LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 21 mars 2022
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 17 h 2 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-211, Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes.
La sénatrice Salma Ataullahjan(présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir. Je suis la sénatrice Salma Ataullahjan, de Toronto, et la présidente de ce comité. Nous tenons aujourd’hui notre troisième réunion sur le projet de loi S-211, Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement et modifiant le Tarif des douanes.
J’aimerais vous présenter notre premier groupe de témoins. Nous accueillons Jason McLinton, vice-président, Division alimentation et Affaires réglementaires du Conseil canadien du commerce de détail. Nous recevons également Jennie Coleman, présidente d’Equifruit, et Me Stephen Pike, avocat chez Gowling WLG.
[Français]
Jason McLinton, vice-président, Division alimentation et Affaires réglementaires, Conseil canadien du commerce de détail :
Je remercie les membres du comité de l’occasion qui m’est offerte aujourd’hui de discuter avec vous du projet de loi S-211.
Permettez-moi de vous faire une présentation rapide du Conseil canadien du commerce de détail.
Le commerce de détail est le plus important employeur privé au Canada; plus de 2 millions de Canadiens travaillent dans notre industrie. Reconnu comme étant la voix des détaillants au Canada, le CCCD représente plus de 45 000 commerces de tous les genres, notamment des grands magasins, des magasins spécialisés, des magasins au rabais, des commerces indépendants, des boutiques en ligne et des détaillants en alimentation.
[Traduction]
Les détaillants appuient l’objectif du projet de loi S-211, à savoir lutter contre le travail forcé et le travail des enfants et veiller à ce que les chaînes d’approvisionnement canadiennes ne contribuent pas à ces violations des droits de la personne dans le monde. Les lois sur la transparence des chaînes d’approvisionnement sont un outil stratégique relativement nouveau destiné à promouvoir la conduite responsable des entreprises dans ce domaine. Le Canada envisage d’édicter une loi pour s’attaquer à ce problème, et le CCCD appuie l’approche proposée dans le projet de loi S-211, qui servira de fondement législatif pour permettre au Canada de poursuivre ses efforts à mesure qu’il gagnera de l’expérience.
Les détaillants canadiens sont résolus à s’approvisionner de manière responsable et ils se sont engagés à s’améliorer continuellement. Ils prennent donc des mesures pour prévenir des violations des droits de la personne et réduire les risques à cet égard à toutes les étapes de leurs activités. Cela représente un défi. Les chaînes d’approvisionnement mondiales sont complexes; c’est le moins que l’on puisse dire. La visibilité d’un détaillant au sein de sa chaîne d’approvisionnement varie en fonction de son modèle d’affaires, notamment s’il vend des produits de sa propre marque ou s’il vend d’autres marques et produits achetés par l’entremise d’importateurs et de distributeurs.
Nous reconnaissons le dévouement et l’esprit de collaboration avec lesquels la sénatrice Miville-Dechêne a élaboré le projet de loi, y compris plusieurs amendements importants à la version précédente de cette mesure législative. Le CCCD appuie en particulier les nouvelles dispositions obligeant le gouvernement à faire rapport lui aussi.
Nos recommandations visent à favoriser le respect des dispositions de la loi et à faire en sorte qu’elles soient appliquées efficacement par les détaillants qui ont des activités au Canada.
Premièrement, en ce qui concerne le contenu du rapport, le CCCD convient que les éléments clés devant figurer dans le rapport devraient être énoncés dans la loi et que ces exigences devraient comporter l’obligation pour les entités de communiquer l’information concernant leurs pratiques d’approvisionnement. La partie du projet de loi qui porte sur le contenu des rapports devrait préciser clairement que la description de la structure d’une entreprise devrait être une description générale et qu’elle n’a pas à contenir des renseignements confidentiels ou qui risquent de nuire à la compétitivité. Une modification des exigences en matière de rapport sur les risques, les problèmes relevés et les mesures prises pour y remédier devrait être prescrite par le règlement plutôt que dans la loi. Il sera essentiel de s’assurer que les exigences en matière de rapport tiennent compte des entreprises qui se sont dotées de solides programmes de conformité. Une entreprise qui relève un problème et prend des mesures pour y remédier démontre qu’elle a mis en place des politiques efficaces et qu’elle s’efforce de respecter la loi. Il sera également important que les exigences en matière de rapport tiennent compte des étapes dans la chaîne d’approvisionnement où il est plus facile d’exercer un contrôle.
Deuxièmement, la loi devrait d’abord se concentrer sur les grandes entreprises. C’est particulièrement important, car les entreprises sont aux prises avec des difficultés sans précédent touchant les chaînes d’approvisionnement et elles sont occupées à se remettre de la pandémie de COVID-19 et à faire face aux phénomènes météorologiques extrêmes et aux régions troublées dans le monde. C’est pourquoi le CCCD recommande que la loi s’applique aux entreprises ayant des revenus d’au moins 80 millions de dollars, ce qui correspond davantage à ce qu’ont fait le Royaume-Uni et l’Australie. En outre, nous recommandons de modifier la définition du mot « entité » pour préciser que la loi s’applique aux franchiseurs et non à chaque franchisé et que ce sont les franchiseurs qui doivent faire rapport, afin d’exclure clairement les fournisseurs de services de logistique et de transport. Il faut aussi inclure une autorité réglementaire chargée d’apporter des précisions à cet égard au besoin.
En ce qui a trait à la conformité, le CCCD recommande d’adopter une approche axée d’abord sur l’éducation, ce qui cadre bien avec l’esprit et l’intention de la loi. Les sanctions devraient viser les cas de non-conformité délibérée ou de communication intentionnelle de faux renseignements. Pour ce qui est de l’échéancier concernant la mise en œuvre, le CCCD recommande que la période d’entrée en vigueur soit établie dans le règlement et que l’industrie bénéficie d’au moins deux ans pour mettre en œuvre les mesures prescrites par la loi, afin que le gouvernement dispose de suffisamment de temps pour élaborer des documents d’orientation et que les entités aient également assez de temps pour se préparer.
En dernier lieu, il sera essentiel que le gouvernement prenne des mesures complémentaires, notamment fournir des ressources à l’industrie, telles que des analyses spécifiques à chaque pays et un répertoire des usines ou des fournisseurs qui ont recours au travail forcé ou au travail des enfants. En terminant, je dirai que les membres du CCCD appuient fortement l’objectif global du projet de loi et favorisent une collaboration accrue pour lutter contre ces problèmes complexes.
[Français]
C’est avec plaisir que je répondrai maintenant à vos questions.
[Traduction]
Me Stephen Pike, avocat, Gowling WLG (Canada) s.r.l., à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. C’est un honneur pour moi d’avoir l’occasion de m’adresser à vous cet après-midi au sujet du projet de loi S-211, Loi édictant la Loi sur la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement. Mon témoignage d’aujourd’hui représente mon propre point de vue, et je m’exprime aujourd’hui à titre personnel et non en tant que représentant de mon cabinet d’avocats, de mes clients ou d’une tierce partie.
Je travaille comme avocat commercial à Toronto et je conseille des clients principalement dans le secteur des produits de consommation, des clients dont le siège social de leur entreprise se trouve au Canada, aux États-Unis, en Europe ou en Asie. J’ai travaillé pendant de nombreuses années sur des questions relatives au travail forcé et au travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement. J’ai notamment conseillé des clients, j’ai écrit sur ces questions et j’ai pris la parole et fait des exposés à l’intention d’entreprises et d’organisations commerciales et juridiques sur ces enjeux.
À mon avis, il y a trois facteurs essentiels qui justifient que le Sénat aille de l’avant avec le projet de loi S-211 : l’urgence, le progrès et l’occasion à saisir. Permettez-moi de vous parler brièvement de ces trois facteurs.
Il y a deux aspects liés à l’urgence d’aller de l’avant avec le projet de loi S-211. Premièrement, il y a l’écart qui ne cesse de se creuser entre les lois canadiennes et celles d’un grand nombre de nos principaux partenaires commerciaux. En effet, nos partenaires commerciaux ont adopté des lois obligeant les entreprises à faire rapport des risques de violations des droits de la personne dans leurs chaînes d’approvisionnement et des lois exigeant que les entreprises fassent preuve de diligence raisonnable en matière de droits de la personne, mais le Canada n’a toujours pas adopté de lois de ce genre. Nos efforts laissent à désirer, et la nouvelle directive proposée par l’Union européenne risque de nous laisser encore plus loin derrière.
Le deuxième aspect lié à l’urgence est l’exploitation continue et croissante de millions d’adultes et d’enfants partout sur la planète qui sont victimes du travail forcé.
Tristement, l’an dernier, l’Organisation internationale du travail et l’UNICEF ont publié un rapport révélant que le nombre d’enfants victimes du travail forcé est passé à 160 millions, ce qui représente une augmentation de 8,4 millions d’enfants sur quatre ans. Cela équivaut à presque la totalité de la population du Québec. Nous ne pouvons plus nous permettre d’attendre pour agir.
Le deuxième facteur est le progrès. Vu l’urgence de la situation, le temps est venu d’agir maintenant et de réaliser des progrès. À mon avis, le projet de loi S-211 constitue un premier pas raisonnable, approprié et évolutif. Il a recours à des rapports sur la transparence des chaînes d’approvisionnement pour attirer l’attention sur ces enjeux cruciaux et catalyser l’action pour lutter contre ces violations des droits de la personne. Étant donné l’urgence de progresser dans cette lutte et l’attrait suscité par le projet de loi S-211, je crois que le Sénat peut reconnaître que cette mesure législative constitue un premier pas adéquat pour le Canada.
Bien que d’autres options existent, notamment l’adoption d’une loi obligeant les entreprises à faire preuve de diligence raisonnable en matière de droits de la personne, rejeter le présent projet de loi pour en élaborer un nouveau — pour de nombreuses raisons — pourrait faire en sorte qu’il s’écoule encore bien des années avant que ce nouveau projet de loi indispensable soit adopté, car nous savons qu’il a fallu des années avant qu’un projet de loi sur le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement franchisse autant d’étapes dans le processus parlementaire. Il est certain que le projet de loi S-211, en tant que premier pas, constituera un fondement solide pour toute autre mesure législative ou réglementaire.
Le troisième facteur est l’occasion à saisir. Comme le titre du projet de loi S-211 le dit bien, il s’agit de lutter contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement. Toutefois, l’adoption de cette mesure législative et l’obligation qu’auront les entreprises canadiennes de présenter des rapports annuels ne mettront pas un terme à cette lutte; ce n’est que le début.
Selon moi, le projet de loi S-211 cadre très bien avec les exigences croissantes des investisseurs, des prêteurs, des consommateurs et d’autres parties prenantes envers les entreprises en matière de rapports sur les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance et de transparence accrue sur les risques relatifs à ces facteurs et sur la façon dont ils sont gérés, notamment la surveillance de la gestion de ces risques par les conseils d’administration.
Le déploiement et l’utilisation par les investisseurs, les prêteurs, les consommateurs et d’autres parties prenantes de l’information figurant dans les rapports annuels devant être publiés et déposés en vertu du projet de loi S-211 ont l’énorme potentiel de susciter des changements positifs au sein des entreprises canadiennes et, nous l’espérons, chez les personnes victimes du travail forcé et du travail des enfants à l’autre bout de tant de chaînes d’approvisionnement.
Permettez-moi de conclure en déclarant bien humblement qu’il est temps de saisir l’occasion de réaliser des progrès relativement à ces enjeux urgents. Je vous remercie.
La présidente : Merci. Madame Coleman, la parole est à vous.
[Français]
Jennie Coleman, présidente, Equifruit : Honorables sénateurs et sénatrices, je vous remercie beaucoup de cette occasion de partager avec vous l’histoire d’Equifruit, de vous sensibiliser aux enjeux auxquels nous faisons face et qui existent dans notre industrie et d’exprimer notre soutien au projet de loi S-211.
[Traduction]
Je suis la présidente d’Equifruit, un importateur et distributeur canadien de fruits équitables, principalement des bananes.
L’industrie de la banane en Amérique du Nord est dominée par des acteurs présents depuis plus d’un siècle, dont le modèle d’affaires à leurs débuts consistait à payer trois fois rien pour les terres, souvent grâce à des machinations politiques, et à verser des sommes dérisoires aux employés chargés de produire un fruit qui allait se vendre moins cher que les autres et devenir ainsi plus populaire que la pomme, le fruit le plus consommé à l’époque. Ces acteurs ont réussi leur pari, et, à ce jour, les Canadiens consomment 15 kilos de bananes par personne chaque année. Cette consommation dépasse de loin celle de la pauvre pomme, qui occupe le deuxième rang avec 10 kilos par personne chaque année.
Les bananes sont également le fruit le moins cher de notre panier d’épicerie. Selon Statistique Canada, le prix de détail moyen en février s’élevait à 74 ¢ la livre, ce qui équivaut à environ le tiers du prix d’une livre de pommes.
Je dois dire que le monde n’avait pas besoin d’une autre entreprise dans l’industrie de la banane pour répondre à la demande pour ce fruit économique. Equifruit a pour objectif de changer l’industrie de la banane en misant sur une répartition de la valeur plus équitable au sein de la chaîne d’approvisionnement, particulièrement au tout début de la chaîne, où les petits producteurs et les travailleurs dans les plantations vivent de façon précaire et dans la pauvreté de génération en génération.
Chez Equifruit, nous sommes payés pour assurer le transport des bananes du point A au point B, mais notre principal défi consiste à changer les mentalités au Canada au sujet des bananes, d’amener les Canadiens à réfléchir sur les endroits où ce fruit est cultivé, par qui il est produit et dans quelles conditions. Cela peut engendrer des conversations difficiles et rendre bien des gens mal à l’aise.
Tous les fruits distribués par Equifruit ont été certifiés par l’organisme Fairtrade International, qui s’est doté de cadres régissant le prix, la prime équitable et la production responsable, qui inclut l’interdiction du travail des enfants et du travail forcé.
Bien que nous soyons ravis que de plus en plus de détaillants et de consommateurs choisissent les fruits d’Equifruit, il reste que les bananes équitables représentent moins de 2 % du marché au Canada. Alors que faire à propos des 98 % restants?
L’idée que les bananes sont un fruit économique est tellement ancrée dans la culture de consommation nord-américaine que les détaillants utilisent souvent les bananes pour façonner la perception du prix des produits vendus dans leurs magasins. Alors que les prix d’autres produits ont augmenté en raison de l’inflation, le prix des bananes est demeuré à l’abri de cette tendance inflationniste. Le prix de détail moyen des bananes en janvier 1995 s’établissait à 62 ¢ la livre. En dollars de 2022, cela représenterait 1,05 $ la livre, et pourtant, nous voyons souvent les bananes vendues à un prix se situant même en dessous du prix de 1995.
Cette situation a des conséquences désastreuses en amont et amène les producteurs à trouver des moyens de réduire les coûts pour faire face à cette insoutenable pression à la baisse qui s’exerce sur les prix. Qui sont les plus vulnérables dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement? Où peut-on tourner facilement les coins ronds pour satisfaire notre demande pour ce fruit économique? On se rend compte que les bananes n’ont pas toutes un goût agréable quand on sait que des adultes et des enfants sont exploités et forcés de travailler dans de mauvaises conditions pour contribuer à combler cet écart entre les très faibles prix de détail et les coûts associés à la production durable — durable économiquement, socialement et environnementalement.
Je vais vous donner quelques exemples. La liste de 2020 des biens issus du travail des enfants ou du travail forcé dressée par le département américain du Travail inclut les bananes. Un rapport publié récemment sur les conditions de travail dans l’industrie de la banane au Guatemala révèle que 85 % de la production a lieu dans des exploitations non syndiquées qui fournissent les principales sociétés productrices de bananes, dont les employés travaillent dans des conditions proches de l’esclavage, à savoir 68 heures en moyenne par semaine à un taux horaire de 1,05 $ en devise américaine.
Il ne s’agit pas d’un travail de bureau. Il s’agit de nombreuses heures de travail physique dans des lieux peu sécuritaires effectuées par des travailleurs qui signalent être souvent victimes de harcèlement verbal et sexuel. Le Canada importe 40 % de ses bananes du Guatemala, et nous nous demandons pourquoi les États-Unis sont aux prises avec une crise migratoire à leur frontière sud.
Il est également bien établi que les travailleurs des plantations de bananes qui migrent d’Haïti vers la République dominicaine, du Nicaragua vers le Costa Rica et du Venezuela vers l’Équateur sont des victimes du travail forcé. Cette situation témoigne bien de leur désir désespéré d’obtenir du travail.
Au lieu de condamner ces pratiques aberrantes dans la chaîne d’approvisionnement ou même de nous demander comment il se fait que les bananes coûtent si peu cher, nous nous réjouissons de ces bas prix.
Une chaîne d’épiceries dans l’Ouest canadien affiche un écriteau dans le rayon des bananes qui se lit comme suit : « Toujours le plus bas prix, c’est garanti. Nous ne pouvons pas garantir que vos enfants ne feront pas le singe, mais nous pouvons garantir que nous offrons les bananes au plus bas prix. » Cette chaîne vend les bananes à 66 ¢ la livre. Une autre chaîne d’épiceries nationale affiche ceci sur d’énormes panneaux dans ses magasins : « Payer trop cher pour des bananes, c’est de la folie. » Son prix s’établit à 56 ¢ la livre.
La banane est un produit qui permet de parler facilement des chaînes d’approvisionnement, et nous connaissons tous bien ce fruit. Les bananes sont très accessibles, car elles restent essentiellement une matière première entre le moment où elles quittent la plantation jusqu’au moment où vous les mettez dans votre panier d’épicerie. Il n’y a aucune transformation ni aucune recette compliquée à réaliser. Il serait donc facile de dire que tout est très clair et net, mais c’est précisément pour cette raison qu’Equifruit appuie le projet de loi S-211, c’est-à-dire que ce que nous voyons témoigne seulement d’une partie de la situation.
Les bas prix devraient nous alerter sur le fait qu’il y a quelque chose qui cloche. Si cela ne nous alerte pas, alors un cadre de production de rapports, comme celui proposé dans le projet de loi, constitue un excellent point de départ pour amener les entreprises canadiennes à creuser davantage, à poser des questions et à procéder à des changements au sein de leur chaîne d’approvisionnement. J’ose espérer qu’ensemble nous parviendrons à faire en sorte que les enfants ne fassent pas partie de ces chaînes d’approvisionnement et qu’ils puissent plutôt s’amuser à faire ce qu’ils font le mieux : faire le singe.
La présidente : Je remercie tous les témoins pour leurs déclarations liminaires, pour leur présence et pour leur contribution à l’avancement de notre étude.
J’aimerais rappeler à tous les sénateurs, avant que nous passions aux questions, que vous disposez de cinq minutes, comme c’est le cas habituellement. Ce temps englobe les questions et les réponses. Je pense que nous connaissons tous bien l’application Zoom. Nous l’utilisons depuis deux ans, alors vous savez comment procéder pour lever la main, afin de pouvoir prendre la parole lorsque je vous nommerai.
La parole est d’abord à la vice-présidente.
La sénatrice Bernard : Permettez-moi de remercier chacun des témoins. J’ai une question pour chacun de vous. Je ne sais pas si je serai en mesure de poser toutes mes questions durant le temps qui m’est imparti. Si ce n’est pas possible, je continuerai lors du deuxième tour.
Je vais d’abord m’adresser à vous, madame Coleman. Je vous remercie pour votre témoignage très convaincant. Outre le travail forcé et le travail des enfants, quels autres facteurs sociaux et environnementaux examinez-vous dans le cadre de vos activités et comment ceux-ci pourraient-ils avoir une incidence sur certains des faits que vous avez exposés?
Mme Coleman : Je vous remercie pour votre question. Equifruit se conforme aux paramètres ou aux cadres régissant notre certification accordée par Fairtrade International. Je ne peux pas parler au nom de Fairtrade, mais je peux vous expliquer comment cela fonctionne. Essentiellement, les acheteurs et les vendeurs ont des responsabilités. Un acheteur comme Equifruit doit respecter le prix minimum établi par Fairtrade. Il s’agit d’un prix qui a été fixé conjointement avec les producteurs pour tenir compte du coût associé à la production durable.
Par ailleurs, nous contribuons à la prime équitable Fairtrade. Il s’agit d’un montant supplémentaire que nous versons et qui est destiné aux coopératives ou aux travailleurs dans les plantations où nous nous approvisionnons. Ce montant est investi dans des projets de développement communautaire ou, dans le cas des coopératives de petits producteurs, il est utilisé pour améliorer les infrastructures ou renforcer les capacités.
Le prix est fondé sur une entente selon laquelle les producteurs respectent des normes économiques, sociales et environnementales. Dans le cas des normes économiques, on peut penser notamment à l’officialisation de l’emploi. Il est extrêmement facile d’avoir recours au travail forcé lorsque les employés d’une plantation ne disposent pas d’un contrat par écrit qui correspond au travail à accomplir qui est relié à l’exploitation de la plantation.
Quand vous n’êtes pas dans l’économie officielle, le propriétaire de la ferme peut vous donner le salaire qu’il veut. Selon les règles de Fairtrade, par exemple, chaque travailleur aurait besoin d’un contrat écrit assorti de conditions de travail, d’heures et d’un salaire qui correspondraient à ce qu’on pouvait facilement obtenir dans le bureau de l’administration de la ferme. C’est un exemple de viabilité économique.
Nous avons donc parlé de l’interdiction du travail des enfants et du travail forcé. Il y a aussi des règles liées à l’égalité des sexes ainsi qu’à la santé et à la sécurité au travail. Selon les règles environnementales, Fairtrade n’est pas une certification biologique. La production biologique et la production conventionnelle sont toutes les deux concernées. La majorité des importations d’Equifruit sont biologiques, mais nous avons aussi des bananes Fairtrade provenant de la production conventionnelle. Il y a toutefois une liste de pesticides et de matières dangereuses qui établit comment la production peut se faire — lesquels sur la liste rouge ne peuvent servir en aucune circonstance, lesquels peuvent servir dans des circonstances très limitées —, ce qui devient également dans ce cas une question liée à la santé et à la sécurité des travailleurs.
L’un des problèmes dans la production à grande échelle de bananes est le manque de protection des travailleurs par rapport à l’utilisation de pesticides. C’est bien documenté. On n’a qu’à chercher « bananes » et « pesticides » dans Google pour comprendre qu’il y a des conséquences vraiment terribles sur la santé des travailleurs. Fairtrade ne veut donc pas que nous achetions au moyen de ce cadre des bananes qui ont rendu quelqu’un malade.
Je pourrais parler toute la nuit du cadre de Fairtrade, mais je pense que cela vous donne une petite idée.
La sénatrice Bernard : Merci.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci pour votre témoignage. Je vais poser ma première question à M. McLinton.
Vous avez dit que les mesures prises pour remédier à toutes formes de travail forcé et de travail des enfants, ce qui figure dans le projet de loi que je parraine, n’apparaissent pas dans la loi britannique ou la loi australienne.
Cela me surprend un peu, car la loi australienne dit que l’entité comptable doit produire des rapports en suivant un processus de diligence raisonnable et de mesures correctives. Qu’est-ce qui explique la différence entre votre interprétation de mon projet de loi et mon interprétation de la mesure législative australienne?
M. McLinton : Merci de poser la question, madame la sénatrice. Je devrais probablement préciser que c’est le résultat, pas l’intention. Je ne crois pas que c’est absent d’une ou l’autre des mesures législatives, pour lesquelles je ne suis pas l’expert.
Ce que nous proposons, c’est que ces éléments du rapport soient établis par règlement puisqu’il faudrait en discuter davantage avec l’industrie pour promouvoir l’idée que cerner les risques et prendre des mesures correctives est en fait une bonne chose. Si j’ai donné l’impression que je pensais que cela ne figurait pas dans d’autres mesures législatives, permettez-moi de préciser que ce n’était pas mon intention.
La sénatrice Miville-Dechêne : Pourquoi faudrait-il recourir au règlement? Nous affirmons dans la loi que les mesures prises pour remédier au problème sont importantes. Cela signifie qu’il ne faut pas abandonner les gens qu’on expulse d’une entreprise dans un cas de travail forcé; il faut les aider par la suite. Pourquoi devrions-nous recourir à un règlement pour cela? C’est assez fondamental dans toutes les lois sur la transparence et la lutte pour mettre fin au travail forcé.
M. McLinton : Oui. Je précise que nous appuyons sans réserve l’orientation du projet de loi. Nos membres et moi croyons que d’autres consultations s’imposent puisqu’une perception erronée est possible; on pourrait penser à tort que cerner un risque ou prendre une mesure corrective prouve que quelque chose ne fonctionne pas dans la chaîne d’approvisionnement, alors que c’est en fait le contraire. Cerner les risques est une bonne chose. Les mesures correctives sont une très bonne chose.
Nous pensons qu’il faut poursuivre un peu les consultations auprès de l’industrie pour que le rapport soit conçu de manière à encourager ce type de signalement.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie pour ces précisions.
Maître Pike, des gens d’affaires ont dit que cette loi est trop sévère, qu’un trop grand nombre d’entreprises sont visées, qu’elle ne devrait cibler que les très grandes entreprises et que les exigences en matière de rapports sont compliquées.
Votre travail consiste à conseiller des entreprises, maître Pike, n’est-ce pas?
Me Pike : Merci de poser la question, madame la sénatrice. Il est difficile de prendre position lorsqu’on procède à une généralisation pour l’ensemble des entreprises et des industries, qu’elles soient petites ou grandes. D’autres lois, comme la loi allemande sur la diligence raisonnable des entreprises dans les chaînes d’approvisionnement, prévoient une entrée en vigueur progressive selon la taille de l’entreprise, tandis que l’information que nous voyons ici est certainement très subjective en ce qui a trait à l’endroit où l’entreprise mène ses activités et à sa façon de les mener.
Je ne pense pas que vous pouvez vraiment mettre toutes les entreprises dans le même panier. Je pense que les rapports seront vraiment adaptés à chaque entreprise.
Je vais juste ajouter que j’ai lu au moins un rapport de chaque entreprise canadienne déposé en vertu de la loi de la Californie sur la transparence des chaînes d’approvisionnement, de la loi britannique sur l’esclavage moderne et de la loi australienne sur l’esclavage moderne, et ils sont très différents; ils sont vraiment adaptés à chaque entreprise.
Il est très difficile de simplement convenir que c’est trop dur, trop difficile ou que le niveau de revenus est trop faible ou trop élevé. Merci.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci. Bref, c’est possible.
La sénatrice Boyer : Je remercie les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. Il est vraiment important d’entendre tous vos points de vue. Je ne vais plus jamais manger une banane sans penser à ce que vous avez dit aujourd’hui, madame Coleman. C’est très important.
J’ai une question pour M. McLinton. En passant en revue votre profil sur le site Web du Conseil canadien du commerce de détail, j’ai remarqué qu’on mentionne votre engagement bénévole auprès de l’organisme Initiatives des femmes pour la sécurité environnementale, et je m’intéresse particulièrement à la façon dont votre travail bénévole vous a permis de comprendre les rouages du commerce de détail en ce qui a trait aux femmes. D’après votre compréhension de ce domaine et votre expertise en la matière, quels avantages concrets un système de déclaration annuelle, comme celui proposé dans le projet de loi S-211, pourrait-il avoir pour protéger les entreprises autochtones, notamment celles qui appartiennent à des femmes?
M. McLinton : Merci de poser la question, madame la sénatrice. Honnêtement, je ne m’attendais pas à me faire poser une question sur mon profil. Je vous remercie.
Oui, c’est un sujet qui tient à cœur aux personnes proches de moi et à moi-même. C’est une chose que j’aime faire dans mes temps libres, et c’est très important pour moi.
Je ne sais pas si je suis en mesure de répondre à votre question. Je pourrais parler, par exemple, des répercussions du projet de loi S-211 sur le secteur de la vente au détail dans son ensemble. Par exemple, dans notre cas, c’est la rédaction des rapports proprement dits qui serait nouvelle. Beaucoup de nos membres préparent des rapports sur la responsabilité sociale de l’entreprise, mais il serait nouveau pour eux de préparer les rapports dans ce type de format.
Je pourrais donc en parler de manière générale, mais je ne sais pas si je suis la bonne personne pour parler de quelque chose au-delà du secteur de la vente de détail pris dans son ensemble.
La sénatrice Boyer : Je vois. Vous n’avez donc pas d’objection à aborder une question sexospécifique.
M. McLinton : Je peux parler au nom du secteur de la vente de détail.
La sénatrice Boyer : Bien, merci. Je vous serais reconnaissant de le faire.
M. McLinton : À propos de ce qui serait nouveau en vertu...
La sénatrice Boyer : Oui, en vertu du projet de loi S-211, d’un système de déclaration annuelle...
M. McLinton : Ce serait la rédaction des rapports. Nos membres sont très actifs dans ce domaine, mais ce serait la rédaction des rapports dans ce format et sur ce contenu qui serait nouvelle pour eux.
La sénatrice Boyer : Bien. Merci beaucoup.
La sénatrice Bernard : Ma prochaine question est donc pour Me Pike. Pouvez-vous nous dire comment le projet de loi S-211 se compare aux lois sur la transparence des chaînes d’approvisionnement d’autres pays et, surtout, nous dire quelles leçons d’autres pays pourraient servir à renforcer cette mesure législative?
Me Pike : Merci de poser la question, madame la sénatrice. Je vais vous donner mon point de vue là-dessus.
Un certain nombre d’éléments dans le projet de loi rendent compte d’une position beaucoup plus vaste, comme l’inclusion d’entités du gouvernement fédéral en ce qui a trait aux rapports afin que les secteurs privé et public puissent faire part de ce qu’ils font pour lutter contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement.
De plus, je dirais que l’ajout de l’interdiction du travail des enfants et de l’interdiction de l’importation de biens produits en faisant travailler des enfants ne correspond pas aux autres lois sur la transparence, car on cherche activement à prévenir la circulation de biens dans un pays. C’est plutôt nouveau et très important pour lutter contre le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement.
L’autre chose qui est différente selon moi, c’est aussi la sévérité des peines qui seraient imposées à ceux qui ne déclarent pas des revenus ou ne produisent pas de rapports, ou qui ne respectent pas la loi. C’est une différence importante qui accorde beaucoup de rigueur à la conformité, et les entreprises vont certainement le comprendre.
Je crois que ce sont les trois principales différences par rapport aux autres lois sur la transparence dans les chaînes d’approvisionnement.
La sénatrice Bernard : Merci.
J’ai une question pour M. McLinton. À votre avis, quels seraient les avantages et les inconvénients de la création d’un cadre de déclaration volontaire par les petites entreprises qui ne sont pas assujetties aux exigences en matière de signalement prévues dans ce projet de loi?
M. McLinton : Merci de poser la question, madame la sénatrice.
Les deux dernières années ont été difficiles, comme nous le savons tous, et les détaillants qui mènent des activités au pays ont été soumis à tout ce que nous savons. Certains témoins aujourd’hui ont parlé de l’inflation et de difficultés extrêmes sur les chaînes d’approvisionnement. Quand on pense à se remettre de la COVID-19 de manière générale, mais aussi aux phénomènes météorologiques extrêmes et même à ce qui se produit maintenant, à l’arrêt de travail du Canadien Pacifique, on constate que c’est un environnement très difficile dans lequel mener des activités. Je pense donc que l’approche à adopter pour les petites entreprises consiste à les informer et à les sensibiliser, et je pense que le gouvernement peut jouer un rôle important à cet égard.
À l’heure actuelle, l’un des inconvénients serait qu’il est très difficile de mener des activités au Canada. Nous devons en tenir compte et adopter une approche qui consiste plus à informer et à sensibiliser les PME.
La sénatrice Bernard : Merci.
La sénatrice Hartling : Merci à tous les témoins de s’être joints à nous ce soir. C’est très intéressant. Je vais revenir aux bananes. Merci pour votre exposé. Vous avez déclenché chez moi une grande réflexion à ce sujet.
Je me demande deux choses, madame Coleman, et je pense à toute la question de la publicité et à la façon dont les gens aujourd’hui cherchent les meilleurs prix, car nous savons que les prix montent en flèche à cause de l’inflation. Dans votre entreprise et dans d’autres entreprises, êtes-vous au courant d’activités publicitaires ou de sensibilisation pour aider à informer la population canadienne sur la provenance de ces bananes bon marché?
Ensuite, le projet de loi S-211 aiderait-il à sensibiliser les gens pour qu’ils n’achètent pas de bananes à un prix aussi peu élevé sans savoir d’où elles viennent? La question des bananes a piqué ma curiosité.
Mme Coleman : Merci de poser la question.
On peut se sentir un peu seul. La principale organisation qui attire l’attention sur les bananes, si je puis dire, c’est Equifruit. Nous sommes une petite entreprise. Nous sommes déterminés à changer les choses et à parler d’une voix forte à cette fin, mais aucune autre ONG ou aucun autre groupe de défense ne fait le travail pour nous. En fait, la situation est parfois délicate lorsque nous devons être à la fois groupe de défense et partenaires commerciaux. Il est parfois difficile de participer à une réunion et de dire à un acheteur au détail que ce qu’il fait depuis 30 ou 40 ans est hautement problématique, mais de quand même travailler avec nous, car nous sommes formidables. C’est très délicat.
Dans notre marketing, nous tentons de rendre la question moins tendue. Nous revenons toujours au fait que nous représentons les agriculteurs. Nous voulons qu’ils soient rémunérés équitablement, tout comme les travailleurs dans les plantations. Nous commençons habituellement par une idée farfelue, en disant par exemple que nous sommes la seule banane à regarder des séries en rafale ou la seule banane qui se sert de la technologie 5G. Les gens demandant alors évidemment comment une banane peut se servir de la 5G. Il est ensuite écrit quelque chose comme : « Nous pouvons paniquer à propos des technologies de prochaine génération, mais prenons 30 secondes pour apprendre comment les agriculteurs devraient être rémunérés équitablement; soyons brefs. C’est la seule banane que vous devriez acheter. »
En procédant ainsi, nous espérons que les gens prendront le temps d’en apprendre plus. Pourquoi est-ce la seule banane que l’on doit acheter, et que se passe-t-il? Les agriculteurs ne sont-ils pas rémunérés équitablement? Ce n’est pas évident quand on vend un fruit dont l’étiquette laisse peu d’espace pour transmettre cette information. Ce sont nos bananes biologiques, et nous avons ces messages sur l’attache.
Votre deuxième question visait à savoir si cette mesure législative changera la façon dont les gens achètent des bananes. C’est un très bon départ. Je pense que nous accusons un retard au Canada. Equifruit est le seul membre canadien du Forum mondial de la banane, un groupe d’intervenants de l’industrie qui siège dans un secrétariat de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture à Rome. La plupart des autres membres de pays consommateurs comme le Canada sont européens, et lorsqu’ils apprennent que nous n’avons pas de loi sur l’esclavage moderne, ils sont renversés. Comment est-ce possible lorsque c’est le cas, comme nous en avons discuté, dans de nombreux pays européens?
Cette mesure législative est un premier pas formidable pour nous faire penser différemment à nos chaînes d’approvisionnement et pour demander aux gens, comme je l’ai dit dans mes observations liminaires, à chercher un peu plus pour connaître la provenance de leur fruit.
La sénatrice Hartling : Merci beaucoup.
Mme Coleman : Tout le plaisir est pour moi.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à vous, mesdames et messieurs les témoins, d’être avec nous aujourd’hui. Ce sont vraiment des informations très, très intéressantes. Je vais m’adresser à Mme Coleman.
Votre histoire sur la banane m’a beaucoup touchée personnellement, parce que je suis très attachée à la banane, puisque je viens d’un pays qui est parmi les meilleurs producteurs au monde, soit le Cameroun.
Cela m’a beaucoup touchée. Ce qui m’a surtout touchée, c’est d’apprendre qu’il n’y a que 2 % des bananes qui sont certifiées équitables et biologiques. C’est bien ce que vous avez dit?
Mme Coleman : Oui. Ici au Canada, la part de marché des bananes équitables n’atteint même pas 2 %.
La sénatrice Gerba : Je viens aussi d’un secteur qui utilise beaucoup le commerce équitable et biologique. J’ai beaucoup travaillé avec les femmes productrices de beurre de karité au Burkina Faso. Pour la petite histoire, là où j’étais auparavant, ma compagnie a lancé la première certification de beurre de karité au monde. Ma question est à propos du processus de certification. Pensez-vous que cette loi pourrait exiger que les entreprises obtiennent une certification équitable, ce qui permettrait d’avoir une certaine traçabilité sur le processus d’acquisition des produits, le processus de production même? Si je prends le cas du beurre de karité, nous avons fait une traçabilité à partir de la collecte des noix de karité jusqu’à notre usine de production au Burkina Faso et une certification différente de la production au Burkina Faso jusqu’au Canada. Il s’agit donc d’une traçabilité documentée, et il faut chaque année faire la preuve qu’on utilise toujours la même procédure. Est-ce que vous pensez que ce mécanisme pourrait améliorer cette loi, en ajoutant quelque chose dans la certification qui obligerait les entreprises qui produisent ou qui achètent à rendre des comptes et à tenir à jour leur documentation?
Mme Coleman : Merci de cette question. Bravo pour votre travail avec le beurre de karité. Je suis en pleine admiration. Si j’ai bien compris, ce projet de loi vise justement la transparence dans nos chaînes d’approvisionnement.
Donc, grâce à la certification équitable, nous atteignons une transparence parfaite dans notre chaîne d’approvisionnement. Nous importons des conteneurs de bananes, nous travaillons avec de petits producteurs et des coopératives de petits producteurs. Sur les 960 caisses qui rentrent de notre coopérative au Pérou, il y a souvent 40 ou 60 producteurs qui ont contribué à ce conteneur dans sa totalité, même si l’on parle seulement de 2 ou 8 caisses.
Donc oui, je crois que lorsqu’on sait directement qui a produit la marchandise, on ne parle pas de termes généraux, on parle d’un humain. Cette personne fait un travail qui doit être récompensé et pour lequel on doit payer un prix juste. Donc, je soutiens tout à fait tout ce qui peut améliorer la traçabilité de nos produits.
La sénatrice Gerba : Est-ce qu’on pourrait... Allez-y.
Mme Coleman : Au début de votre question, vous avez demandé s’il y aurait plus de demandes pour un produit avec cette traçabilité, si j’ai bien compris. Je crois que nous n’avons pas de difficulté à trouver des producteurs qui veulent travailler avec nous.
Si vous aviez le choix entre vendre votre produit à Equifruit, qui vous paiera un prix juste et durable pour la production, ou vendre votre production à une tierce partie, qui va la revendre à une grande entreprise bananière qui offrira 4 $ la caisse, l’autre semaine, 6 $ et la suivante, 2 $, qui allez-vous choisir? Ce n’est donc pas un problème pour nous de trouver des partenaires qui veulent travailler avec nous; il y a vraiment une grande demande. C’est pour cela que j’ai dit, durant mon discours, que notre défi chez Equifruit est vraiment de changer la façon de penser des gens. Peut-être que le fait de dépenser un petit peu plus à l’épicerie pour avoir une chaîne d’approvisionnement propre et transparente n’est pas un si gros prix à payer.
La sénatrice Gerba : Merci.
Mme Coleman : Merci à vous.
[Traduction]
La sénatrice Miville-Dechêne : Ma première question est pour Me Pike. Dans le cadre de nos délibérations, on a beaucoup entendu dire qu’un projet de loi sur la diligence raisonnable serait plus fort et plus efficace pour lutter contre le travail forcé et le travail des enfants. De toute évidence, je ne m’oppose pas à ce genre de loi, mais puisque vous êtes expert en la matière, j’aimerais que vous nous parliez de la complexité des lois sur la diligence raisonnable, peut-être en vous servant de l’exemple suisse. Dans votre discours, vous avez parlé de franchir les étapes au Parlement, mais j’aimerais vous entendre un peu plus sur la complexité de ces mesures législatives.
Me Pike : Merci de poser la question, madame la sénatrice. Je peux parler une minute de l’initiative suisse pour des multinationales responsables. Elle a été proposée en Suisse par un certain nombre d’organisations de la société civile, et le but était d’imposer un processus de diligence raisonnable obligatoire pour obliger les entreprises suisses à cerner des répercussions réelles et potentielles en s’appuyant sur des droits de la personne reconnus à l’échelle nationale à l’aide des Principes directeurs des Nations unies. À partir du moment où elle a été présentée, il a fallu attendre environ quatre ans et demi avant de parvenir à un vote qui, en vertu de la loi suisse, devait se traduire par l’approbation d’une double majorité des électeurs suisses dans un référendum national.
Je vais juste faire un commentaire sur la façon dont la loi a été structurée. Selon cette structure, elle rendrait les entreprises suisses responsables des effets négatifs sur les droits de la personne et de l’inconduite environnementale des entreprises qu’elles contrôlent. C’était le point de départ — elles allaient être responsables des effets sur les droits de la personne, et les victimes de ces effets auraient des recours devant les tribunaux suisses. Il incombait aux entreprises suisses de prouver qu’elles avaient pris toutes les précautions nécessaires pour prévenir ces effets négatifs ou que ceux-ci se seraient produits même si elles avaient pris les précautions requises. C’est ce que j’appelle l’inversion du fardeau de la preuve, et cette disposition pouvait être punitive pour les entreprises suisses. La loi n’a pas obtenu la double majorité lors du référendum de novembre 2020. Au lieu de cela, on a adopté une contre-proposition prévoyant essentiellement des rapports sur la transparence de la chaîne d’approvisionnement avec une diligence raisonnable obligatoire très limitée, et uniquement en ce qui concerne les minéraux de conflit et certains aspects du travail des enfants.
Après quatre ans et demi, ils sont revenus au point de départ. Une telle loi sur la diligence raisonnable en matière de chaîne d’approvisionnement est plus complexe qu’un simple rapport en raison de ce qu’elle fait; pour ceux qui ne connaissent pas cela, il s’agit de bien plus que la simple diligence raisonnable. En Europe, les mesures législatives en matière de diligence raisonnable s’accompagnent d’une obligation légale de diligence et d’une responsabilité légale pour les entreprises qui y sont soumises. En Amérique du Nord, à mon avis, lorsque nous parlons de diligence raisonnable, nous pensons à des enquêtes, des audits et des investigations destinés à confirmer un ensemble de faits. Le devoir de diligence européen en matière de droits de la personne et d’environnement comprend cela, mais s’accompagne également d’un devoir de diligence qui consiste à relever, prévenir et atténuer les violations des droits de la personne qui sont constatées et à y remédier. La démarche de diligence raisonnable va bien au-delà d’une simple enquête; elle inclut la responsabilité. Je vous remercie.
La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie. J’ai une brève question pour M. McLinton. Vous avez dit deux choses au sujet du projet de loi que je parraine, et je vais encore une fois essayer de corriger ce qui, à mon avis, n’était pas exact. Vous dites que ce que vous aimeriez, c’est un projet de loi qui ne punit que les entreprises qui déclarent sciemment de faux renseignements ou qui ne se conforment pas volontairement à la loi, mais c’est exactement ce que fait le projet de loi S-211. Nous ne punissons pas les personnes qui font des déclarations. Ce que nous disons, c’est que si le rapport n’est pas complet, il y aura des sanctions pour les personnes qui ne signalent rien et des sanctions pour les conseils d’administration qui mentent, ce qui est exactement ce que vous dites. Sommes-nous d’accord sur ce point?
M. McLinton : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Oui, nous sommes d’accord. C’est la raison pour laquelle nous avons ce type d’audiences — pour que nous puissions discuter et obtenir des éclaircissements à ce sujet.
Ce que nous suggérons, c’est que la loi adopte une approche axée avant tout sur la conformité et la promotion. Lorsque je regarde les articles sur l’administration et l’application, il y a des articles qui visent l’entrée dans un lieu, les inspections, les mandats, et ainsi de suite. Ce que nous suggérons, c’est qu’il y ait des dispositions sur l’obligation de fournir de l’information dans un premier temps, plutôt que de passer immédiatement à l’entrée dans un lieu, aux amendes et à ce genre de choses. Nous sommes d’accord. Nous pensons simplement que cette étape supplémentaire améliorerait la loi.
Si je peux me permettre, je tiens à rappeler que d’autres témoins et nous-mêmes avons beaucoup parlé des mesures législatives adoptées à l’échelle mondiale dans ce domaine. Nous reconnaissons que le Canada a l’intention de légiférer dans ce domaine. Dans ce contexte, nous pensons que l’approche adoptée dans le projet de loi S-211 est la bonne.
La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.
La présidente : Ma première question s’adresse à Mme Coleman. Dans quelle mesure le travail forcé et le travail des enfants sont-ils utilisés dans la production de bananes, et dans quelles parties du monde sont-ils les plus répandus?
Mme Coleman : Merci de votre question, madame la présidente. Pour être honnête, je n’ai pas de statistiques précises sur le pourcentage de la production qui serait attribuable au travail des enfants ou au travail forcé. Je pense qu’il est difficile de mesurer cela quand personne ne veut admettre avoir recours à de telles pratiques, alors j’ai bien peur de ne pas pouvoir vous donner de réponse claire à ce sujet.
La présidente : En particulier au Royaume-Uni, lorsque vous faites vos courses, il y a de grandes affiches « commerce équitable » pour la plupart des produits. Ils les identifient.
Qu’est-ce qui explique le manque de sensibilisation ici au Canada? Je sais qu’avec les jeunes, c’est différent. Mes filles regardent les produits et n’hésitent pas à payer un peu plus cher tant que c’est du commerce équitable.
Que faisons-nous pour sensibiliser le public aux avantages du commerce équitable et à la façon dont il aide les gens?
Mme Coleman : Eh bien, nous nous posons la même question.
L’Europe a connu un mouvement citoyen beaucoup plus fort pour la promotion et la revendication de produits issus du commerce équitable. Je ne sais pas si c’est un héritage du passé colonial de ces pays et s’ils essaient d’une certaine manière de réparer les torts du passé, mais cette pression des consommateurs a poussé les détaillants à faire essentiellement ce qu’il faut.
Pour en revenir à l’exemple du Royaume-Uni, une banane sur trois y est achetée et vendue dans le cadre du commerce équitable. C’est une part de marché énorme, et cela s’est produit grâce à la pression des consommateurs, qui a sensibilisé les détaillants du pays. Certains grands noms, tels que Sainsbury’s, Waitrose et The Co-operative Group, se sont engagés — il y a longtemps maintenant, car cela s’est produit entre 2006 et 2009 — à s’approvisionner en bananes tant biologiques que conventionnelles aux conditions du commerce équitable. Ils ne veulent tout simplement pas être associés aux vilaines chaînes d’approvisionnement.
Nous voyons d’autres exemples de détaillants qui travaillent ensemble. En Allemagne, un groupe de magasins très réputés — et non des magasins familiaux — s’est réuni il y a environ deux ans pour élaborer un cadre volontaire visant à garantir des salaires décents dans leurs chaînes d’approvisionnement en bananes. Ce travail vient d’être approuvé par l’anticartel, je suppose — pas le cartel. J’ai un trou de mémoire. C’est quand on travaille ensemble pour fixer les prix — le mot va me revenir dans un instant. C’est pour dire que cela peut aller de l’avant, que ce n’est pas anticoncurrentiel parce que ces détaillants examinent leurs pratiques commerciales. Ils ne s’entendent pas sur les prix à l’origine, mais examinent plus en profondeur leurs chaînes d’approvisionnement.
Il existe une initiative néerlandaise du même type, lancée par des détaillants, et je pense que notre défi, ici au Canada, est de sensibiliser les gens à ces questions qui n’ont pas été mises en évidence. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, il est presque interdit chez les détaillants d’augmenter le prix des bananes. Les bananes sont considérées comme ce que l’on appelle un article de valeur connue, que les consommateurs achètent si souvent qu’ils se souviennent du prix d’un magasin à l’autre.
Les œufs, le lait, le pain, les poitrines de poulet et le ketchup Heinz sont d’autres exemples d’articles de valeur connue. Il y a un grand nombre de tels articles, et aucun détaillant ne veut être le premier à augmenter les prix de la banane, qui est un produit très public.
Ce que nous avons constaté, c’est que les gens achètent des bananes en fonction de leur couleur. Ils ne les achètent pas en fonction du prix, du moins très peu de gens le font. Nous avions un partenaire à Toronto, Longo’s, qui est passé entièrement au commerce équitable, comme l’ont fait des détaillants britanniques ou européens. Ils ont augmenté le prix, et nous n’avons pas vu de baisse de volume. Avant de passer aux bananes conventionnelles du commerce équitable, Longo’s vendait les bananes à 69 ¢ la livre. Après le changement, le prix est passé à 99 ¢ la livre.
En pourcentage, c’est une très forte augmentation, mais pour ce qui est de l’augmentation réelle, comme je l’ai dit, la consommation de bananes des Canadiens s’élève à 15 kilos par an et par habitant. Cela représente 33 livres, et nous pouvons tous faire le calcul : 33 livres multipliées par 30 ¢ de plus par livre, cela fait moins de 10 $ par an. Cela revient à moins de 1,50 $ de plus par mois, et moins de 20 ¢ de plus par semaine. Vingt cents de plus par semaine pour une chaîne d’approvisionnement propre, ce n’est pas hors de portée.
La présidente : Merci. Je fais mes courses chez Longo’s, et pour moi, 99 ¢ me semblait un prix normal, alors merci de l’avoir signalé.
Maître Pike, j’aimerais vous poser une question qui risque d’être difficile. Il se peut que la réponse nous échappe. Je sais que je ne la connais pas.
Lorsque nous parlons du travail des enfants, il y a certains facteurs sociaux à prendre en considération, et c’est une discussion que certains sénateurs ont eue ici. Je suis originaire du Pakistan, où le travail des enfants existe, mais cela signifie parfois qu’une famille est nourrie ou non.
Comme je viens du Pakistan, je surveille ce qui s’y passe et je sais que certains entrepreneurs et certains artistes ont créé des écoles pour ces enfants. Ils versent aux enfants une somme équivalente à celle qu’ils gagneraient s’ils travaillaient; ils les paient pour qu’ils aillent à l’école. Mais ce n’est pas à la portée de tous les pays.
Alors, quand les gens me demandent si j’ai pensé à ce qui arriverait à la famille si nous disions que nous ne voulons rien de ce qui est fait par des enfants, je n’ai pas de réponse. Je n’ai pas de réponse, maître Pike. Je ne sais pas. Pouvez-vous m’aider? Avez-vous un avis sur la question? Si l’un des autres témoins en a un, il nous reste un peu de temps, alors n’hésitez pas à intervenir.
Me Pike : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Est-ce que j’ai une solution à proposer? Non, je n’en ai pas, et je ne pense pas être en mesure d’imposer mon point de vue sur la manière de traiter ce problème dans quelque pays que ce soit.
Je pense que cela dépendra de l’histoire, de la culture et de la société de ces pays, et je ne pense pas être en mesure de fournir une réponse convenable.
La présidente : Merci. Je ressens la même chose lorsqu’on me pose cette question. C’est une question qui nous a été posée.
[Français]
La sénatrice Gerba : J’avais un commentaire pour Mme Coleman. Si je revenais à la certification équitable, juste pour répondre à la question de la présidente, je dirais qu’il y a beaucoup de sensibilisation du côté du Québec. Par exemple, quand nous avons commencé il y a 20 ans, personne ne parlait de certification équitable, comme dans le cas du café équitable.
Aujourd’hui, j’en apprends beaucoup sur les bananes et le beurre de karité équitables. Aujourd’hui, il y a une demande. C’est le consommateur qui exige que les entreprises paient un prix équitable, et tant qu’il y aura une demande, on va forcer les entreprises à répondre à cet enjeu d’équité, et donc à payer le prix le plus intéressant aux producteurs. Par exemple, on le voit de plus en plus au Québec avec les marchés comme TAU et Avril, qui étaient de petits commerçants et qui sont devenus aujourd’hui de grandes bannières de distribution de produits certifiés biologiques.
Ce serait bien si on pouvait s’organiser pour que ce projet de loi comporte une telle dimension, mais je ne sais pas comment cela pourrait s’intégrer; peut-être Me Pike peut-il nous dire comment les entreprises pourraient être amenées à contribuer à l’établissement d’une certification du commerce équitable, afin de nous assurer que les entreprises paient le juste prix, qu’elles n’emploient pas des enfants, qu’elles ne forcent pas les enfants à travailler et que, sur le plan sociétal, elles établissent des mécanismes de partage, de redistribution et de contribution au bien-être des sociétés.
Encore une fois, je prendrai l’exemple du beurre de karité. Grâce à la certification du commerce équitable, on a pu aider les productrices à avoir accès à une mutuelle de santé, par exemple. Cette mutuelle de santé aide les enfants qui sont malades, permet d’aller chercher des médicaments à la pharmacie et d’amener les enfants voir des médecins gratuitement. Cela permet donc de redonner à la société et d’avoir une implication sociale qui permet d’assurer que les enfants font ce qu’ils sont censés faire, soit aller à l’école ou jouer, comme vous l’avez dit.
Mme Coleman : Est-ce que vous voulez que je fasse un commentaire?
La sénatrice Gerba : Je demandais si vous aviez des commentaires à faire sur la façon dont on pourrait faire cela. Maître Pike, pouvez-vous nous dire comment on pourrait intégrer ces aspects d’une manière qui ne serait pas trop contraignante pour les entreprises, ce qui pourrait ajouter une dimension sociale au projet de loi?
Mme Coleman : Je vais faire un tout petit commentaire avant de passer la parole à Me Pike.
Je dirais que le changement est lent; on le sait tous. Oui, il y a une demande, mais souvent, les institutions, les organisations, les entreprises qui ont le plus de pouvoir bougent aussi très, très lentement.
Par exemple, une des plus grandes chaînes d’épicerie du Canada dispose d’un quelconque cadre d’achat responsable dans lequel elle inscrit ses priorités d’achat. La première, c’est que les produits soient locaux; la deuxième, c’est que si le produit n’est pas disponible localement ou ne provient pas de la production locale, on devrait l’acheter auprès d’un commerce équitable.
Cependant, ce document se trouve à un niveau. Puis, il y a 18 autres niveaux et, ensuite, il y a l’acheteur de bananes qui achète de la même façon depuis littéralement 40 ans, qui n’a rien dans sa revue du rendement qui l’incite à privilégier des achats équitables ou autres et qui nous dit carrément qu’il faudra attendre qu’il prenne sa retraite. Ce sont donc de grosses machines.
La sénatrice Gerba : D’où l’importance d’intégrer cet élément au projet de loi.
Mme Coleman : Exactement.
La sénatrice Gerba : Si on intègre cela dans un projet de loi, est-ce que cela pourrait forcer les entreprises à assouplir leur processus d’achat afin d’intégrer les nouveaux éléments?
Parce que, à ce moment-là, le projet de loi deviendra une loi. En matière de cadre juridique, maître Pike, pourriez-vous nous dire si c’est faisable?
[Traduction]
Me Pike : Je vous remercie de cette question, sénatrice. Je pense qu’il serait très difficile d’intégrer cette composante dans le projet de loi S-211. Je ne suis pas au courant d’une loi fédérale qui incorpore des facteurs sociaux comme celui-là dans un environnement réglementaire, par exemple, pour les aliments.
Fait intéressant, il y a quelques années, j’ai pris la parole à la conférence nationale annuelle sur les lois et les politiques alimentaires au Canada, à la Faculté de droit de l’Université de Toronto. Mon exposé portait sur l’esclavage moderne dans les chaînes d’approvisionnement alimentaire. Tout en saluant le travail accompli par Santé Canada avec la Loi sur la salubrité des aliments au Canada et le travail de nos organismes de réglementation pour assurer la sécurité de notre approvisionnement alimentaire, j’ai posé la question suivante : mais qu’en est-il de l’autre bout de la chaîne d’approvisionnement? Qui s’occupe de la sécurité et du bien-être de ces personnes? Je n’ai pas obtenu de réponse à cette question, mais je pense que dans cette loi, il serait très difficile d’introduire des dispositions législatives imposant le respect de certaines normes pour des substances qui sont déjà réglementées par le gouvernement fédéral.
La sénatrice Miville-Dechêne : La compétence provinciale entre en jeu et il existe des facteurs complexes qui rendraient difficile la création d’une certification dans ce projet de loi particulier. Mais je vous remercie de votre question.
[Français]
Sénatrice Gerba, votre discussion avec la présidente d’Equifruit était absolument passionnante. C’est très, très intéressant de vous écouter.
Merci à tous.
[Traduction]
La présidente : Merci.
Maître Pike, je me demande si ma fille était dans le cours que vous avez enseigné. Elle a fait des études en droit à l’Université de Toronto.
Comme vous avez tous été d’excellents témoins, je vais vous poser une dernière question à tous les trois.
Imaginons que vous soyez reine ou roi pour la journée. Quelles mesures prendriez-vous pour promouvoir des pratiques d’approvisionnement et de commerce éthiques? Je vais commencer par vous, madame Coleman.
Mme Coleman : Si j’étais reine pour une journée... oh, mon Dieu. Je pense que nous adhérons probablement au principe de la certification parce qu’il y a une tierce partie qui vérifie nos processus et ceux de nos producteurs, ce qui signifie que nous n’évaluons pas nous-mêmes nos travaux. Si nous publions un rapport sur la responsabilité sociale de l’entreprise, ou RSE, qui dit que nous sommes les meilleurs et que nous faisons tout, et que quelqu’un conteste cette affirmation, je m’en tiens à la force du processus d’audit de notre certification.
Je sais que ce projet de loi, comme nous venons de le dire, n’est pas un processus de certification, mais d’après moi, tout mécanisme qui exige plus que des paroles en l’air, du blanchiment équitable ou de l’écoblanchiment, ou n’importe quoi d’autre, est un pas très ferme dans la bonne direction.
Me Pike : J’aurais besoin de beaucoup de temps pour formuler mes souhaits en tant que roi. Toutefois, permettez-moi de dire ce qui suit.
Il y a quelques années, j’ai lancé un projet au sein de l’Association canadienne des conseillers juridiques d’entreprises, qui fait partie de l’Association du Barreau canadien. Le but du projet était de former des principes commerciaux types pour aider les entreprises canadiennes à lutter contre le travail forcé, la traite de personne à des fins de travail forcé et le travail préjudiciable ou illégal des enfants.
Le principe no 1 — et en ma qualité de roi, je voudrais que toutes les entreprises l’adoptent —, c’est que les entreprises interdisent le recours au travail forcé et au travail des enfants dans leurs activités ou leur chaîne d’approvisionnement. Le principe no 1 — le ton qu’on donnerait au sommet pour ainsi dire — serait d’adopter ce principe et de le mettre en œuvre dans toute l’entreprise et ses chaînes d’approvisionnement.
Pour le principe no 2, je me tourne vers les lois relatives aux achats éthiques, en particulier pour les gouvernements, comme aux États-Unis avec le règlement fédéral sur les acquisitions qui interdit le recours au travail forcé, au travail dans des conditions pénibles et au travail en milieu carcéral. Ce n’est pas une politique ni un protocole; c’est la loi.
Je pense que le projet de loi S-211 est très important pour faire progresser l’approvisionnement éthique, car la transparence est un concept qui peut être facilement compris par une grande variété d’intervenants. Nous voudrions voir plus d’entreprises interdire le recours au travail forcé et au travail des enfants.
Je pense que l’approvisionnement éthique va augmenter en même temps que la transparence des activités des entreprises. Je vous remercie.
M. McLinton : Merci, sénatrice. C’est une excellente question. Je pense qu’elle permet aux gens de faire preuve d’imagination et de penser de manière plus créative à ce qu’on pourrait faire pour traiter ces enjeux importants.
Si j’étais souverain pour la journée, je suppose que je pourrais avoir deux souhaits quant à l’augmentation des pratiques commerciales éthiques.
Mon premier souhait serait de faire en sorte que le gouvernement collabore avec ses partenaires étrangers en matière de renseignement, puis qu’il communique l’information ainsi acquise au monde des affaires. Les entreprises disposent de renseignements grâce à leurs propres chaînes d’approvisionnement. Cependant, c’est vraiment grâce à cet effort de collaboration avec les gouvernements, qui collaborent ensuite avec leurs partenaires étrangers dans le but de se communiquer des renseignements sur les fournisseurs et les usines qui posent problème, entre autres. Ce serait mon premier souhait.
Mon deuxième souhait concerne l’éducation des consommateurs. Je pense que les consommateurs sont très, très avisés. Ils exigent de plus en plus que leurs produits soient d’origine éthique. Nous constatons une augmentation de la demande de produits biologiques et de l’intérêt pour le bien-être des animaux et les pratiques environnementales. Les consommateurs exigent donc ces choses, et je pense que tout ce qui peut être fait pour éduquer le consommateur afin qu’il puisse faire des choix éclairés pour lui-même et sa famille ne peut être que bénéfique.
La présidente : Merci beaucoup.
Monsieur McLinton, maître Pike et madame Coleman, je tiens à vous remercier d’avoir été d’excellents témoins. Je vous remercie de vos témoignages. Nous vous sommes très reconnaissants de votre aide dans le cadre de notre étude.
Chers collègues, notre prochaine réunion aura lieu le lundi 28 mars.
(La séance est levée.)