LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES PÊCHES ET DES OCÉANS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 9 mai 2023
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, à 18 h 37 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner la teneur des éléments des sous-sections A, B et C de la section 21 de la partie 4 du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.
La sénatrice Bev Busson (vice-présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La vice-présidente : Bonsoir. Je m’appelle Bev Busson, sénatrice de la Colombie-Britannique, et j’ai le plaisir de présider cette réunion aujourd’hui. Nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.
Si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment en lien avec l’interprétation, veuillez le signaler à la présidence ou à la greffière et nous nous efforcerons de résoudre le problème
Avant de commencer, j’aimerais prendre quelques instants pour permettre aux membres du comité de se présenter.
Le sénateur Francis : Brian Francis, de l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice R. Patterson : Rebecca Patterson, de l’Ontario.
Le sénateur Quinn : Jim Quinn, du Nouveau-Brunswick.
La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.
Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur Kutcher : Stan Kutcher, de la Nouvelle-Écosse.
La vice-présidente : Merci.
Le 27 avril 2023, le comité a reçu un ordre de renvoi lui enjoignant d’examiner la teneur des éléments des sous-sections A, B et C de la section 21 de la partie 4 du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.
Aujourd’hui, dans le cadre de ce mandat, le comité entendra les représentants de Transports Canada que voici : M. Fabien Lefebvre, directeur exécutif par intérim, Opérations, Plan de protection des océans; M. François Marier, directeur, Politiques maritimes internationales; M. Sean Rogers, directeur exécutif, Affaires législatives, réglementaires et internationales; M. Jeff Johnson, gestionnaire et conseiller principal en politiques, Politiques environnementales; et Mme Julie Mah, gestionnaire et conseillère principale en politiques, Plan de protection des océans. Le comité entendra aussi un représentant de Pêches et Océans Canada, soit M. Robert Brooks, directeur, Intervention environnementale et dangers maritimes, Garde côtière canadienne.
Au nom des membres du comité, je vous remercie tous d’être ici aujourd’hui. Je crois comprendre que M. Lefebvre a une déclaration liminaire à faire. Après l’exposé, les membres du comité auront des questions à poser aux témoins. Merci beaucoup. Monsieur Lefebvre, la parole est à vous.
Fabien Lefebvre, directeur exécutif par intérim, Opérations, Plan de protection des océans, Transports Canada : Je vous remercie, sénatrice.
Mes collègues et moi sommes heureux d’être ici aujourd’hui pour discuter de la section 21 de la Loi d’exécution du budget, associée au Plan de protection des océans.
On propose des modifications aux trois lois suivantes : la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, la Loi sur la responsabilité en matière maritime et la Loi sur les épaves et les bâtiments abandonnés ou dangereux. Le Plan de protection des océans vise à assurer la sécurité et la santé de nos océans et de nos côtes, à favoriser la réconciliation et à garantir des chaînes d’approvisionnement résilientes. Dans le cadre de ce plan, le Canada prend déjà des mesures pour prévenir les déversements d’hydrocarbures et intervenir lors de tels incidents. Les modifications proposées reflètent les initiatives annoncées dans les budgets de 2022 et de 2023 et visent à éliminer les risques supplémentaires pour la sécurité et l’environnement.
[Français]
Le trafic maritime et les volumes de fret continueront d’augmenter et de se diversifier. Bien que le Canada dispose d’un système de sécurité maritime solide, des incidents peuvent toujours se produire. Le Canada doit être prêt à intervenir et en mesure de le faire rapidement et efficacement en cas d’incident, afin de réduire au minimum les répercussions.
Les personnes et les communautés doivent avoir l’assurance de pouvoir bénéficier d’une indemnisation adéquate. Les épaves et les bâtiments abandonnés peuvent avoir des répercussions sur les communautés côtières. Ils peuvent poser des risques pour la sécurité et avoir des conséquences négatives sur l’environnement.
[Traduction]
Les modifications proposées répondent aux observations formulées par les parties prenantes au cours des dernières années et tiennent compte des incidents maritimes récents. Elles renforceraient la sécurité maritime, amélioreraient la protection environnementale, rendraient les règlements plus souples, accroîtraient la responsabilité et bonifieraient le régime d’indemnisation.
Les incidents maritimes peuvent évoluer rapidement, et on a souvent très peu de temps pour intervenir. Bien que la plupart des entreprises du secteur maritime soient responsables et réagissent efficacement, les modifications proposées permettraient d’intervenir plus rapidement et de garantir un accès rapide aux ports et aux services d’urgence maritimes. Pour ce faire, elles conféreraient des pouvoirs accrus afin d’exiger que les mesures nécessaires soient prises par les propriétaires de bâtiments et les autorités portuaires en cas d’urgence et permettraient de prendre des règlements concernant les arrangements pris relativement aux bâtiments pour les services d’urgence.
[Français]
Alors que les travaux se poursuivent pour renforcer la prévention et la lutte contre les déversements d’hydrocarbures, nous voulons garantir une intervention efficace pour les incidents impliquant des substances nocives et potentiellement dangereuses (SNPD). Ces substances incluent les matériaux utilisés dans les appareils électroniques, dans l’industrie manufacturière et en agriculture. Elles peuvent être nocives pour l’environnement si elles sont déversées.
Les modifications appuieront la mise en place d’un régime de préparation et de réaction aux incidents impliquant des SNPD. Elles pourraient également permettre d’aligner le Canada avec les partenaires internationaux d’intervention et de faciliter l’accès à la capacité internationale d’intervention en matière de SNPD.
Les processus réglementaires peuvent parfois ne pas suivre le rythme des nouvelles avancées. Nous voulons être en mesure de mettre rapidement en œuvre des mesures exécutoires et d’élargir les rôles des communautés en ce qui concerne la gestion des problèmes locaux de navigation.
Les modifications permettraient des arrêts ministériels de durée limitée afin de réduire les risques rapidement pendant l’élaboration de solutions réglementaires. Elles permettraient aussi d’intégrer plus rapidement les normes techniques aux règlements canadiens.
[Traduction]
Les propriétaires de bâtiments ont la responsabilité de se conformer, mais certains d’entre eux ne participent pas directement aux opérations, ce qui peut poser des problèmes en matière d’intervention et de conformité. On trouve un grand nombre d’épaves et de bâtiments abandonnés dans les eaux canadiennes qui peuvent présenter des risques pour la sécurité et l’environnement. Jusqu’à présent, les contribuables ont assumé tous les coûts pour régler le problème.
Afin d’améliorer la responsabilisation, les modifications proposées permettraient de renforcer les exigences d’identification des personnes responsables de l’exploitation et de la conformité des bâtiments; d’établir un fonds d’assainissement concernant les bâtiments, qui sera financé par les propriétaires de bâtiments, afin de permettre au gouvernement de prendre des mesures proactives à l’égard des bâtiments problématiques; d’harmoniser les pouvoirs en matière d’établissement des frais pour garantir une approche uniforme et moderne; de mettre à jour certains outils et d’accroître leur utilisation afin de garantir que l’application de la loi est proportionnelle à l’infraction.
L’indemnisation est une question importante et, dans le cadre de nos consultations, les parties prenantes ont exprimé des préoccupations concernant les petits bâtiments et les dommages à long terme. Afin de renforcer la responsabilité et de bonifier le régime d’indemnisation pour composer avec les répercussions à long terme sur les activités de pêche et de récolte, nous proposons des modifications qui permettraient d’assurer une indemnisation adéquate après un déversement d’hydrocarbures causé par un petit bâtiment ou un bâtiment de navigation intérieure, d’élargir le régime d’indemnisation pour qu’il englobe les pertes futures de profit ou de revenu, et les pertes en lien avec la récolte; de veiller à ce que les pertes financières associées à tous les types d’activités de pêche, de chasse et de récolte soient prises en compte; et de reconnaître les réclamations collectives des communautés autochtones qui détiennent des droits de récolte.
[Français]
Ces modifications constituent un élément important pour faire avancer le Plan de protection des océans. Un bon nombre de modifications sont habilitantes et si elles sont adoptées, elles donneraient lieu à plus de mobilisation dans le cadre de l’élaboration de règlements et de programmes. Nous continuons à collaborer avec les peuples autochtones, les collectivités côtières et les intervenants tout au long de la mise en œuvre de ces modifications proposées et du Plan de protection des océans renouvelé afin de mieux protéger les personnes et les voies navigables.
[Traduction]
Je vous remercie de votre attention. Nous répondrons à vos questions avec plaisir.
La vice-présidente : Je vous remercie, monsieur Lefebvre. Certains sénateurs aimeraient poser des questions.
Le sénateur Quinn : Je vous remercie d’être ici ce soir.
Lorsque j’ai passé en revue les documents, j’ai été frappé de constater qu’il s’agissait surtout de mises à jour techniques et d’incorporations par renvoi. J’ai trois brèves questions concernant ces modifications. Pourriez-vous nous parler de la constitution du Bureau d’examen technique en matière maritime? Le registraire en chef peut refuser de délivrer un certificat d’immatriculation dans certains cas, et je me demandais dans quelles circonstances il pouvait le faire. Vous avez mentionné la création d’un fonds d’assainissement concernant les bâtiments, ce qui me semble être une excellente idée, mais comment cela fonctionnerait-il? Je crois comprendre que ce fonds sera financé par les propriétaires de bâtiments, mais je me demande comment on va procéder. Est-ce que cela vise tous les propriétaires de bâtiments, tant les petits que les grands? Ce sont là trois points que j’aimerais que vous abordiez.
M. Lefebvre : Je vais répondre dans l’ordre inverse, si vous me le permettez, en commençant par le Fonds d’assainissement concernant les bâtiments.
Jeff Johnson, gestionnaire et conseiller principal en politiques, Politiques environmentales, Transports Canada : Je vous remercie pour votre question.
Le Fonds d’assainissement concernant les bâtiments serait financé selon un système de recouvrement des coûts auprès des propriétaires. Les amendements permettraient aux autorités réglementaires d’établir une redevance réglementaire, qui serait une sorte de taxe imposée aux propriétaires de bâtiments qui sont tenus d’obtenir un permis pour leurs embarcations de plaisance ou d’immatriculer leurs bâtiments, ce qui couvre donc un très large éventail de propriétaires. En outre, les sommes versées en paiement d’amendes ou de pénalités à l’égard de toute violation de la Loi sur les épaves et les bâtiments abandonnés ou dangereux seraient portées au crédit du fonds, de même que les coûts engagés par le gouvernement lorsqu’il prend des mesures à l’égard des bâtiments problématiques. Ces sommes, une fois récupérées, seraient également versées dans le fonds d’assainissement. Les fonds seraient déboursés en fonction des priorités énoncées dans le projet de loi.
Le sénateur Quinn : Qui administrerait le fonds?
M. Johnson : Le fonds serait administré par Transports Canada. Il s’agit d’un fonds à fins déterminées. Toutefois, les décisions prises concernant le déboursement des fonds seraient prises conjointement par les deux ministres, soit le ministre des Pêches et des Océans et de la Garde côtière, en tant qu’organisme opérationnel, et le ministre des Transports.
Le sénateur Quinn : Et pour le deuxième point?
Sean Rogers, directeur exécutif, Affaires législatives, réglementaires et internationales, Transports Canada : Je vais répondre à vos questions dans l’ordre inverse.
Le Bureau d’examen technique en matière maritime a été créé en vertu de l’article 10.1 de la Loi sur la marine marchande du Canada afin d’examiner les demandes de normes équivalentes aux exigences de sécurité ou les exemptions à celles qui ne concernent pas la sécurité. Il est formé d’un comité de trois personnes qui a la capacité d’accorder des exemptions en vertu de la loi et de ses règlements, sous réserve de diverses conditions et pourvu que le niveau de sécurité soit préservé. Ces exemptions ne s’appliquent qu’aux navires battant pavillon canadien.
Quant aux certificats d’immatriculation, un certain nombre de conditions doivent être remplies pour qu’un certificat d’immatriculation puisse être délivré. Cela ressemble à un titre de propriété. Un certificat n’est pas délivré lorsque les renseignements ne sont pas clairs, notamment concernant l’identité du propriétaire du bâtiment ou l’hypothèque, le cas échéant, ou s’il manque de l’information. Dans la plupart des cas, nous travaillons avec le propriétaire pour nous assurer que la demande est complète. Si ce n’est pas le cas, nous veillons à obtenir les renseignements nécessaires pour pouvoir délivrer le certificat.
Le sénateur Quinn : Merci.
Après avoir examiné toutes ces modifications, je considère que vous proposez des mesures très progressistes et je vous en félicite. C’est une bonne chose.
La vice-présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui.
Pourquoi, dans le projet de loi C-47, propose-t-on de retirer les références à la Convention des Nations unies sur le transport de marchandises par mer, aussi appelée « règles de Hambourg », de la Loi sur la responsabilité en matière maritime?
François Marier, directeur, Politiques maritimes internationales, Transports Canada : Bonsoir, sénatrice.
Les règles de Hambourg ont été adoptées dans les années 1970 et intégrées dans la Loi sur la responsabilité en matière maritime, mais elles ne sont jamais entrées en vigueur parce que nos principaux partenaires commerciaux à l’échelle internationale n’ont jamais adopté ces règles. Grâce à la Loi sur l’abrogation des lois, en 2021, la capacité de mettre cette convention en vigueur a été retirée de la Loi sur la responsabilité en matière maritime. Les modifications proposent maintenant de supprimer toute mention de cette convention. En fait, il s’agit plutôt de modifications de forme.
La sénatrice Ataullahjan : Par quoi les a-t-on remplacées? Quelles règles sont en vigueur?
M. Marier : À l’heure actuelle, les règles en vigueur au Canada sont les règles de La Haye-Visby. Ces règles régissent les relations commerciales contractuelles entre le transporteur et l’expéditeur. Supposons que vous mettez un conteneur à bord d’un bâtiment et que votre marchandise est endommagée ou perdue durant le transport, ces règles énoncent notamment le montant de l’indemnisation auquel vous avez droit de la part du transporteur pour les dommages causés. C’est donc ce en quoi consistent ces règles. Cela relève davantage du droit privé que du droit public.
La sénatrice Ataullahjan : Merci.
Le sénateur Francis : Le projet de loi C-47 propose de créer le Bureau d’examen technique en matière maritime. Quelle sera la mission de ce bureau d’examen? Quelles sont les responsabilités qui pourraient lui être confiées et en quoi celles‑ci diffèrent-elles de la structure actuelle?
M. Lefebvre : Je vous remercie, sénateur.
Le Bureau d’examen technique en matière maritime existe déjà depuis un certain temps, mais le projet de loi lui permet de se pencher sur de nouveaux sujets. Il pourrait examiner, par exemple, les parties d’un projet de loi qui concernent l’établissement de régimes relatifs aux substances nocives et potentiellement dangereuses. Comme je le disais, le bureau existe déjà depuis un certain temps. Grâce aux modifications qui sont proposées, nous lui permettrons d’envisager des exceptions dans le contexte des nouveaux pouvoirs que nous proposons d’accorder au ministre des Transports.
Le sénateur Francis : Merci.
Le sénateur Kutcher : Merci à tous de votre présence. Je vous remercie de prendre le temps de comparaître devant nous.
Monsieur Lefebvre, si j’ai bien compris, vous avez dit que le projet de loi est censé aborder quatre points : la sécurité, la protection de l’environnement, la souplesse et les indemnités. Je tiens à souligner le travail que vos collègues et vous avez accompli pour faire bouger les choses dans ces domaines. Ces modifications me semblent tout à fait sensées. Je vous félicite tous pour votre excellent travail. En Nouvelle-Écosse, la province d’où je viens, des gens m’ont parlé de ces dossiers et je suis heureux qu’il en soit question ici. Je vous en remercie.
J’ai quelques questions précises à vous poser. J’ai besoin de votre aide pour comprendre ce dont il est question à l’alinéa b) de la sous-section B de la section 21, qui modifie la Loi sur la marine marchande du Canada :
b) élargir le pouvoir de dispense du ministre des Transports et du ministre des Pêches et des Océans;
Que signifie l’expression « élargir le pouvoir de dispense »? Qu’est-ce que le pouvoir de dispense? Est-ce que cela s’applique seulement aux navires battant pavillon canadien?
M. Lefebvre : Les dispenses sont des outils dont dispose le ministre et qui sont utilisés assez fréquemment dans les programmes de surveillance de la sécurité et d’exécution de la loi. Généralement, comme mon collègue vient de le dire, les dispenses sont employées — sans vouloir être redondant — pour accorder une dispense relativement à certaines règles afin de pouvoir appliquer celles-ci différemment.
Dans ce cas-ci, nous donnons au ministre des Transports de nouveaux pouvoirs de dispense en ce qui concerne, par exemple, les substances nocives et potentiellement dangereuses. Puisque nous conférons de nouveaux pouvoirs au ministre des Transports, nous voulons également donner aux personnes qui seront assujetties aux nouvelles exigences la possibilité de demander une dispense qui leur permettrait d’appliquer lesdites exigences d’une manière semblable, si cela ne compromet pas la sécurité.
Le sénateur Kutcher : D’accord. C’est bien. Les dispenses s’appliquent-elles à tous les navires ou seulement à ceux qui battent pavillon canadien et seulement dans les eaux canadiennes? Comment cela fonctionne-t-il?
M. Lefebvre : Cela s’applique aux navires canadiens.
Le sénateur Kutcher : Merci.
J’ai une autre brève question. Les modifications à la Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers accordent au ministre des Pêches et des Océans certains pouvoirs en ce qui concerne la détention de bâtiments. J’ignore quels pouvoirs le ministre possède déjà. Est-ce que les modifications élargissent la portée des pouvoirs que le ministre détient actuellement? Si tel est le cas, en quel sens?
M. Lefebvre : En ce qui concerne les pouvoirs du ministre relativement à la détention de bâtiments, les dispositions qui visent la Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers sont plutôt liées à l’ordre que le ministre a le pouvoir de donner à un navire. À la fin du projet de loi, la référence qui concerne la Loi sur la marine marchande du Canada souligne qu’un bâtiment auquel le ministre a ordonné de se rendre à un port précis et qui doit naviguer dans des eaux visées par la Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers ne contrevient pas à cette loi, puisque le ministre a ordonné au bâtiment d’emprunter cette route.
Le sénateur Kutcher : Je vous remercie.
La loi parle de « détention des bâtiments ». Dans quel genre de situation le ministre ordonnerait-il la détention d’un bâtiment?
M. Lefebvre : Un bâtiment peut être détenu, par exemple, si son propriétaire n’a pas payé certains frais, droits et coûts, ou s’il n’a pas versé de contribution au Fonds d’assainissement concernant les bâtiments.
Le sénateur Kutcher : D’accord.
J’ai une dernière petite question : le pouvoir de détenir des bâtiments s’appliquerait-il aussi à des considérations de politique étrangère ou à des craintes entourant un conflit avec d’autres pays?
M. Lefebvre : Je ne peux pas répondre à cette question, sénateur.
Le sénateur Kutcher : Pouvez-vous trouver la réponse et nous la faire parvenir?
M. Lefebvre : Oui, sénateur.
Le sénateur Kutcher : Merci infiniment. Je vous en suis reconnaissant.
La vice-présidente : Merci beaucoup.
Je tiens à dire aux témoins qu’il est difficile de prévoir toutes les questions que poseront les sénateurs. Nous vous invitons à fournir par écrit les éléments de réponse que vous n’avez pas sous la main pour certaines questions.
La sénatrice R. Patterson : Le projet de loi contient toute une série de dispositions dont le libellé précise que les propriétaires de navire seraient responsables des préjudices économiques subis par les collectivités autochtones. Vous avez dit notamment que les mesures s’appliquent aux navires battant pavillon canadien, mais les pétroliers, même ceux qui naviguent sur la côte Ouest, peuvent être originaires d’autres pays.
Ma question comporte trois volets. D’abord, comment calcule‑t-on ces préjudices économiques? Ensuite, comment établit‑on le dialogue avec les collectivités autochtones pour aborder ce sujet? Enfin, comment seront perçues les indemnités auprès des propriétaires qui ne sont pas d’origine canadienne? C’est essentiellement une question qui concerne l’application de la loi. Je m’interroge donc sur la participation des collectivités autochtones, sur le calcul des préjudices économiques en partenariat avec ces collectivités, ainsi que sur la façon d’amener les propriétaires de navires battant pavillon étranger à payer les indemnités.
M. Marier : Je vous remercie de votre question.
Je peux peut-être commencer par dire que ces modifications s’appliqueront aux bâtiments battant pavillon canadien et battant pavillon étranger qui naviguent dans les eaux canadiennes.
Le Canada est signataire de nombreuses conventions internationales qui établissent la responsabilité des navires lorsque des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures sont causés par des pétroliers ou par tout autre type de navire. Étant donné que ces conventions établissent une responsabilité stricte, il n’est pas nécessaire de prouver qu’il y a eu faute ou négligence. Le navire est automatiquement responsable de tout déversement d’hydrocarbures. Ces conventions exigent également que les propriétaires de navires disposent d’une assurance suffisante. Les propriétaires en question doivent fournir une preuve d’assurance au moyen d’un certificat délivré par l’autorité gouvernementale, l’administration responsable ou l’État du pavillon du navire. Nous gérons le tout au moment du contrôle de l’État du port lors de l’arrivée des navires étrangers au Canada et de leur inspection, ou lorsque les navires se présentent aux autorités canadiennes. Ils sont alors tenus de prouver qu’ils disposent du certificat adéquat et d’assurances suffisantes.
Ces modifications préciseraient que les préjudices économiques qui sont subis par les collectivités autochtones enfreignent leurs droits reconnus par la Constitution en ce qui concerne la pêche et la récolte des ressources marines. Cette précision vise à établir clairement que c’est ce que cela signifie au Canada. Ainsi, un propriétaire de navire étranger, ou son assureur, serait tenu de verser cette indemnité. Ce n’est pas seulement une question d’assurance. C’est aussi une garantie financière qui doit être fournie. La plupart des navires sont assurés par les clubs de protection et d’indemnisation. Il s’agit essentiellement de sociétés mutuelles d’assurances formées par des propriétaires de navire qui se regroupent pour s’assurer les uns les autres. Ces sociétés sont différentes des sociétés d’assurance automobile classiques. En effet, payer les sommes nécessaires pour garantir leur responsabilité est dans leur intérêt.
Comme l’a dit mon collègue, M. Lefebvre, la plupart des propriétaires de navires sont responsables et tiennent à respecter leurs obligations. Il peut y avoir des cas où les propriétaires n’arrivent pas à le faire faute de ressources suffisantes, et c’est pour cette raison qu’il existe d’autres ressources. Il y a notamment la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires, un fonds d’indemnisation qui peut fournir des indemnités s’ajoutant à celles que le propriétaire serait tenu de verser.
La sénatrice R. Patterson : Croyez-vous que la loi actuelle, y compris les modifications proposées, vous offre suffisamment de mécanismes pour protéger les moyens de subsistance des collectivités très vulnérables, ou pensez-vous que d’autres mesures doivent y être ajoutées?
M. Marier : En premier lieu, ces modifications ne font que préciser, à l’intention des collectivités autochtones, que ces droits garantis par la Constitution sont protégés et indemnisables. Il s’agit quand même d’un processus de règlement des revendications. Il faut prouver qu’il y a eu préjudice et en quoi consiste le préjudice économique en question.
Ces modifications prévoient également l’indemnisation des pertes futures. Imaginons qu’un important déversement d’hydrocarbures cause des dommages qui s’étalent sur plusieurs années. En général, la plupart des déversements sont nettoyés rapidement et les dommages sont plutôt limités, mais disons qu’un problème persiste pendant quelques années. Les pertes futures peuvent être calculées au moment de l’incident et soumises à la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires, qui serait alors en mesure de verser une indemnisation à partir d’une estimation raisonnable des pertes éventuelles. Cela vaut pour la pêche et la récolte, mais cela peut s’appliquer aussi au tourisme. Disons que vous exploitez un centre touristique ou un centre de pêche sportive. Cette mesure s’appliquerait à tout préjudice économique de ce genre.
Le sénateur Ravalia : Merci à vous tous.
Pourquoi le projet de loi C-47 propose-t-il d’appliquer la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada aux embarcations de plaisance? Concrètement, quel effet cela aura-t-il sur les propriétaires d’embarcations de plaisance?
M. Rogers : Je vous remercie de la question.
Un certain nombre de modifications ont une incidence sur les propriétaires d’embarcations de plaisance. Je devrais commencer par dire que la Loi sur la marine marchande du Canada vise à réglementer tous les types d’activités de navigation et de transport maritime au Canada.
Pris en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada, le Règlement sur les restrictions visant l’utilisation des bâtiments s’applique aux embarcations de plaisance, aux embarcations essentiellement de plaisance, à la navigation de plaisance et aux activités récréatives. Ce règlement confère le pouvoir de restreindre ces activités en fonction de la date ou de l’heure, ou de les interdire carrément. C’est un règlement qui suit le processus habituel du gouverneur en conseil, un processus qui prend environ deux ans. Le délai peut être plus rapide, mais cela dépend de la situation.
Les restrictions sont élaborées et gérées à partir des propositions présentées à Transports Canada par les collectivités locales et les provinces. Nous étudions ces propositions et nous finissons par les intégrer à la réglementation. Ce processus prend environ deux ans entre le moment où nous recevons une demande de la part d’une municipalité — par exemple, pour limiter la vitesse sur un plan d’eau ou un lac — et le moment où la limitation en question est publiée.
L’un des changements proposés autoriserait le ministre à prendre un arrêté d’urgence pour appliquer une restriction plus rapidement. Nous prévoyons un délai d’environ huit mois. Cette mesure répond à l’une des critiques formulées par les collectivités et les provinces et elle nous permettra d’atténuer les risques pour la sécurité nautique beaucoup plus rapidement.
Ensuite, les règlements eux-mêmes contiennent des annexes qui incluent les coordonnées géographiques et les noms d’endroits où les restrictions s’appliquent. Si nous faisons une erreur, ou si le conseil municipal qui soumet la demande en fait une, nous devons reprendre le processus réglementaire du début pour la corriger. Nous souhaitons pouvoir apporter des changements aux annexes par incorporation par renvoi, ce qui nous permettra de tout simplement mettre à jour un document technique en ajoutant une description. Ce sera plus rapide que de suivre tout le processus réglementaire à nouveau.
Le sénateur Ravalia : Merci.
La vice-présidente : Je voudrais poser une question qui m’a été inspirée par une question de la sénatrice Patterson, ou plus précisément par la réponse que vous avez donnée. Vous avez dit que le projet de loi tient compte des collectivités éloignées et autochtones et qu’il définit comment ces collectivités en particulier recevraient une indemnisation adéquate en cas de déversement ou d’un autre type de catastrophe. Je me demande si le gouvernement a consulté les collectivités autochtones avant de proposer ces modifications et de les inclure dans le projet de loi C-47. L’un d’entre vous peut-il répondre à cette question?
M. Marier : Je vous remercie de la question.
Certainement. En fait, les modifications viennent d’un examen mené sur une période de près de deux ans, en 2020 et 2021. Cet exercice découle d’une recommandation de la Régie de l’énergie du Canada à la suite du projet d’expansion du pipeline Trans Mountain. Il a été recommandé que Transports Canada mène un examen de la Loi sur la responsabilité en matière maritime et de la couverture qu’elle prévoit pour certains types de pertes. La même recommandation a été faite dans une évaluation environnementale du projet du Terminal 2 à Roberts Bank. À la suite de ces recommandations, Transports Canada a mené des consultations. Nous avons parlé à un certain nombre de collectivités côtières et autochtones, y compris dans le Nord. Les modifications reflètent exactement les observations que nous avons entendues. Elles visent à protéger le gagne-pain des collectivités, la capacité à se nourrir et le maintien de la pêche et de la récolte de subsistance ou, en cas de déversement, à faire en sorte qu’elles reçoivent une indemnisation adéquate pour ces types de pertes, lorsqu’elles doivent trouver des solutions de rechange. C’est l’objectif de ces modifications.
La vice-présidente : Merci beaucoup.
Compte tenu de l’heure, je remercie les témoins d’avoir pris le temps de nous rendre visite ce soir. La séance a été fort instructive, et le projet de loi cible certaines préoccupations très graves. Je viens de la côte Ouest et j’ai été témoin de certains problèmes que vous souhaitez régler. Comme certains de mes collègues l’ont déjà fait, je vous remercie de votre travail assidu dans ce dossier. Merci encore pour les échanges fructueux et informatifs.
Sénateurs, je propose maintenant que nous poursuivions la séance à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)