LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES LANGUES OFFICIELLES
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 4 novembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd’hui, à 17 h 11 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la réponse du gouvernement au deuxième rapport du Comité sénatorial permanent des langues officielles intitulé L’immigration francophone en milieu minoritaire : pour une démarche audacieuse, coordonnée et renforcée, pour étudier l’application de la Loi sur les langues officielles ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la loi et pour étudier les services de santé dans la langue de la minorité.
Le sénateur René Cormier (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle René Cormier, je suis un sénateur du Nouveau-Brunswick et je suis actuellement président du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Avant de commencer, je voudrais demander à tous les sénateurs et aux autres participants qui sont ici en personne de consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices visant à prévenir les incidents liés au retour de son. Je vous prie de veiller à tenir votre oreillette éloignée de tous les microphones en tout temps. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la, face vers le bas, sur l’autocollant placé sur la table à cet effet.
Je vous remercie tous de votre coopération.
J’aimerais maintenant inviter les membres du comité à se présenter, en commençant par ma gauche.
La sénatrice Moncion : Bonsoir. Lucie Moncion, de l’Ontario.
Le sénateur Dalphond : Bonsoir. Pierre J. Dalphond, du Québec.
Le sénateur Aucoin : Bonsoir. Réjean Aucoin, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Mégie : Bonsoir. Marie-Françoise Mégie, du Québec.
Le président : Bienvenue, chers collègues.
[Traduction]
Je souhaite la bienvenue aux téléspectateurs de tout le pays qui nous regardent. Je tiens à souligner que les terres à partir desquelles je vous parle font partie du territoire traditionnel non cédé de la nation algonquine anishinabe.
[Français]
Ce soir, nous accueillons l’honorable Marc Miller, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, pour discuter de la réponse du gouvernement au rapport du comité intitulé L’immigration francophone en milieu minoritaire : pour une démarche audacieuse, coordonnée et renforcée et pour discuter également de l’impact du plafonnement des permis d’études.
Il est accompagné de fonctionnaires d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : M. Scott Harris, sous-ministre délégué, Mme Catherine Scott, sous-ministre adjointe, Établissement, intégration et affaires francophones, et Mme Julie Spattz, directrice senior, Direction des initiatives stratégiques, Direction générale des étudiants étrangers.
Bonsoir et merci d’avoir accepté notre invitation. Je voudrais rappeler à tous que nous soulignons la Semaine nationale de l’immigration francophone sous le thème « Notre héritage de demain » et que cette rencontre s’inscrit aussi dans la continuité de différents événements.
Je vous rappellerai pour mémoire que nous avons déposé notre rapport sur l’immigration francophone en mars 2023, que la Loi sur les langues officielles modernisée a été adoptée en juin 2023 et que votre gouvernement a adopté la politique sur l’immigration francophone en janvier 2024.
C’est donc dans ce contexte, monsieur le ministre, que nous vous accueillons, et nous serons heureux d’entendre vos commentaires d’introduction. Ensuite, nous aurons des questions pour vous sur ces deux sujets : le plafonnement des permis d’études et la réponse du gouvernement sur le rapport en matière d’immigration francophone. Bonsoir et bienvenue.
L’honorable Marc Miller, c.p., député, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté : Merci, monsieur le président. J’ajouterais aussi, pour renchérir sur votre commentaire sur les oreillettes, qu’on a très peu souvent besoin de l’oreillette si on est bilingue aussi. Cela peut donc être une motivation de plus pour les gens qui apprennent soit l’anglais, soit le français, pour le bien de nos traducteurs et traductrices.
Je soulignerai aussi que nous sommes sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe.
Merci beaucoup de m’inviter, surtout en cette Semaine de l’immigration francophone, que vous avez vous-même soulignée, monsieur le président. C’est important pour notre identité bilingue.
Je tiens aussi à saluer le travail du comité — et de ses membres, évidemment —, en particulier pour avoir souligné l’importance de l’immigration, non seulement durant cette semaine, mais durant toute l’année.
J’aimerais aussi souligner votre rapport de l’an dernier, dans lequel vous avez noté qu’il était nécessaire d’augmenter l’immigration francophone dans les communautés francophones en situation minoritaire au Canada pour freiner le déclin de la francophonie canadienne et assurer la vitalité de la langue française partout au Canada.
[Traduction]
Nous convenons que les immigrants contribuent à l’avenir du Canada et qu’ils peuvent aider à accroître la population francophone à l’extérieur du Québec, tout comme à l’intérieur du Québec, mais l’obligation fédérale qui consiste à veiller à ce que cela se produise à l’extérieur du Québec revêt une grande importance dans mon portefeuille. Mon ministère a travaillé d’arrache-pied depuis la présentation de ce rapport et il continue d’apporter des améliorations dans ce domaine.
Voici quelques exemples de l’incidence des immigrants francophones. Raphaëlle Couratin a immigré de France pour s’installer dans une localité située dans les montagnes près de Whitehorse, où elle est devenue une championne de la langue française. Jacqueline Blay, née en Algérie, s’est installée au Manitoba et elle a écrit une série de livres sur l’histoire du français dans cette province.
De tels exemples confirment l’importance que le gouvernement du Canada accorde à la stimulation de l’immigration francophone à l’extérieur du Québec.
Même s’il s’agit d’une priorité pour le gouvernement, il n’en a pas toujours été ainsi.
[Français]
Bien évidemment, la politique en matière d’immigration francophone du ministère soutient notre Loi sur les langues officielles modernisée, qui vise à renforcer la vitalité et la prospérité des communautés francophones et acadiennes en situation minoritaire au Canada. Cette politique ouvre la voie à une augmentation de leur poids démographique dans le cadre d’un système d’immigration qui est juste, équitable et non discriminatoire.
L’an dernier, le Canada a dépassé la cible d’admission d’immigrants permanents francophones à l’extérieur du Québec avec plus de 19 600 admissions, soit 4,7 % du total des admissions de résidents permanents. C’est considérable. Nous poursuivons sur cette lancée en établissant des cibles ambitieuses décrites dans le plan de niveau d’immigration que nous avons récemment annoncé.
Hormis les cibles globales d’admission des résidents permanents, dorénavant, l’immigration francophone, après l’annonce que j’ai faite la semaine dernière, représentera 8,5 % de la résidence permanente en 2025, 9,5 % en 2026 et elle surpassera 10 % en 2027, je l’espère.
Je tiens aussi à souligner que cette année, on visait 6 %, qui était quand même une augmentation d’à peu près 50 % par rapport à qu’on avait atteint, de peine et de misère, dirais-je, l’année dernière, l’année précédant celle qui s’est écoulée et celle qui s’écoule. C’est considérable, mais on va le dépasser. On est au-delà de 6 % actuellement. À moins d’un revirement majeur, on sera au-delà de 6 %, ce qui est quelque chose de très important, je trouve, mais encore faut-il le faire de la bonne façon. Je note notamment que les rondes d’invitations d’Entrée express en 2024 ont commencé et que les candidats potentiels avec une bonne maîtrise du français sont invités à présenter une demande de résidence permanente.
Comme vous le savez très bien, les communautés francophones en situation minoritaire sont essentielles à la croissance à long terme du Canada, et c’est pourquoi j’ai annoncé un nouveau programme pilote d’immigration pour soutenir les communautés francophones, que nous lancerons dans les semaines à venir. Ce programme pilote vise à augmenter le nombre de nouveaux arrivés francophones qui s’installent dans les communautés francophones en situation minoritaire à l’extérieur du Québec, contribuant ainsi à accroître leur poids démographique.
Ce printemps, mon ministère a lancé le processus de candidature des communautés pour ce programme, qui s’est déroulé entre le 21 mai et le 16 juillet 2024. Les organismes de développement économique à l’échelle du Canada ont été invités à participer à ce projet pilote.
Ces organismes ont soumis des candidatures au nom de leur communauté afin de prouver leur admissibilité et de montrer la façon dont l’immigration renforcerait leur économie locale. J’annoncerai les participants retenus et le lancement du projet pilote dans les semaines à venir.
Nous continuerons dorénavant de promouvoir la croissance et la vitalité des communautés rurales et francophones en situation minoritaire, car elles sont essentielles à notre identité nationale et à la survie même de ces communautés.
Des initiatives innovantes comme l’Initiative des communautés francophones accueillantes, dont j’ai récemment annoncé l’élargissement en Nouvelle-Écosse à 10 nouvelles communautés pour un total de 24 communautés, permettent ainsi d’offrir les services nécessaires aux nouveaux arrivants d’expression française afin de les aider à mieux s’établir.
Nous continuerons aussi de collaborer étroitement avec les provinces et les territoires, les établissements d’enseignement et d’autres partenaires clés afin de relever les défis persistants auxquels sont confrontés les étudiants étrangers francophones.
[Traduction]
Conscients de ces défis, nous avons lancé le Programme pilote pour les étudiants dans les communautés francophones en situation minoritaire afin d’aider à accueillir et à garder les étudiants étrangers francophones dans les communautés francophones en situation minoritaire à l’extérieur du Québec. Les étudiants et leur famille qui viennent au Canada dans le cadre de ce programme pilote auront accès à des services d’établissement et ils pourraient être admissibles à la résidence permanente, ce qui diffère des autres étudiants étrangers qui viennent ici. Nous reconnaissons les contributions économiques, linguistiques et culturelles uniques et précieuses que les nouveaux arrivants apportent au Canada, qu’il s’agisse des étudiants qui sont des résidents temporaires ou permanents ou des personnes dont j’ai parlé dans mon introduction. Les éventuelles mesures que prendra Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pour soutenir les communautés francophones à l’extérieur du Québec seront guidées par la nouvelle Politique en matière d’immigration francophone que j’ai lancée à Caraquet plus tôt cette année. Cette politique prévoit des efforts de promotion, des mécanismes de sélection rigoureux pour les travailleurs qualifiés francophones ou les immigrants bilingues, ainsi que des services d’établissement et d’intégration.
[Français]
Comme vous pouvez le constater, nous travaillons fort pour montrer l’importance de l’immigration et du bilinguisme pour le Canada. Je suis impatient de répondre à vos questions à ce sujet. Merci.
Le président : Merci. J’aurais quelques questions pour vous, monsieur le ministre.
Pouvez-vous nous dire sur quelle base vous avez établi les cibles en immigration francophone — 6 % en 2024, 7 % en 2025 et 8 % en 2026? Vous comptez aussi les augmenter. Ces cibles tiennent-elles compte du caractère réparateur des droits linguistiques, qui sont l’un des objectifs de la nouvelle loi modernisée, et tiennent-elles compte des réalités régionales, notamment la spécificité du Nouveau-Brunswick?
Monsieur le ministre, êtes-vous d’accord pour dire qu’une cible sous la barre de 10 % se traduira par le maintien du poids démographique actuel, sans contribuer à son rétablissement? Un des objectifs de la Loi sur les langues officielles est d’assurer le rétablissement des populations francophones en milieu minoritaire. Pouvez-vous nous donner un peu plus d’explications sur les motivations derrière ces cibles?
M. Miller : La question qu’il faut se poser est la suivante : est-ce que l’immigration est la réponse à absolument tout? Je dirais que non, mais c’est un outil indispensable à la revitalisation des communautés francophones hors Québec.
Quand j’ai été nommé ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, j’ai tenu compte non seulement de l’importance de ce principe de rétablir ces communautés et de contribuer à leur revitalisation par le biais de l’immigration, mais j’ai aussi estimé ce qui est réalisable.
Évidemment, en politique, la pire chose que l’on peut faire, c’est d’entretenir de faux espoirs et d’induire les gens en erreur. Je voulais être ambitieux et donner un coup de barre à mon ministère — qui a bien répondu à l’appel — afin d’augmenter le niveau d’immigration d’expression francophone, le français étant la cinquième ou la sixième langue la plus parlée au monde. On ne faisait pas le travail qu’on se devait de faire pour faire en sorte que le volume soit assuré pour ces communautés, mais aussi pour qu’on puisse rétablir le poids démographique des francophones à l’extérieur du Québec.
Cela fait des décennies qu’il y a un déclin. Ce n’est pas du jour au lendemain, en annonçant des cibles qui ne sont pas réalisables, qu’on va réparer le tout. Cependant, à la suite de mon dernier plan, qui contient quand même des réductions sur tous les plans, j’ai pu garder cet objectif immensément important pour les communautés francophones, soit jusqu’à 10 % dans deux ans. Donc, je suis content du chiffre de 6 %, mais suis-je complètement satisfait? La réponse, évidemment, c’est non, tant et aussi longtemps qu’on n’aura pas assuré un volume constant, et ce, de la bonne façon.
Le président : Merci. On peut reconnaître que l’écosystème de l’immigration est complexe et que vous avez fait des investissements.
Le 9 septembre dernier, un article de l’Acadie Nouvelle a dévoilé des lourdeurs administratives excessives imposées aux organismes francophones qui gèrent des programmes francophones pour le compte de votre ministère. On parle notamment d’exigences élevées en matière de gestion financière et du peu de financement accordé à l’administration des programmes. Par exemple, la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law, qui gérait jadis le programme d’atelier en droit pour les nouveaux arrivants, n’envisage aucun projet avec votre ministère à l’avenir s’il n’y a pas des changements importants au mode de fonctionnement existant. C’est d’un défi dont nous entendons parler constamment : la lourdeur administrative pour les communautés de langue officielle et les organismes dans les communautés qui gèrent certains éléments pour votre ministère.
Évidemment, on peut faire venir des immigrants, mais il faut être outillé pour bien les accueillir et assurer leur intégration. Que pouvez-vous dire à ces communautés et à ces organismes pour les rassurer sur l’avenir? Il y a une démobilisation actuellement au sein des organismes francophones à ce sujet.
M. Miller : Oui, et parfois même une démotivation face à cette lourdeur administrative.
J’ai pu en parler directement à plusieurs organisations à l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse, cet été. Je suis d’accord avec eux; je ne suis pas en désaccord avec cet article. Pour une petite organisation qui est appelée à remplir beaucoup de paperasse pour accueillir deux ou trois personnes, cela n’a pas de sens. Je leur ai dit que j’allais travailler là-dessus. On se penche là-dessus pour tenter d’alléger le fardeau administratif imposé à ces petites organisations qui cumulent parfois d’autres rôles et fonctions; même si l’on compare à d’autres ministères, il y a moins de lourdeurs dans certains ministères. J’ai très bien compris le message. J’ai donné instruction à mon équipe de se pencher sur ce défi.
On parle aussi d’un défi d’intégration au tissu social de plusieurs communautés qui sont souvent petites. Il est très important de souligner que les provinces ont effectivement la responsabilité de s’assurer de cette intégration sur tous les plans; on ne parle pas nécessairement de l’administration des services, qui est sous ma responsabilité, mais d’une vue d’ensemble.
Si on augmente le volume, cela ne veut pas dire qu’on augmentera le financement dans les mêmes proportions. Il faudra que nous soyons plus efficaces, sans cette lourdeur provenant de mon ministère — je comprends très bien la critique.
Le président : Merci. Je vais demander à la fois aux sénateurs et à vous, monsieur le ministre, d’être le plus succincts possible, parce que je crois qu’on a beaucoup de questions pour vous et on a très envie de vous les poser.
La sénatrice Moncion : Pour faire le lien avec la réponse que vous avez donnée à la question du sénateur Cormier, vous avez parlé de votre équipe qui se penche sur la lourdeur administrative. Comment cela se concrétise-t-il dans le travail de votre équipe? Ce qu’on voit, ce sont les annonces que vous faites, mais on ne voit pas le travail qui se fait en arrière-scène. Y a-t-il des plans de travail ou une structure sur laquelle tout le travail est fondé? J’imagine que oui, mais on ne le voit jamais.
M. Miller : Vous êtes très chanceuse de ne pas le voir. C’est un travail bureaucratique qui se fait en arrière-plan. Je ne serais pas ici sans l’appui de mon ministère. Cela reste parfois du travail bureaucratique; ce ne sont pas nécessairement des gens sur le terrain. C’est mon rôle et celui de mon cabinet politique, mais aussi celui d’une fonction publique quasi indépendante de faire en sorte qu’il y ait un bon fonctionnement et une bonne recommandation.
Il y a beaucoup de travail qui se fait en arrière-plan, surtout lorsqu’on leur demande de doubler le volume de 3 % il y a quelques années à 6 %. Évidemment, les preuves sont faites sur le terrain, et on ne peut pas comparer de petites organisations à une organisation qui est financée à concurrence de plusieurs millions de dollars dans de grands centres comme Montréal et Toronto.
Il y a effectivement de l’administration et des plans de travail qui me sont proposés.
La sénatrice Moncion : L’autre portion associée à ce plan de travail, c’est la coordination entre le gouvernement fédéral et les provinces. Y a-t-il des engagements de la part des provinces pour travailler avec vos représentants pour atteindre ces cibles? On entend souvent dire qu’il n’y a pas toujours une pleine collaboration, surtout en immigration francophone et surtout quand on travaille avec des provinces qui sont plus anglophones que francophones. Pourriez-vous nous parler de la collaboration?
M. Miller : Brièvement, ce sont des résultats souvent mitigés; certaines provinces veulent le faire. Cela dépend de la mouture politique de la province en question. Je dirais que par rapport au Nouveau-Brunswick, j’ai plus d’espoir aujourd’hui que j’en avais il y a deux semaines. Cela peut être hautement politisé, mais ce qui est clair dans mon esprit, c’est que dans les petites communautés où il y a une augmentation de gens qui viennent d’autres pays, peut-être pour la première fois dans d’assez fortes proportions, c’est que ces gens ont besoin de maisons, d’écoles francophones et de services en français quand ils sont unilingues. Par contre, ce n’est pas tout le monde qui peut passer sa vie uniquement en français dans ces communautés. Je dirais que le travail est partiel, surtout dans la façon de collaborer avec les provinces, et que cela dépend souvent de la province en question. C’est le cas autant pour l’Ontario que pour la Nouvelle-Écosse. Mais il y a d’autres provinces, par exemple le Manitoba ou même la Colombie-Britannique, qui n’avaient même pas de plan pour le français jusqu’à il y a un an.
Cela dépend de la bonne volonté des institutions provinciales. Malheureusement, quand on parle de l’intégration des gens qui viennent d’ailleurs, une bonne proportion de la compétence effective est entre les mains des provinces elles-mêmes, c’est-à-dire l’éducation, la santé, le logement et l’emploi. Il n’y a pas meilleur outil d’intégration que d’avoir un travail à la hauteur de ses propres aspirations. Il y a donc beaucoup de travail à faire. Il faudra mieux le faire, surtout en raison des augmentations ambitieuses qu’on a annoncées la semaine dernière.
La sénatrice Moncion : Mon autre question porte sur les établissements d’enseignement, qui étaient, surtout en Ontario, des fabriques à diplômes. Quel genre de collaboration avez-vous avec l’Ontario pour régler ce fameux petit problème?
M. Miller : En ce qui a trait aux étudiants étrangers en général, pas nécessairement ceux d’expression francophone — car le gouvernement fédéral devra aider des établissements francophones de l’Ontario —, je dirais que l’Ontario, à part quelques énoncés de principe publics, a traîné de la patte. Dans les deux provinces qui ont le plus d’étudiants étrangers par rapport à leur population, c’est-à-dire l’Ontario et la Colombie-Britannique, je vois et je voyais plus d’efforts de la part de la Colombie-Britannique que de l’Ontario.
En toute honnêteté, je pense que l’Ontario est « assis sur son steak », en bon français, et s’attendait à ce que personne ne fasse quoi que ce soit ou n’agisse. On a dû agir et assumer notre responsabilité fédérale; le problème dans tout cela, c’est que l’éducation est une compétence qui est presque entièrement provinciale, et les provinces le réclament très publiquement.
On pourrait donc décortiquer toutes mes annonces sur les étudiants étrangers, les analyser et même les critiquer, mais mon souhait dans tout cela, c’était de m’assurer qu’il y avait de l’espace pour les gouvernements provinciaux d’exercer leur compétence. Cela ne s’est pas nécessairement fait de la façon que l’on aurait souhaitée. On a dû agir et il faudra agir davantage si ces provinces n’assument pas leur rôle, surtout les grandes provinces comme l’Ontario et la Colombie-Britannique.
Le président : Merci beaucoup, monsieur le ministre.
La sénatrice Mégie : Merci, monsieur le ministre, d’être avec nous aujourd’hui. Je regardais la réponse du gouvernement au rapport de notre Comité des langues officielles qui s’intitule L’immigration francophone en milieu minoritaire : pour une démarche audacieuse, coordonnée et renforcée.
Dans cette réponse, tout en reconnaissant l’importance d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, vous prévoyez un renforcement de la coordination avec beaucoup d’institutions fédérales, comme Patrimoine canadien, Emploi et Développement social Canada, Innovation, Sciences et Développement économique Canada et Infrastructure Canada, pour ne citer que celles-là, mais il y en a beaucoup. Cependant, vous ne précisez pas les responsabilités de chacune de ces institutions.
En ne le faisant pas, ne craignez-vous pas une certaine confusion des rôles? Plus il y a du monde qui met la main à la pâte, moins le travail sera effectué comme il faut. Qu’en pensez-vous?
M. Miller : C’est toujours un risque avec les bureaucraties qui travaillent en silo; effectivement, c’est une critique que l’on pourrait faire. Pour n’importe quelle stratégie d’un gouvernement ambitieux, la stratégie francophone, qui aura une enveloppe de plusieurs milliards de dollars au cours des prochaines années, en est une que j’estime très réfléchie. Dans mon cas, je sais pertinemment le rôle que je dois jouer, soit d’agir non seulement sur le volume — je pense que c’est la priorité quasi absolue, étant donné le manque de volume en matière d’immigration francophone —, mais aussi sur le type d’immigration et sur l’importance de bien arrimer ces programmes avec les besoins locaux. Par exemple, si on a besoin d’enseignement à la petite enfance, de médecins, d’étudiants et d’ouvriers qualifiés, il faut s’assurer que c’est une question de volume, mais aussi une question de rôle et d’enveloppe précise, le cas échéant, pour un certain type d’immigration ciblée.
De toute évidence, que ce soit Patrimoine canadien ou que ce soit les autres institutions qui se doivent de promouvoir la francophonie, il y a des objectifs qui sont spécifiques et arrêtés dans chaque ministère. Par conséquent, en ce qui a trait à ce que j’estime être ma responsabilité, je vois très clairement ce que j’ai à faire et je compte le faire, surtout en agissant sur le volume, mais aussi en m’assurant qu’il y ait ce début très important d’immigration réussie et d’intégration qui ne doit pas se limiter à une discussion exclusive au ministre de l’Immigration.
La sénatrice Mégie : Merci. J’ai une question sur le plafonnement des permis d’études. Quand vous dites que vous augmentez les cibles, comme dans les réponses que vous avez données au sénateur Cormier, le plafond des permis d’études ne risque-t-il pas de paraître contradictoire par rapport à cette nouvelle politique d’immigration francophone? On diminue les plafonds et on dit qu’on augmente les cibles. L’économiste Richard Saillant a dit que théoriquement, on augmente la part d’une tarte qui diminue. Quand j’ai lu cela, je me suis dit que c’est tout à fait cela. Cela ne fait-il pas contradiction?
M. Miller : Quand j’ai annoncé mes réformes dans l’octroi de visas pour les étudiants étrangers, on avait un défi de qualité, car on faisait face à une quantité énorme d’étudiants qui venaient au pays mal préparés, et je dirais même mal recrutés, et dont le nombre augmentait à un rythme effréné. Le gouvernement fédéral devait absolument agir. Je dirais qu’au fil des ans, de nombreux établissements d’enseignement cherchaient à gagner un peu d’argent sans réfléchir aux répercussions à long terme, sans avoir de plan après l’obtention d’un diplôme pour ces jeunes étudiants, même en les accompagnant dans leur parcours dans un nouveau pays. L’effort primordial était donc de réorienter le système vers un système qui était axé sur la qualité plutôt que sur la quantité.
En même temps, j’ai la responsabilité de faire en sorte que les institutions d’expression francophone à l’extérieur du Québec peuvent être un endroit privilégié pour les étudiants internationaux, tout en les encourageant à réformer leur façon de recruter et en faisant en sorte que les étudiants qu’ils accueillent sont bien accompagnés. Malheureusement, ce qu’on voit dans certaines institutions, même francophones, c’est que des étudiants fragilisés demandent l’asile au Canada, ce qui n’était pas l’idée derrière l’octroi d’un visa qui visait l’excellence. Les choses peuvent changer dans le pays d’origine, mais c’est rare. Ce sont des gens qui n’ont pas la perspective de devenir des résidents permanents ou des citoyens canadiens ou qui réclamaient l’asile durant leur première année d’étude. Je n’ai jamais demandé aux institutions francophones, anglophones ou autres de facturer quatre fois le prix qu’un étudiant comme mes enfants pourrait payer dans les universités. C’est une décision des provinces d’avoir cautionné le comportement de ces institutions. Je dirais qu’il y a eu un manque de responsabilité flagrant à certains égards. Le gouvernement fédéral se devait d’agir.
En ce qui a trait aux étudiants francophones dans des institutions francophones, vous avez sûrement vu le projet pilote que j’ai annoncé. Pour moi, ce serait une piste privilégiée, surtout parce que ces gens ont un début d’intégration au Canada, en leur donnant un accès privilégié à la résidence permanente, mais pas à n’importe quel prix et pas en cautionnant le comportement d’universités et d’institutions qui vont recruter à l’étranger, sans nécessairement s’assurer de recruter des gens qui pourront payer le prix exorbitant dans certaines institutions et qui pourront ensuite s’intégrer, surtout dans les petites communautés qui sont très nouvelles pour eux. J’ai entendu plusieurs histoires de jeunes gens qui faisaient le trajet du Nord du Nouveau-Brunswick jusqu’à Montréal pour travailler la fin de semaine. Ce ne sont pas des conditions de travail que l’on privilégie dans un pays comme le Canada.
La sénatrice Mégie : Merci, monsieur le ministre.
Le président : Je vais donner la parole au sénateur Aucoin, monsieur le ministre, mais je me permets de vous dire que ce qui m’étonne des décisions qui sont prises, tout en comprenant le contexte politique dans lequel elles doivent être prises, c’est que l’impact de ces décisions sur les établissements postsecondaires en milieu minoritaire n’est pas mesuré en amont. Dans les établissements postsecondaires que je visite, ce n’est pas la situation que vous décrivez que je constate. Je ne vois pas cette situation problématique. Je vous laisserai y réfléchir, puis je donnerai la parole à mon collègue; ma question pour vous, c’est que votre ministère ou votre gouvernement ne semblent pas mesurer l’impact négatif de ses décisions sur les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Pourtant, il s’agit d’une priorité de la nouvelle loi modernisée. Vous comprendrez que c’est assez difficile à comprendre. On a l’impression que cette loi modernisée, sur laquelle les Canadiens et Canadiennes et votre gouvernement ont beaucoup travaillé, est moins importante lorsque l’on doit prendre une telle décision.
M. Miller : Sans développer ma pensée — et vous allez trouver que ma réponse est un peu brute —, la modernisation de la Loi sur les langues officielles ne donnait pas nécessairement un passe-droit à toutes les institutions francophones d’aller recruter n’importe qui, n’importe comment, avec les vannes ouvertes, simplement sous prétexte qu’ils ont à cœur le fait français. Je les crois sur parole, je crois en leur bonne foi, mais force est d’admettre que dans les volumes et les modèles d’affaires que plusieurs institutions prévoyaient, il fallait agir et limiter le volume pour miser sur la qualité. Je tends la main à ces institutions pour qu’on assume notre responsabilité de bien accueillir ces jeunes adultes dans des communautés qui leur sont nouvelles, quitte à les accompagner dans la résidence permanente par la suite. C’est une responsabilité qui relève non seulement des institutions, mais des deux ordres de gouvernement.
Le président : Je vous remercie, monsieur le ministre.
Le sénateur Aucoin : Merci, monsieur le ministre, d’être venu ce soir.
Je vais continuer dans la même veine. Les décisions que vous avez prises au début ont certainement obligé les institutions universitaires en milieu francophone à faire une pause, à se regarder de nouveau et à voir comment cela allait les affecter. Finalement, le résultat de l’année dernière est qu’il n’y avait pas eu nécessairement autant de dégâts et que cela ne les avait pas affectées autant qu’elles le craignaient.
J’ai une question en ce qui concerne les étudiants à la maîtrise, au doctorat ou au postdoctorat. En faisant des coupes dans le nombre d’étudiants étrangers, vous nous dites que même les gens à la maîtrise, au doctorat ou au postdoctorat sont des gens qui auraient pu déjà intégrer la société, qui sont très éduqués et qui auraient pu intégrer le marché du travail. Croyez-vous que même à ce niveau, les universités en milieu francophone ne faisaient pas leurs devoirs et recrutaient des gens qui n’étaient pas à la hauteur pour faire de telles études et intégrer les communautés?
M. Miller : Je dirais que non, sénateur Aucoin. En ce qui a trait à l’inclusion des étudiants à la maîtrise et au doctorat, dans le plafond annoncé, on a ajusté le nombre de postes tout en réduisant les seuils de 10 % globalement à travers le pays. Après avoir vu les preuves jusqu’à maintenant, les gens ont de la difficulté à atteindre le plafond qui leur a été attribué proportionnellement par province et qui a été redistribué par les provinces par la suite. L’effort que j’essaie de faire au plan fédéral, c’est de faire en sorte qu’on gère le flux de visas accordés aux provinces de façon proportionnelle. C’est une question importante, qui relève de l’exercice de responsabilisation que j’essaie de faire auprès des provinces.
Après avoir examiné la situation, il allait de soi qu’il fallait intégrer les gens à la maîtrise et au doctorat au plafond que j’ai annoncé, tout en ajustant le plafond pour le nombre de gens qui étudient à la maîtrise et au doctorat actuellement, surtout avec le souci que j’ai pour certaines provinces qui voulaient ajuster le tir pour s’exempter du plafond en créant toutes sortes de nouveaux programmes qui sont appelés des maîtrises, mais qui ne le sont pas réellement.
Le sénateur Aucoin : Au début, le président a parlé de la lourdeur administrative que le ministère imposait à certains organismes dans les petites communautés. Ma communauté de Chéticamp, en Nouvelle-Écosse, a été désignée comme communauté accueillante. Je parlais à la directrice de la Société Saint-Pierre il y a quelques semaines. Ils n’ont aucune idée de ce que cela implique. Il y a environ deux semaines, ils n’avaient reçu aucune communication, pas d’argent ni aucune directive expliquant ce que cela signifiait pour eux. Je présume que d’autres communautés, en Nouvelle-Écosse et ailleurs, ont été désignées. Que pouvez-vous nous dire par rapport à ce programme et à d’autres?
M. Miller : Monsieur le sénateur, je suis prêt à faire le suivi. J’ai fait l’annonce même à Chéticamp pour les inclure. Il y a une question de financement. Ce ne sont pas des sommes énormes, mais lorsqu’une communauté est désignée comme une communauté accueillante, il y a des fonds, du travail et plus de complicité avec notre ministère qui viennent avec. Je suis absolument prêt à faire le suivi pour cette communauté, parce que, somme toute, c’était une bonne nouvelle. C’est un programme qui doit faire ses preuves. L’immigration à Chéticamp va se faire par la suite. Il faut que la communauté soit préparée, et on est prêt à faire le travail. Je suis absolument disposé à faire le suivi personnellement. C’est une communauté qui me tient à cœur, car je l’ai visitée plusieurs fois dans mon enfance. Je connais assez bien le coin.
Le sénateur Aucoin : Merci.
Le président : Merci, sénateur. Effectivement, il faut vous applaudir, monsieur le ministre, pour le succès des communautés accueillantes et pour le fait que vous en ayez ajouté. C’est un résultat fort positif dans les décisions que vous avez prises récemment.
Le sénateur Dalphond : Bienvenue au comité, monsieur le ministre. Un peu dans la même veine que les questions précédentes, je voudrais d’abord vous féliciter pour l’augmentation des cibles en matière d’immigration francophone hors Québec. Je regardais les statistiques du recensement : le poids démographique des francophones hors Québec est passé, en près de 50 ans, de 6,1 % à 3,1 %. Toutes proportions gardées, on a la moitié moins de francophones dans les provinces à l’extérieur du Québec qu’il y en avait auparavant. Donc, le fait d’avoir 10 % de nouveaux Canadiens ou de résidents permanents qui seront francophones permettra de dépasser la proportion dans la province. C’est bien et cela permettra de faire une récupération du passé.
Par contre, tout cela ne peut fonctionner que dans la mesure où on a non seulement des communautés d’accueil, mais des gouvernements provinciaux qui ont des services de santé et d’éducation financés adéquatement. Il faut aussi qu’on ait des gens qui sont non seulement heureux d’être dans la communauté, mais qui trouvent des occasions pour l’avenir qui feront en sorte qu’ils décideront de rester dans la communauté.
Lors des discussions que vous avez eues avec les ministres et les gouvernements provinciaux, croyez-vous que les gens comprennent ces défis? Est-ce que les provinces sont prêtes à faire le nécessaire ou si, pour elles, c’est un détail du fédéral qui ne les concerne pas?
M. Miller : Merci, sénateur Dalphond. Je pense que cela dépend de la province. Dans les meilleures provinces, il y a non seulement de la compréhension, mais il y a des fonds qui suivent. Entre les deux, il y a de la méconnaissance totale, du je-m’en-foutisme; il y a des provinces qui comprennent, mais qui n’affectent pas nécessairement des fonds.
Cela me préoccupe beaucoup, étant donné ce que j’ai partagé avec vous un peu plus tôt sur le besoin d’assurer une bonne intégration. Sinon, il y a ce pôle d’attraction que sont les grandes villes; les gens peuvent se sentir perdus dans les communautés et ils vont alors se diriger vers Montréal ou Toronto. C’est une question de génération avant qu’ils soient assimilés — quoique j’ai vu un quartier à Toronto où la deuxième langue est le français. C’était quand même beau à voir.
Cependant, mon point dans tout ça, même si on est passé de 6 % à 3 %, c’est qu’il y a une concentration de ces gens dans certains coins du pays, que ce soit dans la Péninsule acadienne ou en Ontario français, ce qui veut dire que le français est bien moins présent dans le reste du pays. Il faut déployer des efforts supplémentaires dans les compétences effectives des provinces, soit en éducation, en soins de santé et en logement. Cela ne prend pas beaucoup de temps pour quelqu’un qui s’établit volontiers dans un coin de pays, dans un petit coin de la Saskatchewan, par exemple, qui croit pouvoir passer sa vie en français et qui réalise rapidement qu’il devra déménager dans une grande ville ou dans une autre province, à la rigueur. Il faut cette implication des provinces et des ministres qui sont responsables. Je ne vois pas nécessairement cela à l’échelle de toutes les provinces.
Cela se fait, mais cela dépend évidemment de la mouture de la politique de la province en question. Mais il faut que cela fasse à l’initiative des ministres et des premiers ministres eux-mêmes, et je ne la vois pas tout le temps, cette initiative, surtout si on veut que ce soit réussi. Le fédéral est forcé d’admettre qu’il ne peut pas tout faire. S’il y a une critique à nous faire comme gouvernement, c’est qu’on a essayé de tout faire nous-mêmes et que cela a eu des résultats parfois mitigés. C’est le cas ici. Il faut que les provinces s’assument, assument leurs responsabilités et fassent leur juste part pour faire en sorte que le Canada reste un pays bilingue.
Le sénateur Dalphond : Est-ce que vous sentez qu’il y a du progrès de ce côté? Qu’il y a de plus en plus de provinces qui comprennent la dualité linguistique du pays et les défis que cela représente ou elles se disent bof, les choses vont aller... Ils sont rendus à 3, un jour ils seront à 0.
Quand je parle de 3, je veux dire de 6 % à 3 %.
M. Miller : Il y a des partis politiques fédéraux qui traitent les francophones hors Québec comme une espèce en voie de disparition; c’est désolant, voire même insultant. Je dirais qu’à travers le pays, il y a quand même une pente à remonter, surtout avec l’augmentation massive de la population à forte proportion anglophone — je ne dis pas ces dernières années, mais ces dernières décennies. C’est la raison pour laquelle j’ai été aussi ambitieux dans mes cibles : pour m’assurer que ce réflexe soit présent dans mon ministère afin qu’un autre ministre prenne la balle au bond un jour. Je n’envisage pas de quitter mes fonctions; je veux les garder tant et aussi longtemps que les Canadiens le voudront.
On parle de mécanique à l’intérieur du ministère et de réflexes qui doivent être développés, parce que force est d’admettre qu’on n’a pas toujours eu ce réflexe au sein de notre ministère. Comme la sénatrice vous l’a dit, ce n’est pas seulement limité au ministre de l’Immigration et il y a un effort à faire dans tous les ministères. On a investi beaucoup d’argent dans cette initiative, mais en même temps, on est en train de ramer à contre-courant, de renverser la vapeur, et je pense qu’on peut y arriver. Mais je ne veux pas induire les gens en erreur en disant que c’est gagné d’avance.
Le président : Concernant le dialogue avec les ministres provinciaux en immigration, est-ce que vous connaissez l’ordre du jour du prochain Forum des ministres responsables de l’immigration? Est-ce que l’immigration francophone en milieu minoritaire sera examinée?
Pouvez-vous nous dire du même coup, avant que je cède la parole à la sénatrice Moncion, s’il y a un mécanisme de coordination entre ce forum et le Conseil des ministres sur la francophonie canadienne? Que pouvez-vous nous dire sur ce forum quand on parle de coordination et de dialogue?
M. Miller : Je dirais que oui, mais c’est assez limité quand même. Comme je l’ai dit au sénateur Dalphond, il y a toutefois une lueur d’espoir. J’ai pu parler récemment au premier ministre du Manitoba, qui a à cœur l’immigration francophone; on a parlé des demandeurs d’asile, car il faut justement s’assurer qu’il y ait plus de francophones au Manitoba, qui a connu ces défis par le passé.
Comme je vous l’ai dit plus tôt, j’ai beaucoup plus d’espoir au Nouveau-Brunswick que j’en avais il y a deux semaines. Évidemment, il y a eu quelques prises de bec publiques avec mon homologue de la Nouvelle-Écosse. Là, ils sont en élection, donc c’est difficile, mais il y a de la coordination, et on regarde toujours cela dans le contexte de notre plan d’action.
C’est aussi un rôle de coordination que je partage avec Randy Boissonnault, avec qui vous allez parler bientôt, je crois.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
Il nous reste peu de temps, mais je vais donner la parole à la sénatrice Moncion, qui sera suivie du sénateur Aucoin. Je vous demanderais d’être succincts dans vos questions et réponses.
La sénatrice Moncion : Je voudrais revenir sur une chose que vous avez dite plus tôt. Vous avez parlé de la modernisation de la Loi sur les langues officielles qui ne permettait pas aux institutions de faire n’importe quoi. On est d’accord avec vous.
Dans les institutions d’enseignement francophones partout au Canada, il y a en ce moment une question de sous-financement chronique. On sait que le gouvernement fédéral fait sa part pour ce qui est d’octroyer des fonds, mais que les provinces ne comblent pas ces besoins ou ne respectent pas leur partie des engagements. Il y a aussi une question d’équilibre financier pour ces institutions qui travaillent à augmenter la population étudiante qualifiée pour les besoins de main-d’œuvre du Canada. C’est une main-d’œuvre qui est jeune; on a besoin d’une main-d’œuvre jeune francophone, car on a une population vieillissante. On sait qu’à un moment donné, dans la population, les travailleurs actifs seront moins nombreux et que les coûts associés au vieillissement de la population vont continuer d’augmenter.
Donc, pour ce qui est des investissements dans les collèges et universités au Canada, ces universités ont un double ou un triple mandat, soit celui de former des gens de l’immigration francophone qui viennent au Canada et qui vont y rester. Comme je vous le disais, c’est une jeune population.
Je reviens à la question initiale quant à l’engagement des provinces vis-à-vis de l’amélioration des choses, surtout du côté francophone, parce qu’on sait qu’en Ontario, ce n’est pas fort. J’ai déjà de l’information sur les universités : en médecine, par exemple, le nombre de places va diminuer pour les francophones, et ce sera encore pire pour les francophones qui viennent des autres provinces.
Je voudrais juste que vous me rassuriez de ce côté, à tout le moins. Je ne pense pas que vous serez en mesure de le faire.
M. Miller : Je ne peux pas vous assurer que l’Ontario va enfin faire ce qu’on lui a demandé depuis fort longtemps, surtout dans la foulée, depuis quelques années, du définancement de plusieurs institutions francophones et de l’ajustement que plusieurs collèges et universités ont dû faire pour recruter des étudiants internationaux à fort prix. Par contre, je suis prêt à faire mon travail avec ces institutions, parce que j’estime que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer et un devoir envers les institutions francophones hors Québec qu’il n’a pas nécessairement envers les institutions anglophones. Ce sont des institutions francophones qui sont très petites et fragilisées et qui ont un bassin d’étudiants dont ils doivent prendre soin plus que d’autres.
Je suis totalement prêt à assumer ce rôle. À titre d’exemple, il y a le projet pilote qu’on a annoncé cet été en Nouvelle-Écosse pour faire en sorte que les institutions puissent bien encadrer les gens qui vont venir ici, quitte à recevoir la résidence permanente après leur graduation. C’est un élément d’attraction pour les étudiants qui, s’ils étaient anglophones, n’auraient pas nécessairement cette garantie. Par contre, il faut le faire de la bonne façon et pas nécessairement en y allant uniquement en augmentant le volume, sans s’assurer que ces gens peuvent payer pour leur séjour au Canada, car c’est quand même très cher. Il faut évidemment leur donner une bonne éducation, parce qu’on veut que ces gens restent dans ces communautés qui sont souvent plus petites. J’ai beaucoup d’espoir. Les universités et institutions devraient avoir de l’espoir également, mais comme vous l’avez souligné, ce n’est pas une responsabilité qui relève uniquement du gouvernement fédéral.
Il y a une saga historique derrière le sous-financement des institutions postsecondaires au Canada, qui affirme sur la scène internationale, et je le crois aussi, qu’il est l’une des meilleures destinations pour les étudiants internationaux. Cependant, il y a un sous-financement critique auquel il faut faire face. C’est un sous-investissement de notre avenir en général, pas nécessairement juste sur le plan du capital intellectuel du Canada, mais également pour l’avenir économique de notre pays.
La sénatrice Moncion : Merci.
Le sénateur Aucoin : On a répondu à ma question, mais je garde espoir en vous, monsieur le ministre. Merci pour votre présence ce soir.
Le président : Merci, monsieur le ministre. Cela conclut notre discussion. Je vous remercie à mon tour, ainsi que les fonctionnaires qui vous accompagnent, pour le travail accompli. Je dois dire, avec beaucoup d’optimisme d’un côté, mais franchement avec bien des défis à l’esprit, que vous dirigez un ministère fort complexe, qui semble — je le dis bien, « semble » — dysfonctionnel à bien des égards. Ce commentaire m’attriste, car je sais qu’au sein de votre ministère, vous avez des gens qui font un excellent travail, mais aujourd’hui, nous avons énormément d’échos de ce genre. Ce n’est pas pour mettre de la déprime de la pièce, mais c’est pour dire qu’il reste encore beaucoup de travail à faire. On vous remercie du travail que vous faites, ainsi que les fonctionnaires. Nous allons suspendre la séance, le temps d’accueillir votre collègue le ministre Boissonnault, avec lequel nous espérons que vous allez travailler constamment. Merci beaucoup, monsieur le ministre.
M. Miller : Merci à vous.
Le président : Chers collègues, nous reprenons maintenant nos travaux sur les services de santé dans la langue de la minorité, sous le thème des professionnels de la santé et de la reconnaissance des titres de compétence étrangers. Nous avons le plaisir d’accueillir l’honorable Randy Boissonnault, ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles. Il est accompagné de fonctionnaires d’Emploi et Développement Social Canada : Paul Thompson, sous-ministre, et Jacinthe Arsenault, directrice générale, Direction de l’apprentissage et des initiatives sectorielles.
Bonsoir, monsieur le ministre, et bienvenue parmi nous. Nous commencerons par entendre vos remarques préliminaires, qui seront suivies d’une période de questions des sénatrices et sénateurs. La parole est à vous.
L’honorable Randy Boissonnault, c.p., député, ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et des Langues officielles : Merci beaucoup, honorables sénateurs et sénatrices. Je suis très content d’être avec vous ce soir. J’aimerais reconnaître que nous sommes réunis sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. Merci de m’avoir invité aujourd’hui pour vous parler de la reconnaissance des titres de compétence étrangers des professionnels dans le secteur de la santé.
Ici au Canada, nous avons un réservoir formidable de talents incroyables. C’est notre responsabilité de créer les conditions nécessaires pour que les nouveaux arrivants qualifiés qui possèdent l’expérience professionnelle et la formation requises contribuent à l’économie. Le Programme de reconnaissance des titres de compétences étrangers permet au gouvernement de collaborer avec les provinces, les territoires et les organismes de réglementation. Par l’intermédiaire du programme, le gouvernement du Canada aide à développer et à renforcer le processus d’évaluation et à améliorer l’intégration des nouveaux arrivants qualifiés au marché du travail.
C’est un système complexe où les provinces et territoires réglementent les professions, tandis que le gouvernement fédéral finance des initiatives clés pour accélérer ces processus. Il faut le dire, les ordres et les associations professionnelles de chaque province et territoire demeurent très puissants. Avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et Santé Canada, nous avons déjà atténué plusieurs obstacles freinant les professionnels formés à l’étranger.
J’ai abordé la question de la reconnaissance des titres de compétences étrangers lors du Forum des ministres du marché du travail. Avec mes homologues du forum, j’ai abordé des enjeux clés du marché du travail propres à nos sphères de compétence et partagé des solutions afin que les secteurs cruciaux comme la santé et le soutien aux communautés de langue officielle en situation minoritaire soient réglés.
J’aimerais partager quelques chiffres avec vous. Depuis 2015, nous avons investi plus de 270 millions de dollars dans 115 projets partout au pays pour soutenir les nouveaux arrivants qualifiés dans le cadre du Programme de reconnaissance des titres de compétences étrangers. Il s’agit donc de près de 114 millions de dollars dans 36 projets dans le secteur de la santé depuis 2020.
Dans le budget de 2024, 50 millions de dollars de plus sur deux ans ont été alloués au programme à partir de 2024-2025, en particulier pour la construction résidentielle et les soins de santé. Cela s’ajoute aux 115 millions de dollars sur cinq ans annoncés dans le budget de 2022.
En bref, nous transformons le système. Le service accéléré du Service national d’évaluation infirmière, qui a été rendu possible grâce au soutien du Programme de reconnaissance des titres de compétences étrangers, a permis de réduire les délais d’évaluation des infirmiers formés à l’étranger de 12 mois à 6 semaines. Imaginez-vous, cela s’est fait tout en diminuant les frais de 40 %.
Entre 2018 et 2022, nous avons accordé près de 17 millions de dollars en prêts à près de 1 900 nouveaux arrivants, dont les deux tiers travaillent dans le secteur des soins de santé. Bien que ces résultats continuent de s’améliorer au fil du temps, à mesure que les emprunteurs remboursent ces prêts, environ la moitié d’entre eux ont terminé le processus de reconnaissance de leurs titres de compétences et près de 60 % travaillent dans leur domaine. De nouveaux accords de prêts ont été mis en place l’année dernière et nous continuons d’accorder de nouveaux prêts s’élevant jusqu’à 30 000 $ dans tout le pays.
[Traduction]
Malgré ces progrès, les retards dans le processus de reconnaissance des titres de compétence continuent de compliquer l’accès des professionnels qualifiés à notre marché du travail, ce qui risque de les inciter à s’installer dans d’autres pays.
[Français]
Certaines provinces prennent des mesures prometteuses, comme l’Alberta, où des efforts notables ont été réalisés dans la reconnaissance des qualifications acquises à l’étranger, notamment en soins infirmiers. La Saskatchewan a, quant à elle, lancé une voie accélérée pour les infirmiers formés à l’étranger. De même, le Canada atlantique a mis en œuvre plusieurs initiatives pour attirer des professionnels de la santé.
[Traduction]
Nous devons néanmoins en faire plus, et plus vite. C’est un message qui a été exprimé très clairement lors du Sommet sur la main-d’œuvre. Les mécanismes sont en place, mais il faut en faire plus.
[Français]
Le programme dont nous parlons ce soir joue aussi un rôle essentiel dans l’accès aux services de santé bilingues.
Par exemple, la Société économique de l’Ontario a reçu 2,5 millions de dollars de 2021 à 2024 pour offrir du mentorat et soutenir des professionnels francophones formés à l’étranger dans divers secteurs, dont la santé, l’ingénierie et les services sociaux, renforçant ainsi les capacités des communautés de langue officielle en situation minoritaire. J’aurai plus d’exemples à partager avec vous lors de vos questions, mais sachez que nous sommes à l’œuvre et que nous cherchons des partenaires à l’échelle provinciale et territoriale afin d’effectuer ce travail sur le terrain.
Le président : Merci, monsieur le ministre. Dans les pistes de solution en vue de faciliter la reconnaissance des titres de compétences étrangers et l’arrivée de la main-d’œuvre, le gouvernement avait cité le corridor prévu pour les enseignants. Avez-vous l’intention de créer un tel corridor pour les professionnels de la santé pour accélérer leur arrivée? Il semble que le corridor pour les enseignants ait eu un certain succès.
M. Boissonnault : Je crois que c’est 16 millions de dollars qu’on a investis dans le plan d’action sur la question d’un corridor pour les enseignants. C’est un projet sur lequel on travaille étroitement avec le ministre Miller. Cela tombe dans ses compétences.
Je suis ici pour vous dire les vraies choses, entre collègues. C’est très difficile actuellement de chercher des personnes formées en éducation qui parlent le français. On ne produit pas assez d’enseignants en France ou au Québec. Le Canada cherche à travers le monde des personnes formées pour combler ces lacunes. C’est un défi énorme et très impressionnant.
Nous sommes en train d’examiner des solutions que nous avons utilisées avec les autres professions, notamment en santé, où nous choisissons un pays bilingue ou francophone dominant et où nous formons les gens sur place. La moitié de la cohorte reste dans le pays en question et l’autre moitié viendra ici, au Canada. Ce n’est pas dans le but d’avaler tout le talent du pays en question, mais on peut renouveler nos efforts, car nous avons une certaine présence formée outremer.
Je suis heureux qu’on atteigne nos cibles pour le programme de 16 millions de dollars, mais ce n’est pas à la hauteur des besoins criants qui existent jusqu’en Colombie-Britannique. Je crois qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre de 10 000 enseignants. C’est un besoin criant ici, en Ontario, et lors de la dernière rencontre du Conseil des ministres de la francophonie canadienne, je me suis engagé avec la ministre des Affaires francophones, Caroline Mulroney, à trouver une façon d’agir sur cette question. On va écrire directement au Conseil des ministres de l’Éducation pour déterminer quelles sont nos options, d’un océan à l’autre, pour avoir des enseignants en français langue seconde, en immersion et en français, car le fait français au Canada auprès des jeunes le nécessite.
Le président : [Difficultés techniques] à la lumière de ce que vous nous dites sur le corridor pour les enseignants, avec les défis que cela pose, ce n’est peut-être pas une solution. Croyez-vous qu’il peut y avoir une solution possible dans la création d’un corridor qui faciliterait l’entrée au pays de professionnels de la santé?
M. Boissonnault : C’est une très bonne question. Je crois qu’il faudrait améliorer les résultats du programme avec les enseignants, si je peux être très clair. Il y a un grand besoin des travailleurs en santé à travers le pays.
Je vous donne un exemple que je vais répéter plusieurs fois ce soir : on a besoin du travail et de l’aide des provinces, point à la ligne. J’ai la responsabilité, comme ministre fédéral, de la reconnaissance des titres de compétences des étrangers, mais tous les pouvoirs sont avec les provinces, les professions et les ordres professionnels sur le terrain.
J’ai pris note tout récemment que le Réseau santé Alberta a conclu une entente importante par l’entremise du gouvernement de l’Alberta, et que nous avons mis des fonds équivalents sur la table. C’est la plus grande bonification du système de santé en français en Alberta de ma vie. Cela inclut la reconnaissance des professionnels en santé, en français.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
La sénatrice Moncion : Bienvenue, monsieur le ministre. Je vais continuer dans la même veine que le sénateur Cormier. Vous avez parlé de l’éducation. Il y a les places dans les universités qui sont limitées. Le problème en éducation, on sait qu’il existe et on sait depuis longtemps qu’on va manquer d’enseignants en Ontario. J’imagine que c’est la même chose dans les autres provinces.
On avait cette information en 2010; on savait ce qui s’en venait pour l’avenir. On a augmenté la longueur des programmes universitaires. En Ontario, au lieu d’avoir une année de pratique, c’est maintenant deux. Ça a commencé à limiter les étudiants, car les programmes devenaient beaucoup trop longs. C’est la même chose pour la médecine. On manque de médecins et de personnel en santé et il y a toutes sortes de barrières.
En Ontario, à l’Université d’Ottawa, je crois qu’il y a 300 places qui sont réservées en médecine; on a besoin de 8 000 médecins. On sait qu’on a besoin de ce nombre et il y a 300 places par année. On produit environ 300 médecins par année. Il faudra 100 ans pour atteindre nos objectifs. On comprend qu’il y a une question de contrôle financier dans tout cela. Comment le gouvernement fédéral peut-il travailler avec les provinces pour améliorer toute cette composante, surtout en ce qui concerne les francophones?
M. Boissonnault : Dans les années 1990, j’ai siégé au conseil d’administration de l’Université de l’Alberta et, comme jeune activiste militant pour les étudiants, j’ai assisté à la rencontre lorsque le conseil d’administration et la province ont décidé de gérer en nombre absolu le nombre de médecins pour 10 ans. Ils l’ont fixé, ils l’ont mis en béton et ils étaient fiers de ce qu’ils ont fait, car ils étaient là pour pérenniser le système de santé pour les 10 prochaines années. Cela n’a pas beaucoup bougé depuis 1990 en Alberta, avec une population qui a doublé.
Vous avez fait référence aux contrôles fiscaux qui sont aberrants.
Donc, si on veut vraiment avoir un système qui livre la marchandise et qui donne les soins et les services que les Canadiens méritent, il faut arrêter de faire des pièges comme inviter un système de santé privé et il faut financer plus de places pour les médecins dans les universités.
J’aimerais maintenant vous parler de ce qu’on a fait au Manitoba. On a une très bonne entente avec le Manitoba, qui voulait former ou reconnaître les compétences de 150 médecins à travers le monde. Parmi ceux-ci, 10 % à 15 % étaient des médecins francophones. C’est beaucoup plus que le pourcentage de notre population, mais il faut rattraper le retard avec toutes les difficultés qu’ils ont eues. Donc, si je pouvais avoir d’autres provinces qui ne vont pas juste faire part du nombre de médecins de l’étranger qu’ils comptent reconnaître, mais qui auront aussi un pourcentage important de francophones... Je dis que c’est génial. Bravo au Manitoba!
En ce qui concerne l’Ontario, il faut absolument réduire le nombre d’années pour reconnaître les titres de compétences. Il faut avoir plus de places. C’est un changement récent. Il y a moins d’un mois, j’ai parlé à l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario de cette question de réduire de deux ans à un an. Je vais vous donner un exemple — je suis passionné de ce sujet. Saviez-vous que la moitié de nos dentistes ici au pays sont nés et ont été formés outre-mer? Cela représente actuellement 50 % de nos dentistes. Cela leur a pris jusqu’à deux ans pour que leurs compétences soient reconnues. Grâce à l’argent remis à l’Association des facultés dentaires du Canada, on a pu réduire ce délai à un an.
J’ai parlé à trois jeunes dentistes : un venait du Nigeria, un de l’Inde et un du Mexique. Je leur ai demandé ce qui était différent. Ils m’ont répondu que la formation n’est pas différente, mais que les protocoles et les normes avec les patients au Canada sont différents. C’est ce qui leur a pris un an à apprendre. Si cela avait été plus long, cela aurait été un réapprentissage de ce qu’ils avaient déjà appris dans leurs pays. Un an, pour eux, c’était parfait. Maintenant, on peut avoir sur le terrain des dentistes nés et formés outre-mer beaucoup plus rapidement. C’est ce que je veux voir d’un océan à l’autre.
La sénatrice Moncion : Cela m’encourage quand je vous écoute. Cependant, cela semble être des ententes que vous faites par service, par province et par université. Ou bien est-ce que ce sont programmes qu’on pourrait déployer un peu partout au Canada et qui deviendraient la norme?
M. Boissonnault : Je dirais que oui, il y a des possibilités d’avoir des ententes ponctuelles. Quand M. Thompson, qui est si généreux, m’a formé lorsque je suis devenu ministre responsable de ce dossier, il m’a dit : « Bonne nouvelle, monsieur le ministre, vous êtes responsable de la reconnaissance des titres de compétences. » J’ai dit : « Excellent, Paul, qu’est-ce que je peux faire? » Il m’a dit : « Absolument rien, mais vous avez de l’argent et vous avez un mégaphone. » Donc, j’utilise l’argent et un mégaphone pour pousser les gens à bouger sur le terrain.
Par exemple, on a octroyé 83 millions de dollars sur plusieurs années à 13 organismes à travers le Canada. Ces organismes ont aidé 6 600 personnes formées outre-mer à obtenir des emplois dans le système de santé. On a également une approche systémique : on donne du financement à l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne par l’entremise du plan d’action. Nous avons versé 200 milliards de dollars aux systèmes de santé provinciaux et territoriaux, et c’est à eux d’ouvrir ces espaces pour former les gens et pour reconnaître les titres de compétences. Il faut que chaque province indique clairement aux organismes qui gèrent et protègent ces postes qu’ils doivent ouvrir leurs portes.
La sénatrice Mégie : J’apprends des choses très intéressantes et encourageantes. Quand j’entends que vous avez ciblé des pays bilingues ou francophones où l’on donne de la formation, des pays qui sont chargés de former des infirmières et chez qui on va chercher une certaine partie du personnel de la santé sans accaparer les cerveaux des autres pays, je trouve que c’est très positif. En ce qui concerne les médecins, ce sera plus compliqué.
Je trouve que l’exemple du Manitoba est génial. Comment pourriez-vous, avec les millions de dollars et avec votre propre voix, stimuler les autres provinces à faire la même chose? Vous aurez à faire face aux ordres professionnels et aux différentes fédérations de médecins. Mais si le Manitoba a réussi, est-ce qu’on peut se servir de son exemple? Je ne sais pas comment ils ont fait; vous le savez peut-être et vous pourriez nous le dire. Est-ce que c’est possible de réaliser la même chose dans les autres provinces?
M. Boissonnault : Je vais parler en code; je vais dire que les élections compteront. On a vu différents gouvernements qui ont eu différents appétits pour les changements en ce qui concerne les compétences et la reconnaissance des titres de compétences étrangers.
Un gouvernement qui m’a vraiment surpris, c’est celui de la Saskatchewan. On a un enjeu avec les provinces qui cherchent du talent parce qu’elles veulent bâtir leur province. En Saskatchewan, au moyen de la réglementation et de la loi, pour chaque personne qui arrive dans la province, le ministère responsable de la main-d’œuvre a 20 jours pour indiquer comment leurs compétences seront reconnues en Saskatchewan. Si elles ne sont pas reconnues, le ministère doit indiquer quoi faire pour qu’elles le soient.
Pour les gens qui viennent de l’étranger, la loi indique que la réponse doit arriver en 60 jours; il doit y avoir une piste claire pour que la personne ait la formation sur place pour être reconnue en Saskatchewan. Comment le ministre a-t-il été capable de le faire? Il est allé voir les ordres et les associations professionnelles et il leur a dit de travailler avec lui, sinon il allait adopter des lois et la province commencerait à réglementer les professions. Les ordres et les associations ne voulaient pas que cela se fasse, donc ils se sont entendus avec le ministère. C’est la seule administration qui est allée aussi loin.
Je peux vous dire qu’en Alberta, ils ont tenté de voir combien d’infirmières étaient prêtes à travailler dans le système. Ils ont donné une liste de 13 pays et ont demandé aux infirmières de faire des demandes. Ils espéraient avoir 200 à 300 infirmières, mais ils ont plutôt eu 1 400 inscriptions. La moitié a été capable de travailler immédiatement; l’autre moitié a été capable d’accéder au système en moins d’un an. Les méthodes existent; c’est une question de volonté politique.
Je suis là pour financer les groupes sur le terrain pour qu’ils puissent faire tomber les obstacles. Vous êtes tous sur le terrain, dans vos provinces et territoires; c’est très bien si vous voulez m’aider à sensibiliser les organismes sur le terrain sur le fait que ce programme existe. Si jamais je reçois plus d’argent dans un budget du futur, je pourrai en faire plus.
La sénatrice Mégie : On était en train de discuter entre collègues médecins au Sénat et on a pensé à la possibilité d’un plan national d’évaluation. Pensez-vous qu’il y aurait de l’intérêt pour cela? L’évaluation se ferait à l’échelle nationale plutôt que provinciale. Ce serait un gros morceau à avaler, mais d’après vos connexions et vos discussions avec les provinces, qu’en pensez-vous? Est-ce réalisable ou est-ce une utopie?
M. Boissonnault : C’est une très bonne question. Je ne peux pas parler de la question d’un système national pour reconnaître les compétences des médecins sans créer une crise constitutionnelle, donc on va éviter le sujet aujourd’hui.
Cela dit, c’est dans le budget de 2022 ou 2023 que nous avons envoyé un message clair aux provinces et territoires : il est temps de reconnaître les titres de compétences étrangers au sein du système de santé, ou alors nous devrons établir un système de reconnaissance national. On n’a pas pu le faire, parce qu’il y a eu des changements sur le terrain. Cela obligeait à avoir beaucoup de conversations très difficiles.
Cependant, pour le moment, je n’ai pas vu d’intérêt sur le terrain. On n’a pas besoin d’avoir un système national; on peut travailler avec trois ou quatre provinces qui veulent le faire. On peut commencer avec ces provinces qui veulent avoir une certaine standardisation. Je ne l’ai pas vu, mais c’est le moment de me tourner vers M. Thompson, si vous me le permettez, qui travaille très bien avec le sous-ministre de la Santé, parce que Développement social Canada joue un rôle très important. Tout le réseau de Santé Canada est aussi très important.
Monsieur Thompson, avez-vous quelques points à ajouter à cet effet?
Paul Thompson, sous-ministre, Emploi et Développement social Canada : Oui, je peux ajouter quelques points. Il y a des réseaux parmi les ministères responsables du marché du travail partout au pays et il y a notre réseau à Santé Canada et leurs homologues partout au pays. Ce n’est pas seulement une question de subventionner des projets, c’est aussi une question de partage des pratiques exemplaires pour simplifier les résultats et pour partager les bonnes pratiques. C’est vrai qu’il y a des modèles dans d’autres domaines. Par exemple, nous avons le Programme du Sceau rouge pour les métiers; c’est une entente entre toutes les provinces qui permet d’accélérer la reconnaissance des compétences. Dans les provinces atlantiques, par exemple, il y a des ententes entre ces provinces de temps en temps, et c’est une fondation sur laquelle on peut bâtir pour élargir le processus de reconnaissance. On peut s’inspirer de certains modèles dans ce domaine pour les professions dans le secteur de la santé.
Le président : Merci. J’aurais des questions complémentaires, mais je vais plutôt donner la parole au sénateur Aucoin, et j’aimerais souhaiter la bienvenue à la sénatrice Youance.
Le sénateur Aucoin : C’est très beau ce qui se passe à l’étranger, où vos démarches semblent porter leurs fruits pour les gens du domaine de la santé. Cependant, nous avons entendu au comité que des infirmières francophones doivent subir un examen américain, et ce sont les ordres professionnels d’une province à l’autre qui gèrent ces examens. Cela a posé beaucoup de difficultés et même aujourd’hui, il n’y a pas d’examen canadien. Que peut faire votre ministère dans ce domaine ou que faites-vous par rapport à cela? Pouvez-vous nous donner un exemple, parmi toutes les professions en santé, où il y a des barrières provinciales ou des ordres professionnels qui gèrent l’admission à la profession?
M. Boissonnault : Vous n’allez peut-être pas aimer ma réponse. Le travail est lent et lourd; cela se fait par profession, par province et par territoire, parce que la lutte entre elles pour garder les talents chez eux est réelle. Elles craignent d’avoir des normes partagées, car cela favoriserait la mobilité de ces professionnels. L’un des modus operandi des ordres professionnels ou des associations professionnelles, c’est de garder leurs membres dans leur province, de protéger les emplois et de ne pas permettre à plus de gens d’accéder à ce système pour garder les salaires à un certain niveau. Ce sont des questions de base. En ce qui concerne l’examen national, c’est très difficile à faire, parce que le gouvernement fédéral ne gère ni la question de la reconnaissance des compétences ni le système de santé dans les provinces et les territoires. Cela dit, comme le sous-ministre l’a mentionné, le Programme du Sceau rouge est un outil très important dont on peut s’inspirer pour inciter les gens à participer à un marché national, ce qui est important.
Le sénateur Aucoin : Ai-je bien compris que vous avez un mégaphone et de l’argent? Je présume donc que vous allez continuer dans la même veine pour faire changer la donne. Voici donc ma deuxième question. Je suis un peu troublé, parce que je ne sais pas ce que vous pouvez faire par rapport à cela. Dans ma communauté de Chéticamp, on montait aux barricades autrefois, par exemple quand on embauchait quelqu’un qui était unilingue anglais à la caisse populaire ou à la coopérative; aujourd’hui, bon nombre de travailleurs étrangers sont arrivés, aucun ne parle français et on ne peut plus monter aux barricades, surtout pour les soins de santé ou dans les foyers. Votre ministère peut-il avoir des pourparlers avec les provinces pour régler ce problème dans les communautés francophones hors Québec ou dans les communautés de langue minoritaire, ou bien pourrait-on accueillir des travailleurs étrangers qui sont bilingues? S’il y a 25 personnes à Chéticamp qui sont des travailleurs étrangers qui viennent de la Malaisie ou de l’Inde, par exemple, il doit certainement y en avoir qui parlent français.
M. Boissonnault : C’est une très bonne question. C’est la raison pour laquelle j’ai parlé de ce qui vient de se passer au Réseau de santé albertain. Il y avait des gens en poste qui ne pouvaient pas parler français. Nous pourrions aider si la communauté francophone locale demandait d’avoir un appui de la part de son organisme porte-parole; il y aurait alors un programme pour attirer des gens francophones ou du moins bilingues pour doter ces postes. Cela peut nous intéresser du point de vue des langues officielles ou de la question du développement des compétences. Cependant, cela doit venir de la communauté. Il ne faut pas que le gouvernement fédéral pousse pour voir ce développement sur le terrain grâce à la compétence provinciale. Il est aussi très important que les gestionnaires du système déclarent ces postes comme étant bilingues dans le système de santé, ou alors, s’il le faut et s’ils sont appelés à offrir des services à une clientèle francophone, il est obligatoire que ces gens puissent parler en français et en anglais.
Le sénateur Aucoin : Merci beaucoup.
Le président : Monsieur le ministre, j’aimerais vous ramener à la Loi sur les langues officielles modernisée, pour voir avec vous quel est l’impact de cette loi sur les soins de santé dans la langue de la minorité. Je sais que vous êtes conscient du fait que la santé a été identifiée comme un secteur essentiel à l’épanouissement des communautés dans la Loi sur les langues officielles et que les mesures favorisant l’inclusion de dispositions linguistiques dans les accords entre le gouvernement fédéral et les provinces sont aussi des mécanismes qui peuvent aider les provinces.
Je parlais à votre collègue tout à l’heure et je lui demandais comment, dans les mesures que vous mettez en place, vous tenez compte de cette nouvelle loi modernisée, de ces obligations et de ces responsabilités qui viennent de votre gouvernement. Par exemple, le futur règlement de la partie VII comportera-t-il des précisions à cet effet?
M. Boissonnault : J’aimerais répondre à la dernière question en premier. C’est ma collègue la ministre Anand qui s’occupera de ce règlement et nous serons très contents de revenir pour en parler.
Permettez-moi de vous parler de mes deux règlements, qui touchent le commissaire aux langues officielles et la forte présence des entreprises francophones à travers le pays. Je pousse la fonction publique afin de respecter l’échéancier que j’ai donné à ce comité et à l’autre. J’ai hâte de voir des règlements que je pourrai partager au début de l’hiver 2025, dès le premier trimestre de 2025. C’est très important pour moi, parce que je pense qu’on a des entreprises qui s’attendent à ce que seront les règlements, et les choses avancent très bien aussi pour le règlement qui touche le commissaire aux langues officielles.
Je vous parle maintenant comme un Franco-Albertain pour me rattraper correctement dans la langue de Molière, même si je n’ai pas pu bien parler français quand j’ai fréquenté le Campus Saint-Jean en 1988 et que mes notes en français étaient tellement horribles qu’on n’aurait jamais pu croire que je serais ministre des Langues officielles un jour — mais c’est la réalité. Je pense que le prochain champ de bataille au pays, pour nous les francophones en situation minoritaire et pour les anglophones en situation minoritaire au Québec, c’est le système de santé. Voilà pourquoi j’ai noté le changement dans le Réseau de santé albertain qui existe depuis 1992. C’est grâce au changement dans le texte, aux changements apportés à la Loi sur les langues officielles, à cette question de vitalité et de communautés qui peuvent s’épanouir et à l’importance primordiale de la santé pour cette question d’épanouissement que je pense que nous avons été en mesure de changer les choses avec le gouvernement de l’Alberta.
Le président : En ce qui a trait aux règlements, monsieur le ministre, vous disiez que vous poussiez vos fonctionnaires; quels sont les défis? Je pense plus précisément au secteur de la santé dans les communautés linguistiques en situation minoritaire; y a-t-il des consultations qui se font tout au long du processus pour faire en sorte que ces règlements qui sont si importants soient adéquats et tiennent compte de la réalité des CLOSM?
M. Boissonnault : Je pousse et je donne aussi à la fonction publique du temps pour le faire de la bonne manière.
Quand j’ai travaillé pour le premier ministre comme conseiller spécial sur la question des personnes LGBTQ, à l’époque, la communauté voulait qu’on lui fasse des excuses un mois avant que je devienne conseiller spécial. J’ai dit : « Non, on va prendre le temps qu’il faut pour que les excuses soient faites de la bonne manière. » C’est la même chose avec les règlements. On a un moment pour bien les faire et c’est mon intention. Donc, si cela prend un autre trimestre — au lieu de décembre, ce sera mars —, c’est ce qui se passera, parce qu’il faut aussi noter que quand on parle de la Loi sur les langues officielles, il faut avoir des conversations très importantes avec plusieurs parties prenantes, et nous sommes en train de faire ce travail actuellement.
Le président : Merci, monsieur le ministre.
La sénatrice Moncion : Si j’ai du temps, j’ai quelques petites questions pour vous.
Vous avez parlé du financement que vous avez fourni. Vous avez parlé de 114 millions de dollars et du fait que 6 600 personnes ont pu intégrer le système de santé. Pourriez-vous nous indiquer si les provinces ont une implication financière dans ces programmes?
M. Boissonnault : Oui, je peux le dire. La réalité, c’est que plus ou moins souvent, non. Avec des changements dans quelques différents gouvernements provinciaux... Je vais vous donner un exemple.
Le Manitoba veut vraiment changer la façon de reconnaître les titres de compétence. Mme Marcelino est très au fait de cette question. Mon homologue Jamie Moses est très axé sur cette question. On va voir comment on peut travailler pour la première fois directement avec le gouvernement du Manitoba pour qu’ils puissent eux-mêmes changer la façon dont les ordres et les associations professionnelles gèrent cette question de reconnaissance des compétences. C’est la première fois que cela se produit à travers le pays.
Je suis très heureux de cette ouverture d’esprit quand cela arrive avec des provinces. Je n’ai pas les moyens, parce que je ne peux pas forcer une province à venir à la table. Je travaille avec un organisme des Philippines qui veut que les infirmières soient reconnues. Je travaille avec l’association nationale des dentistes, parce que ces gens savent où sont les barrières et où sont les obstacles.
Je vais donner un exemple dans le secteur de la construction. Comment peut-on demander à de jeunes hommes et à de jeunes femmes de payer 10 000 $, de faire un examen et d’être capables de conduire un camion, sachant que 60 % de ces gens vont faire faillite? J’ai 60 % des gens qui ont raté leur examen. Ils ont payé 10 000 $ pour quelle raison? Changez l’examen ou versez l’argent à la fin pour qu’ils puissent payer leurs factures une fois qu’ils ont passé l’examen. Ce sont des barrières qui empêchent les gens d’accéder au marché du travail. Dans chaque ordre et chaque association professionnelle, on met des petites barrières dans les roues pour éviter que les gens soient reconnus ici au Canada, et ces barrières les défavorisent.
C’est donc un champ très vaste, et je travaille avec des organismes qui savent comment briser un certain nombre critique de barrières, ce qui permet d’accélérer le processus pour que les gens revoient leurs critères.
Le président : Madame la sénatrice, est-ce que je peux poser une question complémentaire à votre question?
La sénatrice Moncion : Allez-y, cher monsieur, vous êtes le président.
Le président : Vous avez parlé des chiffres, monsieur le ministre. Vous avez parlé de 114 millions de dollars, et cetera. En janvier 2024, le programme a lancé 16 nouveaux projets avec un budget de 89 millions de dollars pour soutenir environ 6 600 professionnels de la santé formés à l’étranger. Êtes-vous en mesure de nous dire quelle proportion de ces fonds touche directement les communautés de langue officielle en situation minoritaire? Avez-vous des données là-dessus?
M. Boissonnault : Je vous donne un exemple et on va faire un suivi. On est très content de faire cela. Je vais vous donner un exemple. Société économique de l’Ontario a reçu 2,5 millions de dollars sur trois ans pour le mentorat des professionnels francophones formés à l’étranger dans les divers secteurs. Un autre montant de 2,5 millions de dollars est allé aux francophones formés à l’étranger en Ontario et en Colombie-Britannique pour leur offrir leur premier travail ici au Canada.
Je suis très favorable à ce que les organismes francophones fassent une demande à notre programme pour favoriser la reconnaissance des titres de compétences auprès des francophones. Je vais aller encore plus loin : je serais très content si les organismes porte-paroles allaient chercher l’argent des provinces pour faire ce travail. Si jamais ils réussissaient, je serais très intéressé de voir comment je pourrais faire concorder...
La sénatrice Moncion : Je sais que vous n’intervenez pas nécessairement auprès des provinces, mais j’ai un document qui a été produit à titre d’information et je le trouvais quand même très intéressant. Cela parle des résidences. Une fois que les médecins ont terminé leur formation, ils ont une résidence de quelques années à faire. Il y a plusieurs endroits, notamment en Alberta, donc je vais vous donner les statistiques pour votre province.
En Alberta, à Edmonton — c’est-à-dire en Alberta et à Calgary —, il y a 10 postes, 10 résidences qui sont disponibles, donc il y a des places pour former des résidents, sauf qu’il n’y a personne qui veut prendre ces résidences. À l’opposé, il y a d’autres provinces où les gens ont terminé leurs cours, mais ils ne sont pas capables de trouver de résidences. Donc, ils pourraient aller faire leur résidence en Alberta, par exemple, où il y a 10 places de résidences. Je pense que vous avez déjà répondu à la question, mais ces 10 places ne sont pas occupées actuellement et il y a des médecins qui sont prêts à faire leur résidence, mais qui n’ont pas accès à des résidences. Ceux-là pourraient aller en Alberta et vous pourriez pourvoir 10 postes de médecin.
Quel genre d’intervention pourriez-vous faire à ce niveau? Y a-t-il un modèle de persuasion ou des fonds qui pourraient être utilisés pour que les provinces s’ouvrent à cette idée? La pire province, c’est le Québec. Sur les 87 postes de résidence qui sont ouverts en 2024, le Québec doit en avoir plus de la moitié.
M. Boissonnault : Si je veux avoir une rencontre épicée avec mes homologues provinciaux à la table la prochaine fois, je partagerai cela de façon formelle.
Juste avant ce document, comme vous l’avez dit, juste pour avoir des conversations avec quelques ministres, avec mes homologues, mais aussi avec les homologues du ministre Holland... C’est très important, mais je ne suis pas convaincu qu’ils veulent pourvoir ces postes par l’entremise des médecins d’une autre province, parce que la province qui envoie ses résidents va soupçonner que ces derniers ne retourneront jamais dans leur province d’origine. C’est très complexe, chers collègues. Le souhait de garder son talent chez soi est très puissant et on le voit dans tous les domaines, parce que le talent a gagné. C’est le talent qui a gagné, pas les employeurs. Dans le système de santé, c’est une lutte pour le talent. Je serais très content, même si on comblait 50 % de ces résidences; cela aiderait le système.
Je vais donner un exemple. Je peux enchaîner avec une bonne nouvelle, parce que c’est plutôt un bémol, comme on dit dans une chorale. On a mis en place un nouveau... Ce n’est pas un nouveau programme; on a bonifié le programme pour encourager les médecins, les infirmières et une autre douzaine de professions dans le système de santé à aller faire leur stage et à s’installer dans les communautés rurales et éloignées. Ce qu’on a fait pour les infirmières et plusieurs différents domaines — secteurs, si l’on peut dire —, c’est un rabais sur le prêt de 30 000 $ sur cinq ans. Pour les médecins, c’est 60 000 $ sur cinq ans. C’est le ministre Fraser qui va faire cette annonce sous peu. Cela a déjà été fait, mais c’est important parce que des règlements seront mis en place.
Je vous donne un exemple. En Alberta rurale, c’est Red Deer, c’est Fort McMurray. Cela peut être Olds ou Fort McKay. Dans les provinces atlantiques, on parle de collectivités qui comptent 30 000 personnes ou moins. Cela va vraiment encourager les jeunes médecins, infirmières, physiothérapeutes et autres à aller s’installer dans les régions rurales et éloignées. Dans le Nord de l’Ontario, par exemple, c’est très important pour que les gens aient accès à un médecin.
La sénatrice Moncion : Oui, mais dans le Nord de l’Ontario, il y a beaucoup de partenariats qui sont déjà créés. Par exemple, une de mes amies, qui est optométriste, va passer une semaine par mois à Timmins. Donc, il y a déjà des ententes. C’est la même chose avec des cardiologues qui vont travailler dans le coin de Kapuskasing. Ils ont aussi accès à la télémédecine. Il y a tout un système qui fonctionne, même quand les gens doivent se déplacer pour se faire soigner.
Il existe d’autres modèles, notamment en Europe, pour simplifier l’accès des immigrants aux professions en santé. Est-ce quelque chose que vous avez envisagé comme modèle de fonctionnement et qui pourrait être copié au Canada?
M. Boissonnault : Nous sommes toujours à l’affût de systèmes pouvant fonctionner ici. Il faut noter que les modèles existants doivent s’insérer dans un système fédéré comme le nôtre. C’est important. J’aimerais plutôt avoir un jour un système plutôt comme celui du Royaume-Uni, où c’est le centre qui décide, mais ce n’est pas notre système — même comme le système allemand ou belge.
Je vais demander à M. Thompson ou à Mme Arsenault d’enchaîner là-dessus.
Avant de partir, juste pour vous donner une indication de qui est favorisé par ce rabais sur leur prêt... Les dentistes, les hygiénistes, les pharmaciens, les enseignants, les travailleurs sociaux, les travailleurs sociaux personnels, les physiothérapeutes et les psychologues, nous aiderons tous ces gens à avoir un rabais sur leur prêt étudiant s’ils veulent s’installer dans les communautés rurales éloignées.
La sénatrice Moncion : Pourquoi avoir limité cette initiative uniquement à ces groupes?
M. Boissonnault : Parce qu’on voit que les dettes élevées et la pénurie de main-d’œuvre sont rattachées à ces gens dans les corridors ruraux et éloignés. Nous restons ouverts à inclure d’autres groupes. On a commencé avec les infirmières et les médecins. On a trouvé que c’était restrictif. Dans un deuxième temps, nous avons ajouté plusieurs autres occupations. On va voir si on peut ajouter d’autres professions à la liste à l’avenir.
La sénatrice Moncion : Je vous remercie.
M. Thompson : Je n’ai pas d’exemples spécifiques ou de modèles qu’on peut implanter. Nous avons des forums de partage de pratiques. Par exemple, l’OCDE travaille sur la question de la reconnaissance des métiers et la mobilité de la main-d’œuvre. Nous participons à ces dialogues. Toutefois, je n’ai pas d’exemples précis et immédiats à partager.
Le président : Puisque le temps nous presse un peu, j’aimerais vous entendre sur la question des données et de la recherche. Vous nous avez mentionné plusieurs investissements importants depuis le début de votre intervention. Comment s’assurer de la reddition de comptes? Comment s’assurer qu’on a des données? Lors de notre étude, le manque de données probantes sur la réalité et le manque de budget en recherche sont revenus constamment. Que pouvez-vous nous dire sur le travail que vous pouvez faire à ce sujet, d’autant plus que vous combinez un mandat assez formidable entre les langues officielles, l’emploi et le développement de la main-d’œuvre? Vous avez en main, me semble-t-il, tout ce qu’il faudrait. J’aimerais vous entendre sur cette question. Quelle priorité accordez-vous à ces questions?
M. Boissonnault : C’est le premier ministre qu’il faut remercier pour la combinaison de mes rôles. C’est lui qui a décidé de mettre ces deux fonctions ensemble. Je lui suis très reconnaissant, parce que je suis tout à fait d’accord, monsieur le président. J’adore le rôle de ministre des Langues officielles et j’adore ce qu’on est capable de faire en ce qui concerne le développement de la main-d’œuvre. Il y a un diagramme de Venn très important qui regroupe les différents dossiers.
En ce qui concerne les données, c’est critique. Je précise qu’il y a deux semaines à peine, on a tenu le Sommet sur la main-d’œuvre 2024 à Montréal, qui réunissait environ 200 personnes de la société civile, des syndicats, des employeurs, des universités et des collèges, etc. C’est la première fois en 12 ans qu’on a convoqué une telle conversation portant sur la main-d’œuvre du pays. Réalisons à quel point le monde a changé en 12 ans, non seulement à cause de la pandémie, mais aussi à cause de la façon dont on travaille et de tous les défis auxquels nous faisons face, avec l’intelligence artificielle et les différents bouleversements. Maintenant, 50 % de la population qui travaille est composée de milléniaux et de membres de la génération Z. Cela change le système pour l’avenir.
La question des données est un des éléments qui sont ressortis de ce fameux sommet : on n’a pas assez accès aux données et les données ne sont pas assez précises sur le plan régional. J’ai des collègues qui veulent savoir quel est l’état de la main-d’œuvre à Toronto, Vancouver, Edmonton, Saint-Jean. Aujourd’hui, cela n’existe pas.
J’ai parlé à des personnes fortes, comme Steven Tobin, qui travaillait pour l’Organisation internationale du travail. Il nous a aidés à développer le Conseil de l’information sur le marché du travail. Lui, moi et d’autres personnes avons indiqué très clairement que nos systèmes de données sont un peu âgés et qu’il faudrait travailler avec Statistique Canada et d’autres, pas seulement pour que les données que le gouvernement fédéral génère soient plus accessibles, mais aussi pour que l’on soit en mesure d’aller chercher d’autres sources de données qui existent déjà dans le secteur privé, chez les syndicats et les provinces.
Actuellement, j’ai des ententes avec les provinces. Je verse 3 milliards de dollars par année aux provinces et territoires pour former les gens sur le terrain. On ne reçoit pas assez de données par l’entremise de ces ententes. Pour moderniser ces ententes, je vais faire la même chose qu’on a faite avec le système de santé. Quand on a mis les 200 milliards de dollars sur la table, on a obligé les provinces à partager les données. Vous avez parlé, monsieur le président, de reddition de comptes et d’être redevable aux bailleurs de fonds. Nous sommes les bailleurs de fonds, et nous voulons avoir des données.
Le président : Monsieur le ministre, êtes-vous équipé pour aller chercher cette information? On parle beaucoup de cela. On a l’impression que c’est un défi pour l’appareil fédéral d’aller chercher l’information qui vient des provinces. Quelle est la solution pour faire en sorte d’aller chercher ces données?
M. Boissonnault : C’est intéressant, parce qu’on avait de jeunes gens de la fonction publique qui faisaient partie de notre séance sur la main-d’œuvre. Un jeune est venu me voir. Il m’a dit : « Monsieur le ministre, on a fait cela pour vous pour le tourisme. On savait comment connecter tous les différents éléments de données. On peut le faire ici aussi. C’est juste qu’on a besoin de quelques rencontres, de la permission et de la volonté politique pour le faire. Mais aussi, il faut avoir des partenaires sur le terrain, donc cela veut dire les villes, les provinces et les autres partenaires. » Je devrai donc trouver plus d’argent pour le faire. Je sais que M. Thompson et son équipe sont très contents de le faire. Cela va donner une certaine richesse à notre écosystème, qui va nous aider à gérer l’économie d’une façon plus stratégique.
Monsieur Thompson, vous pouvez répondre à la question sur les données?
M. Thompson : Ce n’est pas nécessairement une question d’augmenter les investissements. Nous avons déjà beaucoup de données. Il faut surtout les rendre plus utiles. C’est le défi.
Il y a des investissements globaux avec Statistique Canada, mais aussi d’autres projets plus ciblés. On travaille avec les communautés minoritaires linguistiques pour améliorer l’accès aux données pour faire de la planification économique. C’est une direction intéressante.
Nous travaillons aussi avec nos collègues de Santé Canada pour préciser l’analyse de l’information sur le marché du travail profession par profession, province par province, pour bien comprendre l’offre et la demande et pour appuyer la prise de décision dans ce domaine.
Le président : Ma dernière question pour vous, monsieur le ministre, porte sur la question de l’intelligence artificielle et la télémédecine. En tant que ministre de l’Emploi, quelle est votre vision ou quelles sont vos priorités? Évidemment, je pense aux communautés linguistiques en situation minoritaire, mais peut-être plus largement. On sait que les communautés francophones en milieu minoritaire et certaines des communautés anglophones au Québec sont situées dans des régions éloignées. Quels sont les éléments stratégiques que vous pouvez partager avec nous qui touchent ces aspects?
M. Boissonnault : Sur la question de la recherche, je viens de faire une annonce. Je viens de rencontrer 12 ou 13 chercheurs francophones et acadiens à travers le pays qui sont responsables de me conseiller sur la manière de pérenniser la recherche en français au Canada. Comment sera-t-on vus et perçus en ce qui concerne l’intelligence artificielle? Dans le monde des arts et de la culture, on parle de cette fameuse découvrabilité. Comment peut-on trouver sur Spotify une femme racisée francophone de l’Ouest qui chante en français? Ce n’est pas évident de trouver cela sur Spotify ce soir.
Donc, comment est-ce qu’on peut aller chercher ces gens-là? De notre côté, c’est aussi grâce au développement de l’intelligence artificielle que les francophones, les francophiles, les francocurieux et les francoqueers sont vus. Et cela, c’est très important.
Les États-Unis et la Chine auront leurs propres approches concernant l’intelligence artificielle, mais le troisième pays le plus puissant en matière d’intelligence artificielle, c’est le Canada. Je parle d’Edmonton, Montréal et Toronto comme des pôles très importants dans le développement de ces machines, et le Canada aura la marque globale en ce qui concerne le développement de l’intelligence artificielle responsable.
Il y a deux volets : le développement de base des machines — on parle d’une intelligence artificielle qui voit tout le monde —, mais aussi le déploiement qu’il faut faire de manière responsable. C’est un choix pangouvernemental que le ministre François-Philippe Champagne, d’autres personnes et moi mettons en place au sein du gouvernement fédéral.
Le président : Sur ce, merci beaucoup, monsieur le ministre, et merci, madame Arsenault et monsieur Thompson, pour ces réponses à nos questions.
Chers collègues, pour notre troisième groupe, nous discutons ce soir du thème de la recherche et des données probantes.
Nous sommes heureux d’accueillir par vidéoconférence Valérie Lapointe-Gagnon, présidente du Comité pancanadien de la recherche en français à l’Association francophone pour le savoir (Acfas).
Bonsoir, madame, et bienvenue parmi nous. Décidément, l’Alberta est à l’honneur ce soir, car je crois comprendre que vous êtes au Campus Saint-Jean. Nous sommes très, très heureux de vous accueillir.
Nous sommes prêts à entendre votre déclaration préliminaire; ce sera évidemment suivi d’une période de questions avec mes collègues. La parole est à vous, madame.
Valérie Lapointe-Gagnon, présidente, Comité pancanadien de la recherche en français, Association francophone pour le savoir (Acfas) : Monsieur le président, honorables sénatrices et sénateurs, bonsoir en direct d’Edmonton.
Je voudrais d’abord vous remercier de l’invitation à témoigner en tant que représentante officielle de l’Acfas, une organisation centenaire et multidisciplinaire avec des antennes régionales réparties d’un océan à l’autre qui jouent un rôle central dans la transmission des savoirs en français et dans l’avancement de la communauté de la recherche francophone.
J’aimerais diviser mon témoignage en deux parties : la première porte sur la nécessité des données probantes en français, et la deuxième porte sur les blocages systémiques à la création de ces données et au soutien d’une relève forte dans le milieu de la santé en français.
Mon propos va se concentrer surtout sur la francophonie canadienne en milieu minoritaire, puisque c’est là que les besoins sont les plus criants et que les obstacles sont les plus considérables.
Comme l’a montré l’étude de l’Acfas Portraits et défis de la recherche en français en contexte minoritaire au Canada, parue en 2021, une tendance lourde se dessine dans le milieu de la recherche au Canada : les chercheurs francophones sont de plus en plus nombreux à choisir de mener leur recherche en anglais et de publier en anglais.
Ce choix souvent stratégique n’est pas sans conséquence sur les objets mêmes de recherche. En effet, est-ce qu’une étude sur la santé des francophones en Alberta peut séduire une grande revue scientifique américaine? Pour atteindre leurs objectifs de publication et répondre aux pressions de l’université néolibérale hautement compétitive, les chercheurs vont donc se tourner vers des sujets qui semblent plus universels et étudier des bassins de population vastes, laissant dans les marges des populations, comme la francophonie canadienne, qui vivent parfois une quadruple discrimination dans le domaine de la santé, basée sur l’âge, le genre, l’ethnicité et la langue.
Pourtant, la création et la diffusion de données probantes sur la situation de cette population sont essentielles pour mieux cerner ses besoins et établir des politiques publiques permettant d’y répondre. En effet, la domination de l’anglais en sciences de la santé est problématique. Elle génère des angles morts importants, qui nuisent à la documentation des enjeux locaux en francophonie minoritaire.
Comme le montrait le numéro de Minorités linguistiques et société paru en 2024, qui était consacré à la santé des francophones en contexte minoritaire, malgré des avancées significatives depuis le début des années 2000 et la création du Consortium national de formation en santé (CNFS), il y a encore un manque de données sur les populations francophones moins nombreuses qui les rend invisibles dans la recherche.
Sans bases de données administratives sur la santé, y compris les variables linguistiques, les producteurs de recherche avancent dans le noir et les utilisateurs de la recherche, qui comprennent des professionnels et des praticiens francophones de la santé, n’ont pas accès à des instruments de mesure et à des résultats de recherche spécifiques à la population qu’ils et elles desservent. Cela entraîne des conséquences sur la capacité de produire des diagnostics, ce qui nuit à une population qui est déjà en situation de vulnérabilité linguistique.
Des études montrent aussi qu’en l’absence d’offre active de services en français, une proportion importante de francophones, soit 21 %, n’aura même pas recours à des soins, ce qui en dit long sur l’importance de la langue non seulement pour l’accès, mais aussi pour la sécurité et la qualité des soins reçus.
La plus grande menace qui pèse sur la création de données probantes en français, c’est non seulement la pression de faire de la recherche en anglais, le manque de données ou d’outils, mais aussi, si l’on se tourne vers la francophonie canadienne en situation minoritaire, la fragilité de nos établissements postsecondaires et de nos revues scientifiques, les obstacles multiples à la réalisation de la recherche ainsi que le manque patent de programmes pour former des professionnels de la santé en français et des chercheurs sur la santé des francophonies canadiennes. Comment former la relève qui s’intéressera à ces questions?
Parmi les obstacles à la recherche, notons la charge d’enseignement plus grande des professeurs dans les établissements postsecondaires de la francophonie canadienne et la difficulté à recruter des assistants de recherche. Il faut aussi souligner une répartition inéquitable des ressources pour mieux comprendre les besoins des francophones, l’Ouest, le Nord et certaines provinces des Maritimes étant particulièrement négligés. En effet, la majorité des chaires et des instituts de recherche touchant au domaine de la santé sont concentrés dans l’Est du Canada. Peu d’études s’intéressent aux populations autres que celles de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et du Manitoba. Pour contrer ces phénomènes et assurer une relève forte, il faut soutenir la création de nouveaux programmes. Je pense notamment à l’orthophonie dans l’Ouest, à la création de chaires en dehors des espaces géographiques déjà couverts et à la création de programmes de subvention ciblés, destinés à encourager la production de données probantes en français sur des populations négligées.
Il faut aussi réfléchir à une façon d’encourager la relève à choisir le français et encourager les chercheuses et chercheurs francophones à travailler dans leur langue en supprimant les obstacles systémiques que représentent le sous-financement des établissements postsecondaires, l’absence de programmes en français dans certaines provinces et le glissement vers l’anglais en recherche. Il faut envoyer un message fort : le français en recherche est non seulement prestigieux, mais il est aussi nécessaire pour assurer la sécurité et la santé des francophones.
Comme l’a montré l’étude de l’Acfas que j’ai citée plus tôt, qui a été publiée en 2021, plus de 30 000 professionnels de la recherche au Canada à l’extérieur du Québec peuvent s’exprimer en français. Or, une grande partie d’entre eux sont carrément invisibles, parce qu’ils mènent une carrière en anglais seulement. Avec des programmes de financement spécifiques, avec des chaires et des instituts de recherche consacrés à la santé des populations francophones sous-étudiées, avec une revalorisation du français dans le milieu de la recherche, avec un soutien adéquat pour celles et ceux qui veulent faire leur demande de subvention en français auprès du Service d’aide à la recherche en français, faisons-les sortir de l’ombre.
Merci beaucoup de m’avoir écoutée.
Le président : Merci beaucoup, madame Lapointe-Gagnon, pour cette présentation qui nous interpelle beaucoup — c’est le moins que l’on puisse dire. Nous allons maintenant passer à la période des questions.
La sénatrice Moncion : Merci beaucoup, madame Lapointe-Gagnon. Je trouve toujours intéressant d’entendre les défis auxquels les gens de l’Ouest canadien sont confrontés, surtout dans les milieux universitaires, comme le Campus Saint-Jean, qui souffrent de sous-financement chronique. Vous dites que tous les travaux de recherche, ou à peu près tous, se font en anglais. Vous parlez aussi du manque de données en français. À l’époque où je faisais mon doctorat en français, on me disait que si je voulais que ma recherche soit lue, il faudrait qu’elle soit traduite ou que je l’écrive en anglais. C’est une réalité à laquelle on est confronté continuellement.
Dans l’un des documents qui nous ont été fournis, on parle de l’engagement pris avec les accords du gouvernement fédéral. Je vais vous en lire un extrait et vous constaterez l’ironie associée à l’information. On parle d’augmenter la disponibilité des données agrégées pour les indicateurs communs actuels et nouveaux afin de pouvoir rendre compte des progrès accomplis par les populations mal desservies ou désavantagées, y compris, mais sans s’y limiter, les peuples autochtones, les Premières Nations, les Inuits, les Métis, les communautés de langue officielle en situation minoritaire, les collectivités rurales et éloignées, les enfants, les communautés racisées, y compris les Canadiens noirs et les membres des communautés 2ELGBTQIA+.
On parle de données qui ne sont pas accessibles, ce qui résulte en ce que vous venez d’énoncer comme situation problématique à laquelle on est constamment confronté. J’abonde dans le même sens que vous en ce qui concerne les conclusions. Que peut-on faire pour changer cela?
Mme Lapointe-Gagnon : C’est une grande question. Je suis très inquiète du message qu’on envoie à la prochaine génération de chercheurs. À un certain moment, on a choisi d’aller vers l’anglais et cela est un fait construit. Comment faire pour le déconstruire?
Des chercheurs ont tranquillement glissé vers l’anglais, car c’est plus prestigieux et plus facile. Choisir le français pour mes étudiants et étudiantes, dans un milieu comme l’Alberta, c’est choisir la lutte politique. Cette bataille n’est pas pour tout le monde. Comment faciliter le chemin de la relève? Il faut créer des programmes. Pour ce faire, il faut que nos établissements soient bien financés. En les finançant bien, on lance le message qu’ils sont accessibles et accueillants. Au cours des dernières années, avec la crise à l’Université Laurentienne, les défis que rencontre l’Université de Moncton et ce qui est arrivé au Campus Saint-Jean où je travaille, on n’envoie pas le bon message aux générations futures. Le message est plutôt que ces établissements sont précaires. Or, qui, dans le monde d’aujourd’hui, veut poursuivre ses études dans un établissement précaire?
Il faut revoir complètement le message et assurer un financement adéquat pour dire que ces établissements ne sont pas précaires; ils sont essentiels et nécessaires. Ils ont une mission et une vocation qui diffèrent d’une grande université.
Le Campus Saint-Jean fait partie de l’Université de l’Alberta. Toutefois, sa mission est complètement distincte. Elle est beaucoup plus centrée sur les besoins communautaires.
Pour les chercheurs dans ces facultés et établissements, le volet du service à la communauté est extrêmement prenant, mais il n’est pas valorisé. Comment peut-on valoriser ces aspects? Comment changer les façons de voir l’excellence en recherche?
Une autre manière de créer du prestige, comme je le mentionnais, c’est par la création de chaires de recherche. Les instituts et chaires de recherche sur la santé des francophones en Ontario ont fait une différence majeure pour comprendre l’écosystème et ce qui se passe sur le terrain, même si les choses ne sont pas parfaites. Or, dans l’Ouest, on n’a pas de chaires ni d’instituts. Comment peut-on comprendre les besoins de notre population?
Soulignons qu’on n’aura pas de données probantes ni d’analyse sans chercheurs. En ce moment, j’ai l’impression qu’on est en train d’échapper les générations futures. Il faut agir rapidement pour éviter que cela ne se produise.
La sénatrice Moncion : Il doit y avoir un avantage certain pour les universités anglophones au Canada.
Mme Lapointe-Gagnon : Oui. La concentration des ressources est entre les mains des universités anglophones du groupe des U15. Ces universités sont parmi les mieux financées. On ne donne qu’aux riches. La concentration de ressources auprès de 20 % des chercheurs les plus riches est complètement absurde. Il faut revoir la distribution des ressources dans le milieu de la recherche.
La sénatrice Moncion : Merci.
La sénatrice Mégie : Je suis d’accord avec tout ce que vous avez dit et je me demande si on devrait rester pessimiste face à une telle situation. Vous parlez des 30 000 professionnels qui demeurent invisibles à cause du fait qu’ils n’ont pas publié en anglais. Il est vrai que c’est un leitmotiv pour tous ceux qui font de la recherche : « Pourquoi tu ne publies pas en anglais? Tu aurais plus de notoriété. Tu serais lu partout dans le monde. »
Puisque vous êtes dans le domaine de la recherche, pensez-vous qu’il est possible que des francophones puissent briller avec ce bagage francophone en publiant en français, si l’on créait une autre chaire de recherche?
Mme Lapointe-Gagnon : Absolument. On le voit à l’échelle mondiale : la communauté de la recherche francophone est en croissance. Du côté de l’Afrique, il y a des possibilités énormes de travailler en français, de faire de la recherche en français et de voyager. Le volet international, qui est si valorisé et prestigieux, c’est possible de l’avoir en français. De plus, il faut voir des carrières comme ayant de multiples volets. On peut publier en anglais, puis faire la diffusion de la recherche en français.
Je pense que la tendance en publication dans les sciences de la santé et en sciences de la nature fait qu’il sera très difficile de renverser la vapeur, mais quand on voit ce que l’Acfas fait avec le concours Ma thèse en 180 secondes, on constate que l’on peut encourager les gens qui publient en anglais à faire de la vulgarisation en français. Il y a, à mon avis, beaucoup d’avenir en ce sens.
J’ai peut-être présenté un propos plus pessimiste, mais il y a beaucoup d’optimisme à y voir également. Chez nous, au Campus Saint-Jean, nous venons de créer le premier programme de doctorat. Nous avons sept doctorants dans la première cohorte. Donc, créez les programmes, et les étudiantes et les étudiants viendront. Ces gens veulent faire carrière en français et ils ont choisi de faire leur thèse de doctorat en français en Alberta, sur des sujets extrêmement variés, dans le domaine de l’éducation et de l’intégration des nouveaux arrivants, qui sont tous des sujets nécessaires.
Il y a donc lieu d’être optimistes, car il y a des gens sur le terrain qui sont prêts à se relever les manches et à travailler. Il faut toutefois les encourager, leur donner des subventions quand ils proposent des projets comme ceux-là et valoriser ce qu’ils font. Souvent, quand on soumet une demande aux trois grands conseils, il y a des blocages sur le plan de la compréhension des réalités sur le terrain. On pourrait se dire : « Pourquoi faire une étude sur les aînés francophones en Alberta? Ce n’est pas une population assez nombreuse, on peut avoir des populations beaucoup plus importantes en termes de nombre. »
Dans les comités d’évaluation qui se penchent sur les demandes de subvention, il y a une formation qui serait à faire pour sensibiliser les évaluatrices et les évaluateurs à la recherche en français en milieu minoritaire. Ils pourront voir des profils de chercheuses et de chercheurs complètement distincts, qui auront publié en français dans des revues qu’ils connaissent peut-être moins, qui n’ont pas les mêmes facteurs d’impact, même si on sait qu’il ne faut pas vraiment voir ces facteurs comme étant une bonne lecture du succès d’une recherche.
Donc, si on en vient à sensibiliser les évaluatrices et les évaluateurs, je pense que cela peut aussi ouvrir le champ des possibles. Une chose est certaine : la relève est là et il faut lui envoyer le bon message, car c’est très facile de pencher vers l’anglicisation et de disparaître de la masse.
La sénatrice Mégie : Merci beaucoup. J’ai une autre question.
Vous avez parlé des difficultés à recruter des assistants de recherche. Parlez-vous des assistants de recherche francophones ou en général?
Mme Lapointe-Gagnon : Des assistants de recherche francophones. C’est difficile de recruter des assistants de recherche quand on a des programmes d’études supérieures qui vivotent ou lorsqu’il n’y a tout simplement pas de programmes d’études supérieures dans certains établissements. Cela devient donc un parcours de la combattante ou du combattant pour trouver des assistants.
Au campus, nous sommes plusieurs chercheurs avec de multiples subventions, et ces dernières sont consacrées à former la relève. On veut embaucher des étudiants et des étudiantes pour nous soutenir dans nos projets, mais une fois qu’ils émergent et montrent leur talent et leur investissement, tout le monde veut mettre le grappin sur ces personnes.
On voit donc beaucoup d’épuisement, étant donné que les ressources sont limitées. C’est un petit milieu. Dès que quelqu’un est performant et livre la marchandise, tout le monde veut recruter cette personne pour travailler à un projet de recherche. Nous ne sommes pas assez nombreux. Il n’y a pas assez d’étudiants et d’étudiantes pour subvenir à nos besoins d’assistance de recherche.
L’étude de l’Acfas parue en 2021, avec le sondage mené auprès des 515 chercheurs travaillant en francophonie minoritaire, indiquait que c’est un obstacle majeur qui a été dénoncé par ceux qui travaillent dans les petits établissements. En francophonie, 65 % d’entre eux ont de la difficulté à recruter des assistants de recherche.
Comment faire pour contrer cela? Nous avons besoin de programmes d’échanges plus efficaces et fluides. J’aimerais bien que des gens du Québec puissent venir faire des stages pour quelques semaines ou quelques mois. Il faut ce genre de programmes pour nous aider. Il faut également beaucoup de programmes d’études supérieures et plus d’étudiantes et d’étudiants à la maîtrise ou au doctorat pour nous aider dans nos recherches. Sinon, nous nous retrouvons avec des fonds que nous sommes incapables de dépenser, faute de ressources humaines capables de fonctionner en français.
La sénatrice Mégie : Merci beaucoup. Je vous félicite pour votre esprit motivateur. Si on en a plusieurs comme vous, je pense que ça va fonctionner.
Le président : Oui.
Mme Lapointe-Gagnon : Merci, c’est très gentil.
Le président : Comme on pourrait le dire, si la passion avait un visage, je crois que ce pourrait être le vôtre, madame.
Mme Lapointe-Gagnon : Merci.
Le sénateur Aucoin : Je ne sais plus si j’ai une question, considérant tout ce que vous avez dit et votre passion pour ce domaine.
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se demande ce que le fédéral peut faire. Vous avez parlé de programmes de bourses et d’échanges, mais est-ce qu’on peut inclure quelques recommandations dans notre rapport qui vous aideraient réellement à recruter des assistants à la maîtrise et au doctorat, d’augmenter la popularité de certains programmes ou de faire en sorte de les développer davantage? Qu’est-ce qu’on peut faire?
Mme Lapointe-Gagnon : C’est une grande demande, car on s’entend pour dire qu’il y a beaucoup de chevauchements entre les compétences provinciales et fédérales. Je pense par exemple au Programme des chaires de recherche du Canada. C’est un programme extrêmement porteur. Pourrions-nous avoir des chaires de recherche en francophonie canadienne? Cela attirerait tout de suite.
Ensuite, je pense aux trois grands conseils. On parle ce soir des données probantes en santé, mais il pourrait aussi y avoir des programmes ciblés créés spécifiquement pour la francophonie minoritaire, avec une enveloppe allouée pour ce faire. Cela peut stimuler la créativité et l’imagination des chercheurs. Quand ils voient qu’il y a des fonds spécifiquement consacrés à ces enjeux, cela change complètement la réception de ces sujets sur le terrain. Dès qu’on voit qu’il y a de l’argent alloué à un sujet, les gens s’y intéressent. Peut-être que des chercheurs qui avaient fait un glissement vers l’anglais vont se dire : « On attire mon intérêt. On va me financer, mais seulement si je mets mon chapeau de francophone, si j’émerge de nouveau à la surface. » C’est le genre d’initiatives qui peuvent être porteuses.
Je parle au nom de l’Acfas et je peux vous dire que nous avons créé le Service d’aide à la recherche en français, le SARF, qui vient quelque peu pallier le manque de bureaux pour la recherche francophone dans nos établissements. Quand on est un chercheur anglophone dans une grande université du groupe des U15 et qu’on veut faire une demande de subvention aux trois conseils, on est suivi, on reçoit des recommandations et des conseils et on est accompagné. Quand on est un chercheur francophone dans un petit établissement, le bureau de la recherche est souvent une seule personne, et celle-ci est débordée. Ce service d’appui créé par l’Acfas est donc là pour soutenir les chercheurs. Cela fait en sorte qu’il y a des gens qui sont là pour les encadrer et les conseiller avant qu’ils soumettent leur demande et cela brise l’effet d’isolement que l’on vit souvent en tant que chercheur francophone qui travaille dans une université anglophone. Je sais déjà que grâce à ce service d’aide, certains chercheurs ont fait une demande en français alors qu’ils ne pensaient pas le faire de prime abord.
Donc, le fédéral pourrait continuer d’appuyer ce service pour que les chercheurs puissent se développer. Il le fait déjà, mais je crois que le fédéral peut agir pour assurer la pérennité du service d’aide.
Le sénateur Aucoin : Merci.
Le président : C’est peut-être simpliste comme proposition ou réflexion à vous faire, mais y a-t-il suffisamment de promotion qui est faite sur la recherche en français au Canada?
Bien que nous soyons conscients que l’éducation est de compétence provinciale, est-ce un investissement que pourrait faire le gouvernement fédéral, soit de promouvoir la recherche en français? C’est déjà un acte possible de sensibilisation; qu’en pensez-vous?
Mme Lapointe-Gagnon : Ce serait essentiel. Comme je l’ai mentionné, si les chercheurs se sont tournés vers l’anglais, c’est parce qu’ils voulaient être lus et qu’ils voulaient s’intégrer dans un milieu qui disait que c’était la bonne chose à faire. Les messages que l’on entend sur le terrain sont parfois absurdes. On nous dit de faire notre demande de subvention en anglais, sinon on ne sera pas subventionné. Je travaille sur l’histoire des francophones en Alberta. Je ne vais pas faire ma demande de subvention en anglais. Le français est ma première langue; on se retrouve avec des chercheurs qui se privent de faire de la recherche dans leur première langue, la langue de leur cœur, celle qu’ils maîtrisent le mieux, la langue avec laquelle ils ont le plus de facilité à communiquer les résultats de leurs recherches. Je crois qu’il y a un message fort à porter. Je le mentionnais dans mon témoignage d’ouverture. Il y a tellement de succès dans la recherche en français et dans le domaine de la santé et cela aide considérablement à assurer la sécurité en santé. Je crois qu’il y a de beaux messages et de belles histoires à faire connaître en montrant les visages de la recherche en français et en montrant comment cela transforme la vie des gens et des communautés, parce que tout à coup, les communautés se sentent vues dans la recherche et il y a des solutions possibles.
Je songe au travail sur le paludisme importé par les nouveaux arrivants de l’Afrique francophone par une de mes collègues à l’Université de l’Alberta, Sedami Gnidehou. S’il y a un problème de santé publique et qu’on l’ignore, s’il n’y a pas de gens qui travaillent sur ces enjeux, on ne peut pas communiquer pour prendre en charge la santé de ces nouveaux arrivants qui est menacée par l’importation du paludisme en sol canadien.
Le président : On parlait plus tôt de la question des données et vous disiez que s’il n’y avait pas de chercheurs, il n’y avait pas de données. Selon vous, la relation que les établissements postsecondaires en milieu minoritaire ont avec les communautés elles-mêmes, c’est-à-dire les organismes... Est-ce que ces organismes seraient en mesure de contribuer davantage à la question des données? Si oui, de quelle manière le gouvernement fédéral pourrait-il intervenir auprès de ces organismes pour assurer la collecte de données et faire en sorte que ces données soient probantes? Quel est le lien avec les établissements postsecondaires?
Mme Lapointe-Gagnon : Je crois que ce sont de très bons interlocuteurs. Ce sont des gens qui connaissent la communauté, qui ont des échos constants et qui sont en contact avec différentes branches de la population, comme les nouveaux arrivants, les aînés, la relève et les jeunes. En Alberta, on a la Francophonie albertaine plurielle, l’Association canadienne-française de l’Alberta et la Francophonie jeunesse de l’Alberta. Ce sont des groupes qui connaissent leur population et les besoins de la population.
Il y a quelques semaines, j’étais au congrès de l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA) et on voyait les besoins de la communauté sur le plan des programmes; ce qui ressort notamment en Alberta, ce sont les programmes d’orthophonie. Dans les écoles francophones, il manque de spécialistes. Cela peut avoir des conséquences. Plusieurs jeunes se tournent vers les écoles d’immersion et les écoles anglophones. On perd peut-être de futurs chercheurs francophones, parce que tout à coup, quand ils sont jeunes, ils vont vers l’anglais ou l’immersion, parce qu’ils n’ont pas accès à des services. Ces gens connaissent leur population. Ils ont sûrement besoin d’appui de la part du gouvernement fédéral pour mieux la connaître. Je sais que l’ACFA vient de financer une immense étude de Sociopol pour avoir un portrait de la francophonie extrêmement précis en Alberta. Cela a dû coûter cher et j’imagine que le gouvernement fédéral était là pour l’appuyer, mais c’est un genre de démarche qui est très porteuse. Même moi, en tant que chercheuse, je me suis référée à ces données. C’est bien de voir des partenariats et de voir les communautés postsecondaires développer des programmes axés là-dessus. Je sais qu’il y en a en langues officielles, mais il faut souvent que les demandeurs ne soient pas des universitaires. Donc, ça génère parfois un peu de timidité du côté des gens de la communauté qui aimeraient qu’on puisse être des leaders dans ce dossier. Je ne sais pas si je réponds à vos questions.
Le président : Oui, tout à fait.
Mme Lapointe-Gagnon : Je vous parle de ce que je connais.
Le président : Tout à fait, madame.
La sénatrice Moncion : Je voudrais juste connaître le rôle de l’Acfas dans la collecte de données. Quel serait le rôle de l’Acfas dans la collecte de données pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire?
Mme Lapointe-Gagnon : On parle de l’ACFA ou de l’Acfas?
La sénatrice Moncion : L’Acfas, excusez-moi.
Mme Lapointe-Gagnon : Il y a souvent de la confusion sur le terrain en Alberta entre l’ACFA et l’Acfas, car l’acronyme est presque le même. L’Acfas peut faire beaucoup, notamment à travers le SARF, le Service d’aide à la recherche en français. Il y a déjà des demandes au service d’aide à la recherche en français de la part d’universités qui souhaitent comprendre, à l’intérieur même de leur université, qui sont les chercheurs francophones. On le mentionnait plus tôt : il y en a 30 000, mais on ne les connaît pas. Donc, le fait d’avoir aussi possiblement un observatoire sur la recherche en français est rempli de potentiel, parce qu’il y a des petites initiatives qui se font à gauche et à droite, mais il manque un portrait global de la situation. On ne sait même pas qui sont les chercheurs qui peuvent s’exprimer en français dans tous nos collèges et dans nos universités. On passe à côté d’une ressource incroyable. Même à l’Université de l’Alberta, j’ai beaucoup de collègues qui s’expriment en français et qui nous aident quand on a des comités, mais c’est une connaissance aléatoire. Ils n’ont pas été recensés. Je crois que l’Acfas pourrait jouer un rôle de recensement, mais aussi possiblement soutenir la création d’un observatoire.
La sénatrice Moncion : Merci.
Le président : Merci. J’ai une autre question. La Loi sur les langues officielles modernisée prévoit des exemples de mesures positives pour l’appui à la recherche en français. Le plan d’action de 2023-2028 contient plusieurs exemples de mesures positives concrètes, notamment un financement de 8,5 millions de dollars qui vise à soutenir l’écosystème de la recherche en français.
Le 22 octobre dernier, conformément à ce plan d’action, le ministre Boissonnault a annoncé la formation d’un groupe consultatif externe sur la création et la diffusion d’informations scientifiques en français — dont vous êtes membre, si je ne m’abuse. Vous aurez pour mandat d’analyser les dynamiques actuelles de la création et de la diffusion du savoir scientifique en français et de formuler des avis et des recommandations au ministre Boissonnault en vue d’élaborer une stratégie fédérale visant à assurer la viabilité à long terme de l’écosystème de la recherche en français au Canada. Votre groupe devra produire un rapport final et en présenter les principales conclusions au ministre responsable des langues officielles d’ici le 31 mars 2026.
Êtes-vous à l’aise avec cet échéancier? Croyez-vous que c’est réaliste? Croyez-vous que l’élaboration d’une stratégie fédérale visant à assurer la viabilité à long terme de l’écosystème de la recherche en français permettrait de pallier les défis en matière de collecte et de diffusion de données probantes en français, notamment dans le secteur de la santé?
Mme Lapointe-Gagnon : Oui, c’est une grosse tâche qui nous attend. Je fais effectivement partie de ce comité avec des chercheurs et des chercheuses de grande qualité. Nous devons produire un rapport. Je ne peux pas m’avancer sur ce dont le comité a discuté jusqu’à maintenant. J’espère vraiment que les recommandations que l’on va produire vont servir à rééquilibrer les choses, parce qu’on veut essayer d’avoir un portrait d’ensemble et de voir où nos actions vont faire une différence importante. Cependant, on n’est pas une commission d’enquête; en tant qu’historienne, j’ai beaucoup étudié les commissions d’enquête, notamment la Commission Laurendeau-Dunton. J’ai publié un livre sur le sujet et ce qu’on voit souvent, c’est que les commissaires mettent énormément de « jus de cerveau » dans leur rapport et ensuite, le rapport est tabletté. Je crois que ce sera un effort collectif de ne pas tabletter les recommandations qui seront faites et de bâtir à partir de cela. Je crois qu’on est à un bon moment. Plusieurs études ont été publiées dans les dernières années, dont celle de l’Acfas et le rapport Bouchard. On connaît de mieux en mieux la situation des chercheurs et on voit de plus en plus les obstacles qui se dressent sur leur parcours. C’est la base pour faire des recommandations qui auront un impact.
Collectivement, à partir de ces recommandations, il faut que cela fasse une différence sur le terrain, mais ce n’est qu’une pierre à l’édifice qui va soutenir cette recherche en français.
Je souhaite qu’un chercheur de la relève choisisse le français, car on lui dira que c’est aussi prestigieux que l’anglais. En ce moment, je vois sur le terrain plein de jeunes chercheurs qui sont tentés d’aller vers l’anglais, parce qu’ils sont fatigués des obstacles qui se dressent sur leur chemin.
Le président : Nous allons espérer que les autres membres du groupe consultatif soient aussi passionnés que vous, afin que cela donne les résultats que vous escomptez. Merci beaucoup, madame Lapointe-Gagnon, pour votre témoignage et vos réponses. Cela va certainement nous aider dans la rédaction de notre rapport. Merci beaucoup pour le travail que vous faites partout au Canada et particulièrement dans votre province, l’Alberta. Sur ce, je constate qu’il n’y a pas d’autres points à l’ordre du jour.
(La séance est levée.)