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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


TORONTO, le jeudi 22 septembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 9 h 6 (HE), pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs et sénatrices, je suis Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto, et présidente du comité. Aujourd’hui, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, et j’aimerais vous présenter les membres du comité qui participent à la réunion. À ma droite, nous avons le sénateur Arnot, de la Saskatchewan, la sénatrice Gerba, du Québec, et le sénateur Oh, de l’Ontario.

Après avoir tenu deux réunions à Ottawa en juin, nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur l’islamophobie au Canada, dans le cadre de notre ordre de renvoi général. Notre étude couvrira entre autres questions le rôle de l’islamophobie dans la violence en ligne et hors ligne contre les musulmans, la discrimination générale et la discrimination dans l’emploi, y compris l’islamophobie au sein de la fonction publique fédérale. Notre étude se penchera également sur les sources de l’islamophobie; sur ses conséquences sur les personnes, y compris la santé mentale et la sécurité physique; et sur les solutions possibles et les réponses du gouvernement.

Nous sommes ravis d’être ici à Toronto et d’entendre des témoins nous parler de l’islamophobie dans cette partie du pays. Il s’agit de la quatrième de nos audiences publiques à l’extérieur d’Ottawa. Il y a deux semaines, nous étions à Vancouver et à Edmonton, et plus tôt cette semaine, dans la ville de Québec. Permettez-moi de fournir quelques détails au sujet de notre réunion aujourd’hui. Ce matin, nous entendrons pendant une heure trois groupes de témoins composés d’un certain nombre de personnes qui ont été invitées. Dans chaque groupe, nous entendrons les témoins, puis les sénateurs auront une période de questions et de réponses. Il y aura une brève pause vers 11 heures.

J’aimerais maintenant présenter notre premier groupe de témoins. Chaque témoin a été invité à présenter une déclaration liminaire de cinq minutes. Nous écouterons tous les témoins, puis passerons aux questions des sénateurs. Nous accueillons Hamid Slimi, président du Muslim Council of Peel; Sarah Khetty, directrice du marketing de Zabiha Halal; et Katherine Bullock, chargée de cours, Université de Toronto Mississauga. J’inviterais maintenant l’imam Slimi à présenter son exposé.

Hamid Slimi, président, Muslim Council of Peel : Bonjour à tous. Que la paix soit avec vous. Je m’appelle Hamid Slimi, et je suis le président actuel du Muslim Council of Peel. Je suis également un imam et un chef spirituel au Canada depuis 1997 et j’ai été président du Conseil canadien des imams de 2006 à 2013.

Honorables sénateurs et sénatrices, j’aimerais vous remercier sincèrement de me fournir l’occasion de m’adresser à votre comité sur le sujet de l’islamophobie au Canada, qui a deux facettes : une facette nationale, qui fait l’objet de notre discussion aujourd’hui, et bien sûr, une facette mondiale, dont nous ne parlerons pas en raison des limites de temps bien qu’elle touche et influence la première directement et indirectement. Dans ce qui suit, j’aborde trois sections, les faits, les conséquences et quelques recommandations.

Pour ce qui est des faits, nous, en tant que musulmans canadiens — citoyens ordinaires, imams, chefs communautaires, parents, hommes, femmes, jeunes et enfants — sommes profondément préoccupés par l’augmentation continue et alarmante du nombre d’incidents et de sentiments antimusulmans et antireligieux au Canada, ce qui comprend, sans s’y limiter, les six points suivants.

Le premier est la littérature et le discours haineux, y compris ceux qui s’adressent aux enfants dans les cours de récréation et les cours d’école des quartiers.

Le deuxième est le vandalisme. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que la mosquée de Peterborough a été incendiée et que les graffitis et les vitres brisées dans les mosquées, jusqu’à aujourd’hui, ainsi que dans les écoles islamiques, sont monnaie courante.

Le troisième fait est les actes terroristes; vous êtes au courant de la tuerie à la mosquée de Québec. Je n’ai pas besoin de passer en revue ceux qui ont inspiré les attaques terroristes de 2018 à Christchurch, en Nouvelle-Zélande, l’assassinat à OIM — vous êtes au courant de l’assassinat de Mohamed-Aslim Zafis en 2020; j’ai été l’imam de ce centre pendant huit ans — et de la famille Afzaal à London, et la liste continue.

Le quatrième est la discrimination dans les lieux de travail, dans les aéroports et aux points de passage frontaliers, ainsi que dans les consulats du pays, les missions diplomatiques à l’étranger pour les musulmans qui demandent des visas d’étudiant ou de touriste ou les familles qui veulent simplement voir leurs enfants. Et malheureusement, cette année en particulier, de nombreux étudiants n’ont pas obtenu leurs visas dans de nombreux pays musulmans, ce qui constitue une discrimination manifeste. Et on pourrait faire allusion à certains des rapports d’organisations réputées comme le CNMC et d’autres.

Le cinquième fait, ce sont les attaques physiques et la violence verbale contre les personnes musulmanes, en particulier les femmes dans la rue et les endroits publics, et les enfants à l’école.

Et le sixième, ce sont les rassemblements haineux devant les centres islamiques et les mosquées.

Les attaquants, les islamophobes et les personnes qui prennent des musulmans pour cibles sont motivés par quatre points que j’ai résumés dans ma recherche.

Le premier est l’extrémisme d’extrême droite.

Le deuxième est la haine aveugle qui résulte des médias et de l’industrie du divertissement. Il y a une tendance dans l’industrie du cinéma à produire continuellement des émissions et des films dans lesquels le méchant est toujours un musulman et porte toujours un nom musulman. C’est un phénomène continu, et le CRTC doit faire quelque chose à ce propos. Bien sûr, il y a aussi Internet et la littérature et les discours haineux.

Le troisième est ce que j’appelle la haine importée, et c’est un fait. Nous devons prêter attention à celle-ci de la part de pays qui ont permis des campagnes antimusulmanes et adopté des politiques antimusulmanes. Je ne veux pas préciser de pays, mais ils existent, et tout le monde les connaît.

Et quatrièmement, les groupes extrémistes antireligieux. C’est très drôle à dire, mais il y en a qui sont allés jusqu’à l’extrême de l’antireligion et, bien sûr, de l’anti-islamisme aussi.

Je vais maintenant passer à la deuxième partie, soit les conséquences. En raison des faits déjà mentionnés, je me désole de faire part de certaines des conséquences que nous observons et vous signalons aujourd’hui, qui concernent surtout un sentiment d’injustice et d’incertitude, et un sentiment de marginalisation et de non-appartenance pour de nombreux musulmans. Pour résumer, il y a sept points.

Le premier est un fort sentiment d’être pris pour cible parce que l’on a une apparence visible, que ce soit un vêtement, une origine ethnique ou simplement le fait d’être musulman et de porter un nom musulman.

Le deuxième est un fort sentiment d’être traité comme un citoyen de deuxième classe dans de nombreux lieux et contextes.

Le troisième est une crainte et un sentiment d’insécurité continus étant donné que le Canada est le pays où le plus grand nombre de musulmans ont été tués dans des attaques haineuses ciblées que dans tout autre pays du G7 au cours des six dernières années en raison de l’islamophobie.

Le quatrième est le retrait croissant de gens de la vie publique, ce qui entraîne de nombreux problèmes de santé mentale, comme une augmentation de la dépression et de l’anxiété, en particulier chez les jeunes.

Le cinquième est un retrait croissant des étudiants des écoles publiques en raison de l’intimidation et des commentaires négatifs, parfois même par les enseignants.

Le sixième est un débat continu chez les musulmans sur la question de savoir s’il existe un avenir pour eux et leurs enfants au pays.

Et le septième est un phénomène sans précédent, ce que nous appelons la migration renversée — l’émigration — par un nombre important de personnes et de familles musulmanes.

Maintenant, j’aimerais proposer quelques recommandations. Depuis 2001, nombre de nos recommandations présentées sur des plateformes différentes n’ont toujours pas été mises en œuvre. Nous reconnaissons le fait que le gouvernement actuel a déjà pris quelques mesures favorables, et cela nous encourage d’une certaine façon, mais il reste encore beaucoup à faire. Pour terminer, j’aimerais insister sur les recommandations suivantes.

La première est d’investir sans discrimination dans tous les Canadiens de toutes origines. Le meilleur investissement est celui qui vise à élever non seulement le niveau de vie, mais aussi le niveau de pensée et le sentiment d’appartenance de tous les Canadiens.

La deuxième est d’éduquer les gens au sujet des questions mentionnées précédemment — les parents, les enfants, les enseignants, les agents d’application de la loi, les fonctionnaires et les politiciens — au moyen d’un programme d’études révisé, d’une formation sur la sensibilité et de services de ressources humaines.

La troisième est d’examiner le programme d’étude dans toutes les écoles et de mieux éduquer les générations futures, non seulement au sujet de la tolérance et du respect, mais aussi des conséquences de toutes les formes de haine, y compris l’islamophobie.

La quatrième consiste à réprimander le langage et la culture de la division, qu’ils soient le fait des politiciens, des groupes d’intérêts spéciaux, des médias sociaux ou des médias en général. La langue de la division est le précurseur de la haine, de la xénophobie, du racisme, de la bigoterie et des préjugés. C’est pourquoi il faut rendre des comptes sur ce genre de choses.

La cinquième recommandation est d’écouter les gens comme nous le faisons aujourd’hui et de régler les petits problèmes avant qu’ils ne deviennent des crises complexes.

Enfin, la sixième est de bien vouloir mettre en œuvre les recommandations du CNMC, qui ont été communiquées le 19 juillet 2021. J’aimerais simplement rappeler la plupart des points proposés par le CNMC. Je suis sûr que vous avec pris note des recommandations du CCI hier. Merci de m’avoir écouté.

La présidente : Merci. Je vous prie, monsieur, de bien vouloir remettre la liste des recommandations aux analystes. Ils prennent des notes, mais je pense que ce serait bon pour eux de l’avoir.

M. Slimi : Je le ferai.

La présidente : Merci.

Sarah Khetty, directrice du marketing, Zabiha Halal : As-salaam alaikum. Merci de m’avoir invitée à comparaître devant le comité pour discuter du travail qui doit être fait pour démanteler l’islamophobie au Canada.

Je comparais ici en tant que directrice du marketing de Maple Lodge Farms, qui abrite la marque Zabiha Halal. Zabiha Halal sert les musulmans canadiens en leur fournissant des aliments halal qui se trouvent dans les épiceries partout au pays. La marque Zabiha Halal est le fruit d’une collaboration entre Maple Lodge Farms — une entreprise privée familiale — et la communauté musulmane elle-même, qui a vu le jour il y a plus de 30 ans.

Je travaille à Maple Lodge Farms depuis plus de sept ans et sur la marque Zabiha Halal depuis les six dernières années; c’est une expérience qui a été personnellement enrichissante en tant que membre de la communauté musulmane canadienne et une consommatrice halal. Je me souviens en fait d’avoir été debout devant Maple Lodge Farms quand j’étais petite et que mes parents achetaient des caisses de poulets halal, les ramenaient à la maison et en tiraient le meilleur parti en tant que famille immigrante, et toute la journée, je redoutais de remballer ce poulet dans de petits sacs et de les mettre au congélateur.

Je suppose qu’il n’est pas fréquent que l’on demande à des marques de participer à des tribunes publiques de cette nature, mais en tant que foyer de la plus grande marque halal du Canada, Maple Lodge Farms est particulièrement bien placée pour alimenter un discours sur la prévalence de l’islamophobie au Canada, et, à bien des égards, nous nous sommes retrouvés ici par hasard. En tant que marque communautaire et en raison des liens que nous entretenons avec les consommateurs musulmans canadiens, nous avons été aux premières loges pour observer les difficultés auxquelles les musulmans canadiens sont confrontés. Nous avons même été soumis à ces difficultés nous-mêmes par la haine en ligne et la désinformation sur nos pages de médias sociaux. Ces problèmes existants, comme nous le savons tous, ont été amplifiés par le 11 septembre, puis revigorés par la politisation de la foi musulmane avant l’élection américaine de 2016. Le sentiment et la rhétorique négatifs ont rapidement gagné le paysage politique et culturel canadien.

Ce qui a été le plus déconcertant concernant l’augmentation de la rhétorique haineuse à l’égard des Canadiens musulmans, c’est le contraste marqué dans la façon dont les membres de cette communauté perçoivent le Canada. Dans une enquête que nous avons menée en 2016, 98 % des musulmans ont répondu qu’ils étaient très fiers ou fiers d’être des Canadiens. Par ailleurs, 97 % ont dit ressentir un fort sentiment d’appartenance ici. Je sais que j’en ai fait l’expérience à de nombreuses reprises. En tant que responsable de Zabiha Halal, on me demande de prendre la parole dans de nombreux événements communautaires, comme Reviving the Islamic Spirit, une énorme conférence qui se déroule à Noël, et j’ai représenté Zabiha Halal au MuslimFest. Chaque fois que je me sens nerveuse ou que je ne sais pas quoi dire, je sais que la solution consiste à lancer un grand bravo au Canada. Cela suscite l’enthousiasme de la foule et me donne un moment pour reprendre mon souffle. Il y a beaucoup d’amour pour le Canada au sein de la communauté musulmane canadienne.

Il y a quatre ans, Zabiha Halal a lancé la campagne Sharing Halal pour lutter contre la désinformation et les stéréotypes au sujet des musulmans canadiens que nous représentons et servons avec autant de fierté. Dans celle-ci, de vrais Canadiens musulmans — et je dois insister pour dire que ce sont de vraies personnes, pas des acteurs et pas moi-même en tant qu’ambassadrice de marque —, des immigrants à des entrepreneurs, ont raconté leur propre histoire concernant leurs espoirs et leurs aspirations, leurs joies et leurs défis et l’extraordinaire fierté qu’un grand nombre d’entre eux tirent du fait d’être des Canadiens. Sharing Halal était notre façon de créer du contenu que les musulmans canadiens pouvaient partager pour contrer le récit qu’ils vivaient dans leur vie quotidienne, surtout en ligne, parfois par l’entremise des médias et souvent par erreur par l’entremise de leurs pairs et de leurs collègues.

À l’instar de nombreux Canadiens, après l’attaque non provoquée et ciblée contre une famille musulmane, à London, en Ontario, nous avons vu que nous devions en faire davantage. Nous étions en train de créer ce contenu qui permettait à des musulmans canadiens de se représenter sur les médias sociaux et sur d’autres plateformes comme étant plus que ce que les médias décrivaient. Mais nous avons décidé de tirer parti de la campagne Sharing Halal pour lutter plus directement contre l’islamophobie. Nous avons entrepris de mener une nouvelle enquête en 2022 auprès de 1 500 Canadiens, qui a confirmé que l’islamophobie est réelle et qu’il y a beaucoup de travail à faire.

Permettez-moi de mentionner au groupe aujourd’hui quelques-unes des conclusions alarmantes. Parmi les Canadiens sondés, 54 % ont dit qu’ils faisaient confiance aux musulmans, par rapport à 68 %, qui ont exprimé qu’ils font confiance aux personnes de confession chrétienne. Le tiers s’inquiétait du nombre de musulmans qui immigrent au Canada, et un quart souhaitait que les hidjabs soient carrément interdits.

C’était notre façon de mesurer les différences et les écarts, et il s’agissait d’une déclaration volontaire. Ce sont des Canadiens qui ont coché la case pour dire qu’ils s’inquiètent de l’immigration de musulmans au Canada. Cela ne mesure pas le racisme ou l’islamophobie intériorisés que les gens ne sont pas capables de nommer ni le fait qu’ils ne sont pas prêts à cocher la case eux-mêmes et à dire : « Une personne en hidjab me rend nerveux » ou « Je suis inquiet lorsque j’entends l’adhan venir d’une mosquée. »

Pourtant, nous voyons cela comme une possibilité de renforcer la compréhension et la compassion au moyen de l’éducation, de la sensibilisation et de l’action. Nous avons de nouveau demandé aux musulmans canadiens de communiquer leurs propres perspectives. Une personne a dit : « On fait face à une pression pour toujours nous comporter de notre mieux, pour être meilleur que tout le monde. » Une autre a dit : « Je ne viens pas d’un autre pays, mais j’ai commencé à avoir l’impression de ne pas être aussi acceptée que je le pensais. » Cette jeune femme a parlé en particulier d’un incident survenu à une gare d’autobus alors qu’elle portait un hidjab lorsqu’elle était jeune fille, et avant d’aller à l’université, elle a pris la décision très difficile de cesser de porter un hidjab afin d’éviter le type de haine qu’elle avait vécu en grandissant. Ces histoires ne sont pas rares. J’ai aussi ma propre expérience de l’islamophobie. Lors d’un incident qui s’est produit juste à l’extérieur de Toronto, ma réunion de famille a fait l’objet d’horribles insultes raciales. Nous nous sommes sentis effrayés et comme si nous n’avions pas notre place.

Nous devons tracer une nouvelle voie. En tant que comptable de formation et spécialiste du marketing de métier, j’ai un profond respect pour les données et l’information. Je crois que la mesure est la première étape clé pour régler ce problème. Nous devons mesurer régulièrement la composition de la communauté musulmane canadienne aux échelons national, provincial et régional afin d’orienter le soutien et les ressources là où ils sont nécessaires. Nous devons mesurer les sentiments des Canadiens envers les musulmans afin de cerner les communautés qui ont besoin d’éducation et d’outils pour élargir leur compréhension de la communauté musulmane canadienne. Nous devons aussi mesurer les occurrences d’islamophobie à tous les niveaux de gravité. Souvent, ces petites occurrences d’islamophobie sont les premiers indicateurs d’événements plus importants à venir, comme les tragédies qui se sont produites au Québec et à London, en Ontario, en 2021.

Si des membres de la communauté musulmane sont habilités à documenter leurs expériences, ils se sentiront mieux appuyés, auront le sentiment que leurs voix comptent et qu’un changement légitime est possible. L’obtention de données, qui, à mon avis, est réalisable, orientera les mesures qui habilitent les familles, normalisera l’islam et sensibilisera l’ensemble des Canadiens. Il doit s’agir d’un effort soutenu et collectif entre les organisations communautaires, les entreprises privées, les membres de la foi musulmane eux-mêmes et, bien sûr, les gouvernements. Ensemble, nous pouvons utiliser nos forces et nos positions respectives pour lutter contre un problème grave et croissant.

Parfois, pour nous inspirer, nous pouvons regarder nos enfants et en tirer des leçons. Une histoire de la campagne Sharing Halal m’est restée en mémoire. Cela confirme que nous ne naissons pas avec des préjugés. Au cours de la première année de la campagne Sharing Halal, nous avons réuni une famille musulmane et une famille non musulmane pour célébrer l’iftar du ramadan. Lorsque cette famille en visite, qui n’était pas musulmane, est venue chez la famille musulmane, le jeune fils de la famille en visite n’a rien pensé de la robe islamique de la petite fille et lui a simplement demandé si elle pouvait lui montrer ses jouets. On lui avait clairement dit qu’il y aurait des jouets à cette fête, et il ne s’inquiétait pas du fait que les odeurs dans la pièce et la nourriture ne lui étaient pas familières ni du fait qu’il ne comprenait pas son salwar kameez. Il cherchait des jouets. Ces deux-là se sont tenu la main toute la journée tandis que les adultes étaient mal à l’aise, apprenant à se connaître et se mettant lentement à l’aise. Ils se sont tenu la main et ont joué dès le début. Ces jeunes nous rappellent que nous sommes plus semblables que différents.

Je vous remercie à nouveau de m’avoir donné l’occasion de me présenter au comité et de prendre en considération les recommandations qui sont plus détaillées dans notre rapport écrit.

La présidente : Merci, madame Khetty.

Katherine Bullock, chargée de cours, Université de Toronto : Merci beaucoup. Bonjour. As-salaam alaikum; salutations de paix. Madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité, je m’appelle Katherine Bullock. Je suis chargée de cours à l’Université de Toronto Mississauga depuis les 18 dernières années, et je suis très reconnaissante d’être ici aujourd’hui.

J’ai grandi avec l’adage selon lequel « les coups blessent, mais pas les mots ». Après que je me suis convertie à l’islam en 1994 et que j’ai commencé à subir du harcèlement verbal raciste dans la rue, chez mon dentiste, à l’université et dans les services gouvernementaux, j’ai appris que cet adage est faux. Les mots blessent effectivement, et les mots peuvent blesser pendant très longtemps. Ils démoralisent. Ils mènent au doute de soi, à la haine de soi ou à une faible estime de soi. Ils constituent un traumatisme qu’il peut être difficile de guérir.

Lorsque nous parlons de racisme antimusulman, nous nous concentrons souvent sur les personnes haineuses et sur la manière de les arrêter. Nous parlons de la législation et des politiques institutionnelles qui s’intéressent à ce qui se passe après un événement raciste. Ces mesures sont importantes et cruciales. En nous concentrant sur la prévention et le traitement des auteurs, nous négligeons une partie cruciale de ce qui se passe lors de cet événement pour quelqu’un d’autre. La personne qui le reçoit ou la personne affectée, pour utiliser un magnifique mot inspiré du pakistanais. Comment font-ils face à la situation à ce moment-là? Comment y font-ils face par la suite?

Il n’y a pas beaucoup de recherche sur la façon dont les musulmans composent avec l’expérience d’un événement raciste antimusulman. Les rares recherches connues confirment que les musulmans vivent depuis le 11 septembre un traumatisme collectif. Il y a des niveaux de stress plus élevés, le trouble de stress post-traumatique, l’anxiété, une faible estime de soi et la dépression. Certains universitaires soutiennent que l’islamophobie est une urgence de santé publique. J’ai une amie qui porte le hidjab et qui est sortie marcher un jour et s’est fait lancer des œufs en se faisant dire « retourne d’où tu viens ». Après cet incident, elle a eu peur de sortir de chez elle pendant une semaine.

En 2019, j’ai reçu un courriel haineux à mon adresse de l’université; excusez-moi, mais il y aura des mots crus dans ce qui suit. Je vais lire ce qu’il disait pour que vous puissiez en prendre conscience. L’objet de ce courriel haineux était « tête de conne ». Le message était le suivant : « Hé, tu peux te foutre ta charia au cul, espèce de merde musulmane. » J’en ai fait une attaque de panique toute la journée : les paumes en sueur, des palpitations cardiaques, le souffle court, l’incapacité de me concentrer et plus tard, l’anxiété par rapport au fait d’être sur le campus.

Il y a quelques semaines, nous avons vu dans les nouvelles l’histoire d’une fille de huit ans à Montréal qui craint maintenant de sortir de chez elle après qu’un passant lui a lancé des insultes verbales racistes dans son allée en criant à ses parents de retourner en Inde ou au Pakistan. Ils sont tous les deux nés et ont grandi à Montréal, et je suis sûre que vous avez votre propre histoire et que vous en avez entendu beaucoup d’autres comme celle-ci au cours des dernières semaines.

Les rencontres racistes peuvent être rares, et la plupart des gens pourraient avoir de bonnes interactions, mais ce sont celles qui sont négatives qui restent. Elles se gravent dans notre sentiment d’être. Elles durent toute la vie. Il existe des stratégies d’adaptation positives et négatives. Rester chez soi et faire une crise de panique sont évidemment des stratégies d’adaptation négatives. Certaines personnes trouvent le moyen d’adopter des stratégies d’adaptation positives, comme se sentir à l’aise avec la religiosité, affirmer son identité ou accroître sa participation civique ou politique. Les chercheurs en médecine ont établi que le racisme a un effet négatif sur le développement sain des enfants et le bien-être des adultes. Nous devons faire ce que nous pouvons pour aider les gens à adopter des stratégies d’adaptation positives.

Nous devons aider les personnes sur le plan psychologique à court terme tout en remettant en cause, à long terme, le racisme systémique et quotidien. Le temps ne me permet pas d’expliquer en détail mes trois recommandations qui découlent de ma préoccupation quant à la façon dont les gens composent à long terme avec un événement raciste antimusulman. En bref, j’aimerais que l’Agence de la santé publique du Canada et le ministère du Patrimoine canadien accordent des fonds aux fournisseurs de services de santé mentale et aux organismes communautaires pour qu’ils élaborent des moyens de diagnostiquer et de traiter les personnes touchées par le racisme antimusulman et pour qu’ils offrent une formation aux témoins de crimes haineux, d’incidents haineux antimusulmans dans la rue.

Je suis sûre que, durant les dernières semaines, en voyageant au Canada, vous avez entendu beaucoup de statistiques. Non seulement les statistiques sur les crimes haineux ne font qu’effleurer la surface des rumeurs concernant le racisme quotidien dirigé contre les musulmans, mais elles ne tiennent pas compte du fait que chaque statistique représente une personne qui réagit et qui fait maintenant face à la situation. C’est pourquoi je voulais me concentrer sur les anecdotes de l’adaptation, parce que les mots blessent plus que nous le pensons. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Avant de passer aux questions des sénateurs et des sénatrices, madame Bullock, pourriez-vous s’il vous plaît nous faire part de vos recommandations?

Mme Bullock : Je les ai remises au greffier.

La présidente : D’accord, merci beaucoup.

Le sénateur Arnot : Je remercie le groupe de témoins. J’ai une question pour Katherine Bullock. Je suis d’accord avec vous pour dire qu’il y a des preuves que ces types d’interaction marqués par le racisme et la haine antimusulmans peut créer de la dépression, de l’anxiété et de graves problèmes de santé mentale. Êtes-vous au courant d’un programme qui a été lancé en Australie? C’est un programme d’éducation publique national, un programme d’éducation antiraciste télévisé et multimédia.

J’en parle parce que je suis au courant de cette étude et de ce programme qui viennent de l’Australie parce que la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan l’a étudié il y a environ 10 ans. Je ne peux rien déposer en preuve, mais il existe un programme national d’éducation antiraciste conçu pour les adultes du grand public, et si vous pouviez le trouver et le soumettre au greffier, ce serait peut-être utile parce que la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan l’a copié dans une faible mesure, mais il décrivait vraiment l’antiracisme contre les Autochtones en Australie. Mais comme il s’agissait d’un programme national, je vous remercie de vos commentaires à ce sujet. Nous sommes conscients ici, nous avons entendu parler des problèmes de santé mentale qui sont réels et qui doivent être abordés, et j’ai hâte d’analyser toutes vos recommandations.

Je voudrais juste dire à tous les témoins que je vous ai entendus parler du pouvoir de l’éducation, et je tenais à vous dire qu’il existe une fondation au Canada qui a créé un ensemble de ressources destinées aux élèves de la maternelle jusqu’à la 12e année qui répondent aux questions suivantes : « Qu’est-ce que ça signifie être un citoyen canadien? » et « Quels droits procure la citoyenneté? » Mais plus important encore, la question : « Quelles sont les responsabilités liées à ces droits? » Il y a une reconnaissance de la responsabilité fondamentale de respecter chaque citoyen.

Alors, à mon avis, l’un des aspects de cela, essentiellement, c’est que l’islamophobie, comme nous l’avons entendu dire, est vraiment très présente au Canada, mais je pense que nous, Canadiens, devrions investir dans l’éducation. Notre pays est connu comme étant la meilleure expérience de pluralisme que le monde ait jamais vue, et selon moi c’est vrai, mais nous ne parvenons pas à investir dans notre pays multiculturel, multithéiste et multiethnique afin de créer la compréhension nécessaire pour embrasser cette réalité. Comme le sénateur Oh l’a mentionné à plusieurs reprises, il s’agit de la force du Canada, et je crois que c’est exact. Toutefois, j’estime que pour changer la culture et la communauté, nous devons d’abord changer la culture au sein des écoles, pour former une génération de personnes qui comprennent.

Je voudrais juste mentionner que cette pédagogie est créée par la Fondation d’éducation à la citoyenneté. Nous avons entendu le témoignage de cette organisation hier, mais je crois qu’il s’agit d’un aspect de la lutte contre l’islamophobie, car elle offre un vaccin contre l’ignorance, la haine et la peur, une combinaison très toxique. La pédagogie prône les cinq compétences essentielles de la citoyenneté canadienne, selon lesquelles tous les élèves, de la maternelle à la douzième année, devraient être éclairés, éthiques, émancipés, engagés et, selon moi, ce qui est le plus important, empathiques. Donc, il s’agit des cinq compétences essentielles de la citoyenneté canadienne, et la théorie est que nous devons commencer très tôt dans les écoles à créer une compréhension et un soutien pour le genre de Canada que nous avons en théorie, et je suis certain que ce n’est pas ce qui se passe.

Vous savez, beaucoup d’immigrants viennent au Canada en adoptant les valeurs du Canada qui sont inscrites dans notre Constitution, pourtant votre expérience sur le terrain et au sein de la communauté est opposée à cela; en réalité, elle est contraire aux valeurs canadiennes. Donc, nous devons mettre l’accent sur l’enseignement des valeurs canadiennes et du respect parce que chaque être humain et chaque citoyen mérite une considération morale égale, et le respect de chaque citoyen est essentiel à un meilleur Canada — afin que le Canada maintienne sa position de pays le plus prospère du monde en tant que pays pluraliste.

Je voulais simplement faire ce commentaire général et j’aimerais entendre les commentaires des témoins concernant le pouvoir de l’éducation et ce que nous devrions faire afin de nous concentrer sur l’utilisation efficace de l’éducation afin de créer un vaccin contre cette haine que nous observons au sein de la collectivité.

M. Slimi : Dans mon humble contribution, je mentionne la réforme de l’éducation et du programme d’étude, et je suis 100 % d’accord avec vous; j’ai mentionné que cela devrait commencer, vous savez, par la planification pour obtenir un résultat à long terme. Mes collègues ici présents et moi-même sommes tous d’accord pour dire que ce problème ne peut être réglé en un jour, et qu’il doit être très bien étudié, en consultation, bien entendu, avec tous les acteurs concernés : dans le cas qui nous occupe, la communauté musulmane, les universitaires et, bien sûr, les dirigeants communautaires.

Pour ce qui est de l’éducation et de la formation, je ne crois pas au programme d’étude. Nous faisions beaucoup de formation de sensibilisation, à mon avis, dans les années 1990 avec les agents de police et les forces de l’ordre. J’ai servi en Ontario dans les années 1990 et au début des années 2000, avant le 11 septembre, à London, en Ontario, au sein de la Police provinciale de l’Ontario. Nous avons fait beaucoup de formation de sensibilisation, et j’ai constaté les résultats; cela a changé l’attitude des agents au sein de la police et des centres correctionnels. Je travaillais avec CIC, avec le Service correctionnel du Canada, et nous avons fait beaucoup de formation pour les aumôniers, vous savez, et je vois les résultats. Ces choses ont disparu. Même récemment, l’ancien gouvernement fédéral, je crois, a cessé de financer les aumôneries et les aumôniers. Alors, nous les finançons en fait pour nos communautés musulmanes avec nos moyens modestes, en collectant des dons, en organisant des collectes de fonds et en vendant des billets en vue de pouvoir le faire, parce qu’il s’agit de choses très importantes.

Il y a beaucoup d’islamophobie dans les centres correctionnels. Une grande partie de la population en souffre malheureusement. Ils sont donc déjà en prison et incarcérés, mais ils subissent aussi de l’islamophobie. Malheureusement, lorsqu’ils se tournent vers nous, nous leur répondons simplement : « Désolé, nous ne pouvons pas faire grand-chose ». Cependant, les forces de l’ordre et les enseignants doivent être formés à la gestion des minorités et à la sensibilisation. Il faut apprendre aux gens à connaître les gens. C’est simple et clair : il faut apprendre aux gens à connaître les gens, et c’est vraiment nécessaire. Mais la formation de sensibilisation doit revenir.

Dans le cas des diplomates et des personnes qui vont servir dans des pays musulmans ou qui traitent avec des musulmans, c’est très mauvais. Les gens de l’ARC, les gens du gouvernement qui sont en position d’autorité, vous savez... malheureusement, nous l’avons observé et nous en avons été témoins, je suis sûr que vous l’avez entendu dire dans des déclarations que certains abusent de leur pouvoir et, malheureusement, s’en prennent aux musulmans.

Je dois préciser une chose très importante, et c’est quelque chose que j’ai appris au fil des années en étudiant le problème : une partie de cette haine est importée. Parfois, elle n’est pas canadienne; mais elle vient de l’étranger. Dans certains pays, ils arrivent avec cette haine, vous savez et ils empirent la situation de leurs compatriotes du même pays. Et cela est très courant, alors il ne faut pas tout reprocher aux Canadiens de souche. Une grande partie est aussi importée. Si vous voulez vivre dans ce pays, vous devez apprendre à respecter, à vivre et à laisser vivre, chose qui est très importante, tout comme l’éducation des nouveaux immigrants au sujet du contexte canadien.

Mme Khetty : J’aimerais ajouter quelque chose à cela. Il y a eu beaucoup de progrès au chapitre de la représentation de la diversité. Vous savez, il y a plus de livres dans les écoles. J’ai une nièce de cinq ans, et elle m’a dit que le personnage principal de certains de ses livres porte un foulard. C’est incroyable. Mais je pense que l’une des choses qui ont été vraiment intéressantes lorsque nous avons parlé à la communauté au cours des trois dernières années, c’est que la diversité de la communauté musulmane n’est pas toujours respectée.

Donc, lorsque nous parlons d’éducation, des médias et d’autres domaines, comment pouvons-nous être certains que nous parlons de ce fait? Il y avait certainement des personnes dans notre groupe de témoins et dans beaucoup d’autres qui sont mieux placées pour parler des défis précis et très réels d’une femme portant le hidjab. Les musulmans forment un groupe très diversifié. Ils sont de races différentes. Il y a des musulmans noirs, blancs, arabes et bruns de différentes régions du monde qui parlent de nombreuses langues différentes. Les musulmans ont donc une apparence, un comportement, un langage et des traditions différentes, et je pense qu’il est très difficile de se sentir différent en tant que musulman.

Je vais donner un exemple afin que les gens le comprennent bien. Nous avons parlé à une personne au cours de la campagne Sharing Halal, un jeune homme arabe d’une vingtaine d’années qui passait pour un Blanc, à tous égards, et il a raconté avoir entendu ses amis à l’école parler des musulmans avec lui et faire preuve de discrimination à son endroit parce qu’ils ne réalisaient pas qu’il était musulman. Quand il leur a dit qu’il était musulman, leur réponse a été : « Oui, mais toi, tu es sympa. » Je l’ai moi-même vécu en tant que femme ne portant pas le hidjab, et je suis certaine que c’est le cas de certaines des femmes présentes dans cette salle, qui ont été mises à l’écart en n’étant pas incluses comme musulmanes, et cela crée un sentiment vraiment étrange d’incompréhension de soi, et un sentiment d’altérité parce que vous avez l’impression de ne pas avoir votre place dans la communauté musulmane, de ne pas correspondre aux autres. Je pense donc que dans l’éducation, il faut être clair au sujet de la diversité de l’islam et de la communauté musulmane; c’est quelque chose que nous avons entendu à plusieurs reprises. C’est très important pour les gens.

Le fait d’entendre dans un milieu de travail que les gens pensent que vous êtes trop bien éduqué pour jeûner reflète le fait que je parle peut-être comme je parle et que je ressemble à ce à quoi je ressemble... et c’est tout aussi insultant et islamophobe. Donc, je voulais juste ajouter cet élément. Vous savez, souvent, lorsque nous pensons à l’éducation et la représentation, nous pensons à ces éléments visuels qui causent clairement des problèmes très réels, mais nous devons aller au-delà, surtout lorsque nous pensons à l’éducation des enfants et des agents de police, comme vous l’avez dit, et des enseignants, et cetera.

Mme Bullock : J’apprécie vraiment vos remarques et je vous en remercie. Je voudrais vous faire part du fait que des formations antiracistes sont offertes par des groupes au Canada également; je n’étais pas au courant de la formation australienne, mais je connais une sœur, Shahina Siddiqui, qui, en ce moment, organise une formation antiraciste à Winnipeg, et qui dirige le lancement de quelque chose qui s’appelle l’Institute for Muslim Mental Health, et j’ai, je pense, entendu parler du Conseil canadien des femmes musulmanes, qui organise aussi une formation antiraciste, et du CNMC, qui organise également une formation contre l’islamophobie.

J’avais une amie et collègue qui a probablement témoigné devant vous, Mme Jasmin Zine. Dans les années 1990, elle dispensait dans les écoles une formation sur le racisme antimusulman. Elle a reçu un prix Woodcock ou quelque chose du genre de la part du NPD. D’une certaine manière, nous offrons sans cesse ces formations. Il y a donc quelque chose qui se passe, et je pense que cela correspond à ce dont parlait l’imam Hamid, les nombreuses couches et avenues par lesquelles l’anti-islamophobie se manifeste. Ainsi, vous pouvez enseigner à l’enfant à l’école, mais il rentrera ensuite chez lui, dans sa famille, ou bien il allumera la télévision et verra les musulmans dans les films dans le rôle des méchants.

Une étude a été publiée — peut-être que quelqu’un vous en a parlé il y a quelques mois — concernant la façon dont les différents groupes religieux se considèrent les uns les autres. Et parmi les catholiques, il y avait le plus grand sentiment antimusulman. Selon moi, il s’agit d’un problème très complexe et bien entendu, l’éducation est nécessaire, mais elle ne suffira pas. J’aimerais partager avec vous une étude réalisée par l’Université de Toronto.

Je viens de conclure une série d’entrevues avec des travailleurs de la santé canadiens musulmans. Je leur ai demandé comment ils font face au racisme antimusulman au travail. Quand je suis arrivée, je pensais qu’ils allaient me parler du racisme dont ils étaient victimes de la part de leurs patients, mais malheureusement, la plupart du temps, nous avons parlé du racisme de leurs superviseurs. Il s’agit de médecins, et nous savons tous que pour être admis à l’école de médecine, il faut avoir obtenu, par exemple, 90 %, les notes les plus élevées.

L’Université de Toronto a donc mené une enquête auprès de ses résidents en médecine en 2017, et 47 % d’entre eux ont déclaré avoir été victimes de discrimination ou de harcèlement. Parmi ceux qui ont dit avoir été victimes de discrimination, 60 % étaient visiblement musulmans. Je ne saurais pas nécessairement comment expliquer cela, parce qu’il se passe vraiment quelque chose, mais toutes ces institutions ont des mécanismes de signalement. Le résident en médecine peut aller, théoriquement, aux ressources humaines et déposer une plainte contre son superviseur, mais personne ne veut le faire. Ils sont tous terrifiés. Ils disent : « Si je fais ça, ça va me mettre une cible dans le dos. » « Je vais être, vous savez, désigné comme un fauteur de trouble. » Alors, même si nous mettons en place ces politiques, ça ne fonctionne pas. Je mentionne cela... c’est pour moi une énigme. Je juge cela parfois difficile à comprendre. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Avant de passer au prochain sénateur, imam Slimi, vous avez dit quelque chose qui m’a interpellée. Je ne sais pas si vous avez suivi. Avec mes enfants, nous suivons ce qui se passe à Leicester, en Angleterre, la ville où, après le match de cricket entre l’Inde et le Pakistan, les gens sont devenus fous. Des hommes armés rôdent. Des affrontements ont actuellement lieu, et nous regardons avec inquiétude ce qui se passe là-bas. Comme vous l’avez dit, la haine peut être importée, c’est le cas typique, et nous constatons qu’elle ne tardera pas à faire son chemin jusqu’ici.

C’était juste un match qui a pris une tout autre tournure. Vous savez, des gens dans des restaurants ont été attaqués. C’est en fait une guerre dans la rue entre les hindous et les musulmans, et j’ai reçu des appels, même mes propres enfants m’ont appelée et m’ont dit « Maman, tu regardes ce qui se passe là-bas? » Et j’ai dit « Oui, avec une grande consternation. » Je vous remercie.

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins. C’est très intéressant d’entendre tout le monde, tous les immigrants qui viennent dans notre pays et qui ont une histoire à raconter. Depuis le premier jour, quand les agents d’immigration canadiens de votre pays d’origine vous ont serré la main et vous ont dit « Félicitations, vous allez commencer une nouvelle vie dans un beau pays », vous venez avec de grands espoirs, comme moi. Quand ils disent « Oh, c’est le Canada, c’est beaucoup mieux que le pays où vous vivez maintenant. » Vous savez, vous allez avoir une très belle vie; puis, quand vous arrivez ici, vous commencez à rencontrer tous ces problèmes, et cela nous fait du mal à tous.

Et, autre chose, j’aimerais reprendre ce que le sénateur Arnot disait : le problème est lié aux immigrants, et l’éducation est capitale. Il suffit d’une génération pour changer la mentalité des gens; l’éducation des enfants est donc essentielle pour commencer. Il suffit d’une génération pour changer les idées des gens.

L’autre chose, c’est que je parle toujours à l’ancienne mairesse, Hazel McCallion, à Mississauga. Nous sommes d’accord pour dire à tout immigrant qui vient dans notre pays, s’il vous plaît, laissez votre passé derrière vous, ne le ramenez pas ici. Vous êtes ici pour commencer une nouvelle vie, vivre comme les Canadiens, ici. Tout le monde est égal. Comme vous l’avez dit, beaucoup de haine importée provient de leur pays d’origine. Ils n’étaient pas heureux quand ils ont quitté leur pays, et ils ont apporté les mêmes idées ici et ils ont recommencé ici. Il faut donc laisser tous ces bagages derrière vous, quand vous commencez une nouvelle vie ici.

Il y a une autre chose importante, avec laquelle tout le monde sera probablement d’accord, moi le premier : la liberté d’expression est très importante, mais quand elle est mal utilisée, elle devient terrible et devient un outil pour tuer tout le monde. La liberté d’expression doit être soumise à un certain type de contrôle, car elle peut être bénéfique ou néfaste pour la société, et c’est la liberté d’expression. Les médias sont très dangereux, s’ils veulent envenimer les choses. C’est ce qui fait peur; une grande partie du racisme dirigé contre les musulmans et des crimes haineux, une grande partie de cela, fait l’objet d’une promotion par les médias. Je dirais que les médias n’ont pas rapporté la vérité, mais ce ne sont pas les médias mondiaux qui le font, ce sont les personnes dans les médias.

En tant que politiciens, j’espère qu’un jour nous pourrons imposer certains types de restrictions aux médias. Oui à la liberté d’expression, mais dans le monde occidental, les médias et l’expression obéissent à deux normes différentes, et cela dépend de quel côté va votre discours : gauche ou droite. On a dit de moi que j’étais à gauche, à droite et au centre. Je dirais donc que les médias jouent un rôle important. Donc, quelles sont les choses les plus importantes que vous voudriez que nous mettions dans le rapport que nous élaborons qui, selon vous, permettront de lutter contre l’islamophobie, le racisme et les crimes haineux? Quelles sont les choses les plus importantes que nous devons faire? Merci.

M. Slimi : Nous ne vous demanderions pas de faire des choses que vous ne pouvez pas faire. Vous êtes des législateurs; la première chose est donc la loi. Il faut travailler là-dessus. Nous avons une Charte des droits et libertés. Nous en sommes fiers. Il faut implicitement garantir dans la Charte les droits de vivre dans la dignité en tant qu’être humain. Nous n’avons pas besoin d’être des génies pour comprendre ce qu’est la dignité. La dignité signifie qu’aucune forme de racisme ne doit être tolérée, mais le mot « tolérance » est très vague et ambigu. Il faut parler des mesures.

Je n’ai pas à être précis, mais il y a eu des précédents, où nous avons traité de problèmes qui, selon nous, pouvaient avoir des conséquences terribles. Par exemple, l’utilisation du mot vaccin; nous croyons, nous tous, à la prévention. Je pense que les deux autres témoins ont mentionné que cela pourrait avoir des conséquences, et je pense, monsieur le sénateur, que vous l’avez dit en ce qui concerne les enfants, et si je ne m’abuse Mme Bullock a également mentionné les conséquences sur le développement des enfants. Le mot « développement » est donc essentiel ici.

Vous avez également dit que, en développant nos idées, nous évoluons. Je dois l’admettre, je suis un immigrant, mais je suis arrivé jeune. Je suis venu au Canada par choix. J’étais aux États-Unis, mais je me sens bien ici, nous sommes restés ici, et un grand nombre de mes idées ont évolué. Là d’où je viens, nous évoluons. C’est le développement. Nous changeons.

J’aime toujours donner un bel exemple à ma communauté, et c’est un très bon exemple, pour les gens qui ne sont pas tolérants. Je dis, écoutez, le Canada, c’est comme un centre commercial. Une personne vend de la nourriture halal, et une autre de la nourriture cascher, et nous, les musulmans, nous ne consommons pas d’alcool ni de porc, ce que le voisin d’à côté vend. Nous apprenons à respecter ce qui se trouve dans un centre commercial ou une aire de restauration, même si nous ne consommons pas ce qui s’y vend. Je dois faire preuve de respect, et je ne peux pas aller chez vos clients et imposer ma nourriture halal. De même, vous ne pouvez pas imposer vos produits du porc et votre alcool à mes clients. Je ne peux pas aller essayer de convaincre vos clients de venir dans mon magasin. J’apprends à vivre dans un environnement où nous sommes tous protégés par les mêmes lois. Ces lois doivent être très détaillées.

En ce qui concerne la loi, il faut investir davantage dans la prévention, et pas seulement dans les lois visant à sanctionner quelqu’un qui commet un crime. Nous avons la common law; nous n’avons pas de droit codifié. Mais il faut comprendre qu’il y a assez de précédents pour voir et en quelque sorte utiliser tous ces éléments. À moins que nous ayons des lois strictes... il n’est pas nécessaire, vous savez, d’avoir un État policier, mais au nom de la dignité et du respect, il faut traduire ces notions et ces concepts selon lesquels vous ne pouvez pas vous moquer d’un Noir, d’un Chinois ou d’une personne de couleur; les mots ont des conséquences, y compris dans l’industrie du cinéma et les films.

Selon moi, le CRTC doit travailler davantage; il doit être plus important... je retourne, et j’entends les enfants parler à l’école. Je vais vous donner un exemple, mais je ne veux pas prendre trop de temps. Les enfants reviennent de l’école et disent qu’ils ont regardé une émission, puis que les enfants se sont moqués d’un autre enfant parce qu’une fille portait un hidjab. Elle portait un hidjab, et ils se sont moqués d’elle. Un jour, c’était il y a longtemps, en 2012, ma fille est rentrée à la maison et a dit qu’on disait aux enfants de ne pas parler à ceux qui disent as-salaam alaikum, parce que ce sont des terroristes. Où cet enfant a-t-il appris cela? Nous avons découvert qu’il l’a appris de la télévision : un homme a dit as-salaam alaikum, et a ensuite commis un acte terroriste quelque part aux États-Unis. Ces films et ces émissions ne doivent pas avoir de place au Canada. Nous avons suffisamment d’idées pour divertir plutôt que d’utiliser quelqu’un d’un autre groupe ethnique.

En ce qui concerne la loi, voilà ce que vous pouvez faire. Il y a des choses, bien sûr; nous savons que les ressources sont limitées, mais on doit revoir la loi. Il faut remanier certaines lois, les rendre plus exhaustives, au nom de la dignité et de ces valeurs dont nous sommes fiers. Nous aimons le Canada, et au bout du compte, comme l’a dit Mme Khetty, il y a plus de choses positives que négatives, mais la façon dont les choses se passent, la façon dont les jeunes pensent et leur santé mentale ne sont pas prometteuses, et la COVID n’a fait qu’empirer les choses. Mais la loi est très importante. Merci.

Le sénateur Oh : J’aimerais simplement ajouter que vous avez mentionné Hollywood. Hollywood est l’une des pires formes de propagande du pouvoir de convaincre.

M. Slimi : Oui.

Le sénateur Oh : Il faut se rappeler... Avez-vous déjà vu un film d’Hollywood qui dit quoi que ce soit de mauvais sur G.I. Joe? Je dis qu’Hollywood est la pire propagande. Hollywood représentera tous les gens de couleur comme des personnes qu’elles ne sont pas. Merci.

Mme Khetty : Comme je l’ai expliqué dans le mémoire écrit plus détaillé que j’ai fourni, tout d’abord, merci de poser la question, parce qu’elle me donne l’occasion de parler davantage de l’évaluation, une chose que j’adore. Puisque je n'en connais pas autant que l’imam Hamid, ici, sur le pouvoir du comité, je dirai que l’évaluation est une chose dont nous avons vraiment besoin en tant que communauté... que ce soit en tant que corps législatif, etc.

Ce que je veux dire par là, c’est que, d’abord, il faut comprendre de manière plus cohérente où sont les musulmans, qui ils sont, etc. Le recensement sur les « convictions religieuses » évalue la religion et il se tient tous les 10 ans. Si l’on pense à la période de 2011 à 2022 et à l’évolution de la population musulmane, une grande partie de notre immigration provient de pays à majorité musulmane. Au cours de cette période, les réfugiés syriens sont venus au Canada; près de 40 000 personnes ont changé le paysage, et ont été placées dans des régions et dans des collectivités qui n’étaient pas nécessairement musulmanes au départ.

De nombreux réfugiés syriens ont fini par s’installer au Canada atlantique, par exemple, dans des collectivités qui n’étaient pas préparées pour cela, du point de vue de l’éducation et de la diversité, et, par conséquent, ils ont rencontré beaucoup de difficultés. D’abord, évaluer de manière plus cohérente où se trouvent les musulmans et qui ils sont nous permettra de fournir des informations factuelles à l’ensemble des Canadiens.

Ensuite, en ce qui concerne l’évaluation de l’islamophobie, je ne peux pas vous dire combien de ces conversations ont lieu à huis clos. Les gens parlent à leur imam de ces expériences, et ils n’en parlent pas à leurs collègues non musulmans. Je dirais que, pour les Canadiens de première génération — et j’en ai fait l’expérience dans ma propre famille, mais aussi dans mon travail dans l’industrie à Zabiha Halal, nous parlons du thyra traditionnel ou du thyher traditionnel, c’est le genre de chose dont nous parlons —, ils se sentent privilégiés d’être au Canada, ce qui leur permet de tolérer beaucoup de choses. Ils sont susceptibles de ressembler à des musulmans d’une manière ou d’une autre, et ils tolèrent beaucoup de choses parce qu’ils considèrent qu’ils sont privilégiés d’avoir été autorisés à immigrer ici, et ils ne parleront pas d’islamophobie. Dans de nombreux cas, ils ne le remarqueront même pas, c’est à ce deuxième groupe d’en parler, mais on en parle toujours en vase clos.

Comment donc donner aux musulmans la possibilité de dire, par exemple, combien de fois par semaine ou par mois ils sont victimes d’islamophobie, et dans quelle mesure? Que ce soit un commentaire comme « Vous ne pouvez même pas boire d’eau, cela semble barbare », ou une situation où une possibilité d’emploi vous a échappé et que cela a des répercussions sur votre vie économique ou sur votre capacité de participer à certains groupes. Je ne sais pas comment faire.

Enfin, la dernière chose concerne le sentiment et je pense qu’il faut davantage d’études sur ce que les Canadiens ressentent à l’égard des musulmans et pourquoi, ce qui motive cette attitude, sur le plan tant quantitatif que qualitatif. La réalité, c’est que nous nous devons d’offrir aux gens qui ont ces opinions négatives sur les musulmans, selon moi, l’éducation, les connaissances et les informations qu’elles ne reçoivent peut-être pas chez eux et dans leur collectivité.

Mme Bullock : Sénateur Oh, vous avez demandé — et j’apprécie vos commentaires — quelles sont les choses les plus importantes à mettre dans votre rapport, et je pense en avoir six.

La première chose, c’est que vous pouvez utiliser votre fonction pour diriger. Il est très important que les dirigeants politiques définissent la vision; ensuite, la population peut suivre. Il importe d’avoir un comité à ce niveau qui confirmerait que l’islamophobie existe et qu’elle est réelle; il y a beaucoup de discours où on le nie; des discours comme « au Canada, nous sommes tolérants, nous sommes multiculturels, il n’y a pas de racisme ici ». Une chose simple comme « Nous avons découvert que l’islamophobie existe et qu’elle est réelle » aurait des répercussions très importantes et très significatives.

Ensuite, la deuxième partie de votre travail concerne le leadership et la capacité de dire « nous ne sommes pas d’accord avec cela. Nous pensons que l’islamophobie ne devrait pas exister et nous voulons travailler à ce qu’elle disparaisse », grâce à tous ces moyens dont vous avez parlé, c’est-à-dire l’éducation, la dignité et le respect. En soi, je pense que c’est là une étape très significative et importante.

La deuxième chose, c’est d’encourager le discours. Je me souviens, dans les années 1990, quand il y a eu un mouvement contre le hidjab; cela a commencé au Québec et s’est ensuite répandu. Le Toronto Star ou le Globe and Mail ont lancé une campagne appelée « Mon Canada inclut le hidjab ». Ce genre de choses ont donc été faites, mais nous pouvons continuer de les faire : « mon Canada inclut le hidjab » ou « mon Canada inclut un imam avec une longue barbe », ou quelque chose du genre. Ce sont des choses très importantes, symboliques, qui peuvent inspirer les gens et qui donnent une vision.

En ce qui concerne la loi, vous êtes des sénateurs, mais vous pouvez faire en sorte que les crimes haineux soient reconnus comme des crimes à part entière, au lieu de laisser les gens en faire abstraction comme aujourd’hui; c’est juste une circonstance aggravante dans un crime déjà répertorié. Je suis certaine que le CNMC vous a déjà abordés à ce sujet, mais c’est une chose qu’il faut envisager. Et vous pouvez utiliser votre fonction pour encourager les municipalités. Il faut une sorte de responsabilisation pour le harcèlement de rue. Si quelqu’un crache sur moi ou me lance des œufs ou m’envoie un courrier haineux, je vais le signaler. Je suis allée au service de police régional de Peel et nous avions eu une discussion à ce sujet, mais que vont-ils faire? Ce sera seulement consigné comme une statistique d’incident de haine. Il faut mettre quelque chose en place, et c’est là que l’essentiel de l’expérience se passe. Si vous pouviez donc encourager les municipalités à envisager de mettre en place des règlements concernant le harcèlement de rue, cela aiderait les gens à sentir qu’ils peuvent en parler à la police, et qu’une mesure sera prise à cet égard.

Enfin, le financement. Nous avons parlé du financement, et je l’ai mentionné dans ma proposition de financement. Croyez-le ou non, il y a très peu de psychiatres musulmans, et rares sont ceux qui sauraient diagnostiquer et reconnaître les effets d’un événement raciste antimusulman sur une personne qui en souffre. C’est un domaine très très nouveau, et il serait donc très utile de le financer pour l’appuyer, au même titre que les formations antiracistes que vous avez mentionnées.

J’aimerais de nouveau souligner quelque chose. Je n’ai pas la solution, mais il faut comprendre ces institutions qui ont des politiques de ressources humaines où on peut aller dénoncer son superviseur, mais où, ensuite, on sait qu’on sera pris pour cible par son superviseur pour l’avoir fait. Cela signifie que quelque chose ne va pas dans la mise en place de ce genre de politiques de lutte au racisme et de ressources humaines. Je ne connais pas la solution, mais on ne peut pas supposer que, simplement parce que la politique est mise en place, cela signifie que les choses ont été réglées. Je termine donc par un problème dont je n’ai pas la solution. Merci.

La sénatrice Gerba : Merci. Je céderai la parole à Mme Khetty pour qu’elle poursuive, car j’ai vraiment aimé ce qu’elle a dit au sujet de la communication, de la sensibilité et du fait d’avoir un ambassadeur concernant l’islamophobie. Je pourrais peut-être vous donner la parole pour que vous puissiez en dire davantage sur la façon de sensibiliser, d’informer et de documenter tous ces crimes et sur ce que nous pouvons faire avec le CRTC, entre autres, et ce que nous pouvons faire pour éduquer les gens sur les gens, parce que nous sommes un pays d’immigration. Le seul peuple qui appartient à ce pays sont les Premières Nations et les Autochtones. Nous faisons partie de ces gens, nous sommes tous immigrants, mais nous devons apprendre à vivre ensemble et à accepter la diversité.

[Français]

En français, on dit que ce n’est pas l’habit qui fait le moine, mais que c’est par l’habit qu’on reconnaît le moine.

C’est important de porter son habit, c’est important de garder sa personnalité et c’est important de choisir, parce qu’on est dans un pays libre, un pays de droit. J’aimerais vraiment vous entendre un peu plus sur la façon de faire pour passer ce message de tolérance, ce message d’acceptation de la diversité qui nous caractérise au Canada.

[Traduction]

Mme Khetty : Je ne veux pas dire que ce sont des questions simples, mais il y en a une, comme je l’ai dit au sujet de l’évaluation... il faut donner une tribune aux gens pour qu’ils en parlent de manière plus publique. Nous avons ici une tribune publique, mais il n’y a pas beaucoup de personnes dans la pièce. Comment peut-on s’assurer que ces expériences qui suscitent l’empathie chez les gens et qui les aident à se comprendre les uns les autres sont diffusées plus régulièrement?

Mme Bullock a parlé de la haine dans certains groupes religieux qui éprouvent plus de haine envers les musulmans. Comment peut-on créer davantage de programmes où les gens vont dans des mosquées, et les musulmans vont dans des églises, ce qui permettra d’avoir plus d’échanges entre nos collectivités? Cela se fait aujourd’hui au niveau de l’imam et du pasteur, mais il faut que cela se passe plus régulièrement au niveau de la collectivité.

Je ne sais vraiment pas si j’ai toute la liste des solutions, mais je pense que l’idée de pouvoir évaluer à quoi ressemblent ces collectivités, puis de les évaluer et de préciser ce que ressentent leurs membres nous aidera à déterminer où nous devons commencer en rassemblant les gens et en les aidant à mieux comprendre. Les données pourront nous indiquer à quoi ressemble cette carte, et les lieux où il y a vraiment beaucoup de diversité, mais la diversité n’est pas synonyme de compréhension, n’est-ce pas? Il y a de la diversité, mais il y a aussi un manque de compréhension, et on peut combler ce fossé. Je veux être brève, mais je vais en rester là.

[Français]

M. Slimi : Je vais vous répondre un petit peu concernant ce sujet-là.

Dans mon allocution, j’ai mentionné qu’il faut éduquer les gens à tous les niveaux, mais je dois me concentrer sur les politiciens. Ce n’est pas toujours de haine ou d’ignorance qu’il s’agit. Il y a ce qu’on appelle les manipulations politiques. Il y a des partis qui, vraiment, ont des expressions, des paroles qui haussent ce danger à un niveau vraiment intolérable.

Par exemple, il y a des personnes qui, dans leurs paroles, que ce soit d’une façon privée ou publique, disent quelque chose et font des commentaires, par exemple, des remarques.

Au Québec, par exemple, il y a le sujet du voile qui a été manipulé par les politiciens. Maintenant, pour avoir beaucoup de votes et engager beaucoup pour le vote — enfin, il faut voter pour avoir ce pouvoir— et malheureusement, ils utilisent cette haine.

Les gens, vraiment, sont manipulés. Ce n’est pas forcément qu’ils sont contre l’islam ou les musulmans, ou contre un groupe ethnique en particulier, mais c’est de la manipulation politique.

La question, là — c’est pour cela que moi je crois que le Sénat a le pouvoir d’entamer quelque chose pour le futur —, c’est d’engager les politiciens dans cette éducation et même d’avoir des lois pour ce jeu politique. Il faut être conscient de ce danger qui va aboutir, malheureusement, à la création d’une société qui est intolérante; cela, c’est la manipulation politique.

En plus, je l’ai déjà mentionné, il faut éduquer les gens à tous les niveaux, et surtout ceux qui travaillent pour le gouvernement et qui ont l’autorité. Les gens, comme on l’a mentionné auparavant, ne veulent pas être rapportés parce qu’ils ont cette crainte, et c’est importé aussi avec les immigrants. Il y a toujours la crainte du pouvoir.

Par exemple, ici, vous pouvez déposer une plainte contre un policier. Là, on ne peut pas —, dans les pays d’où beaucoup d’immigrants viennent, on ne peut pas faire cela; un policier est presque un dieu dans certains pays; il a beaucoup de pouvoir. C’est la même chose pour un politicien, il a le pouvoir. Un politicien a beaucoup de pouvoir, on ne peut pas — comme un sénateur ou un représentant du gouvernement.

Là, on doit protéger, et même éduquer ceux qui souffrent de l’islamophobie ou du racisme en général. Vous en avez le pouvoir, mais ce pouvoir provient d’où? De la loi. La loi vous protège. Ce n’est pas juste la Charte canadienne des droits et libertés, mais le droit, ce droit doit être expliqué, et d’une façon très simple, parce que beaucoup de gens n’ont pas l’éducation du sénateur ou bien du professeur d’université.

Ils doivent être éduqués au sujet de leurs droits.

[Traduction]

Les gens qui viennent en tant qu’immigrants pourraient ne pas être aussi instruits que les politiciens ou les enseignants, et ils doivent savoir qu’ils ont le droit de s’opposer à un agent de police ou à un politicien.

[Français]

C’est vraiment une façon brève de vous répondre. Merci bien.

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup. Si j’ai encore 30 secondes, j’aimerais, Madame Bullock, vraiment vous remercier pour votre témoignage et pour votre courage. Je voulais juste vous entendre au sujet de votre vie d’aujourd’hui.

[Traduction]

Votre vie est-elle différente aujourd’hui? Et comment pouvez-vous expliquer ces différences?

[Français]

Mme Bullock : Je voudrais parler en français, mais je ne suis pas sûre que je le peux.

[Traduction]

Vous me demandez en quoi, après ma conversion, ma vie était différente? Tout d’abord, j’étais athée et je suis maintenant croyante, et cela fait une immense différence dans ma vie, parce que je sens que j’ai une orientation spirituelle et un soutien. Je me sens soutenue par mon lien spirituel avec un être supérieur qui me donne confiance dans ma vie et m’aide à surmonter les difficultés; je suis donc très heureuse d’être une croyante.

Après avoir adopté le voile, j’ai subi beaucoup de discrimination, mais c’était très subtil. Je n’ai été victime d’aucun type d’attaque physique ni d’agression physique, heureusement, mais j’ai subi le harcèlement de rue, j’ai reçu des courriers haineux dont j’ai parlé. Je suis pas mal sûre que j’ai été victime de discrimination dans ma recherche d’emploi. C’est une chose très difficile à prouver, n’est-ce pas? Et je ressens ce sentiment de « Je veux sentir que je fais partie du Canada », mais on est mis à l’écart par les gens méchants, et parfois, juste le regard suffit. Je suis certaine que vous savez cela. On vous regarde fixement, et vous pouvez sentir la haine dans le regard, et c’est dévastateur, et vous avez l’impression de ne pas avoir votre place ici, et vous vous inquiétez pour vos enfants, mais c’est la vie.

[Français]

Merci beaucoup pour votre question.

La sénatrice Gerba : Merci à vous d’être là.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. Vous avez dit avoir senti la haine dans leur regard, et je crois que nous avons entendu quelques témoignages très pénibles de jeunes musulmanes noires de l’Alberta. Nous découvrons que porter le hidjab est difficile, mais si vous êtes noire et que vous portez le hidjab, votre expérience est extrêmement difficile.

Je voulais poser deux ou trois questions, si vous pouviez me donner des réponses courtes. Madame Khetty, je me rappelle que j’étais très heureuse — surtout mes enfants — quand Zabiha a lancé des aliments halals. Comment s’est développée l’entreprise? Je sais qu’il y a un centre commercial à Toronto, et je suis allée dans l’aire de restauration et j’ai posé la question, et ils m’ont dit que toute la nourriture qu’ils servent dans cette aire de restauration est entièrement halale. Nous n’en faisons pas la publicité, mais tout est halal, car la clientèle est principalement musulmane. Pourriez-vous m’en parler très brièvement? Comment est la croissance?

Mme Khetty : Oui, la croissance a été extrêmement importante. Encore une fois, la communauté est en croissance, et l’une de nos études a révélé que, quand nous demandons aux musulmans canadiens quelles sont les activités auxquelles ils participent — les activités liées à l’islam : prier, lire le Coran, donner l’aumône, etc. — manger halal est arrivé en tête des activités les plus unificatrices pour les musulmans canadiens. Cela faisait partie de la raison pour laquelle nous savions que nous devions en faire plus, parce que nous faisons partie de la vie quotidienne des musulmans canadiens, et l’on parle beaucoup des repas. Vous avez demandé plus tôt, que pouvons-nous faire? Les repas sont un excellent moyen de partager. La nourriture est un excellent moyen de partager, et nous avons pu le constater; réunir les gens autour d’un repas permet d’entamer une conversation, et une conversation significative, une conversation personnelle; partager votre nourriture fait partie du partage de votre culture et de votre identité.

Oui, il est certain que la croissance est importante, et avec cette croissance du besoin d’aliments halals, nous avons également constaté la croissance d’un autre sentiment, ce que j’appelle le fait d’éviter le halal, chez des gens qui disent « Je ne mangerai pas halal » : cette réaction vient d’un sentiment raciste. On entend dire des choses comme cela finance le terrorisme, etc. Nous avons également constaté une augmentation du nombre de cas où simplement en proposant de la nourriture halale, nous avons été davantage visés par la haine.

La présidente : Merci. Les études sont-elles accessibles au public? Sinon, pourriez-vous, s’il vous plaît, les communiquer au comité?

Mme Khetty : Oui, je peux assurément communiquer les études de 2016 et de 2019.

La présidente : Merci. Imam Slimi, la question que je vous pose est — et vous l’avez brièvement abordée — ... les gens viennent vous voir et vous parlent d’incidents de racisme qu’ils ont personnellement vécus. J’ai toujours dit depuis que nous avons commencé cette étude que, quand nous examinons le pourcentage, et il atteint 77 %, ce ne sont pas les vrais chiffres. Les chiffres sont beaucoup plus élevés. Et nous en avons vu un exemple au Québec où l’une des filles du père avait été victime d’un incident; il voulait aller à l’école, et son épouse lui a dit : « Non, non. N’y va pas. » Êtes-vous d’accord pour dire que le nombre d’incidents est beaucoup plus élevé que ce qui est rapporté?

M. Slimi : Je suis d’accord à 100 %. J’ai personnellement vécu cela, et je débattais avec mon épouse du fait de savoir si nous devions soulever cette question. Encore une fois, il y a la crainte que mes enfants, ou mon enfant, soient pris pour cibles et, bien sûr, à l’école secondaire, généralement, c’est la 11e et la 12e année qui affectent votre parcours universitaire. C’est en fait vrai.

Nous savons que les musulmans sont par nature conservateurs. La majorité des musulmans proviennent de différents pays conservateurs; vous lâchez prise, vous pardonnez et vous vous en remettez à Allah, et Allah vous guidera. C’est l’attitude adoptée. Ce n’est pas comme une attitude militante. Il y en a très peu; les nouvelles générations, les gens qui sont nés ici comme Mme Khetty, et ceux qui sont de la première génération, ils s’expriment.

Bon nombre d’entre nous, y compris moi-même, sommes arrivés jeunes. Néanmoins, je pense parfois que cela n’en vaut pas la peine. Et je vous dis simplement la vérité. C’est ce qu’il en est, parce que vous ne voulez pas que votre enfant se concentre là-dessus, et vous ne voulez pas personnellement en payer le prix, donc de nombreuses personnes ne veulent pas en parler de crainte d’être prises pour cibles. Un grand nombre d’incidents n’ont pas été signalés. Nous avons même tenté d’encourager les gens à les signaler. Ils disent : « Non, c’est bon. C’est bon. » Voilà ce qu’il en est. C’est vrai, oui.

La présidente : Nous avons entendu parler d’un cas au Québec, encore une fois, où la mère faisait la queue à l’épicerie avec ses trois filles, et elle a été victime d’un véritable excès de haine. Elle a appelé la police et elle a dit que la police a parlé pendant 45 minutes, puis a fini par donner une contravention à l’autre dame et à elle. Très brièvement, imam, vous avez parlé de l’excellente relation que vous entreteniez avec la police, de la manière dont vous lui parliez et dont vous ouvriez des voies de communication, mais cela a-t-il cessé?

M. Slimi : Non, dans la région de Peel, c’est excellent. En fait, je fais partie du MAC, qui est le comité consultatif musulman, avec le chef. Tous les chefs, les chefs précédents et les chefs actuels, ont été fantastiques. J’ai également participé aux travaux de Toronto. D’après mon expérience de l’Ontario, nous avions une relation merveilleuse, même avec la police provinciale de l’Ontario et la GRC. Ce n’est plus ce que c’était. Ils étaient plus actifs, mais la police locale, la police régionale de Peel et le service de police de Toronto ont été fantastiques. Nous avons des aumôniers musulmans, nous avons des formations de sensibilisation. Avec la COVID, les choses se sont passées un peu plus en ligne, mais il y a une bonne communication, et ils se sont améliorés. Ils ont même engagé des conseillers musulmans.

J’ai une brève remarque concernant la première question : très souvent, les mères ou les pères amènent leurs enfants. Récemment, samedi passé, j’étais dans la communauté pour un programme, et j’ai ouvert le bal pour les questions, et une fille, une femme membre, était hésitante et j’ai dit s’il vous plaît et je l’ai mise à l’aise. Elle a levé la main. Elle a dit : « Quelqu’un a arraché mon hidjab », à Brampton, en Ontario, et j’ai dit : « Qu’avez-vous fait? » « Oh, je ne voulais pas en parler. J’en ai parlé à ma mère. » J’ai répondu : « Vous devez aller à l’école et en parler au directeur. »

Donc, ce sont certaines choses que nous faisons. Nous encourageons notre communauté. « Oh, ce n’est pas grave. » Non, c’est en fait très grave. Vous allez voir le directeur, et si le directeur ne fait rien, allez voir la commission scolaire. Abordez ces questions et parlez-en. Et malheureusement, de nombreux musulmans ne veulent pas signaler ces choses. Nous devons apprendre à nos musulmans à les signaler.

Mais comme Mme Bullock l’a mentionné plus tôt, lorsque vous les signalez, ce ne sont que des statistiques. Il doit y avoir plus de suivi. Il doit y avoir du personnel qui a la tâche spécifique de vous appeler, de faire le suivi et de vous informer. Quels sont les progrès? Que font-ils? Le simple fait d’appeler et d’assurer un suivi signifie qu’ils se soucient du problème. Mais si nous nous contentons de signaler les cas et que rien ne se passe, malheureusement, je ne pense pas que les gens seront encouragés à signaler. Je vous remercie.

La présidente : Autre chose, imam; je vous ai demandé quelque chose hier dans une conversation privée. Nous étions à l’Islamic Society of North America hier. Ils ont d’énormes congrégations, tout comme la Khadija, et j’y suis allée à plusieurs reprises, et j’ai vu la taille de la congrégation. Ils disaient que dans la région du Grand Toronto (GRT), il y a environ 600 000 musulmans. Est-ce que vous pensez que c’est le nombre de musulmans qu’il y a, 600 000? Est-ce plus, ou moins? Chaque fois que nous allons au MuslimFest ou à un autre rassemblement, nous voyons les chiffres, mais je voulais juste savoir…

M. Slimi : Selon le Conseil canadien des imams, nous utilisons différentes méthodes de calcul, car, comme vous le savez, comme dans toutes les communautés, ce ne sont pas tous les musulmans qui vont à la mosquée. Mais si l’on se fonde sur l’Aïd et différents événements, nous estimons que, dans la RGT, disons d’Oshawa à Hamilton, il n’y a pas moins de 700 000 à 750 000 personnes. Beaucoup de musulmans ne sont pas pratiquants, mais ils ne font pas moins partie de l’Islam.

Mais il y a plus. Leur nombre a connu une croissance importante, notamment en raison de la migration. Beaucoup de gens sont venus pour l’éducation, mais aussi parce que le Canada est toujours, dans le monde d’aujourd’hui, l’un des meilleurs endroits où immigrer, et la RGT en particulier. Malgré ce que nous avons entendu aujourd’hui, le Canada se démarque toujours beaucoup des autres pays. Merci.

La présidente : Et je suis d’accord avec vous pour dire qu’il s’agit probablement d’un chiffre supérieur à 750 000, car j’ai personnellement beaucoup d’amis qui, pour les prières de l’Aïd, restent à la maison et font les prières de l’Aïd chez eux, au lieu de sortir. Donc, merci, imam.

Madame Bullock, le problème auquel nous sommes confrontés depuis notre première audience publique à Vancouver, c’est que lorsque nous avons commencé l’étude, nous l’avons appelée une étude sur l’islamophobie. Je trouve maintenant que ce mot n’est pas le bon, car phobie signifie la peur de quelque chose ou quelqu’un. Nous savons donc que les gens ont peur des musulmans, mais cela ne tient absolument pas compte des répercussions de cette peur sur la communauté, sur les musulmans, ni de la haine que nous observons, des agressions physiques et verbales. Nous nous demandons donc maintenant comment appeler cette étude. Haine antimusulmane? Racisme antimusulman? J’aimerais avoir votre avis sur la question.

En ce qui concerne les statistiques et les chiffres que nous voyons, je pense que celui que nous avons entendu hier était lié aux incidents haineux, et les chiffres au Canada sont beaucoup plus élevés qu’aux États-Unis. Ce qui m’a poussée à faire cette étude, c’est que j’ai découvert que plus de musulmans sont morts au Canada que dans n’importe quel autre pays du G7, et il y a une étude au Royaume-Uni qui indique que le Canada devient un endroit difficile pour les musulmans. Pouvez-vous aborder ces questions? Merci.

Mme Bullock : Merci, sénatrice, et merci d’avoir organisé ce comité et cette étude. C’est incroyablement important, et nous vous en sommes reconnaissants.

Pour la première question, il y a un débat dans les milieux universitaires sur ce sujet précis — le racisme antimusulman ou l’islamophobie — et je vais essayer de vous donner un bref aperçu des deux côtés. Le côté qui préfère parler de racisme antimusulman affirme qu’il ne s’agit pas d’une phobie, car une phobie est une peur psychologique, mais qu’il s’agit d’une haine délibérée et du fait de cibler autrui. Une phobie est censée être quelque chose d’irrationnel, alors que ce n’est pas irrationnel, c’est ciblé.

Ceux qui à droite critiquent le terme islamophobie disent : « Il n’est pas irrationnel que j’aie peur des musulmans, car ce sont eux qui commettent des actes terroristes. » Je pense que, ayant moi-même fait l’expérience de la haine — et maintenant je suis un peu paranoïaque à l’idée de sortir et de rencontrer des personnes blanches, parce que je me demande si ces personnes ne seront pas racistes à mon égard — j’ai un aperçu de la raison pour laquelle les gens considèrent les musulmans de cette façon.

L’islamophobie, de ce point de vue, soulève trop de contre-arguments qui détournent l’attention de la question en jeu, et cette question est la discrimination et la haine envers un groupe particulier et l’exclusion. Ceux qui préfèrent le terme « islamophobie » affirment qu’une personne racisée peut être prise à tort pour un musulman et attaquée, et que si l’on supprime la partie « islam », on supprime le lien avec la foi qui existe dans l’esprit de l’agresseur. Ils préfèrent le terme « islamophobie » car il établit un lien entre la personne racisée et la religion.

Je préfère utiliser le terme racisme antimusulman en raison de ce que j’ai dit précédemment sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une phobie. Je ne pense pas qu’il s’agisse de quelque chose d’irrationnel. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une maladie mentale chez l’auteur de l’acte. L’agoraphobie peut être diagnostiquée, mais il n’existe pas d’outil de diagnostic de l’islamophobie. Je pense que le racisme antimusulman est un acte de haine de la part de son auteur et c’est donc le terme que j’utilise. Mais si vous parlez à la professeure Jasmin Zine, elle vous dira tout le contraire. Elle vous dira qu’il faut faire le lien avec la foi. L’islamophobie précède le colonialisme. Elle remonte jusqu’au VIIe siècle. Ce n’est pas une affaire qui date du 11 septembre. Elle et moi aurons un désaccord, puis nous utiliserons chacune notre terme, et ce sera ensuite à votre comité de décider. Vous pouvez avoir ce débat sur le terme que vous préférez.

Mais j’ai un document d’information que j’ai écrit et qui résume les différentes positions. Si cela peut vous être utile, je peux vous l’envoyer.

La présidente : Nous l’apprécierions vraiment. Au Sénat, nous trouvons un moyen de parvenir à un consensus et de nous débrouiller en quelque sorte. Ici, je regarde les analystes. Nous essayons d’utiliser les deux mots : islamophobie et antimusulman. Nous sommes aux prises avec cela. Nous avons encore quelques mois devant nous, mais nous serions très heureux si vous pouviez nous communiquer ce document.

M. Slimi : Je ne sais pas si vous étiez à la commission de l’ONU sur l’islamophobie. Je vais vous envoyer mon billet d’une page. Je suis d’accord, mais je ne parlerais pas de racisme, car le racisme est lié aux races. Dans mon document, j’appelle cela un comportement antimusulman. C’est un comportement plus général, qui n’est pas nécessairement lié à la race.

Et il est vrai comme l’a dit Mme Bullock que parfois, les gens sont contre vous parce que vous avez l’air différent et pas nécessairement musulman. Ils feront la même chose contre une personne de confession hindoue ou sikhe. C’est pourquoi j’appelle cela antimusulman, plus précisément l’acte : attaquer une mosquée est un comportement antimusulman. Je n’aime pas le mot islamophobie, mais il a été adopté par convention parce qu’une phobie est un état mental. Je n’aime pas ce mot, parce que dans les attaques contre la mosquée, la fusillade de Québec, je ne pense pas que l’homme avait une phobie. Il y est allé et a tué. C’est un comportement antimusulman. Ce comportement peut inclure le racisme, l’abus de la liberté d’expression, les insultes, les réprimandes ou le fait d’arracher le hidjab d’une personne. Le comportement comprend un large éventail d’actes. Je suis personnellement plus enclin à utiliser comportement antimusulman et pas seulement racisme, car le racisme concerne spécifiquement la race. Cependant, je vous enverrai ma communication aujourd’hui. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Comme vous pouvez le constater, il y a beaucoup d’intérêt, et nous aurions pu continuer pendant une autre demi-heure, mais nous sommes limités par le temps. Je tiens à remercier tous les témoins d’avoir pris le temps de venir nous faire part de leurs observations. Cela nous aidera beaucoup lorsque nous serons prêts à rédiger le rapport. Et si vous estimez qu’il y a un point que vous avez manqué ou quelque chose que vous auriez dû dire, n’hésitez pas à nous en faire part par écrit.

Honorables sénateurs, j’aimerais maintenant présenter notre deuxième groupe de témoins. On leur a demandé de faire une déclaration préliminaire de cinq minutes, après quoi les sénateurs leur poseront des questions. Nous avions plus de personnes dans le groupe mais, malheureusement, deux de nos témoins sont tombés malades. Je pense que l’un d’entre eux a été exposé à la COVID, et l’autre est malade. Ils ont donc décidé de ne pas se présenter et je leur en suis reconnaissante. Nous allons donc entendre Shabnees Siwjee de l’Islamic Shia Ithna-Asheri Jamaat de Toronto. Je vous demande de présenter vos observations, qui seront suivies de questions des sénateurs.

Shabnees Siwjee, directrice par mandat spécial, Islamic Shia Ithna Asheri Jamaat de Toronto : Merci beaucoup. Au nom de Dieu, le plus bienfaisant et le plus miséricordieux, je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer dans le cadre de la présente audience publique. Je suis ici au nom de l’Islamic Shia Ithna-Asheri Jamaat, ou ISIJ, de Toronto. L’ISIJ de Toronto est une organisation caritative composée d’une communauté diversifiée de plus de 7 000 musulmans, dont la majorité réside dans la ville de Vaughan et la ville de Richmond Hill.

L’ISIJ gère quatre centres religieux dans la région du Grand Toronto, dans les villes de Vaughan, Brampton, Hamilton et Barrie. Les principes directeurs de l’ISIJ de Toronto épousent et promeuvent les valeurs canadiennes fondamentales d’égalité, d’équité et de tolérance. L’éthique progressiste et socialement responsable de l’ISIJ de Toronto est considérée comme un modèle pour les autres organisations religieuses au Canada et à l’étranger. Par l’intermédiaire de ses centres, il exécute ses propres programmes pour les jeunes, produit des publications périodiques, et gère une bibliothèque, des activités pour les personnes âgées, des installations funéraires en plus d’assumer diverses autres fonctions. Notre communauté est une partie active et paisible de la région du Grand Toronto depuis plus de 40 ans et a contribué et continue de contribuer positivement au patrimoine multiculturel de notre communauté et du Canada dans son ensemble.

En ce qui concerne les incidents d’islamophobie et de discrimination en général que notre communauté a subis, nos centres, comme je l’ai dit, sont situés dans diverses régions : à Brampton, dans la région de Peel; à Vaughan, dans la région d’York; dans la région d’Hamilton; et à Barrie, dans le comté de Simcoe. Si on regarde les données sur les crimes haineux, on voit tous qu’il y a eu une augmentation des crimes haineux contre les musulmans. Par exemple, dans le plus récent rapport de la police régionale d’York sur les crimes haineux, on souligne la hausse des crimes haineux contre les gens des communautés asiatiques, noires, juives et musulmanes dans la région d’York. La police a constaté que les crimes haineux sont en hausse constante dans certaines villes comme Markham, Vaughan et Richmond Hill. Cela est aussi très courant dans de nombreuses collectivités de notre province et du pays et, même s’il serait impossible d’exprimer dans une courte déclaration toute l’islamophobie et la discrimination que notre communauté subit en général, je tiens à vous faire part de trois grandes préoccupations centrales, qui nécessitent immédiatement votre attention.

Premièrement : les actes de haine, comme les graffitis. En 2014, notre communauté a été ciblée par un acte de vandalisme contre un établissement de notre mosquée, le centre communautaire Jaffari de Vaughan, en Ontario. Des bénévoles de la collectivité ont découvert des slogans dégradants, sur les lieux, le 20 juillet 2014, et la police régionale d’York a immédiatement été alertée. Les vandales ont écrit des slogans comme « Retournez chez vous », entre autres. Cet incident est survenu après la grande célébration annuelle traditionnelle interconfessionnelle de notre iftar, la fin du jeûne, où nous accueillons des gens de toutes les religions de la région York et de la région du Grand Toronto. Même si nous reconnaissons que ces actes ne reflètent pas les attitudes de la société multiculturelle du Canada, cela nous a rappelé brutalement la haine ressentie à l’égard des musulmans.

Deuxièmement : la représentation déformée de l’islam et des musulmans. À l’époque des médias sociaux et du cycle d’informations 24 heures sur 24, nous avons été témoins d’incidents où des gens de notre communauté avaient été filmés, puis les vidéos ont été partagées et montrées hors contexte, et tout cela a contribué à une représentation déformée de l’islam et des musulmans. Divers sites Web antimusulmans et anti-immigrants dépeignent l’islam défavorablement et dépeignent les musulmans comme une communauté barbare qui n’a pas sa place au Canada. Il faut que cela cesse. Il y a eu un incident, en 2014, où quelqu’un a filmé des parties d’une pièce de théâtre, donnée pendant le mois saint de Mouharram, reconstituant une scène religieuse où le petit-fils du prophète Mohammed, que la paix soit avec lui, était martyrisé. La pièce était jouée par des élèves de l’école islamique, dans nos locaux, et malheureusement elle a été partagée à grande échelle pour renforcer le discours voulant que les musulmans sont violents.

Voici quelques solutions et interventions gouvernementales potentielles que vous pourriez prendre en considération. Au cours des dernières années, même si notre communauté et nos installations ont été ciblées de façon éhontée, nous sommes tout aussi blessés et déçus quand d’autres communautés musulmanes souffrent à cause de cette haine. Je parle d’incidents survenus près de chez nous, comme la fusillade à la mosquée de Québec en 2017, et d’autres plus loin, comme la fusillade dans la mosquée de Christchurch, en 2019. Beaucoup de communautés locales ont choisi de nous appuyer, par des gestes de bonté, par exemple en formant un cercle de paix autour de notre centre durant la prière, en envoyant des messages de soutien et d’autres choses du genre. Même s’il n’y a pas de mot pour décrire à quel point nous leur sommes reconnaissants, nous avons besoin de faire quelque chose pour veiller à ce que les incidents et les crimes haineux contre les musulmans et contre n’importe quels autres membres marginalisés de la société ne se produisent plus.

Avant de vous présenter nos recommandations, je voudrais dire que plus de musulmans ont été tués lors d’attaques ciblées au Canada que dans n’importe quel autre pays du G7 au cours des cinq dernières années, à cause de l’islamophobie. Le gouvernement du Canada ne peut pas se permettre d’attendre avant d’intervenir. Littéralement, c’est une question de vie ou de mort pour ma communauté.

Il y a toutes sortes de mesures que le gouvernement pourrait prendre, mais il y a trois piliers sur lesquels je veux insister.

Premièrement : du point de vue stratégique, il faut mettre en œuvre les recommandations formulées par les organismes musulmans qui reflètent les épreuves que nous traversons tous et les solutions. Plus précisément, le CNMC, conjointement avec un grand nombre de communautés musulmanes, a publié des recommandations sur la façon de lutter contre l’islamophobie aux échelons fédéral, provincial et local.

La deuxième politique concerne la reddition de comptes. Il est impératif, quand vous faites des interventions et que vous luttez contre toutes les formes de haine, que vous preniez nos réactions en considération; il faut utiliser l’approche du « rien sur nous sans nous », comme vous le faites présentement. Il serait aussi important que vous élaboriez un cadre pour veiller à ce que les victimes de crimes haineux soient tenues informées des progrès accomplis.

La troisième politique concerne les interventions. Pour lutter contre la haine, il faut des interventions concertées et stratégiques. Même s’il est louable que le gouvernement ait créé un poste de représentant spécial pour la lutte contre l’islamophobie, nous vous encourageons à donner suite à ces efforts et à créer un plan d’action ou une stratégie mesurable, réalisable et assortie d’un échéancier pour combattre l’islamophobie, comme on le fait pour les autres groupes en quête d’équité.

Pour terminer, j’aimerais remercier les diverses communautés d’avoir soutenu les musulmans canadiens dans ces moments difficiles, quand diverses communautés musulmanes ont été attaquées, au cours des dernières années. Quand il y a eu la fusillade à la mosquée de Québec en 2018, toute la communauté musulmane a été ébranlée et s’est sentie visée, même celles à des centaines de kilomètres de Québec.

Je vous remercie de m’avoir écoutée et de prendre en considération nos recommandations.

La présidente : Merci beaucoup. Juste pour que ce soit clair, le gouvernement a promis il y a un an et demi de nommer un représentant spécial, mais nous attendons toujours. Personne n’a été nommé jusqu’ici, alors je voulais que ce soit clair, aux fins du compte rendu.

Le sénateur Oh : Je remercie notre témoin de sa présence et de nous avoir confié son histoire. Selon vous, quelle devrait être la recommandation prioritaire, la plus forte pour le comité? Comme nous l’avons vu, tout le monde a des idées différentes. À votre avis, quel devrait être l’aspect clé du rapport?

Mme Siwjee : Merci. J’ai entendu le dernier groupe de témoins proposer des recommandations et des initiatives vraiment excellentes, et il y en a une qui me touche particulièrement, qui, je crois, concernait l’éducation; charité bien ordonnée commence par soi-même, et les comportements aussi commencent par soi-même. Je pense que pour les jeunes, quand ils grandissent, c’est la vieille génération qui est très brusque dans son attitude envers les gens d’autres origines ethniques.

Donc, je crois que, à mesure que les enfants grandissent, ils emportent à l’école ce genre de comportement et ce qu’ils entendent à la maison. Même à un très jeune âge, ce qu’ils entendent à la maison, c’est ce qu’ils montrent dans un contexte scolaire. Par exemple, une jeune fille musulmane pourrait dire que son amie lui a dit : « Ah, vous les musulmans, vous êtes tous des terroristes. » Pourquoi? Parce que c’est le comportement qu’ils voient à la maison. Ce n’est pas quelque chose qu’ils ont déjà appris à l’école.

Une chose que j’ai entendue aujourd’hui, c’est que, si on pense à ce que fait la jeunesse, si on pense à tous les crimes commis par des jeunes, le vandalisme et les graffitis, ce sont des choses que les jeunes font. Comme le Sénat et votre comité étudient ce qui se passe à un jeune âge dans le domaine de l’éducation, je pense qu’il devrait y avoir une loi pour vraiment donner du mordant à la loi pénale, pour encourager la jeunesse à prendre des mesures contre le racisme, d’une façon ou d’une autre.

Si un jeune dessine un certain type de graffiti à l’école ou ailleurs et qu’il se fait pincer, je pense que nous devrions ajouter quelque chose à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents pour punir cette personne, afin que ce genre de conduite ne se reproduise plus et pour servir d’exemple à tous. Il ne faut pas qu’il y ait une ordonnance de non-publication, il ne faut pas que ce soit caché, parce que, si vous devez rendre compte de vos actes à un jeune âge, je pense que cela va donner plus de résultats.

Le sénateur Oh : Et que pensez-vous de la propagande douce, du pouvoir de convaincre d’Hollywood et de tout cela?

Mme Siwjee : Je suis d’accord. Vous savez, dans l’exemple des médias, lorsqu’un crime est commis, quelqu’un qui regarde les nouvelles va dire avant même de savoir de qui il s’agit : « Ah, je suis sûr que c’est un musulman », ou « Bon Dieu, encore les musulmans. » Donc, effectivement, les médias comme les journaux et la télévision créent très rapidement ce genre de sentiment. Quand c’est quelqu’un d’une autre communauté, la réaction est beaucoup plus douce. C’est tout à fait comme ça que ça se passe.

Dans l’industrie du cinéma, il faut toujours qu’il y ait un méchant. Le problème, c’est que le méchant, c’est toujours un musulman. Après le 11 septembre, on était passé à autre chose, mais au cours des 20 dernières années depuis le 11 septembre, ce que nous constatons, c’est que nous sommes revenus à la case départ, à cause des médias, à cause de l’approche qui est prise à cet échelon.

Le sénateur Oh : Bien. Merci.

Le sénateur Arnot : Puisque le témoin a eu la chance de pouvoir écouter l’autre groupe, vous savez que nous avons eu une discussion bien remplie sur toutes sortes de sujets. La discussion a été très passionnée. Voudriez-vous renforcer quelque chose que vous avez entendu ou corroborer quelque chose que nous devrions connaître, selon vous? Vous nous avez donné un certain nombre de recommandations vraiment excellentes en matière de reddition de comptes et d’interventions stratégiques, et je pense que nous les comprenons bien, mais si vous voulez ajouter quoi que ce soit, je serais vraiment très content de savoir ce que vous croyez que nous devrions entendre.

Mme Siwjee : Merci. Le groupe précédent a parlé de la question de savoir si ces crimes étaient signalés. Est-ce que les gens portent plainte? Il y a eu une hésitation, même de la part de l’imam. On voyait bien que ça s’était passé chez lui et qu’il se demandait pourquoi il irait voir les médias ou quelle approche il devait prendre. Il n’y a aucune directive claire, à ce niveau-là, sur la façon de réagir. On ne nous encourage pas à dénoncer.

Je pensais justement à un exemple très simple dans une situation financière. Il y a toujours des audits, et il y a la conformité. Je pense qu’il devrait y avoir une conformité avec les politiques antiracismes appliquées dans les écoles ou aux incidents qui surviennent dans les entreprises, dans les commerces, aux premières lignes et dans les maisons; il devrait y avoir une façon de porter plainte. Il devrait y avoir un endroit où les gens pourraient aller. Dans les écoles, il pourrait y avoir un document annuel de conformité où on indique combien d’affaires antiracistes il y a eu. Y a-t-il eu des signalements? A-t-on porté plainte à la police ou à la direction?

Toute cette information de base peut favoriser la reddition de comptes et la responsabilisation, parce que, par exemple, si une école est censée présenter annuellement un document sur la lutte antiracisme avec ses autres documents de conformité, alors l’école va dire à ses enseignants de s’assurer d’encourager les bons comportements et la tolérance, de s’assurer, dans leurs classes, que s’il se passe quelque chose, que ce soit mis en lumière afin qu’on puisse en faire rapport à l’échelon des comités et que les bonnes lois et les bonnes politiques soient appliquées. Comme on l’a dit plus tôt, combien y a-t-il de signalements? On a dit, même pas 70 %. Et, effectivement, si vous me posez la question, vous savez que je vais dire que toutes les personnes à qui je parle ont été exposées à ce genre de choses.

Le sénateur Arnot : On a entendu dire que, dans la plupart des communautés où nous nous sommes rendus, la police ne prend pas les incidents suffisamment au sérieux, même si elle a les outils pour lutter contre les agressions, l’intimidation et le harcèlement. Apparemment, aucune mesure n’est prise par rapport à cela. Je me rappelle de quelques exemples de bons chefs de police progressistes, qui sont bien motivés et qui ont de bonnes politiques, mais j’ai aussi entendu dire sur le terrain qu’il y a des agents de première ligne qui ne prennent pas ces incidents avec assez de sérieux. Ils ne les prennent pas assez au sérieux. Une solution qui a été proposée était de mettre sur pied une unité policière beaucoup plus spécialisée pour non seulement recueillir l’information et les données, mais aussi pour prendre des mesures explicites et intenter des poursuites pour que cela serve d’exemple dans la communauté et pour montrer cela au public, dans un forum public, devant un tribunal. Je voulais simplement savoir si vous aviez des commentaires sur ces questions.

Mme Siwjee : Merci. Je suis d’accord, c’est un excellent point, mais je dois dire que la force policière a fait beaucoup de chemin. Il y a eu tellement de discussions entre les communautés musulmanes et la police. Elle a enfin commencé à nous prendre au sérieux. Maintenant, elle nous accorde son attention. Chaque fois que nous avons appelé le 911, à notre mosquée, la police est la première à se présenter. Elle a même commencé à patrouiller aux alentours, et ce n’est pas nous qui lui avons demandé.

Mais qu’est-ce que la police peut faire et quelles mesures a-t-elle prises? Quelles mesures ont été prises par rapport aux incidents antérieurs qui ont été signalés? La police est revenue nous voir, et elle a admis qu’il y a un énorme écart, parce que je pense que rien n’est fait avec l’information qui est recueillie, et je pense que votre comité aura un rôle à jouer pour aider la police, et il va falloir des directives claires pour la suite des choses.

Le sénateur Arnot : Merci.

La présidente : Dans votre congrégation, vous dites qu’il y a des gens qui subissent quotidiennement des actes de racisme; parfois, ce sont des microagressions, et parfois, c’est du racisme ouvert. Selon vous, combien de gens vont porter plainte à la police lorsque cela arrive?

Mme Siwjee : Je dirais moins de 2 %. Je pense qu’on s’en tient vraiment à l’habitude traditionnelle de tendre l’autre joue, de tolérer et de faire preuve de patience. « Ce n’est pas grave. C’est seulement un incident. Ne vous inquiétez pas. » C’est une communauté qui réussit à garder les choses vraiment à l’intérieur.

J’ai constaté que les choses commencent à changer, parce que nous avons, disons, tendu les bras à des groupes comme Mosaic Interfaith. Nous avons organisé beaucoup de séances d’information et avons échangé avec d’autres communautés, nous avons invité les gens dans nos centres et avons dialogué avec eux pour savoir comment les gens s’adaptent, dans le but d’encourager notre congrégation à s’exprimer sur ce genre de choses.

Nous avons un groupe de travail pour la lutte contre le racisme envers les Noirs. Nous avons mis sur pied divers groupes de travail pour encourager les gens, en général, à agir et à porter plainte. Si les gens sentent qu’ils ont besoin d’un système de soutien, nous les aidons à cheminer.

La présidente : Vous avez dit que pratiquement tout le monde dans votre congrégation avait vécu du racisme, mais que seulement 2 % avait porté plainte. Ce sont des chiffres qui portent à réfléchir. Est-ce que les gens craignent que rien ne sera fait, ou, comme vous l’avez dit, est-ce qu’ils préfèrent tendre l’autre joue? Je vais me faire l’avocat du diable : si vous tendez l’autre joue, rien ne va changer, n’est-ce pas?

Mme Siwjee : Exact.

La présidente : Malgré tout, nous avons entendu, au comité, que la police ne veut même pas rédiger de rapport, ou comme je l’ai dit, il y a eu le cas de cette femme, à Québec, à qui on a aussi donné une contravention, alors que c’était elle qui avait porté plainte parce qu’elle avait été victime d’un acte haineux.

Quelle est la solution? Selon moi, ce n’est pas correct que les gens ne se sentent pas à l’aise à l’idée de dénoncer les actes haineux dont ils sont victimes.

Mme Siwjee : Je suis d’accord. C’est une responsabilité partagée, et quand vous le savez, vous ne pouvez que faire mieux. Je pense qu’il y a une toute nouvelle façon de voir nos membres. Par exemple, notre profil démographique, le groupe d’âge des 15 à 65 ans, il y a de tout nouveaux chefs qui entrent en scène et qui encouragent la jeunesse à s’exprimer. Ils voient que les choses changent, parce que, maintenant, on parle beaucoup plus ouvertement, et quand la police vient, c’est comme pour la cybersécurité : parlez-en, donnez-nous des exemples. Comment est-ce qu’on donne suite, comment est-ce qu’on fait une plainte? Ce n’est pas un problème qu’on peut régler si on détourne les yeux.

Ce genre d’attitude est encouragée, et vous avez raison. C’est une responsabilité partagée, que nous devons assumer ici, à l’échelon communautaire, parce que les choses vont seulement changer si nous changeons les choses, en prenant de bonnes décisions et en encourageant les gens à s’exprimer, à dénoncer et à porter plainte lorsque ce genre de crime survient.

La présidente : Merci. Ce que j’ai constaté, c’est que les jeunes — et je parle d’expérience, j’ai deux jeunes filles — sont plus portés à dénoncer. Récemment, j’étais à London, en Ontario, avec ma plus vieille, qui enseigne à l’université. Au magasin, une dame nous a demandé : « Quelle langue parlez-vous? D’où venez-vous? » Elle nous fixait, et ma fille l’a regardée et lui a répondu : « Vous savez que votre question est problématique? » La dame ne savait pas comment réagir. Donc, j’ai bon espoir que la jeune génération va dénoncer ces actes avec gentillesse, sans agressivité, parce que parfois les gens qui agissent d’une certaine façon ne savent même pas que leur comportement est inapproprié ou que les mots qu’ils utilisent ne sont pas appropriés.

Récemment, un collègue m’a dit « Eh bien, si vous continuez de vivre en vase clos », et je lui ai dit « Désolée, je vais continuer de vivre en vase clos aussi longtemps que vous continuerez à me demander d’où je viens. » Il n’a pas su quoi répondre. Je sais que c’est exceptionnellement difficile d’être jeune et d’être musulman, surtout pour les femmes qui portent le hijab. C’est ce que nous avons entendu quand nous sommes allés en Colombie-Britannique, en Alberta et au Québec. Pouvez-vous nous parler de vos propres expériences personnelles?

Mme Siwjee : C’est drôle de vous entendre dire que vous avez appris de vos enfants. Je viens de parler du hijab. J’ai commencé à le porter il y a environ 10 ou 15 ans. J’étais dans le monde des affaires. J’avais un emploi de très haut niveau, et j’avais peur de porter mon hijab, et j’ai appris de mes enfants, qui m’ont dit : « Nous sommes au Canada, maman. C’est une société multiculturelle. Tu peux pratiquer n’importe quelle religion. Maman, sois fière de ta religion. Maman, mets ton hijab. Les gens ne te verront pas différemment. Tu es une intellectuelle, et tu peux offrir, maman, alors tu peux changer les choses et montrer au monde que les gens qui portent le hijab aiment la paix. Que ce sont de bonnes personnes, de bons voisins. Maman, tu peux faire ces premiers pas. Mets ton hijab, ce sera ton drapeau. Sors, et montre aux gens que les musulmans sont de bonnes personnes, et tu pourrais le faire tellement bien, maman. Moi, je ne peux pas porter un hijab » — c’est mon fils qui a dit cela — « mais, maman, tu peux être notre ambassadrice. Tu peux défendre nos intérêts. »

Et vous savez quoi? J’ai été heureuse de faire ce cheminement avec mon hijab, parce que je siège à plusieurs comités, et avec mon hijab, les comptes que je dois rendre, mes responsabilités et ma discipline doivent maintenant être irréprochables, parce que je dois être une bonne musulmane quand je travaille avec des gens, pour changer leurs perceptions.

Donc, j’ai appris de mes enfants, et je pense que vous avez raison de dire que les enfants d’aujourd’hui n’hésitent pas à s’exprimer. Ils peuvent aussi éduquer. Nous n’avons plus besoin de nous cacher. Et depuis que je porte le hijab, je suis en paix avec moi-même, parce que je peux pratiquer ma religion sans crainte. Je ressens une autre sorte de respect à l’extérieur. Ce ne sont pas tous les Canadiens qui sont mauvais. Beaucoup comprennent ce que le hijab exige de nous, c’est-à-dire d’apprendre et de répandre la parole et le message.

La présidente : Merci. Je suis contente d’apprendre que votre expérience a été positive, parce que nous avons entendu en Colombie-Britannique, en Alberta et au Québec que certaines femmes qui portent le hijab ont eu des difficultés.

Mme Siwjee : Nous voyons aussi d’autres pays bannir le hijab, alors il y a de la pression, et je dirais que, récemment, dans notre communauté, nous le vivons. Beaucoup de jeunes filles enlèvent leur hijab. Sur les médias sociaux, la pression est énorme, et c’est devenu un choix de mode, vous savez? Les filles disent : « Je ne vais pas porter mon hijab, sinon le monde entier ne m’acceptera pas. » C’est manifestement un tabou.

La présidente : Je sais. Nous savons que, dans certains cas, des filles qui portent le hijab n’ont pas pu aller à l’université ou à l’école, on leur a interdit d’aller à l’école. Il y a encore beaucoup de travail à faire, mais je vous remercie d’avoir pris le temps de venir témoigner, et, si vous pensez à quoi que ce soit que vous avez oublié de dire dans votre témoignage et que vous voudriez ajouter, sentez-vous à l’aise de nous écrire. Votre témoignage nous aidera beaucoup lors de la rédaction de votre rapport.

Mme Siwjee : Merci beaucoup. Je vais prier pour vous tous. Nous sommes très fiers du Canada. C’est notre maison, et, quand je vais ailleurs dans le monde, je suis impatiente de rentrer chez moi.

La présidente : Moi aussi. Merci beaucoup.

Je vais maintenant présenter notre troisième groupe de témoins. Nous avons demandé à chaque témoin de présenter une déclaration de cinq minutes. Après que chaque témoin aura témoigné, nous allons passer aux questions des sénateurs. Messieurs, je vous demanderais d’essayer de ne pas dépasser cinq minutes. J’ai horreur d’interrompre, mais nous voulons simplement que les sénateurs et les sénatrices aient plus de temps pour poser leurs questions. Donc, si possible, je n’aime pas interrompre qui que ce soit.

Nous accueillons Troy Jackson, cofondateur et président, auteur et interprète, de El-Tawhid Juma Circle, et El-Farouk Khaki, cofondateur de Salaam Queer Muslim Community, cofondateur de The Canadian Muslim Union, cofondateur du Muslim AIDS Project, et membre fondateur de la Muslim Lawyers’ Association. Nous accueillons aussi Khaled Al-Qazzaz, conseiller au Conseil canadien des affaires publiques musulmanes.

Bienvenue, messieurs.

Troy Jackson, cofondateur et président, auteur et interprète, El-Tawhid Juma Circle : Bonjour, salaam alaikum, et que la paix soit avec vous tous ici présents. Merci de nous avoir invités à témoigner au nom d’El-Tawhid Juma Circle, la mosquée Unity, à propos de l’islamophobie au Canada. Je m’appelle Troy Jackson. J’utilise des pronoms masculins.

Je suis l’un des trois cofondateurs de la mosquée Unity, avec El-Farouk Khaki et Laury Silvers. J’en assure la présidence. Nous avons créé ce groupe en mai 2009, parce que les espaces musulmans que nous fréquentions n’étaient pas très accueillants pour les gens queers, comme nous, alors nous ne nous sentions pas à l’aise. Aussi, les femmes qui, nous le savions, voulaient entrer dans ces espaces avec nous ne pouvaient pas nous accompagner dans les mêmes salles. Elles étaient en bas, tassées sur les côtés. Ce n’est pas ce que nous voulions, et c’est pourquoi nous avons créé notre propre espace. Nous disons souvent que les gens qui viennent dans « notre espace » sont ceux qui ont pris leurs jambes à leur cou pour fuir l’islam, et c’est grâce à notre groupe qu’ils reviennent vers l’islam.

Donc, nous avons créé ce groupe en tant qu’espace-mosquée intentionnellement musulman, où tous les genres sont égaux, qui respecte les personnes LGBTIQ2S+ et qui réunit les voix et le leadership des personnes marginalisées. Nous embrassons une vision de l’islam axée sur la libération et la compassion. Nous croyons aussi que l’islam n’a jamais été et ne sera jamais monolithique. Nous célébrons la diversité et la notion de culte en commun. Tous sont invités à assumer chacun à leur tour un aspect du Jumu’ah, par exemple faire l’appel à la prière, prononcer le sermon et diriger la prière rituelle du vendredi. Nous sommes heureux de partager cet espace avec les musulmans et les non-musulmans de tous les horizons.

J’y vais depuis 2009, et j’ai vu des gens pleurer. Des gens se sentent submergés par l’émotion, quand ils assistent au culte, parce qu’ils n’ont jamais eu une voix dans un espace comme celui-là. Donc, beaucoup de femmes ont pleuré après avoir entendu leur propre voix faire l’annonce à la prière.

De mai 2009 jusqu’en mars 2020, la mosquée Unity a réuni les pratiquants tous les vendredis au centre-ville de Toronto pour le service religieux. Certains vendredis, nous étions jusqu’à 60 ou 70 personnes dans la salle, avec d’autres personnes d’abord sur Skype, puis, plus tard, sur Facebook Live. Nous organisons chaque année un iftar de la paix qui attire jusqu’à 300 personnes, chaque ramadan, y compris quelques sénateurs. Au cours des années, nos programmes ont compris les services de l’Aïd, les célébrations de la naissance du Prophète — Milad un Nabi —, des majlis pour le mouharram et des activités d’approche interconfessionnelles. La mosquée Unity s’est affiliée au fil des ans à divers organismes, à Halifax; à Ottawa; à Montréal; à London, Ontario; à Calgary; et à Vancouver; ainsi qu’à plusieurs organismes aux États-Unis. Certains de nos partenaires sont toujours actifs.

La mosquée compte dans sa communauté beaucoup de musulmans LGTBIQ2SA+ et aussi plus de femmes que d’hommes. Malgré tout, nous ne sommes pas une « mosquée gaie », et nos membres sont des gens de tous les genres et de toutes les orientations. À dire vrai, d’après nos propres expériences de l’islamophobie et d’après les observations et l’information que nous donnent les membres de notre communauté, nous savons que l’islamophobie que subissent les musulmans queers et trans est exacerbée par l’homophobie et la transphobie de la majorité musulmane, des suprémacistes blancs, des racistes ainsi que des organisations et des personnes de la communauté musulmane. Souvent, nos musulmans queers ou progressistes sont les seuls musulmans dans la salle, mais encaissons les coups pour les autres, et nous nous exprimons et nous exposons parfois à un certain danger quand nous sommes dans ces salles, mais nous avons définitivement l’impression que la communauté dans son ensemble ne nous soutient pas. C’est l’islamophobie et l’homophobie exacerbé que nous vivons.

El-Farouk Khaki, cofondateur, fondateur de Salaam Queer Muslim Community, cofondateur de The Canadian Muslim Union, cofondateur du Muslim AIDS Project, membre fondateur de la Muslim Lawyers’ Association, El-Tawhid Juma Circle : Salaam alaikum. Je m’appelle El-Farouk Khaki. J’utilise des pronoms masculins et, comme vous l’avez entendu, je suis l’un des cofondateurs de la mosquée Unity, dont je suis aussi l’imam. Je vais reprendre là où M. Jackson s’est arrêté. Je voulais faire un commentaire à propos d’une observation formulée par le Conseil canadien des femmes musulmanes, l’une des rares organisations qui interagit ouvertement avec nous dans la communauté musulmane en général. Dans son rapport à l’intention du Sommet national sur l’islamophobie, le conseil affirme que chaque personne vit l’islamophobie différemment. D’un point de vue structurel, l’islamophobie chevauche d’autres formes d’oppression, comme le racisme anti-Noirs, le sexisme, l’homophobie — et j’ajouterais la transphobie à la liste — et le capacitisme. Ce que vivent les musulmans ayant des identités intersectionnelles est souvent occulté dans les discussions sur la réalité musulmane.

Vu la composition et la nature de notre communauté, la mosquée Unity est au carrefour de l’islamophobie et de tous ces autres problèmes, en particulier l’homophobie, la transphobie et la misogynie. Quand nous avons ouvert notre mosquée en mai 2009, notre première préoccupation en matière de sécurité concernait la violence de la part des musulmans radicalisés, parce que nous offrions un espace sécuritaire aux personnes queers et trans et aux femmes. Au fil des ans, nos préoccupations se sont avérées fondées, parce que nous avons reçu des menaces, des courriels et aussi de l’information venant des organismes d’application de la loi. Pour cette raison, nous ne faisons habituellement pas de publicité pour nos activités, et nous n’affichons pas publiquement l’endroit où nous tenons nos activités. Si vous vouliez devenir membre du groupe, nous devons vérifier vos antécédents, et vous devez vous inscrire aux événements. Chaque fois qu’il y a des nouvelles ou un article dans les médias sociaux à propos de musulmans LGBT ou de la mosquée Unity, nous recevons inévitablement des idioties homophobes ou transphobes de personnes qui prétendent parler au nom de l’islam. Depuis de nombreuses années, notre mot d’ordre est « ne jamais lire les commentaires ».

Mais les musulmans radicalisés et intolérants ne sont pas notre seule préoccupation pour la sécurité. Comme les autres musulmans, nous subissons de plus en plus de menaces de violence, en plus de vivre du racisme et de la marginalisation de la part des suprématistes blancs et des non-musulmans, qui font des commentaires comme « Retournez dans votre pays » et « Retournez en Arabie saoudite ou en Iran pour voir si vous aimez ça », quand ils parlent de nos pratiques religieuses et aussi de notre militantisme sur des questions générales relatives aux droits de la personne.

Les musulmanes homo, bi et transsexuelles qui portent le hijab et le niqab subissent le même genre d’agressions et de violence à cause de leurs vêtements et de leur habillement que les autres femmes musulmanes qui portent le hijab ou le niqab, et les musulmans noirs qui appartiennent à la communauté LGBTIQ2SA+ vivent le même genre de racisme anti-Noirs que les musulmans noirs qui ne sont ni queers ni trans. Malgré tout, comme l’a souligné le CCFM dans son rapport, les expériences vécues par les musulmans ayant des identités intersectionnelles sont souvent occultées lors des discussions sur la réalité musulmane. Cela est particulièrement vrai pour les musulmans queers et trans.

Même si certaines organisations musulmanes ont tendu la main publiquement à la communauté LGBT en général, en associant cela à une question de droits de la personne ou de droits civils, elles refusent de reconnaître, et encore moins d’intégrer, les musulmans queers et trans dans leurs programmes et leurs services, ou d’envisager de protéger nos droits en tant que musulmans et notre corps, parce que l’orientation sexuelle et les identités de genre les rendent mal à l’aise ou parce qu’elles ont de la difficulté à réconcilier cela avec leur interprétation de l’islam.

Comme M. Jackson l’a dit, le résultat est que nous devons souvent nous défendre nous-mêmes. Donc, nous vivons de l’islamophobie en tant que musulmans, du racisme parce que nous sommes perçus d’une façon ou d’une autre comme des personnes racialisées, puis de l’homophobie et de la transphobie, et ces attitudes sont d’ailleurs répandues dans la culture dominante ainsi que dans les cultures et les communautés musulmanes. J’aimerais vous donner deux ou trois exemples, si vous me le permettez.

Il y a quelques années, on a trouvé des graffitis homophobes et islamophobes sur le chantier de construction d’une mosquée, tout juste à la sortie d’Ottawa. L’organisation nationale des musulmans a communiqué avec nous et nous a demandé de l’aide pour y réagir. Nous avons fourni notre aide, et nous lui avons dit : « Maintenant, allons-nous pouvoir parler des musulmans queers avec vous? » On nous a répondu : « Oui, oui, nous y travaillons. Nous communiquerons avec vous. » Cela fait maintenant 15 ans, et nous attendons encore. Entretemps, l’organisation a publié une déclaration sur le harcèlement dans les écoles. Elle a invité les organisations LGBT de la culture dominante, mais elle n’a pas invité Salaam ou la mosquée Unity à participer à la discussion.

Quand nous avons exprimé nos préoccupations au sujet des tensions de plus en plus fortes dans le quartier LGBT de Church and Wellesley, à Toronto, et à propos de jeunes musulmans homophobes qui fréquentaient une école du quartier, ils nous ont dit qu’ils n’étaient pas une organisation religieuse et qu’ils ne s’occupaient pas de ce genre de choses; pourtant, le problème risquait de se répandre dans la communauté et le risque de violence devenait de plus en plus grand, ce qui était inquiétant.

L’islamophobie est une forme d’oppression sociale, tout comme les systèmes de marginalisation fondés sur la race, la religion, la classe sociale et ainsi de suite. Pour bon nombre de nos membres, cela englobe aussi leur orientation sexuelle et leur identité et/ou expression de genre, ce qui a un impact sur leur santé physique et mentale et sur leur sécurité personnelle. Même si de nombreux musulmans canadiens subissent de la discrimination, du harcèlement et des menaces dans pratiquement tous les aspects de leur vie, les musulmans trans, queers et autrement « anticonformistes » sont tout particulièrement vulnérables; on ne les protège pas.

Une chose que j’entends, et M. Jackson aussi, c’est « Eh bien, tu n’as pas l’air d’un musulman », et cela vient autant des musulmans que des non-musulmans, et c’est ce genre de marginalisation qui fait que nous sommes d’une certaine façon souvent laissés à nous-mêmes.

Nous soutenons les recommandations et les rapports précédents du Conseil national des musulmans canadiens, du Conseil canadien des femmes musulmanes et du Centre culturel Noor, mais nous insistons sur la nécessité d’adopter une approche intersectionnelle pour combattre l’islamophobie au Canada, pour les musulmans de tous les genres, de toutes les identités de genre et de toutes les orientations sexuelles. Dans cette affaire où des hommes homosexuels, dont un certain nombre de musulmans, ont été assassinés dans la communauté de Toronto, il y a eu des problèmes avec l’enquête McArthur et la façon dont elle a été menée. À mon avis, l’islamophobie a incontestablement influencé l’enquête et son résultat, et cela a permis que les meurtres continuent. Je pourrais en reparler plus tard, si vous le voulez.

Environ 40 % des gens de notre communauté sont des convertis. Il y en a beaucoup qui finissent par cacher leur conversion à leur famille et à leur communauté, par crainte d’être ostracisés et rejetés. Vous avez posé plusieurs questions à propos des plaintes. Les microagressions sont chose courante pour nous, en tant que musulmans, en tant que gens de couleur et en tant que personnes queers, alors bon nombre de personnes ne se donnent pas la peine de porter plainte, parce qu’elles ne savent même pas à qui porter plainte. Je pense que c’est particulièrement vrai pour les musulmans queers et trans. À qui voulez-vous vous adresser, qui va parfaitement comprendre ce que vous vivez en tant que musulman, en tant que personne queer ou trans et en tant que personne racialisée? Il n’y a personne à qui porter plainte, aucun endroit sécuritaire où porter plainte, où l’entièreté de votre personne sera prise en considération.

Je serai heureux de parler de notre relation avec la police et du reste, mais je pense que mes cinq minutes sont écoulées.

La présidente : Merci beaucoup. J’aimerais éclaircir une chose. Vous avez dit qu’un certain pourcentage des membres de votre congrégation sont des convertis; voulez-vous dire des convertis à l’islam?

M. Khaki : Oui, ce sont des convertis à l’islam. Deux de mes trois cofondateurs ne sont pas nés et n’ont pas été élevés dans l’Islam. Ils ont pris cette décision, y compris M. Jackson, à un moment de leur vie.

La présidente : Merci.

Khaled Al-Qazzaz, conseiller, Conseil canadien des affaires publiques musulmanes : Tout d’abord, excusez-moi. J’ai fait un test et mon résultat est négatif, mais j’ai encore un petit rhume, alors je vais rester à distance et porter le masque. Je vais le remettre quand j’aurai terminé.

Salaam alaikum. La paix soit avec vous tous. Merci de m’avoir invité à témoigner devant votre comité sénatorial aujourd’hui. Je tiens à souligner les efforts de la sénatrice Ataullahjan et de ses distingués collègues pour réaliser cette étude dans le but de mieux comprendre l’islamophobie au Canada, ses diverses dimensions et ses formes.

Je suis conseiller en plaidoyer pour le Conseil canadien des affaires publiques musulmanes. Je suis aussi le directeur de l’Institute for Religious and Socio-Political Studies — l’institut d’études religieuses et sociopolitiques —, qui a réalisé un grand nombre d’études sur le sujet. Je suis le cofondateur d’un organisme voué à l’autonomisation des communautés vulnérables et des réfugiés et d’un autre organisme qui réunit les défenseurs de la démocratie en exil. Enfin, je suis membre titulaire de l’International Justice Circle — le comité pour la justice internationale — de Human Rights Watch.

Au sujet de l’islamophobie, nous associons souvent l’islamophobie au Canada à des crimes ou à des incidents haineux. Nous pensons à l’islamophobie quand on dit à une famille musulmane de « retourner d’où elle vient », quand on pense au massacre à la mosquée de Québec ou au meurtre de la famille à London, en Ontario. Mais la violence n’est que la pointe de l’iceberg de l’islamophobie. L’islamophobie est beaucoup plus insidieuse et plonge très profondément dans la vie personnelle d’un très grand nombre de citoyens canadiens. La plupart des musulmans vivent personnellement de l’islamophobie d’une façon ou d’une autre.

Des islamophobes m’ont ciblé personnellement, moi et plusieurs membres de ma famille, en ligne et dans les médias de droite avec des mensonges, de la mésinformation et de la haine. Certains membres de ma famille ont intenté des poursuites en justice pour diffamation, mais d’autres continuent d’endurer ces attaques. Les Canadiens musulmans s’exposent à de nombreuses formes d’islamophobie, comme l’islamophobie transnationale, institutionnelle et structurelle, en plus des réseaux islamophobes au Canada. Je vais surtout parler de ces derniers exemples.

L’islamophobie transnationale, selon ce que nous constatons, est financée et alimentée par des États étrangers et prend la forme de la persécution ainsi que de campagnes financées par ces États contre les musulmans et les organisations musulmanes en Amérique du Nord. Ils font cela par l’intermédiaire d’agences de relations publiques, de lobbyistes et de groupes de réflexion, dans le but d’influencer les élus, d’orienter l’opinion publique et de faire changer le discours à propos des musulmans, ici au Canada et à l’étranger. Cela prend aussi la forme d’une utilisation abusive de mécanismes de sécurité comme les listes nationales du terrorisme, les listes d’interdiction de vol ou passe par les organismes internationaux comme le Groupe d’action financière — le GAFI —, les forces de l’ordre internationales comme Interpol et les bases de données sur les risques comme World-Check. Tout cela soulève des préoccupations, et les conséquences négatives ont fait l’objet d’études.

Les États ont utilisé les outils de lutte au terrorisme pour, essentiellement, cibler disproportionnellement et avec partialité les musulmans; c’est ce qu’on appelle aussi sécuriser l’islam. Mon épouse et moi-même en avons été victimes, quand nos noms ont été inscrits sur la liste de gel des avoirs de l’Égypte, et nous avons été interdits de voyage, en représailles, parce que nous soutenons la démocratie et les droits de la personne en Égypte. Encore aujourd’hui, les islamophobes utilisent les actions illégales du régime égyptien pour nous discréditer et nous accuser de commettre des méfaits.

Il y a de l’islamophobie institutionnelle au Canada, par exemple, nos lois antiterrorisme et notre modèle d’évaluation national des risques qui véhiculent de l’islamophobie institutionnalisée et qui menacent donc les droits civils et constitutionnels des musulmans canadiens. Cela a des répercussions sur la façon dont nous vivons et la mesure dans laquelle nous pouvons pratiquer librement notre foi.

Les organismes pratiquent aussi l’islamophobie institutionnelle. Cela fait des années que l’Agence des services frontaliers du Canada — l’ASFC — discrimine les musulmans avec sa liste d’interdiction de vol ou son profilage. Plus récemment, nous avons vu que l’ASFC ciblait les réfugiés musulmans, peu importe s’ils viennent d’Égypte, du Bangladesh, d’Afghanistan ou d’un autre pays majoritairement musulman. Ces réfugiés ont en commun le fait qu’ils demandent l’asile parce qu’ils se sont battus pour la démocratie et la liberté dans leur propre pays.

L’Agence du revenu du Canada, l’ARC, a elle aussi été accusée d’avoir ciblé des organismes de bienfaisance musulmans et d’avoir révoqué leur statut; il s’agit d’une approche visant à contrôler la foi islamique et à limiter la pratique de l’islam à nos mosquées et à nos établissements. Les vérificateurs se fient à leurs préjugés pour conclure que les enseignements de l’islam ne satisfont pas aux critères de l’intérêt public. Ils croient aussi que les pratiques religieuses islamiques ne sont pas vraiment religieuses. Cela est d’ailleurs contesté présentement devant la Cour supérieure de l’Ontario par l’Association des musulmans du Canada.

Nous avons aussi été témoins de l’islamophobie dans le cadre de séances parlementaires comme celles-ci, à l’époque du précédent gouvernement conservateur. Par exemple, le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants avait invité à témoigner, en novembre 2014, Lorenzo Vidino, qui a des liens avec de nombreux groupes de réflexion antimusulmans et dont les opinions ont été publiées dans divers médias antimusulmans. Le Sénat a aussi invité Thomas Quiggin, islamophobe notoire, qui instrumentalise la peur pour encourager la haine contre les musulmans. Récemment, il a été l’un des chefs du « Convoi de la liberté », et il a des liens très étroits avec les réseaux de l’islamophobie au Canada. Ces deux hommes ont eu l’occasion de répandre de fausses informations à propos des musulmans, tout en bénéficiant de la protection de l’immunité parlementaire.

Enfin, je conclurai ma déclaration sur les recommandations suivantes. Le gouvernement du Canada a la responsabilité d’éliminer l’islamophobie dans ses institutions. On ne pourra pas régler ces problèmes seulement grâce à des efforts pour encourager la diversité et l’équité, à des formations antiracisme ou aux vérifications de l’ombudsman. Nous avons besoin d’une approche plus sérieuse pour combattre l’islamophobie, et il faut que les organismes gouvernementaux rendent des comptes et mettent en œuvre des réformes. Par exemple, il devrait y avoir des enquêtes et des examens sur les pratiques islamophobes dans les organismes gouvernementaux, surtout l’ASFC et l’ARC, et il faudrait assurer une surveillance intégrale de ces organisations. Enfin, il faut que des représentants de la communauté musulmane participent à ce processus de surveillance.

J’aimerais conclure en disant que, par-dessus tout, il faut faire de sérieux efforts si l’on veut changer la culture des organismes de sécurité et de certains organes administratifs du gouvernement, qui considèrent les musulmans et la communauté musulmane seulement sous l’angle de la sécurité et qui les traitent comme des étrangers plutôt que comme des citoyens comme les autres. Nous pourrons seulement y arriver s’il y a une véritable collaboration et un véritable partenariat avec la communauté musulmane à tous les échelons. Merci.

La présidente : Merci beaucoup. Je vais maintenant céder la parole aux sénateurs, pour leurs questions.

Le sénateur Arnot : Merci. J’aimerais poser une question à tous les témoins, mais en particulier à M. Khaki et à M. Jackson, à propos des problèmes avec la force policière ou avec les forces de l’ordre qui existent dans tout le Canada, et certainement dans votre communauté, et j’aimerais entendre vos commentaires sur les préjugés de la police. Vous êtes exposés à un certain nombre de difficultés intersectionnelles, comme vous l’avez dit. Je ne sais pas quelle relation vous avez avec l’une ou l’autre des forces policières, si elle est bonne ou mauvaise, mais auriez-vous des commentaires sur des améliorations possibles à l’échelle du pays?

M. Khaki : Avant de répondre à votre question, je pense qu’il est important de parler du privilège et de la façon dont cela fonctionne. Je parle anglais, avec un accent, mais c’est tout de même ma langue maternelle, et c’est aussi celle de M. Jackson, et nous vivons au centre-ville de Toronto, dans le « quartier gai ». Donc, nous avons le bon code postal. Lorsqu’il y a des interventions, nous sommes considérés comme des personnes queers et nous avons donc un lien avec l’agent de liaison LGBT de la police qui a communiqué, et cetera. S’il y a des problèmes dans notre quartier, et il y en a souvent, puisque nous sommes au centre-ville, et que nous appelons la police, à cause de notre indicatif régional, nous n’obtenons pas le même genre d’intervention qu’à Regent Park, qu’à Moss Park ou qu’à St. James Town, qui sont pourtant à deux pas de nous.

Historiquement, nous avons eu une bonne relation avec la police ou les forces policières — la GRC et le Service de police de Toronto —, les fois où nous avons dû communiquer avec elles, mais je crois aussi que c’est exceptionnel. Je suis avocat. Je pense que cela a aussi une influence sur la façon dont les gens réagissent et répondent, parce que j’ai un profil public plus visible.

Je doute que tous les musulmans au Canada aient mon profil, ce qui fait que, quand ils appellent la police, ils obtiennent, comme notre ami ici présent l’a dit, les autres types de délégations dont on a parlé. Les gens n’appellent pas la police. Beaucoup d’immigrants et de personnes racisées n’appellent pas la police, parce qu’ils ne lui font pas confiance. Ils ne pensent pas qu’ils seront entendus ou compris, et il y a assez d’exemples dans les médias qui montrent que, parfois, les victimes sont victimisées encore plus par le système et par les gens qui sont censés pourtant les protéger. Donc, nous avons eu de bonnes expériences, mais je pense que c’est exceptionnel, par rapport au contexte général.

M. Jackson : Les gens dans les rues, et cela vaut aussi pour les jeunes, ne vont probablement pas demander l’aide de la police, tout simplement parce que, dans le contexte de l’application de la loi, tout part en vrille par rapport à la façon dont les choses ont commencé, et il y a toujours des problèmes de racisme dans la force policière. Beaucoup de membres de ma famille sont dans la GRC — et nous valorisons tous la police —, mais ils continuent d’être la cible de blagues au travail.

Les gens ne vont pas lever la main, et dire ce qu’ils ne veulent pas dire. Comme je l’ai dit plus tôt, nous sommes privilégiés. Quand j’appelle la police, elle se présente sans attendre. Les agents sont très polis avec moi. Habituellement, j’obtiens un résultat. Mais je sais que quand d’autres personnes ont appelé la police, les agents ne sont pas arrivés dans leur quartier aussi rapidement. Elles ne vont pas aller voir la police dans la rue et dire à l’agent : « Bonjour, quelque chose vient de m’arriver. » Elles vont probablement aller parler à l’imam ou à la communauté et demander ce qui se passe. Mais, comme l’ont dit certains des témoins précédents, si vous êtes plus traditionnel ou plus âgé, peut-être que vous allez garder un peu plus cela pour vous.

Aussi, il y a des immigrants venant d’autres pays où, quand vous allez voir la police pour déposer une plainte, vous risquez de disparaître. C’est une autre raison pour laquelle les gens ne vont pas vouloir communiquer avec la police, parce qu’ils ne lui font pas confiance, parce que d’une certaine façon, dans leur pays d’origine, ce n’est pas quelque chose qu’on fait. Vous ne faites pas de vagues. Vous ne prenez pas trop d’espace, parce que, comme le dernier témoin l’a dit, vous ne voulez pas mettre votre famille en danger. Nous avons dû prendre des décisions similaires nous-mêmes, parce que nous avons maintenant un enfant de cinq ans, et est-ce que nous voulons mettre notre famille en danger? Non. Donc, nous prenons nous aussi ce genre de décisions.

Le sénateur Arnot : Merci beaucoup. J’aimerais poser une question à M. Al-Qazzaz. Vous avez souligné la partialité institutionnelle de l’ARC et de l’Agence des services frontaliers du Canada. Vous nous avez donné quelques exemples. J’aimerais plus de détails sur vos recommandations. Vous voulez changer la culture de ces deux organismes afin qu’ils soient beaucoup plus ouverts et sans discrimination. Y a-t-il quoi que ce soit que vous aimeriez ajouter, quant à la façon dont vous mettriez en œuvre ces recommandations, ou quant à la meilleure façon dont le gouvernement pourrait le faire?

M. Al-Qazzaz : Merci, c’est une question importante. Les interventions, en particulier celles de l’ARC auprès de la communauté musulmane, n’ont effectivement jamais été aussi importantes qu’au cours des deux ou trois dernières années. Deux rapports qui ont été publiés, l’un par l’Université de Toronto, et l’autre par la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, qui ont essentiellement mis en relief les pratiques islamophobes de l’ARC envers les organisations musulmanes. En somme, ses pratiques ne sont malheureusement pas les mêmes avec des organisations musulmanes et avec d’autres, et elle ne met pas à contribution son approche qui préconise l’éducation. Elle s’appuie sur des ressources et des documents islamophobes, et elle a déployé plus d’efforts pour essayer de restreindre la croissance et la vitalité des organisations musulmanes en employant les outils que lui donne la loi.

Le problème, dans cette situation, c’est que l’ARC est essentiellement le procureur et le juge, et c’est elle qui fait toutes les règles. Elle vous donne des instructions et des lignes directrices vagues. Je cite nos avocats professionnels — des avocats fiscalistes et des avocats spécialistes de l’impôt des organismes de bienfaisance des meilleurs cabinets —, qui disent qu’elle est assez puissante pour fermer ou pénaliser lourdement toute organisation qui déroge à sa réglementation.

Il y a tellement de modèles internationaux. La loi sur les organismes de bienfaisance au Royaume-Uni est un excellent exemple, parce qu’elle est très claire, parce que son approche priorise l’éducation et encourage les organisations à se conformer en suivant la réglementation. Donc, là-bas, on priorise l’éducation et on clarifie la réglementation. Donc, on demande de suivre ce qui est prescrit — essentiellement une approche d’éducation et de mobilisation —, dans ce contexte, mais ce n’est pas l’approche qui est appliquée pour les organisations musulmanes.

Deuxièmement, l’ARC ne se conforme malheureusement pas aux mêmes normes que les cours de justice dans le cadre de procédures légales. Elle n’a pas à présenter une preuve claire et convaincante pour prendre une décision. Dans le même ordre d’idées, les agents de l’ASFC ne sont pas tenus d’avoir un doute suffisant à l’égard des organisations ou des personnes pour prendre les mesures et pour influencer les résultats. C’est problématique en soi. C’est à cet égard que la loi doit limiter les pouvoirs infinis qui sont accordés à l’ARC et à l’ASFC, pour que ce soit égal.

Troisièmement, il y a le fait qu’il n’y a pour ainsi dire aucune surveillance. Il y a un mécanisme d’appel officiel, mais tout le monde dans le secteur de la bienfaisance sait qu’il ne fonctionne pas. C’est surtout une mesure qu’on peut prendre pour contester une décision défavorable ou négative qui a été prise. Et je ne parle pas ici d’une organisation ou d’une pratique en particulier, parce que, dans les diverses organisations, il y a toutes sortes d’organisations qui sont conformes et d’autres qui ne suivent pas vraiment les règles et les lignes directrices. Je parle de façon générale, et par rapport à tout le reste du secteur de la bienfaisance, ou du moins les organismes de bienfaisance religieux.

Enfin, il y a aussi le contexte culturel de longue date qui explique pourquoi ces organisations ont été établies. Je veux parler du changement culturel, je crois que mes collègues en ont parlé plus tôt, en parlant des pratiques que nous tous devons contester, en tant que Canadiens, dans différents milieux... Il y a des cultures dans lesquelles on ne voit pas ces microagressions, où on ne voit pas ces problèmes structurels et où on ne voit pas d’inconvénients à suivre ces approches discriminatoires.

Donc, on peut aussi s’attaquer au problème de l’approche culturelle avec de la surveillance et des formations et de la sensibilisation continue, et je pense qu’il y a une bonne intention de la part du gouvernement, mais aucune mesure concrète n’a été prise pour enquêter sur ces pratiques et prendre des mesures correctives vigoureuses, même si certains organismes de sécurité ou administratifs s’y opposeraient, malheureusement. Cela va vraiment exiger de l’endurance et de la force politique pour corriger les problèmes qui existent, et un bon point de départ serait un processus mobilisant les divers intervenants. Merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je dois vous féliciter pour cette initiative. Je pense qu’on devrait la répéter un peu partout parce que cela montre que l’islam est une religion d’ouverture; c’est une religion de tolérance, c’est une religion qui accepte les autres.

Votre expérience est assez touchante parce que cela montre à quel point l’islamophobie existe à l’interne. On doit commencer nous-mêmes à combattre l’islamophobie entre nous, les musulmans. Ce que vous avez entrepris, donc, est louable.

J’aimerais savoir : qu’attendez-vous réellement de nous?

[Traduction]

De quoi avez-vous besoin? Je le répète, qu’attendez-vous vraiment du comité?

M. Jackson : J’aimerais aussi insister sur le fait que nous avons véritablement besoin que des mesures soient prises. Vous devez aussi regarder qui vous embauchez, qui est présent dans la pièce. Vous pouvez avoir des groupes issus de la diversité qui siègent à vos comités ou même au Sénat, mais, à moins de faire suivre ce qui est dit par des mesures concrètes, même si nous venons tous ici témoigner et discuter en long et en large, rien ne va arriver si rien n’est fait. Quel est le portrait de la situation? Qui est vraiment présent autour de la table? Est-ce que vous discutez avec les musulmans, ou est-ce que vous monologuez devant eux? Prenez-vous vraiment ce qu’ils disent en considération et est-ce que vous y donnez suite en prenant des mesures, ou est-ce que vous vous contentez de vous féliciter plus tard, parce que vous avez dépensé de l’argent pour prendre du temps pour parler à des gens d’un bout à l’autre du Canada? Nous voudrions vous proposer des mesures concrètes, mais il faut aussi qu’il y ait toutes sortes de musulmans dans la pièce pour que les mesures proposées soient vraiment mises en œuvre. Nous pouvons parler aussi longtemps que nous le voulons, mais nous avons besoin que quelque chose soit fait.

M. Khaki : Je vous remercie de vos commentaires. En ce qui me concerne, c’est vraiment la pratique religieuse de l’islam qui m’a permis de m’ouvrir à la plénitude du monde, à la plénitude de l’humanité et à notre relation avec le monde non humain dans lequel nous évoluons. Je suis d’accord avec vous. Je pense que nous avons un peu intériorisé l’islamophobie, comme cela arrive souvent avec le racisme, et pour les personnes queers et trans, cela peut aussi être intériorisé à cause de la culture et des discours dominants.

Nous attendons de votre part plus que des mots. Oui, les mots sont importants. C’est un point de départ, mais ça ne donne rien, disons, que le gouvernement nomme quelqu’un pour surveiller l’islamophobie et pour intervenir quand ce sont les organismes du gouvernement eux-mêmes, dans leurs politiques et dans leurs pratiques effectives, qui traitent les musulmans ou les autres différemment. En résumé, nous avons besoin que les choses soient faites de façon cohérente.

J’ai lu toutes vos notices biographiques, et je connais votre travail dans le domaine de la justice réparatrice auprès des communautés autochtones. La mosquée est fondée sur le principe du cercle de guérison, qui vient des traditions soufies et autochtones. Je pense que ces genres de cercles de guérison doivent être intégrés dans tout ce que nous faisons, parce qu’il y a beaucoup de gens qui souffrent de toutes sortes de traumatisme.

Mon amie, Mme Rima Berns-McGowan, a réalisé une étude sur les conflits importés, c’est-à-dire sur les communautés immigrantes qui importent leurs conflits. Sa conclusion était que ce n’est pas ce qu’elles veulent, mais quand je lui ai demandé si ces communautés importaient leurs traumatismes — en tant qu’avocat en droit des réfugiés, je dois interagir tous les jours avec des gens traumatisés —, elle a confirmé que ces gens apportaient avec eux leurs traumatismes, et ces traumatismes ne sont pas réglés et ne sont pas résolus. Nous avons besoin d’intégrer le concept de la justice réparatrice et des cercles de guérison dans tous les aspects de notre travail sur les droits de la personne, parce que ce n’est pas suffisant de dire qu’un problème existe. La question, c’est comment nous pouvons le surmonter et comment arriver de l’autre côté.

Pour cela, il faut entre choses déclarer que tout le monde, les Canadiens et les autres, sont des humains égaux. La citoyenneté n’a pas d’importance. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une approche intégrée où des phrases comme « Vous n’avez pas l’air d’un musulman » n’ont pas leur place. Qu’est-ce que ça change, si j’ai l’air d’un musulman? Parfois, on me demande si je prie ou si je fais ceci ou cela. Je n’ai pas à répondre à cette question. Ce qui est important, c’est ma perception de moi-même et, incidemment, comment les autres me voient dans une situation ou un contexte particuliers.

Notre mosquée a lancé d’excellentes initiatives pour incorporer des pratiques et des traditions autochtones, et, en tant qu’avocat et militant pour les droits de la personne, je pense que nous avons besoin d’intégrer davantage les enseignements autochtones dans la façon dont nous faisons notre travail. Cela va au-delà de la simple reconnaissance des terres que nous formulons; cela consiste à intégrer concrètement ces pratiques dans la guérison, parce que je pense que les vrais problèmes sont dus aux traumatismes. L’islamophobie, comme toutes les autres phobies, est fondée sur des stéréotypes et sur la croyance que les autres forment un tout monolithique. Nous voyons toujours ce qu’il y a de mieux dans nos exceptions, mais voyons toujours le pire dans nos généralisations sur les autres.

Donc, le plus important serait de démonter cette notion que tous les gens d’une communauté ou d’un groupe sont identiques, qu’ils forment un groupe monolithique. Ce dont nous avons besoin de votre part, c’est que vous continuiez à mettre l’accent sur la diversité et sur le fait qu’il y a une multitude de diversités. Merci.

La sénatrice Gerba : Merci.

M. Al-Qazzaz : J’ai toujours voulu apprendre davantage le français, mais je n’ai jamais eu l’occasion de le faire, alors je fais de mon mieux.

Donc, comme le sait la présidente, la communauté musulmane est complexe; ce n’est pas un monolithe, ce n’est pas une communauté uniforme avec laquelle il existe une façon unique d’interagir. Les islamophobes ne distinguent pas les musulmans pratiquants, les musulmans non pratiquants ou les musulmans selon leurs divers styles de vie, et cetera. Tout ce qui dans ce contexte vous lie à l’islam, même la couleur de votre peau — même s’il existe des musulmans blancs —, fait que vous allez subir sensiblement la même attaque.

Ce que nous espérons, c’est que le comité, surtout après avoir entendu toutes ces expériences, va aussi prendre en considération cette nuance ou cette complexité supplémentaire, pour observer et comprendre la diversité au sein même de la communauté musulmane. Je vous suis très reconnaissant des efforts que vous faites ici pour entendre les diverses voix de la grande communauté musulmane en général. Malgré tout, pour aller un peu plus loin, ce n’est pas suffisant de réunir des gens différents dans la même pièce. C’est une chose de recommander des mesures, mais il faut aussi que nous comprenions que nous avons de la chance de vivre dans un pays qui respecte la diversité et qui prend des mesures adaptées à une société pluraliste et à notre compréhension de l’islam — je parle en mon nom présentement —, en tenant compte de cet aspect et de la notion de la diversité et du pluralisme, et même de l’humanité en général, où il y a des gens de diverses religions, avec diverses relations et diverses spiritualités.

Ce qui rend la vie au Canada spéciale, aussi — et la sénatrice Ataullahjan sait que j’ai survécu à de la persécution politique ailleurs —, c’est que le Canada vous permet de pratiquer votre foi et vous permet de vivre selon le mode de vie de votre choix, sans vous forcer ni vous imposer des contraintes de n’importe quelle façon ou forme.

Si nous voulons régler le problème de l’islamophobie, nous ne pouvons pas simplifier le problème et simplement dire : eh bien, voici les musulmans, voici leurs problèmes et voici la solution qui fonctionnera pour tous les musulmans. Cela ne fonctionne pas ainsi, à cause des modes de vie différents. Les musulmans ne peuvent pas être simplement résumés à un mode de vie précis ou à une façon spécifique de faire les choses, et il faut que tout le monde accepte cela. Ce que nous voulons, c’est respecter les mêmes principes qui existent dans la société et qui permettent à tous de faire ce qu’ils veulent, sans subir de pression d’un côté ou d’un autre, parce que c’est quelque chose qu’on constate dans la communauté musulmane et aussi à l’extérieur de la communauté musulmane.

Donc, nous devons ajouter une petite couche de complexité supplémentaire à la diversité et permettre aux musulmans d’avoir des modes de vie différents, même si les gens n’acceptent pas ces modes de vie. J’espère que ce que je dis a du sens.

La sénatrice Gerba : Vous venez de dire, dans votre déclaration, qu’un comité sénatorial avait invité des islamophobes à témoigner. Étaient-ils inscrits sur une liste?

M. Al-Qazzaz : Eh bien, c’était en novembre 2014, et c’était le Comité permanent de la sécurité nationale et de la défense. Le comité avait invité deux ou trois personnes, dont Lorenzo Vidino et Thomas Quiggin. C’est un exemple malheureux qui montre l’effet que cela a sur la vie des gens.

Thomas Quiggin, en particulier, est l’auteur d’un rapport rempli de fausses informations et de mensonges où il essaie essentiellement de faire un lien entre les musulmans et les organisations musulmanes au Canada et le terrorisme et l’extrémisme, et pour cela, il utilise des ressources douteuses. Il a été poursuivi en justice, et il a dû déclarer faillite. Malheureusement, cette audience a donné un document que des entités comme l’ARC utilisent. Ce rapport est utilisé par certains organismes de sécurité, et cela complique la vie des gens qui demandent des visas ou qui invitent des membres de leur famille, ou d’autres choses du genre. Donc, malheureusement, c’est vraiment problématique quand on donne aux islamophobes plus de contextes légitimes pour documenter leurs mensonges.

La sénatrice Gerba : Je voulais seulement un éclaircissement pour savoir s’il y avait une liste des islamophobes connus, mais vous dites que cela vient d’une étude?

M. Al-Qazzaz : Je comprends votre question. Nous ne voulons pas tomber dans le piège comme d’autres qui se donnent essentiellement le droit de catégoriser des gens comme étant ceci ou cela, selon leurs opinions. Tout le monde a droit à son opinion, pourvu que cela n’atteigne pas le seuil des conséquences criminelles prévues par la loi, comme dans des cas de diffamation ou d’autres, ou des cas d’incitation à la violence ou d’incitation à s’en prendre à des gens. Il y a des personnes qui ont intégré ce genre de choses à leur travail et à leurs responsabilités, elles ont utilisé les plateformes publiques et ont causé des préjudices à beaucoup de gens, y compris moi-même et plusieurs membres de ma famille.

Il y a quelques études que je pourrais transmettre au comité qui documentent ces attaques et ces réseaux. La plus récente est celle de Mme Jasmin Zine, qui a recueilli encore plus d’informations sur des réseaux de l’islamophobie en Amérique du Nord.

Le sénateur Oh : Vous avez mentionné un comité sénatorial en 2014, et vous avez dit — corrigez-moi si je me trompe — vous avez dit le sénateur Vidino?

M. Al-Qazzaz : Non, M. Vidino était un invité. C’était un témoin. Ce n’est pas un sénateur.

Le sénateur Oh : Oh, ce n’est pas un sénateur.

M. Al-Qazzaz : Non, pas un sénateur.

Le sénateur Oh : D’accord, parce que on a dit le sénateur Vidino, mais il a pris sa retraite il y a un moment.

M. Al-Qazzaz : Non.

Le sénateur Oh : Est-ce que c’est la même personne?

M. Al-Qazzaz : Non, ce n’est pas un sénateur. C’est un blogueur sur Internet.

La présidente : Pour clarifier, c’était le Comité de la défense?

M. Al-Qazzaz : Oui.

La présidente : Vous souvenez-vous qui était le président?

M. Al-Qazzaz : Je peux vous fournir tous les détails.

La présidente : D’accord. Donc, il dit que le Comité de la défense avait invité deux islamophobes notoires à témoigner.

Le sénateur Oh : Oui.

La présidente : Pour que ce soit clair, nous sommes le Comité sénatorial des droits de la personne, nous étudions exclusivement la question musulmane et nous dénonçons les islamophobes. Je pense que cela reflète la diversité du Sénat et de ce que nous représentons, mais je n’étais pas au courant de cela. Dans le cas contraire, si cela avait soulevé un problème, j’aurais dit quelque chose, et je pense que je sais qui était le président... mais je ne peux pas en parler. Nous sommes dans une séance publique, alors je ne peux rien dire, mais vous et moi allons discuter.

Le sénateur Oh : Merci, et bienvenue à nos témoins. J’ai une question pour vous deux. Combien de membres compte votre mosquée? Vous êtes dans le quartier Wellesley and Church, exact?

M. Khaki : C’est difficile de dire la taille de notre communauté. Nous avons toujours eu une composante internationale. Quand nous nous réunissions en personne, nous tenions les services du vendredi dans un centre de santé communautaire pour les femmes de couleur, et nos services du soir se tenaient au centre communautaire situé au 519, rue Church, dans le quartier Church-Wellesley.

Je dirais que des milliers de personnes ont assisté à nos services au cours des 13 dernières années. Notre groupe Facebook compte presque 3 000 membres, de partout dans le monde. Comme je vous le disais quand nous discutions, à l’extérieur, quand nous tenons le service du vendredi, maintenant, exclusivement en ligne — nous sommes uniquement en ligne depuis mars 2020, à cause de la pandémie — et que nous faisons le reste de nos activités, que ce soit nos prières religieuses du vendredi, nos célébrations de l’Aïd, nos majlis pour le mouharram ou quoi que ce soit d’autre, nous nouons des liens et des membres qui vivent aussi loin qu’à Singapour participent à nos activités. Quand nous avons tenu notre première prière de l’Aïd en ligne, pendant la pandémie, il y a eu plus de 400 inscriptions de gens vivant sur six continents. Il y a seulement l’Antarctique qui n’était pas représenté durant cette partie de notre service.

Je ne suis pas certain, parce que nous n’avons pas de processus d’adhésion officiel, mais nous desservons des milliers de personnes, y compris à l’étranger. Nous avons investi des ressources dans notre modèle, et nous l’avons distribué, ainsi que nos leçons, à des collectivités en Afrique du Sud, en Malaisie, dans toute l’Europe et aux États-Unis. J’essaie aussi de percer en Amérique du Sud. Donc, je ne peux pas vous donner de chiffres exacts, mais je peux vous dire que c’est beaucoup.

Le sénateur Oh : D’accord.

M. Jackson : Actuellement, compte tenu du climat actuel, nous hésiterions probablement à avoir un espace physique, pour l’instant. Nous étions protégés par les espaces que nous utilisions pour nos programmes et où nous tenions nos services, nous étions protégés, et c’était notre espace à nous, alors il y avait une certaine apparence de sécurité. Maintenant, vu le contexte actuel et aussi les avis des responsables de la sécurité de la GRC et d’autres services policiers qui nous ont conseillés, nous devrions probablement faire profil bas, poursuivre nos activités de défense des intérêts et venir témoigner ici devant vous, mais il nous faudrait bien réfléchir avant de dire que nous voulons un espace physique.

Le sénateur Oh : Avez-vous un chapitre physique à Vancouver et à Montréal?

M. Khaki : Oui. Au Canada, nous avons des communautés actives présentement à Montréal, à Ottawa, à Calgary et à Vancouver, mais plus petites que la nôtre. Nous sommes la communauté phare, ici.

Le sénateur Oh : À Toronto?

M. Khaki : Oui.

Le sénateur Oh : D’accord. Et pour la répartition des genres, accueillez-vous des hommes et des femmes?

M. Khaki : Oui. Nous ne croyons pas au binaire, alors hommes, femmes ou peu importe le genre. Tous les gens sont égaux pendant nos services, donc peu importe votre identité de genre, vous pouvez diriger la prière, prononcer un sermon ou vous occuper de n’importe quelle autre partie du service rituel.

Le sénateur Oh : D’accord. Merci.

M. Khaki : Venez comme vous êtes, c’est notre mot d’ordre.

Le sénateur Oh : J’irai vous rendre une visite.

M. Khaki : Oui, je vous en prie.

Le sénateur Oh : Qu’est-ce qui serait la clé, qu’est-ce qui serait le plus important, selon vous? Vous disiez craindre que le comité ne fasse qu’écouter et qu’aucune mesure ne soit prise. Selon vous, quelle serait la mesure clé que nous ne devrions pas perdre de vue?

M. Al-Qazzaz : J’ai deux suggestions précises. Premièrement, j’espère que le travail de votre comité donnera lieu à une enquête parlementaire sur l’islamophobie structurelle au sein du gouvernement et dans les organismes de sécurité. Je pense qu’un très bon point de départ, pour cela, serait une enquête approfondie qui ferait intervenir des groupes de la société civile.

Ma deuxième suggestion, c’est quelque chose que le comité pourrait faire directement : c’est un message public que certains membres du Sénat pourraient faire passer. Ce serait de ne pas voir la communauté musulmane comme une menace pour la sécurité ou sous l’angle de la sécurité. J’ai parlé plus tôt à un ministre de la sécurité publique, qui était le chef du Service de police de Toronto à l’époque la plus difficile, après le 11 septembre, et je lui ai demandé de confirmer que la communauté musulmane, depuis le 11 septembre, était d’abord vue sous l’angle de la sécurité avant tout le reste.

Si nous pouvions prendre publiquement position contre cette mentalité, je pense que cela constituerait une étape importante, et certains d’entre vous et d’autres personnes pourraient y travailler. Merci.

La présidente : Merci. J’aimerais que vous répondiez à une question, en tant qu’avocat : une certaine personne, au square Yonge-Dundas, a déclaré que le meurtre des musulmans et des sikhs était justifié, et elle n’a été accusée de rien. Le saviez-vous? Avez-vous vu la vidéo? Je sais que cet homme n’a été accusé de rien, non pas parce que la police ne veut pas porter d’accusations, mais parce que le bureau du procureur général prend son temps. Étiez-vous au courant de cette affaire? Je ne veux pas nommer cette personne, parce que je n’aime pas donner à ces individus un iota d’attention.

M. Khaki : Pour être honnête, non, tout bonnement parce que j’ai voyagé, j’ai attrapé la COVID et je devais m’occuper d’un enfant de cinq ans, mais cela ne me surprend pas. Cela rejoint l’idée que la justice est appliquée différemment, comme on cible différemment, par exemple, les organismes de bienfaisance musulmans. Ce n’est pas que les musulmans sont incompétents pour tenir leurs comptes et leurs registres par rapport aux autres, c’est plutôt que les autres ne sont pas contrôlés aussi scrupuleusement, ou alors que ce n’est pas la même norme qui est appliquée. Pour moi, ce que vous dites reflète la façon dont certaines personnes sont traitées différemment par les institutions, en l’occurrence les musulmans, mais, comme je l’ai déjà dit, il y a aussi du racisme anti-Noirs, il y a ce recoupement, et il y en a aussi d’autres.

La présidente : Vous avez parlé de l’islam soufi. Pouvez-vous expliquer le soufisme à mes collègues qui ne le connaissent pas? Pouvez-vous dire deux phrases sur l’islam soufi? J’aime à penser que je suis moi-même soufie.

M. Khaki : L’islam soufi et le soufisme renvoient à la tradition ou aux pratiques mystiques de l’islam, et la principale relation entre le créateur et sa création, dans l’islam soufi, est fondée sur l’amour. Allah est le bien-aimé, et nous sommes les bien-aimés d’Allah, et Allah dit, dans le Coran : « Je suis plus près de vous que votre veine jugulaire », et Allah ne dit pas qu’il parle des musulmans en particulier, ou des hommes, ou des personnes blanches ou hétérosexuelles. C’est le grand égalisateur : peu importe ce que vous croyez, peu importe que vous croyiez ou que vous ne croyiez pas, et peu importe qui vous êtes dans cette relation, le fondement de cette relation est l’amour et l’intimité. C’est ma vision du soufisme.

La présidente : Je pense que c’est juste. Mes filles et moi-même disons que nous sommes soufies. Il y a aussi le poète Rumi, qui était bien sûr l’un des plus grands écrivains soufis. Je voudrais dire aux analystes que je voulais étudier tous les angles et tous les cultes différents, mais nous avons plus ou moins oublié les soufis. Je sais qu’ils ont une organisation ici, à Mississauga.

M. Khaki : Je suis derviche.

La présidente : Vous êtes derviche? D’accord.

M. Khaki : Pardon, j’essaie de mon mieux d’être derviche.

La présidente : Nous allons étudier cela, aussi. Vous avez dit que la police vous répondait immédiatement, parce que vous vivez à une certaine adresse. Que voulez-vous dire?

M. Jackson : Nous sommes en plein centre-ville. Nous vivons sur une des rues, dans une très vieille maison, qui a toujours été là. La plupart des gens du quartier sont blancs, ou ils ont beaucoup d’argent et peuvent se permettre de payer, je ne sais pas, 700 000 $ pour un appartement minuscule. Voilà pourquoi la police arrive très vite, quand c’est nous.

Aussi, avec l’agrandissement de l’Université de Toronto et l’Université métropolitaine de Toronto, il y a aussi beaucoup d’étudiants dans le secteur. Nous vivons derrière l’École nationale de ballet, ce qui veut dire que la police prend soin de l’argent et des biens nantis du quartier.

La présidente : Je ne veux pas vous prêter des propos, mais êtes-vous en train de dire que, si vous êtes blanc et fortuné, la police intervient plus rapidement?

M. Jackson : Oui.

M. Khaki : Oui.

La présidente : Merci. Donc, je ne vous ai pas prêté des propos?

M. Khaki : Non, et nous vous en sommes reconnaissants.

La présidente : Monsieur El-Qazzaz, vous avez soulevé une question qui devrait peut-être faire partie de l’étude, soit le rôle de l’ARC, qui cible les organismes de bienfaisance musulmans. Le sujet a été abordé très brièvement, hier, quand j’étais à l’ISNA, et je sais qu’il y a des sénateurs parmi nous qui se sont aussi penchés sur ce problème. Nous avons eu des réunions privées avec les gens de l’ARC, et ils affirment qu’ils travaillent à l’aveugle, qu’ils ne savent pas quels organismes de bienfaisance ils contrôlent ni ce qui se passait.

Je ne veux pas trop en parler, parce que nous allons approfondir la question plus tard dans le cadre de notre étude, mais on m’a dit que tout cela se fait à l’aveugle, et j’ai répondu que, parmi les huit organismes de bienfaisance qui avaient été examinés et contrôlés, six étaient des organismes musulmans. Je ne peux croire que cela a été fait à l’aveuglette. Ce qu’on nous dit, c’est que certains organismes de bienfaisance musulmans ont été délibérément ciblés.

M. Al-Qazzaz : Pour sauver du temps, je vais vous communiquer les deux rapports de l’Université de Toronto et de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, parce qu’ils expliquent clairement les aspects problématiques des pratiques de l’ARC. C’est une situation complexe, parce que le problème n’est pas seulement à l’échelon de l’ARC; il est aussi à l’échelon de l’évaluation nationale du risque au Canada, et aussi dans les engagements internationaux du Canada envers des entités comme le groupe d’action financière, dont j’ai parlé plus tôt.

Le problème tient à la façon dont le modèle d’évaluation national des risques a été défini et conçu. Dans ce modèle, les groupes et les organismes de bienfaisance musulmans sont la première menace. Je pense qu’au moins 95 % des organisations — je ne veux pas vous donner le nombre exact, mais vous le verrez dans le rapport que je vais vous envoyer — qui figurent sur la liste des entités terroristes du gouvernement sont des organisations musulmanes ou ont des liens avec le monde musulman. Cela a fait en sorte que toute la perspective de l’organisation a changé, et les institutions ont commencé à cibler les organisations musulmanes. La difficulté, c’est que le but n’est pas seulement de le pénaliser et de révoquer leur statut d’organisme de bienfaisance; le but, c’est plutôt de mettre en œuvre des pratiques qu’on appelle l’atténuation des risques et le définancement.

L’idée derrière cela, c’est que l’objectif est maintenant de restreindre les organismes de bienfaisance musulmans, sans être obligé de faire le travail de diligence raisonnable pour vérifier leurs affiliations, leurs liens et leurs problèmes. Parfois, ces pratiques sont utilisées contre des organismes de bienfaisance qui n’ont aucun lien à l’étranger. Elles ne recueillent pas d’argent et ne distribuent rien. Malheureusement, tout cela a permis à toute personne qui a des tendances ou des pratiques culturelles islamophobes d’utiliser ces pouvoirs pour cibler les musulmans, lorsqu’elle n’est pas d’accord avec les musulmans quant à leur perception de la foi ou de la religion.

Des gens de l’ARC se sont présentés à l’une des organisations pour laquelle je travaille et ont dit que tenir huit célébrations pour les pauvres, ce n’est pas considéré comme des activités de bienfaisance, mais cela n’a pas de sens, parce qu’ils estiment que c’est un événement social et non pas un événement religieux, ce qui veut dire qu’ils essaient de définir ce que leur foi est et comment ils doivent la pratiquer. Dans notre église, mon fils joue au volley-ball, et tous ses entraînements privés se font dans des espaces loués à l’église. La plupart des musulmans sont perçus différemment, et lorsqu’ils tiennent des activités pour les jeunes, ce n’est pas considéré comme une activité de bienfaisance.

Cela vous montre concrètement comment l’ARC — ou comment quelqu’un à l’ARC — tente de définir ce que l’islam est pour les organisations et les organismes de bienfaisance musulmans. C’est un problème à nombreux niveaux.

La présidente : Merci. Vous avez soulevé un enjeu important, et nous allons examiner cela plus en détail.

Messieurs, je vais en profiter pour vous remercier d’avoir pris le temps d’être ici avec nous et de nous avoir éclairés. Monsieur Jackson, nous discutons vraiment avec les gens, nous ne monologuons pas devant eux. Le Sénat fonctionne très différemment et, si vous regardez certains des travaux accomplis par les comités sénatoriaux, vous verrez que nous n’avons pas à craindre les élections. Nous faisons ce travail parce que cela nous tient à cœur, et nous croyons que c’est la bonne chose à faire pour représenter les Canadiens et les Canadiennes de toutes les couleurs et de toutes les allégeances.

Nous essayons sincèrement de faire de notre mieux, et je dois vous dire que cela n’a pas été facile. Les sénateurs et les sénatrices vous le diront, chaque soir, nous rentrons le cœur lourd, et parfois c’est presque littéralement étant donné ce que nous avons entendu. Donc, je veux vous remercier d’avoir pris le temps d’être ici avec nous, et sachez que vous serez d’une grande aide pour la suite de notre étude.

(La séance est levée.)

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