada avec sa Loi sur l’éducation internationale et son Règlement sur le code de pratique et de conduite. Jumelés avec les bonnes intentions de notre bureau international, il est rare qu’on se fasse surprendre avec des candidats qui arrivent à l’Université de Saint-Boniface alors qu’on ne s’y attendait pas. Pour les cas où ils arrivent avec une lettre d’admission officielle, qu’ils s’inscrivent, qu’on ne les voit jamais et qu’ils finissent par se désinscrire, on parle d’un, deux ou trois cas maximum par année, comme l’a dit M. Tardif. Ce n’est pas fréquent.
Mme Losier : Si je peux aller dans la même direction, on sait qu’il existe un fléau de faux agents qui émettent parfois des lettres d’admission frauduleuses. J’arrive du congrès annuel du BCEI, où dans une présentation d’IRCC, on a parlé de projets pilotes de collaboration avec des institutions postsecondaires qui partagent leur liste d’offres d’admission. De cette façon, lorsqu’un agent ouvre un dossier, plutôt que d’avoir à faire une deuxième vérification, il peut immédiatement voir s’il s’agit d’une offre authentique. Ce genre de collaboration est très intéressante. Je suis certaine que mes collègues qui sont ici aujourd’hui et mes autres collègues d’établissements francophones hors Québec seraient partants à l’idée de participer à un tel projet pilote. Plus nous pourrons collaborer avec IRCC, plus nous serons heureux.
La sénatrice Clement : Bonjour et merci à tous les témoins. On nous parle toujours du fait que l’immigration francophone internationale est de compétence fédérale et éventuellement provinciale, mais on ne parle pas du gouvernement municipal. Pourtant, vos étudiants feront des expériences ancrées dans les communautés. Ils y sont logés et y prennent le transport en commun. Lorsque j’étais mairesse de Cornwall, je trouvais qu’IRCC ne communiquait pas beaucoup avec les villes. Avez‑vous des partenariats avec vos villes en particulier et comment est-ce que cela fonctionne? Comment est-ce que cela se vit?
M. Toro Lara : Au Nouveau-Brunswick, on travaille de très près avec les municipalités. Elles sont investies dans tout cela. C’est très récent, par ailleurs, mais elles sont très investies et engagées dans la question des étudiants internationaux. Je l’ai mentionné brièvement dans ma présentation : les étudiants internationaux ont souvent passé à l’extérieur du radar de plusieurs acteurs du développement, mais maintenant, en raison de l’augmentation importante des étudiants internationaux, il y a de nouveaux acteurs, y compris les municipalités, qui s’y intéressent de très près. Nous sommes contents de constater qu’au Nouveau-Brunswick, toutes les municipalités, surtout les grandes, s’y intéressent et collaborent avec nous.
M. Tardif : Je peux parler de la région de Clare, où est située l’Université Sainte-Anne. Il y a une initiative avec la municipalité qui s’appelle Clare : Communauté francophone accueillante, où l’on mélange la population et les immigrants. Les étudiants internationaux en font partie, même s’ils ne sont pas nécessairement des immigrants au moment où l’on se parle. On organise des soirées repas où l’on demande à telle personne de telle communauté de préparer quelque chose et la communauté y assiste. On organise des spectacles, des présentations et toutes sortes d’initiatives de ce genre. On collabore avec la municipalité à ce niveau.
Cette initiative existe depuis deux ou trois ans. On a toujours collaboré avec la municipalité, mais oui, il y a de telles initiatives; récemment, il y en a de plus en plus. Il y a de plus en plus de diversité dans la communauté, et pas juste à l’université.
Mme Losier : Nous sommes tous coupables, à certains moments, de travailler en silo. Cela dit, j’adore votre réflexion.
Il est vrai que les municipalités sont vraiment un partenaire incontournable pour les universités. Parfois, on pense être seul à faire ce travail et on a besoin de leur aide, parce qu’on soutient les personnes qui vont acheter leurs maisons, travailler au sein de leurs comités et siéger à leurs conseils municipaux. Souvent, on revendique cette collaboration. Je peux en parler concrètement.
Il y a eu une belle initiative qui a eu lieu à l’automne dernier et qui s’appelait Chez nous, c’est chez vous. Il vaut la peine d’aller visionner notre vidéo, qui est exceptionnellement belle, et les photos qui sont hallucinantes. L’initiative avait pour but de réunir les nouveaux arrivants, les étudiants, les travailleurs et les membres de la communauté pour vivre une expérience typiquement canadienne du Nord de l’Ontario. On est allé sur le bord d’un lac, on a dormi sous des tentes, on a fait de la musique à côté de feux de camp et on a mangé des smores. C’était vraiment une très belle expérience. On en est ressorti avec de beaux liens. Désormais, les gens se saluent dans la rue et des étudiants se feront peut-être inviter à souper chez des gens. On cherche à créer plus d’expériences pour que les étudiants, les nouveaux arrivants et les nouveaux propriétaires du restaurant ou de la station d’essence ne restent pas isolés dans leur coin. Tout cela vise à permettre plus de cohésion et à créer des occasions pour ces gens d’interagir et de tisser des liens ensemble.
La sénatrice Clement : Monsieur Perron, vous avez parlé de l’image de marque forte qui serait nécessaire — l’image du Canada, j’imagine. Est-ce qu’on a une bonne image de marque? Est-ce que les problèmes dont nous parlons depuis le début de notre conversation ont porté atteinte à l’image du Canada?
M. Perron : Oui, je crois sincèrement que le Canada a une excellente identité de marque pour l’éducation internationale, que ce soit dans la Francophonie ou dans l’anglophonie. Cependant, si on pense aux propos qui ont été tenus ce soir, si on apprend qu’on dit ici et là dans d’autres pays que le Canada semble avoir un penchant pour le refus, je crois que ce sont des choses qui peuvent certainement porter atteinte à la réputation et à la volonté de notre pays de faire du recrutement d’étudiants, parfois pour l’immigration, mais parfois non.
Il y a quand même des étudiants qui retournent dans leur pays d’origine, parce que l’objectif est de rapporter ces connaissances chez eux. Une image de marque, tout comme une réputation, est quelque chose qui se soigne et ce n’est jamais un travail accompli, mais un travail continu. Nous devons réfléchir à des choses à faire pour maintenir une réputation, et pas seulement pour le Canada, car il y a également une question d’image de marque pour les établissements postsecondaires de la francophonie canadienne. Pour les membres de l’ACUFC, on nous connaît beaucoup moins que les établissements postsecondaires du Québec. C’est une réalité; il y a certainement du travail de positionnement à faire et une image de marque à bonifier également.
La sénatrice Clement : Merci beaucoup.
M. Tardif : Comme je l’ai dit, je suis au Maroc en ce moment. J’ai vu beaucoup d’étudiants au cours des trois derniers jours et je peux confirmer que les étudiants sont vraiment attirés par le Canada et ont une bonne opinion du Canada. En général, ceux et celles qui ont entendu parler du processus de visa ont quand même une bonne image du pays, mais pas de notre système de visa.
Le président : D’accord. On se dirige tranquillement vers la fin. J’aimerais vous poser une question sur la politique en matière d’immigration francophone. Le projet de loi C-13 contient une disposition qui demande au ministre de l’Immigration de créer une politique d’immigration francophone. Je vous écoute depuis le début et je constate qu’il y a un nombre incroyable d’intervenants qui sont impliqués. Vous êtes des établissements postsecondaires, mais vous êtes devenus malgré vous des spécialistes en immigration, et vous travaillez sur votre territoire avec d’autres réseaux et d’autres autorisations.
Avez-vous des recommandations à nous faire sur ce que devrait contenir la politique d’immigration francophone en matière d’appui à la coordination et à la cohérence des interventions en matière d’immigration dans les régions? On a entendu par le passé des témoins dire qu’il faut régionaliser l’immigration. Il faut développer des stratégies plus régionales par rapport à l’immigration.
Avez-vous des conseils ou des recommandations à faire sur qui devrait être responsable dans les régions, étant donné qu’il y a un certain nombre de joueurs? Qui assume le rôle de coordination dans vos régions? Ma question, de façon générale, est la suivante : avez-vous des recommandations à faire pour assurer une meilleure cohérence dans les travaux en matière d’immigration dans les régions francophones?
M. Tardif : Une fois les étudiants sur place ou avant même leur arrivée?
Le président : Avant, pendant et après.
Mme Losier : Pour l’avant, j’aimerais comparer cela à une foire de recrutement. Lorsque nous participons à des foires de recrutement, nous sommes nombreux à être l’un à côté de l’autre, et on nous demande si nous sommes en compétition l’un contre l’autre et pourquoi nous collaborons pour venir aux salons.
On se dit que chaque personne et chaque institution ont leurs particularités qui vont rejoindre ce qu’une personne recherche. Donc, une personne va raisonner avec ce que je dis de l’Université de Hearst ou avec ce que M. Tardif va dire de l’Université Sainte-Anne, du CCNB ou de l’Université de Saint-Boniface. En ce qui a trait à la régionalisation, il faut laisser les gens faire briller leur région et décider. C’est un peu comme l’ACUFC, qui cherche à collaborer ou à appuyer les francophones hors Québec, surtout ceux qui sont dans de petites communautés et qui ont besoin de quelque chose pour avoir leur place et pour être considérés à parts égales avec des destinations plus connues comme Montréal, Toronto et Vancouver. Je vais laisser mes collègues parler sur la question.
M. Perron : Je vais commencer avec une mise en garde. Il faut comprendre que l’éducation internationale et le recrutement d’étudiants internationaux sont l’une des stratégies qui appuient l’immigration francophone. Ce n’est pas l’unique stratégie. Cela veut dire que l’Université de Saint-Boniface fait partie du réseau d’immigration francophone, qui compte plus de 15 différents organismes du Manitoba. Quand on va en arriver à régionaliser l’immigration, on devra travailler avec nos partenaires communautaires qui font partie de la grande stratégie de l’immigration francophone au Manitoba.
J’abonde dans le même sens que Mme Losier en ce qui concerne les préarrivées. Lors de l’arrivée, il y a une harmonisation entre l’éducation internationale et l’immigration. Je vais descendre d’une coche : il y a aussi une harmonisation à l’intérieur des instances fédérales, comme IRCC, les ambassades, les douanes, mais tout cela semble parfois désharmonisé. Il y a des défis également dans le fait d’arriver au pays et de traverser la frontière, pour ensuite se rendre dans les communautés.
Je ne crois pas avoir vraiment répondu à la question.
Le président : Vous donnez un éclairage très important et pertinent.
Est-ce que quelqu’un d’autre veut intervenir?
M. Tardif : Si on pouvait former les nouveaux employés d’ambassade et les sensibiliser au fait qu’il y a un fait français à l’extérieur de la ville de Montréal, on aurait déjà fait une partie du travail. Je ne crois pas que ce soit par méchanceté, mais plutôt par ignorance. Les ambassades ne savent pas qu’on existe et d’ailleurs même au Canada, certains ne savent pas qu’on existe. On a du travail à faire à l’intérieur du Canada, mais je crois que les ambassades peuvent nous aider à faire ce travail à l’extérieur du Canada. On le fait par le biais de missions à l’étranger, mais l’ambassade pourrait nous aider en sachant que nous existons et ce que nous sommes.
La deuxième chose ne s’applique pas nécessairement juste aux étudiants, mais à tout ce qui a trait à l’immigration. Les sites du gouvernement canadien sont les moins sexy de la planète, et c’est très difficile d’y naviguer pour trouver l’information que l’on cherche si on ne sait pas où la trouver. Par exemple, comment faire une demande de visa? Il y a une liste, mais pas d’hyperlien. On doit trouver l’endroit où l’on doit faire ce qui figure dans la liste. On dirait que les personnes qui ont construit ce site n’ont jamais vu de sites Web auparavant. Je crois que faciliter la navigation sur le site Web pourrait aider à faire moins d’erreurs. Cela ne s’applique pas qu’à nous.
Le président : Merci, monsieur Tardif. Monsieur Toro Lara, voudriez-vous ajouter quelque chose?
M. Toro Lara : Je ne vais pas répéter ce que mes collègues ont déjà dit, mais je crois qu’il est important et qu’il est temps que le gouvernement reconnaisse les établissements d’enseignement postsecondaire, pas seulement comme des établissements d’enseignement, mais également comme des partenaires de choix pour ce qui touche l’immigration. Nous sommes des établissements de bonne foi. Nous cherchons des candidats de bonne foi. On a intérêt à travailler ensemble. On vise les mêmes objectifs. La recommandation que je ferais, c’est qu’on devrait collaborer et nous considérer comme des partenaires afin de pouvoir travailler ensemble.
Le président : Monsieur Toro Lara, monsieur Perron, madame Losier, monsieur Tardif, merci beaucoup de vos interventions et du travail important que vous faites. Vos réflexions vont nous aider à rédiger notre rapport sur la question de l’immigration francophone.
Chers collègues, nous allons conclure là-dessus. Je veux vous rappeler que la semaine prochaine, le 28 novembre, nous commencerons notre séance à 16 heures pour la terminer à 19 h 45.
Merci beaucoup à vous tous. Bonne semaine et merci de vos interventions.
(La séance est levée.)