Aller au contenu
RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


QUÉBEC, le mardi 20 septembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 9 h 12 (HE), pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

La sénatrice Salma Ataullahjan(présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je m’appelle Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto et présidente du comité.

C’est avec une extrême tristesse que j’ai appris le décès de Sa Majesté la reine Elizabeth II, qui a été portée à son dernier repos hier à la chapelle Saint-Georges. En signe de respect et pour honorer la reine Elizabeth II, nous allons maintenant observer une minute de silence.

(Les personnes présentes se lèvent pour observer une minute de silence.)

Nous tenons aujourd’hui une réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Je vais vous présenter les membres du comité qui participent à cette réunion. À ma gauche, il y a la sénatrice Jaffer, de la Colombie-Britannique; à ma droite, la sénatrice Gerba, du Québec, et, à nouveau à ma gauche, il y a le sénateur Oh, de l’Ontario.

Après avoir tenu deux réunions en juin, à Ottawa, nous continuons aujourd’hui notre étude sur l’islamophobie au Canada, conformément à notre ordre de renvoi général. Notre étude portera, entre autres, sur le rôle de l’islamophobie dans la violence en ligne et hors ligne contre les musulmans, la discrimination générale, ainsi que la discrimination en matière d’emploi, y compris l’islamophobie dans la fonction publique fédérale. Notre étude portera également sur les sources de l’islamophobie, ses répercussions sur les gens, notamment sur la santé mentale et la sécurité physique, ainsi que sur les solutions possibles et les réponses des gouvernements.

Nous sommes heureux d’être ici, à Québec, et d’entendre des témoins sur l’islamophobie dans cette région du pays. Il s’agit de la troisième de nos audiences publiques à l’extérieur d’Ottawa. Il y a deux semaines, nous étions à Vancouver et à Edmonton, et demain, nous nous réunirons à Toronto.

Permettez-moi de vous donner quelques détails sur la réunion d’aujourd’hui. Ce matin, nous aurons trois blocs de discussion d’une heure avec des témoins invités. Chaque heure, nous entendrons d’abord les témoins, puis les sénateurs auront l’occasion de leur poser des questions. Il y aura une courte pause vers 11 heures.

Chaque témoin est invité à faire une déclaration préliminaire de cinq minutes. Chers témoins, notre horaire est très serré, alors, je vous demanderai de ne pas dépasser ces cinq minutes parce que nous voulons nous garder suffisamment de temps pour que les sénateurs posent des questions. Je n’aime pas interrompre les gens, mais M. Payet, qui gère cet horaire serré, voulait que je vous demande de ne pas dépasser les cinq minutes parce que nous voulons avoir beaucoup de temps pour les questions. Nous allons entendre vos déclarations liminaires, puis nous allons passer aux questions des sénateurs.

Nous attendons toujours, du Centre culturel islamique de Québec, Boufeldja Benabdallah, cofondateur et porte-parole, et Mohamed Labidi. Je suis certaine qu’ils sont en retard en raison de la circulation dans la ville de Québec. Nous avons toutefois avec nous la coordonnatrice, Laïla Aitoumasste. Nous accueillons également Mohamad El Hafid, Saïd Akjour et Nabila Daoudi. Je vais demander à Mme Aitoumasste de commencer.

[Français]

Laïla Aitoumasste, coordonnatrice, Centre culturel islamique de Québec : Bon. Je ne m’attendais pas à ça, je croyais que j’allais être la troisième. Donc, je commence et serai la première.

En fait, ce n’est pas un témoignage de quelque chose que j’ai vécu. C’est plutôt un projet sur lequel j’ai travaillé avec les femmes qui étaient victimes d’actes haineux, ici dans la société, dans la Ville de Québec. J’aimerais donc vous présenter un projet parmi les projets sur lesquels j’ai travaillé avec le Centre multiethnique de Québec. C’est un projet qu’on a appelé Ensemble pour agir, qui comporte des ateliers sur l’intimidation et le racisme. C’est un projet qui est dédié surtout aux femmes qui ont été victimes d’actes haineux, d’intimidation ou de racisme. Ce sont des femmes ayant vécu beaucoup de souffrances lors de l’attentat qui a eu lieu dans la grande mosquée de Québec, et, depuis cet attentat, les choses ont empiré. Ces femmes ont été des victimes et ont vécu beaucoup de souffrance, etc.

Donc, l’atelier était justement dédié à ces femmes-là pour pouvoir les aider. C’est un atelier qui comportait trois volets. Le premier volet, c’était de faire un regroupement de ces femmes. À chaque atelier, on accueillait une dizaine de femmes qui étaient victimes d’actes haineux. On leur permettait justement de raconter leurs expériences, leur souffrance, etc.

D’une manière générale, on a eu quand même des gens qui y ont participé et qui ont exprimé toute la souffrance qu’ils ont vécue. Je ne vous cache pas que c’était des moments très difficiles, il y avait des pleurs. On avait quand même une psychologue avec nous qui aidait un petit peu, qui donnait de l’aide à ces femmes-là. Des femmes qui ont soit décidé de rester fortes et de continuer de faire partie de cette société, ou qui ont carrément décidé de s’isoler, de se retirer de la société et de se concentrer juste sur leur famille et leurs enfants, parce qu’elles avaient peur de sortir de chez elles. Même le fait d’aller mener leurs enfants à l’école, c’était très difficile pour elles. Donc, ça, c’était le premier volet.

Le deuxième volet consistait surtout à donner de l’information aux gens. Qu’est-ce qu’un acte haineux? C’est quoi l’intimidation? C’est quoi la différence entre l’acte haineux, l’intimidation ou le racisme? Il s’agissait de donner tous les outils et de les informer sur les recours dont ils disposent ici, dans la Ville de Québec. Qu’est-ce qu’il faut faire quand on est victime ou témoin d’un crime? Par exemple, on peut filmer l’incident, prendre des photos, prendre le numéro de plaque d’immatriculation d’une voiture, etc.

Par la suite, on leur donnait aussi une liste des organismes disponibles ici, à Québec, et leurs coordonnées. Dans le cas où une femme a été victime d’un crime, elle n’a qu’à appeler l’organisme qui pourra lui venir en aide. Sans oublier, bien sûr, le numéro 911 qu’on peut appeler à tout moment.

Le troisième volet, que je n’ai pas malheureusement pas pu finaliser tout simplement à cause de la crise sanitaire, c’est une rencontre avec le Service de police de la Ville de Québec. Ce volet comporte deux objectifs principaux : d’abord, on voulait sensibiliser la police sur le fait que ces femmes vivent dans leur ville, mais qu’elles ne sont pas bien, qu’elles ont peur; ensuite, le deuxième point, c’était de donner accès à de l’aide à ces femmes. Il y a celles qui vont porter plainte. Elles vont appeler la police, mais il n’y aura pas de suivi. Et les femmes étaient très enthousiastes. Elles ont dit que, finalement, elles vont pouvoir rencontrer la police et avoir un suivi sur ce qu’elles ont vécu. Elles se sont demandé pourquoi il n’y avait pas de suivi, pourquoi elles n’ont rien eu. Elles déposaient une plainte, puis ça s’arrêtait là. C’est ce qui a découragé beaucoup de femmes. Certaines ont décidé carrément de ne pas porter plainte, tout simplement. Et ça, ce n’est pas pour notre bien, ce n’est pas pour le bien de la société parce qu’on a toujours conseillé aux femmes victimes d’appeler, ne serait-ce que pour des fins de statistiques. Au moins, même s’il n’y a pas de suivi, même s’il n’y a pas de solution, on a des statistiques. On sait que dans telle ville, il y a eu un tel nombre de crimes, etc.

Donc, ça, c’était les trois volets. Comme je l’ai dit, le troisième volet, malheureusement, n’a pas abouti. En fait, le projet comme tel n’a pas vraiment abouti jusqu’à la fin à cause de la crise sanitaire, puis on ne pouvait plus faire des regroupements. Le deuxième point, c’est le manque de financement. Parfois, ça bloque aussi de ce côté.

Voilà un résumé de ce qui s’est passé. J’aimerais faire une petite conclusion. J’aimerais mentionner que la famille immigrante, particulièrement la famille musulmane qui porte le voile, fait partie intégrante de notre société. Elle est issue de la diversité culturelle, elle contribue à la grande richesse économique et sociale de ce pays. Cependant, à cause des préjugés et de l’ignorance de certains de ses concitoyens, elle se retrouve une victime sans recours. Elle ne peut ainsi exercer pleinement sa citoyenneté. Je rappelle aussi que la loi 21 n’a certainement pas aidé. Au contraire, cette loi de l’État brime carrément les droits d’égalité et d’accès à l’emploi.

Donc, le projet Ensemble pour agir, destiné aux femmes, représentait quand même une occasion de sensibiliser et d’informer les femmes sur les droits fondamentaux. Grâce à ce projet, elles...

[Traduction]

La présidente : Merci. Je suis désolée d’avoir à vous interrompre.

Mme Aitoumasste : Il n’y a pas de problème, j’avais presque terminé.

La présidente : Merci.

Mme Aitoumasste : Je vous remercie.

La présidente : Je profite de l’occasion pour souhaiter la bienvenue à Mohamed Labidi. Je vous remercie pour votre présence. Je vais vous demander de faire votre déclaration préliminaire, mais comme notre horaire est serré, je vous demanderai de ne pas dépasser cinq minutes, car les sénateurs ont beaucoup de questions à poser.

[Français]

Mohamed Labidi, président, Centre culturel islamique de Québec : Bonjour à tous et à toutes. Nous sommes très heureux d’accueillir le Comité sénatorial qui étudie l’islamophobie.

Le CCIQ est le Centre culturel islamique de Québec, un organisme à but non lucratif au service de la communauté musulmane depuis 1985. Cet organisme gère deux mosquées de la Ville de Québec, offre des services religieux, éducatifs et culturels à des milliers de musulmans. Notre présentation portera sur la tragédie de la grande mosquée de Québec, la loi 21, la discrimination en matière d’emploi au fédéral et ailleurs, les messages haineux et les médias sociaux.

L’année 2017 a commencé par la tragédie de la grande mosquée et la perte de six de nos chers frères tombés sous les balles de la haine, une haine alimentée par les préjugés, la stigmatisation des musulmans dans les médias sociaux et les radios populistes. Malgré l’élan national de sympathie envers la communauté musulmane à Québec, nous avons continué à recevoir des dizaines de messages haineux par la poste, par téléphone au CCIQ et par Internet, d’où la peur qui s’empare des fidèles. Eux demandent de sécuriser les lieux de plus en plus. Nous avons fait un petit calcul rapide à votre demande, avec les trésoriers du CCIQ, et les coûts pour sécuriser les lieux s’élèvent à plus de 50 000 $ rien que pour l’achat de caméras de surveillance et d’écrans et l’installation d’un système d’ouverture de portes. Cela a coûté plus de 50 000 $. Puis, on ajoute à cela les coûts pour faire défoncer et décaler le mur et installer un mur de béton. Cela nous a coûté plus de 2 000 000 $. Je vous rappelle que nous avons reçu une aide de seulement 17 000 $ du gouvernement fédéral.

La communauté a vécu une autre déception en 2017 : la perte du référendum pour établir un cimetière musulman à Saint-Apollinaire, à 20 kilomètres de Québec. Le dénouement du dossier du cimetière musulman a été suivi par l’incendie de ma propre voiture, alors que j’étais le président du CCIQ à l’époque. Cet événement a ébranlé la communauté musulmane, car on s’attaque directement à des individus, à des personnes et à leur demeure. C’est une année très dure qu’a vécue notre communauté. Ces mauvais souvenirs sont restés gravés dans notre intérieur et ont poussé plusieurs personnes de notre communauté à déménager de la Ville de Québec pour aller s’installer dans une autre province. J’ai fait un petit suivi de mes connaissances qui sont parties. Plus de 50 % d’entre elles ont quitté la Ville de Québec.

La loi 21, cette loi discriminatoire, a accentué le sentiment de discrimination chez les membres de notre communauté et a encouragé plusieurs d’entre eux à quitter définitivement la province de Québec. Le sentiment de discrimination alimenté par la loi 21 a touché encore plus les femmes et les jeunes filles musulmanes, dont mes deux propres filles.

J’aimerais parler de la discrimination à l’emploi au fédéral et ailleurs. Je suis fonctionnaire fédéral retraité, malgré moi, puisque je ne pouvais plus supporter la discrimination en milieu de travail. J’ai décidé de prendre une retraite anticipée. Durant une carrière de 18 ans de service, j’ai fait affaire quatre fois au Tribunal de la dotation de la fonction publique pour réclamer mes droits. Je peux témoigner que les immigrants en général, dans la ville de Québec, dans la fonction publique fédérale, sont très mal servis lors des examens de la fonction publique fédérale. Il y a un travail à faire à cet égard.

Pour ce qui est des médias sociaux et des messages haineux, le monde virtuel est en pleine expansion. Les interactions sociales et médiatiques mutent vers le monde virtuel. Les discours haineux ont toujours existé, mais ils sont maintenant amplifiés par l’entremise des médias sociaux, car l’accès à un auditoire est rendu facile, et une fausse perception d’anonymat en ligne existe. Une certaine impunité en ligne existe face aux crimes haineux en l’absence de législation claire. L’islamophobie qu’on y rencontre fait peur et terrorise les membres de notre communauté. Il semble que la situation est hors de tout contrôle.

Les centaines de commentaires racistes et islamophobes qui apparaissent en ligne au quotidien s’apparentent à un harcèlement psychologique collectif envers notre communauté. Les auteurs des propos haineux peuvent être des entités journalistes et médiatiques par l’entremise de certains chroniqueurs ou de particuliers, ouvertement ou sous le couvert de l’anonymat. Les répercussions des propos haineux du monde virtuel sur notre communauté sont des appels au meurtre et à l’extermination de minorités, à l’apologie de crimes haineux, aux messages directs et indirects. La société canadienne subit un énorme tort.

[Traduction]

La présidente : Monsieur Labidi, je dois vous arrêter là, car les cinq minutes sont écoulées. Les sénateurs vous poseront des questions concernant les points que vous avez soulevés.

M. Labidi : D’accord.

La présidente : Je vous remercie beaucoup.

M. Labidi : Merci.

La présidente : C’est maintenant au tour de Mohamad El Hafid.

[Français]

Mohamad El Hafid, à titre personnel : Merci, mesdames les sénatrices, monsieur le sénateur, chers membres de l’auditoire. Je me présente, Mohamad El Hafid. Je suis marié et père de trois enfants. Je travaille comme professionnel en technologie de l’information et je suis un survivant de l’attaque terroriste de la grande mosquée du 29 janvier 2017. C’est un 29 janvier qui est gravé dans ma mémoire et qui a laissé des traumatismes et des cicatrices psychologiques qui ne se guérissent pas, malheureusement, mais la vie doit continuer, et il faut survivre.

Tout a changé dans ma vie. L’hypervigilance est de mise partout où je vais. Imaginez si vous vous sentiez menacé en permanence, sans raison valable ni logique. C’est insupportable à vivre, me diriez-vous, mais croyez-le ou non, c’est notre quotidien, c’est notre expérience chaque jour, nous, les rescapés, et tous les rescapés des attentats meurtriers.

La mosquée, qui était pour moi jadis un lieu paisible de recueillement, de tranquillité du corps et d’apaisement du cœur, n’est plus. Chaque fois que je suis dans une mosquée, je suis sur mes gardes, stressé, en train de surveiller le va-et-vient des fidèles à l’intérieur. Peut-être, qui sait, quelqu’un, un intrus, va nous tirer dessus. C’est un stress énorme et insupportable. Pourquoi tout ça et comment est arrivé ce drame? Ce sont là des questions que je me pose surtout à chaque anniversaire de l’attentat pour trouver des réponses, mais surtout, pour que cela n’arrive jamais chez nous.

Tous les spécialistes étaient unanimes que le terroriste de la mosquée était embrigadé par le sentiment de la haine et de l’islamophobie qui était monnaie courante dans les médias sociaux et dans les radios-poubelles de la ville de Québec. Et ces radios attisaient cette islamophobie. La députée de Québec solidaire, Mme Catherine Dorion, en dénonçant le crime dont a été victime un chauffeur de taxi d’origine maghrébine a décrit très bien cette situation dans une publication Facebook. Elle a appelé la population à se mobiliser contre les prêcheurs de haine qui sévissent dans la ville de Québec. Elle a écrit, et je cite :

Ce climat social, il y a des gens qui en sont responsables. Il y a des chroniqueurs, des animateurs et des politiciens qui sèment les graines de la haine pour empocher des votes, des clics, du gros cash. Tôt ou tard, ces gens seront tenus responsables.

D’ailleurs, le maire de Québec à l’époque, M. Régis Labeaume, a poursuivi dans la même veine la deuxième journée après l’attentat, le 1er février 2017. Il a dit :

Il y aura un moment donné où il faudra interpeller les dirigeants, les propriétaires, les familles propriétaires et surtout, les actionnaires des entreprises qui créent et vendent des produits haineux. [...] Espérons peut-être qu’une des conséquences, ce sera de rejeter ceux et celles qui s’enrichissent avec la haine.

L’islamophobie et la haine sont institutionnalisées et systématiques. Pour preuve, des centaines de commentaires racistes et islamophobes apparaissent en ligne au quotidien, dès qu’on traite d’un sujet sur les musulmans dans un article. Je vous donne juste deux exemples de commentaires recus dans nos mosquées. Voici le premier commentaire reçu : « Ne partez plus, ne critiquez plus, continuez de prier jusqu’à votre mort! Il en sera bien ainsi. » Puis, un autre commentaire reçu : « Ça prendra plus de monde comme Alexandre Bissonnette, la prochaine fois, tout le monde dans la mosquée, bravo à Alexandre. »

Donc, on déplore la faiblesse des institutions censées défendre nos droits, comme le CRTC, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CCNR, le Conseil canadien des normes de la radiotélévision, et le Conseil de presse du Québec. On explore aussi le silence, voire la complicité des élus face aux manifestations les plus déplorables de racisme et d’islamophobie.

On déplore aussi le travail bâclé de certains médias francophones mettant l’huile sur le feu pour des gains personnels et leur traitement inadmissible des questions relatives au racisme et à l’islamophobie. Par exemple, en parlant à la journaliste Marie-Pier Cloutier de TVA, en décembre 2017, qui a monté de toutes pièces l’histoire d’une mosquée qui aurait interdit à des femmes de travailler à côté de la mosquée. Je vous ai laissé des liens à consulter. Cette histoire mensongère est fabriquée de toutes pièces. Elle a intitulé son reportage Non aux femmes sur les chantiers de la mosquée. C’est pour vous dire comment ils veulent attiser la haine et l’islamophobie contre la communauté musulmane.

Il faut donc agir en redynamisant le CRTC, en dénonçant le racisme et l’islamophobie. Les élus ne devraient pas tarder à dénoncer le racisme et l’islamophobie lorsqu’ils se manifestent dans les médias. Ils devraient aussi refuser d’encourager les médias qui font leur fonds de commerce de l’intolérance et inviter tout le monde à ne pas le faire. Il faut retirer la publicité. Tous les gouvernements contribuent au financement des radios de Québec par le biais de campagnes de publicité. Cet appui devrait être conditionnel au strict respect des principes déontologiques de base du journalisme.

Il faut mettre sur pied une commission sur le racisme systémique après avoir aboli la loi, qui est un exemple flagrant d’une loi raciste et islamophobe qui vise à priver les Canadiens et les Canadiennes, et plus particulièrement les femmes musulmanes, de leur droit fondamental à la liberté de conscience et de religion.

Il faut exiger aussi que les géants du Web investissent pour contrôler les messages haineux et islamophobes des médias sociaux et les rendre responsables et imputables de ce déferlement de haine et d’islamophobie sur leurs plateformes.

Donc, la bonne façon de respecter les victimes et de créer un vivre-ensemble pour nous tous au Canada est d’agir avec force pour éviter qu’une autre tragédie ne se reproduise. Soyons solidaires avec les victimes et leurs familles, faisons en sorte que leur sacrifice n’ait pas été en vain. Agissons, agissons.

Merci de votre écoute et de votre attention.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie beaucoup.

Monsieur Akjour, nous sommes prêts à vous entendre. Merci.

[Français]

Saïd Akjour, à titre personnel : Bonjour à tous.

Je m’appelle Saïd Akjour, je suis d’origine marocaine. Je suis arrivé ici en 2007, donc ça fait à peu près 15 ans. C’est sûr que les 15 dernières années, je ne peux pas les résumer en cinq minutes, mais je vais quand même faire un autre survol sur mon intégration ici, à Québec.

Déjà à mon arrivée ici, à Québec, je suis arrivé avec des diplômes comme la majorité des immigrants. J’ai un bac en sociologie et une mineure en sciences de l’éducation. Alors, malgré les 15 ans qui sont passés, mes diplômes ne sont pas reconnus jusqu’à aujourd’hui.

Avec mon employeur actuel, mes diplômes ne sont pas reconnus dans leur système. Je ne peux avancer dans ma carrière, mon salaire ne reflète pas mes diplômes ou je ne peux obtenir un poste qui reflète mes diplômes. Donc, ça, c’est le premier volet.

Le deuxième volet concerne le travail. Lorsque je suis arrivé ici, la première chose que je voulais dire, c’était de faire le travail que je faisais au Maroc. J’étais enseignant au Maroc. J’ai enseigné pendant 11 ans. Il y a eu zéro reconnaissance par rapport à ce diplôme et mon expérience. Ce qui était important lorsque je suis arrivée ici, c’est vraiment de travailler pour payer mon loyer, pour payer mes factures. Je me suis donc ramassé à travailler comme préposé aux bénéficiaires. J’ai fait ce travail-là pendant dix ans. Quand même, c’est un travail valorisant, c’est un travail que j’ai apprécié beaucoup. Je ne fais plus ce travail actuellement parce que je fais autre chose.

Lorsqu’on parle d’identité de la personne, on parle d’abord de son nom. Donc, je m’appelle Saïd Akjour. Quand même, Saïd, c’est un nom qui est familier à l’oreille des Québécois. Malgré ce nom-là, malgré le fait que je vis au Québec depuis plusieurs années, beaucoup de personnes le prononcent mal. On le prononce soit « Sad », soit « Sid ». Pourtant, je porte le nom Saïd, c’est vraiment l’identité de ma personne. Il n’y a pas cette volonté de faire l’effort, de dire « Saïd ». Ce sont quand même des syllabes qui sont faciles à prononcer en français. Malgré cela, jusqu’à aujourd’hui, mon nom est « scrapé ». Certaines personnes font quand même attention, mais mon nom, même s’il est facile à prononcer, il n’y a pas cette volonté vraiment de faire l’effort pour le prononcer comme il faut. Pourtant, on a appris des noms qu’on ne connaît pas et on s’est amélioré à les prononcer comme il faut.

Comme vous le savez peut-être, j’ai été blessé par balle lors de l’attentat du 29 janvier 2017. C’est vrai qu’on a vécu plein de choses avant cette date-là, mais cet événement tragique nous a ouvert les yeux et nous a appris à dire non lorsqu’on subit des injustices. C’est vrai qu’il y a beaucoup de personnes vulnérables. Je parle plus des femmes qui sont voilées, qui ne sont pas capables de se défendre. Certaines d’entre elles sont capables de se défendre, mais une majorité d’entre elles subissent des coups mesquins de la part de leurs concitoyens et ça arrive dans la vie de tous les jours, dans le transport ici, le RTC. Les chauffeurs disent « bonjour » à tout le monde qui entre, mais lorsque c’est une femme voilée, là, il détourne les yeux. Le fait de ne pas fournir un bon service, de ne pas établir de contact visuel, c’est déjà une forme de discrimination. Ça veut dire qu’on rejette l’autre, comme s’il n’existait pas. C’est vraiment une forme subtile de discrimination. C’est dans l’accueil ou dans l’aspect public.

La discrimination, ça se passe aussi au travail. Chaque personne peut parler de son expérience par rapport à ça. Dans mon ancien travail, j’étais en train de parler avec un collègue marocain, qui travaille dans un autre service. Ma patronne est passée et elle m’a dit : « Qu’est-ce que vous êtes en train de fabriquer, est-ce que vous êtes en train de parler d’une bombe, de fabriquer une bombe? » J’ai pris mon courage à deux mains et je l’ai suivie jusqu’à son bureau pour lui dire : « Ça ne se dit pas, tout simplement. Ce qui se passe entre nous, c’est privé. On parlait d’autres choses. » Puis, elle m’a répondu : « Non, prends-le pas mal. C’est une blague. » Le message est passé, mais, en fin de compte, ce n’était pas une blague. On ne rit pas de ces choses-là, surtout dans un contexte professionnel avec une hiérarchie. Elle était ma supérieure au moment de cet incident.

Je suis allé travailler aussi quelques mois au Centre de services scolaires de la Capitale. Là, encore une fois, j’ai subi une grande discrimination. On m’a engagé et lorsqu’ils ont perdu un secrétaire, ils sont venus me voir pour me demander de les dépanner. J’ai dit oui. J’ai quand même relevé ce défi, mais ils avaient déjà l’intention de ne pas me garder. Ils ont fait appel à mes services avant les Fêtes en 2021, mais juste avant le congé des Fêtes, ils m’ont tout de suite remercié pour mes services. Ils m’ont dit que ce n’était pas tant un travail pour moi...

[Traduction]

La présidente : Monsieur Akjour, je suis désolée, mais je dois vous interrompre. Nous avons un dernier témoin à entendre, et il reste seulement 15 minutes pour les questions des sénateurs, et je suis certaine qu’ils ont des questions à poser.

[Français]

M. Akjour : Oui. Je voulais juste dire qu’il y avait d’autres points que... Merci quand même.

[Traduction]

La présidente : S’il y a des points que vous n’avez pas eu le temps de soulever, vous pouvez nous transmettre un mémoire, qui fera partie de votre témoignage. Il est toujours possible de nous envoyer des mémoires.

[Français]

M. Akjour : Parfait. Merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente : La parole est maintenant à Nabila Daoudi. Merci.

[Français]

Nabila Daoudi, à titre personnel : Bonjour à tous.

D’abord, je vous remercie infiniment de nous avoir permis de faire un témoignage. Je vais être vraiment très brève aujourd’hui, vu que nous n’avons pas le temps de tout dire et raconter. Je vais donc aborder brièvement deux volets de ma présentation : le premier, c’est le marché de travail et le deuxième, ce sont les actes haineux à caractère xénophobe.

En ce qui concerne le premier volet, c’est difficile pour les femmes musulmanes diplômées d’accéder au marché du travail . La discrimination, la stigmatisation et les contraintes prennent la place de l’évaluation des compétences académiques ou professionnelles. Je peux tout simplement et facilement être disqualifiée pour un stage ou pour un poste de travail juste parce que je suis musulmane ou parce que j’ai une tenue vestimentaire d’aspect musulman. Je suis diplômée en finances au Maroc. J’ai un diplôme universitaire. J’ai décroché un stage d’un seul mois à Québec. Par la suite, toutes les portes se sont fermées devant moi. J’ai dû m’adapter et suivre une formation pour devenir éducatrice.

Je vais maintenant aborder le deuxième volet : les actes haineux à caractère xénophobe. Il faut mentionner que les actes haineux à caractère xénophobe sont vécus quotidiennement par les femmes musulmanes. Je suis un exemple de toutes ces femmes. Je vais vous citer un exemple concret d’un incident qui s’est produit la semaine dernière. J’étais au Maxi en train de faire l’épicerie avec mes trois enfants. On faisait la file et il y avait une femme derrière moi que je n’ai pas vue parce qu’elle était derrière moi. J’ai tout simplement demandé à la caissière de vérifier un prix pour un produit parce qu’elle avait fait une erreur. La caissière était en train de me parler, puis la dame derrière moi — je suis désolée, je ne vais quand même pas utiliser des mots déplacés devant le comité — s’est mise à m’insulter. Elle m’a demandé de rentrer chez moi, dans mon pays, tout simplement. Je peux clairement qualifier ces insultes, ces paroles, ces gestes et ces menaces de gestes haineux, tout simplement. Je suis vraiment navrée, je ne peux pas vous dire ces mots en public.

J’ai appelé la police, j’ai insisté pour déposer une plainte. La police s’est présentée. J’ai dû insister longtemps, trois quarts d’heure, pour demander mon droit de déposer une plainte. Les policiers m’ont dit : « Madame, on va aller faire la morale à la dame à l’extérieur, dans le stationnement. » Mais je leur ai dit : « Vous êtes des policiers, vous n’êtes pas là pour faire la morale à la dame. Je veux déposer une plainte. Cette dame m’a insultée. Elle m’a fait des gestes haineux et des menaces de mort. » Je leur ai dit qu’elle voulait se lancer sur moi. Il y avait des témoins, il y avait des caméras, il y avait du monde. Ils n’ont posé aucun geste. Ils sont restés plaqués devant moi pendant trois quarts d’heure. Pourtant, j’étais en train de demander un simple droit de porter plainte. Ils ne l’ont pas fait.

Ils sont sortis du stationnement, puis ils sont revenus et ils m’ont dit : « Madame, on va vous demander d’écrire votre témoignage et vous allez signer ». Je n’ai même pas pu écrire, parce que je tremblais. C’est la policière qui l’a fait. Je lui ai donné mon témoignage, je l’ai relu et je l’ai signé. Par la suite, elle est sortie, elle m’a remis un constat. Je vais comparaître devant le juge bientôt pour payer un constat parce que j’ai appelé la police pour me défendre. Cela fait 12 ans que je suis ici. Ces incidents se passent dans le bus, dans la rue, dans ma voiture, dans les épiceries, partout. Et ça, c’est juste un exemple concret que j’ai vécu la semaine dernière. Étant citoyenne canadienne, moi, Nabila Daoudi, je suis une personne qui participe socialement et économiquement à l’évolution de la société, comme tous les citoyens à part entière.

Moi, Nabila, comme beaucoup d’amies que je connais, comme beaucoup de musulmanes qui n’ont pas eu l’occasion de se présenter et de témoigner devant vous, je sais que mon voile est politisé. J’ai un sentiment de colère, de crainte et de peur. Je vis de l’injustice et de l’incompréhension dans le regard de mes enfants. J’étais accompagnée de trois de mes enfants qui ont vu la scène de A à Z, qui ont tout vu. Je vis un traumatisme psychologique. Ça porte atteinte à ma dignité et ça affecte ma possibilité d’exister socialement.

Ma question et ma demande, en tout respect, c’est de veiller au moins au respect des droits garantis par la Charte des droits et libertés de la personne et de reconnaître l’existence de l’islamophobie. Je vous en remercie.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie beaucoup.

Je vais maintenant laisser les sénateurs poser leurs questions.

[Français]

La sénatrice Jaffer : Merci de votre témoignage. Cela m’a beaucoup touchée et je me souviendrai toujours de ce que vous nous avez dit. C’est vraiment important. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici. Comme la présidente l’a dit, nous n’avons pas assez de temps pour entendre tout ce que vous avez à raconter, mais, s’il vous plaît, envoyez vos notes à notre greffier, parce que nous voudrions lire tout ce que vous avez à dire. C’est vraiment important pour nous.

Je vais commencer par vous, monsieur Labidi.

Monsieur Labidi, je vous respecte beaucoup. Merci pour votre travail dans la communauté. C’est vraiment important pour tous les musulmans et je vous en remercie.

Le gouvernement fédéral a dit qu’il avait donné beaucoup d’argent pour augmenter la sécurité de la mosquée, mais vous dites que vous avez reçu une petite somme d’argent pour la sécurité de la mosquée. Comme j’ai demandé hier, s’il vous plaît, envoyez tout le détail : combien d’argent vous avez demandé et combien vous avez reçu, et tous les problèmes avec les applications. Envoyez cela au greffier, parce que, ça, c’est vraiment, vraiment important pour notre comité.

Je n’ai pas beaucoup de temps parce que d’autres sénateurs veulent poser des questions.

Nabila, Mohamad et Saïd, je voudrais vous demander d’écrire à notre greffier pour nous faire part de vos recommandations. S’il y a une recommandation que vous aimeriez faire, petite ou grande, quelle serait cette recommandation?

[Traduction]

S’il y avait une recommandation que vous voudriez faire au comité ou au gouvernement fédéral, quelle serait-elle? Comme vous le savez, nous disposons de très peu de temps, et il y a une question que j’aimerais poser à Mme Aitoumasste avant que la présidente me dise que mon temps est écoulé. Vous pouvez toujours envoyer des précisions au greffier. Allez-y en premier, monsieur Akjour.

[Français]

M. Akjour : La seule recommandation que j’aimerais faire en premier, même si la liste de mes recommandations est longue, c’est le contrôle des armes à feu. C’est sûr qu’ici, à Québec, on subit de la discrimination, mais ce qui a été vraiment catastrophique ce sont les dommages et les dégâts qu’on a subis à cause des armes à feu. Donc, on veut un meilleur contrôle des armes à feu.

La sénatrice Jaffer : Merci, Saïd.

M. El Hafid : J’ai une seule recommandation. Je demande que le gouvernement fédéral travaille très fort pour contrer les géants du Web. Il faut qu’ils investissent dans le contrôle des messages haineux. Parce que les géants du Web en sont responsables. Ils gagnent de l’argent en publiant de tels messages. C’est la seule recommandation que j’ai à faire : forcer les géants du Web à investir, à exercer un contrôle sur la publication des messages haineux dans leur plateforme, dans les médias sociaux.

La sénatrice Jaffer : Merci, Mohamad.

Mme Daoudi : J’aimerais juste soulever deux points : il faut s’assurer de reconnaître l’existence de l’islamophobie, ce qui n’a pas été fait, même après plusieurs années et de nombreux efforts; et il faut veiller au respect — c’est la moindre des choses — de la Charte des droits et libertés de la personne.

La sénatrice Jaffer : Merci, Nabila.

Laïla, j’ai une question pour vous. Vous avez dit que vous aviez suivi deux cours, mais vous n’avez pas fait un cours avec la police. Maintenant, l’avez-vous fait?

Mme Aitoumasste : Non, pas du tout. En fait, on a arrêté le projet au début de la COVID. Il n’y a pas eu de suite. Je travaillais plus dans le milieu multiethnique à l’époque, mais maintenant, je ne le suis plus. Donc, il n’y a pas eu de suite comme telle pour ce projet-là, malheureusement.

La sénatrice Jaffer : Merci.

J’ai une dernière petite chose à dire. Je suis désolée, je vais parler en anglais parce que mon français n’est pas vraiment bien, mais...

[Traduction]

Je tiens à dire aux survivants que je suis venue ici immédiatement après cette horrible attaque contre nous tous. Je veux que vous sachiez que vous n’êtes pas seuls. Nous, les musulmans de partout au pays, sommes avec vous. Je ne veux pas que vous pensiez que vous êtes seuls. Même si nous n’avons pas eu beaucoup de temps pour vous écouter, ce n’est pas la dernière occasion que vous aurez de vous exprimer. S’il y a d’autres choses que vous voulez nous dire, vous pouvez nous écrire, ou nous envoyer une vidéo si vous voulez, mais ne croyez pas qu’en raison du temps restreint, nous ne vous écoutons pas. Faites-nous parvenir ce que vous souhaitez, et monsieur Labidi, n’oubliez surtout pas de nous envoyer l’information que j’ai demandée.

[Français]

Boufeldja Benabdallah, cofondateur et porte-parole Centre culturel islamique de Québec : C’est déjà fait.

La sénatrice Jaffer : Ça, c’est vraiment, vraiment important pour nous. Merci. Merci pour ton témoignage.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins pour leur présence ce matin. Hier soir, le comité a visité la mosquée. Nous avons vécu un moment très touchant en nous rappelant ce qui s’est passé il y a plusieurs années. Il s’agit d’un problème auquel le comité porte attention, et nous sommes conscients de ce qui se passe.

J’ai quelques questions à poser. Il semble que les femmes sont les personnes les plus touchées dans leur vie quotidienne. Par exemple, Mme Daoudi a raconté que des choses se produisent en présence de ses enfants, et c’est terrible. Ces incidents ne devraient pas se produire devant des enfants, car cela peut avoir des répercussions à long terme sur leur pensée et leur esprit.

Dans quelle mesure la loi 21 a-t-elle une incidence sur les femmes musulmanes au Québec? Je pense qu’avant cette mesure législative, il y avait peut-être des problèmes, mais la situation n’était pas aussi grave que maintenant. Je crois que la loi 21 est probablement la cause principale de la situation actuelle. Qu’en pensez-vous? Quelqu’un peut-il nous en parler?

[Français]

Mme Aitoumasste : En fait, elle n’a fait qu’empirer les choses. Nous vivons déjà très mal tous ces problèmes de discrimination en ce qui concerne l’emploi. La loi 21 est arrivée pour nous dire carrément que nous n’avons pas le droit de travailler, que nous n’avons pas le droit d’être une enseignante, d’être un juge, ni quoi que ce soit. Donc, c’est sûr que cette loi nous a beaucoup affectées.

Ce n’est pas juste en milieu de travail, c’est aussi dans la société, à l’extérieur, dans la rue. C’est comme si on avait donné la permission à certaines personnes — je ne vais pas généraliser, je ne vais pas dire que tout le Québec ou toute la ville de Québec est raciste, loin de là — de dire que, effectivement, parce qu’on porte le voile, nous n’avons pas le droit de travailler, nous n’avons pas le droit d’exister, nous n’avons même pas le droit d’être ici et nous devons rentrer chez nous. Et ça, on l’entend souvent. Comme je l’ai dit tout à l’heure, dans le projet sur lequel j’ai travaillé, les femmes, elles ont souvent entendu ces propos-là : « Rentrez chez vous ». Pourtant, les femmes sont établies depuis des années.

Je ne sais pas s’il y a autre chose à ajouter.

M. Akjour : Ce que je pourrais rajouter, c’est que le premier ministre québécois a dit qu’il n’y a pas d’islamophobie au Québec. Il l’a dit à plusieurs reprises. Il agit comme quelqu’un qui met la tête dans le sable, qui fait l’autruche en disant qu’il n’y a pas de problème. Pourtant, le problème, il est là, il existe.

Il a souvent dit que ça représente la majorité, que la majorité a voté pour la loi 21. Donc, c’est la loi de la majorité. Mais, on oublie que la minorité, elle aussi, a des droits. Lorsqu’on parle des accommodements raisonnables, par exemple, on ne parle pas d’un privilège, mais on parle d’une procédure pour protéger les droits des minorités.

Ici, à Québec, il y a un déséquilibre entre ce qui est la majorité et ce qui est la minorité. C’est la majorité qui vote, mais c’est la minorité qui subit. Donc, les droits des minorités ne sont pas protégés ici, dans cette province, malheureusement. Merci.

M. El Hafid : Comme l’a dit Laïla, avant la loi 21, on subissait déjà de la discrimination, surtout les femmes musulmanes. La loi est venue institutionnaliser et donner raison à tous les islamophobes. Ça, c’est très important de le mentionner. Elle est venue d’une grande institution qui devrait représenter les droits et les libertés des citoyens. Et les droits et libertés de toute société se mesurent par le respect des libertés et des droits des minorités. Ils ont bafoué les droits des minorités et, surtout, les droits des femmes. Être une femme, déjà, c’est un handicap; être une femme immigrante, c’est un autre obstacle; être une femme voilée, c’est une troisième couche de discrimination; être une femme de couleur, voilée et musulmane, c’est une quatrième couche d’intimidation et de discrimination; et être une femme en situation de handicap, c’est une cinquième couche de discrimination. Donc, cette loi vient institutionnaliser cela, vient approuver une discrimination systémique.

De plus, on dit que l’État fait preuve de neutralité sous prétexte qu’il défend la laïcité. Or, on connaît tous la définition de la laïcité. La laïcité, c’est l’État qui est laïc, par les citoyens. Les citoyens ont le droit de porter ou d’enlever ce qu’ils veulent. Donc, c’est comme si l’État vient conforter tous les extrémistes dans leur jugement et dans leur discrimination. Et ça, je trouve ça très grave.

On a aussi essayé d’enchâsser dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec la « clause nonobstant » qui, normalement, n’est pas faite pour ça. Donc, finalement, ça ne sert à rien, la loi 21. C’est une loi juste pour avoir des votes de quelques extrémistes. Je m’arrête ici. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci.

Madame Daoudi, veuillez être très brève, car il y a encore deux sénateurs qui veulent poser des questions.

[Français]

Mme Daoudi : J’aimerais ajouter brièvement que la loi 21 entretient l’islamophobie, tout simplement. Elle entre en contradiction avec la Charte canadienne des droits et libertés. C’est vraiment contradictoire avec les valeurs de la charte, et elle entretient l’islamophobie. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci.

Le sénateur Oh : Je vous remercie.

[Français]

M. Benabdallah : Si je peux ajouter quelque chose au sujet de la charte, c’est que le fédéral doit faire quelque chose pour modifier ou annuler cette loi 21, parce que ça cause beaucoup de problèmes pour la communauté musulmane, particulièrement pour les femmes musulmanes. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci.

Le sénateur Oh : Merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci à tous les témoins d’être venus ce matin, c’est vraiment apprécié.

Je salue le courage des témoins, je salue le courage des victimes et des survivants, et je salue surtout le courage des femmes, qui subissent majoritairement les répercussions de l’islamophobie au quotidien. Le témoignage de Nabila est tout simplement... J’imagine que c’est le lot quotidien de toutes les femmes voilées musulmanes de notre pays, et c’est dommage.

Je vais m’adresser à Saïd. Par rapport à ce que vous avez vécu durant cette journée en 2017, pouvez-vous nous raconter un petit peu ce qui s’est passé exactement et nous dire si vous avez eu de l’aide depuis ce fameux jour de 2017? Merci.

M. Akjour : Le soir du 29 janvier 2017, c’était une soirée glaciale, c’était la fin du monde, c’était une catastrophe, un tremblement de terre. Il n’y a pas de mots pour l’exprimer. Par la suite, on a quand même eu des élans de solidarité de la société en général, musulmans et non-musulmans. On a reçu beaucoup de soutien, beaucoup d’empathie. Cela a fait du bien.

Pour ce qui est officiel, tout ce qui concerne le tribunal, c’était défaite après défaite. Donc, le jugement était une défaite, même lorsqu’il était un peu plus raisonnable, c’est-à-dire 40 ans, ce n’en n’était pas une, mais par la suite, c’était défaite après défaite, et là, si je peux dire, du point de vue juridique, c’est l’assaillant qui a plus de droits que nous autres, les victimes.

On est tombé dans l’oubli, soit par la société, soit par des instances gouvernementales, pour ce qui est de l’Indemnisation des victimes d’actes criminels, ou l’IVAC. Cela fait maintenant cinq ans, voire six ans, que notre dossier a été classé. On n’a pas de suivi, on ne sait pas ce qui se passe, on n’est pas indemnisé. Et avec nos propres moyens, on essaie de survivre, et je peux vous dire que je suis encore plus fort aujourd’hui qu’en 2017. Merci.

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup, c’est vraiment très touchant. Merci pour vos recommandations. monsieur Labidi. Vous avez 17 ans d’expérience à la fonction publique fédérale. Si vous aviez une recommandation particulière à faire au gouvernement du Canada au niveau de la fonction publique fédérale, qu’est-ce que ce serait?

M. Labidi : Merci pour votre question. Je demanderais que les examens soient faits par des professionnels des ressources humaines qui sont indépendants des boîtes où on travaille, des administrations où on travaille. Parce que les connaissances, ça vaut plus que l’expérience, plus que l’intelligence, plus que le savoir-faire, plus que tout. Si on connaît le boss, on nous promet de devenir chef d’équipe, directeur, consultant, etc. On monte les échelons, parce que ce sont les connaissances qui comptent. Donc, pour briser ça, il faut que des comités neutres, qui viennent d’autres villes ou d’Ottawa, fassent les examens. Et il faut des examens qui sont balisés et normalisés, pour éviter toute intervention humaine dans les résultats d’examen. Parce que dès qu’il y a une intervention humaine, les minorités sont exclues.

Par exemple, si je parle de l’administration où j’ai travaillé, ce sont 400 employés fédéraux. Sur les 400 employés fédéraux, pas un seul chef d’équipe n’est de minorité visible. Je ne parle pas d’Arabes, de musulmans, mais de minorités visibles, toutes origines confondues. Il n’y a aucun consultant, aucun directeur. On parle de 400 employés, avec 20 chefs d’équipe et 80 consultants. Il n’y a aucun immigrant parmi ces employés. Est-ce que nous tous, avec les diplômes, les maîtrises, les doctorats, avec tout ça, on n’a pas les compétences nécessaires pour monter dans la hiérarchie? Je connais un Africain qui va déposer une plainte contre le gouvernement fédéral pour bris de carrière. Il a une maîtrise en administration, et il sort avec le niveau auquel il est rentré. S’il s’agissait d’un système ouvert, il devrait être un directeur ou un directeur général en fin de carrière.

[Traduction]

La présidente : Merci, monsieur Labidi.

J’allais poser une question, mais je vais laisser M. Benabdallah formuler un commentaire, et je vais vous donner mon temps de parole. Je vous serais reconnaissante d’être très bref, toutefois, car nous avons dépassé notre temps de pratiquement 15 minutes.

[Français]

M. Benabdallah : On me pose la question d’être bref, de...

La sénatrice Gerba : En fait, elle veut que vous disiez quelque chose.

M. Benabdallah : Désolé, je dois m’excuser auprès du Comité sénatorial et auprès de vous, madame la présidente, d’être arrivé à cette heure. Je me suis trompé d’heure. J’avais écrit 10 heures au lieu de 9 heures, tout simplement.

Comme vous l’avez entendu, je pense que les gens ici ont autant de choses à dire que moi. Tout d’abord, votre comité a cette responsabilité importante de rencontrer des musulmans, de les écouter et de discuter de la question d’islamophobie. Il y a de la sémantique là-dedans, il y a plein de choses. J’avais préparé tout un exposé, mais je sais que le temps ne me permet pas d’en discuter. Je le remettrai à la présidente du comité.

Tout ce que je veux dire, c’est que islamophobie est de l’apanage de la société canadienne et québécoise non pas dans sa majorité. Il faut le reconnaître : ce n’est pas la majorité, c’est une minorité. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’il faut fermer les yeux et les oreilles sur cette minorité. C’est une minorité agissante, c’est une minorité exercée, c’est une minorité qui a les trucs sociaux dans lesquels elle peut se déclarer et elle peut se délier la langue... Le fait de se délier la langue à travers les réseaux sociaux fait encore du tort à notre communauté musulmane.

Ce qu’on demande au gouvernement fédéral, c’est de « détricoter » tous ces aspects, c’est-à-dire le contentieux religieux au Québec qui a poursuivi les Québécois, parce que le contentieux religieux est catholique, et en arrivant les musulmans ont subi les affres de ce contentieux. Il faut le « détricoter » avec le gouvernement provincial.

Nous souhaitons que le gouvernement fédéral agisse le plus vite possible pour défaire une partie de cette loi 21, qui est une partie en elle-même discriminatoire et en elle-même raciste et en elle-même islamophobe. On ne déclare pas que toute la loi 21 est mauvaise, mais on déclare donc son volet discriminatoire puisqu’elle a utilisé la « clause nonobstant », que vous dites enfin une fois, auprès de la magistrature, que la clause nonobstant ne devait pas être accordée à un gouvernement qui veut faire d’une loi une loi discriminatoire. C’est un non-sens sur les plans juridique, légal et humain.

Cela dit, on est un peu aigri de la chose, mais il faut aussi qu’on soit logique. Pour lutter contre l’islamophobie, nous demandons au gouvernement de mener des actions tangibles. Et ce ne sont pas des actions contraignantes : la loi, elle est là, la loi peut être mise à contribution pour décomplexifier la chose, mais au-delà des lois, il y a des actions positives qu’on peut faire. Les actions positives, c’est toujours dans le vivre-ensemble. En tant que musulmans, nous sommes porteurs en nous-mêmes de ce vivre-ensemble. Nous aimons vivre avec les gens, nous aimons notre voisin, nous aimons travailler dans la société pour rendre la société plus humaine. Mais il ne faut pas que ça soit uniquement des mots. Nous n’avons pas la capacité financière, nous n’avons pas de programme et des actions pour faire ça. Le gouvernement fédéral a la capacité de mettre en place des projets dans lesquels les gens trouvent un sens à la vie, trouvent un sens à se côtoyer, et en côtoyant les gens, on diminuera cet aspect d’islamophobie, on diminuera le racisme, on diminuera la xénophobie.

Alors, où se trouvent ces actions? Elles sont dans la culture. On a tellement de choses à partager avec les gens, nous, les nouveaux arrivants. Des programmes de culture doivent être mis en place afin de pouvoir nous permettre de travailler avec les gens puis de leur montrer que l’apport de l’islam dans la civilisation mondiale est un apport très positif, que ce n’est pas uniquement des mots. Il faut démontrer les choses en faisant des exposés, en découvrant l’autre qui est musulman, en créant des pièces de théâtre. C’est dans cette culture qu’on va pouvoir partager les choses et rire aussi. Je pense qu’on doit aussi nous décomplexer de la situation en faisant des choses agréables entre nous.

Comment se fait-il qu’une commission comme la vôtre allez rencontrer des gens comme moi? Je suis ébranlé par la situation. On veut faire des projets culturels, du théâtre, de la peinture, de la littérature. On veut faire beaucoup de choses dans lesquelles nous pouvons nous exprimer en tant que musulmans ici, au Québec. C’est autant d’actions qui vont diminuer l’islamophobie dans ce pays. Soyons un exemple à l’échelle mondiale.

Je pense que le gouvernement fédéral peut le faire, mais il ne peut le faire tout seul. C’est pour ça que, nous, ici, autour de la table, nous sommes prêts à travailler avec le gouvernement fédéral pour faire des propositions positives afin que ce thème, cette action, cette philosophie naissante de l’islamophobie diminuent un peu. Nous souhaitons faire disparaître l’islamophobie de l’espace canadien.

Nous sommes conscients que c’est du travail de longue haleine, et je tiens à souhaiter à la commission tout le succès dans son travail en se déplaçant à l’échelle du Canada, d’un océan à l’autre. Merci, madame la présidente, mesdames les sénatrices et monsieur le sénateur, de votre présence et de m’avoir permis de dire ces quelques mots, moi qui suis arrivé en retard à cette rencontre. Merci infiniment [mots prononcés dans une autre langue].

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup.

Pendant que vous parliez, je vérifiais rapidement le pourcentage de personnes qui voient l’Islam d’un mauvais œil, en regardant simplement certains des sondages qui ont été publiés. Au Québec, 48 % des Québécois voient l’Islam d’un mauvais œil, et à l’échelle du Canada, c’est près de la moitié des Canadiens, soit 46 %. Il est évident que ce comité a du pain sur la planche. Comme je n’ai pas de temps pour cette question, je vais la réserver pour le prochain groupe de témoins.

Je tiens à remercier chacun d’entre vous. Vos témoignages nous seront d’une grande aide pour la rédaction de notre rapport, et je vous remercie d’avoir pris le temps de nous faire part de vos réflexions. Messieurs Akjour et Labidi, merci. Cette journée a dû être difficile pour vous, car nous vous avons forcés à revivre ce que vous avez subi. Nous avons été témoins de l’émotion de M. Labidi. Hier soir, nous avions tous le cœur très lourd, après ce que nous avions vu et entendu. Mes enfants m’ont dit que nous devions avoir passé une journée difficile, ce à quoi j’ai répondu que c’était bien le cas. Et je parle au nom de tous les sénateurs. Merci de nous avoir accueillis à la mosquée. Si vous avez oublié de mentionner quelque chose, ou si vous pensez qu’il y a quelque chose que nous devrions savoir, veuillez nous transmettre cette information par écrit.

Avant de présenter notre deuxième groupe de témoins, je tiens à vous faire savoir que nous avons une demi-heure de retard. Je déteste interrompre les témoins, mais je vais vous demander, messieurs, de vous en tenir à cinq minutes pour que les sénateurs aient le temps de vous poser des questions. Nous allons entendre tous les témoins, puis nous passerons aux questions des sénateurs.

Du Forum musulman canadien, nous avons M. Samer Majzoub, qui en est le président. Nous accueillons également M. Rashid Antonius, professeur au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal, et M. Louis-Philippe Lampron, professeur titulaire en droits et libertés, chercheur et porte-parole de la Faculté de droit de l’Université Laval.

J’invite maintenant M. Majzoub à présenter son exposé.

Samer Majzoub, président, Forum musulman canadien : Je vous remercie sincèrement de votre invitation. Chaque mesure prise pour lutter contre l’islamophobie a une dimension déterminante, et c’est ce que je voudrais souligner. Je vais essayer de respecter mon temps de parole de cinq minutes. J’ai déjà envoyé mon mémoire à M. Payet, et je vais distribuer ma déclaration ultérieurement.

Je tiens à souligner d’emblée une chose très importante, que nous avons répétée à maintes reprises, à savoir que l’islamophobie n’est ni une guerre de religion ni une guerre ethnique. C’est un élément extrêmement important que tous doivent retenir, et cela comprend mes frères de la communauté musulmane aussi bien que leurs concitoyens, les citoyens canadiens, au Québec et hors Québec et dans tout le Canada.

L’islamophobie est une forme extrême de haine qui se manifeste de diverses façons et prend diverses formes : discours haineux, racisme, racisme caché et, malheureusement, terreur, comme nous l’avons vu à Québec et dans le Nord de l’Ontario. Elle s’exprime par une haine contre l’islam et ses valeurs universelles. J’ai mon mémoire de sept pages que je ne vais pas parcourir en entier, mais je vais essayer de me concentrer sur quelques points que j’aimerais lire et mettre en lumière. L’islamophobie revêt de nombreuses formes et comporte de nombreux aspects.

Je suis au Canada depuis 34 années consécutives. J’ai malheureusement vu l’islamophobie évoluer dans le mauvais sens. Cette évolution s’appuie sur les discours haineux que nous connaissons tous, et je tiens à le souligner, car nous avons travaillé très dur pour parvenir à un point où l’islamophobie est reconnue et prise en compte. À un moment donné au cours de 2017, de nombreux médias sont venus nous demander ce que cela signifiait. Est-ce que nous voulons priver les gens de leur liberté d’expression? Non. Je veux juste m’assurer que les discours haineux sont associés à la haine. Tout discours qui conduit à la haine est un discours haineux, et cela n’a rien à voir avec la liberté d’expression. Ce sont des dimensions complètement différentes.

Nous avons les plateformes de médias sociaux. C’est un autre fait auquel nous sommes souvent confrontés, et cela ne se limite pas aux musulmans. Il y a de la haine, de l’étroitesse d’esprit, du racisme et des attaques contre les femmes et les hommes. Tous les médias sociaux deviennent extrêmement intimidants, surtout pour nos jeunes. C’est un train qui fonce sur le monde occidental, et le Canada ne s’en sauvera pas. Il s’agit d’une idéologie fondée sur la suprématie extrême, et le risque de cette idéologie réside dans la violence qui traduit ses croyances. Ce n’est pas limité au Canada. Nous l’avons vu en Norvège, nous l’avons vu en Europe, et malheureusement, nous l’avons vu amplement au Canada, où des gens sont morts dans les rues ou dans les mosquées lors de deux ou trois événements majeurs. Je ne vais pas en reparler parce que tout le monde est au courant.

L’islamophobie a un autre visage : elle s’inscrit dans les lois et les règles, malheureusement. Le groupe de témoins précédent a mentionné les répercussions de la loi 21, et que nous le voulions ou pas, que nous l’admettions ou pas, que nous essayions de le cacher ou pas, cette loi attise les discours islamophobes et xénophobes. Ce n’est pas seulement au Québec, avec tout le respect que je vous dois. C’est au Québec et hors du Québec. Encore une fois, je dois le souligner. Le Québec n’est pas une société raciste. Tous mes enfants sont nés au Québec et ont vécu au Québec, et nous aimons la province. C’est une question qu’il faut aborder lorsqu’il est question de racisme partout au Canada.

Je vais aborder très rapidement un autre facteur, celui de ce que nous appelons un environnement toxique au sein de certaines agences fédérales. Les médias l’ont dit, le premier ministre lui-même l’a dit, et cela s’est reflété dans des règles et des règlements. Des organisations sans but lucratif ont déposé des plaintes au gouvernement canadien, affirmant qu’elles ont été ciblées en raison de leur identité, et c’est un autre facteur que nous devons examiner.

Nous avons ce que nous appelons le racisme caché. Il s’agit d’un autre facteur qui se manifeste principalement sur le marché du travail. L’accès y est difficile, et si vous réussissez à y accéder, comme les témoins du groupe précédent l’ont souligné, votre avancement est limité.

Je terminerai ma déclaration par le facteur le plus important qui intimide nos enfants et entrave notre quotidien. Il s’agit de la sûreté et de la sécurité des Canadiens musulmans. Effectivement, je peux vous dire que, à certains moments — pas toujours —, des parents appellent mon organisation pour demander s’ils doivent envoyer leurs enfants à l’école ou non. Eh oui, c’est au Canada, c’est dans nos villes; nous ne parlons pas d’une zone de guerre. La sûreté et la sécurité des musulmans canadiens exigent que nos agences de sécurité prennent très au sérieux toutes les craintes que peut susciter ce que nous voyons en ligne, toutes les formes d’intimidation, afin d’éviter — Dieu nous en préserve — toute violence ou tout incident sanglant comme nous en avons vu auparavant.

Je vais m’arrêter ici. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup d’avoir respecté le temps dont vous disposiez. Nous allons maintenant écouter la déclaration liminaire de M. Antonius.

[Français]

Rachad Antonius, professeur associé, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal, à titre personnel : Bonjour, madame la présidente, sénateurs, membres du panel. Merci de m’avoir permis d’être présent ici.

Le moment que nous avons vécu hier à la grande mosquée de Québec était un moment d’émotion intense. Non seulement pour les membres de la communauté qui se sont remémoré les événements tragiques de 2017, mais aussi pour les visiteurs venus les écouter. Le groupe de témoins de ce matin aussi a participé à cette émotion très intense. Dans ce contexte, il est malaisé, peut-être même inapproprié, de vouloir prendre du recul pour faire une analyse froide et objective des rapports entre les sociétés d’accueil au Québec et au Canada, et les individus et les communautés musulmanes d’installation récente. Donc, ce n’est peut-être pas le meilleur contexte maintenant pour amener une réflexion plus fondamentale. Mais en même temps, cette tâche est une nécessité. Et j’ai cru comprendre que c’est une des tâches du Comité sénatorial devant lequel je témoigne maintenant.

L’émotion seule ne peut suffire à gérer la situation. À moins de conclure que les sociétés d’accueil sont irrémédiablement déficientes du point de vue moral et qu’elles sont irrécupérables, il y a des choses à comprendre de part et d’autre. Il y a une ignorance à surmonter et il y a des dialogues à établir. Je remercie MM. Majzoub et Benabdallah d’avoir fait ces distinctions-là tantôt.

Mais restons un moment sur le terrain de l’émotion, parce que je veux amener une réflexion critique sur tout le processus. Restons un moment sur le terrain de l’émotion. J’ai entendu hier comment certains incidents qui pourraient sembler banals en apparence, mais qui peuvent avoir des répercussions profondes chez les individus, surtout les enfants. Cela peut les marquer pour longtemps et leur donner le sentiment d’être rejetés. Je connais bien le discours dévastateur des médias populistes au Québec qui propagent des stéréotypes et qui stigmatisent l’ensemble des musulmans. J’ai analysé ce discours, je l’ai dénoncé dans de multiples interventions pendant une vingtaine d’années.

Mais cela m’a rappelé que j’ai été moi-même témoin de situations semblables, mais dans un contexte inversé : celui d’une minorité non musulmane au sein d’une majorité musulmane. Est-ce que c’est pertinent? Oui, je vais vous dire pourquoi c’est pertinent. Dans le contexte de l’Islam, de la montée de l’islam politique et du salafisme, je ne m’attarderai pas sur les dimensions émotives de cette situation, beaucoup plus dramatique d’ailleurs que tout ce qu’on peut vivre ici. Le contexte n’est pas approprié aujourd’hui, je le ferai dans les documents écrits que je ferai suivre. Je veux juste dire que la prise en compte de ces autres situations permet de comprendre autrement les concepts, de les définir autrement, de voir les causes et les conséquences des phénomènes de racisme qui nous préoccupent.

La considération de ce contexte me fait dire qu’il y a un éléphant dans la pièce : c’est celui de l’islamisme. Ce facteur est rarement pris en considération lorsqu’on parle d’islamophobie. Pourtant, certains analystes et militants contre le racisme antimusulman, donc les défenseurs des droits des musulmans, nous le rappellent à l’occasion. Ainsi, Hussein Ibish, qui est une personnalité très connue aux États-Unis, un Libanais d’origine, un militant, un activiste, un intellectuel qui dénonce l’islamophobie et lutte contre celle-ci a écrit ceci :

Malgré tout le mal incontestablement causé par les tenants du discours islamophobe usuel, les pires islamophobes, et en fait, à bien des égards, les vrais islamophobes, sont les extrémistes musulmans violents, qui semblent déterminés à fournir au discours islamophobe, des faits sur lesquels s’appuyer.

La prise en compte sérieuse de ce facteur dans l’analyse nous oblige à penser autrement les concepts avec lesquels on veut lutter contre le racisme antimusulman. Si l’islamisme n’existait pas, avec ses tendances non seulement djihadistes, mais aussi politiques et sociales, on pourrait expliquer l’islamophobie uniquement par des variables propres à la société d’accueil : l’histoire coloniale, orientalisme, racisme intrinsèque inscrit dans l’ADN des sociétés blanches, etc. On pourrait oublier les faits des violences islamistes dans les pays arabes et musulmans et ailleurs qui expliquent pourquoi de nombreux musulmans, ici et là-bas, rejettent les symboles qui ont été popularisés par les courants islamistes, au point de se faire traiter eux-mêmes, ces musulmans, d’être islamophobes. Je veux ajouter une petite chose qui n’est pas dans le texte pour les traducteurs. On est dans une situation de catch-22. Si on ne parle pas de ces choses, elles n’existent pas, personne ne pose de questions, et si on en parle, on dit qu’il faut faire attention, que c’est trop sensible, qu’il ne faut pas en parler. Donc, je me mouille et je me risque là-dessus.

On pourrait oublier l’effet psychologique de centaines d’actes terroristes qui expliquent les relations islamophobes dans une grande mesure, qui sont revendiqués au nom de l’islam. Dans mon texte écrit, je vais mentionner plusieurs autres choses de ce type-là. La prise...

[Traduction]

La présidente : Je suis désolée, mais je dois vous arrêter.

M. Antonius : Mon temps est écoulé?

La présidente : Oui. Si nous ne respectons pas le temps, nous n’aurons pas de temps pour les questions.

M. Antonius : M’accordez-vous 30 secondes pour terminer?

La présidente : Bien sûr.

[Français]

M. Antonius : Alors, ceci m’amène à faire trois distinctions fondamentales : celle entre islam et islamisme, celle entre islamophobie et racisme antimusulman, et celle, enfin, entre discours raciste et critique légitime de l’islamisme, ou même de certains aspects de la religion. Ces trois distinctions sont fondamentales dans l’analyse. Je pourrai les retrouver dans la période des questions. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci.

Monsieur Lampron, c’est à vous.

[Français]

Louis-Philippe Lampron, professeur titulaire en droits et libertés, chercheur pour le CRIDAQ et co-porte-parole du GEDEL, Faculté de droit, Université Laval, à titre personnel : Merci, madame la présidente, merci aux membres du comité pour l’invitation à échanger avec vous. J’ai une petite précision à faire. Je veux simplement dire que je ne parle pas au nom de la faculté de droit, mais bien en mon nom personnel, comme professeur en droits et libertés de la personne.

Alors, mon mot d’ouverture va être très bref, vous allez être contents. Donc, j’aborde la question évidemment comme juriste. C’est un lieu commun de dire, depuis de nombreuses années, voire des décennies maintenant, que les membres de la communauté musulmane ou maghrébine, ou perçue comme maghrébine ou musulmane, font l’objet de stéréotypes, de préjugés partout en Occident, au Canada et au Québec. Toutes les études vont dans ce sens-là, on a une multitude d’exemples. Donc, ça, c’est un acquis : il y a vraiment des problèmes, et des problèmes qui durent depuis plusieurs années.

Un des points tournants, bien sûr, qui a accentué cette discrimination-là, a été les attentats du 11 septembre 2001. Il y a eu vraiment une recrudescence des différents obstacles qui pèsent sur les membres de ce groupe minoritaire partout en Occident.

Maintenant, j’imagine que les membres du comité m’ont invité pour parler du point d’équilibre entre les droits fondamentaux quand on aborde les solutions potentielles pour lutter contre ces obstacles-là et quand on s’interroge sur l’occasion d’avoir recours au concept de l’islamophobie, de la dénonciation de l’islamophobie et des outils politiques ou juridiques pour être capable de sanctionner des propos qui relèveraient de l’islamophobie, en particulier la tension qui existe entre liberté d’expression et de critique de toutes les religions et la protection du droit à l’égalité des membres de tous les groupes minoritaires et des membres des communautés musulmanes minoritaires au Québec et au Canada. Le défi étant, bien sûr, de trouver des solutions politiques ou juridiques qui ne sont pas de nature à rompre cet équilibre-là, qui constituent le cœur de la mise en œuvre de tous les textes sur les droits et libertés de la personne. C’est toujours une question d’interdépendance et d’indivisibilité. La raison derrière l’idée selon laquelle il n’existe pas ou ne doit pas exister de hiérarchie entre les droits fondamentaux protégés par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, c’est justement cette idée selon laquelle ça participe d’un grand tout et que la conception qui sous-tend cette architecture-là complexe qui remonte à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, c’est la protection de notre capacité collective à coexister pacifiquement les uns à côté des autres, les uns avec les autres, et surtout, de s’assurer que les groupes majoritaires n’abusent pas de leur prérogative entre des groupes — et là, j’utilise le pluriel — minoritaires.

Alors, cela me fera plaisir de répondre à toute question que vous pourriez avoir à ce sujet, justement, les implications liées au concept d’islamophobie en lien avec cet équilibre qui doit caractériser les droits et libertés de la personne dans toute solution qui est préconisée et mise de l’avant par l’État ou le législateur. Merci.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie beaucoup de votre déclaration.

Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs.

[Français]

La sénatrice Jaffer : Monsieur Antonius, vous êtes vraiment courageux. Je n’ai pas de questions pour vous parce que vous avez dit tout dit. Merci.

J’ai une question pour le président du Forum musulman canadien : êtes-vous impliqué dans le recours judiciaire contre la loi 21, qui est maintenant devant la Cour d’appel du Québec?

[Traduction]

M. Majzoub : En réalité, la communauté musulmane, le Forum musulman canadien — nous sommes tous impliqués. Nous ne sommes pas le groupe qui a lancé la procédure judiciaire. Mais la cour d’appel en a été saisie.

Permettez-moi de préciser quelque chose. Il n’y a pas que la dimension juridique de la loi 21 qui est en jeu, mais les incidences réelles de la loi 21. Permettez-moi de vous dire, avec tout le respect que je vous dois, que cette loi ne vise pas les immigrants. Il y a une fausse impression, et peut-être que des politiciens ou des médias voudraient mettre cela en évidence. Les personnes qui subissent les conséquences de cette loi en particulier — les victimes — sont les jeunes femmes québécoises.

Il y a une clause de droits acquis. Cette clause dit que si vous arrivez et commencez à enseigner avant 2019, vous pouvez conserver votre poste d’enseignante. Autrement dit, toutes les personnes arrivées au Canada avant 2019, mais dont nous disons qu’elles sont immigrantes, peuvent encore enseigner. Qui en paie le prix maintenant? Ce sont mes filles et vos filles qui sont nées au Québec, qui ont été élevées au Québec, qui sont allées à l’école au Québec et qui sont allées à l’université au Québec. Ces jeunes femmes ne peuvent pas enseigner.

Le plus grave et le plus dangereux pour nous tous, outre le fait que ce sont les femmes qui subissent les conséquences de cette loi, c’est qu’elle ouvre la voie au racisme et à la discrimination. C’est ce dont on ne parle pas. Les gens ne parlent que des emplois eux-mêmes et du fait qu’il y a des types d’emplois auxquels vous ne pouvez pas accéder. C’est très dangereux parce que cela autorise les gens à penser que tout va bien et qu’ils peuvent se donner des prétextes pour se mettre à faire de la discrimination envers d’autres personnes. Je crois que c’est l’une des incidences les plus négatives de la loi 21.

La sénatrice Jaffer : Vous avez si bien exprimé cela.

Je n’ai que quelques secondes, mais j’ai tellement de questions pour vous et M. Lampron. Nous aurons peut-être le temps de faire un deuxième tour. Il y a tellement de facettes à cela. Que fait votre organisation pour faire comprendre aux gens ce qu’est l’islam et ce qu’est la communauté musulmane au Québec?

M. Majzoub : À titre de représentant du Forum musulman canadien, je dois faire comprendre que notre groupe et moi n’encourageons pas les gens à entamer des discussions directes d’un point de vue religieux. Je le clame haut et fort : les musulmans sont des citoyens. J’ai eu l’occasion de rencontrer de nombreux politiciens, décideurs et intervenants au cours de mes 34 années d’activisme. À titre de citoyen, je me dois d’être respectueux. Je paie mes impôts, je dois respecter la loi et je jouis des mêmes droits que tous les autres citoyens, et j’affirme que les musulmans ne sont pas censés faire l’objet de discrimination. Avec tout le respect que je dois à M. Antonius — et je le respecte énormément —, il n’y a pas d’excuses à donner, pas l’islamisme, pas autre chose, car si je commence à trouver des excuses, cela ne finira jamais. Je ne finirai jamais de trouver des excuses non seulement pour les musulmans, mais aussi pour les autres groupes et confessions. Je suis Canadien, je suis Québécois, et j’ai entièrement le droit d’être là et c’est ce que je veux.

J’ai commencé en disant que l’islamophobie n’est pas une guerre religieuse, mais une forme de haine à laquelle nous sommes confrontés au Canada. Je vais souligner quelque chose ici et m’arrêter. En 2016, nous avons signé une pétition — dont je suis l’instigateur — pour condamner l’islamophobie au Canada, qui est l’objet de la motion 103 et d’autres mesures. Nous avons dit que ce n’est même pas un problème seulement musulman, mais aussi un problème canadien. C’est une forme de haine que nous observons. Des gens et des fidèles sont tués dans la rue, des familles sont éliminées. Nous lançons le débat en tant que citoyens qui ont entièrement le droit d’être respectés et de ne pas être victimes de discrimination.

La sénatrice Jaffer : Puis-je juste poser une brève question, oui ou non?

La présidente : La question et la réponse doivent être brèves.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Lampron, je vais vous poser une très brève question, à répondre par oui ou par non en raison du temps. Jouez-vous le moindre rôle dans le dossier de la loi 21 qui est renvoyé en cours d’appel?

M. Lampron : Non.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie.

Oh, oui, monsieur Antonius. Sénatrice Jaffer, pouvez-vous mettre votre...

M. Antonius : La sénatrice Jaffer ne m’a pas posé de question, mais il y a eu un commentaire sur le courage et je voudrais formuler une brève observation à ce sujet. Je conviens qu’il faut du courage, oui, mais il y a autre chose. D’abord, j’ai passé la majeure partie de ma carrière universitaire à lutter contre le racisme antimusulman, et j’ai monté un dossier à ce sujet. J’ai analysé le problème. Ma critique se fait de l’intérieur, pas de l’extérieur.

De plus, je ne suis pas seul. De nombreux membres de la communauté musulmane tiennent exactement les mêmes propos que moi. Ils ne sont pas entendus. Ce sont des personnes comme Yasmine Mohammed, une Canadienne d’origine palestinienne et égyptienne qui a écrit le livre intitulé Unveiled: How Western Liberals Empower Radical Islam et bien d’autres membres du monde musulman. Ces personnes ne sont pas entendues. Je ne me sens pas seul dans mes critiques : je suis avec mes frères, musulmans et non musulmans, contre toutes les formes de discours suprémaciste, même s’ils émanent de personnes et d’organisations musulmanes radicales.

La sénatrice Jaffer : Madame la présidente, je voudrais lui répondre. Je n’ai jamais dit que vous étiez seul. Je n’ai jamais indiqué que vous étiez seul. Nous l’avons entendu aussi, et je vous remercie.

Je vous remercie, madame la présidente. Je voudrais m’inscrire au second tour.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci, madame la présidente.

Effectivement, c’est courageux, monsieur Antonius, de dire ce que vous avez dit. Je suis convaincue que vous n’êtes pas seul, parce que j’entends beaucoup de musulmans qui ne veulent même plus aller dans les mosquées, parce qu’ils ne savent pas laquelle est islamiste extrémiste. Donc, c’est quelque chose à regarder aussi, et je pense que c’est important qu’on regarde tous les aspects de la question.

Ma question s’adresse beaucoup plus à Louis-Philippe Lampron. Selon l’étude menée dans le cadre du Plan d’action gouvernemental 2015-2018 : la radicalisation au Québec : agir, prévenir, détecter et vivre ensemble, l’islamophobie et la xénophobie sont répréhensibles par le Code criminel canadien. Pourtant, le même rapport mentionne qu’en 2017, les gestes haineux ont augmenté de 49 % au Québec. Pensez-vous que les lois actuelles et leur application sont à même de mettre fin à l’islamophobie au Québec et au Canada?

M. Lampron : C’est une excellente question et ça nous amène à parler de la définition de la haine et des raisons pour lesquelles la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Whatcott notamment, a établi un seuil très élevé pour qu’on puisse être confronté à des propos qui relèveraient de la haine. En fait, c’est une distinction qui est fondamentale pour moi à faire, c’est la distinction entre le délit d’opinion versus le propos qui doit être dénoncé publiquement dans le jeu démocratique. C’est-à-dire qu’on peut parler de ce qui se passe, on est à Québec, sur les ondes de plusieurs radios privées, il y a des propos proprement inacceptables et inadmissibles qui sont répétés, encore et encore, et qui sont de nature à entretenir des préjugés envers plusieurs groupes, dont les musulmans et les musulmanes, en fait. Alors, il y a beaucoup de ces propos-là qui doivent être dénoncés, et qui le sont, par ailleurs.

Maintenant, entre la capacité qu’on a comme citoyen à dénoncer de manière répétée ces propos-là et des propos qui peuvent valablement être interdits et passibles de sanctions par le truchement de la loi, il y a un seuil à tout le moins qui fait l’objet d’un consensus dans la sphère juridique et qui a été confirmé et répété par la Cour suprême du Canada, c’est-à-dire que des propos qui sont critiques, bien sûr, donc le fait de critiquer des religions au sens large ou de critiquer des groupes au sens large, indépendamment de ce qu’on pense de ces propos-là, même si ces propos-là sont de nature à heurter la dignité de membres de ces groupes-là, ce n’est pas suffisant pour qu’on soit confronté à de la haine au sens du Code criminel canadien.

Maintenant, le débat, et je pense que c’est là où vous m’emmenez. Parce que le Code criminel, c’est un double fardeau, quelque part. Il y a la question de la haine et le seuil qui est très élevé pour qu’on soit capable d’obtenir la preuve suffisante pour justifier le fait que ce sont des propos haineux juridiquement parlant, et il y a le fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable.

Or avec une loi comme la Loi canadienne sur les droits de la personne ou d’autres textes sur les droits et libertés de la personne, d’avoir des dispositions — comme c’était le cas, par ailleurs, dans la Loi canadienne sur les droits de la personne — qui interdisent les propos haineux, mais qui retirent le deuxième fardeau. Évidemment, on ne parle pas du stigmate criminel, ça ne serait pas un crime, mais ça serait une sanction pécuniaire, par exemple, qui pourrait être imposée. Peut-être que c’est quelque chose qui est à explorer, considérant la société algorithmique dans laquelle on vit actuellement et qui change beaucoup de choses, autant pour la diffusion de fausses nouvelles que pour la diffusion de propos très, très, très problématiques et à la limite, justement, de cette fameuse définition-là, qui a un seuil très, très élevé.

Alors, c’est quelque chose qui est à explorer, effectivement, mais de remettre en cause la définition de la haine me semblerait problématique, et c’est pour ça que le concept d’islamophobie, si on décide d’aller de l’avant avec ce principe-là, et en droit, c’est toujours le nerf de la guerre, il faut le définir d’une telle manière qu’il respecte l’équilibre entre les droits et libertés de la personne.

La sénatrice Gerba : Merci.

M. Lampron : Merci.

La sénatrice Gerba : Est-ce que j’ai 10 secondes? D’accord.

Je voulais juste demander à M. Antonius s’il a une recommandation spécifique par rapport à l’approche, les deux facteurs dont il a parlé.

M. Antonius : Je dirais que la plus importante recommandation serait de revoir sérieusement la définition d’islamophobie.

Dans un texte qui a été fait par la Toronto District School Board pour contrer le racisme antimusulman, on définit l’islamophobie comme n’importe quel discours qui est critique des musulmans, ce qui est tout à fait correct. On dit aussi « critical of Islamic culture or politics ». Et ça, c’est grave. Ils ont retiré cette définition. Mais comment sommes-nous arrivés à une telle définition? Ça veut dire que si je critique la politique du régime iranien, je serais islamophobe?

La recommandation la plus importante, c’est de tenir compte de cette définition. Comme la sénatrice Ataullahjan l’a dit hier, c’est très profond et très juste. Le mot « islamophobie » parle beaucoup du sentiment de la société d’accueil et pas de ce que vivent les victimes. Donc, il y a une raison de parler de racisme antimusulman. Je souscris entièrement à ce que vous avez dit, madame la sénatrice. Cette distinction est très importante. Il faut mettre l’accent sur le racisme antimusulman.

Je vais un peu plus loin : le mot « islamophobie » ne signifie pas automatiquement racisme antimusulman. Beaucoup de musulmans ont peur de l’islam à cause des interprétations actuelles très présentes de certains aspects de l’islam. Donc, il faut distinguer cette peur du racisme. C’est ma recommandation principale.

La sénatrice Gerba : Merci.

[Traduction]

La présidente : Je peux vous inscrire au deuxième tour.

La sénatrice Gerba : D’accord. Je vous remercie.

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins de comparaître.

Je dirais que vous nous avez fourni tous les trois encore plus de détails sur l’islamophobie et la loi 21. Si nous voulons faire quelque chose, nous devons aller au fond des choses. La question suivante s’adresse à vous trois : si vous pouviez changer l’islamophobie, par quoi commenceriez-vous? Comment commenceriez-vous? Quel message voudriez-vous transmettre au gouvernement et à la société?

M. Majzoub : Pour commencer, honorables sénateurs, sachez que le gouvernement fédéral a établi une définition de l’islamophobie en 2019. C’est réglé. Le gouvernement fédéral du Canada a choisi la définition de l’islamophobie, indiquant qu’il s’agit du racisme, des stéréotypes, des préjugés, de la peur ou des actes d’hostilité envers des personnes musulmanes ou les adeptes de l’islam en général. En plus de motiver des actes d’intolérance et de profilage racial, l’islamophobie mène à considérer, aux niveaux institutionnel, systémique et sociétal, que les musulmans constituent une menace accrue pour la sécurité. C’est ce qu’a indiqué le ministère du Patrimoine et du Multiculturalisme en 2019. La définition de l’islamophobie a donc été établie par le gouvernement fédéral en 2019.

Pour en revenir à votre question, honorable sénateur, j’aimerais énoncer ou souligner certaines choses très brièvement sur la manière dont nous pourrions résoudre le problème. D’abord, expliquez et montrez la contribution des Canadiens musulmans dans la société, à tous les égards, que ce soit dans les domaines scientifiques, sociaux ou politiques. Le fait de signaler que les musulmans font partie de la société et y contribuent pourrait aider à réduire le sentiment de crainte à l’égard des musulmans et de l’islam.

En outre, offrez aux femmes musulmanes l’occasion et la chance d’aller sur la place publique et d’occuper certains postes, et je parle ici de qualifications. Offrez-leur cette chance et ne les en privez pas. On combat et rejette l’extrémisme, puis on demande aux femmes de rester à la maison. C’est très contradictoire.

Enfin, dénoncez le problème, comme nous l’avons réclamé à maintes reprises, et passez des grands discours et des belles paroles à une véritable volonté politique et aux vrais plans d’action pour lutter contre l’islamophobie, que ce soit en adoptant des règlements et lois ou en instaurant de nombreuses spécifications pour lutter contre l’islamophobie sur les médias sociaux, le racisme systémique dans certains ministères ou la violence qui se manifeste. En établissant des plans d’action clairs et concrets, je pense qu’on assistera à une diminution des effets de l’islamophobie. Cela ne l’éliminera pas entièrement, car elle existera toujours, mais cela la réduira certainement. Je vous remercie beaucoup.

[Français]

M. Lampron : Je me permets de prendre un deuxième tour de parole. Merci pour votre question. Merci pour la lecture de la définition de l’islamophobie qui a été retenue par le gouvernement fédéral. Je vous dirais que pour l’islamophobie et pour la haine, il y a des possibilités de glissement, avec des définitions qui sont très larges, puis en droits et libertés, il y a toujours des définitions et des possibilités de glissement entre ce que signifie juridiquement la liberté d’expression, quelles sont ses limites acceptées, et qu’est-ce que, dans la sphère politique, on fait dire à cette liberté fondamentale. Il y a toujours des enjeux.

Je reviens donc au début de mon intervention d’ouverture. La chose qui est claire et nette, et on n’a plus besoin d’étude là-dessus, c’est que les membres des communautés musulmanes, maghrébines ou perçues comme telles font l’objet de stéréotypes et de préjugés en Occident en général, dans la société canadienne et québécoise; ça, c’est une réalité avec laquelle on doit travailler.

Maintenant, comment faire pour être capable d’améliorer la situation? Quand on joue avec des outils juridiques et qu’on parle de propos, il y a toujours un équilibre qui est très difficile à maintenir. Il me semble que la piste la plus prometteuse est une piste qui est transversale. On parle de discrimination fondée sur l’origine ethnique, fondée sur la race. Il y a déjà beaucoup de motifs de discrimination dans la charte canadienne et dans la charte québécoise qui peuvent et doivent être mobilisés.

Sur la question de la haine qui semble être au cœur des solutions envisagées par le gouvernement fédéral, la chose qui m’apparaît être la plus importante, c’est que si on veut réintroduire, dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, des dispositions qui interdisent la propagande haineuse et qui couvriraient ce qui est au cœur de la définition politique de l’islamophobie — parce que ces motifs-là sont quand même au cœur d’une disposition qui est plus générale —, il y a d’autres groupes également qui font l’objet de propagande haineuse : les femmes, les homosexuels, etc.

Le nerf de la guerre, c’est que la définition soit claire, et qu’on ne dépasse pas, en fait, cet équilibre-là qui est l’équilibre qui a été établi et confirmé par la Cour suprême dans l’arrêt Whatcott, c’est-à-dire qu’on peut sanctionner valablement des gens pour certains propos, mais considérant la gravité de cette sanction-là dans une société libre et démocratique qui doit valoriser le débat et le débat qui implique des critiques et des critiques virulentes, il faut faire une distinction entre la religion, c’est-à-dire le système de dogmes et de croyances, et les gens qui croient, qui adhèrent à ce système-là. Le premier devant être protégé, sauf une certaine mesure très extrême, alors que le deuxième, évidemment, ce sont des obstacles dans l’accès au marché du travail ou des obstacles qui découlent, par exemple, de l’interdiction de port de certains signes religieux alors que la majorité n’a pas besoin de porter de signe religieux, quel qu’il soit. C’est vraiment quelque chose qui est au cœur de toute démarche valable, de toute démarche qui respecte l’équilibre entre des droits fondamentaux et la protection du droit à l’égalité. Il faut donc distinguer le système de croyances, la religion, les institutions religieuses et les croyants, les personnes qui adhèrent à ces différents systèmes de croyances. Alors, voilà ce que j’aurais à dire : l’avertissement sur le maintien de l’équilibre, il est véritablement à cet endroit-là.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie.

Le sénateur Oh : Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Antonius?

M. Antonius : Oui. Je dirais que je vois deux grands prérequis pour tenir des discussions calmes et sereines sur la question. Premièrement, il faut mettre fin aux discours haineux populistes contre les musulmans dans les médias populistes. J’ai expliqué ailleurs que ces discours font passer les musulmans pour des gens différents. Selon moi, qu’on soit d’accord ou non avec certaines attitudes ou interprétations religieuses, tout doit être traité avec respect, et je pense que les citoyens musulmans méritent le respect. C’est le point de départ. Le deuxième prérequis — qui est très important — est l’absence de discrimination sur le marché du travail. Je ne parle pas précisément de la loi 21, mais de tout : la reconnaissance des diplômes, les promotions, le milieu de travail favorisant une plus grande égalité. Quand ces deux conditions seront satisfaites, nous pourrons avoir une discussion sereine sur des sujets plus difficiles comme le sécularisme. Je ne suis pas prêt à en discuter maintenant, car le contexte ne s’y prête pas, mais tant qu’il y aura autant de discrimination dans les discours, dans les emplois et dans le marché du travail, la discussion est presque impossible.

Le sénateur Oh : Je vous remercie une fois encore.

La présidente : Lors de nos périples dans l’Ouest, nous avons entendu certains témoins qui nous ont indiqué que nous devons repenser le titre de notre étude : l’islamophobie. Une phobie fait référence à la crainte de quelqu’un, mais pas aux répercussions sur les personnes qui sont l’objet de cette crainte. Je pense que nous pourrions envisager de parler de haine ou de racisme antimusulmans. Nous en discutons actuellement.

Deux sénatrices voulaient poser des questions au cours du second tour. Comme je suis présidente, il arrive que je ne puisse pas poser de questions. Sénatrice Jaffer, vous pouvez y aller. À titre de présidente, j’ai aussi la liberté de prendre quelques minutes pour poser une question. Sénatrice Jaffer, je vous accorde la parole.

La sénatrice Jaffer : Non, non. Posez votre question. Ce n’est pas juste.

La présidente : Monsieur Antonius, la sénatrice Jaffer a dit que vous avez soulevé un point très intéressant en indiquant que les musulmans doivent aussi faire un autoexamen. Je repense à ma propre carrière politique, à mes débuts, quand je me suis impliquée et que je voulais me porter candidate, et je me souviens qu’une certaine mosquée ne voulait pas de mes dépliants. J’en ai été profondément blessée, car pour moi, mon propre peuple me rejetait parce qu’il considérait qu’une femme musulmane ne devrait pas se lancer en politique. Quand je suis entrée au Sénat, la sénatrice Jaffer était déjà sénatrice, mais rares étaient les musulmanes qui cherchaient à se faire élire. Quand je suis devenue sénatrice, j’ai mis un point d’honneur à aller parler à certaines personnes qui ne voulaient pas que je parle ou que je montre que je suis là. Pour les musulmanes — et j’ai des sœurs assises ici —, le fardeau est parfois double; il y a celui que leur peuple ou leur groupe fait peser sur elles, puis celui qui vient de l’extérieur. Les sénatrices Jaffer et Gerba vous diront que nous ne sommes pas immunisées contre le racisme. J’ai ri, mais pendant six mois, chaque fois que je me rendais au Sénat du Canada, les gardes de sécurité me demandaient s’ils pouvaient m’aider. Je devais leur répondre « Oui, je suis sénatrice. » La situation a fini par changer. Vous avez fait remarquer que les musulmans doivent faire un autoexamen, et nous pouvons le faire.

Je constate aussi que les jeunes sont plus disposés à discuter de la question. Nous, nous tendons à nous tenir tranquilles. J’aborde la question, mais on me répond que je ne devrais pas en parler maintenant que je suis ici. Je ne sais pas si je devrais dire ce qui suit, mais alors que j’examinais l’étude à titre de présidente et que je voyais où nous devions aller, quelqu’un a proposé d’aller à la mosquée dont j’ai parlé plus tôt, et j’ai répondu « Non, comment puis-je retourner là-bas? » Après moi, une jeune Blanche s’est présentée, et les responsables de la mosquée ont accepté qu’elle prenne la parole devant la congrégation, mais moi, une musulmane, on m’a dit d’aller m’asseoir en haut et qu’on parlerait en mon nom. Je vous remercie d’avoir souligné le fait qu’il y a des problèmes que nous devons affronter également.

Ce n’était pas une question, mais un énoncé. Sénatrice Jaffer, vous pouvez poser votre question.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie.

Deux études ont montré récemment que de nombreux étudiants musulmans du Québec cherchent un emploi à l’extérieur de la province, et ce, principalement en raison de la discrimination qui règne ici. Je voulais poser cette question au groupe de témoins précédent aussi. Observez-vous également ce problème? À quel point est-il grave? Je pense que si les jeunes quittent la province, cela sape en quelque sorte la force de la communauté, et c’est un problème très sérieux.

M. Majzoub : Aussi douloureux que cela puisse être, c’est le cas. Il faut toutefois faire la distinction entre les hommes qui ne sont pas nés au Québec et au Canada et qui sont venus de l’étranger, et ceux qui sont nés ici. C’est étonnant, mais ceux qui ne sont pas nés au Québec et au Canada sont prêts à résister et à lutter contre la discrimination, alors que nos enfants sont prêts à boucler leur valise et à partir. Les chiffres sont ahurissants, et le sentiment que les gens quittent tout simplement le Québec est alarmant.

Je me suis assis avec des fonctionnaires québécois, que je ne nommerai pas par respect pour ces rencontres. Je leur ai dit que mon enfant est né à Sacré-Cœur et a fréquenté la garderie, l’école primaire, l’école secondaire, le collège et l’université en français, ce qui a coûté des milliers et des centaines de milliers de dollars aux contribuables québécois et au ministère de l’Éducation. Une fois qu’ils ont leur diplôme, les jeunes commencent à travailler et à payer de l’impôt, mais ils sont victimes de discrimination et ciblés jour et nuit. Il y a énormément de gens qui se trouvent des excuses dans les médias, déclarant qu’ils ont le droit de s’en prendre aux musulmans pour telle ou telle raison qu’on entend à gauche et à droite. C’est extrêmement dur pour les jeunes. Ils se disent alors qu’ils tenteront leur chance à Ottawa, en Ontario ou dans l’Ouest. Cela se produit fréquemment et, malheureusement, je n’ai jusqu’à maintenant jamais entendu un fonctionnaire québécois dire que c’est une tendance extrêmement dangereuse qui est ainsi observée.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie.

Sénatrice Gerba, je vous demanderais d’être brève avec votre question, et aux témoins de faire de même avec leurs réponses.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je voulais juste faire un commentaire pour dire que l’extrémisme n’est pas seulement antimusulman, c’est dans toutes les religions, et il faut faire attention.

[Traduction]

La présidente : Quand on me parle de l’extrémisme dans l’Islam, je montre les points de pourcentage. L’extrémisme touche 0,01 % des musulmans, lesquels partagent malheureusement ensuite le blâme. Au Canada, 1,5 million d’habitants — soit 3 % de la population — sont musulmans, et les musulmans ne sont pas de nouveaux venus au pays. Le premier recensement révèle que des musulmans vivaient déjà en Alberta. Je vous remercie d’avoir soulevé ce point. En raison de ce que les médias disent et des images qui sont transmises, il est toujours question de terroristes musulmans, et jamais je n’ai vu d’autre religion ainsi définie par les actes de terrorisme commis par ses adeptes. Aucune religion ne soutient la violence. L’islam stipule que si on tue un être humain, c’est un membre de toute l’humanité qu’on tue, sachez-le. Je vous remercie d’avoir soulevé la question.

Je tiens à remercier les témoins. Les témoignages et les propos que vous avez livrés aujourd’hui nous seront fort utiles quand nous préparerons notre rapport. Si vous pensez que vous auriez dû nous dire quelque chose ou si vous voulez nous en dire plus sur un sujet quelconque, envoyez-nous un mémoire écrit. Je remercie chacun d’entre vous.

Je présenterai maintenant notre troisième groupe de témoins. Chacun d’eux s’est vu demander de faire une allocution d’ouverture de cinq minutes. Nous entendrons tous les témoins, puis les sénateurs leur poseront des questions. Je demanderais aux témoins de respecter la durée de cinq minutes. Je déteste interrompre les gens, mais le temps nous est compté.

Nous recevons Nabila Yasmine Saidji et Nadège Rosine Toguem, du Collectif de lutte et d’action contre le racisme; ainsi que Maxim Fortin, coordonnateur de la section de Québec de la Ligue des droits et libertés.

Nadège Rosine Toguem, Collectif de lutte et d’action contre le racisme : Je vous remercie beaucoup. Je m’exprimerai en français. Je m’appelle Nadège Rosine Toguem.

[Français]

Mme Toguem : Je suis géographe de formation et je suis porte-parole du Collectif de lutte et d’action contre le racisme ici, à Québec.

Le Collectif de lutte et d’action contre le racisme, ou le CLAR, est né en octobre 2021. Ça ne fait pas encore un an, ça va faire un an le mois prochain, et nous avions le souci de ne plus être toujours en réaction à chaque fois qu’il y avait un événement en lien avec de la discrimination, qu’elle soit religieuse, ou que ce soit une question de couleur de peau. On a senti le besoin de s’organiser et de proposer quelque chose, de poser des actions pour vivre ensemble, pour que notre diversité reste notre plus grande force.

Je fais partie des militants qui luttent contre le racisme, et nous sommes trois à cette table. J’aimerais peut-être prendre quelques secondes pour présenter notre collègue, Douglas Ngankam, qui est là avec nous aussi, mais qui n’est pas à cette table. Il travaille très fort au Collectif de lutte et d’action contre le racisme.

Alors, moi, je crois énormément à notre capacité à travailler ensemble, à collaborer, à marcher ensemble, à nous accompagner et à nous autovalider. Parce qu’au Collectif de lutte et d’action contre le racisme, on ne pense pas qu’on a des solutions à tout, on pense qu’on est capable de faire des constats, de proposer des actions, et ensemble, tous ensemble, de proposer quelque chose qui va permettre aux uns et aux autres de se retrouver dans notre société, de développer leur plein potentiel de pouvoir s’épanouir et de se sentir à l’aise totalement au Québec, au Canada.

Le Collectif de lutte et d’action contre le racisme a trois principales missions : d’abord, défendre et promouvoir les droits des personnes racisées, combattre le racisme systématique, le colonialisme, la xénophobie et la haine raciale; lutter contre toutes les manifestations du racisme, que ce soit en lien avec l’emploi, avec le logement, avec la santé, et surtout l’éducation; en même temps, nous voulons combattre aussi le profilage racial. Le profilage racial est parfois dans le milieu policier. Une dame, un monsieur, une personne, un automobiliste qui se fait parfois interpeller sans motif valable simplement à cause de la couleur de sa peau, de sa sorte de cheveux, ou parfois aussi, du type de véhicule. On pense qu’aujourd’hui, ce n’est plus acceptable.

Concrètement, le but du CLAR est d’éduquer et de sensibiliser les populations sur des enjeux concernant les droits des personnes racisées, d’analyser les politiques des différents paliers, que ce soit municipal, provincial ou fédéral, de défendre les droits des personnes racisées — je me répète encore — entre autres en initiant des appuis aux luttes sociales. Quand on parle ici d’appuis aux luttes sociales, nous accompagnons, nous intervenons. Chaque fois qu’un organisme qui travaille pour les droits des personnes racisées ou simplement pour le vivre-ensemble, on pose des actions, que ce soit avec M. Maxim Fortin de la Ligue des droits et libertés ou le RÉPAC, qui est un regroupement en éducation populaire. Les représentants du RÉPAC posent parfois des actions pour lutter contre la discrimination ou la paupérisation d’une partie de la population. À ce moment, le CLAR n’hésite pas, le CLAR les accompagne.

Samedi dernier, nous participions à une activité avec un autre organisme Le Collectif 1629, qui demandait l’abrogation de l’article 636, qui permet à un agent de police d’interpeller monsieur, madame Tout-le-Monde sans forcément avoir de raison valable. Nous pensons que cet article permet à certains policiers de profiler une partie de la population sans avoir de comptes à rendre. Donc, nous n’avons pas hésité, nous étions présents à cette activité. Nous avons interpellé le service de police et les différents paliers de gouvernement pour que quelque chose soit fait avec cet article qui, nous semble-t-il, prend des proportions démesurées.

Notre historique : en 2016, plusieurs citoyens engagés, des bénévoles de divers horizons, constatent qu’il y a une sorte de malaise, de malaise dans la ville de Québec. De plus en plus, des personnes issues de l’immigration en général ou qui ne le sont pas appellent dans différents organismes et se plaignent de la discrimination, du racisme. Ils se plaignent, ils expriment leurs propos.

C’est certain que toutes les personnes qui se plaignent de discrimination, du racisme ou de traitement de faveur ou de privilèges, des uns ou des autres, on peut interpréter ces propos différemment, mais lorsque ces propos prennent des proportions démesurées, à un moment donné, on se demande s’il y a un malaise, s’il y a quelque chose à faire.

Au mois d’août dernier, des statistiques du Service Canada nous annonçaient qu’il y avait une augmentation des crimes haineux, une augmentation des crimes haineux qui est aussi en lien, naturellement, avec le racisme et avec la discrimination. À ce moment, des organismes, des citoyens engagés se sont regroupés et se sont interrogés pour savoir ce qu’il fallait faire. C’est en fait un signe que naît CLAR, il se dit : « on va se mettre ensemble, on va mettre nos actions, nos idées, nos énergies ensemble pour que les choses qu’on voit, les choses qu’on laisse passer et qui ne sont pas normales n’arrivent plus, et notre objectif, c’est de permettre aux uns et aux autres d’arriver à Québec, d’arriver au Canada, de s’épanouir, de développer leur plein potentiel pour que le Canada continue d’être un pays qui rayonne à l’échelle internationale, qui fait partie, quand même, des pays du G8 ». Quand on parle du G8, c’est la meilleure place...

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie. Je suis désolée, mais je dois vous interrompre.

Mme Toguem : Je vous remercie.

La présidente : Je suis certaine que les sénateurs vous poseront des questions sur les points que vous soulevez.

Madame Saidji, je vous accorde maintenant la parole.

[Français]

Nabila Yasmine Saidji, Collectif de lutte et d’action contre le racisme : Je me présente. Je vais être un peu émue. Je m’appelle Nabila Yasmine Saidji. J’ai 45 ans, je suis mariée et j’ai une petite fille de 5 ans. Je suis chargée de projets à la Régie de l’assurance maladie du Québec et je suis membre du CLAR. En fait, Mme Toguem vient de mentionner dans son introduction qu’on essaie de voir le racisme dans toutes ses facettes, mais moi, je vais vous donner juste mon point de vue.

J’ai passé 23 ans en Algérie, 20 ans en France, et on a choisi le Canada comme terre d’accueil, pas pour nous, pas pour être éloigné de 10 heures de notre famille, mais pour notre fille. Parce que c’est une terre d’accueil, tout le monde vit ensemble, et ça nous tient à cœur le fait que notre fille ne sera pas jugée ni pour sa couleur, parce qu’elle est métisse — mon mari est de l’Afrique de l’Ouest —, ni parce que sa maman est musulmane, ni parce qu’elle s’appelle Karima comme deuxième prénom, alors que le premier prénom, c’est Cataleya. Proust disait que faire catleya, c’est faire l’amour. Donc, paix et amour.

Ce que je voulais vous dire, c’est qu’à chaque fois que je me présente à quelqu’un, depuis les fameux attentats du 11 septembre 2001, je me pose toujours la question : qu’est-ce que l’autre va retenir dans ma présentation quand je vais me présenter, ce que je suis, ou le nom que je porte? Quelle question viendra après cette présentation, mon pays d’origine ou me connaître un peu plus en tant que personne, en tant que moi? Par la suite, ça va s’enchaîner sur quel sujet, est-ce que j’aime ma ville, mon travail, vivre ici à Québec, ou de quelle religion je suis, et ainsi de suite. Suis-je pratiquante ou pas, puisque, apparemment, je ne rentre pas dans les stéréotypes, donc Blanche avec des yeux clairs? On m’a même dit : « Ah, on pensait qu’il y avait une Québécoise dans la salle aujourd’hui! », mais dès qu’on donne mon nom, on voit mon appartenance.

Suis-je d’accord ou non avec le port du voile ou pas? On me pose souvent cette question. À présent, je me suis habituée à ce type de questions. Je ne sais pas, est-ce qu’il faut s’habituer ou dire non, ou dire : pourquoi poser ces questions-là, pourquoi ne pas s’intéresser juste à nous, à ce qu’on peut partager, à ce qui nous fait rassembler plutôt et ce qui nous ressemble, et au lieu de voir la différence, car je me dis que l’humain, par sa nature, est curieux et veut connaître l’autre. Donc, peut-être que c’est juste par curiosité qu’on me pose ces questions.

Je crée des amitiés, j’ai des liens ici, à Québec. Mes collègues et moi, on s’entend super bien, et nous débattons quand même de certains sujets. Quand vient le sujet du voile ou de la loi 21, cette loi 21 qui ressemble étrangement à une autre loi qu’on a fuie un petit peu en France et qui a créé la division, alors diviser pour mieux régner, c’est connu depuis... Je pense qu’on ne va pas réinventer la roue, on est juste de passage sur terre. D’autres viendront derrière nous.

Donc, la loi 21 a vraiment pointé du doigt des personnes. Une fois qu’on montre nos différences et qu’on les pointe du doigt, ne vous étonnez pas que d’autres personnes réagissent et disent : « ils sont différents de nous ». La nature humaine a peur de la différence. Quand on annonce un changement d’organisation dans une entreprise, qui ne va pas accompagner ce changement et accompagner les gens, parce qu’ils ont peur du changement. Donc, ce qui nous diffère, si on le pointe du doigt et qu’on dit que, au fait, il faut faire attention, ils ne rentreront pas, ils n’auront pas les mêmes droits que nous, bien, on joue le jeu de ceux qui veulent peut-être vraiment faire du racisme.

Donc, j’entends que le monde est en désaccord avec le port du voile, et le fait que certains pratiquent leur religion et le montrent. Lorsque j’interviens en mentionnant que nous sommes dans un pays libre, que la pratique religieuse est personnelle, que la Charte le dit, que chacun est libre de la pratiquer, on me répond : « oui, mais Nabila, toi, tu n’es pas comme les autres, tu es intégrée ». Qui sont ces autres? Si demain, je mets le voile, serais-je moins intégrée? Est-ce que je changerais? Est-ce que les propos de mes amies et collègues sont corrects vis-à-vis de mes autres amies voilées, vis-à-vis du respect de chacun de pratiquer sa religion? Est-ce que c’est une forme aussi d’hostilité envers les principes de l’islam?

Je n’ai pas de réponse à toutes mes questions, mais une chose me tient à cœur, c’est que l’islam veut dire « paix et vivre-ensemble », en se respectant les uns et les autres. Peut-être que le terme « islamophobie » — et je rejoins le deuxième groupe de témoins — n’est pas celui à employer dans nos textes, car la phobie est une peur. On peut être agoraphobe, on peut être athéophobe. Ce mot, d’ailleurs, « islamophobie », est jeune : les premières apparitions ou lectures de ce mot datent de 1910, en pleine période coloniale, sous la plume d’ethnologues spécialisés dans l’étude de l’islam ouest-africain. Cette année-là, dans sa politique musulmane de l’Afrique-Occidentale française, Alain Quellien définit l’islamophobie comme « un préjugé contre l’islam répandu chez les peuples de civilisation occidentale et chrétienne ».

Il est entré dans la langue française et restera usité dans les années 1920, mais uniquement par quelques cercles d’anthropologues, de poètes et de peintres islamophiles. À l’époque, selon le sociologue Vincent Geisser, le spécialiste affirme que ce mot n’a toutefois pas tardé à disparaître du vocabulaire dans la première moitié du XXe siècle. Donc, le mot « islamophobie » allait disparaître — écoutez bien — pour ne réapparaître qu’au début des années 2000, après le 11 septembre 2001, dans des colonnes de médias. Dans d’autres pays, des débats sont en cours sur l’utilisation correcte de ce terme.

Ce qu’on ne peut ignorer et qu’on ne doit pas ignorer, ce sont les manifestations de haine antimusulmane et les actes antimusulmans. Nous devons les condamner, au même titre que toutes les manifestations de haine contre un humain. Nous devons condamner le fait qu’une personne soit jugée car elle porte un nom avec une connotation, qu’elle ne puisse avoir accès aux mêmes jouissances qu’une autre personne juste par le port d’un voile, d’une kippa, d’un turban, d’une croix. On ne devrait pas la juger. Nous devons condamner quand on nous manifeste du dégoût ou de la haine juste par nos habits ou le port d’un signe religieux. Nous ne devons pas encourager une société qui pointe nos différences au lieu de pointer nos ressemblances.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie, madame Saidji. Je suis désolée, mais je dois vous interrompre.

Mme Saidji : Non, non, c’est correct. J’ai terminé.

La présidente : Je vous remercie beaucoup.

Monsieur Fortin, vous avez la parole.

[Français]

Maxim Fortin, coordonnateur, section de Québec, Ligue des droits et libertés : Bonjour. La Ligue des droits et libertés a été l’un des premiers organismes communautaires québécois à s’intéresser à la question de l’islamophobie et aux facteurs politiques, économiques, sociaux et culturels qui l’alimentent. À la suite de l’attentat à la mosquée de Québec, l’antiracisme est devenu l’un de nos axes de travail prioritaire, et notamment l’islamophobie. En lien avec ce terme, on a fait différentes collaborations, on a fait différentes initiatives, je ne les passe pas aujourd’hui. Je vais me concentrer sur les 12 recommandations qui nous sont venues dans la foulée de ce travail-là.

On a constaté à travers notre action sur le terrain un lien entre l’islamophobie et la montée des crimes haineux, et on a aussi réfléchi à la manière de lutter contre les crimes haineux, l’islamophobie et le racisme en général. Donc, les 12 recommandations vont dans cette direction-là.

Donc, voici les 12 recommandations inspirées de notre analyse de la situation et de nos actions contre l’islamophobie. La première, c’est d’identifier les tendances et les courants qui alimentent la hausse des crimes haineux. À travers un rapport d’enquête qu’on a produit qui s’appelle Portrait de l’extrême droite à Québec, on a identifié quatre principaux courants qui alimentent la xénophobie et l’islamophobie notamment dans la ville de Québec et au Québec. Premièrement, la nouvelle extrême droite raciste et xénophobe apparue principalement à partir de 2015, le populisme démagogique, le nationalisme identitaire et le complotisme, beaucoup à partir de la pandémie celui-là.

La deuxième recommandation qu’on peut faire, c’est de documenter les crimes haineux à l’échelon local et national. C’est notamment ce qu’on a commencé à faire avec notre étude sur les projets de loi sur la laïcité. En fait, l’étude s’appelle Les projets de loi de sur la laïcité augmentent-ils le nombre de crimes haineux au Québec? Il s’agit d’une étude statistique et quantitative qui a été produite par l’économiste Raphaël Langevin. On arrive essentiellement à deux conclusions avec cette étude : il y a une forte corrélation entre l’arrivée dans le débat public des débats sur la laïcité et la montée des crimes haineux, particulièrement de nature islamophobe.

L’autre conclusion de cette étude, c’est qu’il y a un grand manque de rigueur des autorités, notamment de la Ville de Québec et de son service de police, quant à la production et à l’interprétation de données sur le crime haineux. Nous-mêmes, la Ligue des droits et libertés, on a été sollicité par CBC et Radio-Canada par rapport à une sous-estimation de la police de Québec des crimes haineux.

La troisième recommandation serait d’analyser localement et nationalement les cas et les statistiques et en tirer des constats pour guider l’action. Donc, l’islamophobie et le racisme sont alimentés par des facteurs internationaux, mais aussi beaucoup par des facteurs locaux. Dans le cas de la Ville de Québec, on a identifié trois facteurs particulièrement importants : le conservatisme historique de la grande région de Québec, la faible et récente place de l’immigration internationale, et l’influence des radios populistes d’opinion.

La quatrième recommandation qu’on peut faire, c’est de documenter l’essor de l’extrême droite au Québec et à Québec depuis 2015. C’est notamment ce qu’on a fait dans notre étude intitulée Portrait de l’extrême droite à Québec. L’extrême droite a connu des développements presque sans précédent au Québec, au Canada et à Québec depuis 2015. Cette extrême droite est devenue le principal vecteur de l’islamophobie sur les réseaux sociaux et dans l’espace public, et elle bénéficie d’une certaine normalisation à travers des médias comme le réseau Québecor ou encore à travers des forces politiques émergentes comme le Parti conservateur du Québec, pas le Parti conservateur canadien, bien qu’on pourrait en débattre.

La cinquième recommandation serait d’identifier les chefs et les figures d’influence de l’extrême droite. Pourquoi une bonne connaissance de l’extrême droite passe-t-elle nécessairement par l’identification de ses chefs et de ses meneurs?

La sixième recommandation serait d’exercer un monitoring des réseaux et des activités en ligne des chefs et des figures d’influence de l’extrême droite. C’est ce qu’on a fait de 2015 à aujourd’hui, et cela nous a permis de monter des dossiers contre des groupes et des individus et de prouver le caractère haineux de leur idéologie, notamment lorsqu’ils se retrouvent accusés de crimes souvent de droit commun. Ces dossiers-là permettent de connecter ces individus-là à des idéologies haineuses et à prouver juridiquement le caractère haineux de leur action.

La septième recommandation serait de rapporter, de signaler et de dénoncer les propos tenus par l’extrême droite sur le Web. C’est ce qu’on a fait de 2015 à aujourd’hui. Le Web est le principal vivier des groupes et mouvements haineux. Il est primordial de leur couper l’accès à certaines plateformes, d’autant plus qu’ils enfreignent régulièrement les règles de ces plateformes.

La huitième recommandation serait de bloquer l’accès des groupes haineux aux espaces publics en les exposant. Les mouvements haineux ne disposent que de très peu d’espace physique pour leurs activités. Même sur le Web, ils sont très surveillés, ils sont souvent exclus de plusieurs espaces. Il est donc important de continuer à les exposer et de mettre au courant ceux qui les hébergent du fait que ce sont des groupes haineux. Par exemple, lorsqu’il y a un spectacle de musique d’un groupe néonazi, la Ligue des droits et libertés et plusieurs groupes préviennent les promoteurs et les salles de spectacle, et souvent en résulte l’annulation du spectacle.

La neuvième recommandation serait de favoriser l’organisation des personnes racisées dans une optique sociopolitique de défense de droits. C’est notamment ce qu’on a aidé à faire avec la création du Collectif de lutte et d’action contre le racisme. On considère qu’il est vraiment nécessaire d’aller au-delà de l’éducation et du vivre-ensemble. Les personnes racisées ont tout intérêt à s’organiser collectivement dans une optique de lutte et d’affirmation de leurs droits. Malheureusement, les budgets et les programmes pour les groupes des communautés sont beaucoup trop orientés vers le socioculturel, le vivre-ensemble et ce genre de choses là. Vous le demanderez au CLAR, mais il y a très peu d’argent fédéral pour l’organisation sociopolitique des personnes racisées et leur permettre de lutter dans une optique d’affirmation de leurs droits.

La dixième recommandation serait de favoriser la dénonciation des crimes haineux en offrant de l’accompagnement aux victimes. Le CLAR va être la première ressource dans la région de Québec qui va pouvoir accompagner les victimes de crimes haineux. Dans la région de Québec, actuellement, si vous êtes victime d’un crime haineux, vous pouvez porter plainte, mais il n’y a aucun groupe de la société civile pour vous accompagner.

La onzième recommandation serait de ne pas invisibiliser la haine en mettant l’accent sur la maladie mentale lorsqu’un acte haineux est commis par une personne pouvant présenter des troubles de santé mentale. Nous estimons que, dans le cas d’Alexandre Bissonnette, plusieurs acteurs ont beaucoup plus trop mis en lumière le caractère de la santé mentale de l’acte et ont minoré un peu l’aspect islamophobe. La Ligue des droits et libertés n’a pas pris la parole dans ce débat-là, mais on partage ce constat-là aujourd’hui avec vous.

La dernière recommandation serait de mettre en lumière que le débat sur la laïcité et les signes religieux au Québec a enhardi les individus et les groupes qui souhaitent passer à l’acte et contribue à la hausse des crimes haineux. C’est notamment ce qu’on a pu voir dans notre étude statistique Les projets de loi sur la laïcité augmentent-ils le nombre de crimes haineux au Québec? Notre conclusion, c’est que le débat sur les signes religieux se fait sur le dos des personnes racisées dans une ambiance d’islamophobie et qu’il y a eu une hausse des crimes liés à la religion et à la race pendant le débat sur la Charte des valeurs au Québec. Sans dire que ces débats-là ne doivent pas se faire, nous affirmons qu’il faut prendre conscience qu’ils ont un effet néfaste sur le vivre-ensemble et sont propices à créer un climat qui va alimenter les crimes haineux.

Je termine par un simple exemple. Nous, à la Ligue des droits et libertés, les pires commentaires qu’on a eus au sujet du racisme sur notre page Web ont été pendant les débats sur la loi 21. On a même une de nos membres qui s’est fait arracher son voile sur la rue par une passante. Donc, vraiment, les pires anecdotes, les pires moments ont été lors de ce débat. Je vous remercie.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie beaucoup.

Monsieur Fortin, vous nous aideriez grandement si vous pouviez nous envoyer les 12 recommandations que vous venez de présenter.

Certains sénateurs veulent poser des questions, et je commencerai par la sénatrice Gerba.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci aux témoins d’être venus aujourd’hui pour nous parler. On apprécie énormément vos témoignages, vos actions et l’accompagnement que vous faites auprès des personnes qui sont victimes de l’islamophobie et du racisme, de manière générale.

Je vais m’adresser à Maxim Fortin. Merci beaucoup pour vos recommandations. Comme la présidente l’a dit, ce serait vraiment très apprécié de nous les envoyer par écrit à notre greffier parce que c’est exactement ce dont nous avons besoin.

Si vous aviez quelque chose de particulier à ajouter à propos du gouvernement fédéral, qu’est-ce que vous nous recommanderiez comme action à prendre?

M. Fortin : J’insisterais vraiment sur le soutien à l’organisation des personnes racisées et des communautés minoritaires. Les communautés minoritaires vivent dans une situation où il y a un rapport de force qui leur est défavorable, parce qu’elles sont en minorité et parce que les autres groupes sont organisés et sont en mesure de se battre pour leurs intérêts, et les personnes racisées n’ont pas ces équivalents-là. Donc, la force collective ne joue presque jamais pour les personnes racisées. Il faut qu’elles se dotent de champions, de personnalités vedettes, ou encore, que des grands mouvements les défendent. Il y a une autonomie dans la revendication, dans la lutte et dans l’organisation qui doit se développer et que le gouvernement fédéral doit soutenir, selon moi.

Au Québec, on peut déjà imaginer la pérennité du CLAR grâce au type de financement offert par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale québécois. En vertu des programmes qui existent au Québec, on peut imaginer que le CLAR va exister pour 10 ou 20 ans. En fonction de ce que le fédéral offre comme programme, le CLAR ne peut pas exister. Le CLAR peut être un ensemble de projets qui vont tout le temps se renouveler. Je crois que l’une des faiblesses du Canada, surtout pour le Canada anglais, c’est qu’il y a très peu de possibilités de financer ce type d’initiatives comme le CLAR, c’est très difficile à financer au Canada.

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup. Je comprends que le financement est la solution, et le soutien pour les organismes qui doivent assurer leur pérennité.

Justement, madame Nadège Rosine Toguem, depuis la création du CLAR en 2021, avez-vous reçu des témoignages de victimes de racisme, de xénophobie ou d’islamophobie?

Mme Toguem : Oui, nous avons reçu des témoignages. Même avant, j’en parlais dans l’historique, même avant, on entendait parler. À la fin du mois de novembre dernier, il y a eu une arrestation musclée déjà sur Grande Allée, dont un jeune Noir qui était en cause, et on a vu comment toute la population s’est levée pour soutenir ce jeune-là, mais on a senti qu’il y avait une faiblesse à l’échelle de l’organisation, c’est-à-dire que les populations racisées, en plus d’être minoritaires, elles sont moins organisées parce que ce sont elles qui sont aussi les plus précaires. Elles sont le plus dans la précarité, que ce soit en matière de travail, que ce soit en matière d’autres types de ressources, de ressources humaines aussi. Effectivement, quand les gens font face à ce type de défis, ils se disent qu’entre défendre leur droit et se trouver quelque chose à manger... C’est toujours un défi de choisir entre défendre son droit et aller travailler pour s’acheter un bout de pain. Dans ces cas-là, les citoyens ne profitent pas des lois et de tous les avantages que leur offre le Canada. Ils ne peuvent pas non plus, à ce stade-là, développer leur plein potentiel dans de telles conditions.

Donc, oui, nous recevons des témoignages des personnes victimes d’islamophobie ou de racisme, mais comme Maxim le mentionnait, nous sommes un petit organisme, une petite équipe. On essaie de faire des choses, mais on a de la difficulté à aller chercher du financement pour aider ces gens-là et pour nous aider aussi. Parce que, pour faire ce travail, il faut lire, il faut se documenter, il faut travailler avec d’autres organismes, et aujourd’hui, ça reste encore un défi. Mais des cas, on en a beaucoup.

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup.

Mme Toguem : Merci.

La sénatrice Jaffer : Ma première question est pour M. Fortin.

Monsieur Fortin, quand j’étais jeune, j’étais très impliquée dans les droits de la femme, et une chose que j’ai trouvée vraiment difficile... Je vais m’exprimer en anglais.

[Traduction]

Nous avons toujours dit qu’il y avait de l’argent pour danser et manger, mais pas pour défendre nos droits. À l’époque, je luttais pour les droits en anglais, juste pour apprendre l’anglais, et la question est une éternelle source de frustration. On a l’impression que les gens reçoivent de l’argent pour chanter, danser et tenir des activités culturelles, mais qu’il n’y a pas d’argent pour s’attaquer au cœur du problème. Peut-être que hors ligne ou autrement, vous pouvez envoyer des recommandations sur ce que nous pouvons faire. J’ai une question, et je connais la frustration qui est la vôtre, car je l’éprouve depuis que je suis ici. Je continue d’affirmer que ce qui compte, ce ne sont pas les chants et la danse, mais notre intégration. Ma question est toutefois la suivante : avez-vous des réussites à votre actif? Avez-vous entrepris des démarches qui ont été couronnées de succès?

M. Fortin : Pour le financement, je pense que Rosine...

La sénatrice Jaffer : Non. Mon commentaire portait seulement sur les fournisseurs.

M. Fortin : Quelle sorte de fournisseur? Le gouvernement fédéral ou le secteur privé?

La sénatrice Jaffer : Oui. Les fournisseurs Web. Vous disiez vous enquérir auprès des fournisseurs Web pour savoir comment ils contrôlent les messages haineux qu’ils détectent. Je pensais que c’était de cela que vous parliez.

[Français]

M. Fortin : Il n’y a pas beaucoup d’écoute de la part des fournisseurs. Les fournisseurs sont beaucoup dans l’idée de la liberté. Il y a une frilosité des fournisseurs, surtout des fournisseurs Web. Étrangement, je dirais que les dernières modifications qui ont eu lieu ont fait que, maintenant, nous-mêmes, on a des problèmes sur le Web avec nos communications. Il y a plusieurs fournisseurs Internet qui ont révisé leurs politiques, mais là, c’est au point où même le CLAR a de la difficulté à diffuser ses événements politiques.

Donc, là, la révision des politiques par rapport aux critiques qu’il y a eu par rapport à l’extrême droite et par rapport à la diffusion de messages haineux a un peu gâché la partie pour tout le monde, maintenant, y compris pour les groupes de l’antiracisme.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : J’ai une question pour le CLAR, pour vous deux. J’ai pratiqué comme avocate pendant toute ma vie adulte. Lorsque je me présentais en cour, je disais tout le temps au juge que la personne en cause avait été arrêtée parce qu’elle était noire et qu’elle conduisait. Je suis triste d’apprendre que ces arrestations arrivent encore. Nous allons être aux prises avec ce genre de choses encore très, très longtemps.

J’admire vraiment ce que vous faites et les dispositions que vous avez prises pour instaurer l’harmonie dans la communauté. Voilà un objectif que nous devrions tous viser. Vu la loi 21 et la rencontre entre les problématiques liées aux musulmanes et au racisme, percevez-vous une intensification de ces phénomènes? Avez-vous constaté des problèmes? Comment décririez-vous cette intensification? Je pense qu’il y a toujours du racisme contre les musulmanes, mais pensez-vous que la loi 21 a fait augmenter la discrimination contre ces femmes?

[Français]

Mme Toguem : Du point de vue du CLAR, que ce soit le racisme ou l’islamophobie — l’islamophobie, c’est une sorte de racisme aussi, c’est de la discrimination —, je crois que la loi 21 a exacerbé cette problématique.

Aussi, le fait qu’on soit minoritaire, ça n’aide pas non plus parce qu’à chaque fois qu’on va vouloir voter ou qu’il y aura un geste, on va dire que c’est la majorité qui l’emporte. Là encore, on ne fait pas le poids parce que, de toute façon, même si on ne vote pas, même si on ne réagit pas, il y a une majorité qui va toujours l’emporter. Donc, on se retrouve dans une situation où c’est vraiment difficile de faire des propositions.

Il faut vraiment que le gouvernement fédéral ou provincial se saisisse de cette affaire et essaie de proposer des choses pour intégrer toute la population, même celle qui est minoritaire. Par exemple, que ce soit au niveau de l’article 636, il faut que le policier sache que lorsqu’il interpelle un citoyen, peu importe sa couleur de peau, son origine, sa tenue, qu’il ait un foulard ou pas, il se peut qu’il ait des comptes à rendre s’il a interpellé cette personne-là sans motifs raisonnables. Il doit savoir qu’il ne pourra pas s’en tirer juste parce que la loi prévoit. Parce que, nous, on a le sentiment que la loi les protège.

Très souvent, lorsqu’il y a une interpellation policière, c’est toujours la personne, c’est toujours l’automobiliste qui va être stressé, qui va être froissé, qui va avoir du dommage après. On a eu le témoignage samedi d’une avocate, une femme noire, qui s’est fait interpeller par un policier juste parce qu’elle le regardait. Elle était à un feu rouge et au moment où elle décolle, elle aperçoit les gyrophares derrière elle. Elle s’arrête et elle demande à l’agent si elle a fait quelque chose de mal. Il lui dit : « Non, vous étiez en train de nous regarder ». Et là, elle dit : « Je ne savais pas que regarder quelqu’un était un délit au Canada, est-ce qu’il y aurait d’autres motifs? ». Puis, il lui dit : « Je pourrais en trouver d’autres motifs ». Et elle lui répond : « Pas de problème, mais je vous préviens que je suis avocate ». Il lui dit : « Circulez ».

Donc, on comprend que puisque cette loi leur donne cette facilité-là, ils l’utilisent à des fins qui ne sont pas prévues par le législateur. Parce que quand le législateur a pensé à cette loi, il ne s’attendait pas à ce que ça discrimine une partie de la population. Donc, nous pensons qu’une autre loi ou une autre façon de faire pourrait aider à ce que ce type d’actes ne se reproduise plus et qu’une partie de la population ne se sente pas brimée, frustrée ou ostracisée par les forces de police ou d’autres forces qui sont censées la protéger et l’accompagner. Je ne sais pas, Nabila, si tu voulais ajouter d’autre chose.

Mme Saidji : Moi, je vais répondre à...

[Traduction]

La présidente : Nabila, pourrais-je vous demander d’être brève? Il est passé midi.

Mme Saidji : D’accord. Je vais y aller très rapidement.

[Français]

Mme Saidji : Je vais juste répondre à votre question, madame Jaffer. Qu’est-ce que la loi 21 a fait pour augmenter ça? La loi 21 pointe nos différences. C’est ça qui a fait la différence. Certaines personnes n’écoutent que les médias, dans les villages reculés, dans les contrées. Les médias n’ont pas arrangé les choses. Je suis désolée, je les respecte beaucoup, mais quand on pointe un terroriste en disant qu’il est d’une telle origine, quand on pointe un criminel en disant qu’il est d’origine musulmane, quand on pointe une personne qui met le voile ou qui fait ceci, on pointe des différences. Dans ces villages reculés, la population n’est pas aussi diversifiée comme à Montréal ou à Québec où il commence à y avoir de l’immigration. Dans certains villages, certaines personnes ne voient que les médias, elles n’écoutent que ça.

Avec les débats sur la loi 21, on a pointé du doigt des sikhs, on a pointé du doigt des musulmanes voilées. On leur a interdit les mêmes jouissances que d’autres personnes. Donc, déjà, on a créé une différence entre ces personnes. Comment voulez-vous que ça apaise la peur des gens, comment voulez-vous que ça apaise qu’on dise qu’on est différent? Essayons d’aider que ça soit dans le multiculturel, que ça soit dans les actions pour avoir plus d’avocats pour les aider, pour les soutenir. Essayons plutôt de pointer nos ressemblances. Nos ressemblances, c’est qu’on est tous humains, avec du sang.

[Traduction]

La présidente : Merci, Nabila.

[Français]

Mme Saidji : Rouge, pas vert.

[Traduction]

La présidente : Merci.

Sénatrice Oh, avez-vous une question?

Le sénateur Oh : Oui.

La présidente : La question et la réponse vont devoir être très brèves. Nous avons déjà dépassé le temps alloué.

Le sénateur Oh : Vous parlez tous de racisme, de profilage racial et de discrimination. Le Canada est une société multiculturelle. Nous savons tous que ce sont des valeurs que le gouvernement encourage. Avez-vous déjà pensé à unir les forces de toutes les minorités? Le problème dont vous avez parlé aujourd’hui est présent partout au Canada. Pourriez-vous unir vos forces avec celles d’autres groupes minoritaires afin de donner plus de poids à vos revendications concernant, par exemple, l’intégration et attirer ainsi l’attention du gouvernement? Ce problème ne vous est pas exclusif; il est répandu à l’échelle du pays.

[Français]

M. Fortin : En fait, le Collectif de lutte et d’action contre le racisme est dans une optique d’être un collectif de personnes racisées qui n’est pas centré sur la cause d’une communauté. Donc, déjà, il y a un aspect transversal au Collectif de lutte et d’action contre le racisme. À la Ligue des droits et libertés, on est dans des optiques d’alliance avec les groupes blancs, avec les groupes majoritaires, et aussi dans une logique de se regrouper à l’échelon régional, national et international.

Là où c’est difficile de se regrouper, c’est qu’on est encore trop faible à l’échelle locale. Quand les échelons locaux vont être forts, ils seront capables de se réseauter avec des acteurs régionaux, nationaux et internationaux. Pour l’instant, on a que quelques poignées d’individus motivés dans les échelons plus locaux. Il faut transformer ces noyaux-là en organisations solides qui vont être capables de bâtir des réseaux viables et solides aussi.

Mme Toguem : Pour ajouter à ce que Maxim a dit, le CLAR travaille avec le RÉPAC, comme je vous le mentionnais. Le RÉPAC est un regroupement en éducation populaire qui est composé à 100 % de la population majoritaire. Ce sont nos alliés, donc nous ne sommes pas en train de travailler juste entre nous, nous ne travaillons pas en îlot, nous travaillons avec les autres communautés, celles aussi qui partagent nos revendications, qui nous accompagnent.

Chaque fois que vous allez voir nos manifestations ou nos différentes activités, vous verrez qu’il n’y a pas que des musulmans et des Noirs. Il y a aussi des latinos. Il y a même des personnes qui sont nées ici et qui ne comprennent même pas ce qu’on est en train d’exprimer. On formule des revendications et on se rend compte que nos concitoyens, nos amis qui sont ici, eux, ne sont même pas au courant que ces choses-là se passaient sur le territoire. Donc, on les conscientise, on les interpelle. On leur demande : « Est-ce que vous saviez que certains citoyens, votre voisine que vous appréciez vit ce type de situation? ». Elles n’ont jamais vécu l’interpellation policière. Elles ne savent pas ce que c’est.

Grâce au CLAR, lorsqu’on soulève ce type de problème sur la table, elles en prennent conscience, elles nous accompagnent, et on pense que cela ouvre le débat et cela permet aux uns et aux autres de se rendre compte qu’on vit tous au Canada, mais qu’on a certaines difficultés que d’autres n’ont pas. Ceux de nos alliés qui ont parfois des positions de privilège n’hésitent pas à souligner cet aspect-là et à nous accompagner régulièrement.

Mme Saidji : Je voulais vous dire qu’on fait du bénévolat et qu’on le fait parce que cela nous tient à cœur. On est bénévole dans d’autres associations qui prônent le vivre-ensemble, comme le Collectif culturel Mondo. C’était sa neuvième édition ici, à Québec. C’est un festival qui réunit tous les immigrants de Québec. Quand je l’ai annoncé à mon employeur, que je l’ai invité à participer, il ne connaissait pas cet organisme, alors que c’était la neuvième édition de ce festival. Il connaissait le Festival d’été de Québec, mais le festival MondoKarnaval, il ne le connaissait pas. Il y a eu des Tunisiens, des Marocains, de la chanson. C’était un partage de culture. Il y avait des gens qui viennent du Mexique, mais qui sont des Québécois et qui ont partagé leur culture. Des personnes m’ont dit : « Oh là là, on a vu des voilées danser ». Est-ce que vous vous rendez compte? Des gens ont dit : « On a vu des voilées danser, chanter, on ne savait pas qu’elles avaient le droit. » C’est ça, le vivre-ensemble, c’est montrer, cultiver, informer, mais pas désinformer.

[Traduction]

La présidente : Merci.

Nadège, vous avez dit quelque chose qui a piqué mon intérêt. Vous avez parlé du moment où vous avez senti un changement d’atmosphère au Québec. Très brièvement, pourriez-vous me dire à quel moment cela est survenu, et m’expliquer ce qui serait à l’origine de ce changement au Québec?

[Français]

Mme Toguem : Quand j’ai parlé du changement, on va se rappeler des statistiques du mois d’août dernier où on parlait d’une augmentation des crimes haineux ici même, à Québec. Ce sont des statistiques qui sont claires, mais au niveau du CLAR, nous voyons qu’il y a aussi un vent de changement positif. En fait, on vit comme deux forces qui s’affrontent. D’un côté, il y a l’extrême droite, il y a les crimes haineux qui se renforcent, qui vont de l’avant parce que des politiques semblent les encourager. De l’autre côté, on a beaucoup de solidarité, on a beaucoup d’appuis de nos alliés qui nous accompagnent et qui nous montrent ce qu’on peut faire pour être écouté, mais surtout, pour sensibiliser la population.

Depuis que je suis avec le CLAR, depuis plus d’un an — je fais partie des membres fondatrices —, je constate qu’il y a beaucoup de problématiques ignorées par la population. Notre objectif, c’est vraiment de sensibiliser la population, de faire connaître ces problèmes-là. Je suis convaincue que lorsqu’on ne sait pas, on ne peut pas être jugé, on ne peut pas dire : « Non, il y a une partie de la population qui discrimine, non, elle n’est même pas consciente qu’il y a de la discrimination ».

Donc, si on avait plus d’énergie, si on avait plus de fonds, si on avait plus d’appuis stratégiques pour conscientiser la population, pour faire connaître nos défis, je suis convaincue que la population nous appuierait, nous accompagnerait. On ne demande pas des privilèges, on demande juste de pouvoir être égaux, de pouvoir vivre comme monsieur et madame Tout-le-Monde, et de pouvoir développer notre plein potentiel. Parce que lorsqu’on est discriminé, lorsqu’on marche avec la peur dans le ventre, lorsqu’on vit sans vivre, on transmet cette peur à nos enfants, et nous-mêmes, on n’est pas capable de développer notre plein potentiel parce qu’on est tout le temps inquiet alors qu’on ne devrait pas l’être.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup.

J’en profite pour vous remercier tous sincèrement pour votre témoignage. Vos présentations nous aideront à rédiger le rapport, et nous vous sommes très reconnaissants d’être parmi nous aujourd’hui.

Nous allons maintenant amorcer les présentations des témoins que nous avons invités. Je vais d’ailleurs vous les présenter. Chaque témoin devra prononcer une déclaration liminaire de cinq minutes. Nous entendrons tous les témoins, puis nous passerons à la période de questions des sénateurs.

Nous accueillons Yasser Lahlou, membre de l’Association des étudiants musulmans de l’Université de Montréal; Arroun Arafat Mfochivé, président de l’Association des étudiants musulmans de l’Université Laval; Teresa Sagna, membre du conseil d’administration de la Fédération des femmes du Québec. J’invite à présent Yasser à faire sa présentation.

[Français]

Yasser Lahlou, Association des étudiant(e)s musulman(e)s de l’Université de Montréal : Honorables membres du comité permanent, au nom de l’Association des étudiants musulmans de l’Université de Montréal, je vous remercie pour cette invitation qui me permettra de partager notre perspective sur l’islamophobie.

L’AEMUDM est une association étudiante qui rassemble les étudiants musulmans de l’Université de Montréal ainsi que des écoles affiliées : HEC Montréal et Polytechnique. Notre mission est l’épanouissement des étudiants musulmans du campus à travers différentes initiatives servant à promouvoir l’éducation, l’humanitaire et l’engagement social.

Comme vous le savez, nous sommes aujourd’hui rassemblés dans une ville dans laquelle ont été cruellement assassinés six musulmans en 2017 alors qu’ils exerçaient tout simplement un droit fondamental que le Canada accorde, soit celui de la liberté de culte. Avec cette tragédie, la ville historique de Québec s’est inscrite un peu plus dans l’histoire de notre pays, mais malheureusement, la raison laissera éternellement un goût amer à tous les musulmans canadiens ainsi qu’aux défenseurs des libertés fondamentales de notre nation.

L’islamophobie est tout sauf un phénomène propre au Québec. Même si cette province a une relation aussi particulière qu’inquiétante avec sa population musulmane. Je reviendrai évidemment sur ce point un peu plus tard dans mon allocution. À l’échelle nationale, les manifestations les plus extrêmes de la haine antimusulmane ont aussi résulté par des morts. On peut notamment citer l’attaque à London, Ontario, et à celle à l’International Muslims Organization, ou l’IMO, à Toronto. Selon le Conseil national des musulmans canadiens, le Canada se distingue des autres pays du G-7 en étant le leader en matière d’assassinats islamophobes dans les dernières années.

Maintenant que les faits sont établis, je souhaite me pencher sur ce qu’appelle communément l’« exception québécoise ». Bien qu’il serait imprécis de nier la spécificité du Québec par rapport au reste du Canada, cette expression est souvent synonyme d’une légitimation de la discrimination systémique, dont la loi 21 est l’étendard. En tant qu’association étudiante, nous côtoyons quotidiennement des femmes musulmanes ayant décidé de leur plein gré de se vêtir d’un voile, mais qui se voient refuser l’accès à certaines fonctions à cause de leur choix. Celles-ci sont des filles, des mères et des sœurs qui ne demandent que de jouir de la liberté de porter ce qu’elles souhaitent. Leur combat pour porter le voile est identique à celui des femmes iraniennes qui se sont battues pour le droit de l’enlever. Nous pensons au sein de l’AEMUDM que personne ne devrait intervenir auprès d’une femme pour lui imposer un quelconque habit ni pour le lui retirer.

Outre cette législation laïciste, que nous espérons de tout cœur voir invalidée dès que possible, nous observons aussi une rhétorique islamophobe adoptée par une partie de la classe politique et relayée par certains médias sans le moindre correctif, critique ou ajout de nuance. Le premier ministre actuel du Québec, François Legault, accumule les déclarations controversées, comme la négation de l’existence de l’islamophobie dans la province, le refus de la reconnaissance du racisme systémique et la récente et très maladroite association entre l’immigration et la criminalité.

Les plus informés pourraient souligner que M. Legault a pris le soin de recadrer ses propos après les critiques, mais il était tout simplement trop tard; le mal était déjà fait. Le premier ministre est seulement le plus connu des politiciens qui instrumentalisent l’islam, les musulmans et les immigrants. Cette rhétorique est extrêmement nuisible au sentiment d’appartenance de la communauté musulmane et à la cohésion nationale. En effet, en marginalisant une partie de la population, en créant une citoyenneté de seconde classe, la fracture sociale n’est plus une menace, mais devient une réalité qui contribue à la radicalisation et au repli identitaire autant chez les musulmans que chez les non-musulmans.

Nous avons aujourd’hui le regret de constater que le Québec, plus particulièrement, marche sur les pas de la France vis-à-vis de son traitement de la minorité musulmane. Cependant, mon association étudiante et moi demeurons optimistes pour l’avenir, et ce, à condition d’agir. Voici cinq recommandations à adopter par notre société et que nous pensons pouvoir faire en sorte de garantir les droits octroyés par les chartes des droits et libertés fédérales et provinciales.

Premièrement, il faudrait abroger la Loi sur la laïcité de l’État, la loi 21.

Deuxièmement, les institutions d’enseignement secondaire, collégial et universitaire devraient offrir des espaces dédiés à la spiritualité pour normaliser la pluralité du phénomène religieux dans la société.

Troisièmement, il faudrait faire adopter un code de conduite en période électorale qui viendrait sanctionner tout discours haineux ou instrumentalisant autant l’islam et les musulmans que les autres groupes marginalisés.

Quatrièmement, il faudrait mettre en place un programme facilitant l’installation d’infrastructures de sécurité dans les mosquées et organismes communautaires.

Cinquièmement, il faudrait intervenir auprès des autorités locales pour qu’elles introduisent des unités d’intervention spécialisées dans les crimes haineux et formées spécifiquement pour fournir un accompagnement aux victimes.

Je demeure à la disposition du comité pour répondre aux éventuelles questions. Merci.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à Arroun Arafat.

[Français]

Arroun Arafat Mfochivé Badiane, président, Association des étudiants musulmans de l’Université Laval : Mesdames les sénatrices, mesdames et messieurs, honorables membres et honorables invités, la peur, la méfiance, le langage de la supériorité créent la fermeture au détriment de l’ouverture. Sur quels éléments se fonde cette peur? Des préjugés, des stéréotypes, une vision toujours binaire et étriquée où il y a un « moi », un « je » qui s’oppose à un « toi », un « tu »; un « nous » face à un « vous ». Un système, un individu qui développent des mécanismes pour garantir sa défense, pour garantir sa sécurité. Voilà l’engrenage de l’islamophobie, que la Commission ontarienne des droits de la personne définit comme « le racisme, les stéréotypes, les préjugés, la peur et les actes d’hostilité dirigés contre des personnes musulmanes précises ou les adhérents à l’islam en général ».

L’islamophobe voit en l’islam une menace pour la sécurité. Ça, c’est la définition que nous donne la Commission ontarienne des droits de la personne. Ainsi, face à cette situation, qu’est-ce qu’il fait? Il développe des mécanismes de haine, de mépris, d’attaque et parfois de violence pour assouvir ses désirs personnels. C’est certainement ce sentiment de haine et de mépris qui classe l’islam en deuxième position comme l’un des groupes religieux les plus visés par la haine selon les données publiées par Statistique Canada le 17 mars 2022.

C’est ce déni de l’autre qui ne devrait exister, penser, réfléchir et vivre que comme le voudrait l’islamophobe ou à son image. C’est probablement ce qui a été à l’origine de la fusillade à la sortie de la mosquée de Scarborough, le 16 avril 2022; de l’attaque de la famille Afzaal par un conducteur de camion; du décès de ce gardien bénévole qui a été poignardé et tué dans la ville de Toronto le 13 septembre 2020; plus proche de nous, de cet attentat haineux et terroriste à la mosquée de Québec, qui a laissé six corps sans vie sur le carreau et cinq blessés, sans oublier toute une communauté qui vit désormais dans l’effroi, le désarroi et la peur.

C’est certainement ce qui a poussé ce monsieur qui, n’ayant pas réussi à m’arnaquer lors d’un achat en ligne, m’a traité de mangeur de couscous, de « race de pourriture », de « criss de singe », et pour finir, de « Ben Laden ». La liste de ces actes qui brisent des vies est longue et ne pourrait être exposée ici. Oui, le mal, il est là; il continue de faire des victimes qui, lorsqu’elles ne meurent pas d’une mort certaine, sont atteintes physiquement ou psychologiquement.

Dans un tel climat, des solutions peuvent être proposées. Une déconstruction des préjugés et des stéréotypes est urgente. À ce stade, chacun a sa partition à jouer : les États, les médias, les organismes gouvernementaux et non gouvernementaux, mais aussi les communautés. L’on gagnerait désormais à considérer les rapports humains, sociaux et culturels non pas comme des rapports de force, de soumission, mais comme des rapports d’écoute afin de sortir de cette cristallisation et de la violence qui n’est toujours pas loin. S’écouter même si l’on n’est pas du même bord, se respecter même si nous sommes en désaccord, éviteraient l’enlisement de la violence. Accepter la différence, car elle n’est pas une tare, mais une richesse. Et pour finir, permettez-moi que nous puissions méditer ensemble sur ces propos de ce psychothérapeute français qui disait ce qui suit :

Il y a beaucoup plus d’intelligence dans deux cœurs qui essaient de se comprendre que dans deux intelligences qui essaient d’avoir raison.

Je vous remercie.

[Traduction]

La présidente : Merci. Madame Sagna, la parole est à vous.

[Français]

Thérèse Sagna, membre du conseil d’administration, Fédération des femmes du Québec : Honorables sénatrices et sénateur, bonjour, et merci de nous avoir invités à discuter d’un enjeu qui nous préoccupe depuis plusieurs années, un enjeu qui affecte particulièrement les femmes musulmanes et qui est peu discuté dans l’espace public : l’islamophobie.

À la Fédération des femmes du Québec, nous travaillons à la transformation des rapports sociaux entre les sexes et l’élimination des rapports de domination dans toutes les sphères de la vie. Nous avons donc dénoncé la loi 21, Loi sur la laïcité de l’État, dès ses tout débuts. Nous avons dénoncé cette loi, non pas parce que nous sommes contre la laïcité, mais parce que nous craignons les impacts de cette loi sur les femmes musulmanes. Nous craignons que cette loi ait des effets matériels non seulement en brimant la liberté d’expression, la liberté de religion et le droit de travailler des femmes musulmanes, mais également en augmentant l’islamophobie au Québec.

Une récente étude publiée par l’Association d’études canadiennes, en collaboration avec la firme Léger, nous montre que nos craintes étaient fondées, que la loi 21 est un autre exemple frappant de racisme systémique au Québec et que cette législation, qui nous avait été présentée comme un outil permettant de renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes, a en fait pour effet de discriminer certaines femmes et d’alimenter la haine envers celles-ci.

C’est donc sans surprise que nous avons pris connaissance des chiffres percutants qui émanent de l’étude précitée : 73 % des femmes musulmanes se sentent moins en sécurité dans l’espace public depuis la promulgation de la loi 21; 57 % des femmes musulmanes démontrent une détérioration importante de s’exprimer librement en public; 80 % des femmes musulmanes ont perdu espoir pour l’avenir de leurs enfants au Québec; plus de 66 % des femmes musulmanes au Québec ont vécu des incidents et crimes haineux. Ces chiffres sont alarmants et devraient être connus par l’ensemble de la population; 73 % des femmes musulmanes ne se sentent plus en sécurité au Québec, et ce sentiment d’insécurité est fondé puisque 66 % des femmes musulmanes ont vécu des crimes haineux. La démonstration n’est plus à faire : la loi 21 est discriminatoire et elle a eu pour impact d’augmenter l’islamophobie au Québec.

Je me permets d’insister sur l’élément important : les femmes sont nettement plus touchées par les actes de violence et par l’islamophobie, et ce, particulièrement si elles portent des signes religieux et si elles ne sont pas nées au Canada. Il est donc essentiel d’étudier l’islamophobie en utilisant une approche intersectionnelle afin de mieux comprendre les tenants et aboutissants de cette forme d’intolérance. À la Fédération des femmes du Québec, nous pensons particulièrement aux femmes musulmanes qui portent le hijab ou le niqab, à toutes les personnes que l’on maintient dans des situations d’extrême vulnérabilité à cause de cette loi discriminatoire.

Nous pensons à toutes celles qui ont perdu leur emploi ou l’opportunité de carrière et qui vivent maintenant dans l’incertitude face au futur. Nous pensons à toutes celles qui, en plus d’être discriminées par la loi 21, voient leurs conditions se vulnérabiliser davantage à cause de la réforme de la loi 101. Nous pensons à toutes celles qui vivent des violences dans leur quotidien parce qu’elles sont femmes et musulmanes, et nous rageons parce que le gouvernement refuse toujours de reconnaître l’existence du racisme systémique et de prendre des moyens pour le contrer. Nous rageons parce que nous vivons dans un pays qui prétend être égalitaire, mais qui met en place des lois ouvertement discriminatoires, qui laisse tomber des femmes précarisées par un système qui les oublie, les isole et les vulnérabilise face à la violence et à l’injustice.

Nous avons une responsabilité collective, qui est celle de nous assurer que les lois injustes ne maintiennent pas des individus dans des situations d’extrême vulnérabilité, de nous assurer que toutes et tous sont en sécurité et respectés sur notre territoire. Nous vous invitons donc à faire tout en votre pouvoir pour dénoncer le racisme systémique et les lois discriminatoires. À la Fédération des femmes du Québec, c’est ce que nous avons l’intention de continuer à faire. Merci de votre écoute.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup pour votre témoignage. Nous allons passer aux questions des sénateurs.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup, madame la présidente, même à vous, les témoins; c’est vraiment très apprécié de vous avoir ici aujourd’hui, et vos témoignages, vos présentations sont très appréciés.

Ma question va d’abord à MM. Arroun et Yasser. Vous qui êtes dans le milieu étudiant, estudiantin, comment pensez-vous qu’on pourrait amener l’éducation à contrer ce problème d’islamophobie que nous vivons, au Canada, et au Québec en particulier?

M. Lahlou : Merci pour votre question, sénatrice — c’est une très bonne question, d’ailleurs. À mon humble avis, je pense que l’éducation a un certain pouvoir, qu’elle permet d’agir comme un contre-pouvoir de certaines rhétoriques qu’on trouve dans notre société. L’éducation doit rester exempte de toute incidence ou influence politique. Elle doit être la plus objective possible pour présenter les vraies informations. C’est ainsi que je la vois, mais aussi pour sensibiliser, d’un autre côté, les étudiants qui formeront le Canada de demain à la réalité actuelle et aux éventuelles menaces qui guettent notre société par rapport à l’islamophobie.

Donc, je répète, il y a deux façons de régler ce problème : donner une information telle qu’elle est, et sensibiliser les étudiants par rapport aux dangers qui nous guettent. Merci.

La sénatrice Gerba : Merci.

M. Badiane : Merci, madame la sénatrice. Comme je le disais dans mes propos, ce qu’il convient de relever, c’est que, pour que l’atmosphère soit détendue, il faudrait appuyer sur un ou deux leviers. Le premier levier, c’est la communication : dire aux gens ce qu’est l’islam. Je sais que ça peut paraître utopique ou irréaliste; l’islamophobie, selon ce qu’on observe, c’est quelqu’un qui s’appuie sur des choses qui ne sont pas vraies. Le musulman, c’est celui qui fait, qui pose des actes violents, c’est ce qu’il retient. Le musulman, c’est celui qui dévalorise la femme, et à partir de là, il y a un sentiment de mépris, de haine qui s’installe. Alors que si on éduque les gens à leur dire vraiment ce qui se passe et qu’il n’en est rien de tout ce qui est dit à propos de l’islam, peut-être que ça détendrait au moins l’environnement ou l’atmosphère, et ça permettrait aux gens de comprendre que le musulman est loin d’être une menace.

C’est vrai, un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. On va voir des actes qui sont en marge de l’islam qui sont généralement pris pour des modèles, et je crois vraiment que si on parvenait à déconstruire cette image, ça pourrait détendre l’atmosphère, rassurer ceux qui regardent les musulmans en chien de faïence, ou bien qui regardent les musulmans comme si c’étaient des personnes susceptibles de leur faire du mal.

Donc, je crois quand même qu’on peut appuyer sur ces leviers-là ne serait-ce que pour détendre l’atmosphère et permettre que les gens puissent être sûrs de part et d’autre. Je vous remercie.

La sénatrice Gerba : Merci. Est-ce que, vous, dans le cadre de vos associations, avez eu à entamer ce genre d’approche éducative auprès des gens qui ne sont pas au courant, qui sont ignorants de l’islam? Est-ce que vous avez des approches de ce genre pour aider un peu les gens à comprendre?

M. Badiane : Je vous remercie. Ce qu’il convient de préciser, c’est qu’on a cette chance d’être à l’université. L’université nous donne la possibilité de pratiquer nos activités au sein du campus parce qu’on a deux lieux de culte : un lieu de culte pour le vendredi, et un lieu de culte pour les prières quotidiennes. Donc, à ce niveau, je crois que le problème, il ne se pose pas.

Par rapport à votre question, ce qu’on fait, c’est qu’on organise généralement des conférences, on organise des causeries où on a l’habitude d’inviter des personnes qui ne sont pas musulmanes, pas pour les convaincre d’adhérer à l’islam, mais pour leur présenter ce qu’est l’islam, comme je le disais, pour déconstruire ce qui se dit ou ce qu’on entend de part et d’autre qui ne fait pas partie de l’islam. Donc, on passe généralement par des échanges avec des personnes qui ne sont pas musulmanes, et on essaie d’en parler avec eux : quelles sont leurs craintes, qu’est-ce qu’elles entendent dire à propos de l’islam et qui peuvent ne pas être vraies, ou quelque chose de ce genre-là.

La sénatrice Gerba : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Je remercier les témoins d’être parmi nous aujourd’hui. Le comité compte rédiger un rapport pour attirer plus d’attention sur cet enjeu et formuler des recommandations au gouvernement. Dans votre esprit, quelle serait la chose qui aiderait le plus la population à comprendre la communauté musulmane et à éradiquer l’islamophobie?

[Français]

M. Lahlou : Merci, sénateur Oh, pour votre question. Donc, humblement, je vais essayer d’y répondre. C’est une très bonne question qui est aussi très complexe; je ne pense pas qu’il y a juste une recommandation à faire. Il y en a plusieurs, j’en ai fait cinq, mais vous me demandez de choisir, vous nous demandez de choisir la principale.

Je pense qu’en ce moment, ce qui fait le plus de dégât, ce sont les lois comme la loi 21, qui sont très, très, très populaires dans certains milieux, au Québec plus particulièrement, et ce sont les Québécois musulmans qui en souffrent, et plus particulièrement les musulmanes. Donc, si j’avais à faire une hiérarchie des recommandations, c’est la première que je ferais, mais bien sûr, il faudrait normaliser la présence musulmane au Canada. Les musulmans sont Canadiens, ils le veulent, ils ne sont pas malheureusement plus — mais puisqu’ils sont plus attachés à leur pays d’origine, parce que l’islam est venu de l’immigration, les musulmans veulent être Canadiens et se sentir Canadiens. Je vous remercie.

M. Badiane : Ce que je pourrais ajouter par rapport à ce que Yasser est en train de dire, c’est qu’au-delà de l’éducation dont je parlais tantôt, peut-être qu’après l’éducation, il faudrait passer à un palier supérieur : la législation. Parce que si on éduque des gens par rapport à ce qu’est l’islam, il faudrait que, par la suite, qu’il y ait des lois qui sanctionnent des actes qui vont à l’encontre du vivre-ensemble. Et je me dis qu’à ce stade, peut-être que le Sénat — ou je peux me tromper — peut agir dans ce sens-là. On peut les éduquer à ce qu’est le vivre-ensemble, le vécu dans la diversité, le vécu avec des gens qui peuvent ne pas être comme nous, qui ne sont pas — qui n’ont pas la même culture que nous, mais par la suite quand on agit sur le deuxième levier, qui est la législation, on peut voter des lois qui protègent ces minorités et qui leur permettent d’être en sécurité.

Mme Sagna : Je vais ajouter quelque chose. Je trouve que oui, c’est bon, les étudiants, mais c’est important aussi pour les leaders qui sont en haut d’en connaître plus. Il faut leur enseigner d’abord à eux — ils ne connaissent pas —, et quand on va à l’étranger recruter des gens, il y a l’argent qui passe avant tout. Donc, ce sont les premières personnes qui doivent vraiment être éduquées, et quand ça vient de la base, en bas, ils savent à qui ils ont affaire. La conscientisation, la sensibilisation — je ne sais pas. C’est plus intelligent de poser la question pour savoir qu’est-ce que ça veut dire, ça. Donc, on a besoin d’enseignement. Malheureusement, on n’est pas dans un pays qui connaît toute son histoire, mais il est important de la connaître, et quand on arrive comme moi d’un pays où c’est musulman — je suis catholique, mais je sais c’est quoi la religion musulmane.

Donc, la méconnaissance des gens, les journalistes qui veulent à tout prix avoir quelque chose à raconter, rapporter des choses — tout le monde doit être éduqué, et ça doit apparaître partout, à la télévision, pas juste en huis clos. Ça doit être nommé, on ne doit pas avoir peur de dire la vérité. Donc, c’est pour cela que nous vous demandons vraiment que ces recommandations — que les leaders prennent le temps d’apprendre, de comprendre pour pouvoir répondre et pouvoir agir par des actes aussi. Merci.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Pourrais-je poser une autre question?

La présidente : Bien sûr.

Le sénateur Oh : Vous avez tous une formation universitaire. Que pensez-vous de la liberté d’expression, notamment la liberté de presse? La liberté d’expression au Canada nous permet de dire tout ce que nous voulons. La liberté d’expression répond au principe des deux poids deux mesures. Pouvez-vous nous dire quelle est votre position là-dessus?

[Français]

M. Lahlou : Donc, c’est vrai que le Canada nous donne ce droit-là, la liberté d’expression. Je vous remercie d’ailleurs pour votre question, je suis désolé. La liberté d’expression est un droit fondamental, mais c’est un droit qui n’est pas absolu. Il doit être limité par tout ce qui est incitation à la haine et tout ce qui porte préjudice à quiconque.

Donc, telle est ma compréhension de la liberté d’expression au Canada.

M. Badiane : Je suis désolé. Ce que je pourrais ajouter à ce que Yasser était en train de dire, c’est que, c’est vrai, il y a une certaine liberté d’expression, mais ce qu’on devrait prendre en considération, c’est que si cette liberté menace le vivre-ensemble, c’est à ce niveau qu’il faudra peut-être agir. Parce qu’on est libre de s’exprimer, mais si ça peut entacher l’objectif qui est celui de vivre en communauté, de vivre dans des États, je crois quand même qu’à ce niveau, on peut essayer de voir comment est-ce qu’on peut contenter tout le monde sans toutefois léser une partie au détriment de l’autre.

Mme Sagna : Et je vais ajouter : cette expression de liberté de s’exprimer, c’est ce qui nous a amenés où on est aujourd’hui, ici, assis en train de vous parler. Donc, c’est ça aussi. Merci.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Merci.

La présidente : Madame Sagna, vous avez soulevé un point très important, dont le comité est conscient depuis déjà un certain temps. En effet, depuis notre étude sur la cyberintimidation, nous sommes sensibilisés à l’importance d’éduquer les enseignants. Les personnes qui ont le pouvoir de passer un message ne savent parfois pas vraiment de quoi ils parlent.

[Français]

La sénatrice Jaffer : Merci, madame la présidente.

Merci pour votre travail, votre présence ici, ça, c’est —

[Traduction]

Nous avons terminé la dernière série de témoignages. Franchement, je dois vous dire que je suis très fière de vous. J’ai aussi l’impression que de tenir cette séance à Québec est une belle manière de terminer notre périple. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion.

Ma première question s’adresse à monsieur Lahlou et à monsieur Badiane. Obtenez-vous du soutien de la part d’autres étudiants? J’étais très active pendant mes années universitaires — il y a environ un siècle. Il était de mise à cette époque d’aller chercher de l’aide auprès d’autres étudiants. Recevez-vous de l’aide? Les autres étudiants vous soutiennent-ils? Est-ce que ceux qui n’appartiennent pas à votre groupe travaillent avec vous?

M. Badiane : Je voudrais seulement comprendre. Parlez-vous des étudiants universitaires, des étudiants musulmans ou...

La sénatrice Jaffer : Non. Je parlais des étudiants non musulmans.

[Français]

M. Lahlou : Merci, madame la sénatrice, pour la question. Bon, c’est vrai qu’on est beaucoup dans le domaine associatif, et surtout dans le domaine communautaire. Je pense que, malheureusement, je ne pourrais pas répondre à votre question de façon précise, parce qu’on n’a jamais eu l’occasion de travailler avec d’autres associations étudiantes, par exemple, mais nous ne sentons pas d’hostilité par rapport à nous, par rapport à notre présence. Nous, les vendredis soirs, chaque fois, nous avons une salle réservée pour tenir des conférences éducatives qui attirent au moins 200 personnes, et nous n’avons jamais eu de problème; les femmes viennent habillées comme elles le souhaitent.

Donc, je suis très heureux de dire qu’on n’a pas vécu d’actes d’hostilité, pas reçu de menaces, mais nous ne nous sommes jamais trouvés dans une situation où nous avons dû collaborer; donc je ne pourrais malheureusement pas répondre avec précision. Merci.

M. Badiane : Ce que je pourrais dire à ce sujet, c’est qu’on ne parle pas de — on vit dans un contexte où l’environnement est tellement cristallisé que, généralement, de façon officielle, quelqu’un ne peut pas vous apporter son soutien. En échangeant avec des individus, ils peuvent vous dire « on est d’accord avec vous », mais officiellement, ça n’arrivera jamais parce qu’on parle d’un climat de laïcité où l’État ne doit pas s’immiscer dans des activités qui sont religieuses.

La sénatrice Jaffer : Merci.

J’ai une question pour vous, madame Sagna. J’ai deux questions, mais ça dépend du temps. Quand —

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : À Edmonton, nous avons entendu parler d’islamophobie axée sur le genre. Selon ce que l’on nous a dit, il ne faut plus parler seulement d’islamophobie, mais aussi d’islamophobie axée sur le genre. Dans votre organisation, parlez-vous de cette problématique? Tenez-vous des discussions sur ce thème? Comme vous et d’autres témoins l’avez souligné, les femmes vivent beaucoup de difficultés, et j’aimerais que vous me disiez si cette situation a fait l’objet de discussions dans votre organisation.

[Français]

Mme Sagna : Effectivement, c’est tout un problème qui touche tout le monde, qui touche plusieurs sphères. Quand on parle de l’intersectionnalité, il s’agit de toucher à tout; ne pas toucher juste une chose, le problème c’est ça. Oui, on peut trouver des femmes qui sont — je ne sais pas, moi, en ce qui concerne la sexualité, des femmes trans et tout, donc ça touche à tout le monde. Mais ce qui est flagrant, c’est que plus on travaille sur l’intersectionnalité, sur le racisme systémique, plus c’est comme si on refusait de l’entendre, on croit que ça n’existe pas. Parfois, on a l’impression que les gens se disent « je veux être sourd parce que je ne veux pas entendre », mais ce n’est pas parce qu’on n’entend pas. Le problème existe, il est visible, tout le monde le voit.

Donc, tout le monde doit être éduqué par rapport à ça. Comme je l’ai dit au début, les personnes, les leaders qui sont en haut, doivent être les premiers à être éduqués pour pouvoir descendre, puisque les lois, ce sont eux qui les votent; ils prennent les décisions et tout. Donc, dans notre organisation, dans le mouvement des femmes, on essaie de tout faire, d’inviter les femmes, d’avoir des communications avec les femmes arabes et autres, mais en région, c’est pire — parce que je viens de Matane en Gaspésie. Quand on voit une femme qui est voilée, déjà, les jugements sont là, et c’est lourd. Aux Noirs, on demande : « es-tu musulman ou catholique? » Ce sont toutes des choses comme ça. Donc, c’est vraiment une question de société.

Nous devons changer notre façon de faire, nous devons changer de lunettes, nous devons les essuyer peut-être plus souvent. Donc, c’est pour cela que nous vous remercions de nous avoir accueillis, pour qu’on puisse partager avec vous afin d’aller de l’avant, et je suis certaine qu’on va aller de l’avant étant donné ce qui se passe, ce qu’on vient de vous dire.

La sénatrice Jaffer : Merci. J’ai une question vraiment sensible.

[Traduction]

Cette question est très délicate, mais je vais prendre le risque, madame Sagna, de vous la poser. Lorsque j’étais jeune, nous nous battions à coups de slogans du genre « mon corps, mon choix ». Je me suis battue très fort pour cette cause, aux côtés des Québécoises, jusqu’à ce qu’une loi soit adoptée. Ce militantisme m’a donné beaucoup de cheveux gris. Je me demande si les Québécoises scandent aujourd’hui « mon choix, mon voile ». Soutiennent-elles cette cause, ou êtes-vous seule au combat? Je vois que vous êtes membre de la Fédération des femmes du Québec, organisme très connu partout au pays, et je me demande si la Fédération fait campagne avec les musulmanes.

[Français]

Mme Sagna : Exactement, nous travaillons avec beaucoup de femmes musulmanes. Mon corps, mon choix, ça ne veut pas dire l’habit que je porte, parce que c’est l’habit — le voile — qui fait que ça attire un jugement. Mon corps, j’en fais ce que je veux, ça m’appartient. Je m’habille comme je veux, je sors, je fais ce que je veux avec qui je veux, mais je ne donne pas l’autorisation. Quand je l’autorise, l’autre peut, mais on ne peut pas me dire : « tu es au Québec, tu dois porter des pantalons, tu ne dois pas porter des hijabs, tu ne dois pas porter ci ou ça ». Donc, c’est vraiment mon libre choix, mais quant à décider ce qui est de ma religion, comment je dois me comporter, comment je dois parler, c’est non. Chaque personne est ce qu’elle est, on est unique. Moi, je ne voudrais pas être les autres et les autres ne voudront pas être moi. Moi, je suis unique. Donc, c’est le respect de soi, c’est ce qui fait la beauté de notre société.

Nous travaillons ensemble, on les côtoie dans l’organisme où, moi, je travaille; on n’est que des femmes immigrantes, puis on a des musulmanes aussi, mais on n’en fait pas un scandale. On partage nos connaissances, on organise des rencontres de toutes les religions pour partager cette richesse. Il y a les protestants, il y a les catholiques, il y a les musulmans, etc.

En fait, le gouvernement devrait organiser de temps en temps des activités multireligions pour échanger, pour connaître les autres religions, et ça, ça nous avancera plus dans notre société que de laisser les gens dire : « je suis libre, je peux faire ce que je veux ». Oui, les femmes québécoises, on parle de mon corps, ce n’est pas l’essence de ce que je suis. Vous comprenez, c’est ça. Ça veut dire que moi, je peux faire ce que je veux, mais je ne veux pas que l’autre décide. Par exemple, si on veut me donner un mari, c’est à moi de — ce n’est pas à quelqu’un de me donner en mariage. Si je ne suis pas disposée à quelque chose, je ne permets pas qu’on vienne me toucher, comme dans un cinéma : tu es toute seule, tu es une femme, puis tu as plus — non, je n’autorise pas ça. Donc, il s’agit du respect de notre corps, mais du respect de notre choix aussi.

La sénatrice Jaffer : Merci. Merci de votre présence ici.

La sénatrice Gerba : Je profite de cette occasion pour parler à ma sœur, Mme Sagna. Vous venez de Matane, en région. J’imagine que ce que nous vivons ici, à Québec, est renforcé davantage dans les régions. En tant que représentante de la Fédération des femmes du Québec, dans une région comme Matane, qu’est-ce que vous pouvez faire, qu’est-ce que vous faites concrètement pour les femmes victimes de ces actes haineux? Parce qu’on a entendu tout à l’heure, un peu plus tôt, un témoignage impressionnant d’une femme qui a été victime de ce genre d’actes dans un magasin. Elle a appelé la police, et ils n’ont rien pu faire; au contraire, c’est elle qu’on a accusée. Donc, parlez-nous concrètement de la façon dont on peut, dans ce cas-là, aider les femmes victimes d’actes haineux.

Mme Sagna : Merci de votre question. On ne peut pas tolérer cela. Chez nous, ce sont des choses qu’on dénonce. Nous avons une base où c’est nous autres, on a notre — le maire, les conseillers et tous ceux qui sont vraiment la base avec qui nous travaillons, et on ne peut pas laisser passer ça. Nous avons des députés, nous avons des ministres, et on se lève debout avec ces femmes, et nous dénonçons ces choses, ces actes. C’est inacceptable, en 2022, de se retrouver encore dans ce genre de problématique; c’est inacceptable. C’est pour cela que nous dénonçons. Ce que j’ai nommé, avec les chiffres qui sont là, c’est vrai. Nous tous, nous avons entendu ces chiffres-là. Il s’agit de se demander comment on va faire pour aller chez nous et dormir tranquille. Je me poserais la question.

Donc, on a des rencontres, on a des tables de concertation, on a la formation, on a des gens qui viennent en stage, on partage nos religions. Qu’est-ce que la base de l’humain? C’est la dignité de la personne. Alors, ça, ce sont des choses inacceptables que nous ne laisserons pas passer une minute. Et c’est la raison pour laquelle on donne aussi l’information aux femmes, si jamais elles vivent ça, de la part de nous, qui sommes dans les associations, de les dénoncer aussi. C’est inacceptable d’accepter ça, donc on le dénonce. Puis on les soutient; ce qui est bien aussi en région, c’est qu’on se connaît. Le policier ne peut pas se permettre — ni le maire ni le député —, il doit faire vraiment attention. Moi, je prends ma place, je reste là et je fais ce que j’ai à faire. Et si je dérange, eh bien, les gens pourront déménager, parce que moi, je vais rester toujours là, je ne bougerai pas, et je vais toujours dénoncer. Donc, on leur donne un exemple de courage dans le respect, dans le respect qui consiste à nommer ces choses. On n’a pas besoin de guerre — on n’est pas gagnante à ça. Merci, ma sœur.

[Traduction]

La présidente : Merci. J’ai une question qui s’adresse à l’Association des étudiants musulmans. Dites-moi ce que c’est que d’être musulmane, d’être une jeune femme portant le hidjab, à l’université. J’aimerais que vous me répondiez toutes les deux.

[Français]

M. Badiane : Je ne suis pas une femme. Ce qu’on dit souvent, c’est qu’on a l’habitude de répondre à la place des femmes, mais je vais prendre ce risque-là. Au sein de l’institution, comme je le soulignais tantôt, le problème ne se pose généralement pas à ce niveau. Le problème se pose avec d’autres étudiants, parfois avec d’autres enseignants — ça, il faut le souligner aussi. Le problème se pose avec d’autres enseignants qui ont des appréhensions comme quoi le voile, ça diminue la femme. Et généralement, quand on rencontre ces sœurs-là, ce qu’elles disent, c’est qu’elles ont l’impression de commencer une course en sachant bien évidemment qu’elles seront dernières dans la course, dans le sens où elles se sentent diminuées, parfois, par des comportements, que ce soit venant de certains enseignants qui — je leur accorde le bénéfice du doute, parce que, parfois, quand on n’a pas l’habitude de côtoyer d’autres personnes, quand on voit quelque chose qu’on ne connaît pas, ça nous paraît étrange. C’est d’ailleurs de là que vient le mot « étrange ». Donc, généralement, ce qu’elles nous disent, c’est que, parfois, elles se sentent diminuées par certains comportements qui peuvent être assez frustrants. C’est ce que je pourrais dire là-dessus.

M. Lahlou : Je vais rebondir sur le point de mon collègue. C’est vrai que nous ne sommes pas des femmes, mais on a quand même une certaine perception de la situation. C’est sûr qu’une femme musulmane ne ressent pas le regard public de la même façon; ça dépend si elle porte un habit particulier ou si elle s’habille de façon tout à fait normale, sans voile ni rien. Une femme qui porte un voile ou un quelconque autre habit visible, elle est victime des préjugés seulement par le regard, c’est-à-dire que les gens se demandent : « est-ce que c’est une femme opprimée, est-ce que c’est une femme endoctrinée, est-ce que c’est une femme radicalisée? » Donc, déjà là, elle part avec deux prises, comme on dit.

Donc, c’est mon point principal, c’est qu’il faut vraiment détacher la perception de « voile égale oppression »; ce n’est pas vrai. Le voile n’est qu’un habit. Quand quelqu’un décide de mettre un pantalon pour se couvrir, bien, la femme musulmane, elle décide de mettre un voile pour se couvrir, et si ça l’aide dans sa spiritualité, tant mieux. Donc, voici mon point de vue sur la question.

[Traduction]

La présidente : Merci. J’ai posé la question, car vous représentez l’association étudiante. Pour avoir participé à des événements organisés par l’association des étudiants musulmans de l’Université de Toronto, je sais à quel point les femmes sont organisées là-bas. Comme vous représentez votre association, je voulais seulement avoir votre point de vue. Avez-vous un processus en place auquel peuvent recourir les étudiantes qui pensent avoir été victimes de discrimination en raison de leur religion? Tenez-vous un registre de ce genre de situation? Lorsque quelqu’un vient vous voir, quelles démarches entamez-vous?

[Français]

M. Lahlou : On ne garde pas d’historique de ça, mais si quelqu’un vient chez nous, nous, on fait beaucoup confiance au travail du Conseil national des musulmans canadiens (CNMC). Il donne des ressources; il y a des ressources très, très précieuses pour aider la communauté, il est là pour ça. Donc, par habitude et aussi par souci qu’une autre autorité ne s’occupe pas de la situation professionnellement, on se réfère au Conseil national des musulmans canadiens pour accompagner les victimes.

M. Badiane : Ce que je pourrais rajouter là-dessus, c’est qu’au sein de l’Université Laval, il y a toute une direction qui est chargée des activités spirituelles, ce qui fait que, généralement, s’il y a des actions de ce genre-là, on fait d’abord une réunion de concertation avec celui qui est chargé des activités spirituelles sur le campus afin de lui présenter la situation, et par la suite, on peut faire remonter l’information à un niveau un peu plus élevé au sein de l’université. Ce n’est qu’après ça que, si on ne trouve pas une solution au problème qui est posé, on peut s’adresser à un niveau plus élevé, que ce soit le conseil national, la mosquée, le Centre culturel islamique de Québec (CCIQ), et trouver des personnes qui peuvent nous soutenir dans notre démarche. Donc, on commence toujours à l’université, avec l’université, et si jamais ça ne marche pas, on évolue vers un palier un peu plus haut.

[Traduction]

La présidente : Vous avez mentionné les professeurs. Vous avez donc l’impression qu’il y a des problèmes avec certains professeurs qui ont, globalement, une perception, dirions-nous, défavorable des musulmans, ou du niqab, ou des jeunes femmes portant le hidjab? Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?

M. Badiane : Pourriez-vous répéter la question, s’il vous plaît? Je ne suis pas certain d’avoir bien compris.

La présidente : Il y a un problème avec certains professeurs…

M. Badiane : Oui.

La présidente : … qui perçoivent les musulmans — et peut-être précisément les musulmanes portant le hidjab — comme différents. Cette façon de voir les choses existe-t-elle dans votre université?

[Français]

M. Lahlou : Personnellement, je n’ai jamais assisté à quelque chose comme ça, je n’ai jamais entendu cela, après plus de trois ans d’engagement au sein de l’association étudiante. Par contre, j’ai vu que, récemment, il y a un enseignant à Montréal d’un collège ou d’un cégep, pour être précis, qui s’est permis de faire certains commentaires désobligeants par rapport à l’islam, et je pense qu’un professeur a le devoir de neutralité. Donc, ça existe, mais je ne l’ai pas vu.

[Traduction]

La présidente : Merci. Sénateurs, avez-vous d’autres questions?

La sénatrice Gerba : Non. Merci.

La présidente : J’aimerais remercier tous les témoins pour leur présentation et pour avoir pris le temps de venir ici aujourd’hui. Vos témoignages et vos commentaires nous aideront à rédiger notre rapport final. Vous avez pris le temps et vous avez eu la patience de répondre à des questions qui ne vous avaient peut-être jamais été posées. Je voudrais également remercier les sénateurs qui se sont déplacés loin de chez eux et qui ont pris le temps de venir ici. Par contre, mes remerciements s’adressent plus spécialement aux témoins, car sans leurs témoignages, nous ne pourrions pas mener à bien l’étude qui nous a été confiée.

Sénateurs, collègues et invités, la séance est levée. Nous nous réunirons demain à Toronto. Merci.

(La séance est levée.)

Haut de page