LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
VANCOUVER, mercredi 7 septembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 9 h 10 (HP), pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.
La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour, je m’appelle Salma Ataullahjan et je suis sénatrice de Toronto et présidente du comité.
Aujourd’hui, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, et j’aimerais profiter de l’occasion pour présenter les membres du comité qui participent à la réunion. Nous avons le sénateur Arnot, de la Saskatchewan, la sénatrice Busson, de la Colombie-Britannique, et la sénatrice Jaffer, de la Colombie-Britannique.
Après avoir tenu en juin deux réunions à Ottawa, nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur l’islamophobie au Canada dans le cadre d’un ordre de renvoi général. Notre étude portera, entre autres, sur le rôle de l’islamophobie en ce qui concerne la violence en ligne et hors ligne contre les musulmans, la discrimination fondée sur le sexe ainsi que la discrimination dans l’emploi, y compris l’islamophobie dans la fonction publique fédérale. Notre étude examinera également la source de l’islamophobie, ses répercussions sur les personnes, y compris sur la santé mentale et physique, ainsi que les solutions et les réponses possibles du gouvernement.
Nous sommes heureux d’être ici à Vancouver et d’entendre des témoins s’exprimer sur l’islamophobie dans cette partie du pays. Il s’agit de la première de nos audiences publiques à l’extérieur d’Ottawa. Nous serons demain à Edmonton, et, dans deux semaines, nous nous retrouverons à Québec et à Toronto.
Permettez-moi de fournir quelques détails concernant la réunion d’aujourd’hui. Ce matin, nous aurons deux groupes de discussion d’une heure avec un certain nombre de témoins qui ont été invités. Dans chaque groupe, nous entendrons les témoins, puis les sénateurs prendront part à une séance de questions et de réponses. Il y aura une courte pause vers 11 heures.
De plus, le comité a réservé du temps à la fin de la matinée pour entendre certaines brèves interventions de cinq minutes de membres du public, mais sans séance de questions et de réponses. Si vous souhaitez participer à cette partie de la réunion, vous devez vous inscrire à l’avance auprès du personnel du comité assis à la table située juste à l’extérieur de la salle.
Avant que nous entendions nos premiers témoins, le comité doit traiter de deux motions d’intérêt courant.
La première motion qu’il nous faut concerne le quorum, parce que ce ne sont pas tous les membres du comité qui voyagent. La motion est la suivante :
Que, nonobstant la pratique habituelle, et conformément à l’article 12-17 du Règlement, le comité soit autorisé à entendre des témoignages les 7, 8, 20, 21 et 22 septembre 2022 en l’absence de quorum, pourvu que deux membres du comité soient présents.
Sénateur Arnot, êtes-vous prêt à présenter cette motion?
Le sénateur Arnot : Je présente la motion. Je vous remercie.
La présidente : Que tous ceux qui sont pour?
Ensuite, nous avons besoin d’une motion afin de permettre les photographies durant la réunion :
Que le comité permette la couverture par les médias électroniques et photographiques de ses audiences publiques à Vancouver, Edmonton, Québec et Toronto, avec le moins de perturbation possible de ses audiences.
Sénatrice Busson, êtes-vous prête à proposer cette motion?
La sénatrice Busson : Oui, je le suis, madame la présidente.
La présidente : Tous ceux qui sont pour? Je vous remercie.
Avant de passer à notre premier groupe de témoins, je demanderais à la sénatrice Jaffer de s’avancer. Comme vous le savez, je joue un rôle consultatif auprès du CNMC; j’ai donc une déclaration de conflit d’intérêts et, par conséquent, je ne présiderai pas ce groupe. Notre vice-présidente, la sénatrice Bernard, ne voyage pas avec nous. La sénatrice Jaffer a donc gracieusement accepté d’assumer la présidence pour cette partie de l’audience d’aujourd’hui sur notre étude.
La sénatrice Mobina Jaffer (présidente suppléante) occupe le fauteuil.
La présidente : Merci de votre confiance, sénatrice Ataullahjan.
Je vais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Nous avons un témoin, et il a cinq minutes pour parler. J’aimerais vous présenter Me Kashif Ahmed, président du conseil d’administration du Conseil national des musulmans canadiens. Me Ahmed a consacré beaucoup de temps à cette question. Il est bien connu pour son travail très actif sur cette question pour que nous soyons tous des Canadiens égaux.
Maître Ahmed, c’est un réel honneur de vous accueillir, et nous sommes impatients de vous entendre. Vous pouvez commencer votre exposé maintenant. Après votre intervention, les sénateurs poseront des questions. Merci.
Me Kashif Ahmed, président du conseil d’administration, Conseil national des musulmans canadiens : Merci, sénatrice Jaffer.
Bonjour, madame la présidente et honorables sénateurs. Je tiens d’abord à souligner que je me joins à vous aujourd’hui depuis les territoires traditionnels, ancestraux et non cédés des peuples Salish du littoral, des Squamish, des Tsleil-Waututh et des Musqueam. Je remercie le comité de m’avoir invité à comparaître devant vous et d’avoir lancé cette étude historique sur l’islamophobie au Canada.
Je suis président du conseil d’administration du Conseil national des musulmans canadiens et, pour la petite histoire, je suis avocat en droit des sociétés et résidant du Grand Vancouver.
Très brièvement, le CNMC est un organisme de défense des droits indépendant, non partisan et national. Notre mission consiste à protéger les droits de la personne et les libertés civiles au Canada, à lutter contre la discrimination et l’islamophobie, à favoriser la compréhension mutuelle et à exprimer les préoccupations publiques des communautés musulmanes canadiennes. Le CNMC a une longue expérience de travail avec tous les ordres de gouvernement et des partenaires communautaires pour promouvoir des politiques publiques efficaces et concrètes qui assurent un Canada plus juste pour tous et qui respectent nos droits et nos libertés constitutionnels.
Lorsque je réfléchis à la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui en vue de discuter de l’islamophobie, je me souviens du fait indéniable que le Canada est devenu le premier pays du G7 au chapitre des meurtres ciblés de musulmans motivés par l’islamophobie. L’islamophobie violente au Canada est extrêmement dangereuse et exige une approche pangouvernementale. De l’attentat à la mosquée de Québec à l’attentat de la mosquée de l’IMO dans la région du Grand Toronto en passant par celui de London, les musulmans canadiens ont été témoins d’une violence horrible dirigée contre eux en raison de leur identité religieuse. Nous avons aussi assisté à des attaques violentes contre des femmes musulmanes noires à Edmonton et au harcèlement de rue de femmes musulmanes à Vancouver.
Cela ne dit toutefois rien de l’islamophobie systémique et de la façon dont elle touche les musulmans canadiens au quotidien, comme la façon dont les institutions financières canadiennes ont bloqué à des mosquées et des organismes de bienfaisance locaux l’accès aux banques sans transparence et sans recours, ou la façon dont les organismes gouvernementaux et les organismes de sécurité ont l’habitude de cibler de façon disproportionnée les musulmans canadiens.
Il y a un peu plus de un an, le gouvernement fédéral a organisé le Sommet national sur l’islamophobie dans la foulée de l’attentat terroriste dévastateur qui a coûté la vie à plusieurs membres de la famille Afzaal en Ontario. Après avoir mené des consultations approfondies auprès des communautés musulmanes d’un océan à l’autre en prélude au sommet, le CNMC a présenté 61 recommandations politiques à faire adopter par les différents ordres de gouvernement pour lutter contre l’islamophobie dans ses formes violentes et systématiques. Au total, 35 recommandations étaient destinées au gouvernement fédéral, 19, aux gouvernements provinciaux, et 7, aux administrations municipales.
Récemment, le CNMC a publié un rapport sur l’obligation de rendre des comptes, un an après le sommet sur l’islamophobie. Dans le cadre de ce rapport, que j’ai avec moi ici aujourd’hui, nous avons constaté que 27 de nos recommandations ont été prises en considération par différents ordres de gouvernement. Même si beaucoup a été fait, il reste encore beaucoup à faire.
À l’échelon fédéral, la création du bureau du représentant spécial chargé de la lutte contre l’islamophobie, l’inscription des groupes suprémacistes blancs et néonazis sur la liste des entités terroristes et l’engagement à créer un organisme de surveillance de l’ASFC sont quelques-unes des recommandations qui ont été mises en œuvre.
Ici, en Colombie-Britannique, le gouvernement provincial s’est engagé à présenter une nouvelle loi contre le racisme qui favorisera une société équitable pour tous, peu importe la race, la couleur de la peau ou la confession. Nous sommes impatients de travailler avec le gouvernement de la Colombie-Britannique pour faire de cette loi une réalité.
Pour ce qui est des prochaines étapes, nous insistons sur le fait que l’islamophobie mérite non seulement d’être simplement étudiée, mais aussi de faire l’objet de mesures par le Sénat. Pour l’avenir, le CNMC demande instamment au comité de formuler les recommandations stratégiques suivantes : premièrement, la création d’une disposition autonome dans le Code criminel afin de mettre en place un processus spécial pour faire face aux crimes haineux, y compris des peines plus sévères pour les délinquants violents et une voie de réadaptation pour les jeunes délinquants ou ceux qui peuvent en bénéficier; deuxièmement, une réforme du programme d’infrastructure de sécurité afin de rationaliser le financement des lieux de culte; et troisièmement, un investissement dans des messages d’intérêt public contre l’islamophobie afin d’éduquer le grand public et de contribuer à des changements de comportement.
Sous réserve des questions du comité, voilà ce que je propose aujourd’hui. Je vous remercie.
La présidente : Merci beaucoup, maître Ahmed, de votre exposé.
Je vais passer aux questions, mais après avoir lu votre exposé, j’ai un simple commentaire : je suis sûre que le CNMC sait combien de fois vous recommandez des choses avant que les choses ne se produisent, mais je vois qu’un certain nombre de vos recommandations ont été mises en place, donc félicitations pour cela.
Le sénateur Arnot : Bienvenue au comité, maître Ahmed. Je suis très heureux de vous rencontrer ici ce matin et de savoir que vous êtes un fan des Roughriders de la Saskatchewan, que vous êtes né et avez grandi à Regina, en Saskatchewan, et que vous êtes diplômé de la faculté de droit de l’Université de la Saskatchewan. Nous avons un lien important.
Je suis au courant du travail du Conseil national des musulmans canadiens dans le cadre de mon rôle de commissaire en chef de la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan. J’ai beaucoup travaillé avec le directeur général dans le passé, M. Ihsaan Gardee; et, bien sûr, il est venu en Saskatchewan un certain nombre de fois, en fait, pour travailler avec notre commission. J’ai du respect pour votre organisation, pour le travail qu’elle accomplit dans la communauté et pour la défense des droits qu’elle offre au Canada, vraiment, de notre point de vue.
Je voulais faire un commentaire. Vous tenez vraiment à agir et vous avez trois recommandations. Il y a une question que j’aimerais soulever avec vous et peut-être obtenir des commentaires de votre part. Cela concerne le pouvoir de l’éducation et la mise en place d’un programme d’études dans le cadre du système scolaire canadien, de la maternelle à la 12e année, afin d’essayer d’inculquer aux étudiants le concept des droits de la citoyenneté canadienne, mais aussi les responsabilités qui les accompagnent, un sujet oublié, mais probablement l’un des plus importants, et la responsabilité fondamentale de respecter nos concitoyens, un devoir dont s’assortit la citoyenneté canadienne. Je vous ai parlé dans le passé de la Fondation d’éducation à la citoyenneté Concentus, et nous avons entendu un témoignage de M. Daniel Kuhlen plus tôt cette année.
Si j’en parle, c’est parce que ma prémisse centrale est que si vous voulez changer la culture dans la communauté, vous devriez vraiment être dans les écoles et travailler avec les étudiants pour vous assurer qu’ils comprennent ce que signifie être un citoyen canadien et les compétences fondamentales que suppose la citoyenneté canadienne, qui, à mon avis, comprennent les cinq E, c’est-à-dire que tous les étudiants doivent être éclairés, éthiques, engagés, émancipés et empathiques. Cette émancipation fournit une base pour qui veut agir dans la communauté sur ces questions de défense des droits.
Je sais que, dans le passé, le Conseil national des musulmans canadiens a soutenu le matériel de Concentus, et j’espère que vous pourrez faire quelques commentaires à ce sujet ce matin.
Me Ahmed : Merci, monsieur le sénateur, de poser la question.
Vous soulignez à juste titre que l’éducation est au cœur de cette question de lutte contre l’islamophobie, mais aussi contre le racisme en général et les différentes formes qu’il revêt aujourd’hui.
Même si mes recommandations aujourd’hui s’adressaient plus particulièrement au comité sénatorial, compte tenu de sa nature fédérale, le CNMC a toute une série de recommandations qui s’adressent aux gouvernements provinciaux, et l’une de nos principales demandes est une réforme des programmes d’études à l’échelon provincial.
En Ontario, le CNMC a été en mesure de rédiger et de faire adopter un texte de loi, dans la foulée de l’attentat survenu à London, en Ontario, intitulé Loi de 2022 en solidarité avec la famille de London. Cette loi comprenait tout un volet sur la réforme du système d’éducation en Ontario afin d’aborder les questions que vous venez de soulever aujourd’hui, c’est-à-dire ce qui est enseigné à nos enfants, en particulier à l’école primaire et à l’école secondaire.
Cette question nous tient assurément beaucoup à cœur. Au CNMC, nous avons toute une section qui se consacre exclusivement à l’éducation et aux écoles publiques. Je pense que notre équipe a rendu visite à presque tous les conseils scolaires de l’Ontario à un moment ou à un autre au cours des cinq dernières années, et il faut que cela s’étende à des endroits comme la Colombie-Britannique, l’Alberta et ailleurs. Il y a assurément un besoin et un désir de le faire. Même si je ne peux me prononcer précisément sur le programme auquel vous faites référence et qui vient de la Saskatchewan, l’éducation est quelque chose que nous examinons et dont nous nous engageons à parler davantage.
La sénatrice Busson : Merci beaucoup d’être ici. C’est certainement un moment stimulant et intéressant pour traiter de ce sujet incroyablement important qu’est l’islamophobie.
Je ne peux m’empêcher de poser une question, étant donné que vous êtes le président du conseil national, qui concerne le projet de loi 21 du Québec. Même s’il s’agit d’un projet de loi du Québec, il a fait l’objet de discussions dans mes cercles et avec les gens avec qui j’échange. C’est un sujet de conversation depuis qu’il a été présenté pour la première fois et à cause de ses querelles juridiques et de la disposition de dérogation, et ainsi de suite. J’aimerais connaître votre opinion sur la façon dont cette loi au Québec a influencé les attitudes, les buts et les objectifs de votre organisation et certainement le point de vue des musulmans en général au Canada.
Ensuite, mais je vais simplement le dire maintenant pour que nous puissions avoir tout cela sur la table, parmi vos recommandations et le travail que vous faites au sein de votre organisation, y a-t-il quelque chose que vous entrevoyez pour l’avenir qui pourrait être en mesure de contrer ce genre de loi?
Me Ahmed : Merci de poser la question, madame la sénatrice.
Il va sans dire que le projet de loi 21 au Québec est au cœur de la défense des droits du CNMC contre l’islamophobie. C’est le secret le moins bien gardé pour ce qui est de ce à quoi les musulmans font face dans le pays aujourd’hui. Lorsque nous parlons à des musulmans québécois, ils disent que le projet de loi 21 a fondamentalement changé la façon dont ils se perçoivent, la façon dont ils se perçoivent dans la société québécoise et la façon dont ils interagissent avec elle. Il s’agit vraiment d’une citoyenneté de seconde place institutionnalisée qui fait qu’une frange entière de croyants pratiquants ne peuvent pas occuper certains postes du secteur public au Québec uniquement en raison de qui ils sont et de ce qu’ils portent. C’est un énorme sujet de préoccupation. Comme vous le savez, le CNMC est l’un des principaux plaideurs dans cette affaire. L’affaire se rendra devant la Cour d’appel du Québec plus tard cette année pour une audience, et je m’attends à ce que cette affaire aboutisse également devant la Cour suprême du Canada.
Ce que je peux dire, cependant, pour ce qui est des mesures concrètes que nous pouvons prendre contre le projet de loi 21 du côté du gouvernement fédéral, c’est que l’une de nos demandes lors du Sommet sur l’islamophobie était que le gouvernement fédéral s’engage à intervenir dans le litige concernant le projet de loi 21 advenant qu’il se rende devant la Cour suprême, et nous sommes ravis que le procureur général Lametti se soit plus tôt cette année engagé à intervenir auprès du procureur général lorsque l’affaire aboutirait à la Cour suprême. C’est une étape essentielle. Selon nous, il doit y avoir une intervention du gouvernement fédéral auprès de la Cour suprême du Canada dans cette affaire. Nous devons essentiellement attendre de voir ce que les tribunaux décideront, mais notre organisation et nos communautés au Québec sont déterminées à faire en sorte que le projet de loi 21 finisse par être retiré.
La sénatrice Busson : Je me demande si vous pouvez en dire un peu plus sur l’impression de votre conseil ou son point de vue sur la façon dont cette législation touche les musulmans et d’autres Canadiens à l’extérieur du Québec.
Me Ahmed : Je pense que le projet de loi 21 a fait comprendre aux musulmans canadiens en général que leurs droits peuvent être supprimés très rapidement et que la sécurité de la Constitution que nous pensions avoir peut-être éliminée par l’invocation de la disposition de dérogation. Ce sentiment de pouvoir compter sur la Constitution à l’heure actuelle pour nous protéger a été mis à mal. La communauté musulmane, ainsi que le CNMC, observe attentivement ce qui se passe au Québec, parce que nous craignons que ce qui se passe au Québec puisse un jour, à un moment donné, se produire ailleurs au Canada. Nous ne voudrions jamais que cela se passe. À l’heure actuelle, nous ne voyons aucune raison pour laquelle cela se produirait, mais cela reste un sujet de préoccupation. Cela a définitivement teinté la perception de la communauté. Cela a suscité des inquiétudes. Du point de vue pratique, nous voyons un certain nombre de gens déménager à l’extérieur du Québec dans d’autres régions du Canada afin de pouvoir travailler dans la profession de leur choix, par exemple, l’enseignement. Des membres de la communauté ont interagi avec des musulmans québécois qui ont migré du Québec vers d’autres régions du Canada et ils ont entendu parler directement des défis auxquels ils sont confrontés.
Le projet de loi 21 est un sujet de conversation courant dans notre communauté, mais nous espérons que, grâce à nos litiges et aux diverses actions entreprises non seulement par le CNMC, mais par nos alliés dans la communauté des droits civiques, nous serons en mesure de faire retirer le projet de loi 21.
La sénatrice Busson : Merci.
Certaines des conversations que j’entends sont que, en général, pour les personnes qui ne sont même pas directement touchées, mais qui sont des observateurs consciencieux de tout cela et pour les Canadiens en général, il y a le sentiment que cela alimente l’islamophobie en général dans le pays. Pourriez-vous faire un commentaire à ce sujet?
Me Ahmed : Eh bien, il ne fait aucun doute que, au Québec, le projet de loi 21 a été perçu, même si le premier ministre Legault le conteste, comme permettant aux gens de cibler les musulmans visibles par la discrimination et la haine ou leur donnant une licence pour le faire. Il n’y a aucun doute là-dessus. Nous avons vu ces cas au Québec. Cela a été documenté. Le projet de loi 21 a contribué à l’islamophobie au Québec. Il a contribué aux discours publics qui sont souvent négatifs envers les musulmans dans le reste du pays. Ce lien ne fait aucun doute.
Le sénateur Arnot : Maître Ahmed, nous avons récemment entendu dire qu’environ 80 % des incidents d’intimidation, de harcèlement et de violence contre les musulmans au Canada et les citoyens musulmans au Canada ne sont pas signalés. Je vois que vous recommandez une disposition autonome dans le Code criminel pour traiter de cette question et avoir des processus spéciaux afin de lutter contre les crimes haineux. Il me semble, et cela fait partie des fondements de notre étude, que l’islamophobie ne soit pas prise au sérieux au pays autant qu’elle devrait l’être. Je me demande simplement ce que vous pensez de la façon dont la communauté musulmane peut se sentir plus à l’aise de se présenter aux autorités et de signaler ces incidents pour s’assurer qu’ils sont traités de façon plus rapide et plus efficace que dans le passé.
Me Ahmed : Merci pour la question.
Au CNMC, nous conseillons régulièrement aux membres de notre communauté de signaler à la police tout incident de haine ou de discrimination ou, dans le cadre de votre question, de violence ou d’intimidation. La communauté musulmane a toujours été un peu timide à l’idée de signaler ce genre d’incidents. C’est en partie une question de culture, en partie une question de peur, en partie aussi un manque de confiance envers les services de police : on craint qu’ils ne fassent pas leur travail. Il y a eu un certain nombre de cas où des incidents apparemment haineux se sont produits et les forces de l’ordre ne les ont pas pris au sérieux. Plusieurs facteurs expliquent pourquoi la communauté musulmane ne signale pas autant d’incidents. Nous faisons de notre mieux pour améliorer la situation.
Les mesures de soutien qui sont en place pour les victimes de crimes haineux doivent aussi être examinées. Les traumatismes et le préjudice qui découlent de ce type de violence ont une grande portée. C’est très difficile lorsque je vois que les membres de notre équipe d’employés doivent devenir des conseillers en traumatisme plutôt que des défenseurs des droits, lorsque les familles n’ont pas les moyens de se payer des services de psychologie et de thérapie à la suite d’un attentat ou d’un incident islamophobe. Ce sont tous des problèmes auxquels nous sommes confrontés régulièrement, et l’une de nos recommandations au sommet, ainsi qu’à l’échelon fédéral, était qu’il devrait y avoir un fonds national d’aide aux victimes, de l’argent alloué par le gouvernement fédéral pour tenir compte des services aux victimes à la lumière des crimes haineux.
Le sénateur Arnot : Maître Ahmed, avez-vous des commentaires par rapport à ce qui devrait se produire entre les communautés musulmanes au Canada et les forces de police municipales pour encourager et établir un soutien et une meilleure compréhension, de sorte qu’il y ait une plus grande confiance dans la communauté au moment de signaler ces enjeux et de travailler en plus étroite collaboration avec la communauté afin d’intenter des poursuites lorsque c’est nécessaire?
Me Ahmed : Je pense que cela revient à la relation qui existe entre les forces de l’ordre et la communauté particulière en question. Quelles ont été les interactions dans le passé? Les forces de l’ordre ont-elles pris les signalements de cette communauté au sérieux? Par exemple, si nous parlons de Vancouver, le Service de police de Vancouver ou la GRC ont-ils pris au sérieux les préoccupations et les signalements de la communauté musulmane?
Je pense que les forces de l’ordre doivent continuer de collaborer avec la communauté musulmane au sujet des crimes haineux et de la prévention. Sans cela, la communauté se sent isolée. Les forces de l’ordre doivent jouer leur rôle en appliquant la loi et en recommandant des accusations, le cas échéant, afin que ces types d’actes criminels soient punis avec toute la rigueur de la loi et que les mesures prises aient un effet dissuasif. Pour vous donner un exemple, il a fallu des semaines après l’attentat de London pour que les procureurs qualifient cette attaque d’incident terroriste. La communauté musulmane continue de voir deux poids deux mesures, de sorte que lorsque des actes de violence sont commis contre la communauté musulmane, on se dit « Vous savez, il aurait pu se passer autre chose ici », plutôt que d’examiner les preuves évidentes à notre disposition qui montrent qu’il s’agissait en fait d’incidents terroristes motivés par l’idéologie.
Toutes ces situations ont un effet cumulatif qui mine la confiance de la communauté musulmane, et il reste donc certainement beaucoup de travail à faire.
La présidente : J’ai de nombreuses questions. Mesdames et messieurs les sénateurs, si vous avez d’autres questions, veuillez m’arrêter, parce que je ne veux pas prendre tout le temps. Nous avons le luxe absolu aujourd’hui de n’être que tous les trois, ce qui n’est jamais arrivé, ni à moi ni à aucun d’entre nous.
Je veux d’abord revenir sur ce que vous disiez au sénateur Arnot à propos de la qualification des crimes terroristes. J’ai passé beaucoup de temps au Québec avec la communauté, et pendant très longtemps, ils étaient très contrariés que M. Bissonnette n’ait jamais été considéré comme un criminel terroriste. Je ne pense pas qu’il l’ait été; je peux me tromper. Je n’ai pas lu vos recommandations, mais l’une d’entre elles était-elle de ne pas être aussi réticent? Lorsque cela se produit, la foi de la communauté est perdue, parce que vous voyez immédiatement deux poids, deux mesures.
Me Ahmed : Oui, madame la sénatrice.
Notre préoccupation n’est pas tant de savoir si les dispositions du Code criminel sur les infractions de terrorisme sont utilisées ou non, mais plutôt qu’elles soient utilisées correctement et de manière égale lorsque nous sommes témoins de tels crimes et qu’ils font l’objet d’une enquête.
Le CNMC s’inquiète depuis longtemps de la Loi antiterroriste et de la façon dont ses dispositions ont été utilisées pour cibler de manière disproportionnée les communautés racisées et musulmanes, alors nous ne demandons pas que la Loi antiterroriste soit appliquée à chaque fois. Ce qui nous préoccupe, c’est la perception. Le problème, c’est le deux poids, deux mesures. Le problème, c’est que lorsque des musulmans sont victimes de ces crimes, ce ne sont pas des incidents terroristes, et seul un crime commis par un musulman peut être qualifié d’incident terroriste ou d’infraction terroriste.
L’affaire Bissonnette et d’autres affaires qui ont malheureusement surgi depuis nous ont montré que notre système de justice et nos fonctions de poursuite appliquent la loi, et nous restons préoccupés par l’application des infractions terroristes à ces types d’incidents.
La présidente : Ce n’est pas la question que j’allais poser, mais je vais la poser maintenant. Vous mentionniez toutes les différentes raisons pour lesquelles la communauté ne fait pas confiance à la police, même si je crois que la police fait un bon travail, et l’une des choses, c’est l’utilisation de la loi sur le terrorisme immédiatement après les événements du 11 septembre et par la suite. J’ai entendu des mères me dire que, lorsqu’on frappe à leur porte, elles pensent que c’est le SCRS ou la police qui vient chercher leur fils, ou c’est leur perception, sans raison. C’est une des raisons pour lesquelles je comprends que nos communautés ne veulent pas aller voir la police. Vous devez avoir beaucoup d’expérience dans ce domaine, car je sais qu’à un moment donné — je ne sais pas si c’était votre organisation — des cartes ont été distribuées disant que si la police ou le SCRS frappe à votre porte, voici ce qu’il faut faire. Je l’avais auparavant dans mon sac à main, mais je ne la trouve plus. Il y a eu beaucoup de communications avec les communautés sur la façon de traiter avec le SCRS ou la police qui frappe à la porte. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet, s’il vous plaît?
Me Ahmed : Madame la sénatrice, cela témoigne de la nature systémique de l’islamophobie, et c’est une grande préoccupation pour nous. L’histoire de la communauté musulmane avec les organismes de sécurité dans le pays a été tendue. Elle a été très difficile, et il y a encore beaucoup de méfiance de la part de la communauté musulmane envers la motivation des forces de l’ordre et des organismes de sécurité. Pendant un certain nombre d’années, nous avons soulevé des préoccupations aux plus hauts échelons du gouvernement au sujet des pratiques de sécurité utilisées par le Service canadien du renseignement de sécurité, par la GRC et par d’autres, et cela reste un travail important à faire. Il s’est écoulé environ 15 ans depuis l’enquête sur l’affaire Maher Arar, et nous parlons encore de ces questions.
Je peux dire que, au CNMC, nous continuons de faire pression pour une plus grande responsabilisation de la part de nos organismes de sécurité. Nous avons récemment vu que la députée Salma Zahid a présenté un projet de loi d’initiative parlementaire visant à inscrire l’obligation de franchise dans la loi. Ce projet de loi d’initiative parlementaire découle du fait que des juges successifs de la Cour fédérale ont constaté que le SCRS avait trompé les tribunaux en obtenant des mandats pour des opérations particulières. Les tribunaux ont soulevé cette question à maintes reprises. Le directeur du SCRS et les plus hautes instances du SCRS nous ont dit qu’il s’agissait d’un problème qu’ils voulaient corriger et réformer, mais nous attendons toujours cette réforme et ces corrections.
Nous allons continuer notre travail pour demander des comptes à nos agences de sécurité nationale, car ce sont des choses de ce genre, le fait de tromper les tribunaux, qui n’engendrent aucune forme de confiance de la part de la communauté musulmane à l’égard d’opérations de sécurité. C’est triste, parce qu’une communauté devrait avoir une certaine confiance dans l’intégrité de nos organismes de sécurité et de leurs opérations, mais des problèmes comme celui-là continuent de surgir et de remettre en question notre capacité d’avoir une relation de plus grande confiance.
La présidente : Pour moi, tromper le tribunal est la dernière étape. C’est tromper lorsque vous frappez à la porte, étant donné l’effet que cela a sur un membre de la communauté. J’ai reçu ces appels lorsque je pratiquais le droit également, et c’est très angoissant. L’une des principales choses que nous devons soulever c’est la façon dont la communauté est traitée, et c’est pourquoi il y a une réticence à aller voir la police. Mais j’ai beaucoup de questions, alors je devrais m’y mettre.
Hier, nous avons rencontré de manière informelle un groupe de femmes très actives. Nous avons été très impressionnés par leur exposé. L’une des choses qu’elles ont évoquées — et je n’avais jamais entendu cela auparavant, mais je suis sûre que vous oui —, c’est l’islamophobie sexospécifique. J’en ai entendu parler, mais je n’y ai jamais réfléchi autant qu’hier soir. Je me demandais si votre organisation travaillait sur la question de l’islamophobie sexospécifique, car il ne fait aucun doute que, en ce moment, les femmes musulmanes se font beaucoup attaquer dans la rue et dans les épiceries. Devrait-il y avoir une campagne sur la façon de protéger ces femmes? Je ne le sais pas. Peut-être avez-vous des idées à ce sujet.
Me Ahmed : Merci, madame la sénatrice.
Oui, le CNMC considère que l’islamophobie sexospécifique fait partie intégrante de notre plaidoyer contre l’islamophobie. Notre section sur l’éducation travaille beaucoup sur cette question, car nous organisons toute une série d’initiatives éducatives contre l’islamophobie dans tout le pays. L’islamophobie sexospécifique est le type le plus courant d’islamophobie, parce que les femmes musulmanes qui sont visiblement musulmanes sont les principales cibles lorsqu’il s’agit de violence et d’intimidation. Nous avons, avec un peu de chance, cet après-midi ou ce matin, d’autres témoins de la communauté musulmane de la Colombie-Britannique qui peuvent parler de l’expérience féminine de l’islamophobie ici, en Colombie-Britannique.
Ce que je peux dire, c’est qu’il faut travailler davantage sur ce sujet. Nous avons des partenaires dans la communauté, comme le Conseil canadien des femmes musulmanes, la fédération des femmes musulmanes et d’autres groupes comme ceux-là qui travaillent avec le CNMC pour s’assurer que l’islamophobie sexospécifique est un domaine d’intérêt clé, non seulement pour nous, mais pour tous les décideurs politiques auxquels nous nous adressons. Pour tous les législateurs auxquels nous nous adressons, nous voulons nous assurer que les expériences des femmes musulmanes sont mises en avant et comprises par tous.
La présidente : Il s’agit probablement du crime le moins signalé, parce que les femmes ne veulent pas attirer l’attention sur elles, du moins sur cette question. Avant de passer aux autres questions, avez-vous des documents sur l’islamophobie sexospécifique que vous pourriez transmettre à notre greffier? Nous voulons absolument les examiner de plus près, et cela nous aidera vraiment à voir les choses. Si vous pouviez fournir d’autres renseignements à ce sujet, n’hésitez pas à le faire.
Me Ahmed : Je vais certainement essayer de voir si nous avons des renseignements à communiquer.
La présidente : Merci.
Je suis très intéressée par votre recommandation sur les crimes haineux, et je voulais savoir ce que vous entendez par un processus spécial pour lutter contre les crimes haineux. Que voulez-vous dire exactement?
Me Ahmed : Madame la sénatrice, le système actuel dans le Code criminel fournit essentiellement aux juges le pouvoir discrétionnaire, face à une infraction de crime haineux, d’utiliser la motivation fondée sur les préjugés dans le cadre des principes de détermination de la peine applicables à une infraction de crime haineux. Il n’y a en réalité aucune disposition autonome qui définit ce qu’est un crime haineux et comment il doit être poursuivi.
Cette recommandation vise à clarifier dans le Code criminel ce qu’est un crime haineux, et c’est une question à laquelle on doit répondre, parce que plusieurs forces de police au pays utilisent une définition différente d’un crime haineux, et cela doit être clarifié à l’échelon législatif également afin que nous puissions concrétiser ce que nous demandons ici.
En ce qui concerne le processus spécial, ce que nous voulons dire, c’est qu’il devrait y avoir un processus énoncé dans une disposition prospective du Code criminel qui décrit exactement comment un crime haineux serait traité, et cela comprend des choses comme les peines qui seraient particulièrement appliquées dans un tel cas, s’il y a un minimum ou un maximum et s’il y a d’autres méthodes de poursuite prévues en vertu de cette disposition. Bien que je n’aie pas d’ébauche précise et que je ne sois pas criminaliste, je peux dire que la version actuelle du Code criminel ne contient absolument rien de ce que nous recommandons, c’est-à-dire une disposition libre et autonome qui traite précisément des infractions de crime haineux en tant que crimes haineux, et non pas comme principe de détermination de la peine lorsqu’un juge condamne un criminel reconnu coupable, par exemple, d’une agression ou d’une autre infraction violente. Nous espérons que la création d’une disposition autonome aura un effet dissuasif supplémentaire dans le système de justice pénale contre ces types de crimes haineux.
La présidente : Vous parlez d’un traitement différent pour les jeunes délinquants ou d’une voie vers la réadaptation pour les jeunes délinquants. J’ai été surprise de voir cela, parce que normalement, lorsqu’il s’agit d’un jeune délinquant, le tribunal s’en occupe, et il existe différentes voies. Pourquoi avez-vous estimé que cela était particulièrement nécessaire? C’est ce qui m’intéressait.
Me Ahmed : C’est une excellente question, qui touche à une préoccupation éthique que nous avons en tant que musulmans canadiens. Nous avons remarqué que certains des auteurs les plus connus d’attaques violentes contre des musulmans étaient, malheureusement, des jeunes, et nous croyons que les jeunes devraient avoir la possibilité, le cas échéant, de trouver une voie vers la réadaptation. Nous avons une grande connaissance, en tant que communauté, en tant que communauté racisée, de ce que le système de justice pénale peut faire aux gens, et nous voulons avoir une voie ouverte qui permet aux jeunes délinquants, et aussi à d’autres, pas nécessairement aux seuls jeunes délinquants, mais aussi aux personnes qui montrent un réel désir et un réel remords pour ce qui s’est passé et ce qu’elles ont fait, de trouver peut-être une voie différente pour expier ce qu’elles ont fait. Nous ne pensons pas simplement que des sanctions pénales sévères sont la seule voie à suivre, et cela découle de notre expérience en tant que communauté ayant une expérience du système de justice pénale. Nous avons entendu nos alliés dans d’autres communautés, comme la communauté noire, la communauté autochtone, nous dire comment ils ont fait face aux mêmes situations, alors nous adoptons une approche plus holistique quant à la façon dont nous traitons ces types d’infractions.
La présidente : Merci.
Le sénateur Arnot : Maître Ahmed, le Canada a été décrit comme l’expérience de pluralisme la plus réussie que le monde ait jamais connue, et j’en conviens. Nous devons cependant aller beaucoup plus loin. Il y a une fragilité attachée à cette observation qui est directement liée à la connaissance, à la compréhension et à l’engagement que tous les Canadiens ont envers notre pays multiculturel, multithéiste et multiethnique. Une étude Ipsos-Reid menée en 2018, je crois, révélait que seulement 38 % des adultes canadiens de plus de 40 ans étaient en faveur du multiculturalisme.
Je me demande simplement, monsieur, si vous avez des commentaires sur la façon dont notre rapport sénatorial pourrait peut-être soutenir cela et formuler des recommandations concernant un programme d’éducation national beaucoup plus robuste pouvant cibler les Canadiens adultes qui n’ont peut-être pas bénéficié d’une partie de l’éducation que les jeunes Canadiens ont maintenant. Je remarque que votre troisième recommandation traite de cette question d’une certaine façon, mais je me demande si vous avez des idées sur ce qui pourrait être un solide programme national visant à faire comprendre et à soutenir les fondements du multiculturalisme et à expliquer pourquoi le multiculturalisme est un élément central de ce que signifie être Canadien.
Me Ahmed : Merci de poser la question, monsieur le sénateur.
Lorsque nous pensons au multiculturalisme au Canada, l’année 1988 semble être il y a très longtemps, lorsque la loi a été adoptée pour la première fois. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il faut s’assurer que l’héritage historique et les exemples actuels du multiculturalisme au Canada sont enseignés et communiqués à nos jeunes. Cela concerne vraiment l’éducation. Nous devons avoir des plans réels et concrets dans toutes les provinces pour traiter de cette question. Il y a quelques années, lorsque nous avions des problèmes de sécurité nationale qui touchaient la communauté musulmane, le CNMC a dit aux forces de l’ordre — et cela reste vrai aujourd’hui — que nous ne pouvons pas espionner et arrêter des gens pour régler le problème. Je tiens à le répéter aujourd’hui. Nous ne pouvons pas espionner et arrêter des gens pour régler ce problème. Il faut mettre l’accent sur l’éducation. Il faut vraiment se concentrer sur la façon dont le gouvernement fédéral peut travailler avec ses homologues provinciaux sur la question du multiculturalisme et des relations raciales. Je crois savoir que le gouvernement fédéral a augmenté le financement de la Fondation canadienne des relations raciales dans le dernier budget, ce qui est très impressionnant et très nécessaire. Nous devons aller beaucoup plus loin.
Cela va nécessiter des conversations difficiles entre différents échelons du gouvernement et différents intervenants. Je crains que nous n’ayons pas cette conversation au palier fédéral présentement. Je suis préoccupé par le fait que le climat politique du pays est devenu beaucoup trop lourd et beaucoup trop polarisé. Nous devons vraiment réfléchir à la manière de le rétablir, et il faudra la bonne volonté de nombreuses personnes différentes pour ce faire. Je partage votre crainte, et je suis d’accord avec vous. Nous devons penser, non seulement en tant que Conseil national des musulmans canadiens, mais aussi en tant que Canadiens, à la manière dont nous pouvons faire avancer les choses et favoriser une meilleure compréhension. Favoriser une compréhension mutuelle est au cœur du travail du CNMC. Les politiques et les lois ne suffisent pas à régler le problème. Nous devons changer les cœurs et les esprits, et cela nécessite de l’éducation. Cela exige de l’huile de coude et beaucoup d’efforts.
La sénatrice Busson : J’estime que votre réponse à la dernière question posée par mon collègue a en quelque sorte répondu à la mienne, mais je voulais juste faire un commentaire sur votre remarque concernant l’application de la loi et le système judiciaire en général.
Je crois que nous tous dans la salle sommes d’accord pour dire que le système judiciaire n’est certainement pas aussi axé sur les victimes qu’il devrait l’être et qu’il atteint rarement la norme élevée de satisfaction pour toute personne impliquée dans ce système. Ajoutons à cela la perception du danger, la perception du manque de sécurité, la perception de la menace dans toute la communauté, notamment les communautés racisées, qui est aussi dangereuse et débilitante que la menace réelle proprement dite, car le terrorisme tend à continuer.
Vous avez parlé de la sensibilisation de la police et des forces de l’ordre, et il s’agit d’un sujet qui me tient à cœur. Or, au Canada, dans le Code criminel, les policiers sont appelés non pas des agents des forces de l’ordre, mais bien des agents de la paix. Hier, nous avons pu observer un peu de ce sentiment lorsque deux membres de la direction du détachement de Burnaby étaient présents à la mosquée où nous avons été accueillis si merveilleusement.
Je me demandais si vous avez des idées ou des pensées concernant la manière dont la police pourrait en faire plus pour rassurer les gens. Il y a des pommes pourries partout. Au sein de l’organisation où je travaillais, la sensibilisation incluait le fait d’essayer d’embaucher plus de membres musulmans. J’ai eu la joie et la satisfaction de rencontrer un bon nombre de ces membres. Je me rappelle d’un membre en particulier qui a été tué en service; la sensibilisation et la quantité de soins et d’attention que la communauté musulmane a apportés à la GRC à cette époque ont vraiment ouvert beaucoup de portes. Avez-vous une idée de la façon dont nous pouvons briser cette barrière et renforcer cette confiance? Je sais que vous avez parlé du manque de confiance, et je le constate chaque jour. Beaucoup de gens dans la communauté musulmane et d’autres communautés racisées viennent d’endroits où la police est généralement l’ennemi. Avez-vous des commentaires à faire sur ce que je viens de dire, s’il vous plaît?
Me Ahmed : Merci, madame la sénatrice.
La présidente : Maître Ahmed, malheureusement, nous avons très peu de temps, alors vous disposez d’une minute pour répondre. Merci.
Me Ahmed : Je répondrai rapidement.
Il s’agit d’une question difficile, madame la sénatrice. Selon moi, la première chose qui peut être faite par les forces de l’ordre est de mieux enquêter et mieux poursuivre les crimes haineux visant les communautés racisées et dans le cas présent, visant la communauté musulmane. Cela renforce la confiance. Bien entendu, personne ne demande que des accusations soient portées lorsque ce n’est pas mérité, mais les infractions doivent faire l’objet d’une enquête appropriée. À maintes reprises, que ce soit à Edmonton ou ailleurs, nous avons vu les forces de l’ordre ne pas intervenir de manière appropriée malgré les demandes pressantes de la communauté, alors nous devons voir de meilleurs services de la part de la police à l’égard de ces questions. Ensuite, lorsque les jeunes musulmans se verront représentés au sein de la police par l’embauche et la promotion de Canadiens racisés, je crois que nous constaterons une amélioration continue de cette question, mais il s’agit certainement d’un travail en cours, et il n’y a pas de solution rapide à ce problème.
La présidente : Je vous remercie, maître Ahmed. Le comité vous remercie sincèrement de votre présence, et je voudrais également souligner que vous avez donné et consacré beaucoup de votre temps, et pas seulement au sujet de l’islamophobie. Vous vous battez pour que nous soyons tous traités comme des Canadiens égaux. C’est votre combat, et ce, depuis très longtemps. Je vous remercie d’avoir pris le temps d’être présent aujourd’hui.
La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.
La présidente : Je vais maintenant présenter notre deuxième groupe de témoins. Chaque témoin a été invité à faire une déclaration préliminaire de cinq minutes, mais nous avons décidé que, comme nous disposons de suffisamment de temps, vous pouvez dépasser les cinq minutes et aller jusqu’à six ou sept minutes. Nous allons entendre tous les témoins, ensuite nous passerons aux questions des sénatrices et sénateurs.
Nous commencerons avec Mme Naila Miled, qui est une conseillère en matière de lutte contre le racisme, de la faculté de médecine de l’Université de la Colombie-Britannique. Madame Miled, vous avez la parole.
Neila Miled, conseillère en matière de lutte contre le racisme, Faculté de médecine de l’Université de la Colombie-Britannique, Bureau pour un environnement respectueux, équitable, de la diversité et de l’inclusion : Bonjour, tout le monde. Je suis présente pour parler de ce phénomène, et je veux préciser que les musulmans mènent une existence précaire au Canada, et que le malaise à l’égard de l’islam et des musulmans est profondément ancré dans les politiques, les médias et les programmes scolaires canadiens.
Je m’adresse à vous aujourd’hui pour faire entendre la voix des jeunes musulmans sur lesquels j’ai mené mes recherches pour ma thèse de doctorat. Mon étude a été menée dans une école secondaire auprès de jeunes musulmans âgés de 14 à 19 ans. Cette étude portait sur la manière dont les jeunes musulmans de 14 à 19 ans fréquentant une école secondaire publique canadienne composent avec leur identité et leur sentiment d’appartenance au Canada, et sur l’impact de leurs expériences scolaires quant à ce processus.
Je reconnais que, pendant plusieurs années, j’ai dû composer avec le malaise de faire des recherches sur des jeunes portant l’étiquette de musulmans et de tenter de les amener à répondre à mes questions de recherche. Il était difficile de leur poser la question : comment se sent-on quand on est musulman? Afin d’obtenir des réponses sur la façon dont ils composent avec leur « identité musulmane » et leur « identité canadienne », il a fallu leur poser les vraies questions, celle de du Bois, la fameuse question : comment se sent-on quand on est un problème? D’après les résultats de mes recherches, je confirme que les jeunes musulmans se sentent insécures et exclus de l’imaginaire de la nation canadienne. Ce constat n’est pas pessimiste; il est réaliste.
Je vais vous citer quelques extraits. « En tant que musulmane noire, je suis confrontée à beaucoup de discrimination et de haine à bien des endroits », a déclaré Fatemeh. « En tant que musulman noir, j’ai toujours été perçu comme un mauvais garçon, un fauteur de troubles », a déclaré Ahmed. Hadija a déclaré : « Mon voile fait en sorte que les gens me regardent d’une manière étrange. Ma mère a été attaquée une fois, et c’était une expérience terrible ». La déclaration la plus émouvante est la suivante : « Je suis née ici. L’anglais est ma langue maternelle, mais je ne me suis jamais sentie à ma place ici. J’étais toujours attaquée, et on me disait de rentrer chez moi. Où c’est, chez moi? Je n’ai pas d’autre endroit où aller. »
Tous les participants à mon étude ont exprimé leur expérience quotidienne de la haine, mais l’impact essentiel de l’islamophobie, selon eux, c’est la manière dont elle a une incidence sur leur vie, sur leurs débouchés, leur éducation, leur emploi et la question de savoir s’ils auront un jour la chance d’être considérés comme des Canadiens.
L’islamophobie affecte les musulmans de différentes manières. Bien évidemment, les femmes visiblement musulmanes et les musulmans noirs sont les plus marginalisés. Les musulmans noirs sont doublement aliénés. Le fait d’être noir et musulman, l’intersection de l’identité musulmane et de l’identité noire les place en marge de ce que représente l’identité canadienne. Les participantes visiblement musulmanes ont exprimé un sentiment d’insécurité et de menace constate, et ont insisté sur les préoccupations concernant la sécurité des femmes visiblement musulmanes.
Je n’entrerai pas dans les statistiques. Nous les connaissons tous. Ce qui est important ici pour moi, ce sont les chiffres du recensement selon lesquels les musulmans sont bien éduqués. Parmi les personnes âgées de 15 ans et plus, 56 % des musulmans ont fait des études postsecondaires, contre 44 % pour l’ensemble de la population. Cependant, un niveau d’éducation plus élevé ne veut pas dire et ne suppose pas un revenu plus élevé. Les musulmans sont plus nombreux que tout autre groupe religieux à se situer dans la tranche inférieure des revenus, soit les personnes qui gagnent 30 000 $ et moins par an. Les musulmans ont également le taux de chômage le plus élevé après les Autochtones.
Les jeunes ont fait savoir que la violence n’est pas seulement physique, mais qu’elle est aussi véhiculée par différentes politiques et qu’elle cible les femmes musulmanes. Les médias les représentent comme étant sans visage et sans pouvoir. Je préfère personnellement le racisme antimusulman — celui qui s’exprime par l’absence, le silence et l’exclusion des musulmans des processus décisionnels.
Je vous remercie.
La présidente : Merci beaucoup, madame Miled.
Maintenant, nous céderons la parole à Hasan Alam, qui est le cofondateur et l’agent de liaison communautaire de la Ligne d’assistance juridique pour l’islamophobie.
Me Hasan Alam, cofondateur et agent de liaison communautaire, Ligne d’assistance juridique pour l’islamophobie : Bonjour, madame la présidente, honorables sénatrices et sénateurs et membres du comité. Je m’appelle Hasan Alam, et je suis l’un des cofondateurs de la Ligne d’assistance juridique pour l’islamophobie. Je fais actuellement partie du comité directeur et j’assure la liaison avec la communauté pour la ligne d’assistance. Dans le cadre de mes fonctions d’agent de liaison communautaire, je communique avec les communautés musulmanes de la Colombie-Britannique, je les rencontre et leur parle de l’islamophobie, et j’assure également la liaison avec les médias et le gouvernement.
La Ligne d’assistance juridique pour l’islamophobie a été créée en 2016 par une coalition diversifiée de personnes et d’organisations de la communauté juridique de la Colombie-Britannique, après que nous avons constaté une augmentation nationale des incidents signalés de discrimination raciale et religieuse à l’encontre des musulmans au Canada. L’objectif qui sous-tendait la création de cette ligne d’assistance était d’offrir un service juridique gratuit et confidentiel, dans plusieurs langues, aux personnes qui ont été affectées par l’islamophobie, qu’elles soient musulmanes ou perçues comme telles, puisque nous savons que, bien souvent, des personnes qui ne sont même pas musulmanes sont victimes d’islamophobie parce qu’elles sont perçues comme musulmanes. Comme vous le savez, l’islamophobie reste un problème au Canada, et notre pays a connu plus de massacres motivés par l’islamophobie au cours des cinq dernières années que tout autre pays du G7.
Quant au fonctionnement de notre ligne d’assistance, une personne qui appelle notre ligne d’assistance parle d’abord à un bénévole qui prend une description de l’incident ou de la situation à laquelle l’appelant est confronté. Les appels à la ligne d’assistance sont traités par des bénévoles appartenant à une organisation appelée Access Pro Bono. Selon la situation décrite par l’appelant et ses besoins linguistiques, il est mis en relation avec un avocat compétent dans le domaine juridique en question et qui maîtrise la langue, et ce dernier lui fournit des conseils juridiques de façon bénévole. Les problèmes juridiques que nous constatons dans le cadre de la ligne d’assistance concernent les plaintes relatives aux droits de la personne, les problèmes d’immigration et les questions de droit criminel. Plus particulièrement, nous avons observé une augmentation des problèmes liés au droit du travail. Les personnes qui appellent la ligne d’assistance téléphonique signalent des incidents allant du refus d’un emploi ou d’une promotion en raison de leur identité musulmane à des commentaires préjudiciables sur le lieu de travail, en classe, dans les transports en commun ou dans la rue, en passant par le profilage racial de la part des agents frontaliers.
Depuis le 6 mars 2016, jour du lancement de la ligne d’assistance téléphonique, celle-ci a reçu des centaines d’appels, mais également 113 plaintes confirmées pour islamophobie. Quand je dis confirmées, je veux dire des plaintes où nous avons, en fait, cerné un problème d’islamophobie et où la personne choisit d’aller de l’avant avec une poursuite judiciaire. Nous recevons des centaines d’autres appels où la personne signale l’incident, mais choisit de ne pas donner suite à la plainte ou n’est pas en mesure de déterminer qu’il s’agissait en fait d’un incident d’islamophobie ou encore nous ne pouvons le prouver concrètement. Les chiffres montrent que 68 % des appels concernent des problèmes de discrimination dans l’emploi, à l’école, à l’hôpital, par l’ASFC, dans les prisons et dans les transports en commun; 28 % des appels concernent des problèmes de harcèlement, et 4 % concernent malheureusement des problèmes d’agression physique. Malheureusement, comme vous pouvez le constater au vu de ces statistiques, l’islamophobie est présente dans tous les secteurs de notre société. Comme je l’ai mentionné précédemment, il arrive souvent que la personne qui appelle la Ligne d’assistance juridique pour l’islamophobie ne soit même pas une personne d’origine musulmane, mais qu’elle soit perçue comme musulmane.
Lorsque nous avons créé la Ligne d’assistance juridique téléphonique, nous étions conscients du fait que les gens qui sont victimes d’islamophobie n’ont souvent pas les ressources financières nécessaires pour obtenir des conseils juridiques, étant donné le prix élevé de l’accès à notre système juridique. En plus des obstacles financiers, les gens et les communautés qui sont victimes d’islamophobie sont confrontés à une panoplie d’autres facteurs intersectoriels qui les empêchent de trouver de l’aide. Par exemple, l’anglais n’est peut-être pas leur langue maternelle; ils ne connaissent pas ou pas bien les services de soutien qui leur sont offerts; ils peuvent avoir un statut de citoyenneté précaire qui fait qu’ils hésitent à demander l’aide des forces de l’ordre ou des organismes gouvernementaux ou craignent de la faire, de peur d’être renvoyés du pays à cause de leur statut d’immigration précaire — nous ne savons pas si cette crainte est fondée en réalité, mais elle demeure omniprésente —; et ils se méfient souvent des organisations associées à l’État, comme les organismes d’application de la loi, à cause d’expériences négatives qu’ils ont vécues dans le passé ou de leurs perceptions.
Je voulais vous faire part de quelques-uns des problèmes récurrents que nous avons observés au cours des six dernières années, depuis l’ouverture de la Ligne d’assistance juridique téléphonique, autant en ce qui concerne les appels que nous avons reçus que dans le cadre de nos activités communautaires de sensibilisation. Premièrement, quand les gens appellent le service téléphonique, il arrive souvent qu’ils ne savent pas s’ils ont véritablement vécu de l’islamophobie. C’est que les gens et les organisations qui agissent avec des préjugés contre les musulmans le font rarement de façon explicite. Ces actes et attitudes préjudiciables prennent souvent la forme d’une micro-agression ou de décisions ou politiques qui ne reposent pas sur l’islamophobie, mais dont les répercussions sont tout de même ressenties comme étant préjudiciables.
Un autre problème que nous avons observé dans le cadre de notre travail communautaire de sensibilisation est que, même quand une personne est clairement victime d’islamophobie, elle n’a souvent pas les connaissances ou le vocabulaire nécessaires pour expliquer qu’il s’agit d’un incident islamophobe. Elle sait qu’il y a un problème, que quelque chose ne tourne pas rond, mais elle n’a pas le cadre de référence nécessaire pour démontrer que ce qui s’est passé était un acte de discrimination.
Enfin, les gens qui sont clairement victimes d’islamophobie ont tendance à hésiter à demander de l’aide à la Ligne d’assistance juridique téléphonique ou à dénoncer l’incident d’une autre façon. Cela s’explique de plus d’une façon, mais, comme nous l’avons constaté, je crois que la première raison tient au fait que de nombreuses communautés d’immigrants ont un sentiment d’appartenance profondément ancré à ce que j’appellerais le milieu de la minorité moderne, c’est-à-dire qu’elles ont été socialisées de façon à croire qu’elles sont chanceuses d’être ici au Canada, qu’elles ne devraient pas faire de vagues, mais travailler dur et ne pas attirer l’attention en s’exprimant. Deuxièmement, les communautés musulmanes, vu la façon dont elles sont surveillées depuis le 11 septembre ici au Canada et les antécédents de profilage racial, ne veulent pas non plus attirer l’attention sur elles.
Je crois que l’une des façons de combattre les problèmes que je viens de vous exposer est de fournir un réseau de sensibilisation à l’échelle du pays, dans le but de sensibiliser les gens à propos de l’islamophobie, des formes qu’elle peut prendre, des attitudes et des idéologies sous-jacentes sur lesquelles elle repose et pour informer les gens de ce qu’ils peuvent faire pour intervenir. Ces efforts de sensibilisation devraient avoir lieu dans tous les secteurs de la société, y compris nos écoles, nos collèges, nos universités, nos lieux de travail, les organismes d’application de la loi, les services frontaliers et les organismes du gouvernement lui-même. Le but de cette sensibilisation n’est pas seulement de donner aux gens victimes d’islamophobie les moyens de réagir, mais aussi d’empêcher que cela arrive, en premier lieu, en sensibilisant les gens à propos des préjugés et des attitudes nuisibles qui causent l’islamophobie.
Je pense qu’il est extrêmement important qu’il y ait une formation pour les gens qui sont témoins. Les gens qui appellent la ligne d’assistance téléphonique nous disent très souvent : « J’aurais aimé que quelqu’un qui a vu ce qui se passait ait fait quelque chose. J’aimerais que les gens soient intervenus. » C’est quelque chose que nous ne voyons pas. Il faut que les gens interviennent et qu’ils disent quelque chose quand ils sont témoins de ces incidents, parce que la personne qui subit de l’islamophobie est souvent figée ou choquée, et elle se sent impuissante, et nous avons besoin que les gens plus privilégiés interviennent et fassent quelque chose lors de ce genre d’incidents, qu’ils se produisent dans la rue, dans l’autobus, au travail, à la frontière ou n’importe où ailleurs.
Je vais conclure en disant que, même si la ligne d’assistance téléphonique est un service important, ce n’est qu’une solution temporaire. Il s’agit d’un recours potentiel pour les gens qui sont déjà victimes d’islamophobie, mais cela n’empêche pas l’islamophobie en premier lieu. C’est pourquoi nous, les gens de la Ligne d’assistance juridique téléphonique, croyons qu’il est incroyablement important de s’attaquer aux causes sous-jacentes de l’islamophobie au Canada, et il y en a beaucoup. J’en ai déjà souligné quelques-unes, mais une cause qui nous préoccupe tout particulièrement, compte tenu des études et de ce que nous entendons d’un grand nombre de nos organismes ici au Canada, c’est la montée du mouvement de la suprématie blanche au Canada. La suprématie blanche est en hausse ici, et le discours préjudiciable qui en découle est en train d’être normalisé dans les médias sociaux, dans la sphère publique et même dans le monde politique. C’est ce qui radicalise les jeunes hommes blancs en particulier et les encourage dans leur comportement raciste et haineux, autant en ligne qu’en public, dans la vie de tous les jours.
En 2019, David Vigneault, le directeur du SCRS, a dit au Comité sénatorial de la sécurité nationale que son organisation est de plus en plus préoccupée par la menace que représentent les groupes d’extrême-droite violents et les suprémacistes blancs. C’est cette même idéologie qui a motivé Alexandre Bissonnette à ouvrir le feu sur les fidèles de la mosquée de Québec, et c’est cette même idéologie haineuse qui a motivé Nathaniel Veltman à faucher brutalement une famille musulmane de cinq personnes à London, en Ontario, mais c’est aussi cette même idéologie qui alimente, si je peux dire, les formes plus bénignes de l’islamophobie au quotidien. Je vous implore de prévoir temps, énergie et ressources pour étudier la propagation de cette idéologie et la freiner.
Je vais conclure sur ces commentaires et vous céder la parole pour les questions. Je vous remercie de votre temps et de l’occasion que vous m’avez donnée.
La présidente : Merci, maître Alam.
C’est au tour de Mme Tahzi Ali, secrétaire adjointe du Conseil des femmes de l’Association musulmane de la Colombie-Britannique.
Tahzi Ali, secrétaire adjointe, Conseil des femmes de l’Association musulmane de la Colombie-Britannique : Bonjour, mesdames et messieurs les membres du Comité et bonjour aux témoins. Je fais partie de l’Association musulmane de la Colombie-Britannique, qui compte un grand nombre de mosquées, d’écoles et de centres d’un bout à l’autre de la Colombie-Britannique. L’Association a vu le jour en 1966, quand un certain nombre de musulmans ont décidé d’ouvrir un centre. Nous n’étions qu’une poignée, moins de 100 musulmans probablement à l’époque, alors qu’il y a maintenant plus de 100 000 musulmans en Colombie-Britannique.
Mon témoignage aujourd’hui sera surtout axé sur le point de vue de la communauté musulmane locale de la Colombie-Britannique. Je suis arrivée au Canada en 1973, à l’âge de sept ans. J’ai vu la communauté grandir avec les yeux d’une jeune fille qui ne savait pas parler anglais, je l’ai vue grandir et devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Nous avons des musulmans de deuxième et de troisième générations en Colombie-Britannique, et il y a aussi de nouveaux Canadiens. Des réfugiés sont arrivés et se sont ajoutés à la population. Nous avons connu une croissance exponentielle. Nos centres et nos mosquées sont pleins, pleins à craquer, et quand nous avons des événements, quand nous avons des prières, quand nous avons des événements religieux, des événements de grande envergure, nous dépassons largement notre capacité.
Cependant, qu’est-ce que cette augmentation reflète? Nous avons une diaspora. Nous avons des musulmans de multiples générations en Colombie-Britannique. Cela nous donne une idée des problèmes auxquels les musulmans ont été confrontés. Je fais moi-même partie d’une mosquée, et j’ai travaillé au niveau de la direction ainsi que sur le terrain. Pour les musulmans, les mosquées sont des endroits sécuritaires. Ils les voient comme un endroit sûr. Elles sont ouvertes du matin jusqu’à tard le soir. Les gens y vont quand ils veulent, ils peuvent parler à tous ceux qui s’y trouvent. Ils peuvent parler de leurs sentiments et des épreuves qu’ils traversent peut-être. La direction de la mosquée a pour devoir de veiller à soutenir les communautés et à les écouter, malgré des ressources limitées.
Dans nos centres, nous organisons des groupes de discussion et des assemblées publiques. Nous essayons ou nous nous efforçons toujours de développer des programmes pour réunir nos sœurs et nos frères musulmans, afin qu’ils puissent exprimer ce qu’ils vivent et discuter de la santé mentale. La santé mentale est le principal sujet de discussion de nos jours, et cela ne concerne pas seulement les étudiants et les Canadiens de deuxième et de troisième générations et tout ce qu’ils peuvent traverser, mais aussi les nouveaux immigrants.
Nous nous sommes engagés à fournir des services à notre communauté, et malgré tout, nous avons de la difficulté à trouver des ressources, du soutien et du financement pour soutenir notre communauté avec des ressources et des programmes de santé mentale. Même si nous pouvons leur dire : « Voici un conseiller à qui vous pouvez parler », le fait est que notre communauté est à l’aise dans nos établissements. Les gens se sentent à l’aise quand ils y entrent. Ils se sentent à l’aise quand ils parlent à ceux qui sont disponibles. Ils se tournent vers nous pour que nous leur fournissions les ressources dont ils ont besoin pour trouver un emploi, pour apprendre la langue et pour savoir comment communiquer. Mon frère ici présent a mentionné que, dans notre culture, les gens se font discrets, font leur travail et ne font pas de vagues, mais c’est cela qui les opprime. Cela les opprime au point de les empêcher d’avancer.
Quand je dis « les gens », je parle surtout des femmes. D’après ce que j’entends, ce sont surtout les femmes qui sont trop gênées pour demander une place pour la prière à la mosquée ou qui sont trop gênées pour passer une entrevue. L’anxiété s’accumule déjà en elles quand elles pensent : « Est-ce que je peux me présenter à une entrevue devant une autre personne avec mon hidjab? On me juge déjà selon mon apparence, et pas selon mon CV, mon éducation ou quoi que ce soit d’autre. »
J’ai connu une étudiante universitaire, à l’Université Simon Fraser, qui portait l’abaya, une robe longue. Elle s’habille modestement, et c’est la plus belle et la plus intelligente des jeunes femmes, mais même son enseignant, son professeur à l’Université Simon Fraser, s’est moqué d’elle. Vous voyez à quel point c’est décourageant? Quel message cela envoie aux étudiants là-bas? « C’est correct. Tu es ce que je vois dans les médias. Tu es ce que je vois devant moi. Voilà qui tu es. » Les médias jouent un rôle très important aussi.
Il y a un pays où les femmes ont enlevé leur hidjab, et cela a été perçu comme une libération. Le hidjab est vu comme un symbole d’oppression. J’ai moi-même effectué mon propre parcours par rapport au hidjab. Je ne l’ai pas porté jusqu’à il y a environ 15 ans. Cela a été mon parcours religieux personnel. Mais cette perception existe.
Les mères viennent à la mosquée et nous parlent de leurs fils qui ont été incarcérés. Que pouvons-nous faire? Comment pouvons-nous les aider? Comment pouvons-nous les soutenir? Nous n’avons pas les ressources pour les aider. Nous nous occupons de les orienter dans le système, mais cela reste le système.
Pourquoi est-ce que nos jeunes filles et nos jeunes garçons ne font pas confiance aux forces de l’ordre? En tant que leaders communautaires, nous voulons voir des jeunes filles et des jeunes garçons musulmans devenir des agents de police, des fonctionnaires et des agents de l’ASFC. Il y a très, très peu de musulmans aux premières lignes. C’est très malheureux. Ils ne font pas confiance aux forces de l’ordre. Pourquoi? J’ai posé la question à un membre de ma famille, j’ai demandé : « Tu ferais un excellent agent de l’ASFC. Tu es grand, tu es fort, tu es intelligent, tu as bon cœur. » Il m’a répondu : « À quoi bon? » En grandissant, ils ont toujours été perçus par la police comme des criminels ou interrogés par elle.
Même à l’école secondaire, quand un groupe d’amis traîne au centre commercial ou dans un coin, les gens croient que ce sont des fauteurs de trouble, mais pourquoi? À cause de leur apparence ou parce qu’ils ont peut-être l’air de fauteurs de trouble, parce que ce sont des garçons à la peau brune ou des garçons africains ou des garçons issus des minorités qui se tiennent ensemble.
Du point de vue d’une femme musulmane, je vois qu’il y a énormément d’inégalités et de choses qui jouent contre eux. Même en tant que femme, de façon générale, il y a des difficultés qui doivent être prises au sérieux, par exemple pour gravir les échelons au travail et d’autres choses du genre. Pouvez-vous imaginer ce que c’est que d’être une femme musulmane qui porte le hidjab, qui doit surmonter tout ce qui se dresse devant elle, qui fait qu’elle doit se battre plus fort, travailler plus fort? Il y a une limite à ce que vous pouvez faire quand vous êtes jugé automatiquement et que vous attirez les préjugés à cause de votre apparence.
Nous avons dans notre communauté des jeunes enfants très, très intelligents, brillants et futés, et ils sont fiers d’être Canadiens. Ils sont fiers de servir leur collectivité. Nous essayons de les encourager à s’engager dans la collectivité. Ne restez pas juste dans la mosquée. Oui, venez ici, faites du bénévolat, aidez-nous à participer à la collectivité, à travailler avec la ville, à travailler avec l’association, à être visibles.
Quand vous regardez les médias, ou même quand vous voyez un panneau publicitaire... un ami m’a envoyé récemment une photo d’un autobus en Ontario, et on y voyait une femme qui portait le hidjab, et ça me fait plaisir. Une jeune fille à côté de moi qui porte le hidjab m’a dit : « Wow, c’est génial. » Donc, il faut plus de représentation dans les médias, que ce soit sur les panneaux d’affichage de la collectivité, que ce soit fait par la ville ou par un commerce... Il faut normaliser. Normaliser le fait que les musulmans vont magasiner, vont à la banque et font les choses normales du quotidien. Les médias ont une grande importance, je le comprends, mais nous pouvons aussi en faire beaucoup, essentiellement, grâce à la municipalité, au gouvernement provincial et au gouvernement fédéral. Il faut qu’il y ait plus de musulmans visibles, plus de minorités visibles, cela doit être répandu, il faut les interviewer et il faut montrer leur image.
Quand les dépliants sont publiés pour le ramadan, vous devriez voir comment ils sont partagés dans nos groupes WhatsApp, parce que les musulmans sont enthousiasmés. Regardez, il y a des dates pour nous au supermarché. Cela crée des liens. Cela crée des liens quand les entités populaires, les organisations et les entreprises disent : « Nous savons qu’il y a des musulmans ici. »
N’hésitez pas à m’interrompre.
Un des projets que nous avons mis sur pied, par l’intermédiaire de la mosquée, durant le ramadan, c’était des tapis pour la prière. Nous voulions donner à un groupe d’écoles spécifiques une trousse de bienvenue. Cette trousse de bienvenue comprenait de l’information sur le ramadan et des tapis pour la prière, l’essentiel. Vous ne pouvez pas croire toutes les difficultés que nous avons eues. La plupart des écoles nous ont rejetés. Nous avons fait cela parce que des élèves nous avaient dit qu’ils étaient trop gênés pour demander à leurs enseignants un espace pour la prière, surtout pendant le ramadan, quand les enfants jeûnent et d’autres choses du genre, parce qu’il n’est même pas question du jeûne dans les écoles. Personne n’explique ce qui se passe et on ne nous donne pas l’occasion de l’expliquer. Il n’y a qu’une poignée d’écoles qui ont accepté notre trousse, les autres écoles ont dit non, alors c’est une porte qui nous a été fermée.
Les soins de santé sont une autre piste. Les musulmans discutent beaucoup de l’inégalité dans les soins de santé. Pendant le ramadan, mon amie a fait une chute dans la mosquée. La mosquée était remplie et nous portions toutes nos robes longues et nos hidjabs. Elle est tombée, alors je l’ai amenée, avec une autre amie, à l’hôpital du coin. Nous étions à peu près certaines qu’elle avait le bras cassé. Elle pouvait à peine marcher. Elle souffrait énormément. Nous nous sommes dit, le temps que l’ambulance arrive... aussi bien la conduire à l’hôpital. La façon dont elle a été traitée... J’étais choquée. J’ai tout de suite pensé : « Eh bien, ils nous regardent et ils voient trois femmes en longue robe noire avec un hidjab noir. » Quelle image est-ce que cela vous renvoie? L’infirmier à l’accueil était très, très impoli. Il a été très rude, physiquement, avec elle, et lui a causé plus de douleur. Je lui ai dit : « Vous lui faites encore plus mal. Elle est blessée. » Il a dit : « Laissez-moi travailler », et il a pris son temps, s’est attardé, et il a été très lent dans la façon dont il nous a traitées. À mon avis, ce que nous avons vécu, c’était carrément un abus de pouvoir parce que nous étions des femmes musulmanes. Cela a pris plusieurs heures. Finalement, mon amie avait deux ou trois fractures. Je veux dire, c’était une expérience très, très triste et horrifiante, et l’urgence n’était pas remplie.
J’en ai parlé, par la suite, et je reviens à la raison pour laquelle nous ne dénonçons pas ce genre de choses. Même si j’ai évacué la colère et que je me suis plainte, et que je suis celle qui dénonce et qui demande à parler aux supérieurs, je ne l’ai pas fait. Je ne l’ai pas fait, et je ne sais pas pourquoi je ne l’ai pas fait. J’ai tout de même parlé à notre député local. J’ai parlé à quelques personnes. On m’a dit : « Écrivez ce qui s’est passé. » J’ai même songé à envoyer une lettre à Coastal Health. C’est épuisant. C’est épuisant d’avoir à faire toutes ces démarches pour défendre un droit humain fondamental, et cela explique peut-être en partie pourquoi les gens ne dénoncent pas. Ce ne sont que quelques exemples.
Maintenant, que faisons-nous? Nous devons comprendre les causes profondes de ces comportements et peut-être réaliser des études sectorielles. Par sectorielles, je parle d’éducation... Un étudiant m’a dit quelque chose de très puissant : « Oui, même si on publie tous les documents d’éducation, il faut quand même que les enseignants soient nos alliés. Si les enseignants ne sont pas nos alliés, nous sommes qu’une voix dans le désert. » Heureusement, il y a de merveilleux enseignants ici. Nous avons participé à de merveilleux événements dans les écoles secondaires également. C’est quelque chose de très puissant quand un étudiant sait cela. Un enseignant n’a pas à être musulman, s’il voit ses élèves et qu’il reconnaît leurs besoins et qu’il les soutient s’ils ont des idées, s’ils veulent un espace pour prier, s’ils veulent organiser une célébration pour l’Aïd ou quelque chose pour rassembler la communauté.
En conclusion, j’aimerais tout simplement dire que nous vivons dans un merveilleux pays. Nous sommes de fiers Canadiens. Nous contribuons énormément à la société. En tant que femmes musulmanes, nous savons que notre communauté veut prospérer. Il y a beaucoup de gens incroyables ici qui veulent participer à cette merveilleuse progression, et nous avons besoin de plus d’études, de plus de conversations, de plus de dialogues. Mais au bout du compte, il y a eu beaucoup d’études, et il est temps de mettre en œuvre des plans d’action. Je comprends qu’il y a des considérations à l’échelon provincial, municipal, fédéral et ailleurs, mais mon témoignage d’aujourd’hui vise davantage l’échelon communautaire, ce que nous voyons dans les mosquées et ce dont notre communauté a désespérément besoin en matière de soutien de notre part, des leaders de la mosquée et de la communauté ainsi que de votre part en tant que leaders également.
Merci.
La présidente : Merci.
Avant de passer au prochain témoin, honorables sénateurs et sénatrices, nous devons adopter une autre motion pour permettre que la réunion soit filmée :
Que le comité permette aussi aux médias d’enregistrer sur vidéo ses audiences publiques à Vancouver, à Edmonton, à Québec et à Toronto, avec le moins de perturbation possible.
Sénatrice Jaffer, êtes-vous prête à proposer la motion? Merci. Sommes-nous tous d’accord? Merci.
Je vais maintenant donner la parole à notre prochain témoin, M. Sajoo, chercheur résident.
Amyn B. Sajoo, chercheur résident et chargé de cours, École d’études internationales, Université Simon Fraser (à titre personnel) : Merci, honorables sénateurs et sénatrices, de votre invitation et d’avoir entrepris cette étude sur l’islamophobie au Canada.
Je pense qu’il est approprié que cette initiative soit présentée comme une question de droit de la personne et non pas comme une demande spéciale d’un groupe confessionnel ou culturel qui aurait comparu devant vous. Il est vrai que l’islamophobie est une forme de préjudice systémique et individualisée distincte, mais, à l’instar d’autres violations similaires, notamment celle contre les Autochtones et les Afro-Canadiens, cela est ancré depuis longtemps dans notre société et nos institutions, y compris dans le droit.
Ultimement, il s’agit d’une question de citoyenneté pluraliste. Mon travail est axé là-dessus, pas seulement dans les études que je fais ou dans mon enseignement à l’Université Simon Fraser, mais aussi dans les discussions publiques que j’organise depuis 2018 sur l’identité et la citoyenneté; d’ailleurs, l’islamophobie est le thème de cette année. Vous avez en annexe une image des experts que nous recevons pour ces discussions. Vous avez déjà entendu deux des personnes que j’ai invitées pour cette série, les professeurs Anver Emon et Jasmin Zine, et vous connaissez sans doute l’un des invités précédents, M. John Ralston Saul, qui nous a expliqué de son point de vue comment le retour à l’identité autochtone était essentiel pour le sens de l’identité canadienne.
Comme je sais ce qui a déjà été dit à ce comité, je veux mettre l’accent sur la littératie en matière d’éthique. Il s’agit de comprendre les limites du droit seul — et je le dis en tant que chercheur spécialisé en droit — et de reconnaître la pertinence civique de la religion.
Il y a quelques mois, Fatemeh Anvari a perdu son poste d’enseignante à l’école primaire Chelsea parce qu’elle portait le hidjab, en contravention avec la loi québécoise sur la laïcité, la loi 21, et elle n’avait aucun recours contre ce qu’un juge de la Cour supérieure du Québec a décrit comme étant « une conséquence cruelle qui déshumanise les personnes ciblées ». La loi est protégée parce qu’on invoque la clause nonobstant de la Constitution canadienne. La cour a conclu que l’utilisation de la clause était excessive, mais « inattaquable en droit, vu l’état actuel du droit ». À mon avis, c’est orwellien quand, au nom des valeurs libérales laïques, la loi cible les femmes musulmanes, et pour citer la cour, « viole la liberté de religion et la liberté d’expression, puisque l’habillement constitue la forme la plus simple et la plus pure d’expression et de manifestation d’une croyance religieuse ».
Autre chose, il y a une critique cinglante de ce que les universitaires appellent l’analphabétisme religieux en ce qui a trait aux lois et aux tribunaux au Canada, aux États-Unis et en Inde. Les universitaires en question — c’est en note de bas de page dans le mémoire — Nathan Walker, Amarnath Amarasingam et Hicham Tiflati, avaient ceci à dire :
L’analphabétisme religieux est étroitement lié aux projets du nationalisme, aux politiques électorales et à des concepts laïques. De plus, ce [...] discours a souvent des conséquences sur le terrain et entraîne une hausse de la persécution sociale des minorités religieuses.
Vous vous demandez peut-être, qu’est-ce que la littératie religieuse, et selon eux, c’est « davantage que de connaître des faits ou d’avoir l’information générale sur la religion ». C’est avoir « une compétence fondamentale en matière civique » et « un ensemble de compétences et d’attitudes qui peuvent être enseignées, qui permettent aux citoyens de comprendre comment la religion, la spiritualité et la non-religion façonnent la vie de tous les jours ».
Ils concluent que l’islamophobie repose à la fois sur un manque général de connaissances sur les pratiques, les valeurs et les croyances des musulmans, ce qui débouche sur des suppositions, des stéréotypes et des généralisations inexacts, mais aussi sur une évaluation des musulmans qui fait qu’ils sont perçus comme « l’autre » et comme ayant moins de valeur que les non-musulmans.
À mes yeux, c’est ce recoupement entre le civisme, le droit et les traditions religieuses qui m’amène à dire qu’il s’agit d’une question de littératie éthique. Maintenant, que pouvons-nous faire par rapport à cela? Exactement ce que nous avons fait pour reconnaître les préjugés canadiens contre les Autochtones et les Afro-Canadiens, c’est-à-dire mettre en œuvre des politiques, des pratiques et une éducation publique pour la vérité et la réconciliation, pas seulement dans l’État, mais aussi dans la société civile.
De nombreux témoins ont parlé des mesures appropriées à prendre en matière de droit et de politique publique. Mais il est tout aussi important de lutter contre l’islamophobie dans les curriculum scolaires et universitaires, et même jusque dans le perfectionnement professionnel pour les fonctionnaires provinciaux et pour ceux qui occupent une charge publique au Canada. Quand la commission scolaire du district de Peel a approuvé une stratégie contre l’islamophobie en octobre dernier, y compris une formation obligatoire pour les enseignants, elle a établi ce qui devrait être un précédent dans l’ensemble du Canada. J’ai voulu en discuter avec l’école primaire de ma fille, à Vancouver, mais on m’a dit que l’école se sentait seulement qualifiée pour s’occuper des questions liées aux Autochtones et aux Afro-Canadiens, et pas à l’islamophobie.
Il y a un énorme écart entre le fait de reconnaître qu’il existe un besoin et celui d’avoir les ressources pour intervenir. Les groupes d’intérêt public et communautaires pourraient débloquer des ressources humaines pour offrir du soutien et combler cet écart, mais c’est aussi vital qu’il y ait du financement de la part du fédéral et du provincial. Cela vaut aussi pour les efforts d’engagement communautaires avec l’aide de l’Office national du film — et je serai heureux d’en parler davantage durant la période de questions —, du Conseil de recherches en sciences humaines, le CRSH, et, bien sûr, des associations professionnelles.
Une éminente figure de l’islam a fait une mise en garde : « Le manque de connaissances risque souvent de ressembler à un manque d’empathie, et il est fondamentalement important pour nous d’essayer d’être empathiques les uns envers les autres, dans un monde de plus en plus diversifié. » Mais ce manque d’empathie est intimement lié, comme vous le savez, aux tendances populistes, au Canada et dans le monde, où les minorités visibles deviennent les cibles principales et où l’islamophobie s’épanouit. Nous avons énormément parlé du rôle d’instigateur que jouent les médias, alors je ne vais pas élaborer là-dessus dans mes commentaires, mais je serai heureux de le faire plus tard. Nous pouvons et nous devrions effectivement protéger les cibles grâce à des lois sur les crimes haineux, mais cela ne va pas combler le manque d’empathie, à moins que nous cultivions également une culture civique où on prend au sérieux l’éthique pluraliste.
Je vais terminer sur une note relativement positive. Fatemeh Anvari, l’enseignante qui a perdu son travail, a été réaffectée à un projet de littératie visant l’inclusion et la sensibilisation à la diversité à l’école primaire Chelsea. Il y a eu des cris de protestation de la part de parents quand cette enseignante, qui était très aimée, a été renvoyée, et les parents demandaient comment ils allaient expliquer cela à leurs enfants. Pour la citer : « C’est important d’éduquer les gens et de les sensibiliser par rapport à ces enjeux, afin que mes enfants soient vraiment au courant de ce qui se passe autour d’eux. » Je dirais que nous avons un besoin d’intervenir d’une façon qui soit axée sur l’éthique, que cela est lié à un sentiment d’appartenance et de citoyenneté, et que cela va plus loin que les enfants; cela touche toute la société.
Merci.
La présidente : Merci beaucoup.
Nous allons passer aux questions du Sénat. Honorables sénateurs et sénatrices, la pratique habituelle est de vous accorder cinq minutes, mais je pense que nous avons beaucoup de temps, alors nous pourrons être un peu plus généreux avec le temps.
Le sénateur Arnot : Merci aux témoins, ce matin. Vous nous avez beaucoup aidés en présentant ces questions d’une façon succincte et compréhensible.
Je vais faire un commentaire. Chacun des témoins a parlé d’éducation. Quand j’ai commencé à siéger au comité, récemment, en août, j’avais, et j’ai toujours, un but, et je vais l’expliquer. À mon avis, le Canada — et d’autres l’ont aussi dit — est l’expérience pluraliste la mieux réussie que le monde a jamais vue. Mais avec cela vient une certaine fragilité, une fragilité directement liée aux connaissances, à la compréhension et à l’engagement de tous les Canadiens envers notre pays multiculturel, multiethnique et multireligieux; c’est une faiblesse. Au Canada, nous avons failli à la tâche d’éduquer les élèves sur ces questions. Qu’est-ce que ça veut dire, être un citoyen canadien? Quels sont les droits rattachés à la citoyenneté? Et plus important encore, quelles sont les responsabilités qui viennent avec ces droits, et comment pouvons-nous faire pour créer et maintenir le respect pour tous les citoyens, sans exception? Pourquoi? Parce que tout être humain mérite une considération morale équitable. Tout être humain est l’enfant de quelqu’un. Tous les Canadiens doivent être traités également, et nous avons échoué à cet égard. Je crois que c’est le fondement sur lequel repose l’islamophobie, dans le contexte actuel.
Je vous le dis, je crois que nous avons besoin d’un ensemble de ressources de la maternelle à la fin du secondaire, parce que nous avons besoin de changer la culture communautaire et, de ce fait, de changer la culture dans les écoles. Nous avons une armée d’agents de changement, des enseignants qui aident à façonner la prochaine société, la prochaine génération de la société, et nous n’avons pas saisi le pouvoir de l’éducation et le besoin d’éduquer les gens quant à ces problèmes. Beaucoup de gens viennent au Canada à cause de la robustesse de notre constitution, et pourtant, nous avons échoué à de nombreux égards, et cet échec est particulièrement et clairement reflété dans l’islamophobie, aujourd’hui.
Si nous avions ce genre de ressources... Je crois que nous pouvons dégager cinq compétences essentielles de la citoyenneté canadienne, et je crois que tous les citoyens devraient être éclairés, éthiques, engagés, autonomes et empathiques... Tout particulièrement empathiques. Il y a donc ces cinq compétences essentielles, et trois responsabilités attachées aux droits.
Maintenant, voici où je veux en venir : Un tel ensemble de ressources existe. La Fondation d’éducation à la citoyenneté Concentus, établie en Saskatchewan, a ces ressources. Elles ont été adaptées au curriculum de la Saskatchewan. Récemment, elles ont été adaptées au curriculum de l’Ontario. J’espère qu’elles seront adaptées aux autres curriculum provinciaux et territoriaux, avec l’aide des gens qui sont aux premières lignes, comme vous-mêmes, qui vont reconnaître que des ressources de ce genre sont nécessaires et qu’il y a du pouvoir dans l’éducation.
Cela dit, chacun d’entre vous a abordé la question de l’éducation de diverses façons, et je me demandais comment vous répondriez à mes observations. Je peux dire que j’ai beaucoup de questions de fond pour chacun des témoins, mais je crois que je préférerais commencer par parler des enjeux systémiques plus généraux et plus globaux que nous voyons dans le domaine de l’éducation. Selon moi, l’éducation est une solution, pas une solution parfaite, mais une solution essentielle aux enjeux qui ont été exposés ici ce matin.
Mme Miled : Merci beaucoup, monsieur, d’avoir abordé ce sujet et d’avoir posé cette question.
Toutes mes études ont été faites dans des écoles. J’ai passé des années et des années à en parcourir les corridors, et je suis tout à fait d’accord avec vous. Rien ne va changer au Canada si nous ne modifions pas le milieu scolaire, en particulier en ce qui a trait aux enseignants, à la direction et aux leaders.
Je vais vous donner un exemple très simple : j’ai fait une recherche dans une école secondaire, et j’ai été agréablement surprise de voir le soutien que les leaders offraient à la communauté musulmane. J’ai été étonnée, agréablement étonnée et surprise, de voir qu’un directeur blanc s’était fixé pour but de soutenir les élèves marginalisés, en particulier... Je me rappelle, quand j’ai commencé, qu’une vague de réfugiés syriens arrivait.
Il y a de l’espoir, mais nous ne voulons pas que l’espoir repose sur des initiatives individuelles. Nous voulons que ce soit systémique. Comment faire? De mon point de vue d’éducatrice — et j’ai été instructrice pour la formation des enseignants et le programme de formation des enseignants à l’Université de la Colombie-Britannique —, je me rappelle que mes étudiants étaient toujours surpris quand j’entrais dans la classe. C’était la première fois qu’ils voyaient une femme comme moi qui était instructrice dans ce milieu. La représentation dans la main-d’œuvre enseignante est quelque chose d’essentiel que nous devons mettre en œuvre.
Vous pouvez me questionner à propos de la méritocratie. Je vous pose la question, et je la pose aussi aux responsables de mon université. Qui a la capacité et les ressources financières nécessaires pour devenir enseignant? Laissez-moi vous dire combien cela coûte, par exemple, pour être enseignant : il faut au moins 17 000 $ par année, et c’est un engagement à temps plein. Je vous parle d’une communauté qui est à l’échelon inférieur des capacités financières. Tout est lié à la façon dont nous pouvons améliorer et accroître la participation économique des musulmans. Malheureusement, malgré notre niveau d’éducation élevé, on nous garde en marge de la société. Je me considère comme une personne chanceuse, parce que j’ai eu les moyens financiers de faire des études universitaires, d’obtenir une maîtrise et un doctorat. Mais vous savez quoi? Je n’avais pas le choix. Personne ne voulait m’embaucher quand je suis arrivée ici en tant qu’immigrante, et j’ai dû passer 10 ans à travailler, à prendre soin de ma famille et à essayer de me tailler une place.
L’éducation, c’est concret. Nous devons améliorer le curriculum. Regardez dans les livres. Quand j’ai fait ma recherche, un élève est venu me demander : « «Pourquoi est-ce qu’on parle des musulmans comme si nous étions des extra-terrestres? » L’histoire de l’islam est associée à la violence et aux bains de sang. Où sont les musulmans qui inspirent? Où sont-ils? Où sont-ils représentés? Examinez le curriculum et le perfectionnement professionnel des enseignants au regard des millions de musulmans au Canada; l’islam est la religion qui connaît la croissance la plus rapide. Mes amis musulmans, pendant l’Aïd, doivent prendre un congé non rémunéré parce qu’ils n’ont pas le droit de prendre un congé pour leurs célébrations religieuses. La liste n’en finit plus.
En tant qu’universitaire, personnellement, et en tant qu’éducatrice, je crois que grâce à l’éducation, le Canada pourra changer énormément le statu quo. Cela dépend de votre volonté, cela dépend des ressources que vous allez affecter à cela, et cela dépend aussi de l’expertise que vous allez mobiliser.
Merci.
Me Alam : Mme Miled a parlé avec beaucoup d’éloquence, et elle a aussi abordé de nombreux points qu’il était important de soulever ici, par rapport aux besoins de changer le curriculum lui-même et d’affecter suffisamment de ressources à ce projet.
La seule chose que j’ajouterais, c’est que je crois qu’il est incroyablement important que cette éducation soit instituée de la maternelle à la fin du secondaire, mais il faut aussi que ce soit continu. N’est-ce pas? Il faut que ça se poursuive quand vous entrez à l’université, quand vous êtes sur le marché du travail et dans les divers organismes du gouvernement. Ce n’est pas tout. Il faut que ce soit les gens en position de pouvoir qui reçoivent ce genre d’éducation. N’est-ce pas? Parce que, comme beaucoup de gens l’ont dit aujourd’hui, dont moi-même, les gens cherchent l’approbation tacite des gens au-dessus d’eux. N’est-ce pas? Si les gens voient leur gestionnaire, leur superviseur ou les gens du gouvernement adopter un comportement islamophobe, alors ils vont y voir une approbation tacite de ce genre de comportement aussi. Je crois que cette éducation devrait cibler également les gens qui ont un privilège et du pouvoir également, et il faudrait que ce soit obligatoire.
Mme Ali : Je me fais sans hésitation l’écho de ce qui a déjà été dit. L’éducation, c’est la clé, mais nous devons quand même être prudents et concentrés. L’éducation, cela touche énormément de choses. Comment allons-nous mettre cela en œuvre? Quand on pense à l’éducation, on pense automatiquement aux écoles, mais il n’y a pas que les écoles. Vous pensez aussi ensuite aux citoyens, à ceux qui vont devenir des citoyens. Il y a de multiples volets. C’est un sujet très important et c’est pourquoi nous devons avoir une approche plus ciblée et plus focalisée pour savoir où c’est nécessaire. Oui, il faut ajouter cela au curriculum, mais le comportement des enseignants, des leaders et de ceux qui influencent les autres est aussi un élément clé. Donc, c’est très important, et si Dieu le veut, c’est quelque chose qu’il est possible de faire.
M. Sajoo : Je suis tout à fait d’accord avec votre approche fondamentale, de la maternelle à la fin du secondaire, parce que ce sera la nouvelle génération, et personnellement, en tant que parent d’une fille de 11 ans, je crois que leur compréhension doit être élargie plutôt tôt que tard, et je suis choqué de voir que même les bons enseignants à ce niveau ne semblent pas capables de contextualiser la réconciliation autochtone ou la lutte contre le racisme envers les Afro-Canadiens par rapport à la citoyenneté. C’est un problème, tout simplement. Même à l’école ou chez les enseignants, il n’y a pas cette compréhension des programmes comme faisant partie de la citoyenneté pluraliste.
Ce qu’il y a d’encore plus embarrassant, comme ma collègue Mme Ali vient de le dire, à l’Université Simon Fraser, nous avons des manuels et nous avons des collègues — j’hésite à dire que c’est pour des raisons générationnelles — qui ne comprennent pas vraiment que l’enseignement de la citoyenneté est un aspect crucial des sciences humaines, des sciences sociales et même encore plus, des sciences physiques, où il y a vraiment une absence contextuelle de ce genre de sciences sociales.
Puis, quand on parle d’islamophobie, ou même quand on parle d’études sur le Moyen-Orient et des relations canadiennes avec le monde musulman, et d’autres choses du genre, nous nous exprimons librement à propos des droits de la personne et des violations de la liberté de presse et des droits des femmes et tout le reste, mais encore une fois, nous ne saisissons pas que cela touche au fait que le concept de la citoyenneté doit évoluer.
Plus tôt, j’ai écouté l’échange à propos du multiculturalisme au Canada, une chose d’une grande importance, selon moi, mais qui a évolué. Je crois que nous avons tendance à utiliser le mot « pluralisme » plus souvent que le mot « multiculturalisme » aujourd’hui, parce que les idées des années 1980 et 1990 sur le multiculturalisme ont changé maintenant. Les gens sont toujours, je crois, attachés à cette vieille idée selon laquelle cela s’accompagne d’une sorte d’antagonisme, parce qu’ils croient que cela veut dire favoriser les minorités ou donner trop de place aux femmes ou peu importe. Je crois que cela doit évoluer, et la façon d’y arriver, à mon avis, c’est en recontextualisant la citoyenneté, en la présentant comme un concept pluraliste avec un contenu éthique. Nous abordons trop souvent la question du point de vue du droit. Si j’ai mon passeport et que j’ai un bout de papier qui dit que je suis un citoyen canadien, l’affaire est réglée. Nous devons comprendre que, en fait, ce n’est qu’un début.
Le sénateur Arnot : Maître Alam, vous avez reçu beaucoup de demandes d’information. Vous recevez énormément de plaintes dans le cadre de votre processus. Je me demandais si vous pouviez nous dire dans quelle mesure ce processus permet de résoudre les problèmes et comment vous mesurez votre réussite. Avez-vous réussi à changer les choses? Est-ce que ces recours sont efficaces, dans le modèle actuel?
Me Alam : C’est une excellente question.
En résumé, je ne pense pas que nous ayons réussi, parce que le critère juridique pour prouver la discrimination, par exemple, suppose un seuil très élevé, et nous ne cochons pas souvent toutes les cases pour réussir à prouver une plainte devant un tribunal des droits de la personne ou devant la Commission du travail et de l’emploi, par exemple.
Je reprends ce que M. Sajoo a dit ici, à savoir qu’il faut également examiner les recours qui existent en dehors du domaine juridique, pour empêcher ces actes d’islamophobie d’être commis en premier lieu, au moyen de l’éducation, mais également des interventions sur le lieu de travail où je vois un grand nombre de ces incidents se produire. La formation destinée aux témoins. L’intervention des gens. Il faut offrir la formation appropriée aux gestionnaires pour qu’ils disposent du vocabulaire nécessaire pour régler les problèmes d’islamophobie et également les constater quand ils ont lieu. Ce qui me choque, c’est que souvent, dans ces cas, certains des responsables les plus hauts placés dans ces milieux de travail ou dans ces environnements ne se rendent pas compte de ce qui se passe, même si c’est tellement évident.
Je ne pense pas que les recours juridiques dont nous disposons abordent le problème de manière appropriée, car la loi est un outil peu précis et qu’elle impose un seuil très élevé. C’est pour cela que je pense qu’il faut trouver d’autres moyens de régler le problème.
Le sénateur Arnot : Madame la présidente, je pourrais poser d’autres questions, mais je vais laisser la place à mes collègues. Si j’en ai l’occasion je les poserai à la seconde série de questions.
La sénatrice Busson : J’avais une question sur l’éducation, mais on y a répondu de manière si éloquente.
J’ai une question qui s’adresse précisément à Me Alam, mais je pense que n’importe qui pourra ajouter quelque chose s’il le souhaite. Vous avez parlé de votre ligne d’assistance, la ligne d’assistance juridique, et je suppose ou je présume que, quand les gens vous appellent, ce n’est pas toujours au sujet de questions juridiques. Ils vous appellent parce qu’ils sont traumatisés ou de manière générale qu’ils sont dans une situation où ils ont besoin d’une aide psychologique ou d’une autre nature. Je me demandais si votre ligne d’assistance a des liens avec d’autres sources d’assistance, et si vous pouviez nous en dire un peu plus au sujet du financement, de manière générale, du type d’assistance que vous offrez. Même si vous avez une liste d’avocats bénévoles, il y a des questions de financement et d’économie et de soutien financier qui y sont associées. Pourriez-vous nous en dire davantage, s’il vous plaît?
Me Alam : Vous avez tout à fait raison. La plupart du temps, quand les gens appellent, ce n’est pas tant pour signaler un incident lié à l’islamophobie que parce qu’ils ont besoin d’aide, par exemple sur des questions de santé mentale ou sur des questions concernant l’établissement. Vous êtes un nouvel immigrant. Comment avoir accès à X, à Y et à Z? Vous avez besoin d’aide pour le faire. Malheureusement, nos avocats ne sont pas bien placés pour le faire. Nous les dirigeons souvent vers une organisation, ici, en Colombie-Britannique, appelée ASPIRE. C’est une organisation gérée par des musulmans qui compte toutes sortes de bénévoles, des travailleurs sociaux, des travailleurs en établissement, des psychologues, des conseillers. Mais c’est un sujet de plus en plus préoccupant pour la communauté musulmane et, bien sûr, c’est une pandémie qui touche l’ensemble de la société canadienne, à savoir la santé mentale des gens. En particulier, les gens qui sont victimes d’islamophobie ne souhaitent pas tant déposer une plainte, ils veulent avoir quelqu’un à qui parler et à qui se confier. C’est un thème récurrent sur la ligne d’assistance.
En ce qui concerne le financement, je pense que c’est la clé. En tant que ligne d’assistance, nous manquons de fonds. L’une des façons dont cela se manifeste, pour nous, c’est que nous manquons de ressources appropriées pour mener les activités de sensibilisation communautaires nécessaires pour faire connaître la ligne d’assistance dans nos collectivités, que ce soit au moyen de la publicité sur les autobus, dans les transports en commun, où ces incidents se produisent souvent, ou seulement en embauchant quelqu’un qui irait parler dans les mosquées, présenter des exposés et sensibiliser les gens sur leurs droits juridiques et les informer que cette ligne d’assistance existe.
Je suis heureux de pouvoir dire que nous sommes en passe d’obtenir une importante subvention qui nous permettra de recruter quelqu’un pour faire cela, mais je pense que la question du financement est fondamentale, non seulement pour la ligne d’assistance, mais pour toutes les organisations communautaires qui luttent contre l’islamophobie. Beaucoup d’entre elles le font bénévolement, en plus de leurs autres tâches, et il ne devrait pas en être ainsi. Il devrait y avoir des ressources consacrées à cela pour que les gens puissent en faire un travail, parce que, malheureusement, lutter contre l’islamophobie, c’est actuellement un travail.
Mme Miled : J’aimerais ajouter quelque chose de personnel, car cela touche les gens. Nous parlons des gens qui appellent pour demander de l’aide. Des milliers et des milliers de personnes ne le font pas, et les conséquences sont alors encore plus graves. J’aimerais écrire sur mon front que j’ai un doctorat, parce que tous mes privilèges disparaissent quand je suis dans la rue ou dans les transports en commun, et je suis la femme musulmane opprimée. Je me souviens, une fois, j’étais dans un autobus, et une charmante femme m’a regardée et m’a dit « N’êtes-vous pas en train de suffoquer? Je suffoque. » À ce moment-là, tous les privilèges que j’ai acquis et pour lesquels j’ai travaillé dur ont disparu. Je me suis construit une carapace. J’étais avec ma fille, et j’ai dit, « Ah! Non. Ne vous inquiétez pas », parce que je voulais que mes enfants aiment ce pays, je voulais qu’ils aient un sentiment d’appartenance parce qu’ils sont Canadiens, et il faut qu’ils vivent avec le sentiment qu’ils sont chez eux ici.
Ces histoires se comptent par millions, et j’en entends tous les jours de la part de femmes instruites et haut placées. La question qui se pose est : les gens sont-ils instruits? Voyez-vous beaucoup de personnes comme moi occupant des postes de pouvoir? On ne représente même pas les femmes musulmanes qui méritent d’être vues. C’est toujours l’histoire de la femme opprimée, maltraitée, victime de violence familiale. Vous savez, une religion terrible qui l’a emprisonnée et la femme non instruite. C’est le danger auquel feront face les prochaines générations, particulièrement les femmes et les jeunes filles musulmanes.
Merci d’avoir posé cette question.
La sénatrice Jaffer : J’ai tellement de questions à poser à chacun de vous, mais, quand j’écoutais le sénateur Arnot, un thème revenait sans cesse, et vous êtes tous très qualifiés pour parler du thème du multiculturalisme. Je sais que mon père et ma père ont choisi de venir ici parce qu’ils pensaient qu’ils étaient égaux, mais il y a eu de nombreux chocs, et ce n’est pas l’endroit pour en parler, sauf que je pense que le plus grand choc, quand vous arrivez dans un pays multiculturel, c’est de découvrir que vous n’êtes pas égal aux autres. Vous avez choisi de venir ici parce que vous pensiez que tout le monde était traité de manière égale. Vous avez dit que vous ne vouliez pas que votre fille sache qu’il y a des problèmes. Même si vous êtes né ici, si vous êtes musulman ou noir, vous n’êtes pas traité de manière égale. Le multiculturalisme est-il mort? J’aimerais d’abord poser la question à M. Sajoo.
M. Sajoo : Bien des gens souhaitent qu’il soit mort, et certaines personnes sont convaincues que le multiculturalisme est déjà mort et qu’il ne reste qu’à l’enterrer. Dans notre climat populiste mondial et canadien — je pense que le sénateur Arnot l’a mentionné tout à l’heure —, c’est certainement un sujet épineux. Je pense qu’il y a eu des changements. J’ai passé une grande partie de ma vie universitaire en Grande-Bretagne, et les gens faisaient face aux mêmes enjeux que nous, en ce qui concerne le multiculturalisme, à savoir que les perceptions du public sont très différentes de ce que le gouvernement pense faire avec le multiculturalisme. Il y a un très grand fossé.
La façon dont les médias présentent le multiculturalisme n’aide pas la perception du public. C’est un mot dénigrant. À chaque fois qu’il y a des problèmes raciaux, c’est à cause de cette mafia multiculturelle ou peu importe. Ce fossé dans la compréhension de ce dont il s’agit pourrait peut-être être comblé si on donnait au multiculturalisme une nouvelle image, tant au niveau pratique et réaliste qu’au niveau conceptuel.
Les gens qui veulent promouvoir la politique multiculturelle sont eux aussi à court de munitions, parce qu’on s’occupe de plus en plus de la citoyenneté et du pluralisme et de la façon dont on comprend l’égalité aujourd’hui, après le 11 septembre et après ce qui s’est passé quand on a exhumé les enfants des pensionnats autochtones. Il faut revoir ce que l’on veut dire par inclusion. Comme vous le savez, quand le multiculturalisme a été formulé la première fois, il concernait les relations entre l’anglais et le français. Il ne concernait pas vraiment les minorités. Pouvons-nous maintenant nous en éloigner en incluant quelque chose d’autre? Les peuples autochtones et l’islamophobie n’en faisaient pas partie.
Puisque le Canada a un Centre mondial du pluralisme, que nous parlons de la citoyenneté pluraliste et que nous figurons en bonne place dans le classement mondial des pays qui s’engagent en faveur du pluralisme, je pense qu’il serait temps de donner une autre image au multiculturalisme, de le repenser et de le reformuler.
La sénatrice Jaffer : Madame la présidente, combien de temps me reste-t-il?
La présidente : Vous avez un peu de temps.
La sénatrice Jaffer : Combien?
La présidente : Nous poursuivrons la séance jusqu’à 11 h 45. En tant que présidente, je passe en dernier, j’aimerais donc avoir deux ou trois minutes pour poser des questions.
La sénatrice Jaffer : D’accord. Je suis désolée, je ne peux pas vous poser à tous la même question, car mon temps est limité.
Maître Alam, je suis très intéressée par votre concept de témoin. Je n’avais pas pensé aux témoins, quand il s’agit d’islamophobie, et, selon moi, c’est quelque chose dont beaucoup d’entre nous devraient maintenant parler. Je siège au comité de la défense, et ce n’est que maintenant que les forces armées abordent la question du harcèlement ou des agressions sexuelles, dans les forces armées, et de la responsabilité d’un témoin de grade supérieur d’agir plutôt que de simplement observer. Ce que vous avez dit est très intéressant, mais le défi est de savoir comment faire passer le message. Vous en avez un peu parlé, et je pense que notre comité devrait également se pencher sur la manière de présenter nos recommandations et ce que nous en faisons. Si vous avez d’autres idées à ce sujet, je vous en serais reconnaissante.
Me Alam : Je pense que la formation des témoins est extrêmement importante et que c’est un élément central dans la lutte contre l’islamophobie. En ce qui concerne sa mise en application, je pense qu’il serait très utile de voir le Sénat ou le gouvernement formuler des recommandations sur ce qu’un témoin peut faire et ce qui est nécessaire, dans les cas d’islamophobie, et peut-être affecter des fonds à la formation à cet égard. Je suis avocat spécialisé en droit de l’emploi. Cette formation est maintenant offerte sur les lieux de travail. Les gestionnaires et les employés apprennent ce qu’ils peuvent faire en tant que témoins ou lorsqu’ils sont témoins de ces incidents. Je pense qu’il faut un cadre, du financement et simplement accroître la sensibilisation sur ce que signifie être témoin.
Les Canadiens doivent savoir que l’islamophobie ne concerne pas simplement la victime; elle concerne également les gens qui en sont témoins. Cela les concerne eux également. Cela ne concerne pas toujours uniquement la victime. Il ne s’agit pas seulement des musulmans. Il ne s’agit pas seulement de la communauté musulmane. Il s’agit de la société en général qui est témoin de l’islamophobie, car, soyons francs, le problème n’aurait pas pris l’ampleur qu’il a aujourd’hui si davantage de gens s’exprimaient et faisaient quelque chose à ce sujet, parallèlement à la communauté musulmane. Cela fait partie du problème.
La sénatrice Jaffer : Puis-je vous demander quelque chose? Vous y avez réfléchi, et je suis très intéressée par ce que vous avez dit, alors je voulais vous demander si vous pouviez formuler une recommandation sur ce que vous constatez et l’envoyer au greffier. Nous nous penchons également sur l’islamophobie dans les services fédéraux, et nous pourrions peut-être examiner une recommandation pour les services fédéraux dans le cadre d’un projet pilote. Merci.
Même chose pour vous, monsieur Sajoo. Vous avez raison. On est passé d’une société multiculturelle à une société pluraliste, du moins certains d’entre nous, peut-être pas tous les Canadiens. Vous pourriez peut-être également réfléchir à une recommandation à présenter à notre comité, parce que c’est le travail de votre vie maintenant. Je vous en serais reconnaissante à tous les deux. Je suis désolée, je vous donne des devoirs. Je ne sais pas si je peux le faire.
Mme Miled : Je voulais ajouter quelque chose. Je veux saisir l’occasion pour donner un exemple de ce que nous avons mis en œuvre à la faculté de médecine de l’Université de la Colombie-Britannique. Je me sens privilégiée de travailler dans un environnement où nous nous efforçons de mettre cela en œuvre. Du fait du multiculturalisme qui l’a éclipsé, c’est au cœur de la question qui se pose aujourd’hui au Canada, car cela nous empêche de voir le vrai problème.
À la Faculté de médecine, par exemple, à mon poste, nous offrons une formation sur ce que l’on appelle l’engagement du défenseur, pour que les gens cessent d’être des témoins silencieux et apprennent à devenir des défenseurs. Un défenseur est une personne qui assume l’entière responsabilité d’être du côté de la protection des droits de la personne, d’agir contre les microagressions et de soutenir les victimes quand des choses se passent. C’est toute une stratégie que nous avons, à la faculté; nous nous engageons à passer du multiculturalisme à la lutte contre le racisme. Comment pouvons-nous devenir des alliés essentiels et comment pouvons-nous mobiliser les gens dans la lutte contre le racisme? La lutte contre le racisme consiste à faire des choses; il ne s’agit pas d’une vision. Nous nous efforçons de soutenir notre communauté à la faculté de médecine et au-delà pour lutter contre le racisme, et c’est une décision axée sur l’action. Je pense que cela a bien fonctionné. Nous avons du pain sur la planche, mais je m’estime très privilégiée de travailler dans un tel environnement, et nous offrons cette formation afin de collaborer avec les collectivités autochtones, avec toutes les collectivités, et nous visons également l’islamophobie.
La sénatrice Jaffer : Merci beaucoup.
La présidente : Ma question s’adresse à vous tous. La seule question que j’aimerais soulever est le rôle que jouent les médias dans la montée de l’islamophobie. Je parle de la presse écrite, de la télévision et des films.
Madame Miled, ma fille est titulaire d’un doctorat et elle est maintenant à l’Université Western, mais là-bas, ils sont parfois en colère quand ils voient le portrait que l’on fait des musulmans. Chez nous, je me rends compte que nous ne regardons pas certains films. Si nous mettons un film et que nous constatons que, ah, c’est comme cela que l’on représente les musulmans, nous changeons de film. Il en va de même pour les nouvelles, parce que, même lorsque l’on peut leur donner une très bonne image, quand on fait un reportage sur les musulmans, parfois, je trouve que même les chaînes d’information leur donneront une image très négative. Cela m’est arrivé. Il y a un journal en particulier qui publie une photo de moi très en colère, chaque fois qu’il me cite pour quelque chose. Je sais qu’on a contacté le journal et je leur ai dit : « Pourriez-vous s’il vous plaît mettre une meilleure photo? Je ne suis pas tout le temps en colère. Je le suis parfois. »
Je voudrais demander à chacun de vous votre opinion sur le rôle des médias.
Me Alam : Je veux dire, oui, je suis à 100 % d’accord avec vous, madame la sénatrice. La représentation des musulmans dans les médias a joué un rôle énorme dans la persistance de l’islamophobie, surtout après le 11 septembre, et de nombreux universitaires parlent de l’existence d’une industrie islamophobe, quand il est question des médias, qui tire profit de la représentation des musulmans comme étant des gens en colère, violents, extrémistes et terroristes. Les gens achètent et aiment consommer ce genre de média.
Pour combattre cela, il faudrait une stratégie compliquée. En ce qui concerne les journalistes, il s’agit d’éduquer, et nous revenons sans cesse à ce mot, sur la façon dont ils écrivent au sujet des musulmans et comment ils les représentent et sur les conséquences que cela peut avoir. Je pense qu’il faut également fournir du financement, affecter des ressources et donner aux musulmans la capacité de raconter leur propre histoire et d’être représentés dans les médias, parce que je pense que la représentation est importante. Il est vraiment important que des musulmans occupent des postes où ils produisent des émissions télévisées et des films et écrivent des articles de journaux où ils représentent de manière appropriée la communauté musulmane.
Je vais vous donner un exemple. Disney a récemment sorti cette série appelée « Miss Marvel », et le personnage principal dans cette série est une jeune pakistanaise musulmane. Le portrait qu’on en fait est incroyable. Il est magnifique. Il saisit toutes les nuances de notre communauté et de notre foi sans aucun symbolisme ni stéréotype. J’ai trois nièces et j’ai vu l’effet que cela a eu sur elles de pouvoir s’asseoir devant la télévision et de se voir joliment représentées par une jeune Pakistanaise musulmane. Je pense que ce genre d’actes apportent une grande contribution et qu’il ne faut pas les sous-estimer.
Je vais laisser le reste des témoins intervenir également.
Mme Ali : Je voulais ajouter que c’est tout ce qu’il faut, une « Miss Marvel », pour qu’il y ait un débat, du bonheur et des liens. Oh, mon Dieu! Ils ont vraiment parlé de djinns. C’était un moment réjouissant pour la communauté. Tout ce qu’il faut, c’est une représentation. Les médias, le marketing et l’image des musulmans sont vraiment importants, mais il y a également des lacunes.
C’est aussi à nous, les musulmans, de changer le scénario. J’ai discuté avec notre équipe en interne de la façon d’approcher les médias avec des histoires. Nous devons nous aussi agir davantage pour faire changer le discours, car si nous restons les bras croisés en attendant que les choses changent, cela risque de ne pas se produire. Il y a plusieurs niveaux : ce que les musulmans peuvent faire pour influencer le discours, il y a ensuite le grand public, les films, l’actualité, la presse écrite, le marketing et les entreprises. Il y a tellement de choses.
C’est un peu ma passion, essayer de changer le discours. Je suis tout à fait d’accord avec tout ce qui a été dit au sujet des conséquences. Même les personnalités sportives qui sont musulmanes sont célébrées. Les acteurs ou les personnes influentes et puissantes sont célébrés quand ils sont visibles, parce que vous les voyez. Vous les voyez comme des musulmans qui font quelque chose qui rend la communauté heureuse.
M. Sajoo : J’enseigne une bonne partie de ces choses, j’ai donc beaucoup de choses à dire, mais je vais résumer cela en quatre points.
La note de bas de page 7 de mon exposé mentionne un essai de Haroon Siddiqui sur les grands médias canadiens — le Globe and Mail, le Toronto Star, le Vancouver Sun — et sur leur rôle dans la promotion de l’islamophobie, et il en parle en tant que journaliste d’expérience, mais ce qui manque dans la discussion sur les médias, ce sont les médias sociaux, une plateforme moins contrôlée et tout à fait ambiguë. D’un côté, ils regorgent de commentaires haineux, et ainsi de suite, et aujourd’hui nous discutons activement des rôles que doivent jouer les plateformes.
Les Européens ont une bonne longueur d’avance sur nous. Ils vont bientôt adopter une loi sur le numérique. Il faut trouver un équilibre entre la liberté d’expression et les limites de celle-ci. Nous n’avons même pas commencé cette discussion. C’est comme si nous attendions que tout le monde fasse quelque chose avant d’avoir une loi modèle. L’autre aspect des médias sociaux, c’est bien sûr la mobilisation des interventions anti-islamophobes, le travail de création des gens sur les médias sociaux et ainsi de suite.
Le deuxième volet des médias, c’est le cinéma. J’ai mentionné l’Office national du film. Un des films que je montre à mes étudiants dans mon cours de cinéma et politique est l’extraordinaire documentaire en trois parties de Henry Louis Gates Jr, intitulé Reconstruction. Aujourd’hui, j’ai des étudiants américains dans ma classe, et ils sont venus me voir et m’ont dit « Personne ne nous a jamais dit que la reconstruction était une mauvaise chose pour les Afro-Américains. Nous pensions que c’était la naissance de l’identité américaine moderne. » Gates était noir, et était peut-être le plus grand spécialiste au monde des études américaines à ce stade, et il a complètement contesté le discours accepté sur ce qui s’était passé après la guerre de Sécession. Après une semaine, mes étudiants repensent radicalement tout ce qu’ils pensaient savoir sur la constitution et son rôle dans la citoyenneté, et cetera.
Je pense que, si nous avions un documentaire en trois parties financé par l’Office national du film sur l’histoire de l’islamophobie, de l’orientalisme, de ce qui s’est passé au XIXe siècle, du colonialisme et maintenant, les répercussions de tout cela seraient stupéfiantes. C’est souvent l’inverse. L’Office national du film a financé des films qui font la promotion de l’islamophobie, je suis certain que ce n’était pas de manière délibérée, mais ce serait le revers de la médaille.
Le dernier commentaire que j’aimerais faire à ce sujet concerne l’analphabétisme en éthique des journalistes. Je ne veux pas du tout être offensant à ce sujet. Je ne pense pas que ce soit nécessairement un préjugé. Mais, même les jeunes journalistes, au milieu d’une interview, posent la question « Alors, qu’est-ce qui vient en premier, votre identité musulmane ou votre identité canadienne? » C’est quoi cette question? Est-ce qu’on poserait cette question à un Canadien irlandais ou à un Canadien écossais, qu’êtes-vous en premier, comme si on ne peut pas mâcher de la gomme en marchant ? Nous avons plusieurs identités, et nous sommes un État pluraliste et ainsi de suite.
Je pense que les médias ne se rendent pas service en faisant cela. Même quand on regarde le National, l’émission phare de CBC News, on voit toute une terminologie apparaître quand il y a une infraction, un meurtre, un incident islamophobe, et cetera. On n’a pas conscience qu’il y a toute une histoire et un bagage derrière les mots et la façon dont on formule quelque chose et quelles images on montre.
Cela doit faire partie de la formation des journalistes. Les écoles de communication doivent s’en charger. Cette formation est essentielle dans le cinéma et les médias sociaux, parce que, autrement, même avec l’incroyable travail que Disney a fait, dont parlaient les autres témoins, cela pourrait être ponctuel, et dans quelques mois tout cela pourrait simplement disparaître dans la nature. Pour que cela dure, nous devons aller plus loin, beaucoup plus loin.
Mme Miled : Si je demande aux gens c’est quand la dernière fois qu’ils ont entendu parler des musulmans dans l’actualité, c’est quand la dernière fois qu’ils ont entendu quelque chose sur les musulmans, je suis certaine qu’ils parleront tous de l’horrible accident de la famille qui a été renversée à Toronto, ou d’une attaque terroriste et d’une manchette au sujet d’un musulman. Nous sommes pris dans un système binaire. Nous sommes coincés dans un système binaire où nous sommes soit des victimes, soit des terroristes. Parfois, cela a également des conséquences sur la façon dont nous sommes représentés et la façon dont les gens sont représentés. Cela ne veut pas dire que les musulmans doivent être représentés de façon magnifique, mais en tant que communauté ayant ses hauts et ses bas, ses inconvénients et ses avantages, comme n’importe quelle autre communauté; le facteur religieux est tellement amplifié qu’il est lié à chaque acte, et particulièrement aux actes négatifs.
Ce dont je parle ici vient de mon expérience universitaire. J’ai créé pour mes étudiants, qui allaient devenir enseignants, ce que nous appelons l’éducation critique des médias. Parfois, je regarde les nouvelles et je suis honnêtement choquée. Le vocabulaire utilisé, les expressions et les références sont vraiment dépassés. Ce n’est pas à cela qu’on s’attend des médias canadiens face au défi de la vérité et de la réconciliation et de la lutte contre le racisme à l’encontre des Noirs. L’islamophobie est liée à tout, au sexisme, à l’identité noire et au capacitisme. Cela fait partie de tous les systèmes d’oppression. L’éducation critique des médias consiste à se pencher sur ces événements et sur la façon dont les choses sont représentées et à essayer de comprendre comment le colonialisme, la suprématie blanche et l’orientalisme ont défini les musulmans.
Malheureusement, de nombreux travaux universitaires sont restés au niveau universitaire. Ils n’ont pas été communiqués au public, parce que cela nécessite des ressources. Je donne un exemple de mon propre travail. Quand je menais cette recherche, je le faisais pour les jeunes, pour les gens comme mes enfants. J’ai décidé de m’adresser au public. J’ai fait ma thèse. J’ai écrit des articles, et ils sont publiés dans les ouvrages universitaires, mais parallèlement, j’ai organisé une exposition avec des photos prises par des filles musulmanes réfugiées. J’y ai invité les médias. Aucun n’est venu. Cette exposition a été présentée dans une église, à l’Université de la Colombie-Britannique et dans un centre communautaire. À l’église, je me rappelle, 250 invités sont venus voir cette exposition.
En tant que communauté musulmane, il est de notre responsabilité d’avoir la capacité, les ressources et les moyens de raconter au public notre histoire et de nous exprimer. Cela fait également partie de notre responsabilité. Nous devons prendre l’initiative, mais nous avons besoin pour ces histoires d’un public pour les entendre et de caméras pour les voir. C’est comme cela que le public sera sensibilisé à ce que sont les musulmans, car nous sommes complètement différents. On ne peut pas nous mettre tous dans le même panier. Il faut comprendre que les musulmans sont issus de divers groupes ethniques, culturels et linguistiques. Nous ne sommes pas tous les mêmes, nous avons des pratiques communes, mais nous ne devons pas tous être mis dans une seule et même catégorie.
La présidente : Cela m’amène à ma prochaine question. Pensez-vous que les médias ne sont pas intéressés par les histoires positives sur les musulmans?
Mme Miled : Je ne dirais pas qu’ils ne sont pas intéressés. Je dis qu’ils s’y intéressent quand quelque chose attire leur attention, comme une attaque terroriste ou des victimes. Les médias cherchent à faire sensation. Malheureusement, nous ne voyons pas les histoires de la vie quotidienne. Nous ne voyons pas les détails. Aujourd’hui, nous avons l’occasion d’entendre les Autochtones. Plus nous entendons leurs histoires, plus nous comprenons qu’il faut établir ces liens. Malheureusement, les musulmans n’ont pas eu cette chance. On ne leur a pas offert cette chance. Ils n’avaient pas eu de possibilités. Ils n’avaient pas les fonds nécessaires. Ils n’avaient pas les ressources nécessaires pour faire entendre leurs voix eux aussi.
Quand je parle des musulmans, je ne parle pas des mêmes personnes. Comme je l’ai dit, nous sommes très différents les uns des autres. Ce n’est pas que les médias ne sont pas intéressés, mais ils n’en sont même pas conscients. Ils n’ont même pas conscience que les gens sont différents parce que l’on nous met tous dans le même cadre. Ils ressemblent à des hommes opprimés et violents. Ce sont les femmes musulmanes opprimées et les hommes dangereux. Je cite ici Sherene Razack, une universitaire célèbre qui a beaucoup écrit au sujet des musulmans. Voilà le cadre. Nous devons changer cela. Comment? Je pense que c’est possible par l’éducation critique des médias.
Me Alam : J’aimerais reprendre les commentaires de Mme Miled selon lesquels on nous a tellement mis dans une catégorie que les médias ne nous considèrent même pas comme un sujet d’actualité quotidien. Nous pouvons probablement nommer trois catégories où les médias parlent de nous. Pendant le ramadan, quand il y a une attaque terroriste et quand nous sommes les victimes de quelque chose. Ce sont les trois seules fois où l’on parle de nous dans un autre média. Parce qu’il y a ce trope, ce stéréotype, qui veut que nous nous résumions à cela, je déteste le dire, mais je ne pense pas que nous soyons considérés comme les autres citoyens canadiens à cet égard. Les médias ne sont même pas intéressés par ce qui se passe dans notre communauté au quotidien, et ce genre d’histoires n’est pas considéré comme digne d’intérêt. Les médias nous ont tellement exclus que c’est vraiment les trois seules fois où l’on parle de nous.
Je pense effectivement que l’éducation critique des médias est importante, parce que, oui, l’image que les médias donnent de nous doit changer, mais je pense que cela prendra du temps, et c’est un projet. Je pense que l’autre projet est de s’assurer que les citoyens peuvent critiquer les médias, quand ils diffusent ces histoires. Je pense que la pression doit venir d’ailleurs également, et pas seulement de la communauté musulmane, mais des citoyens ordinaires qui feraient pression sur les médias pour qu’ils changent le portrait qu’ils font des musulmans, la manière stéréotypée dont ils les représentent. Cela vient d’une bonne formation critique des médias et de la capacité à pointer du doigt ces lacunes.
La présidente : Merci.
Je pense que la sénatrice Jaffer serait d’accord pour dire que, où que nous soyons, nous sommes soumis à des formes, je ne devrais pas le dire, presque quotidiennes d’islamophobie. On m’a demandé si la prière du Seigneur m’offensait, mais j’ai dit que nous prions tous le même Dieu. On m’a demandé si mes filles portaient le voile, ou pourquoi la communauté musulmane ne s’excuse pas chaque fois qu’il y a un incident. Ce à quoi je réponds, les autres communautés s’excusent-elles quand un fou fait quelque chose de fou? J’ai dit que ce n’était pas la représentation de l’islam. Il y a de nombreux problèmes, et la sénatrice Jaffer et moi-même en discutons assez souvent. Quelque chose va vraiment nous toucher et nous mettre en colère. C’est pour cela que j’ai pensé qu’il était si important que nous fassions cette étude et que nous fassions connaître ces histoires. Je suis impressionnée par les témoins que nous avons eus et les histoires que nous avons entendues.
La sénatrice Jaffer : Madame Ali, hier, quand nous étions à la mosquée, vous ou l’une de vos collègues avez soulevé la question de l’islamophobie fondée sur le genre. Je me demandais si vous vouliez ajouter quoi que ce soit à ce sujet. C’est un concept qui nous intéresse réellement, et nous voulons davantage travailler dessus. Je sais que vous étiez là, et je me demandais si vous vouliez ajouter quelque chose à ce qu’elle a dit.
Mme Ali : Je pense qu’elle l’a très bien formulé, et c’est une bonne chose qu’on l’appelle islamophobie fondée sur le genre. On parle d’islamophobie depuis un certain temps, mais il y a tellement de couches supplémentaires aux difficultés auxquelles font face les femmes. Sœur Tazul a très bien abordé la question. Que ce soit sur le lieu de travail, pendant des entrevues d’emploi ou même dans la vie quotidienne, les femmes sont assurément confrontées à une bataille difficile, il est temps qu’elles soient vues, prises au sérieux et valorisées. La diversité, l’équité et l’inclusion, c’est ce que recherchent les musulmans. Ils veulent être considérés comme des membres importants de la société.
Je voulais rapidement ajouter un commentaire concernant les médias. Personnellement, j’ai contacté les maires de certaines villes pour leur demander de tenir compte des fêtes religieuses. La réponse était : « Oui, nous en avons parlé à la réunion de notre comité. » Il s’agit d’appuyer sur le bouton et de repousser les limites également et de dire : « Hé, nous sommes ici. Tenez compte de nous comme vous le faites pour Noël et les autres fêtes. »
Je voulais simplement ajouter cela, puis revenir à la question, oui, absolument, c’est un problème.
M. Sajoo : Reste-t-il une minute? J’aimerais ajouter un commentaire concernant votre question sur l’islamophobie fondée sur le genre. Ma collègue, Mme Catherine Dauvergne, ancienne doyenne de la faculté de droit de l’Université de la Colombie-Britannique, a montré que l’islamophobie fondée sur le genre ne prend pas seulement pour cible les femmes. Quand il s’agit de la sécurité et des certificats de sécurité canadiens, c’est l’inverse, ce sont les jeunes musulmans qui sont la cible. Si vous êtes âgés de 19 à 39 ans — heureusement j’ai passé cet âge —, vous êtes plus susceptibles de vous faire arrêter à l’aéroport, vous êtes plus susceptibles de faire l’objet d’une fouille et vous êtes plus susceptibles d’être pris pour cible dans les reportages des médias. Elle a montré que ce sont surtout les jeunes hommes musulmans qui en sont la cible. Oui, l’islamophobie fondée sur le genre cible les femmes, il y a du harcèlement et de la violence, le projet de loi 21 et ainsi de suite, et, c’est intéressant, Mme Dauvergne souligne que, en ce qui concerne les femmes, la critique passe rapidement aux droits de la personne et on dit que c’est de la discrimination, etc., mais lorsqu’il s’agit de cibler les hommes musulmans, le discours sur les droits de la personne disparaît complètement et laisse place au discours sur le terrorisme, c’est-à-dire que, lorsqu’il s’agit de sécurité, on ne parle pas des droits de la personne. Cela passe avant tout. J’aimerais souligner que la partie sur le genre est le terme approprié, mais il ne s’agit pas seulement des femmes, il s’agit aussi des hommes.
La sénatrice Jaffer : Vous et moi sommes amis, donc on peut éternellement débattre. Notre comité parle de l’islamophobie fondée sur le genre, parce que, pour les Canadiens, quand nous parlons d’islamophobie, nous parlons, concrètement, des hommes. C’est un problème qui concerne les femmes aussi. Il y a un problème distinct pour les femmes. Vous et moi, nous en débattrons toujours. C’est là où je voulais en venir.
M. Sajoo : Si je peux me permettre, je pense que, quand nous parlons d’islamophobie aujourd’hui, que ce soit dans les médias ou ailleurs, nous pensons en effet d’abord aux femmes portant un foulard ou un niqab, aujourd’hui. C’est la question qui nous vient à l’esprit. Mme Dauvergne, en tant que professeure de droit qui a plaidé devant la Cour suprême, dit : « J’ai défendu des hommes musulmans, et personne ne veut m’entendre quand j’invoque les droits de la personne en parlant de la façon dont nous les traitons et quand je dis que c’est aussi une question de genre. » Elle dit, en tant que femme, que les deux sont importants et les deux concernent le genre, que ce soit de manière intentionnelle ou non intentionnelle.
La sénatrice Jaffer : Je pense que les analystes vous ont entendu, cela figurera dans notre rapport. Merci.
Me Alam : Si j’ai une minute, j’aimerais en dire un peu plus sur le sujet. Je reprends entièrement les commentaires concernant l’islamophobie fondée sur le genre et la façon dont elle affecte les genres de différentes manières. Les femmes musulmanes sont plus visibles, donc, évidemment, ce que nous constatons d’après la ligne d’assistance, c’est qu’il y a plus d’attaques dans la rue et de harcèlement verbal. Comme le disait M. Sajoo, il y a divers états d’exception pour les hommes musulmans, qui ne bénéficient pas des mêmes droits selon la loi.
J’ajouterais que, puisque nous parlons de l’intersectionnalité, c’est un point important dont il faut discuter. L’islamophobie ne touche pas tout le monde de la même façon. Nous l’avons vu, en particulier, les femmes et les hommes musulmans noirs sont les plus touchés par l’islamophobie, et la raison, c’est qu’ils doivent faire face au racisme intersectionnel en tant que noirs et musulmans. Malheureusement, ils sont victimes de racisme, non seulement dans la sphère publique, mais au sein de la communauté musulmane elle-même également. Cette compréhension en plusieurs niveaux de l’islamophobie est extrêmement importante, et ces nuances sont également importantes.
Mme Miled : C’est pour cela que, personnellement, j’évite d’utiliser le terme « islamophobie ». Je dis « racisme contre les musulmans », parce que cela montre qu’il ne s’agit pas d’une phobie. J’aurais souhaité que ce soit une phobie. J’aurais aimé que cela reste au niveau de la peur de quelque chose et que cela ne devienne pas une chose concrète et physique. Cette crainte n’est pas émotionnelle. Cette crainte se traduit par des actions, par des agressions physiques, par le chômage, par le fait de ne pas être promu, par le fait d’être renvoyé et contrôlé. Je me rappelle, j’étais aux douanes, j’allais à une conférence très prestigieuse, et l’agent des douanes cherchait mon nom sur Google. Il ne croyait pas que la femme que je suis pouvait faire un exposé à l’Université d’Oxford. Nous ne remarquons même pas ces incidents, mais ils ont des conséquences sur les gens. Ils ont des conséquences sur la façon dont nous nous sentons.
C’est du racisme contre les musulmans, et je suis d’accord avec Me Alam pour dire qu’il recoupe l’origine raciale, parce que nous sommes une communauté racisée. Quand vous pensez à un musulman, vous pensez aux bruns et aux noirs. Quand je menais ma recherche, une fille blanche, une musulmane d’Albanie, a dit : « Ma couleur me protège. » C’était un mot très puissant. Elle a dit : « Je suis blanche, j’ai les yeux bleus. Personne ne pense que je suis musulmane. » Cela recoupe les systèmes d’oppression qui ont marginalisé et opprimé les Noirs, les Autochtones, les immigrants et les réfugiés, parce que ce sont des musulmans. C’est une combinaison de tous ces facteurs.
La présidente : Merci beaucoup. Nous avons eu presque deux heures de questions et réponses et d’exposés.
Récemment, je pensais à l’incident qui s’est produit, ici, à Vancouver, quand la banque a refusé de payer les chèques d’un Autochtone qui était musulman. La banque lui a dit : « Vous ne pouvez pas être Autochtone et musulman. » On ne se rend pas compte à quel point le monde a changé. Nous savons tous que les musulmans ne sont pas de nouveaux arrivants dans ce pays. Selon le premier recensement du Canada, 13 musulmans d’origine écossaise vivaient à Edmonton. Il y a de nombreux faits que les gens ne connaissent pas. On m’a demandé : « Pourquoi l’étude? » Je dis qu’il y a plus de musulmans tués au Canada que dans les autres pays du G7. Quelqu’un m’a dit : « Oh, vraiment? Je dois le vérifier », comme si ma parole n’était pas suffisante.
J’aimerais remercier chacun d’entre vous de vos exposés et d’avoir accepté de participer à notre étude. Nous apprécions grandement votre aide pour notre étude. Mes vœux vous accompagnent. Passez une bonne journée.
(La séance est levée.)