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OLLO - Comité permanent

Langues officielles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 23 octobre 2023

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier l’application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi et pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité; et, à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick, et je suis président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.

Avant de commencer cette séance, j’inviterais les membres du comité qui sont présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma droite.

La sénatrice Poirier : Bonjour et bienvenue. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Mégie : Bonjour. Marie-Françoise Mégie, du Québec.

La sénatrice Clement : Bonjour. Bernadette Clement, de l’Ontario.

La sénatrice Moncion : Bonjour. Lucie Moncion, de l’Ontario.

[Traduction]

Le président : Bienvenue à vous tous et à ceux et celles qui nous regardent des quatre coins du pays. J’aimerais souligner que je participe à cette réunion depuis le territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe.

[Français]

Ce soir, nous accueillons le commissaire aux langues officielles, M. Raymond Théberge, pour discuter de plusieurs sujets, notamment du rapport annuel du Commissariat aux langues officielles de 2022-2023, ainsi que de notre étude portant sur les services de santé dans la langue de la minorité, et enfin, nous ouvrirons la discussion afin de discuter des suivis de l’adoption du projet de loi C-13, la Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois. Nous vous souhaitons la bienvenue, monsieur Théberge, ainsi qu’à vos collaborateurs. Merci d’avoir accepté notre invitation.

Nous sommes prêts à entendre vos remarques préliminaires, qui seront suivies d’une période de questions des honorables sénateurs et sénatrices. La parole est à vous.

Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Merci, monsieur le président. Honorables sénateurs et sénatrices, bonjour.

Je tiens d’abord à souligner que les terres sur lesquelles nous sommes réunis font partie du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe, un peuple autochtone de la vallée de l’Outaouais.

C’est avec plaisir que je me joins à vous aujourd’hui pour vous présenter mon rapport annuel de 2022-2023 et discuter de l’accès aux soins de santé dans la langue de la minorité.

Commençons par les faits saillants de mon rapport annuel. Le retour à la normalité qui a suivi la pandémie a mis en lumière des problèmes en matière de langues officielles que j’ai soulevés à de nombreuses reprises par le passé, mais qui perdurent.

Une fois de plus, des centaines de plaintes — soit 497 au total — ont été déposées par le public voyageur.

[Traduction]

Trop souvent, les institutions fédérales qui servent le public voyageur manquent encore à leurs obligations linguistiques, que ce soit par l’absence d’offre, le manque de personnel bilingue ou l’incapacité d’afficher systématiquement en anglais et en français. En 2023, ces institutions n’ont plus d’excuses. Il est grand temps qu’elles prennent des mesures énergiques pour offrir des services de grande qualité à tous les voyageurs dans la langue officielle de leur choix. Je recommande donc dans mon rapport annuel que la présidente du Conseil du Trésor et le ministre des Transports élaborent des outils et des lignes directrices concernant les obligations linguistiques des administrations aéroportuaires et les leur communiquent d’ici le 31 mars 2024. J’ai également recommandé que le ministre des Transports exige des administrations aéroportuaires qu’elles soumettent un plan d’ici le 30 juin 2025 sur la façon dont elles s’acquitteront de leurs obligations linguistiques envers le public.

Le manque de respect des droits linguistiques des fonctionnaires fédéraux est un autre problème persistant. Notre fonction publique fédérale connaît une transformation majeure, surtout depuis le début de la pandémie, avec la présence accrue de la technologie et l’adoption de modèles de travail hybrides. Malgré ces changements, les droits linguistiques des fonctionnaires ne devraient jamais être relégués au second plan.

[Français]

J’ai donc recommandé à la présidente du Conseil du Trésor, à la ministre des Langues officielles de l’époque et à la greffière du Conseil privé de travailler de concert, d’ici la fin de juin 2025, afin de renforcer les langues officielles dans la fonction publique fédérale et de mesurer la capacité réelle des fonctionnaires fédéraux à travailler dans la langue officielle de leur choix.

J’ai également recommandé à la présidente du Conseil du Trésor de mettre en œuvre son plan d’action triennal, qui vise à favoriser le respect de la désignation linguistique objective des postes dans la fonction publique fédérale d’ici juin 2025 au plus tard.

Je crois fermement que la promotion du français et de l’anglais dans la fonction publique fédérale devrait être au cœur des préoccupations de ses dirigeantes et de ses dirigeants.

[Traduction]

J’aimerais maintenant changer légèrement de sujet et parler de l’accès aux soins de santé dans la langue officielle de la minorité linguistique. Comme nous l’avons constaté pendant la pandémie, la bonne santé est essentielle au bon fonctionnement de toute société. Les pressions qui s’exercent sur le personnel de la santé en raison du manque de main-d’œuvre et du vieillissement de la population ont une incidence sur les services de santé pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire, qui sont devenues encore plus vulnérables en raison d’une pénurie générale de main-d’œuvre. L’immigration ne peut pas résoudre tous les problèmes causés par cette pénurie. L’immigration francophone demeure toutefois l’une des principales solutions pour reconstituer la main-d’œuvre du secteur de la santé dans les communautés francophones en situation minoritaire.

[Français]

Nous devons nous donner les moyens de combler le manque à gagner créé par la non-atteinte des cibles d’immigration francophone qui perdure depuis plus de deux décennies. En effet, les répercussions de cette situation affectent toutes les sphères d’activité de nos communautés de langue officielle, mais surtout leurs services essentiels.

Les nouveaux arrivants qui s’installent au Canada et qui sont spécialisés en soins de santé doivent pouvoir pratiquer leur métier. De plus, il faut leur offrir des services d’accueil et d’intégration pour leur permettre de s’installer dans nos communautés convenablement et pour longtemps, et de contribuer ainsi à leur vitalité.

Je suis également d’avis que des clauses linguistiques devraient être incluses dans les accords de financement du gouvernement fédéral en matière de santé. Cela aurait pour effet de contraindre les gouvernements provinciaux et territoriaux à veiller aux enjeux et aux défis qui existent en matière de santé dans ces communautés.

[Traduction]

En terminant, j’aimerais faire le point sur le progrès de la mise en œuvre de mes nouveaux pouvoirs depuis l’adoption du projet de loi C-13. Mon personnel et moi travaillons sans relâche pour intégrer ces pouvoirs le plus efficacement possible dans nos structures et nos processus, mais la mise en œuvre de certains éléments de la loi modernisée exige que le gouvernement mette en place un décret et des règlements avant que ces pouvoirs entrent en vigueur. J’aurai bientôt un plan de mise en œuvre détaillé à vous communiquer.

Je vous remercie de votre attention. Je répondrai avec plaisir à vos questions dans la langue officielle de votre choix.

[Français]

Le président : Merci beaucoup, monsieur le commissaire. Nous allons commencer cette période de questions. Comme d’habitude, nous aurons cinq minutes chacun pour poser nos questions, y compris les réponses, et nous ferons un deuxième tour de table si nous avons le temps.

La sénatrice Poirier : Monsieur Théberge, merci d’être avec nous et merci aux invités qui sont avec vous. C’est toujours un plaisir de vous revoir.

Nous avons appris récemment que plusieurs officiers de la Gendarmerie royale du Canada occupent des postes bilingues même s’ils ne parlent pas français. On se rappelle qu’en 2019, la Gendarmerie royale du Canada avait aboli la formation unilingue en français dans son école de la Saskatchewan et misait plutôt sur une formation bilingue. Or, dans son rapport annuel de 2021-2022, la présidente du Conseil du Trésor évoque les pratiques exemplaires de la Gendarmerie royale du Canada, qui a implanté un projet pilote afin de se doter de professeurs en langue seconde à temps plein. Le gouvernement a appuyé l’abolition du programme en 2019 et la création du projet pilote en 2022.

De toute évidence, le gouvernement est d’accord avec les pratiques de la Gendarmerie royale du Canada, qui contribuent pourtant à la détérioration du français au sein de la Gendarmerie royale du Canada. Vos recommandations à la présidente du Conseil du Trésor touchent le bilinguisme au sein de la fonction publique. Selon vous, y a-t-il un manque de leadership au sein du Conseil du Trésor en matière de langues officielles qui se fait ressentir dans la fonction publique?

M. Théberge : En guise de réponse à votre question, je suis d’avis que le bilinguisme est une compétence essentielle en matière de leadership pour les hauts dirigeants de la fonction publique ou de toute organisation ou institution fédérale au sein de la fonction publique. On s’attend de la part du Conseil du Trésor à un meilleur respect du règlement de l’article 91 et de la désignation objective des exigences linguistiques des postes. C’est quelque chose qui perdure depuis plusieurs années. Nous avons rédigé un rapport à cet effet. Nous avons encore fait une recommandation à la présidente du Conseil du Trésor. Ce que l’on constate, c’est que même s’il y a des progrès, ces progrès sont très lents. On n’arrive pas nécessairement à observer des changements systémiques. L’article 91 est un enjeu systémique. Son application fait en sorte qu’on ne retrouve pas des personnes bilingues dans des postes clés.

Vous savez sans doute que le bilinguisme n’est pas exigé pour les postes de sous-ministre. Avec le projet de loi C-13, même actuellement, si on est nommé à un poste de sous-ministre et qu’on est unilingue, on devra devenir bilingue durant son mandat.

Donc, en ce qui concerne le Conseil du Trésor, on doit se doter de directives et de politiques qui mèneront à des changements systémiques et concrets.

Pour ce qui est de la GRC, il est inacceptable que, en 2023, les hauts dirigeants de la GRC soient incapables de travailler dans les deux langues officielles. C’est une institution qui a des échanges avec les minorités francophones à l’extérieur du Québec et leurs membres travaillent dans les régions rurales. Il est extrêmement important que l’on donne l’exemple, et l’exemple vient toujours d’en haut dans toutes les organisations fédérales. Que ce soit la GRC ou Santé Canada, l’exemple commence en haut.

La sénatrice Poirier : Merci pour votre réponse.

J’ai une deuxième question. Depuis le dépôt de votre rapport annuel, les deux ministres responsables, soit le président du Conseil du Trésor et le ministre des Langues officielles, ont changé, et jusqu’à maintenant, les deux titulaires de ces postes n’ont pas reçu de lettre de mandat. Avez-vous eu la chance de rencontrer la ministre Anita Anand et le ministre Randy Boissonnault? Si oui, vous ont-ils présenté les priorités de leur mandat? Sont-ils prêts à répondre à vos recommandations? Sinon, une date a-t-elle été prévue pour les rencontrer, afin de discuter de vos recommandations?

M. Théberge : Nous avons déjà rencontré le ministre Boissonnault et nous avons partagé nos préoccupations et nos priorités avec lui. On a beaucoup parlé notamment de la mise en œuvre du projet de loi C-13, de la question du règlement et de qui s’en occupera. On ne peut pas attendre indéfiniment pour l’élaboration des règlements. On a aussi parlé des défis liés à l’immigration.

Je dois rencontrer la présidente du Conseil du Trésor mercredi matin à 8 h 30 et je vais certainement lui parler de ce dont on avait discuté avec son prédécesseur en ce qui a trait aux priorités liées à l’article 91, afin d’assurer une présence plus importante des langues officielles au sein de l’appareil fédéral. Donc, c’est à suivre.

La sénatrice Poirier : J’aurai des questions au deuxième tour, si le temps le permet.

Le président : Avant de passer la parole à la sénatrice Moncion, suivie par la sénatrice Mégie, j’aimerais approfondir la question de l’article 91.

J’ai lu récemment votre rapport en profondeur. Il est exhaustif et m’a beaucoup impressionné — j’aurais dû le lire il y a longtemps.

Quelles mesures ont été prises depuis le dépôt de votre rapport? De plus, quand allez-vous rendre public le suivi des recommandations qui sont formulées dans ce rapport? C’est une question qui me semble importante à ce moment-ci.

M. Théberge : Premièrement, il existe un groupe de travail au Secrétariat du Conseil du Trésor qui doit se pencher sur l’article 91. Il y a une réflexion qui se fait au sein du Secrétariat du Conseil du Trésor au sujet des niveaux requis en ce qui concerne la gestion.

De plus, nous avons entrepris un suivi auprès du Secrétariat du Conseil du Trésor afin de savoir où ils en sont dans la mise en œuvre de nos recommandations.

Isabelle Gervais, commissaire adjointe, Direction générale de l’assurance de la conformité, Commissariat aux langues officielles : D’ailleurs, le travail de suivi se poursuit actuellement auprès du Secrétariat du Conseil du Trésor pour ce qui est des recommandations qui lui avaient été adressées spécifiquement. Il y a aussi un suivi qui se fait auprès de certaines institutions fédérales pour vérifier la mise en œuvre des recommandations qui ont été faites aux hauts dirigeants, donc aux sous-ministres de diverses institutions fédérales. En 2024, il y aura une publication sommaire qui traitera des constatations par rapport aux suivis qui ont été faits auprès des différentes institutions.

Le président : J’aimerais aborder un autre sujet. Je veux faire un lien qui n’en est pas un, mais vous comprendrez pourquoi je le fais.

Donc, évidemment, l’article 91 touche la fonction publique, mais pas les nominations.

Vous avez envoyé une lettre — dont nous avons reçu copie, et nous l’apprécions — dans laquelle vous recommandez à l’un des comités parlementaires responsables des langues officielles d’étudier les obligations linguistiques dans la dotation en personnel de la haute gestion dans la fonction publique fédérale, de même que les nominations du gouverneur en conseil, afin de déterminer si la connaissance des deux langues officielles doit être un critère d’embauche pour ce type de poste.

Tout d’abord, j’aimerais que vous nous disiez pourquoi nous avons besoin de faire cette étude. La fonction publique est un écosystème et les nominations doivent être complémentaires. J’aimerais vous entendre un peu sur cette recommandation, puisque nous n’avons pas eu la chance de vous entendre à ce sujet. Comment une étude sur ce sujet viendrait-elle soutenir l’ensemble de l’appareil de la fonction publique sur le plan du bilinguisme et du respect de la Loi sur les langues officielles au sein de la fonction publique? Est-ce que je suis clair?

M. Théberge : Oui. Premièrement, comme je l’ai mentionné plus tôt, le bilinguisme est une compétence essentielle en matière de leadership pour toutes les institutions fédérales. Il y a des centaines d’institutions fédérales et il y a plusieurs nominations du gouverneur en conseil.

Je pense qu’on envoie un message très clair lorsqu’on affirme que ces postes exigent le bilinguisme, parce qu’on transige constamment avec des personnes issues de diverses communautés.

Le projet de loi C-13 est un petit pas dans la bonne direction, mais il faut élargir cela. Parfois, je rencontre des gens qui ont des postes de direction importants et qui ne sont pas en mesure de communiquer dans les deux langues officielles.

C’est un message très fort, et cela fait en sorte que si l’on n’insiste pas sur le bilinguisme à ce niveau, on sous-entend que c’est important pour certains, mais pas pour d’autres. Donc, il est important que le leadership de l’appareil fédéral, dans un sens très large, reflète cette valeur canadienne qu’est le bilinguisme.

La raison pour laquelle on souhaitait que l’un des comités se penche là-dessus, c’est pour voir dans quel contexte ce critère en tient compte. Je pense que tout haut dirigeant devrait être en mesure de travailler dans les deux langues officielles, comme à la Cour suprême. À titre d’exemple, cela fait longtemps que l’on travaille dans ce sens. On a beaucoup d’institutions fédérales dans lesquelles le porte-parole doit refléter le bilinguisme, qui est une valeur canadienne fondamentale.

Le président : Merci beaucoup; j’y reviendrai plus tard. J’aimerais maintenant donner la parole à la sénatrice Moncion.

La sénatrice Moncion : Ma question porte sur le même sujet que la question du sénateur Cormier.

Lorsqu’on parle des hauts fonctionnaires ou des sous‑ministres, avez-vous des statistiques sur le nombre de personnes qui sont unilingues dans des postes où elles devraient être bilingues?

Dans votre rapport, vous parlez de maturité par opposition à la conformité, et vous parlez d’un leadership qui mène à l’engagement des employés. J’ai beaucoup aimé ce texte, parce que je comprends l’étendue de votre pensée par rapport à la question. J’aimerais que vous nous en parliez davantage.

M. Théberge : Il n’y a pas de statistiques en ce qui concerne ceux qui sont unilingues ou bilingues, mais souvent, pour ce qui est des comportements, lorsque je rencontre les gens, ils sont peut-être bilingues, mais la conversation se déroule toujours en anglais. C’est une question de confort, et évidemment, la Loi sur les langues officielles dit qu’on peut parler dans la langue officielle de son choix.

La différence entre la maturité et la conformité est extrêmement importante. La conformité, c’est le respect de la loi; est-ce qu’on respecte la partie IV et la partie V? La maturité, c’est ceci : est-ce que notre organisation est suffisamment mature pour répondre aux exigences de la Loi sur les langues officielles? Est-ce qu’on remplace des structures administratives ou des ressources humaines sur le plan de la formation?

D’une certaine façon, on peut faire un lien, par exemple, avec les langues officielles en situation d’urgence. On nous dit souvent qu’on ne peut pas répondre dans les deux langues officielles parce que c’est une urgence. On est pourtant censé se préparer pour les urgences.

Il faut avoir des structures et des mécanismes de communication en place : voilà ce qu’est la maturité. Il faut se préparer. En anglais, on parle d’emergency preparedness; être prêt à communiquer dans les deux langues officielles fait partie de cette préparation. Chez une organisation qui a un haut niveau de maturité dans le domaine des langues officielles, on constate que les langues officielles sont intégrées partout dans l’organisation.

Trop souvent, dans les organisations, une personne ou un petit nombre de personnes représente « l’équipe des langues officielles »; si cette personne quitte son emploi, on vient de perdre la mémoire institutionnelle. Donc, on n’intègre pas les langues officielles dans tous les processus de l’organisation. Cela perdure, malheureusement. Quand on adopte des politiques d’embauche et de communication, toutes nos politiques devraient tenir compte des langues officielles, mais on est vraiment loin de cela.

La sénatrice Moncion : Vous mentionnez que la langue de travail est une mesure névralgique et vous indiquez que toutes les personnes ont le droit de travailler dans la langue de leur choix, sauf que la langue de communication peut devenir un problème lorsqu’un francophone s’adresse à un anglophone et que ce dernier ne comprend pas. Je crois que ce sera toujours une lutte pour une personne francophone qui veut faire respecter ses droits quand elle se trouve dans un milieu majoritairement anglophone; c’est l’inverse pour un anglophone qui se retrouve dans un milieu majoritairement francophone et qui ne peut pas s’adresser à une autre personne dans la langue de son choix.

M. Théberge : En 2020, nous avons réalisé une étude sur l’insécurité linguistique au sein de l’appareil fédéral. On s’attendait à avoir quelques milliers de réponses et on a eu 11 000 réponses de fonctionnaires dans la région désignée bilingue pour les fins de leur travail. On a aussi reçu 4 000 réponses d’autres personnes de régions non désignées bilingues; elles avaient aussi des choses à dire.

Voici les principaux messages. Très souvent, lorsqu’on est francophone, on ne veut pas s’imposer ni déranger. On a l’impression que si on insiste pour utiliser notre langue maternelle, notre langue de choix, on dérange. Les anglophones qui parlent le français comme langue seconde et qui veulent utiliser le français sont souvent mal à l’aise d’utiliser le français dans leur milieu de travail. Ils ont trop souvent l’impression qu’on les juge sur la qualité de leur français et de leur vocabulaire, car très souvent, on ne les laisse pas terminer leurs phrases. On veut les aider et on termine leurs phrases pour eux; donc, ils se disent que si on ne veut pas les entendre, ils vont arrêter de parler.

On n’a pas créé un milieu de travail linguistiquement inclusif au sein de la fonction publique.

Encore une fois, c’est un message qui vient de la haute direction. Si le directeur, le sous-ministre ou le sous-ministre adjoint encourage la tenue de réunions bilingues, c’est le message qui va passer et les gens vont modeler leur comportement.

Malheureusement, je crois qu’il y a un recul dans la fonction publique pour ce qui est de l’usage du français. J’appelle cela la « secondarisation » de la langue. On traduit rarement du français vers l’anglais; on traduit surtout vers le français. De plus, en l’absence d’une mise en place de stratégies bien réfléchies et d’une volonté... J’aimerais réitérer que certaines institutions font très bien cela — on a des outils au commissariat pour bien mener des réunions bilingues et il y en a qui font un excellent travail. On l’oublie trop souvent, et la réaction est de répondre dans la langue de la majorité.

Le président : Merci, monsieur le commissaire. Je vais essayer de faire respecter la question du temps dans notre horaire, mais vous aurez l’occasion d’y revenir.

La sénatrice Mégie : Bonjour, monsieur Théberge. Je suis contente de vous revoir.

Ma question concerne la hausse des plaintes qui concernent l’utilisation de nouvelles technologies. J’essaie de voir en quoi les nouvelles technologies créent une situation qui dérange sur le plan des langues officielles. Pouvez-vous me l’expliquer un peu?

M. Théberge : Lorsqu’on parle de nouvelles technologies, il y a différentes façons de voir la question. Par exemple, quand les médias sociaux sont arrivés, comme Twitter — qui s’appelle maintenant X —, il y avait souvent des communications unilingues qui sortaient à ce moment-là. Maintenant, les publications sont bilingues, mais pas dans tous les cas. Les administrations aéroportuaires communiquent très souvent par Twitter et Facebook et très souvent, elles le font dans une langue seulement. C’est la même chose à certains moments lorsqu’il y a des alertes, AMBER ou autres : elles sont dans une seule langue au lieu de deux. Quand on parle de nouvelles technologies, on parle de nouvelles technologies de communication.

Il y a eu beaucoup de progrès dans les institutions fédérales et chez les députés et les ministres; maintenant, on comprend ce qu’est une communication officielle sur Twitter. Il y a aussi des avantages; je pense que ce ne sont pas seulement des plaintes qui découlent des nouvelles technologies, car nous avons maintenant beaucoup de systèmes qui peuvent répondre dans les deux langues officielles, par exemple. Cela aide aussi, mais c’est toujours une question d’adaptation. Il y a une nouvelle technique qui nous arrive et il y en aura une nouvelle que nous ne connaissons pas encore, puis il y aura une période d’adaptation. Ce genre de plaintes se produit souvent au début. Il y a aussi la question des noms de domaines, pour déterminer s’ils sont bilingues ou unilingues. Nous devons aussi nous adapter à ces nouvelles réalités et déterminer si cela fait partie de la Loi sur les langues officielles, par exemple, mais on évolue avec ces nouvelles technologies.

La sénatrice Mégie : Merci. Monsieur le président, puis-je poser une deuxième question?

Le président : Oui, mais j’aimerais poser une question complémentaire à celle-ci, madame la sénatrice, car elle est importante, puisqu’on parle de soins virtuels offerts dans le domaine de la santé. Monsieur le commissaire, recevez-vous des plaintes sur le plan des services virtuels? Est-ce que vous enquêtez sur ces sujets? Ce sont des sujets qui nous semblent absolument importants, puisque nous évoluons dans le cadre d’une étude sur les services de santé dans la langue de la minorité. Certains d’entre nous peuvent être très préoccupés par la qualité des services virtuels dans les deux langues officielles. Que pouvez-vous nous dire en complément à ce que vous avez déjà dit à la sénatrice Mégie?

Mme Gervais : Pour ce qui est des services de santé, il y a eu certaines plaintes liées plus largement à la santé. On pense notamment aux déclarations sur l’application ArriveCAN, surtout les applications mobiles qui avaient été élaborées rapidement en temps de pandémie et qui n’avaient malheureusement pas toutes les fonctionnalités dans les deux langues officielles. Cela ne s’est pas produit en matière de services médicaux relevant de la compétence provinciale, mais dans le cas de certaines institutions qui ont fait des activités durant la pandémie et qui ont dû offrir des services sur des applications mobiles, il y a eu des plaintes à cet effet.

Le président : La Loi canadienne sur la santé pourrait-elle inclure un engagement spécifique en matière de langues officielles, à votre avis?

M. Théberge : On pourrait inclure des indications concernant les langues officielles, mais il faut aussi se rappeler, pour faire un lien avec le projet de loi C-13, que la partie VII exige que toutes les institutions fédérales prennent des mesures positives. C’est une approche qu’on peut adopter. Éventuellement, on peut apporter des changements à la loi — on a d’ailleurs déjà tenté de modifier la Loi canadienne sur la santé —, mais ce n’est pas facile. Cependant, la partie VII donne maintenant des obligations très claires aux institutions fédérales.

Le président : Merci. Allez-y, sénatrice Mégie, et merci de m’avoir accordé du temps.

La sénatrice Mégie : Ma deuxième question touche le télétravail, qu’on peut avoir en matière de services de santé.

J’essayais surtout d’établir un lien. La liste des régions désignées bilingues n’a pas été modernisée depuis 1977. Lorsqu’on fait du télétravail, en quoi cela a-t-il un impact? Quelqu’un peut appeler en français en espérant obtenir une réponse en français. Le fait qu’on déclare une zone bilingue, quel effet cela aura-t-il sur les communications en télétravail?

M. Théberge : Selon moi, l’employé est en télétravail dans un modèle hybride comme dans la fonction publique fédérale actuellement. C’est une forme de télétravail.

Ce qui est intéressant, c’est qu’on peut avoir un superviseur dans une région non désignée bilingue pour les fins de la langue de travail, mais que le poste d’un employé se trouve dans une région désignée bilingue pour les fins de la langue de travail.

Si vous avez travaillé sur Teams ou sur Zoom, je vous rappelle que ce n’est pas la même dynamique autour d’une table. On ne voit pas nécessairement tout, on ne peut pas évaluer tout ce qui se passe, et cela a des répercussions sur l’usage des deux langues officielles.

Pour répondre à votre question, je pense que vous parliez de télétravail. Vous voulez dire comme à Service Canada?

La sénatrice Mégie : Cela peut être Service Canada ou tout autre organisme. Je ne sais pas si les autres organismes fédéraux utilisent le télétravail, puisque la pandémie de COVID-19 est terminée. Est-ce que les employés continuent d’utiliser le télétravail? Si oui, quelles en sont les répercussions?

M. Théberge : Si je comprends bien votre question, la plupart des services sont fournis au moyen d’un numéro de téléphone sans frais. Quand une personne appelle ce numéro, elle doit appuyer sur la touche 1 pour le service en anglais et sur la touche 2 pour le service en français, ou vice-versa. La personne sera alors dirigée vers une personne qui parle l’une ou l’autre langue. Cela ne change rien.

Ce qui peut changer, c’est plutôt l’exemple que je viens de donner, où mon superviseur est unilingue dans une région et, moi, je suis bilingue, et j’ai le droit de travailler en français dans mon milieu de travail. Si j’ai besoin d’outils pour travailler en français, est-ce que je vais les obtenir? Est-ce que je serai en mesure de rédiger des courriels en français? Auparavant, on mesurait ces données dans le sondage sur la fonction publique, en demandant aux employés s’ils pouvaient utiliser la langue de leur choix à l’écrit. Maintenant, on ne pose plus la question.

La sénatrice Mégie : D’accord.

M. Théberge : La dernière fois que cette question a été posée, 62 ou 63 % des francophones disaient qu’ils pouvaient utiliser le français à l’écrit. Le pourcentage était au-delà de 90 % pour les anglophones. Toutefois, on ne pose plus cette question. C’est pour cette raison que, dans mes remarques, je disais qu’on veut réellement mesurer l’utilisation des deux langues officielles dans la fonction publique. C’est un peu lié à ce que vous avez dit.

La sénatrice Mégie : Merci, monsieur Théberge.

La sénatrice Clement : Bienvenue, monsieur Théberge. Merci d’être parmi nous. J’ai trois questions à vous poser.

La première question a trait au chapitre 1 de votre rapport concernant le public voyageur.

Le public voyageur, ces temps-ci, a bien des défis à relever et bien des plaintes à faire à plusieurs niveaux. En matière de langues officielles, est-ce que les fournisseurs sont à l’écoute? Est-ce que vous les rencontrez? Quelles sont les barrières? Est-ce vraiment une priorité pour eux, cette question de services dans les deux langues officielles, parmi tous les défis auxquels ils font face?

M. Théberge : Ils disent que c’est important. Je pense qu’il faut examiner les différents intervenants. Ils n’ont pas tous les mêmes défis. Le défi de base, que ce soit pour l’Agence des services frontaliers du Canada ou pour la sécurité, c’est le besoin d’avoir du personnel bilingue.

Il y a une pénurie de personnel bilingue. Ces organismes sont donc toujours à la recherche de personnes bilingues. À la suite de la pandémie, ils ont été obligés de recommencer le recrutement. Tout le monde était parti. C’est ça, la réalité. Ce problème a été soulevé auprès de la présidente du Secrétariat du Conseil du Trésor, soit que la formation est essentielle pour être en mesure de se doter de la capacité nécessaire pour offrir les services.

Bien sûr, Air Canada est aussi l’un des joueurs clés.

On reçoit des plaintes chaque année. L’année dernière, c’était une année record. Étant donné qu’on sortait de la pandémie, ce n’est pas surprenant s’il y avait... Si vous voyagez beaucoup, vous avez sans doute remarqué qu’il y a beaucoup de nouveaux employés, dont beaucoup de jeunes. Air Canada est privatisée depuis 1988. On a encore les mêmes défis qu’auparavant.

Le public voyageur est un écosystème. Certains éléments ont plus de succès que d’autres. Il y a beaucoup de défis actuellement avec les administrations aéroportuaires. Selon un jugement important de la Cour fédérale, le « public voyageur » représente une définition très large. On s’entête à dire que c’est seulement une personne qui a un billet d’avion. On parle du public voyageur. Ce n’est pas quelqu’un qui fait une recherche sur Internet.

C’est donc un problème systémique. Il y a beaucoup d’intervenants. On avait rencontré l’ancien ministre des Transports. On sera obligé de rencontrer le nouveau ministre des Transports. Il y a encore un roulement.

Il faut aussi se rappeler qu’on a créé des agences. Ce sont de tierces parties, ce ne sont pas des ministères, les services frontaliers ou le service de sécurité. La sécurité, c’est un contrat qu’on accorde à l’entreprise privée. Dans ces contrats, est-ce qu’on inclut des clauses linguistiques? On nous dit que oui, mais elles sont rarement mises en œuvre ou si elles le sont, c’est avec difficulté.

À titre d’exemple, à la fin de la pandémie, on a envoyé une lettre à tous les intervenants dans le monde du public voyageur. On a rencontré les agents des services frontaliers. On a rencontré des représentants d’aéroports dans plusieurs régions. On a rencontré des représentants du Secrétariat du Conseil du Trésor. Ce qu’il faut, effectivement, c’est de la volonté. On demande au ministre d’exiger un plan d’action de la part des administrations aéroportuaires, mais on ne l’exige pas vraiment.

La sénatrice Clement : Merci pour cette réponse complète. Je veux revenir sur la question de la santé et sur l’étude que le comité est en train de faire.

Évidemment, il y a la francophonie en contexte minoritaire, mais il y a aussi l’intersectionnalité chez certaines personnes qui vont chercher des services de santé.

Avez-vous entendu des choses à cet égard? Je parle des défis additionnels sur le plan de la compétence culturelle qu’on devrait voir dans le secteur de la santé.

M. Théberge : Par le passé, je pense qu’on avait une approche homogène. On disait « communautés de langue officielle en situation minoritaire » et on se limitait à la variable des langues. Maintenant, on constate que, dans une communauté, plusieurs variables entrent en jeu. On a commencé à se pencher sur cette question.

Par exemple, sur la question de la diversité, je vais raconter une petite anecdote. Il y a quelques années, j’étais avec un groupe de jeunes qui m’ont dit carrément qu’ils ne se voyaient pas dans notre discours. Je parle de jeunes qui ont des différences et ainsi de suite. Ils ont dit : « On ne se voit pas, et dans l’histoire on ne se voit pas non plus. » On est maintenant devenu très conscient que lorsqu’on parle d’une communauté de langue officielle en situation minoritaire, cela va bien au-delà de la langue et que cette communauté est très diversifiée par rapport à toutes sortes de critères. Il faut reconnaître ces différences et être en mesure de répondre à tous les membres de la communauté. Cela signifie que ce sont peut-être de plus grands défis que ceux que nous avions auparavant. Il est maintenant davantage question de fournir un service, mais aussi de reconnaître les différences dans la manière dont on fournit ce service.

Le président : Avant de passer au deuxième tour, je vais à mon tour poser une question, bien que j’en aie déjà posé — mes collègues ont été bien généreux à mon égard. J’aimerais revenir à la question du public voyageur. Est-ce que le nouveau régime de sanctions administratives pécuniaires remédiera à la situation et sera un incitatif plus fort pour faire respecter la Loi sur les langues officielles partout dans le système aéroportuaire?

M. Théberge : Premièrement, on est loin d’être en mesure d’imposer des sanctions administratives pécuniaires; il faut un décret et un règlement. Une des façons d’encadrer cela serait de penser en termes de gradation des pouvoirs; la dernière mesure serait alors l’imposition de sanctions administratives pécuniaire. De plus, on serait en mesure de négocier des ententes de conformité; c’est comme un contrat, et si ce contrat n’est pas respecté, on peut émettre des ordonnances. Si l’ordonnance n’est pas respectée, on demande à la cour d’imposer une ordonnance. Finalement, on pourrait en arriver à imposer des sanctions administratives pécuniaires.

Donc, actuellement, on prévoit un maximum de 25 000 $ par infraction. Cependant, il s’agit vraiment d’un dernier recours. Je souhaite que, par le biais des ententes de conformité... On pourrait simplement assurer une meilleure conformité au moyen de ces ententes et éviter tout cela.

Si on a ce pouvoir, on va s’en servir.

Le président : Merci. Je reviendrai sur votre plan de déploiement un peu plus tard. Je vais maintenant céder la parole à la sénatrice Poirier, qui commencera le deuxième tour.

La sénatrice Poirier : On a parlé plus tôt — et vous en avez parlé aussi dans votre déclaration liminaire — de la pénurie de main-d’œuvre francophone dans le domaine de la santé. On en a également entendu parler grâce aux témoignages entendus lors de notre étude.

La ministre a indiqué qu’elle souhaitait hausser la cible de l’immigration francophone hors Québec de 4 % à 6 %, et on sait que le FCFA était d’avis que cela n’était pas suffisant. Que pensez-vous de cela? Est-ce que cela peut améliorer la situation? Est-ce suffisant?

M. Théberge : L’immigration est assurément un moyen de pourvoir les postes. Cependant, c’est loin d’être la seule mesure que l’on peut prendre.

Dans la partie VII de la Loi sur les langues officielles, on parle de rétablir le poids démographique à 6,1 % — ce qu’il était en 1971, je crois. Donc, pour y arriver, il faut une cible beaucoup plus importante que 6,1 %. Il y a beaucoup de défis lorsqu’on parle d’immigration. On peut accueillir un plus grand nombre de gens, mais est-ce qu’on est en mesure de les intégrer dans nos communautés? Est-ce qu’on va reconnaître leurs antécédents et leur expérience?

Si on veut réellement s’attaquer au problème lorsqu’on parle de main-d’œuvre, oui, il y a l’immigration, mais il faut nécessairement de la formation. Il faut développer une capacité au sein de nos institutions pour former plus de gens.

L’immigration est une question existentielle pour certaines de nos communautés, mais ce n’est pas la réponse à tout. On doit aussi examiner les autres éléments. On doit également parler de recherche; il faut connaître nos communautés. On n’a aucune variable linguistique. Nos communautés sont distinctes et il faut comprendre leur état de santé et de vitalité. Je pense que notre étude concernant l’immigration est claire : on a manqué la cible de 2003 jusqu’à 2021 et on l’a atteinte une seule fois lors de la dernière année. Il y a un manque à gagner de 75 000 et c’est un chiffre cumulatif. Il faut s’entendre sur l’impact que cela a eu sur le développement de nos communautés. Selon moi, l’immigration est une question existentielle.

La sénatrice Poirier : Vous avez aussi mentionné dans votre discours que vous aviez reçu 497 plaintes en une année durant la pandémie. Maintenant que nous sortons de la pandémie — peut‑être que ce n’est pas terminé, cela dépend à qui l’on parle —, recevez-vous toujours autant de plaintes ou leur nombre a-t-il diminué?

J’aurais une deuxième question : je siège au comité depuis plusieurs années et on entend parler des mêmes plaintes et des mêmes enjeux depuis un, deux, trois ou quatre ans. Est-ce qu’on progresse? Est-ce que ce sont toujours les mêmes plaintes qui reviennent et est-ce qu’on y travaille toujours? Si oui, comment fait-on pour avancer et ne pas toujours stagner?

M. Théberge : Vous avez raison, dans le sens où l’on reçoit régulièrement le même type de plaintes et ce sont très souvent les mêmes institutions qui sont responsables.

Est-ce qu’il y a du progrès? C’est difficile à mesurer, dans le sens où si on a moins de plaintes durant une année, il est difficile de savoir s’il y a eu une progression ou si c’est une année où il y a eu moins de plaintes, tout simplement. C’est pour cela que lorsqu’on parlait plus tôt de la maturité par opposition à la conformité, c’est important de savoir si ces institutions ont les outils et les structures nécessaires pour bien répondre à leurs obligations conformément à la Loi sur les langues officielles. Je pense que les outils qui me seront fournis grâce au projet de loi C-13 permettront d’adopter une approche différente.

Actuellement, on traite une plainte à la fois, on fait des recommandations et la mise en œuvre d’une recommandation dépend de la bonne volonté de l’institution fédérale. Avec les nouveaux pouvoirs, on aura différentes avenues que l’on pourra poursuivre.

Donc, cela changera peut-être la façon de faire. On recevra des plaintes et on fera des enquêtes, mais le processus d’enquête sera différent et on pourra utiliser différentes options. Je souhaite vivement que cela apporte des changements systémiques. Je pense que « systémique » est le mot clé.

La sénatrice Poirier : Merci.

Le président : Avec respect, monsieur le commissaire, soyez succinct dans vos réponses, s’il vous plaît, afin que l’on puisse poser toutes les importantes questions que nous avons à vous poser.

La sénatrice Moncion : Notre comité a pris note à maintes reprises de l’importance pour le gouvernement fédéral de se doter d’un mécanisme efficace et intégral de surveillance pour assurer la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles. Nous continuons de constater un manque de collaboration et de sensibilisation au sein des différents ministères quant aux obligations qui incombent au gouvernement fédéral en matière de langues officielles. Nous l’avons constaté notamment en prenant connaissance de la première ébauche du projet de loi qui jette les bases du Cadre multilatéral d’apprentissage et de garde des jeunes enfants. La première version du projet de loi C-35 omettait toute mention des communautés linguistiques en situation minoritaire. Pourriez-vous nous indiquer quels indicateurs le commissariat compte utiliser pour évaluer l’efficacité de l’agence centrale et la collaboration interministérielle en ce qui a trait à la mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles?

M. Théberge : Si on parle de nos moyens, on a beaucoup moins de moyens que le Secrétariat du Conseil du Trésor; on va assurer une vigie de la mise en œuvre de la loi. Il y aura des indicateurs en ce qui a trait à la vitalité des communautés. Dans la partie VII, on couvre plusieurs champs d’activité et tous ces éléments doivent faire partie de l’évaluation.

La surveillance ou la coordination du plan d’action relève du Secrétariat du Conseil du Trésor. Une bonne façon de voir s’ils font leur travail, c’est de regarder comment le plan d’action est mis en œuvre. Cela touche plusieurs institutions et elles auront toutes un impact sur nos communautés.

Je n’en dirai pas plus.

La sénatrice Moncion : Vous aviez encore du temps.

La sénatrice Clement : J’aimerais revenir sur quelque chose que vous avez dit en répondant à une question de la sénatrice Moncion et du sénateur Cormier. Vous avez dit que certaines institutions font très bien cela et d’autres moins bien. Qu’est-ce qui fait en sorte que certaines institutions font très bien cela et que d’autres ont de la difficulté?

M. Théberge : C’est vraiment une question de volonté au sein de l’organisation.

La sénatrice Clement : Est-ce une question de leadership de la part des gens qui sont là? J’aimerais aller plus loin avec cela.

M. Théberge : Je vais vous donner un exemple concret. Il y a plusieurs années, on recevait beaucoup de plaintes par rapport à VIA Rail; maintenant, on n’en a presque plus, parce que VIA Rail a décidé que dorénavant, tout le personnel qui travaille dans les trains serait bilingue. Tout le monde qui travaille au service à la clientèle est bilingue. C’est une décision qui a été prise par l’institution.

Cela commence toujours en haut, et c’est de cette façon que l’on peut constater tout de suite un impact au sein des institutions où le leader de l’organisation a le bilinguisme et les langues officielles à cœur. Cela développe une culture au sein de l’organisation : le service ou la langue de travail, — peu importe —, ce sont les deux langues officielles. Tout cela commence toujours en haut; cela commence par le leader et des prises de décisions concrètes, pas seulement des vœux pieux.

La sénatrice Clement : Merci.

Le président : Madame la sénatrice, vous êtes presque trop efficace.

La sénatrice Mégie : Je voulais vous parler des initiatives et du financement des initiatives et des investissements prévus dans le nouveau Plan d’action pour les langues officielles — 2023-2028 : Protection-promotion-collaboration. Croyez-vous que ce sera suffisant pour couvrir les cinq prochaines années, compte tenu des nouveaux impératifs de la Loi sur les langues officielles?

M. Théberge : Je ne sais pas si c’est suffisant, mais c’est quand même une augmentation importante des investissements si l’on compare le Plan d’action pour les langues officielles — 2023-2028 : Protection-promotion-collaboration au Plan d’action pour les langues officielles — 2018-2023 : Investir dans notre avenir, qui prévoyait lui-même une augmentation importante des investissements par rapport aux plans d’action précédents.

Évidemment, on aura toujours plus de besoins que de ressources. Je crois que si on réussit à faire une bonne mise en œuvre du plan d’action, si chaque intervenant est en mesure de réussir ses initiatives, cela aura un impact réel sur les communautés.

Certaines choses peuvent se produire en cinq ans, mais selon moi, on s’est attaqué aux points névralgiques du développement des communautés avec ce plan d’action.

La sénatrice Mégie : Ce financement pourrait-il être assujetti à des dispositions linguistiques lorsque les gouvernements font des transferts entre le gouvernement fédéral et les provinces en matière de santé?

M. Théberge : Les clauses linguistiques sont l’un de mes sujets préférés. C’est une des meilleures façons de s’assurer que les communautés reçoivent leur juste part. Dans toutes les ententes fédérales-provinciales-territoriales, il faut qu’il y ait des clauses linguistiques identifiant la part qui va aux communautés. Il y a juste une mise en garde à faire par rapport à cela, et c’est que, pour plusieurs de ces domaines, il s’agit de compétences provinciales. Donc, sur le plan constitutionnel, le gouvernement peut seulement aller jusqu’à un certain point en ce qui a trait à ce qu’il peut imposer aux provinces. On en parle depuis longtemps pour les secteurs de la santé, de l’éducation et de la petite enfance. Lorsqu’il y avait les garderies à 10 $, on n’avait pas de clauses linguistiques. C’est carrément une lacune.

La sénatrice Mégie : Merci, monsieur Théberge.

Le président : Monsieur le commissaire, lorsque je pense au commissariat ces temps-ci, je songe à l’ampleur des nouvelles tâches qui seront les vôtres, à vos responsabilités en matière de publications sommaires d’enquêtes, à la médiation, aux accords de conformité et aux sanctions administratives pécuniaires. Il y a une augmentation des pouvoirs et on s’attend que le commissariat puisse livrer ces nouveaux mandats, parce que c’est important pour la mise en œuvre de la loi, évidemment.

Est-ce que le Conseil du Trésor vous a accordé la totalité du budget dont vous avez besoin? Avez-vous les ressources requises? Je sais que vous nous dévoilerez votre plan de déploiement plus tard, mais pouvez-vous nous donner un aperçu ou quelques pistes pour que l’on comprenne où vous en êtes? Qu’est-ce qui a été modifié depuis que le projet de loi a reçu la sanction royale et qu’est-ce que vous avez transformé à l’intérieur? Avez-vous commencé à faire certains changements? Comment peut-on imaginer la nouvelle mouture du fonctionnement du commissariat? Je crois que c’est important pour nous tous de vous entendre à ce sujet.

M. Théberge : Le processus d’enquête est toujours au cœur de nos activités et il va changer. Pensez à une autoroute; c’est le processus d’enquête et il y a différentes bretelles, différentes sorties. On commence avec une plainte. On peut tout de suite aller faire enquête, mais on peut aussi décider de négocier une entente de conformité. Les deux parties sont d’accord. Donc, là, on règle la question d’un côté. Si les choses se passent bien, il y a une entente de conformité ou sinon, on peut aller en médiation. Le commissariat n’a jamais fait de médiation. On n’a pas de médiateur et on doit mettre sur pied une organisation qui fera de la médiation. On n’a pas non plus de spécialistes pour rédiger des ententes de conformité et des ordonnances.

Donc, on est en train de comprendre toutes les bretelles de l’autoroute et de faire une analyse de toutes les ressources nécessaires. On a eu certaines ressources de la part du gouvernement pour la mise en œuvre de la première année. Actuellement, on prépare une soumission dans le cycle budgétaire de cette année pour obtenir les ressources nécessaires. Cela prendra du temps avant d’avoir une réponse, mais il est clair que si on n’obtient pas de nouvelles ressources, on ne pourra pas assurer la mise en œuvre complète de la Loi sur les langues officielles conformément à notre mandat.

On a déjà apporté des changements importants sur le plan de la promotion, parce que la loi exige que nous fassions la promotion de la Loi sur les langues officielles et de la conformité. Cela change un peu ce qu’on va faire; on commence à réaménager tranquillement notre organisation et de nouvelles directions générales seront annoncées très bientôt. C’est un commissariat 3.0; on passera d’un commissariat 2.0 à 3.0. On doit rebâtir notre infrastructure informatique, parce que ce n’est plus la même chose.

Ce sont de nouveaux pouvoirs et on veut tous les utiliser, mais ils ont tous leurs limites et des règles très précises pour déterminer quand et comment on peut s’en servir.

Le président : Est-ce que le principal enjeu pour vous, ce sont les ressources au départ? Est-ce vraiment la base?

M. Théberge : Pour bien s’organiser et bien se structurer, il faut que lorsqu’on tourne la clé, on roule sur quatre roues, et non deux.

Le président : Il nous reste environ deux minutes. Est-ce qu’une sénatrice brûle de poser une question essentielle? Alors, monsieur le commissaire, monsieur Leduc, madame Gervais et les collaboratrices, merci beaucoup de votre présence. Vous le savez, actuellement, les membres du comité, tout comme les communautés de langue officielle en situation minoritaire, attendent beaucoup de la part du commissariat. Je ne souhaite pas mettre de la pression sur vos épaules, mais je veux vous dire que nous tenons beaucoup à votre travail et que les réponses que vous avez données aujourd’hui nous donneront de la matière pour mener notre étude sur la santé et poursuivre notre travail de suivi en ce qui concerne la mise en œuvre de cette nouvelle loi modernisée. Merci de votre présence et à bientôt, sans aucun doute.

M. Théberge : Merci beaucoup.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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