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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 7 février 2022

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui à 17 heures (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-211, Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes.

La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonsoir, honorables sénateurs. Je suis Salma Ataullahjan, une sénatrice de Toronto et présidente de ce comité.

Nous tenons aujourd’hui la première réunion de 2022 du Comité sénatorial permanent des droits de la personne en partie par vidéoconférence.

Avant que nous entamions la réunion, j’aimerais vous faire part de quelques observations utiles qui nous permettront d’avoir une réunion efficace et productive.

Les participants doivent mettre leur microphone en sourdine en tout temps, à moins que la présidente leur donne la parole en nommant leur nom. Ils seront responsables d’allumer et d’éteindre leur microphone durant la réunion.

Avant de parler, veuillez attendre qu’on vous donne la parole. Je vais prier les sénateurs d’utiliser la fonction « main levée » pour demander la parole. Quand vous avez la parole, veuillez attendre quelques secondes pour laisser le signal audio vous capter.

En cas de problème technique, notamment du côté de l’interprétation, veuillez le signaler à la présidente ou au greffier et nous tâcherons de trouver une solution. Si vous éprouvez d’autres difficultés techniques, veuillez communiquer avec le greffier du comité au numéro d’assistance technique fourni. Veuillez noter que nous devrons peut-être suspendre la séance dans ce cas, car nous devons veiller à ce que tous les membres puissent participer pleinement.

Enfin, j’aimerais rappeler à tous les participants que les écrans Zoom ne doivent pas être copiés, enregistrés ou photographiés. Vous pouvez utiliser et partager les délibérations officielles affichées sur le site web SenVu.

Nous entamons notre étude du projet de loi S-211, Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes.

J’aimerais tout d’abord présenter le témoin : l’honorable sénatrice Julie Miville-Dechêne, qui parraine le projet de loi. J’invite maintenant la sénatrice Miville-Dechêne à faire son exposé.

[Français]

L’honorable Julie Miville-Dechêne, marraine du projet de loi : Merci, madame la présidente. Je remercie la présidente, la sénatrice Salma Ataullahjan, et les membres du comité d’avoir entrepris l’étude de ce projet de loi important, qui vise à lutter contre des violations révoltantes des droits de la personne, chez nous et à l’étranger.

Je parle ici du travail forcé et de nombreuses formes de travail des enfants que l’on voit dans les chaînes d’approvisionnement de compagnies qui font affaire au Canada.

Sans le savoir, nous consommons régulièrement des produits issus, en totalité ou en partie, du travail de ceux qu’on appelle les « esclaves modernes ». On estime que 25 millions d’adultes et d’enfants sont victimes du travail forcé partout dans le monde, alors que 152 millions d’enfants sont obligés de travailler. Ce travail obligatoire nuit à leur développement et, dans la moitié des cas, il est dangereux et représente les pires formes de travail des enfants.

Au cours des dernières années, on a beaucoup parlé des allégations de travail forcé dans les camps d’internement de la minorité ouïghoure en Chine. Cette situation est odieuse, mais la réalité est que ce fléau est aussi répandu ailleurs sur la planète. La pandémie et les chocs économiques qu’elle a engendrés ont d’ailleurs fait croître le travail des enfants pour la première fois en 20 ans.

Au cours des dernières années, d’autres pays ont choisi d’agir face à ce fléau, mais aucune loi n’existe ici pour obliger les entreprises à faire mieux. Par son inaction, le Canada se trouve à être complice de ces pratiques inacceptables. Il est donc temps de faire la lumière sur le coût humain des bas prix.

Le projet de loi S-211 est un premier pas essentiel dans la lutte au travail forcé. La loi obligerait les grandes entreprises et une centaine d’institutions fédérales à publier, une fois par an, un rapport sur leurs efforts pour prévenir et diminuer les risques de travail forcé et de travail des enfants dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Les entreprises visées doivent avoir des actifs d’au moins 20 millions de dollars, des revenus d’au moins 40 millions de dollars ou compter 250 employés et plus. Notez que ces seuils sont les mêmes que ceux qui sont prévus par la Loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif.

En vertu de la loi, l’obligation est de faire rapport, et non d’éradiquer le travail forcé dans sa chaîne d’approvisionnement. Autrement dit, pour les entreprises, c’est une obligation de moyen, la transparence, et non de résultat. Des sanctions sont prévues pour les entités qui négligent de faire rapport ou qui donnent des informations fausses ou trompeuses. En ce sens, le projet de loi S-211 est plus contraignant que les autres lois qui touchent la transparence sur l’esclavage moderne au Royaume-Uni et en Australie.

Au-delà des amendes, la force de cette initiative est surtout que la réputation des entreprises est en jeu. Leurs rapports seront publics et examinés par le gouvernement, les investisseurs, les défenseurs des droits de la personne et les consommateurs.

[Traduction]

J’ai tenu de vastes consultations sur ce projet de loi, qui a été présenté pour la première fois à la Chambre des communes en 2018. Depuis, j’ai apporté plusieurs améliorations significatives. Le plus important, c’est probablement le fait que le gouvernement — à savoir les ministères et établissements fédéraux — est maintenant assujetti à la loi et à l’obligation de rendre des comptes. Le gouvernement canadien achète beaucoup de marchandises à l’étranger et doit avoir des pratiques exemplaires. On nous l’a rappelé récemment lorsque le gouvernement canadien a signé des contrats d’une valeur de 220 millions de dollars avec une entreprise malaisienne soupçonnée d’avoir recours au travail forcé pour produire des gants médicaux.

Nous avons défini clairement ce qui constitue le travail des enfants en vertu de la loi, par exemple, en incluant le travail qui empêche les enfants de fréquenter l’école.

Les conseils d’administration ont maintenant l’obligation d’approuver les rapports sur le travail forcé de la même manière qu’ils approuvent des rapports financiers.

Nous avons renforcé et harmonisé le contenu des rapports en exigeant que des processus de diligence raisonnable et des plans de redressement soient inclus. Ces ajustements harmonisent mieux le projet de loi S-211 avec les exigences au Royaume-Uni et en Australie, plus particulièrement.

Le projet de loi interdit également l’entrée au Canada de marchandises fabriquées en ayant recours au travail des enfants.

La bonne nouvelle est que certaines entreprises canadiennes sont déjà à l’avant-plan de l’approvisionnement responsable. D’autres ont encore beaucoup de chemin à parcourir. Je suis consciente de la difficulté d’enquêter sur de multiples sous-traitants et fournisseurs dans différents pays.

Devant le problème du travail forcé, des pays comme la France et l’Allemagne ont choisi un modèle plus restrictif et punitif, ce qui donne notamment aux victimes le droit de poursuivre de grandes entreprises qui n’ont pas fait preuve de diligence raisonnable.

Comme la loi britannique et australienne, le projet de loi que je propose vise tout d’abord la transparence. Je crois que le projet de loi S-211 est une approche pragmatique et raisonnable, un compromis législatif, qui vise à rallier tous les intervenants pour qu’ils aillent enfin de l’avant dans ce dossier.

Cela fera bientôt quatre ans depuis qu’un projet de loi sur l’esclavage moderne a été présenté pour la première fois au Parlement. Compte tenu de l’importance que nous accordons aux droits de la personne dans les discours canadiens officiels, il est grand temps que nos lois reflètent enfin nos paroles.

Je suis prête à répondre à vos questions. Merci.

La présidente : Merci, madame la sénatrice. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

Comme nous le faisions dans le passé, j’aimerais rappeler à tous les sénateurs que vous disposez de cinq minutes pour vos questions et les réponses. Si vous voulez poser une question, veuillez lever la main, et je vois que la sénatrice Omidvar l’a déjà fait. Une fois que vous avez obtenu réponse à votre question, veuillez baisser votre main.

La sénatrice Omidvar : Merci, madame la sénatrice Miville-Dechêne, de la persistance dont vous avez fait preuve pour présenter ce projet de loi une troisième fois. Je vous en félicite grandement.

Ma question porte sur la mesure punitive dans votre projet de loi, la peine de 250 000 $ imposée à ceux qui ne se conforment pas à la loi en fonction de leur revenu, leur niveau d’actifs et le nombre d’employés qu’ils ont. Je répète que c’est 250 000 $. Mes questions sont les suivantes. Comment en êtes-vous arrivée à ce chiffre? Croyez-vous que ce chiffre devrait être plus élevé, compte tenu du fait que la limite que vous avez fixée est le montant minimal et non pas le maximum? Il y a de nombreuses entreprises qui ont des actifs de plus de 40 millions de dollars qui sont visées par cette loi. Comment cette amende se compare-t-elle aux amendes imposées par d’autres pays aux vues similaires? Serons-nous dans le peloton de tête, au milieu du peloton ou fermerons-nous la marche?

La sénatrice Miville-Dechêne : Nous avons une bonne longueur d’avance si nous comparons notre mesure législative à celles au Royaume-Uni et en Australie, qui sont des mesures législatives sur la transparence. Aucune conséquence n’est prévue si les entreprises ne rendent pas des comptes, ce qui a été qualifié de faille. Au Royaume-Uni à l’heure actuelle, on envisage d’apporter des amendements et de mettre en place une forme quelconque de punition. D’après les recherches, le greffier et les autres que j’ai consultés, ce type d’amende s’inscrit dans la gamme de sanctions qui sont imposées dans les projets de loi de la sorte. Toutefois, vous avez raison de dire que ce n’est pas une amende si élevée.

Je dirais que le pouvoir réel de ce projet de loi est la réputation. En effet, si vous devez vous présenter en cour pour une amende, c’est une chose. Nous pouvons également imposer une amende aux responsables de l’entreprise particulière. Les dirigeants de l’entreprise, les membres du conseil d’administration, pourraient être responsables. C’est un autre aspect important du projet de loi car nous pourrions non seulement imposer une amende à l’entreprise, mais nous pourrions aussi poursuivre un membre du conseil d’administration qui aurait fourni de faux renseignements. C’est un aspect important du projet de loi.

Enfin, l’un des points forts de ce projet de loi, c’est qu’il s’attaque à la réputation de l’entreprise. Si vous allez en cour et que vous recevez une amende, cela n’aide pas à votre réputation. Vous avez des investisseurs et des consommateurs qui regardent la situation. N’oubliez pas que les groupes qui défendent les droits de la personne examineront ces rapports, suivront ces procédures et dénonceront ces situations.

Je précise que certains aspects de ce projet de loi seront directement tirés de la loi sur la transparence dans le secteur de l’extraction, et cette amende précise est prévue dans cette loi. Le projet de loi s’appuie en partie sur cette autre mesure législative, qui a été adoptée par le gouvernement pour lutter contre la corruption dans le secteur minier et pétrolier. Vous vous rappellerez sans doute, tout comme moi, quelques scandales qui sont survenus à l’étranger avec nos propres mines canadiennes. À cet égard, les amendes prévues dans le projet de loi S-211 sont les mêmes.

La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup.

La sénatrice Griffin : Merci, madame la sénatrice Miville-Dechêne.

Je suis ravie de constater que ce projet de loi est de retour à cette législature. J’ai écouté très attentivement les discours prononcés à la Chambre par vous et d’autres sénateurs, notamment la présidente. J’ai discuté également avec le député John McKay, qui a présenté une version précédente de ce projet de loi à la Chambre des communes.

Quel est le principal avantage ou progrès qu’offre votre projet de loi par rapport à ce qui était proposé dans son projet de loi d’initiative parlementaire? Qu’est-ce qui rend celui-ci meilleur?

La sénatrice Miville-Dechêne : Eh bien, j’ai eu un peu plus de temps que lui pour remanier certains passages.

Je dirais deux choses. Tout d’abord, les institutions gouvernementales sont incluses dans mon projet de loi parce que j’ai mené de vastes consultations. De nombreuses entreprises me demandaient pourquoi nous aurions une telle loi pour les compagnies à laquelle le gouvernement pourrait se soustraire. Nous savons tous que le gouvernement doit donner l’exemple. L’absence des institutions gouvernementales dans la mouture précédente était une grande faiblesse. Nous en avons discuté. Nous avons convenu que leur inclusion améliorait le projet de loi.

Je dirais aussi que le projet de loi est maintenant plus robuste par rapport à la responsabilité des conseils d’administration. Ils doivent approuver les rapports. Il s’agit du palier d’approbation le plus élevé. Cette forme d’approbation est aussi importante qu’elle le serait pour des questions financières. Le changement accorde aux droits de la personne la même importance que l’approbation des rapports financiers au sein des conseils d’administration, ce qui, selon moi, représente une énorme force.

Nous avons aussi amélioré la définition du travail des enfants. Je ne sais pas si vous pouvez la voir ici. C’est très important. Au début du processus, je n’étais pas à l’aise avec les définitions qui se trouvaient dans le projet de loi.

Pour ce qui est du travail des enfants, nous ne nous sommes pas limités à faire référence à la convention pour nommer la pire forme de travail des enfants, qui est bien connue. Bien entendu, nous ne voulons pas du travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement de nos compagnies. Nous avons en outre ajouté une définition très claire de ce que constitue le travail des enfants.

Nous savons tous que les entreprises et leurs avocats lisent les lois. C’est une bonne indication de ce qu’il faut chercher. Si vous me le permettez, je vais vous lire un extrait de la définition pour que vous constatiez à quel point elle est claire. Le travail des enfants représente :

[...] un travail ou service qui sont fournis ou offerts par des personnes âgées de moins de dix-huit ans et qui [...]

On dit ici :

c) interfèrent avec leur scolarité en les privant de la possibilité d’aller à l’école, en les obligeant à quitter l’école prématurément ou en les obligeant à combiner la fréquentation scolaire avec un travail excessivement long et lourd [...]

Cette définition englobe non seulement le danger de travailler, mais aussi l’absence de scolarité et le développement mental des enfants.

Je peux vous donner plus de détails sur cette définition. Nous avons essayé de décoloniser la première définition. Nous disions un peu trop au reste du monde que notre façon de faire, que nos lois sur les enfants étaient les meilleures et que tout le monde devrait... pas les « copier », ce n’est pas le mot que nous employions, mais c’est le message que nous laissions entendre. Nous sommes depuis retournés au principe voulant d’une part que les enfants doivent pouvoir aller sur les bancs d’école et d’autre part qu’ils ne doivent pas occuper d’emplois dangereux.

Un dernier élément que nous avons amélioré, ce sont les critères — que nous avons repensés — que les compagnies doivent respecter dans leurs rapports; nous les avons harmonisés avec ceux qui sont exigés au Royaume-Uni et en Australie. C’est important parce que bon nombre de ces compagnies sont présentes dans beaucoup de pays. Nous ne visons pas seulement les compagnies canadiennes. Nous nous attardons à toutes les compagnies qui font des affaires au Canada, dont les multinationales qui sont aussi présentes au Royaume-Uni, en Australie et dans d’autres pays.

Je dirais que ce sont là les principales différences.

La sénatrice Griffin : Merci beaucoup de cette réponse complète. Merci, madame la présidente. J’ai terminé.

La présidente : Madame la sénatrice Hartling, votre main est levée. La vice-présidente, la sénatrice Bernard, s’est jointe à nous. Je propose d’écouter la sénatrice Bernard avant de vous donner la parole.

La sénatrice Bernard : Je vous en prie, veuillez continuer madame la présidente. Je parlerai à la fin.

La présidente : Madame la sénatrice Hartling, vous avez la parole.

La sénatrice Hartling : Bonsoir à tous.

Merci, sénatrice Miville-Dechêne, de votre passion pour ce projet de loi. Je pense que tout ce que vous faites — manger, vivre, dormir, rêver — est imprégné de ce sujet. Vous devez être contente d’être ici ce soir. Je suis fière de votre ténacité. Vous avez appris tant de choses. Le projet de loi a changé, et vous l’avez encore plus amélioré.

Vous avez déjà glissé quelques mots sur cette question. Qu’est-ce que la mise en œuvre de lois similaires dans d’autres pays vous a appris qui a influencé votre décision? Y a-t-il des faits clés qui vous ont fait dire : « D’accord, nous devons nous pencher là-dessus pour apporter un changement afin d’améliorer la situation au Canada ou la changer? »

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : En effet, nous avons littéralement fait le tour du monde pour voir ce qui se faisait en matière de législation.

Je crois que notre projet de loi est un bon compromis par rapport à ce qui se fait déjà. En effet, il y a des pays — comme la France, notamment — qui ont des lois beaucoup plus punitives que la nôtre, mais elles ne visent que très peu d’entreprises, soit environ 300 entreprises qui comptent, imaginez-vous, plus de 5 000 employés. On parle ici carrément de multinationales. En conséquence, oui, c’est une loi qu’on pourrait qualifier de plus punitive, mais elle ne touche que très peu d’entreprises.

Il me semble que nous sommes au début d’un processus et que l’idée est d’essayer de convaincre les entreprises de faire preuve de vigilance et de commencer à fouiller dans leurs chaînes d’approvisionnement. Le fait d’avoir une loi un peu moins contraignante et qui donne le temps aux entreprises de s’ajuster est la bonne chose à faire. Étant donné nos seuils, nous aurons sans doute beaucoup plus de 300 entreprises visées. Il est difficile de l’évaluer, mais nous en aurons peut-être entre 8 000 et 10 000. Cela dépendra des entreprises qui correspondront exactement aux critères. Il sera donc possible d’avoir une prise de conscience plus généralisée dans le monde des affaires sur l’importance de ce fait.

Je crois que le fait d’examiner les autres juridictions nous a appris l’importance d’une autre chose : les entreprises sont en concurrence l’une contre l’autre. Évidemment, quand une entreprise canadienne, par exemple, fait bien son travail du côté de la vérification de ses chaînes d’approvisionnement, s’assure d’offrir des salaires décents et n’a pas recours au travail forcé, normalement, elle paie sa main-d’œuvre plus cher. Elle doit faire concurrence à des entreprises qui parviennent à atteindre des prix extrêmement bas. À d’autres endroits, vous pouvez payer un t-shirt 4 $, parce que certaines entreprises utilisent de la main-d’œuvre sous-payée, des enfants ou du travail forcé. Tout n’est pas noir ou blanc, mais il est certain qu’il y a une pression. La concurrence devient donc déloyale entre cette entreprise qui fait preuve de vigilance et qui respecte les droits de la personne et l’autre entreprise qui cherche seulement à produire au plus bas prix possible. Cette loi peut aussi aider les entreprises qui font bien les choses. En ce sens, je pense que le concept est un bon vendeur.

Nous avons aussi appris qu’il fallait donner du temps aux entreprises. Le premier rapport produit la première année ne sera pas formidable. Certains vont se doter de consultants, certains vont apprendre. Ce qu’il est important de comprendre de notre loi, c’est que l’obligation est de faire rapport, et non de « nettoyer » la chaîne d’approvisionnement en une année en éliminant toutes les pratiques de travail inacceptables. C’est important de le comprendre. Cela veut peut-être dire qu’à un autre moment, dans quelques années, si nous voyons que cette façon de faire ne fonctionne pas, nous pourrons changer notre fusil d’épaule et le Canada dira que nous devons être plus punitifs, car certaines entreprises n’obéissent tout simplement pas. Voilà pourquoi nous en sommes arrivés à ce compromis comparativement à d’autres législations.

[Traduction]

La sénatrice Boyer : Merci, madame la sénatrice, d’avoir peaufiné ce projet de loi et de nous en saisir à nouveau grâce à votre persévérance.

J’aimerais poser une brève question sur l’examen approfondi que prévoit le projet de loi S-211. Vous avez précisé que le délai est de cinq ans. En raison de la pandémie, nous avons vu avec d’autres textes de loi qu’il est difficile de mener ces examens approfondis et de les réaliser à temps. Pourquoi avez-vous choisi un délai de cinq ans plutôt que, disons, trois ans comme en Australie?

La sénatrice Miville-Dechêne : Bien honnêtement, j’aurais voulu choisir une période de trois ans. Il faut toutefois tenir compte de deux facteurs. Tout d’abord, selon ce que les autres pays m’ont dit, je crois qu’il serait difficile de juger si la loi fonctionne bien après seulement trois ans : en effet, les compagnies ont besoin de temps pour changer d’approche et bien respecter les exigences. Au Canada, lorsque des examens sont prévus, ils sont généralement au terme de cinq ans. Et, comme vous l’avez dit, il est justement très difficile de réaliser un examen approfondi en cinq ans. Je me suis donc dit que ce délai serait raisonnable étant donné toutes les fois où j’ai eu connaissance d’examens qui ont dû être reportés. Je crois que trois ans représenteraient un délai impossible à respecter compte tenu du temps qu’il faudra pour mettre la loi en œuvre.

La sénatrice Boyer : Merci. Serait-ce préférable d’opter pour un examen ministériel ou indépendant plutôt que pour un examen approfondi? Est-ce que ce serait plus rapide?

La sénatrice Miville-Dechêne : Probablement. Je n’en suis pas tout à fait sûre. Vous vous y connaissez peut-être mieux que moi en la matière. Je sais qu’il est probablement difficile d’organiser un examen approfondi et ce qui s’y rattache et qu’il est probablement difficile de trouver du temps pour ce processus. L’idée, à laquelle je ne suis pas fermée du tout, pourrait être débattue.

La sénatrice Boyer : Merci beaucoup. C’est tout.

La sénatrice Bernard : Sénatrice Miville-Dechêne, merci énormément pour tout votre travail sur ce projet de loi. Je suis désolée de devoir partir un peu plus tôt.

J’ai seulement une brève question. Comme nous le savons, bien des enfants qui sont forcés de travailler sont racialisés. J’aimerais savoir si vous pouvez nous énoncer d’autres façons dont vous avez décolonisé ce projet de loi. Dans cette version du projet de loi, y a-t-il d’autres changements qui tiennent compte des effets sur les personnes racialisées?

La présidente : Madame la sénatrice Miville-Dechêne, avant que vous ne preniez la parole, j’aimerais vous aviser qu’il vous reste environ trois minutes et demie pour répondre à cette question. Nous allons devoir passer au prochain groupe de témoins. Merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je sais que mes réponses se sont un peu éternisées. Je suis navrée. Le sujet me passionne tellement.

Madame la sénatrice, je ne pense pas que nous avons changé d’autres passages pour décoloniser le projet de loi. Si vous remarquez d’autres éléments qui, à votre avis, devraient être amendés ou modifiés, veuillez m’en faire part. Bien évidemment, vous avez tout à fait raison de dire que, oui, il y a en quelque sorte du travail forcé et du travail d’enfants au Canada. Nous savons que ce travail forcé existe surtout en agriculture. Nous savons que les travailleurs viennent surtout d’Amérique du Sud et du Mexique, alors il y a là également une forme de racialisation — les mines en Afrique, les vêtements en Asie du Sud. Ce sont probablement des travailleurs racialisés qui subissent la majorité du travail forcé et du travail des enfants puisque la plus grande partie du problème se trouve en Afrique et en Asie du Sud-Est.

Vous avez donc absolument raison de faire cette observation. Si vous voyez quoi que ce soit qui pourrait refléter la situation, veuillez me le dire.

La présidente : Sénatrice Bernard, avez-vous une question de suivi?

La sénatrice Bernard : Pas pour l’instant.

La présidente : Sénatrice Miville-Dechêne, j’aimerais vous remercier de votre témoignage et de votre passion qui transperçait l’écran. Votre passion sur le sujet était palpable, et je suis tellement heureuse d’avoir été la porte-parole pour ce projet de loi. Nous apprécions grandement votre aide pour mener cette étude.

Nos prochains témoins représentent Emploi et Développement social Canada. Nous avons parmi nous M. Andrew Brown, sous-ministre adjoint du Programme du travail qui, est accompagné de Rakesh Patry, directeur général des Affaires internationales et intergouvernementales du travail pour le Programme du travail. Je crois comprendre, monsieur Patry, que vous ferez l’exposé, alors vous avez la parole.

[Français]

Rakesh Patry, directeur général, Affaires internationales et intergouvernementales du travail, Programme du travail, Emploi et Développement social Canada : Merci, madame la présidente. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser au Comité sénatorial permanent des droits de la personne sur les enjeux du travail forcé et du travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement.

J’aimerais d’abord reconnaître que je participe à la présente séance d’information à partir du territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinabe. J’aimerais ensuite souligner le dévouement des sénateurs et du Groupe parlementaire multipartite de lutte contre l’esclavage moderne et la traite des personnes.

[Traduction]

Les chaînes d’approvisionnement sont complexes; elles sont constituées de multiples niveaux, entreprises, fournisseurs et sous-traitants répartis dans le monde entier et s’étendent de plus en plus à l’économie informelle. Ce contexte limite la transparence et rend difficiles le traçage de l’origine des produits et la vérification de la robustesse des protections de la main-d’œuvre et des droits de la personne à chaque étape du processus de production. Comme le monde entier est de plus en plus sensible à cet enjeu, les organismes de la société civile, les syndicats et les organisations internationales continuent d’exiger des gouvernements qu’ils prennent des mesures.

Cet enjeu est également un domaine d’intérêt clé dans divers forums multilatéraux, notamment l’Organisation des Nations unies, l’Organisation internationale du travail, l’Organisation de coopération et de développement économiques et le G7.

De plus, de nombreux pays ont mis en place ou annoncé leur intention d’adopter des mesures visant à lutter contre l’exploitation de la main-d’œuvre et les violations des droits de la personne dans les chaînes d’approvisionnement. Le gouvernement du Canada a fait progresser au courant des dernières années un éventail d’initiatives visant à lutter contre le travail forcé et l’exploitation dans les chaînes d’approvisionnement.

À la suite du rapport de 2018 du Sous-comité des droits internationaux de la personne de la Chambre des communes, le gouvernement a mené en 2019 des consultations publiques auprès d’un éventail d’intervenants sur les mesures pouvant être prises pour lutter contre l’exploitation des travailleurs dans les chaînes d’approvisionnement. Bien que les intervenants aient des opinions divergentes sur la façon de s’attaquer à cet enjeu, ils ont tous convenu que le Canada devait en faire plus.

Parmi les exemples d’initiatives entreprises depuis ce temps, on compte la mise en œuvre de la Stratégie nationale de lutte contre la traite des personnes, une initiative horizontale pluriministérielle axée sur l’exploitation sexuelle et la traite de personnes dirigée par Sécurité publique.

Il s’agit d’un travail important qui contribue aux mesures fédérales sur le travail forcé, car on estimait en 2018 que la traite reliée au travail forcé représentait près de 40 % des cas de traite mondiaux.

Le gouvernement a également adopté une interdiction visant l’importation de marchandises produites en tout ou en partie par du travail forcé, une disposition du Tarif des douanes entrée en vigueur le 1er juillet 2020. L’Agence des services frontaliers du Canada, l’ASFC, assure la mise en application du Tarif de douanes. Le Programme du travail, qui fait partie du portefeuille d’Emploi et Développement social Canada, appuie l’ASFC en effectuant des recherches et des analyses sur le risque de travail forcé dans le cadre de certaines plaintes ou allégations.

Services publics et Approvisionnement Canada renforce le régime fédéral de passation de marchés; il a notamment mis à jour son Code de conduite pour l’approvisionnement afin d’y inclure les attentes à l’égard des fournisseurs et des sous-traitants en matière de droits de la personne et de droit du travail. Le Canada est aussi signataire de conventions visant à remédier aux situations de travail des enfants et de travail forcé. En outre, le gouvernement continue de négocier afin que les accords de libre-échange du Canada contiennent des obligations exécutoires en matière de travail des enfants et de travail forcé. Le Canada finance également des projets de renforcement des capacités pour aider les pays à respecter ces obligations en matière de main-d’œuvre.

Le gouvernement fait également la promotion d’une conduite responsable des affaires et Affaires mondiales Canada élabore une stratégie améliorée et élargie de conduite responsable des entreprises canadiennes qui comprendra, entre autres, des outils et des mesures visant à aider les entreprises canadiennes à atténuer les risques liés à la chaîne d’approvisionnement dans leurs activités internationales.

Bien que des progrès aient été réalisés sur ces questions, il reste encore du travail à faire.

Le gouvernement est déterminé à s’attaquer à cette question de façon exhaustive, et les lettres de mandat envoyées à quatre ministres reflètent cette priorité. Des travaux de politiques sont en cours pour examiner les éléments législatifs qui conviennent au contexte canadien et qui peuvent compléter les initiatives déjà en place. À l’avenir, il sera également important de tenir compte des normes internationales et des pratiques exemplaires en vigueur dans d’autres pays.

Nous reconnaissons le rôle inestimable que jouent les organisations et les experts de la société civile dans ce dossier, ainsi que les perspectives importantes des intervenants de l’industrie. Nous les remercions de nous avoir permis de profiter de leurs connaissances, de leurs compétences et de leur expertise et, plus particulièrement, d’avoir partagé leurs efforts de sensibilisation avec nous.

Le Programme du travail continuera de travailler avec d’autres ministères et intervenants afin de déterminer la meilleure approche pour traiter de ces questions d’une manière adaptée au contexte canadien. Nous avons hâte d’entendre les observations des membres du comité. Merci, madame la présidente.

La présidente : Je vous remercie de votre déclaration liminaire. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Je vois que la sénatrice Miville-Dechêne a levé la main. En tant que marraine du projet de loi, madame la sénatrice, vous pouvez poser la première question.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci beaucoup de me permettre de poser une question.

Merci, monsieur Patry, d’être parmi nous. Toutefois, vous savez de toute évidence qu’un projet de loi d’initiative parlementaire a été déposé sur le sujet en partie parce que le gouvernement n’a pas agi au cours des quatre dernières années. Un formidable rapport a été rédigé sur le travail des enfants et, oui, il y a eu une consultation. Il est vrai que des mots ont été prononcés à profusion, mais le gouvernement n’est pas passé à l’action. Je sais qu’il a promis d’agir, mais nous sommes ici à cause de ces deux raisons.

Tout d’abord, vous avez probablement lu le projet de loi. Savez-vous qui pourrait être la « personne désignée »? Faut-il toujours que ce soit une personne ou une organisation?

[Français]

Il faut une organisation ou un organisme pour mettre la loi en œuvre. Il est indiqué dans le projet de loi, qui est un projet de loi d’intérêt privé, que le ministre va nommer cet organisme. Vous connaissez bien ce secteur. Savez-vous quel organisme pourrait assurer la mise en œuvre de cette loi, qui pourrait examiner les rapports et organiser le réceptacle de ces rapports? Il devrait y avoir un réceptacle commun pour tous ces rapports que le gouvernement mettrait sur pied. Comment voyez-vous la mise en œuvre de cette loi?

[Traduction]

M. Patry : Je vous remercie de la question, sénatrice, et merci encore de vos efforts et de votre travail dans ce dossier important.

Je dirais deux choses. D’abord, oui, nous reconnaissons que le gouvernement n’a pas réalisé de progrès jusqu’ici en vue d’une mesure législative sur les chaînes d’approvisionnement. Des consultations ont eu lieu, comme nous l’avons dit, en 2019, et un rapport a été produit à ce sujet. Comme en témoignent les lettres de mandat adressées au ministre du Travail ainsi qu’à trois autres ministres, le gouvernement se montre fermement résolu à aller de l’avant pour élaborer un projet de loi dans ce dossier. Cela montre donc que le gouvernement est déterminé à le faire.

Pour ce qui est de votre question sur la responsabilité, je pense que c’est l’un des points qu’il faudrait déterminer et vérifier dans le cadre de tout projet de loi. Quant à savoir quelle entité gouvernementale devrait assumer cette responsabilité, je ne sais pas si je serais en mesure de me prononcer là-dessus, mais je me contenterai de dire que, dans les autres pays qui ont également élaboré une telle mesure législative, c’était assurément l’une des questions que nos homologues ont essayé de trancher en fonction de leur contexte.

Il s’agit probablement de l’un des quatre principaux sujets qui doivent être vérifiés ou déterminés lors de l’élaboration d’une mesure législative. Comme vous l’avez souligné, la question est de savoir si l’on adopte une mesure législative sur la transparence ou la diligence raisonnable. C’est, au fond, la première étape.

Le deuxième élément concerne la portée des lois éventuelles, et d’autres pays se sont également interrogés là-dessus. Faut-il limiter la portée au travail forcé, au travail des enfants? Faut-il plutôt l’élargir pour y inclure les droits de la personne ou des considérations environnementales? Il s’agit de savoir à qui s’applique la loi et quelles sont les entités qui doivent être établies.

Enfin, il y a la grande question de savoir à quoi ressemblerait l’application de la loi. Qui a le pouvoir de s’en occuper? À mon avis, il faut trancher des questions juridiques et constitutionnelles pour savoir quels ministres ont le pouvoir de le faire. Tout dépend de la question de savoir si l’on envisage des amendes ou quelque chose comme des sanctions administratives ou pécuniaires. Les amendes relèvent du droit pénal, contrairement aux sanctions administratives et pécuniaires, qui pourraient donner plus de souplesse au gouvernement quant au choix de l’entité qui les imposera.

Je suis désolé de ne pas pouvoir vous donner de réponse précise quant à l’entité gouvernementale qui devrait idéalement s’en occuper, mais c’est certainement l’une des grandes questions qu’il faudra trancher. Je vous remercie.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci à vous.

La présidente : Merci, monsieur Patry. Vous serait-il possible de vous renseigner pour savoir à quelle entité gouvernementale nous pourrions nous adresser? Pourriez-vous trouver cette information et nous la faire parvenir plus tard?

M. Patry : Merci, madame la présidente. Je pense que c’est une question que le ministère de la Justice et, selon toute vraisemblance, sa division du droit constitutionnel devraient vérifier pour savoir de qui relèverait éventuellement un projet de loi comme celui-ci. Mais je crois que cela dépendrait des dispositions du projet de loi et des pouvoirs conférés au gouvernement ou au ministre. Dans le cas du projet de loi S-211, par exemple, je pense que la question devrait être tranchée par le ministère de la Justice ou encore le Bureau du Conseil privé au moyen des mécanismes de l’appareil gouvernemental.

La présidente : Je vous remercie.

La sénatrice Bernard : Merci de votre exposé, monsieur Patry. J’aimerais revenir sur la question des progrès accomplis ou, plutôt, de l’absence de progrès. Dans votre exposé, vous avez souligné un certain nombre d’initiatives, mais vous avez laissé entendre qu’il n’y avait pas eu beaucoup de progrès. Pouvez-vous nous aider à comprendre quels sont certains des obstacles aux progrès et dans quelle mesure, d’après vous, le projet de loi en question pourra nous aider à les surmonter?

M. Patry : Je vous remercie de votre question, sénatrice. J’aimerais dire deux ou trois choses à ce sujet. Tout d’abord, lorsque vous évoquez l’absence possible de progrès, je crois que ce constat vaut seulement pour la question de l’adoption d’une mesure législative sur les chaînes d’approvisionnement. Il est important de souligner que de nombreux progrès ont été réalisés sur d’autres fronts dans la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants, et ce, aux quatre coins de la planète.

Le problème du travail forcé et du travail des enfants revêt plusieurs dimensions, d’où l’impossibilité de le résoudre au moyen d’un seul outil. Je suis d’avis que les lois sur les chaînes d’approvisionnement, comme celles que nous observons un peu partout dans le monde, constituent un outil de plus en plus important à cet égard. J’ajouterai toutefois qu’il faut une variété d’outils. Même si nous adoptons une loi sur la chaîne d’approvisionnement au Canada, à l’instar d’autres pays, il faut une multitude d’éléments pour s’attaquer au problème.

Par exemple, nous avons interdit l’importation de biens produits par le travail forcé, comme on l’a dit, et le Canada est seulement le deuxième pays au monde à le faire, après les États-Unis. De plus en plus, d’autres pays envisagent de suivre ce modèle en guise de mesure complémentaire — même les pays déjà dotés d’une loi sur les chaînes d’approvisionnement.

Les accords de libre-échange constituent sans doute l’un des outils les plus efficaces dont nous disposons. Aux termes de ces accords, nous exigeons que nos pays partenaires adoptent des dispositions exécutoires en matière de travail, c’est-à-dire des dispositions qui les obligent à instaurer et à appliquer des lois pour lutter contre le travail des enfants et le travail forcé, à défaut de quoi nous pouvons leur imposer des sanctions. Ainsi, on peut vraiment s’attaquer à la source du problème dans les pays partenaires en leur donnant les outils nécessaires et en les encourageant à s’en servir pour corriger la situation.

J’ai parlé d’un certain nombre d’autres initiatives que nous avons déjà lancées, mais je dois souligner en particulier le travail effectué par nos collègues d’Affaires mondiales Canada au chapitre des stratégies relatives à la conduite responsable des affaires pour les entreprises canadiennes exerçant des activités à l’étranger.

Il s’agit vraiment d’une gamme d’outils pour tenter de régler ce problème. Le projet de loi sur les chaînes d’approvisionnement s’avérera un outil supplémentaire important, mais je ne voudrais pas vous donner l’impression que rien n’est fait à cet égard. Il se passe beaucoup de choses, tant au Canada que sur les tribunes multilatérales, et cette mesure serait un ajout important à ce qui existe déjà. Je vous remercie.

La sénatrice Boyer : Merci beaucoup de votre exposé, monsieur Patry. J’aimerais en savoir plus sur le rapport que vous avez mentionné et les consultations qui ont été menées en 2019 auprès des intervenants. Je me demande si les Autochtones ou les communautés canadiennes racialisées ont eu l’occasion d’y participer. Si vous pouviez nous dire quelques mots à ce sujet, je vous en saurais gré.

M. Patry : Merci beaucoup de votre question, sénatrice. Lors des consultations de 2019, il n’y a pas eu d’activités ciblées auprès des groupes racialisés ou des communautés autochtones. C’est, selon moi, un élément important dont nous devrions tenir compte dans le cadre de nos efforts futurs. Chose certaine, si le gouvernement décidait d’adopter une mesure législative sur les chaînes d’approvisionnement, ce serait un moyen essentiel d’obtenir des commentaires. Nous dialoguons régulièrement avec les communautés autochtones dans le cadre de différentes tribunes, et j’estime qu’il y a certainement lieu d’entendre davantage de communautés autochtones et racialisées, en particulier sur cette question.

La sénatrice Boyer : Merci. J’espère bien que ce sera le cas.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie, monsieur Brown, d’être des nôtres. J’aimerais vous poser une question sur la mise en œuvre, ce que nous ne faisons pas habituellement dans le cadre de nos études, mais ce projet de loi fait intervenir plusieurs variables, notamment différents ministères et intervenants. Il y a aussi l’obligation de faire rapport, l’application d’amendes et l’exigence de mener un examen triennal.

Pouvez-vous nous expliquer, de votre point de vue de fonctionnaire, à quel point il sera facile ou difficile de mettre en œuvre un tel projet de loi?

M. Patry : Merci, madame la sénatrice. Nous avons consulté étroitement de nombreux autres pays qui ont adopté ce type de mesure législative et nous avons parlé à certains de leurs représentants gouvernementaux. Tous disent qu’il s’agit d’un texte de loi incroyablement complexe qui présente, comme vous l’avez souligné, madame la sénatrice, de nombreuses variables. À mon avis, une des plus grandes difficultés qui se manifestent, c’est que la question du travail forcé ne ressemble pas à beaucoup d’autres infractions, en particulier dans le contexte de la production de biens où l’on sait clairement lorsqu’une personne enfreint des dispositions. Par contre, les choses se corsent quand vient le temps d’établir si le travail forcé ou le travail des enfants est utilisé dans la chaîne de production. Nous savons que les entreprises ont du mal à analyser plus en profondeur les divers niveaux ou échelons de leurs chaînes d’approvisionnement. Il faut donc aider les entreprises à mener ce genre d’enquête et à s’assurer qu’elles adoptent une telle vision dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Cela dit, vous avez mis le doigt sur l’un des principaux problèmes de la plupart des pays qui ont adopté cette mesure législative, et je pense que c’est en partie la raison pour laquelle nous n’avons pas encore vu de rapports sur l’efficacité de ce type de loi.

Je ne doute pas qu’avec le temps, cela s’avérera un outil incroyablement efficace, et peut-être l’est-il déjà. Mais, à mon avis, la difficulté qui se présente dans bien des cas, c’est l’obligation complexe en matière de rapport qui comporte de multiples variables. Selon la structure du gouvernement, selon les pouvoirs conférés aux différents ministères et ministres, il peut être difficile d’établir qui devrait être responsable de quoi. Je pense que cela nous ramène à ce que j’ai dit tout à l’heure concernant les quatre éléments essentiels de toute mesure législative. Ainsi, il faut s’assurer de bien instaurer ces quatre éléments, puis décider quels ministres et ministères sont les mieux équipés pour les gérer.

Dans certains pays, nous avons assisté à la création d’organismes indépendants, de postes d’ombudsman ou de commissariats chargés de s’occuper de ces rapports et de recevoir les déclarations. D’après les commentaires que nous avons reçus en provenance d’autres pays, je crois qu’il faut probablement une approche de ce genre pour assurer une mise en œuvre solide.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie.

M. Patry : Merci.

La présidente : Avant de passer au deuxième tour, je vais donner la parole à l’une de nos nouvelles collègues. Sénatrice Gerba, c’est un plaisir de vous accueillir parmi nous. Vous avez la parole.

La sénatrice Gerba : Merci, madame la présidente.

[Français]

Monsieur Patry, je comprends qu’on parle beaucoup de transparence, et on fait allusion aux rapports que les entreprises doivent fournir. Pensez-vous que les rapports que les entreprises prépareront dans le cadre de ce projet de loi auront besoin d’être validés ou supervisés par une autorité autre que l’entreprise qui fournit le rapport? Par exemple, on sait qu’il y a des auditeurs externes qui doivent valider les états financiers d’une entreprise. Pensez-vous qu’on pourrait s’assurer qu’il y ait une autorité autre qui puisse valider, vérifier et faire en sorte que les rapports qui seront présentés soient honnêtes, transparents, mais surtout, qu’ils iront dans le sens de la validation de ce qui est fait dans ces pays, de ce qui est fait ici et de ce qui est rapporté?

M. Patry : Merci de votre question, sénatrice.

[Traduction]

Je crois que la validation des rapports est l’un des principaux problèmes auxquels font face tous les gouvernements qui ont adopté ce type de mesure législative. Cela nous ramène encore une fois à la question de savoir s’il faut une loi axée sur la transparence ou plutôt sur la diligence raisonnable. L’autre question est de savoir ce que les entreprises devront déclarer. Par ailleurs, une fois que l’on reçoit les rapports, il faut relever un défi de taille, car on doit établir si les entreprises ont produit des rapports efficaces et déterminer la façon de valider les renseignements qu’elles ont fournis. Je crois que cet aspect donne du fil à retordre à tous les gouvernements qui ont instauré ce genre de mesure législative.

Nous assistons, dans de nombreux pays, à l’émergence d’une industrie artisanale de conseillers qui aident les entreprises à préparer de tels rapports, à les valider et à fournir les renseignements nécessaires. Toutefois, selon moi, les gouvernements devront composer avec un défi similaire sur le plan de la distribution des ressources nécessaires pour s’assurer d’examiner chacun des rapports, d’en vérifier l’authenticité et de valider les renseignements qu’ils contiennent, surtout si l’on prévoit d’imposer des amendes aux entreprises qui ne présentent pas de rapport ou qui ne prennent pas les mesures nécessaires dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Madame la sénatrice, vous avez abordé une question importante qui taraude d’autres gouvernements aussi. Puisqu’il s’agit d’une mesure législative relativement nouvelle à l’échelle mondiale, il y aura quelques tâtonnements au début à mesure que les gouvernements essaieront d’établir quel est le meilleur format pour valider les rapports.

La sénatrice Gerba : Merci.

La présidente : Nous allons passer à notre deuxième série de questions, en commençant par la marraine du projet de loi, la sénatrice Miville-Dechêne. La parole est à vous.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Patry, je vais poser ma question en français. J’aimerais revenir sur la question de la frontière.

Comme vous le savez, mon projet de loi propose d’élargir aux produits issus du travail des enfants les marchandises que l’on n’acceptera plus dans notre pays.

Ma question est assez simple. Je suis la situation depuis des mois et je constate que le gouvernement du Canada, contrairement au gouvernement américain, ne publie pas d’explication claire sur ce que constitue le travail forcé ni de liste de pays avec lesquels il est difficile et dangereux de faire affaire pour les entreprises.

Je sais que cela a été fait dans le cas de la Chine, mais vous n’avez pas le même système que les Américains, qui ont un système de transparence. Je veux le dire, parce que là aussi, c’est de la transparence par rapport à ce qui est considéré comme risqué, que ce soit au Mexique ou dans d’autres pays. Cela pourrait aider beaucoup les entreprises, mais aussi ce qui se passe à la frontière. Vous avez beau dire que la situation actuelle au Canada constitue une amélioration, il n’y a eu qu’une seule arrestation de bateau au Québec, une seule depuis que la loi a été adoptée, il y a plus d’un an. De leur côté, les États-Unis en font beaucoup plus en ce moment parce qu’évidemment, il y a plus d’information qui circule et qu’ils arrêtent davantage sur la base de soupçons, et ensuite, le propriétaire de la cargaison doit s’expliquer.

[Traduction]

M. Patry : Je vous remercie de vos observations, madame la sénatrice. Je vous en suis reconnaissant.

Il importe de souligner, comme je l’ai dit au début, que le Canada est seulement le deuxième pays au monde, après les États-Unis, à interdire l’importation de produits issus du travail forcé. Il existe des distinctions et des différences importantes entre la façon dont les États-Unis ont abordé cette interdiction et la façon dont le Canada s’y prend à l’heure actuelle.

Premièrement, les États-Unis ont une bonne longueur d’avance. Ils ont adopté cette interdiction en 1930, ce qui signifie qu’ils l’appliquent depuis 90 ans. Au cours de la dernière décennie, surtout depuis cinq ou six ans, ils ont intensifié leurs interdictions de manière plus notable.

Le seuil de preuve utilisé par les États-Unis est considérablement différent de celui du Canada. Il convient de signaler que les États-Unis ont mis en place, en somme, un système à deux paliers.

La première étape — et c’est ce que l’on voit souvent dans les médias et qui reçoit une attention considérable — ne constitue pas une interdiction de produits, mais ce que l’on appelle une ordonnance de refus de mainlevée. Cette mesure permet au Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis de dire à un importateur : « Nous soupçonnons que ces produits sont issus du travail forcé. Vous devez nous prouver que ce n’est pas le cas, faute de quoi vous ne pourrez pas les faire entrer au pays. »

C’est très différent d’une conclusion, qui est essentiellement l’interdiction donnant lieu à la saisie ou à l’interception de produits. Si je ne me trompe pas, les États-Unis n’ont rendu que deux conclusions en ce sens. Il s’agit d’une ordonnance de refus de mainlevée, assortie d’un seuil de preuve moins élevé. Voilà comment les États-Unis s’y prennent.

Chez nous, c’est l’Agence des services frontaliers du Canada qui est chargée d’empêcher l’importation de certains produits et de faire respecter l’interdiction dans sa forme actuelle. Toutefois, l’ASFC fonctionne selon une approche axée sur les expéditions, plutôt qu’une approche ciblant une région, un secteur ou un pays. Le seuil de preuve permettant d’établir si un produit particulier est issu ou non du travail forcé peut s’avérer difficile pour les agents des services frontaliers. Je le répète, contrairement à d’autres produits que nous interdisons, comme des armes ou de la drogue, dont l’interdiction est clairement énoncée, le travail forcé peut présenter un peu plus de difficultés. Il faut donc effectuer des recherches approfondies pour savoir si une cargaison ou une marchandise est issue du travail forcé.

Nous travaillons en étroite collaboration avec l’Agence des services frontaliers du Canada pour accroître et améliorer l’opérationnalisation et la mise en œuvre de l’interdiction. Cependant, la vérification de ces produits exige beaucoup de recherches.

La sénatrice Miville-Dechêne : C’est exactement ce que je voulais savoir. Peut-être que notre seuil ou notre système ne conviennent pas en matière de travail forcé, qui est si difficile à déceler. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut apercevoir de très loin sur un bateau. Nous verrons bien quelle forme cela prendra.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je ne sais pas si M. Patry est celui qui peut répondre à ma question. Un rapport de l’UNICEF mentionnait que l’Afrique subsaharienne est la région où le nombre d’enfants astreints au travail forcé est le plus élevé; en effet, 72 % de ces enfants travaillent directement pour appuyer les activités des familles ou pour leur venir en aide. Je suis moi-même Africaine. J’ai vécu cela. J’ai travaillé pour aider ma famille.

Y a-t-il des mécanismes à mettre en place dans le cadre de ce projet de loi afin d’accompagner les familles qui n’ont rien d’autre, qui sont là à attendre que les enfants aillent travailler? Ces enfants n’ont, de toute façon, pas les moyens d’aller à l’école.

Est-ce qu’on peut amener les entreprises à en faire un peu plus sur le plan de la responsabilité sociale, par exemple, récompenser d’une quelconque façon les entreprises qui s’impliquent davantage pour aider à résoudre ce problème à la source?

[Traduction]

M. Patry : Merci de votre question, sénatrice. À l’échelle du gouvernement et au sein des organisations internationales, énormément d’efforts sont actuellement déployés pour tenter d’éliminer le travail des enfants dans le monde, y compris en Afrique subsaharienne.

La pandémie a exacerbé la situation. Depuis une vingtaine d’années, nous constatons une baisse du travail des enfants de même que des progrès dans la lutte contre celui-ci. Malheureusement, le dernier rapport de l’UNICEF et de l’Organisation internationale du travail indique que, pour la première fois depuis de nombreuses décennies, les chiffres sont en hausse. Si je ne m’abuse, les chiffres pour 2017 étaient d’environ 152 millions d’enfants astreints au travail forcé dans le monde. On en compte maintenant 160 millions. Nous constatons donc une hausse regrettable. Toutefois, par l’intermédiaire d’organisations internationales, des efforts sont en cours pour lutter contre cette tendance, et le Canada appuie bon nombre de ces initiatives de développement.

Quant à savoir ce que les entreprises peuvent faire à cet égard, je ne sais pas si cet aspect peut être inclus dans une loi sur les chaînes d’approvisionnement. Je vous dirais que le gouvernement, les organisations internationales et l’industrie doivent lutter ensemble contre beaucoup de ces problèmes. Des efforts colossaux sont actuellement déployés à cet effet dans beaucoup d’organisations.

Prenons l’exemple d’une initiative de l’Organisation internationale du travail et de la Société financière internationale qui est financée et soutenue par le gouvernement canadien. Appelée Better Work, cette initiative nous permet de travailler avec le secteur du vêtement pour tenter d’assurer une production équitable; le respect des droits des travailleurs, de l’âge minimum d’emploi et du droit de libre association et de négociation collective; le versement d’un salaire décent; et la participation du secteur à de telles initiatives de pair avec le gouvernement, l’Organisation internationale du travail et la Société financière internationale. Des efforts comme l’initiative Better Work peuvent s’avérer une avenue de collaboration, mais je ne suis pas certain que nous puissions l’intégrer dans une loi sur les chaînes d’approvisionnement.

La sénatrice Gerba : Peut-être pourrions-nous ajouter un incitatif afin que les entreprises voient l’avantage de déposer des rapports, de faire preuve d’une plus grande transparence et de nous dire ce qui s’y passe.

M. Patry : Si vous me le permettez, j’ajouterais qu’Affaires mondiales Canada dispose déjà de stratégies de conduite responsable des affaires. Le ministère, tout comme Exportation et développement Canada, collabore en outre avec des sociétés canadiennes actives à l’étranger à la promotion d’une conduite responsable des affaires. On s’efforce de collaborer avec ces sociétés canadiennes actives à l’étranger pour leur montrer les façons dont elles peuvent soutenir leurs collectivités d’accueil et s’approvisionner de façon éthique et responsable.

La présidente : Nous avons dépassé le temps prévu pour ce groupe de témoins. Toutefois, sénatrice Omidvar, je vais vous laisser poser votre question, car je crois que c’est important. Vous avez la parole.

La sénatrice Omidvar : Je souhaite poursuivre dans la même veine que la sénatrice Gerba sur l’importante sanction dans cette mesure législative, c’est-à-dire une amende, sauf que je m’intéresse aux récompenses.

Je me demande, messieurs Patry ou Brown, si, d’après votre expérience, il est possible de présenter favorablement les produits qui répondent aux critères, comme c’est le cas pour le café équitable. Connaissez-vous d’autres gammes de produits régies par d’autres textes législatifs qui ont une image de marque positive parce qu’elles répondent aux critères et sont conformes à la loi, ce qui confirme leur réputation? La réputation est au cœur de cette mesure législative.

M. Patry : Merci de votre question, sénatrice. Vous soulevez un excellent point, qui fait d’ailleurs l’objet de discussions entre divers gouvernements et organisations internationales.

La difficulté éprouvée par les gouvernements est associée à la question précédente sur la certification des rapports. Vu la difficulté qu’il pourrait y avoir à certifier ou à confirmer le contenu des rapports, c’est la complexité qui pose problème. Si un gouvernement certifie un produit exempt de travail forcé ou des enfants, il pourrait s’avérer difficile d’investir le degré d’effort et de complexité nécessaire pour confirmer que c’est bel et bien le cas.

Je ne connais aucune autre autorité qui a proposé quelque chose du genre. Je crois que cela a été étudié et envisagé, mais que la complexité de son application pose problème.

La sénatrice Omidvar : Merci d’avoir répondu à ma question, monsieur.

La présidente : Merci d’avoir répondu à nos questions, messieurs Patry et Brown.

Chères collègues, nous allons entendre le dernier groupe de témoins de la journée sur le projet de loi S-211, Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes.

Ces témoins sont Michael Harvey, vice-président, Politiques et international, de la Chambre de commerce du Canada; Ben Chalmers, vice-président principal, de l’Association minière du Canada; et Geoff Smith, vice-président, Relations gouvernementales, lui aussi de l’Association minière du Canada.

Michael Harvey, vice-président, Chambre de commerce du Canada : La Chambre de commerce du Canada est la plus grande association d’affaires au pays; elle représente des entreprises de toutes les tailles dans tous les secteurs de l’économie.

Veiller à ce que les chaînes d’approvisionnement des entreprises canadiennes ne contribuent pas au travail forcé ou des enfants à l’échelle du globe est un objectif que nos membres appuient avec conviction. La chambre salue les efforts de la sénatrice Miville-Dechêne qui porte ce dossier.

La chambre vous a remis un document comportant diverses suggestions de nos membres. Aujourd’hui, j’aimerais mettre l’accent sur deux grands points. Comme les membres du comité le savent, la sensibilisation aux risques de travail forcé ou d’autres violations des droits de la personne au sein de la chaîne d’approvisionnement pousse les entreprises à s’assurer qu’elles peuvent clairement montrer leur adoption de politiques et de procédures efficaces pour atténuer un tel risque. Cette évolution dans le milieu des affaires est rapide en raison des attentes sociétales qui prennent la forme de demandes de consommateurs, d’investisseurs et de décideurs.

La nécessité d’un encadrement gouvernemental clair dans ce contexte en mouvance est le premier point sur lequel je veux insister. Comme l’a mentionné M. Patry, le Canada et les États-Unis sont les seuls pays au monde à avoir interdit l’importation de biens issus en tout ou en partie du travail forcé. Cette interdiction découle de dispositions de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique ou ACEUM.

Deux ans plus tard, nous commençons tout juste à comprendre de quelle façon le gouvernement fédéral exécutera l’interdiction d’importer des biens issus du travail forcé. Ce n’est que le 20 janvier dernier que l’Agence des services frontaliers du Canada ou ASFC a mis à jour ses directives aux importateurs à propos des preuves qu’ils doivent fournir si elle retient leurs marchandises parce qu’elle soupçonne qu’elles sont le fruit du travail forcé.

Nous souhaitons donc qu’il y ait de nouvelles exigences législatives puisque le dernier changement majeur n’a pas été mis en œuvre de façon cohérente.

Veuillez noter que, dans ce contexte, les entreprises canadiennes, et plus particulièrement les petites et moyennes entreprises ou PME, ne disposent pas des mêmes ressources que les fonctionnaires pour évaluer avec exactitude les risques que posent les fournisseurs internationaux. Les fonctionnaires ont des ressources uniques, comme les forces policières et les services du renseignement, de même qu’une connaissance du marché intérieur que leur assurent les missions diplomatiques canadiennes à l’étranger. Il faut utiliser ces renseignements de façon à soutenir les entreprises de sorte qu’elles sachent où sont les risques.

La chambre recommande donc d’ajouter une disposition à cette mesure législative pour exiger que le ministre tienne un registre public des fournisseurs étrangers connus pour leur recours au travail forcé ou des enfants. Elle doit clairement établir les critères selon lesquels un fournisseur peut être inscrit au registre, de même que les mécanismes de recours si un fournisseur estime y avoir été inscrit par erreur.

L’autre point est le suivant : le but du projet de loi est de veiller à ce que les entreprises fassent preuve de transparence par rapport aux mesures de prévention et de réduction des risques de travail forcé dans leur chaîne d’approvisionnement. Pour ce faire, nous estimons qu’une approche de « mise au pilori » serait plus efficace que l’instauration d’une responsabilité criminelle, y compris une responsabilité personnelle, comme le prévoit actuellement le projet de loi.

Des entreprises de premier plan publient déjà des rapports fiables et limpides sur la transparence de leur chaîne d’approvisionnement. La peur d’une possible responsabilité criminelle risque toutefois de les amener à publier des rapports plus ciblés et opaques. Nous savons que certains demandent une mesure législative assortie de sanctions. Toutefois, nous faisons respectueusement valoir que la dénonciation publique des entreprises qui ne rapportent pas adéquatement leurs activités serait si dommageable pour leur réputation qu’elles éviteront de s’y exposer. La création d’une infraction punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité assortie d’amendes importantes n’est pas nécessaire dans un contexte où les entreprises sont déjà au courant des risques qu’elles courent si elles ne peuvent pas expliquer l’origine de leurs produits. Le gouvernement doit d’ailleurs améliorer l’encadrement des entreprises à cet égard afin qu’elles évitent ces problèmes.

Bref, la chambre appuie l’objectif d’une transparence accrue visant l’élimination des risques de travail forcé dans les chaînes d’approvisionnement. Elle demande toutefois que le gouvernement tienne compte des difficultés inhérentes, clarifie le régime d’application et le rende plus prévisible tandis que nous œuvrons ensemble à la concrétisation de cet objectif commun.

Merci d’avoir accepté d’entendre la Chambre de commerce du Canada dans ce dossier.

La présidente : Merci, monsieur Harvey.

Monsieur Smith, vous avez la parole.

Geoff Smith, vice-président, Relations gouvernementales, Association minière du Canada : Merci de me recevoir aujourd’hui. Je m’appelle Geoff Smith et je suis le vice-président des relations gouvernementales de l’Association minière du Canada. Je suis accompagné de Ben Chalmers, notre vice-président principal.

Madame la présidente, l’esclavage moderne est beaucoup plus répandu que ne le croient les Canadiens. Partout dans le monde, des personnes peuvent être amenées à travailler contre leur gré dans un éventail de secteurs. De l’extérieur, un emploi peut sembler normal. Mais, en réalité, les personnes sont incapables de fuir par crainte de violences à leur endroit, parce qu’elles ont des dettes ou perdu leurs preuves d’identité, voire parce qu’elles font l’objet de menaces de déportation. Pire encore, un travailleur sur quatre dans ces conditions de travail forcé est un enfant, et les trois quarts sont des femmes et des filles.

L’industrie minière canadienne a une présence internationale importante avec 650 entreprises dans plus de 100 pays. Cependant, le Canada n’occupe plus le premier rang mondial parmi les pays miniers. En effet, la valeur de l’actif net des deux plus grandes entreprises australiennes dépasse celle de l’ensemble de l’industrie canadienne, d’autant plus que le contrôle de la Chine sur la production de nombreux minéraux utiles est bien connu.

Cela dit, le rôle du Canada comme chef de file mondial en matière d’exploitation minière durable et de pratiques commerciales responsables ne cesse de croître, et il englobe le domaine du travail forcé et des enfants.

Au cœur de ce travail se trouve Vers le développement minier durable, une initiative de notre association reconnue mondialement pour favoriser des comportements responsables dans notre secteur. D’autres associations nationales ont pris acte du leadership canadien, si bien que notre initiative est en voie d’être adoptée par 10 associations minières dans 10 pays sur 6 continents.

Il y a cinq ans, nous avons eu l’occasion de contribuer aux efforts mondiaux de prévention de l’esclavage moderne par l’ajout à l’initiative Vers le développement minier durable de normes destinées à interdire le travail forcé et des enfants et à le prévenir. Vu l’adoption toujours plus répandue de notre initiative dans le monde, cette contribution n’en est que plus significative.

Maintenant : le projet de loi S-211. Comme c’était le cas pour sa version antérieure, le projet de loi S-216, proposée par la sénatrice Miville-Dechêne au cours de la législature précédente, l’Association minière du Canada est en faveur de sa visée et des efforts nécessaires pour éradiquer le travail forcé et des enfants dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Nous étions heureux de fournir une citation pour le communiqué de presse de la sénatrice Miville-Dechêne annonçant le dépôt du projet de loi S-216 à l’époque, où nous la félicitions pour son leadership dans ce dossier.

Néanmoins, nous avons quelques remarques à faire sur le libellé du projet de loi actuel et quelques améliorations à proposer.

D’abord, notre expérience liée à la Loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif ou LMTSE s’applique directement au projet de loi S-211.

Adoptée en 2014 dans le cadre du projet de loi omnibus d’exécution du budget, soit le projet de loi C-43, la LMTSE exige que les entités du secteur extractif qui sont actives au Canada divulguent publiquement, selon un cycle annuel, certains types de paiements effectués aux gouvernements au Canada et à l’étranger.

Nous invitons le comité à consulter le paragraphe 10(1) de la LMTSE qui précise le processus et les critères qui permettent au ministre des Ressources naturelles d’établir que les exigences d’une autre autorité compétente relatives aux rapports constituent un substitut acceptable à celles au titre de la LMTSE. Cette clause de substitution ou d’équivalence contribue à l’atteinte efficace des objectifs de la LMTSE, y compris ceux en matière de transparence des entreprises.

Nous vous invitons à envisager un amendement au projet de loi S-211 afin d’y inclure cette approche souple, mais efficace et éprouvée, en matière de rapports annuels qui améliore la conformité par la réduction d’un fardeau superflu. Elle fonctionne.

Comme dans le projet de loi S-216, les mécanismes obligatoires de rapport constituent le principal outil du projet de loi S-211 pour accroître la transparence. Ils doivent donc être efficaces, sans compter qu’ils mettent toutes les entités sur un pied d’égalité. Le paragraphe 11(2) du projet de loi S-211, une nouveauté, est une amélioration qui accorde plus de souplesse en permettant le dépôt d’un seul rapport individuel ou conjoint, de même que la possibilité pour une société mère de déposer un rapport pour ses filiales.

Nous approuvons également l’inclusion des entités gouvernementales au projet de loi S-211. Le respect des droits de la personne à l’étranger devrait être l’obligation tant du secteur privé que du secteur public.

En plus de l’ajout d’une disposition relative à l’équivalence, la date de dépôt du rapport est un autre aspect du projet de loi qui pourrait selon nous être amélioré.

La nouvelle mouture du projet de loi comprend une modification qui établit la date limite de dépôt de son rapport au 31 mai, peu importe quand se termine l’exercice de l’entreprise. Le projet de loi S-216 exigeait que le rapport soit déposé au plus tard 180 jours après la fin de l’exercice financier. Cette modification a été apportée pour faciliter la préparation du rapport annuel du ministre à l’intention de la Chambre. Toutefois, l’objectif des exigences devrait être de faciliter la production d’un rapport de grande qualité par toutes les entités sans distinction et non de faciliter la tâche au ministre ou à l’autorité réglementaire dans la préparation d’un rapport annuel à l’intention de la Chambre.

En fixant une date à laquelle le rapport doit être produit, le projet de loi crée une nouvelle disparité entre les entités qui observent un calendrier de déclaration différent. Par exemple, les entités dont l’exercice financier se termine le 31 décembre plutôt que le 31 mars auront trois mois de plus pour se préparer à produire leur rapport.

Enfin, nous soulevons une question, qui est probablement d’ordre administratif, en ce qui concerne l’expression « offered to be provided » qui figure dans la définition anglaise du « travail des enfants », à l’article 2. Nos membres et d’autres intervenants cherchent à obtenir des précisions sur ce que l’on entend par « offered to be provided » dans la définition du travail des enfants du projet de loi S-211. Les entreprises sont-elles obligées de surveiller ce que les fournisseurs offrent en matière de services, par opposition aux services fournis dans le cadre d’un contrat qu’elles ont négocié ou aux services qu’elles ont accepté de retenir?

Il est nécessaire d’obtenir certaines précisions à ce sujet. Nous suggérons qu’une modification soit apportée au projet de loi S-211 afin d’insérer la définition du « travail des enfants » utilisée par l’Organisation internationale du travail. Il s’agit d’une définition bien connue et acceptée à l’échelle internationale, et c’est celle que nous avons employée lorsque nous avons ajouté la notion de « travail des enfants » et de « travail forcé » à l’initiative Vers le développement minier durable.

En conclusion, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs, l’industrie minière canadienne est absolument engagée dans l’effort international visant à prévenir et à éradiquer les cas de travail des enfants et de travail forcé dans l’industrie minière mondiale et dans la chaîne d’approvisionnement minière au sens large, et nous considérons ce projet de loi comme une étape importante pour aider le Canada à rattraper ses pairs.

Nous sommes impatients de répondre à vos questions et de discuter avec vous des améliorations que nous proposons d’apporter au projet de loi S-211 .

La présidente : Je vous remercie, messieurs, de vos exposés.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie de m’accorder un peu de temps.

[Français]

Ma première question s’adresse à M. Harvey, de la Chambre de commerce du Canada. Nous avons reçu un bref mémoire écrit de votre part, et je voulais vous poser des questions relativement aux seuils de revenus des entreprises. Vous critiquez le fait que nos seuils de revenus pour les entreprises sont trop bas. Vous aimeriez que seules les entreprises qui ont plus de 100 millions de dollars de revenus — on parle ici d’à peu près 3 000 compagnies partout au Canada qui sont de très grandes compagnies, et peut-être moins — soient soumises à la loi, et vous trouvez que nos seuils de revenus de 40 millions de dollars pour les entreprises sont trop bas.

Je me demande comment vous pouvez argumenter ou justifier cette demande, étant donné que le Canada a quand même signé de nombreux traités pour lutter contre le travail des enfants et le travail forcé et pour s’y opposer et que, moins il y a d’entreprises soumises à la loi, moins on arrive à changer les mentalités.

De plus, un comité des Nations unies a même dit que toutes les entreprises d’un pays devraient être soumises à des règles pour qu’elles n’utilisent ni le travail des enfants ni le travail forcé. Comment réconciliez-vous votre demande avec les engagements du Canada sur la scène internationale?

M. Harvey : Merci beaucoup de votre question, madame la sénatrice. Vous me pardonnerez mon français avec un petit accent de la Nouvelle-Écosse. D’abord, la question n’est pas de savoir si les petites et moyennes entreprises ne devraient pas importer des produits issus du travail forcé. C’est évident et c’est déjà interdit au Canada. Comme M. Patry l’a déjà mentionné, il n’y a que deux pays dans le monde qui interdisent carrément l’importation de produits issus du travail forcé.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui porte sur l’obligation de faire rapport sur les mesures prises pour éviter que des produits issus du travail forcé ne se trouvent dans la chaîne d’approvisionnement. Nous croyons, dans ce cas, qu’un seuil de revenus de 100 millions de dollars représente un niveau acceptable pour déterminer qu’on doit pouvoir démontrer l’absence de ces produits, et ce, en produisant un rapport annuel, comme l’exige la loi. Cela ne veut aucunement dire que les PME ne devraient pas faire très attention de ne pas importer des produits issus du travail forcé, puisque c’est déjà interdit au Canada en vertu de l’Accord Canada—États-Unis—Mexique.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question complémentaire très brève à poser. Combien d’entreprises canadiennes ont un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions de dollars?

M. Harvey : Je suis désolé, je n’ai pas la réponse à cette question. On pourrait trouver cette information pour les entreprises publiques, mais je ne crois pas qu’un tel renseignement soit disponible pour les entreprises privées.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

La présidente : Sénatrice Miville-Dechêne, je pourrais ajouter votre nom à une deuxième série de questions puisque le seul membre du comité à avoir levé la main est la sénatrice Omidvar.

La sénatrice Omidvar : Ma question traite du même sujet que celle de la sénatrice Miville-Dechêne, et je l’adresse à M. Harvey.

Vous avez dit, dans le cadre de vos observations, qu’il devrait y avoir un seuil différent pour les petites et moyennes entreprises, mais la sénatrice Miville-Dechêne a déclaré que seulement 3 000 entreprises seraient assujetties à cette loi. Il y a un critère à respecter : il faut que les entreprises soient cotées en bourse ou qu’elles dépassent un seuil relatif à leur taille.

J’aimerais approfondir la déclaration que vous avez faite au sujet des « petites et moyennes entreprises ». À votre avis, combien de petites et moyennes entreprises seront touchées par ce projet de loi, et dans quels secteurs ou régions se trouvent-elles? Avez-vous une idée du nombre d’entreprises dont il est question?

M. Harvey : Je n’en ai pas une idée précise du nombre d’entreprises qui seraient touchées. Tout dépend du seuil qui est fixé.

Comme je l’ai indiqué dans ma réponse à la sénatrice Miville-Dechêne, nous soutenons, premièrement, que toutes les entreprises sont concernées par l’interdiction d’importer des biens fabriqués dans le cadre d’un travail forcé, une interdiction qui a été mise en œuvre par le Canada et les États-Unis, les seuls pays au monde à l’avoir fait. Cette loi traite précisément des exigences de déclaration.

Elle oblige les entreprises à rédiger des rapports chaque année. Nous indiquons que nous établirions simplement le seuil à un autre niveau qui viserait moins d’entreprises et principalement les plus grandes. Ces exigences de déclaration ont un coût. Toutes les entreprises qui importent des marchandises doivent faire preuve de diligence raisonnable en ce qui concerne leur chaîne d’approvisionnement; sinon, elles seront incapables d’expliquer quoi que ce soit à l’ASFC si l’une de leurs marchandises est stoppée à la frontière, selon les dernières directives communiquées par l’ASFC.

L’interdiction d’importer des biens fabriqués dans le cadre d’un travail forcé, que le Canada a mis en œuvre, s’applique à toutes les entreprises canadiennes. Nous soutenons que le seuil fixé par cette loi, qui prévoit une exigence de déclaration assez coûteuse, pourrait être déplacé.

La sénatrice Omidvar : Je me demande si vous pourriez m’aider à comprendre cela. Je pense que les entreprises, et en particulier les grandes entreprises que vous avez mentionnées, disposent des systèmes, des structures et des politiques nécessaires pour prévenir les mauvais comportements dans l’ensemble de leurs activités. Je ne sais pas si elles le font, mais elles sont dotées des systèmes, des politiques et des structures nécessaires.

Ce sont peut-être les petites entreprises qui font des affaires à l’étranger qui pourraient avoir besoin que la mesure législative les oblige à faire rapport afin de les sensibiliser. Pourriez-vous m’aider à faire la quadrature du cercle dans mon esprit?

M. Harvey : C’est là que je reviens à ma remarque sur la nécessité d’apporter une aide gouvernementale accrue. Comme vous le dites, les grandes entreprises disposent d’un grand nombre de ressources, mais les petites entreprises ont vraiment besoin que le gouvernement leur apporte cette aide, par exemple sous forme de listes de fournisseurs qui sont soupçonnés d’avoir recours au travail forcé. Je crois que c’est la sénatrice Miville-Dechêne qui a formulé une observation semblable — mais pas tout à fait pareille — à celle de M. Patry, dans le but de déclarer toutefois qu’il serait utile que les entreprises bénéficient d’un soutien gouvernemental pour leur indiquer où elles devraient faire attention et pour leur apporter une aide en matière de formation et de diligence raisonnable. Il serait utile que les entreprises aient davantage accès aux renseignements dont dispose le gouvernement du Canada par l’intermédiaire de son service diplomatique et de ses services de police et de renseignement.

Je ne dirais pas nécessairement que ce dont elles ont besoin, c’est d’une loi qui les oblige à faire des rapports; elles ont besoin d’aide pour atteindre le niveau de transparence requis. Il s’agit vraiment d’une question d’accompagnement des petites et moyennes entreprises par le gouvernement. J’ai remarqué qu’EDC faisait un excellent travail pour ce qui est d’aider les petites et moyennes entreprises qui travaillent à l’étranger à comprendre en quoi consistent une conduite et des pratiques commerciales responsables. C’est dans le cadre de ce genre de travail que le gouvernement du Canada peut aider nos PME à améliorer leurs performances là où c’est nécessaire.

La sénatrice Omidvar : Merci. Cette information était vraiment utile.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Harvey, je vais continuer dans la même veine, car j’ai un peu de difficulté à suivre votre raisonnement. Mon projet de loi touche au maximum 2 % des entreprises, puisqu’on ne parle pas des petites entreprises qui sont touchées, mais seulement des moyennes et grandes entreprises et une infime partie des petites entreprises, soit celles qui comptent plus de 250 employés. Donc, on touche assez peu d’entreprises.

Quand je regarde votre mémoire, vous dites que vous êtes pour le principe d’une loi, mais en même temps, à l’égard d’environ 10 éléments, vous jugez que cela n’a pas de sens. Il y a un autre élément qu’il me semble important de mentionner ici, soit le travail des enfants. On a tout fait, dans ce projet de loi, pour en arriver à une définition sensée du travail des enfants, qui n’est pas seulement la pire forme du travail des enfants, mais aussi le fait de ne pas pouvoir aller à l’école. Vous jugez que cette définition est trop large. J’aimerais vous entendre à ce sujet.

Si on veut qu’une loi comme celle-là fonctionne, il faut qu’un certain nombre d’entreprises y soient soumises. Cette idée selon laquelle le problème est tout à fait réglé si la frontière leur est interdite n’est vraiment pas la solution, monsieur Harvey, parce qu’on n’arrête pas de cargaison en ce moment. Il y a beaucoup d’entreprises au Canada qui font venir des marchandises issues du travail forcé. On parle d’environ 1 200 entreprises. Ce problème existe même si on le bloque à la frontière, d’où cette idée d’obliger une certaine partie des entreprises, particulièrement les moyennes entreprises, à faire rapport. C’est là — les experts le disent — que le travail forcé est le plus présent dans les chaînes d’approvisionnement, soit parmi des entreprises un peu plus petites que les grandes et qui n’ont pas l’argent qu’il faut pour faire les recherches.

M. Harvey : Je regarde ce qu’on a inclus dans notre mémoire sur le travail des enfants et je ne crois pas qu’on ait mentionné que la définition devrait être moins large; c’était plutôt un de nos membres qui avait insisté sur le fait que la définition n’était pas complètement alignée avec la définition de l’Organisation internationale du travail. Ce n’était pas dans le but de faire en sorte que la définition soit moins large; ce n’est pas comme cela que je le lis, mais je serais tout à fait à l’aise d’en discuter à un autre moment et je pourrais inviter cette personne. Cependant, ce n’était pas dans le but que la définition soit moins large; du moins, ce n’est pas comme cela que je l’ai compris.

La sénatrice Miville-Dechêne : Pourriez-vous répondre à mon autre question?

M. Harvey : En ce qui concerne les moyennes entreprises, nous considérons que ce qu’il faudrait faire serait de les accompagner. Ces restrictions sur l’importation des biens liés au travail forcé au Canada sont nouvelles. On commence à peine à mettre en application les nouvelles réglementations. Il faut continuer d’appuyer ces entreprises afin de leur permettre de bien comprendre ce nouveau contexte qui change à une vitesse assez rapide.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

La présidente : Comme je n’ai pas encore posé de questions, je vais le faire maintenant. Par ailleurs, si d’autres personnes souhaitent poser d’autres questions, nous disposons suffisamment de temps pour que je puisse les accommoder.

Monsieur Smith, le projet de loi touchera différentes entreprises de différentes manières. À votre avis, quelle incidence ce projet de loi aura-t-il sur l’industrie minière?

M. Smith : Comme je l’ai indiqué dans ma déclaration préliminaire, je pense que le projet de loi couvre un terrain en matière de rapport avec lequel notre secteur et bon nombre de nos membres sont déjà très à l’aise.

En ce qui concerne nos associations et le programme Vers le développement minier durable, nous avons déjà mis en œuvre des protocoles relatifs au travail des enfants et au travail forcé. Je pense que nous voyons, à tout le moins, le projet de loi S-211 comme une continuation dans l’esprit de ces efforts et comme quelque chose qui nous convient tout à fait. Je ne sais pas si mon collègue, M. Chalmers, aimerait ajouter quelque chose à cela.

Ben Chalmers, vice-président principal, Association minière du Canada : Je mentionnerais seulement que lorsqu’en 2017, nous avons ajouté ces aspects à notre programme Vers le développement minier durable, nous l’avons déjà fait dans cette optique pour répondre aux encouragements de nos clients qui voulaient s’assurer que leurs chaînes d’approvisionnement ne présentaient pas ces risques. Donc, à l’époque, nous avons abordé ces aspects de façon collaborative, et nous les avons intégrés dans nos propres obligations de déclaration. M. Smith a raison. Cela correspond tout à fait à ce que nous attendons déjà de nos membres et à ce que nos membres eux-mêmes se sont engagés à faire en tant que membres de notre association.

La présidente : J’adresse mon autre question aux deux témoins. Ce projet de loi confère aux personnes désignées par le ministre le pouvoir de pénétrer dans des lieux d’affaires, d’interdire l’accès à une partie ou à la totalité d’un lieu et d’y faire n’importe quoi ou de retirer n’importe quoi à des fins d’examen. Quels effets négatifs cela pourrait-il avoir sur une activité commerciale légitime? Pouvons-nous penser à d’autres moyens moins intrusifs qui, selon vous, seraient suffisants pour vérifier la conformité? Qu’en pensez-vous, monsieur Harvey, et vous, monsieur Smith? J’aimerais que vous répondiez tous les deux.

M. Chalmers : Je peux intervenir en premier si cela peut vous rendre service.

La présidente : Oui, merci.

M. Chalmers : Ces dispositions figurent déjà dans la Loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif, ou la LMTSE. Ils ont inclus dans le projet de loi des pouvoirs semblables à ceux qui ont découlé d’une négociation. La LMTSE s’inspire d’une négociation entre nous et le mouvement Publiez ce que vous payez.

Il s’agit là de dispositions très contraignantes. Dans le cas de la LMTSE, nous espérons qu’elles ne seront utilisées qu’en tout dernier recours.

Je pense que l’une des clés du succès de la LMTSE, c’est que les premières années de mise en œuvre ont été axées sur la conformité, l’incitation et l’éducation. Je pense que c’est ce dont nous avions le plus besoin ici, au cours des premières années, afin d’encourager les entreprises à se conformer à la loi et de les éduquer lorsqu’elles négligent de le faire, avant d’appliquer le régime de conformité, un processus qui ne fait que commencer maintenant dans le cas de la LMTSE. Je tiens à souligner que le taux de conformité à la LMTSE est très élevé. Je n’ai pas devant moi les chiffres exacts, mais je viens de parler avec des employés de Ressources naturelles Canada qui m’ont dit que très peu de mesures d’application de la loi avaient été prises jusqu’à maintenant, en raison de l’approche qui a été adoptée, je pense, c’est-à-dire cette éducation et cet encouragement à la conformité au début de la mise en œuvre.

La présidente : Merci, monsieur Smith. Aimeriez-vous ajouter quelque chose?

M. Harvey : Non, je dirais simplement, de façon plus générale, que nous estimons que l’objectif du projet de loi est la transparence. Dans le contexte d’un projet de loi dont l’objectif est la transparence, des lois pénales ne sont pas vraiment nécessaires. Nous croyons qu’une approche de dénonciation — dans le cadre de laquelle, si une entreprise n’est pas assez transparente, cette information est publiée et nuit à la réputation de l’entreprise en question — est suffisante pour le moment.

La présidente : Merci.

La sénatrice Omidvar : J’adresse ma question à M. Smith. Je vous remercie infiniment d’être parmi nous aujourd’hui. J’ai noté avec un certain intérêt que vous avez mentionné la LMTSE, la Loi sur les mesures dans le secteur extractif.

M. Smith : La Loi sur les mesures de transparence dans le secteur extractif.

La sénatrice Omidvar : J’apprends chaque jour un nouvel acronyme sur la Colline du Parlement. Je pense que vous avez dit que cette loi avait été adoptée en 2016, si je ne m’abuse.

M. Smith : Oui.

La sénatrice Omidvar : Nous sommes donc maintenant huit ans plus tard. Et l’aspiration du projet de loi est assez semblable à celle de la LMTSE. Y a-t-il quelque chose que vous avez observé ou appris à propos de la LMTSE, au cours de ces huit dernières années, qui pourrait ou devrait être pris en considération dans le cadre de l’examen de la mesure législative?

M. Smith : Oui. Pour que les choses soient claires, je précise que le projet de loi a été adopté en 2014 et qu’il est entré en vigueur en 2017. Je pense qu’en soi, ce délai — M. Chalmers a souligné cette période de sensibilisation et de conformité — a permis à la loi d’être couronnée de succès sur le plan de la conformité. Je pense que ce que nous aimerions vraiment réaffirmer, c’est la souplesse de la LMTSE en matière de rapport.

J’ai expliqué dans ma déclaration préliminaire la façon dont le ministre des Ressources naturelles a le pouvoir de déterminer si une entreprise qui déclare des données a déclaré des données similaires pour répondre aux exigences d’une autre administration ou d’une autre norme, qui est considérée comme équivalente. Cela a permis aux entreprises de réduire le fardeau qui pèse sur elles; cela a rendu le processus plus efficace. Pour ce qui est de la participation dont nous avons connaissance, je pense qu’elle a vraiment contribué à l’atteinte de l’objectif de la loi. C’est un élément clé sur lequel nous aimerions attirer l’attention des sénateurs, et au cours de nos observations, nous avons précisé pour vous le paragraphe de la LMTSE ayant trait aux rapports que nous aimerions que vous examiniez de plus près.

La sénatrice Omidvar : Merci. Ma question est destinée au greffier du comité. Je suppose que nous pouvons lire cette information dans les bleus. Je retire donc mon observation.

M. Smith : Il s’agit du paragraphe 10(1).

La sénatrice Bernard : Je vous remercie, messieurs, de vous être joints à nous ce soir.

J’ai une question à poser à M. Harvey, qui représente la Chambre de commerce du Canada. Vous avez mentionné au cours de vos observations, et de nouveau dans votre réponse à une question, la stratégie de la dénonciation par opposition à la responsabilité pénale.

Nous aimons prendre des décisions fondées sur des données probantes. Je me demande si vous pourriez nous fournir des preuves ou des exemples de l’efficacité de la dénonciation dans un contexte semblable à ce que nous espérons réaliser à l’aide de ce projet de loi.

M. Harvey : J’ai trouvé la meilleure réponse à cette question, madame la sénatrice. Je pense que l’objectif du projet de loi est l’atteinte de la transparence. Et je crois que, dans le contexte d’une recherche de la transparence, la meilleure chose à faire est d’accompagner, d’aider et d’inciter les entreprises qui ont besoin d’exercer leurs activités et qui se situent dans ce niveau moyen que la sénatrice Miville-Dechêne a mentionné. La meilleure façon de le faire consiste à indiquer les endroits problématiques dans les rapports. Par la suite, cette information aidera ces entreprises.

Je pense que, dans un contexte où le seuil est à un certain niveau et où, en même temps, des sanctions pénales sont imposées en cas d’erreur, les gens ont tendance à avoir recours aux services d’un avocat plutôt qu’à travailler de manière transparente en vue de s’améliorer. Et j’estime que nous obtiendrions les meilleurs résultats qui soient en matière d’amélioration de la transparence du travail dans les chaînes d’approvisionnement, en encourageant la création de programmes d’aide et en incitant les entreprises à s’améliorer. Je crois vous constateriez que la responsabilité pénale ne serait pas d’un grand secours, mais je ne sais pas si je peux citer des statistiques pour le prouver. J’en suis désolé.

La sénatrice Bernard : Je ne cherchais pas tant des statistiques que des exemples — peut-être même issus d’autres secteurs — où cette approche a été efficace.

M. Harvey : Je vais vous faire part d’un peu de mon expérience personnelle. J’ai travaillé pendant sept ans pour une société aurifère canadienne appelée Goldcorp. Je travaillais dans notre exploitation au Mexique. Je faisais partie de ceux qui appliquaient les normes d’entreprise sur le terrain, en veillant à ce que ces normes soient celles élaborées à Vancouver — et ces normes d’entreprise étaient fondées sur différents éléments. Elles découlaient des lois qui étaient obligatoires et qui étaient ensuite transformées en procédures opérationnelles. Elles provenaient d’engagements pris par l’entreprise dans le cadre d’accords non obligatoires, tels que le programme Vers le développement minier durable, qui était un élément clé de ce que nous mettions en œuvre. Au nombre des autres éléments, on retrouvait des normes internes comme des codes d’éthique internes. Nous avons utilisé tous ces engagements que nous avions pris envers nous-mêmes ou envers des associations industrielles, ou que nous étions obligés de prendre pour respecter la loi, et nous les avons transformés en procédures opérationnelles.

Ce qui importait, c’était le travail sur le terrain, et non de savoir exactement d’où provenait la demande. En outre, la situation était parfois difficile lorsqu’il s’agissait de réglementation, dans la mesure où, tout à coup, cela devenait davantage une question juridique qu’une question de transparence et de collaboration avec les autorités pour faire avancer ce que nous tentions d’approuver.

Lorsque vous commencez à parler d’aspects liés au droit pénal, par exemple, il devient beaucoup plus difficile de discuter ouvertement avec les autorités des efforts que vous déployez pour améliorer une situation. J’espère que cette réponse vous aidera.

La présidente : Madame la sénatrice, est-ce que cela répond à votre question?

La sénatrice Bernard : Oui, merci.

La sénatrice Miville-Dechêne : Monsieur Harvey, j’aimerais simplement dire que mon projet de loi prévoit des sanctions pénales pour les entreprises qui ne font pas de rapports, pas pour celles qui commettent une erreur, pour les entreprises qui ne font pas de rapports ou qui transmettent sciemment de faux renseignements. Voilà le seuil. Vous n’êtes pas punis en raison d’une erreur. Vous êtes punis pour des choses beaucoup plus importantes.

Pour revenir à la question de la sénatrice Bernard, j’aimerais vous demander si vous êtes au courant que la Modern Slavery Act du Royaume-Uni est une loi qui ne fait que « nommer et dénoncer ». Elle ne prévoit aucune pénalité. Saviez-vous que seul le tiers des entreprises qui devraient faire un rapport — en fait, c’est maintenant deux tiers des entreprises qui déposent un rapport complet — et un tiers des entreprises ne le font toujours pas sept ans après? Quelle en est la raison? La seule exigence est de « nommer et dénoncer ». Le fait de « nommer et dénoncer » a ses limites, car, malheureusement, certaines entreprises n’agissent que lorsqu’il y a des sanctions. Étiez-vous au fait que l’expérience du Royaume-Uni, qui fait uniquement « nommer et dénoncer », comporte de nombreuses lacunes et se révèle être plutôt inefficace en raison de l’absence de sanctions et en raison surtout du faible nombre d’entreprises qui font un rapport, qui est très peu?

M. Harvey : Oui, je vois, madame la sénatrice. Cependant, le Royaume-Uni n’a pas une interdiction claire comme le Canada visant l’importation de biens issus du travail forcé. Je pense que dans un pays comme le Canada, les entreprises qui ne déposaient pas de rapport et devenaient plus connues de l’ASFC constateraient assez rapidement que leurs cargaisons seraient bloquées beaucoup plus souvent, donc je ne crois pas que le même problème se poserait.

La présidente : Merci. Madame la sénatrice, est-ce que cela répond à votre question?

La sénatrice Miville-Dechêne : Pas tout à fait, mais c’est votre réponse. S’il reste du temps peut-être...

La présidente : J’aimerais poser quelques questions très rapidement. Je reviendrai à vous. Je pense que nous disposerons d’assez de temps.

Le ministère des Ressources naturelles est touché par la LMTSE, si bien que ma question pour vous, monsieur Smith, est la suivante : quels sont les autres ministères et, s’il y a lieu, sont-ils touchés par le projet de loi S-211?

M. Chalmers : Je peux tenter d’y répondre, si vous êtes d’accord. Le seul ministère touché par la LMTSE est Ressources naturelles Canada. La loi s’applique seulement aux sociétés minières, pétrolières et gazières, ce qui relève entièrement du ministre des Ressources naturelles. Nous nous attendrions assurément à ce que notre industrie soit visée par ce projet de loi, donc j’estime que Ressources naturelles Canada aurait un rôle à jouer. La sénatrice s’est beaucoup inspirée de la LMTSE pour ce projet de loi. Par conséquent, tout porte à croire que d’autres ministères qui devront assurer sa mise en œuvre pourront tirer des leçons de Ressources naturelles Canada puisque ce ministère aura œuvré dans un contexte semblable assorti d’exigences qui ressemblent à ce que ce projet de loi imposerait.

La présidente : Ma prochaine question s’adresse à M. Smith ou à M. Chalmers. Le paragraphe 11(3) énonce les renseignements obligatoires qu’une entreprise devrait inclure dans son rapport annuel, y compris les renseignements relatifs à sa structure, ses activités et ses chaînes d’approvisionnement. Quel genre de renseignements sur la structure ou les activités d’une entreprise pourraient être délicats ou difficiles à divulguer?

M. Chalmers : Nous avons du mal à répondre à cette question compte tenu de la nature de nos activités qui est très différente des autres secteurs qui seraient visés par cette loi. En général, les mines canadiennes exportent des métaux et des minéraux. Nous n’importons pas dans une même mesure. Les mines canadiennes à l’étranger auraient à divulguer et à s’assurer de faire rapport en toute diligence raisonnable de l’absence de travail forcé ou d’esclavage moderne dans le cadre de ses activités à l’étranger. Notre cas serait probablement particulier quant à la façon d’appliquer la loi par rapport aux autres secteurs.

Nous n’avons toutefois pas vu de difficultés avec les types de renseignements qui sont requis en vertu de la LMTSE quant aux données générales des entreprises.

La présidente : Vous dites que votre cas est « particulier ». Pourriez-vous m’expliquer ce que vous entendez par là?

M. Chalmers : M. Harvey a beaucoup parlé des tarifs douaniers et de la façon dont les entreprises sont appelées à évaluer leurs chaînes d’approvisionnement pour les biens importés au Canada. Les entreprises minières au Canada devraient incontestablement évaluer les biens et services provenant d’autres pays, mais nos activités sont principalement axées sur les exportations. Lorsque nos activités se trouvent dans des lieux où le risque d’esclavage moderne est plus grand, nous n’y produisons pas de biens pour les ramener au Canada. Nous faisons l’extraction de métaux et de minéraux pour les vendre sur le marché libre.

Nos entreprises qui sont propriétaires d’exploitations minières à l’étranger doivent faire preuve de diligence raisonnable ou, devrais-je dire, prennent leurs propres mesures de diligence raisonnable relativement à ces activités, ce qui est légèrement différent d’assurer la diligence raisonnable des chaînes d’approvisionnement des marchandises qui entrent au Canada.

La présidente : Merci. Monsieur Harvey, souhaitez-vous répondre à cette question?

M. Harvey : M. Chalmers a résumé la situation du secteur minier. C’est beaucoup plus difficile pour ceux qui importent des marchandises, et cela dépend jusqu’où la chose s’étend dans les chaînes d’approvisionnement. Dans le secteur minier, vous contrôlez votre propre mine, mais lorsque vous achetez des biens, vous les achetez de quelqu’un qui contrôle l’exploitation, et c’est tout à fait différent. Je reviens sur ce que j’ai dit plus tôt, à savoir qu’un grand nombre d’entreprises auraient besoin de l’aide du gouvernement canadien étant donné qu’il détient des informations provenant de sources diplomatiques, du renseignement et des services de police qui ont tous, très souvent, des connaissances sur ces pays d’où proviennent les marchandises. Ces connaissances devraient être mises à profit afin que les entreprises canadiennes qui font de l’importation puissent mieux comprendre les risques lorsqu’elles font des achats dans certaines régions.

Souvent, une fois que vous savez qu’une région comporte plus de risques, vous savez aussi que l’obligation de faire preuve de diligence raisonnable est accrue. La majorité des entreprises font preuve de diligence raisonnable pour repérer les risques à leur chaîne d’approvisionnement. Vous commencez par évaluer si la région en est une à risque élevé. Si vous achetez des biens de la Nouvelle-Écosse, là où j’ai grandi, les risques sont faibles, mais quand vous achetez de certains pays, le risque est très élevé et, par conséquent, le niveau de diligence raisonnable doit l’être aussi. Voilà pourquoi je dis qu’il faut vraiment que le gouvernement canadien travaille de concert avec les entreprises en vue d’améliorer la situation.

La présidente : Merci, monsieur Harvey.

M. Smith : Je pense qu’en tant qu’association, nous nous attardons plutôt à veiller à bien faire les choses. Lors de l’élection, nous avons vu la plateforme du gouvernement. Ce dernier s’était engagé à agir cependant, et certains pensent qu’il a agi trop rapidement. Nous sommes au fait qu’en général, tous les pays se dirigent vers une plus grande transparence dans ces secteurs. À mon avis, et comme nous l’avons indiqué dans notre déclaration liminaire, nous nous concentrons sur l’aspect fonctionnel. Nous mettons à profit l’expérience acquise avec la LMTSE et grâce à notre programme intitulé Vers le développement minier durable. Nous sommes prêts à collaborer et nous aimerions vous rencontrer individuellement pour travailler sur les aspects pratiques afin de bien faire les choses. Voilà notre objectif.

La présidente : Merci, monsieur Smith.

La sénatrice Miville-Dechêne : J’aimerais dire quelque chose à M. Smith.

[Français]

Monsieur Smith, j’ai compris et entendu ce que vous avez dit sur la question des délais pour faire des rapports. Je comprends que c’est une question sensible et difficile. Il n’y a pas de réponse facile, parce qu’il y a des avantages à avoir une date fixe. Cependant, il y a aussi des désavantages, et vous les avez montrés, c’est-à-dire que cela donne moins de temps à certaines compagnies pour faire enquête. J’ai compris cela. Discutons de l’autre question maintenant.

[Traduction]

Vous vous demandiez pourquoi à l’article 2, à la définition « travail des enfants », nous faisons référence aux services qui sont fournis ou « offerts ». Vous dites ne pas saisir pourquoi le terme « offert » est employé. Je ferai une recherche plus approfondie, mais je dirais que cela signifie qu’un enfant peut offrir ses services à une entreprise. Cependant, l’entreprise ne serait pas tenue responsable si la personne n’est pas embauchée puisque le projet de loi porte sur les organismes. Il ne s’agit pas de travail d’enfants. Même si un fournisseur ou un enfant frappe à la porte d’une entreprise pour faire une demande d’emploi, la démarche ne met pas l’entreprise en péril, si c’est ce que vous pensiez. Je me rends compte qu’il y a un manque de précision, alors j’examinerai la question.

M. Smith : Merci, madame la sénatrice. J’estime que c’est — sans trop le souligner — une question de détail, mais c’est quelque chose qui peut se préciser dans le projet de loi plutôt que d’attendre aux règlements. Nous préférons le faire maintenant, n’est-ce pas?

La sénatrice Miville-Dechêne : Comme vous le savez, les lois qui portent sur la transparence sont moins contraignantes et visent plutôt à rehausser la sensibilisation. Préférez-vous une loi portant sur la diligence raisonnable pour le moment?

Je devrais peut-être préciser. La diligence raisonnable — une entreprise pourrait faire l’objet d’une poursuite devant un tribunal canadien si elle a recours à des esclaves et n’a pas fait preuve de diligence raisonnable. Les lois en France et dans les Pays-Bas vont en ce sens.

M. Harvey : Au Canada, si j’ai bien compris ce qu’a déclaré la Cour suprême dans l’affaire Nevsun, vous pouvez être poursuivi devant un tribunal canadien. C’est bien sûr un arrêt de la Cour suprême, et j’imagine que les étudiants en droit se pencheront sur la question encore longtemps.

La sénatrice Miville-Dechêne : Tout à fait. La question n’est pas simple. Elle n’est pas immuable, selon moi.

M. Harvey : J’aimerais insister sur le fait que nous avons déjà des lois au Canada qui interdisent l’importation de marchandises issues du travail forcé. Le Canada et les États-Unis sont les deux seuls pays avec de telles lois.

Pour répondre à votre question à savoir si nous préférons une loi comme celle que vous proposez ou une qui met l’accent sur la diligence raisonnable, nous préférons celle que vous proposez. Nous estimons que c’est une meilleure approche, mais nous sommes dans un contexte où une loi existait déjà. Au Canada, il est interdit d’importer des marchandises issues du travail forcé. Comme nous l’avons dit, c’est assez récent, alors il faudra déterminer la mise en œuvre plus en détail. Par conséquent, je répète que nous aimerions la plus grande aide possible du gouvernement dans le but d’aider les entreprises à améliorer leurs normes.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

La présidente : Puisque je ne vois plus de sénateurs ayant la main levée, je pense que nous allons conclure la réunion.

Messieurs, je tiens à remercier chacun d’entre vous d’avoir pris le temps de participer à la réunion. Si vous voulez ajouter quelque chose à votre témoignage, vous pouvez nous l’envoyer par écrit. Merci de nous avoir consacré du temps.

(La séance est levée.)

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