LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le lundi 1er mai 2023
Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd’hui, à 16 h 4 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner les questions qui pourraient survenir concernant les droits de la personne en général; et à huis clos, pour l’étude d’un projet d’ordre du jour (travaux).
[Note de la rédaction : Veuillez noter que ces délibérations peuvent contenir un langage pouvant choquer certaines personnes et qu’elles traitent de sujets sensibles qui peuvent être difficiles à lire ou à regarder.]
La sénatrice Salma Ataullahjan (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs et sénatrices, je suis Salma Ataullahjan, sénatrice de Toronto et présidente du comité. Aujourd’hui, nous tenons une audience publique du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.
J’invite les membres du comité à se présenter.
La sénatrice Bernard : Je suis Wanda Thomas Bernard, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Arnot : Je suis David Arnot, de la Saskatchewan.
[Français]
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
La présidente : Aujourd’hui, notre comité commence son étude sur le racisme anti-Noirs, le sexisme et la discrimination systémique à la Commission canadienne des droits de la personne, la CCDP, au titre du présent ordre de renvoi général. Au cours des dernières années, les allégations de racisme anti-Noirs ont soulevé des préoccupations au sujet du traitement que la CCDP réserve à ses propres employés ainsi que de ses processus décisionnels lors du traitement des plaintes.
Permettez-moi de fournir quelques détails au sujet de notre réunion d’aujourd’hui. Cet après-midi, nous recevrons cinq groupes de témoins. Dans chaque groupe, nous entendrons les témoins, puis les sénateurs auront une période de questions et de réponses.
Je vais maintenant présenter notre premier intervenant. On a demandé à notre témoin de faire une déclaration liminaire de cinq minutes. Nous entendrons le témoin, puis passerons aux questions des sénateurs. Je tiens à souhaiter la bienvenue à notre premier témoin, qui comparaît par vidéoconférence aujourd’hui. Il s’agit de M. Peter Sloly, fondateur et chef de la direction de Sloly Solutions Inc.
J’invite maintenant M. Sloly à présenter son exposé.
Peter Sloly, fondateur et chef de la direction, Sloly Solutions Inc. : Bon après-midi. Merci de m’avoir invité aujourd’hui. Je parlerai de la discrimination systémique dans les services de police canadiens, un sujet qui, je l’espère, orientera les discussions plus larges menées par le comité.
Pendant plus de 30 ans, j’ai eu l’honneur de servir et de protéger les Canadiens en tant que policier ayant été promu chef de police dans la capitale du pays. Ma carrière policière m’a également permis de représenter le Canada à l’échelle internationale, y compris de participer à deux périodes de service dans le cadre de la mission de maintien de la paix des Nations unies au Kosovo.
C’est la huitième fois au cours des six dernières années que j’ai l’occasion de soutenir le gouvernement fédéral dans l’évaluation et l’examen d’enjeux critiques comme le racisme systémique dans les services de police, la réforme policière, le terrorisme national, la sécurité physique, la cybersécurité et la sécurité nationale. J’ai participé à plusieurs comités permanents, à un cercle d’écoute du premier ministre, à une commission nationale et à un comité national de citoyens.
Je vais maintenant présenter un résumé de mes observations et de mes recommandations issues de ces événements précédents. Veuillez noter que l’annexe du rapport que j’ai soumis à la présidente du comité renferme des recommandations supplémentaires.
D’abord, j’affirme sans équivoque que le Canada est le meilleur pays du monde, que le modèle policier canadien est l’un des meilleurs au monde et que le personnel policier canadien compte parmi les meilleurs au monde. J’affirme également sans équivoque que les services de police canadiens sont en crise, principalement en raison de l’existence de la discrimination systémique sous toutes ses formes.
Ces deux affirmations ne s’excluent pas mutuellement. La discrimination systémique est un fait bien établi qui est enraciné dans notre passé colonial, ancré dans notre législation, favorisé dans nos institutions et soutenu dans nos cultures organisationnelles. Pour être clair, la discrimination systémique n’est pas seulement un problème qui touche les forces de l’ordre, puisqu’elle existe dans toutes les institutions canadiennes et dans l’ensemble de la société canadienne.
Une idée fausse répandue au sujet de la discrimination systémique est qu’elle est le fait de quelques « pommes pourries ». Ce n’est pas vrai, parce que tout le monde est capable, par voie d’acte ou d’omission, intentionnellement ou non, de permettre à des pratiques discriminatoires de survivre dans des organisations, et de concevoir des systèmes qui favorisent certains groupes et en désavantagent d’autres.
L’existence de la discrimination systémique dans une institution ne signifie pas que toutes les personnes qui travaillent au sein de l’institution sont racistes ou misogynes. Nous sommes tous des êtres imparfaits capables de créer des systèmes vertueux et générateurs de valeur ou des systèmes biaisés et brisés.
De plus, les institutions sont interdépendantes et se complètent mutuellement. L’incapacité de protéger les droits de la personne dans l’éducation publique, les soins de santé, les services sociaux et le logement public est à l’origine de nombreuses causes profondes de la criminalité, qui mobilisent ensuite la police et les institutions judiciaires. Ces échecs institutionnels en cascade touchent de façon disproportionnée les membres de la société les plus victimisés, marginalisés et racisés.
Le Code des droits de la personne de l’Ontario et la Loi ontarienne sur les services policiers exigent que la police prévienne et traite la discrimination individuelle et systémique. Les services de police ont en outre l’obligation positive de s’assurer qu’ils ne se livrent à aucune forme de discrimination systémique.
Cela dit, les chefs de police doivent aller bien au-delà du simple respect de la loi pour démontrer leur propre engagement personnel et professionnel à promouvoir et à protéger les droits de la personne.
La triste réalité, c’est que la discrimination systémique dans les services de police mine la confiance du public tout en créant un milieu de travail toxique pour le personnel policier. Pour lutter contre toutes les formes de discrimination systémique dans les services de police, nous devons changer la culture, les opérations et l’infrastructure de la police.
Les experts en droit de la personne ont cerné cinq mesures qui, si elles étaient pleinement mises en œuvre, permettraient de lutter contre la discrimination systémique dans les services de police tout en créant une culture plus saine, en renforçant la capacité organisationnelle et en améliorant la prestation de services : premièrement, faire des droits de la personne une priorité stratégique soutenue par des ressources; deuxièmement, utiliser les données démographiques pour concevoir la stratégie; troisièmement, examiner tous les systèmes pour s’assurer qu’ils sont exempts de préjugés; quatrièmement, améliorer la formation, l’éducation et le perfectionnement en matière de leadership; et cinquièmement, recruter et promouvoir du personnel qualifié et diversifié.
Les opérations policières doivent également refléter la nature de plus en plus complexe, changeante et pluraliste de la société. Par conséquent, la répression policière et le recours à la force ne peuvent plus être les outils dominants de résolution des problèmes de la police, ce qui a conduit les communautés autochtones, noires et racisées à être trop surveillées, mal desservies et surreprésentées dans le système de justice pénale.
La police est débordée sur le plan opérationnel parce qu’elle a été la seule option du Canada pour répondre à un appel concernant une personne en crise n’importe où et n’importe quand au pays. C’est de plus en plus inefficace, inéquitable et coûteux pour les Canadiens. En outre, cela expose de plus en plus le personnel policier à un risque, parce qu’il n’a pas la capacité de traiter les appels non liés à la police avec succès, de façon sécuritaire et constante, comme les personnes souffrant de problèmes de santé mentale ou de crises liées à la toxicomanie.
Le public aura toujours besoin de la police pour secourir les personnes tombées dans une rivière et qui se noient en aval. Mais la police doit de plus en plus travailler en amont pour empêcher les gens de tomber dans la rivière. Ce travail en amont exige que la police collabore avec les intervenants communautaires et d’autres institutions de services à la personne.
L’Ontario est la seule province dont la Loi sur les services policiers oblige légalement la police à travailler en amont dans le cadre de tels partenariats de collaboration. En vertu de la loi, chaque administration municipale ou régionale de l’Ontario doit créer et mettre en œuvre un programme de sécurité et de bien‑être dans les collectivités qui exige la participation de la police, des services sociaux, de l’éducation publique, des soins de santé et d’intervenants communautaires représentatifs sur le plan démographique. Ces programmes doivent s’inscrire dans le cadre des droits de la personne afin que l’on évalue adéquatement les risques individuels, les besoins communautaires et les causes profondes de la criminalité, en mettant l’accent sur la prévention de la victimisation.
Les services de police les plus progressistes et les plus efficaces sont déterminés à collaborer à la prévention en amont tout en démontrant la capacité de mener des opérations, des enquêtes et des poursuites en aval afin d’intercepter les délinquants criminels et les prédateurs violents les plus prolifiques. Cette once de prévention réduira de manière importante les coûts sociaux et financiers qui étouffent le système actuel.
Enfin, le gouvernement fédéral doit faire les trois investissements suivants au chapitre des infrastructures pour bâtir des institutions policières véritablement axées sur les droits; créer des normes nationales pour les services de police à l’échelle du pays, créer un collège de police national qui met l’accent sur les droits de la personne, et créer un service national d’inspection générale de police qui travaillerait avec d’autres organismes de surveillance au sein des organismes fédéraux pour s’assurer que le modèle des droits de la personne est effectivement en place et efficace pour tous les Canadiens.
En conclusion, la protection des droits de la personne, la prévention en amont, une plus grande collaboration et la création d’infrastructures permettront la codestruction de la discrimination systémique dans les services de police et la coproduction de la sécurité et du bien-être des collectivités pour tous les Canadiens.
Ces recommandations sauveront la vie des membres des collectivités et des services de police. Elles apporteront une plus grande dignité humaine à tous les Canadiens et à l’ensemble du personnel policier, rétabliront la confiance du public et le moral des policiers, réduiront les coûts pour les contribuables et augmenteront les économies en vue d’un réinvestissement.
Je vous remercie de votre attention. Je suis prêt à répondre à vos questions.
La présidente : Je vous remercie de votre exposé, monsieur Sloly. Avant que l’on passe aux questions et aux réponses, j’aimerais demander aux membres du comité et aux témoins présents dans la salle pour la durée de la réunion de s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou, s’ils doivent le faire, d’enlever leur écouteur. Ils préviendront ainsi une réaction acoustique dangereuse pour le personnel du comité qui est sur place. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Je vous rappelle que vous avez cinq minutes pour votre question, y compris la réponse.
La sénatrice Bernard : Merci de votre présence ici avec nous aujourd’hui, monsieur Sloly, et du témoignage que vous venez de fournir.
Je suis sûre que ce n’est pas la première fois que vous formulez ces types de recommandations de réforme des services de police. Je me demande si vous pouvez me dire pourquoi il y a une telle résistance dans le pays à nommer le racisme anti-Noirs, et donc une résistance à faire le dur travail nécessaire pour le combattre.
M. Sloly : Je vous remercie, sénatrice, y compris pour votre leadership sur ce sujet important.
Le changement est toujours difficile, et je pense que vous le savez mieux que quiconque. Je pense que les recommandations sont bien établies grâce à des recherches fondées sur l’expérience d’autres institutions et d’autres pays qui se sont attaqués à des questions aussi difficiles. Mais dans tous les cas que je connais, il y a eu une résistance au changement.
À l’échelon individuel, sénatrice, je crois que cela tient — et j’ai essayé d’en parler dans mes commentaires — au fait que, lorsque nous parlons de racisme systémique, nous pouvons le faire sans jeter le blâme sur les gens. Malheureusement, lorsque nous parlons de racisme systémique, de discrimination systémique sous quelque forme que ce soit, les gens le prennent personnellement.
Cela fait 35 ans que je travaille dans les services de police. Je dois assumer la responsabilité de ce que j’ai fait pour réussir à faire avancer ce programme. Je dois également assumer la responsabilité de ce que j’aurais pu faire de plus, mais cela ne signifie pas que je prends tout le blâme de la discrimination systémique sur mes épaules. Je reconnais les échecs institutionnels et humains, mais je m’engage personnellement et professionnellement à faire avancer la question. Je pense qu’une bonne partie de cette résistance se produit à l’échelon individuel.
À l’échelon institutionnel, il faut des investissements pour apporter ces changements, et comme nous le savons tous, les ressources financières sont extrêmement limitées à l’heure actuelle. La police absorbe beaucoup d’investissements de la part des Canadiens, mais j’insiste sur le fait que les investissements dont j’ai parlé — des normes nationales pour les services de police, un service national d’inspection générale pour inspecter les services de police dans tout le pays — sont des investissements qui, s’ils sont faits, permettront d’économiser de l’argent en aval.
Si nous procédons à des changements en amont, nous trouverons des économies supplémentaires qui pourraient compenser ces investissements. Le gouvernement fédéral joue un rôle important dans la protection des Canadiens. Une des choses les plus importantes est que nous construisions véritablement un cadre des droits de la personne pour soutenir les services de police et notre institution judiciaire. Je vous remercie de votre question.
La sénatrice Bernard : Je vais attendre le deuxième tour.
Le sénateur Arnot : Merci d’être venu ici aujourd’hui et de nous avoir donné ces conseils, monsieur Sloly. Il est très clair que vous avez passé une bonne partie de votre carrière professionnelle à travailler sur ces questions. Je suis d’accord avec vous pour dire que la discrimination systémique nécessite une solution systémique, et vous avez décrit quelques mécanismes très concrets pour y arriver.
Je crois fermement au pouvoir de l’éducation. Lorsqu’il s’agit d’éducation professionnelle et de perfectionnement professionnel des policiers, je suis sûr que vous connaissez un certain nombre de modèles de pratiques exemplaires quant à la façon d’aborder ces questions. Je crois que nous avons besoin d’un ensemble de ressources solides, ciblées et prioritaires qui seraient présentées dans ce document.
Avez-vous des conseils à donner sur les modèles de pratiques exemplaires en matière de formation des adultes pour les policiers professionnels, et que pourriez-vous dire à ce sujet? Fondamentalement, j’aime l’idée d’une éducation en amont, et je me demande si vous pourriez nous dire ce que vous pensez de l’idée d’une éducation en amont, c’est-à-dire de la maternelle à la 12e année au Canada pour sensibiliser les citoyens canadiens aux droits liés à la citoyenneté, mais aussi aux responsabilités qui accompagnent ces droits et à la notion de construire le respect de chaque citoyen sans exception, sans discrimination.
Je connais des ressources qui ont fait cela dans le système de la maternelle à la 12e année. Elles ont été créées par la Fondation d’éducation à la citoyenneté Concentus et elles étaient tout récemment offertes en Saskatchewan et également en Ontario. J’aimerais que vous nous parliez de l’éducation, de la meilleure façon d’y arriver et des indicateurs concrets de réussite qui devraient être mis en place pour créer une solution systémique à ce qui est un problème systémique.
M. Sloly : Merci beaucoup, sénateur. Je vous remercie pour les questions. J’espère pouvoir rendre justice aux multiples couches que renferment vos questions. Je me concentrerai d’abord sur la formation, l’éducation et le perfectionnement au sein des services de police eux-mêmes.
Je suis heureux que vous ayez dit « éducation ». La formation a tendance à être la solution par défaut lorsque nous relevons des éléments de discrimination individuelle ou systémique dans les services de police, mais en réalité, la formation est, au mieux, une solution temporaire. L’éducation, et surtout, le perfectionnement sont les aspects sur lesquels nous devons concentrer nos efforts auprès du personnel des services de police et non pas seulement des agents de première ligne, mais jusqu’au bureau du chef de police. J’aurais moi-même bénéficié de tels investissements supplémentaires dans la formation et le perfectionnement dans le passé.
Là où j’ai vu le plus d’impact en ce qui concerne les préjugés individuels et la discrimination systémique, c’est dans le domaine de ce que j’appellerais le « perfectionnement » et le « perfectionnement interculturel », en particulier. Nous avons tellement de gens différents qui ont des origines, des religions et des expériences différentes dans notre pays que personne ne peut devenir un expert des centaines et des centaines de façons dont les gens ont vécu leur expérience, donc le perfectionnement interculturel, qui amène une personne là où elle est, permet de l’évaluer là où elle est et d’adopter une approche personnalisée pour la perfectionner sur une période non seulement de jours, de semaines et de mois, mais aussi d’années, est l’une des pratiques exemplaires. En fait, j’ai mis en œuvre des programmes de ce genre au Service de police de Toronto et au Service de police d’Ottawa.
Je ne veux pas perdre de vue le fondement de l’éducation au sein des services de police. Différentes lois sur la police au pays exigent différents niveaux d’éducation avant que l’on puisse embaucher un policier. Je pense que nous devrions tous aspirer aux plus hauts niveaux d’éducation, parce qu’ils constituent la base la plus solide, toutes choses étant égales par ailleurs, pour qu’une personne puisse maintenir ses valeurs et ses capacités, pas seulement au début de sa carrière, mais tout au long de ce qui est souvent une carrière de 20 à 30 ans.
Je vais maintenant passer à votre question concernant ce que nous pouvons faire au sujet de l’éducation dans le système d’éducation public élargi. J’ai un enfant qui est en 3e année, et un autre en 11e année. J’ai vu le système d’éducation public à travers leurs yeux se transformer de façon importante au cours des trois dernières années et se concentrer sur les possibilités d’éducation et de perfectionnement qui sont elles-mêmes ancrées dans le perfectionnement interculturel, le respect de l’autre, la compréhension des droits civils et des droits de la personne et la capacité de s’exprimer, même de manière controversée, tout en permettant le compromis et la compassion. C’est loin d’être parfait, mais en écoutant mes enfants et en entendant les types d’expériences éducatives qu’ils vivent aujourd’hui, j’aurais aimé vivre ces mêmes expériences il y a 45 ans.
Je ne suis pas un expert en éducation. Je suis un expert en matière de police et de sécurité publique, mais je pense, comme vous l’avez dit, que l’éducation en amont contribuera grandement à prévenir bon nombre des problèmes en aval que nous constatons actuellement.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci beaucoup à notre témoin aujourd’hui qui nous fait des remarques et des recommandations très intéressantes.
Dans vos remarques, je n’ai pas entendu parler de l’approche où l’on inclurait plus de Noirs dans le système de police en ce qui touche les ressources humaines.
Est-ce que l’assurance de l’intégration de plus de personnes noires dans le système policier, en plus de l’éducation dont a parlé mon collègue le sénateur Arnot, pourrait être une solution? Voilà ma première question.
Vous avez également mentionné les lois ontariennes, que vous dites être les plus avancées au Canada. De quelle manière le gouvernement fédéral pourrait-il s’inspirer des lois ontariennes pour changer le système actuel?
M. Sloly : Merci de votre question.
[Traduction]
Je vais répondre dans ma langue.
Tout d’abord, j’ai fourni au greffier une brève annexe de mes notes d’exposé, et j’espère qu’il les mettra à votre disposition. Si vous voyez ces notes, vous verrez le cinquième point, sous la rubrique « Pratiques exemplaires en matière de droits de la personne ». Je n’ai pas eu la chance de présenter tout cela en détail dans mon exposé, alors je vais le faire maintenant.
Vous avez tout à fait raison. L’une des pratiques exemplaires pour s’attaquer aux questions touchant les droits de la personne, lutter contre la discrimination et lutter contre le racisme anti‑Noirs, en particulier, consiste à recruter, à embaucher, à maintenir en poste et à perfectionner la main-d’œuvre la plus diversifiée possible.
Il s’agit non seulement d’embaucher des personnes sur le terrain, mais de s’assurer qu’elles progressent par l’intermédiaire de processus de promotion et de spécialisation à tous les niveaux de l’organisation. Quand j’étais chef de police à Ottawa, j’étais le seul chef noir de tout le Canada et seulement le troisième dans l’histoire du pays. En ce moment, il y en a neuf. Cependant, nous avons une génération d’officiers supérieurs et de chefs civils noirs en devenir qui pourraient un jour diriger un grand nombre de nos services de police. Ce n’est pas un hasard. Il a fallu des années de recrutement diversifié et d’élimination des barrières systémiques dans les systèmes de promotion et de mutation. C’est encore très fragile et immature, et il faut beaucoup d’efforts courageux et créatifs pour mettre en place un pipeline de relève — de leadership — qui va du policier au chef de police.
Votre deuxième question, je pense, est encore plus importante pour le travail du comité, et je reviens à mes trois recommandations concernant les infrastructures. L’Ontario dispose actuellement de l’une des lois les plus avancées, si ce n’est la plus avancée, la Loi sur les services policiers. Le cadre ontarien compte d’autres éléments, comme l’utilisation de renseignements fondés sur la race et la démographie pour évaluer les opérations policières. Ceux-ci n’existent actuellement pas dans l’ensemble de nos provinces et de nos territoires.
Parce que nous ne disposons pas d’un système national de services de police — nous avons un système provincial de services de police — nous n’avons pas de normes nationales. J’encouragerais le gouvernement fédéral — en fait, je le lui recommanderais — à utiliser ses pouvoirs fédéraux pour créer des normes nationales et un collège de police national pour assurer la formation en fonction de ces normes, offrir de l’éducation en fonction de ces normes et assurer le perfectionnement toujours en fonction de ces normes.
Enfin, un service d’inspection générale, semblable à ce qui se trouve au ministère de l’Intérieur du Royaume-Uni, qui vérifie et évalue tous les services de police du pays pour s’assurer qu’ils utilisent un cadre axé sur les droits de la personne, que leurs systèmes sont exempts d’obstacles — et de préjugés — et qu’ils offrent des services de police équitables et efficaces à l’ensemble des Canadiens, peu importe qui ils sont, d’où ils viennent et où ils vivent.
Merci beaucoup de vos questions.
La sénatrice Gerba : Merci.
La présidente : Je vais poser une question brève. C’était ma question favorite il y a quelques années, puis j’ai cessé de la poser.
Quel type de formation à la sensibilité culturelle existe-t-il au sein de la force policière?
M. Sloly : Je vous remercie, madame la présidente. Il existe un vaste éventail de cours sur la formation à la sensibilité culturelle. J’insiste sur le mot « formation », pour reprendre votre mot. Je vous dirai que, en 1994, j’ai participé à la première formation à la sensibilité culturelle au sein du Service de police de Toronto, et nous avons vu diverses itérations de cette formation au cours des 25 années qui ont suivi.
Je reviens au point que j’ai soulevé plus tôt : la culture est quelque chose qui n’est pas vraiment influencé par la formation. Un cours d’une semaine ou de trois semaines — le cours que je donnais en 1994 durait trois semaines... Et nous avons fourni ces trois semaines de formation à 30 policiers différents.
Lorsque vous entrez dans le milieu policier à 20 ans ou, dans certains cas, à 30 ans, vos valeurs sont profondément ancrées dans votre personnalité, et une formation de quelques jours ou de quelques semaines ne changera rien à votre moralité et à votre système de valeurs.
De même, lorsque vous travaillez dans les services de police depuis 20 ou 30 ans, la formation en soi ne suffit pas pour corriger des défauts sur le plan de la moralité ou du développement qui se sont installés. Je reviens sur la nécessité d’une formation continue, d’une éducation formelle, y compris au niveau des programmes postsecondaires et de perfectionnement qui commencent dès le premier jour de votre carrière et se terminent le dernier jour de votre carrière.
Le travail policier est une carrière très complexe et très intense qui exige ce type d’investissement dans la formation, l’éducation et le perfectionnement tout au long de sa carrière. Cela ne devrait jamais s’arrêter. Ce qui est intéressant, c’est que lorsque vous êtes une recrue de la police, vous obtenez le plus de formation, de trois à six mois de formation au cours de votre première année de service, mais cette formation diminue ensuite de manière importante à tous les autres grades et au fil de toutes les autres décennies. Ce niveau de formation doit se poursuivre tout au long de la carrière afin que l’on s’assure d’être au fait des changements qui se produisent dans la société, que l’on donne le meilleur de soi-même dans la prestation de ces services et que l’on est le plus résilient possible pour ne pas tomber dans les mauvaises pratiques axées sur des préjugés, des pensées ou des comportements discriminatoires.
La présidente : Je pense que c’est mardi dernier que la province de l’Ontario a annoncé que l’exigence en matière d’éducation postsecondaire pour devenir policier serait éliminée. La justification donnée par le premier ministre est que cela vise à augmenter le nombre de policiers dans les collectivités. À votre avis, comment cela influera-t-il sur la qualité des recrues?
M. Sloly : Merci beaucoup de poser cette question. Il est bien établi que plus vous recevez d’éducation dans votre vie, toutes choses étant égales par ailleurs, plus vous posséderez de compétences et de capacités vous permettant non seulement de vous débrouiller en tant qu’être humain, mais d’exceller et de réussir dans toute carrière que vous aurez choisie, y compris le travail policier. Je ne connais pas d’études donnant à penser que le travail policier serait d’une quelconque façon compromis par une éducation avancée ou postsecondaire.
Je ne sais pas ce qui a motivé cette décision stratégique. Je sais que la plupart des services de police de l’Ontario — je ne peux pas parler pour le reste du Canada — accordent déjà la priorité au recrutement de personnes ayant fait des études postsecondaires. Lorsque j’étais au Service de police d’Ottawa, j’ai embauché les membres de trois classes différentes, et la grande majorité d’entre eux, même sans cette exigence, avaient une formation postsecondaire allant jusqu’au doctorat, parlaient plusieurs langues et possédaient de multiples expériences de vie en plus des exigences minimales. Je pense que nous voulons toujours encourager les chefs de police, les organisations, leurs conseils et leurs collectivités à rechercher les personnes les plus qualifiées possible, y compris sur le plan de l’éducation, pour les embaucher dans la police.
L’autre moitié de cette décision stratégique a consisté à supprimer le coût de la formation, qui s’élève à quelque 15 000 $. Je peux vous dire que le coût de la formation — même le coût de la candidature à un service de police — est un obstacle à l’entrée pour bon nombre de nos groupes racisés et minoritaires. À Ottawa, nous avons éliminé le coût de la demande, et cela a beaucoup augmenté le nombre de candidatures issues de la diversité, ce qui a accru en retour le nombre d’embauches issues de la diversité, et les candidats ont fini par devenir membres du Service de police d’Ottawa. Réduire les droits d’entrée, pour tous les Canadiens, mais particulièrement pour ceux qui sont issus de groupes racisés, marginalisés et traditionnellement sous-représentés, est une bonne pratique. Mais cette mesure doit s’accompagner d’un encouragement et d’un soutien à la formation et à l’éducation continues, en particulier à l’éducation postsecondaire, pour les policiers et les recrues de la police, jusqu’au chef de la police.
La présidente : Merci.
La sénatrice Bernard : Monsieur Sloly, ce que je veux faire maintenant, c’est établir un lien entre ce que vous avez dit concernant les services de police et la discrimination systémique au sein des services de police et l’objet de notre étude, à savoir la Commission canadienne des droits de la personne elle-même. Dans l’une de vos réponses aux questions précédentes, et aussi dans votre exposé, vous avez parlé d’une recommandation concernant un cadre des droits de la personne. Si une institution dans le pays, telle que la police, envisageait d’élaborer un cadre des droits de la personne, on pourrait supposer qu’elle souhaiterait se rapprocher d’organisations comme la Commission canadienne des droits de la personne. Compte tenu des récents rapports que nous avons entendus au sujet de griefs liés au racisme anti-Noirs et au sexisme au sein de la commission, quelle confiance auriez-vous dans la capacité de la Commission canadienne des droits de la personne d’aider les organisations nationales du pays, telles que les organisations policières, à élaborer un cadre relatif aux droits de la personne?
M. Sloly : Merci. De toute évidence, vos commentaires sont opportuns et pertinents. J’ai eu beaucoup de contacts avec la Commission canadienne des droits de la personne au cours de mes premières années en tant que policier à Toronto, et elle m’a été extrêmement utile à un moment très difficile pour un jeune policier comme moi, qui essayait de mettre en place de meilleurs systèmes. Dans le passé, elle a été extrêmement utile pour mobiliser et soutenir les services de police locaux, mais il est clair que les résultats des récents examens ont révélé une lacune à un niveau auquel je ne m’attendrais pas, en tant que citoyen canadien noir. C’était décevant. J’encourage le Sénat à trouver des façons de formuler des recommandations fermes pour aider la Commission canadienne des droits de la personne à corriger le tir.
Un certain nombre de services de police, comme le Service de police régional de Peel, ont tendu la main à leurs commissions provinciales des droits de la personne pour créer des chartes de projet afin de renforcer les cadres des droits de la personne dans leurs modèles de services de police et d’améliorer la prestation des services. C’est un travail continu. Comme l’a dit une personne sage qui a été mon mentor dans le passé, on a parfois l’impression de faire un pas en avant et deux pas en arrière. Cette situation donne certainement l’impression que nous venons de faire deux pas en arrière. Mais le Sénat nous aidera à faire un pas de géant en avant avec les bonnes recommandations des nombreux témoins qui vont comparaître devant vous.
J’encourage le concept d’un service national d’inspection générale appuyé par une Commission canadienne des droits de la personne efficace, elle-même appuyée par les commissions provinciales des droits de la personne qui contribuent à un ensemble global de mesures de soutien pour les chefs de police d’un océan à l’autre, les dirigeants des collectivités qui ont besoin d’une meilleure police, d’une police plus équitable et d’une police davantage axée sur les droits de la personne dans tout le pays.
La sénatrice Bernard : Merci. Si vous deviez faire une recommandation à la Commission canadienne des droits de la personne pour qu’elle rectifie le tir, quelle serait-elle?
M. Sloly : Il n’y a pas de conseil unique, si ce n’est d’assumer un échec et de profiter pleinement d’une occasion. Il y a une crise nationale de confiance, et, malheureusement, les institutions n’agissent pas de façon très proactive. Il faut habituellement une crise, comme c’est le cas dans les services de police, pour vraiment s’approprier la situation et tirer parti de cette crise, pour faire quelque chose de positif et de générationnel afin d’apporter un changement. J’espère qu’il y a suffisamment de leadership au sein de la Commission — je suis certain qu’il y a suffisamment de leadership autour de la table — pour s’approprier cette crise de confiance et en tirer parti, puis en faire quelque chose qui accélère de manière importante le respect des droits de la personne dans le pays.
La sénatrice Bernard : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je voudrais aller dans le sens de la question posée par la sénatrice Bernard. La Commission canadienne des droits de la personne reçoit beaucoup de plaintes et je voulais revenir sur cette question pour savoir si, à l’origine, lorsque cette commission a été instituée, on a pensé à un système à double palier.
Ce système est-il vraiment avantageux pour les plaignants? Pensez-vous que le double palier est vraiment efficace? Considérez-vous qu’il est le vecteur d’une discrimination justement parce qu’il est lent? Que pensez-vous de ce système?
M. Sloly : Merci beaucoup.
[Traduction]
C’est une question importante, et nous avons une démocratie qui compte de multiples paliers de gouvernance, fédéral, provincial, municipal et territorial, ce qui peut compliquer grandement les choses. Je pense que le défi consiste à faire en sorte qu’il y ait un organisme-cadre. Je crois que cette fonction, remplie par une Commission canadienne des droits de la personne plus efficace et renouvelée, peut définir une ligne claire, une vision claire des droits de la personne à l’échelle fédérale. Elle peut soutenir les commissions provinciales des droits de la personne et être soutenue par elles.
Encore une fois, je ne suis pas un expert dans ce domaine. Je vous fais part de mes observations. Mais lorsque j’ai vu des modèles fédérés similaires, un modèle de police national global qui soutient les modèles de services de police provinciaux, un procureur général global qui appuie les procureurs généraux provinciaux... Ils peuvent se dégrader et être irrespectueux, et donc inefficaces pour les Canadiens. Ou bien ils peuvent s’unir, collaborer, travailler efficacement, se soutenir mutuellement et répondre aux besoins des Canadiens.
Je soupçonne que, grâce au travail du Sénat, nous pourrons ramener ce modèle à un état plus optimal. Les Canadiens en ont besoin. Nous avons besoin d’un gouvernement fédéral et d’une infrastructure fédérale qui fournissent cette vision nationale et cette capacité nationale. Nous avons également un modèle provincial qui exige qu’un rôle soit exercé à l’échelon provincial avec les éléments uniques de chaque province. C’est un défi. Je pense que l’on peut y arriver.
La présidente : Merci. Je tiens à vous remercier, monsieur Sloly, d’avoir accepté de participer à notre étude. Nous vous sommes très reconnaissants de votre aide. Si vous pensez à quelque chose que vous aimeriez ajouter ou que vous avez oublié, n’hésitez pas à nous l'envoyer par écrit.
Sénateurs et sénatrices, nous allons maintenant passer à notre deuxième groupe de témoins. Chacun des témoins a été invité à présenter une déclaration liminaire de cinq minutes. Nous allons entendre les témoins, puis nous passerons aux questions des sénateurs.
J’accueille Rubin A. Coward, militant communautaire et sous‑officier supérieur retraité de l’armée de l’air canadienne, et son épouse, Deborah Ann Coward. Nous recevons par vidéoconférence Me Raphael Tachie, président de l’Association des avocats noirs du Canada.
Monsieur Coward, c’est à vous.
Rubin A. Coward, militant communautaire et sous-officier supérieur retraité de l’armée de l’air canadienne, à titre personnel : Merci, madame la présidente. Avant de faire ma déclaration liminaire, je vous présente, en plus de ma charmante épouse qui m’accompagne aujourd’hui, M. Maurice Carvery. C’est un agent retraité de la GRC que j’ai représenté au cours des cinq dernières années devant la Commission canadienne des droits de la personne. Je l’ai amené ici aujourd’hui parce que nous sommes toujours en conflit avec cette institution, qui n’a pas respecté le procès-verbal du règlement.
Je tiens à vous remercier tous de m’avoir sollicité et de m’avoir fait venir ici. C’est un honneur. J’ai attendu cette occasion toute ma vie. J’ai hâte de vous faire part de ce que j’ai appris au cours des 30 dernières années en travaillant précisément avec la Commission canadienne des droits de la personne.
Bonjour, madame la présidente, et mesdames et messieurs les membres du comité. Merci de me donner l’occasion de parler de sujets aussi importants et vitaux que le racisme anti-Noirs, le racisme anti-Autochtones et le racisme contre les personnes de minorité raciale qui ont tenté de déposer des plaintes auprès de la Commission canadienne des droits de la personne et, en particulier, des récentes conclusions du Secrétariat du Conseil du Trésor, qui a déclaré la Commission canadienne des droits de la personne coupable de racisme anti-Noirs et de discrimination contre neuf membres de minorité raciale et membres noirs.
Il est également troublant de constater que, jusqu’en 2020 inclusivement, la commission rejetait les plaintes pour discrimination raciale de manière disproportionnée par rapport à nos homologues européens. À mon avis, il s’agit d’un scandale national et d’une honte.
Mais ce qui est encore plus troublant, c’est qu’on nous a présenté des constatations claires de racisme structurel et systémique qui est omniprésent chez les membres subalternes de la Commission canadienne des droits de la personne. Tout à l’heure, j’ai dit que ces conclusions étaient un scandale national et une honte. Permettez-moi d’expliquer pourquoi je fais cette déclaration, et je ne la fais pas à la légère.
Lorsque nous avons la preuve que les Européens au sein de la Commission canadienne des droits de la personne ont des opinions et font preuve de racisme anti-Noirs et anti-Autochtones et de discrimination systémique contre les personnes de minorité raciale qui sont leurs collègues, quel espoir, le cas échéant, les citoyens ordinaires ont-ils de réussir à déposer des plaintes auprès d’une institution aussi raciste dont le mandat est censé être de protéger les droits de la personne grâce à un processus équitable et efficace de traitement des plaintes; de représenter l’intérêt public dans le but de faire progresser la question des droits de la personne au profit de l’ensemble de la population canadienne et de soumettre les employeurs sous réglementation fédérale à des vérifications de conformité avec l’équité en matière d’emploi.
Le mandat de la commission est également de promouvoir les droits à l’égalité des Canadiennes et des Canadiens. La commission traite les plaintes de discrimination provenant de particuliers ou de groupes victimes de discrimination en matière d’emploi et de prestation des services dans les secteurs de compétence fédérale. Elle reçoit les plaintes officielles de discrimination, mène des enquêtes et essaie de parvenir à un règlement.
Bien qu’il s’agisse peut-être de son prétendu mandat, je vous soumets humblement qu’il s’agit d’un mensonge flagrant, d’une fausseté, où une dissonance cognitive eurocentrique reste fermement intacte et pratiquée.
Je vous demande où les groupes ciblés peuvent aller, maintenant qu’ils savent et ont appris ce que nous savions déjà depuis longtemps — que la Commission canadienne des droits de la personne et notre pays sont systématiquement racistes, institutionnellement discriminatoires et que le copinage est largement pratiqué et soutenu. Fait plus important encore, qu’a fait l’ancien directeur de la Commission canadienne des droits de la personne, M. Ian Fine, au cours des trois années pendant lesquelles le Secrétariat du Conseil du Trésor a prétendument enquêté et depuis qu’il a appris l’existence de ces pratiques racistes et mesquines à l’encontre de son personnel?
Permettez-moi de dire que cela est extrêmement troublant, en effet, dans la seule institution fédérale dont le mandat est de protéger les parties victimes de discrimination. En fait, le Secrétariat du Conseil du Trésor a aussi été accusé de racisme systémique. Les fonctionnaires noirs qui travaillent sur des programmes de santé mentale ont accusé les membres du Secrétariat du Conseil du Trésor de racisme. Cela s’est passé en 2017. Ce programme était censé aider les fonctionnaires fédéraux noirs souffrant de traumatismes liés au stress et au racisme, mais il a lui-même été frappé par des allégations de racisme avant même d’avoir commencé.
Tout cela est inadmissible, c’est un scandale national et une honte. Le monde entier nous regarde, et je ne crois pas qu’il aime ce qu’il entend ou ce qu’il voit, surtout de la part du Canada, qui prétend être l’un des pays avant-gardistes en matière de droits de la personne.
Il ne faut pas oublier que ces personnes ciblées ont déposé leurs plaintes il y a trois ans, en 2020, donc trois ans avant toute enquête prétendant ou proclamant que la Commission canadienne des droits de la personne était effectivement raciste.
Il est important de noter qu’elles ont probablement souffert bien avant d’avoir le courage de déposer leur plainte. Essentiellement, pendant tout ce temps, elles ont souffert, et leur qualité de vie, leur famille et leur communauté ont souffert. Il peut donc y avoir une corrélation avec le traumatisme intergénérationnel.
Madame la présidente, mesdames et messieurs les membres du comité sénatorial permanent, nous vous implorons de nous aider à nous libérer de ce type de racisme systémique dans une institution dont le mandat est — pour les gens comme moi qui se manifestent, des Autochtones, des personnes de minorité raciale — d’obtenir justice, et non pas de les accabler davantage.
C’est un poids stupéfiant pour les droits de la personne au Canada et pour toutes les autres institutions de notre pays, qu’il s’agisse du racisme systémique anti-Noirs, anti-Autochtones, de la discrimination institutionnelle et du copinage qui, jusqu’à présent, demeurent une expérience quotidienne dans la vie, la santé, le bien-être, la poursuite de la vie et la liberté dont jouissent nos frères et sœurs européens depuis la naissance et que nous avons été ciblés pour endurer de la naissance à la tombe.
Enfin, nous avons entendu trop souvent que ces choses prennent du temps. Je vous demande d’être extrêmement attentifs au fait que, pendant que ces choses sont corrigées à une allure d’escargot, nous, nos enfants, nos collectivités et notre pays subissons tous le poids de ce comportement inhumain, mesquin et raciste dont ce pays devrait savoir et comprendre qu’il nous inflige un traumatisme intergénérationnel, et qu’il grève l’avenir de notre pays. Est-ce là le pays et l’héritage que vous souhaitez voir commémorés? Je pense et j’espère que non.
À l’avenir, soyons un exemple de la manière dont le modèle fédéral du pays peut être un exemple éclatant que d’autres pays du monde peuvent suivre et imiter, en proclamant que nous traitons tous nos citoyens avec dignité, décence et respect.
Aujourd’hui, je demande humblement au comité sénatorial permanent d’adopter et de mettre en œuvre immédiatement ces mesures. Par conséquent, nous devons tous convenir que le moment approprié pour apporter ce changement important est maintenant. Je vous remercie, madame la présidente.
La présidente : Merci pour ce témoignage très convaincant, monsieur Coward.
Me Raphael Tachie, président, Association des avocats noirs du Canada : Merci beaucoup, madame la présidente, et bonjour, mesdames et messieurs. Je suis président de l’Association des avocats noirs du Canada, ou AANC. Nous sommes une association d’avocats noirs et un réseau national d’avocats dont le mandat général est de promouvoir l’avancement des avocats noirs au sein de la profession en fournissant des systèmes de soutien, en favorisant l’excellence universitaire et professionnelle et en faisant progresser les questions d’équité et de diversité au sein de toute société et de la profession juridique, en particulier.
Avant de commencer, je voulais situer le contexte, dans le sens où l’AANC a dirigé un effort des organisations communautaires pour envoyer une lettre sur cette question au bureau du ministre de la Justice Lametti en 2021. Mes commentaires s’inscrivent dans le cadre des recommandations présentées dans cette lettre.
Comme M. Coward l’a exprimé dans son mémoire le 10 juillet 2020, neuf employés noirs et racisés de la Commission canadienne des droits de la personne ont envoyé à la présidente une lettre dans laquelle ils décrivent des expériences continues de racisme en milieu de travail et formulent des recommandations concrètes en vue d’un changement de fond. Je pense qu’il est nécessaire de répéter certaines des expériences vécues. Je prendrai quelques minutes pour résumer rapidement les plaintes contenues dans la lettre.
La lettre renfermait notamment les plaintes suivantes : être constamment exclus des possibilités de formation et d’avancement professionnel; être soumis à des comportements dégradants et humiliants de la part de supérieurs et de collègues; se voir confier à plusieurs reprises des tâches d’une classification inférieure à leur description de poste, ou des tâches d’un niveau de classification supérieure à leur description de poste sans rémunération proportionnelle; ne pas être consultés sérieusement sur les progrès et les initiatives censés traiter les plaintes fondées sur la race; être constamment exclus des réseaux formels et informels d’avancement professionnel; avoir l’impression que leur expérience et leur voix ne sont pas entendues, prises en considération, respectées ou valorisées; être traités de façon symbolique sur le lieu de travail; faire l’objet à maintes reprises de la caractérisation des communications normales des employés noirs comme étant agressives, ce qui perpétue le stéréotype des femmes noires en colère ou des personnes noires en colère; être ciblés lorsqu’on dénonce le racisme systémique anti-Noirs; être soumis à un traitement différencié en ce qui concerne le mentorat formel et informel, l’accompagnement et les possibilités d’avancement professionnel; être exclus de manière sélective des discussions, des réunions et des enquêtes qui ont une incidence directe sur leur travail; et enfin, être exclus ou ne pas être inclus véritablement dans les discussions qui requièrent l’avis d’experts et les expériences vécues des employés noirs et racisés; être sous-représentés de manière flagrante sur le lieu de travail, y compris à l’échelon des cadres et des dirigeants; et enfin, être soumis de manière répétée à des réponses inadéquates et défensives de la part des supérieurs, y compris de la part de la haute direction ou des cadres supérieurs, lorsque des préoccupations concernant le racisme systémique sont soulevées.
Maintenant, comme M. Coward l’a mentionné, les griefs ont été déposés, et peu de temps après, vers le 6 mars dernier, le Conseil du Trésor a autorisé le grief et a jugé que la Commission canadienne des droits de la personne avait enfreint la clause antidiscriminatoire de la convention collective des employés. C’est important, non seulement parce que cette partie du gouvernement fédéral a reconnu que des employés noirs et racisés avaient été exposés à de la discrimination, mais aussi parce qu’elle amplifie et soutient les expériences vécues de ces employés noirs, ainsi que certaines des recommandations que nous avons envisagées lorsque nous avons reçu des plaintes de la part de membres de notre communauté au sujet des problèmes liés à la Commission canadienne des droits de la personne.
Ce résumé des recommandations est énoncé dans la lettre que nous avons fournie en tant que document d’accompagnement. Je vais résumer brièvement les recommandations dans le cadre de mon exposé.
Toutefois, avant de le faire, je voudrais souligner les deux ensembles de questions que nous considérons comme les défis posés par le modèle de la CCDP. D’après les commentaires que nous avons reçus de nos membres et des membres de notre communauté, nos membres ne font pas confiance à la capacité du modèle actuel de fournir un accès à la justice.
Le premier est le rejet des plaintes fondées sur la race. Je ne veux pas m’y attarder trop, car les deux premiers intervenants que nous avons entendus aujourd’hui ont très bien résumé, tant dans le contexte policier que dans le contexte de la CCDP, comment certaines des plaintes sont rejetées.
CBC News a fait une série sur cette question et souligné que les plaintes fondées sur la race ont été rejetées à un taux plus élevé que les autres types de plaintes. En outre, les employés noirs et racisés ont été exclus des processus d’enquête interne entrepris pour évaluer s’il convenait ou non de renvoyer une plainte fondée sur la race au tribunal à des fins d’arbitrage.
Le deuxième ensemble de questions est le résultat du rejet des plaintes, qui peut entraîner des retards et un manque d’accès à la justice. Le modèle actuel de contrôle que la CCDP utilise est redondant, archaïque et sujet à des retards importants. Il est courant que l’examen des plaintes par la commission prenne de deux à trois ans avant qu’une décision soit prise de renvoyer ou de rejeter la plainte.
Même lorsqu’une décision est prise de déférer une plainte au tribunal, cela signifie qu’un processus de novo est entamé, qui prendra également de deux à trois ans de plus avant qu’une audience se tienne. Pour certains plaignants, cela peut aller jusqu’à quatre ans, voire six ans, sans qu’ils aient vraiment accès à la justice ou qu’ils aient droit à une quelconque réparation.
Maintenant que ces deux types de questions ont été mises en évidence, nous voulons maintenant parler de ce que nous croyons être des recommandations que le comité pourrait prendre en considération pour s’y attaquer. La première est décrite dans notre lettre, comme je l’ai mentionné, et il s’agit vraiment d’une recommandation visant à adopter un modèle de renvoi direct pour les plaintes relatives aux droits de la personne. Nous recommandons que le gouvernement écoute les appels de la communauté juridique et de nombreux autres intervenants, y compris l’AANC, l’Association des avocats noirs du Canada, et l’Association du Barreau canadien, pour mettre en œuvre un modèle d’accès direct et permettre aux plaignants de déposer des plaintes directement auprès du Tribunal canadien des droits de la personne et non pas de la Commission canadienne des droits de la personne.
Nous croyons qu’un arbitre impartial, tel que le Tribunal canadien des droits de la personne, est mieux placé pour décider du bien-fondé d’une plainte ou pour examiner les preuves, entendre les témoins et évaluer la crédibilité. Nous sommes d’avis que les personnes qui déposent une plainte aux petites créances...
La présidente : Maître Tachie, je suis désolée de vous interrompre, mais vous avez deux minutes, car nous avons une liste de sénateurs qui veulent poser des questions. Si vous pouvez conclure en deux minutes, je vous en serais reconnaissante.
Me Tachie : D’accord.
Nous sommes d’avis que, en ce moment, une personne qui fait l’objet d’un processus de règlement d’une plainte aux petites créances a un accès beaucoup plus rapide à la justice qu’une personne faisant l’objet d’une plainte liée aux droits de la personne en raison du modèle d’accès direct.
Les avantages d’un modèle d’accès direct sont résumés dans notre lettre et ont été adoptés par le juge Gérard La Forest dans son rapport de 2000, lorsqu’il s’est penché sur le modèle et a recommandé que la commission adopte un modèle d’accès direct, semblable à ceux utilisés en Ontario et en Colombie-Britannique.
Plus précisément, la deuxième recommandation concerne l’examen de la conduite de la commission en matière de racisme anti-Noirs. Nous recommandons de retenir les services d’un expert indépendant pour effectuer un examen en milieu de travail et une évaluation axée sur l’expérience des employés noirs à la commission. Cet examen devrait porter sur les pratiques formelles et informelles de la commission en matière d’embauche, de promotion et de maintien en poste des employés noirs.
Nous avons défini certaines normes de base qui, nous l’espérons, constitueraient une norme minimale faisant partie de cet examen. C’est indiqué dans notre mémoire.
Je vais m’arrêter ici. Nous vous remercions beaucoup de votre attention, et je serai heureux de répondre à vos questions.
La présidente : Merci à vous deux pour vos exposés. Nous allons maintenant passer aux questions et aux réponses des sénateurs. Les sénateurs et les témoins savent que cinq minutes sont prévues pour la question et la réponse.
Avant de commencer, maître Tachie, j’aimerais obtenir une précision. Vous dites qu’il faut de deux à trois ans pour obtenir une audience et deux à trois ans de plus avant de recevoir la décision?
Me Tachie : Non. C’est deux à trois ans pour se rendre jusqu’à la commission, pour qu’un comité décide s’il convient ou non de rejeter la plainte ou de la renvoyer au tribunal, puis une fois que celle-ci est acheminée au tribunal, s’il s’agit d’une audience de novo, et il faut deux à trois ans de plus.
La présidente : Vous devez donc attendre six ans avant que votre plainte soit traitée?
Me Tachie : Exactement.
La présidente : Merci pour cette précision.
La sénatrice Bernard : Merci à vous deux pour vos témoignages aujourd’hui.
C’est difficile de savoir où commencer, de poser une question, mais je pense que j’aimerais vraiment vous questionner sur les répercussions, pour reprendre la question de la sénatrice Ataullahjan concernant la durée. S’il faut de trois à six ans pour l’instruction d’une plainte, quelles sont les répercussions de cette durée lorsque vous êtes en attente? Quelles sont les répercussions sur les personnes et les membres de la famille?
Si les deux témoins pouvaient répondre... et peut-être que nous pourrions demander à Mme Coward d’en parler en premier : pourriez-vous parler directement de votre propre expérience?
Deborah Ann Coward, à titre personnel : Selon mon expérience, mon époux a travaillé sans relâche à la lutte pour défendre les droits de la personne, et lorsque nous avons vécu notre propre épreuve, cela a été très difficile pour moi et mes deux jeunes enfants à l’époque. C’était dévastateur pour nous. Les enfants avaient perdu leur père, et j’ai perdu mon époux dans l’attente de réponses.
Et je peux dire que nous n’entendons pas souvent parler de ce qui arrive à la famille. C’est toujours le membre — et avec raison — mais je suis ici pour dire que les familles souffrent terriblement. Je sais que, dans mon cas et celui de mes enfants, cela a été très difficile. Mon fils aîné a développé un trouble bipolaire à cause de toute cette situation, et je souffre également d’un TSPT, un trouble de stress post-traumatique.
Il a été très difficile et très douloureux de voir mon époux fort devenir l’ombre de lui-même. Il y a eu beaucoup de dommages, et il y en a encore beaucoup qui continuent de se produire lorsque ces affaires prennent autant de temps à être traitées par le système.
La sénatrice Bernard : Je vous remercie de mettre un visage humain sur une histoire humaine du traumatisme multigénérationnel causé par le racisme dans des systèmes qui sont faits pour nous protéger.
Y a-t-il d’autres personnes qui souhaitent dire quelque chose?
M. Coward : Merci de cette question, madame la vice-présidente Bernard.
Je suis dans ce domaine depuis 30 ans, et — grâce à un ange, John Manning, qui a été mon thérapeute clinicien, et à mon épouse et à mes deux fils — j’ai suivi une thérapie pendant trois ans. J’étudie les arts martiaux depuis maintenant 52 ans — à l’époque, cela faisait environ 27 ans — et j’avais des tendances homicides. Je n’étais pas suicidaire. Et la seule chose qui m’a empêché d’aller jusqu’au bout, c’est que je ne pouvais pas servir mes enfants dans une prison. J’avais appris à enlever une vie en sept secondes, mais je n’ai pas étudié les arts martiaux pour blesser les gens. J’ai étudié les arts martiaux pour devenir un meilleur être humain.
John Manning, mon ange, m’a dit : « Dans le feu, tu te débarrasses de toutes les impuretés et deviens une meilleure personne en fin de compte. »
Je veux aller de l’avant et répondre à votre question. Toutes les personnes que j’ai aidées au cours des 30 dernières années — et il y en a eu plusieurs — souffraient, à tout le moins, du trouble de stress post-traumatique. Mon ami qui s’est joint à nous aujourd’hui souffre d’un TSPT complexe, non pas parce qu’il est faible, mais parce qu’il accorde de l’importance à la raison et à l’intelligence.
Les Européens attaquent les gens qu’ils considèrent comme intelligents et brillants. Dans notre société systématiquement raciste, comment cela se répercute-t-il sur les personnes? Je vais vous donner un petit exemple, si je peux.
Je fais un tri. Lorsque les gens sont sollicités ou qu’ils viennent me rendre visite ou me demandent de l’aide, je leur demande d’amener avec eux les membres de leur famille, et mes questions s’adressent à la conjointe et, s’ils ont des enfants, je leur demande : « Comment vous en sortez-vous? »
Et ils disent : « Eh bien, pas mal. »
« Comment les choses se passent-elles à la maison? »
« Eh bien, pas mal. »
« Suivez-vous une thérapie clinique? »
« Non. »
« Donc, comment allez-vous? »
Neuf fois sur six, l’épouse fond en larmes, et ce que je fais immédiatement — j’ai la chance d’avoir des psychologues et des psychiatres dans mon entourage —, je les appelle et je leur dis : « Écoutez, je dois faire en sorte que ces personnes reçoivent de l’aide immédiatement afin que, par la grâce du Créateur, je puisse être l’espoir dont elles ont besoin. »
C’est ainsi que je fonctionne.
Les répercussions sont catastrophiques sur l’unité familiale. Elles sont si négatives qu’elles détruisent la personne. Je ne sais pas si vous connaissez tous une femme, mais son nom est... Le traumatisme change la personnalité, et non l’inverse.
J’ai eu le plaisir de travailler avec mon ami, le juge en chef à la retraite Michael MacDonald, et le jour de sa retraite, le 31 janvier 2019, il aurait déclaré :
Le racisme systémique existe dans cette province. Je pense que pour les Blancs, le racisme peut être perçu comme un concept. Pour les [Néo-Écossais d’origine africaine], c’est une chose à laquelle ils sont confrontés. C’est un traumatisme.
Je savais qu’il comprenait, et j’ai eu le plaisir de travailler avec lui, Lydia Bugden et plusieurs autres personnes au cabinet d’avocats Stewart McKelvey, et je suis l’un des quatre principaux plaignants qui ont intenté un recours collectif contre les Forces armées canadiennes, le 14 décembre 2016. Cela fait sept ans, et l’un des résultats importants qui en sont ressortis, c’est que le 19 août 2019, nous avons obtenu un accord de principe dans lequel nous avons convaincu le ministère de la Justice et les forces armées de mettre en œuvre, avec leur soutien, des changements systémiques et institutionnels dans le cadre des Forces armées canadiennes, de sorte que, à l’avenir, ils ne nous donnent pas quelques dollars et que demain, nous soyons toujours un « nègre ». Nous voulons que les gens qui veulent pratiquer le racisme en milieu de travail n’aient tout bonnement pas d’emploi. C’est notre objectif.
J’espère que cela explique les répercussions. Toutes les personnes qui sont venues me voir avaient été brisées. Par la grâce du Créateur et avec l’aide que je reçois de diverses manières, cela les a à tout le moins aidées à se reconstruire. Pour être qui ils sont? Non, ils ne peuvent plus être la personne qu’ils étaient autrefois, parce que le racisme change la personnalité, et je tiens à le dire sans équivoque. Dans un pays qui prétend être un pays du premier monde, c’est une honte. C’est un scandale national, une honte, parce que le racisme est insidieux. Fait plus important encore, il entraîne un traumatisme intergénérationnel, et je suis las d’entendre des gens dire que ces choses prennent du temps. Les gens qui nous attaquent savent exactement ce qu’ils font et ils le font depuis 450 ans. À mon avis, cela doit changer.
La présidente : Merci.
M. Coward : Je vous en prie.
La présidente : Monsieur Coward, je vais utiliser ma prérogative en tant que présidente et demander à votre ami, M. Carvery, de s’asseoir à côté de vous. Il ne sera pas autorisé à témoigner, mais j’aimerais qu’on le voie. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, veuillez mettre la chaise à côté de M. Coward.
Le sénateur Arnot : Merci, monsieur Coward et madame Coward d’être venus aujourd’hui, et merci à M. Carvery, qui se joint à vous à la table. Ma question s’adresse vraiment à M. et à Mme Coward.
Vous parlez d’une relation fondamentalement brisée. Pour que ces systèmes puissent fonctionner, il doit y avoir de la confiance. Je me demande, avez-vous confiance? Croyez-vous que cette organisation puisse changer de la manière dont elle devrait le faire? Je pose la question dans le contexte de la nature profondément ancrée des préjugés dont vous avez parlé qui existent au sein de l’organisation.
M. Coward : Je vous remercie pour cette question, sénateur Arnot. Je pense que le changement est très improbable. À la tête de ces institutions se trouvent des Européens. À mon avis, le racisme fait partie intégrante du tissu même de ce pays. Je pense que M. Sloly a effleuré le sujet lorsqu’il a parlé d’éducation. L’un des problèmes importants que je constate, de mon point de vue, est que depuis deux ou trois cent ans, on a menti au monde sur les contributions des Noirs et des gens à la peau brune, et jusqu’à ce que cela soit mis en œuvre dans les écoles de la maternelle à la 12e année et dans l’éducation postsecondaire, je pense que les Européens continueront de nous considérer comme des esclaves, des biens meubles ou quelque chose qu’ils peuvent traiter comme ils le désirent. C’est le baromètre.
Fait encore plus troublant, ce que j’ai découvert dans les Forces armées canadiennes pendant 14 ans et demi et en traitant avec beaucoup de personnes intelligentes, des hommes et des femmes noirs, des hommes et femmes autochtones et même des femmes européennes, c’est que lorsque je parle en particulier des Noirs et des Autochtones, les Européens détestent avoir une personne de couleur comme patron. Dès qu’ils voient que nous sommes intelligents, que nous nous exprimons bien et que nous avons reçu une éducation, cela sonne l’alarme : nous devons les détruire. Je veux être clair. Je fais ce travail depuis 30 ans, je me suis enrôlé dans l’armée il y a 42 ans, et c’est le thème commun. En fin de compte, nous ne voulons pas nous débarrasser de ces gens, nous voulons les détruire.
Non. Ma réponse est un non catégorique. Je ne pense pas qu’il suffise d’organiser des séances de formation ou des programmes. Si vous êtes raciste, il faudra un changement de paradigme titanesque pour que quelqu’un en ressorte, et je ne pense pas que ces deux semaines, trois semaines, six mois ou six ans changeront quoi que ce soit. Nous devons envoyer un message aux racistes de ces institutions qui nous détruisent nous et nos familles. Le message, c’est que si vous voulez pratiquer le racisme à la maison, allez-y gaiement, mais si vous venez au travail avec ce racisme, nous avons une place pour vous et ce n’est pas le chômage : vous êtes congédié. Ils comprendront ce message. Si je vais à la banque et que je vole, on ne me dit pas de remettre l’argent et de rentrer chez moi. Je suis condamné à cinq ou dix ans de prison.
Je ne suis pas d’accord avec M. David Lametti lorsqu’il dit que c’est « décevant ». Vraiment? Cela montre que quelqu’un qui occupe un poste de direction ne comprend pas le mal qui est fait. C’est non pas décevant, c’est honteux. C’est un scandale national. Si des gens qui occupent des postes comme le sien prennent cela si à la légère... c’est pourquoi je peux répondre par l’affirmative, sénateur Arnot, que la situation ne changera pas tant que les gens ne verront pas. S’il pense que c’est décevant, je ferai une offre à laquelle il sera probablement réceptif ou favorable. Qu’il soit Noir pendant 10 ans, et si après cette période il pense que c’est juste décevant — pas deux semaines ou sept semaines plus tard, donnez-lui 10 ans —, laissez M. Lametti revenir et me dire que c’était un peu plus que cela.
C’est le genre d’approche pragmatique que je sais qu’il faut adopter pour redresser les torts et combattre le racisme systémique dans notre société. Il faut que le premier ministre s’exprime lui aussi. Lorsque des faits aussi flagrants se produisent, ce qui est inadmissible, nous n’entendons pas de commentaires de la part de ces personnes. Si la tête du poisson est pourrie, cela indique que le reste l’est aussi. Si mon fils donne un coup de poing à votre fils sur le nez et que j’attends six semaines ou sept ans pour venir vous dire qu’il n’aurait pas dû vous donner un coup de poing, quel message est-ce que je vous envoie? Que je me fiche éperdument de ce que fait mon fils. Mais si je l’envoie s’excuser le même jour, il y a un message et une leçon à en tirer.
C’est ce qui manque ici. Il n’y a pas de leçons à tirer. Ils disent, nous allons faire cette mascarade, pour ainsi dire, et en parler. Mais où sont les preuves tangibles que nous apporterons un changement important afin que nous puissions commencer à respirer avant de mourir?
Le sénateur Arnot : Maître Tachie, vous avez expliqué que le processus dans le modèle actuel peut prendre jusqu’à six ans, ce qui est tout à fait ridicule et inacceptable. Je me demande si on met l’accent sur la médiation ou sur les principes de justice réparatrice dans ces processus?
Je le mentionne, parce que s’il y a de la discrimination, surtout dans les affaires liées aux droits de la personne, c’est probablement un indicateur d’une relation brisée. La seule façon de parvenir à réparer cette relation est de mettre l’accent sur les principes de justice réparatrice afin d’essayer de réparer la relation. Avez-vous des commentaires à ce sujet? J’ai un certain nombre de questions, mais je n’ai pas le temps pour les autres. J’aimerais vous entendre à ce sujet. Vous semblez avoir une certaine confiance envers ce tribunal impartial, et je me demande si cette confiance est déplacée.
Me Tachie : Je ne pense pas qu’elle soit déplacée, car nous avons des modèles qui existent actuellement en Colombie-Britannique et en Ontario. Ils ont leurs problèmes, mais ceux-ci tiennent vraiment aux ressources et à la dotation en personnel. Le modèle de l’accès direct a été reconnu dans différentes administrations, même en dehors du Canada, comme un modèle efficace.
J’ai utilisé l’exemple des petites créances. Si j’ai un problème avec vous et que le montant est inférieur à un certain seuil monétaire, je peux entamer un processus avec vous. Ce processus comprend la médiation et les conférences de règlement à l’amiable. C’est pourquoi j’ai utilisé cela comme point de comparaison.
Pour répondre à votre première question, malheureusement, je n’ai jamais pris part à cette pratique de médiation. Cela ne veut pas dire qu’elle n’existe pas; ce n’est tout simplement pas dans ma pratique. Mes commentaires sont inspirés par des membres de notre conseil qui sont des praticiens et qui m’ont renseigné. Aucun d’entre eux n’a soulevé la question de la médiation, de la négociation ou de quoi que ce soit d’autre.
Le problème tenait au fait que vous déposez une plainte, vous attendez la décision, puis, si la décision est de rejeter votre plainte, c’est fini.
La présidente : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins. Monsieur et madame Coward, je vous remercie de vos commentaires et de votre témoignage qui nous aident à comprendre que le racisme systémique, surtout à la Commission canadienne des droits de la personne, est une réalité qui fait des victimes comme vous et plusieurs autres et qui a un impact important dans la vie de nos communautés. Je dois reconnaître que votre témoignage est très puissant et nous pousse à réfléchir.
Le Comité sénatorial des droits de la personne procède à une étude qui vise à faire un rapport auprès du gouvernement du Canada.
Si vous aviez une seule recommandation à nous suggérer en plus de votre témoignage, en ce qui concerne la commission, le système, ce que vous avez vécu en tant que victime, quelle serait-elle?
[Traduction]
Merci beaucoup de votre question; j’y répondrai du mieux que je le peux.
Ma recommandation serait la suivante. Jusqu’à présent, nous avons eu à la tête de l’institution une Européenne qui a permis à des personnes de souffrir pendant plus de trois ans. À mon humble avis, il faut nommer quelqu’un qui soit compétent sur le plan culturel. Les soins tenant compte des traumatismes devraient servir de fondement à leur compréhension, et ils doivent être réceptifs aux réponses qu’ils devraient fournir lorsque des personnes de couleur déposent des plaintes. Ils doivent éliminer les gardiens qui sont surtout européens et qui sont venus à occuper leur poste avec la mentalité de s’assurer que justice ne nous sera jamais rendue. C’est ma seule réponse, si vous me le permettez.
La sénatrice Gerba : Merci.
La sénatrice Bernard : L’une des idées qui ont circulé, c’est qu’il doit y avoir un commissaire à l’équité noire en tant qu’agent du Parlement du Canada. C’est la seule façon dont les Afro-Canadiens, qui sont au Canada depuis les années 1600, pourront obtenir justice. Peut-être que nous pourrions demander à Me Tachie de réagir en premier.
Me Tachie : Sans parler des ramifications politiques et des autres ramifications de la nomination d’une personne de ce genre, et simplement pour parler de l’efficacité avec laquelle une telle personne pourrait traiter ces questions, ce serait formidable.
À mes yeux d’homme noir au Canada, envisager la législation et la mise en œuvre de politiques et de programmes dans une optique d’équité et d’élimination du racisme systémique anti-Noirs serait une excellente chose. Je suis conscient que ce genre de vision peut supposer des défis et d’autres obstacles politiques, mais à mon avis, si vous me demandez si cette personne pourrait jouer un rôle utile, je pense qu’elle le pourrait tout à fait.
M. Coward : J’ajouterai aux commentaires de notre frère, Raphael Tachie, que nos frères et sœurs autochtones ne sont pas traités plus équitablement que nous.
Si nous voulons qu’une personne noire occupe ce poste, nous devrions également avoir un de nos frères autochtones travaillant en tandem. L’île de la Tortue leur a été volée. Ils ont souffert au cours des 400 ou 500 dernières années à cause du racisme systémique, des pensionnats, de la rafle des années 1960, du problème des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées. Aujourd’hui, nous assistons à la mise au jour de milliers de tombes de jeunes enfants autochtones assassinés et massacrés. Pour que nous puissions aller de l’avant, nous devons reconnaître que ce ne sont pas seulement les Noirs qui souffrent à l’instigation de la Commission canadienne des droits de la personne.
J’ai eu le privilège d’aller à l’université avec des Autochtones, alors je serais ravi que les Autochtones et les Noirs aient la possibilité de travailler en tandem pour démanteler les cultures toxiques qui existent actuellement au sein du personnel de la Commission canadienne des droits de la personne.
Le sénateur Arnot : Je suis préoccupé par l’expérience que vous avez vécue. Connaissez-vous des plaignants potentiels qui ne portent pas plainte parce qu’ils connaissent le système et qu’il faudrait en moyenne six ans pour que la plainte soit réglée? Pourquoi quelqu’un accéderait-il au système en premier lieu? Avez-vous un commentaire à ce sujet?
M. Coward : Merci de cette question, sénateur Arnot. J’y répondrai en deux volets. Je vais essayer d’être succinct et de répondre assez rapidement.
Vous savez probablement que, à l’automne 1994, la Revue canadienne droit et société a publié une étude d’un professeur de sociologie de Sydney, R. Brian Howe, et d’un professeur de la Osgoode Hall Law School de Toronto à l’époque, Malcolm Andrade. Ils ont réalisé des études approfondies dans tout le pays sur les commissions des droits de la personne. À leur grande déception, ils ont constaté que la Commission canadienne des droits de la personne et d’autres commissions au pays acceptaient les plaintes de personnes de minorité raciale visible, mais elles savaient qu’elles n’avaient pas la capacité de les coucher par écrit en utilisant un jargon juridique. Elles retenaient les affaires pendant huit ou neuf mois, puis leur disaient : « Votre plainte n’est pas fondée. » Lors des assemblées générales annuelles, elles pouvaient dire : « Oui, nous avons eu 300 plaintes, mais seulement 2 étaient valables » — parce qu’elles faisaient la même chose que ces bandits de la Commission canadienne des droits de la personne font actuellement aujourd’hui : les rejeter en toute impunité.
Oui, en fait, j’ai aidé environ 40 personnes de couleur au cours des 30 dernières années. Seules trois d’entre elles se sont manifestées et ont dit : « Je veux montrer que vous m’aidez, parce que j’ai peur de perdre mon emploi. » Sur ces 40, seulement 3 ont réussi parce que, après que j’ai rédigé le premier mémoire pour elles et que les autres sont allées de l’avant, les plaintes ont été rejetées, et elles ont abandonné.
Donc, oui, ces personnes sont conscientes de l’existence d’un obstacle. Elles disent : « À quoi bon? » C’est presque comme aller à une réunion du Ku Klux Klan. Vous allez à la réunion, mais vous vous rendez compte qu’ils tiennent la réunion parce qu’ils veulent se débarrasser de vous. Alors vous dites : « Je pense que je vais passer mon tour. »
La présidente : Merci, monsieur Coward. J’ai dit que je n’allais pas poser de questions, mais que peut faire la commission pour regagner votre confiance et celle des autres membres de la communauté racisée? Que pourrait-elle faire?
M. Coward : Je pense que les gens doivent aller au ciel et revenir, et permettez-moi de vous dire pourquoi. J’accompagne ce jeune homme depuis cinq ans. Nous avons obtenu un accord de règlement de principe, et il a dû être soumis à la commission pour approbation. On avait prescrit un délai de 30 jours au cours duquel les deux parties devaient se conformer. Le jour où j’ai obtenu le reçu attestant qu’elles approuvaient le procès-verbal de règlement, la Commission canadienne des droits de la personne a fermé le dossier, et les représentants ont dit que le recours relève maintenant de l’article 48.3 de la loi, qui consiste à s’adresser à la Cour fédérale.
Ainsi, mon ami se retrouve avec un procès-verbal de règlement non rempli. Et j’ai travaillé en tandem avec la Fédération de la police nationale. J’espère que, à l’avenir, les représentants comprendront et reconnaîtront que le procès-verbal n’a pas été respecté, et que mon ami ici doit voir à ce que des mesures soient prises pour remédier au manquement. Et la seule institution responsable à l’heure actuelle est la Cour fédérale du Canada.
La présidente : Merci.
La sénatrice Bernard : Monsieur Coward, vous avez dit que vous faites ce travail depuis 30 ans. Je dois vous demander si vous travaillez pour une organisation ou s’il s’agit d’un travail bénévole.
M. Coward : C’est un travail bénévole.
La sénatrice Bernard : Vous travaillez comme porte-parole bénévole de plaignants depuis plus de 30 ans?
M. Coward : Oui.
La sénatrice Bernard : Et j’imagine que ce travail est très invisible.
M. Coward : Oui. En tant que défenseur de droits de la communauté. Je ne cherche pas à faire des séances de photos, je ne cherche pas à faire la une des journaux. Je cherche à sauver la vie de familles, d’amis et de personnes qui souffrent, car dans de nombreux cas, ils n’ont pas le soutien financier pour obtenir les services d’un avocat, qui coûteraient 150 000 $.
Je travaille avec M. Maurice Carvery — je l’appelle mon fils d’une autre mère — depuis 2018. Cela fait donc cinq ans, et la bataille continue. Oui, c’est un travail ardu, mais au bout du compte, j’ai été béni par le Créateur, car j’ai les compétences nécessaires pour permettre aux gens d’avancer, et c’est un travail fait avec amour.
La sénatrice Bernard : Merci de votre service, au nom de tous ceux avec qui vous travaillez.
M. Coward : Merci beaucoup.
La présidente : Merci. Et merci d’avoir accepté de comparaître devant nous, chers témoins. Votre aide dans le cadre de notre étude est grandement appréciée. Sénateurs, nous allons suspendre brièvement la séance afin de nous préparer à recevoir nos prochains témoins.
Honorables sénateurs, je vais maintenant présenter notre troisième groupe de témoins. Chaque témoin a été invité à faire les déclarations liminaires de cinq minutes. Nous entendrons les témoins, puis nous passerons aux questions des sénateurs.
Je souhaite la bienvenue à Nicholas Marcus Thompson, directeur général, Black Class Action Secretariat; Hugh Scher, avocat spécialisé dans les droits de la personne et les questions constitutionnelles, à titre personnel; et Richard Sharpe, directeur, Direction de l’équité noire, Centre pour le personnel, la culture organisationnelle et le talent, Secrétariat du Conseil du Trésor, Fonction publique de l’Ontario, à titre personnel. J’invite maintenant M. Thompson à présenter son exposé.
Nicholas Marcus Thompson, directeur général, Black Class Action Secretariat : Merci beaucoup, madame la présidente, de cette présentation. Je comparais devant vous aujourd’hui à deux titres. Premièrement, en tant que directeur général du Black Class Action Secretariat, un organisme sans but lucratif qui représente des dizaines de milliers d’employés du gouvernement fédéral qui s’identifient comme Noirs depuis des décennies de discrimination systémique envers les Noirs dans la fonction publique fédérale. Deuxièmement, je comparais devant vous en tant que président du Syndicat des employé-e-s de l’Impôt, Toronto-Nord, représentant environ 1 400 employés de l’Agence du revenu du Canada, ou l’ARC.
À ce titre, j’ai soutenu de nombreux employés dans leurs plaintes à la Commission canadienne des droits de la personne. J’ai également fait l’expérience directe des divers obstacles au traitement et au règlement de plaintes de toutes sortes devant la commission, en particulier les plaintes fondées sur la race.
J’aimerais commencer par reconnaître que le racisme anti-Noirs est profondément enraciné dans toutes nos institutions publiques, y compris la Commission canadienne des droits de la personne. Ce racisme a également été reconnu à maintes reprises par les différents dirigeants de notre fonction publique, depuis la GRC jusqu’au Conseil du Trésor et dans toute la fonction publique.
En fait, le premier ministre du Canada a souligné à plusieurs reprises ses préoccupations concernant le racisme et la discrimination systémique envers les Noirs dans l’ensemble de nos services publics.
En tant que représentant syndical élu, j’ai observé un racisme endémique contre les Noirs à l’Agence du revenu du Canada. La nature systémique et institutionnelle de ces plaintes les rend difficiles ou impossibles à traiter de manière institutionnelle ou dans le cadre du processus de règlement des griefs axé sur les griefs individuels. Il en va de même pour les plaintes individuelles devant la Commission canadienne des droits de la personne.
Au cours des 50 dernières années, la commission n’a rien fait pour lutter efficacement contre les pratiques généralisées d’exclusion des employés noirs lors de l’embauche et de la promotion dans l’ensemble de la fonction publique fédérale. De tels manquements remettent en question le mandat et la capacité de la commission de traiter ces plaintes systémiques.
En réalité, la discrimination raciale interne à la commission elle-même représente un obstacle majeur et a entraîné une perte de confiance dans la capacité de la commission de remplir son mandat.
À la suite du processus de règlement des griefs, je conseille souvent aux employés de déposer une plainte à la commission. Par conséquent, le présent mémoire s’appuie sur ces expériences. Les employés sont souvent confrontés à de longs délais avant de recevoir une première réponse de la commission; les plaintes fondées sur la race sont presque toujours rejetées, laissant ces employés brisés et sans justice. Ces plaintes sont souvent déposées aux premiers stades du processus, avant que la commission n’ait pris connaissance de preuves ou de renseignements complets.
Souvent, lorsque le syndicat leur conseille de soumettre une plainte à la commission, les employés ont peur et choisissent de ne pas invoquer le manque de confiance dans la commission. Pour présenter les choses simplement, disons que les employés craignent d’utiliser le processus de traitement des plaintes à la Commission canadienne des droits de la personne parce qu’il déclenche plus de traumatismes. Vous devez raconter votre histoire encore et encore, et les employés préfèrent garder le peu d’espoir et de force qu’il leur reste pour faire face au traumatisme qu’ils vivent dans les lieux de travail fédéraux.
En 2020, après avoir approfondi la compréhension de toutes les facettes de la commission et y avoir constaté un manque de justice, j’ai mobilisé les travailleurs en commençant à l’ARC pour comprendre leurs expériences en ce qui concerne le racisme anti-Noirs. Au cours des discussions avec les travailleurs de l’ensemble du gouvernement fédéral, le thème commun a émergé : les employés noirs étaient laissés à des postes de niveau d’entrée même s’ils étaient exceptionnellement qualifiés, certains avec plusieurs diplômes, et prennent leur retraite fauchés et brisés, après être restés au même poste, après des décennies de service loyal au gouvernement et aux gens du Canada.
Je pensais trouver quelque chose de différent à la Commission canadienne des droits de la personne, créée en vertu de lois pour protéger les droits de la personne, et je me trompais profondément. Des employés de la commission m’ont dit que la discrimination à la commission était si forte que certains ont dû prendre des congés de maladie pendant une longue période. D’autres ont démissionné de la commission en raison de la nature endémique du racisme anti-Noirs.
Ils font part d’expériences semblables à celles des employés du reste de la fonction publique, c’est-à-dire que, à la commission, les employés noirs et racisés occupent des postes de premier échelon et se soumettent à toutes les présélections, et les employés blancs occupent tous les postes de gestion, jusqu’au sommet. En fait, il n’y a jamais eu, dans l’histoire de la commission, de président noir. La commission a été créée en 1977, alors cela, en soi, est consternant.
Mais ils me parlent de cette culture toxique à la commission. L’expérience de l’employé m’a donné plus de recul en ce qui concerne les employés de l’extérieur qui déposent des plaintes à la commission. Ici, je vis avec des travailleurs dont les plaintes sont rejetées, qui ont peur, et nous les encourageons toujours à se tourner vers la commission, mais ils ne font pas confiance à la commission. Puis il y a les employés de la commission confrontés à la discrimination; ils disent également que, lorsqu’ils règlent un dossier ou qu’ils prennent une décision sur les plaintes fondées sur la race à la commission, la plainte est transmise à leur superviseur habituellement blanc. Voilà comment ces plaintes sont rejetées de manière disproportionnée.
L’expérience généralisée du racisme anti-Noirs dans l’ensemble de la fonction publique fédérale nous a amenés à déposer un recours collectif historique contre l’ensemble de la fonction publique fédérale. Aucun des mécanismes — le processus de règlement des griefs, l’office fédéral, la Commission des droits de la personne — n’a été en mesure de lutter contre le racisme anti-Noirs systémique.
En fait, cela s’est perpétué au point que c’était très blessant pour les travailleurs sans recours, comme Caroline qui a travaillé pour la GRC pendant 37 ans et n’a jamais obtenu de promotion, ou d’autres employés qui ont travaillé jusqu’à 50 ans, qui travaillent encore, incapables de prendre leur retraite. C’est vraiment, vraiment épouvantable.
Et c’est ainsi dans les institutions clés sur lesquelles les travailleurs comptent pour la justice et pour le leadership, comme le Conseil du Trésor du Canada. Les employés noirs qui travaillent sur le programme de santé mentale là-bas ont tous été licenciés après avoir fait part de leurs préoccupations liées au racisme anti-Noirs. Au Conseil du Trésor, c’est la même chose. Une décision a été rendue selon laquelle la Commission canadienne des droits de la personne faisait preuve de discrimination envers les employés noirs.
Nous avons donc ce cycle vicieux au sein de la fonction publique fédérale, où il n’y a aucune reddition de comptes. Souvent, les contrevenants sont mutés, lorsqu’il s’agit de discrimination, ou promus, comme nous l’avons vu récemment dans le cas où un cadre supérieur de la commission a été promu moins d’un mois après ce constat de discrimination à la commission. Moins d’un mois. Et à quelles fonctions a-t-il été promu? Il est chargé du racisme et de l’antiracisme pour l’ensemble de la fonction publique fédérale!
Vers qui se tournent les travailleurs s’ils ne peuvent pas se tourner vers la Commission canadienne des droits de la personne? Nous aimerions faire quelques recommandations, et une partie fondamentale du problème tient à la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Étant donné que la Loi sur l’équité en matière d’emploi rassemble toutes les personnes racisées en un seul groupe, les employeurs fédéraux ont systématiquement exclu les employés noirs des possibilités de promotion parce que cela n’est pas défini. Il y a probablement un ou deux groupes racisés qui sont les groupes privilégiés par le gouvernement pour l’équité en matière d’emploi et que celui-ci utilise systématiquement, tout le temps. Lorsque nous avons déposé le recours collectif en 2020, il y avait 99 cadres noirs dans l’ensemble de la fonction publique fédérale, et aucun d’entre eux n’était à la Commission canadienne des droits de la personne; 99 sur les 6 200 cadres supérieurs à l’échelle du gouvernement fédéral. Les employeurs fédéraux m’ont constamment dit que le problème était lié à la Loi sur l’équité en matière d’emploi; nous ne pouvons pas adapter la dotation et les concours aux employés noirs parce que la loi ne nous le permet pas. Lorsque j’ai présenté un plan pour la valorisation des employés noirs au moyen du mécanisme de dotation dans la fonction publique, ils ont dit que ce serait discriminatoire pour les employés blancs si les emplois ciblent les employés noirs.
Nous proposons que le gouvernement modifie la Loi sur l’équité en matière d’emploi afin de créer un groupe désigné pour les employés noirs en dehors des employés racisés. C’est la seule façon de lutter contre l’exclusion des employés noirs au sein de la fonction publique fédérale. Cela empêcherait les employeurs fédéraux de se cacher derrière la catégorie des minorités visibles et d’exclure intentionnellement les employés noirs. Vous entendrez des témoins comme Bernadette Betchi, qui a plusieurs diplômes, et cette sœur n’arrive pas à avancer à la commission. C’est tout simplement épouvantable. C’est blessant. Ce n’est pas le Canada dont nous sommes fiers, avec le multiculturalisme et la diversité.
Nous demandons une modification de la Loi sur l’équité en matière d’emploi afin de désigner les Noirs comme une catégorie distincte. Il y aurait une catégorie désignée, donc lorsqu’il y aurait un manque d’employés noirs, la commission devrait embaucher des Canadiens noirs qualifiés, compétents et en fonction du mérite simplement en examinant la catégorie des employés noirs.
Ensuite, nous recommanderions la création d’un modèle d’accès direct pour l’arbitrage afin que les plaintes puissent être transmises directement au tribunal. Puis, il faut qu’il y ait des mesures de reddition de comptes. Nous ne faisons pas confiance à la commission ni au reste de la fonction publique pour ce qui est de l’obligation de rendre des comptes sur ces questions raciales. Nous demandons un commissaire à l’équité noire qui soit en mesure d’enquêter sur le racisme systémique anti-Noirs à la commission et dans les composantes de l’ensemble de la fonction publique fédérale, en les tenant responsables, et qui aurait la capacité de prendre les mesures nécessaires pour éliminer et prévenir ce type de discrimination.
La présidente : Monsieur Thompson, je suis désolée de vous interrompre, mais je vous ai laissé parler pendant près de 10 minutes, et nous avons d’autres témoins et des questions. Si vous ne terminez pas votre témoignage, vous pouvez nous faire parvenir un mémoire écrit. Veuillez m’excuser, mais nous avons une liste de sénateurs qui veulent poser des questions. Merci.
Me Hugh Scher, avocat spécialisé dans les droits de la personne et les questions constitutionnelles, à titre personnel : Merci. Je comparais devant vous, avec M. Thompson, parce que nous souhaitons souligner les préoccupations concernant la structure de la commission, formuler des recommandations sur ce qui devrait être fait pour tenter d’améliorer le système et essayer de déterminer comment nous sommes arrivés à la situation où nous sommes actuellement, ce qui a donné lieu au présent comité.
J’ai quatre points à soulever. Premièrement, la Commission canadienne des droits de la personne est irréparable, et la seule option quant aux moyens pour améliorer la situation est d’avoir un modèle d’accès direct à l’arbitrage par le processus d’un tribunal, un peu comme en Ontario et en Colombie-Britannique.
Deuxièmement, je soulignerais que les conclusions à l’encontre de la commission concernant la discrimination au sein de son personnel ont fondamentalement sapé l’autorité morale et le mandat légal de la commission de répondre aux préoccupations des Canadiens, y compris les Canadiens noirs, concernant la capacité de statuer, d’examiner et de traiter équitablement et efficacement les plaintes relatives aux droits de la personne déposées par cette communauté et d’autres groupes.
Troisièmement, je voudrais souligner que le fait que la commission ait échoué lamentablement à remplir son mandat pour dissiper les préoccupations relatives aux obstacles systémiques, discriminatoires et institutionnels représente un échec important de sa part, et annule toute capacité de s’attaquer efficacement aux obstacles systémiques et institutionnels vécus par les Canadiens noirs et d’autres dans l’ensemble de la sphère fédérale.
Enfin, quatrièmement, je tiens à souligner que je suis préoccupé par le fait que le Conseil du Trésor ait effectivement tiré la conclusion dans ce cas de discrimination afin de cibler et d’entraver les perspectives du recours collectif noir que M. Thompson et tant d’autres ont courageusement intenté. Voici ce qui me pousse à dire cela. L’argument du gouvernement est que la commission et d’autres instances ont le mandat et la capacité de répondre aux préoccupations de discrimination et de harcèlement systémiques, et, en concluant effectivement dans le cadre d’un processus de règlement de grief qu’il y a eu discrimination, le gouvernement cherche à s’appuyer sur cette conclusion pour empêcher le recours collectif de passer par le processus judiciaire. À mon avis, cela représente un mécanisme injuste et de mauvaise foi de recours au processus en ce qui concerne les conclusions tirées par le tribunal.
Je présente au comité les recommandations suivantes : premièrement, recourir à un modèle d’accès direct pour les plaintes relatives aux droits de la personne comme en Colombie-Britannique et en Ontario, sous réserve de ressources publiques pour fournir une assistance et une représentation juridique aux plaignants devant le tribunal de façon à ce qu’ils puissent faire avancer leurs plaintes de manière significative et appropriée.
Deuxièmement, veiller à apporter les modifications concernant l’équité en matière d’emploi que mon ami, M. Thompson, a recommandées relativement à la catégorie des minorités visibles de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, à l’égard de laquelle la commission conserve jusqu’à présent son champ de compétence et de surveillance. La nécessité d’une catégorie précise et distincte pour les employés noirs n’a jamais été aussi claire. Tout comme l’urgence qui a donné lieu au présent comité est claire, le besoin de changement l’est aussi, mais le problème tient au fait que ce besoin de changement existe et est nécessaire depuis des décennies.
Avant mon exposé, nous avons entendu parler de la recommandation du comité d’examen, dirigé par le juge La Forest, qui préconisait un modèle d’accès direct en 2000. Plus récemment, en 2020, l’ancien président du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, Mark Hart, a préparé un rapport de plusieurs centaines de pages à la demande de la commission, qui concluait essentiellement que la commission ne remplissait pas son mandat à plusieurs égards principaux, notamment en ce qui concerne l’application d’analyses inappropriées dans le cadre du traitement des plaintes, ce qui a effectivement tué dans l’œuf bon nombre de plaintes. Le fait de ne pas appliquer l’analyse appropriée de la discrimination à première vue dans le contexte du processus d’évaluation était extrêmement préjudiciable, ce qui fait que les gens réexaminaient constamment leurs plaintes, revivaient leur traumatisme et n’avançaient aucunement dans le processus. La Commission canadienne des droits de la personne a échoué dans ses capacités à régler les plaintes sérieusement, et un grand nombre d’entre elles sont rejetées avant d’avoir eu la possibilité d’être jugées; en outre, ces décisions sont rendues avant qu’une évaluation ou un examen complets des preuves ne soient autorisés.
Compte tenu de ces recommandations, je souligne de nouveau l’urgence d’agir maintenant, la nécessité de ces changements et l’importance de veiller à ce que, lors de la mise en œuvre d’un modèle d’accès direct, un processus décisionnel ne dresse pas les mêmes obstacles liés aux retards et aux décisions que ceux dont le système actuel est le parfait exemple.
Je demande instamment que l’autorité morale de la commission, qui jusqu’à présent a été considérablement minée, exige que le mandat de la commission soit limité à un rôle plus précis au chapitre de l’administration des questions de discrimination systémique, d’éducation et de formation et d’autres sources d’information publiques. On donnerait ainsi à la commission une orientation précise et on lui permettrait de faire quelque chose en fonction d’un niveau de connaissances, de compréhension et d’expertise qu’elle n’a actuellement ni les ressources ni le temps de faire.
Enfin, je suis d’accord avec mon ami, M. Thompson : il faut un commissaire à l’équité noire ou un moyen de surveillance pour s’assurer que les mécanismes appliqués à la commission ou au tribunal ne fassent pas entrave à l’égalité et n’imposent pas d’obstacles supplémentaires à cet égard et en ce qui concerne un règlement gratifiant des différends réels pour les Canadiens noirs.
C’est ce que je tenais à vous dire, sous réserve de vos questions. Merci, madame la présidente.
La présidente : Merci beaucoup, maître Scher.
[Français]
Richard Sharpe, directeur, Direction de l’équité noire, Centre pour le personnel, la culture organisationnelle et le talent, Secrétariat du Conseil du Trésor, Fonction publique de l’Ontario, à titre personnel : Bonsoir.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de faire une présentation sur ce sujet important. Je présenterai des recommandations visant à mieux soutenir le respect des droits pour les personnes d’ascendance africaine vivant et travaillant au Canada.
[Traduction]
Tout d’abord, un avertissement : je ne parle pas au nom du gouvernement du Canada ou de la fonction publique de l’Ontario, où je travaille actuellement.
Pour entrer dans le vif du sujet, les communautés noires et racisées ont toujours su qu’elles ne bénéficieront pas d’un accès rapide et équitable à la justice si elles déposent des plaintes fondées sur la race auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Par conséquent, de nombreuses plaintes valables ne sont jamais renvoyées à la commission; les gens ne se manifestent tout simplement pas.
La commission a toujours servi non seulement de gardien du statu quo, mais aussi de lieu où les plaintes relatives aux droits de la personne fondées sur la race vont mourir, soit parce qu’elles sont rejetées à des taux disproportionnellement élevés, soit parce qu’elles sont laissées à languir pendant des années jusqu’à ce que les gens deviennent trop fatigués pour se battre. Un certain nombre de témoins ont déjà évoqué la question.
Ses propres données le prouvent. Par exemple, la commission a accepté seulement 33 % des plaintes fondées sur la race entre 2018 et 2022. Qu’est-il arrivé aux 67 % des plaintes? Je suppose que nous ne le saurons jamais. Les gens devaient rentrer chez eux sans avoir obtenu de redressement.
Au fil des décennies, les répercussions sur les communautés noire et racisée qui sont victimes de la haine et du racisme anti-Noirs institutionnels ont été profondes, entraînant des pertes d’emploi, des pertes de revenu, des maladies mentales et chroniques induites par le stress et un sentiment de désespoir, car il n’y a nulle part où aller pour obtenir de l’aide. Sur une note personnelle, les huit membres de ma famille immédiate — mon frère, mon père, ma mère et mes sœurs — ont été victimes de racisme anti-Noirs dans l’emploi, l’éducation et les interactions avec les forces de l’ordre. Le racisme a défini notre existence en tant que Noirs et en tant que famille au pays.
Durant plus de 25 ans en tant que représentant syndical et défenseur des droits de la personne, j’ai conseillé aux gens de ne pas s’adresser à la commission avec des plaintes de discrimination parce que l’effort était notoirement futile. Avant la collecte de données de façon officielle, les communautés recueillaient officieusement ces données afin de faire savoir aux gens ce qui avait été conclu.
En 2019, le Caucus des employés fédéraux noirs, ou CEFN, un groupe que j’ai cofondé avec mes intrépides collègues, a rencontré la présidente de l’époque et ses cadres supérieurs. Le message du Caucus des employés fédéraux noirs était simple : la CCDP n’est pas pertinente en tant qu’institution parce qu’elle ne respecte pas le but même de son existence, qui est de protéger les droits de la personne de sa population. En particulier, ceux des Noirs et des personnes racisées au Canada.
En mars 2020, la commission a invité des organismes de personnes racisées à prendre part à des consultations dont le but était de trouver des façons d’améliorer le processus de traitement des plaintes. En collaboration avec ces organismes communautaires, nous avons dressé une liste de recommandations, que nous avons soumise à la Commission des droits de la personne le 26 mars 2020.
Plus tard, à l’été, des employés de la Commission des droits de la personne — des employés noirs et racisés — ont alerté le CEFN qu’il y avait eu des cas de racisme anti-Noirs au sein de la commission. Puisque nous sommes de bons fonctionnaires, nous nous sommes adressés à la direction de la commission et lui avons demandé de mener enquête, étant donné que ces préoccupations pouvaient porter préjudice. De plus, il était difficile pour nous de maintenir une relation de travail tout en essayant de régler les problèmes avec le groupe de travail que nous avons mis sur pied pour examiner les données ventilées sur la race que nous avions demandé de recueillir dans le cadre du processus de traitement des plaintes. Nous voulions comprendre ce qui se passait en ce qui avait trait aux données, aux résultats et au rendement.
Nous avons donc soulevé ces préoccupations, mais la réaction n’a pas été adéquate. Comme Nina Simone l’a dit, « il faut savoir quitter la table quand l’amour n’est plus au menu... »
Donc, le CEFN a quitté la table, et cette relation, à l’automne 2020. Parallèlement, le CEFN a discrètement informé les dirigeants de tous les ordres de gouvernement qu’un problème persistait à la Commission canadienne des droits de la personne. Encore une fois, en agissant discrètement, nous espérions que le problème serait réglé sans que personne n’écope et sans que sa réputation ne soit ternie. Nous l’avons avisée que ces révélations seraient explosives et qu’elles porteraient atteinte à la confiance des Canadiens et des Canadiennes envers l’organisation et terniraient l’image du Canada, sans parler des préjudices pour les employés concernés.
À notre connaissance, rien n’a été fait, et il est maintenant temps de récolter ce que l’on a semé. Au cours des trois dernières années, la CCDP a déployé des efforts pour régler elle‑même certains de ces problèmes en modernisant son processus de traitement des plaintes et en élaborant un plan d’action de lutte contre le racisme. Mais quels sont les résultats? Quels changements mesurables avons-nous constatés en ce qui concerne les résultats pour les personnes noires et racisées qui portent plainte à la commission? La commission a-t-elle réussi à s’assurer que ses dirigeants et son personnel reflètent la diversité raciale du Canada?
Mais il ne suffit pas de soumettre la Commission des droits de la personne à un examen rigoureux. Ce que je constate — et je le dis à titre personnel, en tant que Richard Sharpe — c’est que toutes les institutions qui favorisent cette dysfonction au sein de la commission et qui l’empêchent d’accomplir sa mission déclarée sont coupables.
Je vais passer tout de suite à mes recommandations, parce que je pense que c’est réellement ce que les gens veulent entendre.
Ma première recommandation est de lancer une enquête nationale sur le racisme anti-Noirs dans les organismes fédéraux, et que les deux Chambres du gouvernement la soutiennent. Les dirigeants de nos institutions continuent de négliger les personnes d’ascendance africaine au Canada. Comme d’autres, je réclamerais que les plaintes relatives aux droits de la personne qui sont fondées sur la race soient envoyées directement au Tribunal des droits de la personne. Les plaintes pour discrimination méritent d’être entendues et non pas sommairement rejetées.
C’est pour cette raison que je réclame moi aussi — comme certains d’entre nous, de la communauté, l’ont réclamé — qu’un expert indépendant du racisme anti-Noirs soit chargé d’enquêter sur les pratiques de la commission. Cela est absolument nécessaire et tout à fait logique. C’est quelque chose qui aurait dû être mis en place il y a longtemps. Il est impensable que les gens qui ont profité du privilège blanc pendant des générations soient les seuls protecteurs de l’âme d’une nation multiraciale. Les choses tournent mal quand ce genre de dynamique n’est pas contrôlée, et cela fait des décennies que c’est le cas.
Ma dernière recommandation, mais non la moindre, concerne la nécessité de créer un poste de commissaire à l’équité pour les Noirs. Nous en avons déjà discuté et nous en avons besoin. C’est une composante fondamentale du patrimoine canadien. La Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine des Nations unies n’a pas donné beaucoup de résultats; nous arrivons à la fin de ce processus.
Le déclin intergénérationnel des personnes noires dans notre pays est directement lié aux structures organisationnelles qui maintiennent le racisme anti-Noirs dans absolument tous les aspects de la vie professionnelle au Canada.
Les Nations unies ont fait cette déclaration. Nous avons nos propres statistiques, nos propres rapports et nos propres études qui montrent que cela est vrai, dans tous les aspects de la vie canadienne.
Pour conclure, il ne s’agit pas de savoir si le racisme anti‑Noirs existe bel et bien dans nos institutions, y compris la Commission canadienne des droits de la personne. La question est plutôt de savoir à quel stade ce cancer en est rendu. À quel point cette maladie est-elle grave, et pouvons-nous prendre les mesures nécessaires pour en guérir?
Les Canadiens et les Canadiennes seront peut-être troublés d’apprendre que la Commission canadienne des droits de la personne n’est pas ce qu’ils croyaient, mais, maintenant que nous avons les données, que nous avons les preuves et que nous avons le verdict, nous avons maintenant le défi, en tant que société, en tant qu’institutions, de faire preuve d’assez d’ambition pour obtenir des résultats pour tous les Canadiens, même ceux qui sont Noirs.
La présidente : Monsieur Sharpe, je suis désolée de vous interrompre, mais les sénateurs ont des questions.
M. Sharpe : C’était ma dernière phrase.
La présidente : Je vais vous laisser finir votre dernière phrase.
M. Sharpe : C’était aussi la phrase avec le plus d’impact, alors je dois la dire avec la même conviction, si vous me le permettez.
Maintenant que nous avons les données, les preuves et le verdict, nous avons maintenant le défi, en tant que société, en tant qu’institutions, de faire preuve d’assez d’ambition pour obtenir des résultats pour tous les Canadiens, même ceux qui sont Noirs.
Je vous remercie beaucoup de l’invitation.
La présidente : Merci beaucoup à tous nos témoins.
Chers collègues, comme d’habitude, nous allons maintenant passer aux questions. Vu l’heure, je pense que nous aurons seulement le temps pour un tour.
La sénatrice Bernard : Merci à tous les témoins.
J’ai deux questions à poser : la première question s’adresserait à M. Thompson. Si vous aviez d’autres recommandations sur votre liste, pourriez-vous nous en faire part maintenant?
Je pose ma deuxième question aux trois témoins : vous avez tous mentionné un commissaire à l’équité noire. Pourriez-vous nous dire, dans votre monde idéal, qu’est-ce que ce serait et quelle forme cela pourrait avoir? Que nous recommandez-vous, au juste?
Merci.
M. Thompson : Merci beaucoup.
Pour répondre à votre première question, en ce qui concerne des recommandations supplémentaires, ma recommandation finale était que... Les actions de la commission ont eu un impact considérable sur des vies humaines ainsi que sur l’ensemble de la fonction publique du Canada. Même si l’issue du grief offre une conclusion, une déclaration, ces employés continuent de souffrir.
Il doit exister une forme ou une autre de recours pour les travailleurs qui sont touchés, les travailleurs qui sont au service du Canada depuis des décennies et même ceux qui sont à leur retraite; ils décident de dénoncer et de nous parler des traumatismes, de la douleur et des blessures qu’ils ont subis. Ces employés, victimes de la discrimination systémique et de notre échec à éliminer les obstacles à la pleine participation des employés noirs, à tous les niveaux, doivent être indemnisés et obtenir une réparation réelle.
Pour répondre à votre deuxième question, madame la vice-présidente, je vous demanderais de préciser. C’était au sujet du commissaire à l’équité noire.
La sénatrice Bernard : Vous avez tous les trois fait cette recommandation. Ce que je vous demande, c’est si vous pouvez dire au comité ce que cela signifie pour vous. Nous avons entendu le terme, mais supposons que nous ne savons pas ce que vous voulez dire. Qu’est-ce qu’un commissaire ou un commissariat à l’équité noire ferait?
Me Scher : Je serais heureux de m’exprimer sur le sujet, si cela vous était utile.
La sénatrice Bernard : Je pose la question à vous trois, alors si vous voulez prendre la parole, allez-y.
Me Scher : Je peux commencer, si vous le voulez bien.
Nous connaissons, d’après notre expérience au Parlement, l’efficacité de la vérificatrice générale du Canada et sa capacité d’examiner les systèmes, les politiques et les pratiques, la façon dont l’argent est dépensé, la façon dont les systèmes fonctionnent et comment on assure le bon fonctionnement des rouages du gouvernement, le cas échéant.
Il faut faire preuve du même sérieux lorsqu’il s’agit d’examiner, d’évaluer et de corriger les obstacles institutionnels et les obstacles systémiques qui empêchent la participation des personnes noires et la participation d’autres groupes de la fonction publique du gouvernement fédéral du Canada ainsi qu’à l’ensemble de la fonction publique et des systèmes de prestation de services fédéraux.
Respectueusement, je crois que la façon appropriée de faire cela serait de recourir à un expert qui aurait des connaissances spécialisées en racisme anti-Noirs ainsi que des pouvoirs et une autorité similaires à celles que la commission est censée avoir relativement aux examens de l’équité en matière d’emploi, mais qui a aussi la capacité d’examiner les systèmes, les politiques et les pratiques de l’ensemble de la fonction publique fédérale à travers la lentille de la diversité, de l’inclusion et de l’équité et la lentille du racisme anti-Noirs, et de charger cet expert d’évaluer la mesure dans laquelle les mandats et les objectifs mis de l’avant par le gouvernement pour chacun de ses ministères donnent, concrètement, des résultats mesurables. Puis, si ce n’est pas le cas, il devrait pouvoir prendre des mesures concrètes, sous forme de recommandations qui pourront ultimement être mises en œuvre et appliquées par l’intermédiaire du Parlement.
Voilà mon idée d’un commissaire à l’équité noire : il renforcerait la capacité du Canada de respecter ses obligations internationales, grâce à une évaluation et un examen concrets de ses politiques et pratiques nationales, menées dans le but de cerner les obstacles, de cerner les solutions mises en œuvre et de formuler des recommandations concrètes, tout comme le fait la vérificatrice générale, sur la façon dont ces obstacles que sont le racisme institutionnel et les problèmes systémiques peuvent être éliminés et corrigés.
Merci.
M. Thompson : J’ajouterais qu’il y a un grand manque de confiance envers la fonction publique, en particulier de la part des employés noirs, lorsqu’il s’agit d’une enquête ou des obstacles systémiques auxquels ils font face, peu importe, et une grande partie du problème — de la raison pour laquelle nous sommes incapables de corriger le racisme anti-Noirs — tient au fait que les dirigeants de la fonction publique qui ont commis des actes de discrimination et qui ont porté préjudice à leurs employés sont les mêmes dirigeants de la même fonction publique à qui le gouvernement a demandé de s’attaquer au problème. C’est pour cela, par exemple, que l’appel à l’action de la greffière du Conseil privé visant à parrainer, promouvoir et soutenir les employés noirs pour qu’ils accèdent à des postes de direction n’a jamais été mis en œuvre, parce que la Fonction publique du Canada ne croit pas qu’il existe un problème de racisme anti-Noirs. Toutes ces mesures ne sont, intrinsèquement, que du théâtre.
Donc, un commissaire à l’équité noire ferait exactement ce que Me Scher a dit. Nous envisageons une commission, entièrement financée et habilitée à surveiller la fonction publique, parce que nous ne croyons pas que la fonction publique peut se surveiller elle-même; ceux qui oppriment les travailleurs depuis des décennies ne peuvent pas être maintenant chargés de changer les choses. Nous voulons qu’il y ait une tierce partie neutre qui aurait la formation et l’expertise nécessaires pour s’attaquer à ces enjeux.
M. Sharpe : Je suis d’accord avec Me Scher et M. Thompson, quant à leurs recommandations.
J’ajouterais aussi, par rapport à la question que vous avez posée, sénatrice, que les gens pourraient avoir beaucoup d’idées différentes en ce qui concerne la forme que pourrait avoir le commissaire à l’équité noire.
Selon certains groupes avec lesquels nous avons discuté, le commissaire à l’équité noire pourrait aller plus loin que la seule fonction publique et pourrait examiner les diverses institutions et fonctions partout au Canada, parce que certains aspects de la Loi canadienne sur les droits de la personne n’englobent pas adéquatement la discrimination dans la prestation de services, par exemple. Nous ne voulons pas que certaines choses nous échappent parce que nous mettons l’accent strictement sur les organismes fédéraux.
Je pense que les gens savent que, si le racisme anti-Noirs est si profondément intégré à la trame même de notre pays, nous avons besoin d’une institution qui pourra surveiller la situation au cours des 20 ou 30 prochaines années; il faut quelque chose qui ne soit pas que du théâtre.
Je pense que beaucoup de gens craignent qu’un ordre du Parlement, visant à mettre quelque chose comme cela en place, un ordre du Parlement ne serait qu’un écran de fumée et que cela serait loin d’être aussi efficace que les gens le voudraient. C’est pour cette raison que, selon moi, il faut qu’il y ait, jusqu’à un certain point, un processus public, de la transparence et des mécanismes de reddition de comptes intégrés afin que cela soit réel.
Jusqu’à un certain point, nous imaginons un monde idéal, parce que nous demandons de mettre en place quelque chose qui n’a jamais été conçu, qui n’a jamais été imaginé, avant. Les Canadiens semblent reconnaître depuis tout récemment seulement que le racisme anti-Noirs existe, et il a fallu cet enjeu particulier avec la Commission canadienne des droits de la personne pour réveiller les gens — un peu comme la version gouvernementale de l’« effet Floyd » —, pour qu’ils réfléchissent à ce que nous pouvons faire en sortant des sentiers battus, sur le plan institutionnel, pour créer quelque chose qui ne soit pas du théâtre, un programme ou une activité, mais bien une institution vouée à la lutte contre ce problème et qui aura l’intention de poursuivre ce travail à long terme.
La sénatrice Omidvar : Je dois dire que je suis consternée par ce que j’entends. C’est malheureux, mais votre témoignage est convaincant. Merci d’être ici avec nous.
J’aimerais discuter spécifiquement du modèle d’accès direct. Vous en avez tous parlé. En 1992, j’ai coprésidé avec Mary Cornish le groupe d’étude du Code des droits de la personne de l’Ontario, et nous avons formulé exactement la même recommandation en disant qu’il faut un modèle d’accès direct pour servir le public. Nous avons aussi souligné dans nos recommandations que ce modèle d’accès direct n’enlève rien aux études sur les questions systémiques et aux examens.
La Colombie-Britannique a un modèle d’accès direct, et l’Ontario a aujourd’hui un modèle d’accès direct. Avez-vous des données qui montrent que ce qui se fait donne lieu à de réelles améliorations, ou est-ce encore, comme M. Sharpe l’a dit, du théâtre et non du concret?
Me Scher : Il y a quelques différences, et la raison en est que, dans ce modèle, les gens peuvent porter plainte directement et la décision est rendue directement, alors que ce n’est pas ce qui arrive dans le système actuel, parce que ce n’est pas la partie plaignante qui est directement responsable du dossier. En d’autres mots, le commissaire est le responsable du dossier, et c’est la commission qui prend la décision soit d’y donner suite, soit, comme souvent, de l’abandonner.
La sénatrice Omidvar : Avez-vous des données venant de la Colombie-Britannique ou de l’Ontario — même si c’est encore nouveau en Ontario — qui montrent que, de fait, les plaignants noirs dans le système ontarien ou britanno-colombien réussissent à se faire entendre et ont plus facilement accès?
Me Scher : Je dirais qu’il y a deux volets à la réponse : premièrement, en partie, oui, il y a et il y a eu un certain nombre d’affaires devant le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario où il était question de problèmes systémiques ou d’autres préoccupations relatives au racisme anti-Noirs. Toutefois, il arrive aussi, et c’est une préoccupation pour nous, que le tribunal lui-même crée ses propres mécanismes d’accès qui font en sorte soit que les plaintes seront automatiquement rejetées si on juge qu’elles ne satisfont pas à certaines exigences de base ou, autrement, soit que les dossiers seront rejetés sommairement, presque quotidiennement, dans le cadre du processus de demande. C’est un problème, et cela arrive de plus en plus souvent, mais, pour être honnête, c’est surtout un problème de gestion des ressources. Présentement, la commission — surtout maintenant, à l’époque post-COVID — est en train d’appliquer cela de facto, essentiellement, dans sa routine, pour presque toutes les plaintes qu’elle reçoit, parce que sa charge de travail et son arriéré sont trop lourds. Présentement, cela prend huit mois pour déposer une plainte auprès du tribunal de l’Ontario.
La sénatrice Omidvar : Ce qui me préoccupe, si on recommande un modèle d’accès direct sans dire précisément que ces activités doivent être correctement financées, nous irons au‑devant d’autres défis et problèmes. Seriez-vous d’accord pour dire que, si un modèle d’accès direct était mis en œuvre, le gouvernement fédéral devrait le financer adéquatement?
Me Scher : Il serait totalement inefficace autrement, je suis d’accord avec vous.
La sénatrice Omidvar : Monsieur Sharpe, j’ai une question pour vous. Vous avez parlé du racisme anti-Noirs vécu dans la fonction publique. D’après votre expérience, et celle de votre réseau, ce racisme est-il ouvert ou caché? Les gouvernements maîtrisent un vocabulaire, des protocoles et des processus si complexes qu’il est difficile de s’y retrouver, mais le problème demeure. Quelle forme de racisme vos membres ont-ils vécue?
M. Sharpe : Dans la fonction publique fédérale, l’exclusion, le refus des possibilités d’avancement et le racisme sont très subtils, mais ils sont intégrés à des processus qui semblent normalisés et génériques. Pour dire les choses simplement, nous écartons de nos processus les personnes à la peau noire ou brune et les personnes racisées, pour ensuite nous demander pourquoi nos processus ne permettent pas d’embaucher des personnes à la peau noire ou brune ou pourquoi celles-ci ne réussissent pas à grimper les échelons.
Nous fixons des normes d’embauche qui sont souvent fondées sur un archétype, celui d’une personne venant d’un certain milieu socioéconomique, et souvent de race blanche, avec les cheveux blonds et les yeux bleus. C’est l’archétype du fonctionnaire modèle.
Quelqu’un comme moi, avec mes cheveux, n’est pas vu comme quelqu’un qui convient pour certains rôles, en particulier les rôles de direction. Pour dire les choses simplement et carrément, vous avez tout à fait raison : c’est très subtil, mais c’est aussi très normalisé. C’est ce que les Nations unies ont déclaré dans leur rapport au Canada, après avoir évalué la situation des gens d’ascendance africaine ici en 2015 et en 2016. C’est tellement normalisé que les gens ne le reconnaissent pas.
Quand je parle de l’inclusion des personnes noires dans la fonction publique, je parle d’examiner tous nos processus : les processus des ressources humaines, de gestion et de sensibilisation.
La sénatrice Omidvar : J’aimerais poser une question à M. Thompson, avant que notre très auguste présidente ne m’interrompe. Monsieur Thompson, à votre avis, la formation sur les préjugés inconscients fonctionne-t-elle?
M. Thompson : Merci de m’avoir posé la question la plus difficile, sénatrice.
Le problème, c’est que l’expression « préjugés inconscients » est maintenant utilisée comme une « excuse » pour le racisme et la discrimination. Je ne savais pas que c’était de la discrimination. Je ne le savais pas. C’était un préjugé inconscient. Eh bien, cela ne fait que perpétuer la discrimination et la violence et les préjudices contre les Canadiens noirs, dans ce cas précis, au gouvernement fédéral.
La sénatrice Omidvar : Merci.
Le sénateur Arnot : Merci, madame la présidente. J’ai deux questions. La première s’adresse aux trois témoins. Vous avez brossé un portrait très sombre de la situation de la Commission canadienne des droits de la personne. C’est un échec honteux. Elle a failli lamentablement, comme Me Scher l’a dit.
Votre idée est d’enlever son travail à la commission et de lui permettre uniquement de mener des activités de sensibilisation ou d’entreprendre des recours collectifs. Pourquoi croyez-vous que cette organisation pourrait alors faire mieux que ce qu’elle a fait jusqu’ici pour protéger et promouvoir les droits de la personne? J’ai été choqué de vous l’entendre dire. Il me semble qu’il n’y a pas vraiment moyen de réparer ce qui est tellement brisé et si profondément ancré dans les préjugés, qu’il s’agisse de préjugés conscients ou inconscients. Voilà pour la première question.
Deuxièmement, je voulais donner suite à ce que Me Scher a dit, et je voulais aussi m’assurer d’avoir bien compris. Maître Scher, vous dites que nous pourrions utiliser le poste de vérificateur général comme modèle. La vérificatrice générale est une agente indépendante du Parlement. Sa caractéristique principale est qu’elle rend compte au Sénat et à la Chambre des communes, les deux Chambres du Parlement, c’est-à-dire l’organe législatif du gouvernement et non pas à l’organe exécutif, et je pense que c’est une distinction importante. J’aime bien le modèle que vous avez proposé.
Vous envisagez cela comme une entité ayant une fonction de sensibilisation, peut-être une fonction de médiation, mais certainement une fonction d’enquête, d’assurance de la conformité et de reddition de comptes et une grande fonction de sensibilisation publique, si je comprends bien. Je crois que vous êtes sur la bonne piste.
Il y a une notion fondamentale qui veut que, si quelque chose n’est pas mesuré, rien ne va se faire, ce qui veut dire qu’un commissaire à l’équité noire, pour faire son travail, devra rendre des comptes rigoureusement et aussi avoir un financement considérable et un mandat robuste.
J’aimerais que les trois témoins répondent à cette question. Est-ce bien ce que vous proposez?
Me Scher : Oui, monsieur. Vous avez parfaitement résumé ma recommandation. Je pense qu’il est important que le commissaire rende des comptes directement au Parlement et il y aura, je crois, un certain niveau de reddition de comptes à l’organe exécutif, dans ce contexte. Il y a aussi, comme vous l’avez dit, un mécanisme et une mesure de sensibilisation et de reddition de comptes, à la fois dans les médias, dans un forum parlementaire public et ailleurs, et aussi par l’intermédiaire des rapports au Parlement.
Ce sont des éléments utiles. Il y a certainement eu des rapports de la vérificatrice générale efficaces, qui ont véritablement permis de mesurer la responsabilité et les changements accomplis. À mon avis, c’est le seul mécanisme qui, parmi les mécanismes existants, permettrait d’éradiquer les préjudices et d’avoir le niveau de reddition de comptes requis. Voilà pour la première question.
Pour répondre à votre deuxième question, nous avons une deuxième recommandation, et je suis d’accord avec vous. Comme je l’ai dit d’entrée de jeu, la Commission des droits de la personne, dans sa forme actuelle, est irrécupérable. C’est la première chose que j’ai dite — mais ce n’est pas qu’un mot. C’est une réalité, tout d’abord.
Ensuite, ce que l’Ontario a fait, c’est effectivement changer le mandat de la commission. De nouvelles personnes accomplissent de nouvelles fonctions, alors c’est une nouvelle entité, à présent. C’est une entité qui est véritablement axée davantage sur la sensibilisation et l’information et, occasionnellement, qui intervient pour aider les parties plaignantes, mais elle ne joue plus de rôle directeur. Dans la mesure où il pourrait y avoir un mandat ciblé, avec un budget ciblé et un personnel vraiment spécialisé — par exemple, pour traiter les plaintes de discrimination systémique —, cela dépasse dans la plupart des cas la portée et la capacité de la plupart des gens et, franchement, de bon nombre d’organisations, simplement à cause du coût. C’est une chose.
Mais il n’y a rien de garanti. À moins de modifier en profondeur la structure organisationnelle, le personnel et le mandat de ce genre de commission, je suis d’accord avec vous pour dire que l’organisation serait inefficace, elle serait incapable d’accomplir le mandat que je propose. Il faudrait moderniser la commission de A à Z, et cela ne ressemble en rien à ce que nous avons actuellement.
Le sénateur Arnot : Merci. J’aimerais que les autres témoins s’expriment eux aussi.
M. Thompson : Je n’ai rien à ajouter à ce que Me Scher a dit à ce sujet.
M. Sharpe : Oui, cela a été un échec. L’échec est dû en partie à la fonction, mais aussi aux gens. Quand des gens qui ont un certain profil démographique dirigent une entité, ont comblé tous les postes et traité les plaintes, mais qu’ils n’ont aucune compréhension de la diversité des personnes noires et racisées du pays et de ce qu’elles vivent, alors vous n’arriverez pas à répondre aux besoins de ces personnes.
Je pense qu’un tel changement précipiterait toute cette notion de veiller à intégrer maintenant de la transparence et de la reddition de comptes, de façon à refléter la mosaïque canadienne. Cela est impossible, présentement, parce que ce sont toujours les mêmes personnes. Elles ne voient aucun problème avec la commission; tout ce qu’elles essaient de faire, c’est la peaufiner. Les choses sont ce qu’elles sont. Il faut vraiment une modernisation fondamentale, si nous voulons nous assurer que ce sont les bonnes personnes, les personnes qui comprennent ce que c’est, la lutte contre l’oppression et contre le racisme, et qui ont vécu cela. Je pense que si ces personnes reflètent le Canada avec toutes ses imperfections, alors nous aurons une institution parfaite pour traiter les problèmes liés aux droits de la personne dans notre pays.
Le sénateur Arnot : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Madame la présidente, quand j’écoute les témoins qui sont passés et que je vous écoute, j’ai l’impression que la confiance envers la Commission canadienne des droits de la personne est brisée. Il y a beaucoup de rejets de plaintes, des retards incroyables, les victimes attendent un temps fou pour avoir accès à des réparations.
Faites-vous encore confiance à la Commission canadienne des droits de la personne, réellement? Si oui, quel est le genre de réforme qu’il faudrait?
Si vous considérez l’option de choisir un commissaire à l’équité pour les Noirs, est-ce que vous envisagez d’avoir les deux en même temps, c’est-à-dire de réformer éventuellement la commission, mais de garder un commissaire qui aurait un accès direct aux plaignants? Comment voyez-vous cela?
Est-ce qu’on maintient ou on réforme la commission, ou alors on l’oublie et on la laisse tomber parce qu’elle est ce qu’elle est et ce qu’on constate? Comment voyez-vous les choses?
[Traduction]
Me Scher : Ce serait important que la commission cesse ses activités par rapport à son mandat, présentement, et de prévoir une phase de transition pendant la mise en œuvre du modèle de tribunal. Nous avons les recommandations du rapport La Forest, que j’ai annexées à mon mémoire. Elles remontent à l’année 2000. Nous avons l’exemple du rapport Cornish de l’Ontario, qui a permis, au bout du compte, la mise en œuvre en 2008 du tribunal de l’Ontario. Aussi, il y a ce qui se fait en Colombie-Britannique. Donc, ce n’est pas comme si nous n’avions aucun exemple de la manière de faire.
Effectivement, il faudra peut-être une certaine période de transition, mais je ne pense pas que la situation actuelle est soutenable. Il doit y avoir une transition rapide pour que nous puissions, d’abord, mettre en place un modèle de tribunal et, ensuite, comme vous l’avez dit, mettre fin au modèle actuel de la commission, afin de la réformer et de la remplacer par un autre modèle, avec des ressources, une structure et un mandat différents, comme j’ai tenté de le décrire plus tôt.
M. Thompson : Merci. Sénatrice, pour dire les choses très clairement, nous n’avons absolument aucune confiance en la capacité de la Commission canadienne des droits de la personne de rendre justice et d’accomplir son mandat. Elle a démontré son incapacité pendant des dizaines d’années. Elle s’est tout particulièrement avérée incapable d’aider les Canadiens noirs dans l’accomplissement de son mandat en vertu de la loi. La seule façon d’aller de l’avant est d’avoir ce modèle d’accès direct en plus d’autres recours systémiques, comme des amendements à la Loi sur l’équité en matière d’emploi et d’autres mesures de reddition de comptes, comme le commissaire à l’équité noire. Mais je dois le répéter : nous n’avons aucune confiance envers la Commission canadienne des droits de la personne. Merci.
M. Sharpe : Oui. Je souscris aux commentaires de mes collègues ici présents, mais, encore une fois, je dois revenir à mes propres commentaires. Je ne pense pas qu’il s’agit uniquement d’un échec de la Commission canadienne des droits de la personne. Il s’agit d’un échec institutionnel, d’un échec de toutes les institutions qui ont permis à la Commission canadienne des droits de la personne de continuer de faire ce qu’elle faisait, c’est-à-dire ne pas servir les Canadiens, les communautés noires et racisées, pendant des décennies.
Cela fait des décennies que les Canadiens dénoncent ce fait aux chefs et aux fonctionnaires. Le fait que cela a pu continuer met en relief la nécessité de réaliser un examen ou une sorte d’étude ou une enquête nationale afin de pouvoir observer les manifestations du racisme anti-Noirs et la façon dont il se perpétue à l’échelle des institutions. Si tout ce que nous faisons, c’est utiliser la Commission canadienne des droits de la personne comme bouc émissaire — on la sacrifie, on la montre du doigt, puis on règle le problème —, et si nous pensons un seul instant que cela va éliminer le racisme anti-Noirs et corriger le problème au gouvernement du Canada et pour nous tous en tant que Canadiens, nous nous trompons magistralement. Nous devons voir le tableau d’ensemble. Il suffit de suivre la trace écrite — et je m’assurais qu’il n’y ait aucune trace écrite lorsque je faisais affaire avec le gouvernement, à mon époque —, mais, si vous remontez jusqu’aux chefs, vous constaterez que tout le monde était au courant de ce qui se faisait, et qu’il s’agissait d’échecs profonds de la part des institutions. Nous avons besoin d’une intervention globale pour lutter contre cela, sinon vous allez tout simplement vous retrouver avec quelque chose de similaire, dans un autre ministère.
Effectivement, nous pouvons envisager de réformer cette organisation, mais le véritable problème ne vient pas d’elle. Le problème tient à la façon dont nous considérons les personnes noires dans notre pays et que nous manquons d’ambition dans nos efforts pour corriger le préjudice générationnel que nous observons dans toutes ces différentes disciplines. C’est une question pour une autre réunion du Sénat, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, le fait que la situation des personnes noires se détériore à chaque génération dans notre pays. Ce n’est pas seulement la faute de la commission; il nous incombe, à nous et à mes enfants de faire quelque chose, et à ma fille qui est ici. Notre avenir — son avenir — est menacé, ici, dans notre pays, alors je dois y réfléchir longtemps et profondément. Je pense que la discussion doit être plus large. Nous devons être plus ambitieux si nous voulons régler le problème; nous ne devons pas nous occuper uniquement de la commission; nous devons nous occuper de toutes les institutions qui ont une incidence sur la vie des personnes noires.
Me Scher : J’aimerais faire un commentaire à ce sujet, si vous me le permettez. Certains disent que le Canada a l’un des meilleurs modèles d’arbitrage en matière de droits de la personne au monde, en théorie. Mais c’est aussi le cas de la Russie, de la Chine et des autres régimes d’il y a des années. Mais la réalité, c’est que ces pays n’ont pas le meilleur modèle, et qu’ils ne travaillent pas pour résoudre les problèmes liés au racisme institutionnel et aux obstacles systémiques et pour mettre en place un système permettant de réparer les vrais préjudices infligés à ces communautés. Ce n’est pas suffisant d’avoir des politiques et des objectifs, s’il n’y a pas de résultats mesurables. Mais nous, nous avons des résultats mesurables, et ils reflètent notre échec lamentable.
La présidente : Merci. Je doute que nous ayons le temps pour un deuxième tour. À dire vrai, je suis désolée de vous l’annoncer, mais notre pause de 20 minutes sera maintenant une pause de 10 minutes; toutefois, les témoignages que nous entendons sont vraiment intéressants. J’aurais aimé avoir plus de temps.
Maître Scher, je suis d’accord avec vous. Nous pouvons avoir toutes les politiques que nous voulons sur papier, mais, si elles ne sont pas mises en œuvre, elles sont inutiles. Merci de l’avoir souligné.
J’aimerais discuter du Plan d’action de lutte contre le racisme : Rapport d’étape, que la commission a publié en octobre 2022. Ce document présente les mesures que la commission a prises dans le cadre de son plan initial, les résultats obtenus et les mesures futures. Quelle est votre évaluation de ce plan, et quels ont été les résultats, à l’externe et à l’interne?
M. Thompson : J’ai consulté le plan et le rapport, et le rapport illustre les lacunes évidentes du système. Par exemple, il est indiqué dans le rapport que la Commission a atteint toutes ses cibles d’équité en matière d’emploi. Rien d’autre.
Me Scher : Je pense que cela montre encore une fois que nous avons des objectifs clairement définis et une trace écrite qui reflète ces objectifs, mais que les résultats ne sont pas réellement mesurés et qu’aucune mesure efficace n’est prise pour éviter que ce qui est omis ne soit pas rattrapé. Concrètement, c’est une tentative de cacher la réalité de ce que vivent les Canadiens noirs, à la commission, et d’autres personnes. Cela ne se limite pas aux Canadiens noirs.
Pourrais-je vous donner rapidement un exemple du problème? J’ai représenté une dame handicapée devant la commission. Sa plainte avait été déposée initialement en 2000 contre le Canadien National, pour défaut de prendre des mesures d’adaptation pour une personne en situation de handicap. Elle a perdu son emploi en 2005, cinq ans après le début du processus d’enquête sur la plainte. Dans son premier rapport, la Commission des droits de la personne a rendu des conclusions défavorables à l’égard de ma cliente quant à toutes les questions de fait et de droit, puis elle a rejeté la plainte. Nous avons demandé un contrôle judiciaire du dossier, et, un an plus tard, la Cour fédérale a donné raison à la commission. J’ai interjeté appel à un tribunal composé de trois juges de la Cour d’appel fédérale, et deux ans plus tard, ce tribunal de trois juges a examiné nos arguments : nous avons dit qu’il y avait eu un manque de rigueur et un manque d’exhaustivité, qu’on n’avait pas répondu aux 15 points qui, comme nous l’avions signalé, avaient été ignorés lors de l’enquête, et il a ordonné que l’affaire soit renvoyée à un nouvel enquêteur. Ensuite, une enquête a été réalisée, et on a tranché en faveur de ma cliente sur toutes les questions de fait et de droit, et il a été recommandé que l’affaire soit renvoyée au tribunal. Cependant, son employeur a alors demandé un contrôle judiciaire du processus, alléguant que trop de temps s’était écoulé et qu’une audience équitable n’était plus possible.
Depuis, il y a eu un processus d’audience, après le processus de la Cour d’appel fédérale, et cela a pris une autre année avant qu’il ne commence. Le processus s’est déroulé sur une période de deux à trois ans, avec des journées de séances ici et là. Les conclusions finales ont été présentées en octobre 2019. Nous sommes maintenant en avril 2023, et aucune décision n’a encore été rendue. Le temps écoulé depuis le début de l’affaire a nui à l’argument principal de la défense. Les conclusions finales remontent à trois ans maintenant, et nous n’avons toujours pas de décision. Comment serait-il possible d’examiner réellement une décision défavorable, trois ans après les conclusions finales, et de 15 à 20 ans après l’incident initial qui a donné lieu à la plainte? Le système est brisé et irréparable, respectueusement.
M. Sharpe : J’ai passé la majeure partie de ma carrière dans la fonction publique à élaborer des cadres de mesure du rendement pour l’un des plus importants ministères de la fonction publique fédérale. Nous pouvons développer beaucoup de cadres et de plans d’action qui ne donnent absolument rien. Nous devons nous assurer, quand nous élaborons ces cadres, de définir les résultats précis que nous voulons atteindre, et, quand nous atteignons ces résultats, nous devons utiliser les cadres pour mesurer notre réussite. Après trois ans à élaborer un cadre, quels sont les résultats pour les Canadiens noirs et racisés? Quels sont les résultats visés? Comment allons-nous les atteindre?
Je dis cela, parce que certaines de nos institutions aiment élaborer des cadres et des plans d’action, sans pour autant chercher à obtenir des résultats pour les Canadiens. J’aime mieux me concentrer sur les résultats, puis faire le travail en sens inverse pour élaborer un cadre. J’imagine que c’est ce que je fais aujourd’hui dans mon travail, et c’est plus satisfaisant quand nous obtenons réellement des résultats pour les gens.
La présidente : Je ne sais pas combien parmi vous peuvent voir la sénatrice Omidvar qui me supplie, littéralement. Comment pourrais-je refuser? Soyez brève.
La sénatrice Omidvar : Vous avez demandé d’arrêter et de révoquer le mandat de la Commission canadienne des droits de la personne, parce que vous ne lui faites pas confiance. Croyez-vous que d’autres groupes de personnes racisées se rallient à votre recommandation?
Me Scher : Je dirais que oui, mais je pense que leur expérience est fondamentalement différente de l’expérience unique des Canadiens noirs, par rapport à ce qu’ils ont vécu dans le passé et de l’expérience générale des Canadiens noirs qui ont vécu du racisme anti-Noirs dans le passé et dans toutes nos institutions modernes. Je pense que leur expérience est différente.
Un argument similaire a été invoqué par rapport à la Loi sur l’équité en matière d’emploi, au sujet de la catégorie des minorités visibles. Il y a dans cette catégorie certains groupes ethniques qui obtiennent de meilleurs résultats, alors, quand vous les regroupez tous ensemble, vous obtenez un portrait déformé de la réalité. C’est ce que le gouvernement fait depuis toujours. Il les regroupe tous ensemble pour faire croire que les résultats sont meilleurs qu’ils ne le sont en réalité. Par exemple, par rapport au taux de promotion, il y a eu en 2019 une étude sur le taux de promotion à l’échelle de la fonction publique fédérale sur une période de 27 ans. Au cours de la période de 10 ans durant laquelle les données ont été recueillies pour cette étude, au sujet du sous-groupe des Canadiens noirs, l’écart au chapitre du taux de promotion était de -4,8 % pour les Canadiens noirs dans la fonction publique par rapport à tous les autres. C’est une démarcation claire. Malgré tout, le gouvernement et les études laissent entendre qu’il n’y a rien à y voir, et ils ne donnent pas les données du sous-groupe, prétextant que cela ne fait pas partie du mandat de la loi.
Respectueusement, cela va fondamentalement à l’encontre du but réel de l’équité en matière d’emploi, qui est de cerner et d’éliminer les obstacles à la pleine participation de tous les groupes visés par la loi, et cela illustre aussi la nécessité d’avoir un objectif précis pour les Canadiens noirs, compte tenu de leur expérience et de leur passé, et du besoin de s’assurer d’obtenir des résultats mesurables, favorables et positifs, au lieu de simplement balayer tout cela sous le tapis.
La présidente : Merci, maître Scher.
Monsieur Sharpe, je vous demanderais de répondre très rapidement, parce que mon autre collègue me supplie. Chers collègues, voici ce qui va arriver : notre pause de 20 minutes, qui était devenue une pause de 10 minutes, sera maintenant une pause de 3 minutes. Je vais tout de même laisser la sénatrice Gerba poser sa question.
M. Sharpe : Je tiens tout de même à dire que j’ai beaucoup de respect pour tout cela, madame la présidente.
Les mots d’un ancien collègue, M. Martin Nicholas, me reviennent à l’esprit. Nous avons quelque chose au Canada qui s’appelle l’égalité réelle. La notion d’égalité réelle fait que nous pouvons ventiler les données, entendre les voix des gens et examiner les données d’un sous-groupe des groupes visés par l’équité en matière d’emploi, c’est-à-dire les personnes noires. Donc, en effet, avec tout le respect que je dois aux autres groupes, les données et l’expérience vécues montrent que — peu importe ce que disent les autres groupes —, en ce qui concerne les communautés noires au pays, le système — le système de la commission — ne fonctionne pas. Je ne pense pas qu’il était jamais censé fonctionner pour nous. Donc, le démolir et le reconstruire est absolument nécessaire, si nous voulons que ces communautés fassent à nouveau confiance à ces systèmes.
La présidente : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Vous êtes avocat, syndicaliste et fonctionnaire. Il existe des formulaires de déclaration volontaire qui permettent de divulguer sa race, son ethnie et son sexe, et beaucoup de gens sont contre ces déclarations.
Quel est votre point de vue au sujet du recrutement et des promotions? Est-ce que c’est utile ou est-ce que c’est discriminatoire?
[Traduction]
Me Scher : Je dirais que je ne crois pas que c’est discriminatoire. Je pense que c’est important et essentiel, si l’on veut définir la nature du groupe et ses expériences particulières, qu’il s’agisse de personnes noires, de personnes sud-asiatiques ou de personnes en situation de handicap. Si le groupe n’est pas défini, c’est difficile de le surveiller et de mesurer les résultats de façon concrète. Cela permet aussi d’élaborer des politiques et donc de s’assurer que des mesures peuvent être mises en place pour répondre à des besoins précis, pour cerner les obstacles spécifiques et pour essayer de corriger et d’éliminer les obstacles, dans le cadre d’un processus visant à éliminer ces obstacles.
Je pense que c’est essentiel. Je ne vois pas d’autres moyens. Pour ces raisons, je ne pense pas qu’il y aurait une autre solution.
M. Thompson : Il est absolument nécessaire de recueillir des données. La difficulté, c’est que dans le passé, elles étaient utilisées d’une façon discriminatoire. Donc, il y a un manque de confiance par rapport à la collecte et à la façon dont les données ventilées sont utilisées, mais elles sont absolument nécessaires si nous voulons comprendre la situation de chaque groupe, quels groupes ont besoin d’un peu d’aide et quels groupes ont besoin de beaucoup d’aide. C’est crucial, mais la confiance est un facteur extrêmement important au moment de faire cette déclaration. Des travailleurs m’ont dit qu’ils refusent de remplir ces formulaires parce qu’ils ne veulent pas être identifiés. Ils ne veulent subir aucune forme de discrimination, parce que c’est ce qu’ils ont vécu.
M. Sharpe : Oui, cette idée me hante depuis longtemps.
Oui, nous avons besoin de recueillir des données sociodémographiques et des données sur l’équité en matière d’emploi. Cependant, toute cette notion d’auto-identification est tout à fait incorrecte. Les gens ont l’impression de faire quelque chose de mal. Ils ont l’impression de se rendre vulnérables. Cela se reflète dans le faible nombre de gens qui décident de s’auto-identifier dans les organisations fédérales.
Par rapport au désir de ne pas être identifié, je dis souvent — et je sais que ce n’est pas la même chose pour les autres groupes en quête d’équité — que, même si je ne m’identifie pas comme une personne noire ou racisée, les gens vont tout de même me voir comme tel. Je reste noir, et je vais tout de même subir de la discrimination à cause de la couleur de ma peau, que je me sois auto-identifié ou pas, mais, si je veux me prévaloir des mesures positives pour soutenir mon avancement professionnel, je dois cocher une case, même si cela me rend mal à l’aise de la cocher. Quoi qu’il en soit, je subirai tout de même de la discrimination, parce que les gens peuvent me voir.
Je le répète, c’est un autre sujet de discussion, mais je pense que nous devons trouver de nouvelles façons de quantifier l’existence et la participation des personnes racisées dans nos milieux de travail. Je pense que l’auto-identification s’est avérée un échec complet. Je sais qu’il y a eu des discussions avec Statistique Canada au fil des ans, qu’on a parlé d’utiliser le recensement et des modèles démographiques pour nous aider à déterminer le nombre de ces personnes et où elles travaillent. Cependant, ces outils demandent temps et effort. Malgré tout, je pense que nous pouvons le faire. Nous sommes suffisamment créatifs. Nous sommes des êtres humains. Nous créons constamment. Mais l’auto-identification est une chose qui, inévitablement, nous laissera toujours pour compte. Comme il n’y a pas suffisamment de gens qui s’auto-identifient, et comme nous ne pouvons pas les comptabiliser adéquatement, et nous continuons de faire ce que nous avons toujours fait.
Très concrètement, c’est un cas où nous devons créer quelque chose de différent. Nous devons être créatifs et utiliser les technologies à notre disposition pour moderniser... comme nous le faisons avec la commission. Je pense que nous allons moderniser la commission, mais nous allons devoir moderniser la notion de l’auto-identification, de façon à ce que ce soit davantage qu’une méthode de collecte de données et de façon à pouvoir quantifier la participation des gens au travail, sans avoir à les obliger à se sentir vulnérables parce qu’ils ont été obligés de cocher une case.
Me Scher : J’aimerais faire un dernier commentaire, parce que je pense que c’est important. Cela ne concerne pas uniquement l’auto-identification; cela me rappelle ce qui s’est passé avec l’équité en matière d’emploi en Ontario. Quand nous avions, par exemple, des cibles d’embauche pour des groupes ethniques en particulier et qu’il y avait un besoin d’identification à cet égard, il y avait une perception selon laquelle, d’une façon ou d’une autre, les gens appartenant à ces groupes faisaient l’objet d’un traitement de faveur au détriment des autres. Autrement dit, il y avait une perception selon laquelle les personnes noires prenaient des postes qui, autrement, auraient été offerts à d’autres, y compris les personnes blanches, et que les personnes blanches se voyaient fermer la porte au nez.
C’est une perception qui soulève de graves préoccupations. Ce sont des préoccupations, réelles et graves, qui doivent être dissipées. Je pense que ces préoccupations vont de pair avec la notion d’auto-identification quant à la façon dont l’équité en matière d’emploi et l’égalité réelle sont comprises et sont appliquées au Canada; cela ne se résume pas uniquement à une notion ou à une politique sur papier.
J’espère que cela vous aidera aussi. Merci.
La présidente : Merci de votre témoignage, messieurs. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion. Votre témoignage nous aidera à rédiger notre rapport et à formuler nos recommandations. Nous avons été très satisfaits de notre étude ponctuelle, la dernière fois, alors j’espère que celle-ci donnera d’aussi bons résultats.
Sénatrices et sénateurs, merci. Notre prochain témoin attend. Merci beaucoup.
Sénatrices et sénateurs, pour la quatrième partie de la réunion, nous avons avons demandé à notre témoin de présenter une déclaration préliminaire de cinq minutes. Nous allons écouter le témoin, puis nous passerons aux questions. Nous accueillons aujourd’hui, par vidéoconférence, M. Faisal Bhabha, professeur adjoint, École de droit Osgoode Hall, de l’Université York.
Monsieur Bhabha, je vous invite à nous présenter votre exposé.
Faisal Bhabha, professeur adjoint, École de droit Osgoode Hall, Université York, à titre personnel : Merci beaucoup. Je vous suis reconnaissant de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui devant vous, honorables sénatrices et sénateurs, et à comparaître devant votre comité.
Quand j’ai commencé ma carrière en tant qu’avocat en droit de la personne à Toronto, il y a 20 ans, bon nombre de mes collègues et mentors m’ont dit que ma carrière n’aboutirait à rien, parce que les dommages-intérêts dans les affaires de droits de la personne sont trop bas, que les dépens sont pour ainsi dire inexistants et que l’accès à l’arbitrage est lent et semé d’embûches. C’était précisément les critiques qui étaient dirigées contre le système ontarien des droits de la personne, à cette époque, mais c’était aussi le reflet de la situation générale, de la réalité. C’est triste à dire, mais cette réalité demeure la même, jusqu’à un certain point, aujourd’hui; il y a cette idée que le système judiciaire, en ce qui a trait aux droits de la personne, n’offre qu’un moyen très fragile et très restreint d’obtenir réparation, lorsqu’il y a discrimination, pour la plupart des gens qui en ont besoin, et surtout pour les gens qui en ont le plus besoin.
Vos réunions, d’après ce que je comprends, concernent un problème précis, soit les difficultés d’identifier la discrimination raciale, mais, d’après ce que j’en comprends, cela s’inscrit dans le problème plus vaste du sous-financement des organismes de défense des droits de la personne.
En 2006, j’ai quitté la pratique du droit pour faire des études supérieures aux États-Unis. Quand je suis revenu, j’ai été nommé au tout nouveau Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, un mécanisme d’accès direct, qui a commencé ses activités en 2008. J’ai occupé le poste de vice-président pendant trois ans là‑bas, jouant le rôle de médiateur et d’arbitre dans des affaires portées directement devant le tribunal par les parties plaignantes.
La très grande majorité des parties dans ces affaires n’étaient pas représentées. Ces personnes n’avaient pas d’avocat, elles n’avaient pas de Commission des droits de la personne. Elles étaient seules. Malgré tout, elles ont eu un certain accès réel à la justice.
Depuis 2011, je suis professeur à temps plein à l’École de droit Osgoode Hall, où j’enseigne les droits de la personne, le droit constitutionnel, le droit du travail et l’éthique juridique. Cela fait plus d’une décennie que j’ai quitté le système des droits de la personne de l’Ontario, mais j’ai tout de même continué à l’observer et à l’étudier.
Pour moi, 15 ans après le début de l’expérience du système d’accès direct, il est évident que les critiques persistantes que j’ai mentionnées plus tôt demeurent d’actualité : premièrement, même si le plafond des dommages-intérêts prévus par la loi a été retiré, les dommages-intérêts dans les affaires de droits de la personne sont perçus comme étant trop bas, et ils sont même comparativement moins élevés que d’autres affaires analogues tranchées par la cour, par exemple les poursuites en justice pour congédiement injustifié ou pour préjudice corporel. On peut chercher des explications un peu partout, mais le fait est que les dommages-intérêts dans les affaires de droits de la personne sont moins élevés, ce qui entraîne cette perception selon laquelle nos institutions juridiques ne prennent pas les violations des droits de la personne aussi au sérieux que les autres transgressions civiles.
La deuxième critique persistante concerne les importants obstacles pratiques qui se dressent quand on veut avoir une audience. Voici le point important : l’accès direct à un tribunal, c’est-à-dire l’élimination des obstacles à l’accès, ne garantit pas nécessairement un accès facile, même pour les cas où l’arbitrage serait le plus nécessaire. Il est parfois tentant de penser que, simplement en éliminant l’obstacle, la commission, et en donnant un accès direct à un tribunal, cela permettra d’accroître la représentation dans les audiences du tribunal.
Mais on ne peut pas régler les défis de la représentation en changeant la conception du système. Les mêmes obstacles structurels continuent d’exister et font en sorte qu’il peut être difficile d’identifier et de corriger certains types de discrimination. Par exemple, nous pouvons voir comment les cas d’islamophobie vécus dans la société canadienne depuis 2001 — un phénomène bien documenté en sciences sociales — sont pour ainsi dire invisibles dans la jurisprudence des droits de la personne. En 2005, la Commission ontarienne des droits de la personne a déclaré que l’islamophobie était une forme émergente de discrimination raciale, et pourtant, 20 ans plus tard, très peu a été fait, du moins à l’échelon du tribunal et de la commission, pour créer une jurisprudence permettant de défendre les principes de la lutte contre la discrimination pour les Canadiens musulmans.
Le problème, de mon point de vue, tient à la volonté et à la capacité de l’institution de reconnaître que l’expérience vécue par certains groupes racisés est de la discrimination.
L’incapacité de nos organisations des droits de la personne, que ce soit une commission ou un tribunal, de reconnaître le racisme découle d’une combinaison d’au moins deux choses : premièrement, les limites de sa perception; et deuxièmement, les restrictions procédurales. En ce qui a trait aux limites de sa perception, je parle de sa compréhension restreinte des formes et des visages du racisme et de son fonctionnement. Si la perception ne change pas, il est impossible d’identifier correctement la discrimination raciale.
Les restrictions procédurales liées au fait que l’on s’attend habituellement à ce qu’il y ait des éléments de preuve objectifs, lors des procédures juridiques officielles, tandis que dans la réalité, dans la plupart des cas de discrimination raciale, de tels éléments de preuve objectifs sont tout simplement inexistants.
Voici une autre façon de dire les choses : la discrimination raciale n’est pas le fait des seuls racistes. Souvent, la discrimination raciale est le résultat de procédures et de systèmes multidimensionnels ainsi que des préjugés inconscients et non intentionnels des gens. Si vous cherchez des racistes pour prouver le racisme, vous risquez de chercher midi à quatorze heures et de passer à côté de ce que vivent réellement les gens qui sont victimes de racisme.
Par rapport à ce qui a été fait en Ontario, je ne sais pas clairement, d’après les données, si un accès direct à un tribunal des droits de la personne est un meilleur modèle pour l’arbitrage des plaintes en matière de droits de la personne que le système de la commission. Je ne dis pas que le système de la commission est nécessairement mieux; ce que je dis, c’est que je ne sais pas clairement si les résultats du système dépendent vraiment de sa conception.
Par conséquent, ce qui est clair, c’est que le modèle d’accès direct ne peut pas, à lui seul, résoudre le problème de l’accès à la justice. L’accès direct au tribunal ne garantit pas une meilleure jurisprudence. Au bout du compte, vous pourriez avoir aussi peu de cas de discrimination raciale dans le modèle d’accès direct, parce que l’accès direct crée de nouveaux obstacles, comme la non-représentation et le fait que les personnes concernées sont incapables de s’y retrouver sans aide dans un organisme quasi judiciaire.
Pour bien des gens, la perte d’un processus par une commission signifie la perte de tout accès. De plus, les vieux obstacles ne vont pas disparaître tout bonnement si l’on adopte un modèle d’accès direct. L’incapacité des institutions à identifier des affaires viables de discrimination raciale et à leur donner suite va probablement être remplacée par un tribunal incapable de trouver suffisamment d’éléments de preuve crédibles de discrimination ou incapable de faire les déductions nécessaires pour conclure qu’il y a effectivement eu discrimination. Cela est susceptible de créer des versions différentes des mêmes questions qu’étudie le comité aujourd’hui, en plus de miner davantage la confiance du public.
Je vais conclure en disant que, peu importe que vous ayez un système d’accès direct ou un système par commission pour les plaintes en matière de droits de la personne, il n’y a rien de mieux que d’investir suffisamment de ressources et d’expertise pour le personnel, pour la formation et pour la surveillance des résultats de l’institution, qu’elle remplisse une fonction d’arbitrage ou une fonction d’enquête et de renvoi. Merci.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Bhabha, et merci d’avoir mentionné l’islamophobie. Je suis certaine que vous savez que notre comité vient de conclure une étude d’un an sur le sujet.
La sénatrice Bernard : Merci, monsieur, d’être des nôtres ce soir et de nous avoir présenté votre témoignage.
Pour commencer, j’aimerais soulever un point. Un certain nombre de témoins, ce soir, nous ont recommandé l’accès direct, un accès direct à un tribunal. Vous avez mis en relief un certain nombre de problèmes, dans ce modèle, et vous avez fait valoir que, à lui seul, ce modèle pourrait être insuffisant, si je vous ai bien compris.
Compte tenu de votre position, quelle autre solution recommanderiez-vous?
M. Bhabha : Merci de la question et de votre commentaire.
L’autre solution, je crois, serait de ne pas se concentrer sur la conception du système, mais plutôt sur son contenu, c’est-à-dire sur les ressources investies dans le système et sur le personnel qui le fait fonctionner.
Théoriquement, un système par commission est idéal. Un système par commission, qui fonctionne efficacement, est idéal. Le problème, c’est que cela demande beaucoup plus de ressources qu’un système d’accès direct, selon moi. Je ne me suis pas penché personnellement sur la question, mais je crois savoir que — du moins, en Ontario — l’on avait calculé que, en redirigeant les ressources ailleurs que vers une commission trop lourde qui n’était pas efficace, on libérait des ressources pour faire autre chose. Je ne sais pas quel résultat cela a donné.
Dans un monde idéal, on investirait dans nos systèmes par commission et on leur donnerait les ressources dont elles ont besoin pour donner suite aux affaires qui permettront d’établir des précédents importants, pour promouvoir l’intérêt du public et ainsi améliorer notre compréhension du racisme.
La sénatrice Bernard : Merci. Vu votre réponse et d’autres aspects de votre témoignage, comment voudriez-vous dénouer le problème de la volonté institutionnelle, ou plutôt de l’absence de volonté? Quels mécanismes devraient être en place pour que la pratique institutionnelle prenne plus au sérieux les plaintes en matière de droits de la personne?
M. Bhabha : Eh bien, il y a une approche, et je pense que c’est celle qui est encouragée, qui consiste à convertir le système en un format d’arbitrage plus clair, où les gens peuvent porter plainte comme ils le feraient devant une cour, où leur plainte sera tranchée, où les éléments de preuve peuvent être présentés et mis à l’épreuve et où des conclusions peuvent être tirées.
Le problème, avec cette approche, c’est que lorsqu’il est question de discrimination raciale en particulier, les pratiques traditionnelles en salle d’audience ne sont pas idéales pour obtenir le genre d’éléments de preuve nécessaires pour établir qu’il y a eu discrimination. Vous obtenez rarement ce genre d’aveux en contre-interrogatoire : « Vous êtes raciste, avouez-le. » Puis la personne avoue. Les aveux de ce genre ne sont pas obtenus facilement ou fréquemment, et le risque, quand on adopte ce genre de processus d’arbitrage, c’est qu’on recherche ce genre d’aveux. Si on ne les obtient pas, le système ne permet pas de conclure qu’il y a eu discrimination.
Les affaires où cela arrive, quand une entité d’arbitrage comme un tribunal des droits de la personne établit qu’il y a eu discrimination raciale, sont rares et peu fréquentes et c’est tout un événement quand cela arrive. Les décideurs sont alors louangés par les spécialistes et les théoriciens des droits de la personne, parce qu’ils ont pris un risque et ont fait quelque chose que d’autres juges n’étaient pas prêts à faire dans le passé. Puis, leurs décisions sont contestées et font l’objet d’un contrôle judiciaire. Ils doivent vivre avec le risque de voir leur décision annulée, ce qui est gênant, ou que la jurisprudence recule.
Je dirais qu’il existe de nombreux leviers institutionnels qui militent contre le modèle d’arbitrage traditionnel, qui ne serait pas le meilleur outil pour révéler et comprendre le racisme.
Je sais que je n’ai pas répondu à la question, quelle est l’alternative à l’arbitrage traditionnel. Ce n’est peut-être pas nécessairement l’un ou l’autre. Je crois que nous avons besoin d’arbitrage et que les gens devraient avoir un forum où ils peuvent porter plainte et réclamer des dommages-intérêts, mais nous avons besoin de beaucoup plus d’éducation et de sensibilisation publique pour changer les normes culturelles et la compréhension sociale de la race et l’incidence de la race sur les comportements sociaux.
[Français]
La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à M. Bhabha. Le système canadien à double palier semble poser un problème et être un échec, selon l’avis de plusieurs témoins qui ont comparu devant le comité.
Pouvez-vous nous dire s’il existe de meilleures pratiques ailleurs? Est-ce que dans d’autres pays, où l’on trouve les mêmes enjeux de discrimination raciale, il y a des systèmes ou des lois qui pourraient nous inspirer? Comment les autres pays procèdent-ils? Avez-vous quelques bonnes pratiques à nous faire connaître?
[Traduction]
M. Bhabha : Merci du commentaire et de votre question. À mon avis, le Canada est un excellent modèle pour ce qui est de remédier à la discrimination, y compris la discrimination raciale.
Il y a quelques années, on m’a invité à prononcer un discours devant des représentants du gouvernement de l’Islande, qui est une société européenne moderne. L’Islande était en train d’élaborer ses normes anti-discrimination afin de se conformer aux normes établies par l’Union européenne, et elle a regardé ce que nous faisions. J’ai supervisé cinq étudiants de cycle supérieur, qui étaient venus au Canada depuis des pays européens pour étudier notre façon de lutter contre la discrimination.
Donc, en ce qui concerne la conception du système et les mesures législatives, nous nous débrouillons assez bien, à ma connaissance.
Je ne sais pas quoi dire d’autre. Je ne suis pas expert en analyse comparative des processus d’arbitrage en matière des droits de la personne, mais voici ce que je pense : même si j’ai des critiques à faire, ces critiques doivent être prises dans leur contexte, et, dans l’ensemble, les Canadiennes et les Canadiens ont davantage accès à des mesures de protection et de réparation anti-discrimination que la plupart des gens dans la plupart des autres pays du monde.
Je suis aussi d’accord pour dire qu’il y a plusieurs paliers de protection. Au Canada, le palier de protection le plus robuste en matière de droits de la personne, du moins en ce qui concerne la discrimination en milieu de travail, et c’est surtout en lien avec le travail que les gens déposent des plaintes pour discrimination — cela représente environ 80 % des plaintes en Ontario, et je suppose que c’est la même chose au gouvernement fédéral —, environ les trois quart des plaintes en matière de droits de la personne concernent le milieu de travail. Les milieux de travail syndiqués prévoient de bien meilleures mesures institutionnelles pour protéger et remédier à la discrimination, parce que toutes les conventions collectives au Canada intègrent des mesures de protection anti-discrimination. Donc, un grief est pour un travailleur un moyen beaucoup plus efficace, robuste et utile d’obtenir réparation, s’il a vécu de la discrimination au travail, que n’importe quel autre organisme de défense des droits de la personne.
Donc, indirectement, une solution serait d’accroître les taux de syndicalisation et de donner à encore plus de gens accès aux protections prévues dans les conventions collectives. Les employés assujettis à la réglementation fédérale ont accès à des protections semblables à celles qu’offrent les syndicats en vertu du Code canadien du travail, alors on peut dire que les travailleurs relevant du fédéral ont déjà un statut plus élevé que les travailleurs relevant des provinces.
La présidente : Je vous demanderais de faire vite, sénatrice Gerba, parce que trois autres sénateurs veulent intervenir.
[Français]
La sénatrice Gerba : J’ai une question complémentaire. Les employés du gouvernement sont ceux qui se plaignent le plus et ce sont eux qui subissent le rejet de leurs plaintes. On parle de délais démesurés. Si notre système est vraiment un modèle, comment expliquer que cela prenne autant de temps pour régler les cas des plaignants? Savez-vous quelles sont les raisons qui poussent la commission à rejeter systématiquement les plaintes de personnes noires?
[Traduction]
La présidente : J’ajouterais, parce que je ne sais pas si vous avez entendu les témoignages précédents, que les témoins ont dit que les politiques canadiennes étaient parmi les meilleures au monde sur papier, mais que c’est la mise en œuvre de ces politiques qui fait défaut.
M. Bhabha : Oui, je souscrirais à leurs observations.
Je n’ai pas mené d’étude sur les décisions de renvoi de la Commission des droits de la personne. Je ne sais pas pour quel motif les affaires ne sont pas renvoyées pour audience.
Cependant, d’après les études comparatives internationales que j’ai faites, je sais qu’il y a cette impression que l’accès à la justice exige un équilibre très délicat entre fournir des moyens d’obtenir réparation et ouvrir les portes si grand que le système judiciaire est incapable de supporter la charge de travail. Il y a des rapports venant de divers gouvernements sur ce qu’on pourrait appeler le danger d’être trop accessible. Certains affirment que c’est ce qui est arrivé en Ontario, où le système en 2008 fonctionnait assez bien, jusqu’à ce que les délais de traitement commencent à s’allonger graduellement. Il y a beaucoup de raisons qui expliquent cela, la plupart liées à l’allocation des ressources.
Il y a aussi le défi que pose l’accroissement de la demande. Quand une institution est reconnue comme un moyen efficace d’obtenir réparation, la demande va augmenter et freiner l’institution. Je ne sais pas si c’est le cas à l’échelon fédéral, mais il se pourrait que les employés fédéraux aient d’excellentes politiques sur papier, qu’il leur soit possible de porter plainte et qu’ils se prévalent de cette possibilité, mais que le système n’ait pas la capacité de traiter autant de plaintes.
Pour ce qui est d’évaluer la qualité de ces plaintes — combien de ces plaintes sont valides et sont susceptibles d’être accueillies en vertu de la loi —, qui peut savoir? Ce serait pertinent de savoir combien de ces affaires sont rejetées alors qu’elles seraient viables.
La présidente : Merci, monsieur Bhabha.
Le sénateur Arnot : J’aimerais demander aux témoins de commenter deux ou trois choses.
Premièrement, je pense que vous avez mis en relief le fait que, avant de jeter le bébé avec l’eau du bain, il faudrait réaliser une analyse rigoureuse de certains de ces processus. Fondamentalement, si nous avons un processus neutre, équitable, axé sur la vérité, impartial et professionnel, et qu’il est appliqué par des gens qui sont neutres, équitables, axés sur la vérité, impartiaux et professionnels, alors le résultat sera assez bon.
Le problème que nous entendons, c’est que la commission a énormément de préjugés. C’est un défaut fatal pour n’importe quel système de justice, peu importe son modèle.
Je voudrais faire un autre commentaire. Quand une personne s’adresse à la Commission des droits de la personne et qu’elle a une plainte en matière de location résidentielle — disons qu’elle croit être victime de discrimination en raison de sa race —, elle ne veut pas entendre la commission lui dire : « Ne vous inquiétez pas, faites-nous confiance. Dans six ans, vous verrez les résultats. Peut-être. » La personne veut un toit au-dessus de sa tête dès le lendemain matin. Donc, les délais sont complètement inacceptables.
Je pense que cela est lié à certains des problèmes du modèle de défense des intérêts. Ce modèle n’est pas le meilleur. Avez-vous jamais rencontré une personne, d’un côté ou de l’autre d’un litige, qui était satisfaite du résultat? C’est très rare.
Pour en venir à mon deuxième point, monsieur Bhabha, vous étiez arbitre. Qu’arrive-t-il, dans le processus d’arbitrage, lorsque l’arbitre ne comprend pas le contexte social dans lequel s’est déroulée l’affaire et dans lequel la décision sera appliquée? Cela ne va pas donner un bon résultat.
Vous avez soulevé des points très importants, et j’aimerais entendre vos commentaires sur certains des enjeux dont je viens de parler.
M. Bhabha : Merci beaucoup.
Il n’y a aucun de vos commentaires auxquels je ne souscris pas. Vous avez souligné l’importance de l’efficacité et de la rapidité, en plus de l’indépendance, de la qualité et de l’impartialité; des choses que nous voulons pouvoir tenir pour acquises. Sans efficacité et sans rapidité, on se retrouve avec le problème de l’attente de six ans au bout desquels aucun recours n’aura d’effet.
Je suis d’accord que, dans les litiges, souvent, même les gagnants sont perdants. C’est un aspect frustrant des litiges, et c’est encore plus frustrant dans les litiges en matière de droits de la personne, compte tenu de la nature des droits de la personne, des intérêts qui sont représentés et des intérêts qu’on veut défendre.
Cela fait quelques décennies que je pratique ou que j’observe le droit relatif aux droits de la personne, et je dois admettre que je ne sais pas si cela en vaut la peine, dans la plupart des affaires que j’ai observées ou auxquelles j’ai pris part. J’ai rarement vu la partie victorieuse, dans une affaire de droits de la personne où elle a obtenu gain de cause, se sentir vraiment satisfaite.
Je ne pense pas que les litiges vont nous délivrer du mal. Malgré tout, est-ce que cela permet d’atténuer les préjudices liés au racisme? Est-ce une bonne chose pour notre société d’avoir une institution, même si elle ne fonctionne pas parfaitement, même si elle déçoit et n’est pas à la hauteur des attentes? Je crois bien que oui, mais je m’inquiète aussi de cet effet esthétique, c’est-à-dire que nous avons une institution qui ne fait rien, mais que nous sommes tout de même satisfaits parce que nous l’avons.
Il y a un équilibre délicat à atteindre; nous sommes réconfortés par le fait que, en tant que société, nous avons élaboré un cadre institutionnel avancé pour lutter contre la discrimination, un cadre qui fait l’envie du monde. Mais nous devons tout de même continuer de travailler pour le rendre plus efficace.
En ce qui a trait au contexte social et à la compétence des commissaires individuels, je n’ai jamais travaillé avec de meilleures gens que mes anciens collègues du Tribunal ontarien des droits de la personne, entre 2008 et 2011. Cela en dit long sur le soin et l’attention accordés au processus de nomination, qui était fondé sur le mérite et axé sur les bonnes priorités.
Quand on regarde ce qui se passe du côté du Tribunal ontarien des droits de la personne aujourd’hui et certaines des critiques qui fusent depuis le retour du système de nomination non fondée sur le mérite, je me dis que c’est une observation très importante à faire.
Le tribunal ne sera jamais meilleur que les gens qui y travaillent. C’est important de trouver une bonne brochette d’experts, qui ont une expertise pertinente et une véritable indépendance, et qui ne craignent pas de pousser la loi dans la bonne direction.
L’idée que la commission a des préjugés... je ne suis pas certain de ce que vous voulez dire par là, précisément. Si c’est une autre façon de dire que la commission prend au sérieux son mandat de promouvoir la lutte contre la discrimination, alors c’est une bonne chose.
Si l’on craint que la commission ait un quelconque parti pris institutionnel contre la reconnaissance de la discrimination raciale, alors je pense que cela montre qu’elle ne remplit pas pleinement son mandat et qu’elle nécessite une réforme.
Je ne pense pas avoir une connaissance aussi pointue de la Commission canadienne des droits de la personne que certains des autres témoins qui ont comparu avant moi, alors je n’en dirai pas trop à ce sujet.
La présidente : Nous allons passer à la sénatrice Omidvar. Entre vous et moi, il reste 10 minutes.
La sénatrice Omidvar : Je serai brève. J’aimerais revenir sur le point que vous avez soulevé au sujet des milieux de travail syndiqués. Je suis d’accord avec vous pour dire que les milieux de travail syndiqués ont de meilleurs systèmes et processus et peuvent mieux protéger leurs membres.
Des témoins précédents ont dit que, en tant que membres de la fonction publique fédérale — qui est l’un des plus grands syndicats, s’est mis en grève et est parvenu à un accord ce matin, ce qui est une bonne chose pour nous tous —, ils n’ont pas bénéficié de la protection de ce cadre syndical, à tel point que les employés noirs ont intenté des recours collectifs, etc. Comment concilier ces deux courants de pensée?
M. Bhabha : Je pourrais aborder cette question de différentes façons. Je n’ai évidemment pas de réponse. Selon ce que j’ai constaté, à partir de 2020, il y a eu une augmentation spectaculaire de la prise de conscience et de la manifestation d’un désir d’égalité raciale, à la suite de ce qui s’est passé aux États-Unis. Cela s’est directement traduit. Je l’ai constaté dans mon propre travail. Cela s’est directement traduit dans les milieux de travail où la cause du racisme anti-Noirs était déjà un enjeu que les gens cherchaient à mettre en avant et qui n’était pas traité de manière adéquate. C’est un problème de longue date, tout comme les autres formes de racisme.
Cela a trait à la nature de la race en tant que motif de protection des droits de la personne et les défis liés à la dénonciation de la discrimination raciale, en particulier en milieu de travail. Cela ne concerne pas seulement la Commission canadienne des droits de la personne. On a entendu des révélations d’employés d’autres organismes fédéraux, comme le SCRS, la GRC et l’armée. Il semble que ce phénomène est généralisé. Ce sont tous des milieux de travail syndiqués dotés de solides politiques en milieu de travail.
Ce sont des milieux de travail modèles pour ce qui est des politiques et des procédures en place; toutefois, il a été impossible de changer la culture pour passer à une culture plus respectueuse des droits, et dans laquelle les membres des groupes minoritaires se sentent mieux accueillis et plus à l’aise dans leur milieu de travail.
La seule chose que je puisse dire en réponse à la question sur ce que font les syndicats, c’est qu’ils ne font clairement pas assez ou pas assez de bonnes choses. La commission doit se regarder en face et je pense assurément que le syndicat doit faire de même. Je n’ai pas de recommandations spécifiques sur la nature du problème. Je n’ai pas posé de diagnostic moi-même.
La sénatrice Omidvar : Monsieur Bhabha, si vous pouviez y réfléchir et nous envoyer une recommandation sur le rôle que pourrait jouer le syndicat de la fonction publique fédérale pour nous aider à régler le problème de la discrimination envers les Noirs dans la fonction publique fédérale, nous vous serions reconnaissants.
M. Bhabha : J’aurais toutefois un commentaire à faire, quelque chose que j’ai constaté parce que j’enquête parfois sur des allégations de discrimination dans les milieux de travail, par exemple ceux du gouvernement. J’ai une certaine expérience des entretiens avec des représentants du gouvernement et des syndicats et ainsi de suite.
Ce que je sais, c’est que cela peut être difficile, lorsque des allégations de discrimination raciale sont faites entre des membres du personnel et de syndicat, car le syndicat a le devoir de représenter tous ses membres. Il se peut que le syndicat ait de la difficulté à représenter les deux parties d’un litige en matière de discrimination raciale en milieu de travail.
Il se peut que les syndicats aient besoin de meilleurs outils pour savoir comment représenter tous leurs membres dans des situations où leurs membres sont en conflit les uns avec les autres. J’y réfléchirai et je ferai le suivi au meilleur de mes connaissances.
La présidente : Merci. Ma question est la suivante : si le système fédéral des droits de la personne devait passer à un modèle d’accès direct, quelles leçons peut-on tirer de l’expérience de l’Ontario?
M. Bhabha : Une chose que je soulignerais, c’est que l’accès direct ne fonctionnera pas du tout à moins qu’il y ait un genre de clinique ou d’organisme associés qui représenterait ceux qui veulent recourir au système d’accès direct, mais qui n’ont pas les moyens de retenir les services d’un conseil pour eux-mêmes.
En Ontario, nous avons le Centre d’assistance juridique en matière des droits de la personne, qui ne faisait pas partie de la proposition originale de réforme législative. Quand cette première proposition a été faite, de nombreux intervenants ont répondu que cela ne fonctionnerait pas sans un centre dédié et financé par l’État qui représentait les demandeurs.
Cela ne réglera pas le problème de l’accès à la justice, mais cela le rendra plus viable pour de nombreuses personnes qui n’auraient pas autrement la possibilité d’intenter des poursuites, du moins. Je dirais donc qu’il est absolument essentiel d’avoir une sorte de ressource publique indépendante du tribunal pour représenter les demandeurs devant le tribunal.
L’autre chose qu’il faut envisager, c’est un régime de dépens, qui permettra aux plaignants en matière de droits de la personne de recouvrer les frais lorsqu’ils obtiennent gain de cause, en leur évitant le risque de devoir les assumer dans le cas contraire.
En Ontario, nous avons un régime de non-attribution de dépens. Cela nuit énormément à la capacité des gens à porter une affaire devant le tribunal avec un conseil. Les frais donnent au conseil la chance d’obtenir un meilleur recouvrement.
Je peux vous dire par expérience que représenter des plaignants dans des affaires de droits de la personne n’est presque jamais financièrement rentable pour un avocat. Si vous voulez créer un système dans lequel les gens sont susceptibles d’avoir besoin d’être représentés par un avocat, vous devez être conscients de ce fait.
La présidente : Merci, monsieur Bhabha. Merci de votre témoignage; il nous aidera énormément quand nous serons prêts à rédiger le rapport.
Sénateurs, nous allons brièvement suspendre la séance pour nous préparer à accueillir le prochain témoin.
Monsieur Bhabha, As-Salaam-Alaikum.
M. Bhabha : Wa-Alaikum-Salaam. Merci beaucoup. Ce fut un honneur d’être ici.
La présidente : Je vais présenter notre dernier témoin. On lui a demandé de présenter une déclaration préliminaire de cinq minutes, et je pense qu’il n’y a personne qui soit plus au courant ou plus au fait qu’elle du fonctionnement du Comité des droits de la personne. Nous accueillons à la table notre chère collègue, l’honorable sénatrice Wanda Thomas Bernard. J’invite maintenant la sénatrice Bernard à présenter son exposé.
L’honorable Wanda Thomas Bernard : Merci, madame la présidente, de me donner l’occasion de comparaître en tant que témoin. J’ai quelques notes à partager.
Honorables sénatrices et sénateurs, quand j’ai entendu les nouvelles sur le racisme anti-Noirs, le sexisme et la discrimination au sein de la Commission canadienne des droits de la personne, je me suis sentie soulagée, malgré ces nouvelles difficiles. Pourquoi, me diriez-vous? C’est que l’existence du racisme anti-Noirs au Canada a enfin été reconnue, et je sais qu’il existe. Cela a enfin été reconnu.
Quand j’ai entendu la décision du Conseil du Trésor, je savais que le Sénat avait la responsabilité de traiter cette question de manière urgente.
Chers collègues, j’ai été désignée témoin expert dans trois provinces canadiennes sur des questions concernant le racisme anti-Noirs. Certaines des affaires dans lesquelles j’ai témoigné se déroulaient devant un tribunal des droits de la personne. J’ai mené des projets de recherche importants sur les conséquences du racisme sur la santé et le bien-être des Canadiens d’origine africaine.
Je suis également une survivante — et je fais remarquer que j’utilise le terme « survivante », et non pas « victime » — du racisme anti-Noirs systémique. Je suis passée par des processus officiels de plaintes en tant que plaignante et également en tant que personne de confiance pour d’autres plaignants canadiens d’origine africaine.
Je note les points communs suivants, selon ces deux perspectives : ma précédente expérience professionnelle en tant que travailleuse sociale, éducatrice et chercheuse, et mes expériences personnelles.
Le racisme anti-Noirs a des conséquences néfastes sur la santé mentale, physique, émotionnelle, spirituelle et communautaire des Canadiens d’origine africaine. Le stress du racisme dans le cadre de l’emploi était l’une des sources de stress les plus importantes, selon notre étude sur l’origine raciale et le bien-être. On a déterminé que la prise de mesures contre le racisme était l’un des mécanismes d’adaptation utilisés par les participants, ce qui montre qu’un processus de justice a le potentiel d’être très curatif. Cependant, le contraire est également vrai. Une plainte officielle déposée auprès d’une commission des droits de la personne et qui n’a pas été bien traitée peut entraîner d’autres préjudices à la personne et à sa famille.
Il faut une force et un courage considérables pour s’engager dans un processus officiel de plainte en matière de droits de la personne. De nombreuses personnes noires m’ont approchée en privé pour me raconter leurs expériences de dépôt d’une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne ou de leur syndicat. Une personne avait intenté des poursuites pour racisme anti-Noirs contre deux entreprises importantes régies par la Commission canadienne des droits de la personne. Dans les deux affaires, cette personne a dû se battre contre la Commission canadienne des droits de la personne simplement pour qu’elle examine son affaire. Imaginez. Imaginez que vous trouvez enfin le courage de raconter votre histoire et que les préposés à l’accueil ne vous croient pas.
Nous examinons maintenant les conséquences en cascade sur la santé physique et mentale d’avoir survécu à un milieu de travail discriminatoire et de subir ensuite le stress d’en rendre compte à la Commission canadienne des droits de la personne, une organisation fédérale, qui prétend s’engager — et je cite son site Web — « à effectuer et à influencer un changement systémique antiraciste [...] »
Ce ne sont pas de nouveaux problèmes. Il y a plusieurs décennies, un ancien député, le regretté M. Howard McCurdy, de Windsor, qui a été député de 1984 à 1993, a une fois déclaré que la Commission canadienne des droits de la personne était un éléphant blanc de la bureaucratie et un colosse aux pieds d’argile, pour ce qui est de l’efficacité.
Il a ensuite donné un exemple. Une Canadienne d’origine africaine de Colchester, en Ontario, qui avait été embauchée par les douanes canadiennes, a suivi des cours de formation pour ses fonctions. Elle avait la peau suffisamment claire pour passer pour une Caucasienne. Elle s’est retrouvée à suivre les conseils racistes donnés en guise de formation aux agents, selon lesquels ils devaient procéder au profilage racial de voyageurs noirs.
Voici ce qu’a dit M. McCurdy :
Mon bureau a aidé la plaignante à présenter son témoignage à la Commission canadienne des droits de la personne. Sa réponse? Pas un soupir. Même pas un haussement d’épaules.
Le député McCurdy était assez préoccupé de ce qu’il appelait l’incapacité apparente de la Commission canadienne des droits de la personne à faire un suivi ou à donner suite à des allégations de racisme. Je tiens à vous rappeler qu’il en a parlé quelque part entre 1984 et 1993.
Ce sont des problèmes profonds et systémiques associés à de nombreux obstacles systémiques. Le système n’est pas conçu pour aider le plaignant. Aucun service juridique n’est offert aux plaignants. Si un plaignant n’a pas les moyens de retenir les services d’un avocat, il est livré à lui-même. Il fait face à une grande entreprise, une organisation ou un ministère qui se battront avec toute la puissance juridique dont ils disposent. Même si les premières commissions des droits de la personne du Canada ont certes été établies en raison du racisme anti‑Autochtones et anti-Noirs, mais il est devenu de plus en plus difficile de donner suite à des affaires de discrimination raciale en passant par les processus établis, et nous en avons beaucoup entendu parler ce soir.
Vu les décisions récentes du Conseil du Trésor concernant plusieurs griefs, on peut se demander si la Commission canadienne des droits de la personne a ce qu’il faut pour traiter les plaintes de racisme anti-Noirs déposées par le public. Les Canadiens noirs d’un bout à l’autre du pays ne font plus confiance à la commission, ce qui est pire que de ne pas avoir du tout de commission des droits de la personne, parce qu’elle discrimine la population qu’elle a promis de protéger.
Je répondrai avec plaisir à vos questions.
La présidente : Merci, sénatrice Bernard. Chers collègues, je pose généralement la question en dernier, mais, sénatrice Bernard, j’aimerais vous poser une question sur votre vaste expérience de vie. Vous êtes leader communautaire. Vous êtes sénatrice. Nous avons entendu des témoignages très puissants et parfois touchants des précédents témoins. Y a-t-il quelque chose dans ces témoignages qui vous a surprise?
La sénatrice Bernard : Malheureusement, je dirais que non, pas du tout. Les histoires que j’ai entendues ce soir, je les ai entendues tout au long, je dirais de ma vie, mais assurément de ma carrière, qui couvre aujourd’hui de plus de quatre décennies.
Le racisme anti-Noirs est si difficile à nommer dans notre pays qu’il devient presque impossible pour les survivants de s’attendre à un processus équitable.
La présidente : Sénatrice Bernard, qu’aimeriez-vous voir changer à la Commission canadienne des droits de la personne, maintenant que nous avons entendu à quel point elle a été inefficace?
La sénatrice Bernard : Plusieurs témoins ont parlé de la nécessité d’une refonte totale, et de nombreux témoins ont également dit ce soir — je suis du même avis — qu’on a tendance à croire qu’il suffit de nommer une personne racisée à la tête de la commission pour que les choses s’arrangent. Ce serait comme vouloir éteindre un incendie de forêt avec un verre d’eau. Ce ne serait pas efficace.
Des témoins ont également dit ce soir que « le problème ne concerne pas uniquement la Commission canadienne des droits de la personne ». En fait, un des témoins a parlé d’un problème qui concernait le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada lui-même, l’institution, le ministère même qui nous a conduits là où nous en sommes aujourd’hui. J’ai eu des discussions privées, en aparté, avec plusieurs personnes qui ont nommé divers ministères; il nous faut donc la volonté politique de reconnaître les préjudices causés par le racisme anti-Noirs, l’histoire du racisme systémique et le déni constant de l’existence même du racisme anti-Noirs. C’est une couche supplémentaire de préjudices pour les Canadiens noirs.
La présidente : Ma dernière question est la suivante : vous parlez de volonté politique. Estimez-vous qu’il y a un manque de volonté politique face à ce problème?
La sénatrice Bernard : Je pense qu’il y a une crainte. Je pense que l’on craint d’ouvrir ce dossier en raison de ce que cela pourrait signifier. Je pense que l’on craint d’approfondir ces questions parce qu’elles peuvent nous emmener à des endroits où nous ne voulons pas aller.
Nous approchons de la fin de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, et j’aimerais que, en tant que pays, nous fassions quelque chose de très significatif à la fin de cette décennie. Mais je vois la fin de la décennie comme le début d’un travail significatif et important que nous entreprendrons ensemble pour apporter un changement systémique au problème systémique du racisme anti-Noirs.
La présidente : Merci, sénatrice.
[Français]
La sénatrice Gerba : Chère collègue et chère sœur, sénatrice Bernard, merci de venir témoigner. Je sais personnellement que c’est une cause qui vous tient très à cœur. Vous vous battez pour cette cause depuis des années. Votre leadership est reconnu dans toutes les communautés et je tenais à le signaler et à le mentionner.
Vous avez commencé vos propos en précisant que vous n’êtes pas une victime, mais une survivante. Est-ce que vous pouvez expliquer à ce comité et aux Canadiens qui nous écoutent, pourquoi vous avez donné cette précision? Moi, je sais et je peux comprendre pourquoi, mais j’aimerais que vous l’expliquiez aux Canadiens qui nous écoutent.
[Traduction]
La sénatrice Bernard : Quand on se voit comme une victime, il est facile de tomber dans le piège de la victimisation. Quand les autres vous voient comme une victime, ils ont tendance à vous traiter comme telle.
Être Noir, au Canada, survivre en gardant son intégrité intacte, briser le plafond de verre ou le plafond de béton, s’acharner envers et contre tout : quand on peut faire cela, c’est que l’on a survécu envers et contre tout et que l’on doit être considéré comme un survivant, et non pas comme une victime. En tant que survivants, nous reconnaissons le préjudice qui a été causé, mais également les dons que nous avons reçus, y compris le don de survivre, de se lever et de continuer d’avancer un jour de plus, même si cela semble presque impossible.
Pour de nombreuses personnes, c’est le don de la spiritualité, et je pense que M. Coward en a parlé plus tôt ce soir. Il a parlé — j’ai oublié le terme qu’il a utilisé; c’était peut-être « puissance supérieure » — du don de survivre aux traumatismes du racisme, et peu de personnes comprennent les traumatismes du racisme.
En fait, c’est le projet que j’ai dirigé qui nous a amenés à voir le racisme anti-Noirs un peu différemment, dans notre pays, et à le nommer — le racisme comme forme de violence — et à parler des traumatismes de cette violence et de la façon dont nous survivons.
La triste réalité est que nous survivons entre autres par le militantisme. Une autre façon de survivre est d’utiliser les processus de plaintes officiels, mais, lorsque ces processus de plaintes officiels vous nuisent davantage, je m’émerveille de la force qu’il faut aux gens — à nos gens — pour survivre au racisme anti-Noirs, continuer d’avancer et passer le flambeau d’une génération à une autre.
On parle de préjudice multigénérationnel, mais je tiens à souligner, aux fins du compte rendu, notre force multigénérationnelle, qui nous permet de contrer le racisme anti-Noirs dans tous ces systèmes. Je pense aux neuf personnes qui sont allées de l’avant avec leurs griefs; elles l’ont fait avec une force incroyable, et je crois qu’une grande partie de cette force leur vient de leurs ancêtres, de la force multigénérationnelle qui les fait avancer jour après jour.
Merci de la question.
La présidente : Merci.
La sénatrice Omidvar : Je tiens à dire à notre collègue et témoin, vous n’êtes certainement pas une victime. Je vous considère comme une leader du mouvement. Vous avez ravivé le débat sur le dossier de la discrimination anti-Noirs, et je crois qu’il est juste de dire que nous prenons exemple sur vous.
Je suis également heureuse de vous entendre exprimer votre optimisme touchant la nouvelle décennie des personnes d’ascendance africaine et, à ce propos, j’aimerais vous poser une question sur le Caucus des parlementaires noirs que vous avez cocréé dans les deux Chambres du Parlement. Quel rôle joueront ces caucus pour pousser la discussion plus loin, une fois que le rapport sera déposé? Il y a des recommandations très concrètes, comme de créer un bureau — on a un directeur général des élections du Canada, et on aurait un responsable de la lutte contre la discrimination anti-Noirs qui ferait rapport aux deux Chambres du Parlement plutôt qu’à l’exécutif — et de réviser la Loi sur l’équité en matière d’emploi, ce qui est à mon avis très important. Il y a un certain nombre de recommandations concrètes.
Pourriez-vous me dire comment le caucus va accueillir et mettre en œuvre ce rapport?
La sénatrice Bernard : Merci de la question, sénatrice Omidvar.
Je ne peux pas dire ce que ces groupes feront, mais je crois pouvoir dire avec assez de certitude qu’ils seront habilités à agir; ce rapport sera donc utile à la fois au Caucus des parlementaires noirs et à notre groupe au Sénat, le Groupe canado-africain du Sénat. Le rapport sera très utile pour ces deux groupes pour nous aider à aller de l’avant, et je crois que le rapport sera utilisé d’une façon très fructueuse.
Une des choses qui me rend optimiste est le fait que nous ne sommes pas seuls ici. Le fait que nous ayons deux caucus, deux groupes... nous ne sommes pas un caucus; nous sommes des groupes.
J’ai parlé plus tôt ce soir du regretté député Howard McCurdy, qui était à son époque la seule personne d’origine africaine à siéger à la Chambre. Nous connaissons M. Lincoln Alexander, même chose. Ces géants, sur les épaules desquelles je me tiens, siégeaient au Parlement à une époque où ils étaient seuls. À notre époque, nous avons un collectif. Nous avons un ensemble de voix, et je crois que c’est ce qui me donne de l’espoir. C’est ce qui me rend optimiste, et c’est un espoir essentiel. Je pense que le changement aura lieu, car nous avons un mouvement collectif et une capacité collective de faire avancer les choses. Nous n’agissons pas seuls. De plus, nous avons des alliés dans chacun de ces groupes, et nous travaillerons avec nos alliés pour amener le type de changement que nous voulons. C’est ce qu’il faut faire, et je crois que cela se fera.
La sénatrice Omidvar : Laissons de côté la fonction publique; au Sénat — y compris les sénatrices et les sénateurs, le personnel et le personnel administratif —, y a-t-il un groupe d’employés noirs?
La sénatrice Bernard : Au Sénat, nous avons le Groupe canado-africain du Sénat. Ce n’est pas un « groupe de sénateurs », c’est un « groupe du Sénat », les employés noirs en font donc partie également. Nous avons volontairement ouvert la porte pour créer un espace accueillant et inclusif pour les membres de notre personnel également.
La sénatrice Omidvar : Merci.
Le sénateur Arnot : Merci de votre témoignage ici aujourd’hui, sénatrice Bernard, et merci d’avoir abordé le sujet au Comité des droits de la personne.
Vous avez parlé d’une crainte — une crainte politique — qui fait que les gens pourraient hésiter à dire la vérité sur ce type de racisme et son effet dévastateur. J’ai abordé cette étude sans aucun préjugé, et j’ai vraiment été troublé par les témoins parce que — ouf! — c’est honteux. C’est terrible. Les Canadiens auraient honte s’ils entendaient ce que nous avons entendu aujourd’hui, et ils l’entendront peut-être. Cela fait peut-être partie du rôle du comité et de son rapport, parce que nous devrions peut-être dire la vérité.
Je crois que le racisme est une norme sociale. C’est certainement le cas dans ma province, et je pense que c’est une norme sociale au Canada, et c’est la vérité. Un des témoins a dit que c’est une partie intégrante du tissu de notre société. J’ai moi‑même utilisé ces mots plusieurs fois en public, mais je leur ai ajouté un qualificatif, à savoir que le tissu était fait de fibres de nylon très solides et épaisses qu’il sera difficile d’extirper.
Comme vous m’avez entendu le dire tout à l’heure, je crois au pouvoir de l’éducation, et j’ai constaté que les enfants des écoles primaires comprennent à coup sûr l’équité. L’injustice profondément ancrée est au cœur de ce problème, et j’espère que nous pourrons changer la culture et la communauté en changeant la culture des écoles. Que peut recommander notre comité, dans son étude, quant à ce qui pourrait et devrait être fait dans les systèmes scolaires du Canada pour directement régler ces problèmes?
J’imagine que ma dernière question porte en réalité — et vous y avez probablement déjà répondu — sur le fait que nous avons ici une véritable occasion, par ces témoignages que nous avons entendus, de formuler quelques recommandations et observations vraiment puissantes sur notre société canadienne.
La sénatrice Bernard : Oui. Une de vos questions concerne le pouvoir de l’éducation et vous me demandez si je pense que cela peut être positif. Absolument. Je pense qu’offrir ce type d’éducation dans le système scolaire public ne peut qu’être bénéfique à long terme. Je pense donc aux conséquences à long terme.
Cependant, à court terme, il faut plus. À court terme, je pense qu’il faut réfléchir sérieusement à la manière dont nous voulons que notre pays soit perçu lorsqu’il s’agit de régler les problèmes liés au racisme systémique anti-Noirs. Être considéré comme un chef de file dans ce domaine, et vivre ensuite une expérience très différente, c’est une déconnexion, et je considère que faire quelque chose à ce sujet est une priorité pour le Canada.
J’espère que cette étude peut aider à formuler quelques recommandations qui seraient utiles pour le pays pour ce qui est de régler le nœud du problème.
La présidente : Merci, sénatrice Bernard.
La sénatrice Gerba : J’aimerais simplement savoir si elle a des recommandations. Quel est le...
La présidente : Sénatrice, nous avons quatre minutes parce qu’il y a une question urgente dont nous devons discuter à huis clos après la séance.
La sénatrice Gerba : Je n’ai pas besoin de plus. Merci.
La présidente : Merci, sénatrice Bernard, de votre témoignage. Merci de votre leadership dans ce dossier. Vous avez des collègues qui vont rester à vos côtés et qui vous soutiendront.
Mesdames et messieurs, cela met fin à notre séance. Nous devons prendre une décision concernant une question urgente, nous essaierons d’être brefs. Je vais suspendre la séance, et nous reprendrons à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)