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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le lundi 28 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 16 h 8 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général.

La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Je suis Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto et présidente du comité. Aujourd’hui, nous tenons une réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

J’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la réunion. À ma gauche se trouve le sénateur Woo, qui représente la Colombie-Britannique; la sénatrice Omidvar, qui représente la province de l’Ontario; à ma droite, il y a la sénatrice Gerba, qui représente la province de Québec, et le sénateur Manning, qui représente Terre-Neuve-et-Labrador.

Notre comité étudie l’islamophobie dans le cadre de son ordre de renvoi général. Notre étude couvrira notamment le rôle de l’islamophobie en ce qui concerne la violence en ligne et hors ligne contre les femmes, la discrimination fondée sur le sexe ainsi que la discrimination dans l’emploi, y compris l’islamophobie dans la fonction publique fédérale.

Notre étude examinera également les sources de l’islamophobie, ses répercussions sur les personnes, y compris sur la santé mentale et la sécurité physique, ainsi que des solutions et des interventions gouvernementales possibles.

Après avoir tenu deux réunions en juin à Ottawa, notre comité a tenu des audiences publiques en septembre à Vancouver, à Edmonton, à Québec et à Toronto. De plus, nous avons visité des mosquées dans chacune de ces villes. Nous poursuivons maintenant nos audiences publiques à Ottawa.

Permettez-moi de fournir quelques détails au sujet de notre réunion aujourd’hui. Cet après-midi, nous recevrons pendant une heure deux groupes de témoins qui comptent un certain nombre de représentants ministériels, puis, pendant 45 minutes, nous entendrons un dernier témoin. Dans chaque groupe de témoins, nous entendrons les témoins, puis les sénateurs auront une période de questions et de réponses.

Je vais maintenant présenter notre premier groupe. Chaque témoin a été invité à présenter une déclaration liminaire de cinq minutes. Nous allons entendre tous les témoins, puis passerons aux questions des sénateurs.

Je tiens à souhaiter la bienvenue à notre premier témoin, qui se joint à nous par vidéoconférence aujourd’hui. Nous accueillons Geoff Trueman, sous-commissaire, Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires; et Sharmila Khare, directrice générale, Direction des organismes de bienfaisance, Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires, de l’Agence du revenu du Canada.

J’invite maintenant M. Trueman à présenter son exposé.

Geoff Trueman, sous-commissaire, Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires, Agence du revenu du Canada : Merci et bon après-midi, madame la présidente. Merci beaucoup de m’avoir invité aujourd’hui à comparaître devant vous et les membres du comité. Dans mon allocution, j’aborderai le rôle de la Direction des organismes de bienfaisance en tant qu’organisme fédéral de réglementation des organismes de bienfaisance et, en particulier, son approche liée à l’observation et les vérifications.

Les organismes de bienfaisance jouent un rôle de plus en plus important dans notre société et fournissent des services valables à tous les Canadiens. Par conséquent, la Direction des organismes de bienfaisance s’engage à veiller à ce que les organismes de bienfaisance enregistrés fonctionnent dans un environnement réglementaire qui soutient leur important travail.

Compte tenu des nombreux privilèges qu’il accorde, l’enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance s’accompagne également de l’obligation de respecter le droit régissant les organismes de bienfaisance. La Direction des organismes de bienfaisance est chargée d’administrer les dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu et les exigences de la common law qui touchent les organismes de bienfaisance enregistrés, et de veiller à ce que tous les organismes enregistrés respectent ces exigences. Il s’agit d’un facteur essentiel afin de maintenir la confiance du public envers le secteur de la bienfaisance.

La Direction des organismes de bienfaisance favorise l’observation en utilisant une approche d’abord fondée sur le risque, ce qui vise à garantir que seuls les organismes de bienfaisance enregistrés présentant le plus grand risque d’inobservation grave sont sélectionnés pour une vérification. Bien que les efforts d’observation plus larges de la Direction des organismes de bienfaisance tiennent compte des risques globaux d’inobservation de la Loi de l’impôt sur le revenu, les ressources de vérification de la Division de la revue et de l’analyse, la DRA, ne sont utilisées que pour les dossiers où un risque d’abus terroriste a été identifié. La Direction des organismes de bienfaisance ne sélectionne jamais, en aucun cas, les organismes de bienfaisance à vérifier en fonction de facteurs tels que la foi ou la confession. En outre, de tels facteurs n’influenceraient jamais le résultat d’une vérification. Ce sont plutôt les faits propres à la vérification qui en déterminent le résultat.

Cette approche en matière d’observation fondée sur le risque s’appuie sur l’Évaluation nationale des risques inhérents du gouvernement du Canada, une compréhension partagée entre les organismes gouvernementaux des risques, y compris les acteurs, qui représentent la plus grande menace pour la sécurité nationale du Canada. Depuis 2008, lorsque la DRA a vu le jour, la Direction des organismes de bienfaisance a effectué un total de presque 8 000 vérifications. Parmi ces vérifications, 39 ont été effectuées par la DRA. Les vérifications axées sur le financement du terrorisme ne représentent qu’une très petite partie du programme de vérification de la Direction, soit environ 0,5 %.

J’aimerais également réaffirmer que la Direction des organismes de bienfaisance est résolue dans son dévouement à la diversité, à l’inclusion et à l’antiracisme. À l’appui des valeurs fondamentales de l’ARC, soit le professionnalisme, l’intégrité, le respect et la collaboration, la Direction des organismes de bienfaisance poursuit des activités de formation pour sensibiliser tous les employés aux préjugés inconscients et à l’empathie dans le service. En outre, la Direction des organismes de bienfaisance a mis en place des procédures rigoureuses pour s’assurer que la recherche et la prise de décision sont remises en question et examinées par plusieurs employés afin de garantir l’équité et l’exactitude.

La Direction des organismes de bienfaisance s’engage à fournir un service à la clientèle de classe mondiale aux Canadiens. À cette fin, nous explorons continuellement des moyens d’améliorer nos programmes afin de renforcer notre service aux Canadiens.

En conclusion, j’aimerais aborder l’examen en cours par le Bureau de l’ombudsman des contribuables. La Direction des organismes de bienfaisance continue d’appuyer ce travail important, et nous fournissons, dans la mesure du possible, les renseignements demandés par le Bureau de l’ombudsman des contribuables afin de mener son examen. La protection des renseignements des contribuables est de la plus haute importance pour l’Agence, car la confiance que les Canadiens lui accordent est un pilier du système fiscal volontaire du Canada.

Madame la présidente, après cette déclaration liminaire, je serai heureux, avec ma collègue, Mme Khare, de répondre à vos questions ainsi qu’à celles des sénateurs.

La présidente : Madame Khare, n’allez-vous pas présenter un exposé?

Sharmila Khare, directrice générale, Direction des organismes de bienfaisance, Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires, Agence du revenu du Canada : Nous avons décidé de fournir des commentaires conjoints pour l’ARC afin de vous laisser plus de temps pour les questions.

La présidente : Très bien. Nous allons commencer avec les questions des sénateurs.

La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur Trueman et madame Khare, d’être avec nous aujourd’hui. Les Canadiens sont des gens généreux, et le travail que vous faites est important, parce que les Canadiens doivent avoir l’assurance que leur argent est dépensé comme il se doit.

Nous avons entendu la semaine dernière le Conseil national des musulmans canadiens, et, auparavant, d’autres témoins dans le cadre de notre étude. Nous avons aussi entendu l’ombudsman des contribuables lui-même la semaine dernière.

Je crois que ma question s’adresse à Mme Khare, mais je vous laisserai le soin de déterminer qui devrait y répondre. Je me reporte aux conclusions de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, qui a conclu que l’islamophobie existe au sein de l’ARC, parce que six organismes de bienfaisance sur huit qui ont été révoqués entre 2008 et 2015 étaient des organismes de bienfaisance musulmans. C’est 75 %. Elle utilise ces données probantes comme preuve de l’existence de l’islamophobie dans le système, en particulier au sein de l’ARC. Vous savez que le sommet sur l’islamophobie qui a eu lieu en 2020 a fait du traitement des organismes de bienfaisance musulmans une priorité.

Comment réagissez-vous à ces allégations?

Mme Khare : C’est une très bonne question.

Pour ce qui est du chiffre de six sur huit qui a circulé, je pense que nous devons mettre cela en contexte, comme M. Trueman vient de le dire. Depuis 2008-2009, lorsque la DRA a été établie, en tant que direction, nous avons réalisé presque 8 000 vérifications d’organismes de bienfaisance enregistrés. Dans le cadre de notre programme de la DRA, nous avons réalisé 39 vérifications.

Ces vérifications ont entraîné un éventail de résultats. Un résultat est la révocation, et celle-ci est réservée aux cas les plus graves d’inobservation des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ce résultat a été le cas dans 14 vérifications sur 39. Des vérifications de la DRA se sont également soldées par des résultats comme des accords de conformité, qui sont une compréhension de la façon dont l’organisation fonctionnera à l’avenir ainsi que des lettres d’information.

En ce qui concerne les allégations selon lesquelles l’islamophobie existe au sein de la Direction des organismes de bienfaisance fondées sur cette étude particulière, je pense que la ministre a lancé l’examen avec l’ombudsman afin de se pencher sur les préoccupations qui ont été soulevées par les organismes de bienfaisance dirigés par des musulmans. Je suis impatiente de voir ce rapport et les recommandations qui en découlent, car j’espère qu’elles nous aideront à améliorer notre service à l’ensemble des organismes de bienfaisance, et à ceux-là en particulier.

La ministre a aussi nommé, de façon très proactive, deux membres du Comité consultatif sur le secteur des organismes de bienfaisance pour faire valoir le point de vue des organismes de bienfaisance dirigés par des musulmans. Je siège au Comité consultatif sur le secteur des organismes de bienfaisance, tout comme M. Trueman, ce qui nous donne l’occasion d’en apprendre davantage et de comprendre. Nous sommes très déterminés à en apprendre davantage et à améliorer notre rayonnement auprès de tous les organismes de bienfaisance que nous desservons.

Je pense que je peux commencer par cela. Je ne sais pas si vous avez une question de suivi?

La sénatrice Omidvar : J’ai effectivement une question de suivi, avec la permission de la présidente, parce qu’elles s’appuient l’une sur l’autre.

La présidente : Allez-y, je vous prie.

La sénatrice Omidvar : Vous nous avez fourni une réponse assez générale. Je vous en remercie, madame Khare. Cependant, même pour quelqu’un de l’extérieur, le fait étonnant est que six des huit organismes de bienfaisance vérifiés par la DRA, six des huit organismes révoqués, étaient des organismes de bienfaisance musulmans. Nous ne connaissons pas la raison de leur révocation. Vous la connaissez probablement.

Pourriez-vous vous prononcer sur le chiffre? Ne seriez-vous pas d’accord avec le public canadien — à tout le moins, avec les sénateurs ici présents — pour dire qu’il s’agit d’un nombre extrêmement élevé d’organismes de bienfaisance d’une seule religion qui sont révoqués? N’en convenez-vous pas?

Mme Khare : Je ne suis pas certaine de vouloir me lancer dans un débat sur les chiffres. Le programme de la DRA en particulier est un programme de conformité spécialisé. Les vérifications de la DRA ne sont entreprises que lorsqu’il y a un risque d’abus terroriste. Nous cherchons à établir un lien entre les activités des organismes de bienfaisance et les liens possibles avec les auteurs de menaces.

Nous ne travaillons pas dans un cadre que nous avons établi et créé à l’ARC. Nous faisons partie d’une approche pangouvernementale en matière de sécurité nationale. Le ministère des Finances est responsable de ce qu’on appelle l’Évaluation nationale des risques inhérents. Ce document, dont la dernière publication remonte à 2015, est disponible sur le site Web du gouvernement du Canada. Il résume les endroits où les auteurs de menaces posent un risque de financement d’activités terroristes au Canada et établit la compréhension commune du risque entre tous les partenaires en matière de sécurité nationale.

Si vous examinez les acteurs du risque et le contexte actuel du risque au Canada, je pense que vous pourriez conclure que bon nombre des organismes qui figurent dans l’Évaluation nationale des risques inhérents proviennent de communautés racisées. Cependant, il ne s’agit pas d’un document de l’ARC. C’est une initiative dirigée par le ministère des Finances, et nous participons à une compréhension pangouvernementale des risques que présente le financement du terrorisme.

La sénatrice Omidvar : Merci, madame Khare. Vous avez parlé un certain nombre de fois de l’ombudsman des contribuables. M. Boileau a comparu la semaine dernière et il a approuvé notre conclusion selon laquelle il s’était vu confier un mandat à remplir. Pourtant, il est incapable de le faire, parce qu’il a une main liée dans le dos. Il est incapable d’obtenir de vous les renseignements dont il a besoin pour terminer son rapport, parce qu’il est lourdement caviardé. Il n’est pas en mesure d’obtenir la version non caviardée en raison des aspects de votre travail liés à la sécurité nationale, même si certains membres de son personnel ont une cote de sécurité de niveau très secret. Qu’en pensez-vous? Lui facilitez-vous la tâche? Essayez-vous de trouver des solutions? Nous attendons tous ce rapport et nous venons d’apprendre, la semaine dernière, que son rapport sera au mieux incomplet.

Mme Khare : Nous comprenons que l’ombudsman a exprimé des préoccupations au sujet du mandat qu’il s’est vu confier. Nous avons quelques mécanismes officiels à l’Agence du revenu du Canada en ce qui concerne la tenue de conversations avec le bureau de l’ombudsman. C’est quelque chose que nous poursuivons.

En ce qui concerne la protection des renseignements confidentiels des contribuables, nous avons des responsabilités en tant que fonctionnaires à l’ARC de protéger ces renseignements. C’est fondamental pour que les Canadiens aient confiance en leur organisme de réglementation fiscal. Pour ce qui est de l’accès de l’ombudsman aux renseignements confidentiels des contribuables, ce n’est pas quelque chose que nous pouvons fournir sans l’autorisation de l’organisme de bienfaisance.

Si un organisme de bienfaisance fournit à l’ombudsman l’autorisation d’accéder à ses dossiers... Je vois que vous secouez la tête.

La sénatrice Omidvar : Le témoignage de l’ombudsman est très frais dans nos esprits. Même lorsque l’organisme de bienfaisance donne l’autorisation d’accéder aux dossiers, des sections de l’information demeurent néanmoins lourdement caviardées. Cela revient donc à la question de l’information ouverte pour l’ombudsman des contribuables.

Mme Khare : Il y aura tout de même quelques renseignements qui seront caviardés. Si le dossier de l’organisme de bienfaisance contient des renseignements de tiers, ces renseignements seraient caviardés.

En ce qui concerne nos évaluations du risque et nos techniques de vérification, ce n’est pas quelque chose que nous communiquons.

La présidente : Une dernière question, puis je dois vraiment céder la parole à mes collègues. Avez-vous avisé la ministre du fait que l’ombudsman des contribuables aurait un accès illimité aux renseignements avant que le mandat ne soit confié?

Mme Khare : Je suis désolée, ce n’est pas une question à laquelle je peux répondre, car je n’ai pas fait partie de cette discussion.

La sénatrice Omidvar : Merci.

Le sénateur Manning : Merci à nos témoins. J’aimerais poursuivre dans la même veine que la sénatrice précédente au sujet de l’ombudsman et de son accès à l’information.

Quels changements de la Loi de l’impôt sur le revenu, ou d’autres lois, ou politiques, seraient nécessaires pour fournir à l’ombudsman l’accès aux dossiers complets des contribuables dans ce contexte : en particulier lorsqu’il s’est vu accorder la permission par le contribuable d’accéder à cette information? Il semble y avoir un genre d’obstacle. Pouvez-vous nous suggérer des modifications de la loi ou des politiques qui seront nécessaires pour que l’ombudsman puisse faire le travail qu’il s’est vu confier?

Mme Khare : En ce moment, le mandat de l’ombudsman se concentre sur le service. Il ne concerne pas l’administration des dispositions fiscales. Si vous vouliez accorder un accès plus complet, il faudrait apporter un certain type de changements à l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Le sénateur Manning : Vous n’êtes pas prête à formuler des suggestions pour que soient apportés les changements nécessaires pour que l’ombudsman puisse faire son travail?

Mme Khare : C’est un peu en dehors de ma compétence de parler de la politique fiscale et de la façon dont je voudrais modifier la Loi de l’impôt sur le revenu. Essentiellement, il faudrait modifier la façon dont l’article 241 est actuellement libellé.

Le sénateur Manning : D’accord. Eh bien, je vais peut-être poser la question suivante : y a-t-il des solutions possibles qui n’exigeraient pas des modifications législatives comme la coopération entre l’ombudsman et l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement ou l’OSSNR? Si oui, quels seraient les avantages et les désavantages de cette approche? Si l’on met de côté la législation, y a-t-il une certaine solution qui pourrait être envisagée entre les parties qui sont concernées ici sans apporter un changement à la loi?

Mme Khare : Je pense qu’il existe un éventail d’autres options qui pourraient être envisagées, et il y a quelque chose qu’on appelle l’OSSNR. Les ministres peuvent demander à l’OSSNR d’effectuer des examens à l’égard de la sécurité nationale. Je n’ai jamais organisé un tel examen ni demandé la tenue d’un tel examen, mais ils ont l’expertise dans le domaine de la sécurité nationale.

Le sénateur Manning : Notre comité a entendu parler de différents types de biais structurels qui peuvent être présents à l’ARC, y compris des préjugés qui font des musulmans des étrangers ou qui considèrent les activités religieuses comme étant principalement celles fondées sur des pratiques et des idéaux chrétiens.

Dans quelle mesure les biais structurels contre les musulmans sont-ils présents à l’ARC? Quels systèmes ou formations avez-vous en place pour prévenir les biais structurels contre les musulmans ou y réagir?

Mme Khare : Je ne crois pas qu’il y ait des biais structurels ciblant les organismes de bienfaisance dirigés par des musulmans au sein de l’Agence du revenu du Canada. Je dirais que, en tant que membre de l’équipe de direction et à la tête d’une direction de 300 employés, nous prenons très au sérieux des questions comme la lutte contre le racisme. Ce n’est pas du tout quelque chose que nous voulons voir dans notre direction, et je dirais que toute l’agence partage ce point de vue.

Nous voulons toujours en apprendre davantage et améliorer nos processus. Nos agents et nos employés ont des occasions d’en apprendre sur les préjugés inconscients, les microagressions et l’amélioration de l’empathie dans le service. Nos vérificateurs — en particulier, nos vérificateurs dans la DRA — suivent une formation spécialisée par l’intermédiaire de l’École de la fonction publique du Canada et d’un fournisseur de formation externe appelé l’Association des examinateurs certifiés de fraude. Ces types de formation nous aident à cerner nos propres préjugés inconscients afin qu’ils ne se présentent pas dans la prise de décision au travail.

Nous avons des politiques et des procédures qui aident à orienter le travail que nous faisons, et les décisions sont prises en tant qu’équipe. Dans une décision de vérification d’un organisme de bienfaisance, nous utilisons une approche axée sur le risque. Nous ne nous appuyons pas sur le point de vue d’une personne selon lequel un organisme de bienfaisance en particulier devrait faire l’objet d’une vérification. Nous prenons les décisions en tant que groupe. C’est également un moyen de faire en sorte que les préjugés individuels n’entrent pas dans l’équation.

Le sénateur Manning : La formation est-elle obligatoire ou se fait-elle de façon volontaire pour les membres de votre équipe de leadership et votre personnel?

Mme Khare : La formation sur les préjugés inconscients qui est offerte à tous les membres de l’Agence du revenu du Canada n’est pas obligatoire, mais elle est fortement encouragée. Avant de devenir directrice générale, j’étais directrice d’une division au sein de la Direction des organismes de bienfaisance, et nous avons suivi cette formation en tant que division complète, parce que nous estimions qu’elle était importante. Selon le type de travail que vous faites au sein de la Division de la revue et de l’analyse, si vous êtes vérificateur... tous nos vérificateurs doivent suivre de nombreux cours liés aux préjugés inconscients, à l’interne et à l’externe.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je remercie les témoins de leur présence.

Vous nous transmettez des informations qui sont essentielles et les services de vérification de l’Agence du revenu du Canada (ARC) sont des dispositifs importants pour notre sécurité et notre économie.

Cela dit, la semaine dernière à ce comité, nous avons reçu l’Association des musulmans du Canada, qui a entrepris une contestation accusant d’islamophobie les pratiques d’audit de l’ARC. Selon un représentant de l’association, les vérifications de l’ARC tendaient à montrer que l’Association des musulmans du Canada est une organisation terroriste.

Tout d’abord, j’aimerais entendre vos commentaires au sujet de cette accusation. J’aimerais aussi savoir si des dispositions permettent d’éviter ce genre de pratique islamophobe avérée, compte tenu de son pourcentage très élevé. On se rend compte que quelque chose ne va pas sur le plan des vérifications.

J’aimerais entendre ce que vous avez à dire, madame Khare, au sujet de cette accusation d’islamophobie. Tout à l’heure, vous avez dit qu’il n’y a pas de processus structurel qui mènerait à ce genre de pratique, mais la réalité, c’est que le pourcentage est très élevé pour ce qui est des organismes musulmans.

Mme Khare : Je vous remercie beaucoup de la question.

Je ne peux pas formuler de commentaires sur ce cas en particulier. Je n’ai pas la liberté de discuter d’une vérification qui est en cours en ce moment, mais je peux fournir quelques informations sur le processus de vérification que nous avons en place.

En premier, il y a beaucoup d’échanges entre l’agence et l’organisme de bienfaisance qui est assujetti à une vérification. Des informations sont transmises, des questions sont posées, des discussions sont menées et des visites sur le site ont lieu. Avant de prendre une décision finale, nous envoyons une lettre d’équité procédurale dans laquelle nous dressons une liste complète et détaillée de nos préoccupations. L’organisme de bienfaisance a la chance de répondre avant que nous prenions une décision finale.

Une fois que nous avons pris une décision sur une révocation ou une pénalité, l’organisme de bienfaisance a la possibilité de contester notre décision. À l’Agence du revenu du Canada, nous avons une direction qui est spécialisée dans les décisions portées en appel. Cela est complètement séparé de la Direction des organismes de bienfaisance. L’organisme de bienfaisance a la possibilité d’avoir recours à une partie indépendante pour revoir la décision.

[Traduction]

La présidente : Madame Khare, je pense que nous avons déjà entendu cela. Je pense que la question de la sénatrice Gerba portait sur l’islamophobie. C’est ce que nous avons constamment entendu dire de tous ceux qui ont comparu devant nous. Nous savons comment vous travaillez. Je ne pense pas que nous ayons besoin de leçon sur les rouages de l’ARC. Bon nombre d’entre nous les connaissent très bien.

Si vous pouvez répondre directement aux questions — vous pouvez avoir une réponse courte ou longue — mais il y a d’autres sénateurs dans la salle qui veulent poser des questions.

Nous connaissons bien votre travail, et je pense qu’il y a des réserves à ce sujet. C’est fondé sur les témoignages que nous avons entendus.

Sénatrice Gerba, avez-vous une autre question?

La sénatrice Gerba : Oui, j’en ai une.

[Français]

En fait, ce que j’aimerais vraiment comprendre concerne ce que M. Peter Flegel nous a dit ici, au comité, soit que la plus grande menace viendrait des groupes suprémacistes blancs.

J’aimerais savoir si les méthodes et les procédés en place à l’ARC s’appliquent également à ces groupes suprémacistes blancs. Quel est le pourcentage de ces groupes qui ont été audités comparativement aux groupes musulmans?

[Traduction]

Mme Khare : Dans la Direction des organismes de bienfaisance, dans notre programme spécialisé à la DRA, nous nous inspirons de l’Évaluation nationale des risques inhérents qui a été publiée en 2015 et qui est dirigée par le ministère des Finances. Si nous voyons un organisme de bienfaisance lié à un auteur de menaces, comme l’indique l’Évaluation nationale des risques inhérents, ce sera un signal d’alarme pour nous, et nous examinerons la question de plus près. Si l’Évaluation nationale des risques inhérents devait changer, les indicateurs pour nous changeraient également.

[Français]

La sénatrice Gerba : Avez-vous des données qui permettent de faire cette comparaison? Aujourd’hui, on se rend compte que, effectivement, le risque vient beaucoup plus des suprémacistes blancs qui ont tendance à amener cette islamophobie.

À l’agence, y a-t-il des dispositions qui sont prises ou est-ce qu’un système de collecte de données permet de comparer ou de valider cette information?

[Traduction]

Mme Khare : Encore une fois, pour ce qui est du programme de la DRA, nous examinons vraiment l’Évaluation nationale des risques inhérents. En ce qui concerne notre programme de conformité en général, si nous voyons que des ressources des organismes de bienfaisance ne sont pas utilisées à des fins caritatives pour quelque raison que ce soit, ce serait un indicateur à vérifier.

La présidente : Je pense que vous ne répondez pas à sa question, et je peux voir la sénatrice Gerba secouer la tête en signe de frustration. Elle parle de la montée des groupes de droite. Y en a-t-il qui ont fait l’objet d’une vérification? C’est une question simple. Oui ou non. Les organismes de bienfaisance musulmans font l’objet d’une vérification. Y a-t-il des groupes de droite qui ont fait l’objet d’une vérification?

Mme Khare : Je ne pense pas que nous recueillions nos renseignements de cette façon.

[Français]

La sénatrice Gerba : Pour améliorer la transparence, est-ce que vous prévoyez d’instaurer ce système de collecte de données qui va nous permettre d’avoir une information claire, valide et vérifiable?

[Traduction]

Mme Khare : Il y a un certain intérêt à recueillir des renseignements, si j’ai bien compris, sur les dénominations religieuses des organismes de bienfaisance. Parfois, nous le savons parce que l’organisation promeut la religion. Parfois, c’est difficile de le savoir, parce que l’organisation est établie afin de promouvoir l’éducation ou la santé ou pour réduire la pauvreté, de sorte que le lien avec la religion n’est pas aussi évident.

Je me demande s’il serait même approprié de recueillir cette information et si cela en soi entraînerait la perception de préjugé ou de discrimination, si l’ARC recueillait davantage de ces renseignements. Je ne sais pas à quoi cela servirait.

[Français]

La sénatrice Gerba : Un des témoins que nous avons reçu, également ici, nous a indiqué qu’il avait même peur de demander du financement. Son organisme a des problèmes de financement, parce qu’il craint d’être associé à des groupes terroristes. S’il n’y a pas une certaine transparence dans le choix des organismes à auditer, cela pose un problème.

Que pensez-vous faire, dans ce cas?

Mme Khare : Cela me rend triste que le secteur des organismes de charité ait peur de nous parce que nous voulons nous engager auprès du secteur. Nous voulons offrir de l’éducation et des publications qui vont aider les organismes à suivre les règles selon la Loi de l’impôt sur le revenu.

[Traduction]

Je pense que nous sommes vraiment ici pour aider le secteur de la bienfaisance. Je ne voudrais jamais que ce secteur nous craigne en tant qu’organisme de réglementation. Nous avons une responsabilité réglementaire de nous assurer que tous les organismes de bienfaisance observent la Loi de l’impôt sur le revenu, mais nous reconnaissons également que les organismes de bienfaisance sont le tissu social du pays. Nous ne voulons pas qu’ils craignent l’organisme de réglementation. Nous voulons qu’ils viennent vers nous et demandent des conseils.

La présidente : Merci.

La sénatrice Omidvar : J’aimerais souligner l’importance de la question de la sénatrice Gerba. Nous avançons à tâtons, chers collègues, ici à l’écran sans preuve, et je pense que la demande de renseignements désagrégés au sujet du type de religion est importante.

Ma question pour vous est la suivante : y a-t-il des obstacles stratégiques, législatifs ou réglementaires à la collecte de ces données?

Mme Khare : Lorsqu’un organisme de bienfaisance demande à être enregistré en tant qu’organisme de bienfaisance, il se voit attribuer un code de catégorie. Il se voit attribuer un code, et c’est vraiment le reflet de ce qu’il fait principalement, la plupart des activités de bienfaisance qu’il entreprend.

En général, notre formulaire T3010 est un outil de conformité, donc nous recueillons l’information nécessaire à l’administration de la Loi de l’impôt sur le revenu. Il joue également un rôle de transparence publique. C’est un peu une question d’équilibre. En quoi le fait d’avoir plus d’information sur l’appartenance religieuse d’un organisme de bienfaisance m’aiderait-il dans mon rôle d’organisme de réglementation? Aucunement, parce que je ne m’attache pas à la confession.

La sénatrice Omidvar : Ce n’est pas vraiment la question que je posais.

La présidente : Pourriez-vous vous en tenir aux questions?

La sénatrice Omidvar : Vous connaissez le dossier. Je le connais aussi, mais vous y travaillez à l’interne. Vous ne recueillez pas de données, est-ce que cela vient de la loi? Devons-nous envisager un levier législatif comme recommandation si nous voulons aller de l’avant? Est-ce un règlement qui vous empêche de recueillir les données sous le chef de la religion? Nous aimerions savoir, et je pense que le public aimerait le savoir, combien il y a d’organismes de bienfaisance catholiques, protestants, musulmans, et cetera; et nous pourrons ensuite comparer des pommes avec des pommes, au lieu d’avancer dans le noir. Tout cela, c’est de la religion, ce sont de bonnes choses. C’est le cas pour l’essentiel; je pense que nous le savons tous.

Je veux savoir ce qui vous empêche de recueillir ces données.

M. Trueman : Merci pour la question, sénatrice Omidvar. Elle est très bonne.

En général, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, nous sommes aptes et autorisés à recueillir des renseignements qui concernent directement la disposition ou le cadre de l’impôt que nous administrons. Dans le cas des organismes de bienfaisance, nous recueillons des renseignements lorsque l’organisme de bienfaisance est enregistré en vertu de l’un des quatre chefs de pouvoir, par exemple, parce qu’il s’agit d’une disposition, quelque chose dont nous avons besoin pour nous assurer que l’organisme de bienfaisance peut être admissible à l’enregistrement.

Au-delà de cela, nous ne recueillons pas d’information sur la religion. Par exemple, lorsque je produis ma déclaration d’impôt sur le revenu des particuliers, elle porte strictement sur les revenus que j’ai gagnés et les déductions que je peux avoir. Il ne s’agit de rien d’autre.

Pour répondre à votre question simplement, nous aurions besoin d’une modification législative nous obligeant à recueillir l’information que vous recherchez, oui.

La sénatrice Omidvar : Je vous remercie. C’est la réponse que je cherchais.

La présidente : En 2021, il y a eu un rapport réalisé par Anver Emon et Nadia Hasan intitulé Under Layered Suspicion. Le rapport a conclu que les politiques du gouvernement fédéral en matière de financement de la lutte contre le terrorisme et la radicalisation « créent des conditions propices aux préjugés structurels à l’encontre des organismes de bienfaisance dirigés par des musulmans ».

Quelle est votre opinion quant aux allégations de préjugés structurels à l’encontre des organismes de bienfaisance dirigés par des musulmans?

De plus, les organismes de bienfaisance musulmans représentaient 0,47 % des organismes de bienfaisance enregistrés qui ont été vérifiés en 2015. De 2008 à 2015, 75 % de tous les organismes de bienfaisance révoqués par la Division de la revue et de l’analyse, la DRA, étaient des organismes de bienfaisance musulmans. Pouvez-vous nous confirmer ces statistiques? Pourriez-vous expliquer comment fonctionne le processus de la DRA? Si vous affirmez ne pas savoir qu’il s’agit d’un organisme de bienfaisance musulman, sachez qu’un bon nombre d’entre eux ont le mot « Islam » dans leur nom ou travaillent principalement dans des pays musulmans, ce qui permet de comprendre le type de travail accompli par ces organismes.

M. Trueman : Pour ce qui est de la dernière partie de la question concernant les statistiques, je ne peux pas confirmer le chiffre de 0,7 %. Comme l’a précisé Mme Khare, nous ne tenons pas de statistiques sur les organismes de bienfaisance par confession. Je ne suis pas en mesure de confirmer ce chiffre.

Dans l’un des documents que ce soit celui de M. Emon ou celui de l’International Civil Liberties Monitoring Group, il était question de 12 organismes de bienfaisance qui ont été révoqués. Je pense que ce chiffre est exact. Lorsqu’un organisme de bienfaisance est révoqué, ces documents peuvent être demandés. L’avis d’intention de révocation est un document public. Les gens sont en mesure d’accéder à ces documents s’ils le souhaitent.

En outre, pour revenir à la partie plus générale de votre question, les questions soulevées par M. Emon dans son rapport sont clairement liées à l’Évaluation nationale des risques inhérents que Mme Khare a mentionnée plus tôt. En examinant ce document, vous remarquerez, en effet, des références à certaines régions géopolitiques, certains pays, une description de menaces, d’acteurs, et ensuite une description quant à savoir pourquoi les organismes de bienfaisance sont exposés à un risque élevé d’abus liés au financement du terrorisme.

Ce cadre sous-tend de manière importante le travail de la Division de la revue et de l’analyse. Je pense que cela explique que le travail réalisé par la DRA reflète les intérêts de la sécurité nationale.

La présidente : En 2015, l’ancienne directrice générale de la Direction des organismes de bienfaisance, Cathy Hawara, a informé le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense que la DRA avait effectué 16 vérifications d’organismes de bienfaisance entre 2008 et 2015, dont huit ont débouché sur des révocations. C’est quelque chose dont nous discutons depuis que nous avons commencé cette étude. Pourriez-vous nous dire, de 2015 à aujourd’hui, combien de vérifications supplémentaires la DRA a effectuées et combien d’organismes de bienfaisance supplémentaires elle a révoqués ou sanctionnés?

Si vous ne pouvez pas nous communiquer les chiffres exacts, pouvez-vous nous dire si c’est en dessous de 20, en dessous de 50 ou en dessous de 100?

Mme Khare : Depuis 2008, la DRA a réalisé 39 vérifications au total, et 14 de ces vérifications ont entraîné une révocation. Depuis le chiffre huit que vous avez mentionné, il y en a eu six autres.

La présidente : L’ARC recense tous les organismes de bienfaisance révoqués sur son site Web. Pourquoi l’ARC refuse-t-elle de préciser quels organismes de bienfaisance ont été vérifiés spécifiquement dans le cadre du mandat de la DRA? Il n’y a pas de raison que cette information soit protégée par l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

Mme Khare : Nous ne publions sur notre site Web que l’information concernant les révocations, les amendes ou les sanctions.

Si une vérification s’est conclue avec une lettre d’information, sans changement ni accord de conformité, il s’agit de quelque chose qui serait accessible sur notre Web. Toutes ces informations tiennent à ce que nous pouvons et ne pouvons pas publier au titre de l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

La présidente : Les organismes de bienfaisance musulmans — encore une fois, l’un des sénateurs a abordé cela — ont fait état de vérifications extrêmement agressives et intimidantes, de longues vérifications et de longs délais pour que les conclusions et les décisions soient publiées.

Pourquoi les politiques de l’ARC concernant le choix des pratiques de vérification et l’application des décisions diffèrent-elles entre la DRA et la division de la conformité des organismes de bienfaisance ordinaire?

Mme Khare : Il est vrai que la procédure de vérification peut prendre du temps. Cela peut prendre un certain temps au sein de notre service de vérification régulière. Cela peut également prendre un certain temps dans le cadre d’une vérification par la DRA. Je dirais qu’en général les vérifications effectuées par la DRA sont très complexes. Nous travaillons sur des affaires très sensibles qui prennent peut-être un peu plus de temps qu’une vérification de conformité régulière, car nous devons faire les choses correctement dans tous les cas.

S’il existe un problème de conformité, celui-ci doit être bien documenté. Il convient de communiquer avec l’organisation et, s’il n’y a pas de problème, la décision doit aussi être bien documentée.

La présidente : Ma dernière question est la suivante : quel pourcentage de l’effectif de l’ARC est musulman? Avez-vous pris des mesures en vue d’attirer, de conserver et de promouvoir le personnel musulman?

Mme Khare : En tant que fonctionnaire, je n’ai jamais révélé ma religion à mon employeur. Il ne s’agit pas d’un renseignement qui est recherché par les fonctionnaires.

Je pourrais dire que la Direction des organismes de bienfaisance est représentative de la population du Canada.

La présidente : Je vous remercie. Je vous demanderais d’être brefs dans vos réponses, car il nous reste environ 10 minutes.

La sénatrice Omidvar : J’ai une brève question; je cherche encore des preuves, car selon moi, les preuves nous aident à avancer, contrairement aux anecdotes.

Je tiens à souligner encore une fois à quel point j’apprécie le travail de l’ARC. J’ai travaillé dans des organismes de bienfaisance toute ma vie. Les organismes de bienfaisance pour lesquels j’ai travaillé ont fait l’objet d’une vérification. Je sais combien cela peut être perturbant. Cependant, tout cela vise des fins de conformité et de transparence. Je comprends cela aussi.

Il y a eu 14 révocations sur les 39 vérifications qui ont été effectuées par la DRA; ce n’est pas un grand nombre. Pouvez-vous nous dire combien de ces 14 révocations ont été faites au titre de la religion, de l’éducation, du soulagement de la pauvreté ou autres? Il n’y en a que 14, madame Khare.

Mme Khare : Je ne dispose pas de cette information. Il faudrait que je consulte les avis d’intention de révocation et que je vérifie.

Je peux affirmer sans problème que, au sein de ce groupe, il y aura des organismes de bienfaisance qui font la promotion de la religion, qui soulagent la pauvreté et qui font sans doute la promotion de l’éducation.

Ce n’est pas une information que je suis en général. Il s’agit d’information qu’il nous faudrait recueillir.

La présidente : Si cette information est disponible, pourriez-vous nous la transmettre?

Mme Khare : Bien sûr.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je voudrais revenir à Mme Khare. Vous nous avez mentionné tout à l’heure que vous donnez une formation qui prévient les préjugés structurels. Ai-je bien compris que vous avez une formation qui permet de prévenir et d’éliminer les préjugés structurels au sein de l’agence?

[Traduction]

Mme Khare : Nous avons des cours qui sont offerts à l’Agence du revenu du Canada. L’École de la fonction publique du Canada propose une série de cours que tous les fonctionnaires peuvent suivre.

Tous les vérificateurs au sein de la DRA suivent des cours offerts par l’Association des examinateurs certifiés de fraude. Sécurité publique Canada et le Bureau du Conseil privé ont également quelques cours spécialisés pour les personnes travaillant dans le domaine de la sécurité nationale.

Nous tentons tous d’éliminer nos préjugés inconscients quand nous œuvrons dans le domaine de la vérification et, en particulier, dans le domaine de la sécurité nationale.

[Français]

La sénatrice Gerba : Si vous offrez cette formation, j’imagine que dans le cas de l’Islam, elle est donnée par des musulmans.

Est-ce que la formation est bel et bien offerte par des musulmans? Nous avons compris, ici, que vous ne vérifiez pas la religion du personnel — ce qui est normal —, mais comment s’assurer que la formation est donnée si on ne connaît pas cette information sur la religion des employés?

[Traduction]

Mme Khare : Certains des cours qui sont offerts à l’École de la fonction publique du Canada se font en ligne. Je ne connais pas nécessairement la religion de la personne qui donne le cours. Lorsqu’il s’agit des cours offerts au sein de l’ARC, de Sécurité publique Canada ou du Bureau du Conseil privé, c’est la même chose : on ne connaît pas nécessairement la religion de la personne qui donne le cours. Il est question de nos préjugés inconscients et de la manière de les identifier et de les atténuer dans le cadre de notre travail.

[Français]

La sénatrice Gerba : Est-il envisageable d’avoir des cours qui soient donnés au personnel qui s’occupe, en particulier, de la vérification et de l’audit, et qui permettrait de voir à quel point les noms des organismes musulmans qui sont visés — en fait, qui permettrait d’éviter qu’on retienne essentiellement les organismes musulmans en ce qui concerne la vérification?

[Traduction]

Mme Khare : En ce qui concerne les vérifications, nos pratiques sont toujours fondées sur le risque. Le nom de l’organisation n’est pas pertinent.

La sénatrice Omidvar : Je me demande si vous avez une définition pratique du « racisme systémique » au sein de votre ministère. Je vais vous donner ma définition pratique, et je me demande si vous avez cette perspective en ce qui concerne vos processus et vos politiques. Je perçois le racisme systémique comme les conséquences involontaires de politiques, de pratiques et de législations établies qui ont par la suite eu des impacts négatifs externes sur un groupe démographique.

Voilà ce que nous examinons. Nous avons entendu non seulement des allégations d’islamophobie visant votre ministère de la part de divers témoins, mais également des allégations de racisme systémique.

Souhaitez-vous commenter la question de savoir s’il s’agit d’une perspective que vous appliquez ou tentez d’appliquer dans votre travail?

Mme Khare : En tant que fonctionnaires, nous essayons tous de mieux comprendre comment les systèmes avec lesquels nous travaillons peuvent entraîner du racisme systémique.

Pour ce qui est de la charge de travail de la Division de la revue et de l’analyse, qui, selon moi intéresse le plus le comité, nous travaillons comme l’un des 13 partenaires de la sécurité nationale du gouvernement du Canada. Il s’agit d’une responsabilité que l’on ne s’est pas attribuée; c’est ce que l’on nous a confié comme mandat. Au moment d’examiner le risque, tout tient à l’Évaluation nationale des risques inhérents, qui relève du ministère des Finances.

Si vous jetez un coup d’œil sur la liste des acteurs de menaces, que cela nous plaise ou non, les menaces peuvent apparaître ou semblent apparaître dans des communautés racisées en particulier.

La sénatrice Omidvar : D’après ce que je comprends, la DRA est une équipe d’élite au sein de l’ARC. Comme vous l’avez déclaré, vous travaillez avec 13 partenaires, alors il est possible d’avoir des comptes à rendre non pas à un seul partenaire, mais à plusieurs, ce qui peut créer son propre ensemble de faux-fuyants et de capacités.

De qui relèvent-ils?

Mme Khare : La charge de travail de la Division de la revue et de l’analyse ne se limite pas seulement aux vérifications; elle englobe les demandes d’enregistrement pour que l’on puisse s’assurer qu’aucun risque n’est présent dès le départ. La Division a en outre certaines responsabilités en matière de partage d’information.

Toutefois, au chapitre des vérifications, au bout du compte, la personne qui signe l’avis d’intention de révocation ou l’avis de sanction — cela m’a été délégué. Il s’agit d’une responsabilité que je prends très au sérieux — avant de signer chacune de ces lettres.

La présidente : Je vous remercie. J’aimerais saisir l’occasion de remercier sincèrement nos témoins d’avoir accepté de participer à cette étude importante. Au nom du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, nous aimerions remercier l’ARC pour le travail que vous faites. Votre aide dans notre étude est grandement appréciée.

J’aimerais présenter notre deuxième groupe de témoins, mais, avant de procéder, je voudrais souligner que la sénatrice Hartling s’est jointe à nous. Bienvenue, sénatrice Hartling.

Il a été demandé à chaque témoin de faire une déclaration liminaire de cinq minutes. Nous entendrons tous les témoins, puis nous passerons à la période de questions des sénateurs.

Je souhaite la bienvenue aux personnes qui se joignent à nous par vidéoconférence aujourd’hui. Nous accueillons Scott Millar, vice-président, Direction générale de la politique stratégique; Gloria Haché, vice-présidente par intérim, Direction générale des ressources humaines; et Carl Desmarais, directeur général, Exécution de la loi de l’Agence des services frontaliers du Canada. Nous accueillons aussi Nicole Giles, sous-directrice, Politiques et partenariats stratégiques; et Newton Shortliffe, directeur adjoint, Collecte, du Service canadien du renseignement de sécurité.

J’invite maintenant M. Millar à faire sa déclaration, suivi par Mme Giles.

Scott Millar, vice-président, Direction générale de la politique stratégique, Agence des services frontaliers du Canada : Avec plaisir. Bonsoir à tous. Je suis accompagné aujourd’hui par mes collègues Gloria Haché et Carl Desmarais.

[Français]

Alors que le Sénat entreprend cette étude, je tiens d’abord à dire que l’ASFC s’engage à faire en sorte que tous les employés et clients soient traités de façon égale, sans égard à la race, au sexe, à la nationalité, à l’origine ethnique, à la religion, à l’âge et aux capacités mentales et physiques. Tout comportement qui ne reflète pas ces valeurs n’est ni excusé ni toléré.

[Traduction]

Bien que nous ayons fait des progrès importants au chapitre de la sensibilisation et de la promotion de la lutte contre le racisme et la promotion de l’équité, qui se retrouvent au sein des priorités de l’agence et au cœur des discussions de direction, nous reconnaissons en outre qu’il reste encore beaucoup de travail à accomplir. Aujourd’hui, je vais décrire les efforts que nous avons déployés ces dernières années pour promouvoir la diversité et l’inclusion et investir dans ces aspects au sein de l’agence, ainsi que pour nous engager auprès des communautés musulmanes.

En ce qui concerne l’effectif, l’ASFC est fière de compter sur un effectif diversifié qui représente le Canada. L’agence s’est engagée à embaucher des agents des services frontaliers issus de divers milieux et diverses communautés. Ces dernières années, nous avons également investi dans un certain nombre de ressources et de stratégies en vue d’améliorer la représentation des groupes visés par l’équité en matière d’emploi dans les secteurs clés et dans les rôles de direction. Ainsi, notre objectif est de favoriser un milieu de travail inclusif pour tous les employés.

Afin de soutenir l’engagement du gouvernement à lutter contre le racisme systémique, l’ASFC a créé un groupe de travail sur la lutte contre le racisme en 2020.

[Français]

La première tâche consistait à élaborer une stratégie antiraciste qui est appuyée par trois principes directeurs : faire preuve de leadership, équiper les employés et troisièmement, sensibiliser les gens et changer les mentalités.

[Traduction]

Dans le cadre du programme d’éducation de l’agence contre le racisme, tous les employés doivent suivre une formation sur les préjugés inconscients, sur le harcèlement, sur la discrimination, sur le dialogue authentique et sur l’inclusion.

Aussi, l’ASFC modifie actuellement ses formations pour lutter de façon plus directe contre l’islamophobie, tout en intégrant une compréhension approfondie de ses origines et de ses causes. Cela fera partie de la formation sur les pratiques en matière d’alliance et de lutte contre le racisme à l’ASFC — donnée prochainement — et du cours sur la prévention du profilage racial aux premières lignes. L’ASFC mettra aussi en œuvre des ateliers intégrant une stratégie d’éducation inclusive. Ces ateliers offriront une perspective adaptée à la culture de la vie et des pratiques quotidiennes des musulmans. L’objectif consiste à intégrer la lutte contre l’islamophobie à nos espaces d’apprentissage actuels, et de créer ainsi un espace sécuritaire pour tous nos employés, nos agents des services frontaliers et, surtout, les voyageurs et les entreprises que nous servons. Grâce à ces efforts, nous protégeons la culture qui est fondée sur les valeurs et l’éthique de la fonction publique du Canada ainsi que sur le Code de conduite de l’ASFC. Nous avons une politique de tolérance zéro en milieu de travail, en ce qui concerne le racisme contre les employés, le public et les gens sous notre responsabilité.

[Français]

Toute allégation de comportement inapproprié ou illégal de la part des employés de l’ASFC est prise très au sérieux. Chaque cas est évalué en fonction de ses propres faits afin de déterminer la mesure disciplinaire appropriée, jusqu’au licenciement. L’ASFC prend les plaintes du public très au sérieux et un processus spécial est en place pour s’assurer que chaque plainte fait l’objet d’une enquête approfondie et que des mesures sont prises.

[Traduction]

Pour ce qui est de ses politiques et de ses pratiques, l’ASFC consulte diverses communautés par l’intermédiaire d’un certain nombre de tribunes. Le 30 juin 2022, l’ASFC a rencontré le Conseil national des musulmans canadiens dans le cadre d’une séance générale de consultations communautaires, où les communautés pouvaient s’exprimer directement sur leurs interactions avec l’agence. Lors de la réunion, le conseil s’est dit préoccupé à l’égard du profilage racial et religieux aux points d’entrée. Il a aussi formulé des recommandations précises proposant d’élargir la portée de la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public. L’ASFC souhaite consulter davantage le conseil national en lien avec des enjeux d’intérêt relevant de son mandat. Nous sommes aussi en train de faire le bilan des divers efforts de mobilisation de l’agence et essayons de cerner des moyens de mobiliser davantage les communautés racisées et marginalisées.

Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions, après la déclaration de Mme Giles.

La présidente : Merci. Je donne la parole à Mme Nicole Giles, qui va nous présenter son exposé.

Nicole Giles, sous-directrice, Politiques et partenariats stratégiques, Service canadien du renseignement de sécurité : Madame la présidente, membres du comité, bonsoir. J’aimerais souligner que je me trouve actuellement sur des territoires traditionnels non cédés de la nation algonquine anishinabe.

Je suis accompagnée par M. Newton Shortliffe, directeur adjoint, Collecte, qui travaille à l’exécution des activités.

[Français]

Je tiens à remercier le comité d’avoir invité le SCRS dans le cadre de son étude sur l’islamophobie. C’est une question de la plus haute importance, et c’est avec plaisir que j’y apporte ma contribution.

[Traduction]

Je tiens à dire dès le départ que ni l’islamophobie, ni l’antisémitisme, ni la haine sous quelque forme que ce soit n’ont leur place au Canada. Tout comportement du genre est catégoriquement inacceptable et répréhensible.

[Français]

Sur plusieurs fronts, le SCRS lutte contre les préjugés et la discrimination.

[Traduction]

Fondamentalement, le SCRS accorde de l’importance à la diversité, à l’équité et à l’inclusion. Cette considération est une priorité et un impératif dans toutes les activités du SCRS, ainsi que pour l’accomplissement de sa mission, c’est-à-dire assurer la sécurité du Canada et de sa population.

Le service travaille fort pour élaborer et intégrer des stratégies et des approches qui aident à reconnaître et à éliminer les obstacles systémiques et la partialité institutionnelle. Cela est souligné dans la Stratégie de diversité, d’équité et d’inclusion du SCRS. Nous rendons compte de nos progrès à l’égard de la stratégie et assumons nos responsabilités. Les analyses fondées sur le genre et la diversité nous aident à nous assurer que nos politiques et nos activités sont impartiales et fondées sur des données probantes.

Le SCRS prend également des mesures concrètes pour veiller à ce que l’ensemble de son personnel bénéficie d’un milieu de travail sain et respectueux, exempt de préjugés et de harcèlement. Le Code de conduite du SCRS, un document interne, a été publié en ligne pour la première fois il y a quelques années. Le SCRS prend très au sérieux toute allégation de comportements inappropriés, dont le harcèlement et la discrimination, et il a mis en place des mécanismes rigoureux pour régler les situations de ce type.

Il est important que l’effectif du SCRS reflète la société canadienne, car ses gens sont, en toute franchise, sa ressource la plus importante. Il y a eu du progrès en la matière : ses effectifs se composent maintenant à 49 % de femmes et à presque 20 % de membres de groupes racisés et de minorités visibles. Toutefois, il reste beaucoup à accomplir. Toute démarche sérieuse contre les préjugés exige par ailleurs des activités proactives de sensibilisation et de mobilisation à l’extérieur du SCRS.

[Français]

Pour lutter contre les menaces qui pèsent sur les différentes collectivités du Canada, notamment l’islamophobie, le SCRS tient à s’adresser en priorité aux dirigeants des communautés, à leurs membres et aux groupes de défense d’intérêts. Le SCRS cherche à mieux comprendre leurs préoccupations, à leur réaffirmer que les préjugés raciaux, la discrimination et la haine n’ont pas leur place au Canada, et à renforcer leur résilience. Il cherche à obtenir leurs avis quant aux façons dont il peut accroître sa transparence et gagner leur confiance. C’est au cœur de la manière dont le SCRS sert la population canadienne.

[Traduction]

Newton Shortliffe, directeur adjoint, Collecte, Service canadien du renseignement de sécurité : Bonsoir. Comme vous le savez peut-être, le SCRS a le mandat d’enquêter sur les menaces envers la sécurité du Canada et de conseiller le gouvernement à cet égard. Il peut aussi prendre des mesures pour réduire ces menaces. Les menaces sont définies à l’article 2 de la Loi sur le SCRS; elles comprennent l’espionnage et le sabotage, les activités influencées par l’étranger, le terrorisme et l’extrémisme violent ainsi que la subversion.

Le SCRS est aux prises avec un contexte de menace dynamique et multidimensionnel. L’extrémisme violent à caractère idéologique — ou l’EVCI — constitue une menace particulièrement inquiétante, complexe et mouvante, qui a des liens particuliers avec l’islamophobie.

[Français]

La dernière décennie comporte son lot d’exemples tragiques : l’attaque perpétrée en 2017 à la grande mosquée de Québec, ou l’an dernier à London, en Ontario, où ces menaces se sont concrétisées sous la forme d’une attaque au véhicule-bélier dans laquelle quatre membres d’une même famille sont morts en raison de leur foi. De tels actes de violence sont méprisables et n’ont aucune place dans notre société.

L’extrémisme violent à caractère idéologique, ou EVCI, alimenté par la haine et la peur, fait naître tout un éventail d’idéologies. Il peut notamment s’agir de xénophobie liée au néonazisme, d’opposition à l’autorité ou de sexisme. L’EVCI peut aussi s’appuyer sur d’autres récriminations sans lien clair avec un groupe organisé ou une influence externe.

[Traduction]

Ces dernières années, la combinaison d’événements mondiaux très perturbateurs comme la pandémie, l’influence croissante des médias sociaux et la propagation des théories conspirationnistes ont créé un climat d’incertitude propice à l’exploitation par les extrémistes violents. Le SCRS consacre maintenant 50 % de ses ressources antiterroristes à l’EVCI.

En conclusion, je tiens à assurer le comité que le SCRS demeure inébranlable dans son engagement à protéger la population canadienne.

C’est avec plaisir que nous répondrons aux questions. Je vous remercie.

La présidente : Merci beaucoup de votre exposé. Je vais maintenant céder la parole aux sénateurs pour leurs questions, en commençant par la sénatrice Omidvar.

La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui, et je vous remercie aussi pour le travail que vous accomplissez.

Ma question s’adresse à M. Millar, de l’ASFC. Je vais citer un article de La Presse canadienne, daté d’août 2022. Vous savez probablement ce que je vais dire.

Le quart des agents des services frontaliers du Canada...

— vos employés, monsieur —

... disent avoir été directement témoins de gestes de discrimination posés par des collègues...

 — encore une fois, des membres de votre personnel —

... contre des voyageurs au cours des deux dernières années seulement.

Aussi :

... 71 % soutiennent que la discrimination était basée en tout ou en partie sur la race des voyageurs, [...] la nationalité ou l’origine ethnique.

Que répondez-vous à ce rapport de presse, qui est fondé non pas sur les opinions d’un groupe de revendication extérieur, mais bien sur ce que disent vos propres effectifs, monsieur?

M. Millar : Merci de la question. Tous les agents de l’ASFC doivent se comporter avec professionnalisme et courtoisie et... comme je l’ai dit plus tôt, respecter le Code de conduite de l’ASFC ainsi que les valeurs et l’éthique de la fonction publique, lesquelles, évidemment, condamnent fortement le racisme dans la fonction publique et dans la prestation des services.

L’ASFC a des processus internes de plainte lorsqu’il y a des préoccupations de harcèlement et de racisme. Nous avons des formulaires en ligne pour cela. Bien sûr, un recours auquel tous les voyageurs ont accès est de déposer une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne.

Notre stratégie antiracisme comprend plusieurs volets qui touchent nos méthodes de recrutement, de maintien en poste et de formation des employés. Par exemple, nous avons 13 cours, pour un total de plus de 30 heures de formation.

Nous sommes en train de déployer des efforts très importants en matière de représentation pour veiller à ce que les agents de l’ASFC représentent le marché du travail et la disponibilité des minorités visibles dans la population active.

Nous reconnaissons que l’ASFC — à l’instar d’autres organisations — doit combattre le racisme systémique qui existe potentiellement dans les organisations, dans les politiques et dans les pratiques. Nous faisons tout en notre pouvoir pour veiller à ce que les Canadiennes et les Canadiens sachent que l’ASFC se comporte toujours de manière appropriée et dans le respect des lois et, par-dessus tout, des valeurs canadiennes.

Nous prenons très au sérieux tous les signalements internes ou de la part des médias. En effet, nous orientons tous nos efforts pour veiller à ce que l’ASFC soit perçue non pas comme une organisation raciste, mais plutôt comme une organisation qui aide près de 100 millions de voyageurs à entrer au Canada chaque année, y compris les demandeurs d’asile.

La sénatrice Omidvar : Juste pour enchaîner là-dessus, monsieur Millar, je dirais, si j’étais à votre place, qu’il y a un problème. J’aimerais vous demander si la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public qui est proposée dans le projet de loi C-20, qui sera le premier organisme de surveillance civile indépendant de la force... si cela va aider à cerner non seulement les problèmes, mais aussi les solutions.

Le comité a entendu de nombreux témoignages de la part de musulmans qui ont encore des problèmes à cause de la liste d’interdiction de vol. Ils ne comprennent pas pourquoi ils sont ciblés ou pourquoi on les empêche de prendre leur vol. Je me demandais si la CEPP est vraiment la bonne solution. Si oui, ce serait incroyable. Qu’en pensez-vous?

M. Millar : Merci beaucoup. Encore une fois, l’ASFC — comme n’importe quelle autre organisation gouvernementale — doit combattre directement le racisme systémique et doit absolument mettre en œuvre des politiques et des procédures à cette fin. Je suis tout à fait d’accord avec votre premier commentaire.

La CEPP accueille certainement les examens et les plaintes...

La présidente : Monsieur Millar, désolée de vous interrompre à nouveau, mais les interprètes ont de la difficulté à faire leur travail, à cause de la connexion. Pouvons-nous nous arrêter, le temps que le problème soit réglé?

M. Millar : D’accord.

La présidente : Nous allons suspendre la séance, pendant que nous essayons de régler le problème.

(La séance est suspendue.)

(La séance reprend.)

La présidente : Reprenons.

Monsieur Millar, vous étiez en train de répondre à une question, alors vous avez la parole.

M. Millar : Oui, absolument. Je serai bref.

En effet, nous voyons d’un bon œil l’adoption du projet de loi C-20 et la création d’un mécanisme externe d’examen et de plaintes qui sera indépendant de ce qui existe déjà dans le domaine de la sécurité nationale, étant donné que nous administrons déjà 90 lois et règlements. Il y a certainement des lacunes à corriger à l’égard des examens. Avec ce mécanisme de plaintes, n’importe qui pourra déposer une plainte directement à l’organisme d’examen ou même déposer une plainte pour une autre personne, avec le consentement du voyageur concerné... et ensuite, les conclusions pourront être présentées à la présidente de l’ASFC, et on pourra aussi rendre des comptes au ministre de la Sécurité publique.

Cet organisme d’examen pourra mettre en œuvre des efforts de sensibilisation et de mobilisation auprès des groupes en quête d’équité et des communautés afin qu’ils prennent conscience de cette possibilité, à condition bien sûr que le Parlement adopte le projet de loi, et après son entrée en vigueur... nous serons heureux de promouvoir tout cela.

Rapidement, une dernière chose. En ce qui concerne nos efforts présents de mobilisation — et j’ai déjà mentionné la consultation préalable avec le Conseil national des musulmans canadiens —, nous déployons des efforts de mobilisation auprès de nombreux groupes en quête d’équité et d’organismes non gouvernementaux, relativement à nos politiques et nos procédures. La liste d’interdiction de vol est une chose qui nous a déjà été mentionnée, particulièrement, mais elle relève du ministère de la Sécurité publique. Bien sûr, nous transmettons les commentaires et les préoccupations aux ministères qui sont responsables des diverses lois que nous exécutons pour eux.

La sénatrice Omidvar : Poursuivons, vu le temps.

La présidente : Merci. Je vais poser une question en tant que présidente du comité.

Monsieur Millar, ma question porte davantage sur l’expérience personnelle : dites-moi, est-ce votre politique de fouiller plus souvent les musulmans? Est-ce ce que vous montrez à vos agents?

M. Millar : Absolument pas. À dire vrai, l’information sur la religion des gens qui entrent au Canada ne fait pas partie des données que nous recueillons systématiquement. Si vous prenez les indicateurs objectifs — je pourrais les énumérer un à un, si vous le voulez, mais je ne veux pas gaspiller le temps, si vous ne le voulez pas —, il y a un certain nombre de choses dont on tient compte et qui pourraient mener à un deuxième contrôle, après l’entrevue initiale avec l’agent des services frontaliers, mais la religion de la personne ne fait pas partie des données que nous recueillons systématiquement.

Bien sûr, lors de la formation — j’en ai déjà parlé, alors je ne vais pas aller à nouveau dans le détail —, tous les agents de services frontaliers suivent une formation obligatoire qui est évidemment structurée de façon à aborder la lutte contre le racisme, les préjugés inconscients et tout le reste, en plus d’expliquer très clairement, encore une fois, le Code de conduite. Évidemment, si un employé a eu un comportement raciste dans le cadre de son travail, il y aurait alors un examen par la Commission des relations de travail, et les conséquences pourraient être aussi graves que le congédiement.

La présidente : Donc, la personne qui a le sentiment d’avoir été victime de discrimination doit déposer une plainte, et vous avez dit que cela pouvait se rendre à la Commission canadienne des droits de la personne.

La semaine dernière, on nous a dit que cela n’était pas sans problème, parce qu’il y a un processus de sélection. Si je pose la question, c’est parce que quand ma fille et moi avons pris l’avion — c’était l’été, et vous savez comment les jeunes s’habillent au Canada —, elle a été soumise à un deuxième contrôle. Nous prenions l’avion à Toronto. Elle a été fouillée, et j’ai dit : « Qu’est-ce que vous cherchez? Vous pouvez voir. » L’agent s’est tourné vers moi et m’a dit : « Désolé, mais on nous a demandé de fouiller les musulmans canadiens plus souvent. » Je vous pose donc la question. Vous avez répondu, mais voilà ce que j’ai entendu, et je voulais des éclaircissements.

Le sénateur Manning : Merci aux témoins.

Dans ses recommandations de 2021 pour le Sommet national sur l’islamophobie, le Conseil national des musulmans canadiens a critiqué les organismes de sécurité nationale, déclarant qu’ils n’avaient pas correctement traité le problème des groupes de suprémacistes blancs. Il s’est aussi dit préoccupé de la mesure dans laquelle des groupes de suprémacistes blancs avaient infiltré le SCRS ainsi que d’autres organismes du portefeuille de la sécurité nationale.

Est-ce que des groupes de suprémacistes blancs ont effectivement infiltré nos organismes de sécurité nationale et, le cas échéant, pouvez-vous nous dire quelles sont les préoccupations et nous expliquer quelles mesures vous avez prises en réaction? Quelles mesures de sauvegarde sont en place pour empêcher les extrémistes de travailler au sein des organismes de sécurité nationale?

Mme Giles : Merci de la question, sénateur.

Nous pouvons affirmer avec conviction que l’EVCI ainsi que toutes les menaces liées aux idéologies et perspectives extrémistes constituent une préoccupation majeure pour le SCRS. En ce qui nous concerne, bien sûr, quand des menaces d’EVCI touchent directement notre mandat — donc, que la menace correspond à ce qui est énoncé à l’article 2 de la Loi sur le SCRS —, il y a un processus d’enquête très clair qui est déclenché. Je serai heureuse de demander à mon collègue. M. Shortliffe, de répondre à cette question.

Je veux aussi insister sur le fait qu’une grande priorité pour nous est de veiller à avoir des consultations stratégiques avec un ensemble de communautés, pour que nous puissions nous assurer que nous comprenons leurs préoccupations globales en tant que Canadiens, et aussi les conséquences de l’EVCI sur elles, parce que nous reconnaissons que certains groupes racisés peuvent se sentir plus vulnérables et davantage ciblés par les discours qui peuvent être extrêmement haineux et colériques de la part des gens qui font la promotion de l’EVCI, malheureusement.

Monsieur Shortliffe, aimeriez-vous fournir plus de détails sur cette menace?

M. Shortliffe : Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, nous consacrons environ 50 % de nos ressources opérationnelles antiterroristes à contrer la menace que représente l’EVCI, dont les suprémacistes blancs représentent une grande partie. Ils ne sont pas les seuls; c’est un peu un mélange. C’est quelque chose qui nous préoccupe de plus en plus.

Je crois, sénateur, que vous avez demandé si des groupes de suprémacistes blancs avaient peut-être infiltré le SCRS et d’autres organismes gouvernementaux. Effectivement, tous nos employés doivent subir un contrôle de sécurité robuste, afin que nous puissions nous assurer de leur loyauté envers le Canada et envers nos organisations. Quelqu’un qui prône ce genre d’idéologies déclencherait une alerte dans le cadre de ce processus, et nous nous occuperions ensuite de l’expulser.

Le sénateur Manning : Je m’intéressais seulement à la formation. Je sais qu’il y a une formation continue, et de la formation sur les interactions avec les communautés musulmanes, de la formation pour interagir avec les gens dans différentes régions du pays, qui arrivent dans différentes régions du pays ou, comme la sénatrice Ataullahjan l’a mentionné, qui quittent le pays.

Quel type de formation donne-t-on? Est-ce que c’est une formation continue? Est-ce qu’elle est suivie de façon volontaire, ou est-ce une formation obligatoire pour vos employés?

Mme Giles : Merci, sénateur.

Je pourrai vous parler de la formation générale, puis M. Shortliffe voudra peut-être vous donner des détails opérationnels précis sur la formation.

Dans le cadre de notre plan d’action sur la Stratégie de diversité, d’équité et d’inclusion, nous avons mis en place un certain nombre... un éventail élargi de nouvelles formations obligatoires, dont des formations sur les préjugés inconscients et la compétence culturelle; les connaissances fondamentales nécessaires pour promouvoir les connaissances et les comportements en matière de respect, de diversité et d’inclusion; la prévention de la violence au travail; la prévention du harcèlement et de la violence; les valeurs et l’éthique; le respect en milieu de travail; le Code de conduite des employés; et, un élément très important, la sensibilisation à la partialité, pour laquelle nous demandons, par exemple, une conformité à 100 %, et on ne délègue pas aux employés les pouvoirs de dotation à moins qu’ils n’aient réussi le cours.

Nous appliquons diverses mesures très robustes, et nous les évaluons et les surveillons constamment afin de les modifier au besoin.

Monsieur Shortliffe, voulez-vous souligner quoi que ce soit par rapport au volet opérationnel de la formation?

M. Shortliffe : Nous avons une main-d’œuvre très diversifiée. Notre réussite, sur le plan opérationnel, dépend de notre capacité de recruter et de maintenir en poste des employés à l’échelle du Canada de tous les horizons et de toutes les origines ethniques. Nous avons besoin de gens qui répondent à diverses exigences linguistiques et culturelles.

Sur le plan opérationnel, lorsque nos enquêteurs veulent travailler avec diverses communautés dans le cadre de leurs enquêtes, ils suivent une formation, bien sûr en ce qui concerne le travail qui doit être fait précisément, mais aussi de la formation de sensibilité culturelle et sur la façon d’approcher les différentes communautés. Nos enquêteurs sont ainsi plus efficaces et, autre chose très importante, plus respectueux, ce qui est d’ailleurs l’une de nos valeurs clés.

Le sénateur Manning : Je sais qu’il semble y avoir une pénurie de travailleurs partout au pays. Des employeurs petits et grands et dans tous les domaines ont de la difficulté à remplir leurs effectifs. Relativement au recrutement et au maintien en poste des employés, comme vous venez tout juste d’en parler par rapport à vos activités, comment vous débrouillez-vous? Manquez-vous de personnel? Est-il difficile de trouver des employés dans certaines régions, surtout en ce qui concerne la population diversifiée dans notre pays?

M. Shortliffe : Je vais répondre rapidement. Oui, nous avons globalement de la difficulté à recruter du personnel, à l’instar de bien d’autres organisations. Nous avons lancé un certain nombre d’initiatives pour améliorer notre recrutement en général, et auprès des communautés de la diversité en particulier, et nous avons publié des avis de concours pour embaucher des agents et d’autres professionnels du renseignement, en mettant l’accent sur notre besoin d’embaucher des candidats issus de la diversité. Nos gestionnaires d’embauche y travaillent activement. Nous voulons que le SCRS reflète la société canadienne, et nous faisons tous les efforts possibles pour améliorer cela.

Mme Giles : J’ajouterais que, à ce titre, nous obligeons tous les membres du comité d’entrevue à suivre une formation sur la sélection impartiale. Nous avons aussi pris une mesure très concrète pour veiller à ne pas créer accidentellement des préjugés. Nous avons aussi pris d’autres mesures, par exemple en essayant d’être flexibles à l’égard de certaines exigences en matière de dotation, quand nous sélectionnons des membres d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi, ce qui comprend les personnes racisées, afin de veiller à ce qu’il n’y ait aucun désavantage systémique injuste dans le processus de recrutement et de maintien en poste.

La présidente : Merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse aux représentants de l’Agence des services frontaliers du Canada.

Ma question va un peu dans le même sens que celle de la présidente.

Plusieurs témoins qui ont comparu devant notre comité ont affirmé qu’ils sont souvent soumis à des tests, des contrôles et des deuxièmes contrôles aux frontières, notamment dans les aéroports, soit à cause de leur nom ou à cause de leur pays d’origine — car vous savez, dans nos passeports, il est inscrit le pays où nous sommes nés. Cela est un problème pour la plupart des enfants ou des personnes qui sont nés à l’extérieur du Canada. Alors, j’aimerais savoir comment se fait la sélection des voyageurs qui sont assujettis à ce deuxième contrôle? Est-ce que c’est à partir de leur nom ou c’est à partir tout simplement du pays d’origine?

M. Millar : Merci pour cette question.

[Traduction]

Il y a cinq raisons pour lesquelles une personne serait assujettie à un deuxième contrôle. Les premières raisons seraient celles prévues par la loi, c’est-à-dire que, lorsque le voyageur est questionné, il y a des préoccupations par rapport au paiement des droits et des taxes, à des aliments pour animaux ou alors des considérations relatives à des végétaux; tout cela fait partie de la réglementation.

D’autres raisons sont celles générées par le système : des organismes internationaux peuvent avoir émis un avertissement ou de l’information sur une personne en particulier, ou alors, à la frontière, il y a une alerte à propos d’un non-respect antérieur, ou il peut aussi y avoir un mandat d’arrestation.

La troisième raison est la sélection par la machine, c’est-à-dire que vous avez entré de l’information incomplète, et nous devons tout simplement vous demander plus d’information, ou alors parce que l’information n’était pas accessible.

Il y a les renvois aléatoires, qui sont générés par les machines dans la plupart des endroits. Ces contrôles sont aléatoires et n’ont rien à voir avec le nom ou le pays d’origine.

Enfin, les agents peuvent choisir de contrôler une personne en fonction des réponses à leurs questions. Par exemple, disons qu’une personne a fait un voyage d’un jour et revient avec une montagne de sacs Gucci, ou alors revient après deux mois sans aucun bagage. Il y a toutes sortes de questions.

Il y a des indicateurs objectifs qui, à dire vrai, sont défendables s’il y a un deuxième contrôle, et même une infraction et ensuite possiblement un recours et même un contrôle judiciaire. L’idée est que ces indicateurs sont objectifs, alors, je le redis, la race ne sera jamais l’un de ces indicateurs. Personne n’est formé de cette façon. Encore une fois, la religion ne fait pas partie des données que nous recueillons systématiquement, et il n’y a aucune raison pour laquelle cela nous aiderait à administrer nos lois et nos règlements ou ceux des ministères et des organismes.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je vais vous donner un exemple. Mes enfants ont voyagé avec une de leurs amies qui est née dans un pays que je ne vais pas nommer, un pays musulman. Mes enfants sont nés ici, au Canada, ils ont voyagé deux fois avec la même amie, et chaque fois qu’ils revenaient de voyage, c’était la seule à être envoyée à un deuxième contrôle. J’ai du mal à comprendre pourquoi, quand vous revenez d’un même pays et que vous répondez aux mêmes questions, c’est toujours la même personne qui soit envoyée au deuxième contrôle. Il y a quelque chose qui n’est pas assez clair, même si je comprends que vous ne faites pas ce deuxième contrôle.

[Traduction]

M. Millar : Il y a deux ou trois choses. Bien sûr, je ne peux rien dire par rapport à cette situation particulière. Bien sûr, s’il y a des préoccupations quant aux raisons pour lesquelles quelqu’un a été renvoyé à un deuxième contrôle, si la personne a des questions par rapport à la conduite de l’agent, si elle veut parler au gestionnaire en service ou déposer une plainte en utilisant notre mécanisme de recours en ligne ou même, si le projet de loi C-20 est adopté, auprès de l’organisme d’examen des plaintes, nous voulons vraiment recevoir ce genre de plaintes parce que s’il y a quoi que ce soit qui laisse croire que nos employés ciblent des gens pour des motifs racistes ou religieux, nous voulons le savoir afin de nous occuper de ces personnes et de trouver des solutions aux problèmes systémiques.

Une autre chose que j’ajouterais, c’est que nous recevons avec plaisir et traitons des milliers de voyageurs qui viennent de pays des quatre coins du monde, des voyageurs qui demandent l’asile au Canada ou qui entrent au Canada avec un visa de résident temporaire, qui ont la double citoyenneté ou la résidence permanente.

Je dirais que l’ASFC joue un très grand rôle pour ce qui est de faciliter l’immigration. Nous jouons un rôle quant à l’application de la loi, en plus d’un rôle de facilitateur pour tous les immigrants aux points d’entrée, et nous en sommes fiers.

Je suis désolé de la situation que vous avez décrite, mais je ne peux malheureusement rien dire à propos de ce cas précis.

La sénatrice Hartling : Merci aux témoins d’être avec nous.

Je vais poser ma question au SCRS. Vous nous avez très bien expliqué que vous avez une stratégie pour embaucher du personnel diversifié ou des personnes issues de la diversité. Ce que j’aimerais savoir, c’est que parfois, on embauche des gens, puis on a de la difficulté à les maintenir en poste, ou possiblement à les promouvoir et à les aider à se sentir accueillis au travail. C’est surtout vrai pour les musulmans. Peut-être qu’il y a des différences culturelles.

Que faites-vous pour cela? Que faites-vous pour maintenir les musulmans en poste dans vos effectifs, ou même pour leur donner des promotions? Avez-vous des stratégies?

Mme Giles : C’est une excellente question, sénatrice. Nous accordons beaucoup d’importance au maintien en poste, surtout compte tenu de tous les efforts qu’il faut déployer pour engager quelqu’un, avec les vérifications de sécurité rigoureuses, comme mon collègue l’a expliqué.

Une chose sur laquelle nous insistons beaucoup, dans le cadre de notre stratégie de diversité, d’équité et d’inclusion — ou de DEI — est comment nous pouvons créer un milieu de travail exempt de préjugés, de discrimination, de harcèlement et d’intimidation, afin que tous nos employés puissent venir travailler chaque jour dans un environnement sécuritaire, sain et respectueux, et aussi pour qu’ils soient fiers du travail que nous accomplissons chaque jour au service des Canadiennes et des Canadiens, pour les garder en sécurité. Nous avons mis en place un certain nombre de mesures concrètes pour favoriser ce genre d’environnement. J’ai déjà décrit quelques-unes de nos formations.

Il y a d’autres choses. Par exemple, nous nous sommes engagés à créer de nouveaux espaces physiques pour les pratiques culturelles, afin que les gens puissent avoir cet espace pour leurs pratiques pendant qu’ils sont au travail, au besoin. Aussi, je veux vraiment insister sur le fait que, à tous les égards possibles, toutes les formes de discrimination, de partialité ou de racisme, pour n’importe quelle raison, sont complètement inacceptables dans notre organisation.

Pour ce qui est des promotions, c’est une autre question importante, et nous déployons beaucoup d’efforts là-dessus. À ce titre, nous essayons de créer des perspectives de carrière en tant que cadres qui sont réservées pour les membres des minorités visibles, les Autochtones et les personnes handicapées. Par exemple, nous avons pris des mesures pour les soutenir dans leur préparation aux processus de sélection des cadres, puisque cela peut être très intimidant. C’est quelque chose dont nous sommes très conscients, et cela vaut aussi pour la formation sur la sélection impartiale, que nous avons mentionnée récemment.

Nous avons constaté que le taux de promotion des employés racisés a augmenté. Nous continuons tout de même à déployer beaucoup d’efforts à cet égard, et nous sommes aussi déterminés à poursuivre ces efforts.

La sénatrice Omidvar : Mes questions s’adressent au SCRS. Nous sommes à mi-chemin de notre étude, et déjà, je pense que mes collègues seront d’accord pour dire que nous sommes de plus en plus inquiets par rapport à ce que nous constatons, même à mi-chemin de notre étude, sur la montée de l’islamophobie.

Est-ce que le SCRS fait le lien entre les suprémacistes blancs et l’islamophobie?

M. Shortliffe : Je pense que je vais répondre à la question, du point de vue opérationnel. La réponse courte est oui.

Il est clair que la communauté musulmane au Canada a été ciblée et continue potentiellement d’être ciblée par les suprémacistes blancs et par l’EVCI. Il y a beaucoup de haine et de racisme dans ce mélange d’idéologies, et la communauté musulmane — mais aussi d’autres communautés — est directement ciblée. Donc, nous faisons effectivement le lien.

Mme Giles : Un élément central de notre programme de mobilisation des intervenants consiste à consulter ces communautés afin qu’elles puissent nous dire à quels égards elles se sentent menacées et à quels égards elles auraient peut-être besoin qu’on leur donne davantage de soutien. Elles peuvent aussi nous poser des questions pour savoir comment elles peuvent renforcer leur résilience et faire en sorte d’être protégées. Pour nous, il est impératif d’établir ce genre de confiance fondatrice et mutuelle.

Une autre grande priorité pour nous est de nous assurer que nous sommes déterminés à consulter ceux qui pourraient avoir été exclus des discussions sur la sécurité nationale dans le passé et de tirer parti de leurs points de vue diversifiés. Nous avons besoin de cela pour lutter contre les menaces...

La sénatrice Omidvar : J’essaie toujours de comprendre le lien entre les suprémacistes blancs et la montée de l’islamophobie. Je vous suis reconnaissante de vos autres efforts pour entretenir des liens avec la communauté et pour créer de la confiance. Je pense que c’est important.

Je demanderais à votre collègue de poursuivre.

M. Shortliffe : Pour ce qui est du lien entre les deux, les suprémacistes blancs — conformément à leur idéologie — croient à toutes sortes de théories conspirationnistes, par exemple que la race blanche est en danger au Canada, ou alors la théorie du remplacement. Beaucoup de ces idées viennent des États-Unis et d’ailleurs... ce sont toutes des choses que vous pouvez voir sur Internet. Malheureusement, Internet est un endroit où ces croyances peuvent se propager rapidement.

Ils ciblent toutes sortes de communautés, pas juste la communauté musulmane. Ils ciblent les communautés non blanches, parce qu’ils les considèrent comme des étrangers qui méritent d’être attaqués violemment, mais ces extrémistes s’en prennent en particulier à la communauté musulmane. Nous l’avons constaté, et nous savons que ce genre de discours est de plus en plus fréquent. Il y a de plus en plus de messages haineux avec le temps, et cela nous préoccupe énormément.

La sénatrice Omidvar : Pour donner suite à votre observation — et merci de nous en avoir fait part —, le SCRS doit respecter les paramètres législatifs dans le cadre de ses activités, comme tous les autres organismes du gouvernement, mais cela est tout particulièrement délicat, compte tenu de l’enjeu dont il est question ici. Selon vous, nos lois et nos cadres juridiques sont-ils suffisants pour s’attaquer au lien entre la suprématie blanche et l’islamophobie?

M. Shortliffe : Ce n’est pas vraiment à moi de dire si nous avons besoin d’une modification législative ou pas. J’aborde le problème du point de vue opérationnel. Le SCRS enquête sur des gens dont les activités menacent la sécurité du Canada. Il y a énormément de choses dans la société qui n’atteignent pas ce seuil, parce que la définition d’une « menace envers la sécurité du Canada » dans ce contexte comprend l’exigence selon laquelle il doit y avoir une possibilité sérieuse de violence grave dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique. Il y a énormément de choses qui sont terribles, mais qui n’atteignent pas nécessairement ce seuil, en ce qui nous concerne. Si vous voulez savoir s’il faudrait des outils législatifs supplémentaires, vous devrez poser la question à d’autres.

Je ne sais pas si vous voulez ajouter quoi que ce soit d’autre, Madame Giles.

Mme Giles : Je pense que vous avez posé une question très importante, et c’est une question qui se pose en fait pour tous les organismes du renseignement dans les démocraties modernes : c’est-à-dire, comment pouvons-nous nous assurer que nos pouvoirs sont à jour, pour que nous puissions suivre le rythme, alors que le contexte des menaces change dramatiquement et rapidement, tout comme la façon dont ces menaces se manifestent?

Par exemple, la Loi sur le SCRS impose des contraintes technologiques sur la collecte de renseignements que les rédacteurs de la loi n’auraient pas pu prévoir en 1984. À notre époque moderne, nos enquêtes sont limitées dans une certaine mesure à cause de certaines de ces contraintes technologiques. Malgré tout, je le redis, ce n’est pas à nous de décider des mesures législatives qui doivent être proposées.

La sénatrice Omidvar : Vous soulevez un point important, si vous me permettez de le dire. Je comprends que vous ne pouvez pas faire de commentaires sur la loi, parce que ce n’est pas votre travail, mais peut-être pourriez-vous indiquer au greffier s’il y a un témoin que nous pourrions convoquer qui pourrait nous renseigner sur les contraintes techniques dans la loi actuelle, au moment de lutter contre les menaces qui pèsent sur les musulmans dans notre pays. Merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à M. Millar, pour poursuivre sur la question du racisme systémique. Vous avez mentionné tout à l’heure que l’Agence des services frontaliers du Canada a créé une équipe antiracisme pour faire face à toute attaque de ce genre dans vos services. J’aimerais savoir quand ce service a été créé et si vous avez remarqué des améliorations depuis la création de ce service.

[Traduction]

M. Millar : Merci beaucoup. L’équipe a été créée en 2020 et s’est tout de suite mise à l’ouvrage pour créer une stratégie antiracisme, qui est en vigueur actuellement, et pour conseiller l’agence à cet égard. La stratégie comprend plusieurs volets, et nous sommes contents de pouvoir dire qu’elle est mise en œuvre à l’échelle de l’organisation. En effet, toutes les directions générales de l’agence doivent avoir des plans de diversité, d’équité et d’inclusion en matière d’emploi, et c’est ce que nous faisons présentement. À l’échelle de l’organisation, nous examinons l’ensemble de nos formations et vérifions que la formation est obligatoirement donnée — j’ai parlé plus tôt de 13 cours sur plus de 30 heures —, en plus de la nouvelle formation que nous avons commencé à donner, que nous avons élaborée conjointement avec Mme Myrna Lashley de l’Université McGill, sur les pratiques en matière d’alliance et de lutte contre le racisme à l’ASFC. Nous commençons à mettre cela en œuvre à l’échelle de l’organisation.

L’autre effort en cours consiste évidemment à avoir un effectif diversifié. Nous sommes heureux de pouvoir dire, compte tenu des niveaux de disponibilité au sein de la population active que le Secrétariat du Conseil du Trésor a établis et communiqués à tous les ministères, que la disponibilité dans la population active, la DPA, pour nos ASF, nos agents de services frontaliers, se situe à 15,6 %, de membres des minorités visibles, et nous en sommes à 17,6 %. Pour nous, la DPA de base est le seuil, pas le plafond. Nous voulons dépasser cela. Bien sûr, nous considérons les améliorations que nous avons vues de ce côté-là comme étant positives.

Même si cela ne concerne pas la stratégie elle-même, les progrès qui sont réalisés en même temps à l’égard du projet de loi C-20, pour l’amélioration de la fonction d’examen et de traitement des plaintes de l’ASFC, nous aideront à calibrer et à cerner les modifications qui s’imposent. Nous ne restons pas assis sur nos lauriers. C’est un effort continu.

Enfin — et j’en ai déjà parlé, mais je veux insister là-dessus —, nous tenons des consultations continues avec les communautés en quête d’équité et les ONG. Mes collègues, dans le domaine de l’application de la loi sur l’immigration, ont aussi une consultation continue avec un grand nombre d’ONG. D’ailleurs, nous allons présenter notre stratégie antiracisme au Conseil canadien pour les réfugiés ce mois-ci, ou alors cela vient d’être terminé. Je pense que je vais m’arrêter ici. Je ne veux pas prendre trop de temps.

[Français]

La sénatrice Gerba : Est-ce qu’il y a plus ou moins de plaintes? Quelles sont les sanctions prévues en cas de violation de ces règles?

M. Millar : Merci pour cette question.

[Traduction]

La sanction la plus extrême serait le congédiement, lorsque les employés ne respectent pas le Code de conduite de l’ASFC et les valeurs et l’éthique de la fonction publique, qui sont des conditions préalables à l’emploi. Dans l’éventualité où il y a des gestes de nature criminelle, alors un processus distinct est prévu, mais jusqu’à ce point, des mesures seraient prises immédiatement par la direction, si la plainte est fondée.

La présidente : Merci.

Je vais poser la dernière question au SCRS. Quelle est votre relation avec la communauté musulmane? Il y a eu plusieurs plaintes de discrimination contre les employés musulmans. Mme Huda Mukbil, qui travaillait comme officière supérieure du renseignement et qui porte le hidjab, a déclaré qu’elle avait vécu de la discrimination et qu’elle avait été traitée comme si elle était une menace intérieure. Je repense à l’article dans le magazine Maclean’s, qui disait que des étudiants musulmans avaient été harcelés et traités comme des terroristes. Il y a aussi cette volonté d’essayer de placer des espions dans les mosquées.

Comment se porte votre relation avec la communauté musulmane? Vous avez sans doute entendu dire que, selon les dernières statistiques, 1 Canadien sur 20 est maintenant musulman. Quelle est votre relation avec cette communauté, et essayez-vous activement d’améliorer cette relation?

Mme Giles : C’est une question très importante. Pour dire les choses simplement, oui. Nous investissons beaucoup de ressources pour essayer d’améliorer notre relation avec la communauté musulmane. Nous communiquons et interagissons régulièrement avec divers partenaires musulmans, y compris des organisations communautaires et des universitaires. Nous veillons à ce que ces relations soient réciproques; il ne s’agit pas uniquement de les approcher, nous devons écouter ce qu’ils ont à dire et tirer des leçons de leurs expériences. D’ailleurs, nous les invitons parfois à venir rencontrer nos employés et leur exposer leurs points de vue, afin que nous puissions mieux comprendre les expériences de cette communauté.

Nous ne pouvons évidemment pas faire de commentaires sur les affaires précises qui sont peut-être devant la Cour fédérale, mais nous reconnaissons effectivement qu’il y a des structures sociales et administratives ainsi que des systèmes en vigueur dans notre organisation qui ont précédemment eu comme conséquence de défavoriser certaines personnes et certains groupes, ou alors qui ont empêché de faire en sorte qu’ils ne soient pas défavorisés. C’est du racisme systémique et c’est inacceptable. C’est pourquoi nous avons pris un certain nombre de mesures pour essayer de combattre cela continuellement, et je serais heureuse de vous les décrire et de vous fournir plus de détails.

La présidente : Quand vous dites que vous interagissez avec certains groupes et des chefs communautaires, comment choisissez-vous ces groupes et ces chefs communautaires? Où les trouvez-vous?

Mme Giles : Très souvent, c’est eux qui communiquent avec nous. Par exemple, il y a dans certaines universités des centres d’études islamiques. Ce sont des points de liaison naturels pour nos activités de communication externes. Aussi, souvent, quand des groupes se sentent préoccupés ou qu’ils ont soulevé des préoccupations, nous adoptons parfois une approche plus en douceur, du point de vue de la mobilisation stratégique, pour mieux comprendre quelles sont leurs préoccupations.

Je devrais cependant dire que cela concerne surtout les politiques et la mobilisation. La mobilisation opérationnelle est différente, et cela est fait en conformité avec la loi.

J’ajouterais aussi que toutes nos activités peuvent faire l’objet d’un examen par l’OSSNR. Pour nous, la responsabilisation et la transparence sont très importantes.

La présidente : Merci beaucoup. J’aimerais remercier chacun de vous d’avoir comparu devant nous en tant que témoins. Nous avons grandement apprécié vos exposés et votre aide dans le cadre de cette étude. Nous nous réservons peut-être le droit de vous rappeler. L’étude est en cours. Si nous apprenons autre chose, nous vous saurions gré de revenir, si nous vous le demandons. J’aimerais vous remercier d’avoir pris le temps de venir. Il y a eu des moments intéressants, et grâce au greffier du comité, nous savons maintenant que les barbes interféraient avec les microphones. Tant qu’on est en vie, on continue d’apprendre, et nous avons appris quelque chose de nouveau aujourd’hui grâce au greffier du comité, M. Sébastien Payet. Merci beaucoup, et passez une bonne soirée.

Je vais maintenant présenter notre dernier témoin. On a demandé au témoin de présenter une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous allons l’entendre et passer aux questions des sénateurs. Nous avons le plaisir d’accueillir par vidéoconférence M. Ahmad Attia, membre du conseil d’administration des services policiers de Peel, du conseil d’administration de Human Rights Watch Canada et PDG d’Incisive Strategy. J’invite maintenant M. Attia à présenter son exposé.

Ahmad Attia, membre du conseil d’administration des services policiers de Peel, PDG d’Incisive Strategy, à titre personnel : Je commencerais par vous remercier, madame la présidente et honorables sénatrices et sénateurs, d’avoir passé des mois à parcourir le pays et à écouter les expériences vécues par les musulmans canadiens qui ont été victimes d’islamophobie sous diverses formes.

Je suis le fondateur et le PDG d’Incisive Strategy, une entreprise de gestion de crise, spécialisée dans les droits de la personne. Au fil des ans, des personnes et des organisations qui ont été victimes d’islamophobie sont venues me voir à mon bureau à la recherche de conseils sur la façon de défendre leurs droits civils ou de lutter contre l’islamophobie dont ils sont victimes.

Je suis également le vice-président du conseil d’administration des services policiers de Peel; j’ai précédemment occupé le poste de président, où j’ai mené une réforme de la police dans le domaine des droits de la personne, du racisme systémique, de la transparence et de la responsabilisation. Cela m’a permis d’acquérir une expérience unique au Canada en matière de réforme des droits de la personne dans le secteur de l’application de la loi. Je siège également au Muslim Council of Peel et j’ai fait du bénévolat dans la communauté musulmane pendant la majeure partie de ma vie.

Aujourd’hui, je parle en mon nom, et non pas au nom de ces organisations.

J’aimerais commencer par parler de mes expériences en matière de réforme et de lutte contre le racisme systémique dans le domaine de l’application de la loi, car il s’agit d’un domaine de travail unique et très difficile. Cela permet d’établir des comparaisons sur la manière de lutter contre l’islamophobie systémique dans les organismes fédéraux.

En tant que membre du conseil d’administration des services policiers de Peel, j’étais parfaitement conscient de l’importance de tisser des liens de confiance avec les communautés qui ont été affectées par le maintien de l’ordre. J’ai appris que reconnaître les erreurs et les lacunes du système est une première étape essentielle vers la réconciliation et la création de liens de confiance avec les communautés que nous servons.

Les services policiers de Peel connaissent des changements multiples et profonds. En 2020, notre conseil d’administration, le conseil d’administration des services policiers de Peel et la Commission ontarienne des droits de la personne ont signé un protocole d’entente qui donnera lieu à un certain nombre de recommandations exécutoires pour assurer un engagement en faveur d’un changement systémique important. Cette réforme commence par la reconnaissance, mais elle doit être suivie par l’engagement et la consultation, l’examen des politiques, la collecte de données, la surveillance et la responsabilisation ainsi que le changement organisationnel. Sans cette approche, le changement est simplement une question d’apparence.

À l’échelon fédéral, le Sénat a entendu parler de l’islamophobie systémique dont est victime la communauté musulmane de la part de l’ARC et de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), entre autres organisations du régime de sécurité nationale. Les représentants des deux organisations ont témoigné aujourd’hui. J’aimerais me concentrer sur ces deux organisations, parce qu’elles ont quelque chose en commun : jusqu’à présent, aucune d’elles n’est prête à admettre que l’islamophobie systémique existe, aucune d’elles n’a de système efficace de freins et contrepoids mis en place pour prévenir l’islamophobie systémique et aucune d’elles n’a de procédure de surveillance officielle en place.

Les deux dernières décennies ont été marquées par une islamophobie systémique qui renforce les stéréotypes négatifs sur les musulmans, nourrie par un régime de sécurité nationale qui fait planer un climat de suspicion permanente sur la communauté musulmane, la forçant à adopter une position défensive perpétuelle.

Même si l’ASFC affecte certaines personnes par le profilage racial et d’autres moyens discriminatoires, une des conséquences les plus paralysantes de l’islamophobie, c’est le fait que la Direction des organismes de bienfaisance de l’ARC cible le cœur de la communauté, à savoir les œuvres caritatives. Comme vous le savez, plusieurs rapports et médias ont documenté les contrôles disproportionnés et préjudiciables effectués par la DRA à l’ARC.

Malgré les preuves de partialité claires qui sont apparues, l’ARC refuse d’être transparente et de fournir des données liées à la religion qui sont spécifiques à la DRA, elle refuse la surveillance et la responsabilisation en ne coopérant pas avec l’ombudsman des contribuables et en n’assurant aucune surveillance, en général. Elle se défend plutôt en mettant de l’avant la formation en matière de diversité, d’équité et d’inclusion et la présence de musulmans dans les effectifs de l’agence.

Aujourd’hui, sénateurs, vous avez entendu le directeur général commenter les préjugés inconscients. Cependant, les vérificateurs de l’ARC ont envoyé des lettres liées à l’équité administrative concernant plusieurs organismes de bienfaisance musulmans contenant des constatations qui reposent sur des documents antimusulmans ainsi que sur des sources d’extrême droite.

Les décisions prises contre les organismes de bienfaisance musulmans sont sévères et causent des préjudices irréparables aux donateurs canadiens et aux bénéficiaires d’œuvres caritatives.

Les organismes de bienfaisance ayant fait l’objet d’une première vérification qui a donné lieu à des constatations de non-conformité technique — ce qui signifie qu’il n’y a pas de constatation de financement du terrorisme — font l’objet d’une révocation ou d’une sanction par la DRA, des résultats qui ne correspondent pas aux expériences des organismes de bienfaisance non musulmans contrôlés par la Division de l’observation de la Direction des organismes de bienfaisance de l’ARC.

Selon le témoignage d’aujourd’hui du directeur général, la DRA fonctionne selon l’évaluation nationale des risques inhérents de 2015 mise en place par le ministère des Finances. Étant donné qu’on a montré que l’évaluation nationale des risques a touché de manière disproportionnée les communautés musulmanes et racisées, l’ARC indique en réalité qu’il s’agit probablement du même résultat que celui du travail de la DRA, mais l’ARC rejette la faute sur l’approche pangouvernementale.

Le gouvernement du Canada n’a pas montré qu’il tente sérieusement de régler cette question. La communauté a demandé la fermeture de la DRA, l’imposition d’un moratoire sur ses vérifications des organismes de bienfaisance dirigés par des musulmans et la possibilité de déléguer une enquête à l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, l’OSSNR. Le gouvernement l’a plutôt confiée à l’ombudsman, connaissant ses limites, comme nous l’avons entendu dans son témoignage.

Mesdames et messieurs les sénateurs, dans la même veine, l’ASFC a été marquée par une islamophobie systémique dans ses postes frontaliers, dans l’application des lois sur les réfugiés et l’immigration, en recourant au profilage racial des Canadiens musulmans et aux listes d’interdiction de vol des enfants musulmans, pour ne citer que quelques exemples. Cependant, mesdames et messieurs les sénateurs, ce n’est pas toujours systémique. Les expériences des Canadiens musulmans sont également influencées par les préjugés conscients et inconscients des agents et des vérificateurs. Un sujet largement signalé aujourd’hui dans les médias, c’est le cas de certains agents de l’ASFC à Vancouver qui prennent pour cible des réfugiés égyptiens musulmans, cherchant à les rendre interdits de territoire au Canada. Les agents de l’ASFC affirment que le parti de la liberté et de la justice en Égypte, qui a remporté les premières et uniques élections libres et démocratiques du pays, a des liens avec le terrorisme... une position qui ne correspond aucunement à celle de notre gouvernement. En outre, les agents de l’ASFC ont préparé leurs arguments en s’appuyant sur des sources islamophobes et partiales qui font la promotion d’une vision du monde hostile aux musulmans.

Je donne cet exemple parce qu’il souligne le fait que ces deux organisations ont mis sur pied des systèmes administratifs qui exigent un seuil très bas au chapitre de la vérification du renseignement et du fardeau de la preuve à l’appui des allégations... contrairement aux organismes d’application de la loi, qui sont soumis à un contrôle plus strict. Par conséquent, ces organisations sont davantage susceptibles de commettre des abus par le biais de la discrimination systémique, mais aussi de préjugés personnels, dont les conséquences ont été dévastatrices pour la communauté musulmane.

La communauté musulmane canadienne a perdu confiance dans ces agences, après des années de discrimination systémique injuste et non contrôlée. La confiance ne sera rétablie que quand le gouvernement du Canada s’attaquera aux causes profondes de ces problèmes, lancera des enquêtes efficaces, réformera l’approche et les priorités du régime de sécurité nationale de notre pays et mettra en place un mécanisme de surveillance pour s’assurer que des freins et contrepoids sont en place.

Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions et d’aller plus en profondeur.

La présidente : Merci de votre exposé.

La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur Attia, d’être ici aujourd’hui. Vous avez manifestement écouté le dernier groupe de témoins, et très attentivement.

J’aimerais commencer par vous poser une question sur l’ARC et, en particulier, sur le rapport très attendu de l’ombudsman des contribuables, lequel, nous le savons maintenant, ne sera pas aussi complet qu’il le devrait, en raison du manque d’accès aux informations.

Voici ma question : quelle sera l’utilité de ce rapport, si les informations qu’il contient ne sont pas complètes? Qu’attend alors la communauté du rapport... elle qui, je dirais, est sortie du sommet sur l’islamophobie avec de grands espoirs, et nous voilà aujourd’hui dans une situation qui au mieux, suscite peu d’enthousiasme.

Quels sont vos commentaires sur cette triste situation dans laquelle nous nous retrouvons? Pensez-vous que le ministre était conscient des limites imposées à l’ombudsman?

M. Attia : Merci, sénatrice. Permettez-moi de commencer par dire que, avant le sommet national sur l’islamophobie, la communauté musulmane n’a pas demandé d’examen par l’ombudsman, mais a précisément demandé un moratoire sur les vérifications que fait la DRA auprès des organismes de bienfaisance musulmans et qu’un examen soit effectué par l’OSSNR. Les dirigeants communautaires et ceux qui ont rédigé les rapports ont compris ce qui était exigé. Cette question ne se limite pas au ministère du Revenu national ou à l’ARC; comme il a été dit dans les témoignages, c’est un problème pangouvernemental. La source du problème est l’évaluation nationale des risques inhérents, qui appartient au ministère des Finances et est publiée par celui-ci. Au lieu de suivre les recommandations qui ont été présentées, le gouvernement a choisi de recourir aux services de l’ombudsman.

Je peux vous dire, sénatrice, que la communauté musulmane a informé le cabinet du premier ministre et le ministère du Revenu national des limites de l’ombudsman avant le début de l’examen. Il semblait clair que le pouvoir de l’ombudsman n’était pas exécutoire et que cette question comportait des aspects liés à la sécurité nationale sur lesquels il n’avait pas autorité. Tout le monde a pu clairement constater que le gouvernement a continué d’adopter cette approche.

Sénatrice, le moratoire sur les vérifications est également une importante composante. Il est important que, même si une enquête est menée, les organismes de bienfaisance qui font déjà l’objet d’un contrôle ne continuent pas à subir un préjudice.

La DRA a suspendu les activités de Human Concern International, pendant que tout cela se produisait. Le plus grand organisme de bienfaisance musulman — l’Association musulmane du Canada — a dû aller devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario pour une contestation fondée sur la Charte, au même titre que d’autres organismes de bienfaisance faisant l’objet d’un contrôle par la DRA, pendant que tout cela se passait.

Dans l’ensemble, le processus et l’approche que le gouvernement a adoptés n’ont pas inspiré confiance à la communauté musulmane quant au fait que le résultat serait favorable à la réforme. Cet examen a commencé en février. Il doit être effectué avant mars de l’année prochaine. Nous sommes maintenant en novembre et nous entendons dire que l’ombudsman a les mains liées et que l’on ne devrait pas avoir de grandes attentes à l’égard de ce rapport.

La sénatrice Omidvar : Merci.

J’aimerais passer à l’ASFC. Le gouvernement dépose le projet de loi C-20, qui, pour la première fois, créera un mécanisme de surveillance indépendant de la GRC et de l’ASFC. L’ASFC est nouvelle, la GRC existe déjà, mais elles fusionneront.

Pensez-vous que ce mécanisme de surveillance indépendant permettra de mettre un terme aux cas évidents de plaintes déposées par des musulmans concernant le traitement injuste qu’ils subissent de la part de l’ASFC?

M. Attia : Aujourd’hui, l’ASFC est l’organisme d’application de la loi le plus important du pays et il n’est pas du tout soumis à un mécanisme de contrôle. La loi confère un pouvoir absolu à un agent de l’ASFC pour qu’il fasse ce qu’il veut, sans que personne puisse intervenir, sauf le ministre lui-même. Le système comporte des lacunes et a des répercussions sur la vie des gens. J’ai donné l’exemple des réfugiés qui viennent au Canada.

Compte tenu de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, l’orientation visant à exercer une surveillance sur l’ASFC est importante et essentielle, et le gouvernement a du mal à la suivre depuis maintenant plusieurs années.

Je ne suis pas un expert du projet de loi. Je l’ai examiné et lu. Les ONG et les organisations ont soulevé des problèmes avec le projet de loi auprès du cabinet du ministre.

À titre d’exemple, même si un organisme de surveillance pouvant examiner les plaintes est mis sur pied, celui-ci ne peut pas annuler les conséquences d’une mauvaise action de l’ASFC envers une personne. Il y a de nombreux autres exemples qui préoccupent la communauté. C’est une direction importante que nous prenons. La surveillance est nécessaire, car elle a fait défaut pendant trop longtemps.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci à notre témoin. Étant donné que vous avez vous-même fait l’expérience du bénévolat et que vous avez piloté la réforme du service de police, avez-vous ressenti qu’il y avait des réticences à l’interne envers le changement? Est-ce que le service de police est ouvert à certains changements?

Que nous recommanderiez-vous, concrètement, aujourd’hui, pour réduire le racisme systémique?

[Traduction]

M. Attia : Merci de la question, sénatrice. Dans tout le pays, les postes de police ont du mal à accepter l’idée que le racisme systémique existe au sein des services policiers et les répercussions qu’il a sur les résidants qu’ils sont chargés de protéger. Dans les services policiers de Peel, le conseil d’administration dont je suis membre a pris une mesure sans précédent pour reconnaître pleinement que le racisme systémique existe, que le racisme contre les Noirs existe, que d’autres formes de racisme systémique existent dans les services de police, et que ces démarches sont nécessaires pour aller de l’avant pour regagner la confiance des communautés. L’initiative que nous avons prise n’existe nulle part ailleurs. En fait, des services de police de tout le pays surveillent de près ce qui va en advenir.

Pour répondre à votre question, nous essayons quelque chose de nouveau. Nous avons reconnu clairement ce problème. Et nous sommes maintenant en train de comprendre les politiques, la surveillance et la responsabilisation qui sont nécessaires pour que nous puissions nous assurer que nous offrons un changement systémique avant de commencer à demander à la communauté de nous faire de nouveau confiance.

Les mêmes mesures sont nécessaires à l’échelon fédéral. Les organismes comme l’ARC doivent reconnaître qu’il y a un problème. Pendant que l’on continue d’entendre les dirigeants de l’ARC réagir aux allégations de la communauté, ils pointent du doigt des sources comme l’évaluation nationale des risques de 2015, et disent que ce n’est pas leur problème, c’est le problème de quelqu’un d’autre. Ils rejettent la faute sur d’autres composantes du gouvernement et n’assument pas la responsabilité des conséquences, ou peut-être même des conséquences imprévues de la politique du gouvernement qui a entraîné le ciblage, les préjugés et le racisme systémique contre la communauté musulmane.

À titre d’exemple, l’ARC doit reconnaître le problème et ensuite commencer à dialoguer et à mener des consultations avec la communauté musulmane sur la façon de résoudre le problème avant même de réfléchir à la façon de mettre en œuvre les solutions nécessaires.

La présidente : Merci.

Pouvez-vous me donner plus de détails sur le préjudice que la révocation et les sanctions de la vérification ont causé à la communauté musulmane?

M. Attia : Merci de cette question, sénatrice.

Comme je l’ai dit, le rôle de l’ARC est purement administratif. Les vérifications de l’ARC n’ont pas à prouver que des activités criminelles ont été menées, que quelqu’un a fait quelque chose de mal; il s’agit simplement de démontrer qu’il existe un risque de financement du terrorisme, plutôt que de le prouver réellement. Une fois qu’une lettre liée à l’équité administrative est envoyée, l’organisme de bienfaisance peut répondre, mais la décision finale revient à l’ARC. En cas de révocation ou de suspension, celle-ci est rendue publique.

Ce que l’on a constaté, c’est que, dès qu’une décision relative à une lettre d’équité administrative contre un organisme de bienfaisance musulman est rendue publique, cela nuit énormément à la réputation de l’organisme de bienfaisance et réduit sa capacité d’exercer tout recours administratif ou judiciaire.

Une fois que cela paraît dans les médias, les allégations touchant des liens d’un organisme de bienfaisance avec le terrorisme ont des conséquences paralysantes sur l’organisme de bienfaisance lui-même, ses bénéficiaires et ses donateurs. Les donateurs ne peuvent plus soutenir le financement de l’organisme pour engager une action en justice afin de faire appel de ces décisions, car il a perdu le statut d’organisme de bienfaisance. En raison des allégations, les donateurs craignent également les répercussions de leurs dons et du financement de cet organisme de bienfaisance.

Un autre exemple précis, sénatrice, IRFAN Canada, quand il a été révoqué, il soutenait 5 000 orphelins, des écoles, des cliniques et des hôpitaux dans le monde entier. Tous ces bénéficiaires ont perdu ce soutien. L’ISNA du Canada était autrefois une organisation nationale et, après avoir été suspendue pendant un an par la DRA, elle limite aujourd’hui ses activités à quelques mosquées et écoles choisies. L’organisme de bienfaisance le plus ancien du Canada, Human Concern International, a subi des dommages irréparables en raison d’une année de suspension.

Sénatrice, permettez-moi de donner un exemple de la manière de comprendre l’expérience vécue par les organismes de bienfaisance musulmans. Considérez cela comme une condamnation à mort pour avoir conduit à 120 kilomètres-heure sur la 401, alors que tout le monde aura simplement une contravention pour excès de vitesse. C’est exactement l’expérience des organismes de bienfaisance musulmans. Cela a paralysé le secteur des organismes de bienfaisance musulmans. Alors qu’un organisme de bienfaisance devrait se consacrer à faire du bon travail pour servir ses communautés, au lieu de cela, chaque décision qu’il prend est considérée du point de vue de l’ARC.

Pourquoi l’Association musulmane du Canada doit-elle dépenser des milliers de dollars en frais juridiques pour protéger la communauté en déposant des contestations fondées sur la Charte, plutôt que de les dépenser pour fournir les services importants dont la communauté musulmane a besoin?

Sénatrice, le secteur des organismes de bienfaisance musulmans est le cœur de la communauté; il relie les membres de la communauté, offre des réseaux sociaux importants et protège ses jeunes et ses enfants de l’extrémisme et de la radicalisation et en fait des Canadiens responsables. Les organismes de bienfaisance musulmans sont intrinsèquement liés à la création de mosquées, d’écoles, de programmes sociaux et d’autres services communautaires essentiels qui offrent des services de soutien gratifiant et procurent un sentiment d’appartenance à des millions de Canadiens. Quand on attaque cela, la confiance de la communauté musulmane envers le gouvernement diminue, et il devient très difficile de la rétablir. Merci.

La présidente : Merci. Une partie de notre religion consiste à donner un certain montant de son revenu à une œuvre caritative, et c’est pourquoi on voit que, quand l’appel est lancé, les organismes de bienfaisance... hier, j’étais présente à une collecte de fonds pour un organisme de bienfaisance, et les gens répondaient à l’appel.

Le comité a entendu parler de différents types de préjugés, de biais structurels qui peuvent exister à l’ARC, y compris les préjugés qui font des musulmans des étrangers ou des marginaux et ceux qui considèrent que les vraies activités religieuses sont principalement fondées sur des pratiques et des idéaux chrétiens. Pourriez-vous, s’il vous plaît, expliquer comment ces préjugés et d’autres stéréotypes peuvent alimenter les pratiques de l’ARC? Comment peut-on s’attaquer à ces préjugés et stéréotypes, à l’ARC et de manière plus générale, dans la société canadienne?

Avez-vous suivi les témoignages de tout à l’heure? Il y avait ce sentiment de frustration parmi nous, sénateurs, car nous avons constamment entendu dire que les organismes de bienfaisance... que l’ARC ne sait pas que ce sont des organismes de bienfaisance musulmans, qu’elle ne regarde pas les noms. Nous savons qu’Islam, Islamic Relief et IDRF ont tous, dans une forme ou un autre, un nom musulman, ou quand ils travaillaient —, et j’ai soulevé ce point, à savoir que, quand ils travaillent dans des pays musulmans... On sait qu’il s’agit d’un organisme de bienfaisance musulman. Mais il y a ce déni, je ne sais pas. Ils disent qu’ils ne le font pas. Nous sommes frustrés, car ce n’est pas la première fois que nous avons posé ces questions aux représentants de l’ARC.

M. Attia : Sénatrice, il y a plusieurs questions ici, et je vais essayer de les décortiquer.

Commençons par la dernière question : les organisations dans tout le pays, y compris les services de police, sont chargées de trouver et de recueillir des données fondées sur l’origine raciale pour déterminer s’il y a de la discrimination, repérer et éliminer le racisme systémique. Quand on fait appel à l’ARC, quand la communauté fait appel à l’ARC, ou à vous, en tant que sénateurs, pour fournir des données désagrégées fondées sur la religion, ce n’est pas pour qu’ils puissent mieux faire leur travail. Il s’agit de prouver au public, et de le convaincre, que leurs vérifications ne portent pas préjudice à une certaine communauté ou ne la ciblent pas de manière disproportionnée.

On comprend que, quand un organisme de bienfaisance s’enregistre, il doit s’identifier à l’une de ses grandes catégories. La promotion de la religion comporte précisément des sous-catégories telles que le christianisme, le judaïsme, l’islam ou la dernière catégorie « autre ». Cependant, les organismes de bienfaisance musulmans s’enregistrent sous d’autres catégories pour éviter de faire l’objet d’un examen par l’ARC et de subir des préjugés de sa part. Que les organismes de bienfaisance musulmans choisissent des mots comme « secours » ou « promotion de l’éducation » ou « lutte contre la pauvreté », ils choisissent de supprimer le mot « musulman » ou « islam » de leur nom pour obtenir leur statut d’organisme de bienfaisance.

Un autre exemple : il y avait un article dans le Toronto Star, de M. John Packer, un professeur agrégé de droit et directeur des droits de la personne à l’Université d’Ottawa. Voici ce qu’il déclare dans un article qu’il a écrit au sujet d’un organisme de bienfaisance où il a travaillé :

[...] un organisme de bienfaisance de défense des droits de la personne de 40 ans a été révoqué pour « activité politique » présumée, parce qu’il offrait une formation, financée en partie par Affaires mondiales Canada, à l’Organisation de la coopération islamique, qui est le deuxième organisme intergouvernemental du monde avec lequel le Canada entretient des relations officielles. En l’absence de preuve, la simple existence du mot « islamique » fait que l’ARC impose simplement une révocation paralysante.

Cet organisme de bienfaisance n’est même pas musulman, mais il travaillait avec une organisation musulmane à l’étranger. Cela nous montre que ces données désagrégées sont complexes, mais ce n’est pas difficile. Il s’agit d’examiner les activités des organisations, et de connaître leurs objectifs. Pourtant, l’ARC refuse de le faire, parce que, potentiellement, le résultat n’est pas bon.

Jusqu’à ce que l’ARC offre plus de transparence, la communauté musulmane continuera de ne pas lui faire confiance. Vous avez parlé des préjugés. Il y a eu plusieurs lettres d’équité administrative qui reposent clairement sur des personnes... si vous cherchez simplement leur nom dans Google, elles sont islamophobes. Ce sont des personnes hostiles aux musulmans. Ce sont des personnes associées au Convoi de la liberté. Pour une agence de la taille de l’ARC, compter sur un soutien qui est fondé dans ces types d’endroits sur ces types de personnes, vous indique qu’il y a un manque de formation ou qu’il y a des préjugés inconscients ou conscients envers ce type de point de vue et envers la communauté musulmane. J’espère que cela répond à la plupart de vos questions.

La sénatrice Hartling : Merci beaucoup d’être ici, avec nous, ce soir. Vous êtes très passionnés. J’aime entendre tous vos discours passionnés. Je peux comprendre certaines choses que vous dites. J’ai travaillé durant de nombreuses années dans le secteur des organismes de bienfaisance avant d’entrer au Sénat. Je sais à quel point il serait difficile que notre statut d’organisme de bienfaisance soit révoqué.

Si nous devions vous confier la responsabilité de l’ARC, parce que vous semblez avoir beaucoup de bonnes idées, comment apporteriez-vous des changements? Que commenceriez-vous à faire à la suite de ces changements? De quelles recommandations tiendriez-vous compte en ce qui concerne les préjugés structurels envers les musulmans?

M. Attia : Merci d’avoir posé cette question, sénatrice.

Je crois que la directrice générale essayait aujourd’hui de faire passer un message très clair au Sénat. Nous avons un problème, mais ce n’est pas nous. Nous suivons simplement les directives de l’Évaluation nationale des risques inhérents du gouvernement du Canada, qui dit quoi? Sénatrice, le gouvernement dit que 11 groupes présentent le risque le plus élevé de financer des activités terroristes au Canada. Dix d’entre eux sont liés à des entités musulmanes partout dans le monde. Ensuite, outre les 11 groupes, il y a les combattants étrangers qui sont associés à certains pays qu’ils ont nommés et qui sont des pays musulmans.

L’ARC dit essentiellement : ce n’est pas nous, c’est le gouvernement. Le gouvernement nous dit de faire cela. Le racisme systémique n’existe pas. Nous ne faisons qu’examiner ce que le gouvernement nous a dit d’examiner. Si c’est vraiment là que résident les risques les plus élevés de financement du terrorisme, où l’ARC va-t-elle chercher? Bien naturellement, elle examinera les organismes caritatifs musulmans. C’est le lien direct à faire, n’est-ce pas?

Lorsqu’il témoignait, l’ombudsman s’est attaché à la question de l’évaluation des risques, sénatrice. D’accord. Le gouvernement procède à l’Évaluation nationale des risques inhérents et dresse des listes des risques les plus élevés. Mais dites-nous comment vous avez procédé à l’évaluation.

En quoi votre évaluation des risques vous a-t-elle obligé à entreprendre une vérification de Human Concern International, par exemple? Pourquoi avez-vous cru que cette organisation avait un lien? Pourquoi avez-vous entrepris des vérifications d’ISNA Canada? Y avait-il un lien avec ces risques? Pourquoi avez-vous effectué une vérification de l’Association musulmane du Canada? Quel était son lien?

Montrez-nous votre évaluation des risques. C’est ce que l’ARC refuse de communiquer, non pas en raison des dispositions législatives ou de l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu, mais peut-être pour des raisons de sécurité nationale, je ne suis pas sûr. Mais l’Agence a décidé de ne pas en faire part.

Il ne faut pas seulement examiner l’ARC pour faire changement. Nous devons nous pencher sur le ministère des Finances. En fait, je crois que le Sénat devrait convoquer le ministère des Finances afin qu’il témoigne au sujet de l’Évaluation nationale des risques inhérents, des mesures qu’il prend à l’égard de l’Évaluation nationale des risques inhérents de 2015 et de ce qu’il fait pour la changer, étant donné qu’elle a des conséquences imprévues.

Je vais vous dire une dernière chose, sénatrice. Le régime de financement des activités antiterroristes du monde entier s’est rendu compte que cela a eu des conséquences imprévues. Le Canada doit se conformer au Groupe d’action financière ou GAFI. Il s’agit d’un organisme international qui supervise les directives et les règlements concernant la lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent. Le GAFI a lui-même reconnu que les directives qu’il impose au Canada ont eu des conséquences imprévues sur les ONG, dont les organismes de bienfaisance musulmans, et il mène une enquête approfondie à ce sujet.

Même le GAFI, l’organisme international, a reconnu qu’il y a un problème. Donc, pourquoi l’ARC et le gouvernement du Canada ne reconnaissent-ils pas à l’heure actuelle qu’ils ont également causé, au fil des ans, des conséquences imprévues et qu’ils ont marginalisé et touché la communauté musulmane? La solution, sénatrice, est complexe. Nous devons examiner de nombreux organismes au sein du gouvernement. Mais l’ARC doit assumer la responsabilité des conséquences qu’elle a causées.

La sénatrice Hartling : Merci.

La sénatrice Omidvar : J’ai deux questions à poser. L’une concerne l’ARC. Comme vous l’avez dit, les révocations ne causent pas seulement des dommages importants à la mission d’une organisation, mais elles risquent de ternir la réputation de ses dirigeants, en plus de les empêcher de faire leur travail, et cetera.

Toujours au sujet de la révocation, je comprends que les organismes de bienfaisance dont le statut est révoqué peuvent porter leur cause devant les tribunaux, mais ce sont des procédures coûteuses; c’est long et interminable.

Je me demande ce que vous pensez d’une solution intermédiaire, c’est-à-dire qu’on devrait faire appel à un organisme d’examen indépendant avant l’exécution d’une ordonnance de révocation, et examiner l’ordonnance avant qu’elle ne soit finale. Cet organisme d’examen indépendant des révocations serait composé non pas de représentants de l’ARC, mais de citoyens choisis par le gouvernement uniquement pour les révocations, parce que c’est un enjeu très important.

M. Attia : Sénatrice, le concept dont vous parlez nous est inconnu. En ce qui concerne le statut de réfugié et l’asile du côté de l’Agence des services frontaliers du Canada, lorsque l’Agence veut prendre des mesures extrêmes pour, par exemple, refuser l’asile à quelqu’un ou l’interdire de territoire au Canada, elle doit prouver le bien-fondé de sa cause — même si c’est une cause administrative ou semi-judiciaire — devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, qui est un organisme composé de membres ne faisant pas partie de l’ASFC. Ce concept pourrait également être intégré au sein de l’ARC, c’est-à-dire un organisme indépendant qui évalue et examine les conclusions de l’ARC et la réponse de l’organisme de bienfaisance et tire une décision finale à l’égard de cette révocation.

Je veux simplement faire mention, en poursuivant sur cette lancée, sénatrice, de la question des plaintes. Si on examine l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, ou OSSNR, mis sur pied en 2019, il a présenté, après son premier rapport, le secteur de la sécurité nationale au Canada qu’il allait surveiller. Si vous regardez ce rapport, sénatrice, vous verrez qu’il n’a jamais surveillé l’ARC et la Division de la revue et de l’analyse, ou DRA, qui ne sont même pas mentionnées comme faisant partie du secteur de la sécurité publique même si elles sont étroitement liées au régime de sécurité nationale.

Même dans la mise en place de l’OSSNR, en ce qui concerne la capacité d’un organisme de bienfaisance ou d’une personne de déposer une plainte, et la manière dont ils déposeraient une plainte contre le Service canadien du renseignement de sécurité ou la Gendarmerie royale du Canada, l’ARC ne fait pas partie du mandat de l’OSSNR.

En plus de demander à l’OSSNR d’examiner l’ARC au sujet de ces allégations, en ce qui a trait au processus de plainte du public, le gouvernement doit envisager d’élargir le mandat de l’OSSNR à l’égard de certains aspects d’autres organismes comme l’ARC qui interviennent directement dans le régime de sécurité nationale qui touche les Canadiens.

La sénatrice Omidvar : Nous espérons certainement pouvoir convoquer un représentant de l’OSSNR devant le comité si la présidente accepte.

Ma prochaine question porte sur votre travail dans la région de Peel. C’est tout à fait impressionnant. Je connais le travail effectué par la commission d’examen de la police à Toronto. Je sais que, dans ce cas, la commission peut avoir une véritable incidence sur les politiques et le comportement des forces policières locales.

S’agit-il d’un phénomène qui se produit uniquement sur le plan local, étant donné que la commission est proche des gens, contrairement au gouvernement fédéral, qui est bien loin de la population et qui est moins en contact avec elle?

Que pouvez-vous conclure de certains résultats que vous avez obtenus à l’échelle locale et du fait que, à l’échelle fédérale, on a fait la sourde oreille, si puis-je dire, face à vos appels au changement?

M. Attia : Merci d’avoir posé cette question.

Le Conseil d’administration des services policiers de Peel n’est pas différent du Sénat ou du Parlement, dans la mesure où ce n’est pas notre travail d’intervenir dans les activités des organismes. Notre travail est de faire ressortir la vérité au moyen de politiques et grâce à de la surveillance, de la gouvernance et de la supervision; notre travail est d’établir s’il y a une part de vérité dans certains problèmes, comme celui du racisme systémique, ou d’autres questions qui touchent les organismes que nous surveillons. Nous le faisons au moyen de politiques. Nous le faisons grâce à des audiences. Nous y parvenons en écoutant la communauté. Nous avons la possibilité de poser des questions de la manière dont le fait le Sénat dans le cadre de cette étude très importante sur les droits de la personne en matière d’islamophobie.

Sénatrice, je vous dirais, pour en revenir à ce sujet, que le gouvernement fédéral agit quand bon lui semble. Dans le cas de l’ARC et des organismes de bienfaisance musulmans, le gouvernement n’a pas montré qu’il a la volonté de régler la situation.

Plus particulièrement, pour vous donner un contre-exemple, sénatrice, vous vous souviendrez que — avant 2015, sous le gouvernement Harper —, l’ARC visait des organismes de défense de l’environnement et des droits de la personne en raison de leurs activités politiques. En 2015, le gouvernement Trudeau a déclenché des élections en faisant une promesse. Lorsque le gouvernement a été élu, il a pris des mesures directes pour mettre fin à ces vérifications afin de veiller à ce que l’ARC les corrige et que ce programme soit aboli.

Pourtant, dans le cas des organismes de bienfaisance musulmans, sénatrice, le gouvernement n’a pas voulu mettre fin aux vérifications en imposant un moratoire ni rien faire de plus que d’exiger un examen de l’ombudsman. Où est la volonté du gouvernement de répondre vraiment aux préoccupations de la communauté musulmane?

Je peux vous dire, sénatrice, que l’un des problèmes, c’est que lorsqu’il est question de sécurité nationale et des musulmans, depuis le 11 septembre, il faut empêcher le gouvernement d’intervenir, parce qu’il agit pour se montrer ferme en matière de sécurité.

Nous constatons que les allégations concernant la communauté musulmane sont fondées lorsqu’il est question de l’ARC. On constate qu’il y a une réticence à transmettre de l’information, et le gouvernement doit reconnaître que l’examen de l’ombudsman ne fonctionne pas et adopter une meilleure approche pour collaborer avec la communauté musulmane afin de régler la situation.

La sénatrice Omidvar : Si je comprends bien, vous dites que l’étude de l’ombudsman des contribuables, la nomination de deux membres musulmans au groupe consultatif qui conseille le ministre au sujet des organismes de bienfaisance et la nomination d’un représentant spécial en matière d’islamophobie ne sont que du spectacle?

M. Attia : Sénatrice, pour ce qui est du représentant en matière d’islamophobie, nous devons attendre et voir, nous ne devrions pas juger trop vite. Nous devons attendre avant de pouvoir juger cela.

Pour ce qui est de l’ARC, sénatrice, l’examen de l’ombudsman ne donnera pas les résultats qui permettront au régime de mettre fin à ce problème. C’est certainement une chose sur laquelle tout le monde s’entend.

La présidente : Je veux vous remercier, monsieur Attia, de votre témoignage. Il nous aidera à rédiger notre rapport. Si vous pensez devoir ajouter quelque chose d’autre à votre témoignage, nous vous invitons à nous envoyer un mémoire écrit. Merci.

Sénateurs, merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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