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OLLO - Comité permanent

Langues officielles


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 6 novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 4 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité.

Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Je m’appelle René Cormier, sénateur du Nouveau-Brunswick et président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.

Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par la vice-présidente du comité.

La sénatrice Poirier : Bonsoir. Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick.

[Français]

La sénatrice Mégie : Marie-Françoise Mégie, division sénatoriale de Rougemont, au Québec.

La sénatrice Clement : Bernadette Clement, de l’Ontario.

Le président : Merci. Je vous souhaite la bienvenue, chers collègues, ainsi qu’aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent.

[Traduction]

J’aimerais souligner que je participe à cette réunion depuis le territoire non cédé de la nation algonquine anishinaabe.

[Français]

Chers collègues, nous célébrons la Semaine nationale de l’immigration francophone qui est soulignée cette semaine partout au Canada au début du mois de novembre. Célébrons ensemble les précieuses contributions des immigrants d’expression française à nos communautés francophones et acadiennes.

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles a étudié l’immigration francophone au Canada il y a quelques mois, et nous avons entendu directement les témoignages de ces communautés. Le message était sans équivoque : les immigrants jouent un rôle crucial dans le maintien de la force et de la vitalité de la francophonie canadienne.

En mars, notre comité a formulé plusieurs recommandations pratiques visant à renforcer la francophonie canadienne. Je vous invite tous et toutes, auditeurs et auditrices de ce comité, à prendre connaissance de ce rapport important que vous pouvez trouver sur le site Web du Sénat du Canada à sencanada.ca. Merci.

[Traduction]

Ce soir, nous poursuivons notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité. Nous sommes heureux d’accueillir pendant la première heure des représentantes du Quebec Community Groups Network, Mme Eva Ludvig, présidente, et Mme Sylvia Martin-Laforge, directrice générale, qui se joignent à nous par vidéoconférence. Bonsoir et merci encore une fois d’être avec nous. Nous vous remercions de votre contribution aux travaux de notre comité. Nous sommes maintenant prêts à écouter votre déclaration liminaire et nous enchaînerons avec la période des questions.

Madame Ludvig, vous avez la parole.

Eva Ludvig, présidente, Quebec Community Groups Network : Bonjour sénateur Cormier, sénatrice Poirier, et honorables membres du comité. Je devrais plutôt dire bonsoir puisqu’il fait noir dehors. Je m’appelle Eva Ludvig, présidente du Quebec Community Groups Network, ou QCGN. C’est un plaisir de venir témoigner dans le cadre de votre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité.

J’ai le plaisir d’être accompagnée de Sylvia Martin-Laforge, notre directrice générale.

Au début de l’année, une représentante du Réseau communautaire de santé et de services sociaux, ou CHSSN, est venue témoigner dans le cadre de cette étude et vous a remis un excellent mémoire dans lequel on décrivait les caractéristiques démographiques des communautés anglophones du Québec et la situation relative aux services de santé et aux services sociaux.

Nous attirons aussi votre attention sur votre rapport de 2011 intitulé L’épanouissement des communautés anglophones du Québec: du mythe à la réalité qui demeure un document de recherche stratégique important et pertinent en lien avec votre étude actuelle.

Le Quebec Community Groups Network souhaite concentrer son témoignage sur l’inclusion de clauses linguistiques dans les transferts fédéraux en santé.

J’aimerais commencer par vous parler du mythe tenace qui entoure la vie d’un membre d’une communauté anglophone au Québec. Un mythe tenace et particulièrement troublant, souvent répété par les parlementaires francophones du Québec, veut que les anglophones au Québec aient accès à des services sociaux et de santé dans leur langue partout dans la province via un réseau d’établissements anglophones. Il existe actuellement 12 organismes de santé et de services sociaux, largement concentrés dans la région de Montréal, qui sont reconnus par l’Office québécois de la langue française comme ayant un statut particulier en vertu de la Charte de la langue française, et qui peuvent offrir des services dans une autre langue que le français. Tous doivent offrir des services dans la langue officielle du Québec. Il s’agit en fait d’établissements bilingues.

De plus, comme nous le faisons valoir dans notre mémoire, le droit d’accès à des services sociaux et de santé en anglais au Québec comporte d’importantes limites. Les services en anglais ne sont pas offerts dans tous les établissements. Les services qui sont offerts sont mentionnés dans les plans d’accès qui ne sont pas facilement accessibles au public ni compréhensibles pour le citoyen moyen. Il n’y a pas d’affiches ou de panneaux dans les établissements qui indiquent aux patients quels sont leurs droits. Accéder aux services en anglais au Québec est un voyage de découverte, sans carte ni boussole.

Sylvia Martin-Laforge, directrice générale, Quebec Community Groups Network : Les membres du comité qui ont participé à son étude historique sur les communautés anglophones du Québec ont entendu des témoins leur dire que ce n’est tout simplement pas le cas.

[Français]

On a entendu des histoires qui brisaient le cœur de couples mariés depuis très longtemps, qui devaient vivre séparés et finir leur vie dans des centres d’hébergement de soins de longue durée, les CHSLD.

[Traduction]

Si cela s’est produit, c’est parce qu’ils ne pouvaient pas être hébergés ensemble dans un établissement offrant des services en anglais. Il est arrivé aussi que des mères anglophones de régions éloignées se rendent seules à l’hôpital pour accoucher dans des établissements qui n’étaient pas en mesure de leur fournir des services en anglais.

La Loi sur les langues officielles, qui vient d’être modernisée, impose de nouvelles obligations aux institutions fédérales lorsqu’elles négocient des accords avec les provinces et les territoires. Les institutions doivent prendre :

... les mesures nécessaires pour favoriser, lorsqu’elles négocient avec les gouvernements provinciaux et territoriaux des accords — de financement ou autres — qui peuvent contribuer à la mise en œuvre des engagements...

On veut ainsi, entre autres, renforcer la vitalité des communautés anglophones et francophones en situation minoritaire. La loi leur impose en outre des obligations additionnelles et plus claires de consultation lors de l’élaboration de ces accords.

Enfin, la loi contient une nouvelle disposition qui porte sur l’évaluation et la surveillance et qui oblige les institutions à mettre en place des mécanismes de suivi des mesures positives prises dans le cadre des accords intergouvernementaux. Le partenaire fédéral se voit donc imposer de nouvelles obligations dans la partie VII lorsqu’il conclut des accords intergouvernementaux. Nous y voyons une occasion à saisir.

Tout d’abord, le gouvernement fédéral a le devoir de consulter les anglophones du Québec au cours du processus de négociation des accords intergouvernementaux pour déterminer les mesures positives à prendre. Les accords en tant que tels doivent contenir des mesures positives, qui font désormais l’objet d’une évaluation et d’une surveillance.

Les communautés anglophones du Québec disposent d’un mécanisme de consultation établi avec Santé Canada et le gouvernement du Québec pour communiquer leurs priorités en matière de santé. Le Réseau communautaire de santé et de services sociaux, ou CHSSN, un partenaire communautaire de confiance, est un élément clé de ce processus. Il est donc possible maintenant de veiller à ce que l’on tienne compte de ces priorités dans le texte de l’accord sur le Transfert canadien en matière de santé. De plus, les mesures positives qui renforcent la vitalité de nos communautés dans ce secteur doivent être transparentes et assorties d’une reddition de compte.

Le gouvernement fédéral doit éviter ou, à tout le moins, atténuer les répercussions négatives de ses actions sur la vitalité des communautés anglophones du Québec. Mentionnons d’ailleurs que nous ne voyons aucun conflit entre l’obligation du gouvernement fédéral de favoriser l’épanouissement de nos communautés et l’engagement de protéger et de promouvoir le français.

En effet, rien n’indique que permettre l’offre de services sociaux et de santé en anglais aux personnes qui en ont besoin au Québec menace d’une quelconque façon la langue française.

Mme Ludvig : Je vous remercie. Nous serons heureuses de répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie beaucoup de votre déclaration liminaire.

[Français]

La sénatrice Mégie : Monsieur le président, est-ce que je peux ajouter quelque chose?

Le président : Oui, si vous le voulez bien. Chers collègues, je précise que nous avons le quorum en ce moment. Toutefois, afin de sécuriser notre capacité de nous réunir si jamais l’un de nous devait s’absenter, j’aurais dû demander au début de la réunion qu’une motion soit proposée afin de s’assurer que si l’on perdait le quorum aujourd’hui, on puisse continuer d’entendre des témoins et faire rapport.

C’est une procédure qui existe ailleurs. Donc, sénatrice Mégie, vous avez une motion à proposer? Je m’excuse auprès de nos témoins.

[Traduction]

Nous serons avec vous dans un instant. Nous devons nous assurer de pouvoir vous consacrer une heure entière.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je propose que, nonobstant la pratique habituelle et conformément à l’article 12-17 du Règlement, le comité soit autorisé à entendre des témoignages cet après-midi en l’absence de quorum, si nécessaire, pourvu que deux membres du comité soient présents.

Le président : Très bien. Est-ce que cette motion est claire pour vous, chers collègues? Est-ce que vous donnez votre consentement?

Des voix : Oui.

Le président : Merci beaucoup, sénatrice Mégie. Nous pouvons poursuivre et nous allons commencer la période des questions.

[Traduction]

Nous allons commencer par la vice-présidente du comité, la sénatrice Poirier. Vous avez la parole.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie toutes les deux d’être avec nous aujourd’hui. J’ai quelques questions, et si le temps le permet, je participerai sans doute à la deuxième série de questions.

Je ne vais pas commencer par ma première question, mais passer à celle que j’avais plus loin sur les transferts en santé, dont vous avez parlé.

Nous avons entendu parler de multiples incidents au cours desquels des Québécois anglophones se sont vu refuser des services de santé en anglais. Pourquoi pensez-vous que cela se produit de plus en plus souvent? C’est ce que nous entendons dire. Comment le gouvernement fédéral pourrait-il collaborer avec le gouvernement du Québec pour veiller à ce que ces incidents ne se répètent pas ou ne s’aggravent pas?

Mme Ludvig : Je peux commencer. Les services sont notamment offerts dans le cadre des programmes d’accès, comme nous l’avons mentionné dans notre document, qui ne sont pas très bien connus, comme nous l’avons également mentionné. C’est compliqué. Il a fallu de très nombreuses années pour que ces programmes d’accès soient approuvés. Ils ne l’ont été que très récemment.

Ces programmes ne sont pas nécessairement bien connus dans les établissements, de sorte que nous avons des prestataires de soins qui ne connaissent pas leurs obligations, et des patients qui ne connaissent pas leurs droits. Ce sont là quelques-uns des obstacles.

Nous avons également des établissements qui n’ont pas la capacité de fournir des services en anglais, en particulier à l’extérieur de Montréal. Il existe donc une grande variété de problèmes complexes qui requièrent une attention particulière, et nous espérons que le gouvernement fédéral nous aidera à les résoudre lorsqu’il élabore des accords de transfert avec le gouvernement du Québec.

La sénatrice Poirier : Expliquez-moi quelle est la première chose à faire qui n’est pas liée aux transferts en santé. Que pouvons-nous faire immédiatement? Si vous dites qu’il y a ce projet pilote ou ce programme d’accès, et que, de toute évidence, des personnes n’en sont pas informées ou ne savent pas que cela existe, que pouvons-nous faire en attendant pour informer les gens à ce sujet?

Mme Ludvig : Permettez-moi de clarifier. Il ne s’agit pas d’un projet pilote. C’est là depuis très longtemps.

Le problème tient au fait que les programmes d’accès nécessitent l’approbation du gouvernement provincial. On y mentionne les obligations de chaque établissement et sa façon de procéder pour offrir un accès à la population anglophone.

Les programmes ont mis beaucoup de temps à être approuvés. Ils le sont maintenant, et le gouvernement fédéral peut assurément jouer un rôle en fournissant des moyens pour promouvoir l’information — je pense que c’est de son ressort — et veiller à ce que les patients soient au courant de leurs droits.

Nous avons mentionné qu’il n’y a pas d’affiches et pas d’information fournie aux patients. Cela pourrait être une façon de faire.

Je vais demander à Mme Martin-Laforge de vous donner plus de détails.

Mme Martin-Laforge : Pour essayer de comprendre quels sont nos droits, il faut les situer dans le contexte plus large des changements apportés dernièrement à la loi 101 et des services exemplaires. La communauté anglophone a dit à plusieurs reprises au gouvernement qu’elle craignait que les services dans les établissements de santé ne soient réduits. Les programmes d’accès sont là. Il y a aussi une section qui garantit aussi l’offre de services aux Québécois anglophones.

Toutefois, depuis l’adoption du projet de loi 96, on craint que l’un des aspects de la loi — concernant les services exemplaires, les ressources humaines et même les établissements bilingues — ne compromette d’une certaine façon notre accès à un haut niveau de service. La sensibilisation est donc extrêmement importante. Ce qui est en jeu ici dans la foulée des modifications apportées à la loi 101, c’est ce à quoi nous pouvons nous attendre, nous devrions nous attendre et nous devons nous attendre. Il y a aussi de fausses informations qui circulent.

Le président : Puis-je poser une question complémentaire? Cela peut sembler évident, mais quels sont les programmes d’accès, en quoi consistent-ils? Cela nous aidera à comprendre en quoi consiste le défi ici.

Mme Ludvig : Oui. Ces programmes sont le fruit d’une loi provinciale, ont été créés par un comité provincial composé de représentants de la communauté qui travaillent avec des représentants du gouvernement afin de préparer des programmes pour chaque établissement sur sa façon de fournir des services en anglais à la clientèle ou aux patients anglophones. Ces programmes d’accès sont ensuite approuvés par le gouvernement. Une fois qu’ils sont approuvés, chaque établissement doit les mettre en œuvre. On part du principe que les établissements sont différents dans la province. Ils ont tous des capacités différentes et trouveront tous des moyens différents de fournir des services. L’idée importante derrière cela est de faire en sorte que chaque établissement puisse trouver une solution qui lui convienne.

Le problème ici est de savoir si ces programmes sont mis en œuvre, et s’ils le sont de manière appropriée. Comme je l’ai mentionné, deux éléments sont en cause ici : les gens connaissent-ils leurs droits? Et les employés connaissent-ils leurs obligations et ont-ils la capacité de les respecter? Parlent-ils suffisamment bien anglais pour être en mesure de fournir les services?

C’est là que le bât blesse, et c’est là où nous constatons qu’il y a des problèmes.

La sénatrice Poirier : Pour rebondir sur ce qui vient d’être dit, nous entendons dire que le problème est de plus en plus lié au fait que les anglophones se voient refuser l’accès à des soins de santé, alors je me demande si le programme d’accès, qui est provincial si je comprends bien, ne fonctionne pas aussi bien qu’on l’espérait. Y a-t-il quelque chose que le gouvernement fédéral peut faire pour améliorer la situation? Faudrait-il modifier la clause linguistique obligatoire dans le transfert en santé? Est-ce que cela serait utile? Qu’est-ce qui pourrait être utile? Que recommanderiez-vous à ce stade-ci?

Mme Ludvig : L’un des aspects importants des programmes de transfert est la reddition de compte, car le gouvernement provincial doit assumer ses responsabilités en mettant en œuvre les accords et, ce qui également très important, en consultant la communauté. Ce sont des éléments que nous espérons voir dans les nouveaux accords de transfert avec la province. Notre expérience lors d’autres accords de transfert n’a pas été aussi positive qu’elle aurait dû l’être.

La sénatrice Poirier : Nous tentons de déterminer ce que le gouvernement fédéral peut faire. Si je comprends bien, les accords de transfert en santé ont un rôle important à jouer et c’est là où le gouvernement peut intervenir. Ai-je raison?

Mme Ludvig : Tout à fait. Il faut aussi qu’il assure un suivi pour veiller à ce que ces accords soient mis en œuvre.

La sénatrice Poirier : Je vous remercie beaucoup.

Le président : Je vais poser une question. Vous avez parlé de la partie VII de la Loi sur les langues officielles modernisée. Comme vous le savez, les institutions fédérales doivent maintenant promouvoir l’inclusion de clauses linguistiques dans les accords fédéraux-provinciaux-territoriaux qui pourraient toucher, par exemple, le secteur de la santé. Nous le savons. Nous savons que les détails de cette nouvelle obligation seront précisés dans le règlement à venir. Lors de sa comparution devant le comité, la présidente du Conseil du Trésor a laissé entendre que la préparation et la mise en œuvre du règlement relatif à la partie VII pourraient prendre quelques années.

Quelles sont précisément vos attentes relativement à la mise en œuvre de ce règlement, notamment en ce qui concerne les clauses linguistiques, et aussi d’autres enjeux? Que devrait prévoir le règlement qui est si important pour la mise en œuvre de la partie VII?

Mme Ludvig : D’accord. Comme vous le savez, sénateur Cormier, nous avions beaucoup de réserves au sujet de la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Nous avons très hâte de voir le règlement, car nous comptons sur la réglementation. Nous avons reçu l’assurance que nos droits seront respectés et que le règlement le confirmera. Vous m’inquiétez quand vous parlez d’années, car nous nous attendons à ce que ce soit fait dès le premier jour.

Le président : Le gouvernement doit tenir des consultations, n’est-ce pas?

Mme Ludvig : Tout à fait.

Le président : Avez-vous été consultés, ou avez eu des discussions avec le ministre Boissonnault ou la ministre Anand au sujet du règlement?

Mme Martin-Laforge : Oui, nous avons été consultés. Nous avons rencontré le ministre Boissonnault, mais pas encore la ministre Anand.

Dans le règlement, nous nous attendons tout d’abord à mieux comprendre l’approche asymétrique. Il ne faut pas que la reddition de compte et la transparence concernant la partie VII fassent l’objet d’une approche asymétrique. Si le gouvernement fédéral considère qu’une approche asymétrique s’impose d’un point de vue législatif, il ne faut pas que cela ait des effets négatifs sur notre communauté. Je dirais que, partout ailleurs au pays, adopter une approche asymétrique relativement à la partie VII et au règlement présente un danger.

Il faut que l’approche adoptée repose sur des principes et, bien entendu, nous souhaitons que vous vous penchiez sur les effets des clauses linguistiques et de toute autre mesure concernant la partie VII au Québec, car nous sommes inquiets.

Le président : Je comprends. Que pouvez-vous nous dire au sujet des mesures positives? Quelles sont vos attentes précisément concernant ces mesures pour la minorité anglophone au Québec? Avez-vous des idées ou des besoins précis à ce sujet, afin que nous puisions savoir concrètement comment aider vos communautés?

Mme Ludvig : Mettre en place des mesures positives, cela veut dire connaître la communauté et l’avoir consultée pour ensuite répondre à ses besoins. Une institution ne peut pas décider que des mesures s’appliquent à toutes les communautés, car la communauté anglophone n’est pas homogène.

Les communautés qui se trouvent dans des régions éloignées, comme sur la Basse-Côte-Nord ou dans les Cantons-de-l’Est, ont des besoins différents de celles qui se trouvent à Montréal. Chacun de ces besoins doit être pris en considération. De plus, on ne peut utiliser un modèle unique — qui peut avoir été préparé pour l’Ontario, le Manitoba ou Terre-Neuve — et l’appliquer à la communauté anglophone au Québec.

À mes yeux, une mesure positive repose sur ces éléments fondamentaux. Il faut ensuite répondre à ces besoins de manière appropriée et suffisante. Il faut qu’il y ait un financement et un suivi appropriés, et qu’on réponde à tous les autres besoins administratifs pour assurer la vitalité de la communauté, de chacune des différentes parties de la communauté anglophone. C’est une grande communauté. Nous sommes plus d’un million dans une province, à traiter avec une province, et nos besoins varient d’une région à l’autre. Certains besoins sont plus urgents que d’autres, en fonction de l’endroit où se trouve la communauté et des types de services qu’on y trouve.

Mme Martin-Laforge : Je pense que les mesures spéciales se rapportent aux résultats pour les patients et aux travailleurs dans notre communauté. Une myriade de facteurs devraient être pris en considération afin de s’assurer que le secteur de la santé au Québec a les outils nécessaires pour offrir des services à la communauté anglophone. Les résultats pour les patients sont certainement très importants, mais il faut aussi tenir compte de tout le reste dans le secteur, de toute la question de l’infrastructure.

La sénatrice Poirier : Nous entendons souvent dire que l’un des problèmes que nous avons parfois est le manque de main-d’œuvre pour offrir les services dans les deux langues officielles partout dans la province. Nous entendons la même chose en sens inverse à propos du reste du Canada, où il manque de personnes pour servir les francophones en situation minoritaire.

J’aimerais avoir votre avis. Nous avons entendu par l’entremise du comité que le Réseau communautaire de santé et de services sociaux et le Connexions Resource Centre ont expliqué pourquoi l’investissement de Santé Canada à l’Université McGill est utile.

Pouvez-vous nous dire si une autre mesure pourrait être prise pour aider la transition des diplômés de McGill du centre médical à l’environnement québécois afin de les garder dans la province plutôt que de les laisser partir ailleurs?

Mme Ludvig : Comme je l’ai mentionné, c’est un programme couronné de succès. Dans l’ensemble, nous produisons des travailleurs de la santé qui peuvent travailler en anglais et en français. Le problème porte davantage sur le manque de travailleurs de la santé qui peuvent offrir des services en anglais. Lorsque je dis « travailleurs de la santé », je ne parle pas uniquement des médecins et des infirmières, mais aussi des orthophonistes, des psychologues et des psychiatres, surtout à l’extérieur de Montréal et dans les régions éloignées. C’est un aspect important qui doit être étudié davantage et financé, et le gouvernement fédéral peut jouer un rôle à cet égard.

La sénatrice Poirier : Lorsque nous parlons des services de santé, nous ne parlons pas seulement des cliniques et des hôpitaux. De mon point de vue, nous incluons toujours les foyers pour personnes âgées et les établissements de soins spéciaux.

Le problème pour la communauté anglophone est-il le même dans tous ces établissements de santé, ou est-ce pire dans les établissements de soins spéciaux, en particulier dans les petites collectivités? Dans l’affirmative, que pourrait faire le gouvernement fédéral selon vous pour aider?

Mme Martin-Laforge : Je siège au conseil de Chez Doris, un refuge pour femmes où le quart des clientes, voire plus ont comme première langue officielle une langue autochtone ou inuite. Les pressions exercées pour trouver du personnel sont énormes. Les employés doivent parler anglais. Nous devons les rémunérer correctement. Nous livrons concurrence aux foyers de personnes âgées et à d’autres établissements — pas les hôpitaux — qui offrent des soins de santé. Il est de la plus haute importance de mieux comprendre ce qui doit être fait pour aider les itinérants, les personnes âgées et les enfants autistes.

Il y a un lien. L’année dernière, le projet d’agrandissement au collège Dawson a été abandonné. Il devait s’y donner de la formation dans le domaine de la santé.

Je crois que le gouvernement fédéral a la responsabilité de regarder ce qui se fait dans la province et de voir quels programmes existent et à quels endroits ils sont nécessaires pour avoir une infrastructure qui permet de servir les personnes vulnérables, malades et âgées. Il est important de le faire.

Ce qu’il faut également, c’est une compréhension des traditions et de la culture, sans aucun doute pour les Autochtones qui parlent anglais. Ces personnes doivent venir d’un milieu anglophone pour pouvoir comprendre et donner le bon service au bon moment.

L’Université McGill est extrêmement importante. Attirer des gens de l’extérieur de la province, y compris d’autres pays, qui ont l’habitude de parler anglais aux patients est [difficultés techniques] doit être lié à la culture. Cela ne se limite pas seulement à la langue; c’est une question de tradition et de culture.

La sénatrice Poirier : Dans le contexte technologique actuel, il est important pour les spécialistes et différentes cliniques d’offrir de l’aide dans un environnement virtuel. Est-ce un dossier dans lequel le gouvernement fédéral peut aider? Est-ce efficace en ce moment au Québec, pour pouvoir communiquer avec les gens au moyen de la technologie?

Mme Martin-Laforge : C’est circonstanciel. Nous avons parfois besoin d’un câlin, et la technologie n’est pas en mesure de nous donner ce câlin.

Ma mère était francophone, mais elle m’a élevée en anglais. Elle me chantait des chansons en anglais quand j’avais besoin de réconfort. Lorsque je ne pourrai plus parler français, j’aurai besoin d’un câlin de la part de quelqu’un qui pourra me chanter « Mother Goose » ou quelque chose du genre. La technologie, absolument, mais ne comptons pas que sur elle. Je ne pense pas que c’est ce que vous vouliez dire, sénatrice.

La sénatrice Poirier : Je viens du Nouveau-Brunswick. Maintenant, il y a certains cas de figure où tous nos antécédents médicaux sont accessibles en ligne. Où que vous alliez, n’importe quel médecin pourra cliquer dessus et y avoir accès. Dans les régions éloignées, en cas d’urgence ou de problème, il est parfois impossible d’obtenir une réponse immédiate dans la langue de son choix. Cette solution offre une autre façon d’obtenir à tout le moins des réponses ainsi que de l’aide en temps réel ou dans des situations d’urgence. Je me demandais si cette technologie était en place. En ce qui me concerne, la technologie ne remplace jamais un être humain.

[Français]

La sénatrice Mégie : Merci aux témoins d’être parmi nous.

Avez-vous des données qui montrent l’existence d’une différence vraiment observable entre l’accessibilité des soins de santé de la communauté anglophone et la communauté en général? Avez-vous des données là-dessus?

[Traduction]

Mme Ludvig : Il existe de nombreuses études. Je n’ai rien sous la main, mais je sais que le Réseau communautaire de santé et de services sociaux, qui a comparu devant vous un peu plus tôt, fait des études, et qu’il est financé par le gouvernement fédéral. Nous pourrions certainement faire en sorte de vous procurer ces études. Si vous n’y avez pas accès, nous pouvons faire ce qu’il faut pour que vous les receviez.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ce serait intéressant de recevoir ces données.

La communauté anglophone a de la difficulté à recevoir certains soins, mais ce dont j’entends parler au Québec, c’est toujours la pénurie de main-d’œuvre, entre autres. Est-ce que la situation est pareille ou plus difficile pour la communauté anglophone par rapport à la communauté en général pour ce qui est d’obtenir des soins? La communauté en général se plaint de ne pas recevoir assez de soins.

Si vous avez des données qui prouvent ou illustrent cette situation, nous aimerions que vous les fassiez parvenir au comité.

J’ai une question qui s’adresse à Mme Martin-Laforge.

Je pense que c’est vous qui avez mentionné plus tôt qu’il y avait un couple ou des couples qu’on devait placer dans des CHSLD différents, parce que certains d’entre eux ne peuvent pas offrir des services en anglais.

En ce qui concerne les personnes qui ont déposé des plaintes, y a-t-il des efforts qui ont été faits pour trouver une solution à ce problème? Y a-t-il d’autres défis à relever propres qui sont au Québec, en plus de ce que vous venez de décrire?

Mme Martin-Laforge : Les défis dans le domaine de la santé sont réels pour les francophones majoritaires comme pour la communauté d’expression anglaise. Il manque de places, les listes d’attente sont importantes, les besoins d’un homme et d’une femme qui veulent vivre ensemble sont parfois différents et on n’offre pas le même service dans un endroit par rapport à un autre.

Le secteur de la santé est compliqué partout au Québec. On en entend beaucoup parler. La difficulté supplémentaire, c’est la langue. Les problèmes liés aux soins de santé touchent tout le monde, mais les problèmes liés à la langue deviennent encore plus compliqués. Souvent, on doit faire des choix; les familles doivent faire des choix.

J’ai des anecdotes personnelles à raconter. Le personnel du CLSC qui vient donner des soins à un parent nous parle en anglais et en français. C’est important pour cette personne. Toutefois, ce n’est pas pareil dans tous les CLSC. Est-ce qu’on doit s’attendre à un service égal partout dans la province, que ce soit pour des jeunes qui ont des déficiences ou des personnes âgées? Le système de santé est difficile, mais la langue représente un problème particulier.

La sénatrice Mégie : Merci. Puis-je poser une autre question?

Le président : Bien sûr.

La sénatrice Mégie : Je vais changer de sujet. Je vais plutôt parler des établissements privés. Je sais qu’au Québec, les gens se tournent souvent vers les soins de santé privés.

Comment les gouvernements pourraient-ils faire en sorte que les communautés anglophones du Québec ne souffrent pas de la privatisation des soins de santé? Avez-vous pensé à une solution ou avez-vous des propositions à faire?

[Traduction]

Mme Ludvig : Je crois que c’est un problème pour tous les Québécois. À condition que vous puissiez vous le permettre, la privatisation a une incidence sur la possibilité d’accéder à des services rapides, à des services adéquats, sur le fait de ne pas avoir à attendre longtemps. C’est un problème pour tout le monde. Encore une fois, comme l’a dit ma collègue, même dans ce domaine, cela devient problématique de faire entrer en jeu la question de la langue. Je pense que la privatisation est une préoccupation pour tous les Québécois, les francophones comme les anglophones. Quelle que soit la solution qu’on trouvera, je pense qu’il est important qu’elle soit offerte à tous les Québécois.

[Français]

La sénatrice Mégie : D’accord. Merci.

La sénatrice Clement : Bonsoir, mesdames.

[Traduction]

C’est un plaisir de vous revoir. Merci d’être avec nous. Je pense que les anecdotes personnelles sont importantes. Je vous écoute et je dois vous dire que je vis l’intersectionnalité de façon très prononcée — c’est une intersection très occupée, en fait. Mon père est un Montréalais noir anglophone qui parle avec un accent trinidadien. Cela a été un problème pour lui lorsqu’il lui a fallu obtenir des services en anglais, certes, mais aussi des services adaptés sur le plan culturel.

Je me demande si vous connaissez des groupes qui travaillent particulièrement sur cette intersectionnalité, si vous travaillez avec eux, si vous savez qui ils sont et quels sont leurs liens avec le gouvernement provincial ou fédéral. Je veux simplement savoir s’il y a des gens qui se préoccupent de ce type d’intersectionnalité et qui ils sont. C’est ma première question.

Deuxièmement, j’étais à Montréal le week-end dernier. J’étais dans la partie anglophone de ma famille et j’ai constaté que la communauté anglophone du Québec se sent en difficulté. L’annonce des frais de scolarité pour les non-Québécois dans les universités a ébranlé tout le monde. Je m’interroge sur l’effet que cette mesure aura sur les Québécois anglophones et je me questionne sur la capacité de ces derniers à se battre et à demander le respect de leurs droits.

Mme Ludvig : Tout d’abord, permettez-moi de vous dire que je ne pense pas que vous soyez la seule à vivre en situation d’intersectionnalité.

La sénatrice Clement : Je ne dis pas que je le suis.

Mme Ludvig : Je dis que cela devient de plus en plus courant, et que pour cette raison, nous devons, en tant que société, respecter la diversité et les besoins de notre communauté, et cette diversité inclut la langue. Il existe de nombreux organismes communautaires qui comprennent cela. Certains d’entre eux font partie du Quebec Community Groups Network. Nous avons différents organismes qui proviennent de différents groupes, et le point commun de nos organismes est la langue anglaise.

Il est certain que plus on est diversifié, plus les besoins sont complexes, diversifiés sur le plan de l’accent, de la langue, de la culture, etc. En tant que société — du moins au Québec, et je ne peux pas parler pour le reste du pays —, je ne pense pas que nous ayons encore pris conscience de cela et assumé cette responsabilité. Nous le constatons dans la communauté anglophone.

Vous parlez de votre expérience avec les membres de votre famille à Montréal, et je dois vous dire que mon expérience — et c’est ce que je constate de plus en plus —, c’est que la communauté anglophone est usée et fatiguée. Il est de plus en plus difficile d’être optimiste quant à la prise en compte de nos besoins. Recevrons-nous le respect que nous voulons?

L’Assemblée nationale examine actuellement une nouvelle loi sur la santé, le projet de loi 15. Nous organisons un webinaire pour informer le public à ce sujet. Encore une fois, on cible une centralisation accrue des services, ce qui va éloigner ces derniers de la communauté et les empêcher de comprendre les besoins de la communauté ou d’en tenir compte. En lieu et place, les services seront confiés à une bureaucratie centralisée qui ne comprend pas nécessairement à cette communauté. Il y a donc suppression du contrôle local et de l’apport local, ce qui est préoccupant.

Lorsqu’il est question d’une communauté diversifiée — sur le plan linguistique, certes, mais aussi pour d’autres aspects —, le gouvernement doit être en mesure de répondre de manière appropriée et de la respecter. Nous, dans la communauté anglophone, n’avons pas l’impression que cela a été le cas ces dernières années; et pourtant, nous devons continuer à exprimer notre désaccord pour assurer que nos droits soient respectés. C’est ce que le Quebec Community Groups Network a l’intention de faire.

La sénatrice Clement : De toute évidence, la situation au Québec est tout à fait particulière. Est-ce que vous vous inspirez d’autres provinces ou d’autres États pour savoir quoi proposer en réponse au projet de loi 15 ou en réponse à certains enjeux?

Mme Ludvig : Nous nous sommes toujours tournés vers nos amis et collègues hors Québec, vers les communautés minoritaires francophones. Nous avons le sentiment d’avoir beaucoup en commun avec elles, même si nos langues diffèrent. La protection de l’anglais est peut-être une question distincte de celle de la protection de la communauté anglophone, alors que le français dans tout le Canada a besoin d’une plus grande protection, et pas seulement dans les collectivités elles-mêmes.

Nous nous inspirons de modèles étrangers pour trouver des façons qui pourraient nous aider, mais les réalités du Québec sont très différentes de ce qui se passe ailleurs. Nous avons affaire à un autre type d’approche gouvernementale et, bien sûr, il y a la complexité des craintes qui sont parfois alimentées au sujet de l’avenir ou de la santé de la langue française. En tant que communauté anglophone, nous soutenons et comprenons certainement la nécessité de protéger le français, mais nous voulons que nos droits soient protégés et que nous soyons respectés en tant que partie intégrante de la société québécoise.

C’est là où tout se joue pour nous : dans le domaine de la santé, dans le domaine de l’éducation, dans ce qui a trait à la protection de nos institutions, telles que nos universités, nos cégeps et nos hôpitaux. Au Québec, nous sommes quotidiennement mis en face de défis existentiels de ce genre.

La sénatrice Clement : C’est le mot juste.

Le président : J’ai aussi quelques questions. J’aimerais vous entendre sur le plan d’action 2023 à 2028. Pensez-vous que le financement prévu dans le plan d’action actuel est suffisant pour répondre aux besoins des communautés anglophones du Québec? Avez-vous quelque chose à dire au sujet de ce plan d’action, qui est important pour veiller à ce que les communautés puissent recevoir et offrir des services?

Mme Martin-Laforge : Nous en savons beaucoup sur le plan d’action, notamment en ce qui concerne la façon dont il sera utilisé dans l’ensemble du pays, et nous savons ce qui est financé par Santé Canada. Bien sûr, le Réseau communautaire de santé et de services sociaux en veut toujours plus, mais il a été bien représenté dans le plan d’action.

Au-delà de ce qui est accordé à Santé Canada, il y a d’autres domaines où le financement reposant sur des transferts pourrait nous inquiéter. Il y a plus d’argent dans les paiements de transfert que dans la santé. Nous ne savons pas encore combien la communauté anglophone du Québec recevra. L’objectif est de 20 %. Ces 20 % sont-ils suffisants? Comment cela se mesure-t-il? Parfois, il ne s’agit pas seulement du montant, sénateurs, mais de la façon dont il est utilisé et de la présence d’obligations redditionnelles et d’une transparence.

[Français]

C’est la question qui tue.

Le président : Oui.

[Traduction]

Je comprends. Je vous remercie.

Nous sommes presque rendus à la fin, mais je vais essayer d’énoncer ma question clairement. Nous savons que Montréal est une région particulière, qu’elle a sa propre réalité et ses propres enjeux. Personnellement, j’ai l’impression de connaître davantage la situation à Montréal que celle d’autres régions. Je manque d’information et de témoins qui pourraient nous brosser un tableau de la réalité des services de santé en Gaspésie, par exemple, ou dans d’autres régions. Vous voyez ce que je veux dire. La perception est que, bien sûr, vous avez tous les hôpitaux et toutes les institutions.

Avez-vous des suggestions — vous pouvez peut-être y penser — de personnes que nous pourrions entendre, de personnes vivant dans des collectivités rurales qui pourraient nous parler des questions que vous soulevez ce soir? Les questions posées par la sénatrice Mégie sur les données sont elles aussi importantes. Nous avons besoin de faits; nous avons besoin de nous comprendre par le truchement de témoignages.

Personnellement, c’est ce qui me préoccupe. J’aimerais m’assurer que, dans le cadre de cette étude, nous comprenons et entendons les gens qui connaissent des problèmes dans les régions rurales, parce que leur situation est différente de celle des Montréalais. Nous connaissons un peu Montréal. Bien sûr, nous pouvons toujours en savoir plus.

Que pouvez-vous nous dire? Si vous n’avez pas de suggestions à nous faire ce soir, pensez-vous que vous pourriez nous aider à entrer en contact avec des gens des collectivités rurales?

Mme Ludvig : Absolument, et je pense qu’il est essentiel que vous le fassiez. J’ai voyagé dans tout le Québec. Je suis allée en Gaspésie, sur la Basse-Côte-Nord, dans l’ouest du Québec, dans l’est du Québec. J’ai rencontré des anglophones et je sais que leurs problèmes sont très différents de ceux que je vois à Montréal, surtout en ce qui concerne les services de santé.

La population est vieillissante, beaucoup plus qu’ici, à Montréal. C’est une population plus homogène. En tant que membre d’une collectivité... Par exemple, en Gaspésie, les personnes qui sont sur place et qui fournissent des services sont pleines de bonne volonté. Ce n’est pas parce que les gens ne veulent pas fournir les services. Ils n’ont pas les moyens de fournir les services dont les anglophones ont besoin, en particulier lorsqu’il s’agit de personnes âgées qui ont tendance à être encore unilingues ou à ne pas être à l’aise en français. Et puis, à cause de la façon dont le système de santé est organisé, un Gaspésien se retrouvera dans un hôpital de Rimouski où personne ne lui parlera anglais. En tant que personne âgée, cela devient difficile.

Il y a une grande population d’anglophones sur la Basse-Côte-Nord. Une population de longue date qui se trouve à la frontière avec le Labrador. Or, lorsqu’un membre de ce groupe a besoin de services en anglais, il doit quitter la maison et prendre l’avion. Les mères doivent quitter leur patelin lorsqu’elles sont enceintes. Un mois ou deux avant la date prévue de l’accouchement, elles doivent prendre l’avion et séjourner à Rimouski ou ailleurs, où il n’est pas possible d’obtenir des services en anglais. C’est une excellente idée de chercher à entendre ces personnes. Le Quebec Community Groups Network va voir ce qu’il peut faire avec le Réseau communautaire de santé et de services sociaux afin de trouver des personnes qui pourront mieux que moi vous expliquer tout cela.

Le président : Nous sommes en train d’examiner les choses du point de vue du gouvernement fédéral afin de voir ce que ce dernier peut faire aux termes de ses ententes avec les provinces et les territoires, mais c’est l’objectif.

Je tiens à vous remercier à nouveau de votre contribution aux travaux de ce comité. Votre présence est toujours appréciée. Nous amassons de bons renseignements, des renseignements qui sont importants pour notre rapport, car pour les Canadiens et les Québécois, il importe que nous ayons un bon rapport sur cette question. Merci infiniment.

[Français]

Chers collègues, nous poursuivons notre étude sur les services de santé dans la langue de la minorité. Avant de présenter le deuxième groupe de témoins, j’aimerais vous rappeler de vous abstenir de vous pencher trop près du microphone ou de retirer votre oreillette. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel. Je vous remercie.

Pour notre deuxième groupe de témoins ce soir, nous sommes heureux d’accueillir des représentants de la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, soit Liane Roy, présidente, par vidéoconférence et Alain Dupuis, directeur général, qui est ici en présentiel.

Bonsoir et bienvenue à vous deux. Vos comparutions sont toujours très appréciées. Nous recevons toujours de l’information fort pertinente. Je vais vous céder la parole, madame Roy, puis nous procéderons à une période des questions. Vous avez la parole.

Liane Roy, présidente, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : Monsieur le président, honorables sénateurs et sénatrices, bonsoir. Avant de commencer mon allocution, je tiens à préciser que je me joins à vous ce soir par vidéoconférence à partir d’un hôtel dont le réseau est un peu instable. S’il arrivait que nous perdions la connexion, mon collègue, qui est présent dans la salle, pourrait poursuivre.

Je vous remercie de nous avoir invités à témoigner devant vous aujourd’hui sur un sujet d’importance pour les communautés francophones et acadiennes. Comme vous le savez, la FCFA du Canada est la voix nationale de 2,8 millions de Canadiens et de Canadiennes d’expression française vivant en situation minoritaire dans neuf provinces et trois territoires.

Près de 25 ans se sont écoulés depuis que les communautés francophones et acadiennes se sont investies dans le domaine de la santé. Or, certains défis demeurent aussi entiers qu’il y a 25 ans. En effet, selon une récente consultation menée par Santé Canada en 2022, deux tiers des répondants francophones ont dit ne pas avoir accès ou avoir un accès seulement partiel à des services de santé en français. Cette statistique devrait nous alarmer, car cela affecte non seulement la qualité de vie des francophones en situation minoritaire, mais cela a un impact direct sur leur santé globale et même sur leur sécurité.

Durant les quelques minutes qui me sont imparties aujourd’hui, j’aimerais aborder prioritairement les défis liés à la prise en compte des réalités spécifiques de nos communautés dans les transferts fédéraux aux provinces et aux territoires.

Moins de six mois se sont écoulés depuis l’adoption du projet de loi C-13, modernisant la Loi sur les langues officielles. Comme vous le savez, la question de la prise en compte des réalités des communautés de langue officielle en situation minoritaire dans les transferts fédéraux-provinciaux-territoriaux était l’un des enjeux prioritaires pour la FCFA dans le cadre de cette modernisation.

Comme vous le savez, 80 % des fonds fédéraux destinés à la santé sont répartis dans le cadre d’ententes fédérales-provinciales-territoriales. Ces ententes ne sont nullement contraignantes et les fonds transférés sont dépensés à la discrétion des gouvernements provinciaux et territoriaux. Les 20 % restants sont distribués dans le cadre d’accords bilatéraux avec les provinces et territoires. C’est dans ces accords que les groupes en quête d’équité sont nommés, dont les francophones vivant en situation minoritaire.

Le premier de ces accords bilatéraux dont je vous parle, celui avec la Colombie-Britannique, a été rendu public en octobre. Il n’est nullement mention dans cet accord de santé en français et il n’y a aucune référence aux organismes francophones de la province qui travaillent en santé.

Il faut se demander si le ministère de la Santé y a même pensé dans ses négociations avec le gouvernement provincial. De plus, s’il s’avère que nos communautés sont restées dans l’angle mort de ces négociations, cela augure mal pour les autres accords qui doivent être signés avec les autres provinces et territoires.

C’est d’autant plus grave que cela a trait aux services et aux soins offerts aux citoyens et aux citoyennes dans ce qui les touche de plus près, dans les situations où ils et elles sont le plus vulnérables. De tels oublis tant dans les transferts fédéraux que dans les accords bilatéraux en santé ne sont plus acceptables, surtout dans le contexte de la postmodernisation de la Loi sur les langues officielles.

Nous proposons donc à ce comité, si vous nous le permettez, neuf recommandations, établies en collaboration avec l’un de nos membres, la Société Santé en français, en vue de renforcer la santé en français en milieu minoritaire.

Premièrement, que Santé Canada respecte ses obligations en vertu de la nouvelle partie VII de la Loi sur les langues officielles, en s’assurant de consulter les communautés francophones en situation minoritaire sur l’inclusion de clauses linguistiques dans les prochains transferts en santé.

Deuxièmement, que Santé Canada prenne toutes les mesures nécessaires pour faire respecter le principe d’égalité d’accès pour nos communautés dans les accords bilatéraux actuellement en finalisation avec les provinces et territoires, y compris les plans d’action qui en découlent.

Troisièmement, que Santé Canada assure une meilleure reddition de comptes quant aux fonds fédéraux affectés à la santé en français.

Quatrièmement, que Santé Canada crée un comité consultatif permanent, relevant du ministre de la Santé, afin de guider les stratégies du ministère en matière d’accès équitable à la santé dans les communautés linguistiques en situation minoritaire.

Cinquièmement, que Santé Canada crée l’infrastructure de recherche et de collecte de données nécessaire afin de documenter les écarts à combler, par province et territoire, quant aux éléments suivants : l’accès aux soins de santé en français; l’utilisation des services en français par la minorité; l’état de santé des personnes d’expression française comparativement à la population générale.

Sixièmement, que Santé Canada augmente le financement du Programme pour les langues officielles en santé, afin de tenir compte des besoins grandissants de la population francophone, qui est en croissance à l’extérieur du Québec en nombre absolu, et qu’elle appuie les communautés francophones et acadiennes afin de développer des modèles novateurs de prestation de services en français dans les plus petits milieux.

Septièmement, que Santé Canada renforce son appui aux établissements postsecondaires des communautés francophones en situation minoritaire, dans le but d’augmenter l’accès aux programmes postsecondaires en français dans le domaine de la santé et que le ministère mette sur pied une initiative de reconnaissance des diplômes et des acquis des personnes immigrantes d’expression française, en vue de mieux répondre aux importantes pénuries de main-d’œuvre francophone et bilingue dans le domaine de la santé en milieu minoritaire.

Huitièmement, que Santé Canada travaille avec le ministère de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, afin d’accélérer l’obtention de la résidence permanente pour les travailleurs de la santé d’expression française.

Neuvièmement, que Santé Canada utilise tous les leviers à sa disposition pour inciter les provinces et les territoires à agir en faveur du renforcement de l’accès aux soins de santé en français dans toutes les provinces et territoires à l’extérieur du Québec.

Nous vous remercions de votre attention et nous serons heureux de répondre à toute question liée à ces recommandations. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup pour cette présentation, madame Roy. Nous allons procéder à une période des questions. Je vais donner la parole à la vice-présidente, la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : Merci d’être ici tous les deux; c’est grandement apprécié. C’est un honneur et un plaisir de vous revoir. On entend beaucoup parler de la pénurie de la main-d’œuvre dans les services de santé. Ce problème nous inquiète beaucoup. Tous les témoins en ont parlé. Cette pénurie se fait sentir surtout pour la main-d’œuvre francophone et bilingue dans nos communautés francophones et acadiennes en situation minoritaire partout au Canada.

Comme vous le savez probablement, le gouvernement a annoncé mercredi dernier une augmentation du seuil de l’immigration francophone qui est passé de 4,4 % à 8 %.

Le fait que cette cible soit inférieure à la vôtre, qui est de 12 %, vous inquiète-t-il? Vous avez mentionné avoir effectué une étude sur l’arrivée de cette cible de 12 %. Avez-vous des résultats en ce qui concerne la pénurie de main-d’œuvre qui pourrait être réduite grâce à votre cible de 12 %?

Mme Roy : Merci pour cette question, madame la sénatrice. Nous n’avons pas de résultats en ce qui a trait aux chiffres exacts pour contrer la pénurie de main-d’œuvre. Par contre, nous savons que la cible de 6 % pour 2024 continuera de contribuer à la diminution du poids démographique. C’est pour cette raison que l’on a réagi avec beaucoup d’ardeur la semaine dernière lors de cette annonce.

En 2026, la cible sera de 8 %, qui est le minimum demandé pour ne pas continuer vers le déclin. Donc, oui, il y a des pénuries de main-d’œuvre dans le domaine de la santé. C’est pour cette raison que j’ai parlé dans mon allocution de la reconnaissance des titres et des diplômes. Il faut porter une attention particulière à l’importance de la reconnaissance des acquis, des titres et des diplômes et trouver des méthodes beaucoup plus rapides pour reconnaître ce qui se fait chez les parlants français qui arrivent au Canada.

De plus, la pénurie de main-d’œuvre est tellement forte que cela affectera l’ensemble des Canadiens. Nous nous demandons pourquoi les francophones devraient souffrir davantage que les autres dans ce cas. Nous sommes fragilisés et, avec les cibles en immigration qui ont été annoncées la semaine dernière, nous allons continuer d’être fragilisés, beaucoup plus que la majorité. Donc, c’est vraiment une question de vie ou de mort dans ce cas-ci, parce qu’on parle de santé. Lors de leur comparution devant votre comité, nos collègues de Société Santé en français ont mentionné qu’une récente étude réalisée en Ontario en 2022 dévoilait que les risques de décès d’un usager francophone en situation de soins de longue durée diminuaient d’environ 25 % lorsque les barrières linguistiques étaient éliminées. C’est une différence considérable.

Nous portons un grand intérêt à tout ce qui a trait à la pénurie de main-d’œuvre. Nous avons fait une étude sur les pénuries de main-d’œuvre bilingue, mais je ne crois pas que nous avons pu obtenir les données que vous demandez. Nous pouvons cependant vous transmettre cette étude.

La sénatrice Poirier : Oui, si vous les avez, ce serait intéressant de nous les faire parvenir.

Selon vous, comment le gouvernement fédéral peut-il attirer les professionnels de la santé bilingues de l’étranger, et que peut-il faire pour s’assurer de leur rétention?

Mme Roy : On parle ici de stratégies de recrutement en immigration francophone. Une plus grande concertation pourrait être faite pour recruter dans des pays sources francophones. Lors de la sensibilisation et du recrutement, il faut mentionner aux gens qu’ils devront parler anglais dans certaines régions, ce qui n’est pas toujours le cas, et cela nuit à la rétention.

Ce sujet est très important et est lié aux cibles. Il faut augmenter les cibles et les façons de recruter et positionner la francophonie canadienne lors du recrutement à l’étranger. Je vais céder la parole à M. Dupuis, étant donné qu’il a beaucoup travaillé dans ce domaine. Il a peut-être quelque chose à ajouter.

Alain Dupuis, directeur général, Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada : Évidemment, nous demandons des cibles plus élevées, mais il faut aussi que le gouvernement du Canada puisse lier l’arrivée des gens avec les emplois disponibles.

Nous proposons au ministère la création d’un programme d’immigration francophone distinct qui permettra de désigner et d’accréditer certains employeurs qui vont facilement lier l’existence de postes aux bonnes candidatures. En effet, actuellement, on fait de l’immigration francophone comme on fait de l’immigration générale, et les résultats sont ce qu’ils sont depuis 20 ans.

Dans certains programmes pilotes, comme le programme des régions atlantiques, celui du Nord et des régions rurales, on voit cette capacité de mobiliser directement les employeurs qui veulent offrir des postes à des personnes immigrantes. Donc, on les désigne et on fait venir des gens rapidement avec des permis de travail, le temps qu’IRCC traite leur demande de résidence permanente.

Un programme d’immigration francophone qui accréditerait des employeurs qui veulent jumeler des candidats à des postes spécifiques, francophones ou bilingues, nous semble également une solution intéressante.

Le ministère va développer une passerelle accélérée pour les enseignants, par exemple. On sait qu’il manque 12 000 enseignants en langue première et en langue seconde au pays. On a bien hâte de développer cette passerelle rapide. On ne sait pas encore à quoi cela ressemblera, mais on peut aussi imaginer des programmes accélérés pour les travailleurs de la santé francophones et bilingues. On est très ouvert à poursuivre la réflexion avec le ministère.

La sénatrice Poirier : Dans le domaine de la santé et dans le secteur de l’enseignement, on entend dire que lorsqu’on recrute des candidats, quand ils arrivent au Canada, l’accréditation ou la formation qu’ils ont reçue n’est pas équivalente à celle du Canada. Cela fait en sorte que beaucoup se découragent, parce qu’ils savent qu’en arrivant au pays, ils devront retourner aux études.

Est-ce que les choses ont changé ou est-ce encore pareil? Est‑ce qu’il y a quelque chose que le gouvernement fédéral peut faire pour améliorer la situation?

M. Dupuis : Le gouvernement fédéral pourrait financer des initiatives, où ce serait possible de travailler avec les ordres professionnels des provinces, avec les collèges et les universités, pour développer des programmes-passerelles accélérés où il est possible de travailler dans le domaine dès l’arrivée au Canada, sachant qu’il y aura certains cours à compléter et qu’il y aura une requalification potentielle pour avoir la bonne terminologie et les bonnes normes en place.

Le gouvernement fédéral a effectivement un rôle à jouer. En ce moment, malheureusement, on voit les gouvernements se renvoyer la balle en affirmant que la pénurie est de compétence fédérale ou provinciale ou que tout cela relève des ordres professionnels. Le gouvernement fédéral a la capacité de réunir les parties prenantes et de financer des projets pilotes. C’est l’une des choses que nous demandons à Santé Canada.

Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre dans le domaine de la santé pour des travailleurs francophones et bilingues, on pourrait lancer un projet pilote pour accélérer le processus et travailler en collaboration avec les collèges et les universités. Bref, la situation s’améliore petit à petit.

La sénatrice Poirier : Donc, la situation tend à s’améliorer.

M. Dupuis : Oui, mais on peut faire encore mieux.

La sénatrice Poirier : Merci beaucoup.

La sénatrice Mégie : Merci à nos témoins de comparaître de nouveau devant le comité. Ma question concerne les professionnels de la santé qui parlent français.

Avez-vous des données sur le nombre de professionnels de la santé francophones qui assurent des soins médicaux à la communauté linguistique minoritaire chez vous?

Mme Roy : Je n’ai pas ces chiffres avec moi en ce moment, mais on peut certainement tenter de vous faire parvenir des chiffres que nous pourrions obtenir auprès de nos collègues dans nos associations membres.

La sénatrice Mégie : Dans ces chiffres, il y aurait une variabilité régionale entre le milieu urbain et rural. Est-ce qu’on recevrait ce genre de données?

M. Dupuis : Je vous dirais que c’est l’un des éléments qu’on cherche à combler, parce que Santé Canada ne collecte pas les données nécessaires pour avoir une vue d’ensemble ni sur l’accès aux services, ni sur les pénuries de main-d’œuvre, ni sur l’utilisation des services par les francophones ou sur l’état de santé des francophones par opposition à la majorité.

Cela reste un défi structurel majeur, parce que les provinces ne collectent pas ces données, le fédéral ne les a pas et les groupes communautaires font du mieux qu’ils peuvent pour les recueillir.

Il faut systématiser l’approche et Santé Canada, dans sa responsabilité renforcée grâce à la nouvelle partie VII de la loi, a une obligation de collecte de données. Par contre, c’est tout un domaine, et Santé Canada n’a pas l’infrastructure requise en place, ni les partenaires provinciaux, ni réponse à toutes les questions qui se posent. Pour combler ces écarts, il faut les documenter.

Par exemple, le Réseau de la santé francophone de l’Ontario affirme que 3 500 postes bilingues ne sont pas pourvus actuellement dans le système de santé de la province. Si ce chiffre représente une seule province, on peut imaginer l’ampleur du problème à l’échelle pancanadienne.

La sénatrice Mégie : Merci. Je reviens à notre étude sur l’immigration francophone. Lorsqu’on parlait de rétention des professionnels de différents domaines, surtout dans le domaine de la santé, on nous disait qu’en général, quand les gens arrivent d’un pays source francophone, ils sont bien étonnés de devoir remplir des documents qui ne sont qu’en anglais; cela les décourage.

Aujourd’hui, Mme Roy vient de nous dire que même avec le recrutement dans les pays sources, il faut aviser les candidats que, dans certaines régions, ils devront parler anglais. Quel serait le meilleur moyen de les faire venir au pays et de les retenir, tout en sachant qu’ils devront respecter la dualité linguistique? On les recrute dans les milieux sources francophones parce que nous sommes déjà en déficit, mais on leur dit qu’ils devront respecter la dualité linguistique. Vous y avez sûrement pensé. Avez-vous quelques commentaires à faire à ce sujet?

Mme Roy : Il est bien évident qu’il faudra de la formation linguistique, et cela peut se faire avant qu’ils quittent leur pays. On peut le faire dans un modèle de prédépart, pour être en mesure de leur donner la base requise afin qu’ils puissent bien fonctionner quand ils arrivent dans leur milieu respectif.

M. Dupuis : L’autre élément problématique, c’est que lorsqu’ils arrivent au Canada, ils doivent choisir l’une des deux langues officielles dans laquelle ils peuvent suivre des cours gratuitement. En milieu minoritaire, étant donné qu’on doit faire ce choix, certains vont parfois choisir le français pour avoir une actualisation en français canadien, mais ils n’auront pas accès gratuitement aux cours de langue en anglais. Il faut absolument que ces cours payés par le gouvernement fédéral soient offerts dans les deux langues pour les personnes qui s’établissent à l’extérieur du Québec.

La sénatrice Mégie : Si je comprends bien, cela n’est pas en vigueur actuellement et vous espérez que le gouvernement fédéral finance un tel programme?

M. Dupuis : En effet.

La sénatrice Clement : Bienvenue aux deux témoins. On est toujours heureux de vous voir; vous êtes toujours bien préparés et c’est très apprécié. J’aimerais revenir sur les neuf recommandations que Mme Roy nous a lues. En réponse à la sénatrice Mégie, vous avez parlé des données, et l’une des recommandations est justement de créer un institut de recherche pour les données et l’accès aux soins.

Pourriez-vous nous en parler davantage? Quelle a été la conversation entre vous et Santé Canada sur ces neuf recommandations? Quel est l’état de la situation? Ces neuf recommandations semblent très claires. J’imagine que vous avez eu des conversations, mais où en êtes-vous par rapport à ces recommandations?

M. Dupuis : Il a été question d’une infrastructure de recherche. Je ne pense pas que c’est un institut à proprement parler, mais la partie VII de la nouvelle Loi sur les langues officielles parle beaucoup de mesures positives. Les ministères doivent prendre des mesures positives pour combler certains écarts et contribuer à la vitalité des communautés. Cependant, s’ils n’ont pas de données, comment les ministères pourront-ils développer des mesures positives arrimées aux besoins?

Nous avons discuté avec notre réseau de la santé, qui a des établissements satellites dans chaque province et chaque territoire. Le problème des données est majeur et je crois que c’est le premier problème structurel qu’il faut régler. Si le gouvernement du Canada n’est pas au fait des écarts à combler, il ne pourra pas mieux financer les services en français au moyen des différents transferts et des accords.

Il faut donc se doter d’une capacité ministérielle, mais aussi aller vers nos collèges et universités qui ont des instituts et des chaires de recherche en matière de santé des francophones. Il s’agit aussi de mettre en commun ce savoir pour établir des indicateurs et indiquer clairement les écarts que l’on doit combler en matière de services ou de santé des francophones, par exemple.

La sénatrice Clement : C’est la cinquième parmi vos neuf recommandations...

M. Dupuis : Il n’y a pas de hiérarchie, mais cela pourrait être un des éléments fondamentaux. Tous les ministères devront renforcer leur collecte de données et mieux connaître l’état de la situation. Santé Canada, c’est une chose. En ce qui concerne les relations avec le ministère, c’est notre membre, la Société Santé en français, qui est le premier interlocuteur, mais on a eu des discussions avec le cabinet du ministre de la Santé sur les des accords et sur nos attentes au moment où le gouvernement fédéral négociera avec chaque province. C’est manifestement un début de conversation, mais ce n’est pas la fin.

La sénatrice Clement : J’ai une question au sujet des chiffres de 80 % et de 20 %; on dit que 80 % des frais destinés à la santé sont des ententes provinciales et territoriales et que 20 % sont des accords bilatéraux. J’aimerais comprendre la distinction entre les deux.

M. Dupuis : Le chiffre de 80 % représente des ententes de transferts fédéraux. C’est un montant sans condition que le gouvernement fédéral verse aux provinces et aux territoires...

La sénatrice Clement : Sans clauses linguistiques?

M. Dupuis : À part les normes établies dans la Loi canadienne sur la santé. Il y a quatre principes qui m’échappent — soit assurer un accès équitable à un système de santé équivalent partout au pays. Donc, 80 % de l’argent va à cet endroit, mais il y a 20 % des accords bilatéraux où le gouvernement fédéral négocie certaines priorités, conditions et collectes de données.

Évidemment, le véhicule des accords bilatéraux est intéressant pour nous et, dans la renégociation de ces accords, le gouvernement fédéral a établi ce principe d’accès équitable pour les groupes en quête d’équité, dont les communautés. Le principe est là, mais lorsqu’on voit les plans d’action, comme celui de la Colombie-Britannique, on constate que le gouvernement fédéral n’a pas suivi ses propres fonds et a établi un principe large, sans exiger de résultats ni définir des indicateurs clés pour les minorités de langue officielle. C’est problématique dans la mise en œuvre, malgré ces principes qui ont été ajoutés aux récents cycles d’accords.

La sénatrice Clement : Quelles sont les meilleures provinces, alors?

M. Dupuis : On ne le sait pas encore. La Colombie-Britannique est la seule... On entend de bons échos de l’Alberta, par exemple, où la communauté a beaucoup travaillé avec son ministère, mais cela reste à voir, car les ententes et les accords ne sont pas rendus publics pour le moment.

La sénatrice Clement : Cela dépend du travail des communautés avec leurs ministères?

M. Dupuis : Notre travail est là sur le terrain, des deux côtés, soit auprès du gouvernement fédéral et dans chacune des juridictions, pour s’assurer que nos préoccupations soient prises en compte, mais le taux de succès dépend aussi parfois de la volonté des gouvernements provinciaux.

La sénatrice Clement : Merci.

Le président : Vous avez parlé de la Loi canadienne sur la santé. Je voudrais vous entendre sur les fameux comités consultatifs, parce qu’on s’y perd quant au nombre et à la pertinence des comités, et on ne sait pas qui fait quoi. Ce serait intéressant de préciser avec vous les besoins de ces communautés en cette matière, de connaître la composition des comités, et cetera.

D’abord, vous vous souviendrez que, au début des années 2000, le député Mauril Bélanger — dont je salue la mémoire et les actions ce soir — avait déposé un projet de loi visant à ajouter un sixième principe à la Loi canadienne sur la santé, qui était en fait celui de la dualité linguistique. Cette législation aurait ajouté le principe de dualité linguistique aux conditions que les régimes d’assurance-maladie provinciaux devaient respecter pour bénéficier d’une pleine contribution financière du gouvernement fédéral. Vous aviez soutenu cet amendement à l’époque. En 2019, dans votre document intitulé La FCFA passe à l’action : proposition d’un nouveau libellé de la Loi sur les langues officielles, vous avez réitéré votre appui à cette proposition. Où en êtes-vous dans le contexte actuel quant à cette proposition? Que pouvez-vous nous dire?

M. Dupuis : C’est toujours un principe que l’on défend et que l’on soutient. Il n’y a pas d’intention de rouvrir la Loi canadienne sur la santé, mais si on se fie aux principes de cette loi, il s’agit d’un principe d’équité où il y a une certaine péréquation au Canada qui fait en sorte qu’on finance des services publics pour qu’ils soient accessibles partout. Le fait que les deux communautés linguistiques nationales doivent avoir un accès équitable à des soins de santé, cela ne veut pas dire que les mêmes soins de santé sont offerts partout. On peut explorer de nouveaux modèles de prestation, mais ce serait un principe que l’on continuerait de défendre absolument si le gouvernement voulait rouvrir la Loi canadienne sur la santé. Je pense qu’on appuie cette idée et on pourrait l’ajouter à une recommandation que ferait ce comité. Je pense que c’est toujours très pertinent.

Le président : Je vais m’appuyer sur une vision de la sénatrice Clement sur la question de la diversité et des réalités... On parle de deux communautés linguistiques, mais on sait bien qu’à l’intérieur de tout cela, il y a une diversité de réalités, des diversités culturelles et des diversités de tous les genres. À votre avis, y a-t-il quelque chose à dire par rapport à cela, parce que la notion de dualité linguistique contient quand même tout cela? Y aurait-il lieu de préciser ce que signifie aujourd’hui la dualité linguistique dans le contexte actuel de 2023, par exemple?

M. Dupuis : C’est bien d’avoir un principe qui mentionnerait les groupes en quête d’équité, de les nommer, de faire une liste et de nommer les communautés de langue officielle, mais on sait que les réalités sont intersectionnelles et que, au sein de la francophonie canadienne, il y a d’autres obstacles si on est une personne racisée, une femme, une personne LGBTQ2+, et cetera.

On ne peut pas inclure ces principes d’équité et nommer des groupes si on ne collecte pas des données et si on ne suit pas ces intersectionnalités. On commence à nommer des principes, mais l’opérationnalisation d’un accès équitable pour les groupes en quête d’équité requiert un gros travail de la part du ministère. Des fonds doivent aussi être rendus disponibles pour soutenir ces groupes. Il y a des offres de services nouvelles et innovantes que l’on peut développer si nous sommes sérieux dans cet engagement, pas juste pour les langues officielles, mais pour l’ensemble des groupes de la société canadienne.

Le président : Merci. Je veux vous entendre sur le comité consultatif. Dans votre quatrième recommandation, vous réclamez la création d’un comité consultatif permanent. En 2017, on avait mis sur pied un comité consultatif pour le portefeuille de la santé. Avez-vous contribué à ce comité? A-t-il permis de faire des avancées? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet? Pouvez-vous nous parler plus en détail du comité consultatif permanent que vous voulez créer?

Je vous pose la question dans la vision ou la perception suivante : on a l’impression que, dans le système de santé au Canada, il y a une multitude de joueurs et un déficit de concertation, de collaboration et de consultation. Quels bénéfices exacts comptez-vous obtenir au moyen de ce comité consultatif permanent, et que pouvez-vous nous dire sur son fonctionnement, sa composition et ses objectifs à ce stade-ci?

M. Dupuis : Le comité que nous proposons est un comité ministériel qui relèverait directement du ministre de la Santé. Le défi avec les comités consultatifs actuels au ministère dans les différentes moutures était le suivant : est-ce qu’il relève des autres échelons du ministère ou de la direction générale ou autre? Je crois que ce serait plus pertinent de créer un comité consultatif permanent du ministre, qui serait responsable de fournir des orientations au ministre lorsqu’il négocie avec les provinces et territoires.

On sait que l’une des premières responsabilités du ministre de la Santé du Canada est de négocier des ententes de transfert avec les provinces. Cela reste une compétence exclusive des provinces et territoires. Nous cherchons à avoir l’oreille directe du ministre et à mobiliser des experts sur les questions de santé qui touchent la minorité linguistique, pour outiller le ministre et les autres échelons du ministère sur ce qu’on a besoin de faire dans les prochains cycles de renégociations dans le Nord.

Le président : Sur la composition et la représentativité... C’est souvent le défi au sein des comités consultatifs : la représentation des réalités différentes. Madame Roy, avez-vous quelque chose à ajouter par rapport à cela?

Mme Roy : Il faut que les organismes communautaires fassent partie de ces comités consultatifs si l’on veut avoir une bonne indication de ce qui se passe dans la communauté. Il faut que nos organismes puissent participer à ces consultations.

On pourrait se référer à la Loi sur les langues officielles pour voir l’importance de la consultation.

Je pense qu’il faut réunir des gens qui s’y connaissent. On va ramener les consultations, parce qu’il faut avoir des gens qui peuvent parler de collecte de données, de reddition de comptes et de transparence. En plus des gens de la communauté, il faut aussi avoir des responsables qui peuvent parler de ces éléments.

Le président : D’accord. Je vous remercie.

J’ai d’autres questions, mais je vais d’abord céder la parole à la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : On parlait des recommandations, et j’aimerais avoir un suivi à ce sujet. Pour ce qui est des neuf recommandations que vous avez mentionnées, avez-vous eu la chance de rencontrer le nouveau ministre de la Santé pour lui faire part de vos recommandations?

Mme Roy : Nous n’avons pas encore eu la chance de le rencontrer.

Comme l’a mentionné plus tôt M. Dupuis, bon nombre de ces discussions sont menées par l’un de nos membres, soit la Société Santé en français. La Fédération des communautés francophones et acadienne, ou FCFA, n’a pas encore rencontré le nouveau ministre de la Santé.

La sénatrice Poirier : Avez-vous l’intention de faire une demande pour rencontrer le ministre afin de lui faire part de vos recommandations?

Mme Roy : Oui, absolument. Nous voulons le rencontrer avec nos collègues ou confrères de la Société Santé en français.

La sénatrice Poirier : En ce qui concerne votre recommandation sur le comité consultatif, avez-vous l’intention d’avoir des gens de toutes les provinces du Canada qui siègent à ce comité? Cela fait-il partie de vos recommandations?

Mme Roy : Je pense qu’on est en mesure d’avoir des gens qui pourront parler en toute connaissance de cause avec les représentants des différentes provinces. Par exemple, la Société Santé en français est une fédération de plusieurs organismes qui travaillent dans chacune des provinces. Ils savent ce qui s’y passe. On a des organismes porte-parole à l’échelle nationale. Nous avons donc une bonne idée de ce qui se passe partout au Canada.

Plutôt que d’avoir neuf représentants des provinces et trois des territoires, on peut parfois aller chercher d’autres groupes qui peuvent parler au nom de l’ensemble de la francophonie canadienne.

La sénatrice Poirier : Je vous promets que c’est ma dernière question.

Puisque le Nouveau-Brunswick est la seule province officiellement bilingue du Canada, trouvez-vous que les services de santé offerts aux citoyens dans la langue de leur choix sont meilleurs au Nouveau-Brunswick, comparativement aux communautés de langue officielle en situation minoritaire des autres provinces? Même si les francophones sont minoritaires au Nouveau-Brunswick, qui est une province officiellement bilingue, les francophones sont-ils dans une meilleure situation?

Mme Roy : Les outils existent pour que les francophones du Nouveau-Brunswick soient dans une meilleure situation. Ce n’est pas encore parfait. Cette province étant officiellement bilingue, il y a des droits qui reconnaissent l’importance des communautés. Ce sont des droits qui existent dans les deux communautés.

Je pense qu’il est peut-être plus facile d’obtenir des services en français, mais on entend aussi certains commentaires, à savoir que, dans certaines régions de la province, bien qu’il y ait eu beaucoup d’améliorations au cours des dernières années, c’est plus difficile d’avoir accès à certains services en français.

La sénatrice Poirier : Merci.

Le président : Allez-y, monsieur Dupuis.

M. Dupuis : Au Nouveau-Brunswick, ce qui peut nous inspirer ailleurs au pays, c’est l’idée des institutions distinctes. Avec la nouvelle Loi sur les langues officielles, le gouvernement fédéral reconnaît l’importance des institutions distinctes de la minorité.

Dans le domaine de la santé, est-ce que cela veut dire qu’on aura une régie de santé bilingue, comme au Nouveau-Brunswick ou dans d’autres provinces? Non. Dans certains cas, ce seront des institutions désignées. Dans d’autres cas, ce seront des centres de santé familiale francophones ou bilingues.

Il est important que le ministère de la Santé fédéral réfléchisse à différents modèles avec les communautés et à la façon dont on peut structurer le système de santé pour assurer une certaine autonomie et une certaine influence dans la prise de décisions et pour créer des modèles de prestation de services plus efficaces.

Aujourd’hui, comme francophones en milieu minoritaire, il arrive trop fréquemment qu’on ne sache pas où se tourner pour trouver un médecin de famille ou encore moins pour trouver un médecin spécialiste, surtout lorsqu’on est dirigé vers des spécialistes ailleurs au pays.

Au Nouveau-Brunswick, une certaine stabilité institutionnelle et une vision se sont dégagées du bilinguisme dans la province, mais il faut réfléchir aussi à la façon dont on veut et dont on peut structurer des institutions fortes dans les communautés minoritaires partout au pays, pour augmenter l’accès et surtout permettre aux francophones qui veulent être soignés et servis en français de ne plus être forcés à chercher constamment ces services. Malheureusement, on n’en est pas encore là, mais il y a de l’espoir. Les nouveaux outils de la Loi sur les langues officielles nous pointent dans cette direction.

Le président : Merci.

J’aimerais entendre vos commentaires sur la prise de règlements et la mise en œuvre prochaine de la Loi sur les langues officielles. Vous avez sans doute entendu la présidente du Conseil du Trésor, Mme Anand, dire au comité que cela allait prendre un certain temps.

Je voudrais aussi entendre vos commentaires sur la question des soins de santé dans le secteur privé et sur la capacité d’obtenir des services dans la langue de son choix dans les provinces et les régions.

Ma question est simple : êtes-vous préoccupés par la question des services de santé qui relèvent de plus en plus du domaine privé? Qu’est-ce que cela amène comme préoccupations? À votre avis, comment le gouvernement fédéral, dans le contexte des ententes, peut-il aider à contrer les effets négatifs possibles des établissements privés?

Qui peut répondre à ma question? Madame Roy?

Mme Roy : Je pourrai commencer et M. Dupuis pourra poursuivre.

C’est difficile pour nous, car ce n’est pas une question d’évaluation de la rentabilité d’offrir un service à une communauté francophone dans sa langue. C’est de cela qu’on parle ici, c’est-à-dire des services dans le secteur privé. Il y a des objectifs de rentabilité et le développement de nos communautés ne doit pas être vu dans le prisme de la capacité de payer. À terme, cela mettrait en danger nos communautés. De ne pas être capable d’accéder à un service dans notre langue dans le système public, il est plus important, selon nous, d’être en mesure d’obtenir des services dans le système public que de commencer à voir ce que cela voudrait dire si nos communautés devaient commencer à payer pour obtenir des services.

Le président : D’accord.

M. Dupuis : On a déjà un problème avec les tierces parties qui font affaire avec les gouvernements fédéraux et provinciaux. Souvent, quand une tierce partie est impliquée, les obligations linguistiques ne suivent pas ou alors elles sont dans le contrat, mais la mise en œuvre n’est pas réalisée, parce que c’est une entité privée ou à part qui gère un service au nom du gouvernement. Cela nous inquiète énormément. Je ne vois dans aucun...

Le président : Ce que vous dites, c’est que la reddition de comptes n’existe pas. Quel est le...

M. Dupuis : On a déjà un problème pour ce qui est du suivi des services gouvernementaux qui sont censés être offerts aux francophones. Je ne crois pas qu’on a la capacité ni le souhait de voir ce que des tierces parties du secteur privé feraient si elles avaient l’obligation d’offrir certains services. Je pense qu’on serait très loin de leurs grandes priorités.

Le président : D’accord.

Mme Roy : Si vous me le permettez, j’allais dire qu’on pourrait comparer cela aux clauses linguistiques. C’est très difficile d’avoir des clauses linguistiques dans les ententes fédérales-provinciales-territoriales. Si on a des tierces parties issues du secteur privé, ce sera le même scénario encore une fois.

Le président : J’ai une question au sujet de la prise de règlements.

Vous avez beaucoup travaillé sur la suite de l’adoption du projet de loi C-13. Quelles sont vos principales préoccupations à cet égard? La présidente du Conseil du Trésor et le nouveau ministre des Langues officielles parlent de leur capacité de mettre en œuvre la loi dans un délai raisonnable. Quel est votre espoir à cet égard?

Mme Roy : Selon nous, un délai raisonnable serait de 18 mois environ plutôt que les trois années dont on a entendu parler lors de la présentation devant votre comité. Notre souhait, c’est que l’on commence par la partie VII, à savoir les mesures positives, parce que celles-ci touchent nos communautés. Il faut que cela se fasse relativement rapidement, soit d’ici 18 mois. Je vais laisser M. Dupuis poursuivre, s’il veut ajouter des commentaires.

M. Dupuis : Il a fallu six ans pour adopter un projet de loi. S’il faut attendre encore trois ans pour avoir les premiers règlements, cela fera une décennie qu’on travaille sur ce dossier. Les communautés sont résilientes et organisées. Tout a été dit dans les multiples consultations que nous avons déjà menées avec les différents ministères en préparant la modernisation de la loi. Nous avons dit au Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada que l’ensemble du réseau de la francophonie canadienne était prêt, qu’il connaissait déjà ses demandes, qu’on allait soumettre un mémoire et qu’on souhaitait que le processus formel qui mènerait à l’adoption des règlements soit enclenché le plus rapidement possible. Les communautés sont prêtes. Notre souhait est que cela se fasse plus tôt. La durée de 18 mois a été vue comme une promesse. Le gouvernement a dit qu’on avait l’intention d’adopter les premiers règlements dans 18 mois. On souhaite que le gouvernement tienne parole et travaille avec nous pour aller rapidement. Les besoins sont connus.

Le président : À votre avis, est-ce que, dans les commentaires des deux ministres qui ont comparu devant nous, les champs de responsabilité de l’un et de l’autre semblent assez clairs? Sinon, avez-vous quelques commentaires à faire par rapport à cela, pour aider le comité à bien comprendre comment devrait ou comment va fonctionner cette répartition des responsabilités?

M. Dupuis : Pour le moment, nous n’avons pas d’indications claires sur qui jouera quel rôle. On se fie à la loi qui a été adoptée. Ce serait très important que Patrimoine canadien et le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada rendent rapidement cette division des tâches publique, pour qu’on puisse bel et bien comprendre de qui révèle l’établissement des règlements, la supervision et le suivi de la mise en œuvre de la loi, ainsi que les éléments de politique publique et de grande vision.

On avait proposé une agence centrale. Le résultat du processus parlementaire nous a donné deux institutions qui jouent des rôles importants. Ce tandem doit être absolument clair. Si on ne voit pas sur papier quels sont les rôles et les responsabilités de chacun, on aura de la difficulté à assurer la mise en œuvre de la loi.

Le président : Madame Roy, y a-t-il quelque chose que vous voudriez ajouter?

Mme Roy : Non, c’est bien. C’est très bien, oui.

Le président : Je ne crois pas que mes collègues ont d’autres questions à vous poser. Je vous remercie tous les deux pour votre engagement envers les communautés de langue officielle en situation minoritaire, pour le travail que vous faites et pour la rigueur de vos comparutions au comité. C’est toujours un plaisir de vous accueillir et de vous entendre. Nous vous remercions énormément. Votre contribution va certainement alimenter notre rapport. Merci beaucoup.

Pour notre dernier groupe de témoins, nous avons l’honneur d’accueillir, par vidéoconférence, M. Paul G. Brunet, président du Conseil pour la protection des malades du Québec. Bonsoir, monsieur Brunet, et bienvenue parmi nous. J’ai parcouru vos notes biographiques. Je suis impressionné par votre parcours. Je vous remercie de tout le travail que vous avez fait. Nous sommes prêts à entendre votre déclaration préliminaire, qui sera suivie par une période de questions. La parole est à vous, monsieur.

Paul G. Brunet, président, Conseil pour la protection des malades du Québec : Merci, monsieur le président. Honorables sénateurs et sénatrices, bonsoir. Je vous rappelle que le Conseil pour la protection des malades est un organisme fondé il y a 50 ans par mon grand frère, Claude, qui a résidé dans un centre d’hébergement avant de mourir. Cela fait 25 ans cette année que je suis porte-parole du conseil.

[Traduction]

Rappelons que le Conseil pour la protection des malades du Québec n’est pas un défenseur des droits linguistiques. Nous défendons l’accès aux soins de santé pour tous les malades, quelle que soit leur langue, l’objectif étant qu’ils reçoivent les soins de santé adéquats dont il a besoin.

[Français]

C’est notre combat depuis près de 50 ans. Nous ne sommes pas un organisme défenseur des langues, mais de l’accès aux soins pour les patients. D’ailleurs, on se bat pour les patients dans l’Ouest-de-l’Île de Montréal qui ne peuvent pas être soignés en français; pour les patients de l’est de Montréal, car certains patients anglophones sont mal compris par le personnel francophone; à l’Hôpital Santa Cabrini, pour des personnes âgées qui ne parlent que l’italien; à l’Hôpital chinois, pour des gens qui ne parlent que le chinois.

[Traduction]

Nous nous battons pour tout le monde. C’est l’histoire de nos vies.

[Français]

La langue est un outil essentiel pour comprendre et être compris lorsqu’une question de santé se présente pour nous, un membre de notre famille ou un ami. La Loi sur les services de santé et les services sociaux du Québec donne certaines garanties quant au droit de comprendre et d’être compris. Par exemple, il y a des médecins extraordinaires au Centre universitaire de santé McGill, des médecins hautement spécialisés, qui sont incapables de parler en français. On réussit à faire traduire les soins qu’un médecin chevronné donne, car on a besoin de lui ou d’elle, nonobstant le fait que la personne peut avoir de la difficulté à parler en français.

Ces droits comprennent la confidentialité du dossier, le droit d’être informé suffisamment de sa situation, le droit de comprendre le personnel et d’être compris, le droit de participer aux décisions qui nous concernent, le droit de consentir ou de refuser un traitement et d’être traité avec respect et dignité. Le droit de recevoir des soins au Québec fait partie du droit plus général reconnu par la Charte canadienne des droits et libertés, qui est le droit à la vie. Pour nous, le droit de recevoir des soins est manifestement un démembrement du droit à la vie, et il est notamment protégé par les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés.

Depuis 1991, l’État québécois a limité les droits prévus conformément à sa Loi sur les services de santé et les services sociaux en mentionnant qu’ils sont sujets aux ressources humaines, financières et matérielles disponibles. L’article 15 de la loi actuelle sera remplacé par l’article 14 ou 16 du projet de loi no 15, qui est à l’étude actuellement en commission parlementaire. Cependant, ces limitations, qu’il s’agisse de droits linguistiques ou liés à la santé, ne peuvent pas être contrecarrées par le droit des gens à recevoir des soins, parce que conformément à la Charte canadienne des droits et libertés, le droit à la vie, et donc le droit aux soins, et le droit à la sécurité sont des droits constitutionnels.

À notre avis, le législateur québécois ne peut pas, légalement et constitutionnellement, limiter l’accès aux soins au motif de son article 15, à cause des droits garantis à la vie et à la sécurité qui sont consacrés dans la Charte canadienne des droits et libertés.

L’article 15, qui vient limiter ces droits, devrait être interprété. Il l’est par nous à plusieurs égards, à cause du travail que nous faisons pour nous assurer que les gens reçoivent des soins et que le droit à la vie et à la sécurité est toujours respecté, malgré le fait qu’il manque des ressources.

La question des droits en matière de santé surgit par rapport à la question des services qui sont en périphérie des soins cliniques, comme les soins de chevet, le droit au bain, à la douche, le manque d’hygiène dans les centres de soins de longue durée, des repas convenables, des patients souffrant d’Alzheimer qui ne sont pas hébergés dans des lieux sécuritaires pour eux et pour les autres résidants.

Nous continuons de prétendre que ces soins fort importants dans les centres de soins de longue durée ne sont pas des activités protégées par la compétence des provinces en matière de santé. Ce ne sont pas des soins de santé. Alors, le paragraphe 92(7) de la Loi constitutionnelle ne peut pas s’appliquer, parce qu’il parle de la santé et des hôpitaux. Pour nous, là où le gouvernement canadien pourrait intervenir — et nous allons certainement l’appuyer —, c’est dans tous les soins en périphérie qui ne sont pas des soins médicaux, qui ne sont pas des soins hospitaliers. Il s’agit de soins d’hôtellerie. On parle de la literie, des repas. Est-ce qu’un repas est un peu un soin médical? Certains diraient que oui, mais ce ne sont pas des actes cliniques protégés et réservés aux médecins et aux infirmières.

En ce sens, le gouvernement fédéral a certainement une marge de manœuvre pour éviter les sempiternelles luttes avec les gouvernements des provinces sur la question de la compétence en matière de soins de santé. Je suis désolé. J’ai déjà entendu le premier ministre Legault dire : « Les soins de santé, c’est notre compétence. » Oui, mais vous livrez très mal les soins liés aux bains, aux douches, aux repas et pour répondre à la cloche dans les centres d’hébergement. Alors, ne nous dites pas que c’est votre compétence exclusive et encore moins que vous le faites bien, parce que ce n’est pas vrai. Il y a un recours collectif actuellement devant la Cour supérieure contre tous les centres d’hébergement du Québec pour maltraitance envers les personnes hébergées.

Lorsqu’une personne est malade, il faut éviter que la barrière de la langue devienne un obstacle pour être compris et pour comprendre les soignants, surtout en situation d’urgence; on n’a pas le temps. J’ai entendu les témoignages des témoins précédents et je dois dire qu’en général, lorsque l’on se bat pour des patients pour qu’ils reçoivent des soins et pour qu’ils soient compris en français ou en anglais au Québec, il y a certaines régions où c’est plus difficile, mais en général, on réussit, avec de bons accommodements, à faire entendre raison et à faire en sorte que les serments d’office des infirmières et des médecins soient respectés par eux et elles lorsqu’il faut offrir des soins urgents, en particulier à des malades québécois.

Selon l’Institut de la statistique du Québec, 20 % des patients ne parlent pas français et ont de la difficulté à comprendre et à être compris lorsqu’ils ont besoin de soins ou de services sociaux. Les accommodements et les services de traduction sont maintenant disponibles à plusieurs endroits, mais une attention particulière doit être portée pour que les soignants et les patients aient accès à l’apprentissage des deux langues officielles du Canada.

J’étais récemment à l’aéroport de Toronto. Je me suis présenté au comptoir d’Air Canada, qui doit être bilingue, et j’ai demandé à la dame si elle était bilingue.

[Traduction]

Elle a dit : « Oui, monsieur. Je parle anglais et hindi. » Avec tout le respect que je lui dois, ce n’est pas le genre de bilinguisme dont nous parlons ici au Canada.

[Français]

Lors de la pandémie, par exemple, peu de documents d’information ont été rendus disponibles en anglais, de sorte que les patients unilingues anglophones, qui étaient souvent des personnes âgées, n’ont eu que très difficilement accès aux consignes gouvernementales, ce qui les a placés dans une situation risquée, surtout en situation de pandémie, puisque nous l’avons tous vécue ensemble. Les langages verbal et non verbal sont aussi des indicateurs de l’état et de la condition de santé du patient. Pour cela, on ne devrait pas se perdre dans le processus de traduction mis en place par l’institution soignante. Je sais qu’il y a des services de traduction dans divers grands centres hospitaliers, comme à McGill et au CHUM. Je sais que des communautés autochtones, dans l’Ouest du Québec comme à Joliette, ont parfois accès à des services de traduction pour les personnes des Premières Nations qui ne peuvent pas comprendre le français ou l’anglais.

Dans certaines situations, un patient très malade perd certaines habiletés du langage et peut requérir une attention particulière pour ce qui est de la langue qu’il comprend au moment des soins, et pas nécessairement à la langue identifiée dans son dossier. Quelqu’un qui subit une attaque cérébrale, par exemple, perdra la connaissance d’une des langues qu’il parle et sera soudainement plus à l’aise dans une autre langue pour des raisons que je ne pourrais expliquer. Parler une autre langue dans laquelle on peut être compris, même si la désignation de la langue diffère dans le dossier, peut être un atout pour ce patient ou pour le personnel soignant.

L’idée, c’est d’œuvrer pour que les Canadiens et les nouveaux arrivants, de quelque origine qu’ils soient, aient le droit et aient accès à l’apprentissage de l’anglais ou du français, selon la province au Canada et selon l’endroit où ils décident de faire leur vie. Le système de santé québécois est lourd et compliqué et il faut prendre toutes les mesures requises pour qu’un patient puisse être compris et puisse comprendre lors de son séjour à l’hôpital, quand il reçoit des soins à domicile ou dans un centre de soins de longue durée. Sinon, on met inévitablement à risque le traitement et le recouvrement de la santé du patient.

Le projet de loi C-15 actuellement à l’étude a la prétention d’assurer que le système de santé sera moins lourd et moins bureaucratique à l’avenir. Je l’espère. Les patients eux-mêmes et leurs familles sont de plus en plus sollicités pour être des partenaires dans les soins auxquels ils participent avec les soignants. La compréhension des communications de tous quant aux enjeux de soins et de consentement n’a, en ce sens, jamais été aussi importante. Il faut alors œuvrer à un meilleur accès aux soins, en particulier aux soins de première ligne, et surtout faire en sorte que la langue ne soit jamais un enjeu pour aucun patient, au Canada comme au Québec.

Enfin, rappelons que le Conseil pour la protection des malades est un organisme privé, à but non lucratif, mal financé par le gouvernement du Québec. Nous avons hâte que le gouvernement fédéral nous aide à financer nos services et nous souhaitons agir indépendamment du gouvernement, de l’âge des gens, de leur maladie ou handicap, de leur langue, de leur groupe ethnique, de leur orientation sexuelle ou de leur origine socioculturelle, parce que les malades ont le droit de recevoir des soins et des services adéquats, dignes de leur état et de leurs besoins. Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Brunet. Merci de préciser que vous n’êtes pas spécialisé dans la question des droits linguistiques anglais-français. L’expérience que vous vivez face aux défis que vivent les services de santé et les patients dans le domaine de la langue, peu importe la langue, peut éclairer notre débat sur les services de santé dans la langue de la minorité. Vos propos sont éclairants dans ce sens-là.

Vous avez abordé certains enjeux qui touchent généralement plus largement d’autres enjeux que ceux de la langue, donc les enjeux liés aux services de santé plus largement. Notre objectif est de concentrer les enjeux qui concernent les minorités linguistiques en situation minoritaire, qu’il s’agisse de la communauté anglophone du Québec ou de la communauté francophone à l’extérieur du Québec. Cela dit, j’ouvre la période des questions avec cette mise en contexte en tête. Je vous remercie encore d’être présent. Je donne la parole à la vice-présidente du comité, la sénatrice Poirier.

La sénatrice Poirier : Merci d’être avec nous ce soir. J’ai quelques questions. Au Québec, les anglophones sont en situation minoritaire, comparativement au reste du Canada, où ce sont les francophones qui sont en situation minoritaire. Recevez-vous des plaintes sur le manque d’accès aux services de santé en anglais, comme celles que reçoit le Quebec Community Groups Network? Si oui, quel genre de plaintes recevez-vous?

M. Brunet : Je reçois des plaintes de patients anglophones et même de résidants de centres d’hébergement ou de leur famille dans certains secteurs de Montréal. À Québec, je reçois des plaintes de patients anglophones qui ne sont pas compris par le personnel soignant. Je reçois des plaintes de francophones de l’Ouest-de-l’Île, à Montréal, concernant certains membres du personnel qui ne parlent pas français. Comme je le disais plus tôt, à l’Hôpital Santa Cabrini, il y a beaucoup de personnes qui ne parlent que l’italien — des personnes âgées surtout — et qui ont besoin d’être aidées pour être comprises et pour comprendre. C’est la même chose dans l’est de Montréal, où des patients anglophones font des plaintes. Ce qu’on fait, c’est qu’on intervient. On rappelle à l’administration ses devoirs et les obligations prévues dans la loi. Ils nous disent qu’il y a l’article 15 qui prévoit des limites selon les ressources; je leur dis que le droit aux soins est un droit à la vie, que le droit à la vie est protégé par la Constitution canadienne et que ce n’est pas une défense ou une limite qu’ils peuvent soulever au regard du droit. Je suis moi-même avocat.

En général — je suis porte-parole depuis 25 ans —, on réussit à leur faire entendre raison. Cependant, parfois, nous devons nous battre et recourir à des instances supérieures, comme déposer une plainte auprès du commissaire aux plaintes ou nous tourner vers le Protecteur du citoyen du Québec. Tout récemment, j’ai dû m’occuper du cas d’une dame d’origine russe qui ne comprend que l’anglais et pour laquelle nous avons dû aller au front, parce que la personne n’était pas prise au sérieux, étant donné qu’elle ne parlait pas français. Nous avons dû nous tourner vers le Protecteur du citoyen; finalement, le CLSC en question a fini par offrir des services à la personne.

Il suffit d’avoir un peu de bonne volonté; cela peut assurer que les citoyens d’un pays bilingue comme le nôtre peuvent vivre ensemble.

La sénatrice Poirier : Votre organisation reçoit-elle du financement de la part du gouvernement fédéral afin de protéger les droits des patients anglophones au Québec? Si oui, comment utilisez-vous ce financement pour protéger les droits des patients anglophones en situation minoritaire au Québec?

M. Brunet : Nous ne recevons aucun financement. Nous ne comprenons pas pourquoi nous ne recevons pas davantage d’aide et pourquoi le gouvernement fédéral ne nous aide pas; nous sommes sous-financés par le gouvernement provincial, car nous ne recevons que 150 000 $ par année pour couvrir le Québec au complet. Nous sommes très peu nombreux au bureau; nous ne sommes que trois personnes, en fait. Ce serait vraiment apprécié si des liens étaient créés afin qu’on puisse présenter une demande de financement au gouvernement fédéral. Nous n’avons rien en ce moment.

La sénatrice Poirier : Avez-vous déjà rencontré le gouvernement fédéral pour faire des demandes?

M. Brunet : J’ai parlé à mon député, M. Guilbeault, et on m’a fait part de différentes possibilités; lors de la pandémie, on pouvait contracter un prêt de 20 000 $ ou de 40 000 $. J’ai répondu que ce n’était pas de cela dont nous avions besoin, mais bien d’un financement continu, afin de continuer d’œuvrer et de défendre les droits des gens qui ont besoin de soins, malgré le fait qu’ils ne parlent pas français. Nous ne recevons aucun financement du gouvernement fédéral, et c’est triste.

La sénatrice Poirier : Merci.

La sénatrice Mégie : Bonjour, monsieur Brunet. Merci d’être avec nous. Je reconnais vraiment votre dévouement à la défense des droits des patients au Québec. Je vous entends souvent sur les ondes.

J’aimerais faire suite à la question de la sénatrice Poirier. Je sais que vous recevez de nombreuses plaintes et que les plaintes couvrent un grand éventail de sujets. Disposez-vous de données qui font état de la proportion des anglophones comparativement aux francophones qui se plaignent à votre organisation?

M. Brunet : En ce qui a trait au nombre de plaintes que l’on reçoit, on ne fait pas d’études statistiques, car nous ne disposons pas du personnel requis pour le faire. Depuis 25 ans, nous recevons des plaintes et nous représentons tout le monde au Québec. Nous comptons 300 membres individuels dûment abonnés au sein de notre organisation et nous avons aussi 250 comités d’usagers et de résidants dans autant d’établissements de soins partout au Québec.

De ce nombre de comités affiliés, 20 % des comités sont anglophones. Demain soir, je donne une séance d’information sur le projet de loi no 15 au comité d’usagers de l’hôpital universitaire McGill; ce sera en anglais. C’est environ 20 % des comités, pour vous donner une idée, qui sont anglophones.

Je peux vous dire — et j’en suis très fier — que tous nos colloques sont interprétés simultanément chaque fois que nous tenons des assemblées. Nous avons organisé récemment un colloque à Brossard sur l’expérience des patients et il y avait des professionnels qui faisaient l’interprétation simultanée.

La sénatrice Mégie : Cela signifie que la question linguistique est une petite partie des plaintes que vous recevez?

M. Brunet : Absolument.

La sénatrice Mégie : Merci.

La sénatrice Clement : Merci d’être ici. Je suis très intéressée par votre travail; c’est remarquable. Vous conservez des données concernant les plaintes que vous recevez; recevez-vous plus de plaintes de gens qui vivent dans l’intersectionnalité, pas seulement sur le plan de la langue, mais aussi sur le plan des populations racisées, par exemple? Remarquez-vous une tendance en ce qui a trait à la vulnérabilité?

M. Brunet : Des gens sont abonnés individuellement et des comités viennent de toutes les régions du Québec et de tous les secteurs de la ville de Montréal. Les personnes qui ne peuvent pas s’exprimer en français ni en anglais sont relativement rares — enfin, pour les cas que nous défendons. On le fait aussi à l’Hôpital chinois de Montréal, par exemple, mais je n’ai pas de données précises à vous donner, à part pour vous dire que je participe souvent à des émissions de radio de la communauté haïtienne de Montréal, et ce, avec plaisir.

D’ailleurs, c’est souvent par téléphone que les communications se font pour les plaintes. On a, à la marge, des personnes racisées qui déposent une plainte et qu’on va accompagner dans le système; ces personnes ont généralement besoin de beaucoup plus d’aide, parce qu’on part de loin. Si par malheur on doit faire affaire à un groupe de soignants qui sont racistes ou qui ne veulent pas comprendre que tous les gens ont certains droits, peu importe d’où l’on vient, et surtout quelle que soit notre condition, il faut parfois parler un peu plus fort.

Ce que je dis souvent dans les communications que je dois faire à des gens... En général, les situations se règlent. Rappelons-le; en général, il y a des gens qui œuvrent dans le réseau de la santé et qui veulent aider. Toutefois, comme je l’ai appris dans mon cours de maîtrise en administration, il y a toujours 10 % qui fait partie d’un noyau dur. J’ai déjà été expulsé d’un établissement de soins parce qu’ils n’aimaient pas qu’on défende des malades. On les a eus dans notre radar pendant très longtemps.

Cependant, en général, cela se passe bien. Parfois, non; une fois, à Verdun, j’ai dû intervenir parce qu’on n’était pas capable d’offrir des soins à une personne âgée et que son conjoint ne parlait pas français non plus. Il faut alors frapper plus fort. En général, dans le cadre de mes communications, si cela ne fonctionne pas, je dis qu’on peut prendre des recours judiciaires, administratifs ou même médiatiques. Souvent, les médias vont changer la donne auprès de l’établissement concerné. Cela peut arriver. Pour nous, c’est le résultat qui importe; cela ne se fait pas toujours dans le respect des lois et des autorités, évidemment. Je suis avocat et je pousse. Je me rappelle qu’un proche de l’ancien ministre Barrette m’avait dit qu’on trouvait que je poussais un peu fort. J’avais répondu que lorsque le ministre Barrette arrêterait de pousser de son côté, on allait arrêter de pousser du nôtre.

C’est un jeu auquel jouent parfois les politiciens et auquel nous avons appris à jouer avec le temps.

La sénatrice Clement : Je comprends bien que vos ressources sont très limitées, mais les données que vous êtes en train de gérer au moyen du genre de plaintes que vous recevez pourraient être pertinentes, justement pour nourrir des investissements ou des résultats que nous devrions viser. Il serait intéressant de savoir s’il y a une tendance ou s’il y a une augmentation des plaintes de la part de gens qui ont plus de vulnérabilités. Voilà le point que je soulève, mais je comprends bien que vos budgets sont limités.

M. Brunet : Oui. Nous devrions être aidés par le gouvernement fédéral, mais je comprends la population anglophone. La moitié de ma famille est anglophone, d’ailleurs. Ils sont très inquiets du projet de loi no 96. J’étais récemment au Registraire des entreprises.

[Traduction]

La femme dit à un anglophone : « Monsieur, nous ne pouvons plus vous servir en anglais, mais si vous répondez aux critères d’exclusion, nous organiserons une réunion où vous pourrez rencontrer un agent qui parle parfaitement l’anglais. Veuillez donc vous asseoir et nous prendrons les dispositions nécessaires. »

[Français]

J’ai trouvé cela difficile. Ce n’était pas un problème en matière de soins, mais de services aux entreprises. La personne lui expliquait comment recevoir des services en anglais. J’ai trouvé cela un peu difficile. Je crois que c’est dans le cadre du projet de loi no 96, que je n’ai pas regardé. Souvent, les médias m’ont appelé.

[Traduction]

Ils m’ont dit : « Paul, il faut que tu interviennes. » J’ai répondu : « Holà, un instant! Soumettez-moi un cas où un patient ne reçoit pas de soins de santé adéquats et nous nous battrons pour lui, mais sachez que je ne suis pas un défenseur des droits linguistiques. Désolé. »

[Français]

La sénatrice Clement : J’ai une petite question de suivi. Vous avez dit que vous vous battiez pour tout le monde. Est-ce que vous avez eu des plaintes liées à d’autres langues, les langues autochtones, par exemple?

M. Brunet : Oui, mais pas à la hauteur de tout ce qui s’est passé à Joliette, par exemple. Comme l’a signalé une de nos membres, on devrait avoir plus de personnes. Il nous manque des gens. Si jamais vous connaissez des gens sur la Côte-Nord... En Gaspésie, nous en avons. En Outaouais, nous aurions besoin de représentants. Nous ne voulons pas être seulement un organisme de Montréal. Nous avons des représentants au Saguenay et en Gaspésie, mais il nous manque des représentants. Si ces gens, par chance, étaient aussi des représentants de communautés des Premières Nations ou des anglophones...

Nous avons des membres anglophones au sein de notre conseil. Ce sont eux qui s’assurent que toutes nos activités sont traduites simultanément en anglais. C’est ce qui fait la richesse de notre organisation.

Le président : J’aimerais en apprendre davantage. Vous avez parlé des soins de périphérie et des services de traduction. Quand je vous entends, c’est comme s’il y avait des enjeux et en même temps, vous dites souvent que vous finissez par trouver une manière de livrer les services.

Dans le contexte de notre étude, j’aimerais que vous nous parliez davantage de la question des accommodements. La réflexion est la suivante : comment le gouvernement fédéral, par ses ententes en santé et ses ententes bilatérales, peut-il davantage encourager les provinces à livrer les services périphériques?

Vous avez parlé de l’infrastructure dans le domaine des soins de santé. Évidemment, c’est un enjeu pour l’ensemble des services de santé, mais y a-t-il des enjeux spécifiques liés à l’infrastructure pour la communauté anglophone du Québec?

J’aimerais vous entendre un peu plus là-dessus pour avoir une idée claire de ce que vous entendez par le mot « accommodements ». Qu’est-ce que cela comprend? Qu’est-ce que vous entendez par « soins de périphérie »? Cela nous aiderait à mieux comprendre comment le gouvernement fédéral pourrait intervenir.

M. Brunet : Le paragraphe 92(7) de la Loi constitutionnelle prévoit que les soins de santé sont exclusivement de compétence provinciale. Je ne pense pas que ce soit exclusif. Il y a autre chose là-dedans. Tout le domaine de l’hôtellerie, des soins d’hygiène... Laver quelqu’un, ce n’est pas un soin de santé, vous comprenez? Laver le linge des gens, faire le ménage des chambres, avoir un repas digne de ce nom, ce ne sont pas des soins prévus au paragraphe 92(7).

Je crois que le gouvernement a certainement une marge de manœuvre là-dedans. Je ne veux pas faire de chicane — ce n’est pas le but —, mais je crois que le gouvernement fédéral a une marge de manœuvre pour agir sur ces questions. Nous pouvons certainement l’aider. J’aimerais que le gouvernement fédéral, comme l’a dit plus tôt une témoin, fasse une reddition de comptes. Si M. Legault ou d’autres membres du gouvernement du Québec disent qu’ils font bien le travail et qu’ils livrent vraiment les choses... Je suis désolé, ce n’est pas tout à fait vrai.

Le président : Est-ce que, à votre avis, pour le type de soins que vous venez de décrire — qui ne sont pas des soins de santé —, il y a plus ou moins d’enjeux dans les communautés anglophones en situation minoritaire au Québec? Y a-t-il des enjeux particuliers dans cette communauté dans les domaines des soins périphériques, des accommodements et de l’infrastructure? Est-ce qu’il y a des particularités? C’est la communauté qui nous intéresse dans ce cas-ci. Pouvez-vous identifier des enjeux particuliers?

M. Brunet : À part le droit d’être compris par le professionnel en soins et de le comprendre, tous les soins périphériques, comme je les appelle, sont négligés partout. Je veux préciser que ce n’est pas seulement à cause de la CAQ. Cela fait plusieurs années qu’on réclame que les gens aient droit à des repas dignes de ce nom.

C’est une plainte formulée autant par les anglophones que les francophones. Il y a une témoin qui a dit plus tôt qu’il y a des problèmes dans la prestation de soins et de services, tant pour les anglophones que pour les francophones. En matière de soins, oui, il y a certains problèmes, et certaines plaintes ont trait au fait que des gens ne sont pas compris ou ne comprennent pas les professionnels qui les soignent. C’est une grande barrière qui peut être très dangereuse.

Le président : Parlons de la livraison de services culturellement appropriés. La communauté anglophone du Québec est diverse. Elle vient de différents pays. Elle a un bagage culturel. Est-ce qu’il y a des préoccupations sur la manière de livrer les services? Je parle toujours de la communauté anglophone du Québec, qui est très diversifiée. Est‑ce qu’il y a des enjeux par rapport aux dimensions culturelles de la livraison des services, la prise en compte des cultures, par exemple?

M. Brunet : Ce à quoi j’ai été confronté là-dessus, ce sont des gens qui arrivent au Québec de Toronto et de Vancouver — qui sont souvent des gens d’origine indienne — et qui ne savent pas qu’au Québec, on parle français. Ils parlent un peu anglais, probablement surtout le hindi, mais là, il y a un problème avec la livraison des services, parce qu’il y a des anglophones qui ne comprennent pas le hindi non plus. Cela peut causer certains problèmes dans la prestation de soins.

Il y a aussi des gens qui viennent d’Europe de l’Est et qui ne savent pas qu’ils doivent parler français ou un peu l’anglais. Ils vont parfois se débrouiller un peu en anglais, mais il y a souvent un manque de connaissance des langues officielles chez ces gens. Cela crée des défis ou des limitations dans les soins à prodiguer pour lesquels le patient doit être compris et doit comprendre le personnel médical. C’est une chose pour laquelle nous devons souvent intervenir.

Le président : Je ne veux pas vous mettre de paroles dans la bouche, mais est-ce que j’interprète votre commentaire — je parle des immigrants, des gens qui viennent d’ailleurs — selon lequel il y a un manque de promotion des réalités linguistiques des communautés où ils vont s’installer? Cela relève davantage d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Est-ce un des facteurs possibles? Je ne veux pas vous mettre de mots dans la bouche.

M. Brunet : Oui, les gens devraient mieux savoir quelles sont les langues officielles au Canada.

Ils devraient aussi savoir à quoi ils devraient avoir accès pour mieux soigner les patients francophones et anglophones du Québec. Il faut qu’on ait au moins un minimum de connaissance de ces langues; je crois que cela serait apprécié. Cela diminuerait les risques auxquels les patients anglophones sont confrontés et qu’on doit souvent aider.

Le président : Je ne vois pas d’autres questions de mes collègues. Monsieur Brunet, je vous remercie de votre comparution à notre comité. Je me permets de vous dire que vous faites honneur à votre frère en œuvrant de la manière dont vous le faites pour poursuivre son œuvre. Je vous remercie très sincèrement. Nous allons prendre en compte vos commentaires dans la rédaction de notre rapport.

Honorables sénatrices et sénateurs, nous allons suspendre momentanément la séance et nous allons passer à huis clos pour une courte période. Bonne fin de soirée.

(La séance est levée.)

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