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OLLO - Comité permanent

Langues officielles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 29 mai 2023

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité; et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonsoir à tous. Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.

[Traduction]

Avant de commencer, j’aimerais inviter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui à se présenter.

[Français]

Le sénateur Dalphond : Pierre Dalphond, du Québec.

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l’Ontario.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Poirier : Bienvenue. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

Le président : Merci, chers collègues. J’aimerais vous souhaiter à tous la bienvenue, et aussi à tous les téléspectateurs qui nous regardent.

J’aimerais souligner que la réunion se déroule sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe.

Ce soir, nous poursuivons notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité. Durant la première partie de la réunion, nous sommes heureux d’accueillir ici : M. Walter Duszara, président; et Mme Katia Toimil-Bramhall, directrice générale, d’Aînés Action Québec. Par vidéoconférence, nous accueillons Mme Tenisha Valliant, présidente du Centre de ressources de la communauté noire.

Bonsoir et bienvenue parmi nous. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations préliminaires, en commençant par M. Duszara. Nous passerons ensuite à la période de questions des sénateurs et des sénatrices.

Walter Duszara, président, Aînés Action Québec : Monsieur le président, sénatrices et sénateurs, merci de nous avoir invités à discuter avec vous de cet important dossier.

Aînés Action Québec est un organisme provincial à but non lucratif voué à la défense des besoins des aînés anglophones du Québec. Nous soutenons et rassemblons les organismes communautaires anglophones, en plus de collaborer avec eux, afin de protéger et d’accroître la vitalité, le bien-être et la santé des aînés anglophones. Nous travaillons en partenariat et en harmonie avec des groupes communautaires, des institutions et des organismes du gouvernement afin de cerner les besoins, les écarts et les lacunes relatifs à la prestation de services aux aînés anglophones. Nous élaborons et proposons des solutions et des options stratégiques, en collaboration avec nos partenaires, pour combler ces besoins. Nous surveillons les conséquences des lois, des politiques et des programmes sur les aînés anglophones. Nous travaillons avec tous les ordres du gouvernement pour cerner et régler les défis et les problèmes stratégiques auxquels les aînés anglophones sont confrontés.

Nous croyons que chaque effort, chaque mesure et chaque geste qui permet de cerner les besoins particuliers des aînés anglophones du Québec, de réagir puis de répondre à ces besoins, contribue de façon positive non seulement à la vitalité de nos propres communautés, mais aussi à celle de toutes les communautés du Québec.

Tout récemment, la pandémie a frappé sans avertir et a semé la mort et les difficultés sans distinction chez tous les êtres humains, de tous les âges, dans le monde entier. Il n’y a probablement personne dans cette pièce qui n’a pas été touché ou traumatisé jusqu’à un certain point par les ravages de la pandémie que nous venons de traverser. Les réponses du gouvernement, qui se targue d’être mieux intervenu que les autres États, offrent peu de réconfort à ceux qui ont perdu des membres de leur famille ou des amis ainsi qu’au grand nombre d’entre nous qui continuent de souffrir des effets de la maladie.

Les aînés ont le plus souffert des effets dévastateurs de la COVID. Ce sont eux qui ont subi le plus d’indignités et d’injustices durant la pandémie. Les faiblesses des maisons de retraite publiques et privées, des CHSLD, des centres d’hébergement et des salles d’urgence des hôpitaux ont été révélées au grand jour, tout comme leur préparation pitoyable au début de la pandémie et dans les mois qui ont suivi. Nous ne devons jamais l’oublier.

La pandémie a bien mis en relief la fragilité, la valeur et l’importance de chaque vie humaine, et le fait que toute vie mérite dignité et justice. Nous avons tous déploré les cas de négligence et les manquements dont nous avons été témoins. Nous avons tous partagé la douleur qu’éprouvaient les familles qui ne pouvaient pas visiter ou réconforter les personnes âgées qui leur sont chères. Nous avons partagé le chagrin des familles et des amis endeuillés qui n’ont pas pu célébrer les funérailles. Nous savions tous que cela était injuste. Cela nous a tous rappelé que les maux et les maladies frappent les humains sans discernement quant à l’âge, au statut social, à l’origine ou à la langue. Il en était ainsi hier, il en sera ainsi demain et il en est ainsi aujourd’hui.

Le système de santé québécois, sans être parfait, offre des soins et des services que la génération précédente aurait été incapable d’imaginer. La plupart des citoyens du Québec ont accès à un vaste éventail de services sociaux et médicaux et à des soins connexes sur tout le vaste territoire de la province. La plupart des citoyens québécois peuvent compter sur un réseau de soutien pour accéder aux services communautaires dans leur municipalité. La plupart des citoyens québécois ont généralement peu de difficultés à obtenir de l’information sur les services offerts, et la plupart peuvent exprimer leurs besoins au personnel dans les divers établissements où ils reçoivent des services de santé. La plupart des citoyens québécois se sentent à l’aise et bien accueillis dans leurs divers établissements, mais pas tous.

La langue est souvent le plus important obstacle à l’accès et la plus grande source de détresse. Les Québécois anglophones ont souvent de la difficulté à accéder aux soins de santé et aux services de soutien associés, en particulier — quoique pas exclusivement — à l’extérieur de la région métropolitaine de Montréal. Le personnel professionnel et de soutien unilingue francophone, les services d’information en français, les ressources d’information sur les soins de santé et les formulaires en français constituent des obstacles insurmontables pour beaucoup de gens. Les aînés anglophones sont les plus vulnérables, dans ce contexte, parce qu’ils ne maîtrisent souvent pas le français.

En conséquence, nous recommandons l’élaboration de nouveaux mécanismes, de nouvelles procédures et de nouvelles perspectives qui seront adoptés par le Canada, ses provinces et ses territoires afin d’accroître l’accès des aînés de langue minoritaire aux services de santé et aux services sociaux. Ces mécanismes, procédures et perspectives cibleront directement les aînés ainsi que ceux qui travaillent en leur nom, tout en respectant les principes de la dignité et de la justice.

Nous recommandons également d’aligner ces perspectives avec la Constitution de 1946 de l’Organisation mondiale de la santé, laquelle établissait que « la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain [...] ». Le droit à la santé comprend l’accès, en temps utile, à des soins de santé acceptables, d’une quantité satisfaisante et d’un coût abordable. Cela confirmerait aussi que l’État a l’obligation de soutenir le droit à la santé, y compris en utilisant « au maximum les ressources disponibles » dans l’atteinte progressive de ce but. Cela suppose que, dans le cadre des programmes et des politiques en matière de santé, on priorise les besoins de ceux qui ont le plus de retard, pour être le plus équitable possible. Cela mettrait l’accent sur le fait que les gens bénéficient du droit à la santé sans discrimination au motif de la race, de l’âge, de l’origine ethnique, de la langue ou de n’importe quel autre facteur. Aux fins de la non-discrimination et de l’égalité, l’État doit prendre des mesures pour corriger toute loi, pratique ou politique discriminatoires. Il doit réitérer qu’une approche axée sur les droits nécessite une participation réelle, c’est-à-dire qu’il faut s’assurer que les intervenants nationaux, y compris les parties ne relevant pas de l’État, comme les organismes communautaires, participent pleinement à toutes les étapes de l’élaboration des programmes, des mesures, des analyses, de la planification, de la mise en œuvre, de la surveillance et de l’évaluation.

Nous serons heureux de collaborer avec vous et avec les autres afin d’étudier ensemble plus en détail ces recommandations.

Merci.

Le président : Merci de nous avoir présenté votre déclaration, monsieur Duszara.

Tenisha Valliant, présidente, Centre de ressources de la communauté noire : Distingués membres du Sénat, chers collègues, je m’adresse à vous aujourd’hui avec énormément de respect et de gratitude. Je suis consciente du travail important que vous accomplissez pour servir les Canadiens et les Canadiennes. C’est un honneur pour moi de prendre la parole devant votre comité pour approfondir ce sujet crucial, qui a énormément d’intérêt pour nos communautés de langue minoritaire : les services de santé dans la langue de la minorité.

Je suis fière de servir le Centre de ressources de la communauté noire, ou le CRCN, en tant que sa présidente. Nous sommes un organisme à but non lucratif qui, depuis 1994, s’emploie à servir la population anglophone noire du Québec. En plus d’être présidente de l’organisme, j’ai aussi une riche expérience en développement communautaire.

Aujourd’hui, je suis heureuse de pouvoir braquer les projecteurs sur le programme social et de santé intergénérationnel du Centre de ressources de la communauté noire. Il s’agit d’une initiative transformatrice visant à améliorer la vie et la santé des aînés de notre communauté, en leur offrant une gamme diversifiée d’ateliers et d’activités.

Avant de commencer à parler de nos programmes, je dois absolument exposer et vous faire comprendre le contexte général dans lequel nous les offrons. Comme beaucoup d’entre vous le savent, les communautés de langue minoritaire de notre pays se heurtent à des obstacles uniques au moment d’accéder aux services de santé et sociaux, et les membres âgés de notre communauté anglophone noire le savent et le ressentent au plus haut point. Il peut être tout particulièrement difficile pour les communautés de langue minoritaire d’accéder aux services de santé. Les barrières linguistiques créent souvent des obstacles, empêchent les fournisseurs de soins de santé et les patients de communiquer efficacement, ce qui peut entraîner des malentendus, des diagnostics erronés et des traitements inadéquats et, au bout du compte, nuire à l’état de santé des membres de ces communautés.

Selon les statistiques fournies dans un rapport publié par le CRCN dans le cadre du projet de recherche Black in Quebec — Noir au Québec —, 14 % des Québécois anglophones ne sont pas du tout satisfaits de leurs expériences dans le système de soins de santé au Québec.

En outre, la compétence culturelle joue un rôle de premier plan dans la prestation des soins de santé, et c’est pourquoi, bon nombre de nos aînés ont dit avoir de la difficulté à collaborer avec les fournisseurs de soins de santé, qui comprennent mal les nuances culturelles, les valeurs et les croyances qui façonnent les expériences et les comportements des communautés noires de langue minoritaire qui demandent des soins de santé. Beaucoup de nos aînés nous ont parlé de leurs expériences et de leurs craintes face aux risques potentiels auxquels ils s’exposent, et cela peut avoir comme effet de miner la confiance, l’engagement des patients et l’efficacité générale des interventions en santé.

La raison d’être fondamentale de ce projet est un engagement à fournir aux participants des expériences mobilisatrices et éducatives qui donneront à nos aînés la capacité non seulement de briser l’isolement social et linguistique ressenti par un si grand nombre d’entre eux, mais aussi de les aider à naviguer avec confiance dans les systèmes de santé et sociaux du Québec, lesquels sont offerts principalement en français.

Enfin, j’aimerais souligner que nous entretenons de précieux partenariats avec les intervenants de la communauté, y compris les stagiaires du Collège Dawson, qui collaborent avec le programme étudiant du CRCN pour aider les aînés à comprendre les divers programmes de santé et sociaux. Un programme à mentionner est celui du service de transport adapté offert par la Société de transport de Montréal. De nombreux aînés nous ont dit qu’ils avaient de la difficulté à communiquer dans ce système et avec son personnel. Cela reflète tristement les difficultés auxquelles ils se heurtent lorsqu’il n’y a pas de services de traduction complets. Les obstacles linguistiques peuvent empêcher les personnes âgées d’accéder à des services et à du soutien essentiels, et ils se sentent par conséquent exclus et marginalisés. Grâce à nos partenariats, en particulier notre partenariat avec les stagiaires du Collège Dawson, nous fournissons de l’aide et un soutien crucial à nos aînés pour qu’ils puissent surmonter ces difficultés, apprendre à naviguer dans le système et utiliser efficacement le service de transport. Cette collaboration met aussi l’accent sur le besoin pressant d’améliorer les services de traduction et les mesures d’adaptation pour veiller à ce que tous les aînés aient un accès équitable aux ressources et aux services essentiels.

En conclusion, honorables sénateurs et distingués participants, je tiens à exprimer ma profonde gratitude d’avoir été invitée à témoigner devant le comité aujourd’hui. Cette discussion sur les services de santé dans les langues minoritaires est de la plus haute importance, et je suis reconnaissante que vous vous soyez engagés à trouver des solutions aux problèmes des communautés de langue minoritaire. Au CRCN, nous réclamons plus de fonds et de soutiens pour des programmes de services de santé de langue minoritaire adaptés aux besoins uniques des communautés de langue minoritaire. Des ressources et un financement adéquats permettront aux organismes comme le nôtre de poursuivre leur travail, d’accroître leur portée et d’offrir des services complets ainsi que d’améliorer les résultats en matière de santé pour les communautés marginalisées.

Le président : Merci, madame Valliant, de votre déclaration.

Avant que les sénateurs commencent à poser leurs questions, j’aimerais demander aux membres présents dans la salle de bien vouloir éviter de trop s’approcher du micro; si vous le faites, veuillez enlever votre oreillette. Nous éviterons ainsi la rétroaction acoustique, qui pourrait nuire au travail du personnel du comité dans la salle.

Je propose, pour le premier tour, d’accorder à chaque sénateur cinq minutes pour poser des questions et écouter les réponses.

La sénatrice Poirier : Merci à tout le monde d’être ici et merci de vos déclarations. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Voici ma première question — et vous pouvez tous répondre — : avez-vous reçu du soutien du gouvernement fédéral, dans le cadre du Programme pour les langues officielles en santé de Santé Canada? Avez-vous reçu du financement, peu importe le montant?

M. Duszara : Pas en tant qu’organisme, non. Nous avons reçu du financement de Patrimoine canadien, mais pas de Santé Canada.

La sénatrice Poirier : Quelles étaient vos attentes pour ce qui est de l’accroissement du financement des soins de santé en anglais qui était prévu dans le Plan d’action pour les langues officielles de 2023-2028?

M. Duszara : Pour parler au nom de mon organisme, nous n’avons aucune attente à cet égard. Nous reconnaissons que les ressources qui ont été distribuées à nos collègues sont probablement inadéquates, compte tenu de l’évolution des circonstances depuis les trois ou quatre dernières années et de l’augmentation des coûts. Une réalité que tous nos collègues ont vécue dernièrement est que les ressources ne suivent pas le rythme de l’augmentation des coûts et que, en conséquence, nous en demandons toujours plus aux bénévoles. L’une des conséquences de la pandémie est que moins de gens sont prêts à faire du bénévolat. L’un des groupes avec qui nous avons discuté nous a dit qu’il avait un effectif de 150 bénévoles avant la pandémie et que cela suffisait à peine à combler ses besoins, et qu’il n’en a maintenant plus que 60. Il y a eu des conséquences dramatiques dans de nombreuses circonstances. Par conséquent, nous pouvons seulement demander une augmentation appropriée du financement, de A à Z, pour tous les organismes.

La sénatrice Poirier : Est-ce un défi présentement pour les établissements de santé dans les collectivités de trouver des professionnels et du personnel soignant qualifiés, capables de communiquer dans les deux langues? Est-ce un défi?

M. Duszara : Je pense que, dans le système, c’est un défi d’avoir suffisamment de professionnels pour offrir des services en général. Il semble y avoir une pénurie de personnel infirmier, de personnel médical, de personnel divers; c’était très évident durant la pandémie. Si vous ajoutez à cela le besoin d’avoir du personnel médical anglophone et bilingue, c’est un défi encore plus grand, et cela, pour tous les établissements de la province.

Un autre problème pour nous est qu’il y a beaucoup de documents et d’informations qui ne sont pas offerts aux patients dans la langue de leur choix, c’est-à-dire en anglais dans le cas de notre communauté. Un bon nombre de règlements et de lois adoptés au Québec au cours des 30 ou 40 dernières années font en sorte qu’il est plus difficile pour la communauté anglophone d’avoir accès à des services médicaux adaptés à ses besoins. C’est un problème complexe.

Mme Valliant : J’aimerais faire un commentaire sur la capacité du personnel actuel du système de santé de parler aux patients en anglais. Pour répondre à votre question, je dois dire non, parce que chaque fois que nous entendons des membres de notre communauté ou que nous leur parlons, le problème est toujours qu’il n’y a pas suffisamment d’accès aux services dans leur langue. Je dirais donc la même chose.

La sénatrice Poirier : A-t-on regardé du côté de l’enseignement postsecondaire au Québec, pour ce qui est d’aider à recruter du personnel et à encourager les étudiants à étudier en anglais, pour qu’ils puissent répondre aux besoins? Est-ce qu’il y a assez de places? Est-ce que c’est une possibilité?

M. Duszara : Je ne crois pas avoir la compétence de m’exprimer là-dessus au nom de notre organisme.

La sénatrice Moncion : Ma question porte sur l’information sur les soins de santé donnés. D’après ce que nous avons entendu, la situation que vous décrivez au Québec est la même en Ontario et dans d’autres régions du Canada. Avez-vous des statistiques et des données sur les problèmes d’accès aux services pour les Québécois anglophones?

M. Duszara : Nous avons récemment présenté un mémoire au gouvernement du Québec expliquant quels sont, à notre avis, les problèmes précis de la communauté anglophone. C’est entre les mains du gouvernement maintenant, à l’heure actuelle, et il l’étudie dans le cadre de l’élaboration de son prochain plan d’action sur les services aux aînés du Québec. Nous pourrions vous transmettre ce document, si vous le voulez.

Ce que je peux dire, c’est qu’en matière d’accès, la situation est variable. Le problème est plus prononcé dans les régions, parce que les collectivités sont plus petites et que les gens oublient parfois qu’il y a des anglophones dans toutes les régions du Québec. Il n’y a aucune région où il n’y a pas d’anglophones.

Un autre facteur important à garder à l’esprit, à l’égard des aînés, est que les aînés anglophones se retrouvent souvent dans des communautés restreintes, c’est-à-dire que leurs enfants et leurs petits-enfants vivent souvent loin du village où eux-mêmes vivent et ne sont donc pas disponibles en tant qu’aidants de première ligne lorsque les aînés ont des problèmes ou des troubles de santé ou qu’ils sont malades. Il y a des groupes communautaires locaux pour soutenir les aînés, des groupes communautaires anglophones, et ils font activement ce qu’ils peuvent, mais, je le répète, ils n’ont pas suffisamment de ressources. Il n’est pas inhabituel qu’un résident de Gaspé doive se rendre à Québec pour obtenir des services médicaux; c’est un trajet d’une journée en avion. Il n’y a plus de train désormais. Parfois, le centre hospitalier le plus proche d’un village se trouve à 100 kilomètres. Si vous n’avez personne pour vous conduire, vous ne pourrez pas vous y rendre. C’est l’incapacité de conduire qui a de lourdes conséquences pour les aînés. À un certain moment, vous ne pouvez plus conduire vous-même, et lorsque ce moment arrive, vous êtes pratiquement complètement isolé.

À mesure qu’ils vieillissent, les aînés perdent leurs réseaux de soutien, leurs amis et leurs collègues, et ils deviennent de plus en plus isolés. C’est un véritable problème dans beaucoup de municipalités, puisque les aînés vivent de plus en plus vieux. Ce n’est pas un problème nouveau que la collectivité vient de cerner; c’est un problème récurrent, qui est devenu maintenant très préoccupant, et pourtant, nous semblons incapables d’avoir une bonne discussion à ce sujet. Nous avons des discussions avec des chiffres, des fonctionnaires et des statistiques, mais pas sur les valeurs et les conséquences sur la vie humaine.

C’est une dimension que nous avons mentionnée dans notre déclaration préliminaire. Nous pensons que nous devons pouvoir échanger différemment. Nous devons pouvoir communiquer ensemble en tant qu’êtres humains. Nous devons pouvoir respecter les préceptes que nous nous sommes engagés à respecter en signant la Déclaration des droits de la personne. Nous devons pouvoir soutenir les approches selon lesquelles la santé est un droit de la personne. Je sais que ce n’est pas un droit dans notre Constitution, et je sais que c’est un grand pas à franchir, mais nous pourrions au moins aligner notre discours, la façon dont nous échangeons, de façon à respecter la notion que les gens ont un droit et que ce n’est pas un service qui est offert à une personne par une instance supérieure.

Tout être humain devrait avoir le même accès au Québec aux services que tous les autres êtres humains au Québec paient avec leurs impôts, mais la réalité est que ce n’est pas le cas. La réalité, c’est qu’il y a des gens qui souffrent, parce qu’ils n’y ont pas accès. Notre collègue vient de le mentionner il y a à peine quelques minutes. Il y a des gens qui souffrent et qui n’ont pas accès aux services, alors que leurs voisins, oui, et c’est tout simplement injuste. Nous devons pouvoir en discuter franchement, en étant réceptifs et en évitant d’invoquer les règles et les règlements. Nous devons regarder les conséquences des règles sur les êtres humains.

Il y a quelques semaines, la juge Abella a abordé le sujet dans une déclaration, ou alors lors d’une entrevue. Elle a dit que les lois ne sont que des règles. Ce sont les conséquences qu’elles ont sur les êtres humains qui font qu’elles sont justes ou non. Il y a des gens qui subissent aujourd’hui des injustices et des indignités, pendant que nous sommes ici à cause des barrières linguistiques qui existent, qui n’ont pas à exister et qui ne devraient pas exister, selon nous. Il ne devrait y avoir aucune discussion à teneur politique sur les langues quand il est question des services de santé. Cela ne devrait pas être un obstacle. C’est tout simplement injuste.

La sénatrice Moncion : Merci. J’allais justement vous poser une question sur l’écoute du gouvernement. À quel point le gouvernement est-il ouvert ou fermé aux changements?

M. Duszara : Parfois, j’ai l’impression que les gens disent les bonnes choses, quand on leur parle, mais que, lorsqu’il est temps de voir les services sur le terrain, ils n’y sont plus. Il y a toujours des arguments et des obstacles, mais ce sont eux qui élèvent des barrières, redéfinissent les objectifs et imposent des restrictions, ou alors ils disent que c’est à quelqu’un d’autre de s’en occuper. Au bout du compte, rien ne change. C’est comme le jour de la marmotte. C’est cela, notre problème. Nous avons l’impression que, si nous ne changeons pas et si nous n’agissons pas différemment, rien ne va se faire, et le jour de la marmotte va recommencer. Les choses ne changent pas.

Mme Valliant : Vous avez parlé des statistiques et des données. Une chose que nous avons faite, au Centre de ressources de la communauté noire, c’est essayer de recueillir des données ventilées selon la race, parce que je représente une communauté de minorité linguistique, mais aussi des minorités visibles. Dans le système de santé québécois, on ne recueille pas des données ventilées selon la race. Nous travaillons dur pour recueillir des données sur les expériences des personnes de la communauté noire anglophone en particulier. Nous espérons que nous aurons quelques statistiques pour appuyer les arguments que nous présentons ici aujourd’hui.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma première question s’adresse à M. Duszara. Je vous ai entendu parler de gens qui ont de graves problèmes de santé et qui doivent partir de la Gaspésie pour aller se faire soigner à Québec.

J’aimerais savoir si c’est seulement un problème linguistique ou si c’est plutôt un problème de ressources en matière de santé, parce que j’entends beaucoup parler de ces problèmes de ressources au Québec, que ce soit pour des gens qui parlent français, anglais ou toute autre langue. Vous semblez souligner que c’est seulement une question linguistique. J’aimerais que vous nous donniez un peu plus de détails à ce sujet.

[Traduction]

M. Duszara : Il y a un manque de ressources dans toute la province. Toutefois, si vous vivez dans une collectivité où il y a un centre de santé, un CLSC ou un centre médical, et que le personnel, malgré les limites avec lesquelles il doit travailler, peut communiquer avec vous en français parce que vous êtes francophone, alors cela veut dire que vous avez accès aux services offerts. L’anglophone qui ne parle pas français ne peut pas accéder à ces mêmes ressources, parce qu’il n’y a personne pour faire l’interprète, et il n’y a personne pour lui expliquer quoi que ce soit, parce que personne n’a les compétences linguistiques pour cela. Par conséquent, un unilingue anglophone, peu importe sa situation, a accès à moins de ressources, disons, malgré les services qui sont offerts. Cela ne veut pas dire qu’il y a globalement un manque de ressources ou de services. C’est simplement qu’on peut dire qu’il y a une sorte de parti pris contre les unilingues anglophones. Les enfants qui vivent à Sherbrooke peuvent consulter un orthophoniste à Sherbrooke s’ils sont francophones, mais les enfants anglophones ont peu d’accès à ce genre de services et doivent aller à Montréal. Cela vaut aussi pour les services psychologiques ou psychiatriques. Si vous êtes francophone, peut-être que vous allez être sur une liste d’attente pendant des mois, mais pour un anglophone, cela peut être pendant des années.

Le système est injuste, et cela fait des années et des années qu’il y a cette injustice dans le système; ce que nous proposons, désormais, c’est de prendre de nouvelles mesures pour régler cette situation, d’une façon qui respecte la dignité des droits de la personne et des êtres humains et les principes de la justice que nous nous sommes engagés à respecter en tant que pays. Nous disons que nous avons une société juste; c’est une vieille expression, mais certains d’entre nous nous en rappelons encore.

[Français]

La sénatrice Mégie : Madame Valliant, vous avez parlé plus tôt de l’aide que le Collège Dawson offre à la communauté anglophone. De quelle nature est cette aide? Offre-t-on de la formation postsecondaire ou met-on des organismes sur pied? Dites-nous un peu comment cela se passe.

[Traduction]

Mme Valliant : Essentiellement, dans le cadre de notre partenariat avec le Collège Dawson, nous avons des stagiaires, des étudiants du Collège Dawson, qui font un stage au Centre de ressources de la communauté noire et qui offrent leurs services à notre directeur des programmes pour les aînés. Au cours des trois dernières années, cela s’est développé, et les stagiaires mettent à profit leur expérience en travail social en particulier pour soutenir les aînés noirs anglophones. Ils leur offrent du soutien de toutes sortes de façons. Par exemple, et j’en ai parlé plus tôt, ils aident un certain nombre d’aînés de nos groupes à s’orienter dans le système de transport adapté de la STM. Quand les stagiaires sont arrivés au CRCN, durant l’été, et ont tenté de régler la situation des aînés — les problèmes urgents et d’actualité à ce moment-là —, ils ont constaté que les aînés appelaient pour obtenir les services de la STM, pour avoir du transport pour des rendez-vous médicaux, etc., mais que, quand ils appelaient, ils ne comprenaient pas. Personne ne leur parlait en anglais, alors ils disaient : «Oubliez ça; je ne vais pas le faire; je n’ai pas le temps. » Vous voyez le genre de réaction. Donc, l’année dernière en particulier, les stagiaires ont décidé de mettre en commun des ressources pour enseigner aux aînés et leur donner la capacité de naviguer dans le système, dans l’éventualité où ils devraient l’utiliser sans pouvoir être servis en anglais. Donc, c’est un peu un service de soutien au cas par cas que nous offrons à nos membres âgés, mais cela est offert par les stagiaires. Les étudiants viennent au CRCN, évaluent les besoins au moment de leur stage, puis fournissent des services de soutien aux participants âgés.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Clement : Bonsoir, et merci à tous les témoins.

Madame Valliant, je m’intéresse à ce que vous disiez à propos de l’intersectionnalité, quand vous avez répondu à la question de la sénatrice Moncion au sujet des données et de la collecte de données. Nous devons recueillir des données. Si vous ne mesurez rien et ne comptez rien, comment pouvez-vous montrer à ceux qui vous donnent des fonds et au gouvernement quelles sont les lacunes ou quels sont les besoins en matière de ressources? J’aimerais savoir de quelles ressources vous disposez pour faire la collecte des données dont vous parliez et de quoi vous auriez besoin pour en faire davantage à cet égard. C’est ma première question.

Aussi, quel genre de collaboration maintenez-vous avec les organismes qui offrent des services aux anglophones à Montréal ou à Québec? Par exemple, avez-vous un partenariat avec Aînés Action Québec ou d’autres organismes? Vous avez parlé du Collège Dawson, mais quel est votre réseau, en général?

Mme Valliant : Je dirais que, au cours des trois dernières années, nous avons eu la chance d’obtenir du financement à la fois du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux pour soutenir nos efforts de recherche et réunir des données fondées sur la race. Nous sommes fiers d’avoir des données qui proviennent du Centre de ressources de la communauté noire, ou CRCN, et je me ferai un plaisir de les communiquer au comité. Un des projets de recherche en particulier, appelé « Black in Quebec », met en lumière la situation des Québécois noirs anglophones au chapitre de la santé, de l’éducation, de l’accès à la justice et de l’emploi.

Cependant, les ressources sont limitées, et le personnel qualifié doit être payé pour mener cette recherche. Nous voulons que la recherche soit solide. Cette recherche a pris fin, et il fallait faire des pieds et des mains pour obtenir plus de financement pour la poursuivre et l’approfondir. Nous voulons poursuivre la recherche, car nous ne voulons pas simplement un instantané de 2019. Nous voulons pouvoir continuer de mettre à jour ces données.

Actuellement, nous misons sur les stages. Nous nous appuyons sur les jeunes communautés anglophones de Montréal pour nous soutenir dans la collecte de données. En fait, nous avons un projet qui commencera dans deux ou trois semaines, où des stagiaires, des jeunes, de jeunes Noirs qui s’intéressent à la recherche nous aideront à recueillir des données au moyen de consultations et de sondages. Je n’hésite pas à dire qu’il nous faut simplement davantage de subventions et de possibilités de financement pour constituer un dossier, accéder à ces ressources et embaucher des personnes qualifiées pour nous aider à mener cette recherche. C’est la clé.

Je dirais également que, en ce qui concerne notre collaboration avec nos intervenants et les autres organismes et institutions communautaires, le CRCN a établi un partenariat avec le Collège Dawson, l’Université Concordia et l’Université McGill, pour mener des recherches et fournir des services. Cependant, plus important encore, surtout en ce qui concerne la façon dont nous offrons des services à nos aînés en matière de santé, nous nous sommes appuyés sur l’expertise des organismes communautaires, des entreprises et des professionnels de notre communauté et les avons invités à venir dans notre organisation et parler à nos aînés. Une infirmière noire anglophone qui travaille au Glen est venue parler aux aînés et leur a expliqué comment présenter une plainte si les services reçus ne sont pas à la hauteur ou ne leur sont pas fournis dans la bonne langue. Quelles démarches faut-il faire pour porter plainte auprès de l’hôpital, par exemple? Comment contacter l’ombudsman? Des représentants de salons funéraires sont venus parler aux aînés — pas nécessairement de la santé — et leur ont dit ce qu’il faut faire, comment rédiger un testament et comment se préparer à la mort. Nous avons donc tiré profit des experts de notre communauté qui sont venus fournir de l’information aux aînés, surtout dans le cadre du programme où nous parlons des services de santé.

La sénatrice Clement : Monsieur Duszara, votre déclaration préliminaire était très intéressante. Ma mère est décédée pendant la pandémie dans un hôpital de Montréal. C’était très difficile. C’était difficile de communiquer, d’obtenir ce dont nous avions besoin, d’organiser les funérailles et de faire tout cela, alors je vous comprends. Parfois, je me demande si nous comprenons bien les effets durables de la pandémie.

Vous avez dit dans votre déclaration préliminaire que vous auriez des propositions concernant la surveillance et l’évaluation. J’aimerais que vous exploriez davantage cette question et donniez plus de détails sur ce que vous voulez dire par là. Je vous poserai également la même question sur la collaboration avec d’autres organisations anglophones du Québec.

Katia Toimil-Bramhall, directrice générale, Aînés Action Québec : Nous sommes encore une organisation relativement jeune. Je suis la deuxième directrice générale. Nous rattrapons un peu le temps perdu, car, pendant la pandémie, nous étions tous confinés. C’était difficile d’avoir des discussions et d’aller rencontrer des organismes. Nous sommes en train de rattraper ce retard. Nous parcourons beaucoup de kilomètres.

De manière indirecte, l’ironie de la pandémie, c’est que, étant donné que nous étions confinés et que nous travaillions sur des projets, pendant ce temps, nous avons pu parler à des organisations au sujet de leurs programmes et des difficultés, indirectement. Il y a eu beaucoup de choses à apprendre en 2020-2022. Cependant, pour aller de l’avant, nous discutons activement et nous essayons de comprendre les réalités dans toute la province. La grande région de Montréal a des défis et des réalités qui lui sont propres, mais les choses sont complètement différentes dans d’autres régions du Québec. Comme vous l’avez dit, il y a le défi des ressources, mais, si vous y ajoutez le défi de la langue, les choses passent à un autre niveau, pas seulement pour les civils ou les résidants — les citoyens —, mais pour les organisations qui travaillent directement avec ces aînés.

Une chose qui revient sans cesse — et nous en avons parlé —, c’est le financement, mais c’est également les services de traduction que les organisations fournissent par défaut. Si quelqu’un appelle une organisation et lui demande comment faire quelque chose et qu’elle n’a pas la réponse en anglais, quelqu’un trouvera quelqu’un d’autre pour traduire. C’est un autre facteur qui s’ajoute aux ressources limitées et au stress, si l’on veut, que vivent nos organisations et notre personnel. C’est une chose que nous avons constatée pendant la pandémie. J’ai commencé à travailler à Aînés Action Québec en décembre 2019. C’était très intense au début de la pandémie. Des gens nous appelaient pour nous demander : « Que devons‑nous faire? Où devons-nous aller? À qui devons-nous parler? »

M. Duszara : Votre question comporte deux parties. En ce qui concerne nos partenariats, nous travaillons en étroite collaboration avec toutes sortes d’organisations, dans la province. Sur l’île de Montréal, il y a eu une table de concertation qui a rassemblé près de 30 organisations qui fournissent des services directs aux aînés de la région.

La première question qui m’a été posée concerne les ressources. Nous ne recevons pas de ressources de Santé Canada en tant que tel, en tant qu’organisation. Cependant, nous avons des besoins, et nous voulons en particulier pouvoir être plus engagés dans l’élaboration des politiques, la recherche et les communications avec les communautés et les groupes d’organisations avec qui nous travaillons. En tant qu’organisation, nous sommes actuellement en train d’élaborer un plan stratégique pour l’avenir qui changera notre façon de travailler. Nous sommes actuellement une organisation qui travaille en collaboration avec des membres individuels, à la base. Nous voulons maintenant travailler avec des membres organisationnels afin d’avoir une idée encore plus précise de ce qui se passe dans les différentes communautés. Québec est une immense province, mais la communauté anglophone est petite. On se croise partout où l’on va. C’est ainsi. Il nous faut des ressources pour faire le travail que nous voudrions faire. Nous ne les avons pas pour le moment.

J’aimerais faire un commentaire concernant la question sur les données : je me rappelle une phrase d’Einstein. Il a dit : « Ce qui compte ne peut pas toujours être compté, et ce qui peut être compté ne compte pas forcément. » Nous passons parfois beaucoup de temps à ressasser les mêmes types d’informations et nous n’explorons pas et n’abordons pas d’autres domaines qui nécessiteraient une réflexion plus approfondie. C’est une chose que nous gardons à l’esprit dans notre travail. Nous ne voulons pas compliquer le travail. Nous ne voulons pas dupliquer le travail. Nous ne voulons pas faire des choses que d’autres font déjà. Nous demandons aux gens de partager leurs informations avec nous comme nous le faisons avec eux. Nous devons être en mesure de travailler de manière collaborative à l’avenir.

[Français]

Le sénateur Mockler : Félicitations à vous trois d’avoir pris le temps de venir nous voir et de porter vos inquiétudes à notre attention.

[Traduction]

J’ai quelques questions concernant certaines des recommandations que vous avez formulées, monsieur Duszara. Vous avez recommandé que de nouveaux mécanismes et de nouvelles procédures et perspectives soient élaborés et adoptés par le Canada. Pourriez-vous expliquer? Pourriez-vous nous donner quelques exemples de ce qui se passe actuellement et de ce que vous voudriez voir à l’avenir?

M. Duszara : Tout cela est dans le projet de loi C-13.

Le sénateur Mockler : C’était ma prochaine question.

M. Duszara : Tout revient à ça. Oui, il y a eu de nombreux intervenants dans le débat sur le projet de loi C-13, comme il y en a pour d’autres projets de loi. Cependant, de nombreuses voix étaient absentes. Nous étions absents, par exemple. À ma connaissance, on n’a pas directement consulté les aînés. On n’a pas consulté bon nombre des organisations qui travaillent sur le terrain, de manière générale. Elles sont présentes, mais elles sont également absentes.

Les mécanismes que nous avons mis en place pour pouvoir parler aux gens sont souvent difficiles pour les gens. N’oubliez pas que bon nombre de ces organisations sont gérées par des bénévoles. Ce sont de bonnes personnes qui ont bon cœur qui ont fait de bonnes choses dans leur communauté, mais, si vous leur demandez de venir parler devant un tribunal, ou devant une assemblée comme celle-ci, elles se figent. Elles fuient. Nous avons besoin de gens qui parlent en notre nom pour cela. Nous n’avons pas les ressources pour le faire.

Dans le secteur de la santé — je parlerai du secteur de la santé du Québec —, des comités sur l’accès étaient présents. Nous avons eu de la difficulté à trouver des membres pour les comités. Les comités sur l’accès vont maintenant être plus éloignés encore en raison des répercussions du projet de loi 96. Il y a des préoccupations à cet égard.

Ce qui se passe, c’est que, en tant que citoyens — et dans ce cas, je limiterai mes réflexions aux aînés et aux questions de santé —, en tant qu’aînés, en tant que citoyens qui ont contribué toute leur vie à cette société, au bout du compte nous ne pouvons pas nous faire entendre, nous n’avons pas d’endroit ou de plateforme où exprimer nos besoins et nos désirs et être écoutés. Souvent, la discussion est d’ordre juridique ou bureaucratique et ne tient pas compte de l’aspect humain. Nous suggérons qu’il faut changer cela dans tous les domaines.

Je sais que la santé est un système extrêmement complexe. C’est complexe. La façon dont nous gérons la santé au Canada, en tant que pays, est encore plus complexe qu’ailleurs. Je sais que la santé relève de la compétence de la province, mais il devrait y avoir certains éléments et certaines lignes directrices qui s’appliquent à tout le monde.

Quand vous avez affaire à des personnes, écoutez-les. Donnez‑leur la possibilité de s’exprimer. Ces dernières années, nous avons fait un excellent travail en discutant avec les communautés autochtones et en parlant des questions et des problèmes qu’elles ont vécus pendant des décennies. Il y a des problèmes qui touchent les aînés anglophones qui n’ont pas de voix dans nos provinces. C’est une occasion pour nous de nous exprimer, et nous l’apprécions. Nous devons être en mesure de parler non seulement à vous, mais à la machine bureaucratique appelée Santé Canada. Nous devons être en mesure de parler au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Nous avons besoin qu’une porte nous soit ouverte, et pas après coup. Nous le disons souvent : « Il y avait une blessure, vous avez mis un pansement. Nous n’avons pas besoin de pansement. Nous avons besoin d’un chirurgien. » C’est trop tard. Nous devons pouvoir revenir et dire : « Nous avançons. Nous examinons ce que nous avons appris. Cela nous a beaucoup affectés. »

Je vais m’arrêter. J’ai vu que vous avez levé les mains. Je ne veux pas occuper la tribune davantage.

Le sénateur Mockler : C’est parce que le président surveille mon temps.

Madame Valliant, avez-vous des commentaires sur la question que j’ai posée?

Mme Valliant : Non. Les autres témoins y ont bien répondu. Merci.

Le sénateur Mockler : Vous pouvez tous les deux répondre à ma prochaine question. Vous avez mentionné le projet de loi C-13.

M. Duszara : Oui.

Le sénateur Mockler : Avez-vous lu le projet de loi C-13 et ses répercussions?

M. Duszara : Nous avons parcouru le projet de loi C-13. Nous avons vu certains de ces éléments. Peut-être que Mme Toimil-Bramhall peut en parler un peu plus. Avez-vous certains des articles qui s’y trouvent?

Mme Toimil-Bramhall : Non, j’ai le plan d’action.

M. Duszara : Le plan d’action? D’accord.

Notre plus grand problème avec le projet de loi C-13, c’est qu’il semble intégrer le projet de loi 96. Il semble intégrer et inclure les éléments du projet de loi 96 qui donnent le plus de fil à retordre aux anglophones. Les répercussions qu’il pourrait avoir sur les aînés pourraient vraiment leur nuire, à l’avenir.

Je vais vous donner un exemple dont j’ai entendu parler il y a à peine deux mois. Un monsieur de 93 ans vit seul chez lui. Très bien, tout va bien. Il tombe et se casse la hanche. C’est très grave pour une personne âgée. Il est conduit à un hôpital de Montréal. Il obtient les services et l’aide dont il a besoin. Il ne peut pas être transféré dans un foyer pour personnes âgées, car il n’y a pas de place pour lui. Il reste à l’hôpital. Cet hôpital se trouve sur l’île de Montréal, mais il n’a pas le caractère bilingue qu’ont tous les hôpitaux. Ce pauvre monsieur est tout seul dans sa chambre, entouré de membres du personnel qui ne peuvent pas — et certains ne veulent pas — lui parler en anglais. En réalité, il est isolé. En quoi cela va-t-il l’aider à guérir et à aller de l’avant? Le monsieur qui s’occupait de lui est au bout du rouleau. Il ne peut rien faire pour lui. Il voit cet homme dépérir jour après jour. C’est un exemple, et c’est sur l’île de Montréal.

Le sénateur Mockler : Madame Valliant, vous a-t-on consultée, et avez-vous examiné le projet de loi C-13, qui a des répercussions sur la fourniture de services de santé aux gens?

Mme Valliant : Non, je n’ai aucun commentaire sur ce projet de loi.

Le sénateur Mockler : Monsieur Duszara, vous avez formulé des recommandations, et elles mettent certainement en évidence quelques-uns des défis que vous rencontrez. Vous avez proposé quelques solutions, et je pense que c’est bien. Le gouvernement fédéral vous a-t-il consulté au sujet du projet de loi C-13 pendant le processus? Le gouvernement du Québec vous a-t-il consulté sur son projet de loi sur la langue?

M. Duszara : On ne nous a pas directement consultés au sujet du projet de loi C-13, en tant qu’organisation.

Nous faisons partie du QCGN, le réseau des groupes communautaires du Québec. Nous avons parlé du projet de loi 96 dans le cadre de nos webinaires et de nos réunions. On s’est fait entendre à l’interne, mais on n’a pas participé à la discussion nous-mêmes. En ce qui concerne le Québec, non. Nous avons travaillé en collaboration avec certaines des organisations qui relèvent du ministère de la Santé du Québec, mais nous n’avons parlé directement d’aucun des aspects du projet de loi 96 avec le ministère de la Santé du Québec.

Le président : J’ai quelques questions avant de passer à la seconde série de questions.

Ma première question sera pour Mme Valliant. Vous avez parlé de la nécessité d’avoir des services culturellement adaptés. Pourriez-vous nous donner plus d’information à ce sujet? Que faut-il faire? Quels sont les problèmes au chapitre des services qui ne sont pas culturellement adaptés?

Mme Valliant : Ce que nous disent souvent les membres aînés, c’est qu’ils estiment que, quand ils rencontrent un professionnel de la santé et lui parlent, la façon dont les professionnels communiquent et les mots qu’ils utilisent ne sont pas traduits de la manière dont ils devraient l’être selon eux. Un grand nombre de nos membres noirs anglophones sont d’origine caribéenne. Quand nous parlons de la culture de nos membres, nous parlons des gens qui viennent des Caraïbes et qui ont peut‑être une autre façon de parler et de communiquer, et ils ont l’impression d’être incompris. C’est ce qu’ils nous disent.

Je sais que cela va au-delà des services de santé, mais les gens qui visitent les résidences pour personnes âgées ou ceux qui vivent dans des résidences disent que la nourriture n’est pas le type de nourriture qu’ils aiment, ni la musique ni les activités. Ce sont les principaux exemples que je peux vous donner sans entrer dans les détails des histoires de nos membres.

Le président : Que faut-il faire? Avez-vous des propositions sur la manière d’aborder ces difficultés? Cela concerne-t-il les programmes des résidences, ou les ressources humaines?

Mme Valliant : Ce que nous espérons voir, c’est que la direction et les responsables qui supervisent le recrutement, l’intégration et les programmes soient conscients qu’il existe diverses communautés qui ont des réalités, des expériences, une histoire et un patrimoine culturel différents, et qu’ils consultent ces communautés ou se renseignent davantage à leur sujet.

Les communautés dont nous parlons sont plus petites. Nous parlons de la communauté anglophone du Québec, puis nous la ramenons à la communauté des minorités visibles. Oui, cette communauté devient plus petite, mais la communauté noire constitue toujours une population importante au sein de la communauté de langue minoritaire. En tant que professionnels, il est important de faire ce pas de plus pour se renseigner, comprendre et tenter de répondre aux besoins.

Le président : Je vous remercie.

Monsieur Duszara, je vous ai entendu dire qu’il faut se parler différemment. J’entends dans cette affirmation la nécessité de consulter différemment. Avez-vous des suggestions sur la façon de changer les choses pour améliorer notre façon de nous parler?

M. Duszara : Oui, à plusieurs niveaux.

On a posé la question tout à l’heure à propos du projet de loi 96. Malheureusement, les gens peuvent interpréter le projet de loi 96. Selon certains, le projet de loi 96 leur donne la permission de ne pas être polis envers les personnes anglophones. On en voit des exemples. Nous avons entendu parler d’un cas, la semaine dernière, quand nous rendions visite à un groupe communautaire à Québec. Une femme âgée se présenta à l’hôpital et est accueillie par quelqu’un à la porte, une sorte de portier, qui lui demande « pourquoi ne parlez-vous pas français? » Elle a essentiellement été harcelée et sermonnée par cette personne au point de fondre en larmes, et elle a eu besoin de l’aide des gens qui l’entouraient. Il n’y a pas de ligne de démarcation entre le projet de loi 96 et ce type de comportement. Cependant, si on pense à ce que l’on voit et qu’on nous rapporte régulièrement, il semble que ce type de comportement, dans l’esprit de certaines personnes, est acceptable. C’est inacceptable.

L’une des façons dont nous aurions pu améliorer la participation et la communication aurait été que nos dirigeants politiques fassent un commentaire à ce sujet pour dire : « On ne fait pas ça. Ce n’est pas correct. Ne faites pas ça aux gens, peu importe où vous êtes. Si une personne ne parle pas français, ce n’est pas de vos affaires. Servez la personne du mieux que vous pouvez. Vous n’avez pas le droit de maltraiter les gens ou d’être injuste envers eux. » C’est le début.

Le deuxième point, c’est que nous commençons à recevoir des invitations, au début des processus, et nous en sommes heureux. Dans le passé, nous recevions souvent des invitations après l’apparition des problèmes, et on nous appelait pour mettre un pansement sur quelque chose qui nécessitait une plus importante intervention. Nous ne voulons pas des solutions provisoires. Nous voulons travailler en collaboration avec le gouvernement et les institutions pour élaborer des solutions adaptées dès le début. On ne peut pas faire cela si on est invités à la table après que tout le monde l’a quittée. C’est une façon d’aller de l’avant.

L’autre façon d’aller de l’avant en tant que communauté, c’est de renforcer notre capacité à participer à ce niveau de discussion avec le gouvernement et les institutions. On ne peut pas le faire avec de simples bénévoles, sauf si l’on a de la chance, et que le bénévole s’avère être un avocat ou un médecin, mais cela n’arrive pas tous les jours. Parfois, c’est une mère, un agriculteur, un pêcheur ou quelqu’un qui a travaillé dans le métier. Ce sont eux, les bénévoles. Ils n’ont pas l’habitude de travailler de cette façon. Les organisations doivent avoir la capacité d’embaucher des gens et des fournisseurs de services et pouvoir engager une véritable conversation fondée sur les preuves, les données et les informations recueillies, et d’une façon qui permet aux gens de participer à la conversation. C’est une chose que nous devons faire.

Plus important encore, nous avons besoin que nos interlocuteurs nous respectent en tant que partenaires valables, utiles et appropriés pour développer des services qui nous permettent d’avancer. L’expertise n’est pas l’apanage de l’institution. L’expertise en matière d’aide se trouve dans la communauté, et la communauté doit participer. Dans notre province, nous constatons de plus en plus que la participation de la communauté est occultée au profit d’une tour d’ivoire d’experts qui vous disent comment faire les choses et ce qui est le mieux pour vous. Nous voyons cela dans le secteur de l’éducation, et maintenant dans celui de la santé.

La sénatrice Moncion : Ce que vous nous dites, monsieur, nous l’entendons partout au Canada, de l’autre côté. À un moment donné, il existe des solutions avec lesquelles nous devons travailler pour régler la situation, car c’est injustifié dans notre pays, partout dans notre pays, que vous soyez Français, Anglais ou de toute origine ethnique.

M. Duszara : Je suis tout à fait d’accord avec vous sur ce point.

Le président : Monsieur Duszara, madame Toimil-Bramhall et madame Valliant, merci beaucoup pour vos exposés. Cela aidera notre étude.

Pour notre second groupe de témoins, ce soir, nous sommes heureux d’accueillir en personne Mme Joanne Pocock, conseillère en recherche, et par vidéoconférence, Mme Sarah Bowen, conseillère en évaluation et en recherche appliquée.

Bonsoir et merci de vous joindre à nous. Nous allons maintenant entendre vos déclarations préliminaires, et une période de questions et réponses suivra. Madame Pocock, vous avez la parole.

Joanne Pocock, conseillère en recherche, à titre personnel : Monsieur le président, et mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial, je suis heureuse d’être ici aujourd’hui. Je vous remercie de m’avoir invitée.

Je suis chercheuse et je me suis spécialisée dans l’étude des communautés anglophones du Québec, et plus précisément leur accès aux services sociaux et de santé. Une grande partie de mon travail s’inscrit dans le cadre des déterminants sociaux de la santé qui, bien sûr, comprennent l’accès aux services de santé et aux services sociaux.

Dans ma recherche, j’ai beaucoup travaillé avec les données du recensement, en particulier les variables socioéconomiques, et avec des données d’enquête sur l’accès aux services sociaux et de santé en anglais, par exemple l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, ainsi qu’une enquête menée tous les deux ans auprès de 3 000 anglophones dans tout le Québec.

Dans ma déclaration préliminaire, j’aimerais attirer votre attention sur quelques points essentiels qui éclaircissent la situation au Québec.

Même si les Canadiens ont pour objectif un système de santé universel, quand il s’agit de la langue et de l’accès aux services sociaux, tout n’est pas égal. Au Québec, la garantie d’accès aux services en anglais est énoncée dans une série de programmes d’accès régionaux qui s’appuient sur l’esprit d’initiative, l’attitude proactive et la contribution des organismes communautaires. La mise à jour de la version actuelle des plans devait se faire en 2021, mais le gouvernement ne l’a pas encore approuvée, et les changements proposés au système des services sociaux et de santé du Québec pourraient avoir pour effet la réduction de la contribution des communautés anglophones à ces plans d’accès, ce qui, bien sûr, pourrait réduire l’accès déjà limité dont elles bénéficient. De plus, les programmes d’accès s’appuient sur les ressources — humaines, techniques, financières — du système des services sociaux et de santé, qui varient considérablement d’une région à l’autre.

Prenons les institutions désignées, c’est-à-dire celles qui sont reconnues par la Charte de la langue française; nous constatons que, sur les 25 territoires du Québec, 13 n’ont aucune institution désignée, 5 n’en ont qu’une seule et 7 en ont plus d’une. Même lorsqu’il existe des services garantis, des lacunes liées aux langues subsistent.

La proportion d’anglophones travaillant dans le domaine de la santé et des services sociaux — soit 10,7 % — est beaucoup plus faible que sa proportion de la population active, qui est de 15,6 %. Les services de traduction ne sont pas disponibles dans les établissements désignés. L’accessibilité des documents du système médical, tel que les informations sur la santé ou les formulaires de consentement en anglais n’est pas assurée, et peut également entraîner un retard de service. Le manque de professionnels de la santé et de personnel issu de la communauté linguistique minoritaire se traduit par l’absence d’un réseau informel qui s’étend à la communauté, par exemple, les conseils d’une infirmière qui sait comment utiliser le système de manière informelle en fournissant ces informations dans la communauté, ou des médecins siégeant au conseil d’administration d’un hôpital qui représentent la communauté au sein du système. Cela est moins probable étant donné la faible proportion de professionnels bilingues.

Le statut socioéconomique est reconnu internationalement comme un déterminant clé de la santé. Les taux de faible revenu, les taux de chômage et la probabilité de vivre sous le seuil de faible revenu, qui est une mesure de la pauvreté, sont d’autant plus problématiques dans la communauté anglophone comparativement à leurs homologues de la majorité francophone, et ces écarts se sont creusés au fil du temps. Par exemple, le taux de chômage dans le Québec anglophone était élevé — il était de 8,9 % en 2016 —, alors qu’il était de 6,9 % chez les francophones. Selon le dernier recensement de 2021, le taux de chômage des francophones reste stable à 6,9 %, tandis que celui les anglophones a augmenté pour atteindre 10,9 %. Le faible statut socioéconomique est un indicateur important d’une plus grande probabilité de problèmes de santé et d’un recours accru au système de santé. Prenons quelques exemples.

Pour les personnes âgées de 65 ans, quoique les personnes âgées, je le remarque, ont été présentées... déménagent dans une résidence conçue pour les personnes âgées, le choix n’est plus vraiment un choix. Si elles veulent recevoir un service en anglais, elles devront se tourner vers des services prévus au coût moyen de 5 000 $ et plus par mois, ou si leur famille et elles ont des faibles revenus et doivent s’inscrire sur la liste des résidences moins coûteuses dans le secteur public, elles devront accepter que le personnel ne parle pas nécessairement anglais. En d’autres termes, le service en anglais pourrait être considéré comme un luxe que seuls certains peuvent s’offrir et non comme un droit que chacun peut exercer.

Pour les parents de jeunes enfants, pour lesquels un diagnostic et un traitement rapides des troubles de l’apprentissage sont essentiels, il est coûteux de se déplacer hors de la région pour avoir accès à des évaluations en anglais. Ensuite, bien sûr, le suivi du traitement est moins probable que pour ceux qui n’ont pas à débourser ce coût.

Les jeunes anglophones ont été particulièrement touchés par la pandémie. L’accès aux services de santé mentale en anglais n’est généralement pas disponible ou, encore une fois, il est offert à un prix exorbitant.

En ce qui concerne les besoins en matière de recherche, je mentionnerais l’absence de point de vue linguistique dans la recherche en santé et la nécessité d’être attentif aux différences parfois importantes entre les régions du Québec. Le Québec est un territoire trois fois plus grand que la France, et les régions varient énormément au chapitre de la santé et des services, des débouchés économiques... la liste est longue.

Il convient de noter que deux personnes sur cinq — soit 40 % des anglophones — vivent en dehors de l’île de Montréal. Il s’agit souvent d’endroits ruraux éloignés où les populations sont dispersées. Leurs besoins varient, et ils doivent être servis différemment des anglophones des centres urbains où les services sont plus centralisés.

Nous savons que l’expérience des personnes parlant une langue minoritaire diffère de celle de la population majoritaire, mais la recherche gouvernementale et la base de données des administrateurs de la santé utilisent rarement la langue comme variable indépendante.

Je vais m’arrêter là.

Le président : Merci, madame Pocock.

Sarah Bowen, conseillère en évaluation et en recherche appliquée, à titre personnel : Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de m’avoir donné la possibilité de m’adresser à vous aujourd’hui.

Je suis titulaire d’un doctorat en sciences de la santé communautaire. J’ai travaillé comme chercheuse à la fois dans le système de santé et en tant que membre du personnel enseignant de l’École de santé publique de l’Université de l’Alberta. Mes recherches ont porté sur la santé des populations mal desservies et plus particulièrement sur l’analyse et la synthèse des données sur les répercussions des barrières linguistiques sur la santé et les soins de santé. J’ai publié un certain nombre d’articles sur ce sujet, en commençant par un rapport pour Santé Canada en 2001, et j’ai mis à jour ce travail dans plusieurs projets ultérieurs.

Les droits aux services linguistiques diffèrent selon les quatre groupes linguistiques minoritaires du Canada : les locuteurs de langues officielles vivant en situation minoritaire, les locuteurs de langues autochtones, les immigrants parlant des langues autres que l’anglais et le français et les personnes utilisant la langue des signes. Cependant, la recherche montre que la répercussion des barrières linguistiques est similaire dans ces diverses populations.

Il existe des preuves solides et cohérentes des répercussions négatives des barrières linguistiques, au chapitre non seulement de l’accès et de la réception des services de santé à proprement parler, mais aussi des activités de promotion et de prévention comme le traitement des maladies chroniques, le dépistage du cancer, l’accouchement et les programmes d’éducation. Les personnes qui ne parlent pas couramment la langue dominante sont également exposées à des obstacles en ce qui concerne les informations ambiantes, telles que les informations sur la santé diffusées par les médias. Les obstacles sont particulièrement importants en période d’urgence, comme lors de la pandémie de COVID.

Une barrière linguistique augmente considérablement les risques de diagnostics erronés et des traitements peu adaptés. Il ne peut y avoir de soins sûrs, équitables ou éthiques sans une communication claire. Dans une analyse que j’ai entreprise pour l’Office régional de la santé de Winnipeg, j’ai constaté que sur les 31 risques pour la sécurité des patients qui avaient été cernés, 26 sont directement liés aux barrières linguistiques. Les risques dus aux barrières linguistiques peuvent augmenter en raison du vieillissement. Les personnes âgées perdent souvent la maîtrise de leur deuxième langue, même si elles ont vécu et travaillé toute leur vie dans la langue dominante.

Outre les risques directs pour les patients, faire abstraction des barrières linguistiques nous affecte tous. Si la demande de soins est retardée, des services plus intensifs peuvent être nécessaires. Une barrière linguistique est souvent associée à une utilisation accrue des ressources et à une plus longue durée d’hospitalisation. Les visites répétées, les évaluations supplémentaires et les traitements à la suite de complications contribuent à l’inefficacité d’un système de santé déjà sous pression. Les organisations sont également exposées au risque de ne pas obtenir un consentement éclairé ou de ne pas protéger la confidentialité des informations des patients, ce qui constitue d’autres risques liés aux barrières linguistiques qui ne sont pas prises en considération. Faire fi des barrières linguistiques est coûteux.

La recherche fournit également des données sur la façon adéquate de s’attaquer aux barrières linguistiques. S’il est généralement admis que les services de santé fournis dans la langue préférée du patient constituent la meilleure réponse et celle qui est la plus sûre si le fournisseur de soins parle couramment la langue du patient, cela n’est pas toujours possible. Dans ce cas, la mise à la disposition du patient de services d’interprétation professionnels et confidentiels est un excellent second choix. Malheureusement, ces services sont souvent indisponibles, ce qui exige de faire appel à des membres de la famille, à des bénévoles ou à d’autres solutions ponctuelles. Cette solution comporte de nombreux risques.

Malgré les résultats probants des recherches menées au Canada et à l’étranger, les décideurs sont encore peu conscients des risques liés aux barrières linguistiques. L’un des principaux défis aujourd’hui est de promouvoir la reconnaissance des preuves de ces risques, non seulement pour les patients, mais aussi pour le système de santé lui-même. Il est également nécessaire de travailler à une collecte de données plus précise et plus cohérente, non seulement sur la langue du patient, mais aussi sur la prestation de soins dans la bonne langue. Cela est nécessaire pour permettre une recherche solide sur ce sujet important.

Merci. Je n’ai pas préparé de documents supplémentaires pour le comité, mais beaucoup de mes articles et exposés sont disponibles, certains sont traduits, et je serais heureuse de fournir la liste complète au comité.

Le président : Merci, madame Bowen et madame Pocock. Nous passons maintenant aux questions.

La sénatrice Moncion : Ma question s’adresse à Mme Pocock. Vous êtes l’auteure d’un article publié en 2021 dans la revue Minorités linguistiques et société intitulée « Quebec’s English-Speaking Community and the Partnership Approach of Its Networks in health », et vous faisiez référence à cette étude. Dans cet article, vous soulignez l’importance et le potentiel de la formation de réseaux et de partenariats pour améliorer l’accès aux services de santé publics pour les communautés des langues officielles en situation minoritaire. Pourriez-vous nous parler de ce réseau sur la santé et les services ainsi que des différents partenariats qui existent actuellement au Québec? Quelles sont les formules gagnantes pour améliorer l’accès aux services par ces partenariats et quels sont les défis?

Mme Pocock : Merci de votre question.

Je sais que vous avez reçu un dossier du Réseau communautaire de santé et de services sociaux, le RCSSS, et dans cet article, il présente essentiellement le modèle que j’explore pour le partenariat et le travail en réseau. Le RCSSS est une organisation provinciale qui se considère comme un réseau. Il regroupe 22 réseaux au Québec. C’est ce qu’on appelle son initiative de réseautage et de partenariat, sa NPI, désolée pour l’acronyme, mais vous comprenez en quelque sorte pour quoi nous pouvons l’appeler un réseau. Ils sont situés dans toutes les communautés régionales que j’ai mentionnées. L’un des avantages de ce réseau tient à sa capacité de travailler avec les communautés régionales et de comprendre la nature de ces communautés et la façon dont elles sont différentes les unes des autres.

Le partenariat, c’est que ces organisations communautaires, dont certaines existent depuis longtemps, sont historiquement présentes dans leurs régions, mais elles ont maintenant pour mandat d’améliorer la situation en matière de santé et de services sociaux, et sont donc typiquement connues par leur communauté locale, en particulier la communauté linguistique minoritaire. Dans leur approche de partenariat, les organisations s’adressent au système de santé, et j’ai mentionné les comités d’accès régionaux. Ils sont proactifs en participant à ces comités et en s’y immisçant. Certains d’entre eux deviennent des leaders de ces comités, même s’il s’agit d’un comité créé par le système, si vous voulez. Grâce à ces comités, ils participent à la planification de l’accès aux services sociaux et services de santé en anglais. Dans tous les cas, ils fournissent une base de données concernant les communautés anglophones et leurs besoins en matière de santé, à laquelle le comité n’aurait pas accès autrement.

Le RCSSS et moi-même, avec un financement de Santé Canada — bien sûr, il n’y a jamais assez de financement —, avons travaillé pendant une vingtaine d’années à l’élaboration d’une base de données probantes en utilisant des données de recensement, des données d’enquête, des entretiens, des consultations, des panels et j’en passe. Nous avons réussi à obtenir une base de données variant d’une région à l’autre et nous avons examiné et suivi ces changements au fil du temps. Grâce aux données de l’enquête, nous sommes en mesure d’examiner l’expérience au sein du système lui-même. Nous nous penchons sur cinq situations médicales, notamment les médecins dans une clinique, la situation aux urgences et la manière d’accéder à l’information.

Nous avons outillé ces organisations, chacune participant à un réseau, pour qu’elles fournissent cette base de connaissances aux comités d’accès régional, qui ont ensuite bien accueilli ces connaissances parce qu’ils ont pour mandat de fournir des services en anglais, en particulier là où il y a des institutions désignées, évidemment. C’est là que commence le partenariat. Ils travaillent ensemble et s’appuient de plus en plus l’un sur l’autre. De plus en plus, les organisations communautaires sont appelées à fournir des informations sur la communauté locale afin qu’elles puissent ensuite élaborer les programmes appropriés à la communauté.

L’un des résultats de ce réseautage et de ce partenariat est ce que l’on appelle le modèle de liaison. Il s’agit d’avoir des intervenants-pivots, comme on les appelle parfois. Des travailleurs des services d’approche accompagnent les membres de la communauté, car l’organisation est bien placée pour jouer le rôle de médiateur entre la communauté et le système. Ils connaissent la communauté et ses besoins, et maintenant ils connaissent le système et les difficultés auxquels les professionnels de la santé sont exposés lorsqu’ils essaient, en fait, de remplir leur mandat et de fournir ces services. Ces agents de liaison accompagnent les membres de la communauté. Ils sont très proactifs dans tous les domaines du système médical. Ils peuvent se présenter dans une salle d’urgence, qui se trouve être l’endroit où les anglophones se présentent fréquemment parce que, comme Mme Bowen l’a souligné, en raison des retards qu’ils subissent, ils poussent souvent leurs problèmes médicaux jusqu’à un point de crise. Ils se retrouvent alors aux urgences, et la probabilité de trouver un service en anglais est en fait faible, et, bien sûr, il est très coûteux pour le système, comme Mme Bowen le soulignait également, de traiter les problèmes lorsqu’ils atteignent ce niveau.

Le modèle de partenariat a préparé le terrain pour la possibilité d’avoir un intervenant pivot, une personne qui peut accompagner un membre de la communauté d’expression anglaise et l’aider à naviguer dans le système, qui, pour lui, comme vous l’avez entendu, n’est qu’un labyrinthe, et l’aider au point de service à traduire des documents, à y accéder, à littéralement comprendre ce qui se passe, à comprendre le diagnostic et ce que le traitement suppose, par exemple.

Ai-je répondu à votre question?

La sénatrice Moncion : Oui, et c’est très bien. Vous avez dit qu’ils reçoivent des fonds de Santé Canada?

Mme Pocock : Le RCSSS reçoit des fonds de diverses sources, et je ne suis pas une experte en la matière. Je laisserai Jennifer Johnson en parler, mais je sais que leur NPI ou que le programme de ce réseau est au moins en partie financé par Santé Canada, oui.

La sénatrice Moncion : Merci.

La sénatrice Poirier : Merci à vous deux d’être avec nous aujourd’hui. Je vous en suis très reconnaissante.

Une grande partie de ce que nous entendons concerne non seulement la minorité anglophone du Québec, mais aussi les minorités francophones de l’ensemble du pays. Il semble qu’il y ait des problèmes partout. Nous entendons souvent dire que, parfois, l’argent pourrait être utile, avec davantage de financement. En même temps, on nous dit aussi que même si le financement était là, vous le remettez en question et vous vous demandez si nous avons la main-d’œuvre nécessaire partout au pays pour être en mesure d’offrir suffisamment de services dans les deux langues officielles.

Cela m’amène à une question que j’aimerais poser. Elle peut s’adresser à Mme Bowen et à vous aussi, si vous voulez y répondre. Que pensez-vous des nouvelles technologies de la santé, des défis et des possibilités d’améliorer l’accès aux soins de santé dans la langue de son choix? Pensez-vous que la technologie des soins de santé pourrait améliorer la situation, surtout en cas de pénurie de main-d’œuvre? Est-ce quelque chose que nous pouvons faire et qui serait utile?

Mme Pocock : Pourriez-vous nous donner un exemple de la technologie des soins de santé dont vous parlez?

La sénatrice Poirier : Eh bien, en ce moment... je ne sais pas si c’est le cas partout au pays. Je sais que les soins de santé relèvent normalement des provinces. Je sais, par exemple, qu’au Nouveau-Brunswick, lorsque vous entrez dans le système de soins de santé — nous sommes une province officiellement bilingue — n’importe quel médecin de la province peut avoir accès à votre dossier, où que vous alliez. Grâce aux nouvelles technologies, comme eVisitNB et d’autres, les gens peuvent se connecter et parler à un médecin en ligne grâce à la nouvelle technologie plutôt que se rendre directement au cabinet du médecin. Parfois, si vous vous trouvez dans une région éloignée où la langue de votre choix n’est pas disponible, la technologie pourrait peut-être vous offrir un endroit dans votre propre province pour parler à quelqu’un dans la langue de votre choix, du moins comme première étape. Certains problèmes médicaux peuvent être réglés sans qu’il faille se déplacer.

Pour ce qui est des personnes âgées, cela devient toutefois un problème — j’en suis consciente — parce que c’est quelque chose de nouveau auquel elles ne sont pas habituées. Certaines d’entre elles, en fonction de leur âge, ne comprennent pas cette nouvelle technologie. Elles ne savent pas comment s’y connecter. Elles se sentent dépassées, et ce n’est donc pas toujours la solution.

Dans certaines régions, nous avons du mal à recruter la main-d’œuvre dont nous avons besoin dans la langue choisie par le patient. Les fonds sont peut-être là, mais nous n’avons pas la main-d’œuvre. Je me demande s’il s’agit d’un défi ou d’une occasion?

Mme Bowen : Je pense qu’il y a des occasions qui s’offrent.

Il existe deux approches principales pour faire face aux barrières linguistiques. La première consiste à s’assurer que la rencontre se déroule conformément à la langue. L’autre consiste à avoir des services d’interprétation professionnels qualifiés. La technologie offre un potentiel bien plus grand que ce que nous n’avons jamais utilisé pour faire face à ces deux situations, par exemple, pour mettre en relation un locuteur d’une langue minoritaire avec une personne située dans un autre endroit pouvant fournir des soins ou des services d’interprétation qualifiés. Dans les deux cas, on pourrait faire beaucoup mieux qu’à l’heure actuelle. L’une des répercussions de la COVID-19... Je ne dirais pas qu’il s’agit d’un avantage, mais elle nous a sensibilisés davantage au potentiel de la technologie et à certains de ses inconvénients.

Les applications de traduction sont un autre domaine qui s’améliore, mais qu’il convient d’aborder avec prudence. Elles peuvent nous sauver la vie dans certaines situations, et elles sont bien meilleures qu’auparavant. Lorsque j’ai commencé à analyser cette question, je disais : « Tenez-vous-en loin, parce que les risques sont trop grands. » Elles s’améliorent, mais il faut vraiment faire preuve de prudence lorsqu’on les utilise.

Donc oui, je pense fermement qu’il y a plus de potentiel. Nous ne réfléchissons pas assez sérieusement à l’utilisation des nouvelles technologies, mais aussi à nous assurer de respecter les normes de ce que nous accepterions comme soins appropriés lorsque cela se produit.

Mme Pocock : L’une des choses qui me viennent à l’esprit est la barrière incroyable que représente le téléphone. La plainte que l’on entend très souvent est la suivante : « Nous essayons de téléphoner, et on nous envoie dans un joyeux labyrinthe de “Allez ici, appuyez sur ce bouton”, et cetera. Nous n’obtenons pas de réponse ou, lorsque nous y parvenons enfin, c’est un message dans une langue que nous ne comprenons pas. Il ne nous reste plus qu’à raccrocher et à espérer que quelqu’un communique avec nous d’une autre manière. » Cela me rend un peu sceptique quant à la technologie, simplement parce que nous savons à quel point cela est décourageant et découragera les gens de demander des services.

Soit dit en passant, je suis d’accord avec Mme Bowen pour dire qu’il faut examiner ces applications et les améliorer. J’aime l’idée de l’application pour la traduction.

Je pense qu’il est important de reconnaître les limites de la consultation en ligne, surtout avec un expert de l’extérieur de la province, voire de la région. Tout d’abord, il s’agit d’obtenir un diagnostic complet en ligne. Je pense que nous sommes tous quelque peu inhibés par cela lorsqu’il s’agit de certains types de problèmes de santé, n’est-ce pas? Cela peut fonctionner dans certains cas et pas dans d’autres. Mais le suivi doit être local. Vous allez en ligne et obtenez un diagnostic d’un médecin à distance, mais vous devez ensuite faire un suivi, savoir où faire un suivi, comment faire le suivi et où trouver des services en anglais dans le cadre de votre traitement. Pour moi, inévitablement, cela se résumera à certains des mêmes problèmes que ceux que nous connaissons.

Il est certain que l’obtention d’un diagnostic précis et la tenue d’une conversation permettant de comprendre ce diagnostic et de savoir où et comment le faire traiter sont des éléments qui manquent cruellement à de nombreux anglophones. « J’aimerais pouvoir discuter avec mon médecin. J’aimerais pouvoir quitter le rendez-vous en comprenant la langue médicale et en anglais, si possible. » En effet, même s’il s’agit de notre langue maternelle, nous pouvons tous éprouver des difficultés lorsque nous nous trouvons dans le cabinet d’un médecin. Dieu sait que vous amenez probablement votre fille, votre fils, ou n’importe qui d’autre, parce qu’il faut environ trois paires d’oreilles pour comprendre ce qui se passe, en particulier dans les situations les plus critiques.

Je peux imaginer que la technologie puisse aider dans une certaine mesure. Je pense que nous pouvons l’améliorer. Nous pouvons améliorer la capacité d’interprétation ou de traduction, mais j’ai également des doutes quant à la mesure dans laquelle cela pourrait remédier à la situation.

Mme Bowen : Je pense qu’il est très important de clarifier ce que nous entendons par technologie. Lorsque j’en parlais, je ne disais pas qu’il faut faire vivre aux gens l’enfer de la messagerie vocale, ce que beaucoup de gens ont vécu.

Regardez les exemples. Vous pourriez avoir des services psychiatriques en personne — ou presque en personne — avec un psychiatre qui parle votre langue plutôt que d’être limité à ce que vous pouvez trouver dans votre propre collectivité. Il faut être prudent, mais il y a du potentiel. Nous devons être très prudents lorsque nous parlons de « technologie ». Cela pourrait permettre aux gens d’avoir accès à des services qu’ils n’auraient pas autrement. Certaines recherches sur la technologie à distance — et on en a fait davantage pendant la pandémie de COVID-19 — montrent que, dans certaines situations, certaines personnes en sont plus satisfaites. Nous devons donc être ouverts à cette possibilité, mais l’évaluer très soigneusement au fur et à mesure que nous avançons.

Mme Pocock : Avant de passer à autre chose — je suis désolée si je prends trop de temps — il y a des programmes qui utilisent la technologie en ligne pour la recherche d’information. Pour diffuser de l’information, c’est encore très bien. Il y a des programmes où l’on dit ceci : « Réunissons la communauté. Mettons un professionnel en ligne, et il nous parlera aujourd’hui d’autisme », de cancer et d’autres choses. C’est quelque chose que le RCSSS fait depuis des années, et avec beaucoup de succès, dans le domaine de la diffusion de l’information en général. Cela favorise la conversation. Cela permet d’instaurer un climat de confiance dans le système. En ce qui concerne les mesures préventives — nous avons parlé de la différence entre une intervention chirurgicale et le fait d’apprendre à prévenir ces maladies, et cetera, avant qu’elles ne se déclarent — là encore, la technologie présente un grand potentiel et est déjà utilisée.

Le président : Merci.

La sénatrice Clement : Merci à vous deux d’être ici. Si ce n’est pas déjà fait, ce serait bien d’avoir des liens vers les recherches que vous avez toutes les deux menées dans ce domaine. C’est fascinant.

Je vais commencer par Mme Bowen. J’ai trouvé intéressant que vous disiez qu’il y a quatre catégories de barrières linguistiques, qui tiennent à la communauté immigrante, aux locuteurs de langue officielle dans les communautés minoritaires, aux langues autochtones et à la langue des signes. Avez-vous dit que les répercussions sont les mêmes? Une barrière linguistique est toujours une barrière linguistique, n’est‑ce pas? Dans tous les cas, c’est la même chose?

Mme Bowen : En fait, j’ai dit similaire, pas identique. Je dirais plutôt « groupes » que « catégories ».

Au Canada, ces groupes de locuteurs sont assujettis à des lois différentes. Ils ont accès à des types de services d’accès linguistique différents, et souvent à des défenseurs différents, et parfois les solutions qu’ils veulent sont très différentes. Je ne veux pas sous-estimer l’intersectionnalité.

Ce dont je parle, c’est la barrière linguistique elle-même. Maintenant, les choses peuvent être pires ou plus compliquées s’il y a d’autres facteurs en cause pour certaines de ces communautés. Mon expérience en tant qu’anglophone unilingue qui visite peut-être le Québec et a un problème est-elle la même que celle d’une personne autochtone qui se heurte à une barrière linguistique? Je dirais que non. Mais les répercussions de la barrière linguistique elle-même et le potentiel de risque sont là. J’ai la chance de ne pas souffrir des autres facteurs qui pourraient entrer en ligne de compte.

La sénatrice Clement : Avez-vous fait des recherches sur l’intersectionnalité et les différentes répercussions?

Mme Bowen : L’objectif de mes recherches a été d’examiner la littérature internationale, de la synthétiser et de l’interpréter dans le contexte canadien. Ai-je effectué ces recherches moi-même? Non, je ne l’ai pas fait. Est-ce que je connais les recherches dans ce domaine? Assurément.

Certaines des recherches antérieures sur les barrières linguistiques ne portaient pas sur la langue. Une bonne partie de ces recherches provenaient des États-Unis et se concentraient sur la race et l’ethnicité hispanique. Ce n’est qu’au fur et à mesure que les recherches se sont perfectionnées que l’on a tenté de démêler — et je pense que c’est la meilleure façon de le dire — les répercussions indépendantes de la langue et celles du racisme et du manque de possibilités dans certains pays, par exemple l’absence d’un système public de soins de santé. Êtes-vous dans le système privé, ou est-ce que vous n’avez rien? Les recherches les plus récentes ont bien réussi à démêler tout cela, et ce qui ressort, c’est que, dans de nombreux cas, les répercussions des barrières linguistiques sont certainement plus importantes que celles de la culture. On ne peut pas dire qu’elles sont plus importantes que celles du racisme. Dans le passé, nous avions tendance à expliquer les choses en parlant de différences culturelles ou de traiter les gens différemment à cause de leur culture. Les recherches disent que non, si vous permettez aux gens de parler pour eux-mêmes, ils vous diront ce qui est important pour eux. Ne présumez rien de leur culture. Laissez-les parler d’eux-mêmes.

La sénatrice Clement : Merci, madame Bowen.

Madame Pocock, vous avez parlé du fait que les anglophones représentent un certain pourcentage de la population québécoise, mais qu’ils sont sous-représentés dans le secteur des soins de santé pour ce qui est de la prestation de services. Je me demande ce qui justifie cela et quelles sont les répercussions, surtout dans le domaine des services de soins de santé mentale. Pourriez-vous vous prononcer à ce sujet?

Mme Pocock : Si je consulte les données du recensement et que j’examine le secteur de la santé et des services sociaux, comme l’appellerait Statistique Canada, ainsi que les diverses professions... Vous avez mentionné la santé mentale, et je note que le taux de psychologues et de psychiatres issus de la communauté anglophone est nettement inférieur à celui des francophones. Vous pouvez donc imaginer comment cela joue sur la santé mentale. C’est un domaine de la santé où la langue elle-même est un outil. C’est le remède. C’est la voie vers la guérison. Comment pouvons-nous entreprendre ces traitements et ces processus de guérison lorsque nous n’utilisons pas la même langue ou si nous ne sommes pas à l’aise dans la langue utilisée?

Il se trouve aussi que c’est un domaine où le fait d’être accompagné, d’avoir un soignant ou un membre de la famille qui vient avec vous, peut être très frustrant. Le processus est miné par la présence de mon époux dans la salle qui traduit pour moi et ainsi de suite. C’est un domaine qui ne se prête tout simplement pas à la présence d’un interprète sur les lieux et à l’utilisation d’une application sur le téléphone ou quelque chose du genre. Vous pouvez imaginer le problème.

En ce qui concerne la représentation générale des personnes issues des communautés anglophones dans le système de santé, vous demandez pourquoi il en est ainsi. Pour être franche, je ne suis pas certaine de pouvoir répondre à cette question. Ce qu’il y a avec la communauté anglophone, c’est qu’elle est très diversifiée et beaucoup plus diversifiée que son homologue majoritaire, pour ce qui est des minorités visibles, de l’appartenance religieuse, par exemple, et nous pourrions en nommer d’autres. La communauté anglophone compte beaucoup plus de nouveaux arrivants et un taux beaucoup plus élevé d’immigrants dans sa population. Comme nous le savons, beaucoup de ces personnes se heurtent à des obstacles en matière de certification et de participation dans le domaine de la santé. Beaucoup de chauffeurs de taxi arrivent ici en étant des médecins qualifiés, mais ils ne peuvent pas entrer dans le système de santé. Je sais que c’est le cas. Il est intéressant de se pencher sur cette question et de voir s’il est possible d’y remédier d’une matière ou d’une autre.

En général, la participation de la communauté anglophone au système de santé est médiocre. Il y a des craintes au sujet du système de santé. Ce n’est pas facile d’y participer. J’imagine que cela aurait une incidence sur la probabilité qu’un jeune veuille suivre ce genre de formation et participer au système. La rumeur veut que les tests linguistiques soient si rigoureux qu’ils découragent d’emblée les anglophones : ils sont trop rigoureux. Mais, encore une fois, je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Je ne veux pas prétendre savoir pourquoi le taux de participation est si faible. Je peux seulement vous dire que les chiffres le montrent.

La sénatrice Clement : Merci à vous deux de votre travail.

Le président : Merci.

Le sénateur Mockler : Aux deux spécialistes, félicitations et merci d’être venues.

J’ai quelques questions sur les connaissances que vous avez de cette histoire. J’aimerais avoir votre avis sur les points suivants : au cours des 20 dernières années, avons-nous progressé dans la fourniture de services à notre population?

[Français]

Madame Bowen, vous avez fait beaucoup de travail, semble‑t‑il, avec la Société Santé en français. Comment comparez-vous ce que la Société Santé en français offre aux personnes de langue française par rapport aux anglophones qui vivent dans une situation minoritaire à l’extérieur du Québec?

[Traduction]

Mme Bowen : Je ne suis pas vraiment en mesure de répondre à cette question, car je n’ai aucune expérience en la matière.

Le sénateur Mockler : Mais vous avez réalisé des études, selon les renseignements dont nous disposons, avec Société Santé en français?

Mme Bowen : Ils m’ont commandé l’un des rapports de recherche que j’ai réalisés. Il s’agissait d’une mise à jour de l’un des rapports que j’avais réalisés précédemment pour Santé Canada, mais je ne travaillais pas pour la SSF. J’ai également eu des interactions avec le RCSSS et j’ai fait des exposés pour lui et je l’ai consulté dans le passé. Je ne travaille pas pour une organisation particulière.

Le sénateur Mockler : Madame Pocock, souhaitez-vous commenter la question?

Mme Pocock : J’entends la question comme suit : avons-nous constaté des progrès et des améliorations?

Je vais revenir à l’approche de partenariat et de réseautage et parler des résultats qui en découlent. Il est certain qu’il y a une prise de conscience accrue à l’échelon régional à l’égard de leur système, surtout s’ils ont travaillé avec ces comités d’accès régionaux.

Il y a une prise de conscience accrue à l’égard de la situation des communautés et des patients d’expression anglaise. Lorsque les choses ont commencé pour le RCSSS il y a 20 ans — et je les ai appuyés dans le cadre de la recherche en tant que chercheure tiers — ils frappaient à la porte de ces partenaires et de ces collaborateurs potentiels, et le système de santé a été surpris de constater qu’il y avait une communauté anglophone dans la région. Ils étaient littéralement invisibles, selon la région où vous vous trouviez. Ce partenariat et cette collaboration ainsi que l’approche proactive de l’organisme communautaire qui a ouvert les portes ont commencé par la sensibilisation.

Il y a une prise de conscience accrue à l’égard des services qui sont offerts par la collectivité, une prise de conscience accrue par le système, par les professionnels de la santé et ainsi de suite, à l’égard de cette communauté locale, et ce sont donc des progrès. Pour ce qui est de ces comités régionaux où, par exemple, l’organisme communautaire fait preuve d’un tel leadership en fournissant la base de données et les connaissances dont le système a besoin pour élaborer son programme et répondre aux besoins, cela a été extrêmement important, et si je pouvais faire venir un professionnel de la santé dans la salle, il vous dirait à quel point il s’appuie sur ces organisations anglophones et à quel point ses connaissances sont améliorées. Il y a donc une amélioration à ce chapitre.

Bien sûr, il y a toutes sortes d’améliorations intangibles, comme la confiance accrue dans le système, la probabilité accrue de ne pas retarder les choses, mais de s’adresser au système pour obtenir l’aide dont j’ai besoin, et une meilleure sensibilisation au programme de prévention dans ma collectivité afin que je puisse être sur la bonne voie pour prévenir le cancer à l’avenir et ainsi de suite. J’ai noté des améliorations et une satisfaction accrue pour toutes les parties concernées. Des enquêtes ont été menées auprès des professionnels de la santé, et d’autres, qui estiment eux-mêmes qu’ils réussissent mieux dans leur travail parce qu’ils sont au courant et peuvent communiquer avec ces personnes avec lesquelles ils ne pouvaient pas gérer la situation auparavant.

Le président : Madame Bowen, vouliez-vous ajouter quelque chose?

Mme Bowen : Oui, juste un mot sur le progrès.

D’excellents efforts et initiatives ont été déployés pour répondre aux besoins en matière d’accès linguistique. Je ne vais pas parler précisément de la situation au Québec, mais dans l’ensemble du Canada et dans d’autres circonscriptions linguistiques, c’est très inégal, très irrégulier. Dans certains domaines, il y a eu très peu de progrès. Par exemple, si j’étais un immigrant qui arrive dans la plupart des endroits du Canada à l’heure actuelle, je ne pense pas que les services seraient nécessairement meilleurs qu’ils l’étaient il y a 20 ans. Je ne veux pas sous-estimer le fait qu’il y a eu des initiatives vraiment solides, mais elles ne sont pas toujours financées, elles sont très rarement intégrées à la politique du système de santé, et elles varient entre les groupes linguistiques eux-mêmes.

Le sénateur Mockler : Avec l’expérience que vous avez toutes les deux, vous connaissez le Canada, sans aucun doute. Avez-vous été consultées sur le projet de loi C-13, et si oui, quand, et quelles ont été vos recommandations?

Mme Bowen : Non, je n’ai pas été consultée.

Mme Pocock : Non, je n’ai pas été consultée.

Le président : Merci.

Nous arrivons presque à la fin de notre réunion, mais j’ai deux questions rapides, ou une question rapide et peut-être une plus ongue.

Selon vous, la langue devrait-elle être un déterminant de la santé? Nous savons que les déterminants sont pris en considération au moment de la création de programmes. Pensez‑vous que la langue devrait être un déterminant de la santé? Avez‑vous des idées à ce sujet?

Mme Bowen : Eh bien, je pense qu’il est difficile de dire que la langue est un déterminant de la santé, parce que cela dépend de l’endroit où vous êtes lorsque vous parlez cette langue. Maintenant, la capacité de communiquer dans la langue dominante est-elle un déterminant de la santé? Bien sûr, parce qu’elle influe sur l’accès et sur la qualité des soins, mais je serais très prudente en disant que la langue est un déterminant de la santé. Si vous vivez au Nouveau-Brunswick, vous avez plus de chance d’être pauvre si vous êtes francophone. Ce n’est peut-être pas le cas dans d’autres provinces. Cela dépend en fait de la langue parlée et de l’accès aux services, en plus des préjugés et des partis pris qui peuvent exister dans le système.

Mme Pocock : Il est certain que là où il y a des barrières linguistiques, nous constatons des répercussions négatives, et là où il n’y en a pas, il y a une meilleure qualité de vie et un meilleur accès aux services. Des recherches ont été menées sur la communauté francophone de l’Ontario. Il est très clair, et les preuves le soulignent, que si vous voulez vivre, et si vous voulez vivre le plus longtemps possible, vous devez vous assurer d’avoir accès à des services dans votre propre langue. La comparaison, les preuves, sont claires. Je ne sais pas si cela revient à dire que la langue est un déterminant de la santé, mais j’ai tendance à penser ainsi parce que je vois la différence entre ceux qui sont confrontés à des obstacles et ceux qui ne le sont pas. Il est certain que lorsqu’elle est associée au statut socioéconomique, par exemple, il est évident qu’elle marque la différence entre la qualité de vie et une qualité de vie moindre.

Le président : Merci.

Pour conclure, qu’est-ce que le gouvernement fédéral devrait faire de mieux en matière de transferts fédéraux ou d’autres initiatives pour aider à régler les problèmes liés aux barrières linguistiques? Avez-vous des idées à ce sujet, madame Bowen? Nous menons une étude et nous produirons un rapport qui sera transmis au gouvernement. Avez-vous des idées pour conclure ce soir?

Mme Bowen : Eh bien, évidemment, c’est très difficile, puisque la santé est une responsabilité provinciale.

Le président : Oui.

Mme Bowen : Mais je pense qu’il peut promouvoir des normes et des exigences en matière de financement pour que certaines normes soient mises en place, et aussi s’assurer que les réponses sont fondées sur des données probantes. Certaines des réponses et ce à quoi nous consacrons des fonds ne sont pas fondés sur des données probantes. Ce sont les deux suggestions que je ferais.

Le président : Merci.

Madame Pocock?

Mme Pocock : Je suis d’accord avec Mme Bowen.

Dans les modèles et l’approche en matière de santé dont je vous ai parlé, où l’on a constaté des réussites, Santé Canada a investi dans ceux-ci, et il devrait être confiant et continuer de les soutenir et, peut-être, de les soutenir encore plus qu’il ne l’a fait jusqu’à présent. Le modèle de liaison, par exemple, que j’ai suggéré, fonctionne. Il est efficace. Il semble fonctionner avec la nature de la population anglophone et ses diverses caractéristiques, et cetera.

Le président : Madame Pocock et madame Bowen, merci beaucoup de vos exposés et de cette excellente conversation. Cela nous aidera.

Mme Bowen : Je vous remercie de l’occasion que vous nous avez offerte.

Le président : Mesdames et messieurs, cela met fin à nos témoignages aujourd’hui, mais avant de terminer, nous allons passer à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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